ÉPHÉSIENS XIX

HOMÉLIE XIX. AYEZ DONC SOIN, MES FRÈRES, DE MARCHER AVEC CIRCONSPECTION, NON COMME DES INSENSÉS, MAIS COMME DES HOMMES SAGES, RACHETANT LE TEMPS, PARCE QUE LES JOURS SONT MAUVAIS. NE SOYEZDONC PAS IMPUDENTS, MAIS COMPRENEZ QU’ELLE EST LA VOLONTÉ DE DIEU. (V, 15-21.)

 

532

 

Analyse.

 

1 et 2. Qu'il faut rendre grâces en toute occurrence.

3. Preuves de la Providence.

4 et 5. De la curiosité indiscrète. — De l'incompréhensibilité divine. — De la servitude mutuelle.

 

1. Ici encore il extirpe la racine d'amertume, il retranche le principe de la colère. Que dit-il, en effet? « Ayez donc soin de marcher avec circonspection ». Il savait que son Maître, en envoyant ses disciples comme des brebis au milieu des loups, leur recommandait encore d'être comme des colombes : « Et vous serez simples comme des colombes ». (Matth. X, 16.) Etant au milieu dés loups, et ayant ordre de ne pas se venger et de souffrir, ils avaient, par conséquent, besoin de cette exhortation. La première comparaison pouvait suffire, à la vérité, pour les rendre patients : mesurez ce que la seconde ajoute à la force du précepte. Et voyez comment Paul s'attache à prémunir ses auditeurs en leur disant : « Ayez « soin de marcher avec circonspection ». Des cités entières étaient en guerre avec eux; cette guerre avait pénétré jusque dans les maisons; la division régnait entre le père et le fils, la fille et la mère. Pourquoi? Quelle était l'origine de ces divisions? C'est qu'on avait entendu dire au Christ : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi ». (Matth. X, 16, 37.) Paul ne voulait pas qu'on crût qu'il existait des guerres et des combats sans but : car si les chrétiens, de leur côté, étaient devenus agresseurs, ç'aurait été le signal de grandes colères. Voilà pourquoi il dit : « Ayez donc soin de marcher avec circonspection ». En d'autres termes : La prédication mise à part, ne donnez pas d'autre sujet, d'autre motif de haine contre volts. Que personne n'ait autre chose à vous imputer : soyez respectueux et soumis dans toutes les choses qui n'intéressent pas la prédication, qui ne gênent point la piété : « Rendez à tous ce qui leur est dû: à qui le tribut, le tribut; à qui l'impôt, l'impôt ». (Rom. XIII, 7.) Car les incrédules rentreront en eux-mêmes, quand ils nous verront irréprochables dans le reste. « Non comme des insensés, mais comme des hommes sages, rachetant le temps ». Il ne dit pas cela pour nous conseiller d'être souples et de prendre toutes les formes. Voici ce qu'il veut dire : Le temps n'est pas à vous; vous n'êtes en ce monde que des étrangers, des voyageurs de passage : ne cherchez pas les honneurs, ne cherchez pas la gloire, ne cherchez pas la puissance, ne cherchez pas la vengeance; subissez tout, et par ce moyen rachetez le temps ; ne craignez pas de payer, payez tout ce que l'on exigera... Il y a ici quelque obscurité : tâchons de l'éclaircir au moyen d'un exemple : Supposez qu'un homme possède une maison magnifique et que des gens y pénètrent pour le tuer; qu'alors pour se sauver il donne une forte somme à ces scélérats : nous dirons qu'il se rachète... Eh bien ! vous aussi vous êtes possesseur d'une superbe maison, vous avez la vraie foi : on vous poursuit pour vous dépouiller : donnez (533) tout ce qu'on vous demandera, gardez seulement le principal, à savoir la foi. « Parce que les jours sont mauvais ».

