NEUVIÈME HOMÉLIE. SUR LAZARE MORT DEPUIS QUATRE JOURS.
ANALYSE. Jésus-Christ n'ignorait pas où était
Lazare. IL ne faut pas croire trop facilement. Pourquoi Jésus-Christ
prie avant de ressusciter Lazare. Ce n'est pas par nécessité
, mais à cause du peuple qui était présent , et pour répondre à la demande de
Marthe.
1. Aujourd'hui la résurrection de Lazare
nous donne l'occasion de résoudre diverses questions qui sont pour beaucoup un sujet de
scandale. Cette leçon, je ne sais comment, fournit aux hérétiques et aux Juifs un
prétexte de contradiction, non pas fondée, loin de là, mais apparente et provenant de
leurs mauvaises dispositions. Plusieurs hérétiques disent que le Fils n'est pas
semblable au Père. Pourquoi ? Parce qu'il dut prier pour
ressusciter Lazare, et qu'il n'aurait pu le ressusciter sans prier, et, disent-ils,
comment celui qui prie serait-il semblable à celui qui reçoit la prière ? Or, le Fils
prie et le Père reçoit ses supplications. Mais ils blasphèment, ils ne
comprennent pas que Jésus prie pour condescendre et se proportionner à la faiblesse des
assistants. Dites-moi quel est le plus grand de celui qui lave les pieds ou de celui à
qui on les lave? Evidemment c'est celui-ci. Or notre Sauveur a lavé les pieds de Judas
qui était avec les apôtres. Judas est-il donc plus grand que notre Seigneur puisque
Jésus-Christ lui a lavé les pieds? Touchez-vous du doigt l'absurdité ? Lequel est le
plus humble de laver les pieds ou de prier? C'est certainement de laver les pieds.
Pourquoi celui qui n'a pas dédaigné le plus humble office dédaignerait-il d'accomplir
le plus noble ? Tout cela se faisait par condescendance pour la faiblesse des Juifs, comme
nous le verrons dans la suite de ce discours. Les Juifs prétendent aussi y trouver une
contradiction. Comment, disent-ils, les chrétiens peuvent-ils honorer, comme
Dieu, celui qui ignorait où Lazare était enseveli? Le Sauveur, en effet, dit à Marthe
et à Marie, soeurs de Lazare : Où l'avez-vous placé? (Jean, XI, 34.) Ignorance,
faiblesse; il ne sait où est Lazare et il serait Dieu ? Mais je veux les faire
rougir de leur objection.
O Juifs, vous accusez Jésus-Christ
d'ignorance, à cause de ces paroles : Où l'avez-vous placé? Dieu le Père ignorait donc
dans le paradis où s'était caché Adam? Car il le cherchait dans le paradis et il
l'appelait : Adam, où es-tu? c'est-à-dire où es-tu caché?
Pourquoi Dieu n'indique-t-il pas tout d'abord le lieu où Adam, plein de confiance,
s'entretenait autrefois avec lui? Pourquoi cette question : (256) Adam, où es-tu
? Adam répond: J'ai entendu votre voix quand vous vous promeniez dans le paradis, j'ai
craint parce que je suis nu, et je me suis caché. (Gen.
III, 9.) S'il y a ignorance dans un cas, il y a également ignorance dans l'autre. Jésus-Christ
dit à Marthe et Marie : Où l'avez-vous placé? et vous
l'accusez d'ignorance ! Que pensez-vous en entendant Dieu dire à Caïn : Où est ton
frère Abel ? (Gen. IV, 9.) Si le Fils ignore, le Père
ignore de même. Prenons une autre preuve tirée de la sainte Ecriture. Dieu dit à
Abraham : Le cri de Sodome et de Gomorrhe est monté jusqu'à moi. Je descendrai et je
verrai si leurs oeuvres répondent à ce cri qui est venu jusqu'à moi, je saurai s'il en
est ainsi ou non. (Gen. XVIII, 20.) Dieu qui connaît
toutes choses avant qu'elles soient (Dan. XIII, 42), qui sonde les coeurs et les reins
(Ps. VII, 10), qui connaît les pensées des hommes (Ps. XCIII, 11), dit : Je
descendrai et je verrai si leurs couvres répondent à ce cri qui est venu jusqu'à moi ?
Encore une fois, si vous accusez le Fils d'ignorance, soyez conséquents et accusez-en
aussi le Père. Mais non, l'Ancien Testament ne prouve pas l'ignorance du Père, ni le
Nouveau celle du Fils. Pourquoi dit-il : Je descendrai et je verrai si leurs
couvres répondent à ce qui est venu jusqu'à moi ? Le cri, dit-il, est monté
jusqu'à moi; mais je veux m'assurer par ma propre expérience. Ce n'est pas que j'ignore;
c'est pour enseigner aux hommes à ne pas croire facilement toutes les accusations, et à
'n'ajouter foi qu'après avoir examiné attentivement et par eux-mêmes. Voilà pourquoi
il est dit ailleurs : Ne croyez pas à toute parole. (Eccli.
