PRÉFACE

PRÉFACE

pour les Homélies de saint Jean Chrysostome

SUR LES DEUX ÉPÎTRES AUX CORINTHIENS

 

§. I — 1° Du mérite de ces Homélies. — 2° Du prologue de ces mêmes Homélies. — 3o Quelques savants ne veulent pas qu'il soit de saint Chrysostome.

 

1° Parmi les oeuvres de saint Chrysostome les plus estimées et les meilleures, on compte les homélies sur les deux épîtres aux Corinthiens. Ces homélies sont au premier rang pour l'élégance de la forme aussi bien que pour l'importance de la matière. on peut le dire surtout des homélies sur la première épître, que l'on préfère généralement aux homélies sur ,la seconde épître, à cause du style qui en est plus figuré et plus soigné. On remarque en effet dans les premières une diction plus abondante, un grand nombre de mots piquants et de détails intéressants. Il serait difficile de trouver rien qui soit travaillé avec plus de soin que ces homélies : c'est au point que plus d'un parmi lès lecteurs modernes trouvera que l'auteur va trop loin en ce genre et qu'il excède les justes bornes. Mais en cela le saint Docteur n'a fait que remplir le premier et principal devoir d'un orateur qui est de connaître à fond le goût et l'esprit de son auditoire, pour s'y conformer rigoureusement. Il ne se trompait pas puisqu'il plaisait, et il plaisait tellement, qu'il était souvent interrompu soit par des frémissements approbateurs, soit même par des applaudissements bruyants qui éclataient malgré tous les efforts du prédicateur pour empêcher ces sortes de manifestations. Les controverses fréquentes et les luttes pour ainsi dire corps à corps avec les philosophes profanes, avec les adorateurs des faux dieux, avec certains hérétiques, des détails concernant les moeurs du siècle, viennent encore ajouter un nouvel intérêt à ces homélies sur la première épître.

2° Ces homélies sont précédées d'une préface que nul ne fierait difficulté d'attribuer à saint Chrysostome, si l'on n'y lisait le passage suivant : « Paul a beaucoup souffert dans cette ville; le Christ s'y montra à lui et lui dit : Ne te tais point, mais parle : parce qu'un peuple. nombreux m'appartient dans cette ville. Et il y demeura deux ans. C'est là que le démon maltraita les exorcistes juifs, là que certaines personnes touchées de repentir brillèrent des livres de magie, et il y en eut pour cinquante mille deniers de brûlés; là enfin que Paul fut battu en présence de Gallion, le proconsul, siégeant sur son tribunal ».

3° il y a tant de grosses erreurs dans ce passage, qu'il est difficile de croire qu'un homme aussi versé dans les saintes Ecritures que l'était saint Chrysostome, en soit l'auteur. Est-ce l'un des hommes qui a le mieux possédé la sainte Ecriture ? est-ce surtout le commentateur des Actes, l'homme qui (294) avait si bien étudié toutes les démarches comme toutes les paroles de l'apôtre saint Paul? est-ce bien celui -là qui a pu transposer d'Ephèse à Corinthe deux faits aussi importants que celui du démon maltraitant les fils du juif Scéva qui tentaient de l'exorciser, et que celui des livres de magie brûlés en si grande quantité ? C'est là, encore une fois, quelque chose qu'on a de la peine à croire. Ce n'est pas non plus Paul , mais Sosthène qui fut battu. Il est bien vrai que l'on rencontre quelques lapsus memoriae dans saint Chrysostome; il cite quelquefois un livre de l'Ecriture pour un autre; mais celui-ci serait bien fort. Toutefois, si l'on retranche cet endroit, le reste de la pièce est si bien fait, si bien tourné, qu'il me semble y reconnaître saint Chrysostome; et ce qui m'empêche surtout d'adopter pleinement l'avis des hommes doctes qui nient l'authenticité de cette préface, c'est qu'elle se termine de telle manière que l'auteur de la première homélie semble prendre de là son point de départ comme s'il reprenait le fil de son discours. Pour preuve que la mémoire fait quelquefois défaut à saint Chrysostome, voyez le commentaire sur l'épître aux Galates, chap. I, 1 , où le saint Docteur met Milésiens au lieu d'Ephésiens.

 

§ II. — 1° Que les Homélies sur la première Epitre aux Corinthiens furent prononcées à Antioche, selon le témoignage de saint Chrysostome lui-même. — 2° Qu'elles contiennent beaucoup de choses d'un grand intérêt touchant les philosophes profanes : — 3° Touchant les hérétiques Manichéens et Marcionites. — 4° Rite ridicule des Marcionites. — 5° Que les moeurs des chrétiens d'Antioche y sont censurées avec énergie. — 6° Diverses autres observations.

