DISCOURS VII

SEPTIÈME DISCOURS. Pourquoi cet arbre est-il appelé arbre de la science du bien et du mal : et que signifie cette parole : « Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis. » (Gen. II, 9 ; Luc, XXIII, 43.)

 

ANALYSE.

 

1. C'est une grande obligation de mettre la parole de Dieu en pratique. — 2. Pourquoi l'arbre de la science du bien et du mai a été ainsi appelé. Nous connaissons tous le mal, même avant de le commettre; mais nous en acquérons une connaissance plus approfondie en le commettant. — 3. A ce bois funeste qui fut l'occasion de la chute d'Adam, opposons ce bois de la croix qui a sauvé le monde et introduit le Larron dans le paradis. — 4. Réfutation d'une objection manichéenne touchant l'entrée du larron dans le paradis. — 5. Ce qu'il faut entendre par le paradis.

 

1. le vous ai vivement exhortés hier, à garder le souvenir de nos paroles, à prendre soin, chez vous, de dresser le soir, deux tables, l'une, des mets du corps; l'autre, des mets de l'Ecriture. Eh bien, l'avez-vous fait? les avez-vous dressées, ces deux tables ? Je sais que vous avez suivi nos conseils, que vous ne vous êtes pas assis seulement à la table du corps, mais que vous avez également pris votre part à l'autre; il n'était pas possible, après vous être portés avec tant d'ardeur vers la moins délicate, de négliger la table dont les mets sont plus recherchés. Oui, la table dont je parle, est la meilleure : l'autre s'apprête par les mains des cuisiniers; celle-ci, nous la devons à la langue des prophètes ; l'autre porte les productions de la terre, celle-ci les fruits de l'Esprit; la nourriture de l'autre se corrompt bien vite, les mets de celle-ci sont incorruptibles ; l'autre conserve la vie présente; celle-ci engendre pour nous, la vie future. Et je sais bien que la table spirituelle a été dressée chez vous avec l'autre; je ne le sais pas pour avoir interrogé, soit le serviteur qui vous accompagne, toit le domestique qui vous sert; celui qui me l'a dit, est un porteur de nouvelles, qui s'énonce plus clairement que tous ses serviteurs. Qui me l'a dit enfin ? Le bruit de vos mains applaudissant nos paroles, votre chaleureuse adhésion à nos enseignements. Hier, en effet, quand je vous ai dit : Que chacun de vous fasse de sa maison une église, vous avez tous poussé de grandes acclamations de plaisir. Celui qui a du plaisir à entendre les discours, montre qu'il est prêt à les confirmer par ses actions; voilà pourquoi aujourd'hui je me suis préparé avec une ardeur nouvelle à vous instruire. Maintenant réveillez vos esprits ; car l'orateur n'est pas seul obligé de tenir son esprit en éveil; l'auditeur aussi doit être attentif, et plus encore que l'orateur. En effet, nous qui parlons, nous n'avons qu'un souci à prendre, c'est de placer l'argent du Seigneur; mais vous, vous avez plus de peine à vous donner d'abord pour bien recevoir le dépôt, ensuite pour le conserver en toute sûreté. Donc , lorsque vous aurez entendu la parole, mettez à vos portes, serrures et verroux ; que des pensées qui inspirent la terreur , soient comme des gardiens , placés de toutes parts autour de votre âme. Le voleur est impudent, toujours éveillé ; sans cesse il fait irruption; quoiqu'il manque souvent ses coups il revient souvent à la charge. Ayez donc prés de vous des gardiens redoutables, et s'ils voient venir le démon, s'apprêtant (466) à vous voler quelques parties du trésor que vous avez reçu en dépôt, qu'ils le chassent à grands cris; si les inquiétudes du monde vous envahissent, qu'ils les repoussent; si la faiblesse de la nature produit chez vous