ANALYSE. 1 et
2. Saint Paul prêche à Corinthe. Il comparait devant le proconsul Gallien.
Saint Paul fut conduit à Rome enchaîné, parce que s'il y fût arrivé autrement il en
aurait été chassé en qualité de Juif, car le décret d'expulsion porté par Claude
contre les hommes de cette nation, était encore récent.
3 et 4,
Exhortation à la mansuétude. Que l'insulteur n'attire le mépris que sur
lui-même. Comparaison entre l'homme emport et l'homme patient. L'homme
patient ressemble à Dieu, l'homme colère au démon.
1. Pourquoi Paul, après avoir persuadé les Athéniens au
point que ceux-ci lui disaient u Nous vous entendrons une autre fois sur ce « point »,
et lorsqu'il n'y avait aucun danger, se hâte-t-il de quitter Athènes? Peut-être
savait-il qu'il n'y aurait pas grand succès; d'ailleurs le Saint-Esprit le conduisait à
Corinthe. «Quelques-uns néanmoins se joignirent à lui et embrassèrent la foi; entre
lesquels fut a Denys, sénateur de l'Aréopage, une femme a nommée Damaris, et d'autres
avec eux (34). « Après cela, Paul, étant parti d'Athènes, vint à Corinthe (XVIII, 1).
Et ayant trouvé un «juif, nommé Aquilas, originaire du Pont, qui était nouvellement
venu d'Italie avec Priscille, sa femme, parce que l'empereur Claude avait ordonné à tous
les Juifs de sortir de Rome, il se joignit à eux (2). Et parce que leur métier était de
faire des tentes et que c'était aussi le sien, il demeurait chez eux et y travaillait (3)
». C'était en effet, comme je l'audit, le Saint-Esprit qui le menait à Corinthe où il
devait rester, car les Athéniens, quoique toujours amateurs de nouveaux discours, n'y
faisaient guère attention; c'est qu'ils tenaient moins à écouter qu'à parler
eux-mêmes, aussi s'éloignaient-ils de l'orateur. Puisque telle était leur habitude,
pourquoi accusaient-ils Paul de « paraître annoncer des dieux étrangers? » C'est que
ces dogmes étaient pour eux fort obscurs. Cependant il convertit Denys l'Aréopagite et
quelques autres, car ceux qui voulaient vivre en hommes de bien ne tardaient pas à
écouter sa parole, mais il n'en était pas de même pour les autres. Paul semble s'être
contenté de leur laisser les germes de la foi, car la moitié de sa vie s'était déjà
écoulée. Il mourut sous Néron ; alors on était sous Claude, époque à laquelle se
préparait déjà la guerre contre les Juifs, mais de loin, et comme pour les ramener au
bien en attendant, on les renvoyait de Rome comme des pestiférés ! Aussi, c'est la
Providence qui permit que. Paul fût emmené en captivité, pour qu'il ne fût pas chassé
comme un Juif, mais amené par force et privé de sa liberté.
« Il demeurait chez eux ». O ciel ! quelle justice il
devait trouver chez eux pour y demeurer ! Mais s'il demeure avec eux, c'est surtout parce
qu'avec des gens de sa profession (194) il est mieux placé pour ne rien recevoir de
personne, selon ce qu'il dit : « Mais je fais cela, et je le ferai toujours, afin d'ôter
à ceux qui la cherchent une occasion de se glorifier en paraissant semblables à nous.
(II Cor. XI, 12.) Il prêchait dans la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à
persuader les Juifs et les gentils (4). Quand Silas et Timothée furent venus de
Macédoine, Paul fut encore plus excité par le Saint-Esprit à attester aux Juifs que
Jésus était le Christ (5) ». Cela montre qu'ils gênaient ses prédications et même
s'y opposaient. Voilà ce qu'ils faisaient. Que fit Paul? Il les abandonne en les frappant
de terreur. Il ne leur dit plus : « C'était à vous qu'il fallait d'abord annoncer la
parole » (Act. XIII, 46) ; mais il le donne à entendre : « Comme les Juifs le
contredisaient et blasphémaient, il secoua ses habits et leur dit. Que votre sang retombe
sur votre tête; pour moi, j'en suis innocent, je vais désormais chez les gentils (6).
Etant parti de là, il alla dans la maison d'un nommé Juste (1), qui craignait Dieu, dont
la maison tenait à la synagogue (7). Crispe, chef d'une synagogue; crut aussi au Seigneur
avec toute sa famille : plusieurs Corinthiens, ayant entendu Paul, crurent aussi et furent
baptisés (8) ». Voyez comment, après avoir encore dit « désormais », il ne néglige
pas les Juifs; il n'avait parlé ainsi que pour exciter leur zèle. Ensuite il vient chez
Juste, dont la maison tenait à la synagogue. Il avait choisi ce voisinage pour animer la
foi des Juifs, s'ils voulaient s'y prêter. « Crispe, chef d'une synagogue, crut aussi au
Seigneur avec toute sa famille ». C'était surtout là une raison suffisante pour les
convertir. « Le Seigneur dit à Paul, en vision durant la nuit : ne crains rien, mais
parle sans te taire (9) ; car je suis avec toi et personne ne pourra te maltraiter, parce
que j'ai dans cette ville un grand peuple (10) ». Voyez toutes les raisons que Dieu
emploie pour le convaincre, et surtout celle-ci qui est la plus rassurante : « Car j'ai
dans cette ville un grand peuple ». Cependant, dira-t-on, ils se sont emportés contre
lui? Mais leur colère a été impuissante, et ils se sont bornés à le conduire devant
le proconsul. « Il demeura donc un an et demi à Corinthe, leur enseignant la parole
1 La Vulgate
met Tite-Juste.
de Dieu (11). Or,
Gallion étant proton d'Achaïe, les Juifs, d'un commun accord s'élevèrent contre Paul
et le menèrent à tribunal (12), en disant : Celui-ci veut persuader aux hommes d'adorer
Dieu d'une manière contraire à la loi (13) ». Vous marquez que c'est toujours pour la
même raison qu'on l'accuse en public. Remarquez aussi, lorsque les Juifs disent qu'il
persuade aux hommes d'adorer Dieu d'une manière contraire à la loi, que le proconsul ne
s'en quiète pas et que plutôt il défend Paul. Ecoutez sa réponse : « S'il s'agissait
de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter ».
Cela semble le langage d'un homme juste, et on en est convaincu en observant toute, la
sagesse de la réponse. « Comme Paul allait parler, Gallion dit aux Juifs : S'il
s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous
écouter (14). Mais sil ne s'agit que de contestations de doctrine, de mots et de
votre loi, démêlez vos différends comme vous l'entendrez, car je ne veux point m'en
rendre juge (15). Il les fit retirer ainsi de son tribunal (16). Et tous les gentils,
ayant saisi Sosthènes, chef d'une synagogue, le battaient devant le tribunal sans que
Gallion s'en mît en peine (17» C'était encore une preuve de justice, car li coups que
l'on donnait à cet homme ne semblaient pas au proconsul une offense pou lui-même, tant
les Juifs étaient insolents.
2. Mais revenons à ce qui précède. « Lorsqu'ils
entendirent parler de la résurrection des morts, les uns s'en moquaient, les autres
disaient: Nous vous entendrons une autre fois ». Qu'elles étaient cependant grandes et
sublimes ces vérités qui attiraient plutôt leur railleries que leur attention ! Ils se
moquaient de la résurrection , car « l'homme animal ni saisit pas les choses qui
viennent de l'Esprit ». (I Cor. XI, 14.) Ainsi Paul se retira du milieu d'eux. Pourquoi
ce mot : « ainsi? » Cest-à-dire que les uns lavaient cru et que les autres
l'avaient raillé. « Quittant donc Athènes il vint à Corinthe. Ayant trouvé un Juif
nommé Aquila, originaire du Pont, et qui était nouveau venu en Italie, il demeura avec
lui et y travailla ». Voyez comme la loi commence à tomber. Aquila était Juif, et il
accomplit à Cenchrées le voeu de se faire couper les cheveux (18) ; puis il va en Syrie
avec (195) Paul; comme il était du Pont, il ne tient pas à venir à Jérusalem ni dans
ses environs, et il en reste éloigné. Paul demeure chez lui et ne rougit pas d'y
demeurer ; il y reste comme dans une bonne hôtellerie, plus commode pour lui que tous les
palais. Ne riez pas, mes bien-aimés. Un athlète est mieux dans un gymnase que sur des
tapis moelleux ; une épée de fer convient mieux au soldat qu'une épée d'or. Au milieu
de sa prédication, « il travaillait ». Rougissons donc, nous qui vivons dans
l'oisiveté, même quand nous n'avons pas de prédication à faire. « Il discutait dans
la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à persuader les Juifs et les gentils.
