ÉPHÉSIENS XII

HOMÉLIE XII. JE VOUS DIS DONC ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR, DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES. (IV, 17.)

 

Analyse.

 

1 et 2. Vanité des vanités : ce qu'il faut entendre par là.

3. Vanité du paganisme et de la philosophie paienne. — Superstitions ridicules des païens.

 

1. Le maître, pour instruire pleinement ses disciples et les mettre dans la bonne voie , ne doit pas se borner à des conseils et à des leçons : il faut encore qu'il effraie ses auditeurs, qu'il les cite devant Dieu. Quand les paroles humaines sont insuffisantes, comme venant de simples compagnons d'esclavage, à toucher les âmes, il faut alors faire intervenir le Seigneur. Ainsi fait Paul. Il a parlé précédemment de l'humilité, de l'unité, du devoir d'éviter les discordes mutuelles. Ecoutez comment il parle maintenant : « Je vous dis donc et vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils ». Il ne dit pas: De ne plus marcher comme vous marchez : le reproche serait trop dur; il dit la même chose, en se servant d'un exemple étranger. C'est ce qu'il fait encore dans ce passage de son épître aux Thessaloniciens , où il dit : « Et non dans la passion de la convoitise, comme les autres nations ». (I Thess. IV, 5.) Votre religion vous distingue des gentils: mais (501) cela ne vient que de Dieu : moi, je vous demande ce qui dépend de vous, une conduite, une vie selon Dieu: cela, c'est votre affaire. Je prends Dieu à témoin de mes paroles : je ne vous ai rien caché, je vous ai dit comment vous devez vous conduire. « Dans la vanité de leur esprit ». En quoi consiste la vanité de l'esprit? Dans la vanité des occupations. Mais quelles sont les choses vaines, sinon toutes celles du monde, dont l'Ecclésiaste dit : « Vanité des vanités, tout est vanité ». (Ecclés. I, 2.) Mais on dira : si tout est vanité, d'où vient qu'il existe quelque chose? Si tout est l'ouvrage de Dieu, comment tout peut-il être vanité? On ne tarit point là-dessus. Mais écoute, mon cher auditeur : En disant vanité, le Sage n'entend pas parler des ouvrages de Dieu, à Dieu ne plaise! le ciel n'est point vanité, la terre non plus, loin de nous cette pensée : pas plus que le soleil, la lune et les astres, pas plus que notre corps : toutes ces choses sont . excellentes. Où est donc la vanité? Ecoutons les propres paroles de l'Eclésiaste : « Je me suis planté des vignes, je me suis fait des chanteurs et des chanteuses, je me suis fait des piscines d'eau, j'ai eu des bergeries et des étables, j'ai amassé de l'or et de l'argent; et j'ai vu que tout est vanité». (Ecclés. II, 5 et suivants.) Et encore : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Ecoutez encore le Prophète : « Il thésaurise et ne sait pas pour qui il amassera ces choses ». (Ps. XXXVIII, 7.) Ainsi, vanité des vanités que les palais magnifiques, que l'abondance des richesses, que les troupeaux d'esclaves marchant fièrement sur la place publique, que l'orgueil et la jactance, que l'outrecuidance et la présomption. Toutes ces choses sont vaines; car elles ne sont pas l'ouvrage de Dieu, mais le notre. Mais pourquoi sont-elles vaines? Parce qu'elles n'ont pas une bonne fin.

Les richesses sont vaines, quand on les dépense en luxe; elles ne sont pas vaines, quand on les prodigue aux pauvres Quand on les dépense en luxé, voyons quelle en est la fin : de la graisse, des vents, des excréments, des migraines, le ramollissement, l'échauffement, la langueur du corps. Le voluptueux ressemble à un homme qui s'évertuerait à remplir un tonneau percé. On appelle encore vaine une chose qu'on a crue honorable et qui ne l'est point c'est le sens où l'on prend quelquefois le mot « vide » et le mot « frivole », par exemple en parlant des espérances. Et en général on dit d'une chose qu'elle est vaine quand elle n'est bonne à rien. Voyons donc si les choses humaines n'ont pas ce caractère. « Mangeons et buvons : car nous mourrons demain ». (I Cor. XV, 32.) Quelle est donc la fin, dites-moi? Le trépas. Habillons-nous, parons-nous, quelle sera la tin? Le néant. Quelques-uns des païens ont touché à cela dans leur philosophie, mais sans succès : ils ont enseigné une vie de privations, mais sans viser par là à rien d'utile, et dans le seul intérêt de leur gloire et de leur vanité. Or qu'est-ce que la gloire humaine? Rien. Si ceux qui la donnent périssent, à plus forte raison en est-il ainsi de la gloire elle-même. Celui qui procure à autrui de la gloire, devrait commencer par s'en procurer à lui-même: sinon, comment pourrait-il en donner à autrui? Et pourtant nous recherchons les suffrages d'hommes vils, méprisables, déshonorés. Que peut être une gloire pareille?

