Analyse.
1-5. Eloge des chaînes. Captivité de saint Paul.
6-9. Exemples analogues empruntés à l'histoire de saint Pierre,
à celle des trois jeunes gens de Babylone.
1. C'est une vertu chez les docteurs de ne rechercher ni les hommages ni les éloges de leurs subordonnés, mais uniquement le salut de ceux-ci, et de tout faire dans ce but : celui qui agirait autrement ne serait pas un docteur, mais un tyran. Car si Dieu vous a préposé à eux, ce n'est pas pour que vous obteniez plus de respect; mais pour que, négligeant ce qui vous concerne, vous ne songiez qu'à les édifier. Tel est l'office d'un docteur : et tel se montrait le bienheureux Paul, qui, exempt de tout orgueil, se considérait comme un homme vulgaire, pour ne pas dire comme le dernier des hommes. Voilà pourquoi il s'appelle leur serviteur , et parle ordinairement en suppliant. Ici même, voyez comment son langage, loin d'être impérieux ou despotique, est humble et modeste : « Je vous conjure donc, moi chargé de liens pour le Seigneur, de marcher d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ». Pourquoi cette exhortation, dis-moi? Est-ce que tu désires quelque chose pour toi-même? Nullement, répond-il, je ne veux que sauver autrui. Cependant, quand on conjure, c'est généralement dans son propre intérêt. C'est justement que cela m'intéresse, répondra Paul voyez ce qu'il écrit ailleurs : « Maintenant nous vivons, si vous restez fermes dans le Seigneur ». Il ne cessait de souhaiter ardemment le salut de ses disciples. « Moi, chargé de liens pour le Seigneur ». Haute et sublime dignité, qui éclipse la royauté, le consulat et tous les autres honneurs.
De même il écrit à Philémon : Comme moi, le vieux Paul, qui de plus suis maintenant prisonnier de Jésus-Christ (9) ... C'est que rien n'est beau comme les chaînes portées pour Jésus-Christ, les chaînes qui ont étreint des mains si saintes. Etre enchaîné- pour Jésus-Christ, c'est plus glorieux que d'être apôtre, que d'être docteur, que d'être évangéliste. Qui aime Jésus-Christ, me comprend. Oui, il sait le prix des chaînes, celui qui brûle, qui est fou de l'amour du Seigneur, et il aimerait mieux être enchaîné pour Jésus-Christ que d'habiter les cieux. Plus resplendissantes que l'or, plus qu'aucun diadème; étaient les mains de Paul: ce bandeau couvert de pierreries qui ceint la tête des rois, ne leur donne pas tant de majesté que cette chaîne de fer subie pour Jésus-Christ. La prison de l'apôtre l'emportait en magnificence sur la demeure impériale; que dis-je? sur le ciel lui-même : car elle possédait en ce moment le prisonnier de Jésus-Christ. Et, si vous aimez Jésus-Christ, vous comprenez cette dignité, vous comprenez cette vertu, cette grâce accordée à la nature humaine de porter des chaînes pour Jésus-Christ. C'est peut-être plus glorieux que d'être assis à sa droite, plus auguste que d'occuper un des douze trônes qui entourent le sien. Et que dirai-je des choses humaines? Je rougirais de comparer à l'éclat de ces chaînes les (475) plus riches parures d'or. Quand on n'aurait d'ailleurs aucune rémunération à attendre, n'est-ce pas une récompense suffisante et très-grande, de souffrir beaucoup pour celui qu'on aime? Ils me comprennent sans effort, ceux dont le coeur est plein d'une affection profonde, sinon pour Dieu, au moins pour la créature. Ne leur est-il pas plus doux de s'immoler pour l'objet aimé que d'en recevoir les hommages? Mais il faut appartenir au choeur des saints apôtres pour avoir l'intelligence de cela. Entendez ce que raconte Saint Luc : « Ils sortaient du sanhédrin, pleins de joie, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir un affront pour le nom de Jésus-Christ ». (Actes, V, 41.) Que d'autres nous regardent comme ridicules, quand nous disons que c'est une gloire d'être outragé, une joie d'être couvert d'opprobre; ceux qui soupirent après Jésus-Christ regardent cela comme très-heureux. Si l'on me donnait à opter entre le ciel tout entier et la chaîne de saint Paul, je préférerais cette chaîne. J'aimerais mieux être en prison avec saint Paul, que d'être au ciel avec les anges. Si j'avais à me déterminer entre l'honneur de vivre au milieu des trônes et des puissances célestes, et celui d'être enchaîné avec saint Paul, je demanderais à être enchaîné, et j'aurais raison. Nul bonheur, en effet, ne vaut une telle captivité. Je poudrais être dans ces lieux où l'on garde encore, dit-on, ces fers qui ont pressé les mains de l'apôtre ; je voudrais les voir, et admirer ces hommes enflammés de l'amour du Christ; je voudrais voir ces chaînes que les démons redoutent, que les anges révèrent. Rien n'est doux comme de souffrir pour Jésus-Christ. Ce que j'envie, ce que j'admire dans saint Paul, c'est moins son ravissement au paradis que son cachot, moins les mystères qui lui furent révélés, que ses chaînes et ses souffrances. Et lui-même; il pensait ainsi; car il ne dit pas : Je vous prie, moi, à qui Dieu « A fait entendre des paroles que l'homme ne saurait redire », mais: « Moi qui suis dans les chaînes pour le Seigneur ».
2. Que s'il ne redit pas la même chose dans toutes ses épîtres, c'est qu'il n'était pas toujours prisonnier. Oui, j'aime mieux souffrir pour Jésus-Christ, que d'être glorifié par Jésus-Christ. Souffrir pour Jésus-Christ, c'est un honneur immense, c'est une gloire qui surpasse tout. Si Jésus lui-même, devenu esclave pour moi, et dépouillé volontairement de sa gloire, ne se trouva jamais glorieux comme au jour où il fut crucifié pour moi, que ne dois-je pas souffrir moi-même? Ecoutez plutôt ses propres paroles : « Glorifiez-moi , mon Père ». Que dites-vous? On vous conduit à la croix avec des brigands et des voleurs sacrilèges; vous allez subir le supplice des scélérats, être en butte aux crachats, aux soufflets, et vous appelez cela de la gloire? Oui, répond-il : car je souffre pour ceux que j'aime, et c'est là que je mets ma gloire. Si Jésus, dans son amour pour des malheureux, des misérables, mettait sa gloire en cela, et non à siéger sur le trône paternel, s'il trouvait sa gloire, non clans la gloire même, mais dans les humiliations, et en faisait l'objet de sa préférence , à plus forte raison dois-je, moi, mettre là ma gloire. O heureuses chaînes ! Heureuses mains que ces chaînes ont décorées ! Les mains de saint Paul, quand elles guérissaient, en le touchant, le perclus de Listres, étaient moins digues de vénération que serrées et meurtries de fers. Si j'avais vécu au temps de l'apôtre, j'aurais aimé à les embrasser, à les approcher de mes yeux, à les couvrir de baisers, ces mains jugées dignes d'être enchaînées pour le Seigneur. Vous vous étonnez qu'une vipère attachée à la main de Saint Paul ne lui fit aucun mal? La bête venimeuse respectait les chaînes qui enveloppaient cette main : la mer aussi révérait en elle la captivité passée -de l'apôtre. Le pouvoir de ressusciter les morts me fût-il donné, je l'estimerais moins que celui de porter ces fers. Et maintenant, si j'étais affranchi des sollicitudes du saint ministère, si j'avais une santé plus valide, rien ne m'empêcherait d'entreprendre un long volage pour voir les chaînes de saint Paul, pour visiter la prison où il fut captif. Bien qu'en plusieurs endroits il y ait des monuments de ses grandes actions, je ne trouve rien de si aimable que les stigmates de ses souffrances; et, dans les saintes Ecritures, il me plaît moins quand il opère dès miracles que lorsqu'il est maltraité, battu de verges, emprisonné. Sans doute, ils sont merveilleux, ces suaires, ces tabliers qui font des prodiges après lavoir revêtu; mais voici qui est plus merveilleux encore. «Après l'avoir meurtri et l'avoir chargé de coups, ils le jetèrent dans un cachot », et encore : « Enchaînés, ils louaient Dieu », enfin : « Après l'avoir (476) lapidé, ils le traînaient hors de la ville, croyant qu'il était mort ». (Actes, chap. XVI.)
Voulez-vous savoir ce que c'est que de porter des fers pour Jésus-Christ? Ecoutez le Sauveur lui-même : « Vous êtes heureux », dit-il. Et en quoi, Seigneur, sommes-nous heureux? Serait-ce de rappeler les morts à la vie? Non. Serait-ce de rendre la vue aux aveugles? Non. En quoi donc sommes-nous heureux ? « Quand les hommes vous persécutent, qu'ils vous chargent d'outrages, qu'ils vous calomnient à cause de moi ». Eh bien ! si des invectives suffisent pour nous rendre si heureux, que sera-ce des mauvais traitements? Ecoutez le même saint, qui nous dit ailleurs : « Désormais la couronne de justice m'attend ». (II Timoth. IV, 8.) Mais cette couronne ne brille pas autant que ces fers. Dieu me jugera digne de cette récompense, dit-il, et je m'inquiète peu du reste. Pour toute rétribution, il me suffit d'avoir souffert pour le Christ. Qu'il me donne le droit de dire : « Je consomme ce qui manque aux « tribulations du Christ dans ma chair ». (Coloss. I, 24.) C'est tout ce que je demande... Pierre aussi fut jugé digne de porter ces chaînes : il était enchaîné , est-il écrit, livré aux soldats, et il dormait. Il était si content, si peu chagrin, qu'il dormait. Il ne serait pas tombé dans un profond sommeil, s'il avait été en proie aux inquiétudes. Il dormait, bien qu'environné de soldats : un ange vint vers lui, et lui frappant le flanc, l'éveilla. Si maintenant l'on venait me dire : Lequel voudriez-vous être, de l'ange qui éveilla Pierre, ou de Pierre qu'il fit échapper? J'aimerais mieux être Pierre, en faveur de qui l'ange descendit... Poissé je jouir de pareilles chaînes ! Et pourquoi donc, dira-t-on, Pierre prie-t-il alors, comme un homme échappé à un grand malheur? Ne vous en étonnez point : il prie, parce qu'il craint la mort ; et s'il craignait la mort, c'est parce qu'il espérait trouver dans la vie de nouvelles occasions de souffrance. Ecoutez du moins ce que dit encore le bienheureux Paul lui-même : « Partir et être avec le Christ , cela est bien préférable; mais rester dans la chair est plus nécessaire à cause de vous ». (Philipp. I, 23, 24.) Il appelle même cela une grâce dans ce passage « Le Christ vous a fait la grâce, non-seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui ». Ceci est donc préférable à cela, comme venant de la grâce. Oui, c'est une grâce que de souffrir pour Jésus-Christ, une grâce plus haute que d'arrêter le soleil et la lune, de remuer le inonde. Je la préfère au pouvoir de vaincre et de chasser les démons. Ceux-ci sont moins vexés quand notre foi les chasse, que lorsqu'ils nous voient enchaînés pour Jésus-Christ. Ce qui fait le bonheur d'être enchaîné pour Jésus-Christ, c'est moins l'espérance de régner un jour avec lui que la pensée de souffrir pour lui.
