ANALYSE.
1. Saint Paul fait voir aux Corinthiens combien leur présomption
est déplacée.
2. Saint Paul achève de toucher les Corinthiens en leur montrant
une charité d'apôtre, et une tendresse de père.
3.-5. Que nous pouvons imiter le Christ. Applaudissement de
l'auditoire. Portrait de saint Paul et de sa vertu.
Qu'il nest pas besoin qu'il y ait des persécutions pour être vraiment chrétien.
De la guerre continuelle que nous avons à soutenir contre le démon. Les
richesses ne sont pas un mal lorsqu'on en fait un bon usage.
1. Après avoir parlé avec la plus grande gravité (ce qui blessait plus que toutes les accusations possibles), il reprend la parole avec la dignité qui lui convient. Il a dit plus haut : (376) « Vous régnez sans nous » et : « Dieu nous a traités, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à « mort » ; il fait voir ensuite comment ils étaient destinés à la mort, en disant : « Nous sommes insensés, faibles, méprisés; nous souffrons la faim et la soif, nous sommes nus, déchirés à coups de poing, nous n'avons pas de demeure stable, et nous nous fatiguons; travaillant de nos mains» : Autant de signes qui indiquaient des docteurs et de véritables apôtres. Les Corinthiens au contraire se glorifiaient de choses tout opposées de la sagesse, de la gloire, de la richesse, des honneurs. Voulant donc guérit leur enflure, et leur montrer qu'il faut s'humilier de tout cela, bien loin de s'enorgueillir, il les raille d'abord en disant: « Vous régnez sans nous ». C'est-à-dire : Moi j'affirme que ce n'est pas le moment de jouir de l'honneur et de la gloire, comme vous le faites, mais d'être injuriés et persécutés: comme nous le sommes. S'il n'en est pas ainsi, et que nous soyons à l'heure des récompenses, comme je le vois (il parle ironiquement), vous, les disciples, vous régnez déjà ; et nous les maîtres? et les apôtres qui devrions les premiers être récompensés, non-seulement nous sommes les derniers d'entre vous, mais nous sommes comme destinés à la mort, c'est-à-dire condamnés, Nous vivons continuellement dans lignominie, dans les périls, en proie à la faim, injuriés et chassés comme des fous, et souffrant des maux intolérables. Son but est de leur faire comprendre qu'ils doivent envier le sort des apôtres, c'est-à-dire, les périls et les injures, et non les honneurs et la gloire car c'est ainsi que l'exige la prédication. Il ne dit cependant point cela directement, pour ne pas leur paraître importun,; mais il exprime ce reproche d'une manière convenable. Si en effet il eût voulu aller droit au but, il aurait dit : Vous vous égarez, vous vous trompez, vous êtes à une grande distance de l'enseignement apostolique; il faut qu'un apôtre, qu'un ministre du Christ, passe pour insensé, qu'il vive comme nous dans la tribulation et le mépris; et vous faites précisément le contraire.
