HOMÉLIE XXXV

HOMÉLIE XXXV. RECHERCHEZ AVEC ARDEUR LA CHARITÉ; MAIS DÉSIREZ LES DONS SPIRITUELS, ET SURTOUT CELUI DE PROPHÉTISER (CH. XIV, VERS. 1.)

 

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ANALYSE.

 

1 et 2. Comment l'on doit rechercher la charité. — Que le don de prophétie l'emporte sur le don des langues.

3. Ce que c'était que le don des langues.

4. Influence de la vaine gloire. — Critique des philosophes grecs.

5. La vaine gloire n'est qu'un monstre cruel. — Eloge de saint Paul.

6. De quel oeil le chrétien doit-il regarder les biens temporels? — Hygiène de l'âme. — Malheur des riches.

 

1. Après avoir passé en revue tous les caractères de la charité, il exhorte les fidèles à la cultiver avec ardeur.: « Recherchez avec ardeur la charité. » Quand on recherche un objet, en effet, on ne voit que lui, on se dirige vers lui, on ne cesse de le poursuivre que lorsqu'on l'a atteint. Quand on poursuit quelqu'un, et qu'on ne peut l’atteindre soi-même, on se sert, pour le saisir, des personnes qui sont devant vous. On exhorte vivement ceux qui sont près du fugitif à le prendre, à le retenir, jusqu'à ce qu'on vienne s'en emparer soi-même. C'est ainsi que nous devons agir, si nous ne parvenons pas nous-mêmes à atteindre la charité, chargeons ceux qui sont tout près d'elle de la prendre et de la garder en attendant que nous arrivions. Et quand nous l'aurons saisie, ne la lâchons pas, de peur qu'elle ne s'enfuie encore bien loin de nous. Elle ne cesse de nous échapper, en effet, parce que,nous ne savons pas nous en servir,-parce qu'il n'est rien que nous ne lui préférions. Si nous suivons ces préceptes, nous n'aurons pas besoin de nous donner beaucoup de peine. Que dis-je? nous n'aurons, pour ainsi dire, rien à faire. Nous mènerons une existence de délices et de fêtes , tout en marchant dans l'étroit sentier de la vertu. Voilà pourquoi l'apôtre a dit : « Poursuivez la charité ». Puis, afin que l'on ne croie pas qu'il n'a parlé de la charité que poux déprécier entièrement les grâces spirituelles, il ajoute : « Désirez les dons spirituels et surtout le don de prophétie{12)? Car celui qui parle une langue inconnue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l'entend ; c'est sous l'inspiration du Saint-Esprit qu'il parle des mystères (3) : mais celui qui prophétise « parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ». Il compare ici entre eux les divers dons spirituels et il rabaisse le don des langues, en montrant que, s'il n'est pas tout à fait inutile, il n'est pas très-utile par lui-même. Il y avait, en effet, des gens qui étaient tout fiers de ce don, parce qu'on y attachait un grand prix. Ce qui le faisait regarder comme important, c'est que les apôtres l'avaient reçu d'abord, et l'on sait avec quel apparât et quel retentissement, mais il ne l'emportait pas sur les autres pour cela. Pourquoi donc les apôtres l'avaient-ils reçu d'abord ? c'est qu'ils devaient parcourir tout l'univers.

Lors de la construction de la tour. de Babel, il n'y avait qu'une langue qui se partageait en une foule de langues (Gen. XI) ; à l'époque des apôtres, une foule de langues venaient se réunir sur les lèvres d'un seul homme. Le même homme parlait la langue des Perses, celle des Romains, celle dès Indiens, ou plutôt c'était le Saint-Esprit qui parlait par sa bouche, et cette grâce s'appelait le don des langues, parce que (536) le même homme avait le talent d'en parler plusieurs. Voyez comme l'apôtre le rabaisse et l'exalte tour à tour, quand il dit : « Celui qui parle des langues inconnues ne parle point aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l'entend » ; il exalte un don qui ne paraît pas avoir une grande utilité. Mais lorsqu'il ajoute : «C'est sous l'inspiration du Saint-Esprit qu'il parle des choses cachées», il exalte ce don pour ne pas laisser croire qu'il est vain , inutile , et donné sans raison à l'homme. « Mais celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ». Voyez comme saint Paul proclame l'excellence de ce don avantageux à tous les hommes ! Voyez comme il préfère en toute circonstance à tous les autres dons ceux qui sont utiles au plus grand nombre ! Est-ce que ceux qui ont le don des langues ne parlent pas aussi -pour les hommes? Ce qui les met au-dessous des prophètes, c'est que leur parole n'est pas aussi édifiante, aussi encourageante, aussi consolante.