2. Voyez-vous que tout est vanité des vanités? De là cette parole : « Dans la vanité de « leur esprit ». N'est-ce pas ainsi qu'il faut caractériser leur religion? Les objets de leur culte ne sont-ils pas des pierres et du bois? Dieu a fait le soleil comme un flambeau pour nous éclairer : qui est-ce qui se prosterne devant son flambeau? Le soleil nous fournit sa lumière : mais, en son absence, une lampe fait le même office : pourquoi donc n'adorez-vous pas votre lampe? Je le fais, diront-ils, j'adore le feu. O dérision ! et vous ne rougissez point d'un pareil sacrilège ! Considérez encore ceci: Pourquoi éteindre ce que vous adorez? Pourquoi l'anéantir? Pourquoi tuer votre Dieu? Pourquoi lui défendre d'envahir toute votre maison? Si le feu est Dieu, qu'il dévore votre corps, et ne posez pas sur votre Dieu le fond d'une marmite : introduisez-te plutôt dans la chambre où sont vos trésors, vos étoffes précieuses. Mais loin de là : qu'il vienne à se glisser chez vous par l'imprudence de quelqu'un, vous le chassez de toutes ses retraites, vous appelez tout le monde à votre secours; vous gémissez, vous pleurez comme s'il s'agissait d'une bête féroce, et vous traitez de calamité la venue de votre Dieu dans votre maison. Moi, j'ai un Dieu, et je fais tout mon possible pour le garder dans mon ceeur, et je mets ma béatitude non à recevoir sa visite dans ma maison, mais à l'attirer dans mon coeur. (502) Attirez donc, vous aussi, le feu dans votre coeur. Dérision, vanité que tout cela. Le feu est bon pour qu'on s'en serve et non pour qu'on l'adore; c'est un esclave, un serviteur, un ministre, et non pas un maître : il est fait pour moi, et non pas moi pour lui. Si vous adorez le feu, pourquoi rester étendu sur votre lit de parade, tandis que votre cuisinier a ordre de rester auprès de votre Dieu? Chargez-vous en personne de ces soins; faites-vous boulanger, ou forgeron, si vous aimez mieux. Ces arts sont les plus nobles de tous, puisque votre Dieu les visite. Pourquoi mépriser des industries qui vous rapprocheraient de votre Dieu et les confier dédaigneusement à des esclaves. Le feu est une excellente chose, car il est l'ouvrage d'un artiste excellent : mais il n'est pas Dieu : il est seulement l'oeuvre de Dieu. Ne voyez-vous pas combien il est indiscipliné? Une fois qu'il a pris à une maison, il ne s'arrête plus. Il détruit sans relâche tout ce qu'il trouve à sa portée; et, à défaut d'ouvriers ou de toute autre main pour réprimer ses fureurs, il ne connaît ni amis, ni ennemis: tout lui est bon. Voilà votre Dieu, et vous ne rougissez pas ! Ah ! elle est bien vraie, cette parole : « Dans la vanité de leur esprit ».

