HUITIÈME HOMÉLIE. JUGEMENT ET AUMONE. DEMANDE DE LA MÈRE
DES FILS DE ZÉBÉDÉE.
ANALYSE. Réponse à une objection des hérétiques. Le
Fils a le même pouvoir que le Père. L'aumône se
mesure, non par la grandeur du don, mais par la pureté d'intention. Louange de
saint Paul dont l'orateur cite les paroles. En quel sens Jésus-Christ
a dit : Ce n'est pas à moi de donner. C'est à celui qui combat, de mériter la
récompense.
l. Hier nous revînmes du combat, du
combat et de la lutte contre les hérétiques , nos armes
étaient sanglantes; entre nos mains, le glaive de la parole s'était, si je l'ose dire,
rougi du sang de l'hérésie ; nous n'avons pas terrassé les corps, mais abattu les
sophismes impies et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu.
(II Cor. X, 5. ) Car tel est le genre de ce combat; telle est aussi la nature des armes.
Saint Paul dit à ce sujet : Les armes de notre milice ne sont point charnelles, elles
sont puissantes en Dieu pour renverser les remparts, détruire les raisonnements et tout
ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu. (II Cor. X, 4.) Il faudrait
raconter à ceux qui étaient absents, les péripéties d'hier, l'ordre de bataille, la
mêlée, la victoire, les trophées. Mais pour ne pas favoriser votre négligence, je veux
passer outre. Vous qui étiez absents, soyez plus diligents à l'avenir, afin de
récupérer ce que vous avez perdu par votre absence. Maintenant nous allons continuer.
Pour peu que l'on ait de zèle à s'instruire , on pourra, si
l'on ne nous a pas entendu hier, apprendre de quelqu'un de nos auditeurs ce que nous avons
dit. Rien ne sera plus facile. Car telle fut l'attention des assistants qu'ils se
retirèrent, emportant toutes mes paroles dans leurs coeurs, sans en rien laisser perdre.
Vous n'aurez donc qu'à les interroger.
Quant à la question à traiter
aujourd'hui, nous vous l'exposerons nous-même; nous discuterons une objection que nous
font les hérétiques. Quelle est-elle.? Dernièrement nous avons parlé de la puissance
du Fils; nous avons montré qu'elle est égale à celle de son Père, sujet que nous avons
longuement développé. Repoussés sur ce point, ils nous objectent un autre texte de
l'Evangile, texte qu'ils n'entendent pas dans son véritable sens. Le voici : Pour ce
qui est d'être assis à ma droite oit à ma gauche, ce n'est point à moi à vous le
donner. Cet honneur est pour ceux à qui le Père l'a préparé. (Matth. XX, 23.)
Je vous renouvellerai d'abord le conseil
déjà donné si souvent. Ne lisez pas simplement la lettre, pénétrez le sens. Quiconque
s'attache uniquement aux mots, et ne s'occupe que (248) de ce qui est matériellement
écrit, tombera dans de nombreuses erreurs. L'Ecriture dit que Dieu a des ailes, comme le
témoigne le Prophète : Protégez-moi à l'ombre de vos ailes. (Ps. XVI, 8.) Nous
n'en conclurons pas que cette essence spirituelle et immortelle a des ailes. Si cela ne
peut se dire des hommes, encore moins. de cette nature pure,
invisible, incompréhensible. Que signifient donc pour nous les ailes? le
secours, la sécurité, la protection, la défense, un asile inviolable. L'Ecriture dit
encore que Dieu dort : Levez-vous, pourquoi dormez-vous, Seigneur. (Ps. XLIII, 23.)
Nous ne pouvons pas dire que Dieu dort : ce serait le comble de la folie. Mais ce mot
dormir nous montre sa patience et sa longanimité. Un autre prophète dit : Serez-vous
comme un homme endormi? (Jér. XIV, 9.)
Vous le voyez, il nous faut beaucoup de
prudence pour scruter l'Ecriture. En prenant les mots dans leur sens propre et strict, il
en résulterait une foule d'absurdités et de contradictions. L'un dit que Dieu dort,
l'autre qu'il ne dort pas; et tous deux disent vrai, si vous les entendez convenablement.
