1 et 2. Prudence de saint Paul; son affection pour les
Corinthiens.
3 et 4. Absolution donnée à l'incestueux : belles réflexions de
saint Chrysostome à ce sujet.
5 et 6. En quoi consiste la vraie pénitence.
1. Que dites-vous, bienheureux Paul? C'est par ménagement pour les Corinthiens que vous n'êtes pas venu chez eux. N'est-ce pas une contradiction? Pus haut vous disiez, pour vous excuser, que vous ne preniez point conseil de la chair, que vous n'étiez pas votre maître, que vous suiviez toujours les mouvements de l'Esprit-Saint ; vous mettiez en avant vos tribulations. Maintenant vous revendiquez votre liberté, et vous n'attribuez plus rien à l'autorité de l'Esprit-Saint : « C'est pour vous ménage », dites-vous, « que je ne suis pas allé vous voir ». Qu'est-ce à dire? Saint Paul voulait-il aller à Corinthe, et l'Esprit-Saint lui a-t-il conseillé de renoncer à son dessein par ménagement pour les fidèles? Ou bien s'agit-il d'un autre voyage, et veut-il dire, qu'avant d'écrire sa première épître,. son intention était de se rendre à Corinthe, mais que la charité l'en avait détourné : car il leur eût (28) reproché trop vivement leurs désordres. Il est probable qu'après cette première épître la même raison le détermina à ne pas faire ce voyage, sans que l'Esprit s'y opposât. Dans le principe, sans douté, l'Esprit-Saint s'y opposait; mais ensuite il se convainquit lui-même que c'était le parti le plus sage; après y avoir mûrement réfléchi.
Voyez maintenant de quelle manière il parle de lui. Je ne cesserai de vous le faire remarquer, c'est par. les contraires qu'il se justifie toujours. Les Corinthiens pouvaient avoir de fâcheux soupçons; ils pouvaient dire : si vous n'êtes pas venu, c'est que vous nous détestiez. Il leur affirme tout le contraire : s'il n'a pas voulu se rendre à Corinthe, c'est par amour pour les Corinthiens. Que signifie cette parole : « par ménagement pour vous? » J'ai appris, dit-il, que plusieurs d'entre vous s'étaient rendus coupables de honteux désordres; et je n'ai pas voulu vous contrister par ma présence. Il m'aurait fallu faire une enquête, condamner, châtier, punir un grand nombre de fidèles. J'ai cru qu'il valait mieux ne pas aller à Corinthe, et vous donner le temps de faire pénitence, que de m'y,rendre pour vous punir et m'irriter contre vous. Il exprime nettement sa pensée à la fin de son épître, en disant: « Je crains, qu'une fois à Corinthe, Dieu ne m'humilie auprès de vous, et que je n'aie à verser des larmes sur plusieurs qui, après avoir péché, n'ont point fait pénitence de leur impureté et de leurs fornications ». (II Cor. XII, 21.) II semble vouloir ici s'excuser; mais cependant quel reproche et quel sujet d'effroi ! Ne leur montre-t-il pas les châtiments qu'ils ont encourus, et qu'ils subiront, s'ils ne se corrigent au plus tôt. Il y revient vers la fin de son épître : «Si je vais à Corinthe », leur dit-il, « je ne vous épargnerai point ». Ici son langage est plus clair; tout à l'heure, au début de sa lettre, il s'exprimait avec plus de ménagement. Et encore cherche-t-il à tempérer, à mitiger ce qu'il vient de dire. C'est, en effet, le langage d'un homme qui jouit d'une pleine autorité; on ne ménage, en effet, que ceux-là seulement contre lesquels on peut sévir. Il l'adoucit donc et voile pour ainsi dire ce qu'il pourrait avoir de trop dur en disant : « Ce n'est pas que nous tyrannisions votre foi (24) »?C'est-à-dire, ce n'est point pour faire valoir mon autorité que je me suis servi de ces expressions: « Je voulais vous ménager, en m'abstenant de venir à Corinthe ». Il n'a pas dit : « vous tyranniser », mais « tyranniser votre foi » ; paroles qui renferment plus de douceur et de vérité. Qui en effet pourrait forcer à croire celui qui s'y refuse ?
« Mais nous cherchons à contribuer à votre joie ». Votre joie n'est-elle pas la nôtre? Aussi ne suis-je pas allé à Corinthe, de peur de vous contrister, et d'augmenter ainsi ma propre tristesse; mais je suis resté, pour que vous puissiez vous réjouir, une fois corrigés par mes menaces. Votre joie est le but constant de nos efforts : car nous la partageons nous-mêmes. « Car vous êtes fermes dans la foi ». Voyez quelle modération ! Il craint de les réprimander trop vivement, parce que dans sa première lettre il les avait traités sévèrement, et qu'ils avaient témoigné quelque repentir n'eût-ce pas été compromettre cet heureux résultat, que de leur adresser les mêmes reproches après leur conversion ?Aussi cette seconde épître est-elle moins sévère que la précédente.