Ces dons supposent tous les deux l'inspiration du Saint-Esprit. Mais le prophète a cet avantage qu'il est utile à des gens qui l'entendent. Ceux qui parlaient des langues inconnues, au contraire, n'étaient pas entendus de ceux qui n'avaient pas le don des langues. Mais quoi? Ceux qui parlaient ces langues inconnues n'édifiaient-ils personne? Ils s'édifiaient eux-mêmes, et voilà pourquoi saint Paul ajoute: «Celui qui parle une langue inconnue s'édifie lui-même (4) ». Et comment cela se fait-il, s'il ne sait pas ce qu'il dit ? Mais faites donc attention que saint Paul parle ici des hommes qui savent ce qu'ils disent; qui comprennent bien le sens de leurs paroles, mais qui ne savent pas les expliquer aux autres. Mais .1e prophète édifie l'Église: voilà la différence qu'il y a entre ces deux hommes. Voyez comme l'apôtre est sage . Il n'annihile pas le don des langues, mais il montre qu'il n'a que de faibles avantages et qu'il ne profite qu'à celui qui lé possède. Puis, pour ne pas laisser croire à ceux auxquels il s'adresse et qui possédaient pour la plupart plusieurs langues, qu'il est guidé par un sentiment de jalousie, il leur dit, afin de les guérir de leurs soupçons : « Je souhaite que vous ayez tous le don des langues, mais encore plus celui de prophétie. Car celui qui prophétise est au-dessus de celui qui parle des langues inconnues, à moins que ce dernier n'interprète ce qu'il dit, afin que l'Église en soit édifiée (5) ). Or le plus ou le moins n'annonce pas l'opposition, mais la supériorité ou l'infériorité.

2. Évidemment donc l'apôtre ne blâme pas le don des langues, mais il veut faire monter. plus haut ses disciples; il leur témoigne sa sollicitude, tout en leur montrant qu'il n'é. prouve aucun sentiment d'envie. Il veut qu'ils aient « tous » le don des langues, mais il veut aussi et surtout le don de prophétie; car ce don est plus précieux que l'autre. Et, après s'être bien expliqué sur le don de prophétie, il s'explique sur le don des langues. Son arrêt, loin d'être absolu, renferme ce correctif, « à moins qu'il n'interprète ce qu'il dit ». Par conséquent, si celui qui possède le don des langues a aussi le don d'interprétation, il est l'égal du prophète, parce que sa science profite à beaucoup de gens, point très-important, avantage que l'apôtre recherche avant tout. «Ainsi, quand je viendrais vous parler des langues inconnues, en quoi vous serais-je utile, si je ne vous parlais en vous intruisant par la révélation, par la science ou par la doctrine (6) ? » Et pourquoi, continue-t-il, parlerais-je des autres ? Supposons que ce soit Paul qui vous parle des langues inconnues. Quel fruit en reviendra-t-il à ses auditeurs? Par là, il leur démontre qu'il ne cherche que leur intérêt, sans être animé d'aucun sentiment de malveillance contre ceux qui possèdent le don des langues, puisqu'il se cite lui-même pour exemple de l'inutilité de ce don réduit à lui-même. Presque toujours, quand il touche quelque point important et délicat, il se met en scène. Ainsi, au commencement de cette épître, il dit: « Qu'est-ce que c'est que Paul? « Qu'est-ce que c'est qu'Apollon? Qu'est-ce que c'est que Céphas ? » Et il fait de même ici, en disant : « De quoi vous servira ma parole, si  je ne vous instruis par la révélation, par la science ou par la doctrine ». Cela signifie Si je ne vous parle un langage intelligible et clair, si je nie borne à vous montrer que je possède le don des langues, vous ne retirerez aucun fruit de mes paroles.

Quel profit peut-on tirer en effet d'une parole que l'on ne comprend pas? « Quand des instruments sans âme mais sonores comme la flûte et la lyre, ne rendent que des sons indistincts, comment saisir le morceau que l'on joue sur la flûte ou sur la lyre (7) ? « Pourquoi (537) donc, poursuit-il, avancer ici que les dons renfermés en nous-mêmes sont inutiles et qu'il n'y a d'utile que ce qui est clair et ce que les auditeurs saisissent facilement? N'en est-il pas de même de ces corps sans âme qu'on appelle des instruments de musique? Qu'il s'agisse de 1a lyre ou de la flûte, si le musicien, sans tenir compte du rythme et de l'harmonie , ne fait entendre que des sons confus en jouant sans réflexion et en demandant des inspirations au hasard , il n'amusera pas ; il ne charmera pas son auditoire. Jusque dans les instruments qui ne possèdent pas les sons articulés de la voix humaine, il faut de la clarté, de l'harmonie, des sons distincts. Ces instruments qui naturellement sont dénués d'expression, nous cherchons avec ardeur à leur donner de l'expression, à les faire parler. Eh bien ! quand il s'agit des êtres animés et doués de raison , quand il s'agit des hommes et des dons spirituels, ne devons-nous pas chercher à nous faire bien entendre?