En disant qu'il dort, l'un montre la grandeur de sa patience;
en disant qu'il ne dort pas, l'autre nous révèle son essence pure et incorruptible.
Ayons donc beaucoup de prudence et pesons bien ces paroles : Ce n'est point à moi à
vous le donner; cet honneur est pour ceux à qui le Père l'a préparé. Ce texte
n'ôte rien à Jésus-Christ de sa puissance , ne diminue pas
son autorité, mais il nous montre sa sollicitude, sa sagesse, sa providence pour le genre
humain. Qu'il ait le pouvoir de châtier ou de récompenser, écoutez ce qu'il dit : Lorsque
le Fils de l'homme viendra dans la gloire de son Père, il mettra les brebis à sa droite,
et les boucs à sa gauche, et il dira à ceux qui seront à sa droite : Venez les bénis
de mon Père , possédez le royaume qui vous a été préparé
dès le commencement du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu
soif et vous m'avez donné à boire. A ceux qui seront à sa gauche il dira : Retirez-vous
de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses
anges. Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif et vous ne
m'avez pas donné à boire ; j'étais étranger et vous ne m'avez pas recueilli.
(Matth. XXV, 31 et suiv.) Voyez-vous comment il juge avec autorité, comment il honore ou
châtie, couronne ou punit, comment il introduit les uns dans le royaume céleste, et
précipite les . autres en enfer ?
2. Admirez ici sa sollicitude pour nous.
En s'adressant aux élus il dit : Venez les béais de mon Père, possédez le royaume
qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Aux damnés il ne dit pas :
Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu qui vous a été préparé; mais qui a été
préparé pour le diable. J'ai préparé le royaume pour les hommes, dit-il; l'enfer,
au contraire, je l'ai préparé, non pour les hommes, mais pour le démon et ses anges; si
vous menez une vie telle que vous méritiez d'être damnés, vous pourrez vous l'imputer
justement. Voyez quelle touchante bonté ! Les athlètes n'existent pas encore; les
couronnes et les récompenses sont déjà prêtes. Possédez, dit-il, le royaume
qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Même instruction à
recueillir de la parabole des dix vierges. A l'arrivée de l'Epoux, les folles disent aux
sages: Donnez-nous de votre huile. (Ib. 8). Les autres répondent : Nous
craignons qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous. L'Ecriture n'entend pas
parler d'huile et de feu, mais de la virginité et de la bonté. Le feu est le symbole de
la virginité; l'huile celui de l'aumône. Ce passage signifie que la virginité doit
être accompagnée de charité; sans quoi le salut des vierges est incertain; mais qui
sont ces vendeurs d'huile? Qui, sinon les pauvres? Ils donnent plutôt qu'ils ne
reçoivent. Regardez donc l'aumône non comme une perte, mais comme un gain, non comme une
dépense, mais comme un prêt avantageux. Vous recevez plus que vous ne donnez. Vous
donnez du pain, et vous recevez la vie éternelle ; vous donnez un habit, et vous recevez
un vêtement d'immortalité; vous donnez un abri sous votre toit, et vous recevez le
royaume des cieux; vous distribuez des richesses périssables, et vous recueillez des
biens éternels.
Je suis pauvre, dites-vous, comment faire
l'aumône ? C'est surtout dans la pauvreté que vous pouvez faire l'aumône. Le riche
enivré par l'abondance de ses biens, en proie à une fièvre ardente, tourmenté d'une
avarice insatiable, brûle d'augmenter sa fortune; le pauvre, délivré de toutes ces
maladies, donne plus facilement de ce qu'il a. C'est d'après la pureté d'intention et
non d'après les biens donnés crue se mesure l'aumône. La veuve de (249) l'Evangile
donne deux oboles, et l'emporte, par sa charité, sur les plus opulents. Une autre veuve
n'avait qu'une poignée de farine et un peu d'huile, elle reçut néanmoins et nourrit le
Prophète dont l'àme était aussi élevée que le ciel. Ainsi la pauvreté ne fut un
obstacle ni à l'une ni à l'autre. N'apportez donc pas de vaines, d'inutiles excuses.
