Analyse
1 et 2. De la charité.
3 et Du précepte :
Aimez vus ennemis.
1. Quand on entre chez un médecin, ce n'est pas sans but, c'est pour apprendre à se soigner et à employer les remèdes... Et nous, de même, parvenus à cet endroit, il ne faut pas perdre notre temps, mais étudier l'admirable humilité de Paul. Écoutez en effet de quelles paroles il se sert pour montrer la grandeur de la grâce divine : « A moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce ». C'était déjà de l'humilité, que de gémir sur ses péchés précédents , bien qu'effacés, d'en faire mention, de se montrer modeste, comme lorsqu'il s'appelle blasphémateur, persécuteur, téméraire ; mais rien n'égale ceci. Voilà ce que j'étais d'abord, dit-il, et il s'appelle avorton. Mais, après tant de bonnes oeuvres, rester encore fidèle à la modestie, se proclamer inférieur à tous, c'est le fait d'une rare et extrême humilité. « A moi, le moindre des saints ». Il ne dit pas : Des apôtres; donc, «Saint » est une expression qui dit moins. Car il dit ailleurs : « Je ne suis pas digne d'être nommé apôtre ». (II Cor. XV, 9.) , Ici c'est à tous les saints qu'il se déclare inférieur : « A moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce». Laquelle? Celle d'annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ, et d'éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l'origine des siècles en Dieu, qui a créé toutes choses par Jésus-Christ, afin que les principautés et les puissances qui sont dans les cieux, connussent par l'Église, la sagesse multiforme de Dieu.
Soit; cela n'a pas été révélé aux hommes ; mais tu éclaires aussi les anges et les archanges, les principautés et les puissances? Oui, répond-il, car cela était caché en Dieu, dans le Dieu qui a tout créé par Jésus. Et tu oses tenir ce langage? Oui, dit-il. Mais par où la chose est-elle devenue manifeste pour les anges? Par l'Église. Et ii ne dit pas seulement : La sagesse fertile de Dieu, mais: « La sagesse multiforme ». Qu'est-ce à dire? Les anges n'étaient pas instruits? Nullement: si les principautés ne l'étaient pas, à bien plus forte raison les anges. Quoi donc? Les archanges eux-mêmes étaient dans l'ignorance? Oui, eux-mêmes; qu'est-ce qui aurait pu les instruire? Qui aurait été le révélateur? C'est quand nous avons été instruits, qu'eux-mêmes ils l'ont été. Écoutez les paroles de l'ange à Joseph : « Tu appelleras son nom Jésus : car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». (Matth. I, 21.)
Il fut envoyé, lui, chez les gentils; et les autres , aux hommes de la circoncision. De sorte que la tâche la plus admirable et la plus merveilleuse, elle a été donnée à moi, dit-il, qui suis le moindre. Et c'était encore un effet de la grâce, que cette grande mission confiée à un petit, je veux dire le soin d'évangéliser (470) les gentils. En effet, celui à qui revint la plus grande tâche dans la prédication de l'Evangile, celui-là est grand par ce côté. « D'annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ». Si ces richesses sont incompréhensibles, même après sa venue, à plus forte raison son essence. Si c'est encore un mystère, à bien plus forte raison en était-ce un avant la révélation. S'il emploie ce mot « Mystère », c'est que les anges mêmes étaient dans l'ignorance, et que personne ne connaissait le secret. « Et d'éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l'origine des siècles, en Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ». Les anges savaient seulement « Que son peuple était devenu la portion du Seigneur ». (Deut. XXXII, 9.) Un ange dit encore : « Le chef des Perses m'a résisté ». (Dan. X , 13.) Ainsi, rien d'étonnant que cela leur fût inconnu également. S'ils ignoraient le retour de la captivité, à plus forte raison ces choses, qui sont l'Évangile même. Il est écrit : « Celui qui sauvera son peuple, Israël ». Rien des gentils; mais ce qui concerne ceux-ci, c'est l'Esprit qui le révèle. Ils savaient que les gentils avaient été appelés; mais que c'était au même partage, et pour s'asseoir sur le trône de Dieu; qui aurait pu s'y attendre? qui aurait pu y ajouter foi? « Caché en Dieu ». Il explique plus clairement ce conseil de la Providence dans l'épître aux Romains. « En Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ». C'est à propos qu'il dit, en parlant de la création : « Par Jésus-Christ ». Celui qui a tout créé par lui, révèle par lui ce mystère : car, il n'a rien fait sans lui. « Sans lui », est-il écrit, « rien n'est arrivé ». En nommant les principautés et les puissances, il a nommé, les supérieurs et les inférieurs. « Selon le décret éternel ». C'est maintenant qu'il est accompli ; mais il ne date pas d'aujourd'hui : il était rendu à l'avance. « Selon le décret éternel qu'il a accompli dans « le Christ Jésus Notre-Seigneur», c'est-à-dire, selon sa prescience des siècles, sa connaissance de l'avenir ; il savait les événements futurs, et il les régla ainsi : « Selon le décret éternel », le décret concernant les choses qu'il a accomplies en Jésus-Christ, puisque tout se fait par Jésus-Christ. « En qui nous avons le crédit et l'accès, avec confiance par la foi en lui (12) » .