« Si la trompette ne parle pas à haute et intelligible voix, qui se préparera à la guerre (8)?» C'est des objets les plus futiles qu'il tire ses inductions, pour s'élever aux choses nécessaires et utiles; il prend pour exemples la lyre et la trompette. Ces instruments en effet ont leurs rythmes; parfois ils donnent le signal de la guerre , parfois tout autre signal. Tantôt ils sonnent la charge, tantôt ils sonnent la retraite, et tout soldat qui n'a pas la clef de cette langue, court le plus grand péril. Voilà ce qu'il veut dire, voilà l'erreur à laquelle il fait allusion en ces termes : «Qui se préparera au combat? » Si donc l'instrument guerrier n'a pas le don de se faire comprendre, tout est perdu. Quel intérêt, direz-vous , ont pour nous tous ces détails? Ils en ont un très-grand, et voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Il en est ainsi de vous. Si votre langage ne manifeste pas vos pensées, comment savoir ce que vous voulez dire? Vous jetterez vos paroles au . vent (9) »; c'est comme si vous ne disiez rien, c'est comme si personne ne parlait. Et à chaque instant saint Paul s'applique à montrer l'inutilité d'un pareil langage. Si le don des langues est inutile, direz-vous, pourquoi a-t-il été donné à l'homme? pour qu'il- soit utile à celui qui l'a reçu ; mais, pour être utile aux autres, il faut y joindre le d'on d'interprétation. Ce qu'il en dit est un moyen de tout concilier. S'il ne possède pas le don d'interprétation , il s'adjoindra quelque homme favorisé de ce don, et de cette manière il pourra utiliser ses talents. Voilà pourquoi il ne cesse de montrer que le don des langues est insuffisant par lui-même. Il veut par ce moyen engager ses auditeurs à unir leurs forces. L'homme,: en effet, qui regarde le don des langues comme suffisant, le rabaisse plutôt qu'il ne l'élève, parce qu'il ne veut pas, en recourant au don d'interprétation, lui donner tout son lustre : c'est en effet un don précieux et nécessaire ; mais il a besoin d'un interprète pour le mettre dans tout son jour. Les doigts aussi sont nécessaires; mais séparés de la main, ils deviennent inutiles. La trompette aussi est nécessaire; mais quand elle ne fait entendre que des sons émis au hasard, elle est ennuyeuse et désagréable à entendre. L'art disparaît, quand l'instrument n'existe pas, mais la matière, pour se faire valoir, a besoin de la façon. La voix, c'est la matière; les sons clairs et distincts sont la façon; sans eux, la matière est inutile. Il y a dans le monde une foule de langues qu'on peut savoir, et chaque peuple a son langage (10) : ce qui veut dire qu'il y a autant de langues qu'il y a de peuples. Les Scythes, les Thraces, les Romains, les Perses, les Maures, les Indiens, les Egyptiens et autres peuples innombrables , ont chacun un langage particulier. Si donc j'ignore le son du langage que je parle, je serai pour mes auditeurs un barbare (11).

3. N'allez pas penser qu'il en est ainsi parmi vous seulement ; c'est ce qui arrive partout. Je n'ai point ici pour but de blâmer le don des langues; je veux dire seulement qu'il m'est inutile si le langage que je parle n'est pas clair et intelligible pour les autres. Puis pour que ses auditeurs ne se révoltent pas contre lui, il se met à leur niveau, en disant : « Celui qui me parle sera un barbare pour moi, et je serai un barbare pour lui » : ce n'est point la faute des langues, c'est celle de notre ignorance. Voyez-vous comme il amène peu à peu ses auditeurs aux propositions qui ont un rapport intime et particulier avec son sujet; fidèle en ceci à son habitude de tirer ses exemples de loin pour arriver à ce qui rattache à son sujet, d'une manière intime et spéciale. Il. parle d'abord de la flûte et de la lyre, instruments souvent imparfaits, souvent inutiles, et il parle ensuite de la trompette, instrument plus utile, pour arriver à la voir humaine.

 

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Ainsi plus haut, quand il voulait montrer qu'il n'était défendu aux apôtres de recevoir le prix de leurs travaux, après avoir parlé des agriculteurs, des bergers et des soldats, il a abordé plus franchement son sujet , en parlant des prêtres sous l'ancienne loi. Voyez quel soin il prend toujours de disculper le don des langues pour rejeter toujours la faute sur ceux qui l'ont reçu. Il ne dit pas : je serai un barbare; il dit : Je serai un barbare pour celui qui parle. Il ne dit pas non plus : Celui qui parle est un barbare, mais: Celui qui parle est pour moi un barbare. Que devons-nous donc faire, dit-il? Loin de jeter aucun blâme sur le don des langues , nous devons exhorter les autres à l'acquérir, et c'est ce qu'il fait lui-même.

Après ses accusations et ses réprimandes, après avoir montré l'inutilité de ce don, il donne à ses. disciples ce conseil : puisque vous avez tant d'ardeur pour les dons spirituels, désirez d'en être enrichis pour l'édification de 1'Eglise (12). Voyez-vous comme il n'a toujours et partout qu'un seul et même but? Il posé ici une sorte de règle pour l'utilité de bien des gens et pour celle de l'Église. II n'a pas dit : Désirez de posséder les dons, mais désirez d'en être « enrichis » , c'est-à-dire, souhaitez d'en posséder « beaucoup ». Loin de vous les interdire, je veux que vous en ayez en abondance, à condition que vous en userez pour l'intérêt commun. « Que celui donc qui parle une langue demande à Dieu de l'interpréter (13). Car si je prie en une langue que je n'entends pas, c'est mon cœur qui prie, mais mon esprit n'en retire aucun fruit (14). Que dois-je donc faire ? Je prierai de coeur; mais je prierai aussi avec intelligence;je chanterai de tueur des cantiques, mais je. les chanterai aussi avec intelligence (15) ». Il montre ici à ses frères qu'il est en leur pouvoir de recevoir de Dieu le don d'interprétation. Demandez-le à Dieu, dit-il, c'est-à-dire, adressez-lui ce qui fait votre richesse, votre prière. Car ce que vous demanderez à Dieu avec empressement et avec ardeur, vous le recevrez. Demandez-lui donc non-seulement le don des langues, mais celui d'interprétation, pour être utile à tout le monde et ne pas garder votre don spirituel pour vous seul. « Car si je prie en une langue que je n'entends pas, c'est mon cœur qui prie, mais mon esprit n'en retire aucun fruit. »

