ANOMÉENS II

DEUXIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU.

 

ANALYSE. En traitant des choses divines, c'est la foi et non la raison qui doit nous guider. — Les Anoméens prétendent connaître Dieu comme il se connaît lui-même. — C'est outrager Dieu que de scruter son essence avec trop de curiosité. — Il faut être modéré dans les discussions avec les hérétiques.

Plusieurs jours auparavant, saint Chrysostome avait prêché contre les Anoméens, ensuite contre les Juifs. — Il avait cessé à cause de la présence des évêques et de la solennité des martyrs. — Maintenant il reprend la parole contre les Anoméens sur la nature incompréhensible de Dieu.

 

1. Recommençons la lutté contre les hérétiques Anoméens. S'ils s'indignent d'être appelés infidèles, qu'ils repoussent la chose, et je tairai le nom. Qu'ils s'abstiennent de toute pensée hérétique, et je m'abstiendrai de toute appellation injurieuse. Si, par leurs oeuvres, ils déshonorent la foi, s'ils s'avilissent sans pudeur, pourquoi s'irritent-ils contre moi, quand je ne fais que leur reprocher par mes paroles ce qu'ils étalent dans leur conduite? Vous vous en souvenez; naguère, quand nous descendîmes dans cette arène pour livrer ces mêmes combats, il nous fallut soudain les interrompre pour lutter contre les Juifs; il eût été dangereux de négliger nos propres membres malades. Il est toujours temps de parler contre les Anoméens. Mais nos frères malades et entraînés vers le judaïsme, si nous ne nous étions hâtés de les secourir et de les retirer de l'abîme, les avis leur seraient bientôt devenus inutiles; il fallait prévenir le péché qu'ils auraient commis en jeûnant avec les Juifs contrairement aux lois de l'Eglise. Ces combats terminés, de tous côtés accoururent ici nos Pères spirituels, et alors il ne convenait pas de faire entendre notre voix, au milieu d'une assemblée tout ensemble si auguste et si nombreuse. Après leur départ, survinrent les fêtes de plusieurs martyrs, et il ne fallait pas négliger les louanges de ces athlètes du Christ. Je vous is et raconte tout ceci, pour vous montrer que ce n'est pas par négligence ou paresse que j'ai différé jusqu'ici de vider notre différend avec les Anoméens.

Mais nous voici délivrés de la lutte contre les Juifs; nos Pères se sont retirés dans leurs demeures, nous avons assez célébré les louanges des martyrs; reste à satisfaire par nos paroles votre longue attente. Car, je le sais, vous ne désirez pas moins vivement de m'entendre que moi de vous parler au sujet: des Anoméens. La cause de cette impatience, c'est l'amour que notre ville porte depuis si longtemps à Jésus-Christ. Vous avez reçu cet héritage de vos pères, de ne jamais laisser altérer les dogmes de la religion. Où en est la preuve? Autrefois, du temps de vos ancêtres, des hommes vinrent de la Judée; ils pervertissaient la doctrine enseignée par les apôtres, ils voulaient imposer la circoncision et l'observation de la (204) loi mosaïque. Ceux qui habitaient alors votre ville ne souffrirent pas en silence cette nouveauté. Mais tels que des chiens généreux qui voient le loup s'approcher pour disperser le troupeau, ils attaquèrent ces novateurs, et ils ne cessèrent de les combattre et de les repousser, jusqu'à ce que les apôtres, sur leurs instances, eussent envoyé par toute la terre des décisions pour confondre ces hérétiques et tous ceux qui, dans la suite, troubleraient ainsi les fidèles.

