ANALYSE.
1. La saison du jeûne est le printemps des âmes. Puisque nous
entrons dans cet heureux temps, entreprenons de pénétrer les endroits les plus
difficiles de l'Ecriture: philosophons sur la création. Rien nest plus utile que de
savoir ce qu'est la créature, ce qu'est le Créateur. Les erreurs des Manichéens et des
Grecs ne proviennent que de leur ignorance touchant la nature des choses. 2. Dieu
autrefois parlait aux hommes par lui-même : Il emploie maintenant le moyen des lettres,
comme font les hommes eux-mêmes lorsqu'ils correspondent avec des gens éloignés. Moïse
a réfuté les Manichéens longtemps à l'avance, par ces simples mots : Au: commencement,
Dieu créa le ciel et la terre. 3. La raison des choses naturelles nous échappe,
combien plus celle des choses divines; donc, rapportons-nous-en à ce qui nous a été
révélé d'en-haut. 4. Exhortation à l'aumône mêlée à l'éloge de l'évêque
Flavien.
1. Plein de charmes est le printemps, pour les matelots; plein de charmes aussi, pour les agriculteurs; mais, ni matelots ni agriculteurs ne trouvent autant de charmes au printemps, qu'en a, pour ceux qui veulent être sages, le temps du jeûne, spirituel printemps des -âmes, où l'esprit qui médite jouit de la vraie tranquillité. Le printemps charme les agriculteurs, parce qu'ils voient alors les fleurs qui couronnent la terre, le vêtement aux mille couleurs dont la recouvrent de toutes parts les plantes qui grandissent. Le printemps charme les matelots , voguant sans crainte sur les mers, quand les flots sont calmes, et que les dauphins, dans leurs jeux tranquilles, sautent près des flancs du navire. Pour nous, le printemps du jeûne nous charme, parce qu'il apaise les flots, non pas des flots liquides, mais les flots des passions insensées; parce qu'il nous fait, non des couronnes de fleurs, mais des couronnes de grâces spirituelles. Tu recevras, dit le Sage, une couronne de grâces pour ta tête. (Prov. I, 6.) L'apparition de l'hirondelle ne chasse pas les mauvais jours, comme l'apparition du jeûne chasse, loin de nos pensées, les passions mauvaises; alors cesse la lutte de la chair contre l'âme, la révolté de la servante contre la maîtresse. Cette guerre du corps est terminée. Eh bien donc ! puisque nous avons la paix parfaite, la parfaite tranquillité, nous aussi, tirons au large le navire de la doctrine et, du port où nous sommes, lançons-le vers le port où l'appelle votre attention pleine de douceur. Allons , abordons sans crainte les pensées les plus subtiles de l'Ecriture; méditons sur le ciel, sur la terre, sur la mer, sur toute la création, car tel a été le sujet de la lecture d'aujourd'hui. Mais, me dira-t-on, que nous importe la création? elle nous importe beaucoup, mes bien-aimés, car si la grandeur, si (442) la beauté de la créature nous fait comprendre, par analogie, la nature du Créateur, plus nous nous attacherons à contempler la grandeur et la beauté de la créature, plus nous avancerons dans la connaissance du Créateur.
C'est un grand bien que de savoir ce qu'est la créature, ce qu'est le Créateur; quel est l'ouvrage, quel est l'ouvrier. Si les ennemis de la vérité avaient su distinguer exactement ces choses, ils n'auraient pas tout confondu, tout bouleversé; voyez, il ne leur a pas suffi de rabaisser les étoiles et le ciel, et d'exalter la terre, ils ont encore précipité le roi du ciel de son trône royal, ils l'ont confondu avec la créature, et ils ont décerné à la créature les honneurs de la divinité. Si les manichéens avaient su distinguer la vérité, au sujet de la création, ils n'auraient pas décerné à ce qui a été fait de rien, à ce qui est corruptible, sans consistance, toujours changeant, les honneurs qui ne conviennent qu'à l'Etre incréé. Si les Grecs avaient su distinguer la vérité au sujet de la création, ils ne se seraient pas égarés, ils n'auraient pas honoré, adoré la créature, au lieu du Créateur. Si le ciel est beau, c'est pour que vous vous incliniez devant Celui qui l'a fait; si le soleil est brillant, c'est pour que vous offriez votre culte à Celui qui a produit le soleil; mais si vous ne voyez pas plus loin que les merveilles de la créature , si la beauté de l'ouvrage absorbe vos regards, la lumière alors devient pour vous l'obscurité, ou plutôt vous tirez de la lumière l'obscurité. Voyez-vous le grand avantage de comprendre les raisons de la création? Ne négligez donc pas ce profit; soyez attentifs à nos paroles; nous ne vous parlerons pas seulement du ciel, et de la terre, et de la mer, mais encore de notre origine; d'où vient la mort, d'où viennent les fatigues, et les découragements, et les soucis. Car Dieu, pour se justifier, en ce qui concerne ces questions et un grand nombre d'autres, nous a envoyé son livre; car Dieu ne dédaigne pas de se défendre, mais il nous crie par son Prophète : Venez et soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. (Isaïe, I, 18.) Et non-seulement il se défend et il plaide; mais, de plus il nous enseigne à fuir notre condamnation. En effet, il ne dit pas seulement : Venez et soutenez votre cause contre moi. Il commence par nous apprendre ce qu'il faut dire, ce qu'il faut faire, ce n'est qu'ensuite qu'il nous traîne au tribunal. Ecoutez donc la parole du Prophète, en reprenant le texte de plus haut : Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la malignité de vos pensées; apprenez à faire le bien; faites justice à l'orphelin; défendez la veuve. (Ibid. 16.) Et c'est alors qu'il ajoute: Venez et soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. Je ne veux pas, nous dit-il, vous prendre au dépourvu, sans moyen de défense; je vous veux au contraire munis de raisonnements et d'excuses, quand je vous appelle à rendre vos comptes. Car, si je veux discuter avec vous, ce n'est pas pour vous condamner, mais pour vous faire grâce. Aussi, dit-il dans un autre passage: Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié. (Isaïe, XLIII, 26.) Tu as en moi un accusateur amer et cruel ; empresse-toi de le prévenir, parle, ferme-lui sa bouche impudente.
2. Au commencement du monde, Dieu s'entretenait par lui-même avec les hommes, leur parlant autant qu'il est possible aux hommes de l'entendre. C'est ainsi qu'il vint trouver Adam, c'est ainsi qu'il réprimanda Caïn; c'est ainsi qu'il conversa avec Noé; c'est ainsi qu'il se fit l'hôte d'Abraham. Mais, quand notre nature se fut inclinée au mal, et comme condamnée à un lointain exil, dès lors Dieu, nous traitant comme des voyageurs qui vont au loin, nous envoya des lettres, comme s'il voulait, par cette correspondance , renouveler avec nous son ancienne amitié. Ce sont des lettres de ce genre, envoyées de Dieu, qu'apporta Moïse. Que nous disent-elles : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre? Pourquoi ne nous parle-t-il ici ni des anges ni des archanges? Si, en effet, le Créateur se montre dans les créatures, les anges peuvent beaucoup plus nous le faire voir; la beauté du ciel n'égale pas la beauté de l'ange; la splendeur du soleil n'égale pas la splendeur de l'archange. Pourquoi donc, négligeant la route plus élevée, nous conduit-il par la plus basse? C'est qu'il converse avec les Juifs, peu intelligents, attachés aux choses des sens, revenus depuis peu de l'Egypte, où ils avaient vu des crocodiles, des chiens, des singes, honorés par les hommes, et on ne pouvait pas prendre le chemin le plus élevé, pour les conduire au Créateur. Sans doute, l'autre chemin est plus élevé, mais plus rude, escarpé, ardu pour les faibles. Voilà pourquoi Moïse conduit les Juifs par la route qui est plus facile, par le ciel, la