HOMÉLIE PRONONCÉE APRÈS LE TREMBLEMENT DE TERRE.
Tome III, p. 443-447
Traduit par M. MALVOISIN
AVERTISSEMENT ET ANALYSE. Nous avons publié une autre homélie
sur un tremblement de terre, qui est la sixième sur Lazare, tome fer, dans
l'avertissement de laquelle nous avons prouvé par plusieurs témoignages, tant de Chrysostome
que d'autres autorités, qu'Antioche fut ébranlée par de fréquents tremblements de
terre, surtout à l'époque de Chrysostome. Celui dont il est ici
question arriva tandis que Chrysostome était malade au lit; mais, dans son
ardent désir d'instruire le peuple, qu'il voyait attristé par l'approche du fléau, il
ne sentit plus son mal, et vola vers son troupeau : c'est à quoi il fait allusion dans
ces paroles : L'enseignement de la parole divine a changé en bonne santé ma maladie. -
Ce discours fut prononcé hors de la ville, dans une des églises que fréquentait la
piété du peuple d'Antioche; c'est ce que nous apprennent plusieurs passages du discours,
dans lesquels Chrysostome loue le peuple d'avoir entrepris, pour entendre la
parole de Dieu, un voyage fatigant et pénible. Nous voyons également par un
passage que Chrysostome avait déjà prononcé un discours la veille à
l'occasion de ce tremblement de terre. Nous a avons aucune donnée sur l'année de ce
discours la maladie de Chrysostome ne peut rien faire conjecturer, car il
avait une santé assez faible et était souvent malade. François Combefis avait publié cette homélie à l'étranger, en 1656. Le
texte que nous avons suivi a été transcrit d'après un manuscrit du Vatican et comparé
avec celui de Combefis.
Amour de Chrysostome pour
son troupeau; piété des habitants d'Antioche; fruit à retirer des calamités.
Combien les fidèles sont devenus meilleurs par la pénitence que le tremblement de terre
leur a fait faire; la colère de Dieu est maintenant apaisée. Les vices des riches
avaient causé le fléau, les prières des pauvres ont sauvé la ville.
Si la maladie m'a empêché de célébrer
avec vous cette fête spirituelle, la fatigue du voyage à
faire ne vous a pas découragés. Et si cette fatigue ne vous a permis d'arriver ici que
tout baignés de, sueur, l'enseignement de la parole divine a, tout à la fois, changé en
bonne santé ma maladie, et apporté par le chant des psaumes un soulagement à vos forces
épuisées. C'est pourquoi je n'ai point, quoique malade, tenu ma langue silencieuse; et
vous, quoique fatigués, vous ne vous êtes pas exemptés de m'entendre; mais en même
temps que la parole a retenti, les fatigues ont cessé, en même temps que l'enseignement
a commencé, l'épuisement a disparu. La maladie et la fatigue n'affligent que le corps,
au lieu que l'enseignement est le noble produit et le remède de l'âme. Or, autant l'âme
l'emporte sur le corps, autant les oeuvres de la première sont les plus précieuses.
C'est pourquoi, malgré la maladie et bien d'autres empêchements, je n'ai point cessé de
vous porter dans mon coeur, et je n'aurai pas été privé, même aujourd'hui, de ma part
à cette belle fête. Il n'y a encore qu'un instant, j'étais cloué sur mon lit, mais
Dieu n'a pas permis que je mourusse entièrement de faim. Car de même que vous avez faim
d'écouter, j'ai, moi aussi, faim de parler. C'est ainsi que souvent une mère malade
aimerait mieux sentir ses mamelles tourmentées par son enfant, que de voir son enfant
souffrir de la faim, : je consens, moi aussi, que mon corps
s'épuise pour vous. Et qui ne donnerait avec joie jusqu'à son sang pour vous, pour vous
dont la piété est si (445) ardente, pour vous qui brûlez d'un tel désir d'écouter la
parole divine, pour vous enfin qui, en un instant si court, venez de montrer de tels
sentiments de pénitence? Vous ne connaissez ni jour ni nuit : vous faites de l'un et de
l'autre le jour, sans même changer d'air, mais vous éclairant la nuit pour en passer
toute la durée à veiller; les nuits sont pour vous sans sommeil; la tyrannie du sommeil,
vous en avez secoué le joug, car votre amour pour Jésus-Christ a vaincu en vous
l'imperfection de la nature. Vous avez affranchi vos corps de là condition humaine en
imitant les puissances célestes : vous les imitez à tous les yeux par vos veilles, par
votre jeûne prolongé, par un si pénible voyage qui est une fatigue quant à la nature
et un repos quant à l'intention. Voilà quel est le fruit de vos craintes, voilà le
profit que vous tirez de ce tremblement de terre, profit qu'on ne dépense jamais , profit
qui met les pauvres plus à l'aise et qui enrichit encore les riches : il ne connaît ni
riches, ni pauvres. Le tremblement de terre arrive , et voilà
qu'il enlève l'inégalité des conditions humaines. Où sont maintenant les riches vêtus
de soie ? Où est leur or? Tout cela a disparu, plus facilement détruit qu'une toile
