HOMÉLIE XX. OR, IL Y AVAIT A DAMAS UN DISCIPLE NOMMÉ ANANIE, A
QUI LE SEIGNEUR DIT , DANS UNE VISION « ANANIE ». ET IL
RÉPONDIT : « ME VOICI, SEIGNEUR ». LE SEIGNEUR LUI DIT : « LEVEZ-VOUS, ET VOUS EN
ALLEZ DANS LA RUE QU'ON APPELLE DROITE, CHERCHER DANS LA MAISON DE JUDAS UN NOMMÉ SAUL DE
TARSE, CAR IL Y EST EN PRIÈRES ». ET IL A VU, DANS UNE VISION, UN HOMME NOMMÉ ANANIE,
QUI ENTRAIT ET LUI IMPOSAIT LES MAINS, AFIN QU'IL RECOUVRAT LA VUE. (VERS. 10, 11, 12,
JUSQU'AU VERS. 25.)
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ANALYSE. 1 et 2. Paul aveugle, à Damas, guéri par Ananie. Zèle ardent de Paul; sa prudence et son courage.
3 et 4. Beau développement sur cette pensée : la grande
accusation que le chrétien doit redouter, c'est d'avoir été inutile.
1. Pourquoi le Seigneur n'appelle-t-il,
n'envoie-t-il aucun des principaux apôtres pour l'instruction de Paul? C'est qu'il ne
fallait pas un homme pour amener Paul à la foi, il fallait le Christ lui-même. Ananie ne l'a pas enseigné, mais seulement baptisé. A peine
baptisé, Paul s'attire la grâce de l'Esprit par l'ardeur de son zèle. Maintenant,
qu'Avanie fut un personnage considérable, c'est ce qui est évident, et parce qui lui. est communiqué, et par la réponse qu'il oppose : « Seigneur, j'ai
entendu dire à plusieurs, combien cet homme a fait de maux à vos saints, dans Jérusalem
(13) ». S'il, a pu opposer, à Dieu, une pareille réponse, que n'aurait-il pas dit à un
ange que Dieu lui aurait envoyé? Nous avons vu que Philippe ne fut pas averti de ce qui
doit arriver; un ange se montre à lui; l'Esprit lui ordonne d'avancer, de s'approcher du
chariot. Ici, l'Esprit fait plus; il rassure Ananie; il semble
lui dire : C'est un homme qui est en prières, c'est un aveugle, et vous avez peur. Moïse
aussi nous fait voir une peur semblable. Les paroles d'Avanie marquent plutôt la peur que
le manque de foi. Ecoutez-les : « Seigneur, j'ai entendu dire à plusieurs, combien cet
homme.... » Que dites-vous ? Dieu parle, et vous hésitez ! Ainsi, on ne connaissait pas
encore la puissance du Christ. « Et même il est venu en cette ville, avec un pouvoir des
princes des prêtres, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom (14) ».
D'où le savait-on ? Il faut croire que la terreur était générale, et l'on avait eu
grand soin de courir aux informations. Ananie ne parle donc
pas pour apprendre au Christ quelque chose, mais Ananie ne
comprend pas, dans une pareille conjoncture, la possibilité de ce qu'on lui demande.
C'est ainsi qu'ailleurs les disciples disent : « Qui peut être sauvé ? » (Marc, X,
26.) Mais voyez comme tout est disposé de manière à lui inspirer de la confiance. Un
songe, une vision, une voix qui avertit : Il est en prières, dit le Seigneur, donc ne
craignez rien. Et pourquoi ne lui annonce-t-il pas clairement la victoire remportée?
C'est pour nous apprendre à ne pas publier nos triomphes, ou plutôt, c'est précisément
parce que le Seigneur voyait la crainte d'Avanie. Et ce n'est pas pour Dieu une raison de
lui dire : Il
ne refusera pas de vous croire. Mais que lui dit-il? « Levez-vous, et vous en allez. Car
il a vu, dans une vision, un homme qui lui imposait les mains. Dans une vision », parce
qu'il était aveugle. Et la grandeur du miracle n'a pas transporté le disciple, tant il
avait peur ! C'est de lui pourtant que Dieu s'est servi pour rendre la vue à Paul devenu
aveugle. Le Seigneur lui repartit : « Allez le trouver, parce que cet homme (90) m'est un
vase d'élection pour porter mon nom devant les gentils, devant les rois, et devant les
enfants d'Israël; car je lui montrerai combien il faudra qu'il souffre pour mon nom (15,
16) ». Non-seulement, ce sera un fidèle, dit le Seigneur,
mais un docteur, et il parlera, en toute liberté, « devant les gentils et devant les
rois ». Sa doctrine grandira au point de prévaloir sur toutes les nations et sur les
rois. « Ananie s'en alla donc, et, étant entré dans la
maison, il lui imposa les mains et lui dit . Saul, mon frère,
le Seigneur m'a envoyé Jésus, qui vous est apparu dans le chemin par où vous veniez,
afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit (17). Jésus »,
dit-il, « qui vous est apparu dans le chemin ».