terre, la mer et toutes les créatures visibles. Et ce qui prouve que je vous ai donné la vraie cause, c'est que, (443) quand les Juifs eurent fait quelques progrès, le Prophète leur parle ainsi des vertus d'en-haut: Louez le Seigneur, dit-il, ô vous qui êtes dans les cieux; louez-le dans les plus hauts lieux; louez-le, vous tous qui êtes ses anges; louez-le, vous tous qui composez ses armées; car il a parlé et toutes choses. ont été faites; il a commandé, et elles ont été créées ! (Ps. CXLVIII, 1, 2, 5) Et qu'y a-t-il d'étonnant que l'Ancien Testament nous montre cette, manière d'enseignement puisque nous voyons dans le Nouveau Testament, à l'heure où la doctrine s'élève à une hauteur sublime, Paul, s'adressant aux Athéniens, suivre la même route que Moïse, instruisant les Juifs? Et en effet, il ne leur parle ni d'anges, ni d'archanges; c'est du ciel, et de la terre, et de la mer qu'il entretient le peuple assemblé : Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite point dans les temples bâtis par les hommes. (Act. XVII, 24.) Mais, lorsque Paul s'adressait aux Philippiens, il ne les conduisait pas par la même route ; il leur donnait l'enseignement plus élevé, dans ces paroles : Car tout a été créé par lui, dans le ciel et sur la terre, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances; tout a été créé par lui et pour lui. (Coloss. I, 16.) C'est ainsi que Jean, qui avait des disciples plus avancés, a passé en revue toute la création. En effet, il ne dit pas : le ciel et la terre et la mer, mais : toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui (Jean, I, 3) ; aussi bien, dit-il, ce qui est visible, que ce qui est invisible. On sait ce qui se passe chez les maîtres d'écoles : l'un reçoit un jeune enfant des bras de sa mère, et lui apprend les premiers éléments; un autre maître, ensuite, élève l'écolier à un plus haut enseignement; c'est ce qui est arrivé à Moïse, à Paul, à Jean. Moïse nous a pris ignorants de tout, sevrés de la veille, et nous a enseigné les premiers éléments de la connaissance de Dieu; Jean et Paul, qui ont reçu les hommes comme sortant de lécole de Moïse, les conduisent à des enseignements plus élevés, leur résumant toutefois les premières leçons en peu de mots. Avez-vous bien compris l'affinité des deux Testaments? Avez-vous bien compris l'harmonie des enseignements ? Vous rappelez-vous, dans l'Ancien Testament les paroles de David sur la création des choses sensibles et des choses spirituelles : Car il a parlé et les choses ont été faites. (Ps. XXXII, 9.) C'est ainsi que dans le Nouveau Testament, après qu'il a été parlé des puissances invisibles, il est de plus fait mention des créatures sensibles. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre; brève parole assurément, parole bien simple, il n'y a là qu'un seul mot, mais capable de renverser toutes les tours de nos adversaires; faites attention.
Arrive un manichéen disant: La matière n'a pas été créée : répondez-lui : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre; et vous avez renversé toute son arrogance en un instant. Mais il ne croit pas, dit-il, à la parole de l'Ecriture. Eh bien ! pour cette raison; écartez-le comme on écarte un fou, détournez-vous de lui : car, celui qui ne croit pas à Dieu, se révélant en toute lumière, et qui accuse de mensonge la vérité, comment ne serait-ce pas un fou manifeste, dont l'incrédulité prouve la folie ? Mais comment, me dit-on, de rien quelque chose peut-il être fait? Eh bien ! vous, répondez-moi. Comment, de ce qui existe, quelque chose pourrait-il être fait? car, que la terre ait été faite de ce qui n'était pas, moi je le crois, tandis que vous en doutez; mais que, de la terre l'homme ait été fait, c'est ce que nous reconnaissons également. Répondez-moi donc sur ce que nous reconnaissons vous et moi, répondez à la question la plus facile. Comment, avec de la terre, de la chair a-t-elle été faite? Car, c'est de la terre que vient la boue, la brique, l'argile des vases, les coquilles; mais de la chair sortant de la terre, c'est ce que nul ne saurait voir. Comment donc la chair a-t-elle été faite ? Comment les os ont-ils été formés? Comment les nerfs? comment les veines? comment les artères? comment les membranes, la graisse, la peau, les ongles, les cheveux; et toute cette diversité de substances, provenant d'une seule et même substance, la terre ? Ici, vous n'avez rien à dire. N'est-il pas absurde, à qui ne sait rien de ce qui est plus clair et plus facile à comprendre, de se consumer en efforts superflus, pour expliquer ce qui est difficile, ce qui est inaccessible ?
