101
Analyse.
1. L'apôtre se réjouit de la charité qui anime les fidèles de
Corinthe. Il les a trouvés louables dans toute leur conduite, et il espère tout
d'eux.
2. Il leur cite pour les exciter l'exemple des Macédoniens
, dont la joie a été grande au milieu des tribulations, et dont les aumônes ont
été abondantes.
3. Les Macédoniens ont été en même temps pleins de docilité;
saint Paul envoie Tite aux Corinthiens pour que ceux-ci ne le cèdent en rien aux
Macédoniens. Eloge de Tite.
4. L'aumône est une bonne couvre plus méritoire que le rappel
des. morts à la vie. Pour être véritablement
l'aumône, elle doit être désintéressée.
1. Voyez encore une fois comme il exalte leurs louanges, et comme il montre leur charité. Après avoir dit qu'il a été joyeux que sa lettre ait produit un si grand résultat, et qu'ils en aient tiré tant de profit : « Je me réjouis, non pas de ce que vous avez été affligés, mais de ce que cette affliction vous a conduits à la pénitence (9) » ; après avoir montré son affection pour eux : « Et si je vous ai écrit », dit-il, « ce n'est pas à cause de lauteur de linjure, ni à cause de celui qui l'a reçue, mais c'est afin de manifester à vos yeux notre zèle pour vous (12) » ; il ajoute un autre signe de leurs bonnes dispositions qui leur fait beaucoup d'honneur, et qui montre combien leur charité est sincère : « Dans votre consolation », dit-il, « nous nous sommes réjouis plus surabondamment encore de la joie de Tite (13) ». Pourtant, ce n'est pas le fait d'un homme qui les aime beaucoup, de se réjouir de ce qui arrive à Tite, plutôt que de ce qui leur arrive. Si fait, nous dit l'apôtre; car je ne m'en suis pas tant réjoui pour lui que pour vous. Et c'est pourquoi il en donne ensuite la causé en ces termes : « Parce que son coeur s'est reposé, grâce à vous tous ». Il n'a pas dit : Lui, mais : « Son coeur », c'est-à-dire, sa charité pour vous: Et comment s'est-il reposé? « Grâce à vous tous ». Et en effet, c'est encore là un fort grand éloge. « Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de à lui (14) ». Grand éloge pour les disciples que leur maître se glorifie d'eux ! « Je n'ai pas ««'en », dit-il, « à en rougir {14) ». Je me suis réjoui, veut-il dire, de ce que vous êtes devenus meilleurs, et cte ce que vous avez confirmé mes paroles par vos oeuvras. De sorte que c'est pour moi un double honneur, puisque vous avez fait des progrès, et que moi, on a vu que je ne m'écartais pas de la vérité. « Mais de même que nous vous avons toujours parlé avec vérité, ainsi quand nous nous sommes glorifié de vous auprès de Tite, cela s'est trouvé conforme à la vérité (44) ». Ici, l'apôtre nous donne encore autre chose à entendre; de même que tout ce que nous vous avons dit a été selon la vérité, car il est naturel qu'il leur ait fait aussi beaucoup d'éloges ale Tite, ainsi les choses que nous avons dites à Tite sur votre compte, ont été trouvées vraies. « Et ses entrailles ressentent pour vous une tendresse bien plus vive (15) ». Ces paroles sont d'un homme qui leur recommande Tite comme ayant pour eux une ardente charité, et leur. étant extrêmement attaché. Et il n'a pas dit : Sa charité, mais : « Ses entrailles ». Puis, (102)
pour qu'on ne pense pas qu'il le flatte, il ajoute partout les motifs de cette affection, afin, comme je viens de le dire, d'échapper au soupçon de flatterie, et afin de les exhorter encore mieux, en faisant retomber l'éloge sur eux ; et en leur montrant que ce sont eux qui ont fait naître en lui le principe et le motif d'une telle charité. Car, après avoir dit « Ses entrailles ressentent pour, vous une tendresse bien plus vive », il ajoute: « Car il se souvient de votre docilité à tous ».