Dieu ne demande pas des largesses abondantes, mais une volonté généreuse. L'aumône se mesure , non d'après le don, mais d'après l'intention. Vous êtes
pauvre et le plus pauvre de tous les hommes ? Mais vous n'êtes pas plus indigent que
cette veuve qui l'emporta de beaucoup sur les riches. Vous manquez, vous-même, du
nécessaire ? Mais vous n'êtes pas plus dénué que la veuve de Sidon ; réduite à la
dernière extrémité, attendant la mort, entourée de ses enfants, elle donne cependant
ce qui lui reste, et dans cette extrême indigence, elle acquiert d'immenses richesses ;
sa main fut comme une aire; son urne comme un pressoir, et du dénuement elle fit sortir
l'abondance.
Revenons à notre parabole pour ne pas
tomber dans des digressions sans fin. A l'arrivée de l'Epoux, les vierges tenaient donc
le langage que je vous ai rapporté. Les sages envoyaient les autres chez les vendeurs ;
mais ce n'était plus le temps d'acheter de l'huile. On n'en fait sa provision qu'en cette
vie. Une fois ce monde quitté et le théâtre fermé, il n'y a plus ni remède, ni
pardon, ni excuse pour les actions passées; le châtiment seul reste. C'est ce qui arriva
alors. Quand vint l'Epoux, les vierges sages entrèrent avec leurs lampes; les autres, se
trouvant en retard, frappèrent à la porte et entendirent cette effroyable parole : Retirez-vous,
je ne vous connais pas. Vous voyez encore ici comment Jésus-Christ honore ou châtie,
couronne ou punit, reçoit ou rejette; c'est lui qui porte les deux sentences. la même vérité se prouve par les paraboles de la vigne, et des
talents. Le Seigneur reçoit les bons serviteurs et les comble d'honneurs; pour l'autre,
il le fait lier et jeter dans les ténèbres extérieures.
3. Que répondent les hérétiques? Rien
de sensé? Il a, disent-ils, le pouvoir de châtier et de couronner, de punir et de
récompenser; mais pour le trône du ciel, pour cet honneur suprême, il ne peut le
donner. Si je vous prouve que rien n'a été soustrait à son jugement;
cesserez-vous cette controverse téméraire? Or, écoutez le Christ lui-même : Le
Père ne juge personne, il a donné tout jugement au Fils. (Jean, V, 22.) Si donc le
Père a tout pouvoir de juger, rien n'a été excepté de sa juridiction. Celui de qui
tout jugement relève est maître, à l'égard de tous, de récompenser et de couronner.
Ces mots: Il a donné, ne doivent pas être pris dans leur sens propre. Le Père
n'a pas donné à quelqu'un qui n'avait pas, il n'a pas engendré une personne imparfaite,
à qui il aurait fait ce don plus tard. Il a engendré le Fils parfait, infini. Si Jésus-Christ
se sert de cette expression, c'est pour exclure deux dieux engendrés, distinguer le fruit
de la racine, et non pour vous faire croire à un perfectionnement successif. Ailleurs on
lui demande : Vous êtes donc roi (Jean, XVIII, 37) ; il ne répond pas : J'ai
reçu la royauté, ni la royauté m'a été donnée plus tard ; mais : C'est pour cela
que je suis né. S'il est né roi, à plus forte raison est-il juge et arbitre. Car il
appartient au roi de juger, de décider, d'honorer, de punir. D'autres textes nous
prouvent aussi que c'est à lui de donner les récompenses célestes. Quand je vous aurai
montré le plus saint des hommes couronné par le Fils, quelle
excuse aurez-vous encore?
Quel est donc cet homme ! Quel autre,
sinon ce faiseur de tentes, ce docteur des nations qui a parcouru la terre et la mer comme
avec des ailes, ce vase d'élection, ce paranymphe du Christ, ce fondateur de l'Eglise,
architecte sage, héraut, athlète, soldat, qui a laissé par toute la terre des monuments
de sa vertu, qui a été ravi au troisième ciel, qui a connu les mystères ineffables de
Dieu, qui a entendu des choses que la langue de l'homme ne peut raconter, qui a reçu des
grâces abondantes et supporté d'immenses travaux? Qu'il ait travaillé plus que tous les
autres, il le dit lui-même; écoutez-le: J'ai travaillé plus que tous les autres.