Qu'est-ce que des jours mauvais? Il s'agit ici d'une manière d'être particulière du jour. Demandez-vous ce qui est mauvais dans chacune des choses qui nous touchent, et vous saurez ce que c'est que des jours mauvais. Qu'est-ce que le mal du corps? la maladie. Le mal de l'âme? la malignité. Le mal de l'eau? l'amertume.. Le mal pour chaque chose, est une imperfection qui affecte sa nature. Si donc il y a des jours mauvais, le mal doit être dans le jour lui-même, dans les heures, dans la lumière. C'est ainsi que le Christ a dit: « A chaque jour suffit son mal ». (Matth. VI, 34.) Ce texte nous aidera à comprendre l'autre. Qu'est-ce que ces mauvais jours dont Paul nous parle? que ce temps mauvais? Il n'a pas en vue ces oeuvres de Dieu prises dans leur essence, mais les événements qui s'y passent nous disons de même: J'ai passé une pénible, une mauvaise journée: mais comment a-t-elle pu être pénible, sinon par les événements qui l'ont signalée? Ces événements sont en partie heureux, comme venant de Dieu; en partie mauvais, comme venant de la perversité humaine. Les hommes sont donc les auteurs. de ce qui arrive de mauvais dans le temps, et de là certaines époques sont appelées mauvaises expression qui est aussi en usage parmi nous. « Ne soyez donc pas imprudents, mais comprenez quelle est la volonté de Dieu, et ne vous enivrez pas de vin, qui renferme la licence (18) » .

En effet, l'excès de vin nous rend irritables, effrontés, prompts à faillir et à nous emporter. C'est pour la joie que le vin nous a été donné, et non pour l'ivresse : mais aujourd'hui on paraît une femme, on est ridicule, quand on ne s'enivre pas. Quel espoir de salut reste-t-il désormais? C'est un ridicule, dites-moi, de ne pas s'enivrer? mais n'est-ce pas l'ivresse, au contraire, qui devrait être le plus grand des ridicules? Tout le monde, sans doute, doit la fuir : personne autant que le soldat qui vit au milieu des glaives et des massacres; personne autant que le soldat qui est en butte à bien d'autres excitations, celles de la liberté, du pouvoir, des dangers et des combats au milieu desquels sa vie se passe. Voulez-vous apprendre dans quelles circonstances le vin est une bonne chose? Ecoutez ce que dit l'Ecriture : « Donnez le vin à ceux qui sont dans la peine, et l'ivresse à ceux qui sont dans la douleur». (Prov. XXXI, 6.) Rien de mieux: car le vin sait adoucir les afflictions et dissiper les nuages de la tristesse. « Le vin réjouit le coeur de l'homme ». (Psaume, CIII,15.) Comment donc le vin produit-il l'ivresse? car la même cause ne peut produire des effets contraires. La cause de l'ivresse n'est pas le vin, mais l'abus du vin. Le vin ne nous a pas été donné pour une autre fin que la santé du corps: or l'abus y est un obstacle. Ecoutez encore ce que le même saint écrit à Timothée : « Use d'un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquentes infirmités ». (I Tim. V, 23.)

2. Si Dieu a établi dans nos corps un juste équilibre, et les a mis en état de se contenter de peu, c'est pour nous enseigner dès ce monde qu'il nous a faits aptes à une autre vie. Cette vie, il voulait nous l'octroyer tout d'abord mais, comme nous nous en sommes rendus indignes, il a remis ce présent à une autre époque . d'ici là, il ne nous permet pas l'abus : une mesure de vin et un pain suffisent à l'appétit d'un homme... Il a voulu que le dominateur des animaux eût des besoins, à proportion, moins nombreux, et un corps plus faible, afin de nous faire voir que nous sommes en marche vers une autre vie. « Ne vous enivrez pas de vin, qui renferme la licence ». L'ivresse, loin de conserver, détruit, non-seulement le corps, mais l'âme. « Mais soyez remplis de l'Esprit-Saint; vous entretenant entre vous de psaumes, d'hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant du fond de vos coeurs à la gloire du Seigneur; rendant grâces toujours et pour toutes choses, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père; soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ (19-21) ». Voulez-vous vous réjouir, nous dit-il? Voulez-vous passer la journée ? Je vous donne une boisson spirituelle : car l'ivresse nous ôte jusqu'aux inflexions distinctes de la voix, elle nous fait bégayer, elle trouble nos yeux et tout le reste. Apprenez à louer Dieu, et vous verrez combien cette occupation a de charmes ceux qui le louent sont remplis de l'Esprit-Saint, comme sont remplis de l'esprit impur, ceux qui chantent des chansons sataniques. Qu'est-ce à dire : « Du fond de vos coeurs à la « gloire du Seigneur ? » C'est-à-dire, avec attention. Car, si l'attention fait défaut, on (534) chante au hasard, on ne profère que des mots, tandis que le coeur s'égare ailleurs : « Rendant grâces toujours et pour toutes choses, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père, soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ». En d'autres termes Faites parvenir à Dieu vos demandes avec des actions de grâces : car rien ne contente Dieu comme la reconnaissance. Or, nous ne pouvons mieux lui témoigner notre reconnaissance, qu'en arrachant notre âme aux vices dont il a été question plus haut, en la purifiant par les moyens indiqués. « Mais soyez remplis de l'Esprit-Saint ». Cela dépend-il de nous? Oui, quand nous avons chassé de notre âme le mensonge, l'amertume, la fornication, l'impureté, l'avarice, quand nous sommes devenus bons, miséricordieux, cléments les uns pour les autres, quand nous évitons les plaisanteries indécentes, quand enfin nous nous sommes rendus dignes de recevoir le Saint-Esprit, qu'est-ce qui l'empêche encore d'accourir, de voler vers nous ? Non-seulement il accourra, mais encore il remplira notre coeur. Or, avec le secours intérieur d'une pareille lumière, la vérité ne nous sera plus pénible, elle nous deviendra aisée et facile.