Certes, ce n'est pas le Christ qui lui a
dit ces choses , mais l'Esprit. « Et aussitôt, il tomba de
ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue; et s'étant levé, il fut baptisé
(18). Ayant ensuite mangé, il reprit des forces (19) ». Il ne fit que lui imposer les
mains, et aussitôt de ses yeux tombèrent les écailles. On a trouvé, dans ces
écailles, la cause de cette cécité. Mais pourquoi le Seigneur ne lui enleva-t-il pas
les yeux? Voici ce qu'il y eut de plus étrange : Saul, ayant les yeux ouverts, ne voyait
point: il subit cette infirmité jusqu'à ce qu'il eut quitté la loi pour Jésus. « Et
aussitôt », dit le texte, « il fut baptisé. Ayant ensuite mangé, il reprit des for«
ces». Il va sans dire qu'il était brisé par le voyage, par l'épouvante, par la faim,
par le trouble de son coeur. Pour prolonger ce trouble, le Seigneur le laissa dans la
cécité jusqu'à l'arrivée d'Avanie. Il ne fallait pas non plus qu'on prît cette
cécité pour une imagination ; de là, les écailles. Ce qui est certain, c'est que Saul
n'eut pas besoin d'autre enseignement; ce qui lui était arrivé lui tint lieu
d'enseignement. « Et il demeura, durant quelques jours, avec les disciples qui étaient
à Damas. Et il se mit aussitôt à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu'il
était le Fils de Dieu (20) ». Voyez, tout de suite il se met à enseigner dans les
synagogues. Il ne rougit pas de son changement, il n'a pas peur de démentir ce qui l'a
rendu fameux auparavant. Et non-seulement il enseigne, mais il
enseigne dans les synagogues. Ainsi, il a commencé par donner la mort, il était prêt à
commettre mille meurtres. Voyez-vous la puissance du signe qui l'a frappé? Par le même
signe, Saul, à son tour, surprend tous les hommes. Ce que montre le texte, en ajoutant :
« Tous ceux qui l'écoutaient étaient frappés d'étonnement, et ils disaient : N'est-ce
pas là celui qui, persécutait avec tant d'ardeur, dans Jérusalem, ceux qui invoquaient
ce nom , et qui est venu ici pour les emmener prisonniers aux princes des prêtres ? Mais Saul se fortifiait de
plus en plus, et confondait les Juifs qui demeuraient à Damas, leur prouvant que Jésus
était le Christ (21, 22) ». Dans sa connaissance de la loi, il leur fermait la bouche,
il ne leur permettait pas de souffler le mot. Ils avaient cru se délivrer de tous les
discours de ce genre en se délivrant d'Etienne, et ils retrouvaient un autre Etienne
encore plus véhément.
2. Mais reprenons ce qui concerne la
vision d'Avanie. Le Seigneur ne lui dit pas : Allez lui parler et l'instruire. Car si ces
paroles: « Il est en prières, et il a vu un homme qui lui imposait les mains », ne
suffisaient pas pour persuader Ananie, à plus forte raison,
les autres paroles eussent été peu convaincantes. « Il a vu », dit le texte, « dans
une vision » ; par conséquent il ne se défiera pas de vous; donc ne craignez rien,
mettez-vous en route. C'est ainsi qu'il arrive à Philippe de ne pas tout comprendre au
premier moment. « Parce qu'il m'est un vase d'élection ». Paroles qui ont pour but de
dissiper la crainte, et d'inspirer la confiance; puisque ce persécuteur devait prendre
les intérêts du Seigneur, au point de souffrir beaucoup de maux. L'expression, « C'est
un vase », montre que la perversité n'est pas naturelle en lui ; « d'élection » , montre qu'il a été trouvé bon, car on ne choisit que ce qui a
été trouvé bon. La réponse d'Avanie ne prouve pas qu'il refuse de croire, ni qu'il
pense que le Christ se soit trompé; rejetons ces pensées; mais Ananie
effrayé , tremblant, n'a rien entendu de ce qu'on lui disait,
du moment que le nom de Paul eut frappé son oreille ; telle fut son épouvante aussitôt
qu'il eût entendu ce nom; et cependant, en apprenant la cécité dont le Seigneur l'avait
frappé, Ananie devait se rassurer. « Et même il est venu en
cette ville, dit-il, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom ». C'est
comme s'il disait J'ai peur qu'il n'aille, moi aussi, m'emmener à Jérusalem; voulez-vous
me jeter dans la (91) gueule du lion ? Voulez-vous me livrer à lui ? Il a peur; et ce
qu'il dit, c'est pour nous faire connaître, par tous les moyens, la vertu de Paul. Que
les Juifs tiennent un pareil langage, il n'y a là rien de merveilleux; mais que ce soit Ananie qui parle ainsi et avec une telle épouvante, c'est la plus
grande preuve de la puissance de Dieu.
