ANALYSE.
1-3. De la servitude.
Devoirs des serviteurs. Origine de la servitude.
4-5. De la lutte contre le
diable.
1.
Ainsi donc ce n'est pas seulement le mari, la femme, les enfants, ce sont encore les
serviteurs dont les vertus importent à l'harmonie et à la bonne direction du ménage.
Aussi le bienheureux Paul n'a-t-il eu garde de négliger cette partie : s'il n'y arrive
qu'en dernier lieu, il ne fait que suivre l'ordre de la hiérarchie. Son discours aux
serviteurs est long, et non plus sommaire, comme son exhortation aux enfants; il est aussi
d'un ordre beaucoup plus élevé : car ce n'est pas ici-bas, mais dans la vie future que
Paul leur promet leur bonheur : « Sachant », dit-il, « que chacun recevra du Seigneur
la récompense de tout le bien qu'il aura fait». C'est la sagesse même qu'il enseigne à
ces hommes inférieurs, à la vérité, aux enfants en ce qui regarde la condition , mais supérieurs en intelligence. « Serviteurs,
obéissez à vos maîtres selon la chair ». Tout d'abord il relève l'âme affligée,
tout d'abord il la console. Ne gémis pas, dit-il, de te voir au-dessous de la femme et
des enfants : ta servitude est purement nominale : la domination à laquelle tu es soumis
est une domination selon la chair, éphémère, de courte durée, comme tout ce qui est
charnel. « Avec crainte et tremblement ». Voyez-vous la différence entre la crainte
qu'il requiert chez la femme, et celle qu'il exige des serviteurs? Pour ce qui est des
femmes, il se borne à dire : « Que la femme craigne son mari »; mais ici il insiste :
« Avec crainte et tremblement ». « Dans la simplicité de votre coeur, comme au Christ-même ». Toujours la même expression. Qu'est-ce à dire, ô
bienheureux Paul? C'est notre frère, il a été comblé des mêmes biens, il fait partie
du même corps que nous; ou plutôt, il est le frère, non de son maître, mais du Fils
même de Dieu ; il a sa part de tous les bienfaits et vous dites : « Obéissez à vos
maîtres selon la chair avec crainte et tremblement?» C'est justement pour cela que je le
dis, répondra-t-il. Si je prescris aux hommes libres de se soumettre les uns aux autres
en vue de la crainte de Dieu («Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu »,
dit-il plus haut) ; si je prescris à la femme de craindre son mari, bien qu'elle soit son
égale en - dignité; à plus forte raison dois-je imposer la même obligation au
serviteur. Ce n'est pas là une humiliation, c'est au contraire la première des
noblesses, celle qui consiste à savoir s'abaisser, à rester fidèle à la modération,
à céder au prochain. On a vu même des hommes libres servir leurs égaux avec crainte et
tremblement. « Dans la simplicité de votre coeur». Fort bien : car on peut servir avec
crainte et (555) tremblement, non par bienveillance, mais pour se soumettre à la
nécessité. Beaucoup, quand ils le peuvent sans se trahir, font du tort à leurs
maîtres.
