ACTES V

HOMÉLIE V. HOMMES DE LA JUDÉE, ET VOUS TOUS QUI, HABITEZ JÉRUSALEM, APPRENEZ CECI ET PRÊTEZ L'OREILLE A MES PAROLES. (ACT. II, 44, JUSQU'AU VERS. 21.)

 

ANALYSE. 1. L'orateur explique le discours de l'apôtre saint Pierre, et en fait voir toutes les beautés d'ensemble et de détail. — D'abord ce n'est plus cet homme timide qui tremblait à la voix d'une servante, mais c'est un apôtre plein d'une noble hardiesse et d'une mâle éloquence.

2. L'application de la prophétie de Joël à la conversion des gentils lui fournit ensuite d'heureux développements, et l'annonce qu'elle contient de la ruine de Jérusalem lui en fait tracer un lugubre et effrayant tableau.

3. Mais si le Seigneur châtie ainsi ses ennemis sur la terre, quels seront les supplices de l'enfer? Et quoique ce sujet soit peu agréable à ses auditeurs, il est obligé de le traiter pour satisfaire aux devoirs de sa charge.

4. De là l'orateur est amené à se comparer au magistrat sévère qui maintient l'ordre dans la cité, et que le peuple maudit quelquefois, tandis qu'il n'a que des louanges et des applaudissements pour le riche citoyen qui lui prodigue les fêtes et les jeux. — Mais lequel des deux est réellement le plus utile ? — Le doute n'est pas possible ; et de même l'évêque qui explique la loi divine, et qui montre la terrible sanction dans les menaces de l'enfer, est le vrai père de son peuple. — Celui-ci ne doit donc point murmurer contre lui, mais profiter de ses avis pour acquérir les biens éternels.

 

1. Pierre s'adresse ici à cette foule d'étrangers qui étaient. accourus, mais, en leur parlant, il ne néglige pas de réfuter ses calomniateurs. Car la divine Providence n'avait permis leurs amères critiques que pour donner à l'apôtre    l'occasion de se défendre et d'annoncer l'Evangile. Et parce qu'ils se glorifiaient beaucoup d'habiter Jérusalem , il leur dit: « Apprenez (590) ceci, et prêtez l'oreille à mes paroles ». Ce langage ne pouvait que les rendre attentifs et les disposer à écouter favorablement sa défense. « Non, ces hommes ne sont point ivres, comme vous le pensez ». Que ce langage est doux et bienveillant ! Pierre avait pour lui la plus grande partie du peuple, et néanmoins il n'adresse à ses critiques que de bienveillantes paroles. Il écarte d'abord tout mauvais soupçon à leur égard, et n'établit sa propre défense qu'en second lieu. Aussi ne dit-il pas, comme vous vous l'imaginez par une supposition insensée, ou une froide plaisanterie, mais « comme vous le pensez ». Il donne ainsi à entendre qu'ils ne parlent point sérieusement, et il semble imputer leur faute bien plus à l'ignorance qu'à la malice.

« Non, ces hommes ne sont pas ivres, comme vous le pensez, puisqu'il n'est que la troisième heure du jour ». Cette raison est-elle péremptoire? et les apôtres ne pouvaient-ils, en effet, s'être enivrés à la troisième heure du jour? Sans doute, ils l'eussent pu; mais, sans beaucoup insister sur cette circonstance, Pierre se borne à nier le fait qu'alléguaient ses détracteurs; et cette réserve nous apprend à ne pas beaucoup parler hors de la nécessité. Au reste, la suite de son discours confirme cette assertion, et désormais il s'adresse à tous : « Mais c'est ce qui a été prédit par le prophète Joël , dans les derniers temps, dit le Seigneur ». (Joël, II, 28.) L'apôtre ne nomme pas encore le Christ, et, sans faire mention de sa promesse, il rapporte tout au Père; c'est de sa part une profonde habileté. Il évite donc d'insister de prime abord sur ce qui concernait Jésus-Christ, et de rappeler les promesses qu'il leur avait faites après sa mort sur la croix; car t'eût été ruiner par avance tout le succès de sa prédication. Mais les apôtres ne pouvaient-ils pas, me direz-vous, prouver sa divinité? Oui, sans doute, si vous supposer la foi en sa mort et sa résurrection. Mais en ce moment c'était ce qu'il fallait faire croire; et, en parler inconsidérément, c'était s'exposer à se faire lapider.