Voyez-vous comme, s'élevant peu à peu , il montre qu'en cet état on est inutile aux autres et à soi-même, puisque la prière ne produit aucun fruit pour l'intelligence. Qu'un homme, en effet, parle persan ou quelque autre langue , sans savoir ce qu'il dit, il sera un barbare , non-seulement pour les autres , mais pour lui-même , puisqu'il ne comprendra pas les mots qu'il prononce. Il y, avait anciennement bien des hommes qui avaient le don de prier dans une langue étrangère. Ils priaient et parlaient dans cette langue , soit dans la langue des Perses, soit dans la langue des Romains, sans savoir ce qu'ils disaient. Voilà pourquoi saint Paul disait : Si je prie dans une langue inconnue, il n'y a que mon cœur qui prie. C'est-à-dire que le don spirituel qui m'a été donné me fait remuer la langue, sans que mon intelligence en retire aucun fruit. Qu'y a-t-il donc ici de meilleur et de vraiment utile? Comment faire? Que faut-il demander à Dieu? De se servir du don des langues, pour prier avec le cœur et avec l'intelligence.. Voilà pourquoi l'apôtre disait : « Je prierai avec le coeur, je prierai avec l'intelligence; je chanterai des cantiques avec le coeur, je chanterai des cantiques avec l'intelligence ». Que veut-il dire par là? Il veut dire que l'esprit doit comprendre ce que dit la langue , autrement il y aura encore un autre malentendu. Si vous ne louez Dieu que du coeur, comment celui qui tient la place du peuple répondra-t-il amen à la fin de votre action de grâces, s'il n'entend pas ce que vous dites? Ce n'est pas que votre action de grâces ne soit bonne; mais les autres ne sont pas édifiés (16, 17.) Voyez comme ici encore tout est tiré au cordeau , comme il cherche toujours l'édification de l'Église. Le peuple, ici ce sont les laïques, et c'est pour lui, il nous le montre clairement, un véritable malheur que de ne pouvoir. répondre amen à la fin d'une action de grâces. Cela veut dire : si vous louez Dieu dans la langue des barbares, sans savoir ce que vous dites, sans pouvoir l'interpréter, le laïque ne peut répondre amen. Il n'entend pas les mots qui terminent votre prière; et quand vous avez dit : in saecula saeculorum, il ne peut répondre amen. Puis encore, par forme de consolation , et pour ne pas avoir l'air de trop rabaisser le don des langues, puisque, comme il l'a dit plus haut, celui qui possède ce don parle à Dieu la langue des mystères, s'édifie lui-même et prie avec (539) le coeur, il revient sur ces avantages d'où il tire une grande source de consolation, et il dit Votre action de grâces est bonne, car c'est le coeur qui vous inspire; mais l'auditeur né vous comprend pas ; il ne sait pas ce que vous dites, et par conséquent il ne retire pas grand fruit de vos paroles.

4. Ensuite, après avoir attaqué ceux qui ont le don des langues et déclaré que ce n'est pas là un don bien précieux, pour ne. pas avoir l'air de parler ainsi par envie, il dit : « Je remercie Dieu de ce que je parle mieux que vous encore toutes les langues que vous parlez (18) ». Il en dit autant dans un autre endroit. Pour rabaisser les avantages qui faisaient l'orgueil dès Juifs, pour montrer que ces avantages ne sont rien , il commence par montrer qu'il les possède à un plus haut degré que les Juifs, et alors il montre que ces avantages ont un inconvénient. « Si quelqu'un semble mettre sa confiance dans la chair, j'en ai encore plus le droit que lui, moi qui ai été circoncis huit jours après ma naissance, moi qui suis de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreux et enfant d'Hébreux, pharisien par la loi que je suis, persécuteur de l'Eglise par la force de mon zèle, irréprochable aux yeux de la justice qui prend sa source dans la loi ». (Philip. III, 4-6.) Et après avoir montré qu'il est richement doté de ces avantages, il ajoute : « Mais ces qualités qui étaient pour moi dès avantages, étaient, je l'ai bien vu, des torts aux yeux du Christ». (Ibid. VII.) Maintenant il procède encore de même : « Je parle les langues mieux encore que vous tous. Ne vous élevez donc, pas et ne vous complaisez pas en vous-mêmes, comme si ce don était votre privilége; car moi aussi je le possède, à un plus haut degré que vous. Mais j'aimerais mieux ne dire dans l'Eglise que cinq paroles dont j'aurais l'intelligence pour instruire les autres, que de dire dix mille paroles dans une langue inconnue ». Que signifient ces mots : « Cinq paroles dont j'aurais l'intelligence pour en instruire les autres « (19)? » M'entend par là des paroles intelligentes qu'on peut expliquer. aux autres, qu'on prononce soi-même et que les auditeurs peuvent répéter avec intelligence. « Que dix mille paroles en une langue inconnue ». Car ce ne serait là qu'une affaire de vanité, un verbiage qui ne serait pas aussi utile que quelques paroles bien comprises. Ce qu'il cherche partout, en effet, c'est l'intérêt de tous. Or le don des langues était un don nouveau et une importation étrangère, tandis que le don de prophétie était un don ancien, ordinaire et déjà commun. Le don des langues au contraire était tout récent, et saint Paul ne s'appliquait guère à le cultiver. Aussi n'en a-t-il pas fait usage. Ce n'était pas qu'il en fût privé; mais il recherchait des dons plus utiles; car il était libre de toute vaine gloire, et son but unique était de rendre ses disciples meilleurs. Cette âme, libre de toute vaine gloire, pouvait voir clair dans ses intérêts et dans ceux des autres; et c'est ce que ne peut faire l'âme qui est esclave de la vanité. Témoin Simon qui, ébloui parla vaine gloire, ne sut pas distinguer ses véritables intérêts; témoin les Juifs qui, par vaine gloire, sacrifièrent leur salut au démon.

