COLOSSIENS V

HOMELIE V. LE MYSTÈRE QUI AVAIT ÉTÉ CACHÉ A TOUS LES SIÈCLES ET A TOUS LES ACES, A ÉTÉ DÉCOUVERT MAINTENANT A SES SAINTS. — AUXQUELS DIEU A VOULU FAIRE CONNAITRE QUELLES SONT, DANS LES GENTILS, LES RICHESSES DE LA GLOIRE DE CE MYSTÈRE QUI N'EST AUTRE CHOSE QUE JÉSUS-CHRIST REÇU DE VOUS ET DEVENU L'ESPÉRANCE DE VOTRE GLOIRE. — C'EST LUI QUE NOUS ANNONÇONS, REPRENANT TOUT HOMME ET INSTRUISANT TOUT HOMME EN TOUTE SAGESSE, POUR RENDRE TOUT HOMME PARFAIT EN JÉSUS-CHRIST. (CHAP. I, 26-28 JUSQU'AU VERSET 6 DU CHAP. II.)

 

127

 

Analyse.

 

1. Degrés innombrables que les gentils ont dit franchir pour arriver à la connaissance du Christ.

2. Trésors de la science du Christ; ce que saint Paul demande à ses auditeurs, c'est une foi pleine et entière jointe à l'intelligence et à la charité.

3. Quand il s'agit de croire aux mystères, la raison nous égare et la foi nous soutient.

4. Contre ceux qui ne croient pas à la résurrection. Les mystères de la nouvelle loi ont dans l'ancienne loi et dans la nature des précédents qui nous préparent à y croire.

 

1. Après avoir dit les bienfaits que nous avons obtenus, comme autant de preuves de la bonté et de la grandeur de Dieu, il entre dans un autre développement et s'applique à faire voir que personne, avant nous, n'a connu Dieu. C'est ce qu'il fait dans l'épître aux Ephésiens, lorsqu'il dit : Ni les anges, ni les principautés, ni aucune autre vertu créée ne l'a connu; il n'a été connu que du Fils de Dieu. (Ephés. III, 5.) C'est pourquoi il ne dit pas: Mystère inconnu, mais : Mystère caché. Quoiqu'il ait été découvert maintenant, ce mystère est ancien. Dieu voulait que les choses fussent ainsi dès le commencement; pourquoi cela? Saint Paul ne le dit pas encore. — « A tous les siècles », dit-il, « dès le commencement ». Et c'est avec raison qu'il donne le nom de mystère à ce que Dieu seul connaissait. Et ce mystère, où était-il caché? En Jésus-Christ; c'est ce que dit saint Paul dans son épître aux Ephésiens. (Ephés. III, 9.) C'est ce que dit le Prophète : « Vous existez depuis le commencement des siècles jusqu'à la fin des siècles». (Ps. LXXXIX, 2.) — « Ce mystère a été découvert maintenant à ses saints ». Ce bienfait est donc tout entier une grâce de la Providence. «Il a été manifesté maintenant». Il ne dit pas: S'est opéré; mais: « A été manifesté à ses saints ». Il reste donc encore caché, puisqu'il n'a été découvert qu'à ses saints. Ne vous laissez donc pas tromper sur les motifs de Dieu qui sont inconnus. « Le mystère a été découvert à ceux à qui il a voulu le découvrir ». Voyez comme il sait toujours mettre un frein à leur curiosité. « A ceux à qui Dieu a voulu faire connaître, etc. » Dieu a eu ses raisons pour agir ainsi. Et, en parlant comme il parle, l'apôtre a voulu que les hommes reconnaissent l'empire de la grâce, au lieu de se glorifier de leurs vertus.

Que signifie cette expression: « Les richesses de la gloire de ce mystère chez les gentils? » C'est une expression pleine de beauté et d'énergie. C'est un sentiment sublime; ce sont de grandes images qui renchérissent les unes sur les autres. C'est employer, en effet, une grande image que de dire sans rien préciser : « Les richesses de la gloire de ce mystère chez les gentils ». Car c'est chez les gentils surtout qu'éclate la grandeur de ce mystère, et c'est ce que saint Paul dit ailleurs : « Quant aux gentils, ils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde ». (Rom. XV, 9.) Oui, la gloire de ce mystère éclate chez les autres ; mais elle éclate surtout chez les gentils. Que des hommes, plus insensibles que des pierres, aient été tout à coup élevés au rang des anges par de simples paroles, par la seule opération de la foi, voilà où est la gloire, où est la splendeur du mystère ! C'est comme si, d'un chien famélique et galeux, hideux et difforme, gisant sur le sol sans pouvoir faire un seul mouvement, on faisait tout à coup un homme, pour faire asseoir cet homme sur un siège royal. Voyez, en effet : ils adoraient les pierres et la terre; ils ont appris que l'homme vaut mieux que le ciel et le soleil, et que le monde entier doit être son esclave. Ils étaient captifs, dans (128) les chaînes du démon; tout à coup ils lui ont mis le pied sur la tête, ils lui ont commandé et l'ont flagellé. Ces captifs, ces esclaves des démons, sont devenus des natures divines, des natures d'anges et d'archanges. Ces êtres , qui ne savaient même pas ce que c'est que Dieu, sont allés s'asseoir sur le trône de Dieu.

Voulez-vous voir quels degrés innombrables ils ont franchis ? Ils ont dû apprendre d'abord que les pierres ne sont pas des dieux ; que la pierre, loin d'être dieu, est même au-dessous de l'homme, qu'elle est même au-dessous de la brute, qu'elle est même inférieure à la plante; que c'était sur le dernier degré de l'échelle des êtres qu'ils avaient choisi leurs dieux; que non-seulement ni la pierre, ni la terre, ni l'animal, ni la plante, ni l'homme, ni le ciel, mais, pour monter plus haut, que ni la pierre, ni l'animal, ni la plante, ni les éléments, ni la matière qui est au-dessus de nous, ni celle qui est au dessous, ni l'homme, ni les démons, ni les anges, ni les archanges, ni aucune de ces puissances célestes ne doivent être pour le genre humain les objets d'un culte. Ils ont dû fouiller, pour ainsi dire, dans les abîmes de la science, pour apprendre que c'est le Maître de l'univers qui est Dieu, qu'il a seul droit à nos hommages, qu'il est beau de savoir bien régler sa vie, que la mort actuelle n'est pas la mort, que la vie d'ici-bas n'est pas la vie, que notre corps ressuscite, qu'il devient incorruptible, qu'il monte au ciel, qu'il parvient à l'immortalité, qu'il est à côté des anges auprès desquels il se trouve transporté. Cet être placé ici-bas, Dieu lui a fait monter et franchir tous les degrés pour le placer sur le trône : cet être qui était au-dessous de la pierre, Dieu l'a mis au-dessus des anges, des archanges, des trônes et des dominations. Oui, il a eu raison de dire : « Les richesses de la gloire de ce mystère ».

En comparaison de cette science, la Science des anciens philosophes n'était que folie: tout ce que les philosophes pourraient dire ici serait inutile. Car le style de Paul a ici une grandeur infinie : « Quelles sont », dit-il, chez les gentils, « les richesses de la gloire de ce mystère », qui est le « Christ résidant en vous? » Les gentils devaient apprendre en outre que celui qui est au-dessus de tout, qui commande aux anges et qui étend son empire sur toutes les puissances , s'est abaissé jusqu'à devenir un homme, a enduré d'innombrables souffrances, est ressuscité et monté au ciel.