« Je répandrai de mon Esprit sur toute chair ». Il leur donnait ainsi de bonnes espérances, car, s'ils le voulaient, ils pouvaient, eux aussi , recevoir ce divin Esprit. Mais il les avertit en même temps qu'ils n'en jouiront pas exclusivement, afin de ne pas exciter contre eux la jalousie des gentils; et, pour couper dans sa racine toute pensée d'envie, il ajoute : « Et vos fils prophétiseront ». C'est comme s'il leur eût dit : Cette miraculeuse effusion de l'Esprit-Saint n'est ni votre bien, ni votre gloire exclusifs, mais la grâce en passera jusqu'à vos enfants. Par honneur il leur donne le nom de pères, et il appelle leurs fils ceux qui devaient être disciples de l'Evangile. Et vos jeunes gens auront des visions, et a vos vieillards auront des songes. Et, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront ». C'était adroitement leur insinuer qu'eux, les apôtres, étaient approuvés de Dieu, puisqu'ils avaient mérité de recevoir l'Esprit-Saint, tandis que les Juifs en étaient rejetés, parce qu'ils avaient crucifié le Seigneur Jésus.

Autrefois Jésus-Christ, pour apaiser l'irritation des Juifs, leur disait : « Par qui vos enfants chassent-ils les démons? » (Matth. XII, 27.) Il ne disait pas, mes disciples, afin d'éviter tout soupçon de s'encenser lui-même; et c'est ainsi que Pierre ne dit pas nous ne sommes pas ivres, mais nous parlons sous l'inspiration du Saint-Esprit. Observons aussi qu'il ne se borne pas à alléguer ce fait, mais qu'il l'appuie sur l'autorité d'un prophète. Aussi, cette autorité le remplit-elle de force et de courage. Sa simple parole avait suffi pour repousser l'accusation d'ivresse ; mais, quand il s'agit d'attester l'effusion de la grâce, il invoque l'autorité d'un prophète. « Je répandrai », dit le Seigneur, « de mon Esprit sur toute chair ». Cette expression générale se rapporte à ce que Dieu instruisait ses prophètes ou par songe, ou par une révélation manifeste. L'apôtre aborde ensuite ce passage assez terrible de la prophétie : « Et je ferai paraître », dit le Seigneur, « des prodiges dans le ciel, et des miracles sur la terre ». Ces paroles désignent le jugement dernier et la ruine de Jérusalem. « Je ferai paraître du sang et du feu, et une colonne de fumée; et le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang ». Quel tableau ! et quelles affreuses calamités ! Ces lugubres emblèmes représentent les maux extrêmes qui arriveront au dernier jour; et néanmoins, l'historien Josèphe raconte que plusieurs prodiges de ce genre parurent dans les airs, et annoncèrent les désastres de la Judée.

Cependant, l'apôtre répand parmi ses auditeurs un vif sentiment de crainte, en leur rappelant ces épaisses ténèbres et l'attente du jugement. « Car elles précéderont le grand «jour dit Seigneur ». C'était leur dire : ne vous abusez pas en croyant que vous pouvez pécher impunément. Et telle est la conclusion de cette annonce du jour grand et terrible du Seigneur. Eh bien ! a-t-il remué les consciences, et changé les rires en remords? Et, en effet, si déjà les pronostics de ce jour éclatent, les périls des derniers temps sont donc proches. Mais quoi ! va-t-il prolonger cet effrayant langage? Nullement; il permet à ses auditeurs de respirer, et continue ainsi : « Et il arrivera que quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ». Selon saint Paul, cette parole désigne Jésus-Christ ; mais, par prudence, Pierre ne le dit pas manifestement. (Rom. X, 13.)