C'est la vaine gloire qui a enfanté les idoles; c'est elle, c'est la passion insensée de la vaine gloire qui a fait tomber les philosophes dans l'erreur. Voyez la maligne influence de ce vice. Par lui , quelques-uns de ces philosophes se sont faits pauvres et d'autres se sont :passionnés pour l'opulence. Sa tyrannie est telle qu'elle se manifeste par les effets les plus contraires. L'un tire vanité de sa continence, un autre de ses adultères ; celui-ci de, sa, justice, celui-là de ses injustices. On se vante de sa vie sensuelle et de ses austérités, de sa .douceur et de son audace, de ses richesses; et de sa pauvreté. Quelques-uns de ces philosophes étrangers pouvaient acquérir les dons spirituels; par vanité, ils n'en voulaient pas. Les apôtres, au contraire, purs de toute vaine gloire, ont rapporté au Saint-Esprit tout ce qu'ils ont fait. Quand on les appelait des dieux, quand on était prêt à leur, immoler des taureaux couronnés pour le sacrifice, non-seulement ils refusaient de pareils honneurs, mais ils déchiraient leurs vêtements. Quand ils guérissaient les boiteux et que tout un peuple, la bouche béante, restait stupéfait de ce miracle, ils disaient : Pourquoi nous regarder. ainsi, comme si c'était nous qui avions opéré ce prodige? Ces sages de l'antiquité faisaient profession d'être pauvres parmi des hommes qui admiraient la pauvreté; les apôtres veulent être pauvres au milieu d'un peuple qui méprise la pauvreté et qui vante la richesse. Avaient-ils reçu quelque don, ils en faisaient part aux indigents, tant il est vrai (540) qu'ils étaient toujours guidés par la charité et non par la vaine gloire; ces sages, au contraire, agissaient comme des ennemis et- des fléaux de l'humanité. L'un jetait inutilement et follement tous ses biens dans la mer, à l'exemple des fous et des insensés ; un autre laissait ravager ses champs par les brebis. Chez eux tout tendait à la vaine gloire. Il n'en était. pas ainsi : les dons qu'on leur faisait, ils les distribuaient aux indigents avec tant de libéralité, qu'ils étaient toujours eux-mêmes tourmentés par la faim. S'ils avaient été vaniteux, ils n'auraient pas agi ainsi. Ils n'auraient rien reçu , ils n'auraient rien donné, de peur d'exciter les soupçons. Lorsqu'en effet on se dépouille de ses biens par vanité,, on se gardé bien de recevoir l'argent des autres, pour ne pas avoir l'air d'être dans l'indigence et de peur d'exciter les soupçons. Mais voyez les apôtres. lis servent, ils mendient pour les indigents : tant ils ressentent pour eux une tendresse plus que paternelle. Voyez la ligne de conduite qu'ils se sont tracée. De quelle modération exempte de toute vaine gloire n'est-elle pas empreinte ! « Si nous avons de quoi nous vêtir et nous nourrir, cela nous suffira»: (I Tim. VI, 8). Quelle différence avec ce sage de Sinope qui vivait sous les haillons et dans un tonneau, sans avoir besoin de rien, au grand étonnement de bien des gens, mais sans profit pour personne. Saint Paul ne faisait rien de tout cela; car l'ambition et la vanité ne le guidaient pas. Il était vêtu décemment, il se tenait chez lui et se conduisait comme un parfait honnête homme. Le cynique méprisait' un pareil genre de vie, bravait en public toutes les bienséances et le décorum, et c'était la vanité qui l'entraînait. Pourquoi ce tonneau dont il faisait son habitation? C'était uniquement une affaire de vanité.