2. Voilà tout ce que renfermait ce mystère. Et, pour en faire l'éloge, il ajoute : « Qui est le Christ résidant en vous ». Mais s'il est en vous, à quoi bon aller chercher les anges, pour vous l'enseigner ? « De ce mystère ». Il y a d'autres mystères encore. Mais ce mystère-là est bien le mystère inconnu , le mystère admirable qui surpasse toute attente, le mystère qui était caché au monde. « Qui est », dit-il, « le Christ résidant en vous, l'espérance de votre gloire », le Christ que nous vous annonçons, en faisant descendre sa doctrine du ciel : c'est nous qui vous l'annonçons; ce ne sont pas les anges. « C'est lui que nous prêchons, reprenant tous les hommes ». Nous ne vous commandons rien ; nous ne vous imposons pas la religion du Christ; car c'est encore ici un effet de la bonté de Dieu, de ne pas tyranniser les âmes. Pour atténuer ce que ce mot « nous prêchons » peut avoir d'ambitieux, il ajoute : « Reprenant » tous les hommes. C'est la réprimande d'un père plutôt que celle d'un maître. « Que nous annonçons », dit-il , « reprenant tous les hommes et les instruisant dans toute la sagesse », ce qui veut dire, les instruisant dans toute espèce de sagesse ou leur parlant toujours avec sagesse. Il faut donc ici une sagesse accomplie; car il m'est pas donné à tout le monde d'apprendre de tels mystères. « Afin que nous « rendions tout homme parfait en Jésus-Christ ». Que dites-vous, Paul? vous voulez rendre tous les hommes parfaits? Oui, c'est là le désir le plus cher de l'apôtre. Quand même il ne réussirait pas, saint Paul veut guider tous les hommes vers la perfection. Oui, vers la perfection; mais l'oeuvre de Paul est encore imparfaite et elle le sera, tant que tous les hommes ne seront pas complètement sages. «Tout homme parfait en Jésus-Christ »; non dans la connaissance de la loi, non dans la connaissance des anges; car ce n'est pas là la perfection; mais « en Jésus-Christ », c'est-à-dire dans la connaissance du Christ. Bien connaître les actions du Christ, c'est être plus sage que les anges. « En Jésus-Christ ».

« C'est aussi la fin que je me propose dans mes travaux et dans mes luttes ». Je ne poursuis pas mon oeuvre, dit-il, avec mollesse et tant bien que mal; je travaille, je lutte avec zèle, c'est-à-dire sans épargner mes veilles. (129) Si je veille tant à vos intérêts, vous devez à plus forte raison me seconder. Puis il montre que Dieu est pour beaucoup dans ces travaux. « Avec l'aide de sa vertu qui agit puissamment en moi ». Il prouve que c'est là l'ouvrage de Dieu. S'il me rend fort et robuste pour accomplir cette oeuvre, c'est qu'il veut que je l'accomplisse. Et voilà pourquoi il dit au commencement de ce chapitre : « Paul, par la volonté de Dieu ». Ce n'est pas là seulement le langage de la modestie; c'est celui de la vérité. « Dans mes luttes », cela signifie qu'il a beaucoup d'adversaires.

Puis, du ton le plus bienveillant, il dit à ses auditeurs : « Je veux que vous sachiez quelle est ma sollicitude pour vous et pour ceux qui sont à Laodicée ». (Chap. II, 1.) Et, pour que cet intérêt ne ressemble point à un témoignage de leur faiblesse, il l'étend aussi à d'autres, sans les reprendre encore. « Et pour « tous ceux qui ne me connaissent pas encore « de vue ». Langage admirable dont le sens est qu'il les voit toujours en esprit ! Il leur témoigne beaucoup d'affection, et c'est pourquoi il ajoute: « Afin que leurs coeurs soient consolés, en se trouvant unis par la charité, et qu'ils soient remplis de toutes les richesses de l'intelligence, pour connaître le mystère de Dieu le Père, et de Jésus-Christ, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés ».