C'est
ce genre de fraude que Paul prévient en disant : « Dans la simplicité de votre coeur,
comme au Seigneur; les servant non à l'oeil a comme pour plaire aux hommes, mais comme
des serviteurs du Christ, accomplissant de coeur la volonté de Dieu, faisant votre
service de bon gré, comme pour le Seigneur et non pour les hommes ». Voyez combien de
mots il lui a fallu pour inspirer ces bons sentiments : « De bon gré, de coeur ». En ce
qui regarde la crainte et le tremblement, on trouve bon nombre de serviteurs qui n'en
manquent pas vis-à-vis de leurs maîtres : les menaces du maître suffisent pour amener
ce résultat. Mais Paul dit en outre Montre que tu sers en serviteur, non d'un homme, mais
du Christ; fais que le mérite soit le tien, et non celui de la nécessité. C'est ainsi
qu'il est recommandé à celui qui est maltraité, de se conduire ensuite de manière que
cette épreuve tourne à son profit et à l'honneur de sa volonté. En effet; comme celui
qui donne un soufflet n'est pas incité à cela par la volonté de celui qu'il outrage , mais par sa propre méchanceté, il nous est conseillé de
tendre l'autre joue, afin de montrer que nous n'avons pas reçu l'offense à contre-coeur. Car celui qui ajoute volontairement à son affront,
s'approprie ce qui n'était pas d'abord son ouvrage, en tendant l'autre joue, non content
d'endurer le premier soufflet. La patience pourra, à la rigueur, être attribuée à la
crainte : mais ceci ne pourra l'être qu'à une admirable sagesse ; et par là on fera
voir que c'est aussi par sagesse qu'on a patienté. En ce qui concerne les esclaves, eux
aussi doivent faire voir que leur résignation à la servitude est volontaire et non
inspirée par une pure complaisance. Un complaisant n'est pas serviteur du Christ; un
serviteur du Christ ne songe pas à plaire aux hommes. Quel serviteur de Dieu pourrait
s'inquiéter de cela? Qui, s'en inquiétant , pourrait être
serviteur de Dieu ? « De coeur, servant de bon gré ». Remarquez ces paroles : car on
peut servir même en simplicité de coeur, et ne pas manquer à ses devoirs, sans pour
cela faire tout son possible : on peut se borner à remplir strictement ses obligations :
voilà pourquoi Paul demande qu'on serve de bon coeur, non par nécessité,
volontairement, et non parce qu'on y est contraint. Si vous servez ainsi de bon gré, avec
zèle, de coeur, à cause du Christ, vous n'êtes plus en servitude : cette servitude-là
n'est autre que celle de Paul, qui s'écrie quelque part, tout libre qu'il était :
« Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ Notre-Seigneur ; nous
déclarant nous-mêmes vos serviteurs par Jésus ».
2.
Voyez comme il vous relève de l'humiliation attachée à la servitude. Celui à qui l'on
prend ses biens, s'il ajoute encore par des présents à ce qu'on lui a pris, ne passe
plus pour la victime d'un vol, mais pour un homme généreux ; on cesse de le plaindre
pour l'admirer : et son bienfait fait plus de honte au voleur, que n'a pu lui en faire, à
lui, le larcin dont il a été dupe. De même pour le serviteur : s'il prodigue son
activité, il fera voir sa grandeur d'âme ; et en montrant qu'il n'a pas senti sa perte,
il fera rentrer en lui-même le détenteur de son bien. Servons donc nos maîtres en vue
du Christ. « Sachant que chacun recevra du Seigneur la récompense de tout le bien qu'il
aura fait, qu'il soit esclave ou libre ». Comme il était vraisemblable que beaucoup de
maîtres, en qualité d'infidèles, ne seraient point touchés ni reconnaissants de la
soumission de leurs esclaves, voyez comme il console ceux-ci et les empêche de douter de
la rémunération, de désespérer de la récompense. De même que les obligés qui ne
rémunèrent point leurs bienfaiteurs, les rendent créanciers de Dieu : ainsi les
maîtres ne récompensent jamais mieux vos services que s'ils les laissent sans
récompense : car alors c'est Dieu qui devient débiteur.
«
Et vous, maîtres, faites de même envers eux {9) ». Qu'est-ce à dire : De même ?
C'est-à-dire , servez les avec zèle. Il est vrai qu'il
n'emploie pas le mot, « Servir » , mais par cette expression,
« De même », il indique la même chose : le maître est lui-même un serviteur. Et que
ce ne soit point par respect humain, mais avec crainte et tremblement, entendez,
vis-à-vis de Dieu, redoutant qu'il ne vous reproche un jour votre dureté envers vos
serviteurs. « Leur épargnant les menaces ». Ne soyez pas durs, veut-il dire, ni
inhumains : « Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre est dans le ciel
». Ah ! quelle idée cela (556) suggère ! quelle
crainte cela réveille ! En d'autres termes, il vous sera mesuré avec la mesure dont vous
vous serez servi vous-même. Craignez de vous entendre dire : « Mauvais serviteur, je
t'ai remis toute cette dette ». « Et qu'il n'y a pas chez lui acception de
personnes » . C'est comme s'il disait : N'allez pas croire
qu'il vous pardonne ce que vous aurez fait à votre esclave, à cause de cette qualité
d'esclave. Car si les lois du monde, si les lois humaines mettent une différence entre la
classe des hommes libres et celle des esclaves, la loi du Maître commun ignore ces
distinctions, bienfaisante qu'elle est pour tous également, et assurant à tous part
égale.
Que
si l'on demande maintenant d'où vient la servitude, et comment elle s'est introduite dans
la société humaine (questions fort goûtées de certaines personnes, et qui piquent
vivement leur curiosité), je vous dirai : c'est l'avarice, la cupidité insatiable, ce
sont les passions basses qui ont engendré la servitude. Noé n'avait pas de serviteur, ni
Abel, ni Seth, ni les patriarches suivants. L'origine de ce fait est un péché,
l'irrévérence à légard des parents. Ecoutez, enfants, comme quoi vous méritez
de devenir esclaves, dès que vous êtes fils ingrats. Vous perdez alors tous tes
privilèges de votre naissance : car on cesse d'être fils, du moment où l'on manque à
son père. Mais si l'on cesse, dans ce cas, d'être fils, comment restera-t-il fils, celui
qui offense notre Père véritable? Il perd les droits de sa naissance, il est coupable
envers la nature. Ensuite la guerre et les combats ont fait des prisonniers. Mais Abraham
avait des serviteurs? dira-t-on. Oui, mais il ne les traitait
pas en serviteurs. Voyez comme Paul fait tout dépendre du chef : la femme, il faut
qu'il l'aime ; les enfants, il faut qu'il les élève dans la discipline et la correction
du Seigneur; les serviteurs: « Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre « est
dans le ciel ». Soyez donc bons et cléments, comme étant vous-mêmes des serviteurs.
Maintenant, si vous le permettez , je vous répéterai au sujet
des serviteurs, ce que j'ai dit précédemment des enfants : enseignez-leur la piété, et
le reste ne manquera pas de venir à la suite.
Mais
aujourd'hui, si l'on va au théâtre ou au bain, on traîne après soi tous ses serviteurs
; si l'on va à l'Eglise, il n'en est pas de même ; on ne les force pas de venir ici,
d'écouter la parole. Et comment l'esclave écouterait-il, quand le maître lui-même a
l'esprit tourné ailleurs? Vous venez d'acheter un esclave ? prescrivez-lui
d'abord ce que Dieu même commande, la douceur envers ses compagnons de servitude, le
zèle pour la vertu. Chaque maison est une cité : chacun est roi dans sa maison. Qu'il en
est ainsi de la maison des riches qui ont domaines, intendants, gérants sur gérants,
c'est chose manifeste : mais je prétends que la maison du pauvre est elle-même une
cité. Là aussi, il y a plusieurs autorités : par exemple, le mari a pouvoir sur la
femme, la femme sur les serviteurs, les serviteurs sur leurs femmes; les femmes et les
maris sur leurs enfants. Ne vous semble-t-il pas qu'il est comme un roi, cet homme qui
compte toute une hiérarchie de magistrats sous ses ordres, et n'a-t-il pas plus besoin
que personne de savoir administrer et gouverner? Celui qui tonnait à fond cet art, sait
aussi choisir des magistrats capables, et il ne manquera pas de faire de bons choix. Or,
il y a dans la maison, comme un autre roi sans diadème, la femme; et celui qui saura
choisir ce roi, n'aura pas de peine à bien gouverner tout le reste. « Du reste, mes
frères, fortifiez-vous dans le Seigneur (10) ». Il parle toujours ainsi, quand son
discours approche de la fin.
3.
N'avais-je pas raison de vous dire tout d'abord que la maison de chacun est une armée au
complet? Voyez plutôt; chaque officier mis à son rang, voici maintenant que Paul arme
les troupes, et les mène au combat. Si personne n'empiète sur le commandement d'autrui,
si chacun reste à sa place, tout sera pour le mieux. « Fortifiez-vous dans le Seigneur,
et dans la puissance de sa vertu »; c'est-à-dire dans l'espoir en lui, grâce à son
assistance. Après toutes ces prescriptions: ne craignez point, ajoute Paul, mettez votre
espérance dans le Seigneur, et il vous rendra tout aisé. « Et revêtez-vous de l'armure
de Dieu, afin de pouvoir tenir contre les embûches du diable (11) ». Il ne dit pas :
Contre les attaques, contre les assauts, mais : « Contre les embûches ». C'est que cet
ennemi ne nous fait pas une guerre ouverte, mais une guerre de surprises. Qu'est-ce à
dire? C'est-à-dire qu'il nous trompe, qu'il nous prend au piège, soit des paroles, soit
des manuvres, soit des feintes comme à la lutte. Par exemple, ce n'est jamais
ouvertement qu'il nous (557) propose de pécher: il ne prononce pas le nom d'idolâtrie,
il déguise la chose autrement, la dore, la masque par de belles paroles. Ainsi Paul anime
les soldats, leur inspire le sang-froid, en nous persuadant que nous avons affaire à un
adversaire habile, à un ennemi qui ne procède point par guerre ouverte, mais par
surprise. Et tout d'abord il rappelle à ses disciples la nature et le nombre de leurs
ennemis, afin d'exciter leur courage. S'il décrit ces ruses, s'il inspire le sang-froid
aux soldats placés sous ses ordres, ce n'est pas pour les décourager, mais au contraire
pour les enflammer d'ardeur. S'il se bornait à faire ressortir la puissance de l'ennemi , il pourrait provoquer le découragement : mais comme il a
soin, avant et après, de montrer la possibilité de la victoire, il ne fait par là
qu'exciter davantage le zèle. Car plus nous rendrons sensible aux yeux des nôtres la
puissance de l'ennemi, plus nous animerons leur courage.