« Rendant grâces toujours et pour toutes choses ». Quoi donc ! faut-il rendre grâces pour tout ce qui nous arrive? Oui : fût-ce la maladie, fût-ce la misère. En effet, si dans l'Ancien Testament nous trouvons ce conseil d'un sage : « Tout ce qui vous arrivera, recevez-le de bonne grâce, et soyez patients dans les vicissitudes de votre humiliation » (Ecclés. II, 14), à plus forte raison faut-il se conduire ainsi sous le régime de la nouvelle loi. Quand bien même la raison des faits vous échappe, rendez grâces : voilà les vraies actions de grâces. Que vous rendiez grâces après un bienfait, dans la félicité, dans le bonheur, au milieu des prospérités, il n'y a rien là de grand ni de merveilleux : ce qu'on vous demande, c'est de rendre grâces dans les épreuves, dans les tribulations. Votre première parole doit être : Je vous rends grâces, Seigneur. Et pourquoi parler des afflictions d'ici-bas? Il faut remercier Dieu de l'enfer, des supplices, des châtiments de l'autre vie. Car c'est un bien pour nous tous que préoccupe cette pensée : La crainte est comme un frein mis à nos coeurs. Ce n'est donc pas seulement pour les bienfaits évidents, c'est encore pour ceux qui ne sont pas apparents et que nous recevons malgré nous, que nous devons rendre grâces en effet, Dieu nous oblige souvent malgré nous et à notre insu. Si vous en doutez, je vais vous rendre la chose claire. Veuillez réfléchir à ceci : Est-ce que les abominables et incrédules païens n'attribuent pas tout au soleil et à ses idoles? Eh bien ! est-ce que Dieu n'est pas aussi leur bienfaiteur, à eux ? N'est-ce pas à leur providence qu'ils doivent la vie, la santé, leurs enfants, que sais-je encore? Et ceux qu'on appelle Marcionites ? Et les Manichéens? Ne le blasphèment-ils pas également? Et pourtant, Dieu ne les comble-t-il pas de biens chaque jour? Mais s'il fait du bien à ces hommes qui ne le connaissent pas, à plus forte raison nous en fait-il, à nous. Car à quoi s'occupe la divinité, sinon à faire du bien à l'espèce humaine, et par châtiments et par indulgences?

Ce n'est donc pas seulement dans les prospérités que nous devons rendre grâces : le devoir serait trop facile à remplir. Le diable la sait : voilà pourquoi il disait : « Est-ce gratuitement que Job craint Dieu ? n'avez-vous pas abrité d'un rempart ce qui est en lui et ce qui est hors de lui ? Mais enlevez-lui tous ses biens, et vous verrez s'il vous bénira en face ». (Job, I, 9, 10.) Mais le scélérat n'y gagna rien. Dieu soit loué, et puisse-t-il en être de même quand il s'agira de nous ! C'est dans la pauvreté, dans la maladie, dans la persécution, que nos actions de grâces doivent être le plus vives. Je ne parle point d'actions de grâces en paroles, et proférées du bout des lèvres, mais d'actions de grâces réelles, effectives, sorties du fond du coeur. C'est du fond de l'âme que nous devons remercier; car Dieu nous aime d'un amour plus que paternel: et autant il y a de distance entre la méchanceté et la bonté, autant il en existe entre l'amour de Dieu pour nous et celui que nous portent nos parents.