Il s'efforce ici d'aborder le dogme, sans les accuser, ni sans les disculper tout à fait. Je lutte, dit-il, et pourquoi? Pour qu'ils forment une masse bien compacte, c'est-à-dire pour qu'ils soient fermes et stables dans la foi. Mais il n'expose pas ainsi sa pensée; il retranche de son discours toute parole accusatrice. Il veut qu'ils soient unis par la charité et non par la nécessité, ni par la violence. Car, je le répète, c'est toujours sans aigreur qu'il les exhorte; et voilà pourquoi il dit : Je suis dans l'angoisse, parce que je voudrais les mener avec le lien de l'affection, sans les contraindre. Je ne veux pas qu'ils soient unis seulement de bouche, ni qu'ils s'unissent inconsidérément et sans réflexion ; je veux que leurs coeurs soient consolés , « étant unis par la charité , pour être remplis de toutes les richesses d'une parfaite intelligence » , c'est-à-dire pour qu'ils ne soient plus en proie au doute, pour que leur foi soit pleine et entière. Car c'est de la plénitude de la foi qu'il s'agit ici. Le raisonnement peut bien produire aussi la conviction; mais cette foi-là n'a aucune valeur. Je sais que vous croyez; mais je veux que vous soyez pleinement convaincus, de manière à posséder non-seulement la richesse, mais « toutes les richesses », de manière à posséder la foi pleine et entière. Voyez l'habileté du saint apôtre. Il ne dit pas : Vous avez tort de ne pas avoir la foi, dans toute sa plénitude ; il ne les a pas accusés. Il dit : Vous ne savez pas comme je voudrais vous voir remplis d'une foi intelligente. Car, puisqu'il a parlé de la foi, n'allez pas croire, ajoute-t-il , que je parle d'une foi aveugle et inutile. La foi que je vous demande, c'est la foi jointe à l'intelligence et à la charité.

« Pour connaître le mystère de Dieu le Père et de Jésus-Christ». C'est le mystère de Dieu, d'y être amené par Jésus-Christ. « Et de Jésus-Christ, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés ». S'il renferme en lui seul tous ces trésors cachés, il est arrivé à point, en arrivant aujourd'hui sur la terre. Que signifient donc les reproches de quelques insensés? Voyez comme il parle à ces hommes simples : « En qui sont renfermés tous les trésors » : c'est-à-dire qui connaît tout. — « Cachés ». N'allez pas croire, en effet, que vous les possédez tous. Ce n'est point à vos yeux seulement, c'est encore aux yeux des anges qu'ils sont cachés. C'est donc au Christ qu'il faut tout demander; c'est lui qui donne la sagesse et la science. Par le mot, « les trésors de la science », il fait allusion à leur richesse; parle mot « tous », à l'omniscience du Christ; par le. mot « cachés », à son privilège. « Or je dis ceci , afin que personne ne vous trompe par des paralogismes exposés d'une manière persuasive (4) ».

3. Ce que je vous ai dit, poursuit-il, a pour but de vous empêcher d'interroger les hommes sur de pareils sujets. « Afin que personne ne  vous trompe avec des paralogismes présentés d'une manière persuasive ». Quelle n'est pas, en effet, la puissance du sophiste, si sa parole est persuasive? « Car, si je suis absent de corps, je suis néanmoins avec vous en esprit (5) ». La suite des idées amenait ces paroles : Si je suis absent de corps , je connais cependant ceux qui voudraient vous tromper. Le verset finit par un éloge. « Voyant avec joie l'ordre qui règne parmi vous et la solidité de votre foi en Jésus-Christ». L'ordre dont il parle, (130) est un ordre bien établi. « Et la solidité de votre foi en Jésus-Christ ». Ici l'éloge est encore plus flatteur. Il n'a pas dit, votre foi ; mais: « La solidité de votre foi », comme s'il parlait à des soldats bien alignés et fermes à leur poste. Ce qui est ferme et solide est à l'épreuve de la fraude et de la tentation. Nonseulement, dit-il,vous n'êtes pas tombés, mais nul ennemi n'a pu jeter le désordre dans vos rangs. Il s'offre à leurs regards, comme un chef présent parmi eux; c'est le moyen de faire respecter la discipline. C'est quand les soldats restent fermes à leur poste que les rangs restent bien serrés. Ce qui fait la solidité d'un tout, c'est le rapprochement et l'union intime de toutes les parties de ce tout, et c'est ce qui a lieu dans une bonne muraille. Voilà l'oeuvre de la charité. Les membres qu'elle unit étroitement forment un corps des plus solides. La foi produit le même effet, en ne permettant pas au sophisme de se glisser entre eux. Le sophisme est un élément de division et de ruine; là foi est un gage dé solidité et d'union. Puisque les bienfaits de Dieu dépassent la raison humaine , Dieu a fait sagement de nous donner la foi. Comment rester ferme , lorsqu'on demande des comptes à Dieu ?