(I Cor. XV, 10.) S'il en est ainsi, sa couronne sera aussi plus belle : Car chacun
recevra sa récompense selon son travail. (Ibid. III, 8.) Si sa couronne est plus
brillante que celle des autres apôtres, et personne n'égale les apôtres qu'il surpasse
lui-même, il est évident qu'il jouira de l'honneur suprême et de la prééminence. Or,
qui le couronnera ? Ecoutez : J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé
la foi. Il me reste à attendre la couronne de la justice, que Dieu, comme un juste juge,
me rendra en ce jour. (II Tim. IV, 7.) (250) Le Père ne juge personne, mais il a
donné tout jugement au Fils. (Jean, V, 22.) La même chose se prouve par ce qui suit
: Non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement. (II
Tim. IV, 8.) L'avènement de qui ? Poursuivons : La grâce de Dieu a paru salutaire à
tous les hommes, elle nous a appris que, renonçant à l'impiété et aux passions
mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent avec tempérance, justice et
piété, attendant la béatitude que nous espérons, et l'avènement glorieux du grand
Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ. (Tit. II, 11.)
4. Notre lutte contre les hérétiques est
terminée; nous avons élevé des trophées et remporté une brillante victoire. Par tout
ce qui a été dit, nous avons montré que le Fils honore et châtie, qu'à lui appartient
tout jugement, qu'il couronne et récompense les plus saints, et que dans les paraboles il
s'attribue ce double pouvoir. Il nous reste à répondre aux difficultés de nos frères
et à montrer pourquoi il a dit: Ce n'est point à moi à vous le donner. Plusieurs
sans doute se posent cette question. Pour résoudre le problème et dissiper toute
inquiétude dans vos esprits, suivez-moi attentivement : le plus difficile me reste à
traiter. Ce n'est pas la même chose de combattre ou d'enseigner, de terrasser un ennemi
ou de relever un frère; il faut beaucoup de zèle pour raffermir ceux qui chancellent, et
rétablir la tranquillité dans ,les esprits troublés. Que mes
paroles ne vous étonnent point, si je disque ce n'est ni au Fils, ni même au Père; et
je le proclame à haute voix, non, ce n'est ni au Fils ni au Père à régler les degrés
de la gloire. Car si ce droit est au Fils, il est aussi au Père ; s'il est au Père, il
est aussi au Fils; voilà pourquoi le Seigneur ne dit pas simplement: Ce n'est pas à moi
à le donner; il dit : Ce n'est pas à moi à le donner, mais à ceux à qui mon Père
l'a préparé. Il montre que ce n'est ni à lui, ni au Père, mais à d'autres. Que
signifie donc ce texte? Votre trouble augmente, votre doute grandit, votre anxiété
redouble. Mais ne craignez rien. Je ne me retirerai pas que je ne vous aie donné la
solution. Permettez-moi de reprendre d'un peu plus. haut.
Autrement je ne pourrais traiter assez clairement toute la question.
Que signifie donc ce texte? Jésus allant
à Jérusalem, la mère des fils de Zébédée, Jacques et Jean, s'approche avec ses
enfants et dit: Faites que mes deux fils soient assis l'un â votre droite, l'autre à
votre gauche. (Matth, XX, 20.) D'après un autre évangéliste, ce sont les fils qui
font cette demande à Jésus-Christ. II n'y a cependant aucune contradiction, mais il ne
faut rien négliger, la mère ayant commencé, et frayé la voie, les fils firent la même
demande, parlant sans savoir ce qu'ils disaient. Quoique apôtres, ils étaient
très-imparfaits, comme les petits des oiseaux encore dans le nid et couverts à peine
d'un léger duvet.
Il faut que vous le sachiez, avant la
Passion ils étaient d'une profonde ignorance. Aussi Jésus-Christ les réprimandait-il
souvent. Vous avez si peu d'intelligence! Vous ne comprenez pas encore que je ne
parlais pas du pain en disant: Gardez-vous du levain des pharisiens. (Matth. XVI, 11.)
Jai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant.