3. Je proclame les chaînes heureuses, non parce qu'elles ouvrent le ciel, mais parce qu'elles sont portées pour le Maître élu ciel. Quel plaisir, quel honneur, quelle gloire de se dire qu'on est prisonnier pour Jésus-Christ! Ce sont là des choses dont je voudrais sans cesse parler. Je voudrais tenir cette chaîne, y être attaché, et, privé en réalité de cet avantage, je veux que du moins; par la pensée, par le désir, mon âme en soit enlacée. « Le cachot fut ébranlé », est-il écrit, « quand Paul était enchaîné, et les chaînes de tous tombèrent». (Actes, XVI, 26.) Voyez-vous ces chaînes qui font tomber d'autres chaînes ? Car, ainsi que la mort du Seigneur tua la mort, ainsi les chaînes de Paul délivrèrent ceux qui étaient enchaînés, ébranlèrent la prison, en ouvrirent les portes : et cependant le propre des chaînes est de produire un effet tout contraire, de tenir-le prisonnier solidement attaché, et non de lui ouvrir un passage dans les murailles. Mais si la nature des chaînés n'est point telle en soi, telle est celle des chaînes portées pour le Christ. Le geôlier tomba aux pieds de Paul et de Silas. Ce n'est pas non plus un effet propre à toutes les chaînes, que de faire tomber aux pieds des prisonniers les auteurs de leur captivité, ruais tout au contraire de mettre les premiers à la disposition des seconds. Ici, c'est l'homme en liberté qui tombe aux pieds du captif; c'est celui qui avait rivé les fers, qui conjure le prisonnier de calmer son épouvante. N'est- ce donc pas toi, dis-moi, qui as formé ces noeuds? n'est-ce pas toi qui as jeté ces hommes au fond de ce cachot? qui as serré leurs pieds dans des entraves? D'où te vient ce tremblement? ce trouble , ces larmes ? Pourquoi tirer ton glaive? Jamais je n'ai enchaîné rien de pareil, répond-il : je ne savais pas quel était le pouvoir des prisonniers du Christ. Que dis-tu? Ils ont reçu la permission d'ouvrir les cieux, (477) et ils ne pourraient ouvrir un cachot? Ils ont délié ceux qui étaient. au pouvoir des démons, et les fers auraient eu raison d'eux-mêmes? Tu ne les connaissais pas : voilà ton excuse. Ce prisonnier, c'est Paul, que tous les anges ont en vénération; c'est Paul, dont les suaires et les tabliers ont mis les démons en fuite, chassé les maladies; et pourtant les chaînes du démon sont bien plus dures et bien plus difficiles à briser que le fer, car elles enchaînent l'âme, tandis que le fer ne lie que le corps. Comment donc celui qui délie les âmes, n'aurait-il pas eu la force de délier son corps? Comment celui qui brise les liens des dénions, n'aurait-il pas brisé des attaches de fer? Comment celui dont les vêtements, d'eux-mêmes, délivrent les captifs que j'ai dit, et éloigne d'eux les démons, comment ne se serait-il pas mis lui-même en liberté? S'il a été enchaîné, pour remettre ensuite les captifs en liberté, c'est pour que tu voies combien les serviteurs du Christ, dans les fers, ont plus de force que des hommes en liberté. S'il avait fait la même chose étant en liberté, la merveille serait moins grande : de sorte que ses chaînes témoignent non de sa faiblesse, mais de son pouvoir. En effet, rien n'est plus propre à faire éclater la puissance du saint, que de le voir triompher, dans les fers, de ceux qui n'en portent pas, que de le voir, dans les fers, délivrer en même temps que lui-même ses compagnons de captivité. A quoi bon ces murailles? à quoi bon l'avoir précipité dans la partie la plus reculée de la prison, puisqu'il a su ouvrir jusqu'à la partie extérieure? Mais pourquoi ce miracle s'opéra-t-il de nuit, et fut-il accompagné d'un tremblement de terre? Pardonnez-moi si je m'écarte un peu des paroles des apôtres pour m'arrêter avec complaisance sur leurs actions; laissez-moi m'enivrer de cette captivité de Paul, et souffrez que j'en parle encore. J'ai saisi la chaîne, personne ne me l'arrachera; me voilà mieux retenu par lamour que Paul lui-même par ses entraves. Cette chaîne-ci, personne ne la brise : car elle vient de l'amour du Christ; ni les anges, ni le royaume des cieux ne sauraient la rompre écoutez plutôt ce que dit Paul lui-même : « Ni les anges ni les principautés, ni les choses présentes ni les choses futures, ni la hauteur ni la profondeur, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Jésus-Christ ». (Rom. VIII, 39.)
Pourquoi donc ce miracle advint-il au milieu de la nuit? et pourquoi ce tremblement de terre? Ecoutez le dessein de Dieu, et reste, confondus. Les chaînes de tous furent brisées, et les portes s'ouvrirent. Mais ce prodige arriva uniquement à cause du geôlier, non pour l'éblouir, mais pour le sauver. La preuve que les prisonniers ignoraient leur délivrance, elle résulte des paroles de Paul. En effet, il cria à haute voix : « Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici ». (Actes XVI, 28.) Ils n'auraient pas été tous là, s'ils avaient vu les portes ouvertes, et leurs chaînes à leurs pieds. Des hommes habitués à percer les cloisons, à monter sur les toits et les corniches, et prêts à tout tenter en dépit de leurs chaînes, cane fois leurs chaînes tombées et tes portes ouvertes; n'auraient pu se résigner à rester dans la prison, surtout lorsque le geôlier était lui-même endormi. Mais s'ils n'étaient plus retenus par des chaînes de fer, ils l'étaient par celles du sommeil... Les choses avaient été ainsi disposées afin que le miracle pût avoir lieu sans causer aucun préjudice au gardien qui devait être sauvé; sans compter que tes prisonniers sont attaches la nuit avec un soin particulier. On peut donc les voir de nouveau très-solidement enchaînés et donnant. Si cela était arrivé de jour, le désordre eût été grand. Mais pourquoi donc la maison fut-elle ébranlée? Afin que le geôlier se réveillât pour voir ce qui se passait car il méritait seul d'être sauvé.
4. Veuillez considérer maintenant l'infinie bonté du Christ. Car il ne faut pas que la captivité de Paul nous fasse oublier la grâce du Sauveur; ou plutôt n'en est-elle pas, elle-même, une preuve. Quelques-uns trouvent mauvais que le geôlier ait été sauvé, et au lieu d'un sujet d'admirer la bonté divine, ne voient là qu'une occasion de critiques : il ne faut pas s'en étonner. Telle est l'humeur des faibles : ils s'en prennent à l'aliment même dont ils se nourrissent, au lieu de le, vanter, et proclament que le miel est amer. Les aveugles ne reçoivent que ténèbres du foyer qui devrait les éclairer : ce n'est point la faute de la nature, mais celle de leurs organes incapables d'user des choses comme il faudrait. Que disais-je donc? Au lieu d'admirer que Dieu ait relevé et rendu meilleur un homme tombé dans un abîme de méchanceté, ils disent : Et comment ne vit-il pas là une supercherie, un sortilège? Comment, plutôt, ne resserra-t-il (478) pas leur captivité, n'appela-t-il point au secours? Pour bien des raisons : d'abord il les avait entendus louer Dieu; et des enchanteurs n'auraient jamais chanté de tels hymnes. Il est écrit : « Il les entendit louer Dieu ». En second lieu, loin de s'enfuir, ils l'empêchèrent de se donner la mort : s'ils avaient agi dans leur intérêt, ils ne seraient pas restés dans le cachot, et auraient commencé par se tirer d'affaire eux-mêmes. Mais ils firent preuve d'une grande bonté : ils l'empêchèrent de se tuer, lui qui les avait chargés de fers : c'est comme s'ils lui avaient dit: Tu nous as mis en lieu sûr, en nous enfermant dans la partie la plus reculée du cachot; tu nous as durement enchaînés : c'est pour que tu sois affranchi toi-même de la plus rigoureuse des captivités. Chacun, en effet, est étreint dans les chaînes de ses propres péchés : chaînes maudites; celles-ci, au contraire, sont des chaînes de félicité,qu'il faut souhaiter de tous ses voeux... Que ces dernières brisent les autres, Dieu te l'a fait voir par un exemple sensible. As-tu vu tomber les chaînes de fer qui chargeaient tes prisonniers? Eh bien ! tu te verras toi-même déchargé d'autres chaînes pesantes. Ces chaînes, j'entends celles des prisonniers, non celles de Paul, représentent celles du péché. Ces prisonniers l'étaient doublement. Le geôlier était prisonnier lui-même. Les prisonniers étaient enchaînés dans leurs fers et dans leurs péchés; le geôlier était captif de ses seuls péchés. Paul délivra les premiers pour éclairer l'autre : car ces chaînes étaient visibles.