l'oubli et la confusion, que l'exercice réveille la mémoire. Ce n'est pas un médiocre danger que de perdre l'argent du Seigneur. Ceux qui ont dissipé l’argent reçu en dépôt, souvent sont punis de mort; pour ceux qui auront reçu et perdu des biens beaucoup plus précieux, les paroles divines , de quels supplices rie seront-ils pas tourmentés? Dans le monde, les dépositaires. d'argent ne doivent compte que de la manière dont ils ont gardé le dépôt; on n'exige d'eux rien autre chose; ils ont reçu tant, ils doivent rendre tant, on ne leur réclame rien de plus; mais ceux qui ont reçu la parole divine ne doivent pas rendre compte seulement du trésor gardé, on leur demandera compte aussi des gros intérêts qu'il a dû produire. En effet, il ne nous est pas prescrit seulement de rendre ce que nous avons reçu, mais d'offrir le double au Seigneur. Sans doute, ne nous fût-il commandé que de garder ce trésor, il serait encore nécessaire de nous y appliquer avec la plus ardente sollicitude; mais quand le Seigneur nous a, de plus; donné l'ordre de le faire fructifier, considérez combien nous, qui avons reçu cet argent, nous devons nous donner de fatigues et de soins. Voilà pourquoi le serviteur à qui l'on avait confié cinq talents, ne se borna pas à en offrir tout autant, mais en offrit le double. (Matth. XXV, 14 et suiv.) Car les cinq talents confiés, marquaient la bonté de son maître, mais il fallait qu'à son tour le serviteur manifestât sa diligence; de même,' celui à qui l'on avait confié deux talents, sut bénéficier deux autres talents, et, en récompense, son maître lui donna le même honneur qu'à l'autre. Au contraire, un troisième serviteur, à qui l'on n'avait confié qu'un seul talent, et qui le rendit tel qu'il l'avait reçu, sans l'avoir diminué, fut puni pour ne l'avoir pas fait fructifier, pour n'avoir pas présenté le double de la somme qu'on lui avait remise; il subit le dernier supplice, et cela justement; car, dit le maître, si je n'avais voulu que garder mon argent, et non en retirer du profit, je ne l'aurais pas livré aux mains de mes serviteurs. Quant à vous, considérez la bonté du Seigneur ; celui à qui on avait confié cinq talents, en offrit cinq autres; celui qui en avait reçu deux, en rendit deux autres, et chacun des deux serviteurs obtint la même récompense. De même, en effet, que le maître répondit au premier : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en pela de choses, je vous établirai sur beaucoup d'autres ! de même il dit à celui qui lui avait présenté deux talents : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, je vous établirai sur beaucoup d'autres ! (Ibid. 21-23.) Le profit n'est pas le même, et la récompense est la même; le maître jugea le second serviteur digne du même honneur que l'autre. Pourquoi? C'est que Dieu ne s'occupait pas de la quantité qu'on lui offrait, mais de la vertu de ceux qui avaient fait valoir leur dépôt. En effet, l'un et l'autre de ces deux serviteurs .avaient fait tout ce qui dépendait de chacun d'eux, les talents présentés n'étaient pas plus ou moins considérables; en raison de la négligence de l'un ou de la diligence de l'autre, ruais en raison de la différence dans la quantité. Celui-ci avait reçu cinq talents, et il présenta cinq autres talents; celui-là en avait reçu deux, et il en présenta deux; quant au zèle qui l'animait, il n'était pas inférieur à l'autre. Il est évident que l'un, aussi bien que l'autre, gagna le double de ce qu'on lui avait confié. Mais celui qui n'avait reçu qu'un talent, ne présenta aussi qu'un talent; pour cette raison, il subit le châtiment.

