ANALYSE. 1. Après avoir montré la modestie de saint Pierre, qui
repousse personnellement la gloire de ce miracle, l'Orateur entre dans le développement
de son discours, et y rehausse deux éminentes qualités : la force avec laquelle il
reproche aux Juifs leur déicide, et la douceur avec laquelle il leur ouvre la voie du
repentir et de la pénitence.
2. Il observe aussi que l'apôtre qui, dans son premier discours,
s'était appuyé de l'autorité de David pour prouver la résurrection de Jésus-
3. A l'égard du déicide commis sur la personne de Jésus-
4. Quant à la guérison de ce boiteux faite au nom de Jésus,
elle prouve que Jésus ego vraiment ressuscité, car comment un mort pourrait-il opérer
un tel prodige ?
5. L'Orateur revient ensuite sur la prophétie de Moise, et de
nouveau en fait ressortir la gloire de Jésus-
6.Puis il terminé par une vive exhortation à bannir le serment de toutes transactions commerciales et alaires civiles.
1. Ce second discours de l'apôtre respire plus de confiance que le premier. Ce n'est point qu'il cédât alors à un sentiment de crainte, mais c'est qu'un ton moins humble (20) eût irrité des esprits railleurs. Aussi s'étudie-t-il dès les premiers mots à capter leur attention. Apprenez ceci, leur dit-il, et prêtez l'oreille à mes paroles. Ici , au contraire, ces précautions oratoires devenaient inutiles, car les esprits n'étaient point lâches ni distraits. Le miracle les avait rendus attentifs et les avait remplis de crainte et d'étonnement. Ces dispositions exigeaient donc un exorde tout différent, et en repoussant toute gloire personnelle, Pierre acquérait un nouveau droit à leur bienveillance. Et, en effet, l'orateur est assuré de plaire à son auditoire, quand il s'annonce modestement, et repousse tout soupçon d'orgueil et de vanité. Au reste, ce mépris de la gloire que faisaient paraître les deux. apôtres , rejaillissait glorieusement sur eux, et montrait que la guérison de ce boiteux était une couvre divine à laquelle les hommes n'avaient aucune part , et 'qu'eux-mêmes devaient admirer, bien loin de s'en attribuer l'honneur.
Voyez-vous donc combien Pierre est pur de toute ambition, et avec quel soin il repousse la gloire qu'on lui décerne? C'est ainsi qu'avaient agi les anciens justes; Daniel, qui disait : « Si je parle, ce ne sera point parce que je possède une sagesse toute particulière »; Joseph qui s'écriait : « L'interprétation des songes ne vient-elle pas de Dieu? » et David qui répondait à Saül : « Lorsqu'un lion ou un ours venait, j'invoquais le nom du Seigneur et je les déchirais de mes mains ». (Dan. II, 30; Gen. XL, 8; I Rois, XVII, 34.) Et de même nos deux apôtres disent : « Pourquoi nous regardez-vous comme si par notre vertu et notre piété nous avions fait marcher ce boiteux? » Car ce n'est pas ici notre oeuvre, et nous n'avons pu par nous-mêmes attirer sur cet homme une si grande grâce.
« Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères ». L'apôtre rappelle souvent le souvenir dés anciens patriarches pour écarter tout soupçon d'une religion nouvelle, et de même que dans son premier discours.il avait nommé David,, il cite dans celui-ci Abraham et ses descendants. « A glorifié son Fils Jésus ». Toujours la même humilité que dans son exorde; et puis il insiste sur le crime des Juifs, le flétrit hautement et n'en parle plus en termes couverts, comme il avait fait précédemment. Son but est de presser leur conversion, car plus ouvertement il condamne leur déicide et plus il éveille leur attention. « A glorifié son Fils Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui avait jugé qu'il devait être renvoyé absous ». Vous êtes donc coupables d'un double crime, parce que Pilate voulait le renvoyer absous et que vous vous y êtes opposés.« Vous avez donc renié le saint et le juste, et vous avez demandé qu'on vous accordât la grâce d'un homicide; et vous avez fait mourir l'auteur de la vie, mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, et nous sommes témoins de sa résurrection ».
C'est comme s'il eût dit : vous avez préféré à Jésus un insigne
voleur. C'était donc un reproche bien grave; mais parce qu'il les tenait sous sa main ,
il les presse vivement. « Vous avez fait mourir l'auteur de la vie; mais Dieu l'a
ressuscité d'entre les morts ». Ici il montre le dogme de la résurrection ; et pour
prévenir cette objection, sur quelles preuves se repose-t-il? il ne cite point lés
prophètes, mais son propre témoignage, parce que désormais il mérite d'être cru. La
première fois qu'il avait parlé de la résurrection de Jésus-
« Et maintenant, mes frères, je sais que vous l'avez fait par ignorance, ainsi que vos chefs ». Il leur présente donc, une double excuse : d'abord leur « propre ignorance », et puis « l'exemple de leurs chefs ». C'est ainsi que Joseph disait à ses frères : « Dieu m'a envoyé devant vous ». (Gen. XLV, 5.) Bien plus, ce qu'il n'avait fait qu'indiquer par ces mots
« Il a été livré par le conseil et la prescience de Dieu » (Act.
II, 23), il le développe en disant que « le Seigneur vient d'accomplir « ainsi ce qu'il
avait prédit par la bouche de (21) ses prophètes, que le
Eh quoi ! ô insensés, pensiez-vous qu'il condescendrait à vos
amères railleries? Non, bien certainement. Mais il fallait que ces choses arrivassent
pour accomplir les prophéties. Aussi Jésus-
2. Mais admirez avec quelle sagesse
procède l'apôtre. Dans son premier discours, il s'est borné à insinuer la
résurrection de Jésus-
« Or tous les prophètes », continue l'apôtre, «.depuis Samuel, et dans les temps postérieurs, ont annoncé ces jours ». C'était révéler clairement à ses auditeurs le châtiment d'Israël. Mais observez que toutes les fois que saint Pierre doit leur annoncer quelque chose d'important, il allègue le témoignage des prophètes, et qu'il en trouve des mieux appropriés aux promesses, non moins qu'aux menaces, comme celui-ci : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je place vos ennemis sous vos pieds ». (Ps. CIX, 2.) Dans son admirable concision, ce verset énonce le crime et le genre du châtiment. « Un prophète semblable à moi ». Pourquoi donc vous étonner ! « Car vous êtes les fils des prophètes » ; aussi vous disais-je que toutes ces choses ont été faites pour vous. Les Juifs pouvaient en effet se considérer comme rejetés, du Seigneur à cause de leur déicide; car il leur paraissait invraisemblable que le Dieu qu'ils venaient de crucifier les aimât comme. ses enfants. C'est néanmoins ce qu'avait prédit Moïse : « Vous êtes », avait-il dit, « les fils des prophètes, et les enfants de l'alliance que Dieu a établie avec nos pères, disant à Abraham ; Et en ta race seront bénies toutes les familles de la terre ». (Gen. XII, 3.) C'est donc pour « vous premièrement que Dieu,a envoyé son Fils, le ressuscitant ». Sans doute, c'est aussi pour tous les autres peuples, mais premièrement pour vous qui l'avez crucifié. « Et il l'a envoyé afin que vous soyez bénis, et que chacun de vous revienne de son iniquité ».
Mais reprenons l'explication de ce discours. L'apôtre veut convaincre les Juifs que ni Jean, ni lui ne sont l'auteur de ce miracle; aussi leur dit-il: «Pourquoi vous étonnez-vous? » Cependant il ne veut ras qu'ils doutent de sa réalité; et c'est pour le leur rendre plus certain encore, qu'il prévient leurs pensées, et s'écrie : « Pourquoi nous regardez-vous comme si nous avions opéré ce prodige par notre vertu et notre piété? » Si cette guérison vous trouble et vous agite, apprenez quel en est l'auteur, et vous cesserez de vous en étonner. Ici encore , comme toujours, Pierre s'appuie sur le témoignage de Dieu, et dès qu'il a affirmé que tout. arrive selon ses conseils, il n'hésite plus à reprendre vivement ses auditeurs. Aussi a-t-il dans son premier discours nommé Jésus « un homme approuvé a de Dieu au milieu d'eux » ; et il leur rappelle sans cesse qu'ils l'ont mis à mort pour mieux faire resplendir le miracle de sa résurrection. Mais ici ce n'est plus seulement Jésus de Nazareth; et il lui donne un titre bien plus auguste. « Le Dieu de nos pères », dit-il, « a glorifié son Fils Jésus ».
Admirez cependant l'humilité du saint
apôtre; il ne s'emporte point contre ses auditeurs, et ne leur dit point subitement:
Croyez en Jésus-
Ils pouvaient encore faire cette objection
Comment ceux qui abandonnèrent alors leur Maître, viennent-ils aujourd'hui le glorifier?
Pierre y répond en citant le témoignage des prophètes qui avaient prédit que les
choses devaient ainsi arriver. D'autre part il les reprend vivement, de peur qu'ils ne-
cherchassent à s'excuser sur l'ordre et les conseils du Seigneur. Car c'était un crime
énorme que d'avoir renié Jésus-
Observons enfin que l'apôtre, après avoir reproché aux Juifs de n'avoir point réclamé la délivrance du juste, et même de l'avoir rejetée, ajoute : Et vous l'avez mis à mort. Lorsque les esprits étaient encore tout plongés dans les ,ténèbres, il n'avait eu garde de parler ainsi; mais les voyant troublés et agités, il frappe ces coups violents parce qu'ils peuvent mieux les sentir. Ce n'est point dans le transport de l'ivresse, mais quand elle est dissipée, qu'on peut faire d'utiles représentations ; et de même l'apôtre profite d'un moment lucide pour parler sévèrement et énumérer leurs nombreux forfaits. Ils ont livré à la mort celui que Dieu a glorifié, ils l'ont renié en présence de Pilate qui le trouvait innocent, et ils lui ont préféré un voleur.
3. Admirez aussi comme il insinue que la
résurrection de Jésus-
Observez donc avec quelle condescendance
l'apôtre ménage ses paroles. Et en effet celui-là s'est ressuscité lui-même, dont le
nom seul a redressé ce boiteux qui était aussi impuissant à marcher que s'il eût été
mort. Remarquez aussi comme toujours il s'en rapporte à leur propre témoignage. Il avait
dit précédemment : « Vous le savez vous-mêmes»; et: « au milieu de vous ». Ici il dit également : « Que
vous voyez et que vous connaissez et en présence de vous tous ». Il est vrai qu'ils
ignoraient que ce boiteux avait été guéri au nom de Jésus, mais ils savaient qu'il
était boiteux. Et les deux apôtres publiaient que cette guérison n'était pas leur
uvre, mais celle de la. puissance de Jésus-
Mais parce que Pierre voyait tous les
esprits troublés et agités, il s'empresse de les rassurer en leur donnant le nom de
frères. «Mes frères », leur dit-il dans son premier discours, sans parler de
lui-même; il les avait exclusivement entretenus de Jésus-
Remarquez aussi que l'apôtre ne leur dit
plus: Vous l'avez tué, vous l'avez crucifié; mais seulement: « vous Pavez fait
mourir», amenant ainsi ses auditeurs à un sincère repentir. Si les premiers ont agi par
ignorance, à plus forte raison les seconds; et si Dieu leur pardonne, pourrait-il né
point pardonner aux autres? Admirez encore la réserve de l'apôtre. Il a dit
précédemment: « Toutes ces choses sont arrivées selon le conseil et la prescience de
Dieu » ; et ici : « Le Seigneur vient d'accomplir ce qu'il avait fait prédire de
Jésus-
Nous voyons donc combien est admirable
cette sagesse divine qui fait concourir à ses fins même la malice des pécheurs : « Il
a accompli ». Pierre emploie ce terme pour marquer que rien ne manquait aux (24)
souffrances du
4. Au reste l'apôtre veut montrer qu'ils
ont en effet prédit toutes ces choses; et un examen attentif nous le prouvera, quoique
les prophéties ne laissent pas que d'être quelquefois obscures. Pierre ne parlait donc
pas un langage nouveau. « Selon ce qui a été prédit ». Ici encore il effraie ses
auditeurs, en insinuant que plusieurs prophéties ne sont pas encore accomplies. Comment
donc a-t-il pu dire que le
Mais en même temps le
« C'est à vous que Dieu, ressuscitant
son Fils, l'a premièrement envoyé ». Il ne dit point simplement : Dieu vous a envoyé
son Fils, mais après l'avoir ressuscité, c'est-à-dire après que vous l'avez eu
crucifié. Et pour qu'ils n'attribuassent point cet acte de miséricorde au Fils et non au
Père, il ajoute : « Afin qu'il vous bénisse ». Mais si le
Mais ces mots . « Semblable à moi » ,
ne peuvent s'appliquer à Jésus-
Que ces paroles sont consolantes ! Et
puis il ajoute ; « Dieu vous a envoyé son Fils pour « vous bénir ». Il ne dit pas;
pour vous sauver; mais: pour, vous bénir, ce qui est bien plus excellent; et il montre
ainsi que Jésus crucifié bénira ceux mêmes qui l'ont attaché à la croix. Imitons-le
donc, et rejetons toute pensée de sang et d'inimitié. Il ne suffit pas de ne point se
venger; car la vengeance était défendue par la loi ancienne; mais il faut nous
5. Mais voulez-vous aimer facilement vos
frères? évitez le serment et la colère. Car nous ne saurions haïr celui contre lequel
nous ne nous permettrons pas même un mouvement de colère. Or puisque le serment en est
la cause la plus ordinaire, ne jurez plus , et vous aurez comme coupé les ailes à la
colère. On peut dire aussi que le serment et la colère sont le vent qui enfle la voile;
mais s'il ne souffle pas, carguez la voile; il ne sert de rien de la tenir déployée.
Oui, supprimons les cris et les jurements , et nous aurons comme coupé le nerf de la
colère. Si vous en doutez , essayez, et l'expérience vous convaincra qu'il en est ainsi.
Je propose cet accord à l'homme lé plus irascible ; qu'il s'abstienne de jurer, et de
mon côté je ne lui parlerai plus de pratiquer la douceur chrétienne. Tout sera parfait,
car il n'y aura plus ni serment, ni parjure.
Au reste, vous ne savez pas dans quelles difficultés vous vous engagez. Et en effet, le serment est une chaîne qui vous enlace de toutes parts, en sorte qu'il vous faut faire les plus grands efforts pour arracher votre âme à un péril inévitable. Mais si vous n'y réussissez pas, vous vous abandonnez aussitôt à la douleur, aux disputes et aux imprécations. Encore (26) toute cette colère s'échappe-t-elle en pure perte ! C'est pourquoi ordonnez et menacez, mais gardez-vous d'y ajouter le serment. Car vous pourrez alors, et à voire gré, revenir sur vos actes et sur vos paroles. D'ailleurs je né veux aujourd'hui que vous parler avec beaucoup de douceur, puisque votre bienveillante attention me prouve que déjà vous vous êtes en grande partie corrigés. Je me bornerai donc à vous rappeler quelles circonstances ont donné lieu au serment, et l'ont propagé parmi les hommes. Le récit de son origine et celui des temps et des personnages au milieu desquels il s'est produit pour la première fois vous sera un témoignage de ma reconnaissance. L'homme vertueux n'est point étranger au langage d'une saine philosophie, et l'homme vicieux n'est point digne de l'entendre.
Dès les premiers siècles, Abraham conclut plusieurs traités, immola des victimes et offrit des sacrifices; mais il ne prononça aucun serinent. Quelles en furent donc la cause et l'occasion ? La malice toujours croissante des hommes, l'oubli complet de toute notion de justice, et les progrès de l'idolâtrie. Alors donc, et alors seulement les hommes, étant devenus irréligieux, commencèrent à prendre Dieu à témoin de leurs paroles. Et en effet qu'est-ce que le serment? Une garantie qu'on donne de sa sincérité, quand la corruption des moeurs ôte toute confiance. Ainsi le premier reproche que mérite celui qui fait un serment est d'être si peu sincère qu'on ne saurait croire à sa parole sans une garantie , et même la plus grande qu'il puisse offrir. Car c'est parce qu'on le juge indigne de la moindre confiance, que l'on repousse toute garantie qui viendrait des hommes, et que l'on exige celle de Dieu. En second lieu, celui qui requiert le serment, n'est pas moins coupable, s'il l'exige dans toutes les affaires, et s'il refuse tout autre mode de transaction.
O démence, honte et folie ! ô homme, toi qui n'es qu'un ver de terre, cendre et poussière, tu appelles le Seigneur en témoignage de ta parole, et tu le forces à devenir ta caution ! Mais si une querelle s'élevait parmi vos esclaves, et si dans le feu de la dispute l'un d'eux osait appeler son maître en garantie de sa parole; pour toute réponse vous le feriez châtier sévèrement, et vous lui apprendriez ainsi à ne point se jouer de votre autorité. Bien plus, supposons qu'au lieu de son maître, cet esclave invoquât le témoignage d'un bomme vénérable , celui-ci ne s'en tiendrait-il pas offensé? Mais je ne demande point le serment, me direz-vous. Très-bien; cessez donc de l'exiger; et quand on vous dira : Voulez-vous un tel pour caution, refusez-vous y absolument. Quoi ! faut-il que je perde mon bien ? Je ne dis point cela, et, je me plains seulement de l'offense que vous faites à Dieu. C'est pourquoi celui qui exige le serment est certainement plus coupable que celui qui le prête; mais je n'absous point celui qui jure sans en être requis.
Une conduite bien plus criminelle est celle de ces hommes qui jurent pour une obole, pour un rien, souvent même pour une chose injuste. Encore du moins si l'on ne s'exposait point au parjure. Car dans ce cas, il y a un grave désordre, et il faut en faire retomber la responsabilité sur celui qui a reçu le serment et sur celui qui l'a prêté. Mais que de choses me direz-vous, sont douteuses et inconnues ! Vous devez alors n'agir qu'avec beaucoup de réserve, et si vous êtes imprudent, ne blâmez que,vous seul. Au reste, il vous serait plus avantageux de souffrir ce dommage que tout autre. Car , lorsque vous appelez à serment votre débiteur, que vous proposez-vous? de l'entraîner à un parjure? Mais ce serait une véritable démence, et le châtiment en retomberait sur votre tête; il vaudrait mieux pour vous perdre votre fortune, qu'exposer ainsi le salut de votre frère, risquer le vôtre et offenser le Seigneur. Une telle conduite dénoterait une grande insensibilité de coeur, et une profonde impiété.
Mais j'espère, me direz-vous, que cet
homme gardera son serment. Pourquoi donc ne le croiriez-vous pas sur sa parole? C'est que
plusieurs craignent de violer un serment, et se font un jeu d'une simple promesse. Erreur,
erreur, ô mon frère ! car celui qui s'est accoutumé à ravir le bien ou la
réputation du prochain, ne respectera pas un serment, et celui qui s'effraie d'un
parjure, s'effraiera bien plus encore d'une injustice. Mais il ne s'y résout qu'avec
peine. Il mérite donc que vous le traitiez avec bonté. Au reste, oublions un
instant cette coutume d'exiger le serment dans toutes les transactions et affaires
civiles, et portons la question sur le terrain des moeurs privées : Ici, vous ne pouvez
alléguer aucune excuse, car vous jurez, et vous vous parjurez (27) souvent pour une valeur de dix oboles. Mais
parce que Dieu ne lance pas sa foudre et ne nous écrase pas, nous continuons à le
blasphémer; et dans quelles circonstances? A propos d'un panier de légumes, d'une paire
de souliers, ou d'une modique somme d'argent.
Eh quoi ! si Dieu ne nous punit pas
sur-le-champ, croyons-nous ne pas commettre de péché ? Erreur ! ce délai de sa
vengeance ne prouve qu'une chose, la miséricorde du Seigneur, et nullement notre vertu.
Pourquoi donc ne jurez-vous point par la vie de votre enfant, ou par, la vôtre? Et
pourquoi ne dites-vous pas : Si je manque à ma parole, que je sois livré aux mains du
bourreau? Mais vous craignez de proférer un,pareil serment, et à vos yeux, Dieu est
moins que vos membres et que votre tête. Prononcez du moins quelque, imprécation contre
vous-mêmes. Mais Jésus-
6. O détestable coutume qui nous fait
mépriser le nom du Seigneur ! Certes, si vous forciez votre débiteur à jurer dans
le lieu saint, vous vous croiriez coupable de sacrilège. Mais qui vous inspirerait cette
horreur? L'usage qui est contraire à de pareils serments, tandis que ce même usage les
autorise en tout autre lieu. Eh quoi ! est-il donc permis de prononcer en vain le
saint nom de Dieu ? Les Juifs l'entouraient d'un tel respect qu'ils l'écrivaient sur une
lame d'or, et que le grand prêtre seul la portait sur le front. Nous, au contraire, nous
le proférons presque à chaque instant avec une coupable légèreté. Si dans l'ancienne
loi il était interdit de prononcer même le nom de Dieu, n'est-ce pas, je vous le
demande, une étrange audace et un véritable délire que de l'appeler en témoignage de
notre parole? Toute perte devrait nous paraître préférable à un tel blasphème. Je
vous le répète donc, et je vous adjure de ne pas l'oublier. Bannissez le serment de
toutes vos transactions civiles ou commerciales, et amenez-moi tous les désobéissants.
Oui, je vous le dis et je vous le recommande en présence de tout le clergé de cette
ville, il n'est permis à personne de jurer, soit en prenant en vain le nom de Dieu, soit
de toute autre manière.
Si quelqu'un viole cette défense, qu'on
me le dénonce, quel qu'il soit. Vous n'êtes que des enfants, et il faut que je vous
traite comme des enfants. Mais qu'il n'en soit pas ainsi ! car je rougirais pour vous
si vous aviez encore besoin d'être menés la verge à la main. Oseriez-vous, n'étant que
catéchumène , vous approcher de la table sainte? Et ce qui est bien plus grave encore ,
vous ne craignez point, après votre baptême, de vous asseoir à cette table, dont tous
les prêtres n'approchent pas, et de vous permettre ensuite de criminels jurements.
Certes, vous n'oseriez, au sortir de ce lieu saint, frapper votre enfant, et vous n'avez
ni honte, ni crainte de jurer après avoir communié! Amenez-moi les coupables; j'en ferai
bonne justice, et je les renverrai contents et satisfaits. Au reste, faites ce que vous
voudrez; pour moi, je vous intime ce commandement : Ne jurez point. Eh ! comment espérer
encore que l'on sera sauvé si l'on transgresse ainsi toutes les lois divines? Les
contrats et les actes de commerce ne sont-ils donc faits que pour la perte de votre âme?
Et pouvez-vous gagner autant que vous perdrez ?
Celui que vous avez appelé à serment se parjure-t-il? Vous perdez son âme et la vôtre. Mais il remplira son serment. Vous n'en avez pas moins donné la mort à son âme, en le forçant de transgresser un précepte divin. Corrigeons-nous donc de cette criminelle coutume, et bannissons le serment de la place publique, des boutiques, et en général de toutes nos transactions. Nous sommes, assurés d'en retirer le plus grand fruit. Car ne pensez pas avancer vos affaires en transgressant la loi divine. Mais personne, me direz-vous, ne veut me croire sur parole, et l'on m'oblige à mille serments. Telle est l'objection qui m'est faite souvent; et moi je vous réponds que vous êtes coupables de jurer ainsi avec tant de facilité. Car s'il en était autrement et si l'on savait bien que jamais vous ne vous permettez de jurer, je vous assure qu'on aurait plus de confiance en votre parole qu'aux serments multipliés de mille autres. Moi, je ne jure point, et cependant vous me croyez de préférence à ceux qui ont toujours te serment à la bouche.
Mais, m'objecterez-vous, vous êtes prince et évêque. Sans doute et même quelque chose de plus. Car, répondez-moi en toute franchise : , Si j'avais la criminelle habitude de jurer en toute circonstance, respecteriez-vous beaucoup ma dignité? Nullement. Ma, dignité est donc en dehors de la question. Et maintenant, je vous le demande, que gagnez-vous à jurer ainsi? L'apôtre savait endurer la faim; et à son exemple, vous devriez préférer la pauvreté à cette criminelle violation de la loi divine. Vous restez incrédule : eh bien ! ne néglige aucun moyen, et souffrez même, s'il le faut, pour, vous corriger; est-ce que Dieu ne vous en récompensera pas? Et Celui qui nourrit chaque jour les parjures et les blasphémateurs, vous laisserait-il mourir de faim parce que vous auriez obéi à sa parole?
O vous donc, qui êtes ici réunis, prenez
tous l'engagement de ne plus jurer, et déjà célèbres par votre foi, distinguez-vous
encore par là des autres églises de la.Grèce, et même de tous les autres peuples. Ce
sera un sceau céleste qui nous désignera en tous lieux comme le royal troupeau de
Jésus-
Traduit par M. l'abbé DUCHASSAING.