3. Et ce n'est pas moi qui parle ainsi, c'est celui même qui nous aime, le Christ. Ecoutez plutôt : « Quel est d'entre vous l'homme qui, si son fils lui demande du pain, lui présentera une pierre? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui (535) demandent?» (Matth, VII, 9-11.) Ecoutez encore cet autre passage : « Est-ce que la femme a oubliera d'avoir pitié des rejetons de son sein? Mais, quand bien même la femme oublierait ces choses, je ne vous oublierai pas, dit le Seigneur ». (Isaïe, XLIX, 45.) Si Dieu ne vous aimait pas, pourquoi vous aurait-il créé? Est-ce qu'il y était contraint? Est-ce qu'il a besoin de nous, de notre ministère? Est-ce que nous pouvons quelque chose pour lui? Ecoutez le prophète qui vous dit : « J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Seigneur, parce que vous n'avez pas besoin de mes biens ». (Psaume, XV, 2.) Mais les ingrats, les insensés, nous disent : La bonté de Dieu n'exigerait-elle pas que tous fussent égaux?

Dis-moi , homme ingrat, qu'est-ce qui te paraît démentir la bonté de Dieu, et de quelle égalité parles-tu ? Un tel, répond-il, est estropié de naissance, un autre est fou et possédé ; un autre, parvenu à l'extrême vieillesse, se trouve avoir passé toute sa vie dans la pauvreté, un autre dans les infirmités les plus cruelles : tout cela est-il l'oeuvre d'une providence? L'un est sourd, l'autre *muet ; un troisième pauvre; un quatrième , qui n'est qu'un scélérat tout chargé de crimes, jouit de l'opulence, entretient des prostituées et des parasites, possède une magnifique demeure, mène une vie que rien ne trouble. On rassemble beaucoup d'autres exemples de ce genre, et l'on en forme un long réquisitoire contre la Providence divine. Quoi donc ? la Providence n'est pour rien là dedans? Que leur répondre? Si nous avions affaire à des païens, convaincus néanmoins que le monde obéit à une direction, nous pourrions rétorquer leur objection, et leur dire : Ah ! la Providence n'y est pour rien : et pourquoi donc adorez-vous des dieux? pourquoi vous prosternez-vous devant des démons et des héros : car s'il y a une providence, il y a quelqu'un qui préside à tout. Mais si nous avons devant nous dés hommes, soit chrétiens, soit païens, dont lés croyances soient ébranlées et chancelantes, que leur dire? Eh quoi ! dirons-nous ; le hasard aurait-il pu enfanter tant de .biens ? cette lumière quotidienne, cet ordre qui règne parmi les êtres, cette marche régulière des astres, ce retour périodique des nuits et des jours , cette harmonie de nature dans les plantes, les animaux, les hommes? Qui donc est-ce, dites-moi, qui régit tout cela? S'il n'y avait pas de chef, si le hasard avait tout formé, qui aurait arrondi par-dessus la terre et les eaux cette belle et grande voûte du ciel ? Qui ferait revenir les saisons propres à la production des fruits? qui aurait mis tant de vigueur dans les graines et dans les plantes? Ce qui vient du hasard a nécessairement les caractères du désordre; ce qui est bien ordonné est l'ouvrage de l'art.