Ce langage nous montre aussi Tite reconnaissant envers ses bienfaiteurs, puisqu'il est revenu les portant tous dans son coeur, qu'il se souvient continuellement d'eux, et qu'ils sont perpétuellement à sa bouche et dans sa pensée. Il fait aussi aux Corinthiens un mérite encore plus grand de ce que, lorsqu'ils laissèrent Tite partir, ils se l'étaient ainsi gagné. Ensuite, il parle aussi de leur docilité pour accroître leur zèle; c'est pour cela qu'il ajoute : « De la crainte, et du tremblement avec lesquels vous l'avez reçu (15) ». Non pas avec charité seulement, mais aussi avec un extrême respect. Vous le voyez, il rend témoignage de deux mérites en eux : -de ce qu'ils l'aimaient comme un père, et de ce qu'ils le craignaient comme un supérieur, sans que cette crainte affaiblît leur affection, sans que cette affection détruisît leur crainte. C'est ce qu'il avait déjà dit plus haut : « Cette tristesse selon Dieu que vous avez eue, quelle vigilance n'a-t-elle pas produite en vous , et aussi quelle crainte et quels soupirs (11) ? Je me réjouis donc, parce que j'ai en tout confiance en vous (16) ». Voyez-vous que c'est en eux qu'il se réjouit surtout? C'est, veut-il dire, parce que vous n'avez été en aucune circonstance la honte de votre maître; et que vous ne vous montrez pas indignes du mon témoignage. Ainsi, il ne se réjouissait pas tant à propos de Tite, de ce que celui-ci avait été l'objet d'un si grand respect, qu'à propos des Corinthiens, de ce qu'ils avaient fait preuve d'une si grande reconnaissance. Car afin qu'on ne crût pas qu'il se réjouissait plus à cause de lui qu'à cause d'eux , voyez comme il en donne encore ici le motif. De même qu'il a dit plus haut : « Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de lui, je n'ai pas eu à en rougir » ; de même. ici encore : « Parce que j'ai eu toute confiance en vous ». Ai-je à vous réprimander? Je ne crains pas de votre part une rupture avec moi ; ai-je à me glorifier de vous ? Je n'ai pas à redouter d'être convaincu d'avoir tort; en un mot, que j'aie à louer en vous soit l'obéissance, soit la charité, soit le zèle, j'ai confiance en vous. Je vous ai dit de couper, et vous avez coupé; je vous ai dit d'accueillir, et vous avez accueilli; j'ai dit en présence de Tite que vous êtes magnanimes et admirables; que vous savez respecter vos maîtres ; et par votre conduite vous avez prouvé que cela est vrai. Bien plus, ce n'est pas tant de moi que de vous-mêmes que Tite a pu l'apprendre. Aussi est-il revenu rempli pour vous d'un amour enthousiaste, car vous avez offert à ses yeux plus encore que mes paroles n'avaient annoncé. « Or, je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ». (VIII, 1.)
2. Quand il les a élevés par ses. éloges, il en, vient à l'exhortation. Et s'il a mêlé les louanges aux reproches, c'est de peur, en passant du reproche à l'exhortation, de rendre ses paroles difficiles à accepter; -il veut, en commençant par flatter leurs oreilles, frayer la route à ses exhortations. Il se propose de parler sur l'aumône : aussi a-t-il la précaution de dire : « Je me réjouis de ce qu'en tout j'ai confiance en vous » ; faisant servir leurs mérites précédents à augmenter leur bonne volonté pour la circonstance présente. Il ne dit pas immédiatement : Faites donc l'aumône; mais voyez sa prudence; voyez comme il prépare de loin son discours, comme il le prend de haut : « Je vais vous faire connaître », dit-il, « la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ». De peur qu'ils ne s'enorgueillissent, il appelle cela une grâce, et racontant les oeuvres des autres, il se sert des éloges qu'il donne à ceux-là pour rendre. plus grand le zèle de ses auditeurs. Et-il loue les Macédoniens pour deux motifs, pour trois même parce qu'ils supportent courageusement les épreuves, parce qu'ils savent exercer la miséricorde, et parce que, tout pauvres qu'ils sont, ils ont montré de la libéralité dans leur aumône; ils étaient pauvres, car on leur avait enlevé leurs biens. C'est ce qu'il nous apprend lorsqu'il leur écrit dans une de ses lettres : « Car vous êtes devenus les imitateurs des églises de Dieu qui sont en Judée, parce que vous avez aussi souffert les mêmes traitements de:la part de vos compatriotes, que (103) les fidèles de Judée de la part des Juifs ». (I Thess. II, 14.) Ecoutez ce qu'il dit plus tard en écrivant aux Hébreux : « Car vous avez a accepté avec joie l'enlèvement de vos biens ». (Hébr. X, 34.) Il appelle donc cela une grâce, non-seulement afin de réprimer leur orgueil, mais afin de les stimuler, et d'enlever à ce qu'il va dire tout ce qui pourrait causer leur jalousie. C'est encore pour cela qu'il ajoute l'appellation de frères, c'est afin de détruire tout sentiment jaloux : car il se prépare à donner aux Macédoniens d'insignes éloges. Ecoutez-les, ces éloges. Il vient de dire : « Je vais a vous faire connaître la grâce de Dieu », il n'ajoute pas : qui a été donnée dans telle et telle ville, mais il loue la nation tout entière en ces termes : « Dans les églises de Macédoine ».