Mais ce langage les eût irrités
davantage, parce qu'ils y auraient vu l'éloge des apôtres et leur audace s'en fût
accrue, à raison des reproches de lâcheté, de vaine gloire et d'amour du plaisir. Aussi
n'est-ce pas là son procédé; mais celui qu'il emploie frappe davantage, en blessant
moins. C'est pour cela qu'il fait usage de l'ironie, en disant : « Vous, vous êtes forts
et honorés ». En parlant sans ironie, il aurait dit : Il ne peut se faire que l'un
passe pour fou, l'autre pour sage; l'un pour fort, l'autre pour faible, la prédication ne
comportant pas les deux. S'il en était autrement, ce que vous dites aurait quelque raison
; mais à cette heure il n'est pas permis de passer pour sage, d'être honoré, de vivre
sans périls. Sinon, il faut que Dieu vous ait préférés à nous, vous les disciples à
nous les maîtres qui souffrons en mille manières. Si personne n'ose le dire, il ne vous
reste qu'à marcher sur nos pas. Et n'allez pas croire, ajoute-t-il, que je ne parle ici
que du passé : « Jusqu'à cette heure nous souffrons la faim et la soif, et nous sommes
nus ». Voyez-vous que telle doit être la vie du chrétien, non pas un jour ou deux, mais
toujours ? L'athlète qui a été couronné: dans un combat, ne l'est plus dans le second
s'il vient à succomber. « Et nous souffrons la faim », en face de ceux qui vivent dans
les, délices ; « et nous sommes déchirés à coups de poing », en face da ceux qui
sont, bouffis d'orgueil; « nous n'avons pas de demeure stable », en face de ceux qui
tombent; « et nous sommes nus », en face de ceux qui sont riches; « et nous nous
fatiguons », en face des faux apôtres qui ne supportent ni le travail ni le danger, et
cependant recueillent le profit. Il n'en est pas ainsi de nous, dit-il; mais au milieu des
dangers du dehors nous nous livrons à un travail continuel. Et ce qui est plus encore :
personne ne peut dire que nous en soyons affligés ni que nous accusions ceux qui nous
persécutent : nous leur rendons au contraire le bien pour le mal. Et c'est en cela que
consiste la grandeur, et non à souffrir injustement (ce qui est commun à tous les
hommes), mais à supporter le mal, sans peine. et sans aigreur.
2. Et non-seulement nous ne nous affligeons pas, mais nous nous réjouissons. Et la preuve c'est que nous rendons le bien pour le mal: Pour vous convaincre que c'était là la conduite des apôtres; écoutez ce qui suit : « On nous maudit, et nous bénissons; on nous, persécute, et nous le supportons; on nous blasphème, et nous prions; nous sommes devenus jusqu'à présent comme les ordures du monde » ; c'est-à-dire insensés pour le (377) Christ. Car celui qui souffre injustement, sans se venger et sans se plaindre, passe aux yeux de ceux du dehors pour un insensé, pour un homme déshonoré et faible. Mais pour ne pas être trop dur en imputant ces souffrances à la ville de Corinthe, que dit-il ? « Nous sommes devenus les ordures », non de votre ville, mais « du monde » ; et encore : « Les balayures rejetées de tous », non pas seulement de vous, mais de tous. Et comme quand il parle de la bonté providentielle du Christ, il laisse de côté la terre, le ciel, toute la création, pour ne mentionner que la croix ; ainsi voulant attirer à lui les Corinthiens, il passe ses miracles sous silence pour ne parler que de ce qu'il a souffert pour eux. Ainsi d'ordinaire quand nous avons éprouvé des injures ou du mépris de la part de quelqu'un, nous ne rappelons pas autre chose que ce que nous avons souffert pour lui. « Les balayures rejetées de tous, jusqu'à cette heure ». Il frappé un coup violent à la fin. « De tous », non-seulement de nos persécuteurs, mais encore de ceux pour qui nous souffrons persécution : ce qui veut dire : Je leur en suis très-reconnaissant. C'est un signe de vive indignation ; non qu'il se plaigne, mais il veut les frapper. Car il les caresse, malgré les mille sujets de plaintes qu'il pourrait produire. C'est pour cela que le Christ nous ordonne de supporter patiemment les injures, afin de rester sages nous-mêmes et de mieux confondre nos ennemis : ce qu'on obtient plutôt parle silence qu'en rendant injure pour injure.
