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ANALYSE.
1. Que les réprimandes doivent être préparées et amenées
doucement et peu à peu.
2. Que saint Paul ne se préfère pas à saint Pierre.
3. Baptiser n'est pas une oeuvre dont on doive s'enorgueillir
puisque tout le moule en est capable. Prêcher est plus difficile. 4 et 5. Ne pas
rougir de l'ignorance des apôtres puisque c'est leur gloire. De quelle manière
nous devons travailler à couver. tir les infidèles.
Zèle pour le salut des âmes. Quel bonheur c'est d'en convertir une seule.
1. Les reproches, comme je vous l'ai toujours dit, doivent venir doucement, peu à peu; et c'est ce que Paul fait ici. Sur le point d'aborder un sujet plein de périls et capable de renverser l'Église de fond en comble, il adoucit son langage. Il dit qu'il les supplie, mais qu'il les supplie par le Christ: comme s'il ne se sentait pas capable de les prier et de les persuader par lui-même. Qu'est-ce que cela : « Je vous supplie par le Christ? » Je prends le Christ pour auxiliaire, j'invoque le secours de son nom, de ce nom injurié et déshonoré. Paroles pleines d'à-propos, pour ne pas les pousser à l'insolence : car le péché rend insolent. Si, en effet, vous commencez par de violents reproches, vous ferez des rebelles et des impudents; si vous grondez doucement, vous verrez le coupable incliner la tète. Garder le silence et baisser les yeux, c'est ce que Paul va faire, et, en attendant, il exhorte au nom du Christ. Et à quoi exhorte-t-il? « A avoir tous le même langage et à ne pas souffrir de schismes parmi vous ». Le sens énergique du mot schisme et le blâme qu'implique ce terme, étaient bien propres à les blesser au vif. Car il n'y avait pas beaucoup de parties entières ; mais l'imité même avait péri. En effet, si c'étaient des Eglises saines et entières, il y avait au moins beaucoup d'assemblées; mais si c'étaient des schismes, l'unité même avait disparu. Car l'unité divisée en beaucoup de parties, non-seulement ne se multiplie pas, mais est détruite elle-même. Telle est la nature des schismes. Ensuite, après les avoir blessés au vif par le mot de schisme, il se radoucit et mitige ainsi son langage : « Mais d'être tous unis dans le même esprit et dans le même « sentiment ». Après avoir dit : « D'avoir tous « le même langage », il ajoute : Ne pensez pas que je parle seulement de l'accord du langage, je demande aussi l'accord de pensée. Et connue il peut arriver que cet accord existe, mais non sur tous les points, il ajoute : « Mais d'être unis d'une manière parfaite ». Car celui qui est d'accord sur un point et en désaccord sur d'autres, n'est point uni en perfection, n'est point parfait sous le rapport de l'union. On peut encore être uni par la pensée et ne l'être point par le sentiment.: ce qui arrive par exemple quand nous avons la même foi et que nous ne sommes pas liés par la charité. En ce cas nous sommes unis par la pensée (puisque nous pensons les mêmes choses), mais nous ne le sommes point par le sentiment: ce qui avait lieu alors, où les uns s'attachaient à un maître, les autres à un autre. C'est pourquoi il exige qu'on soit uni d'esprit et de sentiment, Car les schismes ne provenaient pas de la différence de foi, tuais de la diversité des sentiments, effet des rivalités humaines.