« J'ai donc résolu de ne pas aller de nouveau et vous voir dans la tristesse (1) ». En disant, « de nouveau »; il leur montre qu'ils lui ont causé du chagrin ; et tout en paraissant s'excuser, il leur reproche leur conduite. Si déjà ils l'avaient contristé et qu'ils dussent le contrister encore, jugez quel serait alors son chagrin ! Il ne leur dit donc pas : vous, m'avez . contristé; il emploie un autre tour pour leur faire entendre sa pensée : « Je ne suis pas venu», leur dit-il, « afin de ne pas vous affliger », paroles qui ont la même force, sans renfermer rien dé blessant. « Si en effet, je vous contristé, et qui donc me réjouit, sinon celui qui est contristé par moi (2) » ; quelle est ici la liaison du discours? La liaison est très-grande. Voyez en effet : Je n'ai pas voulu, dit-il, me rendre à Corinthe pour ne pas vous contrister davantage en vous blâmant, en vous reprochant avec indignation tous vos désordres. Mais ensuite, comme il y a dans ces paroles une certaine dureté, comme elles reprochent aux Corinthiens une conduite propre à contrister le coeur de lapôtre, il les tempère en disant : «.Si je vous contristé, qui donc me réjouira, sinon celui-là même qui est contristé par moi ? » Et voici le sens de ces expressions : S'il m'arrivait d'être plongé dans la douleur par la nécessité de vous adresser quelques reproches, et de vous voir ensuite (29) contristés vous-mêmes, je ne pourrais faire autrement que de me réjouir en même temps. N'est-ce pas en effet me témoigner la plus grande affection que de m'estimer assez pour être sensibles aux reproches que vous adresse mon âme indignée.
2. Mais voyez aussi la prudence de l'apôtre. D'ordinaire, les disciples s'affligent et s'indignent d'une réprimande :Saint Paul leur en fait un mérite, c'est un plaisir qu'ils lui font; je irai pas de plus grande joie, dit-il, que de voir mes paroles produire de l'effet et contrister l'âme de celui qui est témoin; de ma colère. Il était naturel de dire : Si je vous contriste, qui donc vous réjouira ? Il ne le dit pas, il prend le contre-pied pour mieux adoucir sa pensée: Bien que je vous aie contristés, vous me témoignez la plus vive reconnaissance, puisque vous vous affectez de mes reproches. « Car c'est là due je vous ai écrit (3) ». Quoi donc? que je n'étais pas venu à Corinthe, dans l'intention de vous ménager. Quand le leur écrivait-il? Est-ce dans sa première épître, où il leur disait : « Je ne veux pas vous voir en passant? » Non, à mon avis du moins, mais bien dans celle-ci, quand il leur dit : « Je crains qu'une fois au milieu de vous, Dieu ne mhumilie ». Je vous ai donc éprit à la fin de cette épître : « De peur qu'une fois au milieu de vous, Dieu ne m'humilie et que je n'aie à verser des larmes sur un grand nombre de ceux qui ont péché auparavant ». Pourquoi écriviez-vous donc: « Afin qu'à mon arrivée je n'aie » pas à pleurer sur ceux qui auraient dû me « réjouir, ayant cette confiance à votre sujet, que ma joie est aussi la vôtre? » Après avoir dit : « Je me réjouis de vous voir dans la tristesse », paroles un peu dures, ce semble, et un peu hardies, il prend un autre tour pour les rendre plus acceptables. Je vous ai écrit, dit-il, pour que je n'aie pas-la douleur de vous trouver non corrigés encore. Quand je dis : « Pour que je n'ai. pas la douleur », ce n'est point mon avantage personnel que j'ai en vue, mais le vôtre: Je le sais en effet , vous êtes joyeux de ma propre joie, et vous souffrez de me voir souffrir.