Jésus tint une conduite pareille, ou plutôt inverse. Il avait affaire à une double paralysie, celle des péchés et celle du corps. Que fit-il en cette occurrence? « Aie confiance, dit-il, mon enfant, tes péchés te sont remis ». (Matth. IX, 2.) Il commence par la vraie paralysie , avant d'arriver à l'autre... « Quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : Celui-ci blasphème. Mais comme Jésus avait vu, leurs pensées, il dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos coeurs? Lequel est le plus facile de dire : tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et retourne en ta maison ». (Matth. IX, 3-6.) Il prouvait ainsi la vérité impalpable par le fait sensible , il partait du corps pour arriver à l'âme. Et pourquoi agit-il ainsi? Afin d'accomplir la parole : « Mauvais serviteur, c'est par ta propre bouche que je te jugerai ». (Luc, XIX, 22.) Que disaient les scribes? Nul ne peut remettre les péchés, si ce n'est,Dieu seul : ni ange, ni archange, ni aucune autre puissance créée n'a cette faculté. Vous en êtes tombés d'accord. Que fallait-il donc dire? Si je montre que je remets les péchés, il est évident que je suis Dieu... Il ne dit pas cela:que dit-il donc? «Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit, et retourne en ta maison ». C'est comme s'il disait : Quand j'aurai fait le plus difficile, il est clair qu'en ce qui regarde le plus facile il ne vous restera plus de refuge ni de prétexte à m'opposer. S'il commence par ce miracle impalpable, c'est parce que ses adversaires étaient en grand nombre. Après cela, il passa à un prodige sensible. Donc le geôlier pouvait croire sans faiblesse d'esprit : il avait vu les prisonniers : il ne les avait ni vus ni entendus faire ou dire rien de coupable; il n'avait été témoin d'aucun sortilège : ils louaient Dieu; il les avait vus déployer en toutes choses une bonté parfaite : car ils ne s'étaient pas vengés de lui, le pouvant. Ils auraient pu s'échapper et délivrer en même temps les prisonniers : ou tout au moins s'évader eux-mêmes. Ils n'en firent rien : de sorte qu'ils le pénétrèrent de respect, non-seulement par le miracle, mais encore par leur manière d'agir. Ecoutez plutôt Paul crier d'une voix, forte : « Ne te fais aucun mal; car nous sommes tous ici ». Voyez-vous cette simplicité, cette modestie, cette charité. Il ne dit pas : Cela est arrivé à cause de nous : il dit comme s'il était le premier venu des prisonniers: « Car nous sommes tous ici ». Cependant s'ils n'avaient pas pris les devants et profité du miracle pour s'évader, ils pouvaient au moins se taire, et délivrer tous les prisonniers : car s'ils avaient gardé le silence, au lieu de retenir le geôlier par un grand cri, cet homme se serait percé la gorge de son épée. Si Paul cria, c'est encore parce qu'on l'avait relégué au fond de la prison. C'est comme s'il avait dit : Tu as agi contre toi-même, en jetant au fond du cachot ceux qui devaient te sauver. Mais ils n'imitèrent pas sa. conduite à leur égard. S'il était mort, tous se seraient enfuis.
5. Vous le voyez : ils aimèrent mieux rester (479) captifs, que de laisser périr leur gardien. Aussi raisonna-t-il ainsi en lui-même : Si c'étaient des sorciers , ils n'auraient pas manqué de s'évader et de délivrer les autres : car sans doute il avait vu entrer dans le cachot bien des hommes de cette espèce. D'ailleurs il avait bien des fois eu des sorciers sous sa garde, jamais rien de pareil n'était arrivé. Il reste donc étonné. Un sorcier n'aurait pas ébranlé les fondations pour réveiller le geôlier, et rendre sa fuite à lui plus difficile. Mais considérons maintenant la foi de cet homme : « Ayant demandé de la lumière, il entra : et, tout tremblant, il tomba aux pieds de Paul et de Silas ; et, les faisant sortir, il demanda: Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » Il tenait du feu, une épée : et il dit : « Seigneur, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » Ils lui répondirent . « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta maison ». (Actes, chap. XVI.) Ce ne sont pas des enchanteurs, pensa-t-il , qui pourraient m'enseigner cette doctrine : il n'est pas question ici du démon. Voyez-vous combien il méritait d'être sauvé? Témoin du prodige, délivré de sa frayeur, il n'oublie pas les choses importantes : dans un tel péril il se préoccupe du salut de son âme, il aborde les docteurs. comme il convenait de le faire; il tombe à leurs pieds : « Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, à lui et à tous ceux qui étaient dans sa maison. Et lui, les prenant à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et il fut baptisé, lui et toute sa maison aussitôt après ». Voyez-vous la ferveur de cet homme ? Il ne diffère point, il ne dit pas : Attendons le jour, nous verrons, nous examinerons: pleins de ferveur, lui, toute sa maison courent au baptême.