Et maintenant, si nous revenons sur ses premières paroles, nous observerons qu'il s'est élevé avec force contre ses critiques et ses railleurs. « Apprenez ceci », leur a-t-il dit, « et prêtez l'oreille à mes paroles ». En s'adressant à eux, il leur avait dit : « Hommes de la Judée ». C'est-à-dire, selon moi, vous qui habitez dans la Judée. Mais voulez-vous connaître combien Pierre est aujourd'hui changé? rappelons-nous ce passage de l'Evangile. « Une servante s'approcha de lui, disant : Et toi, tu étais avec Jésus de Nazareth. Mais il répondit: Je ne connais point cet homme. Et, interrogé de nouveau, il commença à faire des serments et des imprécations ». (Matth. XXVI, 69, 72.)

2. Admirez aussi l'assurance et la noble franchise de sa parole. Il ne loue point ceux de ses auditeurs qui avaient dit : « Nous les entendons parler en notre langue des grandeurs du Dieu »; et il se borne à exciter davantage leur zèle par la sévérité dont il use envers ses détracteurs. Ainsi son langage ne laisse apercevoir aucune trace de flatterie, et une remarqué qui se justifie toujours, c'est que son discours, quoique rempli d'une extrême bienveillance, présenté le rare mérite d'éviter également l'adulation et. l'injure. Ce n'est pas non plus sans une profonde raison que le prodige de la Pentecôte s'effectua à la troisième heure du jour, car à ce moment le soleil brille, les plaisirs de la table ne nous retiennent plus, et les charmes du jour et de la conversation attirent tous les hommes sur la place publique.

Au reste, le langage de Pierre respire une noble franchise. « Prêtez l'oreille à mes paroles ». Et aussitôt, sans rien dire de lui-même, il ajoute : « Ceci est ce qui a été dit par le prophète Joël, dans les derniers temps ». Il indique ainsi, par cette expression un peu emphatique, que la réalisation des menaces divines est peu éloignée, et, pour ne point paraître la fixer à la seconde génération , il ajoute : « Et vos vieillards auront des songes ». Voyez l'admirable enchaînement de ses paroles. D'abord il a nommé les fils, à l'exemple de David qui a dit : « A la place de vos pères, il vous est né des enfants ». (Ps. XLIV, 17.) Et Malachie dit également : « Il ramènera le coeur des pères à leurs enfants ». (Malach. IV, 6.)

« Je répandrai de mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes ». Ces paroles nous révèlent toute la force de cet Esprit divin qui, en nous délivrant du péché, nous attache à son service. Eh ! quelle n'est pas l'excellence de ce don qui se communique même au sexe le plus faible, dans une large proportion, et noir à quelques individus seulement, comme autrefois à Débora et Holda. Mais observez que Pierre évite de dire que cet Esprit dont parle le prophète est l'Esprit-Saint , et qu'il néglige ainsi d'expliquer les termes de la prophétie. Il se contente de la citer, parce que cette citation suffit à son but. Il se tait également sur Judas, dont tout le monde connaissait la triste fin, et il pense avec raison, qu'à l'égard des Juifs, l'autorité du prophète Joël est l'argument le plus péremptoire. Et, en effet, aux yeux des Juifs, les prophéties l'emportaient sur les miracles. Aussi les voyons-nous contredire ceux de Jésus-Christ, et se taire quand il leur allègue une prophétie. Un jour il leur dit : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite » (Ps. CIX, 1 ; Matth. XXII, 42) ; et ils furent si confus qu'ils n'osèrent plus répondre. C'est pourquoi, et il est facile de le vérifier, le Sauveur ne négligeait aucune occasion de leur citer les saintes Ecritures, comme lorsqu'il leur dit : « L'Ecriture appelle dieux ceux auxquels la parole de Dieu est adressée ». (Jean, X, 35.) C'est donc à l'exemple de son divin Maître que Pierre cite cette prophétie : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair », (592) c'est-à-dire, sur les gentils. Mais -il ne révèle rien et n'explique rien, parce que l'obscurité même de la prophétie servait ses projets. « Je ferai paraître des prodiges dans le ciel ». Le vague de cette menace était bien propre 'à épouvanter les esprits, et toute explication en eût diminué la salutaire terreur. Il se tait donc sur cette prophétie , comme étant par elle-même assez claire , et facile à comprendre. D'ailleurs , il se réserve de l'expliquer en parlant de la résurrection, et il y dirige l'enchaînement de son discours. Ainsi son silence est volontaire et réfléchi, parce que la promesse d'un heureux 'avenir eût été impuissante pour attirer les Juifs à l'Évangile. Ajoutez encore que nul n'échappera aux désastres du dernier jour, tandis que sous Vespasien les chrétiens évitèrent la mort. Et c'est à cette fuite que se rapportent ces paroles du Sauveur : « Si ces jours n'eussent été abrégés, toute chair eût été détruite ». (Matth. XXIV, 22.) Le premier malheur des Juifs fut, en effet, cette ligne de circonvallation qui prit, comme dans un filet, tous les habitants de Jérusalem, et le second fut la ruine et l'incendie de la ville.