Ensuite voyant que le coup serait insupportable, il apporte le remède, en disant: «Je n'écris point ceci pour vous donner de la confusion, mais je vous avertis comme mes fils bien-aimés ». Je ne parle pas ici pour vous couvrir de honte. Il dit n'avoir pas fait ce qu'il a réellement fait en paroles; ou plutôt il dit quil l'a fait, mais sans mauvaise intention et sans haine. Car c'est là le meilleur remède : s'excuser d'avoir prononcé une parole, par l'intention que l'on a eue en la prononçant. Il ne lui était pas permis de ne pas parler, parce qu'ils ne se seraient pas corrigés ; mais laisser la plaie sans remède, c'eût été chose pénible : aussi s'excuse-t-il sérieusement. Par là non-seulement la blessure ne disparaît pas, mais elle pénètre plus. avant, quand on console de la douleur qu'elle Cause. Celui qui la reçoit est plus disposé à se corriger, quand il s'aperçoit quelle lui est infligée par charité et non par haine. Ici le langage est très-grave et propre à donner de la confusion. En effet; il ne parle pas comme docteur, comme apôtre, comme un maître ayant des disciples (ce qui eût senti l'autorité), mais il dit: « Je vous avertis comme mes fils bien-aimés » ; non-seulement comme des fils, mais comme des fils très-chers. C'est leur dire : pardonnez-moi ; s'il y a ici quelque chose de pénible , c'est l'amour qui me l'a dicté. Il ne dit pas : Je vous blâme, mais « Je vous avertis » . Or, qui ne supporterait un père affligé et donnant de sages conseils? Aussi lie s'exprime-t-il de la sorte qu'après avoir frappé le coup.
Quoi donc ! direz-vous, les autres maîtres nous ménagent-ils? Je ne dis pas cela; mais ils ne vous traitent pas de cette façon. L'apôtre ne parle pas ici obscurément; mais il désigne les fonctions, les noms : il parle de maître et de père. « Car eussiez-vous dix mille maîtres a dans le Christ, vous n'avez cependant pas plusieurs pères ». Ici ce n'est plus sa dignité, mais son immense charité qu'il fait voir; il ne les blesse plus en ajoutant: « Dans le Christ»; mais il les console , en appelant maîtres , et non flatteurs, ceux qui supportaient les soucis et les peines, et il leur témoigne sa sollicitude. Aussi ne dit-il pas : Vous n'avez pas plusieurs maîtres mais : « Plusieurs pères ». Il ne voulait donc pas leur rappeler sa dignité , ni les biens sans nombre qu'ils avaient reçu de lui; mais tout en accordant que leurs maîtres avaient pris beaucoup de peine leur occasion (ce qui est le propre d'un maître), il ne se réserve que l'excès de l'amour. Or ceci est le propre d'un père. Il ne dit pas seulement: Personne ne nous aime ainsi (ce qu'il avait droit de dire) ; mais il en produit la preuve ne fait. Quel fait? « C'est moi qui, par l'Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus ». Dans le Christ Jésus : ce n'est donc pas à moi que je lattribue. De nouveau il frappe sur ceux qui s'attribuaient la gloire de l'enseignement. « Car », leur dit-il, « vous êtes le sceau de mon apostolat » (I Cor. IX, 2) ; et encore : « Je vous ai plantés », et ici : « Je vous ai engendrés » . Il ne dit pas: J'ai annoncé la parole; mais : « J'ai engendré », en employant les expressions de la nature. Il n'a qu'un soin leur montrer l'amour qu'il leur a porté. Ceux-là vous ont attirés d'après mes instructions ; mais si vous êtes fidèles, c'est à moi que vous (378) le devez. Et de peur que cette expression « Comme mes fils », ne vous semble une flatterie, il en vient au fait même. « Je vous en conjure donc: Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». O ciel ! Quelle confiance de maître ! Quel modèle accompli, puisqu'il le propose à l'imitation des autres ! Du reste il ne parle pas ainsi par orgueil, mais pour montrer que la vertu est facile.