Mais les Juifs a le contredisant avec des paroles de blasphème », il s'éloigna. Par ce
moyen, il comptait mieux les attirer. Pourquoi , en effet , quitte-t-il sa maison afin de
venir demeurer près de la synagogue ? N'est-ce pas dans une intention de conversion ? car
il ne considérait pas le danger qu'il pourrait y avoir. « Il leur attestait » : il
n'enseigne plus, mais il atteste. «Les Juifs le contredisant avec des paroles de «
blasphème , il secoua ses habits et dit: Que « votre sang retombe sur votre tête ! »
S'il le fait, c'est pour les effrayer aussi bien par ses actions que par ses paroles , et
il s'exprime avec toute l'énergie d'un homme qui a déjà fait tant de conversions. «
Pour moi », dit-il, «j'en suis innocent; désormais je vais chez les gentils ». Ainsi
nous sommes responsables du sang de ceux qui nous ont été confiés, lorsque nous les
négligeons. De même encore lorsqu'il dit: « Au reste , que personne ne me cause de
nouvelles, peines ». (Gal. VI, 17.) C'était pour effrayer , car les Juifs n'étaient
jamais aussi terrifiés de ses paroles due lui-même ne souffrait de leur incrédulité.
« Partant de là , il vint dans la maison de Juste ». Il voulait ainsi leur faire croire
qu'il ne s'occupait plus que des gentils. « Crispus , chef de synagogue, crut au Seigneur
ainsi que toute sa famille ». Voilà donc la foi qui s'étend sur une famille tout
entière. C'est de ce Crispus , chef de synagogue , qu'il dit: « Je n'ai baptisé
personne que Crispus et Gaïus ». (I Cor. I, 14.) Je crois que c'était aussi le même
qu'on appelait Sosthènes , dont la fidélité était telle, qu'après avoir été battu,
il resta toujours attaché à Paul. « Le Seigneur dit à Paul, dans une vision pendant la
nuit : Ne crains rien et parle ». Aussi reste-t-il longtemps dans cette ville, et ce qui
l'y engage, ce n'est pas seulement la multitude des fidèles , mais l'attachement qu'il
avait pour Jésus-Christ; car le danger n'en était que plus grand lorsque les fidèles
devenaient plus nombreux et que parmi eux se trouvait un chef de synagogue. « Ne crains
rien », lui dit le Seigneur. Cela suffisait pour le ranimer s'il avait été accessible
à la crainte : peut-être aussi n'avait-il éprouvé aucune frayeur ; alors cette
exhortation n'était faite que pour l'en détourner. Car, pour fortifier les siens , Dieu
n'a pas toujours besoin de permettre qu'ils aient été faibles. En effet, rien ne causait
à Paul autant de douleur que l'incrédulité et l'opposition à la foi. Voilà ce qui lui
était plus pénible que tous les dangers. « Ne garde pas le silence, car j'ai un grand
peuple dans cette ville ». Peut-être alors le Christ lui est-il apparu.
« Gallion étant proconsul d'Achaïe : les Juifs d'un
commun accord s'élevèrent contre Paul ». Observez que c'est après un an et demi qu'ils
s'élèvent contre lui, quand ils n'avaient plus l'usage de leurs propres lois. Ce qui
exaltait surtout les Corinthiens, c'est qu'ils savaient que le gouverneur ne s'abaisserait
pas jusqu'à une pareille affaire. En effet, ce n'était pas la même chose de l'emporter
dans une contestation judiciaire ou d'entendre le gouverneur déclarer aux Juifs qu'il ne
s'inquiétait pas de cette affaire. Voyez combien celui-ci est prudent. Il ne répond pas
immédiatement : Je ne m'en inquiète pas; mais que dit-il ? « O Juifs, s'il
s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous
écouter. Mais s'il ne s'agit que de mots et de votre loi, décidez vous-mêmes; je ne
veux pas en être juge : il les renvoya ainsi de son tribunal ». La victoire fut
éclatante. « Et tous ayant saisi Sosthènes, chef d'une synagogue, le battaient devant
le tribunal, sans que Gallion s'en mit en peine ». Quelle honte pour tous ! « Sans que
Gallion s'en mît en peine ». Cependant l'offense retombait sur lui. Mais ceux-ci,
livrés à eux-mêmes et pleins de honte, s'abandonnent à leur injuste fureur. Mais
pourquoi Paul ne les frappe-t-il pas à leur tour, puisqu'il en avait aussi la permission?
C'est qu'il savait réfléchir. Il ne frappa point, pour que le juge connût de quel
côté était la douceur. Les assistants en retirèrent un grand enseignement : ils
reconnurent, par la bonté des uns et la violence (196) des autres, que ces choses
réclamaient la sentence du juge. Aussi celui-ci ne dit pas : Je le défends, de crainte
qu'ils ne commissent de nouvelles violences; mais « je ne veux pas. Je ne veux pas »,
dit-il, « en être juge »,tant il avait de réserve. C'est ce que Pilate disait à
propos du Christ : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». (Jean, XVIII, 34.) Le
proconsul aussi voulait qu'ils jugeassent suivant la loi; mais les Juifs se conduisirent
comme des fous ou des gens ivres. Paul vint donc d'Athènes à Corinthe, parce que dans
cette dernière ville, Dieu y avait un grand peuple. On le frappa et il garda le silence.
3. Cherchons à l'imiter et ne frappons ceux qui nous
frappent que par notre douceur, notre silence, notre patience. Ce sont là les armes les
plus puissantes, celles qui font des blessures plus graves et plus pénibles, car les
plaies de l'âme sont plus douloureuses que celles du corps. Souvent nous sommes obligés
de blesser nos amis; mais, comme c'est dans leur intérêt, ils doivent s'en réjouir. Au
contraire, si vous avez une intention offensante., vous frappez le coeur, et vous causez
la plus grande douleur possible, car c'est là que les blessures sont cruelles. Nous
allons maintenant faire tous nos efforts pour démontrer que la douceur frappe plus que la
rudesse. Cela se reconnaît clairement par les faits et l'expérience. Cependant, si vous
le permettez, nous allons en faire la démonstration par le raisonnement, quoique nous
l'ayons déjà faite plusieurs fois.
Quand nous recevons une injure, rien ne nous afflige plus
que le jugement de ceux qui en sont témoins ; en effet, ce n'est pas la même chose
d'être injurié en public ou en particulier, et' nous supportons bien plutôt l'injure
quand elle est secrète, quand personne n'en a été témoin et ne la connaît. Ce n'est
donc pas tant l'injure elle-même qui nous afflige que sa publicité : au point que si
quel.qu'un nous honorait ,en public et nous injuriait en particulier, nous lui en saurions
gré. C'est que l'outrage n'est pas par lui-même ce qui cause notre douleur, c'est le
jugement des assistants et la crainte de leur mépris: Que sera-ce donc, si les
spectateurs sont pour nous? L'insulteur ne devient-il pas alors l'insulté, puisque les
témoins jugent en, notre faveur? Dites-moi, en effet, qui méprisent-ils? Celui qui lance
l'outrage, ou celui qui le subit en silence? Un mouvement irréfléchi nous porterait à
dédaigner celui qui reçoit l'injure; mais examinons froidement pour ne pas nous laisser
entraîner par la passion : alors, qui condamnerons-nous d'un commun accord ? Assurément
celui qui fait injure à l'autre, s'il est son inférieur, nous dirons qu'il est fou; s'il
est son égal, nous dirons qu'il ne réfléchit pas; s'il lui est supérieur, nous ne
l'approuverons pas davantage. Lequel, dites-moi, mérite nos éloges, celui qui se
trouble, s'agite, s'emporte et méconnaît ainsi notre commune nature, ou bien celui qui
reste tranquille et sans orage dans le port de la sagesse ? Celui-là ne ressemble-t-il
pas à un ange, et le premier ressemble-t-il même à un homme ? L'un ne -supporte pas ses
chagrins, l'autre supporte même ceux d'autrui ; l'un ne peut se souffrir lui-même,
l'autre souffre encore son prochain;-l'un est ballotté par la tempête, l'autre navigue
en paix, et son navire est poussé par des vents favorables. Il n'a pas permis à
l'ouragan de la colère de gonfler ses voiles et de submerger le vaisseau de son âme;
mais un zéphyr bienveillant le conduit avec douceur dans le port de la sagesse. De même
que, dans un navire menacé du naufrage, les matelots ne savent ce qu'ils jettent à la
mer, si ce sont leurs effets ou ceux qu'ils ont reçus en dépôt, et qu'ils perdent tout,
ce qui est précieux comme ce qui ne l'est pas, mais, qu'une fois la tempête apaisée, en
réfléchissant à tout ce qu'ils ont ainsi jeté, ils se mettent à pleurer, et que le
chagrin de leurs pertes les empêche de jouir du beau temps; de même aussi, ceux chez qui
se déchaîne l'orage de la fureur parlent et agissent en désordre' et sans savoir
pourquoi ; mais, quand leur colère s'est calmée, ils réfléchissent à leur
emportement, ils songent à ce qu'ils ont perdu et ne jouissent pas du calme qui leur est
rendu, parce qu'ils se souviennent d'avoir lancé des paroles qui les déshonorent et leur
ont fait subir une perte plus grande que celle de leurs richesses, la plus grande de
toutes, celle de la considération qui s'attache à la justice et à la douceur.
La colère nous couvre de véritables ténèbres. «
L'insensé a dit dans son coeur : il n' a pas de Dieu ». (Ps. XIII, 1.) Peut-être ce mot
serait-il juste aussi pour l'homme en colère, et pourrait-on ajouter que l'homme en
fureur a dit : il n'y a pas de Dieu. En effet, « il ne s'inquiète pas de l'étendue
de sa colère. »
197
(Ps. X, 4, sec.
Heb.) S'il lui survient une pieuse pensée, le voilà qui fuit en désordre, qui ne sait
où se réfugier. Si vous n'êtes pas plus affligé que l'homme injurié par vous,
injuriez-le encore, continuez; mais le tribunal secret de votre conscience vous a déjà
flagellé mille fois. Quand vous saurez que la victime de vos injures n'a prononcé aucune
parole amère , n'en serez-vous pas plus affligé ? Dites-moi, comment avez-vous pu
outrager si cruellement cet homme si doux, si humble, si modeste ? Voilà ce que nous
disons souvent, mais nous ne voyons pas .que la conduite en profite. Eh quoi ! Un
homme insulte un homme, un serviteur son compagnon de servitude? Mais pourquoi s'en
étonner puisque bien des gens insultent Dieu lui-même?
4. Que cela vous console, si l'on vous offense. On vous a
injuriés? mais l'on injurie Dieu lui-même. On vous a insultés? mais on insulte Dieu
lui-même. On a craché sur vous ? c'est ce qu'a souffert Notre-Seigneur. Il est comme
nous, il souffre les offenses et n'offense pas. Jamais il n'a blessé personne injustement
; loin de là ! jamais il n'a été injurieux ni injuste; c'est donc nous et non pas vous
qui sommes avec lui. Supporter l'injure, ç'est le propre de Dieu; injurier sans raison ,
c'est l'oeuvre du démon. Voilà les deux côtés. On a dit au Christ: « Vous êtes
possédé du démon ». (Jean, VII, 20.) Il reçut un soufflet d'un esclave du grand
prêtre. (Jean, XVIII, 22.) C'est au niveau de pareilles gens qu'il faut mettre ceux qui
insultent injustement. Car si, à propos d'une seule parole, Jésus a donné à Pierre le
nom de Satan (Marc, VIII, 33), ce nom s'appliquera encore bien mieux aux Juifs, lorsqu'ils
agiront en Juifs; de même qu'ils ont déjà été appelés enfants du diable (Jean, VIII,
44), parce qu'ils faisaient des actions diaboliques. Qui êtes-vous donc, pour outrager,
dites-moi ? Ou plutôt, si vous outragez, c'est que vous n'êtes rien; car celui qui
mériterait le nom d'homme n'outragerait point. Dans les disputes, on dit souvent : Qui
es-tu ? On devrait parler autrement; dire, par exemple : Insulte-moi tant que tu voudras ;
tu n'es rien. Nous disons plutôt: Pourquoi m'insultes-tu ? Et l'on nous répond toujours
: Parce que je vaux mieux que toi. Cette réponse est l'opposé de la vérité; mais comme
nous interrogeons mal, on nous répond mal; c'est notre faute. Nous semblons supposer que
ceux qui nous outragent sont des hommes supérieurs; lorsque nous leur disons: Qui es-tu,
toi qui m'insultes? On nous répond en conséquence. Il fallait leur dire au contraire :
Tu m'insultes? Eh bien ! insulte-moi, car tu n'es rien. C'est plutôt à ceux qui
n'injurient jamais, qu'il fallait dire : Qui es-tu, toi qui n'insultes pas? Tu dépasses
la nature humaine. L'homme vraiment libre, vraiment noble , est celui qui ne dit rien
d'ignoble, même à ceux qui le méritent.
Dites-moi, parmi les accusés, combien s'en trouve-t-il
qui ne méritent pas la mort ? Cependant, loin d'être chargé de l'exécution, le juge ne
fait que les interroger; et encore ne le fait-il point par lui-même. Si le juge trouve
convenable de prendre un intermédiaire pour parler à un méchant homme comme il le
mérite, nous devons craindre, à bien plus forte raison, d'outrager nos égaux ; car, si
nous les outrageons, ce ne sera pas le moyen de nous élever au-dessus d'eux ; nous devons
apprendre, au contraire, que ces outrages retombent sur nous. Voilà pourquoi nous ne
devons pas insulter , même les méchants ; quant aux hommes de bien, il y a cette autre
raison qu'ils ne le méritent point; enfin, il y a un troisième motif , c'est qu'il ne
faut jamais insulter. Du reste, voyez ce qui en résulté quand un homme reçoit une
injure ou un dommage, cela s'étend à celui qui l'a causé ainsi qu'aux témoins. Quoi
donc? Faut-il faire venir des bêtes féroces pour tout terminer, car il ne reste plias
d'autre moyen. Lorsque des hommes se laissent emporter par leurs passions injustes, c'est
aux bêtes à les réconcilier. De même quand les maîtres d'une maison se battent entre
eux, c'est aux domestiques à les remettre d'accord ; (cela n'est peut-être pas naturel,
mais l'occasion l'exige.) Il en est de même ici : Tu m'insultes? soit; car tu n'es pas un
homme.
Ainsi l'insulte, qui semble une marque de grandeur et de
dignité, ne convient, au contraire, qu'aux esclaves, de même que les hommes libres
doivent parler convenablement. C'est aux uns qu'il appartient de faire le mal, aux autres
de le supporter. Par exemple, imaginez une domestique voleuse qui soustrait en cachette
quelque chose à son maître ; c'est l'image de l'injure : elle ressemble, pour ainsi
dire, à un voleur qui s'est glissé dans une maison et cherche à dérober quelque chose;
de même l'insulteur guette de tous côtés pour (198) enlever quelque chose de votre
honneur. Peut-être réussirons-nous encore à ,l'exprimer par un autre exemple. Si
quelqu'un dérobe dans une maison les vases destinés aux 'plus vils usages et les emporte
à la vue de tout le monde, il n'est pas seulement honteux pour son vol, ii l'est pour
lui-même, qui prend et emporte de pareils objets; de même l'insulteur, vomissant devant
tout le monde des paroles impures, salit bien moins les autres que lui-même en proférant
des propos qui souillent sa langue et sa pensée. Il en arrive autant quand nous luttons
contre les méchants; c'est comme si nous frappions un objet corrompu qui nous salirait
nous-mêmes en couvrant nos mains de pourriture. Réfléchissons sur tout cela, je vous en
conjure, fuyons ce danger et purifions nos paroles, afin qu'évitant de prononcer aucune
injure, nous puissions rester irréprochables pendant cette vie présente, et acquérir
les biens promis à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur,
maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.