Voyez comme tout s'enchaîne depuis le commencement. Cet examen nous fera mieux entendre ce que veut dire apôtre. Si je ne suis pas venu, dit-il; c'est pour ne pas vous contrister dans. le cas où vous ne seriez pas encore réformés. En cela je me suis proposé votre intérêt, et non le mien propre. Quand je vous vois plongés dans la tristesse, j'en ressens une grande joie; car cette affliction, cette douleur, me prouve que vous vous souciez de mes paroles et de mon indignation. « Qui donc me réjouit en effet, sinon celui que je contraire moi-même? » Toutefois, comme je vous ai vous-mêmes en vue, je, me suis servi de ces paroles : « Pour n'avoir pas la douleur », en m'oubliant moi-même, pour ne penser qu'à vous. Car, je ne l'ignore pas, vous éprouverez beaucoup de chagrin de me voir triste; comme au contraire, vous vous réjouirez de me voit joyeux: Voyez donc quelle est la prudence de l'apôtre ! Il avait dit : Je ne suis pas venu pour ne pas vous contrister, et cependant, dit-il, je m'en réjouis. Ensuite, pour ne pas leur laisser croire que leur douleur est cause de sa joie, il ajoute : Je me réjouis de voir mes paroles produire-leur effet. Ce qui m'afflige, c'est d'être dans la nécessité de contrister des fidèles qui me chérissent, non-seulement par les reproches que je leur adresse; mais aussi par la tristesse où ils me voient plongé. Et voyez comment il sait assaisonner le reproche par l'éloge : « Par ceux au sujet desquels j'aurais dû ressentir de la joie ». N'est-ce pas le langage d'un homme qui témoigne la vivacité de son affection ? Ne vous semble-t-il point parler de fils qu'il aurait comblés de bienfaits et pour lesquels il se serait imposé les plus rudes travaux ? Ainsi! donc, si je vous écris, au lieu d'aller vous voir, c'est dans votre intérêt, ce n'est point par haine, mais au contraire, par amour pour vous: Mais il avait dit : Celui qui me chagrine me cause de la joie; et ils auraient pu conclure : C'est donc là ce que vous cherchez, votre propre joie; vous voulez donc montrer à tout le monde l'énergie de votre puissance ! Aussi se hâte-t-il d'ajouter : « C'est l'âme brisée de douleur et les larmes aux yeux, que je vous écrivis alors, non point pour vous affliger, mais pour que vous sentiez la vive affection que j'ai pour vous (4) ».
Y eut-il jamais âme plus aimante? Ne se montre-t-il pas plus vivement affligé que ceux-là mêmes qui ont péché? Il ne se contente pas de dire : c'est avec douleur; mais voyez la force de son expression C'est l'âme brisée de douleur ». Il ne dit pas : avec larmes, mais « en répandant beaucoup de larmes ». N'est-ce pas comme s'il disait : La tristesse me suffoquait, m'ôtait la respiration; je ne pouvais (30) plus endurer cette sombre tristesse, et je vous ai écrit, non pour vous affliger, mais pour vous témoigner l'affection que je vous porte. Ces paroles, « non pour vous affliger », semblaient amener naturellement celles-ci: mais pour vous rassurer, et tel était en . effet son dessein ; cependant ce n'est point ce qu'ajoute l'apôtre. Il sait donner à son langage plus de douceur et pins d'attrait, il veut, leur inspirer plus d'amour pour lui, en leur montrant que tout ce qu'il fait, al le fait lui-même sous l'impulsion de la charité. Et non-seulement il aime les Corinthiens, mais il les aime jusqu'à l'excès. C'est ainsi qu'il veut se les attacher, en leur témoignant qu'il les aime plus que les autres, qu'il les regarde comme ses disciples de prédilection. C'est pourquoi il dit : « Si je ne suis pas apôtre pour les autres, du moins le suis-je pour vous » ; et encore : « quand même vous auriez beaucoup de maîtres , cependant vous n'avez pas beaucoup de pères ». (II Cor. IX, 2, et IV, 15.) Il dit encore « Nous avons agi dans le. monde avec la grâce du Seigneur, mais nulle part autant que chez vous ». Et plus bas il ajoute : « Je vous porte une vive affection ; la vôtre est moins forte envers moi ». (II Cor. I,. 12, et XIII, 15.) Et enfin ici : « Cette affection si vive que j'ai pour vous » .
3. Son langage était plein d'indignation sans doute, mais cette indignation venait de l'affection et de la douleur. La cause de. la douleur, des angoisses que j'éprouvais en vous écrivant, ce n'étaient pas seulement vos désordres, mais aussi la nécessité où je nie trouvais,. de vous contraster. Si cette nécessité même n'avait-elle point son principe dans l'affection ? Qu'un père voie son fils bien-aimé rongé par un ulcère qu'il faille enlever et brûler; il souffre et de voir. son fils en proie à la maladie, et d'être contraint à cette cruelle opération. Ainsi donc, ce que vous croyez être une marque de haine, c'est au contraire une preuve d'affection. Si donc je vous aime en vous contristant, à plus forte raison je vous aime encore en me réjouissant de vous voir. affligés. Voilà comment l'apôtre se justifie ; et nous. le voyons se justifier en maintes circonstances, sans qu'il ait lieu d'en rougir : car Dieu lui-même ne craint pas de se justicier en disant : « O mon peule, de quoi suis-je coupable envers toi?» (Mich. VI, 3.) Maintenant, il va parler en faveur de cet homme qui s'était rendu coupable d'inceste. Il fallait prévenir une surprise trop brusque, une obstination funeste, chose si naturelle en présence de deux injonctions contradictoires. Car il avait fait éclater son indignation contre l'incestueux, et maintenant, il allait enjoindre de l'absoudre. Voyez donc comment tout se prépare et par ce qu'il a déjà dit, et par ce qu'il va dire encore.
Que dit en effet l'apôtre? « Si quelqu'un m'a contrasté, ce n'est pas moi seul qu'il a contrasté (5) ». Après les avoir loués de partager sa joie et sa tristesse , il abordé son sujet. Il a dit: « Ma joie est aussi votre joie ». S'il en est ainsi, ne devez-vous pas vous réjouir avec moi, comme vous vous êtes affligés avec moi. En vous affligeant, vous m'avez causé de la joie; en vous réjouissant aujourd'hui, mous m'en causerez encore. L'apôtre n'a pas dit: ma tristesse à été votre tristesse. Cette pensée, il l'avait exprimée dans d'autres endroits ; ici, il se contente de rappeler, ce que demande son sujet, et il. dit : « Ma joie est aussi votre joie ». Il revient ensuite sur le passé : « Si quelqu'un, dit-il, a été un sujet de tristesse; ce n'est pas moi seulement qu'il a contrasté; mais vous a aussi du moins en partie, pour user de ménagement à son égard ». Je le sais, dit-il, vous avez tous partagé mon indignation contre celui qui avait commis l'inceste; oui, vous avez tous, du moins presque tous, éprouvé quelque tristesse, en apprenant ce crime abominable. Si je dis : presque tous, ce, n'est pas . que vous ayez été moins vivement émus que moi-même ; mais je m'exprime ainsi pour user de ménagement à. l'égard du coupable. Ce n'est donc pas moi seulement qu'il a contristé, mais vous tous aussi bien que moi; et c'est par indulgence que j'emploie ces expressions : « Presque tous ». Voyez-vous comme il s'empresse d'apaiser, leurs âmes, en leur disant qu'ils ont partagé son indignation? « Il suffit à cet homme d'avoir été repris parle plus grand nombre (6) ». Il ne dit pas : « à l'incestueux » ; mais « à cet homme », comme dans l'épître précédente ; toutefois , ce n'est plus pour la même raison qu'il se sert de ce mot. Alors, c'était par modestie, ici, par indulgence. Oui, c'est par indulgence que désormais il ne rappelle plus la faute commise; car il vent maintenant prendre sa défense.
« Maintenant, au contraire, soyez pleins de prévenances à son égard, et empressez-vous de le consoler, de peur qu'il ne soit comme (31) absorbé para ne tristesse trop prolongée (7) ». Non-seulement l'apôtre ordonne de cesser la punition, mais il veut qu'on le rétablisse dans son premier état. Se borner à châtier le coupable sans le soigner et le guérir, c'est en effet ne rien faire.. Voyez comme il sait imposer un frein à l'incestueux, de peur qu'il n'abuse du pardon qu'il obtient. Il a confessé sa faute, il s'en est repenti, il est vrai; néanmoins, ce n'est. pas tarit son repentir que la généreuse bonté de l'Eglise qui le relève de l'excommunication,. C'est pourquoi saint Paul emploie ces mots : « Accordez-lui son pardon et empressez-vous de le consoler ». La suite le dit clairement aussi. Ce n'est pas qu'il soit digne. de rentrer en grâce, ce n'est pas que la pénitence ait été suffisante, non ; c'est parce qu'il est faible, dit l'apôtre, que je le juge digne de pardon. Aussi ajoute-t-il : « De peur qu'il ne soit comme absorbé par une trop longue tristesse », C'est le langage d'un nomme qui rend témoignage à une pénitence sincère et qui craindrait de voir le coupable tomber dans le désespoir. Que signifie cette parole : « De peur qu'il ne soit absorbé? » c'est-à-dire, de peur qu'il ne vienne à faire comme Judas, ou bien. encore; de peur qu'il ne mène une vie plus coupable, s'il se résigne à continuer de vivre. En effet, qu'il perde courage, ne pouvant supporter plus longtemps les reproches dent on l'accable, ou bien il se donnera là mort, ou bien il se plongera dans toutes sortes de crimes.
