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ANALYSE.
1-3. La résurrection des morts est prouvée par le baptême;
non-seulement par les discours, mais par les actions des apôtres, par leur courage en
présence de fous les dangers.
4 et 5. Les mauvais discours corrompent les bonnes moeurs.
Encore contre l'avarice, contre les fortunes qui ne. se font qu'au détriment des autres.
Contre les plaisirs et la corruption qui en est la conséquence funeste.
Contre le luxe de ceux qui ne se montrent qu'entourés de troupeaux d'esclaves.
1. Voici maintenant l'apôtre attaquant un autre sujet : tantôt c'est par la conduite de Dieu, tantôt c'est par les actions mêmes des hommes auxquels il s'adresse, qu'il prouve la vérité de ses paroles. Ce n'est pas une faible preuve à l'appui de la vérité qu'on soutient, que de pouvoir produire le témoignage même des contradicteurs. Voyons donc ce que dit l'apôtre? Ou bien préférez-vous que je vous rapporte d'abord les erreurs débitées par ces malades qui parlent comme Marcion ? Je sais bien que je vagis provoquer un éclat ale rire, c'est précisément ce qui me décide à parler; je veux que vous voyiez mieux les raisons de vous préserver de cette maladie. Un catéchumène chez eux vient de mourir; que font-ils ? Sous le lit du mort, ils cachent un. vivant; cela fait , ils demandent au mort s'il veut recevoir le baptême. Le mort ne répond pas ; alors celui qui est caché en bas sons le lit, répond pour lui qu'il veut recevoir le baptême; ils arrivent ainsi à baptiser le vivant pour celui qui est mont : c'est une comédie ; tel est, sur les âmes lâches, le pouvoir du démon. Si on les prend à partie ; ils vous répondent que l'apôtre a dit : « Ceux qui sont baptisés pour les morts ». Est-ce assez ridicule ? Est-ce la peine de discuter ? En vérité, je ne le pense pas, à moins qu'il ne faille disserter avec des fous sur les paroles qu'ils font entendre dans leur délire. Il ne faut pas toutefois qu'aucun de ceux dont l'esprit est un peu simple se laisse prendre à ces extravagances, et voilà pourquoi nous allons discuter.
Si Paul avait la pensée qu'on lui prête, pourquoi Dieu a-t-il fait des menaces à celui qui ne reçoit pas le baptême ? Il n'est plus possible de manquer le baptême, grâce à cette découverte. D'ailleurs ce n'est plus la faute des morts, mais la faute des vivants. Mais maintenant, à qui le Seigneur a-t-il adressé ces paroles: « Si vous ne mangez ma chair, et si vous ne buvez mon sang, vous n'avez point la vie en vous? » (Jean, VI, 54.) Aux vivants ou aux Morts? répondez-moi. Et encore : « Si un homme ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu». (Jean, III, V.) Si de telles pratiques sont permises, on n'a plus que faire de ta volonté de celui qui reçoit le baptême; ni du consentement du vivant ; qui empêche de transformer les païens et les Juifs en autant de fidèles; vu que les vivants, quand les autres seront défunts; s'entremettront dans l'intérêt de ces défunts? Mais c'est trop nous arrêter à enlever ces. toiles d'araignée; voyons, expliquons ce que veut dire cette expression de Paul. Qu'entend-il par là? Je veux d'abord vous rappeler , à vous qui êtes initiés aux (580) mystères, les paroles que l'on vous fait prononcer le soir de votre initiation , je vous dirai ensuite la pensée de Paul ; par ce moyen, cette pensée même sera, pour vous, plus claire. Car c'est après toutes les autres paroles que nous ajoutons ce que dit Paul en ce moment. Je voudrais être parfaitement clair, et cependant je n'ose pas tout exposer au grand jour, à cause de ceux qui ne sont pas initiés; ce sont eux qui rendent nos expositions difficiles, en nous forçant, soit de parler à mots couverts, soit de lever énoncer ce qui doit être mystères pour eux. Toutefois je parlerai, m'appliquant, autant que possible, à laisser les mystères dans l'ombre.