2. Par où faut-il engager la lutte? Par où, si ce n'est par l'accusation d'hérésie? Ils font tous leurs efforts pour détruire la foi dans l'esprit des auditeurs; peuvent-ils commettre un plus grand crime contre la religion? Lorsque Dieu révèle un dogme, il faut recevoir sa parole avec foi, sans la soumettre à une discussion téméraire. Qu'un de ces hommes m'appelle hérétique, je ne m'en fâche point. Pourquoi? parce que mes oeuvres montrent ce que je suis. Que dis-je, qu'il m'appelle hérétique? qu'il m'appelle même fou dans le Christ; je m'en glorifie comme d'une couronne. Car je partage ce nom avec saint Paul. Cet apôtre dit : Nous sommes fous à cause de Jésus-Christ. (I Cor. IV, 10.) Cette folie est plus prudente que toute sagesse. Car ce que la sagesse du siècle n'a pu trouver, la folie selon Jésus-Christ l'a accompli; elle a chassé les ténèbres du monde, et a fait briller la lumière de la vraie science. Qu'est-ce donc que la folie selon Jésus-Christ? Réprimer les excès désordonnés de notre raison, débarrasser et dégager notre intelligence de toute science mondaine , la maintenir libre et pure pour recevoir les enseignements de Jésus-Christ et les paroles divines.

En effet, quand Dieu nous révèle quelque chose, nous devons le croire avec soumission, et repousser toute vaine curiosité. En pareille matière, chercher les causes, demander les raisons, scruter le mode, c'est le propre d'un esprit audacieux et téméraire. Je veux vous le montrer d'après les saintes Ecritures. Zacharie, ce grand homme, cet homme si admirable, élevé à la dignité de grand prêtre, à qui Dieu avait confié le soin de tout son peuple, Zacharie entra dans le saint des saints, dans le sanctuaire même où seul entre tous les hommes il pouvait alors pénétrer. Remarquez qu'il tenait la place de tout le peuple, de sorte qu'il offrait des prières pour tout le peuple, et rendait le Seigneur propice à ses serviteurs (voyez quelle autorité !); il était comme un médiateur entre Dieu et les hommes. Etant donc entré dans le saint des saints, Zacharie vit un ange ,à l'intérieur : cette vue le frappa de terreur; mais l'ange lui dit : Ne craignez pas, Zacharie, votre prière a été exaucée, et voici que vous aurez un fils. (Luc, I, 13.) Quel est le rapport de ces paroles entre elles? Zacharie prie pour le peuple, intercède pour les pécheurs, demande pardon pour ses frères, et l'ange lui dit: Ne craignez pas, votre prière est exaucée; et pour preuve qu'il est exaucé, il lui annonce la naissance d'un fils appelé Jean. Ce rapport, le voici : Zacharie, qui priait pour les péchés du peuple , allait avoir pour fils celui qui devait crier : Voici- l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. (Jean, I, 29.) C'est donc justement que l'ange dit : Votre prière est exaucée, vous aurez un fils.

Mais que fait Zacharie ? N'oublions pas la question qui nous occupe: nous voulons montrer que c'est une faute impardonnable que de scruter témérairement les oracles divins au lieu de les recevoir avec soumission. Il considère son âge, ses cheveux blancs, son corps débile. Il se rappelle que sa femme est stérile, il doute, il veut savoir comment la chose se fera, et il dit : A quoi reconnaîtrai je la vérité de ce que vous m'annoncez ? Comment cela peut-il se faire? je suis vieux, mes cheveux ont blanchi; ma femme est stérile et avancée en âge; avec cette double impuissance de la vieillesse et de la nature, comment croire à l'accomplissement de vos promesses? Plusieurs ne trouveront-ils pas bien raisonnable cette défiance ainsi motivée? Dieu n'en jugea pas ainsi, et avec raison. Lorsque Dieu parle, il faut se soumettre en silence , et ne pas objecter l'ordre habituel des choses, la nécessité de la nature, ni aucun motif semblable, parce que la puissance divine est au-dessus de tout cela, et que rien ne peut lui résister. Que fais-tu, ô homme? Dieu révèle, et tu te rejettes sur ton âge, tu objectes la, vieillesse? Est-ce que la vieillesse peut triompher de la promesse divine? La nature est-elle plus puissante que le Créateur de la nature? Ignorez-vous la force de sa parole? La parole de Dieu a fait le ciel; cette parole a produit les créatures; cette parole a créé les anges, et vous doutez de la naissance d'un fils ! Aussi l'ange s'irrite, et il n'épargne pas la dignité sacerdotale; et même à cause de cette dignité, il (205) châtie plus sévèrement. Car celui qui était comblé de plus d'honneur, devait avoir une foi plus grande. Et quel est le châtiment? Vous allez devenir muet, et vous ne pourrez plus parler. (Ibid. 20.) Votre langue, qui a servi à manifester votre incrédulité, en subira elle-même le châtiment. Vous allez devenir muet, et vous ne parlerez plus, jusqu'au jour où ceci arrivera. Voyez la bonté de Dieu ! Vous vous défiez de moi, dit-il, recevez maintenant le châtiment, et lorsque l'événement aura confirmé ma parole, alors j'apaiserai ma colère. Quand vous aurez reconnu la justice de votre punition, alors je la ferai cesser. Ecoutez , Anoméens, comment Dieu s'irrite contre la vaine curiosité. Si Zacharie est puni pour n'avoir pas cru à la naissance d'un homme, dites-moi, comment éviterez-vous le châtiment, vous qui scrutez la génération ineffable de Dieu? Zacharie n'a rien affirmé, il a voulu apprendre, et il ne fut pas épargné. Vous qui prétendez connaître les choses invisibles et incompréhensibles, quelle sera votre excuse? quel châtiment n'attirez-vous pas sur vous?

