ACTES XLVIII

HOMÉLIE XLVIII. ÉTANT REVENU A JÉRUSALEM, PENDANT QUE JE PRIAIS DANS LE TEMPLE, IL ARRIVA QUE J'EUS UNE EXTASE, ET JE VIS JÉSUS QUI ME DISAIT: « HATE-TOI, SORS PROMPTEMENT DE JÉRUSALEM, CAR ILS NE RECEVRONT PAS TON TÉMOIGNAGE SUR MOI », ET JE DIS : « SEIGNEUR, ILS SAVENT EUX-MÊMES QUE C'ÉTAIT MOI QUI METTAIS EN PRISON ET QUI FAISAIS FOUETTER DANS LES SYNAGOGUES CEUX QUI CROYAIENT EN VOUS, ET QUE, LORSQU'ON RÉPANDAIT LE SANG D'ÉTIENNE, VOTRE TÉMOIN, J'ÉTAIS PRÉSENT, ET QUE J'ÉTAIS CONSENTANT A SA MORT, ET QUE JE GARDAIS LES VÊTEMENTS DE CEUX QUI LE METTAIENT A MORT. » (CHAP. XXII, 17-20.)

 

 

ANALYSE. 1 et 2. Suite du discours de saint Paul aux Juifs. — Commentaire. —'Injustice du tribun. — Paul dit : Je suis citoyen romain. — Fermeté de saint Paul. — Saint Paul devant le Sanhédrin. — Conduite du grand-prêtre. — Respect de saint Paul pour la Loi.

3. Exhortation. — Qu'il faut discerner avec soin : les vices et les vertus. — La magnanimité , l'économie, la prodigalité, l'avarice. — La mansuétude et la mollesse ; ta liberté de parole et l'audace.

 

1. Voyez comme il se précipite dans le danger; car il dit ensuite : « Lorsque je revins à Jérusalem » ; c'est-à-dire, après la vision de la route de Damas, je. vins de nouveau à Jérusalem. « Pendant que je priais dans le temple, il arriva que j'eus une extase, et je vis Jésus qui me disait : Hâte-toi, sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage sur moi ». Cela encore n'est point sans témoignage, le témoignage se lire de l'événement. Le Christ avait dit : « Ils ne recevront pas ton témoignage », et ils ne, le reçurent pas. Et certes, par le raisonnement,.on pouvait supposer qu'ils recevraient le témoignage de Paul. « Car c'était moi qui emprisonnais et qui faisais fouetter », dit-il. Donc ils devaient recevoir son témoignage, mais cependant ils ne le reçurent pas. C'est pour cela qu'il apprend dans l'extase que son témoignage ne sera pas admis. Paul prouve deux choses en cet endroit : d'abord que les Juifs n'étaient pas excusables, puisqu'ils le persécutaient contre toute raison et toute vraisemblance ; en second lieu, il démontre que le Christ est Dieu, lui qui prédit ce qui est contraire à toute attente, et qui voit; non-seulement ce qui se faisait alors, .mais qui prévoit ce qui doit arriver. Comment donc le Christ dit-il : « Il portera mon nom devant les nations, les rois et les fils d'Israël. « Il portera », dit-il, et non pas il persuadera. D'ailleurs, dans d'autres endroits, les Juifs étaient persuadés , mais non à Jérusalem. C'était là surtout qu'ils auraient dû croire, puisque tous avaient connu l'ancien zèle de l'apôtre ; et, au contraire, c'est là surtout qu'ils sont incrédules. « Et lorsque l'on versait le (243) sang d'Etienne votre témoin, j'étais présent, et consentais à sa, mort ». Voyez où le discours aboutit de nouveau, et quelle puissante preuve Paul fournit. Il montre qu'il était persécuteur, et non-seulement persécuteur, mais qu'il frappait Etienne par mille mains. Il leur rappelle ce grand meurtre. Ils ne purent souffrir qu'il les confondît ainsi; et la prophétie du Christ était accomplie. Le zèle de Paul était grand, son accusation était terrible; et les témoins de la vérité du Christ parlaient librement. Les Juifs ne voulurent pas entendre le reste du discours, mais, enflammés de fureur, ils poussèrent des clameurs. « Et il me dit : Va, parce que je t'enverrai vers les nations éloignées. Les Juifs l'écoutaient jusque-là, et ils élevèrent, la voix en disant. : Otez de la terre un tel homme, car il ne se peut qu'il vive. Comme ils poussaient des clameurs, jetaient leurs vêtements, et lançaient de la poussière en, l'air, le tribun ordonna de le conduire dans le camp, disant de lui donner la question par les fouets, afin d'apprendre pour quelle cause. ils criaient ainsi contre lui (21-24) ». Lorsque le tribun eût dû examiner si les choses étaient ainsi, et interroger les accusateurs, il ne fait rien de tout cela, il ordonne de le flageller. « En effet », dit l'auteur, « le tribun ordonna de le conduire dans le camp et de,le flageller, afin de connaître la cause pour laquelle ils criaient ainsi contre lui ». Il fallait apprendre cette cause de  ceux qui criaient, et leur demander s'ils avaient à lui reprocher quelque chose pour ses paroles; mais le tribun usé témérairement de son pouvoir, et agit de façon à leur faire plaisir; il ne s’inquiétait pas d'agir.avec justice, mais d'apaiser leur injuste fureur. « Comme on le conduisait aux lanières, .Paul dit au centurion qui était présent : Vous est-il permis de flageller un citoyen romain et qui, n'est pas condamné? »