Ce n'est pas comme de nos jours, où tant de personnes souffrent que leurs serviteurs, leurs femmes, leurs enfants, restent étrangers à nos mystères. Devenez, je vous en conjure, pareils à ce geôlier, je ne dis point par le rang, mais par la volonté. Et quelle est l'utilité du rang, quand, la volonté est impuissante ? Chose admirable ! Ce cruel, ce barbare, ce pervers, occupé sans cesse à faire le mal, devient tout à coup la bonté, la charité même. « Il lava leurs blessures». Considérez de nouveau la ferveur de Paul ; c'est dans les chaînes, c'est tout meurtri de coups, qu'il évangélisait. O bienheureuse chaîne ! quel enfantement fut le sien dans cette nuit! quelle progéniture elle mit au monde ! Voilà ceux dont on peut dire : « Ceux que j'ai engendrés, dans mes fers ». Voyez-vous comment il se vante de sen sort, afin qu'il en rejaillisse un peu d'éclat jusque sur ses enfants ? Voyez-vous quelle est cette gloire des chaînes, qui illustre non-seulement celui qui les porte, mais encore ceux qu'il engendre durant sa captivité ? Ceux que Paul a engendrés étant captifs ont un avantage sur les autres, je ne dis pas selon la grâce, qui est la même pour tous, ni selon la rémission qui est commune à tous, mais à cause de cet enseignement qui leur est donné tout d'abord afin qu'ils trouvent un sujet de joie et d'allégresse dans les contre-temps de ce genre. « Les prenant à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et il fut baptisé ». Voyez-en maintenant le fruit: sur-le-champ il reconnaît ce bienfait par des présents charnels : « Les ayant conduits chez lui, il leur servit aussitôt à manger ; et il se réjouit avec toute sa maison de ce qu'il avait cru en Dieu ». Que ne devait-il pas faire en effet, quand le ciel venait de lui être ouvert, en même temps que s'était ouvert le cachot. Il lave son maître, lui sert à manger, et se livre à l'allégresse. En pénétrant dans le cachot, la chaîne de Paul en avait fait une église, avait transformé tout le monde en un corps, celui du Christ, servi le banquet spirituel, et enfanté les fruits qui font la joie des anges. Avais-je tort de dire que celte maison était plus glorieuse que le ciel ? En effet, si le ciel se réjouit, ce fut grâce à cet événement terrestre. Que si c'est fête au ciel pour un seul pécheur repentant, si deux personnes réunies au nom du Christ ont le Christ même au milieu d'elles, à combien plus forte raison devait-il être ainsi de cette réunion où figuraient Silas, Paul, le geôlier et toute sa maison, avec une foi pareille. Voyez l'ardeur de cette foi. Mais cette prison m'en rappelle une autre. Laquelle donc ? Celle de Pierre. Mais là rien de pareil.
Pierre avait été mis sous la garde de quatre bandes de quatre soldats : il ne chantait, ni ne veillait ; il était endormi. Il n'avait pas été non plus flagellé : mais le péril était plus grand. Tout était accompli pour Paul et bilas; ils avaient été punis : Pierre n'avait pas encore subi sa peine. De sorte que s'il ne ressentait pas la douleur des coups, il était en proie aux tourments de l'attente. Mais voici un nouveau (480) prodige: « Un ange du Seigneur se présenta et une lumière brilla dans la prison; alors l'ange, frappant Pierre au côté, le réveilla, disant : Lève-toi promptement. Et les chaînes tombèrent de ses mains ». (Actes, chap. XII.) Afin que Pierre ne croie pas,n'avoir devant lui qu'une lueur, il le réveille. Personne ne voyait la lumière, excepté lui, et il croyait à une vision : ceux qui dorment ne s'aperçoivent pas des bienfaits de Dieu. «Alors l'ange lui dit : Ceins-toi, et mets ta chaussure à tes pieds. Et il fit ainsi. Et l'ange dit : « Prends ton vêtement autour de toi, et suis-moi. Et sortant , il le suivait, et il ne savait pas que ce qui se faisait par l'ange fût véritable, car il croyait avoir Une vision. Or, ayant passé la première et la seconde garde, ils vinrent à la porte de fer qui mène à la ville; elle s'ouvrit d'elle-même à eux. Et sortant , ils s'avancèrent dans la rue; et aussitôt l'ange le quitta ».
6. Pourquoi les choses ne se passèrent-elles pas ici comme pour Paul et Silas ? Parce qu'on devait relâcher ceux-ci ; voilà pourquoi Dieu ne voulut pas qu'ils fussent délivrés de leurs chaînes. Saint Pierre, au contraire, devait être conduit au supplice. Mais quoi , dira-t-on, n'aurait-il pas été plus merveilleux qu'il fût traîné au supplice, remis entre les mains du roi , et alors seulement arraché sain et sauf du milieu des périls? de cette façon les soldats aussi auraient échappé à la mort. C'est soulever une grande question. On dit que Dieu, pour sauver son serviteur, a frappé , exterminé d'autres personnes. Que répondre à cela? D'abord, que Dieu n'a frappé personne; et en second lieu , que si ces gens périrent, leur mort n'est imputable qu'à la barbarie de leur juge et non au plan de la Providence. Comment cela? Dieu avait arrangé les choses de telle sorte qu'Hérode, loin de perdre autrui , fût sauvé lui-même, comme le geôlier de Paul : mais il ne sut pas profiter de ce bienfait. « Quant il fit jour, est-il écrit, il n'y eut pas peu de trouble parmi les soldats, au sujet de ce que Pierre était devenu». Après? Hérode fait urne enquête, interroge les gardiens, les fait conduire au supplice. On pourrait l'excuser, s'il ne les avait point interrogés. Mais il les avait mandés, questionnés; il avait appris que Pierre était enchaîné, que la prison était bien fermée, que les gardes veillaient aux portes : il n'y avait ni cloison percée, ni porte ouverte, ni aucun autre indice de fraude.
Hérode, alors, aurait dû admirer la puissance de Dieu qui avait su arracher Pierre, du milieu des périls , et adorer ce Dieu puissant; loin de là, il fit emmener les soldats au supplice. Comment donc Dieu serait-il responsable en ceci? S'il avait fait percer une cloison, et qu'il eût sauvé Pierre par cette voie , l'évasion aurait pu être imputée à la négligence des soldats : mais s'il avait tout disposé pour qu'il fût démontré que la ruse humaine n'était pour rien dans l'affaire, et que la puissance divine avait seule opéré le prodige, pourquoi Hérode agit-il de la sorte? Si Pierre avait voulu fuir, il se serait enfui avec ses chaînes; s'il avait dû fuir tout alarmé , il n'aurait pas eu la présence d'esprit de prendre ses sandales. Si l'ange lui dit : Chausse tes sandales, c'est afin que l'on vît bien qu'il était parti non en fugitif, mais tout à son aise. Enchaîné entre deux soldats , il n'aurait pas eu le temps de rompre ses chaînes , et cela, quand il était dans l'endroit le plus retiré du cachot. C'est donc à l'iniquité du juge qu'il faut imputer le supplice des gardes. Sinon, pourquoi les Juifs ont-ils agi autrement? En effet cette captivité m'en rappelle encore une autre : la première avait Rome pour théâtre, la seconde Césarée, celle-ci Jérusalem. Les princes des prêtres et les pharisiens reçoivent de ceux qu'ils avaient envoyé chercher Pierre dans sa prison, la nouvelle suivante : Nous n'avons trouvé personne; les portes étaient fermées pourtant, et les gardes en sentinelle devant les portes. Pourquoi ne firent-ils pas alors périr les gardes, au lieu de se demander les uns aux autres dans leur incertitude : Qu'est-ce que cela peut être? Que si malgré la soif de sang qui les dévorait, ils n'imaginèrent rien de pareil, à plus forte raison devais-tu faire comme eux, toi qui ne songeais qu'à leur plaire. Aussi le châtiment d'Hérode ne se fit-il pas longtemps attendre.