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Et comme un accusé se montre insolent, tant qu'il n'a pas de témoins contre lui, voyez comment il en produit, pour les mettre hors d'état de nier. « J'ai été averti sur votre compte, mes frères, par ceux de la maison de Chloé ». II n'avait d'abord pas dit cela, mais il avait en premier lieu établi l'accusation, ce qui prouve qu'il avait cru aux informations; sans cela il n'eût point accusé; car Paul n'était pas homme à croire sans raison. Il n'avait donc d'abord pas parlé de renseignements, pour ne pas paraître accuser à l'instigation de ceux qui les lui avaient donnés; mais il ne les passe pas sous silence, pour ne pas paraître agir de lui seul. Il leur donne encore le nom de frères : bien que leur péché fût évident, cela n'empêchait pas de les appeler ainsi. Et voyez sa prudence : il ne désigne point une personne en particulier, mais toute une maison, pour ne point les irriter contre l'auteur des révélations; par là il a mis celui-ci à couvert et a pu librement formuler son accusation. Il ne songe pas seulement aux intérêts des uns, mais aussi à ceux des autres. Voilà pourquoi il ne dit pas : J'ai appris de certaines personnes; mais il indique une maison tout entière, pour ne pas avoir l'air d'inventer. Que m'a-t-on appris ? « Qu'il y a des «contestations parmi vous ». Quand il leur adresse directement ses reproches, il leur dit . « Qu'il n'y ait pas de schismes parmi vous » ; mais quand il leur parle, d'après le témoignage des autres, il adoucit ses termes : « On m'a a appris qu'il y a des contestations parmi vous », afin de ménager ceux de qui il tient ses informations.
Il précise ensuite le genre de contestation : « Chacun de vous dit: Pour moi je suis à Paul, et moi à Apollon, et moi à Céphas ». Ce ne sont pas, dit-il, des disputes pour des intérêts privés, mais d'autres beaucoup plus fâcheuses. « Chacun de vous dit ». Ce n'est pas une partie de l'Eglise, mais l'Eglise entière que le fléau ravage. Pourtant on ne parlait ni de lui, ni d'Apollon, ni de Céphas ; mais il fait voir que si l'on ne peut s'attacher à ceux-là, encore bien moins le peut-on à d'autres. La preuve qu'on ne parlait pas d'eux, est dans ce qu'il dit plus bas : « J'ai proposé ces choses en ma personne et en celle d'Apollon, afin que vous appreniez, à notre exemple, à n'avoir pas a d'autres sentiments que ceux que je vous ai marqués ». (I Cor. IV, 6.) Car si l'on ne peut se dire partisan de Paul, d'Apollon et de Céphas, encore bien moins de tout autre. Si l'on ne doit point s'enrôler sous le drapeau d'un docteur, du premier des apôtres, de l'instituteur d'un si grand peuple, à plus forte raison sous le drapeau de ceux qui ne sont rien. Désirant ardemment les guérir de leur maladie, il met ces noms en avant; mais pour moins blesser il tait les noms de ceux qui déchiraient l'Eglise, et les abrite en quelque sorte sous ceux des apôtres : « Moi je suis à Paul, moi à Apollon, moi à Céphas ».
2. Ce n'est point parce qu'il se préfère à Pierre qu'il le nomme le dernier; mais, au contraire, parce qu'il se met fort au-dessous de Pierre. Il parle par gradation, pour ne pas avoir l'air d'agir par envie, ni de vouloir priver ceux-ci de l'honneur qui leur est dû. Voilà pourquoi il se nomme le premier. Car celui qui se réprouve le premier, n'agit point par le désir de l'honneur, mais par un profond mépris pour la vaine gloire.
Il reçoit d'abord tout le premier choc, ensuite il nomme Apollon et Céphas. Il n'agit donc point par orgueil; mais, désirant corriger une chose défectueuse, il met d'abord en avant sa propre personne. Evidemment c'était un tort de prendre le parti d'un tel ou d'un tel ; et il a raison de le leur reprocher, en disant : Vous ne faites pas bien de dire: « Moi je suis à Paul, moi à Apollon, moi à Céphas ». Mais pourquoi ajoute-t-il : « Et moi au Christ? » Si c'était une faute de s'attacher à des hommes, ce n'en était certainement pas une de tenir pour Jésus-Christ. Aussi ne leur reproche-t-il point de le faire, mais de ne pas le faire tous. Je pense aussi qu'il a ajouté ce nom de lui-même, afin de donner plus de poids à l'accusation et de faire entendre que le Christ est resté le lot de quelques-uns, mais non de tous. Que telle ait été sa pensée, la suite le fait voir. « Le Christ est-il divisé ? » C'est-à-dire, vous avez scindé le Christ et divisé son corps. Voyez-vous le courroux, voyez-vous le reproche, voyez-vous le langage de l'indignation ? Il ne prouve pas, il interroge, supposant cette absurdité confessée.
