COLOSSIENS X

HOMÉLIE X. FEMMES, SOYEZ SOUMISES A VOS MARIS, COMME IL EST BIEN RAISONNABLE, EN CE QUI EST SELON LE SEIGNEUR. MARIS, AIMEZ VOS FEMMES ET NE LES TRAITEZ POINT AVEC RIGUEUR. ENFANTS, OBÉISSEZ EN TOUT A VOS PÈRES ET A VOS MÈRES ; CAR CELA EST AGRÉABLE AU SEIGNEUR. PÈRES, N'IRRITEZ POINT VOS ENFANTS, DE PEUR QU'ILS NE TOMBENT DANS L'ABATTEMENT. SERVITEURS, OBÉISSEZ EN TOUT A CEUX QUI SONT VOS MAITRES SELON LA CHAIR, NE LES SERVANT PAS SEULEMENT LORSQU'ILS  ONT L'OEIL SUR VOUS, COMME SI VOUS NE PENSIEZ QU'A PLAIRE AUX HOMMES; MAIS AVEC SIMPLICITÉ DE COEUR ET CRAINTE DE DIEU. FAITES DE BON COEUR TOUT CE QUE VOUS FEREZ, COMME LE FAISANT POUR DIEU ET NON POUR LES HOMMES. SACHEZ QUE C'EST DU SEIGNEUR QUE VOUS RECEVREZ L'HÉRITAGE DU CIEL POUR RÉCOMPENSE ; C'EST LE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST QUE VOUS DEVEZ SERVIR. MAIS CELUI QUI AGIT INJUSTEMENT RECEVRA LE SALAIRE DE SON INJUSTICE, ET DIEU NE FAIT POINT ACCEPTION DE PERSONNE. VOUS, MAITRES, RENDEZ A VOS SERVITEURS CE QUE L'ÉQUITÉ ET LA JUSTICE DEMANDENT DE VOUS, SACHANT QUE VOUS AVEZ AUSSI BIEN QU'EUX UN MAÎTRE QUI EST DANS LE CIEL. (III,18; IV, 1-4.)

 

 

Analyse.

 

1. Devoirs réciproques des maris et des femmes, des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs.

2. Suite des devoirs réciproques. — Comment il faut prier.

3. Prière d'un saint.

4. La prison de Socrate et celle de Paul. — Paul est bien supérieur à Socrate. — Les parures mondaines sont des chaînes ; les chaînes de Paul sont une parure. — La plus belle parure, c'est la vertu. — Influence de l'éducation et de l'exemple.

 

1. Pourquoi l'apôtre ne fait-il point partout et dans toutes ses épîtres les recommandations qu'il fait ici? Pourquoi ne trouvons-nous ces préceptes de saint Paul que dans cette épître, dans l'épître aux Ephésiens, dans les épîtres à Timothée et à Tite ? C'est que, dans les villes d'Ephèse et de Colosses, probablement les familles étaient divisées; c'est que le mal était surtout chez elles dans ces discordes auxquelles il fallait remédier au moyen de la parole. Peut-être encore ce sont là des préceptes généraux. Cette épître offre du reste, et surtout dans ce passage, de grands points de ressemblance avec l'épître aux Ephésiens. Il n'en est pas de même des autres épîtres; soit que, dans ces autres épîtres, il s'adresse à des villes pacifiques et à des hommes qui avaient besoin d'entendre de plus hautes leçons, soit que ces hommes, ayant déjà été consolés dans leurs tentations, n'aient plus besoin de ces préceptes domestiques. Cela me fait conjecturer que, dans ces villes, l'Eglise était solidement établie, et que saint Paul a gardé ces préceptes pour la fin. « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme c'est raisonnable, en ce qui est selon Dieu ». C'est-à-dire, soyez soumises à vos maris, pour obéir à Dieu ; car cette soumission est votre parure. Il ne s'agit point en effet ici de cette soumission que l'on doit à un maître. Il ne s'agit pas seulement d'une soumission commandée par la nature, mais d'une soumission agréable à Dieu. « Maris, aimez vos femmes, et ne les traitez point avec rigueur ». Voyez comme les devoirs réciproques sont ici bien marqués. Il place de part et d'autre l'amour à côté de la crainte; car celui qui aime pourrait, malgré cela, se montrer acerbe. Voici donc ce qu'il veut dire: Qu'il ne s'élève point de contestations entre vous; car il n'y a rien de plus amer que ces contestations qui ont lieu entre mari et femme. Il n'y a rien de plus aigre que ces disputes qui surgissent entre personnes qui s'aiment. Car cette révolte du corps contre ses propres membres est la preuve d'une grande animosité.