2. Avez-vous bien compris quel supplice est réservé à ceux qui ne savent pas faire valoir la fortune du Seigneur? Donc, sachons conserver son argent, le négocier, en tirer un grand profit. Et que personne ne dise : Je ne suis qu'un ignorant, un disciple; je n'ai pas la parole de l’enseignement; je suis sans habileté, sans valeur aucune. Quand vous ne seriez qu'un ignorant, qu'un disciple, quand vous n'auriez reçu qu'un talent, faites le négoce avec ce qui vous a été confié; vous recevrez une récompense égale à celle d'un docteur. Mais maintenant , je suis persuadé que vous gardez avec soin dans votre mémoire les paroles que vous avez entendues. Ne dépensons pas à ce propos tout ce que nous avons aujourd'hui à vous dire. Allons, continuons l'entretien d'hier; joignons-y la suite; nous voulons vous payer le salaire dû à ceux qui conservent la parole. En effet, celui qui a bien gardé un premier dépôt, mérite d'en recevoir un autre. Quel sujet d'entretien, hier, nous étions-nous donc proposé ? Nous parlions de (467) l'arbre, et nous avons montré que l'homme, avant de manger du fruit de l'arbre, avait la connaissance du bien et du mal, qu'il était rempli de l'abondance de la sagesse; nous en avons donné pour preuves :qu'il a imposé des noms aux animaux; qu'il a reconnu sa compagne, qu'il a dit : Voilà maintenant l'os de mes os (Gen. II, 23); qu'il a parlé du mariage, de la procréation des enfants, de l'union conjugale, et du père et de la mère ; enfin qu'il a reçu un ordre de Dieu. En effet, on ne donne pas un ordre, une loi; pour faire ou ne pas faire, à celui qui ne pourrait pas distinguer le bien du mal. Aujourd'hui, il serait utile de dire pourquoi, si l'homme n'a pas tiré de l'arbre la connaissance sui bien et du mal, cet arbre a été appelé l'arbre de la science du bien et du mal. Assurément il importe d'apprendre pourquoi cet arbre a été ainsi appelé. En effet, le démon dit : Aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux s'ouvriront; et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gen. III, 5.) Comment donc, m'objecte-t-on, dits-vous, qu'il n'a pas introduit la science du bien et du mal? De qui me parlez-vous, je vous prie? Qui, il a introduit? Voulez-vous dire le démon? Sans doute, me répond-on, puisqu'il a dit: Vous serez commettes dieux connaissant le bien et le mal. Ainsi, toi qui me contredis, lu m'apportes le témoignage de l'ennemi qui nous tend des piéges.. Mais le serpent a dit aussi : De plus vous serez des dieux. Eh bien ! sont-ils devenus, des dieux? De même donc qu'ils ne sont pas devenus des dieux, de même ils n'ont pas non plus reçu alors la science du bien et du mal. Le démon, en effet, n'est qu'un menteur, et il ne dit rien de vrai, car, dit l’Evangéliste, la vérité n'est point en lui. (Jean, VIII, 44.)

Gardons-nous donc de produire le témoignage de l'ennemi; comprenons, par l'étude - des choses considérées en elles-mêmes, pourquoi l'arbre est appelé, l'arbre de la science du bien et du mal. Et d'abord, s'il vous semble bon, qu'est-ce que le bien, qu'est-ce que le mal? Méditons. Qu'est-ce que le bien ? l'obéissance; qu'est-ce que le mal? la désobéissance. Etudions, en nous inspirant de l’Ecriture , autant qu'il sera nécessaire, pour ne pas nous tromper, sur la nature du bien et du mal. Ce qui prouve que le bien et que le mal sont ce que nous venons de vous dire, c'est la parole du prophète : Qu'est-ce que le bien et qu'est-ce que le Seigneur Dieu demande de vous ? Dites-moi, qu'est-ce que le bien ? C'est que vous chérissiez le Seigneur votre Dieu. (Mich. VI, 8.) Voyez-vous que le bien, c'est l'obéissance, car l'obéissance vient de l'affection. Autre texte : Mon peuple a fait deux maux; ils m'ont abandonné, moi qui suis une source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes usées qui ne peuvent contenir l'eau. (Jérém. II, 13.) Voyez-vous que le mal, c'est la désobéissance, et 1'abandonde Dieu. Donc, en attendant, retenons ceci : que le bien, c'est l'obéissance ; que le mal, c'est la désobéissance, et par là, nous apprendrons ce que nous cherchons. En effet, l'arbre a été appelé, arbre de la science du bien et du mal, parce qu'il fut l'occasion de l'ordre qui donnait matière à la désobéissance ou à l’obéissance. Adam, même avant sa faute, n'ignorait pas que le bien c'est l'obéissance, que le mal c'est la désobéissance ; mais il l'apprit plus tard, d'une manière plus évidente, par l'expérience même des choses. Caïn n'ignorait pas même avant d'égorger son frère, que le meurtre d'un frère était une action mauvaise; ce qui prouve qu'il le savait bien, ce sont ses propres paroles, écoutez : Viens, sortons dans la campagne. (Gen, IV, 8.) Mais pourquoi attires-tu ton frère dans la campagne, après l'avoir arraché des bras de son père ? pourquoi l'emmènes-tu dans un lieu désert? Pourquoi le conduis-tu loin de ceux qui veillent sur lui? loin des yeux de son père? pourquoi caches-tu ce que tu oses méditer, si tu ne crains pas le péché? pourquoi encore, quand tu as fait le, meurtre, et que l'on t'interroge, t'indignes-tu, et prononces-tu un mensonge? En effet, quand Dieu eut dit : Où est Abel, ton frère? tu as répondu : Est-ce que je suis le gardien de mon frère? (Gen. IV, 9.) Ce qui prouve clairement qu'il avait la pleine connaissance de son crime. Donc, de même qu'il savait bien, même avant de pratiquer le meurtre, que le meurtre était une action mauvaise, mais que plus tard il le comprit d'une manière plus claire, quand il reçut son châtiment, quand il t'entendit ces paroles : Tu seras gémissant et tremblant sur la terre; de même son père, avant de manger du fruit, possédait la connaissance du bien et du mal, quoiqu'elle ne fût pas aussi évidente pour lui, que quand il en eut mangé. Je m'explique :

