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ANALYSE.
1 Il faut rendre à Dieu des actions de grâce.
2. L'apôtre ne se lassé pas de nommer Jésus-Christ au
commencement de cette Epître pour mieux inculquer aux Corinthiens cette vérité que pour
ce qui concerne le salut et la vie éternelle tout procède de Jésus-Christ et rien des
hommes.
3. Que tes pécheurs n'ont aucune excuse devant Dieu pour pallier
leurs désordres. Que Dieu de sa part a tout fait pour nous exciter à bien vivre.
Réfutation des vains raisonnements des impies.
Ce qu'il engage les autres à faire, en disant « Que vos prières montent vers Dieu en actions de grâce », il le faisait lui-même, nous apprenant à commencer toujours par des paroles de ce genre, et à rendre grâces à Dieu avant tout. Car rien n'est plus agréable à Dieu que de nous voir reconnaissants pour nous-mêmes et pour les autres; Aussi est-ce la première pensée qu'il met en tête de presque toutes ses lettres; mais ici c'était encore plus nécessaire qu'ailleurs. En effet, celui qui remercie sent le bienfait qu'il a reçu, et rend grâce pour grâce. Mais la grâce n'est point une dette, ni un retour, ni une récompense : ce qu'il fallait dire partout, mais surtout aux Corinthiens, qui s'attachaient avidement à ceux qui déchiraient l'Eglise. « A mon Dieu ». Dans l'abondance de son amour, il s'empare, pour ainsi dire, du bien commun, et se J'approprie : Ainsi avaient coutume de faire les prophètes : « Dieu, mon Dieu » ; et il les exhorte à adopter ce langage. En effet, celui qui le tient se dégage de toutes les choses humaines, et va vers celui qu'il invoque avec une grande affection: C'est proprement le langage de l'homme qui s'élève des choses d'ici-bas vers Dieu, le préfère à tout et partout, te remercie perpétuellement non-seulement de la grâce qui lui a déjà été donnée, mais encore du bien qui a pu s'ensuivre, et lui en rend également gloire. Voilà pourquoi il ne dit pas simplement : « Je rends grâces », mais : « Je rends grâces toujours pour vous», leur apprenant par là à toujours rendre grâces, mais à Dieu seul.
« A raison de la grâce de Dieu ». Voyez-vous comme il les redresse en tout sens? Car qui dit grâce ne parle pas d'oeuvres, et qui dit oeuvres ne parle pas de grâce. Si donc c'est de grâce qu'il s'agit, pourquoi vous enorgueillissez-vous? De quoi vous enflez vous? « Qui vous a été donnée ». Et par qui ?Est-ce par moi ou par un autre apôtre? Nullement, mais par Jésus-Christ; car c'est là le sens de ces mots : « Dans le Christ Jésus ». Voyez comme il dit trouvent « dans » au lieu de « par » ; l'un n'a donc pas moins de force que l'autre. « Parce que vous avez été enrichis en tout ». Encore une fois, par qui? « En lui », ajoute-t-il. Et vous n'avez pas simplement été enrichis, mais enrichis « en tout ». Si donc il y a richesse, et richesse de Dieu, et en tout, et par le Fils unique, voyez quel ineffable trésor ! « En toute parole et en toute science » ; en toute parole non du dehors, mais de Dieu. Car il y a une science sans parole et une parole sans science; beaucoup en effet ont la connaissance, mais n'ont point la parole, comme les hommes sans lettres, par exemple, qui ne peuvent exprimer clairement ce qu'ils ont dans l'esprit. Vous n'êtes point de ce (364) nombre, dit-il, car vous pouvez penser et parler.