Puis il expose quelle est cette grâce. « C'est que leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation (2) ». Voyez-vous quelle prudence? Il ne commence pas par ce qui est le but de son discours; il dit d'abord autre chose, pour ne pas avoir l'air d'aborder exprès son sujet, mais y paraître amené par la suite d'autres idées : « Dans de nombreuses épreuves de tribulation ». Cest ce qu'il avait dit aux Macédoniens eux-mêmes, lorsqu'il leur écrivait ceci : « Vous êtes devenus les imitateurs du. Seigneur, ayant reçu la parole au milieu de nombreuses tribulations, avec la joie de l'Esprit-Saint » (I Thess. I, 6); et un peu plus loin : « La parole du Seigneur a rejailli de chez vous, non-seulement dans la Macédoine et dans l'Achaïe, mais votre foi en Dieu est même parvenue en tout lieu ». (Ibid. 8) Or que signifie : « Leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation? » Ils ont eu, veut-il dire, les deux choses au plus haut degré : la tribulation et la joie. Aussi était-ce grande merveille devoir. une telle abondance de joie jaillir en eux de la tribulation même. Car non-seulement cette tribulation n'engendra point chez eux le chagrin, mais elle leur devint un sujet de contentement : et elle était grande pourtant ! Il parlait donc ainsi pour préparer les Corinthiens à se montrer courageux et inébranlables dans les épreuves. Car les Macédoniens n'avaient pas supporté la tribulation d'une manière ordinaire, mais de telle sorte qu'ils s'étaient illustrés parleur patience : bien mieux, l'apôtre ne parle pas de leur patience, mais, ce qui est plus encore, de leur joie; et non pas simplement,de leur joie, mais d'une joie extrême . oui, elle surgissait en eux, immense, ineffable. « Et que leur profonde pauvreté a été surabondante pour la richesse de leur simplicité ». Encore ici les deux choses au plus haut degré. Car de même qu'une grande tribulation a produit une grande joie, une joie extrême; de même une grande pauvreté a produit une grande richesse d'aumône. Car c'est ce qu'il a voulu exprimer par ces mots : « A été surabondante pour la richesse; de leur simplicité ». Car ce n'est pas à la quantité des choses données, mais à l'intention de ceux qui donnent que se mesure la libéralité. Aussi ne parle-t-il pas de la richesse des dons, mais il dit: « La richesse de leur simplicité ». Ce qui revient à ceci :.Non-seulement la pauvreté ne fut pas pour eux un obstacle à la libéralité, mais elle leur devint un motif de donner largement, comme la tribulation devint le motif de leur joie. Car plus ils étaient pauvres, plus ils montraient de libéralité, et donnaient de bon coeur. Aussi les admire-t-il beaucoup, de ce qu'avec tant de pauvreté ils montrèrent une libéralité si grande. Car « leur profonde pauvreté », c'est-à-dire leur extrême pauvreté, qui dépassait toute expression, fit voir leur simplicité. II ne dit pas : Fit voir, mais : « A été surabondante » ; il ne dit pas leur simplicité, mais : « La richesse de leur simplicité » , c'est-à-dire, une richesse en rapport avec la grandeur de leur pauvreté; que dis-je, l'extrême libéralité dont ils firent preuve alla beaucoup au-delà de cette mesure. Il explique ensuite la même chose encore plus clairement, en ces termes : « Car, je l'atteste », (et certes le témoin est digne de foi) « ils ont agi selon leurs moyens, et même au-delà de leurs moyens (3) » ; ce qui revient au même que : « A été surabondante pour la richesse de leur simplicité ». Que dis-je?. ceci n'est pas la seule explication : tout ce qui suit éclaircit encore cette même pensée : « De leur propre mouvement » , dit-il. C'est là un second titre d'excellence. « Avec beaucoup d'instances (4) » ; en voilà un troisième; puis un quatrième : « Nous demandant». Puis un cinquième : Quoiqu'étant dans la tribulation, et dans la pauvreté, ce qui en fait un sixième; enfin en voici un septième : c'est qu'ils ont donné considérablement.