Nous connaissons tous tant que nous sommes, le mal, même avant de le commettre; nous le (468) comprenons mieux, après l'avoir commis, et, nous le comprenons, d'une manière beaucoup plus claire encore, quand vient le châtiment. Ainsi Caïn savait, avant de tuer son frère, que ce meurtre était une action mauvaise ; il le comprit ensuite plus clairement, quand il fut puni. Nous aussi, nous savons bien que la santé est une bonne chose, et que la maladie est importune, nous savons cela, avant l'expérience ; mais nous comprenons beaucoup mieux, quand nous sommes malades, la différente de la santé et de la maladie.

3. C'est de la même manière, assurément, qu'Adam savait que l'obéissance est un bien, et, au contraire, la désobéissance un mal. Il le vit ensuite plus clairement, lorsqu'après avoir goûté du fruit, il fut chassé du paradis, et déchu de cette félicité parfaite. Quand il eut encouru le châtiment, pour avoir, malgré la défense de Dieu, goûté du fruit de l'arbre, l'expérience de la punition lui fit mieux comprendre tout ce qu'il y a de mal dans la désobéissance à Dieu, tout ce qu'il y a de bien dans l'obéissance. Voilà pourquoi cet arbre est appelé l'arbre de la science du bien et du mal. Mais, si la connaissance du bien et du mal, n'a pas été le fruit même de l'arbre, si après que l'homme eut mangé le fruit, c'est le châtiment qui lui a manifesté cette connaissance, d'où vient que l'arbre a reçu le nom d'arbre de la science du bien et du mal? Rien d'étonnant à cela; c'est l'usage de l'Écriture de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des choses qui s'y sont produites. Pour être plus clair, je vais citer un exemple : Isaac creusa un puits que ses voisins entreprirent de combler ; de là des querelles, et Isaac, appela le puits, Inimitié. Ce n'était pas que le puits exerçât des inimitiés (Gen. XXVI, 21), mais c'est que des inimitiés s'étaient élevées à propos de ce puits; de même, cet arbre s'appelle l'arbre de la science du bien et du mal, non pas qu'il eut cette science en lui, mais parce qu'il avait été l'occasion qui avait fait reconnaître la science du bien et du mal. Abraham creusa encore un puits, et Abimélech prépara des embûches à Abraham; ils se réconcilièrent, déposèrent leurs inimitiés, se prêtèrent un mutuel serment et appelèrent ce puits le Puits dit Serment. Comprenez-vous que le lieu n'est pas la cause de ce qui arrive, quoiqu'il tire son nom de ce qui est arrivé? S'il faut, à toute force, des exemples, pour rendre plus manifeste ce que nous vous disons, voyez encore : Jacob vit des anges qui venaient au-devant de lui et le camp de Dieu; alors il appela cet endroit le Camp. (Gen. XXXII, 2.) Ce lieu n'était pourtant pas un camp, quoiqu'il ait été appelé de ce nom; mais. C'est que Jacob y avait vu un camp. Comprenez-vous comme un événement, arrivé dans un lieu, a donné, à ce lieu, son nom? Il en est de même de l'arbre de la science du bien et du mal ; ce n'est pas que l'arbre eût en lui-même cette science, mais c'est qu'il fut le lieu, où la science se manifesta. Autre exemple encore : Jacob vit Dieu, autant qu'un homme peut le voir, et il appela le lieu  la Face de Dieu. Pourquoi? parce que j'ai vu Dieu, dit-il. (Gen. XXXII, 30.) Cependant le lieu n'était pas la face de Dieu, mais il a reçu son nom de l'événement qui s'y est passé. Voyez-vous combien d'endroits nous servent à montrer que l'habitude de l'Écriture est de donner aux lieux, les noms des choses qui y sont arrivées ? La même observation s'applique en ce qui concerne les temps. Mais, pour prévenir votre ennui, allons, quittons ce sujet aride, passons à des réflexions plus agréables. Je vois bien que vous êtes fatigués d'avoir séjourné au milieu de pensées trop subtiles. Aussi convient-il de vous récréer, en repaissant votre esprit de pensées plus simples et plus riantes.

