ANALYSE. 1 et
2. Courage de saint Paul.
3 et 4. Que la
tribulation a de grands avantages. Comment l'on doit supporter les injures.
Portrait de l'homme en colère qui nous montre toute la laideur de cette hideuse passion.
1. Voyez quelle véhémence montrent partout les
apôtres ! Ils déchirent leurs vêtements, ils s'élancent, ils crient: tout ce que
l'enthousiasme des esprits faisait pour eux, ils le repoussent et en témoignent leur
affliction. En effet, t'eût été pour eux un véritable
deuil, une douleur inconsolable, d'être regardés comme des dieux et de fortifier
l'idolâtrie qu'ils venaient renverser. Sans doute c'était un piège du démon. Mais ils
en ont horreur; et que font-ils? « Nous ne sommes », disent-ils, «que des hommes
faibles comme vous ». Ils détruisent le mal dès son origine; ils ne disent pas
seulement: « Nous sommes des hommes », mais: « des hommes comme vous ». Pour ne pas
être honorés comme des dieux, remarquez ce qu'ils ajoutent: « Nous vous avertissons de
quitter ces illusions pour vous convertir au Dieu vivant qui a fait le ciel, la terre et
la mer et tout ce qu'ils contiennent ». (Ps. CXLV, 6.) Observez qu'ils ne s'arrêtent pas
à citer les prophètes ni à dire pourquoi le Créateur a laissé les gentils à
eux-mêmes. « Dans les siècles passés, il a laissé marcher toutes les nations dans
leurs voies (15) ». Il dit qu'il l'a permis, mais il ne dit pas encore pourquoi, et, pour
aller au plus pressé, il ne prononce même pas le nom du Christ. « Néanmoins, il n'a
point cessé de se manifester, en répandant sur nous des bienfaits célestes
, en nous envoyant les pluies et les saisons favorables aux récoltes, nous donnant
une nourriture abondante et remplissant nos coeurs de joie (16) ». Il ne cherche pas
à aggraver leur fauté, mais il les engage à rie servir que Dieu. En effet, les apôtres
savaient que, s'il faut s'efforcer de parler de Dieu d'une manière digne de lui, il est
encore plus important d'être utile à ceux qui écoutent. Voyez comme il dissimule le
blâme qu'ils méritent. En effet, il aurait pu leur reprocher de jouir de tant de biens
sans connaître celui qui les leur prodiguait: cependant il ne le dit pas ouvertement, il
le donne seulement à entendre. « C'est du ciel », dit-il, « que Dieu nous envoie les
pluies ». David avait parlé de même: « L'abondance du froment, du vin et de l'huile a
multiplié le peuple » (Ps. IV , 8) ; souvent, en parlant de
la création, il revient sur ce sujet. Jérémie célèbre d'abord la Création
, puis le bienfait providentiel des pluies ». (Jér.
V, 24) D'après ces autorités, les apôtres ajoutent: « Dieu nous remplit de largesses
et de joie ». C'est-à-dire, qu'il nourrit les hommes avec abondance, au lieu de leur
donner le strict nécessaire. « Mais ils eurent beau parler,
à peine purent-ils empêcher que le peuple ne leur sacrifiât (17) ». Voilà ce qu'il y
eut de plus admirable chez eux : ils ne songèrent qu'à les détourner de leur folie.
« Plusieurs Juifs arrivèrent d'Antioche et d'Icone et gagnèrent le peuple; ils (153) lapidèrent Paul et le
traînèrent hors de la ville , croyant qu'il était mort (18)
». Voilà l'uvre du démon ! Les Juifs agissaient ainsi ,
non-seulement dans les villes , mais aussi dans les campagnes,
et montraient autant d'ardeur à ruiner la prédication que les apôtres en mettaient à
l'affermir. « Ils gagnèrent le peuple ; ils lapidèrent Paul et le traînèrent hors de
la ville, croyant qu'il était mort». On reconnaît ici l'accomplissement de cette parole
« Ma grâce te suffit, car ma force se montre tout entière dans la faiblesse »(II Cor. XII; 9); cela était plus grand que de guérir un boiteux.
Les gentils les avaient regardés comme des dieux; mais, après avoir gagné le peuple , les Juifs le traînèrent hors de la ville. Si quelques
habitants avaient admiré les apôtres , ïl
est probable que tous n'avaient pas été du même avis: aussi vous voyez que, dans cette
même ville où on les avait ainsi admirés, ils souffrent de cruels traitements. Pourquoi
Dieu l'avait-il permis? c'est ce que Paul nous explique
lui-même en disant: « Il ne faut pas que personne m'estime au-dessus de ce qu'il voit en
moi, ou de ce qu'il entend dire de moi ». (II Cor. XII, 6.)
« Les disciples s'étant amassés autour de « lui, il se
leva et rentra dans la ville (19) ». Voyez quelle ardeur! voyez
quel zèle fervent et enflammé ! Il revient dans la ville pour faire voir que, s'il la
quittait, c'était pour répandre la parole de Dieu et pour éviter d'irriter
personne. Cela faisait aux apôtres plus d'honneur que des miracles, et. eux-mêmes en étaient plus heureux. Car on ne dit pas qu'ils fussent
satisfaits d'opérer des miracles , mais plutôt d'être jugés
dignes de se voir méprisés pour la gloire du Seigneur; c'est ce qu'ils avaient appris
par ces paroles du Christ: « Ne vous réjouissez pas parce que les démons vous sont
soumis » (Luc , X, 20) ; leur véritable joie était de souffrir pour le Christ.
Aussi revenaient-ils dans toutes les villes où ils avaient couru quelque danger. « Le lendemain , il partit avec Barnabé pour aller à Derbe. Après avoir annoncé l'Evangile dans cette ville et instruit
plusieurs personnes , ils revinrent à Lystre,
à Icone et à Antioche (20), fortifiant le courage des
disciples, les exhortant à persévérer dans la foi , et leur montrant qu'il faut passer
par bien des tribulations pour a entrer dans le royaume de Dieu (21) ».
2. Tels étaient leurs discours et leurs enseignements. «
Ils fortifiaient le courage des disciples », leur inspirant ainsi la constance et
l'union, et les engageant à fuir toute occasion de péché. Grâce à l'accord qui
s'établit entre les apôtres et leurs disciples, les uns parvinrent du premier coup aux
prédications les plus persuasives, et les autres à comprendre la nécessité des
souffrances et de la fermeté, ainsi qu'à rechercher moins les miracles que les
épreuves. Aussi Paul disait-il: « Subissant les mêmes combats que j'ai soutenus, comme
vous l'avez vu et entendu dire ». (Phil. I, 30.) Ils essuyaient de fréquentes
persécutions ; partout ils étaient combattus, attaqués, lapidés. Aussi voyez quelles
étaient leurs exhortations, et comme ils enseignaient à préférer les tribulations à
toute chose. Voici encore une autre consolation qui leur était réservée : « Traversant
la Pisidie, ils vinrent en Pamphylie, et ayant annoncé la
parole du Seigneur à Perge, ils descendirent. à Attalie (23, 24) ». Car, pour ne pas
laisser leurs disciples -se décourager en voyant ce que souffraient ceux qu'ils avaient
d'abord regardés comme des dieux, ils vinrent près d'eux et les exhortèrent.
Remarquez-le bien : Paul va d'abord à Derbe, pour laisser à
la fureur populaire le temps de s'apaiser; puis il revient à Lyslre,
à Icone et à Antioche, s'éloignant devant la. colère et revenant près du peuple apaisé. Vous voyez que la
conduite des apôtres était dirigée non-seulement par la
grâce divine, mais aussi par leur activité personnelle. « De là ils firent voile
jusqu'à Antioche, d'où ils avaient été envoyés à la grâce de Dieu pour faire
l'oeuvre qu'ils avaient accomplie (25) ». Pourquoi reviennent-ils à Antioche? Pour
annoncer ce qu'ils avaient fait. Du reste la Providence dévoilait ainsi une grande
oeuvre; c'est qu'il ne fallait pas craindre d'instruire les gentils. Voilà ce qu'ils
viennent annoncer, pour que tout. le monde puisse le savoir. La
Providence permet en même temps l'arrivée à Antioche de ceux qui s'opposaient à cette
communication avec les gentils ;.mais les apôtres; partis de
Jérusalem avec tant de courage, y reviennent avec une égale confiance; en même temps
ils font preuve de soumission. En effet, s'ils avaient montré de l'indépendance en
s'adressant aux gentils sans en.avoir reçu la mission, ils prouvent aussi leur
obéissance en rendant compte de leurs travaux ; leur conduite n'est pas suspecte
d'orgueil. C'était d'Antioche « qu'ils (154) avaient été envoyés à la grâce de Dieu
» le Saint-Esprit l'avait ordonné, mais ce qui vient du Saint-Esprit vient aussi du Fils, car le Fils et le Saint-Esprit ont une même puissance et une même nature. « Après
y être arrivés et avoir convoqué l'Eglise, ils racontèrent quelles grandes choses Dieu
avait faites par eux, et comment il avait ouvert aux gentils la porte de la foi (26). Et
ils demeurèrent là assez longtemps avec les disciples (27) » ; ils avaient raison, car
c'était une grande ville qui avait besoin de docteurs.
Mais revenons à ce qui, précède. Ils avaient fait
impression sur le peuple, en déchirant leurs habits, comme l'avait fait Josué, fils de Navé, quand son peuple fut vaincu. Ne croyez pas que cela fut
indigne d'eux, ou inconvenant de leur part ; il n'en fallait pas moins- pour apaiser cet
emportement, et pour éteindre cet incendie. Puisqu'ils ont dû avoir recours à de
pareils moyens, nous ne devons reculer devant rien. Puisqu'ils ont à peine réussi de
cette manière à convaincre le peuple, sans cela, que serait-il arrivé? S'ils avaient
agi différemment, ils auraient passé pour des orgueilleux qui ne recherchent, que la
gloire. Réfléchissez à la sage modération du langage des
apôtres, ainsi étonnés et stupéfaits, quand il fallait réprimander le peuple. Il fut
surtout retenu par ces paroles : « Nous sommes des hommes faibles comme vous, et nous
vous avertissons de quitter ces illusions pour vous convertir à Dieu ». Cela voulait
dire : nous ne sommes que des hommes, mais nous valons mieux que vos dieux, car ceux-là
sont morts. Vous voyez que non-seulement ils indiquent les
erreurs, mais ils enseignent la vérité ; tout cela, sans parler de choses invisibles. «
Dieu », dit-il, « a fait le ciel et la terre et tout ce qui s'y trouve ». Il prend les
siècles à témoin de ses paroles. O Juifs insensés ! Ils ont eu l'audace de
séduire un peuple qui honorait ainsi les apôtres et de lapider Paul. Ils l'ont traîné
hors de la ville, peut-être parce qu'ils le craignaient encore ! « Les apôtres
prièrent en jeûnant, pour recommander leurs disciples au Seigneur». Cela montre qu'il
faut jeûner dans les tentations. Ils ne parlent pas de ce qu'ils ont fait, mais de ce que
Dieu a fait par eux; ils en parlent aussi simplement que de leurs épreuves. Ils
n'étaient. pas conduits par le hasard, ni par le désir de se
reposer, tuais par la providence du Saint-Esprit, afin
d'affermir la prédication chez les gentils. Et pourquoi, direz-vous, n'ont-ils pas fait. de prêtres à Chypre ni à Samarie? Parce que Samarie était près
des premiers apôtres, et Chypre près d'Antioche, où. la
parole divine se multipliait; ils allaient où leur secours était le plus nécessaire,
surtout pour les gentils qui lavaient besoin de tout apprendre. Ils arrivèrent pour
enseigner, parce que le Saint-Esprit leur avait imposé cette
mission. Admirez l'ardeur de Paul ! Il ne délibère pas pour savoir s'il doit parler aux
gentils, mais il leur parle sans hésiter. Aussi disait-il : « Je n'ai pas pris conseil
de la chair et du sang ». (Galat. 1, 16.)
3. En réalité, la tribulation est un grand bien et un
bonheur pour une âme forte et courageuse. Combien ont été ainsi conduits vers la foi
divine et ont brillé d'un éclat incomparable ? Aussi faut-il toujours avoir un
grand zèle, une adresse parfaite et une âme préparée à la mort; car pour aller au
royaume des cieux, il n'y a pas d'autre chemin que ce. lui de
la croix. Ainsi ne nous flattons point. On ne peint supporter les fatigues de la guerre si
l'on recherche les plaisirs, l'argent, si l'on montre de la bassesse ou de la lâcheté :
à plus forte raison dans cette guerre ! Ne pensez-vous pas que c'est la plus terrible de
toutes? « Il ne s'agit pas de combattre contre des hommes de sang et de chair ». (Eph. VI, 12.) L'ennemi vous poursuit aux repas, à la promenade, aux
bains. Il ne vous fait trêve que pendant votre sommeil ; même alors il vous attaque
souvent en vous envoyant des pensées impures et des songes voluptueux. Et nous, comme si
l'objet de ces attaques ne valait pas la peine d'être défendu, nous ne montrons ni
tempérance, ni vigilance, nous ne songeons point à la multitude des puissances qui nous
menacent, nous ne réfléchissons pas que notre indifférence même est déjà une
défaite, et au milieu de pareils dangers nous vivons comme dans les délices de la paix.
Croyez-moi , ces périls sont aujourd'hui plus grands que ceux
auxquels Paul a été en butte. On lui lançait des pierres; maintenant on lance des
paroles qui font plus de mal que des pierres. Que faut-il faire alors? Ce qu'il a fait
lui-même. Il n'eut point de haine pour ses ennemis, mais il rentra dans la ville hors de
laquelle ils l'avaient traîné , afin de répandre ses
bénédictions sur ceux qui l'avaient ainsi maltraité. De même, si vous avez à
supporter un homme grossier et insolent, (155) vous pourrez dire avec raison que vous
aussi avez été lapidé ! Et ne dites point : je n'ai fait de mal à personne ! Quel mal
Paul avait-il fait pour être lapidé? Il leur annonçait le royaume des cieux, il les
détournait de l'erreur, il les ramenait à Dieu; tout cela méritait des couronnes , des applaudissements , des bienfaits sans nombre, et non
des pierres cependant, voilà comment il fut récompensé ! Quelle victoire est plus
brillante? « Ils l'ont traîné », dit l'Ecriture : Vous aussi l'on vous a traîné,
mais ne vous irritez pas et annoncez la parole de Dieu avec douceur. On vous a injurié?
Taisez-vous, ou même, si vous le pouvez, répondez par des bénédictions, et, tout en
annonçant la parole de Dieu, vous aurez en même temps enseigné la douceur et la bonté.
Je sais que bien des personnes supportent plus facilement les blessures que les outrages,
les plaies du corps que celles de l'âme; ruais ne nous affligeons pas et soulageons ceux
qui s'affligent. Ne voyez-vous pas que les lutteurs, la tête meurtrie, les dents
cassées, supportent leurs douleurs avec constance ? Pour vous il n'est pas besoin de
grincer des dents ni de mordre. Songez à Notre-Seigneur et
vous vous rappellerez les remèdes dont il dispose. Songez à Paul. Réfléchissez que
vous, qui avez été frappé, vous êtes vainqueur, tandis que celui qui a frappé est
vaincu ; cette pensée suffit pour tout guérir. On vous attaque; ne vous laissez pas entraîner , et vous avez fait votre devoir : demeurez ferme , et
l'ennemi perd sa force. C'est une grande consolation de souffrir pour le Christ :
autrement, vous ne prêchez pas le langage de la foi, mais celui de la sagesse humaine.
Mais, direz-vous, plus je montrerai de douceur, plus l'on me persécutera. Ainsi, vous
vous plaignez de ce qui doit augmenter votre récompense ? Mais ,
direz-vous, c'est un homme intraitable. Vous dites cela pour excuser votre faiblesse , car il sera bien plus intraitable , si vous vous vengez
de lui. Si Dieu avait prévu que la vengeance pût rendre les
méchants plus traitables, il vous aurait dit au contraire : Venge-toi. Mais il sait ce
qui convient le mieux.
Ne faites pas de lois opposées à celles de Dieu;
obéissez-lui. Vous ne valez pas mieux que Celui qui nous a créés. Il a dit : Supporte
les injures ; et vous dites : Je rends les injures à celui qui me les fait, afin de le
rendre plus traitable. Vous êtes donc plus sage que Dieu? Toutes ces paroles proviennent
de la passion, de la dureté, de l'insolence, et sont contraires à la loi de Dieu. Ne
faut-il pas lui obéir, quelque dommage que l'on souffre ? Quand Dieu a donné un ordre,
nous ne devons jamais y contredire . « Une réponse soumise
apaise la colère ». (Prov. XV, 4.) Mais il faut qu'elle soit
soumise, bien loin d'être arrogante. Ce qui est bon pour l'un, l'est aussi pour l'autre;
au contraire, si celui que vous voulez conduire au bien vous fait du mal; il s'en fait
encore plus à lui-même. « Médecin; guéris-toi toi-même ». (Luc, IV, 23.) Il a dit du mal de moi. Faites son éloge.
II m'a injurié. Parlez-lui poliment. Il a cherché à me nuire.
Faites-lui du bien. Que votre conduite soit l'opposé de la sienne, pourvu que vous
songiez à son salut et que vous ne cherchiez pas à vous venger. Mais, direz-vous, après
avoir souvent profité de ma patience, il est devenu pire qu'il n'était. C'est son
affaire, ce n'est pas la vôtre. Voulez-vous savoir ce que Dieu
a souffert ? On a renversé ses autels, on a tué ses prophètes, et il a tout supporté;
ne pouvait-il pas faire tomber la foudre? Puis, après qu'il eut envoyé ses prophètes et
qu'on les eut tués, il envoya son Fils lui-même. Ainsi, plus l'impiété se
déchaînait, plus il multipliait ses bienfaits. Vous, de même, si vous rencontrez un
homme emporté, soyez le premier à lui céder; son caractère a besoin, plus qu'un autre,
d'être traité avec douceur. Plus l'offense est grossière, plus_ elle réclame de bonté
de notre part : un malade a besoin qu'on lui passe tout; il en est de même pour l'homme
en colère. Quand une bête s'emporte, tout le monde la fuit ; il en est de même pour
l'homme en fureur. Ne croyez, pas que ce soit là une marque de respect : est-ce que nous
rendons hommage aux bêtes féroces et aux fous, quand nous les évitons? Pas le moins du
monde; c'est plutôt une marque de mépris et d'injure; ou plutôt, il n'y a ni mépris,
ni injure, mais pitié et bonté. Ne voyez-vous pas que les matelots, quand le vent
s'élève, carguent les voiles pour que le navire ne s'engloutisse point; ne voyez-vous
pas que le cavalier, dont le cheval s'emporte, le laisse aller au lieu
de l'arrêter, de peur que la force ne lui manque tout à coup?
4. Agissez de même. La colère est un feu, une flamme
ardente qui ne demande qu'à tout dévorer ; ne lui donnez pas d'aliments, et (156)
bientôt tous les ravages s'arrêteront. La colère n'a pas de
force par elle-même, si mien ne la nourrit. Autrement, rien ne peut vous excuser. Cet
homme a perdu la raison, il ne sait plus ce qu'il fait : vous qui le voyez, qui appréciez
ce spectacle et qui n'en devenez pas plus sage quelle indulgence méritez-vous ? Celui
qui, arrivant dans un festin, verrait dès le vestibule les inconvenances d'un homme. ivre, puis ensuite tomberait aussi dans le même état, ne serait-il
pas bien moins pardonnable après cet exemple? Ici il en est de même. Ne croyons pas nous
excuser, en disant : Je n'ai pas commencé. Ce qui nous accuse, c'est justement que la vue
de notre adversaire ne nous a pas rendus plus sages. C'est comme si un meurtrier disait :
D'autres ont frappé avant moi. Il en est d'autant plus coupable, s'il a vu commettre des
assassinats, et s'il n'a pas eu horreur d'en commettre lui-même.
Après avoir vu un homme abattu et épuisé par l'ivresse,
vomir, rouler des yeux hagards, souiller la table et faire fuir ses voisins, si vous
tombez dans le même état, n'en serez-vous pas plus coupable? Tel est aussi l'homme en
colère: plus que celui qui.vomit il a les veines gonflées, les yeux enflammés, le coeur
agité : il vomit des paroles plus impures que les déjections de l'ivrogne et qui ne sont
pas mieux digérées, car sa rage ne lé permet pas. De même.que chez l'un l'excès de
liquide soulève l'estomac et en fait tout sortir; de .même chez l'autre, une ardeur
excessive soulève l'âme et ne lui permet pas de cacher ce qu'il faudrait taire : ce qui
est bon ou mauvais à dire s'échappe pêle-mêle et le salit plus que ceux qui
l'entendent. Fuyons donc.las gens en colère aussi bien que ceux qui vomissent. Que
faut-il faire alors? Jeter de la cendre sur le vomissement et appeler tout bas les chiens
pour qu'ils le mangent. Je, sais que je vous dégoûte, mais je voudrais que vous vous
fussiez dégoûtés en le voyant et que vous n'eussiez pas envie d'en rire. L'homme qui
injurie est plus immonde que « le chien qui revient à son vomissement » . Je ne ferais pas cette comparaison s'il ne vomissait qu'une
fois, mais puisqu'il rejette encore les mêmes infamies, il semble qu'il les ait avalées
de nouveau. Qu'y a-t-il de plus abominable, de plus impur que cette bouche qui avale de
pareilles choses? Est-ce la nature qui l'y engage? non sans
doute, rien n'est plus contraire à la nature.
Pourquoi cela? Parce qu'il n'est pas conforme, mais
opposé à notre nature, d'injurier sans raison : ce n'est plus le langage d'un homme,
mais celui d'une bête ou d'un fou. C'est une maladie qui répugne autant à notre nature
qu'une maladie du corps. Or, si notre nature est obligée de supporter ce qui lui est
contraire, elle se détruit peu à peu, tandis qu'elle subsiste si tout lui est conforme.
J'aimerais mieux, me trouver à table près de quelqu'un qui mangerait de la boue. que. près d'un homme qui parlerait ainsi.
Né voyez-vous pas les pourceaux manger des excréments? On peut dire que ces gens-là en
font autant. Quoi de, plus dégoûtant que leurs paroles injurieuses? Ils n'ont garde dé
prononcer un mot honnête et convenable, mais ils font et ils disent tout ce qu'il y a de
honteux et d'indécent : ce qu'il y a de pis, c'est que le déshonneur qu'ils veulent
jeter sur les autres rejaillit sur eux, et cette intention même prouve «ils se
déshonorent. Je laisse de côté les calomnies : mais supposons qu'une courtisane
célèbre ou. tout autre personnage trop connu se dispute avec
quelqu'un, et qu'on échange des injures mutuelles. De quel côté viennent les paroles
offensantes? On ne dit au premier que ce qui est su de tout le monde, et il n'en est pas
de même pour le second : par conséquent, la réputation de l'un n'a rien à en craindre
et celle de l'autre en souffre, beaucoup. Supposez. encore
qu'un homme ait commis des fautes cachées :connues seulement d'un homme grossier qui,
après avoir gardé quelque temps le silence, finit par l'injurier; eh bien ! l'offense- retombe plutôt sur l'offenseur. Comment cela ? Il a
divulgué une mauvaise action, et donné en même temps une mauvaise opinion de sa
véracité : s'il y a eu un meurtre de commis, lui dira-t-on, il fallait tout dire. Aussi
tout le monde se détourne de lui avec horreur comme si ce n'était pas un homme; mais une
bête sauvage et cruelle; on est moins indulgent pour lui que pour celui qu'il accuse.
Nous ressentons moins d'éloignement pour ceux qui ont des infirmités que pour celui qui
les dévoile quand on voudrait les dissimuler. Celui-là n'offense pas seulement la
personne dont il parle , cette offense rejaillit sur lui-même
ainsi que sur l'humanité : il a blessé ceux qui l'écoutaient, il n'a donc fait que du
mal. Paul dit à ce sujet : .« Que vos discours soient bons et
(157) édifiants, afin d'inspirer la piété à ceux qui vous écoutent ». (Eph. IV, 29.) Veillons à ce que notre langue ne dise que du bien,
afin qu'on nous recherche et qu'on nous aime. Cependant, on est arrivé à cet excès de
perversité, que bien des gens se glorifient de ce dont ils devraient rougir. Il y en a
qui vous menacent ainsi : Prenez garde à ce que je dirai de vous. Ce sont là des paroles
dignes d'une femme, et encore d'une vieille ivre et ignoble, d'une coureuse de rues, d'une
entremetteuse. Il n'y a rien de plus honteux que ces paroles, et de plus indigne d'un
homme; il semble réduit à la faiblesse d'une femme, s'il met sa force dans sa langue et
son orgueil dans les injures, comme les histrions des foires, les baladins, les parasites
et les flatteurs. Celui qui se vante d'un pareil talent ressemble plus à un pourceau
qu'à un homme. Vous devriez vous cacher, vous. devriez, si
quelqu'un raconte ce que vous avez dit, rougir devant ce cruel témoignage de votre
lâcheté; loin de là, vous répétez partout vos propos injurieux. Songez que vous ne
pouvez rien contre ceux que vous attaquez ainsi.
Aussi, je vous en conjure, en pensant à cette perversité
dont bien des gens se glorifient, cherchons à amender, à corriger cette extravagance;
écartons de notre ville ces réunions où l'injure a tant de part, veillons sur notre
langage et évitons toute mauvaise parole, afin que nous puissions, purifiés de nos
péchés, nous concilier la bienveillance d'en-haut et
mériter la clémence de Dieu, par la grâce et la pitié de son Fils unique, auquel,
ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et
honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.