 

1° C'est dans la vingtième homélie que saint Chrysostome nous apprend qu'il prêchait à Antioche, et voici à quelle occasion : Il y avait dans cette ville beaucoup de riches avares, très-peu portés à la pratique de l'aumône; ils ne savaient que repousser durement, sans leur donner môme une obole, les pauvres qui se présentaient sur leur passage. De leur côté, les pauvres usaient des moyens les plus barbares pour émouvoir la pitié; les uns crevaient les yeux à leurs enfants ; les autres, pour attirer l'attention de la foule, mangeaient des cuirs de vieux souliers; ceux-ci se plantaient des clous dais la tête, ceux-là demeuraient assis jusqu'au ventre dans. de l'eau glacée; d'autres avaient recours à des moyens encore plus singuliers et plus douloureux. La vue de ces horreurs émouvaient ces citoyens opulents qui donnaient alors l'argent à pleines mâtins à. ceux dont ils venaient de repousser les prières. Pour flétrir une pareille conduite, comme c'était son devoir, le saint Docteur ne trouve .pas de termes assez forts ; et afin de les corriger par un exemple, il leur rappelle en 1a mémoire ces anciens habitants d'Antioche qui florissaient dans les temps apostoliques, qui furent les premiers appelés chrétiens, et qui prodiguaient si généreusement leurs biens pour subvenir aux besoins des pauvres et des églises. Mais parce que ces riches avaient coutume de renvoyer les indigents et les mendiants à l'église d'Antioche, qui jouissait de gros revenus, le savant Docteur leur répond que l’aumône faite par l'Eglise ne leur conférera aucun mérite s'ils ne donnent eux-mêmes largement pour le soulagement des pauvres. Saint Chrysostome nous dit dans une autre homélie que l'église d'Antioche pouvait, avec son seul revenu, pourvoir à l'entretien journalier de trois mille veuves. et vierges. Il est donc constant, par le témoignage de saint Chrysostome lui-même, que ces Homélies furent prononcées à Antioche.

2° Les paroles de l'apôtre fournissent à l’orateur l'occasion de sorties fréquentes contre les philosophes profanes, contre les adorateurs des idoles. Il rapporte (troisième homélie) une dispute d'un platonicien avec un chrétien, dans laquelle un raisonne de part et d'autre avec tant d'irréflexion, que les deux adversaires en viennent jusqu'à parler contre leur.: propre cause et à plaider le contre-pied sana s'en apercevoir. Il n'est pas rare qu'il attaque Platon : il l'accuse d'avoir honoré des lieux auxquels il ne croyait pas (Hom. 29) ; il parle de son voyage en Sicile (Hom. 4); il dit que ce philosophe se fatigua longtemps autour du point de la ligne et des angles. Il cite des~vers d'un poète inconnu, et raconte une histoire honteuse de la Pythie (Hom. 29). Il cite l'exemple de Socrate qui supportait sans se plaindre l'humeur fâcheuse et satirique de sa femme. A ce trait, les auditeurs ayant poussé de bruyants éclats de rire, l'orateur les réprimanda par ces paroles : « Vous riez aux éclats, et moi je gémis profondément lorsque je vois des païens se montrer plus sages que mous, à qui notre loi commande d'imiter les anges; que dis-je de chercher à ressembler à Dieu lui-même par la mansuétude et la  patience (Hom. 27) ». il parle aussi des athées Diagoras et Théodore (Hom. 4). Il dit ça et là quelques mots de Pythagore (Hom. 7). Il dit que c'était par vanité que Diogène, le cynique, habitait dans (295) un tonneau et étalait à tous les yeux les haillons dont il était couvert (Hom. 35). Il critique de même divers autres philosophes grecs.

3° Il combat souvent le: manichéisme (Hom. 7, 28, 29); hérésie dont le venin était répandu par tout l'Orient. Le saint Docteur parle encore au commencement de L'homélie quarante-et-unième de certains hérétiques qui soutenaient rué nous ressusciterions avec un autre corps que celui avec lequel nous vivons sur cette terre. Je crois que ces hérétiques n'étaient autres que les manichéens. En effet, comme les manichéens attribuaient au démon la création de notre corps, et qu'ils le considéraient comme essentiellement mauvais, l'opinion que nous ressusciterions avec un autre corps, devait nécessairement être la leur. Cette opinion, saint, Chrysostome la. rappelle encore dans la dixième homélie sûr la seconde aux Corinthiens.