Paul ne mentit pas, loin de là, en disant qu'il était Romain; il était en effet Romain ; aussi le tribun, en l'apprenant, eut peur. Et pourquoi craignit-il, dira-t-on ? Il craignait d'être lui-même saisi et de se voir infliger un grand châtiment. Remarquez que, Paul ne, parle pas au hasard ; mais il dit : « Vous est-il permis?.» C'est en effet une double accusation : accusation, de punir sans cause, et de punir un citoyen romain. Ceux qui étaient honorés de ce.titre avaient de grands privilèges, et ce privilége n'appartenait pas à tout le, monde. En effet, depuis Adrien seulement, dit-on; tous furent appelés Romains.; mais anciennement, il n'en était pas ainsi. C'est pour s'exempter du supplice qu'il fait valoir son titre de Romain, car s'il eût été flagellé, il eût été par là rendu méprisable; mais, parce seul mot, il les remplissait d'une grande frayeur. S'ils l'eussent flagellé, ils eussent bouleversé tout, ou bien ils l'auraient mis à mort; mais il n'en arriva pas ainsi. Voyez comme Dieu permet, dans ce cas et dans d'autres, que les choses arrivent humainement. Le tribun répondit : « J'ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d'argent ». Il voulait dire par là qu'il soupçonnait Paul; disant qu'il était Romain, d'user d'une feinte, et sans doute cette pensée lui vint de la mince apparence de Paul.

« Le centurion, après l'avoir entendu, alla dire au tribun : Voyez ce que vous allez faire, à cet homme est citoyen romain. Alors le tribun, venant vers Paul, lui dit : Dites-moi,  êtes-vous Romain? Paul lui dit : Certainement: Le tribun répondit : J'ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d'argent. Paul lui dit :Moi, je suis né Romain. Aussitôt,  ceux qui devaient le torturer, le laissèrent. »

Et le tribun fut effrayé lorsqu'il sut qu'il était Romain, et qu'il l'avait lié. « Moi je suis né Romain », dit Paul. Donc il était fils d'un père romain. Qu'arriva-t-il ensuite? Le tribun le délia, et le conduisit vers les Juifs. Il ne mentait pas en disant qu'il était Romain; il y gagna d'être délivré de ses liens. Ecoutez comment : « Le lendemain, le tribun voulant connaître d'une manière certaine de quoi les Juifs l'accusaient, le délia, et ordonna de réunir les princes des prêtres et le Sanhédrin; et ayant amené Paul; il le plaça au milieu d'eux (25-30). Paul regardant le conseil,  leur dit». Il ne parla plus au tribun, mais à la foule et au peuple entier. Et que dit-il? Mes frères, jusqu'à cette heure je me suis conduit devant Dieu avec toute, la droiture d'une bonne conscience » ; ce qui veut dire : Je n'ai pas conscience d'avoir fait quoi que ce soit d'injuste envers vous, qui me rende digne d'être enchaîné ainsi: Que dit donc le grand prêtre? Il eût dû regretter de ce que Paul, à cause d'eux, avait été enchaîné injustement. Mais, au contraire, il ajoute à l'offense, et ordonne de le frapper, ce qui se voit dans la (24) parole suivante de l'auteur: « Le grand prêtre Ananie ordonna à ceux qui étaient présents de le frapper à la bouche ». Certes, voilà qui est bien : il est doux, le grand prêtre. « Alors Paul lui dit : Dieu te frappera, muraille blanchie. Tu es assis pour me juger suivant la loi, et tu ordonnes, malgré la loi, de me frapper. Ceux qui étaient présents lui dirent : Tu insultes le grand prêtre; mais Paul leur dit : Je ne savais as, mes frères, qu'il fût le grand prêtre; il est écrit, en effet : Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ». (Chap. XIII, 1-5.).

2. Quelques-uns disent qu'il parla avec connaissance de cause et par ironie; il me semble que Paul ne savait nullement que ce fût le grand prêtre, autrement il l'eût respecté; c'est pour cela qu'il s'excuse, lorsqu'il s'entend accuser, et qu'il ajoute: « Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ». Mais quoi, direz-vous, si ce n'était pas le prince.du peuplé, fallait-il en injurier un autre ? En aucune façon; il valait mieux supporter d'être insulté. On demande avec raison comment celui qui dit ailleurs

« Bénissez, lorsqu'on vous dit des injures; « supportez qu'on vous persécute » (I Cor. IV, 2), fait ici tout le contraire, et non-seulement dit des injures, mais même profère des malédictions? Loin de.nous cette pensée, Paul n'a fait ni l'un ni l'autre;mais, pour quelqu'un qui vent y faire attention, il est clair que ce sont là plutôt les paroles d'un homme qui parle avec liberté, que des paroles de colère; d'ailleurs il ne voulait pas paraître méprisable aux yeux du tribun. Si celui-ci s'était abstenu de flageller Paul pour le livrer aux Juifs, il fût devenu plus hardi en le voyant frapper par des valets; c'est pour cela que Paul attaque ainsi, non le serviteur, mais bien celui qui a commandé au serviteur. Ce mot : « Muraille blanchie, tu sièges pour me, juger suivant la loi », signifie la même chose que si Paul disait : Vous qui êtes coupable, et digne de mille châtiments. Remarquez combien le peuple fut frappé de sa hardiesse; il fallait se repentir, mais ils préfèrent lui dire des injures. Mais Paul cite ta loi, parce qu'il veut montrer que s'il dit cet paroles, ce n'est ni par crainte, ni parce que celui qui les a entendues ne les méritait pas, mais bien parce qu'il obéit même alors à la loi. Je suis tout à fait convaincu que Paul ne savait pas qu'Ananie fût le grand prêtre, parce qu'il revenait après une longue absente, qu'il avait été rarement avec les Juifs, et que d'ailleurs il le voyait au milieu de beaucoup de monde. Le grand prêtre n'avait rien qui le désignât au milieu d'une foule de gens de toute espèce. Il me semble aussi qu'il leur adresse à tous ces paroles, pour leur montrer qu'il obéit à la loi; et voilà pourquoi il s'excuse.