« Comme le témoignage du Christ a été confirmé en vous ». Tout en ne paraissant occupé que de louanges et d'actions de grâces, il ne laisse pas que de leur adresser d'assez vives remontrances. Ce n'est point, leur dit-il, par la philosophie du dehors, ni par la science du dehors, mais par la grâce de Dieu, par ses richesses, sa science,. et la parole qui vous a été donnée de sa part, que vous avez pu recevoir les enseignements de la vérité et être confirmés dans le témoignage du Seigneur, c'est-à-dire, dans la prédication. Car vous avez eu beaucoup de signes, beaucoup de miracles, une grâce ineffable pour recevoir la prédication. Si donc vous avez été confirmés par les signes et par la grâce, pourquoi chancelez-vous? Ce langage est tout à la fois celui du reproche et de la prévenance. « En sorte que rien ne vous manque en aucune grâce ». Ici une grave question se présente : A savoir comment des hommes enrichis en toute parole, en sorte que rien ne leur manque en aucune grâce, peuvent être charnels ? Car s'ils étaient tels au commencement, ils le sont beaucoup plus maintenant. Comment donc les appelle-t-il charnels? « Je n'ai pas pu », leur dit-il, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels ». (I Cor. III, 1.) Que répondre à cela? C'est qu'ayant cru dès le commencement, et ayant reçu des grâces de toutes sortes, pour lesquelles ils avaient d'abord un. grand zèle, ils sont ensuite relâchés; ou, si ce n'est pas cela, il faut dire que ces divers passages ne s'adressent pas à tous, mais qu'il y en a pour ceux qui étaient dignes de blâme, et d'autres pour ceux qui étaient dignes de louanges. La preuve qu'ils avaient encore des grâces, est dans ces mots : « L'un a le don de la louange, l'autre celui de la révélation, l'autre celui des langues, l'autre celui de l'interprétation; que tout soit pour l'édification » (I Cor. XIV, 26) ; et encore : « Que deux ou trois prophètes parlent ». On peut aussi répondre que l'apôtre a suivi l'usage commun qui consiste à donner le nom du tout à la plus grande partie. De plus, je pense qu'il fait ici allusion à lui-même, aux signes qu'il leur a fait voir. Selon ce qu'il leur dit dans sa seconde épître: « Les signes de l'apôtre se sont produits au milieu de vous en toute patience » ; et encore : « Qu'avez-vous eu de moins que les autres églises? » (II Cor. XII, 12, 13.) Ou, comme je le disais, il rappelle ses propres actions, ou il s'adresse à ceux qui étaient encore dignes de louange. Car il y avait encore à Corinthe beaucoup de saints qui s'étaient voués au ministère des saints, et devinrent les premiers de l'Achaïe, comme il l'indique à la fin de sa lettre (1).
Au reste les éloges, quand même ils ne seraient pas entièrement conformes à la vérité, s'emploient cependant avec prudence, pour préparer la voie au discours. Car, dire dès l'abord des choses désagréables, c'est se fermer pour le reste l'oreille des faibles,, si en effet les auditeurs sont des égaux, .ils s'irriteront; s'ils sont de beaucoup inférieurs, ils s'attristeront. Pour éviter ces inconvénients, l'apôtre place -au début une sorte d'éloges. Au fond ce n'est point leur éloge, mais celui de la grâce de Dieu; car si leurs péchés ont été remis, s'ils ont été justifiés, c'est l'effet du don d'en-haut. C'est pourquoi il insiste sur les preuves de la bonté de Dieu, afin de mieux guérir leur maladie.
« Attendant la révélation de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Pourquoi vous agiter, leur dit-il , pourquoi vous troubler , parce que Jésus-Christ n'est pas là? Il y est, et son jour est proche. Voyez comme il est sage! Comment, après les avoir détachés des choses humaines, il les épouvante en leur rappelant le terrible tribunal, et en leur montrant qu'il ne suffit pas de bien commencer, mais qu'il faut aussi bien finir. Car après tant de grâces et tant de vertus, il est besoin de se souvenir de ce jour suprême, et pour arriver heureusement au terme, bien des travaux sont nécessaires.
2. Il emploie le mot de révélation pour montrer que, quoique encore invisible, elle existe pourtant, qu'elle est présente, et qu'elle aura lieu un jour. Il faut donc de la patience; et c'est pour vous affermir que vous avez reçu des prodiges. « Qui vous conservera fermes et irréprochables jusques à la fin ». Ici il semble les flatter ; en réalité cependant, ce n'est point une flatterie; car il sait bien les toucher sensiblement, comme quand il leur dit: « Quelques-uns se sont enflés, comme si je ne devais point venir parmi vous ». Et encore , « Que voulez-vous? Que j'aille à vous