XIX, 16.) Rien ne trouble la vie des hommes comme la trop grande crédulité. Le prophète
David nous le déclare : Je persécutais celui qui médisait en secret de son prochain.
(Ps. C, 5.)
2. Ce n'est donc pas par ignorance que le
Sauveur demande : Où l'avez-vous placé? et que le
Père dit à Adam : Où es-tu ? et à Caïn : Où
est ton frère Abel ? ou bien : Je descendrai et je verrai
si leurs oeuvres répondent au cri qui est venu jusqu'à moi. Il nous est facile
maintenant de répondre à ceux qui prétendent que Jésus-Christ pria par faiblesse avant
de ressusciter Lazare. Suivez avec la plus grande attention. Lazare est mort; Jésus
n'était pas là, il était en Galilée. Il dit à ses disciples : Notre ami Lazare
dort. (Jean, II, 11.) Ceux-ci, croyant qu'il parlait d'un sommeil ordinaire,
répondirent : Seigneur, s'il dort, il sera guéri. Jésus leur dit ouvertement : Lazare
est mort. Le Sauveur vient ensuite à Jérusalem, où était Lazare. La soeur de
Lazare court à sa rencontre et lui dit: Si vous eussiez été ici, mon frère ne
serait pas mort. Si vous eussiez été ici. Vous êtes faible, ô femme ! Elle
ne sait pas que Jésus-Christ absent de corps est. présent par
la puissance de la divinité; elle mesure le pouvoir du divin Maître à la présence
matérielle. Marthe lui dit : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait
pas mort; et maintenant je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, il vous
l'accordera. C'est donc pour répondre au désir de Marthe que le Sauveur prie. Dieu n'a
pas besoin de prières pour ressusciter un mort. N'a-t-il pas opéré d'autres
résurrections? Quand il rencontra à la porte de la ville un mort qu'on portait en terre,
il ne fit que toucher la bière et le mort se leva. (Luc, vu, 14.) Eut-il besoin de
prière pour le ressusciter? Dans une autre circonstance, il ne dit qu'un mot à la jeune
fille : Talitha, cumi
(Marc, V, 41), et il la rendit vivante à ses parents. A-t-il eu besoin de prier?
Pourquoi parler du Maître? Les disciples
d'un mot ressuscitent les morts. Une parole de Pierre n'a-t-elle pas rendu Tabithe à la vie? Les vêtements de saint Paul n'ont-ils pas
opéré de nombreux prodiges? Voici quelque chose de plus admirable encore. L'ombre des
apôtres ressuscite les morts. On apportait les malades dans des lits, afin que l'ombre
de Pierre cou. vrît quelqu'un
d'eux, et aussitôt ils étaient guéris. (Act. V, 15.)
Quoi donc ? l'ombre des disciples ressuscite les morts, et le
Maître, pour ressusciter Lazare; aurait besoin de prier? Le Sauveur prie à cause de la
faiblesse de Marthe. Elle lui dit : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne
serait pas mort; maintenant je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, il vous le
donnera. Vous voulez une prière, voici une prière. La miséricorde du Sauveur est
une fontaine où l'on peut remplir tout vase, quel qu'il soit; s'il est grand, il contient
beaucoup, peu s'il est petit. Marthe demande une prière et le Sauveur lui donne une
prière, Un autre dit : Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, mais
dites seulement une parole : qu'il soit fait ainsi, et mon serviteur sera guéri. Le
Sauveur lui répondit: Qu'il soit fait selon que vous avez cru. (Matth. VIII, 8 et 13.) Un autre dit : Venez, guérissez ma (257)
fille, et il répond : Je vous suis. (Id. IX, 8.) Le médecin proportionne ses
remèdes aux désirs des hommes. Une femme touche en secret la frange de son vêtement, et
elle obtient en secret sa guérison. (Ibid. 20.} Chacun obtient selon sa foi. Marthe dit :
Je sais que tout ce que vous demanderez au Père, le Père vous le donnera. Elle a
voulu une prière ; le Sauveur la lui accorde,. non par nécessité, mais par condescendance pour sa faiblesse, pour
montrer qu'il n'est point opposé à Dieu, mais que tout ce qu'il fait, son Père le fait
aussi.
Dieu a formé l'homme dès le
commencement; c'est l'oeuvre du Fils aussi bien que du Père: Faisons l'homme,
dit-il, à notre image et à notre ressemblance. (Gen.
