HOMÉLIE XXIX. PAUL S'ÉTANT LEVÉ, ET AYANT FAIT SIGNE DE LA MAIN
POUR IMPOSER SILENCE, DIT : « HOMMES D'ISRAEL, ET CEUX, D'ENTRE VOUS QUI CRAIGNEZ DIEU,
ÉCOUTEZ : LE DIEU DE CE PEUPLE A CHOISI NOS PÈRES, ET IL A EXALTÉ CE PEUPLE PENDANT SON
SÉJOUR DANS LA TERRE D'ÉGYPTE, ET PAR LA PUISSANCE DE SON BRAS L'A TIRÉ DE CETTE TERRE
». (CHAP. XIII, VERS. 16; 17, JUSQU'AU VERS. 41 .)
ANALYSE.
1 et 2. Discours de saint Paul aux habitants d'Antioche de Pisidie. Commentaire sur la véritable mission de Jésus
comme Messie : Témoignage de David, de Jean-Baptiste. Vanité de la loi Mosaïque
depuis la venue de Jésus.
3. De la piété. Inutilité d'écouter les instructions si
on n'en profite pas pour avancer dans la vertu.
4. Remèdes contre les vices, tirés de lEcriture sainte : Contre la colère, l'orgueil. L'Ecriture fournit des exemples de toutes les vertus. Un seul
vice suffit pour se perdre. Manière de dompter ses passions en s'y exerçant.
1. Remarquez que Barnabé cède le pas à
Paul; comme Jean le cède partout à Pierre. Barnabé avait amené. Paul de Damas, il
était plus vénérable que lui; mais les apôtres ne considéraient que l'avantage
commun. « Paul s'étant levé et ayant fait signe de la main pour imposer silence ».
C'était l'usage des Juifs. C'est pour cela qu'il s'adresse ainsi à eux. Remarquez comme
il fraie la route à la parole : il les loue d'abord, et leur montre le grand intérêt,
qu'il leur porte en disant: « Qui craignez Dieu ».. Ensuite
il commence son discours. Il ne dit pas les prosélytes ; c'était un nom malheureux. «
Le Dieu de ce peuple a choisi nos pères ». Voyez, il appelle, lui aussi, comme Etienne,
le Dieu commun des hommes, leur Dieu particulier, et leur montre les immenses bienfaits
qu'ils ont reçus autrefois. Les apôtres agissent ainsi, pour faire comprendre aux Juifs
que Dieu,, en leur envoyant son Fils, n'a fait que mettre le
comble aux bienfaits dont il les a toujours comblés. Exprimant la même pensée que le Christ
dans la parabole de la vigne (Luc , XX, 13), il dit : «
Il a exalté le peuple pendant son séjour dans la
terre d'Egypte, et par la puissance de son bras, il l'a tiré de cette terre ». Cependant
le contraire était arrivé (1), mais ils devinrent
140
nombreux, et des prodiges furent faits en
leur, faveur. Les prophètes rappellent toujours le souvenir de ce qui s'est passé en
Egypte. Remarquez que Paul passe sous silence les événements malheureux, ne parle point
des sujets de plainte de Dieu, mais seulement des bienfaits de la bonté divine, les
laissant réfléchir sur les autres événements. « Et pendant quarante années il les
nourrit dans le désert ». Et ensuite il aborde le sujet de la terre promise, et il dit :
« Et ayant détruit sept peuples dans la terre de Chanaan, il leur donna en héritage la
terre de ces peuples (19) ». Puis un longtemps, quatre cent cinquante ans s'écoulèrent
: « Et ensuite pendant quatre cent cinquante ans il leur donna des juges jusqu'au
prophète Samuel (20) ». Il leur montre par là que Dieu a pourvu de diverses manières
à leur gouvernement. « Ensuite ils demandèrent des rois ». Il ne parle pas de leur
ingratitude; mais partout de la bonté de Dieu. « Et Dieu leur donna Saül, fils de Cis,
homme de la tribu de Benjamin, pendant quarante ans (21). Et après l'avoir rejeté, il
suscita pour roi, David, fils de Jessé, à qui il rendit ce
témoignage : J'ai trouvé David, fils de Jessé, homme selon
mon coeur, qui accomplira mes volontés (22) ». Cela est important, puisque le Christ
sortait de David. Puis il montre Jean rendant témoignage au Christ, et il dit : « De sa
race, Dieu a suscité suivant sa promesse le sauveur d'Israël, Jésus; et Jean a prêché, en vue de sa venue, le
baptême de la pénitence à, tout le peuple d'Israël. Lorsque Jean remplissait sa
course, il disait : Qui croyez-vous que je sois? Je ne suis pas celui que vous pensez,
mais voici qu'il vient après moi celui dont Je ne suis pas digne de dénouer les souliers
(23-26) ». Et Jean ne rend pas simplement témoignage, mais il éloigne de lui la gloire,
quoique tous la lui attribuent. Ce n'est pas la même chose de repousser la gloire que nul
ne vous donne, et de la repousser quand tous vous la décernent; et cela non pas par un
simple refus, mais avec une si grande humilité. « Hommes, mes frères, fils de la race
d'Abraham, et ceux qui parmi vous craignent Dieu, le Verbe
du salut vous a été envoyé. Ceux qui habitaient Jérusalem, et leurs princes, ne l'ont
pas reconnu ; et les paroles des prophètes qu'on lit tous les jours de sabbat, en le
condamnant, ils les ont accomplies. Et ne trouvant aucune cause de mort contre lui, ils
ont demandé à Pilate de le faire mourir (26-28) ». Partout les apôtres s'appliquent à
montrer que le Christ est leur bien particulier, dupeur que, le considérant comme un
objet étranger, ils ne s'éloignent de lui, surtout après qu'ils l'ont crucifié. « Ne
l'ayant pas reconnu »; dit-il, de sorte que c'était un péché d'ignorance. Voyez comme
il les excuse avec douceur. Mais cela ne suffit pas, il établit encore qu'il devait en
être ainsi. Et pour que personne ne dise : Comment est-il prouvé qu'il est ressuscité?
Paul dit encore: « Ils sont ses témoins ».
Il le prouve ensuite, par les
Ecritures : « Lorsqu'ils eurent accompli tout ce qui a
été écrit de lui, on le descendit de la croix, et on le mit dans un tombeau. Mais bien
l'a ressuscité d'entre les morts le troisième jour, et il a été vu pendant un grand
nombre de jours par ceux qui étaient venus avec lui de la Galilée à Jérusalem; ils
sont ses témoins devant le peuple. Et nous, nous vous annonçons la promesse quia été
faite à nos pères car Dieu l'a accompli pour nous, leurs fils, et il a ressuscité
Jésus, suivant qu'il est écrit dans le psaume deuxième : Vous êtes mon Fils, je vous
ai engendré aujourd'hui. Et pour montrer qu'il l'a ressuscité d'entre les morts, et
qu'il ne doit, point retourner dans la corruption ; il dit : J'accomplirai les saintes
promesses que j'ai faites à David. C'est pour cela aussi qu'il est dit dans un autre
endroit : Vous ne permettrez pas que votre saint voie la corruption. David, après avoir
établi la volonté de Dieu dans sa propre génération, s'est endormi, et a été réuni
à ses pères, et a vu la corruption; mais celui que le Seigneur a ressuscité n'a point
vu la corruption ». Voyez avec quelle hardiesse Paul parle. Pierre n'a jamais dit cela.
« Sachez donc, hommes mes frères, que par ce Jésus nous est annoncée la rémission de
nos péchés, et.quiconque croit en lui est justifié de tout ce dont vous n'avez pu être
justifiés dans la loi de Moïse ».Ensuite il ajoute cette terrible parole : « Prenez
donc garde qu'il ne vous arrive ce qui est dit dans les prophètes : Voyez, contempteurs,
considérez, admirez et disparaissez, car je fais en vos jours une oeuvre que vous ne
(141) voudrez pas croire, si quelqu'un vous la raconte (29-41) ».
2. Voyez comme Paul compose le tissu de son discours avec les faits
actuels, les prophéties et la race de promission. Mais reprenons ce qui a été dit plus
haut : « Hommes mes frères, fils de la race d'Abraham ». Il les appelle par le nom de
leur père. « La parole du salut vous a été envoyée ». Ce mot : « à vous », il ne
le dit pas aux Juifs à l'exclusion des autres peuples, mais pour donner à ses auditeurs
le moyen de se séparer de ceux qui ont osé faire mourir le Christ. Et cela est éclairci
par ce qui suit : « En effet , ceux qui habitaient Jérusalem
ne l'ont pas reconnu, et n'ayant point entendu
les paroles des prophètes, lues tous les jours de sabbat dans les synagogues, ils les ont
accomplies en le jugeant ». C'est une circonstance qui aggrave la faute de n'avoir pas
fait attention à des paroles qu'ils entendaient souvent. Mais cela ne doit pas
surprendre; ce que l'apôtre a dit de la conduite de leurs pères en Égypte et au
désert, était suffisant pour montrer l'ingratitude de ce peuple. Mais comment,
dira-t-on, le méconnurent-ils , puisque Jean le leur
signalait? Faut-il s'en étonner, puisqu'ils l'ont méconnu malgré toutes les prophéties
qui l'avaient si clairement et si hautement désigné. Ensuite vient une autre accusation
: « Et n'ayant trouvé aucune cause de mort »; ceci n'était pas le fait de l'ignorance.
Admettons, en effet, qu'ils ne l'aient pas considéré comme le Christ, pourquoi le
mettaient-ils à mort ? « Et ils demandèrent à Pilate de le faire mourir.Lorsqu'ils
eurent accompli tout ce qui avait été écrit de lui, on le descendit de la croix et on
le mit dans un tombeau ». Voyez le zèle que les Juifs déploient dans toute cette
affaire. Paul indique le genre de mort, et introduit Pilate en cause, pour prouver
clairement la passion du Christ par le tribunal qui la décida, et pour accuser en même
temps plus fortement les Juifs qui ont livré Jésus à un étranger. Paul ne dit pas :
ils l'accusèrent; mais « ils demandèrent » qu'on le mît
à mort, sans qu'on eût trouvé de crime de mort en lui, pour montrer qu'ils obtinrent
cela comme une grâce de Pilate, qui ne voulait pas le faire mourir; Pierre le dit plus
ouvertement encore par ces paroles : « Pilate, jugeant qu'il devait être relâché ». (Act. III, 13.) Paul aimait beaucoup les Juif. Remarquez qu'il ne
s'arrête pas à l'ingratitude de leurs pères, mais il leur inspire la crainte à
eux-mêmes. Etienne, au contraire, s'y arrête comme il lui convenait, à.qui qui allait
être mis à mort, qui ne voulait pas tant instruire les Juifs que leur montrer que la loi
était abrogée.
Mais Paul ne parle pas de même, il se
contente de les menacer et de les épouvanter. « Mais Dieu l'a ressuscité d'entre les
morts. Il a été vu pendant un très-grand nombre de jours
par ceux qui étaient venus avec lui de la Galilée à Jérusalem ». Voyez comment Paul,
poussé par l'Esprit-Saint, leur rappelle à tout propos la passion et le tombeau du Christ.
« Et nous vous annonçons, leur dit-il, la promesse qui a été faite à nos pères » ;
c'est-à-dire : Nos pères ont reçu la promesse, vous, vous, en avez vu
l'accomplissement. Ensuite, il appelle Jean en témoignage par ces paroles « De cette
race, suivant la promesse, Dieu a suscité un Sauveur à Israël, et avant sa venue, Jean
prêchait le baptême de la pénitence à Israël ». Puis il le cite de nouveau en
témoignage lorsqu'il disait : « Je ne suis pas celui que vous pensez ». Ensuite il
donne le témoignage des apôtres en faveur de la résurrection : « Ceux-ci sont ses
témoins auprès du peuple». Enfin il termine par cette parole de David : « Vous ne
permettrez pas que votre saint voie la corruption ». Les paroles prises dans les anciens
n'avaient pas assez de force par elles-mêmes, et les paroles de Jean et des apôtres ne
prouvaient pas assez non plus sans les prophètes , c'est pour
cela que Paul se sert des uns et des autres pour rendre sa prédication persuasive. Comme
les Juifs étaient retenus par la crainte, vu qu'ils avaient, mis le Christ à mort, comme
d'ailleurs leur conscience les éloignait, les apôtres ne leur parlent pas comme à des
membres du Christ, ni comme à des hommes qui auraient livré un bien qui ne leur
appartenait pas, mais comme à ceux qui auraient livré leur propre bien. Le nom de David
était cher aux Juifs, aussi met-il ses paroles en avant pour leur faire accepter le Christ;
comme si David leur disait : C'est mon fils qui sera votre roi, ne rejetez donc pas son
joug. Que veut dire : « J'accomplirai mes saints engagements avec David? »
C'est-à-dire, les engagements sûrs, les engagements qui ne doivent jamais être brisés.
Il ne s'arrête pas à cela, vu qu'ils ont foi en cette parole. Mais il les menace du
(142) châtiment, et passant à ce qui était désirable pour eux, il leur montre que la
loi est abrogée; puis il s'arrête à ce qui importe surtout et leur montre que de grands
biens sont promis à ceux qui seront fidèles, et que de grands maux attendent les
transgresseurs. Ensuite, il parle avec louange de David : « David dans sa
génération accomplit la volonté de Dieu, et fut réuni à ses pères ». Ainsi Pierre,
en rappelant David, disait : « On peut, parler avec confiance du patriarche David ».
Paul ne dit pas qu'il est mort, mais « qu'il a été réuni à ses pères », ce qui
était plus doux à dire. Remarquez que nulle part il ne parle de leurs bonnes oeuvres,
mais seulement de ce qui les accuse. Il énumère les bienfaits de Dieu, en disant :
« Il a choisi, il a élevé, il a nourri ». C'est là un éloge, mais celui de Dieu. II
ne donne de louanges qu'à David, parce que le Christ vient de lui. Jean appelle l'entrée
du Christ, « avant l'entrée du Christ », son incarnation, sa manifestation dans la
chair. Ainsi Jean, en écrivant l'Evangile, en appelle souvent à Jean-Baptiste, car son
nom était célèbre dans toute la terre. Remarquez enfin que Paul ne parle pas d'après
lui-même, niais d'après le témoignage de Jean.
3. Remarquez-vous comme Paul montre avec
soin que Dieu a tout conduit? Mais écoutons ce que les apôtres ont persuadé aux hommes,
en prêchant le Christ crucifié. Qu'y a-t-il de plus incroyable, qu'il ait été mis dans
le tombeau par ceux à qui il annonçait le salut; et que cet homme enseveli remette les
péchés, et mieux que la loi ? Aussi Paul ne dit-il pas : Dont vous n'avez pas voulu,
mais. bien : «Quiconque croit en Jésus est justifié de ce
dont vous n'avez pu être justifié dans la loi de Moïse ». Et il montre par là la
faiblesse de la loi. Il dit avec raison : « Quiconque», pour déclarer que cela
s'applique à tout croyant. Mais à quoi bon toute cette doctrine, s'il n'en résultait
quelque bien? Aussi met-il en dernier lien la rémission des péchés, avantage dont il
fait ressortir la grandeur, en montrant que ce qui était impossible à la loi, Jésus
crucifié l'a fait par sa mort. Paul disait donc avec raison : « Ils sont ses témoins
devant le peuple », qui l'a mis à mort. Ils ne le seraient pas s'ils n'étaient
fortifiés par la puissance divine. Ils n'attesteraient pas de telles choses à des hommes
qui ne respirent que le meurtre, à ceux mêmes qui ont mis le Christ à mort. Il dit
cette parole : « Je vous ai engendré aujourd'hui »; car il sait que tout le reste suit
de là. Mais pourquoi Paul n'apporte-t-il pas de témoignage qui puisse les convaincre que
la rémission des péchés vient de :Jésus? Parce qu'il ne
voulait que démontrer clairement aux Juifs que Jésus était ressuscité; ceci prouvé,
il était indubitable par là que la rémission des péchés vient par lui. D'ailleurs il
voulait les amener au désir de ce grand bien. La mort de Jésus n'était donc pas un
abandon de Dieu, mais l'accomplissement des prophéties. Il rapporte les faits historiques
dont l'ignorance fut pour les Juifs la source de tant de maux. Paul insinue ce sens à la
fin de son discours, en disant: « Voyez, contempteurs , et
faites attention ». Remarquez comme il coupe court à cette parole dure, en ajoutant : «
Pour qu'il ne vous arrive pas ce qui a été dit aux autres : j'accomplis une oeuvre que
vous ne croirez pas, si quelqu'un vous la raconte». Ne vous étonnez pas, cette
incrédulité semble inconcevable , mais elle avait été
prédite. On pourrait aussi à bon droit nous dire à nous : « Voyez, contempteurs », en
parlant de ceux qui ne croient pas à la résurrection. Les affaires de l'Eglise sont en
souffrance, quoique vous pensiez que tout soit en paix. Et c'est un grand malheur de ne
pas savoir que nous sommes dans le malheur, lorsque nous sommes plongés dans des maux
sans nombre.
Que dites-vous? Nous avons des églises,
des biens, et le reste, les collectes se font, chaque jour le peuple assiste à l'office divin , et nous méprisons. La prospérité de l'Eglise ne se
reconnaît pas à ces signes. Mais à quel signe, direz-vous ,
la reconnaîtra-t-on ? Ce sera si nous avons de la piété, si nous rentrons dans nos
demeures chaque jour avec un gain spirituel nouveau , si nous
avons fait quelque fruit grand ou petit; si nous n'accomplissons pas la loi d'une façon
quelconque et connue pour l'acquit de notre conscience. Qui est sorti meilleur des
assemblées de tout un mois? C'est là la question : car souvent ce qui nous semble bien
se trouve être mal,.parce que nous n'en retirons aucun profit
pour notre avancement spirituel. Et encore plût à Dieu que nous fussions toujours au
même point; mais hélas! vous rétrogradez. Quel fruit
avez-vous retiré des assemblées ? Si vous en avez retiré quelque fruit, vous devriez
tous mener (113) depuis longtemps une vie
sage, car tant de prophètes vous parlent deux fois la semaine, tant d'apôtres, tant
d'évangélistes vous entretiennent, qui tous vous exposent les dogmes du salut, et les
préceptes qui peuvent amener à mieux régler vos moeurs. Le soldat qui va à l'exercice
devient plus habile dans la tactique; l'athlète qui fréquente la Palestre est plus
exercé à combattre; le médecin qui suit les cours d'un maître devient plus judicieux,
il sait et apprend de plus en plus : Vous, qu'avez-vous gagné? Je ne parle pas à ceux
qui ont fréquenté les assemblées pendant un an, mais bien à ceux qui y viennent depuis
leur première jeunesse. Croyez-vous que ce soit toute la piété de venir exactement à
l'assemblée? Ce n'est rien, si l'on n'en retire pas de fruit; si nous ne recueillons
rien, il vaut mieux rester à la maison. Si nos ancêtres nous ont construit des églises,
ce n'est pas pour que nous venions nous y montrer en public : cela se ferait aussi bien
dans la place publique, aux bains et dans les pompes publiques. Mais ils ont voulu réunir
les disciples et les docteurs, afin que, par le soin de ceux-ci, ceux-là devinssent
meilleurs. Ce que nous faisons maintenant n'est que l'accomplissement d'une loi et une
sorte de décorum ; du reste, c'est affaire de pure coutume. Vienne Pâques, il se fait
beaucoup de bruit, de grands rassemblements; je ne dirai pas : il vient beaucoup d'hommes
; car ce qui se fait n'est pas oeuvre d'hommes. La fête est passée, le bruit cesse, et
l'on rentre dans un calme infructueux. Combien de veilles de nuit ne fait-on pas? Combien
ne chante-t-on pas de cantiques? En devient-on meilleur? Que dis-je? on
en devient pire; beaucoup en effet font tout cela par vaine gloire. A quel point
pensez-vous que j'aie les entrailles déchirées en voyant tout s'en aller comme dans un
tonneau percé? Mais vous me direz sans cloute : Nous savons les Ecritures. Qu'est-ce que
cela? Montrez votre science dans les Écritures, par vos oeuvres : là est le gain, là
est l'utilité. L'église est un atelier de teinture : si vous en sortez toujours sans
avoir reçu aucune teinture, à quoi sert d'y aller souvent? Le dommage en est plus grand.
Qui de vous ajoute quoi que ce soit aux coutumes qu'il a reçues de ses ancêtres? Par
exemple. Tel a accoutumé de faire mémoire de sa mère, de sa femme, de son enfant : Il
le fait, soit qu'il l'apprenne ou ne l'apprenne pas de nous ,
poussé qu'il y est par la coutume et la conscience. Vous indignez-vous donc de cela,
direz-vous? Loin de là, je m'en réjouis fort mais je voudrais (lue cet homme retirât
quelque fruit de notre allocution; et ce que la coutume lui fait faire, je voudrais qu'il
le fit par notre exhortation, et que de nouvelles habitudes s'ajoutassent aux habitudes
déjà prises. Pourquoi travaillerai-je et radoterai-je en vain, si vous devez rester dans
vos habitudes, si les assemblées ne vous font aucun bien?
4. Certes, dit-on, nous prions. Qu'est-ce
que cela sans les oeuvres? Ecoutez la parole du Christ: « Tous ceux qui me disent:
Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le royaume des cieux, mais celui qui accomplit la
volonté de mon Père qui est dans les cieux». (Matth. VII,
21.) Souvent j'ai résolu de me taire , en voyant qu'il ne se
faisait parmi vous aucun progrès à ta suite de mes discours; peut-être ce progrès se
fait-il, mais telle est l'impatience et l'ardeur de mon désir, qu'il m'arrive d'éprouver
ce qu'éprouvent les hommes qui ont la folie des richesses. De même, en effet, que ceux-ci , quelque grands biens qu'ils amassent , pensent ne rien avoir; de
même aussi moi, par le désir de votre salut qui m'anime , tant que je ne vous verrai pas
atteindre le but, je penserai n'avoir rien fait, parce que j'ambitionne de vous voir
parvenir au sommet même de la perfection. Je voudrais qu'il fût ainsi : je voudrais que
ce que j'éprouve fût l'effet de mon impatience, et non de votre mollesse : je crains
fort de mal conjecturer. Il y a tout lieu de croire, en effet, que si vous aviez fait
chaque jour quelque progrès, depuis si longtemps que nous parlons, nous n'aurions plus
besoin de parler aujourd'hui. Car nous vous avons assez parlé, non-seulement
pour vous instruire vous-mêmes, mais encore pour vous mettre à même d'instruire, si
vous aviez le moins du monde profité de chacun de nos discours. Puisque nous avons
toujours besoin de vous avertir, cela ne prouve pas autre chose, si ce n'est que votre
conduite n'est pas parfaite.
Que faut-il donc faire? Car il ne faut pas
seulement vous adresser des reproches. Je vous prie et vous conjure de ne pas seulement
sous occuper de venir à l'église, mais aussi de remporter, en vous retirant dans vos
maisons, quelque remède contre vos passions; de la sorte vous serez bientôt munis, non
par nous, (144) mais parles divines Ecritures, de tous les remèdes propres à toutes les
maladies de vos âmes. Par exemple, est-on colère, qu'on fasse attention aux lectures des
Ecritures, et on trouvera certainement, soit dans les histoires, soit dans les conseils,
quelque chose qui conviendra. Ainsi dans le conseil il est dit: « Le moment de sa
fureur est devenu sa ruine ». (Eccli. I, 28.) Et ailleurs: «
L'homme colère n'est pas modéré » (Prov. XI, 25) ; et
mille choses semblables. Ailleurs on lit encore : « L'homme qui n'est pas maître de sa
langue ne prospérera pas». (Ps.CXXXIX, 12.) Le Christ a dit: «Celui qui se met sans
raison en colère contre son frère » ... (Matth. V, 22.) Le
prophète dit aussi : « Mettez-vous en colère,.mais ne
péchez pas ». (Ps. IV, 5.) Et ailleurs: « Maudite soit leur colère, parce qu'elle est
implacable ». (Gen. XLIX, 7.) Dans les histoires, ce sera
pour vous un exemple, lorsque vous lirez que Pharaon et l'Assyrien ,
enflammés de colère, ont péri par cette cause. Un autre est-il épris de l'amour des
richesses, qu'il entende cette parole: « Rien de plus injuste que l'avare, car cet homme
met son âme en vente ». (Eccli. X, 9.) Et cette autre du Christ:
« Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent » (Matth. VI, 24) ;
et l'apôtre, lorsqu'il dit: « L'avarice est la racine de tous les vices ». (I Tim. VI, 10.) Le prophète dit: « Si vos richesses sont abondantes,
n'y attachez pas, votre coeur ». (Ps. LXI, 10.) Et beaucoup de textes semblables. Par les
histoires vous connaîtrez Giézi, Juda, les princes des prêtres , les scribes, et vous saurez « que les présents aveuglent
les yeux des sages ». Un autre est-il orgueilleux? qu'il
écoute cette parole: « Dieu résiste aux superbes » (Prov.
III , 34) ; « le principe du péché est l'orgueil » (Eccli.
X,14) ; et aussi : « Tout homme au coeur hautain est impur
devant Dieu ». (Prov. XVI, 5.) Dans les histoires vous lirez
ce qui est arrivé au démon et à tous les autres. En somme, car nous ne pouvons tout
énumérer, que chacun choisisse dans les divines Ecritures le remède à ses propres
blessures. Si vous ne pouvez guérir le tout, guérissez déjà une partie aujourd'hui,
demain une autre, ensuite le tout.
Vous trouverez dans les Ecritures de
nombreux exemples sur la pénitence et sur la confession, sur l'aumône et sur la justice,
sur la sagesse et sur toutes choses. « Toutes ces choses ont été écrites », dit saint
Paul, « pour notre instruction ». (Rom. XV, 4.) Si donc c'est pour notre
instruction que l'Ecriture traite toutes sortes de sujets, prêtons notre attention à
l'Ecriture. Pourquoi nous faisons-nous de vaines illusions? Je crains qu'il ne soit dit de
nous : « Nos jours se sont écoulés dans la vanité, et nos années ont passé avec
rapidité ». (Ps. LXVII, 33.) Qui de nos auditeurs s'est éloigné du théâtre? Qui a
abandonné l'avarice ? Qui est devenu plus zélé pour l'aumône? Je voudrais le savoir,
non par vaine gloire, mais pour devenir plus ardent à la vue du fruit évident de mes
travaux. Mais comment m'appliquerai-je à mon uvre, en voyant des pluies si
abondantes de doctrines tombées inutilement, et notre semence toujours à la même
mesure, et les fruits toujours aussi maigres? Enfin le temps de l'aire, où l'on emploie
le van, est arrivé. Je crains qu'il n'y ait que de l'herbe; je crains que tous nous ne
soyons jetés dans la fournaise. L'été est passé; l'hiver est venu; nous sommes assis,
jeunes et vieux, enchaînés par nos propres vices. Ne me dites pas : Je ne commets pas la
fornication. Quelle utilité pour vous de n'être pas fornicateur, si vous êtes avare? Le
passereau, quoiqu'il ne soit pas pris de toutes parts, s'il est seulement retenu par le
pied, périt cependant, arrêté dans le filet, et ses ailes ne lui servent à rien, vu
qu'il est pris par le pied. Ainsi, vous qui n'êtes pas pris par la fornication, mais qui
aimez l'argent, vous êtes pris cependant ; la question n'est pas de savoir comment vous
êtes pris, mais si vous l'êtes. Que le jeune homme ne dise pas : Je ne suis point avare;
peut-être êtes-vous fornicateur. Encore une fois, quel gain à
cela ? Tous les vices ne peuvent pas être réunis chez nous dans un même âge de la vie,
mais ils sont partagés entre tous les âges, et cela par la miséricorde de Dieu, de peur
qu'ils ne devinssent indomptables, s'il, s'emparaient de nous tous à la fois; de peur
aussi que la lutte contre eux ne fût trop difficile. Quelle paresse n'y aurait-il donc
pas de notre part, à ne pouvoir triompher des passions ainsi divisées, à nous laisser
vaincre dans chaque saison de la vie, et à nous prévaloir fièrement des qualités qui
nous viennent, non de la vertu, mais de l'âge. Ne remarquez-vous pas les cochers, qui
usent de toutes sortes de soins, d'exercices et de travaux, de certaines nourritures
mêmes, et de bien d'autres moyens pour n'être pas renversés de leur char? Voyez ce que
peut l'art ! Un homme même courageux (145) ne peut souvent modérer un seul cheval; et un
tout jeune homme, par son art, en prend deux souvent, et les dirige et les conduit avec
facilité. Chez les Indiens, dit-on, l'éléphant, cette bête énorme et redoutable , se laisse mener avec plaisir par un enfant de quinze
ans. Pourquoi parlé-je ainsi ? Parce que si, par notre.art et notre vigilance, nous
domptons les éléphants et les chevaux, bien plus pourrons-nous dompter nos passions.
D'où vient que nous sommes sans force pendant notre vie entière-? Jamais nous ne nous
sommes appliqués à cet art; jamais aux jours de loisir, libres de toutes luttes, nous ne
nous sommes entretenus avec nous-mêmes sur ce qui était bon à faire. Nous ne songeons
à mettre le pied sur notre char que lorsqu'il faut combattre ; c'est pour cela que nous
devenons un objet de risée. N'ai-je pas dit souvent : Exerçons-nous en notre intérieur
avant la tentation? Souvent nous nous exaspérons à la maison contre nos serviteurs;
apaisons alors notre colère pour apparaître calmes au milieu de nos amis; si nous nous
exercions en toute autre chose, nous ne serions pas un objet de risée au jour du combat.
Mais maintenant on a des armes, des exercices, des études pour toute autre chose, comme
pour les arts et la lutte; nullement pour la vertu. L'agriculteur n'oserait cultiver une
vigne, si d'abord il ne s'était convenablement exercé à la culture; le pilote ne
s'assiérait pas au gouvernail, s'il ne s'était préalablement instruit; et nous, avec
notre inexpérience , nous voulons tenir la première place. On
devrait se taire ; on ne devrait rien dire ni rien faire avant d'avoir pu apprivoiser la
bête féroce qui est en nous. Est-ce que la fureur et la concupiscence ne combattent pas
plus violemment contre nous que toute bête féroce? Ne vous lancez pas sur la place
publique avec ces bêtes féroces avant de les avoir domptées
et apprivoisées. Ne savez-vous pas combien gagnent et sont admirés ces hommes qui
conduisent à travers le cirque les lions apprivoisés, parce qu'ils ont dressé à la
douceur une bête sans raison? Mais si tout à coup le lion devient féroce, il chasse
tout le monde de la place, son conducteur lui-même est en péril, et de plus, il peut
causer la perte des autres. Vous donc , apprivoisez d'abord le lion, et conduisez-le
seulement alors, non pour gagner quelque argent, mais pour faire un bénéfice auquel rien
n'est comparable, car rien n'est comparable à la douceur; elle est bonne à ceux qui la
possèdent et à ceux qui en profitent. Courons donc après elle, afin qu'après avoir
suivi avec soin la route de la vertu, nous acquérions les biens éternels, par la grâce
et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent, au Père et
à l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
Haut du
document