En effet, dites-moi, quel est, sous nos yeux, le produit du hasard où ne dominent pas le désordre et la confusion? Et non-seulement du hasard, mais de toute main malhabile? Par exemple, soient données des poutres, des pierres et de la chaux : que maintenant un homme inexpérimenté dans l'art de bâtir essaie d'en former un édifice : est-ce qu'il ne va pas tout perdre, tout gâter? Ou bien encore, supposez un esquif sans pilote, muni d'ailleurs de tout ce que peut avoir un esquif, sauf un pilote : notez bien qu'il s'agit d'un navire complètement équipé :pourra-t-il naviguer? Et cette immense terre suspendue au-dessus des flots, si une force ne la retenait, pourrait-elle, je vous le demande, tenir bon si longtemps? Est-ce admissible? Y a-t-il assez de moqueries pour une pareille hypothèse? Si maintenant la terre porte en outre le ciel, voilà un nouveau fardeau : si au contraire le ciel est porté par l'eau, une autre question surgit. Mais tout est l'oeuvre de la Providence. En effet, ce qui repose sur l'eau, ne doit pas être convexe, mais concave. Pourquoi? parce que les corps concaves plongent complètement ; par exemple les vaisseaux : au contraire , les corps convexes demeurent tout entiers en l'air , et ne baignent que par leurs extrémités. Il est donc besoin d'un corps solide, dur et résistant , pour supporter le fardeau. Est-ce l'air, maintenant, qui porte le ciel? Mais l'air est un corps encore bien plus mou et moins dense que l'eau, incapable de rien supporter, à plus forte raison une masse aussi énorme. Enfin, si nous voulions épuiser ce sujet de la Providence, l'embrasser dans son ensemble et dans ses détails, l'éternité ne nous suffirait pas. Je vais maintenant demander à celui qui s'occupe de ces recherches : ces choses proviennent-elles, oui ou non, d'une providence ? S'il répond négativement, alors je lui ferai cette autre question : D'où proviennent-elles donc? Il ne saura que répondre. A plus forte raison doit-on (536) s'abstenir de toute vaine curiosité de ce genre au sujet des choses humaines. Pourquoi? Parce que l'homme est supérieur à tout le reste, et que les choses dont j'ai parlé sont faites pour lui, et non pas lui pour elles.

4. Si donc vous ne savez pas comprendre combien est sage et habile la Providence, comment pourrez - vous pénétrer ses desseins ? Dites-moi pourquoi elle a fait l'homme si petit, et l'a placé si bas au-dessous du ciel, au point qu'il peut douter des phénomènes qui s'y passent? Pour quelle raison les régions du Nord et celles du Midi sont-elles inhabitables ? Dites-moi pourquoi les nuits sont plus longues en hiver et plus courtes en été? D'où, viennent les froids rigoureux, les chaleurs excessives, pourquoi nous avons un corps périssable? Je vous ferai mille autres questions pareilles, et, si vous le voulez, je ne cesserai de vous interroger et de vous embarrasser. Ainsi ce qui distingue particulièrement la Providence, c'est ce qu'il y a d'ineffable dans ses desseins. Car sans doute quelqu'un se serait avisé d'attribuer à un homme la création de l'univers, si ces obstacles n'arrêtaient pas notre intelligence. Mais un tel est pauvre, dira-t-on, et la pauvreté est un mal. Et la maladie? et la cécité? Tout cela n'est rien, mon cher auditeur ; il n'y a qu'un mal, le péché : et c'est la seule chose que nous devions examiner. Mais nous omettons de rechercher les principes des maux réels, pour nous jeter dans de vaines spéculations. Pourquoi nul de vous ne se demande-t-il jamais pourquoi il a péché; s'il était en lui de pécher ou de ne pas pécher ? Qu'ai-je besoin de longs discours? Je n'ai qu'à regarder en moi-même : ai-je maîtrisé enfin mon emportement? ai-je dompté ma colère, ou par honte, ou par respect humain? Quand j'aurai trouvé ce que je cherche, alors je saurai que le péché dépend de moi.

De cela nul ne s'inquiète, nul ne s'occupe, et, comme dit le livre de Job : « L'homme au hasard nage dans ses discours ». (Job, XI, 12.) Que vous importe la cécité de l'un, la pauvreté de l'autre? Ce n'est pas cela que Dieu vous a prescrit de considérer, mais bien votre conduite , à vous. Si vous doutez que le monde soit dirigé par une puissance, vous êtes le plus insensé des hommes : si, au contraire, vous êtes convaincu de ce point, pourquoi doutez-vous qu'il faille plaire à Dieu? « Rendant grâces toujours et pour toutes choses à Dieu ». Entrez chez un médecin, et vous le verrez, dès qu'on lui présente un blessé, le traiter par le fer et le feu. Je ne dis pas cela pour vous : mais entrez chez un artisan : vous ne demandez pas compte de ce qui se fait dans son atelier, bien que vous n'y compreniez rien, et que beaucoup de choses vous étonnent ; comme, par exemple, quand vous voyez tourner un morceau de bois et en changer la forme. Mais plutôt je mettrai sous vos yeux un art plus facile, comme celui des peintres : vous ne saurez que penser. Dites-moi, en effet, l'artiste ne paraît-il pas perdre son temps? A quoi bon ces lignes et ces contours? mais attendez qu'il applique les couleurs : alors vous trouverez cet art merveilleux, sans être plus éclairé pour cela.