I, 26.) Jésus-Christ veut introduire le bon larron dans le paradis; il prononce une
parole et le larron entre au paradis, et il n'a pas besoin de prière, quoique l'entrée
en fût interdite à tous les enfants d'Adam. Car Dieu y avait placé une épée
flamboyante pour la garder. (Gen. III, 24.) Jésus-Christ de
son autorité ouvre le paradis et y introduit le larron.O Seigneur, vous faites entrer un
larron dans le paradis ! Votre Père pour un seul péché en chasse Adam, et vous y
introduisez le larron chargé de mille crimes, de mille forfaits ! et
pour cela une parole vous suffit? Oui, car l'un ne s'est pas, fait sans moi , ni l'autre sans mon Père. Car je suis dans le Père, et le
Père est en moi. (Jean, XIV,10.)
3. La résurrection de Lazare ne fut pas
l'oeuvre de la prière; pour vous en convaincre, écoutez cette prière : Je vous rends
grâces de ce que vous m'avez exaucé. (Jean, XI, 41.) Quoi donc? Est-ce là une
prière, une supplication ? Je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. Pour moi,
je sais bien que vous m'exaucez toujours. Si vous savez, Seigneur, que vous êtes toujours
exaucé par le Père, pourquoi l'importuner au sujet de choses que vous connaissez? Je
sais bien, dit-il, que mon Père m'exauce toujours ,
mais je dis cela pour le peuple qui m'environne, afin que tous sachent que vous m'avez
envoyé. Prie-t-il pour le mort? fait-il des supplications
pour ressusciter Lazare? Dit-il : Mon Père, commandez au mort d'obéir; mon Père,
ordonnez au tombeau de rendre le mort, de ne pas se fermer plus longtemps sur lui? Mais
je dis cela pour le peuple qui m'environne, afin que tous sachent que vous m'avez envoyé.
Ce qui se passe est moins un miracle qu'une instruction pour les spectateurs.
La prière n'est donc pas pour le mort,
mais pour les Juifs incrédules, afin qu'ils sachent que vous m'avez envoyé.
Comment reconnaître cette mission? suivez, je vous en prie,
avec la plus grande attention. De ma propre autorité, semble-t-il dire
, j'appelle le mort; de ma propre puissance je commande à la mort; au Père, je
dis : Mon Père; j'évoque Lazare du tombeau. Si le Père n'est pas mon père,
que ce prodige n'ait pas lieu; s'il l'est, au contraire, que le mort obéisse pour
l'instruction de ceux qui m'entourent Pourquoi Jésus-Christ dit-il : Lazare, venez dehors
? Il a prié, et le mort n'est pas ressuscité; il dit : Lazare, venez dehors !
et le mort se lève.O tyrannie de la mort ! O tyrannie sous laquelle gémissait cette âme ! O enfer! il prie, et tu ne
rends pas le mort ! Non, répond-il. Pourquoi? Je n'avais pas reçu d'ordre.
Je suis établi gardien, et je ne laisse sortir que sur un ordre formel. La prière ne
s'adressait pas à moi; c'était pour les Juifs incrédules. Et à moins d'un ordre
précis, je ne délivre personne. Pour délivrer l'âme j'attends la parole: Lazare,
venez dehors ! Le mort entend l'ordre du Maître, et aussitôt se brisent les
chaînes du trépas. Que les hérétiques soient confondus et qu'ils disparaissent de la
surface de la terre. Car vous le voyez par le texte même; le Christ prie non pour
ressusciter Lazare, mais pour condescendre à la faiblesse des assistants incrédules. Lazare,
venez dehors ! Pourquoi appelle-t-il le mort par son nom? Pourquoi ? Parce qu'en
s'adressant aux morts en général, il aurait ressuscité tous ceux qui étaient dans les
tombeaux. Voilà pourquoi il dit : Lazare, venez dehors ! Je vous appelle seul
devant le peuple, pour montrer par cet acte particulier les prodiges de l'avenir: j'ai
ressuscité un mort, je ressusciterai la terre entière : Car je suis la résurrection
et la vie. Lazare, venez dehors ! Et le mort sortit enveloppé de bandelettes. O
merveille étonnante ! Celui qui a arraché l'âme des liens de la mort, qui a brisé les
portes de l'enfer, qui a broyé les portes d'airain et les verrous de fer, qui a délivré
l'âme des chaînes de la mort, celui-là n'a pu déchirer les bandelettes du mort ! Si,
il le pouvait. Mais il ordonne aux Juifs d'ôter ces liens qu'ils avaient attachés
eux-mêmes en ensevelissant le mort. De la sorte, (258) ils devaient reconnaître leurs
propres liens, et se convaincre par leur expérience que c'était ce Lazare enseveli par
eux, que Jésus-Christ était le Messie envoyé dans le monde par la bonté du Père, et
qu'il avait pouvoir sur la vie et sur la mort. A lui, avec le Père et le Saint-Esprit,
soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi, Soit-il.
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