Quelques-uns lui prêtent une autre intention dans ces paroles : « Le Christ est-il divisé? » Cela voudrait dire : Le Christ a disséminé et partagé son Eglise entre les. hommes, il en a gardé une portion pour lui et leur a distribué le reste. Absurdité qu'il détruit ensuite par (310) ces mots: «Paul a-t-il é!é crucifié pour vous, ou avez-vous été baptisés au nom de Paul ! » Voyez son amour pour le Christ, voyez comme il ramène tout à son propre nom; démontrant surabondamment que cet honneur n'appartient à personne. Pour ne pas paraître céder à un mouvement de jalousie, il se met lui-même continuellement en scène. Mais voyez aussi sa prudence; il ne dit pas : Est-ce que Paul a créé le monde ? Est-ce que Paul vous a tirés du néant? Mais il choisit ce qu'il y a de plias précieux aux yeux des fidèles, les preuves les plus sensibles de la Providence, la croix et le baptême, et les biens qui en découlent. Sans doute la création du monde prouve la bonté de Dieu, mais l'abaissement de la croix la prouve bien davantage. Et il ne dit pas : Est-ce que Paul est mort pour vous ; mais : « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous? » Désignant ainsi le genre de mort. « Où est-ce que vous avez été baptisés au nom de Paul? » Il ne dit pas : Est-ce que Paul vous a baptisés ? Car il en avait baptisé beaucoup : mais il s'agissait de savoir au nom de qui, et non par qui ils avaient été. baptisés. Et comme c'était précisément là l'origine du schisme, que chacun se rattachait à celui qui l'avait baptisé, il redresse cette erreur, en disant : « Est-ce que vous avez été baptisés au nom de Paul? » Ne me dites point par qui, mais au nom de qui, vous avez été baptisés. Car il ne s'agit point de savoir qui baptise, mais quel est celui dont le nom est invoqué dans le baptême puisque celui-là seul remet les péchés. Il s'arrête là et ne va pas plus loin. Il ne dit pas Est-ce que Paul vous a promis les biens à venir? Est-ce que Paul vous a promis le royaume des cieux? Pourquoi n'ajoute-t-il rien de cela? Parce que autre chose est d'annoncer le royaume, autre chose d'être crucifié; l'un est sans danger et n'entraîne point d'ignominie, l'autre renferme tous les deux. D'ailleurs, il conclut des uns aux autres, quand, après avoir dit : « Qui n'a pas épargné son propre fils », il ajoute : « Comment avec lui ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses ! » (Rom. VIII, 32.) Et encore : « Si, quand nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son fils, à bien plus forte raison, une fois réconciliés, serons-nous sauvés ». (Id. V, 10.) C'est pour cela qu'il n'a pas parlé de ces biens; on ne jouissait point encore des uns, on avait déjà fait l'expérience des autres; les uns n'étaient encore qu'en promesses, les autres étaient une réalité.
« Je rends grâce à Dieu de ce que je n'ai baptisé aucun de vous, si ce n'est Crispus et Caïus ». Pourquoi êtes-vous si tiers de baptiser, quand je remercie Dieu de n'avoir pas baptisé ? Par ces paroles, il- guérit prudemment leur enflure, non en niant la force du baptême (ce qu'à Dieu ne plaise), mais en réprimant l'orgueil de ceux qui se vantaient d'avoir baptisé; et pour cela il leur fait voir d'abord que ce don ne vient pas d'eux, et en second lieu il remercie Dieu à cette occasion. Sans doute le baptême est une grande chose, mais à cause de Celui qu'on y invoque, et non à causé de celui qui le donne. Baptiser n'est rien , quant à l'effort exigé de la part de l'homme; évangéliser est beaucoup plus. Je le répète : le baptême est une grande chose, puisque sans lui on ne peut parvenir au royaume; mais l'homme le plus vulgaire peut le donner, tandis que prêcher l'Evangile est une oeuvre très-laborieuse.