Aimer est le devoir de l'homme; obéir est celui de la femme. Si chacun met du sien, l'union entre les deux époux est ferme et stable. La tendresse du mari fait naître dans le coeur de la femme la sympathie et l'amour; la soumission de la femme fait de l'homme un mari doux et clément. Et remarquez que la nature aussi a fait l'homme pour la tendresse, la femme pour la soumission. Quand l'être qui commande aime l'être qui obéit, tout va bien. Et le sentiment de la tendresse est plus impérieusement exigé de celui qui commande que de celui qui obéit. Car, à ce dernier, ce que l'on demande surtout, c'est la soumission. Cette beauté qui est l'apanage de la femme, ces désirs naturels à l'homme ne montrent qu'une chose; c'est que tout cela est arrangé pour inspirer à l'homme l'attachement. N'abusez donc pas, ô maris, de la soumission de vos femmes pour vous montrer insolents; et vous, femmes, ne vous montrez pas vaines de l'amour de vos maris. Que la tendresse de l'homme ne soit point pour la femme un sujet d'orgueil; que la soumission de la femme ne soit point pour l'homme un motif de vanité. Si Dieu veut que la femme vous soit soumise, ô homme, c'est pour que vous l'aimiez davantage; si Dieu veut que l'homme vous aime, ô femme, c'est pour (157) alléger votre joug. Ce joug, ne le craignez pas; être soumis à celui qui vous aime est une situation qui n'a rien de pénible. Et vous, homme, ne craignez pas d'aimer; votre femme vous est soumise. La nature vous a donné une autorité nécessaire ; joignez-y le lien de la tendresse qui fait pardonner aux faibles.

« Enfants, obéissez en tout à vos pères et à vos mères; car cela est agréable au Seigneur ». — « Cela est agréable au Seigneur », dit-il encore ici; pour insister sur cette loi de l'obéissance, pour rendre les enfants respectueux et soumis. « Car cela est agréable au Seigneur ». Voyons comment saint Paul nous recommande de suivre toujours non-seulement l'ordre de la nature, mais les préceptes de Dieu, si nous voulons être récompensés. « Pères, n'irritez point vos enfants, de peur qu'ils ne tombent dans l'abattement ». Voilà encore ici la soumission et la tendresse. L'apôtre n'a pas dit: « Aimez vos enfants »; la recommandation serait inutile ; car la nature nous y force. Mais il rectifie le sentiment de l'amour paternel, en indiquant qu'il doit être d'autant plus vit que la soumission de l'enfant est plus grande. Nulle part il n'emploie, quand il s'agit de tendresse, l'exemple des maris et des femmes comme terme de comparaison. Quoi d'étonnant? Ecoutez ces paroles du Prophète : Comme un père qui a eu pitié de ses enfants, le Seigneur a eu pitié de ceux qui le craignent. (Ps. XIII, 13.) Et Jésus-Christ dit aussi : « Quel est celui d'entre vous qui donnerait une pierre à son fils, quand son fils lui demande du pain? Quel est celui a d'entre vous qui lui donnerait un serpent, quand il lui demande du poisson ? » (Matth. VII, 9.) — « Pères, n'irritez point vos enfants, de peur qu'ils ne tombent dans l'abattement ». Il s'est exprimé de la manière la plus propre à faire impression sur eux; c'est un ordre aimable où il ne fait pas intervenir Dieu pour les émouvoir, il en appelle à leur affection: « N'irritez point vos enfants », c'est-à-dire, ne les aigrissez pas; il y a des cas où vous devez leur faire des concessions. Il passe ensuite à un troisième commandement : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair ». Il y a aussi place pour l'affection entre le serviteur et le maître. Mais ce n'est plus l'affection qui résulte des liens naturels; c'est une affection qui résulte des bons rapports entre celui qui commande et celui qui sert. Mais, comme dans une pareille situation c'est l'obéissance qui a la plus large part , c'est aussi sur l'obéissance qu'il insiste et qu'il appuie pour en faire jaillir ce sentiment que la nature fait éclore dans la famille. Aussi n'est-ce pas seulement la cause des maîtres, c'est celle des serviteurs eux-mêmes qu'il plaide auprès des serviteurs. Il veut qu'ils se rendent agréables à leurs maîtres ; mais il ne le dit pas explicitement, pour ne pas les humilier. « Obéissez », leur dit-il, « à vos maîtres selon la chair ».