5. Saint Paul loua la maison qu'il habitait à Rome. Cela n'a rien d'étonnant de la part d'un tel homme. Il ne consultait jamais la vanité, ce monstre cruel, cet affreux démon, ce fléau de l'univers, cette vipère gonflée de poisons. Semblable à la vipère qui déchire le ventre de sa mère, la vaine gloire blesse l'auteur de ses jours. Quel remède employer contre cette maladie si compliquée? Il n'y a qu'à se proposer pour modèles ceux qui ont foulé aux pieds le monstre, à se pénétrer de leur exemple et à se régler sur eux. Voyez le patriarche Abraham ! Et ici qu'on ne me reproche pas de reproduire le même exemple et de rappeler toujours ce saint homme.. Car c'est là surtout ce qui le rend admirable et ce qui ôte toute excuse à ceux qui ne l'imitent pas. Si l'on pouvait montrer en effet qu'il n'a eu qu'une qualité et que sur tel ou tel autre point il faut citer un autre modèle, que lui, on pourrait dire que la vertu est chose difficile; puisque chacun des saints n'a que telle ou telle qualité. Mais quand  nous voyons Abraham réunir en lui seul toutes les qualités ensemble, comment excuser les hommes qui, après la grâce et depuis la loi nouvelle, ne peuvent atteindre à ce, degré de vertu où sont parvenus ceux qui ont vécu avant la loi nouvelle et avant la grâce. Eh bien ! comment ce patriarche s'y est-il pris pour vaincre le monstre , pour dompter la vanité, dans la contestation qui s'éleva entre lui et le fils de' son frère? Il avait été le plus mal partagé, il n'avait pas eu la première part et pourtant il ne s'en affligea pas. Or vous savez que dans ces sortes d'affaires, il y a une sorte d'humiliation encore pire que la perte, pour les petits esprits, surtout lorsque, comme Abraham, on s'est vu maître souverain et que l'on ne se voit pas honoré à son tour par celui que l'on avait commencé à honorer soi-même. Eh bien ! rien de tout cela ne le mordit au coeur. Il se contenta de la seconde part qui lui était échue. Outragé par un jeune homme, malgré son grand âge, outragé par le fils de son frère, sans s'irriter, sans s'aigrir, il continua à l'aimer, à veiller sur lui. Une autre fois, sorti vainqueur d'une grande et terrible guerre, après avoir, repoussé et battu les barbares, il ne triomphe pas, il n'élève pas de trophée. Il voulait se défendre et non se vanter. Il donne l'hospitalité à des étrangers, et cela sans vanité, allant à leur rencontre, les honorant comme s'il était non pas le bienfaiteur, mais l'obligé. Il leur donne le nom de maîtres, sans savoir quels sont ces étrangers, et il veut que sa femme les serve. Après avoir fait l'admiration de l'Egypte, quand, sa femme lui eut été rendue, il ne se vante pas, malgré les honneurs dont il s'est vu comblé. Pourtant les habitants de ce pays lui donnaient le nom de roi. Quand il chargea son serviteur d'amener à son fils la femme qu'il devait épouser, il ne lui enjoignit pas de parler de son maître avec orgueil et avec ostentation, il se borna à lui dire d'amener la fiancée. Voulez-vous (541) maintenant examiner les hommes, depuis l'an de grâce, à l'époque où ils s'abreuvaient aux sources d'une grande et glorieuse doctrine? Voulez-vous voir comment ce vice était aussi à cette époque repoussé et banni ?

Considérez l'auteur da cette épître. Voyez comme il rapporte tout à Dieu, comme il rappelle toujours ses péchés, sans être aussi assidu à rappeler ses bonnes actions. Si parfois, pour corriger ses disciples , il se voit forcé d'en faire mention , il traite ce sujet fort légèrement et cède le pas à Pierre. Il ne rougit pas de travailler de ses mains chez Aquilas et Priscille. (Act. XVIII.) Partout il s'efforce de s'humilier et de s'abaisser. On ne le voit pas traverser fièrement la place publique et s'entourer d'une foule de disciples. Partout il cherche à se perdre dans les rangs obscurs de la multitude. Voilà pourquoi il disait: lorsque Paul est présent, il paraît bas en sa personne (II Cor. X, 10), c'est-à-dire qu'il a l'air d'un homme qui ne mérite aucune attention, d'un homme sans faste. Et il dit encore : « Ce que nous demandons à Dieu, c'est que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous paraissions ce que nous sommes ». (II Cor. XIII, 7.) Qu'y a-t-il d'étonnant, s'il méprise la fausse gloire? Ne méprise-t-il pas une gloire plus grande encore? Ne méprise-t-il pas la couronne céleste et la géhenne, pour plaire au Christ? Ne souhaite-t-i1 pas d'être anathème devant le Christ (Rom. IX, 3) « pour la gloire  du Christ? » Tout en disant que c'est pour les Juifs qu'il veut souffrir, il déclare que c'est pour la gloire du Christ, afin que quelque insensé n'aille pas prendre pour lui les promesses qui leur sont faites. Si donc saint Paul était disposé à ne pas tenir compte de choses aussi importantes., comment pourrait-on s'étonner de son mépris pour les choses humaines ? Mais aujourd'hui, on ne résiste pas plus au mépris et à la crainte du déshonneur qu'à l'amour de la gloire. La louange nous gonfle, le blâme nous abat. Les coeurs pusillanimes et bas ressemblent aux organisations faibles; un rien suffit pour les ébranler. De telles âmes ne sont pas plus à l'épreuve de la richesse que de la pauvreté, et la joie a prise sur elles encore plus que la douleur. Car la pauvreté nous condamne du moins à la tempérance; la richesse au contraire amène souvent quelque grand naufrage. Voyez cet homme qui a la fièvre, tout le blesse, voyez cette âme corrompue dt dépravée, tout l'ébranle.