1. Ch. XVI, 15.
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avec la verge, ou en esprit de charité et de mansuétude?» (I Cor. IV, 18-21.) Et encore « Cherchez-vous à mettre à l'épreuve le Christ qui parle en moi?» (II Cor. XIII, 3.) Du reste, il les accuse implicitement quand il emploie ces termes : «Il vous confirmera », et celui-ci: « Irréprochables », puisqu'il fait voir par là qu'ils sont encore flottants et non exempts de péché. Mais considérez comme il les rattache sans cesse au nom du Christ, ne faisant mention d'aucun homme, d'aucun apôtre, d'aucun maître, mais toujours de ce bien-aimé, dans le but, dirait-on; de les guérir d'une sorte d'ivresse. En effet, dans aucune autre de ses épîtres, on ne voit tant de fois paraître le nom du Christ; ici on le lit plusieurs fois en quelques versets, et il forme en quelque sorte tout le préambule. Relisez en effet dès le commencement: « Paul, appelé apôtre de Jésus-Christ, c à ceux qui sont sanctifiés en Jésus-Christ, qui invoquent le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; grâce et paix à vous de la part de Dieu le Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je remercie mon Dieu de la grâce qui vous a été accordée dans le Christ Jésus comme le témoignage de Jésus-Christ a été confirmé en vous : attendant la révélation de Notre-Seigneur Jésus-Christ : qui vous rendra fermes et irrépréhensibles au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ: Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés en société de Jésus-Christ son Fils, Notre-Seigneur. Je vous supplie par le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Voyez-vous cette insistance à répéter le nom de Jésus-Christ? Les moins intelligents peuvent comprendre clairement qu'il n'agit point ici sans raison et au hasard, mais que, par la répétition de ce beau nom, il cherche à guérir leur enflure et à les purger du poison de la maladie.
« Il est fidèle, le Dieu par qui. vous avez été appelés en société de son Fils ». Oh ! quelle grande chose il exprime là ! Quel don magnitique ! Vous avez été appelés en société du Fils unique, et vous vous livrez à des hommes ! Quelle misère est plus grande que la vôtre ! Et comment avez-vous été appelés? Par le Père. Comme souvent, en parlant du Fils, il avait dit « par lui » et « en lui », de peur qu'ils ne crussent que le Père lui était inférieur, c'est le Père qu'il mentionne ici. Ce n'est point, dit-il, par un tel ou par un tel, mais par le Père que vous avez été appelés, par lui que vous avez été enrichis. Encore une fois, vous avez été appelés, vous n'êtes point venus de vous-mêmes. Mais que veut dire ceci : « En société de son Fils? » Ecoutez-le s'expliquant plus clairement ailleurs : « Si nous persévérons, nous régnerons ensemble; « si nous mourons ensemble, nous vivrons ensemble ». (II Tim. LXXV, 12. ) Ensuite comme il a avancé une grande chose, il en donne une preuve certaine, irréfragable, en disant : « Dieu est fidèle », c'est-à-dire vrai. Or, si Dieu est vrai, il tiendra sa promesse, et il nous a promis de nous associer à son Fils unique; c'est même pour cela qu'il nous a appelés; et ses dons et ses grâces sont sans repentir, aussi bien que sa vocation. Et il place tout cela au début de son discours, de peur que des reproches trop vifs ne les jettent dans le désespoir. Car tout ce que Dieu a dit s'accomplira, à moins que nous ne soyons absolument rebelles, comme les Juifs qui, étant appelés, refusèrent les biens offerts.
Et ceci n'était point imputable à Celui qui les avait appelés, mais à leur ingratitude: car lui voulait réellement donner; eux, en ne voulant point accepter , se perdirent eux-mêmes. S'il les eût appelés à quelque chose de difficile et de pénible, encore qu'ils eussent été inexcusables de s'y refuser, du moins auraient-ils eu quelque prétexte. Mais quand ils sont appelés à la purification, à la justice, à la sanctification, à la rédemption, à la grâce, au don, à des biens tout prêts que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, et que c'est un Dieu qui les appelle et qui les appelle par lui : Quel pardon peuvent-ils espérer, s'ils n'accourent avec empressement? Qu'on se garde donc d'accuser Dieu d'infidélité ne vient pas de lui, mais de ceux qui résistent. On d ira peut-être : Il fallait les amener malgré eux. Non certes : Dieu ne force personne, il n'impose aucune nécessité. Amène-t-on , malgré eux et enchaînés, ceux qu'on invite aux honneurs, aux couronnes, aux festins, aux solennités? Jamais; ce serait leur faire injure. Il envoie malgré eux les réprouvés en enfer; il n'appelle au royaume que des hommes de bonne volonté; il précipite dans le feu les victimes liées et hurlant de désespoir; mais il agit autrement avec ceux qu'il appelle à ses biens infinis ; car il rendrait ces biens odieux, s'ils n'étaient de telle nature qu'on coure à (306) eux avec un empressement volontaire et une vive reconnaissance.
