GALATES IV

CHAPITRE IV. JE DIS DE PLUS : TANT QUE L'HÉRITIER EST ENCORE ENFANT, IL N'EST POINT DIFFÉRENT D'UN SERVITEUR, QUOIQU'IL SOIT LE MAÎTRE DE TOUT ; MAIS IL EST SOUS LA PUISSANCE DES TUTEURS ET DES CURATEURS, JUSQU'AU TEMPS MARQUÉ PAR SON PÈRE. AINSI, LORSQUE NOUS ÉTIONS ENCORE ENFANTS, NOUS ÉTIONS ENCORE ASSUJETTIS AUX ÉLÉMENTS DE CE MONDE. (1-3.)

 

Analyse.

 

1. Juifs en tutelle sous la loi, libres par la foi. — Galates entraînés dans le judaïsme.

2. Leur première affection pour Paul. — Douceur de l'apôtre.

3 et 4. Sa tendresse pour ses disciples. — Agar et Sara, figures des deux alliances.

 

1. L'enfant dont il est question ici n'est pas tel par son âge, mais par ses goûts. Paul nous fait comprendre aussi que Dieu voulait dès le début nous accorder les biens dont il nous a gratifiés plus tard; mais comme nous étions encore trop enfants, il nous a laissés sous la dépendance des éléments de ce monde, c'est-à-dire qu'il nous a fait observer les néoménies (1) et le sabbat. Or, la succession de ces jours-là est subordonnée au cours de la lune et du soleil. Si donc on vous ramène à la loi, c'est absolument comme si une fois arrivés à l'âge d'homme on vous faisait revenir à l'enfance. Voyez-vous où conduit l'observation des jours

 

1 Renouvellement de chaque mois.

 

marqués par la loi ? Elle fait du Seigneur, du maître, du roi de toutes choses un simple serviteur. « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils formé d'une femme et assujetti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, et pour que nous pussions réclamer notre adoption (4,5)». Paul indique ici deux causes et deux résultats de l'incarnation : elle nous a délivrés des maux, elle nous a procuré des biens, entreprise que nul, excepté Jésus, ne pouvait faire réussir. Quels sont donc ces biens qu'elle nous a procurés? Elle nous a sauvés de la malédiction de la loi, et nous a rendus enfants adoptifs. « Pour racheter », dit-il, « ceux qui étaient sous la loi, et pour que nous (610) pussions réclamer notre adoption ». Il a raison de dire: « Pour que nous pussions réclamer», c'est bien la preuve que cette adoption nous était due. Car dès le début, ainsi que Paul nous l'a fait remarquer plus d'une fois, Dieu avait fait à Abraham en leur faveur des promesses qui se sont réalisées. Et à quoi reconnaître, dira-t-on, que nous sommes devenus les enfants de Dieu? Aune chose, dit-il, c'est que nous avons été revêtus de Jésus-Christ le vrai Fils de Dieu. Il en donne une seconde preuve, c'est que nous avons reçu l'Esprit d'adoption.