3. Ne me dites pas : Je ne peux pas vous imiter; vous êtes un maître et un homme distingué. Car il y a moins de distance de vous à moi que de moi au Christ; et pourtant j'imite le Christ. Quand il écrit aux Ephésiens , il ne se propose pas lui-même pour modèle , mais il les mène d'abord droit ail but, en disant : « Soyez les imitateurs de Dieu » (Eph. V, 1); ici , comme il parle à des faibles, il s'interpose lui-même. D'autre part il leur fait voir qu'il. est possible d'imiter le Christ. En effet , Celui qui imite parfaitement le sceau, reproduit le modèle. Voyons donc comment il a imité le Christ. Cette imitation ne demande ni temps ni art, mais seulement de la bonne volonté. Si nous entrons dans l'atelier d'un peintre, nous ne pouvons imiter un tableau quand même nous le regarderions des milliers de fois; mais le peintre l'imitera rien qu'à en entendre parler. Voulez-vous que nous vous mettions le tableau sous les yeux et vous tracions la vie de Paul ? Qu'il paraisse donc, ce tableau, beaucoup plus éclatant que les images des rois. Car ce qui est sous mes regards n'est pas un assemblage de pièces de bois ni des toiles étalées, mais loeuvre de Dieu : une âme et un corps. L'âme est l'ouvrage de Dieu, et non des hommes, et les corps également. Vous avez applaudi? Ce n'est pas encore le moment; ce sera dans la suite qu'il faudra applaudir en imiter. Jusqu'ici , ce dont il s'agit est commun à tous les hommes. Une âme, en effet, en tant qu'âme, ne diffère pas d'une autre ; «la volonté seule fait la différence. De même que le corps, en tant que corps, ne diffère pas d'un autre, en sorte que celui de Paul ressemble à celui de tout le monde , et que les épreuves seules l'ont rendu plus glorieux : ainsi en est-il de l'âme.
Mettons donc sous vos yeux un tableau , l'âme de Paul. Le tableau était d'abord chargé de poussière et de toile d'araignées (1); car il
1. Allusion à l'état de saint Paul avant sa conversion.
n'y a rien de pire que le blasphème. Mais quand vint Celui qui change tout, il vit que ce n'était, point là l'effet de la lâcheté ni de la mollesse, mais de l'ignorance et du défaut des couleurs de la piété, qu'il y avait du zèle mais pas de couleurs (car Paul n'avait pas le zèle selon la science) : alors il lui donne la couleur de la vérité, c'est-à-dire la grâce, et en fait immédiatement,un tableau royal. Ayant en effet reçu la couleur et appris ce qu'il ignorait, il n'a pas besoin du temps; sur-le-champ il devient un artiste parfait. D'abord il montre une tête royale, en prêchant le Christ; ensuite le corps entier, par une règle de vie sévère. Les peintres s'enferment, et travaillent en repos et avec une grande assiduité, sans ouvrir à personne; ainsi Paul plaçant son tableau au milieu du monde, ne s'inquiète pas des contradicteurs, ni du tumulte, ni du trouble qui règne autour de lui, et travaille sans obstacle au royal portrait. Aussi disait-il : Nous sommes donnés en spectacle au monde, au moment où il peignait, son tableau au milieu de la terre et de la mer, en présence du ciel et du globe entier, du monde sensible et spirituel.
Voulez-vous voir le reste, à partir de la tête? ou voulez-vous remonter de bas en haut? .Voyez cette statue d'or, bien plus précieuse que l'or, telle qu'elle existe sans doute dans le ciel, non-enchaînée par le poids d'un plomb vil, non fixée en un seul lieu; mais courant de Jérusalem jusqu'en Illyrie , puis partant pour l'Espagne, et portée comme sur des ailes à travers le monde entier. Quoi de plus beau que ces pieds qui ont parcouru toutes les contrées, éclairées par le soleil ? Le prophète avait prédit cette beauté, quand il disait : « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » (Is. LII, 7.) Voyez-vous comme ces pieds sont beaux? Voulez-vous aussi voir sa poitrine ? Venez, je vous la montrerai, et vous vous convaincrez qu'elle est beaucoup plus belle que ces pieds déjà si beaux, et plus belle encore que celle de l'ancien Législateur. Moïse, Il est vrai, porta les tables de pierre; mais celui-ci possédait le Christ en lui-même , et portait l'image du roi et du propitiatoire; il était donc plus honorable que les chérubins. La voix qui sortait du propitiatoire n'était point comparable à celle-ci ; elle ne parlait guère que des choses sensibles; celle de Paul exprime des chose plus élevées que les cieux; l'une ne (379) s'adressait qu'aux Juifs, l'autre s'adresse au monde entier ; la première sortait d'objets inanimés, la seconde d'une âme douée de vertu.