3. Mais nous parlerons en temps convenable de la génération divine. En attendant, reprenons le premier raisonnement que nous avons abandonné; efforçons-nous d'arracher cette racine maudite, la cause de tous les maux et d'où sont sorties ces doctrines perverses. Quelle est la cause de tous ces maux? Oui, l'horreur arrête ma langue prête à la nommer. Ma bouche se refuse à raconter les sacrilèges que leur esprit médite. Quelle est donc la source de ces maux? Un homme a osé dire : Je connais Dieu comme Dieu se connaît lui-même. Fautif ici discuter et combattre? Ne suffit-il pas d'énoncer' cette proposition pour en montrer toute l'impiété? C'est une folie manifeste, une extravagance impardonnable, un genre inouï d'impiété. Jamais personne n'eut une telle prétention, ne tint un pareil langage. Pense donc, malheureux, qui tu es, et qui tu prétends connaître ! Homme, tu veux scruter Dieu ! Ces deux noms seuls démontrent la grandeur de cette folie. Homme, c'est-à-dire terre et poussière, sang et chair, herbe et fleur des champs, ombre, fumée et vanité , tout ce qu'il y a de plus chétif et de plus vil l Et ne m'accusez pas de ravaler par ces paroles la nature humaine. Ce n'est- pas moi , ce sont les prophètes qui s'expriment ainsi, non pour déprécier notre race, mais pour abattre l'orgueil des insensés; non pour avilir notre nature, mais pour humilier l'arrogance des superbes. Et si, malgré ce langage énergique, nous rencontrons néanmoins des hommes qui l'emportent sur le démon par leur jactance, dites-moi, dans quel abîme de folie ne seraient-ils pas tombés, sans ces oracles divins? Malgré le remède tout préparé, ils sont remplis d'eux-mêmes; à quel excès d'orgueil et d'arrogance n'en seraient-ils pas venus, si les prophètes n'avaient dévoilé aussi clairement la bassesse de notre nature?