4° Ce sont encore les marcionites qui sont en Lutte à ses attaques, particulièrement lorsqu'il en vient à ce passage difficile à expliquer : « Autrement, que feront ceux qui sont baptisés pour les morts? « (I Cor. XV, 29.) Voulez-vous », dit-il, « que je vous rapporte comment les malheureux qui sont infectés du venin de l'hérétique Marcion, abusent de cette parole? Je n'ignore pas que je vais vous exciter à rire : je parlerai néanmoins afin de mieux vous détourner de cette peste. Lorsqu'un catéchumène meurt parmi eux, ils font cacher sous le lit du mort un homme vivant, puis s'approchant du mort, ils lui adressent la parole, et lui demandent s'il veut recevoir le baptême. Le mort, bien a entendu, ne répond pas, mais la personne qui est cachée sous le lit répond pour lui et dit qu'il veut être baptisé; et alors on le baptise au lieu de celui qui est mort. Voilà quelle espèce de comédie ils jouent; tel est l'empire que le diable exerce dans l’esprit des ignorants. Et lorsqu'on leur reproche cette absurde et criminelle pratique, ils répondent en citant cette parole de l'apôtre : ceux qui sont baptisés pour les morts ». Saint Chrysostome combat aussi les pneumatomaques, qui niaient la divinité du Saint-Esprit, dans l'homélie vingt-neuvième. Mais il n'insiste pas beaucoup sur ce sujet.

5° La correction. des moeurs occupe aussi une large place dans ces homélies. Les mœurs, à Antioche, étaient fort dissolues; le paganisme chassé des doctrines s'était retranché dans les moeurs et dans les coutumes. Ainsi, la célébration des mariages se faisait au milieu d'un grand vacarme de cymbales, de fêtes, de danses, de chansons et de quolibets obscènes, en un mot d'un grand déploiement de pompes diaboliques. A la tombée de la nuit, la nouvelle mariée était conduite sur la place, au milieu d'une troupe de vauriens et d'hommes perdus de vices qui vomissaient toutes sortes de propos déshonnêtes entendus des jeunes filles qui faisaient partie de l'escorte. On croyait tout permis ces jours-là. Si, plus tard, d'un tel mariage il naissait un enfant, il donnait lieu à,.une multitude de pratiques superstitieuses. Par exemple, on allumait plusieurs lampes auxquelles on appliquait des noms, et l'on donnait ensuite à l'enfant le nom de celle dont la lumière avait duré le plus longtemps. On lui faisait porter en guise d'amulettes, des sistres et un fil de, pourpre. Il y avait. encore beaucoup d'autres superstitions à propos des naissances, et surtout des décès et des funérailles oie l'on voyait des troupes de pleureuses comme chez les anciens païens.

6° Dans l'homélie dix-neuvième, saint Chrysostome, après avoir parlé de la virginité assez au long, renvoie encore à son livre de la Virginité. Dans l'homélie vingt-quatrième, il s'exprime si nettement, si clairement au sujet de la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, il l'affirme si énergique ment et tant de fois, qu'à moins d'être aveuglé par une opinion préconçue sur cette matière, il est impossible de ne pas reconnaître que telle était la croyance de l'Eglise dans ce siècle. Dans l'homélie quarante-troisième, il dit que nul chrétien ne se mettait en prière avant de s'être lavé les mains, préparation extérieure qui était le signe de la préparation intérieure que demande la prière.

 

§ III. — Des homélies sur la seconde aux Corinthiens.

 

Ces homélies n'ont pas été travaillées avec le même soin que les homélies sur la première. Le Style en est moins abondant, moins ample ; le ton en est plus calme et se trouve du reste en rapport avec celui de cette seconde épître, beaucoup moins véhémente que la première. En sorte que dans l'un comme dans l'autre cas l'apôtre a, pour ainsi dire, donné le ton à son commentateur. Savile (296) penchait à croire que les homélies sur la seconde épître auraient été prononcées à Constantinople, mais il est réfuté par Montfaucon, qui, d'accord avec Tillemont, se déclare pour Antioche.

L'orateur poursuit encore ici les Marcionites (Hom. 8) qui reconnaissaient la justice, mais non la bonté du Créateur, et les Manichéens, impies qui attribuaient la création de cet univers au démon. Il attaque encore d'autres hérétiques qui disaient que le monde était Dieu.

Entre autres choses dignes de remarque, saint Chrysostome applique à saint Barnabé ces paroles de saint Paul : cujus laus est in Evangelio, opinion contraire au sentiment le plus commun qui les appliqué à saint Luc. Il  rapporte aussi (Hom. 26) qu'Alexandre-le-Grand fut déclaré par le sénat romain le treizième grand dieu, ce que, dit, Montfaucon, je ne me souviens pas d'avoir, tu nulle part ailleurs. Il mentionne un rit singulier et d'un usage fréquent, c'est que ceux qui entraient dans l'église baisaient le vestibule de l'église.

 

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