4. Le propitiatoire était plus splendide que le ciel; ce n'étaient point des astres divers ni des rayons du soleil qui faisaient son éclat, mais il possédait le soleil lui-même qui de là envoyait ses rayons. Quelquefois des nues en passant attristent notre ciel; cette poitrine n'a point subi de tels orages; ou plutôt elle en a souvent subi , mais son éclat n'en, a point été obscurci;.au milieu des épreuves et des périls elle gardait sa splendeur. Aussi, chargé de fers, s'écriait-il : « La parole de Dieu n'est pas enchaînée ». (II Tim. II, 9.) Ainsi, par sa langue, il envoyait toujours des rayons; jamais la crainte, jamais le danger n'ont assombri sa poitrine. Peut-être cette poitrine semble-t-elle laisser les pieds loin derrière elle; mais ces pieds sont beaux en tant que pieds, et, comme poitrine, cette poitrine est belle. Voulez-vous .voir la beauté de son estomac? Ecoutez ce qu'il dit de lui-même : « Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ». (I .Cor. V, 13.) Il est bon de ne pas manger de chair, de ne pas. boire de vin ou quoi que ce. soit qui puisse offenser scandaliser ou affaiblir votre frère. « Les aliments sont pour l'estomac, et l'estomac pour les aliments ». (Id. VI, 13.) Quoi de plus beau que cet estomac ainsi exercé au calme, à toute espèce de tempérance, à souffrir l'abstinence, la faim et la soif? Comme un cheval bien dressé et portant une bride d'or, ainsi cet estomac allait en mesure après avoir dompté les besoins de la nature : car le Christ. marchait en lui. Il est évident que par cette tempérance tous les autres vices étaient détruits. Maintenant voulez-vous voir ses mains, tes mains d'aujourd'hui ? Ou voulez-vous d'abord voir celles d'autrefois ? Naguères entrant dans les maisons, il traînait hommes et femmes , non avec des mains d'homme , mais avec celles de quelque bête fauve. Mais dès qu'il eut reçu les couleurs de la vérité et la science spirituelle, ses mains ne furent plus celles d'un homme, .elles furent toutes spirituelles, enchaînées tous les jours; frappées elles-mêmes mille fois, elles ne frappèrent plus personne. Une vipère les respecta un jour, car ce nétaient plus des mains d'homme , aussi, n'osa-t-elle les toucher. Voulez-vous aussi connaître ce dos, si semblable aux autres membres ? Ecoutez ce qu'il en dit : « Cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups de fouet, moins un; j'ai été trois fois battu de verges, j'ai été lapidé une fois, trois fois j'ai fait naufrage ; j'ai été un jour et une nuit dans les profondeurs de la mer ». (II Cor. XI, 24, 25.)