3. Il expose fa raison pour laquelle il rend grâces à Dieu de n'avoir baptisé personne. Quelle est-elle? « Pour que personne ne dise que vous avez été baptisés en mon nom». Quoi donc ? Parlait-on de cela ? Non ; mais je crains, dit-il, que le mal n'aille jusque-là. Si, en effet, quand des hommes vils et sans valeur baptisent, il s'élève une hérésie ; si j'avais baptisé beaucoup de monde, moi qui ai annoncé le baptême, il est vraisemblable qu'un parti se formerait, lequel non content d'adopter mon nom, m'attribuerait aussi le baptême. Puisque le mal partant de si bas est déjà si grand, il le serait peut-être bien plus encore s'il avait pris sa source plus haut. Après avoir ainsi réprimandé ceux qui étaient déjà gâtés, et avoir dit : « Moi j'ai baptisé ceux de la maison de Stéphanas », il rabat de nouveau leur orgueil, en disant : « Du reste, je ne sais si j'en ai baptisé d'autres ». Par-là il fait voir qu'il se soucie peu de se procurer cet honneur aux yeux du vulgaire, et qu'il n'est point venu pour cela. Et ce n'est pas seulement par ces paroles, mais encore par les suivantes qu'il refoule leur orgueil, quand il dit: « Le Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais prêcher l'Evangile ». Oeuvre bien plus laborieuse, qui exigeait beaucoup de sueur et une âme de fer, et qui renfermait tout; voilà (311) pourquoi on l'avait confiée à Paul. Et pourquoi n'étant pas envoyé pour baptiser, baptisait-il? Ce n'était point par opposition à Celui qui l'avait envoyé, mais par surérogation. En effet il n'a pas dit: On m'a défendu de le faire, mais : Je n'ai pas été envoyé pour cela, mais pour une chose plus nécessaire. Evangéliser était l'oeuvre d'un ou deux; baptiser était au pouvoir de tout homme revêtu du sacerdoce.
En effet, baptiser un catéchumène , un Nomme convaincu, cela est donné à tout le monde; car la volonté de celui qui approche fait tout, conjointement avec la grâce de Dieu. Mais amener des infidèles à la foi, c'est une fonction qui demande beaucoup de peines, beaucoup de sagesse, outre le danger qui s'y attachait alors. Dans le baptême, tout est fait, celui qui doit être admis au mystère est convaincu, et ce n'est pas merveille que de baptiser un homme convaincu. Ici il faut prendre beaucoup de peines pour changer la volonté et les dispositions, pour déraciner l'erreur et planter la vérité. Mais il ne dit point cela de la sorte, il ne le prouve pas, il n'affirme pas qu'il n'y a point de peine à baptiser et beaucoup à évangéliser, car il sait toujours être modeste ; mais quand il traite de la sagesse profane, il devient véhément et emploie, dès qu'il le peut, les termes les plus violents.
Ce n'était donc point contre l'ordre de Celui qui l'avait envoyé qu'il baptisait, mais il en était ici comme quand les apôtres dirent à l'occasion des veuves : « Il n'est pas juste que nous abandonnions le ministère de la parole pour le service des tables ». (Act. VI, 2.) Il servait alors, non par esprit d'opposition, mais par surabondance de zèle. En effet, maintenant encore nous confions le soin de baptiser aux prêtres les moins capables, et la prédication aux plus instruits, parce qu'ici sont les labeurs et les difficultés. Voilà pourquoi l'apôtre dit lui-même : « Que les prêtres qui gouvernent bien soient doublement honorés, surtout ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l'instruction ». (I Tim. V, 17.) Car comme c'est l'affaire d'un maître habile et sage de former les athlètes qui doivent lutter clans l'arène, tandis que décerner la couronne au vainqueur est au pouvoir de celui même qui ne sait pas combattre, bien que la couronne fasse ressortir l'éclat de la victoire ; de même, pour ce qui regarde le baptême, quoi qu'il soit nécessaire au salut, celui qui l'administre fait une chose toute simple, puisqu'il trouve une volonté préparée.