Après avoir prononcé ces paroles pleines de redoutables mystères, les règles des dogmes qu'il faut respecter avec crainte, les lois envoyées du ciel, nous finissons par ajouter, au moment du baptême, ces paroles que nous ordonnons de prononcer : Je crois à la résurrection des morts; et c'est dans cette foi-là que nous sommes baptisés. Ce n'est qu'après cette profession ajoutée aux autres, que nous sommes plongés dans la source de ces eaux sacrées. Voilà ce que Paul rappelait aux fidèles, quand il disait : « S'il n'y a pas de résurrection, pourquoi êtes-vous baptisés pour les morts? » ce qui veut dire, pour les corps. Car si vous êtes baptisé, c'est que vous croyez à la résurrection du corps mort, vous croyez qu'il ne reste pas mort. Quant à vous, c'est par des paroles que vous exprimez là, résurrection des morts ; mais, pour le prêtre, il a comme une image à lui, et ce que vous avez cru, ce que vous avez confessé par des paroles, cette image vous en montre la réalité. Vous croyez sans avoir de signe, et le prêtre vous donne un signe ; vous commencez par faire ce qui dépend de vous, et alors Dieu vous donne une certitude. Comment cela ? par quel moyen? Au moyen de l'eau: Le baptême, l'immersion suivie du mouvement contraire par lequel on remonte, on sort, c'est le symbole et de la descente aux enfers, et du retour. Voilà pourquoi Paul appelle encore le baptême une sépulture : « Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort ». (Rom. VI, 4.) L'apôtre y trouve une preuve de la condition à venir; j'entends par là, la résurrection des corps. Le pouvoir de ressusciter le corps n'approche pas de celui qui détruit les péchés. Jésus-Christ, à ce propos, disait : « Car lequel est le plus aisé, ou de dire: Vos péchés vous sont remis; ou de dire : Emportez votre lit, et marchez? » (Matth. IX, 5, 6.) C'est le premier qui est le plus difficile; mais comme vous ne croyez pas à ce qui n'est pas évident pour vous, comme le plus facile peut vous servir, à défaut du plus difficile, à vous montrer ma puissance, je ne veux pas vous refuser même cette moindre marque. « Alors Jésus dit au paralytique : Levez-vous, emportez votre lit, et rentrez dans votre maison ».
2. Et quelle difficulté trouvez-vous là, dira-t-on, puisque les rois et les princes peuvent en faire autant? Ils remettent les fautes des adultères et des meurtriers. Vous plaisantez, ô homme; à Dieu seul appartient le pouvoir de remettre les péchés; pour les rois et les princes . qui renvoient, qui acquittent des adultères et des meurtriers, ils leur font grâce du supplice . présent, mais ils ne les purifient pas; ils auraient beau les élever aux honneurs après les avoir absous, les revêtir de la pourpre, leur mettre au front le diadème, ils pourront en faire des rois, mais non les affranchir de leur péché. A Dieu seul ce pouvoir. C'est l'oeuvre que Dieu opère dans le baptême de la régénération; il pénètre l'âme de sa grâce, et en extirpe jusqu'à la racine du péché. Voilà pourquoi tel que le prince a gracié, montre une âme couverte de souillure; mais il n'en est pas de même de celui qui a été baptisé : il est plus pur que les rayons du soleil, il est comme au jour qui l'a vu naître, ou plutôt son âme est bien plus éclatante encore de pureté. Car elle jouit pleinement de tous les. feux du Saint-Esprit qui l'embrase et qui augmente sa sainteté. Fondez l'or et l'argent, vous en faites un nouveau et pur métal: ainsi fait l'Esprit-Saint dans le baptême , il fond l'âme comme dans une fournaise, il en consume les péchés, il la rend plus éclatante que l'or le plus pur. Et c'est une nouvelle preuve qui vous assure encore de la résurrection des corps. Car puisque c'est le péché quia introduit la mort dans le monde, une fois que la racine est desséchée, n'en doutons plus, ne contestons plus, le fruit du péché est mort.
Voilà pourquoi vous avez commencé par confesser la rémission des péchés, ce n'est qu'ensuite que, faisant un pas de plus, vous confessez. la résurrection des corps ; c'est la première de ces vérités qui vous conduit à la (581) seconde. Ensuite comme il ne suffit pas de dire simplement résurrection, comme il faut la comprendre dans ce qu'elle a d'absolu (en effet beaucoup sont ressuscités, qui sont retombés dans la mort, comme tous les ressuscités de l'Ancien Testament, comme Lazare, au temps de la croix), on vous dit d'ajouter, et pour la vie éternelle, afin qu'on ne s'imagine pas qu'il y ait une mort après cette résurrection. Telles sont donc les paroles que Paul rappelle quand il dit : « Que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? » Car, s'il n'y a pas, dit-il, de résurrection, ces paroles ne sont qu'une comédie. S'il n'y a pas de résurrection, comment pouvons-nous leur persuader de croire à ce que nous ne donnons pas? Supposez un homme qui exige d'une personne un billet déclarant qu'elle a reçu ceci, cela, qui ne donne rien à cette personne de ce qui est écrit, et qui finisse par lui réclamer, son billet à la main, tout ce que le billet comporte. Que pourra faire le signataire du billet, qui s'est ainsi exposé, qui n'a rien reçu de ce qu'il a reconnu ? Tel est le sens de ce que dit Paul au sujet des baptisés. Que feront-ils, ces baptisés, dit l'apôtre, qui ont souscrit à la résurrection des corps morts, qui ne la reçoivent pas, qui sont trompés? A quoi servait cette confession, cette reconnaissance, si la réalité ne devait pas en être la conséquence?
« Et pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous, à toute heure, à tant de périls ? Il n'y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous , en Jésus-Christ (30, 31) ». Voyez encore où il cherche une preuve à l'appui du dogme; il la trouve dans son propre suffrage ; parlons mieux, ce n'est pas seulement dans son propre suffrage, mais aussi dans celui des autres apôtres. Il y a de la force dans le raisonnement qui montre les docteurs si profondément convaincus, et prouvant leurs convictions non-seulement par leurs discours, mais par leurs actions mêmes. Aussi Paul ne se contente pas de dire : Nous aussi, nous sommes persuadés, car ces paroles n'auraient pas suffi pour opérer la persuasion, mais il fait la démonstration par les actions mêmes; c'est comme s'il disait : La confession par des paroles ne ,vous paraît peut-être pas bien étonnante ; mais si nous vous faisions entendre la grande voix qui sort des couvres, qu'auriez-vous à y objecter? Ecoutez donc ce que vous disent les périls par lesquels nous confessons chaque jour ces vérités. Et il ne dit pas : Pourquoi moi-même; il dit : « Et pourquoi nous-mêmes » ; il montre auprès de lui tous les apôtres à la fois, unissant ainsi à la modestie tout ce qui peut donner de l'autorité à ses- paroles. Que pourriez-vous nous répondre ? Que c'est pour vous tromper que nous publions cette doctrine, et qu'une vaine glaire seule a fait de nous des docteurs? Mais nos périls vous empêchent de porter ce jugement. Car qui voudrait s'exposer inutilement à des périls sans fin? Voilà pourquoi il dit «.Pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous à toute heure? » Supposez, en effet, un homme poussé d'un vain désir de gloire, il s'exposera une fois, deux fois, mais non pendant tout le cours de sa vie, ce que nous faisons; car c'est à de tels périls que nous avons voué notre vie tout entière. « Il n'y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ ». Cette gloire dont il parle ici, ce sont les progrès des fidèles.
Comme il vient de rappeler ces innombrables périls, l'apôtre ne veut pas avoir l'air d'en gémir; non-seulement, dit-il, je ne m'en afflige pas,-mais je m'en glorifie, parce que je les affronte pour vous. Il a, dit-il, deux raisons de se glorifier, et parce que c'est pour eux qu'il affronte les périls, et parce qu'ils lui donnent sa récompense. Ensuite, selon son habitude, après de fières paroles, l'apôtre rapporte au Christ l'une et l'autre de ces deux raisons de se glorifier. Mais que signifie, qu'il n'y a pas de jour qu'il ne meure? Il meurt par le désir, et parce qu'il se prépare sans cesse à la mort. Et pourquoi le dit-il?. Encore une preuve à l'appui de ce qu'il soutient sur la résurrection. Car, dit-il, quel homme voudrait subir mille fois la mort, s'il n'y avait ni résurrection, ni de vie après tant de souffrances ? Si les fidèles qui croient à la résurrection, ont tant de peine à s'exposer à de pareils dangers, s'il faut pour cela une âme tout à fait généreuse, à bien plus forte raison celui qui n'a pas la foi ne voudra pas supporter tant de morts, et de morts si terribles: Vous voyez comme ses expressions deviennent peu à peu de plus en plus énergiques. « Nous nous exposons », dit-il; ensuite il ajoute : « A toute heure » ; ensuite : « Il n'est pas de jour ». Il finit par ne plus dire seulement : Je m'expose; il dit plus (582) : Je meurs. Et ensuite il montre combien de morts il subit, écoutez : « Si pour parler selon l'homme, j'ai combattu à Ephèse contre les bêtes farouches, à quoi cela me sert-il (32) ? »