Mais pour ne pas nous jeter dans un abîme saris fond et être ballottés en tout sens, en prenant chacun de ses membres en particulier, quittons son, corps et contemplons une autre beauté, à savoir, celle de ses vêtements que les démons mêmes respectaient au point de s'enfuir, et qui guérissaient les maladies. Partout où Paul apparaissait, tout cédait, tout disparaissait, comme en présence du conquérant de la terre. Et comme ceux qui ont reçu beaucoup de blessures dans le combat, frémissent au seul aspect des armes de leur vainqueur; ainsi les démons prenaient la fuite, à la seule vue de sa ceinture. Et maintenant où sent les riches, ceux qui s'enorgueillissent de leur fortune? Où sont ceux qui étalent leurs dignités et leurs somptueux vêtements? En les comparant à ceux-là , ils verront que tout ce qu'ils possèdent est de l'argile et de la boue. Et que parlé-je de vêtements et de richesses? On me donnerait l'empire du monde entier, que je croirais l'ongle de Paul plus fort que ma puissance; sa pauvreté au-dessus de tout plaisir, ses humiliations au-dessus de toute gloire, sa nudité au-dessus, de toute richesse, les soufflets imprimés à sa tête sacrée au-dessus de toute licence, les pierres qu'il a reçues au-dessus de tout diadème. Ambitionnons cette couronne, ô mes bien-aimés, et bien qu'il n'y ait pas de persécution , cependant préparons-nous. Car ce ne sont pas seulement les persécutions qui ont rendu cet homme glorieux ; il disait lui-même : « Je châtie mon corps » ( I Cor. IX, 27) ; ce qui peut se faire sans persécution. Et il nous exhortait à n'avoir .aucun souci de la chair, quant à ses convoitises; il disait encore :. « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». ( I Tim. VI, 8)
Or, pour cela, il n'y a pas besoin de persécutions. Il engageait aussi les riches à la modération, en disant : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». (Ib. 9.) Si nous voulons ainsi nous exercer et entrer en lutte , nous serons couronnés, et bien qu'il n'y ait pas de persécutions, nous (380) recevrons une riche récompense; mais si nous engraissons notre corps et menons une vie de pourceau, même au sein de la paix nous commettrons bien des fautes, et nous nous attirerons du déshonneur. Ne voyez-vous pas contre qui nous avons à combattre? Contre des puissances incorporelles. Comment donc, nous qui sommes. chair, en triompherons-nous ? S'il faut manger sobrement quand on combat contre des hommes, à plus forte raison pour lutter contre les démons. Mais si nous sommes enchaînés par l'embonpoint et la richesse, comment vaincrons-nous nos ennemis? Car c'est un lien que la richesse: un lien bien lourd pour ceux qui ne savent pas en user; un tyran cruel et inhumain qui n'a d'autre but que de perdre ses esclaves. Mais , si nous le voulons, nous détrônerons ce barbare tyran; nous en ferons notre serviteur; au lieu de notre maître. Et comment cela? En distribuant nos richesses à tout le monde. Tant que l'opulence nous trouve seuls à seuls, comme un brigand dans un lieu isolé, elle nous fait tous tes maux possibles; mais quand nous l'aurons produite en public, elle ne nous dominera plus, parce qu'elle sera enchaînée de tous côtés.
5. Je ne prétends point dire par là que la richesse soit un péché; mais le péché est de ne la pas distribuer aux pauvres et d'en faire mauvais usage. Dieu n'a rien créé de mauvais; tout ce qu'il a fait est bon ; les richesses. sont donc aussi un bien, à condition qu'elles ne domineront point ceux qui les possèdent, et qu'elles feront disparaître la pauvreté du prochain. La lumière qui ne dissipe pas les ténèbres , mais les augmente , n'est pas bonne ; je n'appellerai pas non plus bonnes les richesses qui augmentent la pauvreté au lieu de la détruire. Le riche ne cherche pas- à recevoir, mais à donner ; s'il demande, il n'est plus riche, mais pauvre. Les richesses ne sont donc point un mal ; mais le mal c'est cette étroitesse d'esprit qui transforme la richesse en pauvreté. Ces sortes de riches sont plus malheureux que ceux qui mendient dans les rues, que les aveugles et les estropiés; ces hommes somptueusement vêtus de soie sont au-dessous du pauvre couvert de mauvais baillons; ces mortels qui s'avancent fièrement sur. la plage publique sont plus à plaindre que les mendiants qui hantent les carrefours, entrent dans les cours, et crient, et demandent l'aumône d'en bas. Car ceux-ci louent Dieu et profèrent des paroles propres à exciter la pitié et pleines de sagesse; aussi-en avons-nous compassion et leur tendons-nous la main sans jamais les accuser. Mais les mauvais riches tiennent le langage de la cruauté, de l'inhumanité, de la rapine et d'une convoitise satanique ; aussi sont-ils odieux et ridicules aux yeux de tout le monde. Dites-moi un peu : lequel paraît honteux chez tous les hommes de demander aux riches, ou d8 demander aux pauvres ? Aux pauvres,.évidemment. Eh bien ! c'est ce que font les riches; car ils n'oseraient s'adresser à de plus riches qu'eux. Or ceux qui mendient, demandent aux riches : le mendiant demande au riche et non au mendiant; mais le riche violente le pauvre.