« Non pas dans la sagesse de la parole, pour « ne pas réduire à rien la croix de Jésus« Christ ». Après avoir rabattu l'orgueil de ceux qui s'estimaient pour avoir baptisé, il passe à ceux qui se glorifiaient de la sagesse mondaine, et les attaque avec vivacité. En effet à ceux qui s'enflaient pour avoir baptisé, il s'est contenté de dire : « Je rends grâce à Dieu de n'avoir baptisé personne », et de ce que le Christ ne m'a pas envoyé pour baptiser; il n'emploie point de preuves, point d'expressions violentes, il insinue sa pensée en peu de mots et passe outre. Mais ici tout d'abord il frappe un grand coup en disant : « Pour ne pas réduire à rien la croix de Jésus-Christ ». Pourquoi vous glorifier d'une chose qui doit vous couvrir de honte? Car si cette sagesse est l'ennemie de la croix et de l'Evangile, loin de s'en vanter, il faut en rougir. Voilà pourquoi les apôtres ne l'ont point eue, non que la grâce leur fît défaut, mais pour ne point nuire à la prédication. Ces sages selon le monde ébranlaient donc la doctrine, au lieu de l'affermir; et les simples la consolidaient. Voilà de quoi confondre l'orgueil, détruire l'enflure et inspirer des sentiments de modestie. Mais, direz-vous, s'il en était ainsi, pourquoi donner mission à Apollon, qui était un savant? Ce n'était pas qu'ils eussent confiance dans son talent pour la parole ; mais ils l'avaient choisi parce qu'il était instruit dans les Ecritures et qu'il confondait les Juifs. Du reste on recherchait des hommes sans science pour occuper les premiers rangs et commencer à répandre la semence de la parole : car il fallait une grande vertu afin de repousser l'erreur dès l'abord; il fallait un grand courage au début de la carrière.
Si donc celui qui, dans les commencements, n'avait pas eu besoin de savants pour repousser l'erreur, les a ensuite admis, ce n'était pas par nécessité ni par défaut de discernement. Comme il n'avait pas eu besoin d'eux pour exécuter sa volonté, il ne les a cependant point rejetés quand ils se rencontrèrent plus tard. Dites-moi un peu : Pierre et Paul étaient-ils savants? Vous ne pourriez le dire; car ils étaient simples et sans lettres. Le Christ a agi ici, comme quand, envoyant ses disciples par toute la terre, après leur avoir d'abord montré (312) sa puissance en Palestine, il leur disait : « Lorsque je vous ai envoyés sans argent, sans provisions, sans chaussure, avez-vous manqué de rien ? » (Luc, XXII, 35.) Et qu'ensuite il leur permit d'avoir de l'argent et des provisions. Ce dont il s'agissait, c'était que la puissance du Christ fût manifestée, et non de repousser de la foi ceux qui venaient à cause de leur sagesse mondaine. Quand donc les Grecs accuseront les disciples d'ignorance , accusons-les-en aussi , et plus haut que les Grecs. Que personne ne dise que Paul était savant; tout en exaltant ceux d'entre eux que leur science et leur éloquence ont rendus célèbres, affirmons que les nôtres ont tous été des ignorants. Et par là nous ne les rabaisserons nullement; car la victoire n'en sera que plus éclatante.
Je dis tout cela pour avoir entendu un chrétien disputer avec un Grec de la manière la plus ridicule : tous les deux renversaient leur propre thèse et se réfutaient eux-mêmes. Le Grec disait ce qu'aurait dû dire le chrétien; et le chrétien faisait les objections qu'aurait dû faire le Grec:. Il était question de Paul et de Platon : or, le Grec s'efforçait de démontrer que Paul était un ignorant, un homme :sans instruction ; et le chrétien par trop simple cherchait à prouver que Paul était plus savant que Platon. Si cette dernière proposition eût triomphé, la victoire appartenait au Grec. Car si Paul était plus savant que Platon, on aura raison de dire que, s'il l'emporta, ce fut par l'éloquence et non par le secours de la grâce. En sorte que le chrétien parlait pour le Grec, et le Grec pour le chrétien. Si en effet Paul, quoique ignorant, a vaincu Platon , c'est , comme je le disais, une victoire éclatante car cet ignorant a pris tous les disciples de Platon, les a convaincus et amenés à lui. D'où il suit que sa prédication a triomphé par la grâce de Dieu, et non par la sagesse humaine. Pour éviter cet inconvénient et ne pas devenir ridicules en disputant de cette façon avec les Grecs, qui sont ici nos adversaires, accusons les apôtres d'ignorance; car cette accusation est un éloge. Et quand les Grecs les traiteront de gens grossiers, enchérissons, nous ; et ajoutons qu'ils étaient ignorants, sans lettres, pauvres, sans naissance, dépourvus d'intelligence et obscurs. Ce n'est point là blasphémer les apôtres; toute leur gloire, au contraire, est d'avoir, étant tels, triomphé du monde entier. Oui, ces hommes simples, grossiers et ignorants, ont abattu les sages, les puissants, les tyrans, ceux qui jouissaient et se pavanaient des richesses, de la gloire, de tous les avantages extérieurs; ils les ont abattus comme s'ils n'eussent pas été des hommes.