« Saul, mon frère ». L'épouvante est
grande; mais l'obéissance est plus grande encore, après l'épouvante. Le Seigneur avait
dit : « C'est un vase d'élection»; on pouvait croire que Dieu agissait seul; pour
corriger cette pensée , le texte ajoute : «Pour porter mon
nom devant les gentils, devant les rois et
devant les enfants d'Israël ». Ananie entend ici ce qui
devait le plus réjouir son coeur ; le persécuteur allait donc se tourner contre les
Juifs. Aussi ce n'est pas de la joie seulement, mais de la confiance qui remplit l'âme d'Ananie. « Car je lui montrerai », dit le texte, « combien il
faudra qu'il souffre pour mon nom ». Ces paroles révèlent l'avenir, et en même temps
opèrent la persuasion : un jour , il souffrira tout, ce persécuteur si furieux, et Ananie ne veut pas le baptiser pour qu'il recouvre la vue; tant
mieux, dit Ananie, laissez-le dans sa cécité; ce qui fait sa
douceur aujourd'hui , c'est qu'il est aveugle. A quoi bon m'ordonner de lui ouvrir les
yeux? pour, qu'il continue à nous emmener prisonniers? Eh
bien ! non, ne redoutez pas l'avenir : quand ses yeux se
rouvriront, ce n'est pas contre nous , mais pour nous, qu'il se servira de ses yeux; donc,
« pour qu'il recouvre la vue ». Puis il ajoute: N'ayez pas peur, il ne vous fera aucun
mal; au contraire, il souffrira un grand nombre de maux. Et ce qu'il y a d'étonnant,
c'est qu'il souffrira d'abord ; et ensuite, il se précipitera dans les dangers. « Saul,
mon frère, Jésus qui vous est apparu dans le chemin, m'a envoyé (47) ». Il ne lui dit
pas : qui vous a aveuglé, mais « qui vous est apparu » ; langage plein de mesure, et
qui n'a rien de présomptueux. Ainsi, de même que Pierre disait à propos du boiteux «
Pourquoi nous regardez-vous comme si c'était par notre vertu ou par notre puissance, «
que nous eussions fait marcher ce boiteux? » (Act. III, 12.)
De même Ananie , en cette
circonstance : « Jésus qui vous est apparu ». Il lui imposait les mains, en prononçant
ces paroles, et la double cécité était guérie. Quant à cette observation, « ayant
mangé, il reprit des forces »; c'est pour montrer l'affaiblissement de Saul, et par
suite du chagrin que lui causait sa cécité, et par suite de la peur, et par suite de la
faim. Car il ne voulut prendre de nourriture qu'après qu'il eût été baptisé, et
gratifié ainsi des plus précieux dons. Et Ananie ne dit pas
: Jésus le crucifié, le Fils de Dieu, celui qui fait des miracles; mais que lui dit-il?