Ecoutez donc ce que dit de lui-même le saint patriarche : Je suis terre et cendre. (Gen. XVIII, 27.) Il s'entretenait avec Dieu, et loin de s'enorgueillir de cette faveur, il n'en devient que plus humble. Ces hérétiques au contraire qui ne valent pas même l'ombre d'Abraham, croient valoir mieux que les anges eux-mêmes; n'est-ce pas la preuve d'une extrême démence? Dites-moi, vous scrutez Dieu, Dieu qui est sans commencement, immuable, incorporel, incorruptible, présent partout, infiniment supérieur à toute créature. Ecoutez ce que disent de lui les prophètes et craignez : Il regarde la terre, et il la fait trembler. (Ps. CIII, 32.) Il n'a qu'à regarder et il ébranle ce globe immense. Il touche les montagnes, et elles s'en vont en fumée. (Ibid.) Il secoue le monde jusque dans ses fondements, et ses colonnes chancèlent; il menace la mer, et la met à sec. (Job. IX, 6.) Il dit à l’abîme : tu seras désert. (Ps. XLIV, 27.) La mer le vit, et s'enfuit; le Jourdain remonta vers sa source; les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme des agneaux. (Ps. CXIII, 3.) Toute la création tressaille, s'épouvante et frémit. Ces hommes seuls négligent, méprisent, dédaignent leur propre salut, car je n'oserais dire le Maître du monde.

Naguère, nous leur montrions l'exemple des puissances célestes, des anges, des archanges, des chérubins, des séraphins; nous leur apportons maintenant celui. des créatures insensibles, et ils n'en sont pas touchés. Ne voyez-vous pas ce ciel si beau, si vaste, couronné de ces innombrables choeurs d'étoiles? Depuis quand existe-t-il? Il y a cinq mille ans et plus qu'il dure tel; et cette longue suite de siècles ne l'a pas fait vieillir. Comme un jeune homme robuste jouit de la plénitude et de la force de. l'âge, ainsi le ciel a toujours conservé sa beauté première; et le temps ne l'a point affaibli. Mais ce beau ciel vaste, brillant, splendide, incorruptible et bravant les ravages du temps, c'est (206) ce Dieu que vous scrutez, que vous circonscrivez dans les limites de la raison, c'est ce Dieu qui l'a créé aussi facilement que l'homme qui construit une cabane en se jouant. Isaïe dit à ce sujet : Il a suspendu le ciel comme une voûte, et l'a déployé comme une tente sur la terre. (Is. XL, 22.) Voulez-vous aussi considérer la terre? Il l'a créée de rien. Il dit en parlant de celui-là : Dieu a suspendu le ciel comme une voûte, et il l'a déployé comme une tente sur la terre. Et en parlant de celle-ci : Il embrasse le globe de la terre, et il a créé la terre comme un néant. Voyez-vous comment à ses yeux cette masse effrayante n'est qu'un néant?

4. Considérez maintenant la masse des montagnes, la diversité des peuples, la hauteur et la multitude des plantes, le nombre des villes, la grandeur des monuments, la quantité de quadrupèdes, de bêtes sauvages, de reptiles de toute sorte, qui sont sur la surface du globe. Et cependant il a créé si facilement cette terre immense, que le prophète, ne trouvant pas d'exemple de cette facilité, dit qu'il l'a créée comme un néant. Comme la grandeur et la beauté du monde visible ne suffisent pas à nous montrer la puissance du Créateur, et sont bien éloignées de la majesté et de la force de celui qui a tout fait, les prophètes ont trouvé une autre manière pour nous donner, autant que possible, une plus grande idée de la puissance divine. Quelle est-elle donc? La voici : Ils font voir, non-seulement la grandeur des créatures, mais aussi le mode de la création. Alors, contemplant d'un côté l'immensité des choses créées, de l'autre, la facilité de la création, nous pouvons, selon nos forces, nous faire une juste idée de la puissance de Dieu. N'examinez donc pas la grandeur seule de l'oeuvre, mais aussi la facilité d'exécution dans l'ouvrier. Non-seulement la terre, mais encore la nature de l'homme nous enseigne cette vérité. Le Prophète dit : Il embrasse le globe de la terre, et ses habitants sont pour lui comme des sauterelles. (Is. XL, 22.) Et ailleurs : Toutes les nations sont devant lui comme une goutte d'eau. (Ibid. 16.) Ne laissez point passer inaperçue cette parole ; méditez-la attentivement. Parcourez toutes les nations, les Syriens, les Ciliciens, les Cappadociens, les Bithyniens, les habitants du Pont-Euxin, la Thrace, la Macédoine, la Grèce entière, les Iles, l'Italie, ceux qui sont au delà de notre continent, les Bretons, les Sauromates, les Indiens, les Perses, les peuplades et les tribus innombrables dont nous ne connaissons pas même les noms toutes ces nations sont comme une goutte d'eau devant lui. Qu'êtes-vous dans cette goutte, dites-moi, pour oser scruter Dieu, devant qui toutes les nations sont comme une goutte d'eau ?