Il est donc évident que la puissance de la croix est grande, et que rien de tout cela n'est l'effet du pouvoir humain.; car ces succès n'ont rien de naturel; tout y est surnaturel. Or quand il se passe un événement supérieur, très-supérieur à la nature, et en même temps convenable et utile , il est manifeste qu'on doit l'attribuer à quelque vertu , à quelque opération divine. Eh bien ! voyez : le pêcheur, le fabricant de tentes, le publicain, l'homme simple , l'homme sans lettres., venus d'une terre lointaine, de la Palestine, ont chassé de leur propre patrie les philosophes, les rhéteurs, tous les maîtres dans l'art de la parole; ils les ont vaincus en un instant, à travers mille périls, malgré l'opposition des peuples et des rois, malgré les résistances de la nature, malgré l'ancienneté du temps, la force d'habitudes invétérées, malgré les efforts des démons armés contre eux, et bien que le diable, debout lui-même au centre de la bataille, mît tout en mouvement, les rois, les princes, les peuples, les nations, les villes, les barbares, les Grecs, les philosophes, les orateurs, les sophistes, les écrivains, les lois, les tribunaux, les supplices les plus variés et mille et mille genres de mort. Et tout cela a été repoussé,a cédé à la voix des pêcheurs , absolument comme la poussière légère qui ne peut résister au souffle du vent. Apprenons donc à disputer ainsi avec les Grecs, pour ne pas ressembler à des animaux stupides et sans raison, mais être toujours prêts à défendre l'objet de nos espérances. En attendant, méditons bien ce point qui n'est pas d'une médiocre importance, et disons-leur : Comment les faibles ont-ils vaincu les forts : douze hommes, l'univers entier, sans se servir des mêmes armes, mais en combattant sans armes des hommes armés?
5. Dites-moi de grâce : Si douze hommes, étrangers à l'art de la guerre, non-seulement sans armes, mais même faibles de constitution, s'élançant tout à coup sur une innombrable armée, n'en éprouvaient aucun mal, restaient sains et saufs au milieu d'une grêle de traits, et, conservant leurs javelots suspendus à leurs corps nus, abattaient tous leurs (313) ennemis sans user de leurs armes, mais en les frappant seulement de la main , tuaient les uns et faisaient les autres prisonniers sans recevoir la moindre blessure ; dites-moi , attribuerait-on cela à la puissance humaine? Et pourtant le triomphe des apôtres est beaucoup plus étonnant que celui-là. Car, qu'un ignorant, qu'un homme sans lettres, qu'un pêcheur aient triomphé de tant d'éloquence, n'aient été arrêtés ni par leur petit nombre, ni par la pauvreté, ni par les dangers, ni par la puissance de l'habitude, ni par la sévérité des préceptes qu'ils imposaient, ni par des morts quotidiennes, ni par la multitude de ceux qui professaient l'erreur, ni par l'autorité de ceux qui l'enseignaient: Voilà qui est bien plus incroyable que de voir un homme nu n'être pas blessé.