Revenons donc à l'arbre salutaire de la croix; car cet arbre a fait disparaître tous les maux que l'autre avait introduits. Disons mieux, ce n'est pas l'autre arbre qui avait introduit les maux, c'est l'homme seul, et, après lui, c'est le Christ qui les a tous fait disparaître, et nous a apporté des biens de beaucoup plus considérables. De là, ce que dit Paul; Où il y a eu abondance de péchés, il y a eu ensuite surabondance de grâces (Rom. V, 20); c'est-à-dire le don est plus grand que le péché. Mais il n'en est pas de la grâce comme du péché (Rom. V, 15.) Dieu n'a pas mesuré à la grandeur du péché, la grandeur du don; à la grandeur de la perte, la grandeur du gain; à la valeur du bâtiment naufragé, la valeur des bénéfices; mais les biens, ont surpassé les maux, et la raison en est évidente. En effet, c'est l'esclave qui a introduit les maux, ils étaient moindres; mais les biens viennent de la grâce du Maître, ils ont été plus considérables. De là, cette parole : Mais il n'en est pas de la grâce comme du péché. Paul explique (469) ensuite la différence : Car nous avons été condamnés, par le jugement de Dieu, pour un seul, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce, après un grand nombre de péchés. (Ibid. 16.) Ce passage est un peu obscur; une explication est nécessaire : Par le jugement, cela veut dire, la peine, le supplice, la mort; pour un seul, c'est-à-dire, pour un seul péché, puisque c'est un seul péché qui a introduit un si grand mal; mais la grâce n'a pas effacé ce péché seul, elle en a supprimé un grand nombre d'autres. C'est- pourquoi Paul nous dit : Au  lieu que nous sommes justifiés par la grâce après plusieurs péchés. C'est ainsi que Jean-Baptiste s'écriait : Voici l'Agneau de Dieu, non pas, qui enlève le péché d'Adam, mais : qui enlève les péchés du monde. (Jean, I, 29.) Voyez-vous qu'il ne faut pas mesurer la grâce au péché? Comprenez-vous que notre arbre nous a donné des biens plais considérables, que né l'étaient,les maux introduits au premier jour?