« Et parce que vous êtes enfants , Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Abba, mon père. Aucun de vous n'est donc point maintenant serviteur, mais enfant. Que s'il est enfant, il est aussi héritier de Dieu par Jésus-Christ (6,7) ». Car nous ne pourrions l'appeler notre Père, s'il ne nous avait d'abord reconnus pour ses fils. Si donc par l'effet de la grâce nous avons cessé d'être esclaves pour devenir libres, d'être enfants pour devenir hommes faits, d'être étrangers à Dieu pour devenir ses héritiers et ses enfants, ne serait-il pas absurde, ne serait-ce pas le comble de l'ingratitude que dû l'abandonner et de revenir sur nos pas ? « Autrefois, lorsque vous ne connaissiez point Dieu, vous étiez assujettis à ceux qui n'étaient point véritablement dieux. Mais après que vous avez connu Dieu, ou plutôt que vous-avez été connus de lui, comment vous tournez-vous vers ces observations légales, défectueuses et impuissantes, auxquelles vous voulez vous assujettir par une nouvelle servitude (8, 9) ». Ici Paul s'adresse à ceux d'entre les gentils qui s'étaient convertis à la foi, et leur dit que c'est une espèce d'idolâtrie que de s'assujettir à observer les jours, et que cette coutume les expose maintenant à des châtiments plus terribles. Il dit: Des éléments qui ne sont point véritablement des dieux, afin de leur faire partager son opinion, et de les mettre dans une perplexité plus grande. Voici le sens de ses paroles : Vous étiez alors dans les ténèbres, vous viviez dans l'erreur, et .vous rampiez à terre; aujourd'hui que vous connaissez Dieu, ou plutôt que vous êtes connus de lui, ne vous exposerez-vous pas à un plus grand et plus terrible châtiment, en retombant dans votre ancienne maladie malgré les soins dont vous avez été comblés? Si vous avez trouvé Dieu, ce lest pas à vos efforts que vous le devez ; mais c'est lui-même qui vous a retirés de l'erreur où vous croupissiez. Il dit de la loi qu'elle est défectueuse et impuissante, parce qu'elle n'a aucune influence pour nous procurer les biens dont il est question.

« Vous observez les jours et les mois, les saisons et les années (10) ». D'après ce passage, il est évident que les faux apôtres ne leur prêchaient pas seulement l'observation de la circoncision, mais encore celle des fêtes et des néoménies. « J'appréhende pour vous, que je n'aie peut-être travaillé en vain parmi vous (11)». Voyez-vous cette bonté apostolique? Les Galates étaient assaillis par la tempête, il tremble, il craint pour eux. De là cette expression si bien faite pour les ramener à de meilleurs sentiments : « J'ai peut-être travaillé en vain parmi vous », c'est-à-dire, ne me faites pas perdre le fruit de tant de sueurs. En disant «J'appréhende » , et en ajoutant ces mots : « Que peut-être », il excite leur inquiétude et fait naître en même temps chez eux une meilleure espérance. Car il n'a pas dit : « J'ai travaillé en vain », mais : « Peut-être ai-je travaille en vain». Vous n'avez pas encore, leur dit-il, fait complètement naufrage, mais je prévois que la tempête qui gronde sur vous amènera ce résultat. Aussi, je crains, mais je ne désespère pas : car il dépend de vous que tout aille bien, et que vous retrouviez le beau temps d'autrefois. Ensuite, tendant pour ainsi dire la main à ces naufragés, il leur dit : « Soyez comme moi, parce que j'ai été comme vous (12) ». Il s'adresse à ceux qui appartenaient à la nation juive. Il se met en avant, afin de les décider par son exemple à renoncer à leurs anciens errements. Si vous n'aviez personne autre pour vous servir d'exemple, il vous suffirait, pour vous raffermir dans votre conversion, de jeter les yeux sur moi seul. Regardez-moi donc, car moi aussi j'ai eu les mêmes sentiments que vous, et j'ai été un chaud partisan de la loi, et cependant plus tard je n'ai pas craint de l'abandonner, pour me ranger sous le drapeau de la foi. Et vous le savez bien, avec quelle ardeur je me cramponnais au judaïsme, et avec quel empressement plus grand encore je l'ai quitté ensuite. Ce raisonnement, il a bien fait de ne le présenter qu'après les autres. Car la plupart, des hommes, même quand ils ont trouvé toutes sortes de bonnes raisons pour se décider, (611) prennent plus volontiers leur parti quand ils voient un homme de leur race leur donner l'exemple. « Je vous en prie, mes frères, vous ne m'avez jamais offensé en aucune chose. Remarquez comme il emploie encore, en s'adressant à eux, les épithètes les plus honorables, ce qui était en même temps un moyen de leur rappeler la grâce dont ils avaient été l'objet. Après leur avoir fait de vifs reproches, et avoir examiné leur conduite à tous les points de vue, et leur avoir prouvé qu'ils avaient violé la loi, après leur avoir infligé toutes sortes de critiques, il les épargne, il panse leurs blessures, il leur parle avec plus de douceur. De même que de continuels ménagements détruisent l'effet des bons conseils, de même une critique toujours acerbe finit par révolter celui auquel elle s'adresse. Aussi, en toute circonstance, est-il bien de ne jamais dépasser la mesure. Voyez-vous comme il s'excuse auprès d'eux de leur avoir ainsi parlé; il leur montre que son langage lui a été inspiré non pas seulement par son indignation, mais aussi par son affection pour eux. Il leur avait fait de profondes incisions, il apaise leur douleur par le baume de sa parole. En montrant que ni la haine, ni la rancune ne lui ont dicté son langage, il leur rappelle l'amour qu'il leur avait témoigné, et se fait pardonner ses critiques tout en s'attirant leur admiration.