2. Voyez comme il a soin de faire ressortir ces titres d'épouse, de fils, de serviteur, parce que ces titres leur marquent les devoirs qu'ils ont à remplir et leur commandent la soumission. Mais, pour ne pas humilier les esclaves. il ajoute : « A vos maîtres selon la chair ». Ce qu'il y a de meilleur en vous, leur dit-il, votre âme, est libre; votre esclavage n'aura qu'un temps. Soumettez donc votre corps à vos maîtres; vous sentirez moins votre chaîne. « Ne les servant pas seulement lorsqu'ils ont l'oeil sur vous, comme si vous ne pensiez qu'à plaire aux hommes ». Faites en sorte , dit-il, que cet esclavage qui vous est imposé parla loi, vous soit imposé parla crainte du Christ. Car si, loin des yeux du maître, vous remplissez envers lui tous vos devoirs, c'est l'oeil vigilant de Dieu qui vous y oblige. « Ne les servant pas seulement lorsqu'ils ont l'oeil sur vous, comme si vous ne pensiez qu'à plaire aux hommes » ; car cette pensée est une pensée pernicieuse. Ecoutez le Prophète : « Dieu a dispersé les os de ceux qui songent à plaire aux hommes ». (Ps. LII, 6.) Voyez comme il les ménage, tout en leur donnant des règles de conduite. « Mais avec simplicité de coeur et crainte de Dieu ». Une conduite toute contraire n'est plus simplicité de cour; ce n'est qu'hypocrisie et dissimulation ; le serviteur alors pense tout autrement qu'il n'agit; quand son maître n'est plus là, le serviteur n'est plus le même. Et saint Paul ne dit pas seulement « avec simplicité de coeur », il ajoute « et crainte de Dieu ». Car la crainte de Dieu consiste à ne rien faire de mal, lors même que personne ne nous voit. Voyez-vous la règle de conduite qu'il leur donne? « Quoi que vous fassiez », dit-il, « faites-le de bon coeur, faites-le pour Dieu et non pour les hommes ». C'est qu'il veut les (158) mettre en garde non-seulement contre l'hypocrisie, mais contre la paresse et la fainéantise. D'esclaves, il les rend libres, puisqu'ils n'ont pas besoin de la présence du maître. C'est ce que veulent d'ire ces mots « de bon coeur » ; ils signifient « avec bienveillance », non parce que l'esclavage vous y oblige, mais agissant en vertu de votre libre arbitre et de plein gré.

Et quelle sera leur récompense? « Sachez », leur dit-il, « que c'est du Seigneur que vous recevrez l'héritage du ciel pour récompense; c'est le Seigneur Jésus-Christ que vous devez servir ». C'est lui qui vous donnera votre salaire. Et voici la preuve que c'est Dieu que vous servez : « Celui qui agit injustement recevra la peine de son injustice ». Il confirme là ce qu'il a dit plus haut : Pour que ses paroles n'aient pas un faux air de flatterie, il recevra la peine de son injustice, dit-il; c'est-à-dire, il sera châtié; « car Dieu ne fait point acception de personne ». Qu'importe que vous soyez esclave ? Vous n'êtes point, pour cela, déshonoré devant Dieu. C'est aux maîtres que l'apôtre devait adresser ce langage, comme dans l'épître aux Ephésiens ; mais dans cette épître-là on dirait qu'il parle pour les maîtres qui étaient gentils. Qu'importe, en effet, que vous soyez chrétien , tandis que votre maître est païen? Ce n'est pas ici une question de personne ; c'est une question de conduite. C'est donc avec bienveillance et de bon coeur que le serviteur doit faire son service.