4. Je vous ai adressé ces paroles, pour que vous ne croyiez pas avoir à vous, plaindre, de vos premiers parents. Le démon a chassé Adam du Paradis; le Christ a introduit le larron dans le ciel. Et voyez la différence : le démon a chassé, du paradis,,un homme qui n'était souillé d'aucun péché; sa désobéissance fut sa seule tache; le Christ e introduit, dans le paradis, le larron, qui portait le fardeau de péchés sans nombre. Mais, devons-nous admirer uniquement ce fait, qu'il a introduit le larron dans le paradis? N'y a-t-il plus rien d'admirable encore? On peut dire un prodige encore plus grand du Christ. Non-seulement, il a introduit le larron, mais il l'a introduit avant le monde entier, avant les apôtres, afin que nul,'après lui, ne pût désespérer d'y entrer, abandonner toute: espérance de, salut, quand on verrait ce criminel ; qui était souillé de tant de forfaits, devenu un habitant de la cour céleste. Mais, examinons; est-ce que le larron lui a montré ses travaux, ses bonnes oeuvres, des fruits de vertu? personne ne saurait le dire; un petit mot, rien qu'un acte de foi, et, devançant les apôtres , il a bondi dans le paradis; c'est afin de vous faire comprendre, que ce n'est pas tant sa vertu, que la bonté du Seigneur, qui a tout opéré. Car enfin, qu'a dit le larron ? qu'a-t-il fait? Est-ce qu'il a jeûné? est-ce qu'il a pleuré? est-ce qu'il s'est affligé? A-t-il manifesté son repentir? Nullement; mais sur la croix même ; à peine eût-il, parlé, qu'il avait obtenu son salut. Voyez la rapidité de la croix; dans le ciel; de la condamnation, aie salut. Or, quelles sont ces paroles, qui eurent tant de puissance, qui procurèrent, à cet homme, des biens si précieux ? Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. (Luc XXIII, 42.) Qu'est-ce à dire? Il s'est borné à demander le bonheur, il n'a rien mérité par ses actions; mais le Christ, connaissant son coeur, ne s'est pas arrêté a ses paroles, il n'a considéré que la disposition de son âme. Ceux qui avaient reçu les enseignements des prophètes, qui avaient vu., les signes, contemplé les miracles, ceux-là disaient du Christ : Il est possédé dit démon, il séduit le peuple. (Math. XI, 18.) Mais le larron, qui. n'avait pas entendu les prophètes, qui n'avait pas vu les prodiges, qui ne l'avait vu que pendu à la croix, ne fait pas attention à son ignominie; malgré son abaissement, il voit sa, divinité ; Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. Chose incroyable ! Tu vois une croix`; et tu parles de royaume? Que vois-tu donc là qui ressemble à un royaume? Un homme crucifié, souffleté, raillé, accusé , couvert de crachats, battu de verges; ce sont là des marques de la royauté? réponds-moi. Comprenez-vous, que ce larron a regardé le Christ avec les yeux de la foi , sans s'occuper de l'apparence ? Aussi Dieu, à son tour, ne s'est pas occupé de ce que pesaient ces paroles si minces ; mais, comme le larron avait vu dans sa divinité, Dieu, de même, a vu dans son coeur, et il lui a dit : Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis. (Luc XXIII, 43.)

Ici, attention, car voici une question qui n'est pas indifférente. Les Manichéens, ces chiens stupides et enragés, portent la modestie sur leur figure, ils recèlent au fond de leur coeur la ragé des chiens; sous la peau de la brebis, se cache le loup. Ne vous tenez pas à l'apparence; fouillez le dedans, mettez, le monstre à découvert; donc, ce sont eux qui saisissent, ici, l'occasion. Le Christ a dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis : donc la rétribution des biens est déjà faite, et la résurrection est superflue. Si, en effet, le larron a reçu les biens qu'il demandait autrefois, et cela, le jour même, et si , jusqu'à présent , son corps n'est pas ressuscité, il n'y aura pas de résurrection des corps. Avez-vous bien compris ce due nous venons de dire, où faut-il vous le répéter? En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd’hui (470) , vous serez avec moi dans le paradis : donc, disent-ils, le larron est entré dans le paradis, sans son corps; c'est évident, puisque son corps n'avait pas été enseveli, ne s'était pas décomposé, réduit en poussière, et il n'est dit nulle part que le Christ l'ait ressuscité. Si le Christ a introduit le larron dans le paradis, sans son corps, lui a donné ses biens en partage, il est manifeste qu'il n'y a pas de résurrection des corps; car s'il y avait résurrection des corps, il ne lui aurait pas dit : Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis : mais il lui aurait fait attendre la consommation des temps, la résurrection des corps. S'il a introduit le larron, tout de suite; si le corps de celui-ci est resté dehors, en proie à la corruption , il est bien évident qu'il n'y a pas de résurrection des corps. Voilà donc ce que disent les Manichéens. Ecoutez, maintenant, ce que . nous leur disons, nous; je me trompe, non pas nous, mais la divine Ecriture, car ce ne sont pas nos pensées que nous exprimons, mais les pensées de l'Esprit-Saint. Voyons, que prétendez-vous ? La chair n'a pas sa part de couronnes ? Mais, elle a eu sa part des fatigues, et elle est privée des récompenses? Quand il fallait combattre, elle versait le plus de sueurs, et, quand vient le temps des couronnes, l'âme seule est couronnée? N'entendez-vous pas la voix de Paul : Nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ , afin que chacun de nous rende compte des actions propres à son corps, soit qu'il ait fait le bien, soit qu'il ait fait le mal. (Rom. XIV, 10, 12; Cor. V, 10.) Ne l'entendez-vous pas encore proclamant : Il faut que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité, et que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité. (I Cor. XV, 53;) Mortel? Qu'est-ce à dire? L'homme. ou le corps? Evidemment c'est le corps : puisque l'âme est immortelle de sa nature, tandis que le corps, de sa nature , est mortel. Mais ces hérétiques savent rogner les textes. Toutefois, il nous en reste assez pour saisir le sens de ce qui a été retranché. Le larron est entré dans le paradis, disent-ils. Eh bien ! après? Sont-ce là les biens que Dieu nous promet?