3. Que signifie : « Si, pour parler à la manière des hommes? » Autant qu'il a dépendu des hommes, j'ai combattu contre les bêtes. Car que dois-je dire, si c'est Dieu qui m'a arraché aux dangers? Aussi, c'est moi surtout qui dois m'inquiéter de ces choses, moi qui soutiens tant de périls sans avoir encore reçu de récompense. Car si le moment de la rémunération ne doit pas venir, si tous nos intérêts sont renfermés dans les limites du temps présent, c'est . nous qui souffrons le plus. grand tort. Vous en effet, votre foi ne vous' expose à aucun péril; nous, au contraire, il n'est pas de jour que nous ne soyons. égorgés. Toutes ces paroles n'avaient pas pour objet de faire entendre qu'il n'y avait, pour lui, aucune utilité à retirer de, ses souffrances, mais il se préoccupait de la faiblesse de la multitude, et il voulait les rendre solides sur le sujet de la résurrection; ce n'était pas qu'il courût après la récompense; c'était, pour lui, une rémunération suffisante de faire ce qui était agréable à Dieu. Aussi ces paroles mêmes, « si nous n'avions d'espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes », c'est pour la multitude qu'elles sont dites, c'est pour que la crainte d'un état si misérable bannisse de leur coeur l'incrédulité au sujet de la résurrection, c'est pour s'accommoder à leur faiblesse qu'il parle ainsi. Car c'est une grande récompense que de plaire, en toute circonstance, à Jésus-Christ, et, indépendamment de toute rémunération, le plus précieux des salaires, c'est de braver pour lui les périls. « Si les morts ne ressuscitent point, mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Dans ces dernières paroles, c'est l'ironie qui éclate. Aussi n'est-ce pas de lui-même qu'il énonce cette pensée; mais il fait entendre le plus sublime des prophètes, Isaïe, qui disait au sujet des malheureux devenus insensibles à la douleur et désespérés : « Qui égorgent des veaux et tuent des moutons, pour manger de la chair et boire du vin; qui disent : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. C'est pourquoi le Seigneur le Dieu des armées, m'a fait entendre cette révélation, cette iniquité ne vous sera pas remis, jusqu'à ce que vous mouriez ». (Is. XXII,13,14.) S'il n'y avait pas de pardon alors pour ceux qui disaient ces paroles, à bien plus forte raison les mêmes coupables seront-ils punis sans la grâce. Maintenant pour ne pas rendre son discours trop amer, l'apôtre cesse d'insister. sur les absurdités, il reprend le ton de l'exhortation, il dit : « Ne vous laissez pas séduire; les mauvais entretiens gâtent les bonnes moeurs (33) ». Ces paroles avaient pour but de leur reprocher leur manque de sens, et, en même temps, il s'y mêle un compliment , car ce sont les bonnes âmes qui sont faciles à tromper, et du même coup, autant qu'il lui est possible, il les décharge, il les montre excusables dans ce qui précède, il repousse loin d'eux les accusations, il les transporte à d'autres coupables, et par ce moyen-là il entraîne ses auditeurs au repentir. C'est ce qu'il fait dans l'épître aux Galates « Celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu'il soit ». (Gal. V, 10.) « Tenez-vous dans la vigilance, justement, et ne péchez pas (34) », comme s'il s'adressait à des gens ivres et saisis d'accès de folie furieuse. Rejeter à la fois, rejeter tout à coup ce qu'on tient dans les mains, c'était vouloir ressembler à ces gens ivres, à ces furieux qui ne voient plus, ce qu'ils ont vu , qui ne croient plus ce qu'ils ont confessé. Que signifie « justement? » pour ce qui est avantageux et utile. Car il y a une vigilance, en vue de l'injustice, quand on n'a l'esprit éveillé que pour faire du tort à son âme. Et c'est avec raison que l'apôtre a ajouté, « ne péchez pas », pour montrer que c'est du péché que sortent les germes de l'incrédulité. En beaucoup d'endroits, il fait entendre que c'est la corruption des moeurs qui produit les mauvaises doctrines, comme quand il dit « Car l'amour des richesses est la racine de tous les maux ; et quelques-uns en étant possédés, se sont égarés hors de la foi ». (I Tim. VI, 10.) Il en est un grand nombre que leur conscience tourmente, qui craignent le châtiment , et qui par suite au grand préjudice de leur âme, perdent la foi en la résurrection; de même que ceux qui pratiquent de grandes .Vertus, ne soupirent à chaque instant qu'après ce grand jour : « Car il y en a quelques-uns qui ne connaissent point Dieu; je vous le dis, pour vous faire honte ». Voyez comme il fait encore retomber les accusations sur d'autres coupables. Il ne dit pas: Vous ne connaissez point, mais : « Il y en a quelques-uns (583) qui ne connaissent point ». Ne pas ajouter foi à la résurrection, c'est ignorer absolument la puissance invincible de Dieu qui suffit à tout.. S'il a fait toutes choses du néant, à bien plus forte raison pourra-t-il ressusciter ce qui est dissous. Après les reproches violents, après les sarcasmes lancés contre la gourmandise, l'ignorance , l'engourdissement d'esprit , il s'adoucit, il console, il dit : « Je vous le dis, pour vous faire honte », c'est-à-dire, pour vous corriger, pour vous ramener, pour qu'a près avoir rougi vous deveniez meilleurs. L'apôtre a peur de trop couper dans le vif, de telle sorte qu'ils regimberaient.