« Vous, maîtres, rendez à vos serviteurs ce que l'équité et la justice demandent de vous ». Or, qu'est-ce que demandent la justice et l'équité? Elles demandent que vous ne laissiez manquer de rien vos serviteurs; elles demandent que vous ne les forciez point à avoir recours aux autres et que vous les récompensiez selon leurs travaux. On a dit qu'ils recevraient leur récompense de Dieu; mais ce n'est pas une raison pour que leur maître les prive de leur salaire. Dans un autre endroit, saint Paul dit : « Ne les traitant point avec menaces ». (Eph. VI, 9.) Il voulait rendre les Ephésiens plus doux; car, sous d'autres rapports, il n'y avait rien à dire contre eux. Ces mots : « Dieu ne fait point acception de personne » , ont été dits pour les esclaves ; mais, en les leur adressant, il veut aussi que les maîtres les prennent pour eux. Quand nous disons, en effet, à une personne quelque chose qui s'appliquerait bien à une autre, c'est sur cette dernière personne principalement que tombe la réprimande. Vous êtes comme eux, dit-il aux maîtres. Vous avez, comme eux, un maître : « Sachez que vous avez aussi bien qu'eux un maître qui est dans le ciel ».

« Persévérez et veillez dans la prière, en « l'accompagnant d'actions de grâces ». Comme la persévérance dans la prière engendre parfois la lassitude, il leur recommande de veiller , c'est-à-dire , d'être attentifs à eux-mêmes et de ne pas se permettre les distractions et les divagations; car le démon sait bien quels sont les fruits de la prière: il se tient donc là toujours aux aguets, et saint Paul sait, du reste, quelle froideur et quelle nonchalance on apporte souvent dans la prière. « Persévérez dans l'oraison », comme si l'oraison était un travail. « Veillez dans la prière, en l'accompagnant d'actions de grâces ». Regardez, dit-il, comme votre tâche et votre devoir de rendre grâces à Dieu par la prière, pour ses bienfaits évidents et cachés, pour ceux qu'il vous a prodigués sur votre demande et malgré vous, pour obtenir le royaume des cieux, pour éviter la géhenne , quand il vous afflige et quand il vous soulage. C'est ainsi que prient les saints ; c'est ainsi qu'ils rendent grâces à Dieu pour les bienfaits dont il comble tous les hommes.

3. Je me rappelle la prière d'un saint. Voici cette prière : Nous vous rendons grâces, Seigneur, pour tous les bienfaits dont vous n'avez cessé de nous combler, nous vos serviteurs indignes ; nous vous rendons grâces pour ces bienfaits, pour ceux que nous connaissons et pour ceux que nous ignorons, pour vos bienfaits visibles ou invisibles, pour le bien que vous nous avez fait par votre coopération ou par votre parole, pour celui que vous nous avez fait même malgré nous, pour celui que vous nous avez fait quoique nous en fussions indignes, pour les maux dont vous nous avez affligés, pour les consolations que vous nous avez données, pour les périls dont vous nous avez frappés, pour le royaume des cieux, notre héritage. Nous vous prions de nous conserver la pureté du coeur, la paix de la conscience, et de nous donner une fin digne de votre clémence. Vous, qui nous avez aimés au point de nous sacrifier votre Fils unique, daignez nous rendre dignes de votre amour, mettez la (159) sagesse dans notre bouche; remplissez-nous de votre force et de la crainte de Dieu ; vous qui avez sacrifié pour nous votre Fils :unique; et qui avez envoyé votre Saint-Esprit pour la rémission de nos péchés, pardonnez-nous nos fautes volontaires ou involontaires, souvenez-vous de tous ceux qui invoquent votre nom avec la parole de la vérité, souvenez-vous de ceux qui nous veulent du bien ou du mal, car nous sommes tous des hommes.

Puis, après avoir adressé à Dieu la prière des fidèles, peur couronner l'œuvre, et afin de prier pour tout le monde , il s'arrêtait. Car Dieu nous a fait beaucoup de bien, même malgré nous; il nous en a fait davantage encore, à notre insu. Car, lorsqu'il fait tout le contraire de ce que nous lui demandons, c'est évidemment parce qu'il nous fait du bien à notre insu. « Priez aussi pour nous ». Quelle humilité ! il les fait passer avant lui. « Afin que Dieu nous ouvre une entrée pour aborder le mystère du Christ». Une entrée, c'est-à-dire la liberté de parler. Ah ! le courageux athlète ne leur demandait pas de prier Dieu pour qu'il fût délivré de ses liens ; mais, quand il était chargé de liens, il demandait aux autres de prier Dieu de lui accorder une faveur précieuse, la liberté de parler et de parler un sujet bien grand, à raison de la personne et de la matière, la liberté de parler « sur le mystère du Christ ». C'est là le plus cher de tous ses voeux. « Ce mystère pour lequel je suis dans les liens ».