Pourquoi parler du ciel, de la terre, de la mer, du genre humain? Montons au ciel par la pensée, abordons les anges. Un seul ange, vous le savez, est égal et même de beaucoup supérieur à toute cette création visible. Or, si ce monde tout entier n'est pas digne de l'homme juste, comme dit saint Paul : Le monde n'en était pas digne (Hébr. XI, 38), à plus forte raison, n'est-il pas digne d'un ange. Car les anges l'emportent sur l'homme juste. Cependant au ciel habitent des myriades de myriades d'anges et d'archanges, des Thrônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, d'innombrables tribus, des peuples inénarrables de vertus incorporelles; et Dieu a produit toutes ces créatures avec une facilité qu'aucune parole ne peut exprimer. Il lui a suffi de vouloir : pour nous, vouloir n'est pas une fatigue, ainsi fut pour lui la création de ces Vertus si parfaites et si nombreuses. C'est ce que dit le Prophète : Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait au ciel et sur la terre. (Ps. CXXXIV , 6.) Remarquez-le, sa volonté seule a suffi pour produire non-seulement la terre, mais aussi les puissances d'en-haut. Et à cette vue, vous ne pleurez pas sur vous-même? vous ne vous cachez pas sous terre pour avoir osé dire que vous pouviez scruter et comprendre, comme la plus vile créature, Celui qu'il ne faut que glorifier et adorer? Aussi saint Paul comblé des dons de la sagesse, voyant l'incomparable excellence de Dieu, et la bassesse de la nature humaine, s'indigne contre cette curiosité téméraire, et s'écrie avec véhémence : O homme ! qui es-tu, pour répondre à Dieu ? (Rom. IX, 20.) Qui es-tu? Connais d'abord ta nature, car aucun mot ne peut exprimer ta bassesse ?

5. Mais, direz-vous, je suis homme, je jouis de ma liberté. — Vous en jouissez non pour résister, mais pour obéir à Celui qui vous l'a donnée. Dieu vous a honoré, pour recevoir de vous la gloire et non des outrages. Or vous l'outragez, en scrutant son essence. Accepter aveuglément ses promesses, c'est le glorifier, et (207) chercher à pénétrer et à comprendre non-seulement ce qu'il a manifesté, mais ce qu'il est lui-même, c'est l'insulter. Qu'on l'honore en acceptant ses promesses sans discuter, écoutez saint Paul nous le dire en parlant de l'obéissance et de la foi d'Abraham : Il considéra son corps déjà comme mort, et la stérilité de Sara. Cependant il n'hésita pas, il n'eut pas la moindre défiance de la promesse divine, mais il se fortifia par la foi. (Rom. IV, 19.) La nature, l'âge, le jettent dans le doute; la foi soutient son espérance. Il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, pleinement assuré qu'il peut faire tout ce qu'il a promis. (Ibid. 20 .) Voyez comment, par son entière soumission à la parole divine, il rend gloire à Dieu. Si donc il glorifie Dieu, celui qui croit en lui, celui qui ne croit pas attire sur soi-même l'outrage qu'il fait à Dieu. Qui es-tu pour répondre à Dieu ? Voulant ensuite nous montrer la distance qu'il y a entre Dieu et l'homme, saint Paul ne peut y parvenir. Toutefois l'exemple qu'il apporte est capable de nous en faire concevoir une grande idée. Quelles sont ses paroles ? Le vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez-vous fait ainsi ? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse un vase d'honneur ou un vase d'ignominie? (Rom. IX, 20.) Que répondez-vous? — Je dois donc me soumettre à Dieu, comme l'argile au potier? — Oui, car la distance de l'homme à Dieu est celle de l'argile au potier, et même elle est plus grande et beaucoup plus grande. En effet, l'essence de l'argile et du potier est la même, comme Job le déclare : Je laisse ceux qui habitent des maisons d'argile, nous sommes formés du même limon. (Job. IV, 19.) Si l'homme paraît plus beau et plus parfait, il le doit non à la diversité de la matière, mais à la sagesse de l'ouvrier, puisque a matière est la même. Si vous ne le croyez pas, interrogez les sépulcres et les urnes funéraires. Allez sur les tombeaux de vos ancêtres, et vous verrez qu'il en est ainsi. Entre l'argile donc et le potier, aucune différence. Mais entre l'essence divine et l'homme, la distance est si grande, qu'aucune parole ne peut l'exprimer, aucune intelligence la mesurer. De même que l'argile docile entre les mains du potier, se laisse manier, porter, travailler par lui à son gré, vous aussi soyez muets comme l'argile devant Dieu, et obéissants comme elle à ses desseins. Ce n'est pas pour détruire nos facultés ou anéantir notre libre arbitre que saint Paul parle ainsi , mais pour réprimer énergiquement notre arrogance.