3. Mais pourquoi, direz-vous, tous ne les acceptent-ils pas? A cause de leur infirmité propre. Mais pourquoi ne guérit-il pas cette infirmité? Eh ! quel moyen fallait-il employer, dites-moi ? N'a-t-il pas fait la création pour manifester sa bouté et sa puissance? « Les cieux », est-il dit, « racontent la gloire de Dieu ». (Ps. XVIII, 2.) N'a-t-il pas envoyé des prophètes? N'a-t-il pas appelé, prodigué les hommes? N'a-t-il pas fait des prodiges? N'a-t-il pas donné la loi écrite et naturelle? N'a-t-il pas envoyé son Fils? N'a-t-il pas envoyé des apôtres? N'a-t-il pas opéré des signes? N'a-t-il pas menacé de l'enfer? N'a-t-il pas promis son royaume? Ne fait-il pas chaque jour lever son soleil? N'a-t-il pas rendu ses commandements si doux, si faciles, qu'un grand nombre les dépassent par la force de leur sagesse ? « Qu'ai-je dû faire à ma vigne, que je n'aie pas fait? » (Isa. V, 4.)
Mais pourquoi , ajoutera-t-on , ne pas nous rendre la science et la vertu naturelles? Qui dit cela? Est-ce le grec où le chrétien? Tous les deux, mais sans porter sur le même point: car l'un réclame pour la science; l'autre pour la conduite de la vie. Répondons d'abord à celui qui est des nôtres : car je m'intéresse moins à ceux du dehors qu'aux membres de notre famille. Que dit donc le chrétien ? Qu'il fallait nous donner la science de la vertu. Il nous l'a donnée : autrement, comment connaîtrions-nous ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter? D'où viennent les lois et les tribunaux? Mais c'est la pratique même, et pas seulement la science, qu'il devait nous donner. Auriez-vous mérité une récompense, si Dieu avait tout fait? Dites-moi : si le grec et vous commettez le même péché, serez-vous punis de la même manière ? Non certainement : Car vous avez la liberté qui procède de la science. Dites-moi. encore : Si quelqu'un vous disait que le grec et vous recueillerez le même fruit (le votre science , ne vous fâcherez-vous pas? J'en suis convaincu : Car vous direz que le grec pouvant trouver la science de lui-même , ne l'a pas voulu. Et s'il s'avisait de dire que Dieu devait nous donner la science naturellement, ne ririez-vous pas et ne lui diriez-vous pas: Pourquoi n'as-tu pas cherché? Pourquoi n'as-tu pas fait les mêmes efforts que moi ? Plein d'une grande confiance , vous ajouteriez : Qu'il est d'une extrême folie d'accuser Dieu de n'avoir pas rendu la science naturelle. Et vous diriez cela, parce que chez vous la science est saine et en bon état. Si votre vie eût été aussi bien réglée, vous n'auriez pas posé la question. Mais parce que vous êtes sans énergie pour la vertu, vous tenez ce lamage insensé. Pourquoi fallait-il que le bien se fit nécessairement ? Les animaux privés de raison auraient donc été nos émules en vertu? Car quelques-uns même l'emportent sur nous en tempérance.