9. Voilà pourquoi il dit : « Je vous en prie, mes frères, vous ne m'avez jamais offensé en aucune chose. Vous savez que lorsque je vous ai annoncé premièrement l'Evangile, ç'a été parmi les persécutions et les afflictions de la chair; et que vous ne m'avez point méprisé, ni rejeté à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair (13, 14) ». Mais l'important n'est pas encore de n'avoir fait de tort à personne, car le premier venu ne voudrait pas nuire à qui ne lui a rien fait, et ne voudrait pas gratuitement et inutilement lui causer quelque chagrin. Mais vous, non contents de ne me faire aucun tort, vous m'avez témoigné une grande, une inépuisable bienveillance; et il n'était pas possible qu'après avoir eu tant à me louer de vous, l'idée pût me venir de vous parler avec malveillance. Ce n'est donc point par haine que je me suis exprimé de la sorte; par conséquent ce ne peut être que par esprit d'affection et de dévouement. « Je vous en prie, vous ne m'avez jamais offensé en aucune chose. D'un autre côté, vous savez que lorsque je vous ai prêché l'Evangile, ç'a été parmi les afflictions de la chair ».

Rien de plus compatissant que cette âme sacrée, rien de plus doux, rien de plus affectueux. Ces premières paroles étaient donc l'effet non d'une colère irréfléchie, ou d'un mouvement passionné de l'âme, mais d'une affection profonde. Que dis-je? vous ne m'avez offensé en rien. Vous m'avez montré un empressement ardent et sincère. « Vous savez que lorsque je vous ai annoncé premièrement l'Evangile, ça été parmi les persécutions et les afflictions de la chair, et que vous ne m'avez point méprisé, ni rejeté ic à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair ». Quel est le sens de ces paroles? J'étais pourchassé, dit-il, j'étais frappé du fouet, je m'exposais à mille morts, tandis que je vous prêchais l'Evangile, et même en cet état je n'étais point pour vous un objet de mépris. Car c'est ce que signifient ces expressions : « Vous ne m'avez point méprisé ni rejeté à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair ». Voyez-vous comme f Esprit-Saint l'inspire? Tout en se justifiant, il éveille chez eux le remords, en leur rappelant tout ce qu'il a souffert à cause d'eux. Mais cependant rien de tout cela ne vous a scandalisés, dit-il, et vous n'avez méprisé ni les souffrances, ni les persécutions que j'endurais ; car c'est de cela qu'il veut parler quand il rappelle ses épreuves et les afflictions de sa chair. « Mais vous m'avez reçu comme un ange de Dieu ». N'est-il donc pas étrange que vous m'ayez accueilli comme un ange de Dieu , quand j'étais pourchassé et persécuté, et que vous refusiez de m'accueillir quand je viens vous rappeler vos devoirs?