Autre question : lequel est le plus honnête , de recevoir de personnes gui donnent volontiers et de bonne grâce, ou d'arracher par force et avec importunité? Evidemment il est plus convenable de. ne point forcer les répugnances. Et pourtant les riches les forcent. Car tandis que les pauvres reçoivent de gens qui leur donnent de bon coeur et librement, tout ce que les riches reçoivent leur est donné à contre-coeur et par contrainte : ce qui est l'indice d'une plus grande pauvreté. Si personne ne voulait s'asseoir à une table, où il ne serait pas vu de bon oeil par celui qui l'aurait. invité, comment serait-il convenable d'extorquer de l'argent par force? N'écartons-nous pas, ne fuyons-nous pas les chiens qui aboient, parce qu'ils nous fatiguent par leur importunité? Ainsi font les riches. Mais, dira-t-on, il vaut mieux que la crainte accompagne le don. Et moi je dis qu'il n'y a rien dé plus honteux: c'est le comble du ridicule de tout mettre en mouvement pour obtenir quelque chose. Souvent, par peur, nous avons jeté au chien ce que nous tenions à la main. Lequel, dites-moi, est le plus. honteux de mendier en haillons ou en habits de soie? Quel pardon mérite le riche qui flatte de vieux pauvres pour en obtenir ce qu'ils possèdent, bien qu'ils aient des enfants? Si vous voulez encore; examinons les paroles que prononcent les riches et les pauvres quand ils mendient. Que dit le pauvre? Que celui qui donne l'aumône ne doit pas donner avec parcimonie, parce que ce qu'il donne vient de Dieu, et que Dieu est bon et lui en rendra davantage : langage plein de sagesse et qui renferme une exhortation et un (384) conseil. Il vous prie, en effet, de lever les yeux vers le Seigneur, et il vous ôte la crainte de la pauvreté pour l'avenir: on peut voir un grand enseignement dans les paroles des mendiants.
Que disent les riches, au contraire? Ils parlent comme des pourceaux , des chiens, des loups et des autres bêtes sauvages. Les uns parlent de tables, de mets, d'assaisonnements, devins de toute espèce, de parfums, de vêtements, de tout ce qui concerne les folies du luxe; les autres parlent d'usures et de prêts ; et, fabricant des billets où les dettes sont portées à un chiffre monstrueux, et qui sont supposés dater des pères et des grands-pères, ils prennent à l'un sa maison , à l'autre son champ, à cet autre son esclave et tout ce qu'il possède. Et que dire de ces testaments écrits avec du sang plutôt qu'avec de l'encre? Au moyen de terreurs paniques ou de quelques légères promesses, ils déterminent de petits propriétaires à les choisir pour héritiers, au détriment de proches souvent accablés par la pauvreté. Cette fureur, cette cruauté, ne dépassent-elles pas celles des bêtes féroces ? Je vous en prie donc, fuyons de telles richesses, source de honte et de meurtre ; acquérons les richesses spirituelles, cherchons les trésors qui sont dans le ciel. Ceux qui les possèdent sont certainement riches ; ils vivent dans l'abondance, ils jouissent des biens de la terre et de ceux du ciel. En effet, celui qui veut être pauvre selon Dieu, voit toutes les portes s'ouvrir devant lui. Chacun donne à celui qui, par amour pour Dieu, ne possède rien; mais celui qui veut acquérir même peu de chose au prix de l'injustice, se ferme toutes les portes. Afin donc d'obtenir les richesses de ce monde et celles de l'autre, choisissons la richesse solide et immortelle. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.