Abattons-les donc de la même manière ; combattons-les ainsi , réfutons-les par notre conduite plutôt que par notre langage. Les uvres, voilà le vrai combat, le raisonnement sans réplique. Quand nous argumenterions sans fin, ce serait peine perdue si nous ne tenions une conduite meilleure que la leur. Ce fie sont pas nos paroles, mais nos actions qu'ils étudient; ils nous disent : Sois d'abord fidèle à ta doctrine, et prêche-la ensuite aux autres. Si tu parles de biens infinis réservés à l'avenir, et que tu paraisses attaché aux biens présents comme si ceux-là n'existaient pas, je crois à tes actions plutôt qu'à tes paroles. Quand je te vois ravir le bien d'autrui, pleurer outre mesure ceux qui ne sont plus, commettre une foule d'autres péchés, comment te croirai-je lorsque tu parles de résurrection ? S'ils ne vous disent pas cela, ils le pensent et s'en préoccupent. Et là est l'obstacle qui empêche les infidèles de devenir chrétiens. Convertissons-les donc par notre propre conduite. Beaucoup d'hommes illettrés ont ainsi frappé des philosophes , en leur montrant la vraie philosophie; la philosophie des oeuvres, et faisant entendre par leur sage conduite une voix plus éclatante que celle de la trompette : sorte d'éloquence bien au-dessus de celle du langage. Si je prêche l'oubli des injures, et qu'ensuite je nuise à un. Grec en mille manières, comment mes paroles l'attireront-elles alors que mes actions le repoussent? Prenons-les donc dans les filets d'une bonne conduite, édifions et enrichissons l'Eglise en lui gagnant ces âmes.
Rien, pas même le monde entier, n'égale le prix d'une âme. Donnassiez-vous une immense fortune aux pauvres, vous avez moins fait que de convertir une seule âme. Il est écrit «Celui qui sépare un objet précieux d'une vile matière, sera comme ma bouche ». (Jérém. XV, 19.) Sans doute, c'est une chose excellente d'avoir pitié des pauvres, mais rien n'est aussi grand que d'arracher une âme à l'erreur : car c'est ressembler à Paul et à Pierre. Il nous est donné de succéder à leur prédication, non plus pour braver comme eux les dangers, endurer la faim, la peste et les autres maux (car nous vivons en un temps de paix); mais pour déployer l'ardeur de notre zèle. Sans sortir de chez nous, nous pouvons nous livrer à cette pêche. Que quiconque a un ami, un parent, une connaissance, tienne cette conduite, adopte ce langage, et il ressemblera à Pierre et à Paul. Que dis-je, à Pierre et à Paul? Il sera la bouche du Christ. « Car celui qui sépare une chose précieuse d'une matière vile, sera comme ma bouche ». Si vous ne persuadez pas aujourd'hui, vous persuaderez demain; si vous ne persuadez jamais, vous aurez cependant toute la récompense; si vous ne persuadez pas tout le monde, vous en sauverez au moins quelques-uns de la foule. Les apôtres eux-mêmes n'ont pas convaincu tous les hommes, bien qu'ils s'adressassent à tous, et ils sont récompensés comme s'ils les avaient tous gagnés. Car Dieu a coutume de proportionner la récompense aux intentions et non aux succès. Offrez-lui deux oboles, il les accepte; ce qu'il a fait pour la veuve, il le fait pour ceux qui enseignent la loi. Gardez-vous donc de dédaigner un petit nombre, parce que vous ne pouvez pas convertir le monde entier, et ne négligez point les petits succès, parce que vous ambitionnez les grands. Si vous ne pouvez pour cent, tâchez pour dix.; si vous ne pouvez pour dix, contentez-vous de cinq; si cinq dépassent vos forces, ne laissez pas que de vous occuper d'un, et si cet un même vous échappe, ne vous découragez pas pour autant, et ne suspendez pas les efforts de votre zèle. Ne voyez-vous pas que, dans les contrats, les marchands n'opèrent pas seulement avec de l'or, mais aussi avec de l'argent? Si nous ne dédaignons pas les petites choses, nous atteindrons aussi les grandes; mais si nous négligeons celles-là , nous parviendrons difficilement à celles-ci, C'est en recueillant les unes (314) et les autres qu'on devient riche. Que ce soit donc là notre règle de conduite, afin qu'enrichis en tout, nous obtenions le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire, empire, honneur, appartiennent au Père en même temps qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.