« Où est donc le temps où vous vous estimiez si heureux? car je puis vous rendre ce témoignage , que vous étiez prêts alors , s'il eût été possible, à vous arracher les yeux pour me les donner, Suis-je donc devenu votre ennemi parce que je vous ai dit la vérité (15,.16) ? » Il laisse échapper ici son embarras et sa stupeur, et veut savoir d'eux-mêmes les causes de leur changement. Qui vous a séduits, leur dit-il, et vous a persuadés d'avoir d'autres sentiments envers moi? N'êtes-vous plus ceux qui m'entouraient de soins assidus, et qui m'aimaient plus que la prunelle de leurs yeux? Qu'est-il donc (612) arrivé? D'où vient cette haine ?d'où viennent ces soupçons? De ce que je vous ai dit la vérité? C'est précisément pour cela que vous devriez m'honorer et me chérir davantage, au lieu que je vous suis devenu odieux maintenant, parce que je vous parle franchement. Pour moi, leur dit-il, je ne vois pas d'autre cause à votre changement que la franchise de mon langage. Et voyez avec quelle humilité il se justifie. Car il se fonde, non sur ce qu'il a fait pour eux, mais sur ce qu'ils ont fait pour lui, afin de leur prouver qu'il est impossible qu'il leur ait parlé dans un esprit de malveillance. Il ne leur a pas dit : Comment croire que celui qui s'est exposé pour vous aux coups de fouet, aux persécutions et à la souffrance, vienne maintenant conspirer votre perte? Non, il leur rappelle leur belle conduite dont ils avaient droit d'être fiers, et il conclut en disant : Comment croire que celui qui a été traité par vous avec tant d'égards, et que vous avez reçu comme un ange, veuille vous payer d'ingratitude ?

« Ils s'attachent fortement à vous; mais ce n'est pas d'une bonne affection, puisqu'ils veulent vous séparer de nous, afin que vous vous attachiez fortement à eux (17) ». En effet, l'émulation est un bon sentiment quand elle nous fait rivaliser de vertu avec un autre homme; c'est un mauvais sentiment, quand elle cherche à écarter de la vertu celui qui fait bien. Et c'est là le but qu'ils recherchent maintenant : vous avez la pleine connaissance du vrai, ils veulent vous la faire perdre, pour vous ramener à leur doctrine bâtarde et mutilée, et pourquoi? Uniquement pour se poser en docteurs de la loi, et pour vous rabaisser au rang de disciples, vous qui maintenant leur êtes supérieurs. C'est ce qu'il leur faisait entendre par ces paroles : « Afin que vous vous attachiez fortement à eux ». Quant à moi, leur dit-il, je veux tout au contraire vous rendre meilleurs qu'eux, et faire de vous le modèle des hommes les plus parfaits. Et c'est ce qui eut lieu quand j'étais avec vous. Aussi ajoute-t-il : « Il est beau d'être zélés dans le « bien, en tout temps, et non pas seulement « quand je suis parmi vous (18) ». Par là il donne à entendre que c'est son absence qui est cause de tout, et que, pour être vraiment heureux, les disciples doivent rester fidèles à leurs devoirs, non-seulement en présence du maître, mais encore en son absence. Mais comme ceux-ci n'en étaient pas encore venus à ce point de perfection, il fait tous ses efforts pour les y amener.

« Mes petits enfants , pour qui je sens de a nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé dans vous (19) ». Voyez ses craintes, voyez son trouble. « Mes frères, je vous en supplie. — Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement». Ne dirait-on pas une mère craintive, empressée autour de ses petits enfants? « Jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé dans vous ». Voilà bien les entrailles d'un père. Voilà bien la douleur et l'abattement qui conviennent à un apôtre. Avez-vous entendu ce cri plus déchirant que celui de la mère pour son nourrisson ? Vous avez, dit-il, dégradé l'image de Dieu, détruit votre parenté avec lui, changé votre forme qui s'était modelée sur la sienne : il vous faut passer par un nouvel enfantement, par une nouvelle création. Et pourtant je vous appelle toujours mes enfants, pauvres êtres chétifs et avortés ! Mais il se garde bien de leur parler ainsi. Bien au contraire, il les épargne et ne veut pas continuer de les frapper, pour ne pas ajouter blessure sur blessure. Il fait comme les médecins habiles qui, lorsqu'ils ont à traiter des malades dont le mal doit durer longtemps, se gardent bien d'être toujours à leur prescrire des remèdes, et qui ont soin de leur accorder quelques moments de répit, pour ne pas les abattre et les épuiser tout à fait. Cet enfantement moral était plus douloureux que l'enfantement physique, plus douloureux en proportion même de l'affection qu'il leur portait, et de la faute qu'ils avaient commise.