Si vous accusez Dieu de ces exécutions, il faut l'accuser aussi des meurtres qui se commettent sur les routes , et de tant d'autres homicides, et de la mort des enfants tués à cause du Christ : car c'est, dites-vous, le Christ qui causa leur mort ; rirais c'est bien plutôt la fureur et la tyrannie du père d'Hérode. Direz-vous : Pourquoi Dieu ne les a-t-il pas arrachés des mains d'Hérode? Il pouvait (481) le faire. Mais cela n'eût servi de rien. Combien de fois le Christ n'est-il pas échappé des mains de ses ennemis? Et quel profit' en revint-il à ces ingrats? Dans l'histoire qui nous occupe, le profit que les fidèles ont retiré des événements est manifeste : le récit qui en a été fait, le témoignage rendu par les ennemis eux-mêmes, ont rendu les faits avérés. Si dans l'autre histoire, ce qui ferma la bouche aux Juifs, ce fut de venir sur le théâtre des événements , et d'en reconnaître la vérité , il en était de même ici. Pourquoi le geôlier ne fit-il rien de pareil? Cependant, ce qui était arrivé à Hérode n'était pas moins miraculeux. Voir les portes ouvertes, n'était pas une chose plus merveilleuse que d'apprendre une évasion consommée , portes closes. Et même dans le premier cas on pouvait croire à une illusion : tandis qu'ici un récit exact ne laissait nulle place à. un pareil soupçon. En conséquence, si cet homme avait été aussi méchant qu'Hérode , il aurait égorgé Paul, comme Hérode , les soldats. Mais il était meilleur. Quant à ceux qui demandent pourquoi Dieu a permis le meurtre des petits enfants , leur répondre, ce serait nous engager dans un discours plus long que celui que nous nous proposions de vous tenir en commençant...
7. Nous venons de rendre grâces aux chaînes de Paul, de montrer combien nous leur sommes redevables: arrêtons ici ce discours, après vous avoir exhortés non-seulement à ne pas gémir des épreuves que vous pouvez avoir à endurer pour le Christ, mais encore à vous en réjouir comme les apôtres, et à vous en glorifier, suivant le mot de Paul : « Je me glorifierai avec délices dans mes infirmités ». Voilà pourquoi il lui fut dit : « Ma grâce te suffit ». (II Cor. XII, 9.) Paul se glorifie de ses fers, et vous êtes fiers, vous, de vos richesses. Les apôtres se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de la flagellation, et vous, vous recherchez le repos, la mollesse? Comment donc voulez-vous être récompensés comme eux, si vous suivez une voie tout opposée? « Et maintenant, dit Paul, lié par l'Esprit, je m'en vais à Jérusalem, ignorant ce qui doit m'y arriver; si ce n'est que, dans toutes les villes, l'Esprit-Saint m'atteste que des chaînes et des tribulations m'attendent à Jérusalem ». (Actes, XX, 22, 23.) Pourquoi donc y aller, si des chaînes et des tribulations t'attendent? C'est justement pour cela que j'y vais, répond-il, afin d'être enchaîné pour le Christ, afin de mourir pour lui. Car je suis prêt, non-seulement à porter des fers, mais encore à mourir pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Rien de plus fortuné qu'une âme pareille. Où trouve-t-elle sa gloire? Dans les chaînes, les tribulations, les liens, les stigmates... « Je porte dans ma bouche les stigmates du Seigneur Jésus-Christ », dit-il, comme si c'était un glorieux trophée; et encore : « A cause d'Israël, je suis enveloppé de cette chaîne » ; et ailleurs: « Dont j'exerce la légation dans les chaînes ». Qu'est-ce à dire? tu ne rougis point? Tu n'as pas peur de ce monde que tu traverses en prisonnier? Tu ne crains pas que quelqu'un n'accuse ton Dieu de faiblesse? que cela n'empêche quelqu'un de venir à lui? Telles ne sont pas mes chaînes, répond-il elles brillent jusque dans les palais. « En sorte que mes liens sont devenus célèbres dans tout le prétoire; et que plusieurs de nos frères dans le Seigneur, encouragés par mes liens, ont beaucoup plus osé annoncer sans crainte la parole de Dieu». (Philipp. I, l3,14.) Voyez-vous le pouvoir des liens, supérieur à celui des résurrections : ils m'ont vu enchaîné, et n'en sont que plus confiants. Car où il y a des liens, il se passe nécessairement quelque grande chose; où il y a tribulation, il y a nécessairement salut, nécessairement repos, nécessairement oeuvres de grande vertu. C'est quand le diable regimbe, qu'il est frappé; c'est quand il enchaîne les serviteurs de Dieu, que la parole fait le plus de progrès. Et voyez comment partout la même chose arrive. Il est emprisonné, et dans sa prison, voilà ce qui l'occupe : « Dans mes fers », écrit-il. Il est emprisonné à Rome, et convertit beaucoup de personnes : car il n'était pas le seul qui eût confiance : beaucoup d'autres étaient en sécurité grâce à lui. Il est emprisonné à Jérusalem ; chargé de chaînes, il harangue le roi, l'épouvante, effraye son juge qui, dans sa terreur, dit-il, le mit en liberté, et ne rougit pas d'être instruit au sujet de l'avenir par celui qu'il avait enchaîné... Enchaîné sur un vaisseau, il empêche un naufrage et réprime une tempête. Chargé de chaînes, il est assailli par une bête dangereuse qui ne réussit pas à lui faire aucun mal. Il est lié à Rome, et, tout lié qu'il est, il harangue le peuple, il convertit (489) des milliers de personnes; pour toute arme, n'ayant qu'une simple chaîne.