(Jean, XVI, 12.) Non-seulement ils ne pénétraient pas les mystères, mais souvent la
crainte, la timidité leur faisait oublier ce qu'ils avaient appris. C'est ce que Jésus-Christ
leur reproche: Aucun de vous ne me demande: où allez-vous ?Mais
parce que je vous dis cela, la tristesse a rempli votre coeur. (Ibid., 5.) Et ailleurs
: Il vous rappellera et enseignera tout (Jean, XIV, 26), dit-il en parlant du
Saint-Esprit. Il ne dirait pas : Il vous rappellera, s'ils n'avaient oublié beaucoup de
choses. Ceci n'est pas une simple conjecture; saint Pierre, qui tantôt confesse
courageusement, tantôt oublie tout, nous le prouve clairement. Il a dit: Vous êtes le
Christ, Fils du Dieu vivant (Matth., XVI,16),
et pour cela il est appelé bienheureux; un peu après il commet un péché tel qu'il est
traité de satan : Retirez-vous de moi, satan; vous m'êtes un sujet de scandale, parce
que vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes. (Matth. XVI, 23.)
Quoi de plus imparfait? ne pas goûter les choses de Dieu, mais
celles des hommes? Jésus-Christ parlait de sa Passion et de sa Résurrection; Pierre ne
comprenant ni la profondeur de ses paroles, ni ses dogmes ineffables, ni le salut annoncé
à toute la terre, lui dit à part: A Dieu ne plaise,
Seigneur, cela ne vous arrivera pas. Voyez-vous que les apôtres ne connaissaient rien
de certain au sujet de la Résurrection? L'Evangéliste nous l'indique aussi : Ils ne
savaient pas encore qu'il devait ressusciter d'entre les morts. (Jean, XX, 9.)
S'ils ignoraient cette vérité, à plus
forte (251) raison les autres mystères, par exemple ce qui regarde le royaume de Dieu,
les prémices de notre nature, l'Ascension dans les cieux; ils rampaient encore à terre,
ils manquaient d'ailes pour prendre leur essor vers les cieux.
5. Ils étaient pénétrés de cette
idée, que leur Maître régnerait bientôt à Jérusalem. Ils ne savaient rien de plus.
Un autre évangéliste nous le déclare : Ils croyaient, dit-il, que sa royauté
approchait, royauté purement humaine selon eux, et ils pensaient que Jésus-Christ allait
à l'empire et non à la croix et à la mort. Après l'avoir entendu dire cent fois, ils
ne pouvaient le comprendre : trop grossiers pour comprendre clairement ces sublimes
vérités, ils supposaient que Jésus-Christ allait prendre possession de ce royaume
temporel, qu'il régnerait à Jérusalem. Croyant le moment arrivé, les fils de
Zébédée s'approchent de lui sur la route et lui adressent leur demande. Ils se
séparent des autres disciples comme si déjà ils étaient à la tête des affaires, et
ils demandent la prééminence, la place d'honneur. Ils croyaient que la fin était
proche, que tout était achevé et que le temps était venu de distribuer les couronnes et
les récompenses. Ce n'est pas une conjecture que je fais, ni une simple probabilité que
j'énonce. Jésus-Christ lui-même, qui connaît les secrets des coeurs, va nous le
déclarer. Ecoutez ce qu'il leur répond : Vous ne savez ce que vous demandez. Quoi
de plus clair? Ils ne savaient ce qu'ils demandaient; ils lui parlent de couronnes, de
récompenses, de prééminence, d'honneur, avant d'avoir combattu.
Par ces paroles : Vous ne savez ce que
vous demandez, Jésus -Christ nous indique deux choses: la première, c'est que les
fils de Zébédée parlent d'un royaume dont Jésus-Christ n'avait rien dit; car il ne
s'agissait pas de ce royaume temporel et terrestre; la seconde, c'est qu'en recherchant la
prééminence, en voulant paraître plus élevés, plus brillants que les autres, ils font
une demande très-inopportune. Ce n'est pas le temps des couronnes et des récompenses,
mais des combats, des luttes, des peines, des sueurs , des
dangers, des guerres. Voici donc le sens de ces mots : Vous ne savez ce que vous
demandez. En me parlant ainsi vous n'avez pas encore souffert, vous n'êtes pas encore
descendus dans l'arène; le monde est encore égaré, l'impiété domine, les hommes
périssent ; vous ne vous êtes pas encore élancés de la barrière pour courir au
combat. Pouvez-vous boire le calice que je vais boire, et être baptisés du baptême
dont je vais être baptisé? (Marc, X, 38). Il appelle calice et baptême sa croix et
sa mort : calice, parce qu'il l'accepte avec plaisir, baptême, parce que
par là il purifie la terre. C'est aussi pour montrer la facilité de sa résurrection.