Si vous le désirez, examinons cette question. Que voulaient connaître ceux que l'Apôtre réprime si énergiquement? l'essence divine? nullement. Personne ne l'eût osé. C'était quelque chose de bien inférieur. Ils cherchaient à connaître les desseins de Dieu : pourquoi l'un est puni, l'autre traité avec miséricorde; pourquoi celui-ci est exempt de châtiments, celui-là accablé de maux; pourquoi le pardon est offert à l'un et non à l'autre. Voilà ce qu'ils discutaient. Cela ressort des paroles précédentes. Après avoir dit : Il fait donc miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. Vous me direz: pourquoi se plaint-il ? qui résiste à sa volonté? L'Apôtre ajoute : O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? (Rom. IX, 18, 19, 20.) Saint Paul réprime donc l'audace de ceux qui s'ingèrent dans les choses de Dieu. Il ne leur permet pas cette curiosité. Vous qui voulez sonder l'essence infinie qui gouverne tout, ne méritez-vous pas d'être écrasé sous les foudres du ciel? N'est-ce pas une extrême folie? Ecoutez le Prophète, ou plutôt Dieu parlant par sa bouche : Si je suis votre père, où est mon honneur, et si je suis votre Seigneur, où est la crainte que vous me devez ? (Malach. I, 6.) Celui qui craint, ne discute pas, il adore; il ne scrute pas, il loue et glorifie. Voilà ce que vous enseignent les Vertus des cieux et saint Paul. L'Apôtre n'a garde de tomber lui-même dans le défaut qu'il reproche aux autres. Il déclare expressément aux Philippiens qu'il n'a qu'une science partielle et incomplète : Je ne pense point encore avoir compris (Philip. III , 13), leur dit-il. Il avait déjà dit aux Corinthiens: Nous ne connaissons qu'en partie. Quoi de plus explicite et de plus clair ? D'une voix plus éclatante que la trompette, il. crie à toute la terre : Aimez et conservez précieusement la mesure de science qui vous est donnée, mais ne croyez pas avoir reçu la science parfaite. —Eh quoi ! grand apôtre, c'est le Christ lui-même qui parle en vous, et vous dites : Je ne pense point encore avoir compris ! — Et c'est précisément, répond-il parce que le Christ parle en moi que je tiens ce langage. C'est lui qui me l'inspire. Si donc ces hommes n'étaient complètement privés du secours du Saint-Esprit , s'ils n'avaient repoussé de leur âme toute sa vertu, lorsque saint Paul dit : Je ne pense point encore avoir (208) compris, ces hommes, dis-je, ne s'imagineraient pas avoir tout compris, et posséder la plénitude de la science.