Chez nous, ce sont les vérités les plus sublimes qui se passent du raisonnement et qui s'appuient sur la foi. Dieu est partout et nulle part. Quoi dé plus contraire à la raison? Chaque mot de cet axiome cache un écueil. L'espace, en effet, ne renferme pas Dieu; aucun lieu n'est capable de le contenir. Il est incréé, il ne s'est pas fait lui-même; il n'a pas eu de commencement. La raison acceptera-t-elle ces vérités, si la foi est absente ? Les propositions ne semblent-elles pas ridicules et plus insolubles que des énigmes? Il n'a pas eu de commencement, il est incréé, immense et infini, voilà ce qui nous jette dans le doute et la perplexité. Il est incorporel; c'est là que notre raison se perd. Dieu est incorporel : comment cela? voilà un mot vide, un mot que l'esprit ne peut concevoir et qui ne lui représente rien. Car s'il représentait quelque chose, il représenterait notre nature et ce qui constitue le corps. Un pareil mot, la bouche le prononce; mais l'esprit ne comprend pas ce que dit la bouche. Il ne sait qu'une chose, c'est que ce mot désigne un être qui n'a pas de corps. Mais pourquoi parler de Dieu ? Que signifie ce mot incorporel appliqué à l'âme qui est créée, renfermée dans notre corps et limitée ? Répondez; montrez-moi le sens de ce mot. Mais vous ne le pouvez pas. Est-ce de l'air, que cette âme ? Mais l'air est un corps, bien qu'il ne soit pas solide; et mille faits nous prouvent que c'est un corps élastique. Est-ce un feu ?mais le feu est un corps, et l'activité de l'âme est incorporelle. Pourquoi? c'est qu'elle pénètre partout. Donc si l'âme n'est pas un corps, quelque chose d'incorporel se trouve donc compris dans un lieu, et par conséquent est circonscrit; or, ce qui est circonscrit forme une figure, et lés figures sont tracées avec des lignes, et les lignes appartiennent à des corps. Mais ce qui n'offre pas de figure, comment peut-on le concevoir ? Il n'y a là ni figure, ni forme, ni lieu. Voyez-vous quelle obscurité?

Autres réflexions. Le grand Etre n'a pas la capacité du mal; mais il est «volontairement» bon ; donc il serait aussi capable du mal. Mais voilà ce qu'on ne peut dire, et loin de nous un pareil langage ! Est-ce volontairement ou malgré lui qu'il a été amené à posséder l'existence? Voilà encore une question qu'on ne doit pas faire. Autre problème. Renferme-t-il la terre dans sa circonscription, ou ne la renferme-t-il pas? S'il ne la renferme pas, c'est que c'est elle qui le renferme. S'il la renferme, c'est qu'il est infini dans sa nature. Et maintenant se borne-t-il lui-même? S'il. se borne lui-même, il n'est pas sans commencement par rapport à lui, bien qu'il le soit par rapport à nous; on ne peut donc pas dire que par sa nature même, il n'a pas de commencement.

Partout des contradictions qui prouvent que nous sommes environnés de ténèbres, et que nous avons toujours besoin de la foi. Mais abordons, s'il vous plaît, de moins hautes questions. Cet Etre suprême est capable d'action. Or cette action, quelle est-elle? Est-ce un mouvement quelconque? Il n'est donc pas immuable; car ce qui se meut n'est pas immuable, puisque l'immobilité se change en mouvement. Mais cette essence se meut et ne reste jamais en place. Quel est son mouvement, dites-moi? Chez nous il y a sept manières de se mouvoir; on peut se mouvoir de bas en haut, de haut en bas, de dehors en dedans, de dedans en dehors, à gauche, à droite, circulairement; sous un autre point de vue, il y a le mouvement qui augmente, celui qui diminue, celui qui commence, celui qui finit, celui (131) qui change. L'essence suprême ne se meut-elle d'aucune de ces manières et se meut-elle comme l'âme? Mais loin de nous cette pensée ! car l'âme se livre à une foule de mouvements déréglés.

Vouloir, est-ce agir? S'il en est ainsi, Dieu veut que tous les hommes soient bons et qu'ils soient sauvés. Comment donc cela n'a-t-il pas lieu? Vouloir, n'est-ce pas agir? Alors, pour agir, il ne suffit pas de vouloir. Et comment donc l'Ecriture dit-elle: « Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait?» (Ps. CXII, 11.) Et pourquoi le lépreux dit-il au Christ : « Si vous voulez, vous pouvez me purifier? » (Matth. VIII, 3.) Voulez-vous que je passe à d'autres questions ? Comment le monde a-t-il été tiré du néant? Comment y retombe-t-il? Qu'y a-t-il au-dessus du ciel? et au-dessus de la région supérieure au ciel? et au-dessus de l'espace supérieur à cet autre espace, et ainsi de suite, jusqu'à l'infini? Qu'y a-t-il au-dessous de la terre ? la mer. Et au-dessous de la mer ? et toujours ainsi ... Mais à droite et à gauche, ne sommes-nous point assiégés par le doute ?

4. Mais les yeux n'ont rien à faire là. Voulez-vous descendre un peu et aborder des sujets qui sont du ressort de la vue et de l'histoire? Comment se fait-il, dites-moi, que Jonas ait vécu dans le ventre de la baleine ? La baleine n'est-elle pas un monstre privé de raison qui fait des bonds insensés? Comment donc a-t-elle épargné ce juste? Comment ce juste n'a-t-il pas étouffé, comment son corps ne s'est-il pas putréfié dans sa prison ? Si la mer est déjà dangereuse, ce séjour dans les entrailles d'un monstre, au milieu d'une atmosphère suffocante, était bien plus dangereux encore. Comment Jonas pouvait-il respirer? Comment y avait-il là assez d'air pour faire vivre deux créatures? Comment se fait-il qu'il soit sorti du ventre de la baleine, sain et sauf? Comment pouvait-il parler, conserver son sang-froid et prier? Tout cela n'est-il pas incroyable? C'est incroyable, si nous consultons la raison; c'est très-croyable, si nous consultons la foi. Mais voici quelque chose de plus fort. Le blé dans le sein de la terre se gâte et repousse. Il y a là deux phénomènes merveilleux qui se combattent et qui triomphent l'un de l'autre. Ce blé préservé de la putréfaction, merveille ! ce blé qui se pourrit et qui repousse, merveille encore !...

Où sont ces hommes qui ne croient pas à la résurrection et qui disent : Comment tous ces ossements peuvent - ils se réunir ? et qui tiennent d'autres discours semblables? Répondez : Comment se fait-il qu'Elie soit monté au ciel sur un char de feu? (IV Rois, II, 11.) Le feu brûle, mais ne sert pas de véhicule. Quel est le secret de sa longue existence? Dans quel lieu est-il ? Pourquoi ce miracle a-t-il eu lieu ?

Où Enoch a-t-il été transporté? Se nourrit-il des mêmes aliments que nous? Qui le retient loin de la terre? Pourquoi cette translation? Voyez là des leçons que Dieu nous donne l'une après l'autre. Il a ravi Enoch à la terre; ce n'est pas là un grand miracle, mais c'est une leçon qui nous prépare à voir Elie enlevé au ciel. Il a enfermé Noé dans l'arche; ce n'est pas non plus un bien grand miracle , mais c'est une leçon qui nous prépare à croire que Jonas a été enfermé dans le ventre d'une baleine. C'est ainsi que les faits de l'Ancien Testament ont eu besoin aussi de précédents et de symboles. Le premier degré d'une échelle conduit au second, et l'on ne peut arriver du premier au quatrième échelon sans mettre le pied sur les échelons intermédiaires. Il en est de même dans l'échelle des événements. Il y a des symboles qui annoncent d'autres symboles, témoin l'échelle vue par Jacob. Dieu se tenait sur le dernier échelon, et au-dessous de lui étaient les anges qui montaient ou descendaient.

On annonçait que le Père a un Fils : il fallait faire croire à cet article de notre foi. Où voulez-vous que j'en prenne les symboles? Faut-il, pour vous les faire voir, descendre ou monter l'échelle? Il fallait faire voir qu'il engendre sans diminution de sa substance : c'est pour cela que nous voyons tout d'abord un sein stérile qui porte des fruits. Mais remontons plus haut. Il fallait nous préparer à croire que Dieu engendra seul et de lui-même. A cet effet, nous voyons aussi paraître un symbole, obscur, il est vrai, comme l'ombre qui figure le corps; mais enfin le symbole apparaît et devient plus clair avec le temps. L'homme, sans coopération, sans rien perdre de son être, engendre la femme. Et le mystère de l'enfantement d'une Vierge ne réclamait-il point aussi quelque symbole précurseur? Eh bien ! avant que ce mystère ait lieu, nous voyons jusqu'à deux ou trois fois, nous voyons souvent un sein stérile porter des fruits. C'est là le type du mystère; c'est le symbole qui nous prépare à y croire. Car si (132) l'homme peut naître suivant un mode privilégié, à plus forte raison un être supérieur à l'homme. Il y a une autre génération qui sert aussi de type aux,vérités de la foi : c'est notre régénération dans le Saint-Esprit. Le type de cette génération est aussi la femme stérile, car l'œuvre dont nous parlons n'est pas née du sang. Mais cette génération est à son tour le symbole de la génération céleste. De ces deux symboles, l'un montre que le Père engendre sans altération de sa substance, l'autre qu'il peut engendrer sans coopération.

Le Christ étend du haut des cieux sa domination sur toutes les créatures. Voilà encore un article de foi. Cette domination, l'homme l'exerce sur la terre. Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » (Gen. I, 26), pour qu'il commande à tous les animaux privés de raison : les leçons de Dieu ne sont pas seulement des mots, ce sont aussi des faits. La distinction que la nature a mise entre les créatures, est marquée dans le paradis terrestre, où l'on voit que l'homme est le meilleur et le plus noble de tous les êtres de la création. Le Christ devait ressusciter. Voyez combien de signes concourent à annoncer cette résurrection: c'est Enoch, c'est Elie, c'est Jonas, c'est le miracle de la fournaise, c'est le déluge de Noé, ce sont les semences, les plantes, c'est la reproduction de tous les êtres animés. Comme c'est là le pivot de notre foi, c'est celui de tous les articles de notre foi qui a pour lui le plus grand nombre de symboles.

Cette providence qui gouverne le monda se révèle aussi dans toutes les choses d'ici-bas. Partout veille un oeil prévoyant ; les troupeaux et toutes les choses d'ici-bas ont besoin d'un guide. Pour prouver que rien ne se fait au hasard, nous avons la géhenne, le déluge de Noé, le feu, l'exemple des Egyptiens engloutis dans les flots, ce qui s'est passé dans le désert. Le baptême aussi devait être annoncé par une foule de signes précurseurs : de là tous les miracles opérés au moyen de l'eau, les exemples innombrables de l'Ancien Testament, la piscine ; de là, et pour attester que tout ce qui n'est pas sain doit être purifié, le déluge lui-même et le baptême de saint Jean. Il fallait croire au sacrifice du Fils offert par Dieu le Père : eh bien ! c'est un homme qui le premier donne l'exemple d'un sacrifice pareil : cet homme est Abraham, le patriarche. Ainsi tous ces faits, il ne tient qu'à nous d'en trouver la représentation dans l'Ecriture. Mais sans nous fatiguer, arrêtons-nous aux résolutions suivantes : Soyons fermes et stables dans notre foi; montrons que notre plan de vie est bien réglé, afin que, rendant grâces à Dieu en toutes choses, nous soyons jugés dignes des biens promis à ceux qui l'aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, aujourd'hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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