6. Instruits de ces vérités, sans fuir la pauvreté , sans admirer la richesse, tenons-nous prêts à tout. Lorsqu'on bâtit une maison , ce n'est pas à la préserver de la moindre goutte de pluie , à l'abriter contre les rayons du soleil que l'on fait attention ; car ce serait chercher l'impossible. On s'arrange de manière à ce qu'elle puisse braver les intempéries des saisons. Si l'on bâtit un navire, on ne demande pas que les flots s'éloignent de lui, que la tempête ne s'élève pas contre' lui ; car c'est chose impossible. Ce qu'on veut, c'est que la charpente du navire résiste aux assauts de la mer. En hygiène, nous ne demandons pas non plus à l'atmosphère d'être toujours calme et tempérée, nous songeons seulement à rendre notre constitution capable de braver les variations atmosphériques. Faisons de même pour l'âme. Ne nous étudions pas à fuir la pauvreté, à poursuivre là richesse; étudions-nous à pouvoir accepter l'une et l'autre, sans en recevoir aucune atteinte : car en mettant à part ces accidents de l'humanité qui sont presque inévitables, l'homme qui ne court pas après les richesses, mais qui est à l'épreuve des événements, l'emportera encore sur celui que la richesse accompagne. Pourquoi cela? D'abord un tel homme a ses ressources en lui-même, tandis que l'autre les a hors de lui. L'homme qui met sa confiance en sa propre force et dans son adresse est meilleur soldat que celui qui met toute sa confiance dans ses armes. Ainsi l'homme qui a sa vertu pour rempart est plus fort que celui qui met sa confiance dans son argent. En second lieu, le riche peut être préservé de la pauvreté, mais il n'est pas assuré contre les troubles de l'âme ; car la richesse est en butte à bien des troubles et à bien des orages. La vertu seule goûte un plaisir tranquille ; c'est un rempart assuré, elle met l'homme à l'abri des piéges qui menacent le riche et qui peuvent causer sa ruine. De tous les animaux, les cerfs et les lièvres sont les plus timides, et sont par conséquent la proie la plus facile à saisir; mais le sanglier, le taureau et le lion donnent du mal aux chasseurs. Eh bien ! il en est de même du riche et de celui qui fait voeu de pauvreté. Ce dernier, c'est le lion, c'est le taureau ; celui-là, c'est le cerf ou le lièvre. De combien de terreurs le riche n'est-il pas assiégé? N'a-t-il pas à (542) craindre les voleurs, les tyrans, les envieux,. les calomniateurs? Que dis-je? Ne soupçonne-t-il pas ses serviteurs mêmes ? Et pourquoi parler de sa vie misérable? Même après sa mort, il n'est pas à l'abri dès piéges du voleur. Non, la mort même n'est pas pour lui un asile assuré. Tout mort qu'il est, les malfaiteurs le pillent, tant c'est une chose incertaine, toujours prête à glisser entre nos mains que la richesse. Ce n'est pas seulement la maison du riche dont on enfonce les portés ; c'est son sépulcre que l'on force. Quoi de plus misérable que cet homme ? Il ne se repose même pas,au sein de la mort. Sa triste dépouille, cette dépouille inanimée n'est pas à l'abri des maux qui assiègent la vie humaine. Car les malfaiteurs ne respectent pas même la poussière et la cendre du riche; ils font au riche, quand il est mort, une guerre encore plus rude que de son vivant. De son vivant, ils pénétraient à la vérité dans le sanctuaire de sa richesse, ils fouillaient ses coffres; mais ils ne touchaient point à sa personne ; ils avaient assez de ses trésors, sans s'attaquer à ses vêtements, sans le mettre à nu. Mais après sa mort, les mains sacrilèges qui fouillent les sépulcres ne respectent pas même le cadavre du riche; ils le remuent, ils le tournent et le retournent, il n'est pas d'outrages et d'opprobres dont ils n'accablent ce cadavre, dans l'excès de leur cruauté.