Ce n'est pas comme des prisonniers, veut-il dire, que nous avons été amenés, ni comme des graciés, ni comme des pécheurs. « Nous « avons le crédit avec confiance ». ou issu. rance. D'où vient cela? De la foi en lui. «Aussi je vous demande de ne point vous laisser abattre à cause de mes tribulations pour vous, car c'est votre gloire (13) ». Comment, pour eux? Comment, leur gloire? Parce que Dieu les a chéris au point de donner pour eux jusqu'à son Fils, et de faire souffrir ses serviteurs. C'est pour leur procurer tant de biens, que Paul était dans les fers. C'est donc une grande preuve de l'amour de Dieu pour eux. Dieu dit pareillement des prophètes : « Je les tuais avec une parole de ma bouche ». (Osée, VI, 5.) Mais comment les tribulations d'autrui pouvaient-elles les abattre? C'est qu'ils étaient émus, troublés. Paul écrit la même chose aux Thessaloniciens : « Afin que personne ne fût ébranlé dans ces tribulations ». (I Thessal. III, 3.) Car il ne suffit pas de ne point se plaindre ; il faut encore se réjouir. En effet, si cette prédiction doit vous consoler, nous vous prédisons que nous devons être en butte aux tribulations ici-bas. Pourquoi cela? Parce que le Maître l'a ordonné ainsi. C'est pour cela « que je fléchis les genoux devant le Père de Notre -Seigneur Jésus« Christ, de qui toute tribu tire son nom au ciel et sur la terre (14) ». Il montre la ferveur de la prière qu'il adresse pour eux. Il ne se borne pas à dire : « Je prie » ; il indique encore la componction qui a inspiré sa prière, par cette expression : « Fléchir les genoux » « De qui toute paternité... (1-5) ». Je ne parle plus , dit l'apôtre , seulement des anges, ni du peuple d'Israël, mais de toutes les tribus créées, soit célestes, soit terrestres. « Afin qu'il vous accorde, selon les richesses de sa gloire, que vous soyez puissamment fortifiés par son Esprit dans l'homme intérieur; que le Christ habite par la foi dans vos coeurs (16, 17) ». Voyez avec quel zèle insatiable il leur souhaite toutes sortes de biens, afin qu'ils ne s'égarent pas. Et comment ce voeu peut-il être réalisé? « Par le Saint-Esprit, dans l'homme intérieur, afin que le Christ habite par la foi dans vos coeurs ».Comment? « Afin qu'enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et connaître aussi la charité du (471) Christ qui surpasse toute science (18, 19) ».
2. La prière qu'il a faite en commençant, il la répète en cet endroit.. Que disait-il au commencement? « Afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l'esprit de sagesse et de révélation « pour le connaître ; qu'il éclaire les yeux de a votre coeur, pour que vous sachiez quelle est l'espérance à laquelle il vous a appelés, quelles sont les richesses de gloire de lhéritage destiné aux saints; et quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons, selon l'opération de la puissance de sa vertu ». Ici, il dit la même chose : « Afin que vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et là profondeur » ; c'est-à-dire, être instruits exactement du mystère accompli en notre faveur; voilà ce qu'il appelle largeur et longueur, hauteur et profondeur : en d'autres termes, connaître la grandeur de la charité divine, et comment elle s'étend dans tous les sens : il emploie pour cela des images matérielles et appropriées à l'humanité ; il embrasse le haut, le bas, les côtés. C'est comme s'il disait : J'ai parlé, mais il n'appartient pas à ma langue, il n'appartient qu'à l'Esprit-Saint d'enseigner ces choses. « Puissamment fortifiés » ; à savoir contre les tentations, contre les égarements : de sorte qu'il n'y a pas d'autre moyen d'être fortifié que l'Esprit et les tentations. Si vous voulez savoir maintenant comment le Christ habite dans les coeurs, écoutez ses propres paroles : « Nous viendrons, moi et mon Père, et nous ferons séjour chez lui ». (Jean, XIV, 23.) Ce n'est point dans tous les coeurs qu'il habite, mais dans les coeurs fidèles, ceux qui sont enracinés dans son amour, et non égarés. « Pour que vous puissiez ». Donc beaucoup de forcé est nécessaire. Pour quel usage, c'est ce qu'il nous fait voir en ajoutant : « Comprendre avec tous les saints quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur , et connaître aussi la charité du Christ, qui surpasse toute science, afin que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu ». Voici le sens de ces paroles Quoique la charité du Christ soit au-dessus de toute connaissance humaine, cependant vous connaîtrez, si vous avez le Christ en vous; et non-seulement vous gagnerez à cela cette connaissance, mais encore vous serez remplis de toute la plénitude de Dieu. Ou bien par plénitude de Dieu,, il entend connaître que. Dieu est adoré dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou bien il les exhorte à s'efforcer d'être rem. plis de toutes les vertus qui sont toutes réunies en Dieu.