Reprenons : « Pendant que je priais dans le temple, dit Paul, il m'arriva d'avoir une extase ». Pour montrer que ce ne fut pas une simple imagination, il dit auparavant : « Pendant que je priais. Hâte-toi, et sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage ». Il montre ici qu'il ne s'est pas enfui par crainte de dangers de leur part, mais bien parce qu'ils n'admettraient pas son témoignage. Pourquoi dit-il donc : « Eux-mêmes savent que j'enchaînais? » Ce n'est pas pour contredire le Christ, loin de là, mais pour apprendre l'oeuvre admirable à laquelle il est destiné. « Va », dit le Christ, « parce que je t'enverrai chez les nations lointaines ». Voyez : le Christ ne l'instruisit pas de ce qu'il devait faire, mais il lui dit seulement de partir, et il obéit, tant il était docile : « Et ils élevèrerit la voix, en disant : Otez-le, car il ne lai est pas permis de vivre ». O impudence ! certainement- il ne convient pas que vous viviez, vous, mais il n'en est pas de même de cet homme qui obéit en tout à Dieu. O scélérats et homicides ! « Et jetant leurs vêtements; ils lançaient de la. poussière.». Ils agissent ainsi pour exciter une sédition plus sérieuse et épouvanter le chef. Mais remarquez qu'ils ne disent aucune raison, puisqu'ils n'en avaient aucune ; mais ils pensent épouvanter parleurs cris; cependant il convenait que les accusateurs instruisissent le juge. « Et le tribun fut effrayé », dit l'auteur, «lorsqu'il eut appris que Paul était romain ». Ce n'était donc pas un mensonge que faisait Paul en disant qu'il était romain. « Et il le délivra de ses chaînes; et l’ayant emmené, il le plaça devant le conseil ». C'est ce qu’il fallait faire au commencement, et non pas le lier et vouloir le fustiger ; il convenait de laisser libre l'homme qui n'avait rien fait pour mériter d'être enchaîné. « Et il le délivra, et l'emmenant, il le plaça au milieu d'eux ». Les Juifs étaient par là fort embarrassés. « Paul; portant ses regards sur le conseil, leur dit: Mes frères ». Il leur fait voir par là sa hardiesse et son intrépidité. (245) Mais voyez leur violence, car l'auteur ajoute : « Le grand prêtre Ananie ordonna de le frapper à la bouche». Pourquoi le frappez-vous? Qu'a-t-il dit d'insolent ? O impudence ! ô audace ! « Alors Paul lui. dit : Dieu doit te frapper, muraille blanchie ». Oh ! quelle liberté de parole ! Il le traîne dans la boue à cause de son. hypocrisie et de son injustice. Ananie, hésitant, n'ose même pas répondre ; mais ce sont ceux qui l’entourent qui ne peuvent. supporter la hardiesse de Paul. Ainsi ils voyaient un homme qui n'avait pas peur de la mort, et ils ne purent le supporter. « Je ne a savais pas », dit Paul, « que ce fût le grand a prêtre ». Donc, s'il dit cette sévère parole, ce fut par ignorance ; s'il n'en eût pas été ainsi, le tribun l'ayant pris serait parti, ne se serait pas tu, et il l'aurait livré aux Juifs.

3. Paul fait voir ici qu'il souffre volontiers ce qu'il souffre, Et il se disculpe ainsi devant les Juifs; en montrant qu'il le fait par respect pour la loi. Il les condamnait d'ailleurs tout à fait. Il se disculpe donc à cause de la loi et non à cause du peuple.-Et il avait raison; car il était injuste de mettre à mort un homme innocent et qui ne leur faisait aucun mal. Ce que Paul a dit n'est donc point une injure, à moins que l'on ne dise aussi que le Christ proférait dès injures lorsqu'il disait : « Malheur à vous, scribes et pharisiens, parce que vous êtes semblables. à des murailles blanchies ». (Matth. XXIII, 27.) Certainement , direz-vous, s'il eût parlé ainsi avant d'être frappé, ce n'eût pas été de la colère, mais de la franchise. J'ai dit la raison qui le fit parler : il ne voulait pas être traité avec mépris. Le Christ, injurié par les Juifs, leur a souvent dit des paroles qui ressemblaient à des injures. Lorsqu'il leur dit : « Ne croyez pas que je vous accuse » (Jean, V, 45), ce n'est pas là une injure, loin de là. Voyez avec quelle. douceur Paul leur parle : « Je ne savais pas », dit-il, « qu'il fût le grand prêtre de Dieu ». Il dit cela, et ajouta; pour montrer qu'il ne parlait pas par ironie: « Vous ne maudirez pas le prince de votre peuple ». Ne voyez-vous pas qu'il le reconnaît comme le prince du peuple. Apprenons, noua aussi, la mansuétude, pour devenir parfaits en toute chose. On a besoin de beaucoup d'attention pour connaître ce qu'est ceci, ce qu'est cela. Il faut beaucoup d'attention parce que les vices sont voisins des vertus. L'audace n'est pas éloignée de la liberté de parole, la mollesse de la mansuétude. Il faut donc voir de prés si, à la place d'une vertu qu'on croit avoir, on ne donne pas dans le vice voisin; c'est comme si, croyant épouser la maîtresse, on épousait la servante. Qu'est-ce donc que la mansuétude ? qu'est-ce donc aussi que la mollesse? Lorsque nous voyons les autres lésés, et que nous nous taisons, c'est de la mollesse ; lorsque nous-mêmes nous supportons l'injustice, c'est de la mansuétude. Qu'est-ce que la liberté de parole? Elle consiste à défendre les autres. Qu'est-ce que l'audace? C'est de vouloir nous venger nous-mêmes. De même que se lient ensemble la grandeur d'âme et la liberté de parole; de même s'unissent l'audace et la mollesse. En effet, celui qui ne s'attriste pas pour soi-même, difficilement s'attristera pour les autres ; de même aussi celui qui ne se défend pas soi-même, difficilement ne défendra pas les autres. Lorsque nos moeurs sont pures de toute passion , elles admettent la vertu. De même qu'un corps libre de la fièvre prend de la force; de même l'âme, libre des passions, prend de la force, aussi. La mansuétude ne saurait exister que dans une âme noble, virile et élevée. Croyez-vous que ce soit peu de chose de souffrir; et de ne pas s'exaspérer ? Et on ne se trompe pas en disant.que le soin des intérêts du prochain est la marque du courage.; en effet, celui qui a assez de force pour triompher.d'une si grande passion,saura certainement en vaincre une autre. Par exemple, la crainte et la colère sont deux passions : si vous domptez la colère, certainement vous surmonterez la crainte. Si vous êtes doux, vous dompterez la colère; si vous triomphez de la crainte, vous serez courageux. D'un autre côté, si vous ne domptez la colère, vous serez audacieux ; si vous ne pouvez triompher de ce vice, vous ne surmonterez pas non plus la crainte; ainsi donc vous serez craintif. On voit alors se produire les mêmes, effets que dans un corps faible et mal organisé qui rie peut supporter la moindre fatigue: il est bien vite saisi et détérioré par le froid et le chaud. Ce qui est mal constitué périt ; ce qui est bien constitué se soutient toujours. De même la grandeur d'âme est une vertu, la prodigalité lui est voisine; l'économie est une vertu qui a pour voisines l'avarice et la sordide épargne. Permettez-moi de faire d'autres rapprochements des diverses vertus.

 

246

 

Le prodigue n'est pas magnanime. En effet, comment celui qui est le jouet de mille passions pourrait-il avoir l'âme grande? La prodigalité n'est pas le mépris des richesses, ruais la sujétion à d'autres passions. Comme celui qui est forcé d'obéir à des voleurs n'est. pas libre, ainsi la profusion ne naît pas du mépris des richesses, mais de l'ignorance où l'on est de l'art de bien régler sa dépense. En effet, si le prodigue pouvait garder sa fortune et en jouir, certainement il le voudrait faire. Celui qui emploie ses biens convenablement, celui-là est magnanime ; cette âme est vraiment grande, en effet,-qui n'est point asservie à la passion, et compte pour rien les richesses. — De même l'économie est bonne; et le meilleur économe est celui qui dépense utilement sa, fortune et ne la répand pas au hasard. La parcimonie n'est pas cela. L'économe dépense toujours convenablement; l'avare , au contraire, même en cas d'urgente nécessité, ne donne pas son argent. L'économe serait donc frère de l'homme magnanime. Nous placerons donc ensemble le magnanime et l'économe, ainsi que le prodigue avec l'avare : tous les deux, en effet, souffrent de la pusillanimité, comme les deux premiers participent à la grandeur d'âme. N'appelons donc pas magnanime celui. qui dépense au hasard, mais bien celui qui dépense à propos ; ni économe l'homme avare et sordide; mais bien celui qui épargne à-propos son argent. Combien le riche vêtu de pourpre et d'or ne dépensait-il pas d'argent? Cependant il n'était pas magnanime, car son âme était retenue captive parla dureté du coeur et mille voluptés. Comment une telle âme serait-elle grande? Abraham était magnanime, lui qui dépensait pour donner l'hospitalité aux étrangers, tuait le veau; et qui, quand il était besoin, n'épargnait ni son argent, ni sa vie elle-même. Lors donc que nous voyons quelqu'un dresser une table abondante, avoir des courtisanes et des parasites, né l'appelons pas un homme magnanime, mais plutôt disons que c'est un petit esprit. Voyez, en effet, de combien de passions il est le serviteur et l'esclave : la gourmandise, l'absurde volupté, l'adulation; retenu qu'il est par de telles passions, réduit qu'il est par elles à l'impossibilité de fuir, comment l'appellerait-on une grande âme ? Aussi l'appellerons-nous plutôt un homme pusillanime; en effet, plus il dépense sa fortune, plus la tyrannie qu'exercent sur lui les, passions est manifeste; car si elles ne lui commandaient pas si impérieusement, il ne ferait pas tant de dépenses.

Enfin, si nous considérons un homme qui ne dépense rien ;pour aucune. de ces choses, mais qui nourrisse les pauvres, secoure ceux qui sont dans le, besoin, et dresse pour soimême urge table frugale, nous. l'appellerons un homme tout à fait magnanime. Il est, en effet, d'une grande âme, tout en négligeant son propre repos, de s'occuper de celui des autres. Dites-moi, en effet, si vous voyiez quelqu'un gui, au mépris de tous lés tyrans, et ne tenant aucun compte de leurs ordres; arrachât de leurs. mains ceux qu'ils oppriment et qu'ils font souffrir, ne. penseriez-vous pas que. cette conduite a de la, noblesse et de la grandeur? Pensez donc de même en ce cas présent. Les passions sont un tyran; si nous les méprisons, nous serons. grands ; si nous en retirons les autres; nous serons beaucoup plus grands encore, et cela à bon droit. En effet, ceux qui suffisent, non-seulement à eux-mêmes, mais encore aux autres, sont plus grands que ceux qui ne font. ni l'un ni l'autre. Si au contraire quelqu'un, sur.l'ordre d'un tyran, frappe l'un des inférieurs, en déchire un autre, en accable un autre d'affronts, dirons-nous que ce soit là de la grandeur d’âme? Non certes, nous le dirons d'autant moins qu'il sera plus haut placé. Ainsi en est-il de nous. Voici que nous avons en nous une âme noble et libre, le prodigue a ordonné de frapper cette âme par les mauvaises passions ; dirons-nous que celui qui la.frappe ainsi soit un grand coeur? Nullement. Apprenons donc ce que c’est que la magnanimité et la prodigalité, l'économie et la sordide avarice, la mansuétude et la mollesse, la liberté de parole et l'audace ; afin que, les discernant entre elles,, nous puissions passer la vie présente d'une manière agréable au Seigneur; et acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père, au Fils et à l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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