3. Ce que j'ai toujours dit et dirai toujours, c'est que le plus petit manquement aux lois de Dieu trouble entièrement et détruit la forme des choses. « Je voudrais être présent maintenant parmi vous, et vous faire en« tendre ma voix (20) ». Remarquez comme son zèle l'emporte 'et ne lui permet pas de taire ses secrets sentiments. Tel est l'homme vraiment dévoué : les paroles ne lui suffisent pas, il veut encore être présent. « Afin de vous « faire entendre ma voix », dit-il. C'est-à-dire afin d'échanger nos gémissements, afin d'exciter vos larmes et vos cris de douleur. Ce n'était pas par le moyen d'une lettre qu'il pouvait leur faire voir ses larmes et leur faire (613) entendre ses gémissements : aussi brûle-t-il du désir de les aller voir en personne: « Parce que je suis dans la perplexité en songeant à vous ». Je ne sais ni que vous dire, ni quel raisonnement vous faire. Comment se fait-il qu'après vous être élevés au plus haut des cieux, et par les dangers que vous avez affrontés pour la foi, et par les miracles que vous avez opérés, comment se fait-il que vous soyez tombés tout d'un coup à un tel degré d'avilissement, que vous vous soyez astreints à observer le sabbat et la circoncision, et que vous vous soyez mis à la remorque des judaïsants? C'est pour cela qu'il leur disait au début: « Je m'étonne que vous ayez changé si vite » (Galat. I, 6), et qu'il dit maintenant: « Je suis dans la perplexité en songeant à vous». C'est comme s'il s'exprimait ainsi : Que vous dire? de quoi vous entretenir? que penser? Je suis dans la perplexité, et je me vois forcé d'avoir recours aux gémissements. Les prophètes en font autant, eux aussi, quand ils sont dans l'embarras. C'est encore là un moyen qui n'est pas peu efficace pour plaire à tees auditeurs, que de gémir sur eux et de ne pas se contenter de leur donner des conseils. Dans son entretien avec les Milésiens, il prononçait les mêmes paroles: « Pendant trois ans je n'ai cessé de vous avertir avec larmes » (Act. XX, 31) : expression semblable à celle dont il se sert maintenant : « Je voudrais vous faire entendre ma « voix ». Nous sommes abattus par les malheurs qui ont fondu sur nous contre toute attente, et il ne nous reste plus qu'à verser des larmes. Ainsi donc, après les avoir gourmandés et les avoir confondus, et leur avoir parlé derechef avec douceur, il gémit sur leur sort, et dans ses plaintes il y a non-seulement de quoi les effrayer, mais aussi de quoi flatter leur amour-propre. Il ne montre ni l'âpreté d'un homme qui fait des reproches, ni l'indulgence de celui qui cherche à plaire, mais il en fait un mélange qui donne à sa parole une force singulière de persuasion. Après avoir gémi sur eux, avoir provoqué leur attendrissement et augmenté leur sympathie, il reprend la discussion, et pose un argument plus considérable, à savoir que la loi ne veut pas qu'on l'observe. D'abord il avait fait intervenir l'exemple d'Abraham, maintenant c'est la loi elle-même qu'il fait intervenir, la loi recommandant qu'on cesse de l'observer et qu'on se retire d'elle. Argument plus puissant que les autres. Ainsi donc, leur dit-il, si vous voulez vous conformer à la loi, abandonnez-la , telle est sa volonté. Mais il ne leur parle pas ainsi, il arrive au même but par un autre moyen, et en prenant ses preuves dans l'histoire.

