Analyse.
1. Jésus nous a réconciliés par sa mort, pour nous rendre
saints, si toutefois nous restons inébranlables dans l'espérance et dans la foi.
2. Jésus intercède pour nous dans le ciel et continue à
souffrir pour nous sur la terre, dans la personne de ses apôtres.
3. Ne pas s'enquérir de l'année où le Christ est arrivé, mais
du bien qu'il a fait.
4. Les Juifs, sous Moïse, comparés à des enfants. Eloge de
Moïse.
1. Il montre ici que le Christ a réconcilié avec Dieu ceux qui n'en étaient pas dignes. Dire qu'ils étaient en la puissance de l'esprit de ténèbres, c'est montrer toute l'étendue de leur malheur; mais pour que l'on ne voie point dans cette puissance de l'esprit de ténèbres un joug nécessaire, saint Paul a ajouté : « Vous étiez autrefois éloignés de Dieu ». Il a l'air de dire ici la même chose; mais il n'en est pas ainsi. Car ce n'est pas la même chose de délivrer celui qui était condamné par la nécessité à souffrir, et de délivrer l'homme qui s'était condamné à souffrir lui-même, de son plein gré. Celui-ci est digne de haine, l'autre (122) est digne de pitié. Eh bien ! dit-il, ce n'était point malgré vous, ce n'était point par nécessité , c'était de votre plein gré, c'était bien volontairement que vous vous étiez séparés de lui. Vous étiez indignes de ses bienfaits, et il vous a délivrés. Et, tout en rappelant les choses du ciel, il montre que les inimitiés ne sont pas venues du ciel, mais sont venues de la terre. Car depuis longtemps déjà les anges voulaient la réconciliation ; Dieu la voulait aussi : mais vous ne la vouliez pas, vous. Et il montre que dans là suite des temps , les anges n'auraient rien pu faire pour les hommes, si les hommes étaient restés ennemis de Dieu. Ils n'auraient pu ni les persuader, ni, en les persuadant, lés délivrer du démon. A quoi bon les persuader, en effet, si celui qui les tenait sous son joug n'avait pas été enchaîné? A quoi bon l'enchaîner, si ses esclaves n'avaient pas voulu revenir à la liberté ? Il fallait donc la réunion de deux conditions dont ni l'une ni l'autre ne pouvaient être remplies par les anges, et ces deux conditions ont été réalisées par le Christ. C'était donc un plus grand miracle encore de persuader les hommes que de les affranchir de la mort. Le Christ tout seul pouvait accomplir ce dernier miracle; l'accomplissement du premier dépendait à la fois de lui et de nous. Or, ce qui ne dépend que de celui qui agit, est toujours plus facile. C'est donc du premier de ces miracles que saint Paul parle en dernier lieu, parce qu'il est le plus grand. Il n'a pas dit simplement : Vous étiez les ennemis de Dieu; il a dit : « Vous étiez éloignés de Dieu» ; ce qui indique une inimitié violente. Et non-seulement ils étaient éloignés de Dieu, mais ils ne pensaient pas à revenir à lui. Il dit qu'ils étaient ses ennemis du fond du coeur, faisant voir par là que cette inimitié n'était pas seulement une affaire de choix et de réflexion. Mais que dit-il encore ? « Votre esprit était abandonné à des oeuvres criminelles ». Vous étiez, dit-il, les ennemis de Dieu, et vous agissiez en ennemis à son égard.
« Mais maintenant Jésus-Christ vous a réconciliés par la mort qu'il a soufferte dans son corps mortel, pour vous rendre saints, purs et irrépréhensibles devant lui ». Il parle de la manière dont la réconciliation s'est opérée. Après avoir été frappé, flagellé et vendu, le Christ a subi la mort la plus honteuse. Il fait encore ici allusion au supplice de la croix, puis il mentionne un nouveau bienfait. Non-seulement le Christ a délivré les hommes, mais, comme il l'a dit plus haut, il les a rendus propres à recevoir ses bienfaits. C'est ce qu'il fait entendre aussi, dans ce passage, par ces mots : « Pour vous rendre saints, purs et irrépréhensibles devant lui ». C'est qu'il a souffert pour les délivrer de leurs maux et pour les élever au plus haut rang, comme un être bienfaisant qui, après avoir délivré un coupable, le ferait monter au faste des honneurs. Non content de les mettre au rang de ceux qui n'ont pas péché, il les met au nombre de ceux qui ont fait les actions les plus grandes et les plus illustres : et, bienfait plus précieux encore, il les a rendus saints devant lui. Remarquez que ce mot irrépréhensible dit encore plus que pur de tout opprobre. Etre irrépréhensible, c'est ne pas donner prise à la moindre accusation, au moindre blâme. Mais, après avoir rendu pleine et entière justice à ce Dieu qui a tout fait pour nous, en mourant pour nous, afin de fermer la bouche à ceux qui voudraient dire que nous n'avons plus rien à faire, il a ajouté : « Si toutefois vous demeurez ancrés et affermis dans la foi, et inébranlables dans l'espérance que vous donne l'Évangile (23) ».
Il les reprend ici de leur tiédeur. Il ne se borne pas à dire: « Si vous demeurez »,. car on peut demeurer debout, tout en chancelant et en s'agitant à droite et à gauche ; on peut encore rester debout, en tournant sur soi-même. Mais il faut rester, dit l'apôtre, « ancré, affermi et inébranlable ». Voyez quel luxe de figures ! C'est peu de ne pas chanceler; il ne faut pas bouger. Il ne leur impose pas là des devoirs bien lourds, ni bien pénibles à remplir; il recommande seulement la foi et l'espérance. Il veut dire : Soyez fermes dans la croyance que l'espérance des biens futurs repose sur la vérité. Il ne demande là rien d'impossible ; mais dans la vertu, il faut demeurer inébranlable. C'est ainsi que le devoir devient facile. « Dans l'espérance que donne l'Évangile qu'on vous a annoncé, qui a été prêché à toutes les créatures qui sont sous le ciel ». Or, quelle est cette espérance que donne l'Évangile, si ce n'est le Christ lui-même? C'est lui qui est notre espoir et qui a opéré toutes ces oeuvres. Celui qui met son espoir dans un autre, ne reste plus inébranlable? Et pour lui, tout est perdu; s'il ne croit (123) pas en Jésus-Christ. « L'Evangile qu'on vous a annoncé », dit-il. Il les prend à témoin; puis il prend à témoin l'univers entier. Il ne dit pas : « Qui est prêché », mais . « Qui a été prêché, qui a été cru », comme il fa déjà dit en commençant et en invoquant une foule de témoins, pour affermir leur foi. Et « dont moi, Paul, j'ai été établi ministre ». Par ce moyen, il donne encore plus d'autorité à sa parole. « Moi, Paul » , dit-il. Son influence était déjà grande; son nom était partout célèbre; il enseignait dans tout l'univers. « Maintenant, je me complais dans les maux que je souffre pour vous, et j'accomplis dans ma chair ce qui reste à souffrir à Jésus-Christ, en souffrant moi-même pour son corps qui est l'Eglise (24) ».
2. Voyez comme ce verset se rattache bien au précédent. Il semble s'en détacher; mais il a avec lui une liaison intime. J'ai été établi ministre de l'Evangile, dit-il, c'est-à-dire, je viens à vous non pour vous apporter quelque chose de moi, mais pour vous annoncer ce qui émane d'un autre. Je crois donc que je souffre en son lieu et place, et, tandis que je souffre, je me complais dans mes souffrances, les yeux brillants d'espoir et fixés sur l'avenir; et ce n'est pas pour moi , c'est pour vous que je souffre. Et « j'accomplis dans ma chair ce « qui reste à souffrir à Jésus-Christ ». Ce langage paraît ambitieux; et pourtant il n'a rien d'arrogant, à Dieu ne plaise! Il est plutôt empreint d'un ardent amour pour le Christ. Ses souffrances, dit-il, ne sont pas les siennes; ce sont les souffrances du Christ. Il cherche, en parlant ainsi, à se concilier ses auditeurs. Ce que je souffre, dit-il, c'est pour lui que je le souffre : c'est donc lui et non pas moi qu'il faut remercier; car c'est lui qui souffre. C'est comme si un homme envoyé auprès d'un autre, priait un tiers d'y aller à sa place, et comme si ce dernier disait : C'est pour un tel que j'agis. Saint Paul ne rougit donc pas d'appeler ses souffrances les souffrances du Christ. Car le Christ est mort pour nous, et même, après sa mort, il s'est montré prêt à supporter pour nous les afflictions. L'apôtre s'efforce de démontrer que c'est le Christ qui maintenant encore affronte le péril , dans l'intérêt de son Eglise, et il fait allusion à cette vérité, en disant : Ce n'est pas nous qui vous ramenons ; c'est lui qui vous ramène, bien que ce soit nous qui agissions. Car ce n'est pas à notre oeuvre, c'est à la sienne que nous avons mis la main. C'est comme si une armée, commandée par un général bien capable de la défendre et de la protéger, venait à perdre son chef et trouvait pour le remplacer, jusqu'à la fin de la guerre, un lieutenant qui recevrait les blessures et les coups d'épée portés au chef de l'armée.
Et ce qui prouve que tout ce que fait l'apôtre, il le fait pour le Christ , ce sont ces paroles : « Pour son corps ». Il veut dire : Ce n'est pas à vous, c'est au Christ que je veux être agréable; car je souffre pour lui ce qu'il devait souffrir lui-même. Quelle preuve que ces paroles ! Quel amour du Christ elles respirent ! C'est ainsi que, dans sa seconde épître aux,Corinthiens, il disait: « Il nous a confié un ministère de réconciliation»; et encore: «Nous sommes les ambassadeurs du Christ; c'est Dieu qui vous exhorte, par notre bouche ». (II Cor. V, 18, 20.) C'est ainsi qu'il parle, en ce passage : C'est pour lui que je souffre. Il voulait par là attirer encore davantage ses auditeurs. C'est comme s'il disait : Votre débiteur est parti; mais j'acquitte le reste de sa dette. Voilà le sens de ce mot: « Ce qui reste à souffrir ». Il veut montrer que, selon lui, Jésus-Christ n'a pas encore souffert pour nous tout ce qu'il avait à souffrir. Il dit encore que le Christ souffre, après sa mort, les maux qu'il peut encore avoir à supporter; ce qui rappelle ce passage de l'épître aux Romains : « Il intercède encore pour nous ». (Rom. VIII, 34.) Il montre que, non content de mourir pour eux, le Christ prodigue encore aux hommes des bienfaits sans nombre. Il tient ce langage, non pour s'élever lui-même, mais pour montrer que le Christ veille encore sur eux. Et il le prouve par ces mots qu'il ajoute : « Pour son corps ». Voyons comme le Christ a su nous rattacher à lui. Pourquoi donc recourir à l'intermédiaire des anges? « Dont j'ai été établi le ministre », dit Paul. A quoi bon d'autres messagers? C'est moi qui suis son ministre. Puis il montre qu'il n'a rien fait en son nom, puisqu'il n'est que ministre.
« Dont j'ai été établi ministre, selon la charge que Dieu m'a donnée pour l'exercer envers vous, afin que je m'acquitte pleinement du ministère de la parole de Dieu (25) ». « La charge que Dieu m'a donnée ». Peut-être veut-il dire : Le Christ, en vous quittant (124) nous a donné une charge à remplir auprès de vous, pour que vous n'eussiez pas l'air d'être complètement abandonnés; car c'est lui quia souffert; c'est lui qui s'acquitte d'une mission. Peut-être veut-il dire : J'étais le plus zélé persécuteur des croyants, et Dieu a permis que je fusse persécuté à mon tour, pour donner plus d'autorité à ma prédication. Peut-être « cette charge que Dieu lui a donnée » est-elle la mission qu'il a, non de faire de grandes oeuvres et des actions illustres, mais de répandre la foi et de conférer le baptême. Autrement, dit-il, vous n'auriez pas accueilli la parole de Dieu.
«Afin que je m'acquitte pleinement du ministère de la parole de Dieu », en la prêchant aux nations. Et il montre par là que leur foi est encore chancelante. « Afin que je m'acquitte pleinement ». Si les nations dispersées ont ouvert leurs âmes à des dogmes aussi profonds, ce n'est pas l'uvre de Paul, mais l'oeuvre d'une providence divine. Car moi, dit-il, je n'aurais pu opérer ce miracle. Après avoir exprimé cette grande idée que ses souffrances sont celles du Christ, il ajoute que s'il s'acquitte pleinement du ministère de la parole de Dieu, c'est là l'oeuvre de Dieu. Et ici encore il fait entrevoir que s'ils sont capables d'entendre la parole divine, c'est une oeuvre de la providence divine. Car Dieu ne fait rien à la légère. Quand il descend jusqu'à l'homme, c'est un haut sentiment d'humanité qui le guide. Et voilà pourquoi le Christ est venu maintenant et non autrefois. C'est ainsi que dans son Evangile il est dit qu'il a envoyé en avant ses serviteurs, afin que le Fils de Dieu ne fût pas à l'instant même immolé. Puisqu'on ne l'a pas épargné, en effet, quand il est venu après eux, on l'aurait épargné bien moins encore, s'il avait pris les devants. S'ils n'ont pas voulu écouter l'humble parole des précurseurs, comment auraient-ils pu écouter la doctrine sublime du Christ? Que dit-il donc? Est-ce qu'aujourd'hui encore les juifs et les gentils ne sont pas remplis d'imperfections? Ah ! c'est là .le comble de la faiblesse. Après tant d'années, après tant de preuves, être encore si imparfait, c'est être bien tiède.
3. Quand donc les gentils nous diront: Pourquoi le Christ n'est-il venu qu'à présent? ne les laissons pas dire; mais demandons-leur s'il n'a pas bien accompli son oeuvre. S'il était venu dès le commencement, et s'il n'avait pas réussi, le temps n'aurait pas suffi pour l'excuser. Mais puisque son oeuvre s'est accomplie, pourquoi nous parler du temps? Quand un médecin soigne un malade et le guérit, on ne lui demande pas compte du traitement qu'il a appliqué. Quand un général a remporté la victoire, on ne lui demande pas compte de l'heure et du terrain qu'il a choisi. S'il n'avait pas réussi, on pourrait l'interroger. Mais, puisqu'il a réussi, il faut l'accueillir avec éloge. Que faut-il croire, dites-moi, vos raisonnements calomnieux ou cette oeuvre si parfaite? A-t-il remporté ou non la victoire? dites-moi. A-t-il triomphé ou non de tous les obstacles? Sa parole s'est-elle accomplie ou non? Voilà ce qu'il faut examiner. Dites-moi: Si vous ne croyez pas au Christ, croyez-vous en Dieu? Est-il vrai, je vous le demande, que Dieu n'ait pas eu de commencement? Cela est vrai, me répondrez-vous. Mais, dites-moi; pourquoi ne s'y est-il pas pris dix mille ans plus tôt, pour créer les hommes? De cette manière, le monde aurait duré plus longtemps. Car si l'existence est un bien, mieux vaut la commencer plus tôt. Mais les hommes ont-ils donc perdu à ne pas exister plus tôt? Non sans doute, et celui qui les a faits sait pourquoi. Autre question : Pourquoi n'a-t-il pas créé tous les hommes à la fois et en même temps? L'aîné du premier homme a tant d'années; l'aîné de l'homme qui naît plus tard en a moins? Pourquoi a-t-il fait venir au monde les uns plus tôt, les autres plus tard ? Voilà des points vraiment dignes de faire question, sans mériter cependant de curieuses recherches. Mais pourquoi le Christ est-il venu plus tôt ou plus tard? Il ne faut même pas le demander, car j'ai déjà dit pourquoi, et je ne pourrais que me répéter.
Figurez-vous l'humanité comme ayant une existence à elle: les temps primitifs sont l'adolescence du genre humain; l'âge suivant est sa jeunesse; les siècles de décadence sont sa vieillesse. Alors, quand l'âme possède toute sa vigueur, quand le corps a perdu la sienne et ne fait plus la guerre à l'âme, on est porté à la philosophie. Eh bien ! me dira-t-on, dans la pratique il en est tout autrement; car nous instruisons les jeunes gens. Il est vrai, mais nous ne leur enseignons pas les hautes sciences, mais la rhétorique et l'éloquence : on étudie la philosophie, quand on est dans toute la force de l'âge. Voyez Dieu : c'est ainsi qu'il traite les juifs. Les juifs sont comme des (125) enfants auxquels il adonné Moïse pour maître, et c'est pour eux qu'il trace cette loi qui est pour ainsi dire leur abécédaire, « cette loi qui n'offre que l'ombre des biens à venir, sans offrir l'image même des choses». (Hébr. X, 1.) Nous achetons des friandises aux enfants, nous leur donnons quelques pièces de monnaie, à une seule condition, c'est qu'ils se rendront à l'école. Et Dieu aussi donne aux Hébreux richesses et plaisirs, et leur prodigue ses biens, en retour desquels il ne demande qu'une chose, c'est qu'ils écoutent Moïse. C'est pour cela qu'il les a mis entre les mains de ce maître. Il ne veut pas qu'ils le méprisent; il veut qu'ils l'accueillent, comme un père bienveillant. Et voyez comme ce maître à lui seul leur impose. Ils ne disent pas: Où est Dieu? Ils disent : Où est Moïse? Il n'avait qu'à paraître pour se faire craindre. Quand ils font mal, voyez comme il sait les punir. Dieu voulait les abandonner, Moïse ne le permit pas. Ou plutôt, en cette circonstance, c'est Dieu qui fait tout. Dieu est le père qui menace; Moïse est le maître qui demande, qui cherche à fléchir le père et qui dit : Pardonnez-moi ; je prends tout sur moi, à partir de ce moment. Ainsi le désert fut pour les Juifs une école. Semblables aux enfants qui, après être longtemps restés à l'école, demandent à se retirer, eux aussi avaient toujours les yeux tournés du côté de l'Egypte, et, les larmes aux yeux, ils disaient : Nous sommes perdus, c'est fait de nous, nous voilà morts ! Et Moïse brisa la table de la loi, après avoir écrit pour eux quelques mots destinés à leur servir d'exemple, comme ferait un maître qui, pour témoigner sa colère à un mauvais élève, jetterait des tablettes qu'il aurait mal écrites; il a même le droit de les briser, sans que le père se fâche. Car cette table de la loi, Moïse s'était appliqué à l'écrire. Mais eux, sans s'inquiéter de leur maître, et distraits par d'autres pensées, ne gardaient ni modération, ni réserve, et, comme des enfants qui, dans une école, se frappent mutuellement, il leur permit de se frapper et de s'exterminer les uns les autres. Un maître donne une leçon à apprendre, et lorsqu'en la faisant dire, il voit que l'enfant a perdu son temps, il l'en punit. Par exemple les événements de l'Egypte étaient comme des lettres qui marquaient la puissance de Dieu. Il est vrai que ces lettres étaient des plaies et des fléaux, mais elles n'en montraient que mieux que Dieu punit ses ennemis : elles renfermaient un grand enseignement. En annonçant la punition des ennemis de Dieu, elles annonçaient aussi ses bienfaits à votre égard.
Les Juifs ressemblaient à ces écoliers qui prétendent savoir leur alphabet et qui, interrogés sur certaines lettres prises à part, ne peuvent pas répondre et sont battus. Ils prétendaient, eux, connaître la puissance de Dieu, et quand on les interrogeait sur des cas isolés de cette puissance, ils ne savaient rien et ils étaient châtiés. Avez-vous vu cette eau? Elle doit vous rappeler l'eau de l'Egypte. Celui qui a pu changer l'eau en sang, peut aussi faire jaillir une source. C'est ainsi que nous répétons aux enfants : Quand vous verrez sur un livre la lettre A, souvenez-vous que cette lettre a figuré sur vos tablettes. Avez-vous vu une famine? Souvenez-vous que c'est Dieu qui étouffe la moisson dans son germe. Avez-vous été témoins de guerres? Souvenez-vous du déluge. Avez-vous vu ce grand peuple qui habite cette terre? Il n'est pas plus grand que le peuple d'Egypte : Celui qui vous a tiré du milieu de ce peuple, saura bien vous sauver aujourd'hui que vous êtes loin de la terre d'Egypte. Mais ils ne savaient pas qu'on leur faisait subir un interrogatoire sur les éléments isolés de leur doctrine, et ils étaient châtiés. Ils ont mangé, ils ont bu et se sont révoltés. Ils ne devaient pas chercher la volupté dans la manne, puisqu'ils avaient appris que leurs maux venaient de la volupté. Ils faisaient comme ces enfants de bonne maison que l'on envoie à l'école et qui recherchent la compagnie des esclaves, et qui se font un jeu de les servir. Ils peuvent, à la table paternelle, se nourrir comme il faut et comme il convient à des gens bien nés, et ils préfèrent à la table de leur père, une ignoble table d'esclaves où règnent le tumulte et le désordre. C'est ainsi que les Hébreux cherchaient la terre d'Egypte. Et ils disaient à Moïse : « Oui, Seigneur, nous ferons et nous écouterons tout ce que vous direz ». (Exod. XXIV, 7.) Et, comme s'il se trouvait devant un père irrité qui voudrait se défaire de ses fils incorrigibles, le maître ne cessait de prier pour eux. Voilà ce qui arrivait souvent alors.
4. Pourquoi ce langage ? C'est parce que nous ressemblons en tout aux enfants. Voulez-vous voir combien les lois que l'on donnait aux Juifs étaient des lois d'enfants? Lisez (126) le Lévitique : « Oeil pour oeil, dent pour dent », dit-il. (Lévit. XXIV, 20.) C'était ainsi qu'il fallait leur parler; car rien n'est plus porté à la vengeance que l'enfant. Qu'est-ce que la colère, en effet? C'est une éclipse de la raison; c'est un mouvement tumultueux de l'âme; or, comme cet âge manque surtout de réflexion et de raison, l'enfant se laisse dominer par la colère. Cela est si vrai, que s'il vient à tomber, il se frappe le genou en se relevant, il renverse son tabouret et parvient ainsi à calmer son ressentiment, à éteindre sa colère. Dieu traitait donc les Hébreux comme des enfants, en leur donnant la faculté d'arracher oeil pour oeil, dent pour dent, en immolant les Egyptiens et les Amalécites, leurs persécuteurs. Dans ses promesses, on croit entendre un père, à qui son enfant vient de dire: Papa, celui-là m'a frappé. Le père répond à son enfant: C'est un méchant; n'ayons pour lui que de la haine. Tel est le langage de Dieu : Vos ennemis, dit-il, seront les miens, et je détesterai ceux qui vous détestent. (Exod. XXIII, 22.) Et, quand Balaam priait, leur abattement était bien celui de l'enfant. Les enfants ont peur d'un rien, d'un morceau de laine et autre objet semblable. Pour calmer leur frayeur, on leur met l'objet sous la main et on charge leur nourrice de leur montrer ce que c'est. Ainsi fit Dieu : Balaam était un prophète terrible , et pourtant la terreur des Hébreux se changea en audace. Dieu traitait les Hébreux comme des enfants qui viennent d'être sevrés et dont on remplit la petite corbeille de mille bonnes choses; il leur prodiguait les biens et les douceurs. Comme l'enfant qui demande le sein, les Hébreux demandaient l'Egypte et les viandes de l'Egypte.
On ne court donc pas risque de se tromper en regardant Moïse comme le maître, le précepteur des Hébreux, et comme un maître plein de sagesse. Ce n'est pas en effet la même chose d'avoir à conduire des philosophes ou des enfants privés de raison. Voulez-vous un autre exemple? Ecoutez cette nourrice qui dit à son enfant: Aie bien soin de rassembler les plis de ta robe quand tu t'assieds. Ainsi faisait Moïse. Les enfants dont l'âme est encore sans frein, ressentent le pouvoir tyrannique de toutes les passions : c'est la vanité, c'est la cupidité, c'est l'irréflexion, c'est la colère, c'est l'envie qui les domine; les Juifs aussi étaient esclaves de toutes ces passions; ils conspuaient Moïse , ils le frappaient comme des enfants qui prennent des pierres, et auxquels on crie : Ne lancez donc pas de pierres, ils prenaient, eux aussi, des pierres pour les jeter à Moïse, leur père, et Moïse fuyait. Quand un père a quelque ornement, son enfant, auquel cet ornement fait envie, le lui demande : ainsi faisaient Dathan et Abiron, s'élevant contre le sacerdoce. C'était le peuple le plus envieux, le plus querelleur et le plus arriéré de tous les peuples en toutes choses. Le moment, dites-moi, était-il favorable pour l'arrivée du Christ? Etaient-ils mûrs pour les leçons de la sagesse, ces hommes égarés par les passions, aussi effrénés dans leurs désirs que des coursiers fougueux, ces hommes esclaves des richesses et de leur ventre ? Mais tous les préceptes de sagesse du Christ auraient été perdus pour ces insensés, et ils n'auraient profité ni des leçons de Moïse, ni des leçons du Christ.
Un maître qui veut faire lire ses écoliers, avant de leur faire connaître leurs lettres, ne réussira même pas à leur apprendre leur alphabet. C'est ce qui serait arrivé à cette époque. Mais aujourd'hui, les temps sont bien changés. La grâce de Dieu a civilisé le monde et y a semé en abondance les germes de la vertu. C'est pourquoi rendons grâces à Dieu. de toutes choses et ne soyons pas trop curieux. Nous ne connaissons pas le temps; mais l'Etre qui a fait le temps, l'ouvrier des siècles le connaît. Cédons-lui donc en toutes choses; car c'est glorifier Dieu que de ne pas lui demander compte de ce qu'il fait. C'est ainsi qu'Abraham rendait grâces à Dieu, dans la persuasion où il était, dit-il, que Dieu est assez puissant pour tenir toutes ses promesses. (Rom. IV, 24.) Abraham se gardait d'interroger Dieu, même sur l'avenir; et nous autres, nous lui demandons compte même du passé. Voyez quelle est notre folie, quelle est notre ingratitude ! Mais corrigeons-nous de ce défaut : loin de nous profiter, cette habitude nous porte un grand préjudice. Soyons reconnaissants envers Notre-Seigneur et glorifions Dieu, afin qu'en le remerciant de tous ses bienfaits nous soyons jugés dignes de sa miséricorde ainsi que de la grâce et de la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et pouvoir, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.