d'araignée; tout cela s'est trouvé plus fugace que les fleurs printanières. Mais
puisque je vois votre esprit bien préparé, je veux vous servir une table plus
somptueuse. Je vois que votre corps est fatigué, mais que votre âme est vive de
jeunesse. Les sources de vos sueurs sont en grand nombre, mais elles servent à laver
votre conscience. Et si des athlètes vont jusqu'à se couvrir de sang pour des feuilles
de laurier qu'on donne aujourd'hui et qui demain seront flétries, combien plus vous
autres, qui êtes entrés dans la carrière des bonnes oeuvres ,
devez-vous ne céder à aucune des fatigues que vous avez à subir pour la vertu et ne
point vous laisser amollir. Votre auditoire est ma couronne, et un seul qui m'écoute
parmi vous vaut pour moi la ville entière. Il en est qui ont couronné leurs coupes,
d'antres qui ont réuni des convives à des festins de Satan, d'autres qui ont préparé
une table somptueuse ; mais vous, vous avez accompli une longue veille, vous avez purifié
la ville entière par la sainte trace de vos pieds en traversant la place publique, et
vous avez sanctifié l'air. Oui, l'air aussi est sanctifié par le chant des psaumes,
comme vous avez entendu aujourd'hui que Dieu le dit à Moïse : Car le lieu où tu
es est une terre sainte. (Exod. III, 5.) Vous avez
sanctifié le sol, la place publique, vous avez fait pour nous de la ville une église, Et
comme un torrent qui passe et qui, emporté par l'abondance dé Son courant, renverse
toutes choses, ainsi ce torrent spirituel, ce fleuve de Dieu, qui réjouit là cité de
Dieu (Psaumes XLV, 5, et LXIV,10), s'est grossi jusqu'à ses
bords et a purifié le bourbier de l'impiété. Il n'y a plus d'impudique, ou si quelqu'un
l'est encore, il est en voie de se transformer. L'homme entend lés accents divins, et son
esprit est remené à la mesure, les chants sacrés
pénètrent en lui , et son impiété disparaît, ses passions
d'avarice prennent la fuite. Si elles ne fuient pas, du moins elles imitent les bêtes
sauvages qui se réfugient l'hiver dans des tanières. Ainsi se cache l'esprit déréglé
semblables aux serpents qui; lorsque le froid vient engourdir leur corps, s'enfoncent dans
la terre, ainsi ces passions viles et ignobles s'engloutissent comme dans un abîme. C'est
qu'en effet, ceux-là même qui les traînent avec eux en rougissent, car ils les
traînent encore avec eux, mais elles sont mortifiées. Vos chants sacrés deviennent pour
eux la saison d'hiver. La sainte mélodie entre dans l'oreille de l'avare, et si elle ne
chasse point hors de lui la passion, du moins elle la mortifie; elle entre dans l'oreille
de l'impudique et de l'orgueilleux, et si elle ne tue pas l'impudicité et l'orgueil, du
moins elle les enfouit. Or c'est déjà un grand point que le vice n'ait passa franchise.
Je vous disais hier aussi qu'il y avait un grand fruit à retirer des tremblements de
terre. Vous avez vu la miséricorde du Seigneur ébranlant la ville et affermissant votre
âme, secouant les fondements de vos maisons et consolidant vos pensées, rendant la cité
chancelante et fortifiant vos coeurs. Réfléchissez à cette miséricorde : il vous a
secoués un instant et il vous a affermis pour jamais; le tremblement de terre a duré
deux jours, puisse votre piété ne jamais cesser ! vous
avez été affligés pendant peu de temps, mais c'est pour toujours que vous avez été
enracinés. Car je sais bien que votre piété a pris racine dans la crainte de Dieu, et
quoique le calme soit revenu, le fruit reste. Il n'y a plus ni ronces qui étouffent le
bon grain, ni pluie torrentielle qui l'inonde ; la crainte a merveilleusement travaillé
le sol de votre âme , et elle a secondé mes paroles. Je me
tais, et les fondements de vos maisons élèvent la voix; je (446) garde le silence, et
ces secousses vous crient d'une manière plus éclatante que le son de la trompette : Le
Seigneur est miséricordieux et compatissant, il est plein de longanimité et de pitié.
(Psaume CII, 8, 9.) Si je suis venu, continue-t-il, ce n'est pas pour vous écraser, mais
pour vous donner de l'énergie. Oui, ce tremblement de terre emprunte une voix pour vous
dire : je vous ai épouvantés, non pour vous affliger, mais afin de vous rendre plus
diligents. Faites une grande attention à ce que je vais vous dire : comme la parole
n'avait plus assez de force , le châtiment a élevé la voix;
l'enseignement se fatiguait à la tâche, la crainte est arrivée à son aide. Je suis
venu vous entretenir un moment et je fais ce qui dépend de moi : après vous avoir
vigoureusement étreints je vous remettrai à la parole,afin
que la parole ne s'épuise pas en pure perte. Comme je trouve des pierres et des ronces,
je commence par en purger le terrain, afin que la parole jette ensuite la semence à
pleines mains.