3. Voulez-vous que je vous conduise à des sujets plus faciles, que je vous propose des problèmes de tous les jours, que pourtant vous ne pourrez pas m'expliquer? Nous mangeons du pain, tous les jours; comment, répondez-moi, le pain se change-t-il en sang, en pituite, en bile, en toutes les autres humeurs; car le (444) pain, c'est bien quelque chose de solide et de dur; le sang au contraire est mou et fluide; le bon pain est blanc de la couleur du froment, le sang est rouge et noir; passez en revue lés autres différences, vous trouverez que le pain et le sang sont loin de se ressembler; expliquez donc ce fait, .répondez-moi, rendez-moi compte; impossible à vous. Comment vous, qui ne pouvez rendre compte de votre nourriture, qui se change tous les jours en d'autres substances, vous me demanderez de vous rendre compte de la création opérée pat Dieu ! Eh ! n'est-ce pas le comble de la démence? Si Dieu nous ressemble, demandez-lui compte de ce qu'il fait; je me trompe, je retire cette concession. Il y a certes un grand nombre d'ouvrages humains que nous ne pouvons expliquer; par exemple : comment, avec du minerai, fait-on de l'or? comment le sable se change-t-il en un verre transparent? Des produits de l'industrie humaine, c'est de beaucoup le plus grand nombre que nous ne pouvons expliquer. Pourtant, non : si Dieu nous ressemble, je veux bien que vous lui demandiez compte; mais maintenant, si un immense intervalle le sépare de nous, s'il est, d'une manière incomparable, au-dessus de nous, n'est-ce pas le comble de la démence, pour ceux qui reconnaissent sa sagesse et sa puissance infinie, ce qu'il a de divin, d'incompréhensible, d'aller, comme s'il s'agissait de quelque industrie humaine, lui demander compte, en détail, de chacun de ses ouvrages? Eh bien donc, laissant. de côté ces raisonnements, revenons à notre pierre, à notre roc inébranlable . Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Tenez-vous sur ce fondement solide afin de résister aux flots des pensées humaines. Les pensées des mortels sont timides, et incertaines leurs inventions. (Sag. IX, 14.) N'abandonnez donc pas ce qui est ferme, pour confier le salut de votre' âme à la faiblesse, à (erreur des raisonnements. Tenez-vous-en à ce que vous avez appris et que vous avez cru, et dites : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Si un Manichéen, si Marcion, si les malades que Valentin a faits, si tout autre se présente, jetez-lui à la face cette parole; si vous le voyez rire, versez des larmes sur sa démence. Vous connaissez ces personnages au teint jaune, au sourcil abaissé; ils ont des paroles modestes; fuyez l'amorce, sachez découvrir, sous la peau de la brebis, le loup qui s'y cache; détestez-le surtout parce qu'en même temps qu'il semble affable et doux envers vous, envers son compagnon, serviteur comme lui, il est, contre notre commun Maître, notre Seigneur à tous, plus furieux que le chien possédé par la rage. C'est une guerre implacable que fait au ciel cet irréconciliable ennemi, et il élève comme une puissance contraire qu'il oppose à Dieu. Fuyez le venin de l'iniquité, détestez les poisons mortels; l'héritage que vous avez reçu de vos pères, gardez-le, conservez la foi, l'enseignement de la divine Ecriture, avec une prudence que rien ne puisse surprendre. Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre. Qu'est-ce que cela veut dire? D'abord le ciel, ensuite la terre ? D'abord le toit, ensuite le sol? Dieu n'est pas subordonné à la nécessité de la nature; les règles de l'art ne le tiennent pas asservi. Nature, art, toutes choses, la seule volonté de Dieu fait tout, dispose tout. La terre était invisible et sans forme. Pourquoi a-t-il donné au ciel, en le créant, la perfection? tandis que, pour la terre, il l'a faite à plusieurs reprises, selon ce que raconte Moïse? C'est, afin qu'ayant vu sa puissance, dans ce qu'il y a de meilleur, vous eussiez la certitude qu'il pouvait également donner à la terre la même perfection qu'au ciel; c'est parce qu'il pensait à vous, à votre salut, qu'il a procédé pour la terre autrement que pour le ciel. Comment, me direz-vous, c'est parce qu'il pensait à moi, à mon salut? La terre est notre table commune, notre patrie, notre nourrice, notre mère commune à tous, notre cité, notre tombe également commune, car nos corps viennent d'elle; d'elle vient aussi laliment de nos corps; c'est elle que nous habitons; c'est en elle que nous. demeurons; c'est en elle, après la mort, que cous devons retourner. Il- ne fallait pas que, préoccupés de la nécessité satisfaite à chaque instant par elle, vous eussiez pour elle unes admiration exagérée; il ne fallait pas que l'abondance de ces bienfaits fût pour vous une cause d'impiété et de chute, et il déclare que cette terre était d'abord informe, sans beauté, afin que la considération de ce qui lui manque élevât votre admiration vers Celui qui l'a faite, qui lui a donné toutes ses vertus, et vous portât à célébrer Celui qui a produit de si grandes choses pour notre usage. Or, maintenant, ce qu'il faut pour glorifier Dieu, ce n'est pas seulement la rectitude des opinions, mais l'excellence de la conduite. Que votre lumière, dit le (445) Seigneur, luise devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient voire Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 16.)
4. Je voulais ajouter, à ce discours, des réflexions sur l'aumône, mais il me paraît superflu de vous l'enseigner par des paroles, quand vous avez, pour vous instruire, les actions et les exemples de celui qui est assis au milieu de nous (1), de notre commun père et docteur; on dirait qu'il n'a reçu, de ses frères, son patrimoine que pour le consacrer aux soins de l'hospitalité, à ceux qu'on chasse dé toutes parts parce qu'ils confessent la vérité; il les accueille et toutes, ses ressources, il les emploie à les réconforter, de sorte que l'on ne saurait dire si sa maison lui appartient ou s'il faut l'appeler la maison des étrangers. Je me trompe, ne faut-il pas dire que c'est sa maison, précisément parce que c'est la maison des étrangers? En effet, nous sommes les maîtres de nos biens, surtout quand ce n'est pas pour nous, mais pour les pauvres, que nous les possédons, que nous les dépensons. Je m'explique : l'argent que vous déposez dans la main du pauvre, n'a plus à craindre, ni le calomniateur, ni les regards de l'envie, ni le voleur,, ni le brigand qui perce les murailles , ni l'esclave qui le ravit et prend la fuite: la main du pauvre est un asile. Enfouir l'argent chez vous, c'est l'exposer au voleur , au brigand qui perce les murailles, à l'envieux, au calomniateur, à l'esclave, à tout ce qui le perd; il arrive souvent qu'à force de portes et de verroux on préserve son argent des pertes du dehors; mais on ne le préserve pas contre ceux qui le gardent dans la maison, et ceux à qui on l'a confié s'en emparent et prennent la fuite. Vous voyez bien maintenant que la vraie manière, pour nous, de nous rendre les maîtres de nos biens, c'est de les déposer dans les mains des pauvres, et ce n'est pas là seulement la garde la plus sûre, c'est aussi le meilleur moyen d'augmenter le profit et le revenu; qui prête à un homme, reçoit un centième; qui prête à Dieu, par le
1 L'évêque Flavien.
moyen du pauvre, ne reçoit pas le centième, mais le centuple: Si vous ensemencez un champ fertile, si la moisson est abondante, elle vous rend dix fois lai semence; si vous ensemencez le ciel, après avoir reçu le centuple vous posséderez encore la vie éternelle, la vie qui ne connaît ni la vieillesse ni la mort. Et il faut prendre beaucoup de peine pour cultiver un champ; celui qui ensemence le ciel, n'a besoin, ni de charrue, ni de boeufs, ni de culture pénible, ni de tant d'autres travaux, ni de tant de fatigues, et la semence pullule, et, ni les chaleurs, ni les pluies, ni les chenilles, ni la grêle, ni les sauterelles, ni les fleuves débordés, ni tous les fléaux de ce genre n'épouvantent le semeur. Les semences que l'on fait là-haut ne se perdent jamais. Eh bien donc ! puisqu'il n'y a ni travail, ni danger, ni inquiétude, ni perte possible; puisqu'une fois qu'on a jeté la semence, il en sort une moisson, qui rend ; tant et tant de, fois la semence, tant de biens, tant de richesses qui pullulent, biens que l'oeil n'a point vus, que l'oreille n'a pas entendus, et que le cur de l'homme n'a jamais conçus. (I Cor. II, 9.) N'est-ce pas le comble de la négligence,, de ne pas voir le bien le plus précieux et de poursuivre le moins considérable; d'abandonner, le certain, pour aller à ce qui est incertain, plein de dangers, exposé aux malheurs sans nombre? Quel droit pouvons-nous avoir au pardon? Quelle peut être notre excuse? Nous nous faisons un prétexte de la pauvreté; mais nous ne sommes pas plus pauvres que cette veuve, qui, n'ayant que deux petites pièces de monnaie, les déposa dans le tronc des pauvres. (Luc, XXI, 2.) Soyons donc jaloux des richesses de cette femme; imitons sa munificence pour obtenir les biens qui lui sont réservés et puissions-nous, tous, les conquérir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.