Ce corps confié à la terre, ils le dépouillent de ses vêtements et le laissent nu. 0ù donc l'homme pourrait-il trouver un plus terrible ennemi que cette opulence qui perd son âme pendant sa vie et qui, après sa mort, expose son corps aux outrages, aux opprobres, sans permettre à la terre de le recouvrer, comme si c'était un condamné reconnu coupable des crimes les plus honteux. Mais aux condamnés du moins , quand ils ont subi la peine capitale, la loi ne demande rien de plus. La richesse au contraire condamne, même après sa mort, celui qui la possède aux plus terribles supplices, à demeurer exposé nu et sans sépulture,, exposition terrible, spectacle digne de pitié ! Ce sont là des peines bien graves, plus graves que les châtiments infligés par l'arrêt et par la colère d'un juge. Après être restée un ou deux jours sans sépulture, la dépouille de l'homme condamné par la loi est confiée à la terre; mais l'homme condamné par la richesse n'est confié à là terre que pour être exposé nu aux insultes et aux outrages. Si les voleurs n'enlèvent pas le mausolée du riche, ce n'est pas la richesse qu'il faut en remercier, c'est la pauvreté. Oui , c'est la pauvreté qui le soustrait à leurs mains avides. Laissez ce mausolée sous la garde de la richesse, qu'il soit d'or au lieu d'être de pierre, il sera enlevé comme le reste: tant il est vrai qu'on ne doit pas' compter sur la richesse ! Elle appartient à ceux qui la ravissent bien plus qu'à ceux qui la possèdent. II serait donc superflu d'employer de longs discours pour démontrer que la richesse résiste aux assauts, puisqu'au, jour même de la mort ceux qui la possèdent ne sont pas en sûreté. Quel est l'homme qui ne se réconcilie pas avec un mort, fût-il un monstre, fût-il un démon, fût-il plus méchant qu'un démon? Il suffit du spectacle de la mort pour attendrir un coeur de fer, une âme insensible,

Aussi, en présence d'un mort, ses ennemis tes plus acharnés mêlent leurs larmes à celles de ses amis. La colère s'éteint avec la vie, elle fait place à la pitié. Au moment des obsèques, quand a lieu le convoi funèbre, vous ne distinguez pas l'ami de l'ennemi, tant ceux qui assistent à ce convoi respectent les lois suprêmes de là nature. Mais là richesse ne suit pas même cette loi commune ; elle déchaîne contre ceux qui la possèdent, des colères implacables. Même après notre mort, elle nous fait des ennemis qui n'ont reçu de nous aucune injure; car dépouiller un cadavre est le propre d'une inimitié ardente et toujours armée. A l'heure de la mort, la nature réconcilie , avec nous des ennemis ordinaires ; mais la richesse arme contre le riche ceux-là même qui n'ont rien à lui reprocher, et leur cruauté s'acharne sur ce cadavre abandonné.

Pourtant il y a là bien des choses qui devraient attendrir ces hommes. Il y a la mort même, il y a l'immobilité cadavérique, il y a l'image d'un corps qui va tomber en poussière, il y a l'abandon. Mais rien n'attendrit ces âmes sacrilèges et tyrannisées par la soif inexorable de l'or. C'est l'amour de l'or, ce tyran impitoyable qui est là pour donner ses ordres inhumains, pour transformer des hommes en bêtes féroces , pour les jeter sur des sépulcres comme sur une proie. A l'oeuvre donc les bêtes féroces ! Elles se précipitent sur ce cadavre; elles- dévoreraient ces chairs inanimées, si ces membres pouvaient leur (543) profiter. Voilà donc les fruits de la richesse ! Même après notre mort, elle nous expose aux outrages et aux opprobres, elle nous prive de cette sépulture qui n'est pas refusée à dés misérables tout chargés de forfaits. Eh bien ! ces richesses qui sont nos mortelles ennemies, les aimerons-nous encore ? Non , mes frères, non ! fuyons-les plutôt, je vous en prie , et ne nous retournons pas pour les regarder. Si elles tombent entre nos mains, ne les gardons pas dans notre maison, mais servons-nous, pour les enchaîner, des mains de la charité. La charité seule peut les fixer et leur couper la retraite. C'est alors que la richesse inconstante devient fidèle ; paisible et douce; car l'aumône l'a transformée. Oui , si la richesse vient à nous, livrons-la aux pauvres. Si elle ne vient pas nous trouver, ne courons pas après elle, ne nous désespérons pas et ne regardons pas comme heureux ceux qui la possèdent. Heureux ! comment donc le seraient-ils? Donnerez-vous le nom d'heureux à ces bestiaires qui combattent des animaux féroces achetés à grand prix et gardés par les entrepreneurs de ces spectacles barbares , qui n'osent ni approcher de ces monstres, ni les toucher, qui les redoutent et qui tremblent devant eux? C'est l'histoire des riches. Ils ont enfermé dans leur coffre-fort cette bête féroce, ce monstre qu'on appelle la richesse , et tous les jours elle leur fait des blessures sans nombre. C'est tout le contraire de ce que font les bêtes féroces réservées aux spectacles. Ces monstres, quand on les tire de leurs cages, n'égorgent que ceux qui viennent à leur rencontre. Mais la richesse, quand elle est enfermée et gardée , ne fait périr que ceux qui la possèdent et qui la gardent. Apprivoisons cette bête féroce. Pour cela, il n'y a qu'un moyen . ne l'enfermons pas, donnons-la à garder aux pauvres. En agissant ainsi, nous en retirerons les plus grands avantages. En cette vie nous serons en sûreté , exempts de soucis et pleins d'espoir; quant à la vie future , nous l'attendrons avec confiance. Cette confiance , puissions-nous tous l'acquérir, par la grâce et les mérites de Notre-Seigneur JésusChrist, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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