« Qui vous est apparu ». Il ne le désigne que parce que Saul connaît de lui; le Christ
n'avait rien ajouté, n'avait pas dit : Je suis le crucifié, le ressuscité, mais : «
Celui que vous persécutez ». Ananie ne lui dit pas : le
persécuté, afin de ne pas prononcer des paroles de triomphe ni de sarcasme. « Qui vous
est apparu », dit-il, « dans le chemin ». Sans doute, il n'a pas été vu, mais ce
qu'il a opéré, l'a fait voir. Et pour alléger ce qu'il y a de pénible dans ces
paroles, vite Ananie ajoute : « Afin que vous recouvriez la
vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit ». Ainsi, il n'est pas venu pour le
confondre à propos de ce qui est arrivé, mais pour lui apporter la grâce. Quant à moi,
il me semble que Saul et que Corneille ont reçu le Saint-Esprit tout de suite après que
ces paroles eurent été prononcées. Cependant celui qui le communiquait, n'était pas un
des douze. Qu'importe ? il n'y avait, dans ces circonstances,
rien qui appartînt à l'homme, rien qui se fît par
l'énergie de l'homme. C'était Dieu qui était là, opérant tout. Et, en même temps, le
Seigneur fait deux choses : il enseigne à Saul la modération de la sagesse, en ne le
conduisant pas vers ceux qui reçurent les premiers le titre d'apôtres; de plus, le
Seigneur montre qu'il n'y a, dans ce fait, rien d'humain. Ce qui n'empêche pas que Saul
fût jugé digne de posséder l'Esprit qui donne des signes, afin que, par là encore, sa
foi éclatât; car il ne fit pas de miracle. « Et aussitôt », dit le texte, « il se
mit à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu'il est le Fils de Dieu ». Il ne
prêchait pas le Christ ressuscité, le Christ -vivant; qu'annonçait-il donc? Il avait
choisi avec une admirable précision son dogme, « que Jésus est le Fils de Dieu». Les
infidèles refusent d'ajouter foi à ces paroles, quand ils auraient dû non-seulement y ajouter foi, mais les recevoir avec transport. Et
pourquoi ne se bornent-ils pas à dire que c'était un persécuteur? pourquoi
disent-ils qu'il exterminait ceux qui invoquent ce nom? Ils montraient (92) bien ainsi
tout ce qu'il y avait d'insensé dans leur fureur; ils ne prononçaient pas le nom de
Jésus; leur jalousie ne voulait pas entendre ce nom, tant ils étaient semblables à des
bêtes fauves ! « Et même il est venu en cette ville pour ». Nous ne pouvons pas dire,
dit le texte, qu'il fut d'abord avec les apôtres.
3. Voyez combien de témoignages pour
montrer que Paul faisait partie des ennemis de la foi. Quant à lui, loin d'en rougir, au
contraire, il s'en glorifiait. « Mais Saul se for« tifiait
de plus en plus et confondait les Juifs (22) »; c'est-à-dire, leur fermait la bouche, ne
leur permettait pas de souffler le mot; « leur prouvant que Jésus est le Christ ». Il
instruisait, dit le texte, car il fut tout de suite docteur. « Longtemps après, les
Juifs résolurent « ensemble de le faire mourir (23) ». Les Juifs reprennent l'argument
toujours en vigueur chez eux, désormais ils ne cherchent plus sycophantes, accusateurs,
faux témoins: ils n'en veulent plus. Que veulent-ils donc ? Désormais ils font
eux-mêmes la besogne. Ils voyaient la doctrine se propager, ils ne veulent plus avoir
recours à des jugements. « Mais Saul fut « averti du dessein qu'ils avaient formé
contre « sa -vie; et comme ils faisaient bonne garde, « jour et nuit, aux portes, pour
le tuer (24) ». Pourquoi ? c'est que Paul leur était plus
insupportable que tous les miracles que l'on avait vus, que la conversion des cinq mille,
que la conversion des trois mille. Et maintenant voyez-le sauvé, non par la grâce de
Dieu, mais par l'habileté humaine; c'est pour vous faire connaître la vertu de l'homme
qui brille même en l'absence de tout miracle, de son éclat propre. « Les disciples le
prirent et le descendirent, durant la nuit, par la muraille, a dans une corbeille (25) ».
Naturellement pour déjouer tous les soupçons. Eh bien, après, échappé à ce danger,
renonce-t-il à sa mission? Nullement; il se retire, afin de mieux les attaquer; la
sincérité de sa foi tenait encore en défiance un grand nombre de personnes. Voilà
pourquoi cette fuite eut lieu longtemps après. Qu'est-ce à dire ? il est vraisemblable
que Paul refusa longtemps de partir, malgré peut-être un grand nombre d'avertissements;
mais, quand il sut le dessein formé contre lui, il permit à
ses disciples d'agir; car il eut des disciples tout de suite.