Quel dommage avez-vous éprouvé de cette
affliction momentanée? D'hommes que vous étiez, vous êtes devenus des anges; vous avez
passé au ciel, sinon quant au séjour, du moins quant à l'état de vos âmes. Et ceci
n'est pas une flatterie : les faits m'en sont témoins. Qu'avez-vous négligé en effet
sous le rapport de la pénitence? Vous avez banni l'envie, expulsé les passions viles,
implanté en vous, la vertu; vous avez persévéré la nuit tout entière dans de saintes
veilles, et dans les sentiments d'une grande charité ainsi que d'un zèle ardent. Nul ne
songe plus à ses affaires d'argent, nul ne tient plus le langage de l'avarice; non-seulement vos mains sont pures de péchés,.
mais encore votre langue est affranchie de la licence et de
l'injure; nul n'outrage plus son prochain, nul ne va prendre place à des banquets de
Satan; les maisons sont pures, la place publique est lavée de toute souillure; le soir
nous gagne, et nulle part des choeurs de jeunes gens ne font entendre de chants théâtrals. Il y a, il est vrai, des choeurs, mais dont les chants
ne sont pas ceux de l'impureté: ce sont de vertueux cantiques; on peut entendre, sur la
place publique, les hymnes retentir; les fidèles qui sont restés chez eux chantent, les
uns des psaumes, les autres des hymnes; la nuit arrive, et tout le monde se réunit à
l'église, ce port qui n'est point battu des flots, cet océan qui ne connaît point de
tempêtes. Je croyais, moi, qu'après un ou deux jours, la veille aurait brisé vos corps,
et voici que plus elle se prolonge, plus aussi votre ferveur augmente. Ceux qui vous
chantaient des psaumes se sont fatigués, et vous, vous êtes toujours dispos; ils ont
manqué de force, et vous, vous avez acquis une énergie nouvelle. Où sont les riches? dites-moi : qu'ils apprennent des pauvres la divine sagesse !
Les riches dorment, mais les pauvres, sur la terre nue, ne dorment point: ils fléchissent
les genoux, comme Paul et Si. las. (Act.
des Ap. XVI.) Eux aussi chantaient des psaumes, et ils
ébranlèrent la prison: vous, vous chantez des psaumes comme eux, et vous avez raffermi
la ville ébranlée. Les résultats sont opposés, mais ils tournent l'in et l'autre à la
gloire de Dieu. Les apôtres firent trembler la prison afin d'ébranler l'âme des
infidèles, de délivrer le geôlier, et de proclamer la parole de Dieu; vous, vous avez
raffermi la ville, afin d'apaiser la colère de Dieu; les deux buts ont été atteints
d'une manière différente. Toutefois, je me réjouis, non pas de ce que la ville s'est,
raffermie, ruais de ce qu'elle le doit à vos prières, et de ce que vos chants sacrés en
sont devenus les fondements. La colère venait d'en-haut :
votre voix est venue d'en bas; et le torrent de colère qui tombait du ciel a été
arrêté par cette voix qui s'élevait de la terre. Les cieux s'étaient ouverts, notre
sentence en était descendue: le glaive était aiguisé: la ville allait joncher le sol;
la colère semblait impossible à conjurer. Nous n'eûmes besoin d'autre chose que de la
pénitence, des larmes et des gémissements, et tout s'apaisa: Dieu avait prononcé, mais
nous avons calmé sa colère. Ce n'est donc pas à tort qu'on vous appellerait les
protecteurs et les sauveurs de cette ville. Où sont-ils, les magistrats? où sont-ils, ces grands protecteurs officiels? C'est véritablement
vous qui êtes les tours, les murailles, la sûreté de la ville. Car pour eux, par leur
iniquité, ils ont miné la ville, et vous, par, votre vertu, vous l'avez consolidée. Si
vous demandez à quelqu'un d'où vient que la ville a été ainsi ébranlée, quand même
on ne vous répondrait pas, il reste bien avéré que cela vient des péchés, de
l'avarice, des injustices, des prévarications, de l'orgueil, de la sensualité, du
mensonge. Et de la part de qui? de la part des riches. Et si
ensuite on vient demander ce qui fait que la ville s'est raffermie, il est (447) bien
avéré que c'est le chant des psaumes, que ce sont les prières, que ce sont les
veillés. Et de qui? des pauvres. Ce qui a ébranlé la ville
est le fait des premiers; ce qui l'a raffermie est votre fait: de sorte que c'est vous qui
en êtes devenus les protecteurs et les sauveurs.
Mais terminons ici notre discours pour
continuer nos veilles et le chant de nos psaumes, en renvoyant la gloire au Père, au Fils
et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
Traduit par M. MALVOISIN.
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