J'aimerais mieux, dirait-on, être bon par nécessité et ne recevoir aucune récompense, que d'être méchant par volonté et être condamné à des châtiments et à des supplices. Etre, vertueux par nécessité, est chose impossible. Si vous ignorez ce qu'il faut faire, dites-le, et nous vous répondrons ce qu'il faudra ; mais si vous savez que le libertinage est mauvais, pourquoi n'évitez-vous pas le mal ? Je ne puis pas, dites-vous. Mais d'autres qui ont fait de bien plus grandes choses vous accuseront, et vous réduiront au silence par la surabondance de leur vertu. Peut-être ayant une femme, vous n'êtes pas chaste; et d'autres n'ayant pas de femmes, gardent une chasteté parfaite. Comment vous justifierez. vous de ne remplir point la stricte mesure, quand d'autres s'élancent. bien au delà?-thon tempérament n'est pas te même, direz-vous, ni ma volonté non plus. C'est parce que vous ne le voulez pas, et non parce que vous ne le pouvez pas ; car je vous démontre que tous sont capables de vertu. En effet, ce que quelqu'un ne peut pas faire, il ne le fera pas même sous l'influence de la nécessité ; et si celui qui n'agit pas peut agir sous la pression de la nécessité, ce n'est plus par volonté qu'il agit. Par exemple : voler et s'élever vers le ciel est chose absolument impossible à quiconque a un corps. Eh bien ! si un roi ordonnait de voler sous peine de mort, en disant: L'homme qui ne volera las sera massacré, ou jeté au feu, ou subira tout autre; supplice de ce genre;pourrait-on obéir ? Evidemment non ; car notre nature ne saurait s'y prêter. Mais si le prince faisait les mêmes ordonnances à propos de la chasteté, en décrétant, et avec justice, que tout libertin sera puni, brûlé, flagellé, torturé de mille manières; n'y en aurait-il pas un grand nombre qui se soumettraient à l'édit? Non, direz-vous peut-être; car il y a déjà (307) une loi qui défend l'adultère, et tous ne s'y soumettent pas. Mais c'est parce qu'ils espèrent n'être pas connus, et non parce qu'ils n'ont que de faibles raisons de craindre; car si le législateur et le juge étaient présents au moment où ils vont commettre le mal, la crainte pourrait bien leur en ôter jusqu'au désir. Supposons même un châtiment moins grave, par exemple, la séparation d'une femme aimée et la prison : le libertin saurait bien se résigner sans trop de peine.
Gardons-nous donc de dire que l'homme est bon ou mauvais par nature : Car si cela était, le bon né pourrait jamais devenir méchant, ni le méchant devenir bon. Et pourtant nous voyons des changements rapides, soit du bien au mal, soit du mal au bien. Et nous ne voyons pas seulement cela dans les Ecritures où, par exemple , les publicains deviennent apôtres et les disciples traîtres, où les femmes publiques deviennent chastes, où les larrons se convertissent, où les mages se prosternent en adoration, où les impies passent à des sentiments de piété, et cela tant dans le Nouveau que dans l'Ancien Testament ; mais chaque jour de tels faits arrivent sous nos yeux. Or si tout cela était naturel, aucun changement n'aurait lieu. Etant passibles par nature, pouvons-nous par aucun effort devenir impassibles? Ce qui est par nature, ne cessera jamais d'être tel. Jamais personne n'a pu passer du besoin de dormir à la faculté de ne pas dormir, ni de la corruption à l'incorruptibilité, ni s'affranchir du besoin de manger au point de n'avoir plus faim. Aussi ces nécessités ne sont point des crimes, et nous ne nous les reprochons jamais. Jamais personne n'a dit, en manière de blâme : O être passible ! ô être sujet à la corruption ! Mais nous reprochons ladultère , la fornication ou d'autres semblables actions à ceux qui les commettent, et nous les traduisons, devant les juges pour être accusés et punis, ou honorés pour des faits contraires.
Quand donc, d'après la conduite que nous tenons les uns envers les autres, d'après les jugements que nous subissons, les lois que nous établissons, les reproches que notre conscience nous adresse même quand personne ne nous accuse, d'après ce fait que la négligence nous rend pires et la crainte meilleurs, et que nous en voyons d'autres se corriger et parvenir au faîte de la sagesse; quand , dis-je , d'après tout cela, il nous est démontré qu'il dépend de nous de faire le bien, pourquoi nous tromper nous-mêmes par de vaines excuses et de misérables prétextes , qui non-seulement ne nous obtiennent pas le pardon , mais nous préparent d'intolérables supplices , tandis que nous devrions avoir sans cesse devant les yeux le jour terrible, pratiquer la vertu et en récompense de légers travaux, recevoir des couronnes immortelles? Car ces raisonnements ne nous serviront à rien; ceux de nos frères qui auront mené une conduite opposée, condamneront tous les pécheurs : le miséricordieux, l'homme dur; le bon, le méchant; l'humble, l'orgueilleux ; le bienveillant, l'envieux ; le sage , l'ambitieux de vaine gloire ; le fervent , le lâche ; le chaste, le libertin. C'est ainsi que Dieu portera son jugement et formera deux ordres , dont l'un recevra des éloges et l'autre sera livré au supplice. Ah ! qu'aucun de ceux qui sont ici présents ne se trouve parmi ceux qu'attendent le châtiment et l'ignominie; mais bien au nombre des couronnés, destinés au royaume céleste ! Puissions-nous tous avoir ce bonheur par la, grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.