« Dites-moi, je vous prie, vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous point ce que dit la loi (21)? » Il a eu raison de dire « Vous qui voulez », car ce qui avait donné naissance à cette discussion, ce n'était point l'esprit de tradition, mais l'esprit de dispute qui s'était manifesté hors de propos chez les faux apôtres. Par la loi il désigne ici le livre de la création (la Genèse), ce qu'il fait souvent en appelant dé ce nom l'Ancien Testament tout entier. « Car il est écrit qu'Abraham a eu deux fils, l'un de la servante, et l'autre de la femme libre (22) ». Il en revient encore à Abraham, non pour se répéter, mais parce que, le nom de ce patriarche produisant beaucoup d'effet sur les Juifs, il veut montrer qu'il contenait en lui le germe et la première image de ce qui devait se passer alors. Il leur avait d'abord prouvé qu'ils étaient enfants d'Abraham, mais comme il n'y avait pas égalité de condition entre les enfants de ce patriarche, et qu'on faisait la distinction du fils de la femme libre, et du fils de la femme esclave, il va leur prouver désormais qu'ils ne sont pas seulement ses enfants, mais qu'ils le sont tous au même titre, qu'ils soient d'origine libre ou non. Telle est la puissance de la foi.

« Mais celui qui naquit de la servante, naquit selon la chair; et celui qui naquit de la femme libre, naquit en vertu de la promesse de Dieu (23) ». Que veut-il faire entendre par ces mots. «Selon la chair? » Après avoir dit que là foi nous rattache à Abraham, et comme il semblait incroyable à ceux qui l'écoutaient, qu'il pût dire que ceux qui n'étaient pas issus d'Abraham , que ceux-là étaient ses enfants, il leur prouve que ce fait si étrange date de bien plus loin. Car Isaac, qui n'était pas né dans les conditions naturelles et ordinaires du mariage, qui en réalité ne devait pas l'existence à t'œuvre de la chair, était pourtant fils, et fils légitime d'Abraham, quoique né d'un corps mort à la vie des sens et d'un sein épuisé par la vieillesse. Car ce n'est point la chair, ce n'est point la puissance procréatrice de ses parents qui causèrent sa naissance : le sein qui le porta était infertile et par suite de la vieillesse et par (614) suite d'une infirmité naturelle. Celui qui procréa Isaac, c'est le Verbe de Dieu. Il n'en fut pas ainsi du fils de l'esclave : celui-là était bien le produit des lois de la nature, le. produit des relations que crée le mariage. Et cependant, de ces deux enfants, c'est celui qui n'était pas né selon la chair qui l'emportait sur l'autre. Que cette idée, que vous n'êtes pas enfants d'Abraham selon la chair, ne vous trouble donc pas, car c'est à cause de cela, c'est précisément parce que vous n'êtes pas ses enfants selon la chair, que vous lui êtes unis de plus près. Le fait d'être ses descendants selon la chair est une tache plutôt qu'un honneur, car la naissance, qui ne procède pas de la chair, est plus merveilleuse et montre encore plus l'action du Saint-Esprit, et Ia preuve se voit dans la destinée différente de ces deux enfants nés dans les temps anciens. En effet, Ismaël était né selon la chair, et pourtant il était esclave : ce n'était pas tout, car il fut aussi chassé de la maison paternelle , tandis qu'Isaac, parce qu'il était né par suite de la promesse , et en sa qualité de fils et d'homme libre, était le maître de tout le patrimoine.

« Tout ceci est une allégorie (24) ». Il force le sens du mot quand il appelle allégorie ce qui est une figure. Ce qu'il veut dire, le voici : Cette histoire n'a pas seulement la signification qu'on lui reconnaît tout d'abord, elle en a encore une autre, et c'est pour cela qu'il dit que c'est une allégorie. Qu'y a-t-il donc dans cette seconde signification? Pas autre chose que ce qui se passe aujourd'hui sous nos yeux. « Car ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, qui a été établie sur le mont Sina, et qui n'engendre que des esclaves, est figurée par Agar ». — « Ces deux femmes », quelles femmes? Les mères de ces deux enfants, Sara et Agar. «Quelles sont ces deux alliances? » Les deux lois. Comme des noms de femmes figurent dans cette histoire, il les laisse subsister pour désigner leur. race, et ces noms lui servent à indiquer la filiation des événements. Comment ces noms peuvent-ils lui servir à cet usage (25) ? «Agar en effet, dit-il, est le mont Sina en Arabie ». On disait qu'Agar était esclave : c'est aussi le nom du mont Sina dans la langue de ce pays.