Mais le soleil, du moins, est un Dieu, dira-t-on. Pourquoi cela, et comment, dites-moi? Est-ce à cause de la vive lumière qu'il projette? Mais ne voyez-vous pas que les nuages en triomphent, que les lois de la nature l'asservissent, qu'il s'éclipse, que la lune et les nues amortissent son éclat? D'ailleurs les nuages lui sont inférieurs en puissance: néanmoins ils prévalent souvent sur lui, et c'est une marque de la sagesse divine. Dieu doit se suffire à lui-même : or le soleil a besoin de mille choses, ce qui n'est pas d'un Dieu. Pour luire il lui faut de l'air, un air subtil : car un air épais ne laisserait point passer les rayons : il lui faut de l'eau, et un obstacle qui l'empêche de tout consumer. Si les sources, les lacs, les fleuves et les mers ne formaient une certaine humidité par l'exhalaison de leurs vapeurs, rien ne saurait préserver l'univers d'une conflagration. Vous voyez donc, dira-t-on,que c'est un Dieu. O délire ! ô dérision! C'est un Dieu, attendu qu'il est capable de nuire ! C'est un Dieu parce qu'il n'a besoin d'aucun secours pour faire le mal, et de beaucoup de secours pour opérer le bien ! La nature divine n'admet point le mal dans son essence : les bienfaits, voilà ce qui la caractérise. Si donc ces choses répugnent entre elles, comment le soleil serait-il Dieu? ne voyez-vous pas que les plantes vénéneuses sont nuisibles d'elles-mêmes, et ont besoin de beaucoup de choses pour devenir des remèdes? C'est à cause de vous que le soleil est ce qu'il est, à savoir beau et infirme : beau, afin que vous reconnaissiez le Seigneur par son moyen; infirme, afin que vous ne le confondiez pas avec le Seigneur.

Mais, dira-t-on, il nourrit les plantes et les graines. A ce compte, le fumier aussi devrait être Dieu, car il nourrit également. Et pourquoi ne pas réputer telles aussi et la faux, et les mains du laboureur. Montrez-moi que le soleil nourrisse de lui-même et sans le secours de la terre, de l'eau; du labourage; qu'il suffise de répandre la semence pour que ses rayons fassent naître les épis. Que si ce n'est pas uniquement son oeuvre, mais encore celle des pluies, pourquoi ne pas faire pareillement de l'eau une divinité? Mais laissons ce point pour le présent. Pourquoi ne pas diviniser la terre? et le fumier? et le hoyau? Nous allons donc tout adorer ! Quelle sottise ! Et pourtant l'épi naîtrait plus aisément sans soleil, que sans terre et sans eau : de même pour les plantes et pour tout le reste. Si la terre n'existait point, rien de tout cela ne verrait le jour. Mettez de la terre dans un pot, comme font quelquefois les femmes et les enfants, et répandez là-dessus une épaisse couche de fumier; vous pourrez garder ce pot sous votre toit, des plantes, faibles à la vérité, pourront encore y pousser. La terre et le fumier jouent donc un plus grand rôle dans la végétation, et, par conséquent, seraient plus dignes d'adoration que le soleil. Celui-ci a besoin du ciel, besoin de l'air, besoin des eaux, comme d'un frein pour réprimer les ravages que sa force pourrait causer, et l'empêcher de déchaîner partout ses rayons comme des coursiers fougueux. Et dites-moi, ou est-il durant la nuit? Où émigre ce Dieu? La nature divine ne comporte point ces limites : elles sont le propre des corps. Mais on dira : il y a une force en lui, il se meut. Et cette force est un Dieu, dites-moi? Mais alors d'où vient qu'elle a besoin de quelque chose et ne peut contenir le feu des rayons? Je ne puis (lue répéter ce que j'ai dit. Qu'est-ce maintenant que celte force? Le pouvoir d'éclairer réside-t-il en elle, ou éclaire-t-elle par le moyen du soleil, sans (503) participer en rien de la lumière? Alors elle est inférieure au soleil. Jusques à quand nous perdrons-nous dans ce labyrinthe?

3. Mais l'eau? n'est-elle pas aussi une divinité? disent-ils. Quelle ridicule obstination ! Comment ne verrions-nous pas un Dieu dans ce qui nous sert à tant d'usages? Voilà ce qu'on dit, et l'on répète la même chose pour la terre. Quelle vérité dans ces paroles : « Dans la vanité de leur esprit, ayant l'intelligence obscurcie de ténèbres ». Mais voici qui s'applique à la conduite. Les païens sont fornicateurs et adultères. Rien de plus naturel. Se forgeant des dieux pareils, ils ont une vie conforme à leurs croyances, et s'ils peuvent échapper aux yeux des hommes, personne n'est désormais capable de les retenir. —  L'idée de la résurrection est impuissante ; ils la traitent de fable. De même pour l'enfer. Et contemplez cette aberration satanique. Quand on leur parle de dieux fornicateurs, ils ne voient pas là de fable, ils croient tout; et quand on leur parle du châtiment, ils répondent : Inventions de poètes, afin de renverser toutes les bases de la vie bienheureuse.