4. L'apôtre se proposait donc, comme je l'ai dit, d'imposer à lincestueux le frein d'un salutaire conseil, pour prévenir le relâchement après le pardon. Si je lui pardonne, dit-il, ce n'est pas que je le regarde comme entièrement lavé de ses souillures, mais je veux empêcher qu'il ne se porte aux dernières extrémités. Ainsi donc, ce n'est pas seulement d'après la nature des fautes que nous devoirs infliger une pénitence; vous devons tenir compte aussi des dispositions et des sentiments du coupable, comme fit en cette circonstance saint Paul, qui redoutait la faiblesse de l'incestueux. Aussi disait-il « De peur qu'il ne soit dévoré » par la tristesse, comme par une bête féroce, ou par une violente tempêter « Cest pourquoi je vous exhorte ». Il ne commande plus, il exhorte; non. comme un maître, mais comme un égal; il établit jugés les Corinthiens eux-mêmes, et lui, il joue maintenant le rôle d'avocat. Comme il avait réussi au gré de ses désirs, il ne se sent plus de joie maintenant, et ne met plus de bornes à ses prières. Que demandez-vous donc, ô grand apôtre : « Je vous exhorte à confirmer « votre charité envers lui (8) ». Ce que je vous demande, ce n'est pas une charité quelconque, mais une charité effective et persévérante. N'est-ce. pas up beau témoignage que rend l'apôtre à la vertu des Corinthiens? Oui, les Corinthiens, qui aimaient ce pécheur, qui l'approuvaient ad point de sen glorifier, l'eurent ensuite en si grande aversion que saint Paul dût les exhorter à se montrer charitables envers lui. Admirez la vertu du maître, admirez la vertu des disciples ! Les disciples se montrent dociles, le maître les dirige avec une rare sagesse. S'il en était ainsi de nos jours, tant de fautes ne passeraient pas inaperçues. Il faut aimer, il faut montrer de l'aversion, sans doute, mais toujours à propos, et jamais sans motif.
« Je vous al écrit pour me convaincre par expérience de votre obéissance en toutes choses (9) ».C'est-à-dire, quand il s'agit de rétablir parmi les fidèles, comme quand il s'agit d'exclure de leur société. Voyez-vous comme il sait, ici encore, leur inspirer un sentiment de crainte? Quand cet homme eut péché, il sut les faire trembler pour les amener à se détourner de lui : « Ne savez-vous pas », leur disait-il, « qu'un peu de levain suffit pour corrompre toute la masse? » (I Cor. V, 6.) De même, il leur fait redouter les suites d'une désobéissance, en leur tenant à peu près ce langage. Comme par le passé vous avez agi dans votre intérêt aussi bien que dans l'intérêt du coupable; maintenant encore, vous devez rechercher votre avantage autant que le sien, et ne montrer ni obstination, ni dureté, ni désobéissance. Et voilà pourquoi il leur dit : « Je vous ai écrit pour me convaincre par expérience de votre obéissance en toutes choses ». L'obéissance qu'ils avaient montrée d'abord, pouvait être imputée à la jalousie, à la haine ; ici, c'est une obéissance évidemment pure de tout mauvais sentiment; et qui ne s'exerce qu'en vue de la miséricorde. Les vrais disciples , les disciples bien disposés, après avoir obéi, quand il s'agissait de punir, obéiront encore maintenant qu'il s'agit de pardonner. Aussi l'apôtre disait-il : « En toutes choses ». Sils refusent d'obéir; la honte sera pour eux plutôt que pour lui, car on les regardera comme des hommes pleins d'obstination. Il veut donc par là les amener à l'obéissance, (32) et c'est pourquoi il leur dit : « Je vous ai écrit dans ce dessein ».Sans doute, tel n'était pas le but de son épître, et s'il s'exprime ainsi; c'est pour les entraîner plus facilement. Ce qu'il avait surtout en vue, c'était le salut de l'incestueux; mais il aime à leur faire plaisir, quand il le peut sans inconvénient: Par ces paroles. « En toutes choses », il fait de nouveau leur éloge, en leur rappelant ainsi leur première obéissance.