4. Sachons comprendre que l'apôtre, ici, ne s'adresse pas seulement à quelques hommes, à tous ceux qui souffrent de la même mais maladie, dont la vie est corrompue. Ce ne sont pas seulement ceux dont les doctrines sont mauvaises, mais ceux dont les péchés sont graves qu'il faut regarder comme des gens ivres, comme des insensés. Aussi peut-on leur appliquer cette parole : « Tenez-vous dans la vigilance » ; appliquons-la surtout à ceux qui succombent sous le faix de leur cupidité, à ces ravisseurs qui n'entendent pas le rapt. Car il y a un rapt glorieux, qui ravit le ciel, et ce rapt ne fait de mal à personne. Sur cette terre nul ne s'enrichit qu'à la condition qu'un autre s'appauvrit tout d'abord mais les richesses spirituelles ne sont pas à ce prix, c'est le contraire du tout au tout, nul ne s'enrichit sans communiquer à un autre l'abondance. Car si vous n'êtes utile à personne, impossible à. vous de trouver la richesse. En . ce qui .concerne nos corps, tout ce qui s'épanche au dehors produit l'amoindrissement; pour les dans de l'esprit, au contraire, l'épanchement procure l'abondance; c'est le refus de partager qui engendre la pauvreté, l'indigence, qui attire le plus cruel supplice. Témoin cet homme, qui enfouit son talent. Celui qui possède les discours de la sagesse et les communique à un autre, augmente sa richesse, parce qu'il rend sages des hommes en. grand nombre; celui qui tient caché ce trésor, se dépouille lui-même de son luxe, parce qu'il ne s'est pas fait une richesse des services rendus à un grand nombre d'hommes. Celui qui, possède encore, d'autres dons, s'il les fait servir à la guérison d'un grand nombre, accroît la richesse qu'il a reçue; il ne vide pas son trésor en le partageant, et, par lui, une foule d'autres se. remplissent des dons spirituels. Pour tous les dons de l'Esprit, c'est la règle invariable. De même, pour la royauté ; celui qui associe le grand nombre à sa royauté, s'assure les moyens de la voir s'agrandir ; au contraire, celui qui ne veut de partage avec personne, se verra déchu lui-même de tant de biens si précieux. Si la sagesse humaine ne se dépense pas, entre tant de milliers de ravisseurs qui la pillent, si cet artisan, qui communique son savoir à tant d'autres, ne perd pas son savoir dans son art, à bien plus forte raison le ravisseur d'une telle royauté ne l'amoindrit pas, nous verrons nos trésors grossis quand, nous appellerons les foules au pillage. Ravissons donc les biens qui ne se dépensent pas, qui augmentent par, cela même qu'on vient les ravir, ravissons ce qui se peut ravir, sans craindre ni la calomnie ni l'envie. Voyez donc s'il y avait quelque part une source d'or, éternellement jaillissante, d'autant plus abondante qu'on y puiserait davantage; s'il y avait, d'autre part, un trésor, enfoui, où. courriez-vous pour vous. enrichir? N'est-ce pas à la source? Oui en. peut douter? Mais ne nous contentons pas de paroles, de fictions, voyez la réalité de la parole qui frappe vos oreilles, voyez l'air, voyez le soleil ; tous les mettent au pillage, et l'air et le soleil remplissent tous les êtres, et cependant, qu'on en jouisse ou qu'on n'en jouisse pas, ils subsistent toujours semblables, jamais amoindris. Mais ce dont je parle est bien supérieur. Car la sagesse spirituelle ne subsiste pas toujours semblable à elle-même, soit qu'elle se communique, soit qu'elle ne se communique pas, elle s'accroît, elle grandit, quand elle se communique. S'il en est qui résistent encore à nos paroles, s'il est un homme que préoccupe encore exclusivement la crainte de manquer ces choses nécessaires à la vie, un homme porté à ravir les biens qui diminuent, que celui-là rappelle la manne en sa mémoire, et redoute une correction qui doit lui servir de leçon. La peine infligée alors à l'accapareur fragile encore aujourd'hui les riches que rien n'arrête. Qu'arrivait-il alors ? les vers fourmillaient, sortant du superflu.