C'est ce qu'il indiquait, en disant : «
Celui qui était à Damas gouverneur de la province pour le roi Arétas,
faisait faire la garde dans la ville des Damascéniens, afin
de me prendre ». (II Cor. XI, 32.) Et, voyez : l'évangéliste ne dit rien avec
exagération; il ne cherche pas la gloire de Paul ; il dit seulement que l'on excita le
roi. Les disciples le firent donc partir seul, et personne avec lui. Ce qui s'explique,
parce qu'il fallait qu'il allât se montrer aux apôtres à Jérusalem ; ou plutôt les disciples le firent partir de telle sorte que, dans la
suite, c'était lui seul qui devait pourvoir à sa sûreté. Mais lui, bien loin d'y
penser, fit tout le contraire, et aussitôt il s'élança au milieu des furieux. Voilà le
zèle brûlant; voilà le comble de la ferveur. Et, voyez, sans discontinuer, dès le
premier jour, comme il observe le précepte qu'entendirent les apôtres: « Celui qui ne
prend pas sa croix, et ne me suit pas ». (Math. X, 38). Ce fait, qu'il venait après les
autres, ne le rendait que plus ardent. Et sa conduite était l'application de cette parole
: « Celui à qui on remet beaucoup, aimera davantage » .(Luc,
VII, 47.) Aussi, plus il se fit attendre, plus il prouva son amour; condamnant ouvertement
sa vie première, se reprenant à chaque instant à la flétrir, il ne croyait jamais
avoir assez fait pour effacer ses premières actions. « Assurant » ,
dit le texte, c'est-à-dire, qu'il était plein de douceur dans son enseignement. Et,
voyez, on ne lui dit pas: Toi qui désolais les fidèles, d'où vient que tu es changé?
Ses ennemis rougissaient, et ne faisaient ces réflexions qu'en eux-mêmes; il , aurait pu leur dire avec beaucoup plus de raison : C'est vous
surtout qu'il convient d'instruire, car c'est ainsi qu'il se défend auprès d'Agrippa.
Imitons-le, nous aussi, je vous en
conjure, et soyons prêts à braver tous les dangers. plais
pourquoi, dira-t-on, a-t-il pris la fuite? ce n'est pas par
lâcheté; mais il voulait se conserver pour la prédication. S'il eût été lâche, il
ne serait pas allé à Jérusalem ; il ne se serait pas aussitôt chargé de répandre la
doctrine; il aurait modéré sa fougue. Non, il n'y avait en lui aucune lâcheté, mais il
y avait de la prudence. Le meurtre d'Etienne l'avait instruit; aussi ne craignait-il pas
de mourir pour la prédication, si toutefois sa mort était d'une grande utilité.
C'était un homme qui ne voulait pas même voir le Christ, malgré l'ardent désir qu'il
éprouvait de le voir, parce qu'il n'avait pas encore rempli sa tâche auprès des (93)
hommes. Voilà ce que doit être l'âme d'un chrétien.
4. Dès le commencement, dès les premiers
pas de sa course, le caractère de Paul se déclarait; disons mieux ,
même avant ce temps. Car, dans la conduite même qu'il tint avant de posséder la vraie
science, il agissait conformément à la raison humaine. Si, après tant de temps, il
n'éprouvait pas encore le désir de quitter la vie, à bien plus forte raison, au
commencement de sa mission, quand il ne faisait que de sortir du port. Et maintenant le Christ
ne l'arrache pas au danger, mais le laisse aller, parce qu'il est un grand nombre
d'actions que le Seigneur tient à voir accomplir par la sagesse humaine. Autre raison
encore de le laisser aller. C'est pour nous apprendre que les apôtres mêmes furent des
hommes, et que ce n'est pas toujours, en toute occasion, la grâce seule qui opère;
autrement, on aurait pu ne les prendre que pour des morceaux de bois. Voilà donc pourquoi
ces hommes, en beaucoup de circonstances , administraient
d'eux-mêmes. Faisons ainsi pour ce qui nous concerne, et sachons, de la même manière,
prendre soin du salut de nos frères. Le martyre n'est pas plus glorieux que la force qui
ne refuse aucune souffrance pour procurer le salut d'un grand nombre; rien ne réjouit
tant le coeur de Dieu. Je veux redire ce que j'ai souvent dit; je le redirai pour exprimer
mon vif désir: d'ailleurs, le Christ faisait de même quand il rappelait le devoir de
pardonner : « Lorsque vous priez, remettez ce que vous pouvez avoir contre quelqu'un
». (Matth. V, 23.) Il dit encore à Pierre : « Je ne vous
dis pas de pardonner jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois ». (Ibid.
XVIII, 22.) Et en fait, il a pardonné lui-même le mal qu'on lui faisait; et c'est parce
que nous savons que c'est là le but du christianisme, que nous revenons sans cesse sur ce
sujet.
Non, rien n'est plus froid qu'un chrétien
qui ne sauve pas ses frères. Vous ne pouvez pas ici objecter la pauvreté; la femme aux
deux petites pièces de monnaie parlerait contre vous. Pierre disait : « Je n'ai ni or ni
argent ». (Act. III, 6.) Paul était pauvre, à tel point que
souvent il ressentit la faim et manqua de la nourriture nécessaire. Vous ne pouvez pas
objecter votre obscurité : les apôtres étaient obscurs et sortis d'hommes obscurs. Vous
ne pouvez pas prétexter de votre ignorance dans-la littérature; eux aussi étaient des
hommes sans lettres. Et seriez-vous un esclave, seriez-vous un esclave fugitif, vous
pouvez toujours faire ce qui dépend de vous. Tel était Onésime
; et voyez le nom que Paul lui donne, à quelle dignité il l'élève : « Afin »,
dit-il, « qu'il communique avec moi dans mes liens ». (Philém.
I, 10.) Vous ne pouvez pas objecter vos maladies ; car Timothée aussi avait des maladies
fréquentes ; écoutez la preuve qu'en donne Paul : « Usez d'un peu de vin, à cause de
votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (I Tim. V,
23.) Il n'est personne qui ne puisse être utile au prochain, avec la volonté de faire ce
qui dépend de lui. Ne voyez-vous pas combien les arbres stériles sont vigoureux, beaux,
élancés, unis, élevés; cependant, si nous avions un jardin, nous préférerions à ces
arbres des grenadiers, des oliviers couverts de fruits; car ces arbres stériles sont pour
le plaisir, non pour l'utilité; l'utilité qu'ils peuvent avoir est mince; à eux
ressemblent ceux qui ne considèrent que leur intérêt propre; ou plutôt ils ne leur
ressemblent même pas, ils ne sont bons qu'à subir la vengeance. Ces arbres stériles
servent à construire des édifices, à en consolider l'intérieur. Telles étaient ces
vierges, chastes, parées, pratiquant la continence, mais inutiles; aussi on les brûle.
Tels sont ceux qui n'ont pas nourri le Christ. Et maintenant, voyez : aucun d'eux n'est
accusé pour ses péchés, pour ses fornications, pour ses parjures, pour rien; la grande
accusation, c'est d'avoir été inutile. Tel était celui qui enfouissait le talent; sa
vie était sans reproche, mais inutile. Comment, je vous le demande, un tel homme peut-il
être un chrétien ? Répondez-moi : si le ferment, mêlé à la farine, ne transforme pas
toute la pâte, est-ce, à vrai dire, un ferment? Et encore, si un parfum n'embaume pas
ceux qui approchent, pouvons-nous l'appeler un parfum? Ne dites pas qu'il vous est
impossible d'agir sur les autres; si vous êtes chrétien, ce qui est impossible, c'est
que vous n'agissiez pas. Ce qui est dans la nature n'admet pas de contradiction ; il en
est de même de ce que nous disons ici : Ce que nous demandons est dans la nature du
chrétien; n'outragez pas Dieu. Dire que le soleil ne peut pas briller, c'est outrager le
soleil; dire qu'un chrétien ne peut pas être utile, c'est outrager Dieu et l'accuser de
mensonge. Car il est plus facile pour le soleil de (94) n'avoir ni chaleur ni clarté, que
pour le chrétien de n'avoir pas de lumière; il est plus facile à la lumière de devenir
les ténèbres, que de voir une telle contradiction. Ne dites pas impossible ;
l'impossible c'est le contraire. N'outragez pas Dieu. Si nous disposons bien nos affaires,
ce que je dis se fera comme une conséquence naturelle; la lumière du chrétien ne peut
rester cachée ; on ne peut dérober aux regards cette lampe brillante. Donc, pas de
négligence. De même que la vertu profite et à nous et à ceux à qui notre vertu est
utile, ainsi la malignité est doublement funeste et à nous et à ceux que nous blessons.
Supposez un ignorant, si vous voulez, souffrant, de la part d'un ennemi, des maux sans
nombre, et personne ne le venge, et il répond à ses ennemis par des bienfaits . quel enseignement, quelle parole , quelle exhortation ne serait pas
au-dessous de cette conduite ? Donc, pénétrés de ces vérités, attachons-nous à la
vertu, puisque c'est le seul moyen de conquérir le salut, puisqu'il faut les bonnes
oeuvres de la vie présente pour entrer dans le partage des biens à venir, par la grâce
et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme
au Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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