« Quand vous accordez quelque faveur, c'est moi aussi qui l'accorde (10) ». Voyez comme il se met au second rang; ce sont eux qui commencent, il ne fait que les suivre. Cest ainsi qu'on apaise une âme imitée ; c'est ainsi qu'on brise l'obstination. Cependant, il rie veut pas les rendre orgueilleux en proclamant leur autorité, ni leur permettre d'abandonner le pécheur. C'est pourquoi il ajouté qu'il lui pardonne lui-même : « Si je lui ai remis sa faute, c'est à cause de vous que je l'ai fait ». Oui, ce pardon, c'est à cause de vous que je l'ai accordé. Quand il leur enjoignit de le retrancher de l'assemblée des fidèles, il ne les laissa pas libres d'user d'indulgence envers lui; mais il leur disait : « J'ai jugé à propos de le livrer au pouvoir de Satan » ; et cependant il se les associe pour prononcer la sentence, en ajoutant: « Vous vous réunirez à cet effet ». Remarquez ces deux actes de la plus haute importance : la sentence est prononcée, mais non sans leur participation, pour qu'ils ne pussent se plaindre, il ne la prononce pas seul, de peur de montrer de l'arrogance et du mépris à leur égard. D'autre part, il .ne leur abandonne pas toute l'affaire, de peur que, manquant à leurs devoirs, ils n'exercent envers le coupable une indulgence intempestive. Il en agit de même dans la circonstance présente : « Je lui ai déjà accordé son pardon, comme dans ma première épître je l'avais déjà condamné ». Ensuite pour prévenir tout soupçon de mépris, il ajoute : « A cause de vous » ; quoi donc? c'est pour se ménager les bonnes grâces des hommes, qu'il lui pardonne ? Non, car il ajoute aussitôt : « Dans la personne du Christ.» Qu'est-ce à dire: Dans « la personne du Christ? » c'est-à-dire, selon Dieu, ou pour la gloire du Christ : « De peur que nous ne soyons circonvenus par Satan, car nous n'ignorons pas ses pensées (11) ». Voyez-vous comme il leur accordé et leur retire tour à tour l'autorité, voulant d'une part les ménager, et d'autre part prévenir tout sentiment d'orgueil? Il veut en outre leur faire voir que leur désobéissance tournerait au détriment général. C'est ce qu'il avait en vue dès le principe, car alors il disait aussi : « Un peu de levain corrompt toute la masse » ( I Cor. V, 6) ; et ici il dit : « De peur que nous ne soyons circonvenus par Satan ». Partout il se les associe dans l'absolution donnée à l'incestueux. . .
5. Reprenons les choses de plus haut. « Si quelqu'un m'a contristé, ce n'est pas moi qu'il a contristé », dit-il, « mais vous tous, en partie du moins, pour ne point l'accabler ». Et ensuite : « Il suffit qu'il soit réprimandé par le plus grand nombre ». Tel est sa décision, telle est sa pensée. Il ne s'en tient pas là; mais de nouveau il se les associe en disant : « En sorte qu' il convient maintenant, au contraire, que vous lui pardonniez et le consoliez. C'est pourquoi je vous conjure de confirmer à son égard votre charité». Après leur avoir abandonné tout le soin de cette affaire, il rappelle son autorité dans ces paroles : « Je vous ai écrit pour me convaincre que vous êtes obéissants en toutes choses » Puis il leur accorde le droit de faire grâce au coupable, en leur disant : « Celui à qui vous aurez pardonné ». Ensuite il le revendique pour lui-même : « Pour moi, si je lui ai pardonné, c'est à cause de vous, dans la personne du Christ » ; c'est-à-dire, pour la gloire de Jésus-Christ, ou bien encore d'après l'ordre de Jésus-Christ. C'est là ce qui surtout devait faire impression sur leurs: âmes. Ils eussent craint en effet de manquer d'indulgence dans une circonstance où la gloire de Jésus-Christ se trouvait intéressée. Après cela, c'est le funeste résultat de leur désobéissance qu'il leur met sous les yeux : « De peur que l'usurpateur Satan n'emporte quelque chose sur nous ». Epithète bien juste : car il ne prend pas seulement ce qui est à lui; mais il enlève encore ce qui nous appartient. Qu'on ne dise pas : Mais l'incestueux seul est là proie du démon. Songez que le troupeau n'est plus complet; et c'est un grand malheur, maintenant surtout, qu'il peut retrouver ce qu'il. a perdu: « Car nous n'ignorons passes pensées » ; c'est-à-dire que; soirs prétexte de piété, il cause notre perte. Ce n'est pas- seulement en poussant au crime qu'il sait perdre les âmes, mais aussi en les plongeant dans üne tristesse excessive.
33
Puisque, non content d'enlever les siens, il se jette aussi sur ceux qui nous appartiennent, puisqu'à cause la perte des uns en les entraînant au péché, et qu'il nous dérobe ceux mêmes auxquels nous imposons une pénitence; n'est-ce pas un usurpateur qui s'empare du bien d'autrui? Il ne lui suffit pas de nous renverser par le péché; il obtient le même résultat par notre pénitence, si nous ne sommes sur nos gardes. Saint Paul ,a donc raison de l'appeler usurpateur, puisqu'il triomphe par nos propres armes; qu'il s'empare de nous parle péché, je le conçois; c'est une arme qui lui est propre; mais qu'il triomphe par la pénitence, c'est une usurpation ; car la pénitence est une arme qui nous appartient, et qu'il ne peut revendiquer comme la sienne. Lorsqu'il peut nous vaincre, même par la pénitence, quelle défaite honteuse pour nous ! Il se rira de notre faiblesse et de notre misère, il nous tourmentera de mille manières, après nous avoir subjugué par nos propres armes. Quoi de plus ridicule en effet, de plus honteux, pour nous que de nous sentir blessés par ce qui devait nous, guérir? Aussi l'apôtre disait-il : « Nous n'ignorons pas ses pensées ». C'est-à-dire nous savons combien il est souple, rusé, fourbe, méchant, habile à séduire par les apparences mêmes de la piété. C'est ce que nous ne devons jamais perdre de vue. N'ayons donc de mépris pour personne; ne désespérons pas après notre péché, ne vivons point non. plus dans l'indolence; mais brisons notre âme par un sincère repentir, et ne nous bornons pas à témoigner notre douleur par nos paroles.