« Et afin que je le découvre aux hommes en la a manière que je dois lé découvrir ». En toute assurance, en toute liberté et sans réticence, veut-il dire. Eh quoi ! Paul, tu es dans les liens et tu t'ériges en consolateur? — Oui sans doute; mes liens même rendent ma parole plus libre. Mais je demande à Dieu son secours. N'ai-je pas entendu dire au Christ : « Quand on vous livrera entre leurs mains, ne vous inquiétez pas de savoir comment vous leur parlerez et ce que vous leur direz ». (Matth. X, 19.) Et remarquez cette image : « Une entrée pour aborder le mystère ». Voyez ce style sans faste et l'humilité du captif. Il voudrait amollir les âmes, mais il ne le dit pas, il demande seulement la liberté de parler en toute assurance. Ce qu'il en dit est pure modestie, c'est de l'humilité. Car cette liberté, il l'avait; mais il veut la tenir de Dieu une seconde fois. Il montre dans cette épître, pourquoi le Christ n'était pas venu plus tôt, en appelant une ombre tout, ce qui l'avait précédé, ombre de la vérité dont le Christ est le corps. (Coloss. II, 17.) Les hommes devaient d'abord s'accoutumer à l'ombre. Il leur donne en même temps une preuve éclatante de sa tendresse pour eux. C'est pour vous faire écouter la parole de Jésus-Christ que je suis chargé de liens, dit-il. Le voilà encore qui parle de ses liens, et c'est ce qui me fait aimer Paul, c'est ce qui éveille en sa faveur toutes mes sympathies. Ah ! que j'aurais voulu le voir ce saint captif, lorsque dans sa prison il écrivait, il prêchait, il baptisait, il catéchisait. Quelle que fût l'affaire qui s'agitât au sein de l'Église, c'était à Paul, dans les liens, qu'on en référait; dans les liens, il possédait au plus haut degré le pouvoir d'édifier tout le monde. C'était alors qu'il était plus libre que jamais. « Afin qu'un plus grand nombre de mes frères, s'appuyant sur mes liens, osent prêcher hardi« ment et dans l'effusion de leurs coeurs la parole de Dieu ». (Philip. I, 14.) Il proclame cette même vérité en ces termes : « Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort ». (II Cor. XII, 10.) Voilà pourquoi il disait encore : « Maison n'enchaîne pas la parole de Dieu ». (II Tim. II, 9.)

Il était chargé de chaînes avec des malfaiteurs, des scélérats, des homicides, ce docteur universel. Celui qui est monté au troisième ciel, celui qui a entendu retentir à son oreille des paroles mystérieuses et ineffables était chargé de liens. Mais alors même sa course était plus rapide. Mais celui qui était chargé de liens était libre, et celui qui était libre était le prisonnier. Le premier faisait ce qu'il voulait; le second ne pouvait ni lui faire obstacle, ni accomplir ses desseins. Que fais-tu, stupide geôlier? C'est à un athlète spirituel que tuas affaire. La carrière où il dispute le prix n'est pas de ce monde. Il est au ciel, et l'athlète qui court dans la lice du ciel ne peut être ni enchaîné ni retenu par les liens terrestres. Ne vois-tu pas ce soleil ? Tâche d'enchaîner ses rayons et de l'arrêter dans sa course; tes efforts seront inutiles. Comment donc pourrais-tu arrêter Paul? C'est un ministre de la providence divine bien plus grand que le soleil; car il apporte cette vraie lumière qui n'a rien de matériel. Où sont-ils ceux qui ne veulent rien souffrir pour le Christ? Que dis-je, souffrir ! Ils ne veulent même pas sacrifier (160) pour lui une obole. Paul aussi autrefois enchaînait les fidèles et les jetait en prison. Mais, depuis qu'il est serviteur du Christ, il ne se glorifie pas de ses actes, il se glorifie de ses souffrances. Et voilà ce que cette prédication a de merveilleux : c'est à la souffrance, ce n'est pas au péché qu'elle doit ses triomphes et ses progrès. A-t-on jamais vu de semblables luttes? Dans cette lutte céleste, c'est la victime qui triomphe ; c'est le bourreau qui est le vaincu. C'est la victime qui est illustre, et c'est du cachot que la prédication s'élance pour soumettre le monde. Non, je ne rougis pas, dit Paul, je me glorifie au contraire de prêcher la parole du crucifié. Conclusion : L'univers entier abandonne ceux qui sont libres pour s'attacher aux captifs; il se détourne des bourreaux pour honorer ceux qui sont chargés de chaînes; il adore le crucifié et n'a, pour ceux qui l'ont mis en croix, que des sentiments de haine.