5. N'entendez-vous pas ce que Paul nous dit, de ces biens? Que l'oeil n'a point vus, que l'oreille n'a pas entendus et que le coeur de l'homme n'a jamais conçus. (I Cor. II, 9.) Eh bien ! quant au paradis, 1'œil d'Adam l'a vu, et son oreille l'a entendu, et le coeur de l'homme l'a conçu. Voilà déjà un grand nombre de jours que nous en parlons. Comment donc le larron a-t-il reçu ces biens? Ce n'est pas dans le. paradis que Dieu promet, de nous introduire, c'est dans le ciel même, et ce n'est pas le royaume du paradis qu'il a prêché, mais le royaume des cieux. Jésus commença, dit l'évangéliste, à, prêcher en disant : faites pénitence, parce que le royaume approche, non pas le royaume du paradis, mais le royaume des cieux. (Math. IV, 17.) Vous savez bien que vous avez perdu le paradis, et Dieu vous a donné le ciel, pour. vous montrer sa bonté, pour irriter . la douleur du démon, pour prouver qu'il a beau tendre mille piéges à la race des hommes, il n'y gagnera rien, Dieu nous élevant toujours à un honneur plus haut. Donc vous avez perdu le paradis, et dieu vous a ouvert le ciel; vous avez été condamnés au travail, pour un temps, et glorifiés de la vie éternelle; il a ordonné à la terre de produire les épines et les chardons, et votre âme à senti germer en elle le fruit de l'Esprit. (Gen. III, 18.) Voyez-vous comme les ressources dépassent le châtiment? comme votre trésor s'est grossi? Exemple: Dieu a formé l'homme de terre et d'eau, et il l'a placé dans le paradis; l'homme ainsi formé n'a pas gardé son innocence, il s'est perverti; Eh bien ! dès lors, ce n'est plus de terre et d'eau que Dieu le recompose, mais d'eau et d'esprit; il ne lui promet plus, dès lors, le paradis, mais le royaume des cieux. Comment? Ecoutez : Un sénateur des Juifs, Nicodème, étant venu furtivement trouver Jésus, s'informait, auprès de lui, de la naissance à cette vie , et lui disait , qu'il était impossible qu'un homme déjà vieux naquit une seconde fois. Voyez de quelle manière le Christ lui explique le mode de la naissance: Si un homme ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux. (Jean, III, 4, 5.) Donc si le Christ a promis le royaume des cieux, et s'il a introduit le larron dans le paradis, il ne lui a pas encore fait la rétribution.

Mais voici encore une autre objection: Le Christ, ici, n'a pas entendu le paradis, mais, par le nom de paradis, il désignait le royaume des cieux, attendu qu'il parlait à un larron, à un homme qui n'avait rien appris de nos dogmes sublimes; quine connaissait rien des prophéties; qui avait passé toute sa vie, dans les lieux déserts, à commettre des meurtres; qui, jamais, n'était entré, même en passant, (471) dans une église; qui n'avait jamais entendu la parole divine; qui enfin, n'avait aucune idée de ce que pouvait être le royaume, des cieux, le Christ lui dit : Aujourd'hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Le Christ s'est servi de ce mot connu, familier, de paradis, pour exprimer le royaume des cieux; c'est de ce royaume que le Christ entend lui parler. J'y consens. Eh bien ! donc, disent les contradicteurs, il,est entré dans le royaume des cieux. Qui le prouve? les paroles prononcées : Aujourd'hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Si cette solution paraît violente, nous en apporterons une autre plus claire. Quelle est-elle? Le Christ a dit : Celui qui ne croit pas au Fils, est déjà condamné. (Jean, III, 18.) Quoi donc? est déjà condamné; mais il n'y a encore ni résurrection, ni châtiment, ni supplice. Comment donc est-il déjà condamné? par son péché. Autre parole : Celui qui croit au Fils, dit le Christ, est déjà passé de la mort à la vie. (Jean, V, 24.) Il ne dit pas, passera, mais est déjà passé. Et, ici encore, c'est, pour l'un, la conséquence de sa foi, pour l'autre, la conséquence de son péché. Donc, de même que l'un est déjà condamné; quoiqu'il n'ait pas encore été condamné, que l'autre soit déjà passé à la vie, quoiqu'il n'y soit pas encore passé; que, pour l'un, c'est l'effet de sa foi, pour l'autre l'effet de son péché; de même que Dieu parle, comme si les événements étaient accomplis, d'événements qui ne sont pas encore accomplis; de même parlait le Christ, quand il s'adressait au larron. Les médecins voient un malade désespéré, il est perdu, disent-ils, il est mort, quoique le malade soit encore vivant; mais, de même que ce malade, parce qu'il n'y a plus d'espoir de salut, est appelé, par les médecins, un homme mort, de même le, larron, parce qu'il avait échappé à toutes les chances de retomber dans la perdition, est entré dans le ciel. Du même genre sont les paroles qu'Adam entendit : Le jour que vous mangerez du fruit de cet arbre, vous mourrez. (Gen. II, 17.) Quoi donc? Est-il donc mort ce jour même? Nullement. Il a vécu depuis plus de neuf cents ans. Pourquoi donc Dieu lui a-t-il dit : Ce jour même vous mourrez? De droit, non de fait. C'est ainsi que le larron est entré dans le ciel. Ecoutez ce que dit Paul, proclamant que personne n'a encore reçu la rétribution des biens. Il parlait des prophètes et des hommes justes, et il ajouta ces paroles : Tous ces saints sont morts dans la foi, n'ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis; mais les voyant, et comme les saluant de loin; Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu'il nous a faite, qu'ils ne reçussent qu'avec nous, l'accomplissement de leur bonheur. (Hébr. XI, 13, 40.) Imprimez-en vous ces paroles, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendue: dans l'église, sur la place publique, à la maison, qu'elles soient le sujet des méditations de chacun de vous; car, il n'est rien de plus doux que d'entendre la divine parole. Ecoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge ! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Ps. CXVIII, 103.) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l'Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes, opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte? Ils font de leur maison, un théâtre; vous, au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera fâche, sans changer les murailles; sans déranger les fondations; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut des cieux. Dieu ne rougit pas d'assister à de tels festins; car c'est là que règnent la doctrine spirituelle et la tempérance et la gravité, et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l'affection et de la vertu, là réside aussi le Christ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l'âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l'aumône. A l'aspect d'un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin; il s'assied à la table; c'est lui-même qui l'a dit : J'ai eu faim et vous m'avez donné, à manger. (Matth. XXV, 35.) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu'à vous, quand vous avez donné à l'indigent, une part quelconque des mets de votre table, c'est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur; et votre table vous l'avez aussitôt comblée de toutes les bénédictions; en offrant vos prémices, vous avez saisi l'occasion la plus favorable d'attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix, qui donne le pain à celui qui !e mange, et la semence au semeur, multiplie (472) votre semence, fasse croître, en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint Esprit, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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