Beaucoup en effet répètent qu'ils se repentent de leurs péchés, mais ils n'accomplissent aucun acte de pénitence ; ils jeûnent, il est vrai ; ils sont modestes dans leurs vêtements, mais ils ont plus soif de richesses que les usuriers; leur colère surpasse celle des bêtes féroces; la médisance leur cause plus de plaisir qu'à d'autres les éloges. Est-ce là une pénitence? Non, c'est l'ombre , c'est lapparence du repentir, ce n'est point le repentir. C'est pourquoi il est bon de leur adresser les paroles de l'apôtre : Prenez garde de vous laisser circonvenir par Satan; car nous n'ignorons point ses pensées. Il sait perdre, ceux-ci par le péché, ceux-là par la pénitence, en les empêchant de retirer aucun fruit de leur repentir. Il ne petit réussir par un chemin direct; il prend un chemin détourné; il redouble la fatigue et enlève les fruits; il persuade que tout est fait et qu'on peut négliger ce qui reste encore. Prenons donc garde que notre pénitence ne soit frappée de stérilité.
Que de femmes font ainsi pénitence ! Adressons-leur cette courte exhortation, car elles eu ont un besoin tout spécial. Oui, c'est une bonne chose que de jeûner, que de coucher sur la terre, que de mettre des cendres sur sa tête ; mais à quoi sert tout cela, s'il ne s'y joint autre chose? Dieu n'a-t-il pas fait voir à quelle condition il pardonne les péchés? Pourquoi donc abandonner cette voie pour en suivre une autre? Autrefois les Ninivites péchèrent, et ils firent ce que vous faites maintenant; mais quel avantage en retirèrent-ils? Les médecins ont recours à mille remèdes différents; mais la prudence veut que l'on se demande non pas quel remède a été employé, ruais quel effet ce remède a produit. Il faut en agir, de même après que l'on a péché. Qu'y eut-il donc de vraiment avantageux pour ce peuple barbare.? Ils jeûnèrent, ils couchèrent sur la dure, se vêtirent de sacs, répandirent la cendre sur leurs têtes, ils poussèrent des gémissements: mais aussi, ils changèrent de conduite.
6. Parmi nous ces remèdes, quel fut le remède efficace? Comment le savoir, direz-vous? Si nous allons trouver le médecin et que nous l'interrogions, il nous le dira volontiers. Ou plutôt il nous épargne la peine de le lui demander, et il nous mentionne dans ses, écrits, le remède qui sauva les Ninivites. Quel est donc ce remède ? « Dieu vit que chacun avait quitté ses voies perverses, et il se repentit de les avoir menacés de si grands malheurs ». (Jon. III, 10.) L'Ecriture ne dit pas : Il vit leur jeûne, leurs cilices, la cendre répandue sur leurs têtes. Ce que je dis, non pour déprécier le jeûne, à Dieu ne plaise; mais pour vous exhorter à vous abstenir de toute espèce de vices; ce qui vaut mieux encore que de se priver de nourriture. David, lui aussi, commit de grands péchés : voyons comment il en fit pénitence: Trois jours il resta assis sur la cendre. Ce n'était point pour expier son crime qu'il en agissait de la sorte; mais il manifestait par là cette douleur où la mort de son fils avait plongé sort âme. Quant à son crime, il l'expia d'une autre manière, c'est-à-dire, par l'humilité, par la contrition, par la componction du coeur, par la résolution de ne plus le commettre de nouveau , d'en garder (34) perpétuellement le souvenir, de souffrir avec joie toutes les adversités, dé pardonner à ses ennemis, de ne point se venger pu lui-même ou par d'autres. Séméi l'accablait d'outrages, et fin général s'indignait de lentendre. Mais que disait le saint roi? « Laissez-le me maudire, c'est Dieu qui le lui commande». (II Rois, XVI, 10.) Il avait le cur contrit et humilié; et voilà ce qui surtout purifiait son âme. C'était là en effet avouer sa faute et s'en repentir. Si tout en jeûnant, nous demeurons orgueilleux, non-seulement le jeûne ne nous sert de rien, mais encore il nous est nuisible. C'est pourquoi, vous aussi, soyez humbles, pour que Dieu vous attire vers lui : « Car Dieu est auprès de ceux qui ont le cur brisé ». (Ps. XXXIII, 19.)