4. Ce qu'il y a d'admirable, c'est que le don de la prédication est accordé à des pécheurs, à des hommes simples, c'est en outre que tous les obstacles naturels, au lieu d'être des obstacles pour ces hommes, ne font que doubler leurs forces. Oui, loin d'être pour eux un écueil, leur simplicité ne fait que rendre plus éclatante la vérité de la parole qu'ils prêchent. Ecoutez-le dire : « Et l'on s'étonnait de trouver en eux des hommes simples et sans instruction ». (Act. IV, 13.) Leurs chaînes, loin de les gêner, leur donnaient plus d'assurance. Les disciples étaient encore plus audacieux quand Paul était captif que lorsqu'il était libre. « Afin », dit-il, « qu'ils aient plus de courage pour prêcher la parole de Dieu ». Où sont-ils ceux qui prétendent que ce n'est pas là une prédication divine? La simplicité et l'ignorance des apôtres ne suffisaient-elles pas pour. donner un démenti à cette assertion ? Ces hommes simples d'ailleurs n'auraient-ils pas dû être intimidés ? Car vous savez qu'il y a deux choses qui retiennent le commun des hommes : la fausse gloire et la crainte. Or, si leur simplicité et leur ignorance les préservaient de la honte, ils auraient dû au moins trembler devant le péril qui les menaçait. Mais, dira-t-on, ils faisaient des miracles. Vous croyez donc aux miracles des apôtres. Si vous me dites au contraire qu'ils n'en faisaient pas, je vous répondrai que, de la part de ces hommes, le plus grand de tous les miracles, c'était de ramener les âmes, sans recourir aux miracles.

Socrate aussi, chez les Grecs, fut chargé de chaîne. Eh bien ! les disciples ne s'enfuirent-ils pas aussitôt à Mégare ? Sans doute; car ils ne crurent. pas à ce qu'il leur disait de l'immortalité de l'âme. Mais voyez ce qui se passe ici. Dès que Paul est jeté en prison, les disciples redoublent de courage et ils ont raison; car ils voient que ses liens ne sont pas pour la prédication des entraves. Pouvez-vous enchaîner la langue en effet? La persécution ne fait que la rendre plus libre. Pour arrêter un coureur, il faut lui lier les pieds; pour arrêter l'évangéliste, il faudrait lui lier la langue. Entourez de chaînes les reins du coureur, il n'en est que plus ardent à la course; enchaînez l'évangéliste, ses liens lui donnent encore plus d'assurance et de courage pour prêcher la parole de Dieu. Le captif a peur, quand il n'est qu'un captif; mais le captif qui est en même temps un homme de coeur et qui méprise la mort, comment ferez-vous pour l'enchaîner? Les persécuteurs de Paul n'enchaînaient, pour ainsi dire, que le fantôme de Paul; c'était comme s'ils voulaient fermer la bouche à une ombre. Car c'était contre une ombre qu'ils combattaient. Paul, dans les fers, n'en était que plus regrettable pour ses amis, n'en était que plus respectable pour ses ennemis. Ses liens étaient pour lui le prix qui attestait sa grandeur d'âme et son courage. La couronne, loin d'amener la rougeur sur le front couronné, est pour ce front un ornement et un titre de gloire. Eh bien ! les persécuteurs de Paul lui tressaient une couronne avec ses chaînes. Car, dites-moi, pouvait-il redouter les fers, l'homme qui osait briser les portes de la mort, ces portes d'airain ?