Mais pourquoi parler des artisans, des peintres, nos compagnons de servitude? Dites-moi comment l'abeille fait ses rayons, et alors vous me parlerez de Dieu. Tâchez de comprendre l'industrie des fourmis, de l'araignée, de l'hirondelle, et vous pourrez alors me parler de Dieu. Si vous êtes savant, instruisez-moi : mais vous ne le pourriez pas. Ne cesseras-tu donc pas, mon cher auditeur, de perdre ton temps à des choses inutiles? Car ce sont là vraiment des inutilités; ne cesseras-tu pas de t'abandonner à une vaine curiosité? Ici, la vraie science, c'est l'ignorance, attendu que les plus habiles sont ceux qui font profession de ne rien savoir, et les plus fous ceux qui s'occupent de pareilles recherches. Ainsi une profession de savoir n'atteste pas toujours la science : quelquefois aussi elle est une marque de déraison. Dites-moi, en effet : si de deux hommes l'un se piquait de mesurer le volume, d'air qui s'étend dé la terre au ciel au moyen de câbles tendus, et que l'autre se moquât d'une telle prétention et confessât sa propre ignorance, de qui ririons-nous, dites-moi? de celui qui prétendrait savoir ou de l'ignorant : du premier assurément. L'ignorant serait donc le plus sage des deux. Et si l'un se vantait de pouvoir dire combien il y a de mesures d'eau dans la mer, que l'antre au contraire, avouât son ignorance, ne serait-ce pas encore la même chose? Assurément. Pour. quoi ? Parce que la prétendue science du premier ne serait qu'une ignorance renforcée. Celui qui avoue ne pas savoir, sait en réalité quelque chose. Quoi donc? Que de tels calculs sont impossibles à l'homme : et ce n'est pas (537) peu de chose. Au contraire, celui qui prétend savoir est ignorant, entre tous, de ce qu'il croit savoir, et c'est cela même qui le rend ridicule.

Hélas ! combien nous recevons de leçons propres à brider cette curiosité intempestive et immodérée! et pourtant nous ne les écoutons pas; nous nous enquérons de la vie les uns des autres, de la raison pour laquelle un tel est aveugle, tel autre pauvre. Voilà des propos qui nous mènent tout droit à d'autres questions aussi absurdes, par exemple, pourquoi une telle est femme : pourquoi nous ne sommes pas tous du sexe masculin, pourquoi il y a des ânes, des boeufs, des chiens, des loups ; pourquoi des pierres, pourquoi du bois : on n'en finirait pas. C'est pour cela que Dieu a prescrit à notre savoir des bornes qu'il a mises dans la nature même. Et considérez quel excès de curiosité : nous pouvons contempler sans péril l'immense intervalle qui sépare le ciel de la terre ; mais si nous montons au sommet d'une tour et que nous nous penchions un peu pour regarder à nos pieds, un vertige s'empare de nous aussitôt. Dites-moi la raison de ceci : mais vous ne sauriez la trouver Pourquoi l'œil porte-t-il plus loin que nos autres organes et embrasse-t-il un plus vaste horizon?

5. Et l'on peut dire la même chose de l'ouïe. La voix d'un homme ne saurait remplir l'espace que son oeil mesure, qui transmet le bruit à son oreille. Pourquoi nos membres ne jouissent-ils pas d'égales prérogatives? Pourquoi n'ont-ils pas un seul usage, une seule place : Paul aussi a scruté ce mystère, ou plutôt il ne l'a pas scruté, il était trop sage pour cela ; mais arrivé à ce point, il se borne à dire « Il a placé chaque chose selon qu'il a voulu » : la volonté de Dieu, voilà pour lui la clé de l'énigme. Renonçons donc, nous aussi, à ce genre de recherches, et bornons-nous à rendre grâces à Dieu en toute occurrence, selon l'avis qu'il nous donne. Telle est la conduite d'un bon serviteur, d'un homme sage et intelligent : l'autre conduite est celle d'un bavard, d'un oisif, d'un curieux. Considérez comme, parmi les serviteurs, les plus mauvais, ceux qui ne sont bons à rien, sont bavards, badauds, occupés des affaires, des secrets de leurs maîtres : tandis que ceux qui sont intelligents et honnêtes ne songent qu'à une chose, à faire leur service. Qui parle tant ne fait rien ; qui fait beaucoup ne parle pas hors de propos. Voilà pourquoi Paul écrivait au sujet des veuves : « Non-seulement oisives, mais encore causeuses et curieuses ». (I Timoth. V, 13.)