L'apôtre continue ensuite la métaphore, et met, comme sous les yeux de ses auditeurs, la désolation de Jérusalem : « Le soleil », dit-il, « se changera en ténèbres et la lune en sang». Que signifie ce changement de la lune en sang? Il me paraît indiquer un effroyable carnage; et ce langage était bien propre à consterner tous les esprits. « Et quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ». Quiconque, dit-il; c'est-à-dire, sans qu'il l'explique, le prêtre, l'esclave et l'homme libre. « Car il n'y a plus en Jésus-Christ d'homme ni de femme, d'esclave ni d'homme libre ». (Gal. III, 28.) Et certes, toutes distinctions sont avec raison abolies sous l'Évangile, de même qu'elles subsistaient sous la loi mosaïque, parce qu'elle n'était que figurative. Et en effet, si, dans le palais impérial, le noble ne se distingue point du plébéien, et si chacun ne s'illustre que par ses oeuvres et se recommande par son service, combien plus doit-il en être ainsi dans le christianisme ! « Quiconque invoquera le nom du Seigneur ». Ce n'est pas sans raison que le prophète emploie ce terme; car Jésus-Christ nous assure que « tous ceux qui lui disent : « Seigneur, Seigneur, ne seront point sauvés », et qu'il n'y aura d'élus que ceux qui le lui diront avec ce véritable amour qui repose sur une bonne vie et une grande confiance. Au reste, l'apôtre ne décourage point ses auditeurs, bien qu'il leur révèle de profonds mystères et qu'il ne leur cache point les terreurs des supplices éternels. Et comment? Parce qu'il leur montre le salut dans l'invocation du nom du Seigneur.

3. Que dites-vous, ô grand apôtre? Vous placez le salut à côté de la croix ! Attendez un peu, et vous connaîtrez combien est grande la miséricorde du Sauveur Jésus. Car la vocation des gentils n'est pas une preuve moins éclatante de sa divinité que sa résurrection et ses miracles. Souvenez-vous aussi qu'un des attributs de Dieu est d'être infiniment bon; aussi Jésus-Christ dit-il : « Nul n'est bon, si ce n'est Dieu seul ». (Luc, XVIII, 19.) Mais il punit également en Dieu, en sorte que sa bonté ne doit point favoriser en nous la paresse et la négligence. C'est ce que nous apprend admirablement l'apôtre quand il dit : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ».

Et maintenant je veux, en parlant de la ruine de Jérusalem et de l'effroyable vengeance que le Seigneur en tira, vous prémunir contre les marcionites et plusieurs autres hérétiques. Ils disent qu'en Jésus-Christ le Dieu était bon, et que l'homme était mauvais. Or, qui est l'auteur de ces maux? L'homme mauvais a-t-il vengé le Dieu bon ? Nullement. C'est donc un être qui lui est étranger, ou bien le Dieu bon a fait ainsi éclater ses vengeances. Mais alors il est manifeste qu'il faut les rapporter au Père non moins qu'au Fils. C'est ce que prouvent, pour le Père, plusieurs passages de l'Évangile, et spécialement celui-ci où il est dit que le père de famille détruira sa vigne. (Matth. XXI, 41.) Il est également écrit du Fils qu'il fait ce commandement à ses serviteurs « Quant à mes ennemis qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les et faites-les mourir devant moi ». (Luc, XIX, 27.)