« Mais à celui qui est puissant pour tout faire, bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons, selon la vertu qui opère en nous (20) ». « Selon la vertu » est dit ici fort à propos; car c'est grâce à elle que nous pouvons obtenir ce que nous n'avions jamais espéré. Quant à ceci, que Dieu fait bien au-delà de ce que nous demandons et concevons, cela résulte clairement des propres paroles de Paul. Moi, je prie, dit-il; mais de lui-même, et indépendamment de ma prière il fera plus que nous ne pouvons demander, et non-seulement plus, ni au delà, mais « Bien au delà » ; ce mot indique la grandeur du présent. Et qu'est-ce qui prouve cela ? La vertu qui opère en nous. Jamais nous n'avons demandé ces choses, jamais nous ne les avons espérées. « A lui la gloire dans l'Église et dans le Christ Jésus, dans toutes les générations du siècle des siècles (21). Ainsi soit-il. » C'est bien à propos qu'il conclut ainsi son discours par une prière et une glorification. Car il fallait glorifier et bénir celui qui a tant fait pour nous. C'est donc encore une sorte d'hommage, que de glorifier Dieu à cause de ce qu'il a fait pour nous par Jésus-Christ. « A lui la gloire dans l'Eglise ». Ceci est encore très bien dit; car l'Église seule meure éternellement. Considérant donc cette perpétuité, il veut que nous glorifions Dieu jusqu'à la consommation; car cest ce qu'il indique en disant : « Dans toutes les générations du siècle». Qu'est-ce que les tribus? Il est nécessaire de le dire . Ici-bas, on entend par tribus les familles, mais comment dire la même chose au ciel, où il n'y a pas de génération ? Ou bien veut-il parler des associations célestes. De même on trouve dans l'Ecriture une certaine tribu « Amattarei », d'où vient le nom de pères. Mais Paul ne demande pas tout à. Dieu : il demande aussi aux fidèles la foi et la charité, et non-seulement la charité, mais une charité enracinée et fondée, de sorte que. ni les vents ne puissent l'ébranler, ni aucune autre chose l'abattre.
3. Paul vient de dire que les afflictions sont. un sujet de gloire, les siennes; et à plus forte raison celles de ceux à qui il s'adresse. Les (472) tribulations ne sont donc pas une marque de délaissement: autrement, celui qui nous a comblés de ses bienfaits nous les aurait épargnés. Mais si, pour connaître la charité de Dieu, Paul a besoin de prière et du séjour intérieur de l'Esprit, qui pourra connaître par des raisonnements l'essence du Christ ? Eh quoi ! est-il si difficile de se convaincre que Dieu nous aime? Très-difficile, mon cher frère. Il y a des gens qui l'ignorent, et partent de là pour expliquer l'origine de maux innombrables déchaînés sur le monde; d'autres méconnaissent le degré de cet amour. Paul ne s'inquiète pas de déterminer ce degré : comment le pourrait-il? Il se borne à dire qu'il est grand et sublime de le connaître, et se fait fort de le prouver au moyen de la connaissance même dont nous avons été jugés dignes. Mais qu'y a-t-il au-dessus de ceci : être fortifiés ? C'est d'être fortifiés puissamment; de même qu'avoir le Christ est moins qu'avoir le Christ en soi. Je sollicite de grands bienfaits, dit Paul. Néanmoins Dieu saura bien dépasser mes vux ; non-seulement il nous inspirera l'amour, mais encore un amour brûlant. Appliquons-nous donc, mes chers frères, à apprendre l'amour de Dieu. C'est une grande chose, rien ne nous est aussi utile, rien ne nous inspire autant de componction : la crainte de l'enfer est moins propre à subjuguer nos âmes. Mais qu'est-ce qui nous donnera cette connaissance? Les paroles de l'Ecriture, et aussi les événements de chaque jour. Pourquoi ces choses sont-elles arrivées? Dieu en avait-il besoin ? Nullement- Partout c'est à la charité que l'Ecriture recourt pour tout expliquer. Et la charité n'éclate nulle part aussi visiblement que dans le bienfait aux hommes sans qu'ils l'aient mérité.