Celui qui est baptisé dans l'eau en sort facilement, la nature de cet élément n'offrant
aucune résistance ; ainsi Jésus-Christ descendu au tombeau ressuscite avec la plus
grande facilité. C'est pourquoi il l'appelle baptême. Voici ce qu'il veut dire :
Pouvez-vous souffrir la mort, car maintenant c'est le temps de la mort, des dangers, des
peines. Ceux-ci répondent : Nous le pouvons, sans savoir ce qu'ils disent, et dans
l'espoir d'obtenir leur demande. Jésus reprend : Vous boirez le calice, vous serez
baptisés du baptême dont je vais être baptisé. Il appelle ainsi la mort. Car,
Jacques eut la tête tranchée par le glaive, et Jean mourut plusieurs fois. Mais
d'être assis à ma droite et à ma gauche, ce n'est point à moi à vous le donner, mais
à ceux à qui il a été préparé.
Voici le sens. Vous mourrez, vous serez
torturés et honorés du martyre. Cependant, d'être les premiers, ce n'est pas à moi à
vous le donner, c'est aux athlètes à le conquérir par une plus vive ardeur, un plus
grand zèle. Pour rendre ceci encore plus clair, faisons une supposition voici un
agonothète (1) ; une mère ayant deux fils athlètes vient le trouver avec ses enfants et
lui dit : Faites que mes deux fils obtiennent la couronne. Que répondrait-il? La même
chose que Jésus-Christ; ce n'est pas à moi à la donner. Je suis agonothète, j'accorde
lés récompenses non à la faveur ni aux prières, mais au succès. Car l'agonothète
doit donner le prix au courage et non au premier venu. C'est ce que fait aussi Jésus-Christ;
par là il ne détruit. pas son essence ni sa dignité de Dieu;
il montre que ce n'est pas à lui seul de donner la récompense, que c'est aussi aux
combattants de la prendre. Car si cela dépendait de lui seul, tous les hommes seraient
sauvés et viendraient à la connaissance de la vérité; les honneurs ne seraient pas
divers; puisqu'il a fait tous les hommes et prend un soin égal de tous.
Qu'il y ait des gloires diverses, saint
Paul
252
nous l'enseigne : Autre est l'éclat du
soleil, autre l'éclat de la lune, autre l'éclat des étoiles, et une étoile diffère
d'une autre en éclat (I Cor. XV, 41); Si on élève sur ce fondement un édifice
d'or, d'argent, de pierres précieuses. (Ibid., III, 12.) Saint Paul parle ainsi pour
nous montrer les différentes espèces de vertu; et il nous indique en même temps que ce
n'est pas en dormant qu'on entre au royaume des cieux, mais qu'il faut, par beaucoup de
tribulations, conquérir cette couronne. Les fils de Zébédée, forts de l'amitié et de
la faveur de Jésus-Christ, croyaient qu'ils seraient préférés aux autres. Pour les
détromper, et leur ôter cette persuasion propre à les rendre plus négligents, Jésus-Christ
leur dit : Ce n'est pas à moi de le donner, c'est à vous de le prendre, si vous
le voulez; montrez plus de zèle, plus d'ardeur, plus de dévouement. Les couronnes se
donnent aux travaux, les honneurs aux actions, les récompenses aux fatigues; les oeuvres,
voilà près de moi la meilleure recommandation.