Dans un autre endroit, Jésus-Christ annonce les calamités qui accableront Jérusalem, calamités inouïes jusqu'alors, et qu'il prédit lui-même. Voulez-vous que je vous en rappelle quelques traits? On vit une mère, épouvantable atrocité ! faire rôtir son propre enfant. Et quoi de plus lamentable qu'un tel fait ! Faut-il décrire les horreurs de la famine et de la peste ? Et il y eut des horreurs plus grandes encore. On foulait aux pieds les lois de la nature et  (593) celles de l'humanité, et les hommes se montraient plus cruels que les bêtes féroces. Or tous ces maux furent amenés par cette guerre sanglante que permirent le Seigneur et son Christ. Ces faits sont un bon argument contre les marcionites et contre ceux qui nient l'existence de l'enfer; et on peut s'en servir utilement pour confondre leur impudence. Et puis , cette dernière désolation ne surpasse-t-elle pas celle de la captivité; et la famine qu'elle occasionna ne fut-elle pas plus cruelle qu'à cette époque? Certainement; et c'est de tous ces maux que Jésus-Christ lui-même a dit : « Cette tribulation sera telle qu'on n'en a jamais vu et qu'on n'en verra jamais de semblable ». (Matth. XXIV, 21.)

Comment donc quelques-uns disent-ils que Jésus-Christ a remis aux Juifs la peine de leur déicide ? Cette objection est peu grave, et vous pouvez facilement la résoudre. Au reste, on ne pourrait ici rien inventer qui approchât de la réalité; et si le récit que nous en possédons était dû à une plume chrétienne, il serait permis de le soupçonner d'exagération. Mais on ne saurait s'inscrire en faux contre sa véracité, puisqu'il a pour auteur un Juif, très attaché à sa nation, et qui écrivait après 1a promulgation de l'Evangile.On voit en effet que dans toutes circonstances il s'attache à relever ses concitoyens. Concluons qu'il existe un enfer, et que Dieu est bon. Le récit des malheurs de Jérusalem vous a remplis d'effroi; eh ! que sont ces maux en comparaison des supplices de l'enfer? Mais voilà que de nouveau je vous deviens fâcheux et importun. Que faire à cela? Ma position l'exige. Un évêque ressemble à un maître sévère qui encourt la haine de ses élèves. Mais, puisque les ministres d'un roi exécutent ses ordres, même les plus rigoureux, ne serait-il pas absurde que, pour vous complaire, je négligeasse les devoirs de ma charge?

Chacun a son oeuvre à remplir; et le devoir du plus grand nombre est de se secourir mutuellement dans un esprit de compassion et de bienveillance, de douceur et de bonté. Le pasteur, au contraire, pour être utile à son troupeau, doit se montrer dur et sévère, fâcheux et importun. Car il fera le bien par d'austères remontrances plus que par d'agréables compliments. Tel est aussi le sort du médecin; et toutefois il est moins rude, parce que les bienfaits de son art se réalisent soudain, tandis que ceux de l'évêque se réservent pour l'éternité. Ainsi encore, le juge est odieux aux malfaiteurs et aux séditieux, et le législateur est importun à ceux que gêne la loi. Mais un accueil bien différent est réservé à celui qui flatte le peuple, qui l'amuse et qui lui préparé des jeux et des fêtes. Et en effet, quels applaudissements ne reçoivent pas ces riches citoyens qui donnent les jeux publics et se ruinent en prodigalités ! Aussi le peuple reconnaissant célèbre-t-il leurs louanges , et par honneur il tend les rues de riches tapisseries, illumine les maisons, porte des palmes et leur offre des couronnes et de somptueux vêtements. Le malade, au contraire, s'attriste en voyant le médecin, et le séditieux devient humble en présence du juge : il perd soudain sa pétulance et son audace, parce qu'il sait que le devoir de ce juge est de le châtier.