Ceux qui habitent de splendides palais, après s'être eux-mêmes déshonorés par le péché, se laissent outrager,sans résistance par les derniers de, leurs. serviteurs; ils souffrent sans se plaindre, parce qu'ils se sont eux-mêmes couverts d'infamie par leurs péchés. Agissez de même : on vous accable d'injures; ne vous irritez point, mais poussez des gémissements, non point à cause de l'outrage que l'on vous fait, mais à cause de ce péché qui vous a plongés dans l'infamie. Gémissez sur votre Péché, non pas à causé des peines que vous avez encourues ; ces peines ne sont rien ; mais parce que vous avez offensé Dieu; un Dieu si bon, si plein d'amour pour vous, si désireux de votre salut, qui n'a pas craint d'immoler son Fils pour vous. Gémissez donc et ne cessez point de gémir; par là, vous confesserez votre péché: Ne passez pas de la joie à la tristesse, et de la tristesse à la joie; mais persévérez dans votre douleur et dans votre repentir: « Bienheureux ceux qui pleurent » , dit l'Ecriture. (Matth. V, 5.) C'est-à-dire, bienheureux ceux qui ne cessent de pleurer. Pleurez donc sans cesse, veillez sur vous-mêmes, brisez votre coeur, affligez-vous comme si vous aviez perdu votre propre fils. «Déchirez vos curs », dit l'Ecriture, « et non point vos vêtements ». (Joel, II, 3.) Ce qui a été déchiré ne peut se redresser; ce qui est broyé ne peut se relever: Aussi l'Ecriture dit-elle : « Déchirez », et encore : « Dieu ne méprisera pas un cur contrit et humilié ». (Ps. L, 19.)
Vous êtes philosophe; vous êtes riche, vous êtes puissant, n'importe; brisez votre coeur, et ne lui permettez point de- s'enfler d'orgueil et de jactance. Ce qui est déchiré ne peut s'enfler.
S'il y a lieu encore à quelque élévation, du moins le gonflement se trouve désormais impossible. Appliques-vous donc à la modestie et à l'humilité. Rappelez-vous qu'une seule parole suffit pour justifier le publicain. Et encore n'était-ce point précisément un acte d'humilité, mais plutôt le sincère aveu de ses péchés.. Or, si tel fut l'effet de cette confession, quel ne sera pas celui de l'humilité? Pardonnez volontiers à ceux qui vous auront offensés; vous obtiendrez ainsi la rémission de vos fautes. Quant à l'efficacité du premier sentiment, voici ce que dit l'Ecriture : « Je l'ai vu s'avancer plein de tristesse, et j'ai guéri ses voies». (Isaïe, LVII, 18.) C'est ce sentiment qui calma le Seigneur irrité contre Achab. Quant au pardon des injures : « Pardonnez », dit l'Ecriture, « et l'on vous pardonnera ». (Luc, VI, 37.) Il y a encore un autre moyen d'obtenir notre pardon, c'est de condamner nous-mêmes nos crimes : « Condamnez le premier vos iniquités, pour mériter d'être justifié » . (Isaïe, XLIII, 26.) Oui, vous effacerez vos péchés, si vous savez rendre grâces au sein des tribulations. Mais rien n'est comparable à l'aumône.
Comptez maintenant les remèdes capables de guérir vos blessures, et employez les tour à tour ; employez l'humilité, la confession, l'oubli des injures, l'action de grâces dans les tribulations;. assistez le prochain par votre argent, par votre zèle, par vos bons offices, et priez avec persévérance. C'est ainsi que la veuve de l'Evangile put fléchir ce juge cruel et impitoyable. Elle fléchit un juge inhumain; à plus forte raison fléchirez- vous ce juge plein de douceur et de bonté. Outre tant de moyens que nous venons d'indiquer, il en est un autre encore, c'est de prendre la défense de ceux qui sont outragés : « Jugez en faveur de l'orphelin », dit l'Ecriture, « et rendez la justice en faveur de la veuve; venez et engageons la discussion. Et si vos péchés sont rouges comme la. pourpre, ils deviendront blancs comme la neige ». (Isaïe, I, 16,17.) Serions-nous excusables, si avec tant de moyens pour nous élever au ciel, avec tant de remèdes pour guérir nos blessures, nous persévérions dans les mêmes habitudes, même après avoir reçu le baptême. Oh ! non, je vous en conjure, n'y persévérons point. Voies, qui n'êtes point tombés, ne souillez point la beauté de vos âmes ; cherchez au contraire à l'augmenter de jour en jour. Vous n'avez point commis de péchés (35) que vos bonnes oeuvres doivent effacer; eh bien! elles rendront votre beauté plus éclatante. Et nous qui avons tant de fautes à nous reprocher, effaçons-les en faisant usage des remèdes que nous venons d'énumérer, afin que nous puissions nous présenter avec assurance au tribunal du Christ. Cette assurance, daigne notre Dieu nous l'accorder par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.