6. Vous me direz peut-être que dans cet endroit l'Apôtre parle de la foi, de la science et des dogmes de la religion, et non des moeurs et des devoirs de la vie ; comme s'il voulait dire Je ne suis pas instruit à fond des devoirs du chrétien. Lui-même va éclaircir la question : J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; il ne me reste qu'à attendre la couronne de la justice. (II Tim. IV, 7.) Celui qui a achevé sa course et va être couronné, ne dirait pas : Je ne pense point encore avoir compris la justice et la vertu. Car ce qu'il faut faire ou ne pas faire, n'est ignoré de personne; tous les membres de la race humaine, les Barbares, les Perses, les peuples les plus grossiers connaissent la voie du devoir. Afin de faire cesser tout doute, je veux vous réciter la suite de ce passage. Après avoir dit: Gardez-vous des chiens, gardez-vous des ouvriers d'iniquité. (Philip. III, 2) ; après avoir beaucoup parlé contre les judaïsants, il continue: Ce que je considérais alors comme un gain, je le regarde comme une perte à cause de Jésus-Christ. Bien plus, tout me semble une perte afin que je sois trouvé, ayant non la justice qui vient de la Loi, mais la justice qui vient de Dieu par la foi en Jésus-Christ. (Ibid. 7, etc.) Il montre ensuite quelle est cette foi : C'est de connaître Jésus-Christ, la vertu de sa résurrection, et la participation de ses souffrances. Qu'est-ce que la vertu de sa résurrection? Jésus-Christ, au sentiment de l'Apôtre, est ressuscité d'une manière toute nouvelle. Beaucoup de morts ont déjà ressuscité avant Jésus-Christ , mais aucun de la même manière que lui. Les uns, après leur résurrection, retournèrent en poussière; arrachés un moment à la tyrannie de la mort, ils retombèrent bientôt sous son empire. Le corps de Notre-Seigneur ressuscité ne retourna pas en poussière, il monta dans les cieux, il brisa pour toujours le joug de l'ennemi, en ressuscitant il renouvela toute la terre , et il est maintenant assis sur le trône royal de l'éternité. Voilà la vertu de la résurrection du Sauveur.

Saint Paul comprenait tout cela, et pour faire voir que la raison ne peut démontrer de si grandes merveilles, mais que la. foi seule les dévoile et les enseigne, il dit : C'est par la foi qu'il faut connaître la vertu de sa résurrection. Si la raison ne peut comprendre la résurrection ordinaire (laquelle en effet est au-dessus de la nature humaine et des lois de ce monde), quelle raison pourra comprendre cette résurrection qui surpasse toutes les autres? Aucune. La foi seule est notre guide, elle seule peut nous faire croire qu'un corps mortel est ressuscité, et qu'il a reçu une vie immortelle, sans fin et sans limite. C'est ce que l'Apôtre indique ailleurs par ces paroles : Jésus-Christ ressuscité ne mourra plus, la mort n'aura plus d'empire sur lui. (Rom. VI, 9.) Double merveille : ressusciter et ressusciter ainsi. Voilà pourquoi il dit C'est par la foi qu'il faut connaître la vertu de sa résurrection. Si la raison ne peut concevoir la résurrection, combien moins encore concevra-t-elle la génération divine ! Parlant de ces mystères , et aussi de la Croix et de la Passion, saint Paul les soumet tous à la vertu de la foi, et il termine en ajoutant : Mes frères, je ne pense point encore avoir compris. Il ne dit pas : je ne pense pas savoir, mais avoir compris. Ce n'est pas une ignorance complète, ni une science parfaite. Par ces mots : je ne pense pas avoir compris, il indique qu'il est sur la voie, qu'il marche, qu'il avance, mais qu'il n'a pas encore atteint le but. C'est ce dont il avertit les autres en ces termes : Nous tous qui sommes parfaits, demeurons dans ces sentiments; s'il en faut changer, Dieu nous le révélera. (Philip. III, 15.) Ce n'est pas la raison qui enseignera, mais Dieu qui éclairera. Il est clair qu'il ne s'agit pas ici de morale, mais des dogmes de la foi ? Les vérités morales et naturelles n'ont pas besoin de révélation, mais bien les dogmes et la science de la religion. Ailleurs parlant sur le même sujet, il dit : Si quelqu'un croit savoir quelque chose, il ne sait encore rien, comme il faut savoir. (I Cor. VIII, 2.) Il ne dit pas simplement : il ne sait rien; mais: il ne sait rien comme il faut savoir. Il possède une certaine science , mais non une science exacte et parfaite.