4. Ainsi donc, tous ceux qui sont issus de l'ancienne alliance sont nécessairement esclaves. Car cette montagne , où fut donnée l'ancienne alliance, et qui porte le même nom que la femme esclave, contient aussi Jérusalem. Car tel est le sens de ces paroles : « Le Sina correspond à la Jérusalem actuelle », c'est-à-dire, qu'il l'avoisine, qu'il la touche. « Elle est esclave avec ses enfants ». Que résulte-t-il delà? Que non-seulement Agar était esclave, et engendrait des esclaves, mais qu'il en était de même de celle-ci, c'est-à-dire de l'ancienne alliance, dont la femme esclave est le type. Or, Jérusalem est voisine de la montagne qui porte le même nom que l'esclave, montagne sur laquelle l'ancienne alliance a été formée. Où donc se retrouve le type de Sara? « Au lieu que la Jérusalem d'en-haut est vraiment libre (26) ». Par conséquent ceux qui sont issus d'elle ne sont pas esclaves. La figure de la Jérusalem terrestre était Agar, et la preuve, c'est que cette montagne portait le même nom, et la figure de la Jérusalem céleste est Sara. Cependant il ne lui suffit pas dé signaler ces figures, il cite encore le témoignage d'Isaïe à l'appui de ses paroles : car après avoir dit: La Jérusalem céleste est notre mère, en désignant ainsi l'Eglise, il nous fait voir que le prophète est d'accord avec lui. « Car il est écrit : Réjouissez-vous, stérile, qui n'enfantiez point; poussez des cris de joie, vous qui ne deveniez point mère; parce que celle qui était délaissée a plus d'enfants que celle qui a un mari (2, 8) ». (Isaïe, LIV, 1.) Quelle est donc cette veuve, cette femme délaissée jusqu'alors? N'est-il pas évident que c'est l'Eglise des gentils, quand elle était privée de la connaissance de Dieu? Quelle est cette_ femme qui avait un mari? N'est-il pas évident que c'est la synagogue? Cependant celle qui était, stérile l'a emporté sur l'autre par le nombre de ses enfants. La première ne comprenait qu'une seule nation, tandis que les enfants de l'Eglise pullulent en grâce chez les barbares, sur la terre, sur la mer, sur le globe tout entier. Voyez-vous comme Sara, par ce qui lui est arrivé, le prophète, parce qu'il nous a dit, nous ont peint à l'avance ce qui devait avoir lieu? Rendez-vous compte de tout : Isaïe avait parié de la femme stérile, et l'avait représentée comme devenant extrêmement féconde. Nous voyons le type de cet événement dans Sara, qui, après avoir été stérile, est devenue la mère d'une race très-nombreuse. Cela ne suffit- pas à Paul, il cherche aussi minutieusement comment la femme stérile est devenue mère, afin de trouver ainsi (615) le moyen d'adapter la figure à la réalité. C'est pourquoi il ajoute: «Nous sommes donc, mes frères, les enfants de la promesse, figurée dans Isaac (28) ».

