532
Analyse.
1 et 2. Qu'il faut rendre
grâces en toute occurrence.
3. Preuves de la Providence.
4 et 5. De la curiosité
indiscrète. De l'incompréhensibilité divine. De la servitude mutuelle.
1.
Ici encore il extirpe la racine d'amertume, il retranche le principe de la colère. Que
dit-il, en effet? « Ayez donc soin de marcher avec circonspection ». Il savait que son
Maître, en envoyant ses disciples comme des brebis au milieu des loups, leur recommandait
encore d'être comme des colombes : « Et vous serez simples comme des colombes ». (Matth. X, 16.) Etant au milieu dés loups, et ayant ordre de ne pas
se venger et de souffrir, ils avaient, par conséquent, besoin de cette exhortation. La
première comparaison pouvait suffire, à la vérité, pour les rendre patients : mesurez
ce que la seconde ajoute à la force du précepte. Et voyez comment Paul s'attache à
prémunir ses auditeurs en leur disant : « Ayez « soin de marcher avec circonspection
». Des cités entières étaient en guerre avec eux; cette guerre avait pénétré jusque
dans les maisons; la division régnait entre le père et le fils, la fille et la mère.
Pourquoi? Quelle était l'origine de ces divisions? C'est qu'on avait entendu dire au
Christ : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi
». (Matth. X, 16, 37.) Paul ne voulait pas qu'on crût qu'il
existait des guerres et des combats sans but : car si les chrétiens, de leur côté,
étaient devenus agresseurs, ç'aurait été le signal de grandes colères. Voilà
pourquoi il dit : « Ayez donc soin de marcher avec circonspection ». En d'autres
termes : La prédication mise à part, ne donnez pas d'autre sujet, d'autre motif de
haine contre volts. Que personne n'ait autre chose à vous imputer : soyez respectueux et
soumis dans toutes les choses qui n'intéressent pas la prédication, qui ne gênent point
la piété : « Rendez à tous ce qui leur est dû: à qui le tribut, le tribut; à qui
l'impôt, l'impôt ». (Rom. XIII, 7.) Car les incrédules rentreront en eux-mêmes, quand
ils nous verront irréprochables dans le reste. « Non comme des insensés, mais comme des
hommes sages, rachetant le temps ». Il ne dit pas cela pour nous conseiller d'être
souples et de prendre toutes les formes. Voici ce qu'il veut dire : Le temps n'est pas à
vous; vous n'êtes en ce monde que des étrangers, des voyageurs de passage : ne cherchez
pas les honneurs, ne cherchez pas la gloire, ne cherchez pas la puissance, ne cherchez pas
la vengeance; subissez tout, et par ce moyen rachetez le temps ; ne craignez pas de payer,
payez tout ce que l'on exigera... Il y a ici quelque obscurité : tâchons de l'éclaircir
au moyen d'un exemple : Supposez qu'un homme possède une maison magnifique et que des
gens y pénètrent pour le tuer; qu'alors pour se sauver il donne une forte somme à ces
scélérats : nous dirons qu'il se rachète... Eh bien ! vous
aussi vous êtes possesseur d'une superbe maison, vous avez la vraie foi : on vous
poursuit pour vous dépouiller : donnez (533) tout ce qu'on vous demandera, gardez
seulement le principal, à savoir la foi. « Parce que les jours sont mauvais ».
Qu'est-ce
que des jours mauvais? Il s'agit ici d'une manière d'être particulière du jour.
Demandez-vous ce qui est mauvais dans chacune des choses qui nous touchent, et vous saurez
ce que c'est que des jours mauvais. Qu'est-ce que le mal du corps? la
maladie. Le mal de l'âme? la malignité. Le mal de l'eau? l'amertume.. Le mal pour chaque chose, est une imperfection qui
affecte sa nature. Si donc il y a des jours mauvais, le mal doit être dans le jour
lui-même, dans les heures, dans la lumière. C'est ainsi que le Christ a dit: « A chaque
jour suffit son mal ». (Matth. VI, 34.) Ce texte nous aidera
à comprendre l'autre. Qu'est-ce que ces mauvais jours dont Paul nous parle?
que ce temps mauvais? Il n'a pas en vue ces oeuvres de Dieu
prises dans leur essence, mais les événements qui s'y passent nous disons de même: J'ai
passé une pénible, une mauvaise journée: mais comment a-t-elle pu être pénible, sinon
par les événements qui l'ont signalée? Ces événements sont en partie heureux, comme
venant de Dieu; en partie mauvais, comme venant de la perversité humaine. Les hommes sont
donc les auteurs. de ce qui arrive de mauvais dans le temps, et
de là certaines époques sont appelées mauvaises expression qui est aussi en usage parmi
nous. « Ne soyez donc pas imprudents, mais comprenez quelle est la volonté de Dieu, et
ne vous enivrez pas de vin, qui renferme la licence (18) » .
En
effet, l'excès de vin nous rend irritables, effrontés, prompts à faillir et à nous
emporter. C'est pour la joie que le vin nous a été donné, et non pour l'ivresse :
mais aujourd'hui on paraît une femme, on est ridicule, quand on ne s'enivre pas. Quel
espoir de salut reste-t-il désormais? C'est un ridicule, dites-moi, de ne pas s'enivrer? mais n'est-ce pas l'ivresse, au contraire, qui devrait être le plus
grand des ridicules? Tout le monde, sans doute, doit la fuir : personne autant que le
soldat qui vit au milieu des glaives et des massacres; personne autant que le soldat qui
est en butte à bien d'autres excitations, celles de la liberté, du pouvoir, des dangers
et des combats au milieu desquels sa vie se passe. Voulez-vous apprendre dans quelles
circonstances le vin est une bonne chose? Ecoutez ce que dit l'Ecriture : « Donnez
le vin à ceux qui sont dans la peine, et l'ivresse à ceux qui sont dans la douleur».
(Prov. XXXI, 6.) Rien de mieux: car le vin sait adoucir les afflictions et dissiper les
nuages de la tristesse. « Le vin réjouit le coeur de l'homme ». (Psaume, CIII,15.) Comment donc le vin produit-il l'ivresse? car
la même cause ne peut produire des effets contraires. La cause de l'ivresse n'est pas le
vin, mais l'abus du vin. Le vin ne nous a pas été donné pour une autre fin que la
santé du corps: or l'abus y est un obstacle. Ecoutez encore ce que le même saint écrit
à Timothée : « Use d'un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquentes
infirmités ». (I Tim. V, 23.)
2.
Si Dieu a établi dans nos corps un juste équilibre, et les a mis en état de se
contenter de peu, c'est pour nous enseigner dès ce monde qu'il nous a faits aptes à une
autre vie. Cette vie, il voulait nous l'octroyer tout d'abord mais, comme nous nous en
sommes rendus indignes, il a remis ce présent à une autre époque . d'ici
là, il ne nous permet pas l'abus : une mesure de vin et un pain suffisent à
l'appétit d'un homme... Il a voulu que le dominateur des animaux eût des besoins, à
proportion, moins nombreux, et un corps plus faible, afin de nous faire voir que nous sommes en marche vers une autre vie. « Ne vous enivrez pas de vin,
qui renferme la licence ». L'ivresse, loin de conserver, détruit, non-seulement
le corps, mais l'âme. « Mais soyez remplis de l'Esprit-Saint; vous entretenant entre
vous de psaumes, d'hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant du fond de
vos coeurs à la gloire du Seigneur; rendant grâces toujours et pour toutes choses, au
nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père; soumis les uns aux autres dans la
crainte du Christ (19-21) ». Voulez-vous vous réjouir, nous dit-il? Voulez-vous passer
la journée ? Je vous donne une boisson spirituelle : car l'ivresse nous ôte jusqu'aux
inflexions distinctes de la voix, elle nous fait bégayer, elle trouble nos yeux et tout
le reste. Apprenez à louer Dieu, et vous verrez combien cette occupation a de charmes
ceux qui le louent sont remplis de l'Esprit-Saint, comme sont remplis de l'esprit impur,
ceux qui chantent des chansons sataniques. Qu'est-ce à dire : « Du fond de vos coeurs à
la « gloire du Seigneur ? » C'est-à-dire, avec attention. Car, si l'attention fait
défaut, on (534) chante au hasard, on ne profère que des mots, tandis que le coeur
s'égare ailleurs : « Rendant grâces toujours et pour toutes choses, au nom de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père, soumis les uns aux autres dans la crainte
du Christ ». En d'autres termes Faites parvenir à Dieu vos demandes avec des actions de
grâces : car rien ne contente Dieu comme la reconnaissance. Or, nous ne pouvons mieux lui
témoigner notre reconnaissance, qu'en arrachant notre âme aux vices dont il a été
question plus haut, en la purifiant par les moyens indiqués. « Mais soyez remplis de
l'Esprit-Saint ». Cela dépend-il de nous? Oui, quand nous avons chassé de notre âme le
mensonge, l'amertume, la fornication, l'impureté, l'avarice, quand nous sommes devenus
bons, miséricordieux, cléments les uns pour les autres, quand nous évitons les
plaisanteries indécentes, quand enfin nous nous sommes rendus dignes de recevoir le
Saint-Esprit, qu'est-ce qui l'empêche encore d'accourir, de voler vers nous ? Non-seulement il accourra, mais encore il remplira notre coeur. Or,
avec le secours intérieur d'une pareille lumière, la vérité ne nous sera plus
pénible, elle nous deviendra aisée et facile.
«
Rendant grâces toujours et pour toutes choses ». Quoi donc ! faut-il
rendre grâces pour tout ce qui nous arrive? Oui : fût-ce la maladie, fût-ce la misère.
En effet, si dans l'Ancien Testament nous trouvons ce conseil d'un sage : « Tout ce qui
vous arrivera, recevez-le de bonne grâce, et soyez patients dans les vicissitudes de
votre humiliation » (Ecclés. II, 14), à plus forte raison faut-il se conduire ainsi
sous le régime de la nouvelle loi. Quand bien même la raison des faits vous échappe,
rendez grâces : voilà les vraies actions de grâces. Que vous rendiez grâces après un
bienfait, dans la félicité, dans le bonheur, au milieu des prospérités, il n'y a rien
là de grand ni de merveilleux : ce qu'on vous demande, c'est de rendre grâces dans les
épreuves, dans les tribulations. Votre première parole doit être : Je vous rends
grâces, Seigneur. Et pourquoi parler des afflictions d'ici-bas? Il faut remercier Dieu de
l'enfer, des supplices, des châtiments de l'autre vie. Car c'est un bien pour nous tous
que préoccupe cette pensée : La crainte est comme un frein mis à nos coeurs. Ce n'est
donc pas seulement pour les bienfaits évidents, c'est encore pour ceux qui ne sont pas
apparents et que nous recevons malgré nous, que nous devons rendre grâces en effet, Dieu
nous oblige souvent malgré nous et à notre insu. Si vous en doutez, je vais vous rendre
la chose claire. Veuillez réfléchir à ceci : Est-ce que les abominables et incrédules
païens n'attribuent pas tout au soleil et à ses idoles? Eh bien ! est-ce que Dieu n'est pas aussi leur bienfaiteur, à eux ? N'est-ce
pas à leur providence qu'ils doivent la vie, la santé, leurs enfants, que sais-je
encore? Et ceux qu'on appelle Marcionites ? Et les
Manichéens? Ne le blasphèment-ils pas également? Et pourtant, Dieu ne les comble-t-il
pas de biens chaque jour? Mais s'il fait du bien à ces hommes qui ne le connaissent pas,
à plus forte raison nous en fait-il, à nous. Car à quoi s'occupe la divinité, sinon à
faire du bien à l'espèce humaine, et par châtiments et par indulgences?
Ce
n'est donc pas seulement dans les prospérités que nous devons rendre grâces : le devoir
serait trop facile à remplir. Le diable la sait : voilà pourquoi il disait : « Est-ce
gratuitement que Job craint Dieu ? n'avez-vous pas abrité d'un
rempart ce qui est en lui et ce qui est hors de lui ? Mais enlevez-lui tous ses biens, et
vous verrez s'il vous bénira en face ». (Job, I, 9, 10.) Mais le scélérat n'y gagna
rien. Dieu soit loué, et puisse-t-il en être de même quand il s'agira de nous !
C'est dans la pauvreté, dans la maladie, dans la persécution, que nos actions de grâces
doivent être le plus vives. Je ne parle point d'actions de grâces en paroles, et
proférées du bout des lèvres, mais d'actions de grâces réelles, effectives, sorties
du fond du coeur. C'est du fond de l'âme que nous devons remercier; car Dieu nous aime
d'un amour plus que paternel: et autant il y a de distance entre la méchanceté et la
bonté, autant il en existe entre l'amour de Dieu pour nous et celui que nous portent nos
parents.
3.
Et ce n'est pas moi qui parle ainsi, c'est celui même qui nous aime, le Christ. Ecoutez
plutôt : « Quel est d'entre vous l'homme qui, si son fils lui demande du pain, lui
présentera une pierre? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes
choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de
bonnes choses à ceux qui les lui (535) demandent?» (Matth,
VII, 9-11.) Ecoutez encore cet autre passage : « Est-ce que la femme a oubliera d'avoir
pitié des rejetons de son sein? Mais, quand bien même la femme oublierait ces choses, je
ne vous oublierai pas, dit le Seigneur ». (Isaïe, XLIX, 45.) Si Dieu ne vous aimait
pas, pourquoi vous aurait-il créé? Est-ce qu'il y était contraint? Est-ce qu'il a
besoin de nous, de notre ministère? Est-ce que nous pouvons quelque chose pour lui?
Ecoutez le prophète qui vous dit : « J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Seigneur,
parce que vous n'avez pas besoin de mes biens ». (Psaume, XV, 2.) Mais les ingrats,
les insensés, nous disent : La bonté de Dieu n'exigerait-elle pas que tous fussent
égaux?
Dis-moi , homme ingrat, qu'est-ce qui te paraît démentir la bonté de
Dieu, et de quelle égalité parles-tu ? Un tel, répond-il, est estropié de naissance,
un autre est fou et possédé ; un autre, parvenu à l'extrême vieillesse, se trouve
avoir passé toute sa vie dans la pauvreté, un autre dans les infirmités les plus
cruelles : tout cela est-il l'oeuvre d'une providence? L'un est sourd, l'autre *muet ; un
troisième pauvre; un quatrième , qui n'est qu'un scélérat tout chargé de crimes,
jouit de l'opulence, entretient des prostituées et des parasites, possède une magnifique
demeure, mène une vie que rien ne trouble. On rassemble beaucoup d'autres exemples de ce
genre, et l'on en forme un long réquisitoire contre la Providence divine. Quoi donc ? la Providence n'est pour rien là dedans? Que leur répondre? Si nous
avions affaire à des païens, convaincus néanmoins que le monde obéit à une direction,
nous pourrions rétorquer leur objection, et leur dire : Ah ! la
Providence n'y est pour rien : et pourquoi donc adorez-vous des dieux? pourquoi
vous prosternez-vous devant des démons et des héros : car s'il y a une providence, il y
a quelqu'un qui préside à tout. Mais si nous avons devant nous dés hommes, soit
chrétiens, soit païens, dont lés croyances soient ébranlées et chancelantes, que leur
dire? Eh quoi ! dirons-nous ; le hasard aurait-il pu enfanter
tant de .biens ? cette lumière quotidienne, cet ordre qui règne parmi les êtres, cette
marche régulière des astres, ce retour périodique des nuits et des jours , cette
harmonie de nature dans les plantes, les animaux, les hommes? Qui donc est-ce, dites-moi,
qui régit tout cela? S'il n'y avait pas de chef, si le hasard avait tout formé, qui
aurait arrondi par-dessus la terre et les eaux cette belle et grande voûte du ciel ? Qui
ferait revenir les saisons propres à la production des fruits? qui
aurait mis tant de vigueur dans les graines et dans les plantes? Ce qui vient du hasard a nécessairement les caractères du désordre; ce qui est bien
ordonné est l'ouvrage de l'art.
En
effet, dites-moi, quel est, sous nos yeux, le produit du hasard où ne dominent pas le
désordre et la confusion? Et non-seulement du hasard, mais de
toute main malhabile? Par exemple, soient données des poutres, des pierres et de la chaux
: que maintenant un homme inexpérimenté dans l'art de bâtir essaie d'en former un
édifice : est-ce qu'il ne va pas tout perdre, tout gâter? Ou bien encore, supposez un
esquif sans pilote, muni d'ailleurs de tout ce que peut avoir un esquif, sauf un pilote :
notez bien qu'il s'agit d'un navire complètement équipé :pourra-t-il
naviguer? Et cette immense terre suspendue au-dessus des flots, si une force ne la
retenait, pourrait-elle, je vous le demande, tenir bon si longtemps? Est-ce admissible? Y
a-t-il assez de moqueries pour une pareille hypothèse? Si maintenant la terre porte en
outre le ciel, voilà un nouveau fardeau : si au contraire le ciel est porté par l'eau,
une autre question surgit. Mais tout est l'oeuvre de la Providence. En effet, ce qui
repose sur l'eau, ne doit pas être convexe, mais concave. Pourquoi? parce
que les corps concaves plongent complètement ; par exemple les vaisseaux : au
contraire , les corps convexes demeurent tout entiers en l'air , et ne baignent que par
leurs extrémités. Il est donc besoin d'un corps solide, dur et résistant
, pour supporter le fardeau. Est-ce l'air, maintenant, qui porte le ciel? Mais
l'air est un corps encore bien plus mou et moins dense que l'eau, incapable de rien
supporter, à plus forte raison une masse aussi énorme. Enfin, si nous voulions épuiser
ce sujet de la Providence, l'embrasser dans son ensemble et dans ses détails,
l'éternité ne nous suffirait pas. Je vais maintenant demander à celui qui s'occupe de
ces recherches : ces choses proviennent-elles, oui ou non, d'une providence ? S'il répond
négativement, alors je lui ferai cette autre question : D'où proviennent-elles donc? Il
ne saura que répondre. A plus forte raison doit-on (536) s'abstenir de toute vaine
curiosité de ce genre au sujet des choses humaines. Pourquoi? Parce que l'homme est
supérieur à tout le reste, et que les choses dont j'ai parlé sont faites pour lui, et
non pas lui pour elles.
4.
Si donc vous ne savez pas comprendre combien est sage et habile la Providence, comment pourrez - vous pénétrer ses desseins ? Dites-moi pourquoi elle a
fait l'homme si petit, et l'a placé si bas au-dessous du ciel, au point qu'il peut douter
des phénomènes qui s'y passent? Pour quelle raison les régions du Nord et celles du
Midi sont-elles inhabitables ? Dites-moi pourquoi les nuits sont plus longues en hiver et
plus courtes en été? D'où, viennent les froids rigoureux, les chaleurs excessives,
pourquoi nous avons un corps périssable? Je vous ferai mille autres questions pareilles,
et, si vous le voulez, je ne cesserai de vous interroger et de vous embarrasser. Ainsi ce
qui distingue particulièrement la Providence, c'est ce qu'il y a d'ineffable dans ses
desseins. Car sans doute quelqu'un se serait avisé d'attribuer à un homme la création
de l'univers, si ces obstacles n'arrêtaient pas notre intelligence. Mais un tel est
pauvre, dira-t-on, et la pauvreté est un mal. Et la maladie? et
la cécité? Tout cela n'est rien, mon cher auditeur ; il n'y a qu'un mal, le péché : et
c'est la seule chose que nous devions examiner. Mais nous omettons de rechercher les
principes des maux réels, pour nous jeter dans de vaines spéculations. Pourquoi nul de
vous ne se demande-t-il jamais pourquoi il a péché; s'il était en lui de pécher ou de
ne pas pécher ? Qu'ai-je besoin de longs discours? Je n'ai qu'à regarder en moi-même :
ai-je maîtrisé enfin mon emportement? ai-je dompté ma
colère, ou par honte, ou par respect humain? Quand j'aurai trouvé ce que je cherche,
alors je saurai que le péché dépend de moi.
De
cela nul ne s'inquiète, nul ne s'occupe, et, comme dit le livre de Job : « L'homme au
hasard nage dans ses discours ». (Job, XI, 12.) Que vous importe la cécité de
l'un, la pauvreté de l'autre? Ce n'est pas cela que Dieu vous a prescrit de considérer,
mais bien votre conduite , à vous. Si vous doutez que le monde
soit dirigé par une puissance, vous êtes le plus insensé des hommes : si, au contraire,
vous êtes convaincu de ce point, pourquoi doutez-vous qu'il faille plaire à Dieu? «
Rendant grâces toujours et pour toutes choses à Dieu ». Entrez chez un médecin,
et vous le verrez, dès qu'on lui présente un blessé, le traiter par le fer et le feu.
Je ne dis pas cela pour vous : mais entrez chez un artisan : vous ne demandez pas compte
de ce qui se fait dans son atelier, bien que vous n'y compreniez rien, et que beaucoup de
choses vous étonnent ; comme, par exemple, quand vous voyez tourner un morceau de bois et
en changer la forme. Mais plutôt je mettrai sous vos yeux un art plus facile, comme celui
des peintres : vous ne saurez que penser. Dites-moi, en effet, l'artiste ne paraît-il pas
perdre son temps? A quoi bon ces lignes et ces contours? mais
attendez qu'il applique les couleurs : alors vous trouverez cet art merveilleux, sans
être plus éclairé pour cela.
Mais
pourquoi parler des artisans, des peintres, nos compagnons de servitude? Dites-moi comment
l'abeille fait ses rayons, et alors vous me parlerez de Dieu. Tâchez de comprendre
l'industrie des fourmis, de l'araignée, de l'hirondelle, et vous pourrez alors me parler
de Dieu. Si vous êtes savant, instruisez-moi : mais vous ne le pourriez pas. Ne
cesseras-tu donc pas, mon cher auditeur, de perdre ton temps à des choses inutiles? Car
ce sont là vraiment des inutilités; ne cesseras-tu pas de t'abandonner à une vaine
curiosité? Ici, la vraie science, c'est l'ignorance, attendu que les plus habiles sont
ceux qui font profession de ne rien savoir, et les plus fous ceux qui s'occupent de
pareilles recherches. Ainsi une profession de savoir n'atteste pas toujours la science :
quelquefois aussi elle est une marque de déraison. Dites-moi, en effet : si de deux
hommes l'un se piquait de mesurer le volume, d'air qui s'étend dé la terre au ciel au
moyen de câbles tendus, et que l'autre se moquât d'une telle prétention et confessât
sa propre ignorance, de qui ririons-nous, dites-moi? de celui
qui prétendrait savoir ou de l'ignorant : du premier assurément. L'ignorant serait donc
le plus sage des deux. Et si l'un se vantait de pouvoir dire combien il y a de mesures
d'eau dans la mer, que l'antre au contraire, avouât son ignorance, ne serait-ce pas
encore la même chose? Assurément. Pour. quoi ? Parce que la
prétendue science du premier ne serait qu'une ignorance renforcée. Celui qui avoue ne
pas savoir, sait en réalité quelque chose. Quoi donc? Que de tels calculs sont
impossibles à l'homme : et ce n'est pas (537) peu de chose. Au contraire, celui qui
prétend savoir est ignorant, entre tous, de ce qu'il croit savoir, et c'est cela même
qui le rend ridicule.
Hélas
! combien nous recevons de leçons propres à brider cette
curiosité intempestive et immodérée! et pourtant nous ne les
écoutons pas; nous nous enquérons de la vie les uns des autres, de la raison pour
laquelle un tel est aveugle, tel autre pauvre. Voilà des propos qui nous mènent tout
droit à d'autres questions aussi absurdes, par exemple, pourquoi une telle est femme :
pourquoi nous ne sommes pas tous du sexe masculin, pourquoi il y a des ânes, des boeufs,
des chiens, des loups ; pourquoi des pierres, pourquoi du bois : on n'en finirait pas.
C'est pour cela que Dieu a prescrit à notre savoir des bornes qu'il a mises dans la
nature même. Et considérez quel excès de curiosité : nous pouvons contempler sans
péril l'immense intervalle qui sépare le ciel de la terre ; mais si nous montons au
sommet d'une tour et que nous nous penchions un peu pour regarder à nos pieds, un vertige
s'empare de nous aussitôt. Dites-moi la raison de ceci : mais vous ne sauriez la trouver
Pourquoi l'il porte-t-il plus loin que nos autres organes et embrasse-t-il un plus
vaste horizon?
5.
Et l'on peut dire la même chose de l'ouïe. La voix d'un homme ne saurait remplir
l'espace que son oeil mesure, qui transmet le bruit à son oreille. Pourquoi nos membres
ne jouissent-ils pas d'égales prérogatives? Pourquoi n'ont-ils pas un seul usage, une
seule place : Paul aussi a scruté ce mystère, ou plutôt il ne l'a pas scruté, il
était trop sage pour cela ; mais arrivé à ce point, il se borne à dire « Il a placé
chaque chose selon qu'il a voulu » : la volonté de Dieu, voilà pour lui la clé de
l'énigme. Renonçons donc, nous aussi, à ce genre de recherches, et bornons-nous à
rendre grâces à Dieu en toute occurrence, selon l'avis qu'il nous donne. Telle est la
conduite d'un bon serviteur, d'un homme sage et intelligent : l'autre conduite est celle
d'un bavard, d'un oisif, d'un curieux. Considérez comme, parmi les serviteurs, les plus
mauvais, ceux qui ne sont bons à rien, sont bavards, badauds, occupés des affaires, des
secrets de leurs maîtres : tandis que ceux qui sont intelligents et honnêtes ne songent
qu'à une chose, à faire leur service. Qui parle tant ne fait rien ; qui fait beaucoup ne
parle pas hors de propos. Voilà pourquoi Paul écrivait au sujet des veuves : « Non-seulement oisives, mais encore causeuses et curieuses ». (I Timoth. V, 13.)
Dites-moi,
quelle est la distance la plus grande, celle qui sépare des enfants les hommes de notre
âge, ou celle qui sépare Dieu des hommes? Des moucherons à nous, et de nous à Dieu,
quel est le plus grand intervalle? Il est clair que c'est le dernier. Pourquoi donc vous
creuser ainsi l'esprit? « Rendez grâces pour toutes choses ». Mais, dira-t-on, si un
païen m'interroge, que lui répondrai-je? Il voudra savoir de moi s'il y a une
Providence; car, pour son compte , il le nie. Intervertis donc
les rôles, interroge-le à ton tour. Eh bien ! il n'admet pas
qu'il y ait une Providence. Qu'il y en a une, c'est ce qui résulte évidemment de ce qui
a été dit : mais il résulte en même temps de notre impuissance à nous en rendre
compte, qu'elle est incompréhensible. Si,, dans la conduite
même des hommes, beaucoup de procédés demeurent obscurs pour nous, et que nous nous
rendions néanmoins, quelque étranges qu'ils nous paraissent, à combien plus forte
raison la même chose doit-elle être vraie de Dieu ! Mais en Dieu il n'y arien de
déraisonnable, rien qui paraisse tel aux fidèles. Remercions-le donc de toutes choses,
glorifions-le en toute occurrence. « Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu
»... Si vous vous soumettez à cause d'un magistrat, ou pour de l'argent, ou par respect,
à plus forte raison devez-vous le faire par crainte de Dieu. Qu'il y ait échange de
servitude, de soumission; de la sorte, il n'y aura plus de servitude... Que personne n'ait
rang d'esclave; personne, rang d'homme libre; il vaut mieux être à la fois maîtres et
esclaves, et se servir mutuellement; et un pareil esclavage est préférable à la
liberté dans d'autres conditions. En voici la preuve :
Supposez
qu'une personne ait cent serviteurs dont aucun ne fasse son office; mettez d'un autre
côté cent amis qui se servent mutuellement. Quels seront les plus heureux, les plus
joyeux, les plus contents? Ici point de colère, point de querelles, point de courroux,
rien de pareil : là, crainte et abjection; contrainte d'une part, liberté de l'autre.
Les uns servent parce qu'on les y force, les autres pour se rendre mutuellement la
pareille. Telle est (538) la volonté de Dieu: voilà pourquoi il a lavé les pieds des
disciples. Que dis-je? si vous voulez y bien regarder, entre
les maîtres mêmes il y a échange de servitude. Qu'importe que l'orgueil masque cet
échange? Quand cet homme vous prête le ministère de ses bras, et que vous, vous le
nourrissez, le chaussez, l'habillez, c'est encore une espèce de servitude; car, à
supposer que vous vous refusiez mutuellement votre ministère, cette personne est libre,
et aucune loi ne le contraindra de vous rendre service, si vous ne le nourrissez pas.
Faut-il donc s'étonner qu'il en soit ainsi pour les esclaves, quand il en est de même
pour les hommes libres? « Soumis « dans la crainte du Christ ». Où est le mérite,
puisque nous sommes rémunérés? Mais un tel ne veut pas se soumettre. Vous, du moins,
soumettez-vous: il ne suffit pas d'obéir, il faut vous soumettre; il faut regarder chacun
comme votre maître : c'est le moyen de vous assujettir promptement tout le monde par le
plus fort, des esclavages. Car vous les conquerrez bien plus sûrement, si vous payez
fidèlement votre dette, sans qu'ils s'acquittent de leur côté. Voilà ce que veut dire:
« Soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ». Ainsi nous triompherons de
toutes les passions, nous servirons Dieu, nous ferons régner parmi nous une constante
charité; et ensuite nous pourrons être jugés dignes des bontés divines, par la grâce
et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au
Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.