Mais on ne peut plus aujourd'hui se faire enchaîner. On. le peut d'unie autre manière, pour peu qu'on le veuille. Comment cela? Il suffit de commander à ses mains de ne point s'abandonner à la convoitise. C'est de cette chaîne qu'il faut nous lier nous-mêmes : (lue la crainte de Dieu nous tienne lieu de fers. Délions ceux qui sont enchaînés par la pauvreté, par la tribulation. Ouvrir les portes d'une prison, c'est moins méritoire que de mettre en liberté une âme captive; ôter à des prisonniers leurs liens, c'est moins que de délivrer ceux qui souffrent. Dans le premier cas, il n'y a point de récompense promise; dans le second, il y en a d'innombrables. Longue est la chaîne de Paul, car elle a pu nous envelopper tous; oui, longue, et plus magnifique que la première venue des chaînes d'or. Elle attire au ciel, comme au moyen d'une machine, ceux qui en sont enlacés; comme une chaîne d'or suspendue, elle nous élève jusque dans les cieux ; et ce qu'il y a de merveilleux , c'est qu'elle attire en haut ceux qu'elle enlace ici-bas. Cela répugne à la nature. Mais ne cherchez pas à retrouver l'ordre de la nature dans les événements que Dieu conduit : tout y surpasse l'ordre naturel. Apprenons à ne pas nous décourager, à ne pas nous irriter dans les tribulations. Voyez ce bienheureux : il avait été flagellé, et flagellé cruellement : « Leur ayant donné nombre de coups », est-il écrit. Il avait été enchaîné, et enchaîné avec rigueur : car on l'avait jeté dans la partie la plus reculée du cachot, et mis sous bonne garde. Eh bien! au milieu de toutes ces épreuves, au fort de la nuit, quand les plus éveillés succombent au sommeil, comme au poids d'une chaîne plus lourde encore, ces hum mes chantaient, louaient le Seigneur. Quel bronze ne paraîtrait faible auprès d'âmes pareilles ! Ils songeaient aux trois enfants qui, eux aussi, chantaient dans le feu de la fournaise: peut-être se disaient-ils Jamais nous n'avons été soumis à une aussi rude épreuve. Mais sachons gré au discours de nous avoir amenés devant ces autres chaînes et cet autre cachot.
8. Que faire? Je voudrais me taire, et cela m'est impossible. Me voici en présence d'une autre captivité encore bien plus merveilleuse et plus étonnante. Veuillez m'écouter, comme si je commençais à. parler, et me prêter une attention toute fraîche. Je voudrais couper court et le sujet m'en empêche. Quoi qu'on vienne dire à un buveur, on ne lui persuadera pas de déposer la coupe qu'il porte à ses lèvres: et moi, à présent que j'ai saisi cette coupe miraculeuse des captivités souffertes pour le Christ, je ne puis m'arrêter, je ne puis me taire. Si Paul lui-même ne se tut point quand il était en prison, quand il faisait nuit, et pas même quand on le flagellait, irai-je me taire, moi, quand il est jour, que je suis tranquillement assis, que je parle tout à mon aise, au rebours de ces prisonniers, de ces flagellés, que la nuit même ne pouvait réduire au silence?
Les enfants ne se taisaient point dans le feu de la fournaise : et nous ne rougirions pas de nous taire? Considérons donc encore cette nouvelle captivité. Paul aussi était lié; mais dès le principe il avait été signifié qu'il n'était pas destiné au feu, mais à la prison. Car à quoi bon lier des hommes qui doivent être brûlés? Les trois enfants avaient les pieds et les mains liés, ainsi que Paul; leur bourreau n'avait pas moins de fureur. En effet, si l'autre fit jeter Paul au fond de la prison, celui-ci lit chauffer fortement la fournaise. Mais voyons ce qui suivit. Nos chrétiens louaient Dieu: leur prison fut ébranlée, et les portes s'ouvrirent. Les enfants louaient Dieu : les chaînes tombèrent de leurs pieds et de leurs mains ; leur prison s'ouvrit, les portes de la fournaise cédèrent car la rosée de l'Esprit y pénétrait. Mais je me sens déborder. Je ne sais par où commencer, par quoi continuer. Je vous prie donc de n'exiger de moi aucun ordre : tout ici se tient. Ceux qui étaient avec Paul et Silas furent déliés, bien qu'endormis. Ici, ce fut autre chose qui arriva: ceux qui avaient jeté les enfants dans la fournaise furent brûlés. Mais voici ce que je voulais dire. Le roi vit les enfants délivrés, et il tomba à leurs pieds; il les entendit chanter, il vit quatre personnes marcher, et il les appela. Ainsi que Paul n'avait pas voulu sortir, bien qu'il le pût, jusqu'à ce qu'il eût été mandé et mis en liberté par celui qui l'avait jeté en prison, les trois enfants ne sortirent pas non plus, avant qu'ils en eussent reçu l'ordre de celui qui les avait condamnés. Quel enseignement lirons-nous de la? De ne pas nous hâter dans les supplices, de ne pas nous presser dans les tribulations, et de n'y pas rester non plus, quand on nous en délivre. Le roi donc (483) tomba à genoux; il pouvait entrer dans l'endroit où étaient les saints ; mais il se tint à la porte : car il n'osait pénétrer dans l'intérieur du cachot brûlant qu'il leur avait préparé. Veuillez considérer maintenant ces paroles : « Seigneurs, dit le geôlier, que faut-il que je a fasse pour être sauvé? » Le roi parle avec moins d'humilité, mais non pas moins de douceur : « Sedrach, Misac, Abdénago, serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ». (Dan. III, 93.) Quel honneur ! « Serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ». Et comment pourraient-ils sortir, ô roi ? Tu les as enchaînés et jetés dans la fournaise, où ils sont depuis longtemps. Quand ils seraient de bronze, de métal, n'auraient-ils pas péri depuis qu'ils ont commencé à chanter leur hymne?
Mais c'est ce chant même qui les a sauvés. Le feu respecta leur ferveur, leur chant, leurs hymnes admirables. Quel nom leur donnes-tu? Je l'ai déjà dit : « Serviteurs du Dieu très-haut». Tout est possible aux serviteurs de Dieu. S'il y a des serviteurs de maîtres mortels qui partagent leur autorité et la gestion de leurs biens , à plus forte raison en est-il ainsi des serviteurs de Dieu. Le roi donne aux enfants le nom le plus doux : il savait les flatter par là. En effet, s'ils étaient entrés dans les flammes pour rester serviteurs de Dieu, aucune autre appellation ne pouvait leur être plus agréable; en les appelant des rois maîtres du monde, il ne les aurait pas tant réjouis qu'en leur disant : « Serviteurs du Dieu très-haut ». Faut-il vous en étonner? Ecrivant à cette grande cité qui était la maîtresse du monde, à cette grande cité si fière de sa gloire, Paul se désigne par le titre suivant, comme s'il eût équivalu à ceux de consul, de roi, de maître du monde, ou plutôt, parce qu'il les surpasse incomparablement : « Paul, serviteur de Jésus-Christ... » « Serviteurs du Dieu très-haut ». S'ils déploient tant de zèle pour être serviteurs, pensait-il, nous ne manquerons point de les gagner par là...
Observez, en conséquence, là piété des enfants. Ils ne s'irritent point, ne s'indignent point, ne répondent point : ils sortent. S'ils avaient considéré comme un supplice d'être précipités dans la fournaise, ils auraient pu avoir du ressentiment contre celui qui les y avait enfermés : mais rien de pareil ; on eût dit, à les voir, qu'ils sortaient du ciel. Et l'on aurait pu leur appliquer ce que le Prophète dit du soleil . « Comme un fiancé sortant de la chambre nuptiale » ; car leur sérénité était plus grande encore. Le soleil paraît pour répandre sur le monde la lumière sensible eux, ils y répandaient une autre lumière, la lumière immatérielle. Car aussitôt le roi envoya en leur faveur un ordre ainsi conçu : Je me suis complu dans les signes et dans les prodiges que Dieu a faits de manière à nous en révéler la grandeur et la puissance. Ils sortirent donc; et la lumière qu'ils répandaient, éclatante en ces lieux-mêmes, devint capable, grâce au message royal, de se propager au loin, et de dissiper partout les ténèbres. « Sortez et venez ici ». Il ne fit pas éteindre la fournaise : mais c'était encore un hommage qu'il leur rendait que de les croire capables, non-seulement de marcher à l'intérieur, mais encore de sortir malgré le feu.
9. Considérons maintenant, s'il vous plaît, les paroles du geôlier : « Seigneurs, que fauta il que je fasse pour être sauvé? » (Act. XVI, 30.) Quoi de plus agréable qu'une telle parole? Elle fait tressaillir de joie les anges eux-mêmes; afin de l'entendre , le Fils unique de Dieu alla jusqu'à se faire serviteur. C'est ce que disaient à Pierre ceux qui crurent au commencement « Que ferons-nous pour être sauvés ? » Et que répond-il ? « Croyez, et faites-vous baptiser ». (Ibid. II, 37, 38.) Paul aussi se serait volontiers jeté dans l'enfer pour entendre ce langage sortir de la bouche des Juifs, tarit il désirait les voir sauvés et dociles. Voyez pourtant : il se remet à eux de toutes choses, il ne les importune point. Mais passons à la suite. Le roi ne dit pas : Pour que je sois sauvé; mais l'enseignement qu'il avait reçu était plus convaincant que ne pouvait l'être aucun langage. car aussitôt il proclame la vérité. Il n'a pas besoin d'être catéchisé comme le geôlier ; il rend hommage à Dieu et confesse sa puissance : Je sais en vérité que votre Dieu est le Dieu des Dieux et le Seigneur des Seigneurs; qu'il a dépêché son ange et vous a tirés de la fournaise. Et la suite? Ce n'est pas un seul homme, un geôlier, c'est un grand nombre de personnes qui sont catéchisées par le message royal et par la vue des événements. Il était clair pour tous que le roi n'avait pas menti; il n'aurait pas voulu rendre un pareil témoignage à des captifs, ni s'abaisser lui-même; il n'aurait pas voulu donner une telle preuve de démence. Ainsi donc, si la vérité n'avait pas été (484) très-manifeste, il n'aurait rien écrit de pareil, surtout devant tant de témoins.
Voyez-vous quel est le pouvoir des chaînes? quelle est la puissance des louanges chantées dans la tribulation ? Les trois enfants ne se découragèrent pas, ne s'abandonnèrent pas au désespoir: jamais ils n'avaient déployé tant de zèle et de ferveur. lis avaient bien raison. Un point reste à éclaircir. Pourquoi dans la prison les prisonniers furent ils déliés, et dans la fournaise la flamme dévora-t-elle ceux qui l'avaient allumée? C'était le roi qui devait souffrir ce supplice : car ni ceux qui avaient enchaîné les enfants, ni ceux qui les avaient précipités dans la fournaise, n'étaient aussi coupables que celui qui avait donné l'ordre. Pourquoi donc périrent-ils? Ici il n'y a pas besoin d'un long examen. Ces hommes étaient des impies: Dieu voulut manifester le pouvoir de la flamme et rendre le prodige plus merveilleux; car si le feu dévora ceux qui étaient dehors, comment put-il épargner ceux qui étaient à l'intérieur? Ce fut afin de révéler la puissance de Dieu. Et qu'on ne s'étonne pas de me voir mettre le roi sur la même ligne que le geôlier; leur conduite fut la même l'un n'est pas au-dessus de l'autre, et tous deux ont été également favorisés. Mais ce que je disais, cest que les justes ne sont jamais plus fervents que dans les tribulations , que dans les chaînes. Souffrir pour le Christ, voilà qui surpasse toutes les consolations.
Voulez-vous que je vous entretienne encore d'une autre captivité? Il faut quitter ces chaînes pour d'autres. Lesquelles choisissez-vous? celles de Jérémie? celles de Joseph, celles de Jean.? Grâces soient rendues aux chaînes de Paul! que de prisons elles ouvrent à notre discours ! Voulez-vous celles de Jean? Il fut enchaîné, lui aussi, pour le Christ et pour la loi de Dieu. Eh bien ! est-ce qu'il restait oisif dans son cachot? Est ce que du fond de sa prison il n'envoyait pas dire à ses disciples: Allez dire au Christ: « Es-tu celui qui vient, ou en attendons-nous un autre? » (Matth. XI, 3.) Jusque dans les fers, il s'occupait d'enseigner. Et Jérémie, n'a-t-il pas prophétisé au sujet du Babylonien, là même fidèle à sa mission? Et Joseph? Ne demeura-t-il pas enchaîné treize ans? Néanmoins il n'oublia pas la vertu. Citons encore un dernier, captif pour finir. Notre-Seigneur aussi fut enchaîné, lui qui a délié la terre de ses fautes ; des noeuds serrèrent ces mains fécondes en bienfaits... « L'ayant attaché », est-il écrit, « ils le menèrent devant Caïphe ». Il fut enchaîné, cet auteur de tant de miracles. Pleins de ces pensées, ne perdons jamais courage, et réjouissons-nous jusque dans les fers: que dis-je? même en liberté, pensons comme si nous étions captifs. Voyez-vous quel bien c'est que la captivité? En conséquence, rendons grâces de tout à Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur.