DOUZIÈME HOMÉLIE. SUR LE PARALYTIQUE ET SUR CE TEXTE : MON PÈRE
AGIT JUSQU'A PRÉSENT ET J'AGIS AUSSI. JEAN, V, 17.
Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par M.
l'abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier.
ANALYSE. Le prédicateur comparé au laboureur. Pourquoi
Jésus-Christ se montre aux Juifs les jours de fête. Guérison du
paralytique. Pourquoi Jésus-Christ interroge le malade. Eloge
du paralytique. Pourquoi Jésus-Christ lui ordonne d'emporter son
lit. Jésus-Christ est égal au Père en puissance.
Exhortation a assister aux assemblées de l'Eglise.
1. Dieu soit béni ! à chaque assemblée
je vois la moisson grandir, les épis mûrir, les gerbes se multiplier et l'aire se
remplir. Il y a quelques jours seulement que nous avons jeté la semence, et déjà
germent les fruits abondants de l'obéissance. Evidemment ce n'est pas la puissance de
l'homme, mais la grâce de Dieu qui féconde l'Eglise. Telle est la nature de la semence
spirituelle; elle n'attend pas le temps, le nombre des jours, le retour des mois, des
saisons ni des années; dans le même jour, on peut jeter la semence et recueillir une
moisson des plus riches. Le laboureur est obligé de beaucoup travailler et d'attendre
longtemps. Il faut attacher les boeufs au joug, tracer de profonds sillons, répandre la
semence à pleine main, aplanir la surface de la terre, recouvrir tout ce qu'on a jeté,
attendre les pluies favorables, faire beaucoup d'autres travaux, et patienter encore de
longs jours avant de recueillir les fruits. Ici au contraire, en été comme en hiver, on
peut semer et moissonner, et souvent même dans un seul jour, surtout quand l'âme que
l'on cultive est bien disposée. Telles sont vos âmes. Aussi est-ce avec une grande joie
que nous venons à cette assemblée, semblable au laboureur qui travaille avec un zèle
particulier le champ qui souvent a rempli son aire. Parmi vous une légère fatigue nous
procure des fruits abondants. C'est pourquoi nous venons avec empressement vous distribuer
les restes de nos premiers entretiens.
Nous avons parlé, la dernière fois, de
la gloire du Fils unique de Dieu ; nous avons emprunté nos preuves à l'Ancien Testament.
Nous continuerons aujourd'hui. Nous avons cité cette parole du Christ: Si vous croyiez
à Moïse, vous croiriez aussi en moi. (Jean, V, 46.) Aujourd'hui, nous examinerons ce
texte de Moïse : Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète
comme moi. Ecoutez-le. (Dent. XVIII, 15; Act. III, 22.) Jésus-Christ renvoie donc les
Juifs à Moïse, pour les attirer à lui par le moyen de ce prophète; et (274) en effet
Moïse annonce aux Hébreux le Maître à qui ils doivent obéir ponctuellement. Que tout
soit donc un enseignement pour nous, ses actes, ses paroles, et aussi le miracle que l'on
vient de vous lire. Quel est-il? C'était un jour de fête des Juifs, et Jésus monta
à Jérusalem. Or il y a à Jérusalem la piscine paralytique appelée en hébreu
Bethsaïde; elle a cinq portiques. (Jean, V, 1.) L'ange du Seigneur, dit l'Evangile, y
descendait à certain temps, ce qu'annonçait l'agitation de l'eau. Le premier qui y
entrait après que l'eau avait été ainsi agitée était guéri, quelque maladie qu'il
eût. Sous les portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles, de
boiteux et d'autres qui avaient des membres desséchés, et tous attendaient l'agitation
de l'eau.
Pourquoi Jésus-Christ choisit-il toujours
Jérusalem de ses plus grandes oeuvres, et se montre-t-il aux Juifs de préférence les
jours de fêtes ? C'est qu'alors le peuple était réuni ; c'était le lieu et le temps de
rencontrer les malades. Car ces infortunés désiraient moins ardemment leur guérison que
le médecin lui-même. Quand la foule est nombreuse, l'assemblée considérable, Jésus-Christ
se présente pour procurer le salut. Il y avait donc une grande multitude de malades
attendant l'agitation de l'eau ; le premier qui descendait alors était guéri, mais non
le second. La puissance du remède était épuisée, l'eau restait sans vertu, et la
maladie du premier malade descendu lui avait enlevé toute sa force. Et il devait en être
ainsi, car c'était une grâce d'esclave. Mais à l'avènement du Seigneur, il n'en est
plus de même. Le premier qui descend dans la piscine des eaux du baptême n'est pas seul
guéri. Le premier, le second, le troisième, le quatrième, le dixième, le centième, le
sont aussi. Et quand il y en aurait dix mille, cent mille, une multitude innombrable,
quand toute la terre descendrait dans la piscine, la grâce ne serait pas diminuée, elle
resterait la même et aussi puissante. Telle est la différence entre le pouvoir de
l'esclave et l'autorité du maître. L'un ne guérit qu'un malade, l'autre toute la terre;
l'un ne guérit qu'une fois l'an, l'autre chaque jour et des millions d'infirmes. L'un
descend et agite l'eau; pour l'autre, il suffit de prononcer son nom sur l'eau afin de lui
communiquer cette admirable vertu. L'un guérit les corps, l'autre les âmes. Quelle
immense différence sous tous rapports !
2. Il y avait donc une grande multitude
at. tendant l'agitation de l'eau. Car il s'opérait là des guérisons miraculeuses. Dans
un hôpital on voit des malades, des estropiés, des infirmes de toute espèce qui
attendent l'arrivée du médecin ; de même on voyait là une multitude nombreuse. Sous
ces portiques était un homme malade depuis trente-huit ans. Jésus l'ayant vu couché
par terre et sachant qu'il était malade depuis longtemps, lui dit : Voulez-vous être
guéri? Le malade lui répondit : Oui, Seigneur; mais je n'ai personne pour me jeter dans
la piscine après que l'eau a été troublée, et pendant le temps que je mets à y aller,
un autre descend avant moi. (Jean, V, 5.) Pourquoi Jésus-Christ, laissant tous les
autres, vient-il à celui-ci ? Pour montrer tout en. semble sa puissance et sa bonté : sa
puissance, puisque la maladie était si grave et qu'il n'y avait plus d'espoir de
guérison; sa bonté, parce que, bon et miséricordieux, Jésus daigna regarder de
préférence celui qui était le plus digne de pitié et de compassion. Le lieu, le nombre
de trente-huit ans de maladie, tout est à bien considérer.
Ecoutez, vous tous qui luttez contre la
pauvreté et la maladie, qui êtes accablés par les difficultés et les inquiétudes de
cette vie, et éprouvés par des catastrophes imprévues. Il y a dans l'exemple du
paralytique de quoi consoler toutes les infortunes humaines. Qui donc, en considérant cet
exemple, aurait assez peu d'esprit et de coeur pour ne pas supporter avec courage et avec
générosité les accidents de cette vie? Vingt ans, dix et même cinq ans, n'était-ce
pas assez pour lasser sa constance? Et il attend trente-huit ans sans se décourager, et
avec la plus grande patience. Cette persévérance vous étonne ; écoutez ses paroles, et
vous admirerez encore davantage sa sagesse et sa vertu. Jésus s'approche et lui dit : Voulez-vous
être guéri ? Qui doute qu'il ne le désire? Pourquoi donc l'interroger? Ce n'est pas
par ignorance, car celui qui connaît les pensées les plus secrètes n'ignore pas ce qui
est clair et évident pour tous. Pourquoi donc l'interroger? Ailleurs, quand Jésus dit au
centurion : J'irai et je le guérirai (Mat. VIII, 7) : il n'ignorait pas sa
réponse; mais tout en la prévoyant et la connaissant parfaitement, il voulait lui donner
l'occasion de manifester sa foi jusqu'alors cachée, et de dire : Non, Seigneur, je ne
suis pas digne que vous entriez dans ma maison. (275) Il en est de même pour le
paralytique. Quoique sûr de sa réponse, le Sauveur lui demande s'il veut être guéri,
non qu'il en doute, mais pour lui fournir le moyen d'exposer son malheur et de montrer sa
constance. S'il l'avait guéri sans rien dire, t'eût été pour nous une grande perte ,
puisque nous n'aurions pas connu la générosité de cette âme. Jésus-Christ s'occupe
non-seulement du présent, mais aussi de l'avenir. En l'obligeant à répondre à cette
question : Voulez-vous être guéri, il le présente au monde entier comme un
modèle de patience.
Que répond le paralytique ? Il ne se
laisse point aller à la colère ou à l'indignation, il ne dit point à Jésus-Christ :
Vous me voyez paralysé, vous savez que depuis longtemps j'ai cette maladie, et vous me
demandez si je veux être guéri? Etes-vous venu insulter à mon malheur et rire de
l'infortune d'autrui ? Vous connaissez le caractère difficile des malades cloués
sur leur lit depuis une année seulement. Mais trente-huit ans de maladie, n'est-ce pas
assez pour lasser la vertu la plus robuste? Cependant telle ne fut point sa réponse ni sa
pensée; avec la plus grande douceur, il dit : Oui, Seigneur, mais je n'ai
personne pour me jeter dans la piscine après que l'eau a été troublée. Voyez que
de maux assiégent cet homme en même temps : la maladie, la pauvreté, la privation de
tout secours. Pendant le temps que je mets à y aller, un autre descend avant moi.
Misère extrême, capable de toucher un coeur de pierre. Il me semble voir cet homme se
traînant chaque année à l'entrée de la piscine, et chaque année frustré dans son
espérance, et, pour comble de malheur, cette souffrance dure non deux ou trois ans, mais
trente-huit ans. Il montre le plus grand zèle et il ne recueille aucun fruit; il parcourt
la carrière, et un autre reçoit le prix de la course, et cela pendant de longues
années. Et, ce qui est encore plus pénible, il voit les autres guéris. Car vous savez
que nos maux nous deviennent à charge, surtout quand nous en voyons d'autres, qui
étaient affligés comme nous, délivrés de leurs maux. Ainsi le pauvre, à la vue d'un
,riche, sent plus vivement sa misère; ainsi le malade souffre davantage en voyant
d'autres se guérir, tandis que tout espoir de guérison s'évanouit pour lui. Le bonheur
d'autrui nous montre plus clairement notre infortune. C'est ce qui avait lieu pour le
paralytique. Il lutte longtemps contre la maladie, la pauvreté, l'abandon; il voit les
autres guéris, et, malgré ses efforts continuels, il n'obtient rien, il ne lui reste
plus même l'espoir d'être délivré. Cependant il persévère sans se décourager et
revient chaque année. Pour nous, si notre prière n'est pas exaucée promptement, nous
murmurons et nous tombons dans l'abattement; alors nous cessons de prier et tout notre
zèle s'éteint. Pouvons-nous assez louer le paralytique et condamner notre lâcheté ?
Quelle excuse nous reste ? quel pardon pouvons-nous espérer ? Le paralytique persévère
pendant trente-huit ans, et nous, nous abandonnons si vite nos résolutions !
3. Que fait ensuite Jésus-Christ? Il
vient de montrer que ce malade mérite sa guérison; puis s'étant approché de lui
plutôt que des autres, il lui dit : Levez-vous, prenez votre lit et marchez. Cette
attente de trente-huit ans ne lui fut pas inutile, parce qu'il supporta ses maux avec
patience. Pendant ce long temps, son âme, éprouvée par le malheur comme par le feu, fit
de grands progrès dans la vertu, et sa guérison fut plus glorieuse. Car ce n'est pas un
ange, mais le Seigneur des anges qui le guérit. Pourquoi lui commande-t-il d'emporter son
lit? C'est d'abord et surtout pour porter les Juifs à s'affranchir des observances
légales. Quand le soleil paraît, une lampe n'est plus nécessaire ; quand la vérité se
manifeste, il faut laisser la figure. Devant faire cesser le sabbat, il opère un grand
miracle en ce jour, afin qu'en frappant la foule par la grandeur.du prodige, il détruise
peu à peu cette observance superstitieuse. C'est ensuite pour fermer la bouche aux
téméraires. Les Juifs critiquaient méchamment ses miracles et tâchaient d'en obscurcir
l'éclat; en faisant emporter le lit, il leur donne une preuve invincible de la guérison,
et les Juifs ne pouvaient plus dire ici ce qu'ils disaient de l'aveugle : C'est lui, ce
n'est pas lui, c'est lui-même. (Jean, IX, 8.) Ici ils n'ont rien à objecter; le
paralytique, emportant ainsi son lit, met un frein à leur impudence. Il y a encore une
troisième raison non moins importante. Pour nous apprendre que c'est la puissance divine,
et non la science humaine, qui a tout fait, il lui ordonne d'emporter son lit ; ce qui
prouve évidemment une guérison pleine et entière; alors ces blasphémateurs ne peuvent
plus dire que c'est un artifice, et que le paralytique a essayé de marcher, par (276)
complaisance pour Jésus-Christ. Voilà pourquoi il lui ordonne d'emporter un fardeau sur
ses épaules. Car si ses membres n'avaient pas été bien rétablis, ses articulations
bien libres, il n'aurait pu porter son fardeau.
De plus cette guérison montre encore que, sur une simple parole de
Jésus-Christ, la maladie se retire, la santé revient. Les médecins chassent aussi les
maladies, mais ils ne rendent pas subitement la santé, il leur faut du temps pour
expulser peu à peu du corps les restes du mal. Il n'en est pas ainsi de Jésus-Christ;
dans un clin d'oeil, il fait fuir la maladie, et ramène la santé; le temps ne lui est
pas nécessaire; au moment où la parole s'échappe de ses lèvres bénies, la maladie
quitte le corps; la parole opère et soudain toute infirmité disparaît. Un esclave en
révolte aperçoit-il son maître, il s'arrête aussitôt, et rentre dans l'ordre
accoutumé. C'est ce qui arrive ici: la maladie comme un esclave séditieux troublait le
corps du paralytique, mais à la vue du Seigneur, elle rentre dans l'ordre, et l'harmonie
se rétablit. La parole a tout opéré; car ce n'est pas une parole ordinaire , mais la
parole de Dieu dont il est dit : Les oeuvres de sa parole sont puissantes. (Joël,
II, 11.) Elle a créé l'homme qui n'existait pas; à plus forte raison peut-elle guérir
un paralytique.
Que ceux qui scrutent l'essence de Dieu,
me permettent ici une question. Comment ces membres se sont-ils fortifiés? Comment ces os
se sont-ils consolidés ? Comment cet estomac délabré s'est-il rétabli? Comment les
nerfs affaiblis ont-ils repris leur énergie? Comment la force détruite est-elle revenue?
Ils ne le savent. Admirez donc ce prodige sans vouloir en scruter le mode. Le paralytique
obéit et prit son lit. A cette vue les Juifs dirent : C'est le sabbat, il ne vous est
pas permis d'emporter votre lit. (Jean, V, 10.) Il fallait adorer l'auteur et admirer
l'oeuvre; les Juifs disputent sur le sabbat, rejetant un moucheron et avalant un chameau.
Que répond le paralytique ? Celui qui m'a guéri m'a dit : Emportez votre lit et
marchez. Voyez la gratitude de cet homme ! Il avoue son médecin, et déclare que son
bienfaiteur est pour lui un législateur digne de foi. Il raisonne contre eux, comme
l'aveugle. Comment raisonnait l'aveugle? On lui objecte : Cet homme n'est point de
Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat. (Jean, IX, 16.) Il répond : Nous savons
que Dieu n'exauce pas les pécheurs; or celui-ci m'a ouvert les yeux. (Ibid.
30.) C'est-à-dire : s'il a transgressé la loi, il a péché; s'il a péché , il n'a pas
un tel pouvoir, car le péché , l'exclut absolument. Or Jésus-Christ a ce pouvoir, il
n'a donc pas péché même en transgressant la loi. Le paralytique raisonne de même. Par
ces mots, celui qui m'a guéri, il indique que celui qui a déployé une semblable
puissance, ne peut être accusé d'avoir violé la loi.
Les Juifs reprennent : Où est l'homme
qui vous a dit : Emportez votre lit et marchez? (Jean, V, 12.) Voyez quel aveuglement
insensé! voyez quelle arrogance ! les envieux ne voient pas ce qui est bien, mais
seulement ce qui leur fournit une occasion de nuire. De même les Juifs. Le paralytique
proclame deux choses sa guérison et l'ordre d'emporter son lit. Les Juifs cachent l'une
et publient l'autre. Ils voilent le prodige, et objectent la violation du sabbat. Car ils
ne demandent pas : Où est celui qui vous a guéri? Ils se taisent sur ce point et
disent: Où est celui qui vous a dit. Emportez votre lit et marchez? Celui-ci ne le
connaissait pas. Car Jésus s'était retiré de la foule qui était là. (Jean, V,
13.) Ceci fait l'éloge du paralytique et en même temps donne une preuve de la
sollicitude de Jésus-Christ pour les hommes. Si ce paralytique ne reçoit pas le Sauveur
comme le centenier ; s'il ne s'écrie pas : Dites une parole et mon serviteur sera
guéri (Matth. VIII, 8), ne l'accusez pas d'infidélité, puisqu'il ne le connaissait
pas, il ne savait pas qui il était. Comment aurait-il connu celui qui voyait pour
la première fois? Voilà pourquoi il lui répondit : Je n'ai personne pour me jeter ;
dans la piscine. (Jean, V, 7.) S'il l'avait connu, il ne lui eût pas parlé de le
descendre dans la piscine; il l'aurait prié de le guérir, comme il fut guéri en effet.
Il le prenait pour un homme ordinaire, et c'est pour cela qu'il mentionne le remède
accoutumé. C'est aussi une preuve de la prudence de Jésus-Christ que de quitter le
paralytique guéri sans s'en faire connaître. Car alors les Juifs ne peuvent soupçonner
la véracité de ce témoin, ni prétendre qu'il est gagné ou suborné par Jésus-Christ
; son ignorance et l'absence de Jésus-Christ ne permettent pas ce soupçon. L'Evangile
dit en effet : Il ne savait qui il était.
4. Jésus-Christ le laisse aller seul,
afin que les Juifs, le prenant à part, examinent le fait à leur gré, et une fois bien
convaincus de la vérité répriment leur colère ridicule. Voilà (277) pourquoi Jésus-Christ
se tait; pour preuve il leur présente les faits, témoignage évident et irréfutable.
Que peut-on en effet opposer à ces paroles: Celui qui m'a guéri, m'a dit : Emportez
votre lit et marchez? (Jean, V,11.) Le paralytique devient évangéliste, docteur des
infidèles, médecin et héraut pour leur honte et leur condamnation. Il guérit les âmes
non par des paroles, mais par des exemples. Il apporte un argument invincible et son corps
proclame la vérité de son discours. Depuis Jésus le rencontra et lui dit : Vous
voilà guéri. Ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis.
(Jean, V, 14.)
Admirez la science, le zèle du médecin.
Il ne délivre pas seulement de la maladie présente, il prémunit encore pour l'avenir,
et avec raison. Quand le paralytique est étendu sur son lit, Jésus-Christ ne lui dit
rien de tel, il ne lui rappelle pas ses péchés; car l'esprit des malades est aigri et
chagrin. Mais une fois la maladie expulsée et la santé rétablie, une fois la puissance
de Jésus-Christ et sa sollicitude prouvées par les couvres, alors le moment est
-favorable pour les avis et les conseils; le paralytique les recevra; Jésus-Christ a
gagné sa confiance. Pourquoi le paralytique, en s'en allant, fait-il connaître aux Juifs
son bienfaiteur? C'est qu'il voulait les rendre participants de la vraie doctrine.
Mais c'est pour cela même que les Juifs haïssaient Jésus-Christ et le persécutaient.
Soyez attentifs; c'est ici le point décisif. Ils le persécutaient parce qu'il
faisait ces choses le jour du sabbat. (Jean, V, 16.) Voyons comment Jésus-Christ se
défend. Car sa manière de se défendre nous montrera s'il est sujet ou indépendant,
serviteur ou maître.
Son action paraissait une transgression
considérable. Autrefois un homme ayant ramassé du bois le jour du sabbat, fut lapidé
pour avoir en ce jour porté ce fardeau. (Nomb. XV, 32.) On reprochait le même crime à
Jésus-Christ, il avait violé le sabbat. Voyons d'abord s'il demande grâce comme un
esclave et un sujet, ou s'il ne se donne pas comme ayant puissance et autorité; comme
maître , au-dessus de la loi , et auteur des commandements ? Comment se défend-il? Mon
Père agit jusqu'à présent, et j'agis aussi. (Jean, V, 17.) Voyez-vous l'autorité?
S'il était inférieur au Père, cette parole, loin d'être une apologie, serait un crime
encore plus grand et un nouveau motif d'accusation. Si quelqu'un usurpe les fonctions d'un
supérieur, et que, pour répondre à l'accusation, il dise : J'ai fait cela parce que le
supérieur l'a fait, loin de se laver des crimes qu'on lui reproche, il se rend plus
répréhensible et plus coupable. Car c'est de l'orgueil et de l'arrogance que
d'ambitionner des fonctions au-dessus de son mérite. Si donc Jésus-Christ est au-dessous
de son Père, il ne se justifie pas, il se condamne; mais parce qu'il est égal au Père,
il n'y a pas de crime. Un exemple éclaircira ce que je dis. Il n'appartient qu'à
l'empereur de porter la pourpre et le diadème. Si un sujet usurpait ces insignes, et si,
amené devant le tribunal, il disait: parce que l'empereur porte ces ornements, je les
porte aussi, loin de se justifier, il ne ferait qu'aggraver son crime et son supplice. De
même il n'appartient qu'à la clémence impériale de gracier les grands scélérats,
comme les homicides, les brigands; ceux qui violent les tombeaux, et autres semblables. Si
un juge renvoyait un condamné sans attendre la sentence impériale, et s'il s'excusait en
disant : Parce que le roi pardonne, je pardonne aussi, loin de se justifier, il
s'attirerait une peine plus grande, et il doit en être ainsi. Un inférieur, dans un
excès, s'insurge contre l'autorité, et cherche dans ses actes des motifs d'excuse ;
n'est-ce pas faire injure à ceux qui lui ont confié sa dignité? Aussi un inférieur ne
se défend jamais de la sorte. Mais s'il est empereur, s'il a une dignité égale: il lui
sera permis de s'exprimer ainsi. Ayant la même dignité, il a la même puissance.
Quiconque par conséquent se justifie de cette manière, a nécessairement la même
dignité que celui dont il invoque l'autorité. Quand donc Jésus-Christ se défend ainsi
devant les Juifs, il nous prouve clairement qu'il est égal à son Père.
Comparons, si vous le voulez, cet exemple
aux paroles et aux actions de Jésus-Christ. Porter la pourpre et le diadème et gracier
les coupables, c'est la même chose que de ne pas observer le sabbat. La première
prérogative appartient au roi seul et non au sujet; quiconque la possède justement, est
nécessairement roi. Il en est de même ici; Jésus-Christ agit avec autorité; puis
accusé, il invoque son Père en disant : Mon Père agit jusqu'à présent. (Jean,
V, 17.) Il est donc nécessairement égal au Père qui agit aussi avec autorité. S'il
n'était pas égal à lui, il ne se (278) défendrait pas ainsi. Rendons encore ceci plus
clair. Les apôtres avaient violé le sabbat en arrachant des épis pour manger; Jésus-Christ
le viole maintenant, les Juifs l'accusent, comme ils avaient accusé les disciples. Voyons
comment il les justifie, et se justifie lui-même; la différence vous montrera quelle est
la valeur de son apologie. Comment les défend-il ? N'avez-vous pas lu ce que fit David
lorsqu'il fut pressé de la faim? (Matth. XII, 3.) Quand il défend les serviteurs, il
apporte l'exemple d'un serviteur, de David. Quand il se justifie lui-même, il invoque son
Père. Mon Père agit, et j'agis aussi. Et que fait-il? demandez-vous, car
après six jours Dieu se reposa de tous ses ouvrages. (Gen. II, 2.) Il exerce sa
Providence de chaque jour. Il n'a pas seulement créé, il conserve encore les créatures
, les anges, les archanges, les puissances d'en-haut, en un mot, toutes les choses
visibles et invisibles sont réglées par sa Providence; sans ce secours efficace tout
s'en va, se dissipe et périt. Jésus-Christ voulant montrer qu'il gouverne par, sa
Providence et n'est pas gouverné, qu'il est créateur et non créature, dit : Mon
Père agit, et j'agis aussi; il indique par là qu'il est égal au Père.
5. Souvenez-vous de ces vérités;
conservez-les avec soin; à une doctrine pure, joignez une conduite irréprochable. Je
vous rappelle ce que je vous ai déjà dit, et je vous le redirai encore. Un moyen
puissant pour acquérir la sagesse et la vertu, c'est de venir souvent ici. Une terre
inculte que personne n'arrose, se couvre de ronces et d'épines; travaillée par la main
du laboureur, elle germe, fleurit, et produit des fruits abondants. Ainsi, l'âme qui est
arrosée par la parole divine, germe, fleurit et produit en abondance les fruits du
Saint-Esprit; mais l'âme inculte, délaissée, privée de la rosée céleste, se couvre
d'épines et de plantes sauvages, c'est-à-dire de péchés. Or les épines sont le
repaire des dragons, des serpents, des scorpions et de toutes les puissances infernales.
Si ces paroles ne vous convainquent pas, comparons-nous à ces âmes délaissées, et vous
verrez quelle différence. Ou plutôt examinons ce que nous sommes quand nous jouissons de
la grâce, et ce que nous valons quand nous en sommes privés depuis longtemps. Ne perdons
pas cet avantage; l'assistance à l'église nous procure toute sorte de biens. Au retour,
l'homme paraît plus respectable à sa femme, et la femme plus aimable à son mari. Car
c'est la vertu de l'âme et non la beauté du corps qui rend une femme aimable, c'est la
tempérance, la douceur, la crainte de Dieu et non le fard, l'or ou les vêtements
précieux. C'est ici dans cette sainte assemblée, que nous pouvons acquérir cette
beauté spirituelle; ici les prophètes et les apôtres purifient, ornent, éloignent la
vieillesse du péché, ramènent la vigueur de la jeunesse, font disparaître toutes les
rides, toutes les taches de nos âmes. Hommes et femmes, efforçons-nous donc tous
d'obtenir cette beauté.
La beauté du corps, la maladie la
flétrit, le temps la ternit, la vieillesse la détruit peu à peu, la mort l'anéantit
complètement; pour celle de l'âme, ni le temps, ni la maladie, ni la vieillesse, ni la
mort, rien ne peut l'enlever: elle est immortelle. Celle du corps est souvent une occasion
de péché; celle de l'âme conduit à Dieu, comme dit le Prophète en s'adressant à
l'Eglise : Ecoutez, ma fille, et voyez, et prêtez l'oreille; oubliez votre peuple
et la maison de votre père, et le Roi sera épris de votre beauté. (Ps. XLIV, 11.)
Afin de mériter l'amitié de Dieu, ayons bien soin de conserver cette beauté; enlevons
toutes les taches par la lecture des saintes Ecritures, par la prière, par l'aumône et
la concorde. Alors le roi, charmé de la beauté de notre âme, nous donnera le royaume
céleste. Puissions-nous l'obtenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et
toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Cette Homélie et les dix qui précédent ont été traduites par
M. l'abbé L. A***, professeur au collège de Saint-Dizier.
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