Mais examinons qui est plus utile à une cité, ou l'édile qui fournit aux dépenses des jeux, du théâtre et des repas publics, ou le magistrat qui, an lieu de ces pompes superflues, s'entoure de chevalets, de fouets, de bourreaux et de soldats terribles, qui prononce des paroles sévères et des arrêts rigoureux, et qui commande à ses licteurs d'écarter (lu forum une foule tumultueuse. Eh bien ! examinons quels résultats amènent deux conduites si opposées. Le magistrat est un homme odieux et t'édile est un galant homme. Mais que produisent le fêtes qu'il prodigue? De froids plaisirs qui durent jusqu'au soir et s'évanouissent avec l'aurore; des rires indécents et des paroles libres et légères. Eh ! que doit-on au magistrat? La. crainte et la tempérance, la soumission de l'esprit et la retenue des moeurs, l'amour du travail, la répression des mauvaises passions de l'âme, est un rempart contre les désordres extérieurs. Sous l'égide de ces vertus, chacun jouit tranquillement de sa fortune, tandis que le régime contraire la dilapide dans les jeux et les fêtes ; et si des voleurs ne nous l'enlèvent pas, le plaisir et l'ostentation nous la ravissent. Cependant on s'aperçoit bien qu'on est volé, mais on ne laisse pas que d'en rire. Ce sont des voleurs d'un genre tout nouveau : ils dépouillent leur victime et puis lui persuadent qu'elle doit s'en réjouir.

4. Mais dans la religion, rien de semblable, et le Seigneur, qui est le père de tous, nous prescrit le secret de nos bonnes oeuvres, et même de nos bonnes intentions. Car il a dit :

 

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« Prenez garde de faire l'aumône devant les hommes ». (Matth. VI, 1.) Le chrétien y apprend donc à fuir toute injustice. Car il y a également injustice à dérober le bien d'autrui, et à se plonger dans les excès de la table, ou à s'abandonner à une joie effrénée et dissolue. Il y apprend encore à garder la chasteté, et à éviter l'impureté, puisque ce péché se commet même par un simple regard. Il y apprend enfin à pratiquer la modestie et à repousser le faste et l'orgueil, et il n'oublie point, selon la parole de l'apôtre, que : « si tout lui est permis, tout n'est pas expédient ». (I Cor. VI,12.) En un mot, l'Eglise est l'école des vertus, et le théâtre celle des vices. Mais laissons ce sujet, et je me borne à vous dire que les fêtes du monde sont plus fécondes en chagrins qu'en véritables plaisirs. Il suffit, pour nous en convaincre, de considérer au lendemain d'une fête, celui qui en a fait les frais, et ceux qui y ont pris part. Tous, et surtout le premier, nous les verrons tristes et abattus. Et en effet, le jour précédent, le peuple se livrait à une folle gaîté, et il se réjouissait sous un riche vêtement; mais, comme il ne lui appartenait pas, il s'attriste aujourd'hui, et s'afflige de ne plus le posséder. Quant à celui qui a fait les frais de la fête, il se croyait moins heureux que ses joyeux convives : mais le lendemain, ceux-ci n'ont qu'à rendre les habits qu'on leur avait prêtés, tandis que lui-même tombe dans un profond chagrin. Ah ! si, dans les choses extérieures, la joie enfante la tristesse, et le malheur l'utilité, à plus forte raison en est-il ainsi dans les choses spirituelles !