«Parce
que nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et
les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de
malice au sujet des biens célestes (12) ». Après nous avoir excités par la description
du combat qui nous attend ; il nous enflamme par la peinture des récompenses promises à
la victoire. En effet, après avoir dit que les ennemis sont redoutables, il ajoute qu'ils
essaient de nous ravir un bien inestimable. Lequel ? C'est des récompenses célestes
qu'il s'agit, non d'argent, ni de gloire : nos ennemis veulent nous asservir: de là une
haine irréconciliable entre nous. Plus vive est l'ardeur guerrière, plus vive est la
lutte, quand on combat pour de grands objets. En effet, par ces mots : « Au sujet des
biens célestes », entendez : Pour les biens célestes; non que nos adversaires se
proposent de les conquérir, mais ils veulent nous en priver. C'est comme si l'on disait,
en parlant d'un contrat : Contrat passé « au sujet» de telle chose. Voyez combien la
puissance de l'adversaire nous anime, nous rend vigilants : nous savons qu'il s'agit pour
nous d'un grand trésor que la victoire peut nous assurer, :
c'est du ciel que l'ennemi travaille à nous chasser. Quels sont maintenant ces princes,
ces puissances, ces dominateurs de ce monde de ténèbres? Quelles ténèbres? celles de la nuit? Nullement, mais celles du vice... Nous étions
ténèbres autrefois, dit l'Ecriture, pour désigner la perversité qui règne en ce monde
: car là se borne son empire; elle n'a point accès au ciel, ni dans la vie future.
S'il
appelle nos ennemis : « Maîtres du monde», ce n'est pas comme régnant sur le
monde, mais comme auteurs du mal qui s'y commet. L'Ecriture
désigne habituellement par«Monde » les mauvaises actions . par exemple le Christ dit : « Vous n'êtes pas de ce monde, comme
moi je ne suis pas du monde ». Est-ce à dire qu'ils n'étaient pas du monde? qu'ils n'étaient pas revêtus de chair? qu'ils
n'habitaient pas le monde? Et ailleurs : « Le monde me hait, mais vous, il ne peut vous
haïr». (Jean, XVII, 14, et VII, 7.) Ici encore il désigne les mauvaises actions. Ou
bien, par monde, il entend ici les méchants, particulièrement soumis au pouvoir des
démons... « Contre les princes et les puissances, contre les esprits de malice, au sujet
des biens célestes ». Il dit: Princes et puissances, par analogie avec les trônes, les
dominations, les princes, les puissances d'en-haut. « A cause
de cela, revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin que vous puissiez, en jour mauvais,
résister, et rester vainqueurs de tout (13) ». « Jour mauvais », c'est-à-dire
la vie présenté; il appelle ce temps mauvais, à cause du mal
qui s'y fait. Il veut dire Soyez toujours en armes. « Et rester vainqueurs de tout »;
c'est-à-dire, vainqueurs des passions, des appétits déréglés, de tout ce qui nous
tourmente... Il ne dit pas seulement vaincre, mais : « Rester vainqueurs » : il ne
suffit pas de triompher, il faut rester debout après le triomphe, et ne pas retomber
comme il est arrivé souvent en pareil cas. « Rester vainqueurs de tout », et non d'une
chose, sans l'être du reste : car après la victoire il faut encore tenir bon. Ce qu'on a
abattu peut revivre, et se relever si nous ne restons pas fermes. L'ennemi est à terre,
tant que nous sommes debout: tant que nous restons à notre poste, il ne se relève pas.