C'est ce qui se voit aujourd'hui encore chez ceux dont je parle. La mesure de la nourriture nécessaire est la même pour tous, quels qu'ils soient; c'est le même ventre que nous remplissons; mais, chez vous qui vous rassasiez de vos délices, il y a plus de fumier. Et, (584) de même que ceux qui faisaient, dans le désert, une provision plus considérable qu'il n'était permis , ne ramassaient pas de la manne, mais une plus grande quantité de vers et de pourriture, de même, dans cette vie de délices et de faim cupide, ce n'est pas une plus grande quantité d'aliments, mais de corruption, que rainassent les gens adonnés à leur ventre, les gens qui s:enivrent. Il y a toutefois cette différence que ceux d'aujourd'hui sont plus coupables que les hommes d'autrefois ; il suffit aux anciens hommes d'une seule correction, pour revenir à la sagesse; au contraire , ces hommes d'aujourd'hui introduisent chaque jour dans leur intérieur un ver bien plus funeste que celui du désert, et ils ne le sentent pas, et ils ne sont pas rassasiés. Voyez encore ce qui prouve la ressemblance entre les hommes de nos jours et ceux d'autrefois, quant à la vanité du travail qu'ils se donnent. {car en ce qui concerne le châtiment, il est aujourd'hui beaucoup plus terrible). En quoi le riche est-il différent du pauvre? N'est-ce pas, des deux côtés, même corps à revêtir? même ventre à. nourrir? En quoi donc est le plus? L'avantage des inquiétudes, l'avantage des dépenses, l'avantage de désobéir à Dieu, l'avantage de corrompre sa chair, l'avantage de perdre son âme, voilà les avantages du riche, ce qu'il a de plus que le pauvre. S'il avait plus de ventres à remplir, il aurait peut-être quelque excuse fondée sur ses besoins plus considérables, sur la nécessité de faire plus de dépenses. Mais maintenant aussi, objectera-t-on, les riches peuvent alléguer qu'ils ont plus de ventres à remplir, à savoir ceux de leurs Serviteurs et .de leurs servantes. Mais ce n'est ni par nécessité, ni par bonté, ni par humanité qu'ils se conduisent, ils n'écoutent que le faste et l'orgueil, on ne veut pas de leur excuse.