Parlons, mes amis, parlons de ces chaînes que nous devons ambitionner, dont nous devons être jaloux. O femmes qui vous couvrez de colliers d'or, soyez jalouses des chaînes de Paul. La splendeur que votre collier jette autour de votre cou, les chaînes de Paul la répandait sur son âme. Mais si vous ambitionnez ces ornements, détestez les ornements mondains. Qu'y a-t-il de commun entre la lâcheté et le courage, entre l'éclat matériel et la sa. gesse? les liens de Paul, les anges les respectent; ces colliers sont un objet de risée pour le ciel. Les chaînes de Paul nous élèvent de la terre au ciel; les ornements mondains nous (161) font descendre du ciel sur la terre. Oui, ce sont ces ornements qui méritent le nom de chaînes; les chaînes de Paul, au contraire, sont des ornements véritables. Ces colliers courbent l'âme et le corps à la terre, tandis que les chaînes de Paul sont une parure pour l'âme et pour le corps à la fois. En voulez-vous la preuve? Dites-moi: de vous ou de Paul, quel est celui qui attirera le plus de regards? Mais que dis-je ? L'impératrice elle-même, toute resplendissante d'or, ne serait pas un spectacle plus attrayant que Paul. Que Paul, chargé de fers et que l'impératrice entrent en même temps dans une église, tous les yeux se détourneront de l'impératrice, pour se fixer sur Paul, et ce sera justice. N'est-il pas plus curieux en effet de voir un homme supérieur à la nature humaine, un homme qui n'a rien d'humain et qui est un ange sur la terre, que de voir une femme parée? Une femme parée ! Mais cela se voit partout, au spectacle, aux bains, à la procession. Un homme chargé de chaînes, au contraire, qui, en même temps, loin de se courber sous le poids de ses fers, y trouve son plus bel ornement, voilà un spectacle qui n'a rien de terrestre et qui est digne du ciel ! L'âme de cette créature entourée d'ornements terrestres fait attention à ceux qui la regardent ou qui ne la regardent pas : elle est pleine d'orgueil, elle est en proie aux inquiétudes et aux soucis, elle a pour liens des passions sans nombre. Mais, grâce à ses chaînes, Paul se trouve exempt d'orgueil et rempli d'allégresse; libre de toute inquiétude, il lève vers le ciel des regards joyeux. Si l'on me donnait le choix, qu'est-ce que je préférerais, de Paul apparaissant et parlant du haut des cieux, ou de Paul apparaissant et parlant dans sa prison? J'aimerais mieux voir Paul m'apparaître du fond de sa prison; car c'est dans sa prison que les anges viennent le visiter. Les chaînes de Paul suspendent ses auditeurs à ses lèvres et servent en même temps de base à sa prédication. Tâchons donc d'en obtenir de semblables.

5. Pour cela, que faut-il faire ? Il faut briser et broyer ces colliers, ces ornements mondains. Ce sont des liens inutiles et même pernicieux, qui seront là-haut les marques de notre servitude. Ce sont les chaînes de Paul qui nous délivreront des chaînes du monde. La femme qui est chargée de ces chaînes mondaines, sera un jour condamnée à une prison éternelle et jetée dans un cachot, pieds et poings liés. Celle qui aura été chargée des liens de Paul, les portera autour d'elle comme une parure. Délivrez donc votre corps de ses liens, et le pauvre de la faim. Pourquoi river les fers dont le péché vous entoure? Comment donc, direz-vous, puis-je river ces fers? Eh ! quoi ! Porter de l'or, quand votre semblable meurt de faim, vous charger d'or pour satisfaire votre vanité, quand votre semblable n'a pas de quoi manger, n'est-ce pas river les chaînes dont vous charge le péché? Revêtez-vous du Christ et non de cet or; le Christ n'est pas où est le mammon d'iniquité, le mammon d'iniquité ne peut être où est le Christ. Ne voulez-vous donc pas vous revêtir du Roi de l'univers? Si l'on vous donnait la pourpre et le diadème, n'aimeriez-vous pas mieux un tel présent que de l'or? Et moi, ce ne sont pas les insignes de la royauté, c'est le roi en personne que je vous donne pour ornement. Comment donc, dites-vous, peut-on se revêtir du Christ? Ecoutez cette parole de Paul : « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ ». (Gal. III, 27.) Ecoutez ce conseil de l'apôtre : « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant à ses désirs». (Rom. XIII, 14.) On peut donc se revêtir du Christ, en ne cherchant point à contenter sa sensualité. Et quand on sera revêtu du Christ, on fera reculer le démon. Mais si l'on se revêt d'or, on deviendra un objet de risée même pour les hommes auxquels on imposerait le respect, en se revêtant du Christ.