6. J'avais donc raison de le dire, ce
n'est ni à lui, ni au Père, mais aux athlètes, aux combattants. C'est pour cela que
Jésus-Christ dit à Jérusalem : Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants,
comme une poule ses poussins, et tu ne l'as pas voulu? voici
que vos maisons demeureront désertes. (Luc, XIII, 34.) Ainsi vous le voyez, parmi les
lâches, les paresseux, les indolents, personne ne sera sauvé. Nous apprenons encore par
là un autre mystère; c'est que le martyre ne suffit pas pour donner la prééminence et
l'honneur suprême. Jésus-Christ prédit le martyre aux fils de Zébédée, et cependant
ils n'obtiennent pas pour cela la première place. Car il y en a d'autres qui peuvent
avoir fait davantage. Aussi dit-il : Vous boirez de mon calice, vous serez baptisés du
baptême dont je vais être baptisé; mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, ce
n'est pas à moi à vous le donner. Il ne s'agit pas de siège; cela signifie jouir
d'un plus grand honneur, obtenir la prééminence, être le premier de tous. Jésus-Christ
en parlant ainsi se proportionne à notre intelligence. Les fils de Zébédée demandaient
la première place et la préférence sur tous les autres. Pour être ainsi placés et
élevés au-dessus des autres, le martyre seul ne suffit pas. Vous mourrez, il est vrai;
mais jouir de l'honneur suprême, ce n'est pas à moi à vous le donner, c'est à ceux à
qui il a été préparé. Et à qui est-il préparé? Voyons quels sont ces heureux, trois
fois heureux qui obtiennent ces brillantes couronnes. Quels sont-ils et comment
arrivent-ils à cette gloire? Ecoutez. Les dix apôtres étaient irrités contre les fils
de Zébédée, qui, séparés des autres, voulaient s'emparer des premières places. Voyez
comment Jésus-Christ corrige les passions des uns et des autres. Il les appelle et leur
dit : Les maîtres des nations leur commandent avec empire; leurs princes ont un
pouvoir absolu sur elles. Il ne doit pas en être de même parmi vous; mais quiconque veut
devenir le premier, qu'il se fasse le dernier de tous. (Marc, X, 42.)
Vous le voyez, ils voulaient être les
premiers, les plus grands et les plus haut placés, et pour ainsi dire les princes des
apôtres. Pour réprimer leur ambition, et manifester leur dessein, Jésus-Christ dit : Quiconque
veut devenir le premier, qu'il se fasse le serviteur de tous. Si vous désirez la
première place, et la dignité suprême, prenez la dernière place, soyez les plus
petits, les plus humbles, abaissez-vous au-dessous de tous. C'est la vertu qui donne cet
honneur. Ce qu'il prouve aussitôt et surabondamment par un exemple : Le Fils de
l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la
rédemption de plusieurs. Voilà ce qui rend illustre et glorieux. Regardez-moi,
dit-il, je n'ai pas besoin d'acquérir de la gloire ni de l'honneur, cependant j'ai voulu
faire beaucoup de bonnes oeuvres. Avant son Incarnation et ses abaissements, tout était
corrompu et périssait; par ses humiliations, il releva tout; il chassa la malédiction,
détruisit la mort, nous rendit le paradis, ôta le péché, ouvrit les portes du ciel,
fit renaître la piété sur la terre, bannit l'erreur, ramena la vérité, plaça nos
prémices sur le trône royal et nous accorda des biens innombrables que ni moi ni tous
les hommes ne pourrions raconter. Avant ses abaissements, les anges seuls le
connaissaient; après, tous les hommes le connaissent.
Vous le voyez, l'humilité ne diminue pas
la splendeur du Fils de Dieu, il en résulte au contraire pour nous des biens innombrables
et pour lui une gloire plus brillante. Si pour un Dieu infini et ne manquant de rien
l'humilité a produit un si grand bien, lui a procuré plus de serviteurs, et a augmenté
son royaume ; pourquoi craindre en vous (253) humiliant de vous abaisser? Alors vous serez
grands, élevés, brillants, illustres quand vous vous mépriserez vous-mêmes, que vous
dédaignerez les premières places, quand vous ne fuirez pas les humiliations, ni les
dangers, ni la mort, quand vous serez soumis, dévoués à tous et prêts à tout faire et
à tout endurer. Pénétrés de ces sentiments, mes bien-aimés, recherchons l'humilité
avec empressement; les injures, les affronts, les déshonneurs, les outrages, supportons
tout avec joie. Car rien n'est plus capable que la vertu d'humilité de nous élever, de
nous combler d'honneur et de gloire, de nous exalter. En pratiquant cette vertu,
puissions-nous obtenir les biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit soient la gloire, l'honneur,
l'adoration, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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