3. Et comme son principal objet, c'est (103) d'obtenir des Corinthiens qu'ils donnent de bon coeur. il insiste principalement là-dessus, et il dit : « Avec beaucoup d'instances », et: « Nous demandant ». Ce n'est pas nous qui leur avons fait une demande, ce sont eux qui nous en ont fait une. Et que nous ont-ils demandé? « La grâce et la communication des services «rendus aux saints (4) ». Voyez-vous comme il relève encore leur action, en lui donnant des noms honorables ? Parce qu'ils avaient du zèle pour les âmes, il appelle cela une grâce, afin que les Corinthiens y courent; puis il l'appelle une communication, pour que les Corinthiens sachent que ce n'est pas là seulement donner, mais en même temps recevoir. Ce dont ils nous priaient, dit l'apôtre, c'était donc de nous charger d'un tel service. « Et ce ne fut pas comme nous nous y attendions « (5) ». Il fait ici allusion, et à la quantité de ce qu'ils donnèrent, et à leurs tribulations. Il veut dire : Car nous ne nous sérions pas attendus qu'étant dans une si grande tribulation et dans une si grande pauvreté,ils nous eussent pressés, et nous eussent si instamment priés. Il nous a fait aussi connaître la régularité du reste de leur vie, en ajoutant : « Mais ils se sont donnés d'abord au Seigneur, et à nous par la volonté de Dieu (5) ». Car en toutes choses ils furent plus dociles que nous ne l'avions attendu; et, parce qu'ils exerçaient la miséricorde, ils ne négligeaient pas pour cela les autres vertus, ruais ils se donnèrent d'abord au Seigneur. Et que signifie: « Ils se sont donnés au Seigneur? » C'est-à-dire : Ils se consacrèrent à lui, ils s'illustrèrent par leur foi, ils se montrèrent d'un grand courage dans les tentations, ils firent preuve de beaucoup de modération, de douceur, de charité, d'ardeur et de zèle dans la pratique de toutes les mitres vertus. Et ces mots. « Et à nous? » C'est-à-dire, ils ont été dociles à notre égard, ils ont pratiqué la charité et lobéissance, en ce qu'ils ont accompli les lois de Dieu, et que par la charité ils nous sont demeurés unis. Considérez comme il montre aussi leur zèle, en disant : « Ils se sont donnés au Seigneur ». Ils n'ont pas obéi à Dieu pour certaines choses, et au monde l four d'autres, ils ont obéi -à Dieu en tout, et se sont donnés tout entiers à lui. Ainsi parce qu'ils faisaient l'aumône, ils n'en ont point conçu nu fol orgueil, mais c'est tout en montrant beaucoup d'humilité , beaucoup d'obéissance, beaucoup de respect, beaucoup de grandeur d'âme, qu'ils ont exercé aussi la miséricorde. Et pourquoi ces mots : « Par la volonté de Dieu? » C'est qu'ayant dit : « Ils se sont donnés à nous », il veut faire entendre que ce n'est pas humainement parlant, mais qu'en cela même ils ont agi suivant l'intention divine. « De sorte que nous avons prié Tite d'achever cette grâce en vous comme il l'a commencée (6) ».
