ANALYSE. 1 et
2. Discours de saint Pierre au concile de. Jérusalem.
2 et 3. Qu'if
faut réprimer la colère. Comment on petit guérir l'orgueil.
1. Vous voyez que les Juifs eux-mêmes avaient 'partout
forcé les apôtres à se porter vers les gentils. Quand on commença à l'accuser, Paul
ne fit que se justifier, afin de n'offenser personne; mais les Juifs se détournant de
lui, il s'adressa aux gentils. Pour éviter tout excès d'un côté ou dé l'autre, il
établit cette règle, que les apôtres étaient envoyés par Dieu pour parler
indistinctement aux uns et aux autres, mais cela excita la jalousie de ceux qui arrivaient
de Judée. Ceux-là, non-seulement exigeaient la circoncision, mais prétendaient que l'on
ne pouvait être sauvé sans cela. Il fallait donc enseigner le contraire et dire que la
circoncision lie procurait pas le salut. Voyez combien de.tentations de part et. d'autre !
Du reste, c'est la Providence qui a permis que Paul fût présent, afin de s'opposer à
cette opinion. Paul ne dit pas : Qu'est-ce donc? Ne suis-je pas digne de confiance après
tarit de miracles? Mais il usa de condescendance à leur égard. Remarquez, du reste,
qu'en (168) apprenant ce qui s'était fait chez les gentils, tout le monde s'en réjouit,
même les Samaritains.
« Paul et Barnabé s'étant donc fortement élevés
contre: eux, il fut résolu, que Paul et Barnabé et quelques-uns d'entre les autres iraient à Jérusalem pour consulter les apôtres et
les prêtres sur cette question (2). Les fidèles de cette église les ayant accompagnés
à leur départ, ils traversèrent la Phénicie et la Samarie, racontant la conversion des
gentils, et ils faisaient une grande joie à tous les frères (3). Etant arrivés à
Jérusalem, ils furent reçus par l'église, les apôtres et les prêtres, annonçant tout
ce que Dieu avait fait par leur moyen (4) ». Voyez quelle providence dirige tout cela !
« Plusieurs de la secte des pharisiens, qui avaient cru, s'élevèrent et soutinrent
qu'il fallait circoncire les gentils et leur imposer la loi de Moïse (5). Les apôtres et
les prêtres s'assemblèrent pour examiner cette question (6). Après qu'ils eurent
beaucoup conféré ensemble, Pierre se leva, et leur dit: Frères, vous savez qu'il y a
longtemps que Dieu m'a choisi parmi vous pour que les gentils pussent entendre de ma
bouche la parole de l'Evangile et y croire (7) ». Observez que Pierre n'avait pas encore
pris beaucoup de part à cette oeuvre, et que, jusque-là, il était pour les coutumes
judaïques. Cependant il dit : « Vous savez tous ». Peut-être, en effet, se trouvait-il
là quelques-uns de ceux qui l'avaient accusé autrefois d'être allé chez Corneille, et
aussi quelques-uns de ceux qui l'y avaient accompagné; aussi invoque-t-il leur
témoignage : « Il y a longtemps que Dieu m'a choisi ». Que veut-il dire quand il ajoute
: « Parmi vous? » Il parle des fidèles de Palestine, ou seulement de ceux qui sont
présents. Quand il dit : « Par ma bouche », il montre que Dieu parle par sa voix et que
son langage n'a rien d'humain. « Dieu qui connaît les coeurs, lui a rendu témoignage
(8). ». Ainsi il les appelle à ce témoignage spirituel. « En leur, donnant le
Saint-Esprit aussi bien qu'à nous ». Vous voyez que partout il met les gentils au niveau
des Juifs. « Il n'a point fait de différence entre eux et nous, ayant purifié leurs
coeurs par la foi (9) ». La foi à elle seule, dit-il, leur a donné tout ce que nous
avons. Cela suffisait pour taire rentrer les Juifs en eux-mêmes. Il aurait pu leur
apprendre aussi que la foi seule était nécessaire et dispensait des pratiques et de la
circoncision, car il ne s'agissait pas seulement de soutenir la cause des gentils, mais de
supprimer pour eux la loi de Moïse. Cependant on ne le dit pas encore. « Maintenant
pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni
nous-mêmes n'avons pu porter? (10). Mais nous croyons que parla grâce de Notre-Seigneur
Jésus-Christ nous serons sauvés aussi bien qu'eux; (11) ». Que signifient ces mots: «
Pourquoi tentez-vous Dieu? » Ils veulent dire : Pourquoi manquez-vous de confiance
en Dieu et le tentez-vous, comme s'il n'était pas capable de sauver par la foi? Conserver
l'ancienne règle, est une marque dincrédulité. Ensuite il remarque qu'eux-mêmes
ne l'ont point observée, mais il ne les en accuse point, car il n'en rejette pas la faute
sur eux, mais sur la loi. « Ce joug que ni nos a pères ni nous-mêmes n'avons pu porter
mais c'est par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ que nous croyons devoir être
sauvés aussi bien qu'eux ». Quelle puissance dans ces paroles ! Ce que Paul dit dans
plusieurs passages de son épître aux Romains, Pierre le dit ici : « Si Abraham a été
justifié par ses oeuvres, il a de la gloire, mais non devant Dieu ». (Rom. IV, 2.)
Vous voyez qu'il s'agissait encore plus de l'instruction des Juifs que de la défense des
gentils. Même sans cette occasion, un pareil langage n'aurait peut-être pas paru
suspect; mais cette occasion étant donnée, c'était une raison de plus pour parler
hardiment. Remarquez aussi tout ce qu'ils gagnent par les efforts de leurs adversaires:
Sans cela ces choses n'eussent pas été dites, non plus que celles qui le furent plus
tard. Les Juifs apprennent par là que quelles que soient leurs dispositions à l'égard
des gentils, ils ne doivent pas s'opposer à.leur conversion.
Mais étudions encore ce discours. « Il m'a choisi parmi
vous, et depuis longtemps ». C'est-à-dire : Ma mission est ancienne et ne date pas
d'aujourd'hui. Cette considération est importante quand il s'agit de se séparer, même
des Juifs convertis : il soutient donc ses paroles par les circonstances de temps et de
lieu. Le mot « il m'a choisi » est aussi fort juste : il ne leur parle pas seulement
d'une volonté, mais d'un choix. Comment s'est-il manifesté? Par le Saint-Esprit. Pierre
montre aussi que ce qui s'est passé, témoigne non-seulement de la grâce, mais aussi de
la vertu des (159) gentils, et que Dieu n'a pas été plus avare envers ceux-ci qu'envers
les juifs. « Il.n'a fait », dit-il, « aucune différence entre eux et nous ». C'est
donc le coeur qu'il faut chercher partout, et il dit avec raison : « Dieu qui connaît
les coeurs, lui a rendu témoignage ». C'est la même pensée que plus haut : «
Seigneur, qui connaissez les coeurs de tous les hommes, dirigez-nous »., (Act. I, 24.) Et
pour montrer que c'est bien là ce qu'il veut dire, voyez ce qu'il ajoute : « Il n'a fait
aucune différence entre eux et nous ». Quand il parle du témoignage de Dieu en faveur
des gentils, c'est un mot bien grave, tel que celui de Paul : « La circoncision n'a
pas plus d'importance que le prépuce ». (I Cor. VII, 19.) Et aussi : « Afin
de réunir les deux peuples en lui-même ». (Eph. II, 15.) Tout cela est en germe dans le
discours de Pierre. Il ne dit pas : Les circoncis; mais : « Parmi nous » ;
c'est-à-dire, parmi les apôtres. Pour ne pas les blesser, en disant qu'il n'y avait «
aucune différence », il ajoute :
« Dieu a purifié leurs coeurs par la foi », ce qui l'empêche de leur paraître
suspect. Tout en supprimant ce qui pourrait choquer dans son langage, il finit par leur
faire voir que l'ancienne loi était bonne, mais que les hommes étaient trop faibles pour
la porter.
2. Cependant voyez ce qu'il y a de terrible dans la fin de
son discours. Il ne s'appuie pas sur les prophéties, mars sur les faits présents dont
ses auditeurs étaient témoins: En effet, ils les attestent, et ce qu'ils ont vu confirme
ce qu'ils entendent. Observez aussi qu'il permet pour la première fois une discussion
dans l'église, et qu'il y prend part. Et comme il ne dit pas des « circoncis », mais
des « gentils » «(et ainsi, d'une part, il exprime plus fortement sa pensée par une
insinuation, et, de l'autre, il met en doute que l'on puisse se sauver en suivant la loi),
voyez comme il poursuit : il montre que les Juifs sont en danger, car ce que la loi ne
peut faire, la foi le peut, et que, cette loi n'existant même plus, ils sont dans un
péril inévitable. Il ne leur dit pas : Vous êtes infidèles, ce qui serait trop dur,
surtout pour une cause déjà gagnée. Il n'y avait pas dé gentils à Jérusalem; mais à
Antioche il est clair qu'il y en. avait. Aussi les apôtres y vont et y passent assez
longtemps. Cela avait déplu à plusieurs pharisiens qui étaient encore possédés de
leur ambition maladroite et qui voulaient dominer les gentils. Mais Paul était un savant
docteur et il s'y opposa : quand il revint, les dogmes commençaient à se préciser. Car
si les apôtres de Jérusalem n'avaient pas eu les exigences des pharisiens, Paul et
Barnabé les avaient bien moins encore. Voyez comme ceux qui n'avaient pas cherché à
dominer, se réjouissent maintenant dans leur foi. Ils n'allaient pas faire des récits
pleins d'orgueil et d'ostentation, mais se justifier (le la prédication qu'ils avaient
faite aux gentils aussi ne disent-ils rien de ce qui leur est arrivé avec les Juifs. Les
pharisiens étaient bien obstinés, puisque, même après leur conversion, ils
conservaient leurs usages et n'obéissaient pas aux apôtres. Mais pour ceux-ci, remarquez
comme ils parlent avec douceur et sans déployer leur autorité : ce qui plaît fait
toujours plus d'impression. Ne voyez-vous pas que ce qui agit, ce n'est pas la force de
leurs paroles, mais celle de leurs actions, celle du Saint-Esprit? Malgré de pareils
soutiens, ils parlent doucement. On ne songeait pas à accuser ceux d'Antioche, mais cela
en fournit l'occasion, tant était grand le désir de dominer chez ceux qui accusaient les
apôtres, même sans les en prévenir. Ceux-ci ne firent rien de semblable; mais après
avoir exposé leur doctrine par leurs discours, ils la développèrent avec une nouvelle
ardeur par leurs écrits. C'est toujours une chose admirable que la bonté : mais je dis
la bonté et non l'indifférence, la bonté et non la flatterie. Tout cela ne peut se
confondre.
Rien n'irritait Paul, non plus que Pierre. Si vous avez
des preuves, pourquoi vous emporter? Est-ce afin de les affaiblir? car un homme en colère
ne peut convaincre de rien. Hier, nous avons déjà parlé sur la colère, rien ne nous
empêche d'en parler encore aujourd'hui, car les observations répétées feront
peut-être plus d'effet. Un remède peut avoir une certaine influence pour guérir une
blessure, mais si on ne l'emploie pas souvent, sa vertu disparaît. Parce que je reviens
sur le même sujet, ne croyez pas que je désespère de vous ; s'il en était ainsi, je,
me tairais :. au contraire, si je vous parle, c'est que j'ai grande espérance de vous
être utile. Plût au ciel que ces mêmes sujets fussent plus souvent traités dans nos
entretiens, que toutes nos conversations, tous nos soins fussent employés à chercher les
moyens de corriger nos vices ! N'est-ce pas, en effet, une opposition absurde ? Les (160) empereurs qui vivent dans le luxe et les plus
grands honneurs, n'ont d'autre occupation, soit à table, soit partout ailleurs, que de
chercher à vaincre leurs ennemis, et pour cela ils tiennent conseil chaque jour,
rassemblent des officiers et des soldats, lèvent dés tributs, pensant qu'il n'y a que
deux nécessités politiques: vaincre leurs ennemis, et maintenir leurs sujets en paix;
notas, au contraire, nous ne songeons.pas à tout cela, même en rêve, mais nous pensons
à acheter un champ ou des esclaves, à nous enrichir, à nous divertir chaque jour. Quant
à ce qui nous touche véritablement nous-mêmes,, nous .ne voulons, seulement pas en
entendre rien dire aux autres. De quoi donc pourra-t-on parler ? Du dîner? Cela regarde
les cuisiniers. De l'argent? C'est l'affaire des banquiers et des marchands. Des maisons?
Laissons cela aux architectes et aux maçons. De la terre ? C'est l'occupation des
laboureurs. Ce qui devrait être notre unique occupation , c'est d'enrichir notre âme. Ne
vous rebutez donc pas de nos discours. Personne ne blâme le médecin qui parle toujours
de médecine, ni tes autres savants qui nous entretiennent de leurs sciences. Si nos
défauts étaient assez bien corrigés pour ne plus réclamer nos observations, on nous
accuserait peut-être de nous faire valoir quand nous continuerions à prêcher: on aurait
tort. En effet, les, médecins ne s'adressent pas seulement. aux malades, mais aussi aux
gens bien portants, et leurs livres ont une double intention : guérir la maladie et.
conserver la santé. Ainsi, quand même nous.nous porterions bien, ce ne serait pas une
raison de nous négliger, mais de tout faire pour maintenir notre santé.
3. Pour les, maladies de l'âme, nos discours ont donc
deux.obligations à remplir: d'abord, de guérir la maladie , puis, après la guérison,
d'empêcher les rechutes. Actuellement, nous, cherchons une méthode pour une cure
difficile ; il n'est pas question de bonne santé ! Comment couper court à ce défaut
déplorable ? Comment apaiser cette fièvre cruelle de la colère? Voyons d'où elle
procède et détruisons la cause: D'où vient-elle d'ordinaire ? D'un excès d'arrogance
et d'orgueil,. Supprimons cette cause et la maladie disparaîtra. Qu'est-ce que l'orgueil?
D'où procède-t-il ? Nous sommes conduits à remonter vers un nouveau principe. Suivons
donc la route que cette instruction nous marquera, afin d'arracher le mal jusque dans les
profondeurs de ses racines. Qu'est-ce qui fait naître l'orgueil? C'est que nous ne nous
étudions pas, nous-mêmes. Nous examinons avec soin la nature d'un terrain, quoique nous
ne soyons pas laboureurs, ainsi que la valeur des plantes, de l'or, des habits, de tout
enfin, quoique nous ne soyons pas marchands; mais quant à nous, quant à notre nature,
nous n'y songeons pas le moins du monde. Mais, direz-vous, qui donc ne connaît pas sa
propre nature? Bien des gens, pour ne pas dire tous; et, si vous le voulez, je vais vous
en donner la preuve. Qu'est. ce que l'homme, dites-moi ? Si l'on vous demande : En quoi
diffère-t-il des brutes? Quel lien a-t-il avec les puissances célestes? Que doit-il
devenir? Pourrez-vous répondre juste à toutes ces questions? Je ne le crois pis.
Tout être provient d'une substance ; ainsi l'homme est,
pour 'ainsi dire, la substance humaine qui doit devenir un ange ou une brute. Ce discours
vous parait-il déplacé ici? C'est pourtant ce que les Ecritures vous répètent souvent.
Il y a des hommes dont elle dit: « C'est un ange du Seigneur, et l'on cherchera le
jugement sur ses lèvres » (Malach. II, 7); et aussi : « J'enverrai mon ange devant ta
face ». (Id. III, 1.) Il y en a d'autres dont . elle dit : « Serpents, race de vipères
». (Matth. XII, 34.) Du reste, chacun peut se conduire de manière à devenir à la fois
un homme et un ange: Que dis-je, un ange? Même un fils de Dieu; car il est écrit : «
J'ai dit : vous êtes dieux et tous enfants du Très-Haut ». (Ps. LXXXI, 6.) Ainsi le
plus admirable; c'est qu'il, dépend de lui de devenir Dieu, ange et fils de Dieu .: les
hommes peuvent aussi créer des anges. Cela vous étonne peut-être? Mais écoutez ces
mots du Christ : « Dans la résurrection, il n'y a plus de noces ni de mariage; on est semblable aux anges ». (Luc, XX, 35, 36.) Et
aussi : « Que celui qui peut comprendre, le
comprenne». (Matth.XIX,12.) En résumé, c'est la vertu qui fait les anges; or, nous
sommes les maîtres d'être vertueux; donc nous pouvons créer des anges, sinon par nôtre
nature, au moins par notre volonté. En effet, sans la vertu il ne sert à rien d'avoir la
nature d'un ange ; cela se voit par le diable qui d'abord était un ange; au contraire,
quand la. vertu existe, la nature humaine n'empêche rien. C'est ce que l'on voit par Jean
qui était un (161) homme, par Elie qui est
monté au ciel, et par tous ceux qui y monteront à leur tour. Leur corps ne leur a pas
fait obstacle pour habiter le ciel, tandis que les démons n'ont pu y rester, quoiqu'ils
fussent immatériels. Ainsi , que personne ne se tourmente et ne s'irrite contre les
obstacles de sa nature, mais contre ceux de sa volonté ! Il a dégénéré d'un être
incorporel, ce lion terrible dont il est dit : «Le diable, notre adversaire, tourne
autour de nous comme un lion rugissant, cherchant quil pourra dévorer ». (I
Pet. V, 8.) Nous, malgré nos corps, nous devenons des anges. Celui qui trouve une
substance précieuse et qui la dédaigne parce qu'il ne s'y connaît pas, se fait beaucoup
de tort à lui-même, qu'il s'agisse d'huîtres à perles , de coquilles à pourpre ou de
toute autre chose semblable ; de même, si nous ignorons notre nature, nous la dédaignons
complètement; mais si nous la connaissons, nous y donnons toute notre attention et nous
en retirons un grand avantage. Elle nous fait avoir des vêtements royaux, une demeure
royale; nous devenons rois nous-mêmes, et en nous tout est royal. N'abusons donc point de
notre nature pour notre perte; Dieu nous a faits un peu inférieurs aux anges (Ps. VIII,
6, et Hébr. II, 7) ; c'est-à-dire qu'il nous a faits mortels , mais il nous a
indemnisés de cette légère infériorité. Ainsi , rien ne nous empêche d'être des
anges, dès à présent, si nous le voulons. Veuillons-le donc, veuillons-le, et, si nous
parvenons à nous transformer ainsi , rapportons-en la gloire au Père, au Fils et au
Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !