ACTES LIV

HOMÉLIE LIV. ET LES BARBARES NOUS TRAITÈRENT AVEC BEAUCOUP DE BONTÉ, CAR ILS NOUS REÇURENT TOUS CHEZ EUX ET ILS ALLUMÈRENT UN GRAND FEU A CAUSÉ DE LA PLUIE ET DU FROID QU'IL FAISAIT, ALORS PAUL AYANT RAMASSÉ QUELQUES SARMENTS, ET LES AYANT MIS AU FEU, UNE VIPÈRE, QUE LA CHALEUR EN FIT SORTIR, LE PRIT A LA MAIN. (CHAP. XXVIII, VERS. 1-3, JUSQU'AU VERS. 16.)

 

ANALYSE. 1 et 2. Paul dans l'île de Malte, son arrivée à Rome. — 3. Les tentations procurent de grands avantages. — Utilité ces adversités.        .

 

1. Le texte nous explique de quelle manière les barbares leur témoignèrent leur humanité. « Ils nous reçurent tous chez eux », dit-il, « et allumèrent un grand feu ». Comme il était inutile qu'ils cherchassent à se sauver par un tel froid qui les aurait fait périr, ils allumèrent un grand feu. Paul ensuite jette dans le feu les sarments qu'il a ramassés. (282) Voyez-le toujours agissant, et ne cherchant jamais à faire des miracles sans raison et sans but, mais seulement par.nécessité. Et au moment même où la tempête s'élevait, ce n'était pas sans avoir des raisons qu'il prophétisait. Ici donc il se contente d'alimenter le feu, sans chercher par cela à se donner la. moindre importance, mais uniquement pour que ses compagnons de voyage puissent se réchauffer et se remettre par. ce moyen. Et en ce moment même une vipère que la chaleur avait fait sortir, le prit à la main. « Et quand les barbares virent cette bête qui pendait à sa main, ils s'entre-disaient : Cet homme, c'est sans doute quelque meurtrier, puisque, après avoir été sauvé de la mer; la vengeance divine le poursuit encore et ne veut pas le laisser vivre (4) ». Et ce n'est pas sans raison que la Providence permet qu'ils soient témoins de cet- accident , et qu'ils en parlent en ces termes, afin que, lorsque le miracle sera arrivé, ils ne refusent pas d'y croire.. Et voyez comme le sens commun et la raison naturelle se montrent, dans toute leur rectitude, même chez les barbares; voyez tout ce. qu'il y a d'honnêteté dans leurs sentiments, et de réserve dans leurs jugements. Et ceux-ci sont les premiers à voir, afin qu'ils en admirent davantage ce qui va arriver. « Mais Paul ayant secoué la vipère.dans le feu,  n'en reçut aucun mal. Les barbares s'attendaient à ce que sa main s'enflerait , ou qu'il tomberait mort tout d'un coup : mais après avoir attendu longtemps., lorsqu'ils .virent qu'il ne lui en arrivait aucun mal, ils changèrent de sentiment, et dirent que c'était un Dieu (5-6) ». Ceux qui s'attendaient à le voir tomber mort, voyant qu'il n'éprouvait aucun mal , disent maintenant : c'est un Dieu. Et voilà que de nouveau il est comblé d'honneurs par ces hommes, comme il le fut par cette multitude de la Lycaonie. « Or, il y avait en cet endroit un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut, et exerça, avec une grande bonté , l'hospitalité envers nous pendant trois jours (7) » Voilà un nouveau Publius, hospitalier comme le premier, vivant dans l'opulence. Celui-ci, qui ne savait rien de la religion du Christ, mais que le seul spectacle de leurs malheurs disposait à la pitié, les reçut et leur prodigua ses soins. « Or, il se rencontra que le père de Publius était malade de fièvre et de dysenterie ; Paul l'alla voir, et ayant fait sa prière, il lui imposa les mains et le guérit (8) ». Il méritait bien d'obtenir de Paul ce service, et celui-ci , par un échange de bons procédés, guérit son père. « Après ce miracle,  tous ceux de l'île qui étaient malades, vinrent à lui, et ils furent guéris. Ils nous rendirent ainsi de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui était nécessaire pour notre voyage (9-10) ». C'est-à-dire, tout ce qui était nécessaire; soit à. nous, soit aux autres qui étaient avec nous : considérez qu'à cause de Paul , après avoir échappé à la tempête, ils ne restent pas privés de soins, et sont même entourés de tous les égards d'une généreuse hospitalité; car ils furent nourris en cet endroit pendant trois mois. Ecoutez de quelle manière la suite du texte établit qu'ils sont demeurés là pendant tout ce temps.

« Au bout de trois mois, nous nous embarquâmes sur un vaisseau d'Alexandrie, qui avait passé l'hiver dans l'île , et qui portait pour enseigne : Castor et Pollux. Nous abordâmes à Syracuse où nous restâmes trois jours. De là,, en côtoyant la Sicile, nous vînmes à Rhégium, et un jour après, le vent du midi s'étant levé , nous arrivâmes en deux jours à Pouzzoles , où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent de demeurer sept jours auprès d'eux, et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères de Rome eurent appris des nouvelles da notre arrivée , ils.vinrent au-devant de nous jusqu'au lieu appelé le marché d'Appius et les Trois Hôtelleries. Et Paul les ayant vus, rendit grâces à Dieu , et fut rempli d'une nouvelle confiance (11-15) ». Voyez comme tout cela arrive à cause de Paul, et pour amener à la foi les prisonniers, les soldats, le centenier. Car alors même qu'ils eussent été dé pierre, ils ne pouvaient manquer de se faire une haute idée de lui , par les conseils qu'il leur avait donnés , par les prophéties qu'il avait fait entendre , par les miracles qu'il avait opérés, et enfin par ses bienfaits: car c'était à lui qu'ils devaient d'avoir été nourris si longtemps. Remarquez de quelle manière, quand le jugement est droit , et qu'aucune passion ne le trouble , il accueille les pensées droites et sages. La prédication chrétienne avait déjà pénétré en Sicile, elle était arrivée jusqu'à Pouzzoles, puisqu'ils y trouvent un certain nombre de frères auprès desquels ils demeurent. Là, (283) d'autres que la renommée avait attirés, vinrent au-devant d'eux ; l'affection qui unissait entre eux tous ces frères était si vive , qu'ils ne furent pas troublés dans leur résolution par cette pensée que Paul était dans les fers, mais se hâtèrent de venir au-devant de lui. — Avez-vous remarqué en même temps comme l'âme , de Paul , en cette circonstance , s'ouvre à des sentiments tout humains. Les ayant vus , dit notre texte, il fut rempli d'une nouvelle confiance. Bien qu'il eût déjà opéré tant de prodiges, il n'en puisa pas moins , dans cette vue de ses frères, de nouvelles forces, un nouveau Courage. Et cela nous apprend que , comme celle des autres hommes, son âme s'abandonnait tantôt au découragement, tantôt à l’espérance. « Quand nous fûmes arrivés à Rome, il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait avec un soldat qui le gardait (16) ». C'est une bien forte preuve qu'il était l'objet de l'admiration publique : déjà on ne le mettait plus sur le même rang,que les autres prisonniers. « Or il arriva que. trois jours après, Paul pria les principaux d'entre les Juifs de le venir trouver ». Trois jours après , c'est-à-dire, avant qu'on eût eu le temps de semer des préventions dans leurs esprits. Qu'y avait-il de commun entré eux et lui? Ce n'étaient pas ces Juifs qui devaient l'accuser. — Mais Paul néglige cette circonstance : il veut leur enseigner sa doctrine dès ce moment.

2. Les Juifs donc qui avaient été témoins de tant de prodiges , le persécutaient, le chassaient; et les barbares, qui n'avaient rien vu, étaient touchés de compassion au seul spectacle de ses malheurs. « Cet homme », disent-ils, « est sans aucun doute quelque meurtrier ». ils ne disent pas simplement: « C'est un meurtrier » ; mais : « sans aucun doute » , c’est-à-dire, qu'à leurs yeux la chose est certaine. « Et la vengeance divine», ajoutent-ils, « le Poursuit «encore et ne veut pas le laisser vivre ». En parlant ainsi, ils montraient qu'ils tenaient grand compte de la Providence, de sorte que les barbares étaient beaucoup plus philosophes que les philosophes mêmes. Ceux-ci , en effet , croient devoir retrancher ce monde sublunaire de l'ensemble des êtres auxquels s'étend l'action de la Providence ; ceux-là, au contraire, croient que Dieu est présent partout, et que l'on a beau se soustraire à son action, on finit toujours par se retrouver sous sa main puissante. Et voyez que non-seulement ils ne

se permettent absolument rien contre Paul, mais encore qu'ils le respectent, touchés de ses malheurs. Et on ne lée voit pas publier partout ce qu'ils pensent sur son compte; c'est en se parlant entre eux qu'ils disent: « Cet homme est. sans doute quelque meurtrier », et les chaînes dont ils le voyaient chargé, ainsi que ses compagnons, éveillaient naturellement ce soupçon dans leur esprit. Qu'ils rougissent ceux qui disent : Ne faites pas du bien à ceux qui sont en prison. —. Que cette conduite des barbares les fasse rougir: ces barbares ne savaient pas qui étaient cep hommes, mais il leur a suffi d'apprendre, au seul spectacle de leurs infortunes, qu'ils étaient des hommes, et à l'instant même ils les ont accueillis avec humanité: « Après avoir attendu longtemps», c'est-à-dire, que pendant longtemps ils s'attendaient à ce que Paul mourrait. Mais lui secoua la vipère dans le feu , et leur montra sa main qui n'avait reçu aucun mal. A cette vue, ils furent comme frappés de stupeur et d'étonnement. Et ce prodige ne fut pas opéré à leurs yeux d'une manière soudaine; ils attendirent quelque temps avant de l'apercevoir, de manière que l'imagination n'était ici pour rien, et qu'il n'y avait ni supercherie, ni surprise. « Il y avait en cet endroit des terres qui appartenaient à un nommé Publius , le premier de cette île , qui nous reçut fort humainement, et exerça envers nous l'hospitalité ». Expressions bien justes , car il n'appartient qu'à un homme bon et généreux de donner l'hospitalité à deux cent soixante et dix personnes. Mais considérez les grands profits que donne l'hospitalité ! Ce n'est pas par nécessité, ce n'est pas malgré lui, mais parce qu'il pense y trouver quelque avantage , qu'il leur donne l’hospitalité pendant trois jours : c'est donc à bon droit qu'il reçoit la récompense de tant de générosité, récompense qui passe de beaucoup tout ce qu'il a fait. En effet,. Paul commence par guérir son père de la dysenterie à laquelle il était sur le point de succomber, et non-seulement son père, mais encore beaucoup d'autres malades qui le dédommagent de ses soins, en lui prodiguant les témoignages de respect et les provisions au moment de son départ. « Ils nous rendirent de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui nous était nécessaire pour notre voyage ». Ce n'est pas que Paul reçoive tout cela comme un salaire loin de nous cette idée ! Mais ainsi (284) s'accomplissent ces paroles de l'Ecriture : « L'ouvrier mérite de recevoir sa nourriture». (Matth. X, 10) Or, il est manifeste que ceux qui l'accueillirent ainsi durent recevoir de lui la parole de l’Évangile; il ne se serait pas écoulé trois mois dans ces entretiens, s’ils n'avaient cru et produit de dignes fruits de leur foi. Et l'on peut induire de là que le nombre de ceux qui crurent fut considérable.

Et nous nous.embarquâmes», dit le texte, « sur un vaisseau d'Alexandrie, qui avait passé l'hiver dans l'île, et qui portait pou .enseigne : Castor et Pollux ». L'image de ces dieux était probablement' peinte sur ce navire, et ainsi on peut croire que ceux qui le montaient étaient idolâtres. Voyez.d'abord les lenteurs de leur voyage, puis comme ils se hâtent d'arriver. « Mais il fut permis à Paul de demeurer où, il voudrait ». Paul était désormais si respectable à leurs yeux, qu'il lui était permis dé demeurer à part; et cela n'a rien d'étrange car si, précédemment, ils l'ont déjà accueilli avec bonté, à plus forte raison maintenant. « Et le vent du midi s'étant levé, nous arrivâmes en deux fours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui. nous prièrent d'y demeurer sept jours; et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères.de Rome eurent appris des nouvelles de notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous, jusqu'au lieu appelé le Marché d'Appius, et aux Trois Hôtelleries ». Qu'ils soient sortis de Rome pour cette rencontre; parce qu'ils craignaient le danger qu'elle pouvait avoir pour eux dans Rome même, ce qui s'est passé jusqu'ici nous autorise à leur supposer ces sentiments. Remarquez que , dans le cours d'une aussi longue navigation, ils n'ont jamais débarqué dans aucune ville, ruais dans une île ; et que l'hiver tout entier s'écoule dans cette navigation, tout se coordonnant et se concernant pour que ceux qui naviguent ensemble soient amenés à la vraie foi. « Il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait, avec un soldat. qui le gardait ». Précaution bien opportune, pour que personne ne pût lui tendre des. embûches en cet endroit; quant aux factions, il ne pouvait pas s'en fermer ici. Ainsi, ce soldat ne gardait pas Paul. précisément, mais veillait à ce qu'il ne lui arrivât rien de désagréable. En effet, au sein d'une si grande cité, résidence de l'empereur, de l'empereur à qui Paul en avait appelé, il ne pouvait se passer rien qui fût contraire à l'ordre. C'est ainsi que c'est toujours au moyen de ce qui semble être contre nous, qu'arrive tout ce qui est pour nous. — Ayant appelé auprès de lui les premiers d'entre les Juifs, il s'entretient avec eux, et ceux qui ne pouvant, s'accorder ni avec lui, ni entre eux, se retirent, s'attirent de sa part de sévères. paroles auxquelles ils n'ont rien à répondre, car déjà il ne leur était plus permis de rien tenter contre lui. Ce quia lieu d'étonner, c'est que tout ce qui nous arrive d'heureux ne se réalise pas à l'aide d'événements qui paraissent concourir à notre sécurité, mais à l'aide d'événements tout contraires..

Pour bien. voir. cela, remontons plus haut, Pharaon ordonna que les enfants fussent jetés dans le.Nil. Si ces enfants n'y avaient pas été jetés, si Pharaon n'avait pas donné cet ordre,, Moïse n'eût pas été sauvé et élevé dans le palais des rois. Au moment où on le sauvait des eaux,. il n'était pas élevé en honneur; il l'a été au moment où il à été exposé. Et Dieu agissait ainsi pour montrer les ressources infinies de sa sagesse et de sa puissance. Un Juif le menaça, en lui disant : « Est-ce que tu voudrais me tuer? » (Exod. II, 14.) Et cela lui fut utile. Ce fut aussi par une permission spéciale, de la Providence, qu'il eut cette vision dans le désert, qu'il philosopha dans ce même désert, et y vécut en sûreté jusqu'au temps marqué par elle. Et il en est ainsi de tous les piéges  qui lui sont tendus parles Juifs. De chacune de ces épreuves, il reçoit un nouvel éclat, et c'est aussi ce qui.arrive à Aaron ; ils se lèvent contre lui, et ils ne font qu'ajouter par là à sa gloire, car c'est après cet événement, que sa robe sacerdotale se pare de broderies, qu'une tiare couvre sa tête, que tout l'ensemble de son costume devient plus riche et plus orné, et que, par la suite, les lames d'airain de son pectoral excitent l'admiration, comme si c'était à partir de ce moment que le caractère divin de son élévation est au-dessus de toute contestation. Vous connaissez parfaitement tous les détails de cette histoire : je puis donc passer rapidement. Mais si vous voulez, remontons encore plus haut sur le même sujet. Caïn tua son frère : mais par là on peut dire qu'il contribua, à sa glorification. Ecoutez ce que. dit l'Ecriture : « La voix, du sang de ton frère crie et s'élève devant moi ». (Gen. IV, 10.) Et ailleurs.: « Sang qui parle plus (285) avantageusement pour nous que celui d'Abel ». ( Héb. XII, 24.) Caïn a délivré des incertitudes de l'avenir; il a augmenté l'éclat de la récompense qui lui était destinée : nous avons tous vu dans l'Ecriture la tendresse que Dieu avait pour lui. Quel tort lui a été fait, parce que sa, vie a fini un peu plus tôt? Aucun. Que gagnent, dites-moi, ceux pour lesquels elle se  prolonge un peu plus? Rien. Car le bonheur ne consiste pas à passer dans ce monde un peu plus ou un peu moins d'années, mais à bien user du temps que nous y passons. — Les trois enfants furent jetés dans la fournaise, et par la ils ont acquis une gloire immortelle. Daniel fut jeté dans la fosse aux lions, et-il en est sorti glorieux et triomphant.

3. Vous voyez que partout de grands biens sont sortis des épreuves, dans l'histoire de l'ancienne alliance. A combien plus forte raison doit-il en. être ainsi dans la nouvelle! La  malice des hommes ne fait que rendre la vertu plus éclatante, à peu près comme il arrive à celui qui, à l'aide d'un simple roseau, veut se battre contre le feu : on dirait qu'il le bat, mais en réalité le feu n'en devient que plus flamboyant, et le roseau se réduit en cendres. Ainsi la vertu se nourrit et se fortifie au milieu des piéges que lui tend la malice des hommes, et n'en devient que plus éclatante. Dieu se sert au besoin, pour nous grandir, des injustices mêmes qui nous sont faites. De même, le démon, lorsqu'il intervient dans quelque affaire semblable, ne fait qu'ajouter à la gloire de ceux qui supportent vaillamment ses attaques. Comment se fait-il, dites-vous, que les choses ne se soient pas pissées ainsi à l'égard d'Adam, et que, tout au contraire, il ait été déchu de sa dignité première ? Je réponds qu'à son égard aussi; Dieu s'est servi, comme il le fallait, de l'épreuve, et que c'est lui-même qui s'est causé tout Je dommage qu'il a pu éprouver. Ce qui nous vient d'autrui; est pour nous la cause de grands biens : il n'en est pas de même de ce qui vient de nous-mêmes. Comme le tort que nous font les autres nous cause du. chagrin, et que nous n'en ressentons pas pour le tort que nous nous faisons à nous-mêmes, Dieu se plaît à faire voir que celui qui est injustement traité par autrui, est glorifié, et qu'au contraire, celui qui se fait du tort à lui-même en éprouve du dommage, afin que nous supportions avec courage l'un de ces torts,et que nous nous abstenions de tout ce qui pourrait constituer l'autre. Au reste, ces deux genres de torts se réunissent en la personne d'Adam. — Pourquoi as-tu ajouté. une foi aveugle aux paroles de ta femme? Pourquoi ne l'as-tu pas repoussée, lorsqu'elle te conseillait des choses funestes? Tu as été la cause de tout : car si c'était le démon, il faudrait. que ceux qu'il tente pareillement, succombent et périssent tous; s'ils ne périssent pas tous, c'est donc à l'homme qu'il faut remonter pour trouver la cause première du, péché.

Mais, direz-vous, si la cause du mal est en nous, faudra-t-il admettre que l'on se perd même sans l'intervention dû démon? — Eh bien ! c'est ce qui arrive : plusieurs se perdent en- dehors de toute action du démon. Oui, celui-ci ne fait pas tout le mal ; notre lâcheté seule est la cause de beaucoup de choses : ou, si c'est à l'action du démon qu'elles peuvent être attribuées, c'est nous-mêmes qui lui avons fourni l'occasion d'agir: Dites-moi; à quel moment le démon eut-il tout pouvoir sur Judas? — Lorsque Satan; me direz-vous, entra en lui. — Mais écoutez pour quel motif il y entra parce que c'était un voleur, et qu'il dérobait l'argent des aumônes. — Judas lui-même a donc ouvert à Satan une large entrée. Ainsi, ce n'est pas le démon, qui prend l’initiative : c'est nous qui l'appelons et le recevons n nous. — Mais; direz-vous, sans lui, le mal que nous commettons ne serait pas si grand. — Oui, mais dans ce cas, nous devrions nous attendre à d'affreux supplices : maintenant, mes chers amis, et dans l'état. actuel des choses; une certaine douceur tempère les châtiments infligés à nos fautes. Si c'était de nous-mêmes, et de nous seuls qu'elles procédaient, ces châtiments seraient intolérables. Dites-moi , la faute commise par Adam, s'il l'eût commise en-dehors de tout conseil et de toute suggestion, qui eût pu ensuite le soustraire aux dangers auxquels cette première faute l'exposait? Dans ce cas, il n'eût pas commis de faute, direz-vous. — D'où le savez-vous? En effet, celui que fut assez simple, assez sot, pour admettre un tel conseil, eût, à bien plus forte raison, agi par lui-même comme il l'a fait. Quel démon a soufflé dans l'âme des frères dé Joseph le feu de la jalousie? — Veillons sans cesse sur nous-mêmes; mes chers amis, et les piéges mêmes du démon tourneront à notre gloire. Quel mal lit-il à Jota en déployant contre lui tous ses artifices? — Ne nous parlez pas ainsi, (286) direz-vous : un infirme est nécessairement exposé à. éprouver quelque dommage. — Oui, mais cet infirme éprouvera ce dommage, alors même que le démon n'existerait pas. — Me direz-vous que ce dommage sera bien plias, grand, si, à celle cause première de mal pour lui, s'ajoute l'opération même du démon? — Je vous réponds qu'il est moins puni, si c'est avec cette coopération qu'il pèche : car tous les péchés ne sont pas suivis des mêmes châtiments. Ne nous trompons pas nous-mêmes : si nous veillons sur nous, le démon ne sera pas en nous l'auteur du mal : celui-ci sert bien plutôt à nous secouer dans notre sommeil, à nous. réveiller. En effet, supposez un moment avec, moi qu'il n'y a pas de. bêtes féroces, qu'il n'y a pas d'intempéries de l'air, qu'il n'y a pas de maladies, de douleurs, de chagrins, ni aucun autre mal physique de ce genre : dites-moi, dans ce cas, que serait l'homme? A mon avis, il ressemblerait plus au plus vil des animaux qu'à un homme, plongé qu'il serait dans toutes les voluptés, sans que rien ne vînt jamais le troubler dans ses grossières jouissances. Actuellement, les soucis, les inquiétudes dont il est assailli, ont pour lui comme un apprentissage, comme une école de philosophie, un excellent instrument d'éducation et de perfectionnement moral. Faites une autre supposition : figurez-vous l'homme élevé dans un palais, exempt de toute douleur, de tout souci, de toute préoccupation d'esprit, sans aucune occasion de se mettre en colère ou d'éprouver quelque déception, pouvant faire tout ce qu’il veut; obtenant tout ce qu'il désire, et trouvant toujours ses semblables disposés à lui obéir est-ce qu'un tel homme, au point de vue rationnel, ne serait pas au-dessous de quelque animal que ce puisse être?

Dans ce monde donc , les malheurs, les souffrances sont pour l'âme comme fa pierre à aiguiser: aussi les pauvres, ballottés, éprouvés qu'ils sont par tant de tempêtes, sont-ils, en général, plus intelligents que les riches. Un corps paresseux et toujours en repos est sujet aux maladies , et perd même , dans cette inertie, quelque chose de sa beauté naturelle : il en est tout autrement d'un corps qui trouve dans le travail l'occasion d'exercer ses forces. L'âme éprouve quelque chose de semblable. Le fer se rouille, si on ne s'en sert pas; il brille, au contraire, si on l'emploie, à quelque usage. Il en est ainsi de l'âme : il lui faut le

mouvement; or, le mouvement, elle le trouve dans les épreuves et dans les soucis qui l'assiégent. Si l'âme est privée de mouvement, les arts eux-mêmes périssent ; or, le mouvement pour elle naît des difficultés qu'elle rencontre, des contrariétés qu'elle éprouve. Sans les contrariétés, il n'y aurait rien pour la mettre en mouvement, de même que l'art lui-même ne trouverait pas de matière à s'exercer, si la perfection existait partout clans les oeuvres de, la nature. L'âme aurait une certaine laideur si, sans effort de sa part, elle était.comme portée partout. Ne voyez-vous pas que nous prescrivons aux nourrices de ne pas porter toujours les enfants dans leurs tafias, de peur que cétane tourne pour eux en habitude, et qu'ils né deviennent faibles et maladifs. Ceux qui sont nourris sous les yeux mêmes ale bons parents sont souvent plus chétifs que les autres, par suite des ménagements excessifs dont ils sont l'objet et qui altèrent leur santé-: Urne douleur modérée, des inquiétudes modérées ; et même une certaine pauvreté, sont bonnes à l'âme : car les bonnes choses, et leurs contraires, mais à un. degré modéré, nous rendent également forts; c'est leur excès seul qui nous perd : l'excès des unes nous amollit, l'excès des autres nous brise. N'avez-vous pas remarqué que c'est ainsi que le Christ a élevé. ses disciples? Si ceux-ci avaient besoin de passer par les épreuves, à combien plus forte raison. nous sont-elles nécessaires ? Si elles nous sont nécessaires, ne nous fâchons pas , mais , tout au contraire, réjouissons-nous dans les tribulations : car tels sont tes remèdes qu'il convient . d'appliquer à nos blessures : les uns sont amers, les autres sont doux : employé séparément, chacun de ces deux genres de remèdes serait tout à fait inefficace. Rendons donc grâces à Dieu pour toutes ces choses prises ensemble; car ce n'est pas sans raison qu'il permet qu'elles nous arrivent toutes indistinctement, mais parée que cela convient au plus .grand bien de nos âmes. Elevant donc vers lui nos coeurs reconnaissants, rendons-lui grâces, glorifions-le, luttons courageusement, en songeant que nos épreuves- ne durent qu'un temps, et en tournant toutes nos pensées vers les biens de l'éternité , afin que, après avoir supporté avec résignation, soutenus par ces pensées, le poids de nos misères présentes, nous méritions d'obtenir de Dieu les biens à venir, par la grâce et (287) la bonté de son Fils unique, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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