Non-seulement l'Église a été stérile, comme Sara , non-seulement elle est devenue, très  féconde, comme elle, mais encore elle a engendré de la même manière que Sara. De même que ce ne fut point la nature, mais la promesse de Dieu qui la rendit mère [car celui qui a dit : « J'arriverai dans cet instant, et Sara aura un fils » (Gen. XVIII, 10), celui-là, en pénétrant dans son sein, a formé le fils qu'elle a enfanté], de même la nature n'a été pour rien dans l'acte de notre génération, mais ce sont les paroles que Dieu prononce par la bouche du prêtre, ces paroles que savent les fidèles; ce sont elles qui, au moment de son immersion dans les eaux sacrées, forment et engendrent celui qui est baptisé , comme s'il était dans le sein de sa mère. Or, si nous sommes les fils de. la femme stérile, nous sommes libres. Est-ce là de la liberté ? dira-t-on. Ne voyons-nous pas les Juifs emprisonner et fouetter ceux qui croient? et ceux qui passent pour libres, ne les voyons-nous pas persécutés? C'était en effet ce qui se passait à cette époque, où les fidèles étaient en butte aux persécutions. Mais que cela même ne vous trouble pas, dit-il, car nous retrouvons l'image de ces événements dans ce qui concerne Isaac, qui, quoique libre, était persécuté par l'esclave Ismaël. Aussi ajoute-t-il ces paroles. « Et comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’Esprit, il en arrive de même encore aujourd'hui : Mais que, dit l'Ecriture ?  Chassez la servante et son fils : car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre (29, 30) ».

Quoi donc? Toute notre consolation consiste à savoir que les hommes libres sont persécutés par les esclaves? Non, dit-il; je ne m'en tiens pas là, écoutez encore ce qui suit, et vous y trouverez de quoi vous consoler et vous raffermir contre les persécutions. Ce qui suit, ce sont ces mots : « Chassez la servante et son fils : car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre ». Avez-vous vu quel a été le prix de cette tyrannie éphémère, de cette arrogance intempestive? L'enfant persécuteur est exclu de l'héritage paternel, le voilà forcé de s'exiler et d'errer en compagnie de sa mère. Examinez, je vous prie, combien est habile le langage de Paul. En effet, il ne s'est pas contenté de dire : Il a été chassé parce qu'il avait. persécuté, ruais aussi afin qu'il ne pût hériter. Car ce n'était pas pour le punir de cette persécution passagère que Dieu lui infligeait ce châtiment (cela eût été Peu de chose en effet, et n'eût pas, produit les conséquences que Paul faisait ressortir), mais il ne permit pas qu'il eût part aux avantages destinés au fils de la promesse, montrant par là que ces événements étaient préparés d'avance , indépendamment de la persécution subie par Isaac, et que ce qui leur avait donné naissance, ce n'était point cette persécution, mais la volonté de Dieu. Il n'a. pas dit : Le fils d'Abraham ne sera pas héritier, mais : « Le fils de la servante »; le désignant ainsi par le côté le moins noble de son origine. Mais Sara était stérile : l'Église des gentils l'était aussi. Voyez-vous comme la figure est reproduite trait pour trait par les événements qui ont suivi ? De même que Sara passa toutes les premières années de sa vie sans pouvoir enfanter, de même l'Église des gentils n'enfante que quand les temps sont accomplis. C'est la malédiction que faisaient entendre les prophètes quand ils disaient . « Réjouissez-vous, stérile, qui n'enfantiez point; poussez des cris de joie, vous qui deveniez point mère; parce que celle qui était délaissée a plus d'enfants que celle qui a un mari ». C'est l'Église qu'ils désignaient. Elle ne connaissait pas Dieu, mais une fois qu'elle l'eut connu, elle surpassa en fécondité la féconde synagogue.

            « Ainsi, mes frères, nous ne sommes point les enfants de la servante, mais de la femme  libre (31) ». S'il entre dans tous ces détails et s'il y insiste, c'est qu'il veut nous prouver que ce qui est arrivé n'est pas de date récente, mais remonte bien plus haut et était préparé depuis des siècles. Comment donc ne serait-il pas absurde que nous, qui étions tenus en réserve depuis tant de siècles, et qui jouissons de la liberté, nous allions de gaîté de coeur nous replacer sous le joug de l'esclavage? A ces raisons il eu ajoute une autre qui devait déterminer les Galates à rester fidèles aux dogmes qu'il leur avait enseignés.

 

Haut du document

 

 

 

 

 
Capturé par MemoWeb à partir de http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/galates/gal004.htm  le 19/09/03