Et comment ces paroles viennent-elles après les autres? Avec beaucoup de suite ; et se rattachant étroitement à ce qui précède. En. effet, voici le sens : Comme nous avons vu les Macédoniens pleins d'énergie et d'ardeur en toutes choses, dans les tentations, dans l'aumône, dans leur charité envers nous, dans la pureté de leur. vie pour tout le reste; afin que vous les égaliez, nous avons envoyé Tite vers vous. Il ne le dit pas, mais il le fait comprendre. Voyez son extrême tendresse ! Lorsque nous vîmes, veut-il dire; les Macédoniens nous supplier ainsi et réclamer de nous ces services, nous avons eu souci de vos intérêts, dans la crainte que vous ne leur fussiez inférieurs. Aussi avons-nous envoyé Tite, pour qu'il vous réveillât en vous rappelant leur exemple, et qu'alors vous devinssiez les rivaux des .Macédoniens. Car Tite se trouvait là quand cette lettre fut écrite. Et l'apôtre nous le représente comme ayant déjà commencé loeuvre avant les exhortations que lui-même donne maintenant : « Comme il l'a commencée », dit-il. Ainsi, il lui accorde de grands éloges, d'abord vers le commencement Ile l'épître, lorsqu'il dit: « N'ayant point rencontré Tite, mon frère, je n'ai pas trouvé de repos pour mon esprit » (II Cor. II, 13); et ensuite, dans tout ce qu'il vient de dire ici, et dans le passage même où nous en sommes; car ce n'est pas un faible titre aux éloges, même de n'avoir encore que commencé l'oeuvre : c'est le fait d'une âme fervente, d'un zèle ardent. Aussi, entre autres motifs, l'apôtre a-t-il envoyé un tel homme aux Corinthiens, afin de fournir, dans la présence même de lite, le plus grand stimulant à leur libéralité. Il a encore autre chose en vue, en l'exaltant par ses louanges : il veut l'établir plus solidement dans l'amitié des Corinthiens. Car un des grands points pour nous persuader, c'est que l'homme qui nous conseille soit notre ami. Ce nest pas avec moins de raison qu'ayant à parler de l'aumône, non pas une (105) fois, mais à deux et trois reprises différentes, il l'appelle une grâce. La première fois, il dit: « Je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui â été donnée dans les églises de Macédoine » ; un peu plus loin : « De leur propre mouvement, avec beaucoup d'instances nous demandant la grâce et la communication » ; et enfin : « D'achever cette grâce en vous comme il l'a. commencée ».
4. En effet, l'aumône est un grand bien, un grand présent de Dieu , et quand nous la pratiquons, elle nous rend semblables à Dieu autant que cela est possible : car c'est elle surtout qui fait l'homme. Aussi le Sage, dans une peinture qu'il a faite de l'homme, a mis ce trait : « C'est une grande chose que l'homme, et c'est une chose de prix qu'un homme miséricordieux (1) ». (Prov. XX, 6.) L'aumône est une grâce plus grande que de ressusciter des morts. En effet, quelque chose de bien plus excellent que da rappeler, au nom de Jésus, les morts à la vie, c'est de nourrir le Christ lorsqu'il a faim; car c'est vous qui faites alors du bien à Jésus-Christ-, et dans le premier cas, c'est lui qui vous en fait. Or la récompense se gagne à faire le bien,, et non pas à le recevoir. Dans le premier cas, je veux dire lorsque vous faites des miracles, c'est vous qui êtes redevable à Dieu; et quand vous faites l'aumône, c'est Dieu qui est votre débiteur. Or il y a aumône, lorsqu'elle est faite de bon coeur, avec libéralité ,' lorsqu'on ne croit pas donner, mais recevoir, lorsqu'en la faisant, on se regarde soi-même comme favorisé d'un bienfait, comme. y gagnant et non pas comme y perdant, car dans ce dernier cas, cela ne pourrait même s'appeler une grâce. Quand on exerce la miséricorde, on doit être joyeux, et non mécontent. Quelle absurdité n'y aurait-il pas, lorsque vous faites cesser la tristesse d'autrui, à tomber vous-même dans la tristesse? Vous êtes cause. alors. que ce n'est plus une aumône. Car si vous êtes triste pour avoir délivré un autre de sa tristesse, vous faites preuve de la dernière cruauté, de la plus grande inhumanité; il vaudrait mieux ne point, lui ôter sa peine, que la lui ôter ainsi. Mais au bout du compte, qu'est-ce qui vous attriste? Est-ce de voir diminuer votre or? Alors, si telle est votre disposition,
1. N'oublions pas que saint Chrysostome cite toujours les Septante.
ne donnez absolument rien; si -vous n'avez pas la confiance que vos richesses se multiplient dans le ciel, ne faites point d'aumône. Mais peut-être, vous voudriez une récompense ici-bas. Et pourquoi? Laissez donc l'aumône être l'aumône, n'en faites pas un trafic.