Imitons Dieu, nous aussi : faisons -du bien à nos ennemis, à ceux qui nous haïssent, allons à ceux qui se détournent de nous. Voilà ce qui nous rend semblables à Dieu. Vous aimez vos amis, dites-vous : quel avantage vous en revient-il ? Les païens en font autant. Qu'est-ce qui prouve la charité ? C'est d'aimer qui nous hait. Je veux vous donner un exemple : pardonnez-moi, si, n'en trouvant point dans les choses spirituelles, je le tire des choses mondaines. Voyez ceux qu'on appelle amants : tout ce que peuvent leur faire endurer les objets de leur amour, d'outrages, de perfidies, de dommages, ne les empêche pas de leur rester attachés, de brûler d'ardeur pour ,eux, de les aimer plus que leur âme, de passer les nuits devant leur porte. Si je recours à cet exemple, ce n'est pas pour vous inspirer l'amour de pareilles créatures, je veux dire des courtisanes, c'est afin que vous aimiez vos ennemis. Dites-moi, est-ce que ces femmes ne traitent pas ceux qui les aiment plus insolemment que ne feraient des ennemis? ne dissipent-elles pas leur fortune? ne défigurent-elles point leur visage? ne les traitent-elles point avec plus de dureté que des esclaves? Mais ils ne peuvent s'en détacher. Et pourtant, il n'est pas d'ennemi plus cruel qu'une courtisane n'est pour sou amant. Elle se joué de lui, elle l'outrage, elle ne cesse d'abuser de lui; et ses dédains sont proportionnés à l'amour qu'elle inspire. Quoi de plus féroce qu'une âme ainsi faite? Et pourtant on persiste à aimer. Mais peut-être trouverons-nous aussi chez les hommes spirituels des exemples d'une pareille tendresse : non parmi ceux d'aujourd'hui, car la ferveur s'est refroidie; mais parmi les grands et admirables personnages d'autrefois.
4. Le bienheureux Moïse surpassa ceux mêmes que l'amour possède. Comment et de quelle façon ? D'abord il quitta le palais du roi, le luxe qui y régnait, les égards, les hommages qui lui étaient prodigués pour aller vivre avec les Israélites. Tout autre non-seulement n'en eût pas fait autant, mais eût encore rougi, si quelqu'un l'eût convaincu d'appartenir à la même race que des esclaves, et des esclaves réputés impurs.. Loin de rougir de cette parenté, Moïse se voua de tout coeur à la, défense des Israélites, et se mit en péril pour eux. Comment cela? Voyant un homme maltraiter un d'entre eux, dit l'Ecriture, il prit la défense de celui-ci, et tua l'agresseur. Mais en cela il n'agissait pas encore dans l'intérêt de ses ennemis. Cette action est belle sans doute, mais ce qui suit la surpasse. Le lendemain, il vit la même chose se répéter: l'agresseur était celui dont il avait pris la défense : il l'engagea à cesser ses violences. L'autre lui répondit, sans rougir d'une telle ingratitude : « Qui t'a a établi chef et juge sur nous? » Qui n'eût été enflammé de courroux à cette réponse? Si dans la première occasion il n'avait fait que céder à la colère, à la fureur, cette fois encore, il eût frappé et tué le coupable. Car il n'eût pas été dénoncé par celui dont il prenait la défense. S'il parlait ainsi, c'était par respect pour les (473) liens du sang. Cet homme, quand on le provoquait, ne disait point : « Qui t'a établi a chef et juge sur nous? » ni rien de pareil. Et pourquoi n'avoir point tenu ce langage hier ? C'est ton injustice et ton inhumanité qui m'a fait ton juge et ton chef. Mais considérez maintenant qu'il ne manque pas de gens pour tenir ce langage à Dieu même. Sont-ils offensés, ils souhaitent qu'il se montre sévère, ils l'accusent d'un excès de patience : sont-ils offenseurs, c'est autre chose. Quoi de plus amer qu'un tel langage? Et pourtant, cela n'a point empêché Moïse de remplir sa mission auprès de ces ingrats, de ces oublieux. Et même alors, après des signes si manifestes, après les prodiges opérés par lui, ils essayèrent à plusieurs reprises de le lapider, et il fallut qu'il s'échappât de leurs mains ; ils ne cessaient de murmurer, et néanmoins il les chérissait si tendrement, qu'il disait à Dieu, à la suite de leur horrible péché : « Si vous leur remettez leur péché, remettez : sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit ». J'aime mieux périr avec eux, disait-il , que d'être sauvé sans eux.