« Revêtons l'armure de Dieu ».
4.
Voyez-vous comme il nous rassure? En effet, s'il est possible d'abattre l'adversaire et de
tenir bon, pourquoi se dérober au combat? Tiens bon après avoir renversé l'ennemi, et
te voilà victorieux. Et ne vous étonnez pas de le voir s'étendre si longuement sur la
puissance des ennemis : cette énumération n'est pas faite pour inspirer la crainte ou la
pusillanimité, mais plutôt pour réveiller la (558) nonchalance. « Afin que vous
puissiez, en jour mauvais, résister». C'est maintenant au temps qu'il a recours pour
nous rassurer... C'est l'affaire d'un moment, dit-il: ainsi il faut tenir bon; ne cédez
pas à la fatigue après le carnage. Si la guerre est déclarée, si telles sont les
phalanges ennemies, si ce sont des êtres incorporels que ces princes, ces maîtres du
monde, ces esprits de malice, comment, dites-moi, vous abandonnez-vous à la mollesse, au
relâchement? comment, désarmés, pourrons-nous vaincre? que chacun se répète cela chaque jour, dès que la colère ou la
concupiscence le domineront, dès qu'il soupirera après les douceurs d'une existence
frivole. Ecoutez saint Paul : « Nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang,
mais contre les princes et les puissances... Guerre plus terrible, lutte plus acharnée
que les combats visibles. Songez depuis combien de temps votre ennemi lutte, dans quel but
il combat, et tenez-vous sur vos gardes plus que jamais. Oui, dira-t-on : mais il faudrait
bien que le diable n'existât pas tout le monde serait sauvé. Ainsi parlent quelques
âmes faibles en quête d'excuses. Vous devriez remercier Dieu, mon ami, d'être à même
de triompher, si vous le voulez, d'un pareil adversaire : et loin de là, vous vous
plaignez, vous parlez comme un soldat lâche et fainéant. Il ne tient qu'à vous de
connaître les endroits faibles; regardez partout, fortifiez-vous. Ce n'est pas seulement
contre le diable, c'est encore contre ses puissances que vous avez à combattre. Et
comment lutter contre les ténèbres? dira-t-on. En devenant
lumière. Comment résister aux esprits de malice? En devenant bons. Car la bonté
s'oppose à la malice, et la lumière chasse les ténèbres: si nous sommes ténèbres
nous-mêmes, nous serons pris infailliblement. Comment donc assurerons-nous notre
triomphe? En devenant, par la force de notre libre arbitre, ce qu'ils sont naturellement,je veux dire exempts de sang et de chair : c'est ainsi que nous les
vaincrons.
Comme
probablement ceux à qui il écrivait comptaient beaucoup de persécuteurs, il leur dit :
N'allez pas croire que ce sont ces hommes qui vous font la guerre. Les démons qui
opèrent en eux, voilà nos ennemis, voilà ceux que nous avons à combattre. Par là, il
produit deux effets: d'abord de les rendre plus ardents au combat, puis d'exciter leur
colère contre l'ennemi. Et pourquoi avons-nous à combattre des ennemis pareils? Parce
que nous avons de notre côté un auxiliaire invincible, la grâce de l'Esprit, et que
nous avons été instruits dans l'art de combattre non les hommes, mais les démons. Mais
si nous le voulons, nous n'aurons pas même besoin de lutter : il n'y a lutte que quand
nous le voulons; car telle est la vertu de celui qui habite en nous, qu'il a pu dire : «
Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la
puissance de l'ennemi ». (Luc, X,19.) II nous a donné toute
liberté de lutter ou de ne pas lutter. Mais notre nonchalance est cause que nous avons à
lutter. Car en ce qui concerne Paul, il n'avait pas à lutter, c'est lui-même qui nous
l'apprend. « Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? la
tribulation, ou la détresse, ou la faim, ou la persécution, ou la nudité, ou le péril,
ou le glaive? » (Rom. VIII, 35.) Ailleurs il dit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds
promptement ». (Rom. XVI, 20.) Il avait le diable sous ses ordres; de là ces paroles :
« Je te prescris au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de sortir d'elle». (Actes, XVI, 18.) Ce langage n'est pas celui d'un homme qui lutte. Car
celui qui lutte n'est pas, encore vainqueur, celui qui est vainqueur ne lutte plus. Il l'a
dompté, asservi. Pierre ne luttait pas non plus contre le diable : il faisait mieux que
lutter. Des fidèles, des catéchumènes n'avaient pas de peine, non plus, à en
triompher. Aussi saint Paul dit-il : « Car nous « n'ignorons pas ses pensées ». (II
Cor. II, 11.) C'est pourquoi il lui fut si supérieur en puissance. Il dit encore : « Il
n'est pas étonnant que ses ministres se transfigurent comme des ministres de justice ».
(Ibid. XI, 15.) Ainsi il connaissait tous ses stratagèmes; rien ne pouvait le surprendre.
« Déjà s'accomplit, dit-il encore, le mystère d'iniquité ». Mais c'est contre
nous-mêmes qu'il faut lutter. En effet, écoutez ces autres paroles: « Je suis convaincu
que ni anges, ni princes, ni puissances, ni vertus, ni choses présentes, ni choses
futures, ne pourront nous séparer de l'amour du Christ ». Il ne dit pas simplement : «
Du Christ », mais bien : « De l'amour du Christ ». Car bien des gens passent pour être
unis au Christ, qui ne l'aiment point. Non-seulement, dit-il,
tu ne me persuaderas as, tu ne me persuaderas pas même de l'aimer moins. Mais si les
puissances d'en-haut n'avaient pas ce (559) pouvoir, qui donc
aurait pu l'ébranler? Il ne dit pas qu'elles l'entreprennent, il parle par supposition :
voilà pourquoi il lit : « Je suis convaincu ». Il ne luttait pas, néanmoins il
redoutait les piéges du malin. Ecoutez plutôt : « Je crains que, comme le serpent
séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la
simplicité qui est dans le Christ». (II Corinth. XI, 3.) Oui, dira-t-on : mais,,de plus, il emploie le même langage en parlant dé lui-même : «
Je crains qu'après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé ». Comment
donc êtes-vous convaincu que personne ne vous séparera?
5.
Voyez-vous que ce langage est celui de l'humilité, de la retenue? Déjà, en effet, il
habitait le ciel : « Ma conscience ne me reproche rien » (I Cor. IV, 4), disait-il; et
encore : « J'ai terminé ma carrière ». (Il Tim. IV,
7.) Ce n'est donc pas en cela que le diable l'entravait, mais en ce qui regardait ses
disciples. Pourquoi? Parce que la domination du diable avait un complice dans leur propre
libre arbitre. Sur ce terrain le diable était quelquefois vainqueur .
mais plutôt ce n'est pas de Paul qu'il était vainqueur, c'est
de l'apathie des tièdes. En effet, si Paul n'avait pas fait son devoir, par nonchalance
où par toute autre raison, c'est lui qui aurait été vaincu : mais s'il ne négligeait
tien et que seulement ses disciples fussent indociles , alors
le diable triomphait non de Paul , mais de l'indocilité de ses disciples : ce n'est pas
du médecin que la maladie avait raison , mais de la désobéissance du malade. Car, dès
que le médecin a pourvu à tout, si le malade bouleverse tous ses arrangements ; c'est
lui qui est le vaincu , et non pas le médecin. Ainsi le diable
n'a jamais triomphé de Paul. D'ailleurs nous devons nous tenir heureux même de pouvoir
lutter. A la vérité, tel n'est pas le souhait qu'il forme pour les Romains : il leur
dit : « Il écrasera Satan sous vos pieds promptement ». (Rom. XVI, 20.) Quant aux
Ephésiens, c'est le voeu qu'il exprime en leur faveur : « A celui qui est puissant pour
tout a faire bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons. ». (Eph. III , 20.) Celui qui lutte est
encore en danger : d'ailleurs il doit se trouver heureux, s'il ne tombe pas. C'est quand
nous aurons quitté ce monde, que nous jouirons du triomphe. Soit, par exemple, une
passion mauvaise : la repousser loin de soi, l'éteindre, voilà qui est admirable mais si
c'est une chose impossible, du moins luttons, résistons sans relâche : si nous sortons
(lu monde, luttant encore, nous sommes vainqueurs. Car il n'en est pas de même ici que
dans l'arène : là, si vous ne renversez pas votre adversaire, vous n'êtes pas vainqueur
: ici, vous êtes vainqueur, si vous n'êtes pas renversé; si vous n'êtes pas jeté à
bas, vous avez terrassé l'ennemi. Cela se conçoit deux athlètes aux prises luttent
également pour la victoire ; et si l'un est renversé ,
l'autre est couronné. Il n'en est pas de même ici : le diable n'a en vue que notre
défaite. Si donc je déjoue son projet, je triomphe : il ne vise pas à me renverser,
mais à m'entraîner dans sa chute. Il est déjà vaincu , lui
: car il a reçu le coup, il est perdu. Quant à sa victoire, elle ne consiste pas à
gagner une couronne, mais à causer ma perte : de sorte que pour être victorieux il me
suffit de rester debout sans le jeter à bas. Maintenant, la victoire sera éclatante , si , comme Paul , je le foule aux pieds tout à mon
aise, comptant pour rien les choses présentes. Imitons ce saint: appliquons-nous à
triompher du diable, et à ne lui donner aucune prise.
La
richesse, l'argent, la vanité lui donnent prise : souvent elles le relèvent, souvent
elles redoublent son impétuosité. Mais qu'est-il besoin de lutte et de combat? Celui qui
lutte est dans l'incertitude du résultat : il ignore s'il ne sera pas vaincu et pris
lui-même; mais celui qui foule aux pieds est assuré de la victoire. Foulons donc aux
pieds la puissance du diable, foulons aux pieds les péchés, j'entends toutes les
passions mondaines, colère, concupiscence, orgueil et le reste : afin que parvenus
là-haut, nous ne soyons pas convaincus d'avoir laissé sans usage le pouvoir que Dieu
nous a octroyé. Car c'est ainsi que nous obtiendrons les biens futurs. Mais si nous nous
montrons indignes de cette prérogative, comment de plus grandes pourraient-elles nous
être conférées? Si nous n'avons pas su fouler aux pieds l'ange rebelle
, le déshonoré, le méprisé, comment notre Père nous mettrait-il en possession
du patrimoine? Si nous n'avons pas su triompher d'un être placé si bas, quel titre
aurons-nous à. entrer dans la maison paternelle? Dites-moi : Si vous aviez un fils, et
que ce fils négligeât ceux de vos serviteurs (560) qui font leur devoir, pour se lier
avec ceux qui font votre tourment, qui sont exclus de la maison paternelle, qui ne songent
qu'à jouer aux dés, et qu'il se conduisît ainsi jusqu'au bout ,
ne le déshériteriez-vous pas? Vous le feriez sans nul doute. Eh bien ! nous aussi, si nous négligeons les anges agréables à Dieu et
préposés à notre direction pour vivre avec le diable, nous ne pouvons manquer d'être
déshérités.
Puisse-t-il
ne nous arriver rien de pareil ! Puissions-nous, après avoir engagé la lutte avec lui et
être demeurés vainqueurs avec l'assistance d'en-haut,
hériter du royaume des cieux. Si quelqu'un de vous a un ennemi, si on lui a fait tort,
s'il est emporté, qu'il ramasse toute cette colère, tout ce mécontentement pour le
déverser sur la tête du diable. Voilà un noble courroux, une colère utile, un louable
ressentiment ! Si la rancune est un mal quand elle provient d'une cause mondaine, ici elle
est un mérite. Si donc vous avez des défauts et que vous ne puissiez vous en
débarrasser autrement qu'avec vos membres, il faut les faire servir à cet usage. On vous
a frappé? Gardez-en rancune au diable, et ne vous réconciliez jamais avec lui. Mais il
ne vous a pas frappé? N'importe : gardez-lui rancune, parce qu'il a offensé votre
Maître, parce qu'il l'a outragé , parce qu'il persécute vos
frères et leur fait la guerre... Soyez toujours plein de haine, d'amertume, de fiel : par
là vous le rendrez humble , facile à braver, facile à
vaincre. Si nous nous déchaînons contre lui, il nous ménagera ; si nous sommes
indulgents, il sera féroce : n'allons pas le traiter comme nous devons traiter nos
frères. C'est un adversaire, un ennemi acharné de notre vie, de notre salut et du sien.
S'il ne s'aime pas lui-même, comment nous aimerait-il ? Tenez-lui donc tête, et
harcelons-le, avec l'assistance toute puissante de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui saura
bien nous garantir de ses piéges et nous admettre au partage des biens futur,, : desquels puissions-nous tous être investis, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père
et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.