Bien des gens sans doute ont reçu une récompense même ici-bas; mais ce n'est pas avec le privilège de l'emporter un jour sur ceux qui n'auront rien reçu en ce monde quelques-uns d'entre eux au contraire ne l'ont reçue qu'en raison. de leur plus grande faiblesse, parce qu'ils n'étaient guère attirés par les biens de l'autre vie. Ils ressemblent à ces gens gloutons? mal appris et esclaves de leur ventre, qui, invités à un festin splendide, n'attendent pas le moment convenable, mais, comme les petits enfants, compromettent leurs jouissances mêmes en les anticipant, et en se gorgeant. d'aliments de qualité inférieure. Ainsi les gens qui, dès ce monde, cherchent et reçoivent leur récompense, diminuent pour eux celle de la vie à venir. Quand vous prêtez de l'argent, vous désirez ne rentrer dans le capital qu'au bout de longtemps, peut-être même ne pas y rentrer du tout, afin d'accroître les intérêts par cet ajournement : et lorsqu'il s'agit d'aumône, vous réclamez votre dédommagement tout de suite, et cela, quand vous ne devez pas rester en ce monde, que vous devez être pour toujours dans l'autre ; quand ce n'est point ici-bas que vous serez jugé, quand c'est là-haut que vous devez rendre vos comptes? Si l'on vous préparait une demeure où vous ne dussiez pas rester, vous regarderiez cela comme une dépense perdue : eh quoi ! vous voulez vous enrichir en ce monde, d'où il vous faudra partir, peut-être avant ce soir? Ne savez-vous pas que nous sommes ici à l'étranger, comme des hôtes, comme des voyageurs ? ne savez-vous pas que le sort des étrangers, c'est d'être chassés au moment où ils ne s'y attendent et n'y songent point? Eh bien ! c'est là notre condition. En conséquence; tout ce que nous avons amassé ici, nous l'y laissons.
Le souverain Maître ne permet pas que nous emportions rien avec nous, soit que nous ayons construit des maisons, soit que nous ayons acheté des terres, ou des esclaves, ou des meubles, ou autres choses semblables, Et non-seulement il ne laisse rien emporter, mais il ne vous donne pour cela aucun (106) dédommagement: il vous a prévenus de ne rien bâtir, de ne faire aucune dépense avec des ressources étrangères , mais d'y employer les vôtres. Pourquoi donc, laissant là ce qui vous appartient, mettez-vous en uvre et dépensez-vous des biens étrangers, de manière à perdre à la fois et votre peine et votre salaire , et à subir les derniers châtiments? Qu'il n'en. soit pas ainsi , je vous en conjure, mais puisque nous sommes par notre condition étrangers en ce monde, soyons-le aussi par nos dispositions, afin de ne pas être là-haut chassés avec mépris comme étrangers. Car si nous avons voulu devenir citoyens de ce monde , nous ne serons citoyens ni de ce monde, ni de l'autre ; si au contraire nous restons ici-bas comme étrangers, si notas nous y conduisons comme des étrangers doivent le faire, nous obtiendrons les franchises du citoyen , et dans ce monde et en l'autre vie. Car l'homme juste, ne possédât-il rien, vivra ici même au milieu des biens de tous, comme si ces biens étaient à lui, et quand il sera parvenu au ciel, il y verra ses propres tabernacles éternels; même en ce monde il n'aura rien eu à souffrir d'humiliant ; car nul n'aura pu considérer comme étranger celui qui aura eu pour cité la terre entière ; et une fois en possession de sa véritable patrie, il y recevra les véritables richesses. Afin donc de gagner à la fois et les biens de ce monde et ceux de l'autre , usons comme il faut de ce que nous possédons. Car de cette manière nous serons citoyens des cieux, et nous y jouirons d'un grand crédit auprès de Dieu ; puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur au Père, ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.