7. Pour vous montrer la vérité de ces assertions, laissons de côté les Puissances célestes, et descendons, si vous le voulez, à la création visible. Voyez-vous ce ciel? Qu'il ait la forme d'une voûte, nous le savons non par le raisonnement, mais par l'Ecriture sainte. Qu'il environne toute la terre , nous l'apprenons à la même source. Quelle est son essence, nous l'ignorons. Si. quelqu'un prétend le contraire, qu'il nous dise quelle est la substance du ciel (209) Est-ce un cristal solide, une nuée condensée, un air épaissi? Personne ne peut l'affirmer. Avez-vous encore besoin de preuves pour comprendre toute la folie de ceux qui prétendent connaître Dieu? Vous ignorez la nature du ciel que vous voyez tous les jours, et vous vous vantez de comprendre parfaitement l'essence du Dieu invisible ! Il faudrait être bien dépourvu de sens pour ne pas condamner l'extravagance de ces novateurs.

Je vous en conjure tous; ayez compassion de ces hommes en proie à une frénésie insensée; efforcez-vous de les guérir par des paroles pleines de bonté et de douceur. C'est leur orgueil qui a engendré cette doctrine, et ce vice enfle leur esprit. On ne peut toucher sans de grandes précautions à des tumeurs enflammées. Aussi les médecins habiles emploient pour les laver une éponge douce. Or les Anoméens ont dans l'âme une plaie enflammée. Avec une molle éponge imbibée d'une eau salutaire, c'est-à-dire par un langage plein de mansuétude, efforçons-nous de réprimer leur orgueil, et de guérir leur enflure; et malgré leur résistance, leurs injures, leurs outrages et tout ce qu'ils pourraient faire, ne leur retirons pas nos soins. Ceux qui traitent des furieux sont exposés à tous ces inconvénients. Il ne faut donc pas se décourager, mais au contraire les plaindre et pleurer leur sort . leur maladie est assez grave pour mériter nos larmes. Je parle ici à ceux qui sont solidement affermis dans la foi, et qui n'ont aucun dommage à craindre de leur fréquentation. Mais si quelqu'un est encore faible, qu'il évite leur présence, qu'il fuie leur conversation, afin que le prétexte de l'amitié ne devienne pas une cause d'impiété. C'est ainsi qu'agit saint Paul; il s'approche des malades. Avec les Juifs j'ai été Juif, dit-il, infidèle avec les infidèles. (I Cor. IX, 20.) Mais il n'expose pas ses disciples encore faibles à un tel péril : Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. (Ibid. XV, 33.) Sortez du milieu d'eux et séparez-vous, dit le Seigneur. (II Cor. VI, 17.) La visite qu'un médecin rend à un malade lui est souvent utile à lui-même en même temps qu'au malade. La visite de l'homme infirme lui sera nuisible à lui, aussi bien qu'à celui qu'il va voir. Car il ne peut rendre aucun service au malade, et il en reçoit un notable préjudice. En regardant un mal d'yeux, l'on contracte, dit-on, cette infirmité. La même chose arrive à ceux qui fréquentent les hérétiques. S'ils sont faibles, ils se laissent corrompre par le venin de l'impiété. Pour ne pas nous attirer ces malheurs, fuyons la société des Anoméens ; contentons-nous de prier le Dieu très-clément qui veut sauver tous les hommes et les amener à la connaissance de la vérité; supplions-le pour qu'il daigne les délivrer de l'erreur et des piéges du démon, et les ramener à la lumière de la science, à Dieu Père de Notre-Seigueur Jésus-Christ, à qui soient avec l'Esprit-Saint et vivifiant, gloire, puissance; maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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