Passion véritable, véritable excès d'amour. Que dis-tu ? tu dédaignes le ciel? Oui, répondit, car j'aime les coupables. Tu demandes d'être effacé? Et comment faire, répond-il? J'aime. Et qu'arriva-t-il ensuite? Écoutez ce que l'Écriture dit dans un autre endroit : « Et Moïse fut maltraité à cause d'eux». Combien de fois ne l'avaient-ils pas outragé ? Combien de fois déposé, lui et son frère? Combien de fois n'avaient-ils pas tenté de retourner en Égypte? Et après tout cela il était encore tout passion, tout amour, tout prêt à souffrir pour eux. C'est ainsi qu'il faut aimer ses ennemis; en dépit des coups, des mauvais traitements, des difficultés, du délaissement, il faut travailler à leur salut. Et Paul, dites-moi, est-ce qu'il n'a pas demandé l'enfer pour en racheter le peuple? Mais c'est au Maître qu'il faut emprunter un exemple. En effet, il ne fait pas autrement lui-même en disant : « Il a fait a lever son soleil sur les méchants et les bons». (Matth. V, 45.) Il emprunte ses exemples au Père : c'est au Christ que nous devons emprunter les nôtres. Il vint vers les Juifs, j'entends selon l'Incarnation, il se fit serviteur pour eux, il s'abaissa, sortit de lui-même, prit la forme d'un esclave : et, descendu ici-bas, il ne voulut pas aller en personne visiter les gentils, et confia ce soin à ses disciples : non content de cela, il allait partout, guérissant toute maladie et toute infirmité.
Eh bien ! tandis que tous les autres étaient saisis d'étonnement , d'admiration , et disaient : « D'où lui viennent donc toutes ces choses » (Matth. XIII, 56), ceux qu'il comblait de biens disaient : Il a un démon ; il blasphème; il est fou; c'est un charlatan. Eh bien ! est-ce qu'il les repoussa ? Aucunement: il répondit à ces injures par des bienfaits plus grands; il s'en alla vers ceux qui devaient le crucifiera dans le seul but de les sauver. Et après le crucifiement, que dit-il? « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ». Maltraité par eux, sur le point de l'être encore, jusqu'au dernier soupir il s'occupait d'eux, il priait pour eux. Et encore après le crucifiement que ne fit-il pas en leur faveur? N'envoya-t-il pas les apôtres ? Ne fit-il pas des prodiges ? N'employa-t-il pas tous les moyens? C'est ainsi qu'il faut aimer ses ennemis, ainsi que nous devons imiter le Christ. Paul agit de la sorte : assailli de pierres, en butte à mille mauvais traitements, il ne cessait de s'occuper de ses persécuteurs. Écoutez-le plutôt : « Ma bonne volonté et ma prière ont pour objet leur salut » ; et encore : « Je leur rends ce témoignage, qu'ils ont du zèle pour Dieu » ; et ailleurs . « Si toi, qui n'étais qu'un olivier sauvage, tu as été enté sur eux, à combien plus forte raison seront-ils entés sur leur propre olivier ». (Rom. X, 1, 2 ; XI, 17.) Combien de charité, de tendresse dans ces paroles ! On ne saurait, non, on ne saurait le dire. C'est ainsi qu'il faut aimer ses ennemis : ainsi l'on aune Dieu qui nous a prescrit cet amour, qui nous en a fait une loi : l'imiter, c'est aimer son ennemi. Songez que ce n'est pas à votre ennemi, mais à vous-même que vous faites du bien ; songez que ce n'est pas là aimer votre ennemi, mais obéir à Dieu. Instruits de ces vérités, pratiquons la charité mutuelle, afin qu'après avoir exactement rempli ce devoir, nous obtenions les biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles de siècles. Ainsi soit-il.