Mais les philosophes, dira-t-on, ont inventé de belles doctrines, supérieures à celles-là de tout point. Comment? Sont-ce ceux qui font jouer un rôle à la fatalité, excluent la Providence du monde, et attribuent tout, non à quelque dessein concerté, mais à une pure combinaison d'atomes? Sont-ce ceux qui nous proposent un Dieu corporel? Lesquels donc, dites-moi? Ceux qui supposent que les hommes ressemblent par l'âme aux chiens, et veulent nous faire croire que l'on a été précédemment chien, lion, poisson (1)? — Quand aurez-vous fini de déraisonner, de penser dans les ténèbres? Tout prouve en effet qu'ils sont dans les ténèbres, leurs paroles, leurs actions, leurs doctrines, leurs démarches. Celui qui est dans les ténèbres ne voit rien de ce qui est sous ses yeux ; et souvent il prend une corde pour un serpent. S'il vient à s'accrocher à une palissade, il s'imagine qu'un homme ou un démon le retient : de là mille frayeurs, mille alarmes... Tels sont les objets de leur crainte

« Ils craindront où il n'y aura pas sujet de « crainte ». Au contraire, ce qui devrait les effrayer ne les effraie point. Il en est des païens comme de ces enfants qui approchent leurs

 

1 Les pythagoriciens.

 

mains du feu sans précaution, s'élancent témérairement des bras de leurs nourrices vers la lumière des lampes, et qui tremblent à la vue d'un homme revêtu d'un sac. De même ces païens, à qui un des leurs (2) a dit justement : Grecs, vous êtes toujours enfants; les païens, dis-je, craignent certaines choses qui ne sont point des péchés, comme la malpropreté, le deuil, le lit, l'attente, que sais-je encore ? Mais, quant aux péchés véritables, comme la sodomie, l'adultère, la fornication, ils n'en tiennent aucun compte. Ils se lavent quand ils ont touché un mort, mais non pas quand ils ont fait des oeuvres de mort. Ils se donnent beaucoup de peine pour l'argent, et suspendent toute affaire, s'ils viennent à entendre le chant d'un coq, tant ils ont l'esprit aveuglé. Mille terreurs assiègent leur âme ; par exemple : Un tel est le premier qui m'ait rencontré, au moment où je sortais de chez moi; nécessairement il va m'arriver malheur sur malheur. Mon coquin d'esclave, en me donnant mes chaussures, m'a présenté d'abord celle de droite : accidents fâcheux, injures. Moi-même, en sortant, j'ai avancé d'abord le pied gauche : présage de malheur. Voilà pour les mauvais présages de la maison; dehors, un mouvement de mon oeil droit m'annonce des larmes (2).

Les femmes tirent de même des pronostics des bruits que la navette et le peigne font rendre aux baguettes du métier; si le peigne, promené avec trop de force sur la trame cause un cliquetis de baguettes, c'est pour elles encore un signe ; et on en citerait mille autres aussi ridicules. Qu'un âne vienne à braire, un coq à chanter, quelqu'un à éternuer, qu'il arrive quelque chose d'imprévu , aussitôt , comme je le disais, ces captifs, ces aveugles entrent en défiance, et montrent plus de craintes serviles qu'un millier d'esclaves. Ne les imitons pas; sachons rire de tout cela, comme des hommes pour qui luit la lumière, comme des citoyens du ciel, qui n'ont rien de commun avec la terre, et ne craignons qu'une chose : pécher, offenser Dieu... Excepté cela, bravons tout avec le diable, auteur de ces chimères. En conséquence, rendons grâces à Dieu ; efforçons-nous et d'éviter nous-mêmes un pareil esclavage, et d'en arracher ceux de

 

1 Platon.

2 Le texte parait altéré ici.

 

504

 

nos amis qui peuvent y être tombés, tirons-les de cette affreuse, de cette ridicule captivité, rendons-les plus dispos pour monter au ciel, ranimons leurs ailes engourdies, enseignons-leur la morale et la doctrine de la sagesse. Rendons grâces à Dieu en toute occurrence. Prions-le de ne pas nous déclarer indignes du présent qui nous a été fait; et en outre, faisons de notre côté, notre devoir, afin de ne pas enseigner seulement par nos discours, mais encore par notre exemple. Par là, nous pourrons obtenir la félicité sans mesure; à laquelle Unissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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