Voulez-vous paraître belle et séduisante ? Contentez-vous de la parure naturelle que vous a donnée le Créateur. A quoi bon cet or et ces ornements qui affichent la prétention de corriger ce que Dieu a fait? Voulez-vous paraître belle? Revêtez-vous de charité, de bonté, de modestie, de pudeur, et dépouillez le faste. Les ornements que je vous indique sont plus précieux que l'or; ils ajoutent à la beauté et changent en beauté la laideur même. Quand on voit la beauté jointe à la bonté, on est prévenu en sa faveur; mais une méchante femme perd toute sa beauté; car sa méchanceté choque les yeux de l'âme qui ne la voient plus telle qu'elle est physiquement. L'égyptienne, femme de Putiphar, était parée, ainsi que Joseph; lequel des deux était le plus beau? Et (162) notez bien que je ne parle pas ici de cette femme assise dans son palais , quand Joseph était plongé dans un cachot. Joseph, lors même qu'il était nu, avait pour vêtements sa continence et sa pudeur; mais elle, avec toute sa parure, était encore plus laide que si elle s'était montrée toute nue; car c'était une femme sans pudeur. Oui, avec tous vos vêtements dispendieux, ô femme, vous voilà plus laide que si vous étiez nue; car vous avez dépouillé la pudeur.

Eve aussi était nue, et, quand elle se revêtit d'ornements, elle devint laide. Tant qu'elle resta nue, elle eut pour ornement la gloire de Dieu ; mais une fois revêtue de la livrée du péché, elle devint laide. Et vous aussi, vos ornements mondains vous enlaidissent. Votre luxe ruineux et excessif ne suffit pas pour mettre en relief votre beauté, et une femme parée peut sembler moins belle que si elle n'avait pas d'ornements; je vais vous le prouver. Vous êtes-vous avisée parfois de vous habiller en joueuse de flûte, et n'était-ce pas là un costume déshonnête et indécent? Pourtant c'était de l'orque vous portiez; mais c'était justement tout cet or qui faisait votre honte. Tout ce luxe dispendieux, en effet, convient aux histrions, aux danseurs, aux acteurs tragiques, aux baladins, aux bestiaires; mais une vraie chrétienne a une autre parure qu'elle a reçue de Dieu : cette parure, c'est le Fils unique de Dieu lui-même. « Vous tous, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus du Christ ». (Gal. III, 27.) Dites-moi, je vous prie, si l'on vous donnait des vêtements royaux, et si vous échangiez cette parure contre la livrée abjecte d'un mercenaire, ne trouveriez-vous pas déjà votre châtiment dans votre bassesse? Quoi ! vous voilà revêtue du Maître souverain des anges et du ciel, et vous restez attachée à la terre ! J'ai pour but ici de démontrer que cet amour excessif de la parure, est à lui seul, un grand mal, quand même il n'entraînerait avec lui aucune suite fâcheuse, quand même il serait innocent; car, à lui seul, il nous dispose à la vanité et au faste.

Mais ce soin exagéré de notre parure produit en abondance les plus mauvais fruits : il engendre les soupçons, les dépenses inutiles, les médisances, la cupidité. Pourquoi ces ornements, je vous le demande? Est-ce pour plaire à votre mari ? Parez-vous donc, quand vous restez chez vous. Mais c'est le contraire que vous faites. Si c'est à votre mari que vous voulez plaire, ne cherchez donc pas à plaire aux autres ; car en voulant plaire aux autres, vous ne pouvez plaire à votre mari. Vous devriez donc quitter votre parure, quand vous allez au marché, quand :vous allez à l'église. En d'autres termes, pour plaire à votre mari, vous- devriez recourir aux séductions des honnêtes femmes et non pas à celles des courtisanes. Car, je vous le demande, qu'est-ce qui distingue la courtisane de la femme légitime? C'est que la première a pour unique affaire de charmer ses amants par sa beauté, tandis que la seconde dirige sa maison et partage avec son mari la vie commune et les soins de la famille. Peut-être -avez-vous une fille? Eh bien ! servez-lui de sauvegarde ; les moeurs dépendent de l'éducation, et les filles imitent leur mère. Donnez à votre fille l'exemple de la modestie et de la pudeur; que ce soit là votre parure ; méprisez tout autre ornement. Mais j'en ai dit assez. Que ce Dieu qui a fait le monde, chef-d'oeuvre de beauté; que ce Dieu qui nous a donné la parure de l'âme, nous serve aussi de parure et d'ornement ; qu'il nous donne pour vêtement sa propre gloire, afin que tout resplendissants de l'éclat de nos bonnes oeuvres et vivant pour la gloire de Dieu, nous rendions gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit.

 

 

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