C'est pourquoi personne ne s'irrite contre les lois, et même tous les regardent comme protectrices de la sûreté publique; car elles ne sont point l'ouvrage de législateurs étrangers, ou ennemis, mais l'oeuvre des citoyens, des édiles et des tuteurs de la cité. Tous, ils ont cru bien mériter de la patrie en établissant ces lois, et cependant elles renferment des peines et des châtiments; car, toute loi contient une sanction pénale. Mais, n'est-il pas absurde. de décerner aux législateurs humains les noms de sauveurs, de bienfaiteurs et de protecteurs, et d'appeler dur et fâcheux l'évêque qui vous explique les lois divines? Oh! quand je vous parle de l'enfer, que fais-je, sinon de vous exposer la, sanction de ces lois? Les législations de la terre édictent des peines sévères contre l'homicide, le vol, l'adultère et autres crimes semblables; pourquoi donc murmurer si je mets sous vos yeux les supplices dont vous menace, non un homme, mais Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu ? Que celui, dit-il, qui est sans miséricorde, soit rigoureusement puni. Car, telle est la conclusion de la parabole sur le pardon des ennemis. Que celui, ajoute-t-il, qui garde le souvenir d'une offense, subisse le dernier supplice; que celui qui s'irrite sans motif soit jeté dans le feu, et que celui qui injurie son frère, soit condamné aux peines de l'enfer !

Au reste, ne vous troublez point si ces lois vous paraissent nouvelles ; car Jésus-Christ n'est venu sur la terre que pour y apporter une nouvelle législation. Et en effet, la raison seule nous dit que l'homicide et l'adultère doivent être punis ; et, si l'Evangile ne contenait pas une autre défense, il eût été inutile qu'un législateur divin nous l'eût apporté. Aussi ne dit-il pas : Que l'adultère soit puni, mais bien celui qui se permet même un regard mauvais, et il spécifie le lieu et le genre du supplice. Jésus-Christ n'a point écrit son Evangile sur des tables de pierre, et il ne l'a point gravé sur des colonnes de bronze; mais il a surnaturalisé l'âme des douze apôtres, et par l'opération de l'Esprit-Saint, il y a gravé ces lois que nous vous faisons connaître. C'était le devoir des prêtres à l'égard des Juifs, afin que nul ne prétextât son ignorance, et à plus forte raison est-ce le mien? Si quelqu'un disait: Je n'écouterai pas, et ainsi je ne serai point jugé; il devrait s'attendre à un châtiment plus rigoureux, car son excuse ne serait valable qu'en l'absence dé toute instruction. Mais, puisqu'un évêque instruit son peuple, elle n'est plus recevable. Souvenez-vous donc que Jésus-Christ lui-même a condamné les Juifs : « Si je n'étais pas venu », disait-il, « et si je ne leur eusse pas parlé , ils ne seraient pas coupables ». (Jean, XV, 22.) L'apôtre s'écrie également : « Que dis-je ? Est-ce qu'ils n'ont pas entendu la parole du salut? Sans doute; car la voix des apôtres a retenti par toute la terre ». (Rom. X, 18.)

Alléguez donc votre ignorance, si personne ne vous prêche la doctrine évangélique. Mais quand l'évêque est assis dans sa chaire, et qu'il remplit son devoir , vous n'avez plus d'excuse. J'ajoute aussi que Jésus-Christ, qui a établi dans son Eglise les apôtres, comme autant de colonnes de la vérité, a voulu honorer (505) les évêques du même privilège. Et si nous nous sommes rendus indignes de comprendre les sublimes inscriptions que portent ces colonnes, fixons du moins sur elles un regard respectueux. Les colonnes, non plus que les lois, ne sont coupables des menaces qu'elles profèrent contre les malfaiteurs ; et il en est ainsi des bienheureux apôtres. Mais l'Eglise, qui est la colonne de vérité, ne se dresse pas dans un seul lieu, et ses inscriptions sont répandues dans le monde entier. Passez jusqu'aux Indes, et vous les entendrez publier; avancez jusqu'à l'Espagne, et jusqu'aux limites de l'univers, et vous ne trouverez personne qui, avec un peu de bonne volonté, ne parvienne à les connaître. Ne murmurez donc point contre ces lois divines, mais efforcez-vous de pratiquer les vertus chrétiennes, afin que vous puissiez obtenir les biens éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

 

FIN DU TOME HUITIÈME.

 

 

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