Car à quoi bon tant de serviteurs?De même que, pour les vêtements, c'est l'utilité seule qu'il faut considérer, ainsi que pour la table, de même pour ce qui touche, les serviteurs. , Quelle en est donc l'utilité? Utilité nulle : un seul domestique devrait suffire à un maître, ou plutôt deux et trois maîtres devraient se contenter d'un seul. Si cette manière de vivre vous semble pénible, considérez ceux qui n'en ont pas même un, et chez qui le service est plus expéditif; car Dieu a fait des serviteurs qui se suffisent à eux-mêmes pour se servir, et, qui plus est, servir le prochain. Si vous refusez de m'en croire, écoutez Paul : « Ces mains que vous voyez ont suffi à mes besoins et aux besoins de ceux qui étaient avec moi ». (Act. XX, 34.) Ainsi le docteur du monde entier, digne de résider au ciel, n'a pas rougi de se faire le serviteur d'une foule de, milliers d'hommes; et vous, si vous ne promenez pas des troupeaux d'esclaves, vous avez honte, et vous ne comprenez pas que ce sont précisément ces esclaves innombrables qui doivent vous rendre honteux? Si Dieu nous a donné des mains et des pieds, c'est pour que nous n'ayons pas besoin de serviteurs. Ce n'est pas la nécessité qui a introduit dans le monde la classe des serviteurs; s'ils eussent été nécessaires, leu même temps qu'Adam, un serviteur eût été créé : c'est la peine du péché et le châtiment dé la désobéissance. L'avènement. du Christ a réparé aussi cette inégalité de condition : « Car en Jésus-Christ, il n'y a plus ni esclave ni homme libre ». (Gal. III, 28.) Voilà ce qui prouve qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des esclaves ; que si c'est nécessaire, un serviteur suffit, ou deux, au plus: Que signifient ces essaims de domestiques? Comme des marchands de moulons, comme des trafiquants d'esclaves, on les voit aux bains, ' on les voit sur la place publique s'étaler, ces riches, avec leurs troupeaux. Eh bien, je ne veux pas traiter l'affaire en rigueur, ayez jusqu'à deux serviteurs; mais quand vous en rassemblez des bandes, ce n'est pas par. amour pour les hommes, c'est pour satisfaire votre mollesse; prouvez votre sollicitude en n'assujettissant jamais un homme à 'votre service personnel. Achetez des esclaves, instruisez-les, mettez-les en état de se suffire à eux-mêmes, affranchissez-les. Quand vous les meurtrissez de vos verges, . quand vous les chargez de fers, vous ne faites pas assurément un acte d'humanité. Je sais bien que je suis à charge à ceux qui m'écoutent, mais qu'y faire? Je suis ici pour cela, et je ne cesserai pas de répéter ces choses, avec ou sans profit.
Que signifie cet orgueil qui écarte les passants au forum ? Vous croyez-vous au milieu de bêtes sauvages, pour ,repousser ainsi les gens sur votre chemin ? Rassurez-vous, on ne veut pas vous mordre, on passe auprès de vous, voilà tout. Mais c'est pour vous une (585) insulte que tout le monde passe auprès de vous? Quel est ce délire, quelle est cette monstruosité? Uri cheval ne se croit pas injurié par un autre cheval qui vient derrière lui ; et un homme, si les autres hommes ne sont pas refoulés à plusieurs stades, se croira insulté ? Et qui signifient ces serviteurs faisant office de licteurs, ces hommes libres servant comme des esclaves, ou plutôt que prétendez-vous avec ces moeurs plus viles, plus misérables que le plus vil esclave? car il n'est pas d'esclave aussi méprisable que l'homme qui étale un tel faste. Aussi ne verront-ils pas la vraie liberté ceux qui ont asservi leur âme à cette détestable passion. Il vous faut quelque chose à repousser, à écarter loin de vous, n'écartez pas les passants, mais l'orgueil ; n'employez pas un serviteur pour cet office, remplissez-le vous-même, et pas m'est besoin d'autre fouet, que d'un fouet spirituel. Aujourd'hui c'est votre serviteur qui chasse les hommes sur votre chemin, mais votre orgueil vous chasse, vous précipite du haut du ciel d'une manière plus honteuse que votre serviteur ne fait du prochain. Descendez. de votre cheval, chassez lorgueil par l'humilité, et vous siégerez sur un trône plus élevé, et vous vous établirez vous-même plus haut en dignité, sans avoir besoin pour cela d'un serviteur. Quand, devenu modeste, vous ferez plus près de la terre votre chemin, vous serez assis sur le char de l'humilité qui vous élèvera jusqu'au ciel, avec ses chevaux munis d'ailes rapides; si, au contraire, tombé de la voûte céleste, vous montez sur. le char de l'orgueil, votre condition n'aura rien de supérieur à celle de ces serpents qui traînent leur ventre sur la terre, vous serez -même bien plus infortuné, bien plus digne d'être plaint. C'est l'infirmité naturelle de leur corps qui les force à se traîner ainsi, mais vous, ce qui vous aura dégradé, c'est l'orgueil, c'est ce funeste mal. Car « tout ce qui s'élève sera abaissé », dit l'Evangile. (Matth. XXIII, 12.) Préservons-nous donc de cet abaissement, et pour être élevés, sachons reconnaître la vraie élévation. C'est ainsi que nous trouverons le. repos de nos âmes, selon l'oracle divin, et que-nous- obtiendrons l'honneur qui est le seul vrai et le plus élevé; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de. Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.