Dites-moi, quelle est la distance la plus grande, celle qui sépare des enfants les hommes de notre âge, ou celle qui sépare Dieu des hommes? Des moucherons à nous, et de nous à Dieu, quel est le plus grand intervalle? Il est clair que c'est le dernier. Pourquoi donc vous creuser ainsi l'esprit? « Rendez grâces pour toutes choses ». Mais, dira-t-on, si un païen m'interroge, que lui répondrai-je? Il voudra savoir de moi s'il y a une Providence; car, pour son compte , il le nie. Intervertis donc les rôles, interroge-le à ton tour. Eh bien ! il n'admet pas qu'il y ait une Providence. Qu'il y en a une, c'est ce qui résulte évidemment de ce qui a été dit : mais il résulte en même temps de notre impuissance à nous en rendre compte, qu'elle est incompréhensible. Si,, dans la conduite même des hommes, beaucoup de procédés demeurent obscurs pour nous, et que nous nous rendions néanmoins, quelque étranges qu'ils nous paraissent, à combien plus forte raison la même chose doit-elle être vraie de Dieu ! Mais en Dieu il n'y arien de déraisonnable, rien qui paraisse tel aux fidèles. Remercions-le donc de toutes choses, glorifions-le en toute occurrence. « Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu »... Si vous vous soumettez à cause d'un magistrat, ou pour de l'argent, ou par respect, à plus forte raison devez-vous le faire par crainte de Dieu. Qu'il y ait échange de servitude, de soumission; de la sorte, il n'y aura plus de servitude... Que personne n'ait rang d'esclave; personne, rang d'homme libre; il vaut mieux être à la fois maîtres et esclaves, et se servir mutuellement; et un pareil esclavage est préférable à la liberté dans d'autres conditions. En voici la preuve :

Supposez qu'une personne ait cent serviteurs dont aucun ne fasse son office; mettez d'un autre côté cent amis qui se servent mutuellement. Quels seront les plus heureux, les plus joyeux, les plus contents? Ici point de colère, point de querelles, point de courroux, rien de pareil : là, crainte et abjection; contrainte d'une part, liberté de l'autre. Les uns servent parce qu'on les y force, les autres pour se rendre mutuellement la pareille. Telle est (538) la volonté de Dieu: voilà pourquoi il a lavé les pieds des disciples. Que dis-je? si vous voulez y bien regarder, entre les maîtres mêmes il y a échange de servitude. Qu'importe que l'orgueil masque cet échange? Quand cet homme vous prête le ministère de ses bras, et que vous, vous le nourrissez, le chaussez, l'habillez, c'est encore une espèce de servitude; car, à supposer que vous vous refusiez mutuellement votre ministère, cette personne est libre, et aucune loi ne le contraindra de vous rendre service, si vous ne le nourrissez pas. Faut-il donc s'étonner qu'il en soit ainsi pour les esclaves, quand il en est de même pour les hommes libres? « Soumis « dans la crainte du Christ ». Où est le mérite, puisque nous sommes rémunérés? Mais un tel ne veut pas se soumettre. Vous, du moins, soumettez-vous: il ne suffit pas d'obéir, il faut vous soumettre; il faut regarder chacun comme votre maître : c'est le moyen de vous assujettir promptement tout le monde par le plus fort, des esclavages. Car vous les conquerrez bien plus sûrement, si vous payez fidèlement votre dette, sans qu'ils s'acquittent de leur côté. Voilà ce que veut dire: « Soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ». Ainsi nous triompherons de toutes les passions, nous servirons Dieu, nous ferons régner parmi nous une constante charité; et ensuite nous pourrons être jugés dignes des bontés divines, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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