ACTES II

HOMÉLIE II. OR, CEUX QUI ÉTAIENT PRÉSENTS, L'INTERROGEAIENT, DISANT : SEIGNEUR, SERA-CE DANS CE TEMPS-CI QUE VOUS RÉTABLIREZ LE ROYAUME D'ISRAEL? (ACT. I, 6.)

 

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ANALYSE. 1 . Saint Chysostome, dans cette Homélie, développe d'abord les raisons qui ont porté le Sauveur à ne pas répondre directement à la question que lai faisaient les apôtres, s'il allait rétablir le royaume d'Israël, et il rapproche sa réponse évasive de celle qu'il leur fit quand ils l'interrogèrent sur la fin du monde.

2. Il décrit ensuite l'admirable spectacle de l'Ascension ; et il tire une preuve de la divinité de Jésus-Christ de ce qu'il s'éleva par sa propre vertu, et sans le secours d'un char de feu, comme le prophète Elle.

3. La vue de deux anges sous une forme humaine, vint alors consoler les apôtres consternés de ne plus voir Jésus, en les assurant qu'il reviendra, au dernier jour, de la même manière, c'est-à-dire, en son humanité sainte.

4. Mais il ne pourrait reparaître en cette humanité, s'il n'était véritablement ressuscité; c'est pourquoi l'orateur s'élève contre les Manichéens qui niaient la résurrection des corps, parce qu'ils regardaient la chair comme essentiellement mauvaise, et comme l'oeuvre du principe du mal. — Ce principe, ils le faisaient coéternel avec Dieu, et soutenaient que Dieu n'était bon que pour le combattre.

5. L'Orateur, pour réfuter ces blasphèmes, en montre l'extravagance, et prouve que sans le secours des sens corporels l'âme ne pourrait rien savoir, ni rien apprendre. — Enfin, il démontre que le mal ne peut exister exclusivement sans le bien, puisqu'il en renferme toujours quelque partie, et il termine par une profession de foi sur la résurrection des corps, dont celle de Jésus-Christ est le fondement et le modèle.

 

1. Les apôtres, voulant interroger Jésus-Christ, l'entourèrent tous ensemble, afin d'en obtenir une réponse, ne fût-ce que par unanimité de leur prière. Car ils n'ignoraient point que dans sa bouche cette parole : « Nul ne sait le jour » (Matth. XXIV, 36), signifiait moins un refus formel et une complète ignorance qu'une réponse évasive. Ils s'approchent donc de nouveau et renouvellent leur demande. Mais ils n'eussent jamais osé la lui adresser s'ils n'avaient cru à sa prédiction; et parce qu'il leur avait promis que bientôt ils recevraient l'Esprit-Saint, ils se croyaient déjà dignes de connaître ce jour et de jouir de la liberté promise. C'est qu'ils ne voulaient pas se lancer dans de nouveaux périls et ne songeaient qu'à goûter quelque repos. Et en effet, ils n'oubliaient point les dangers qu'ils avaient courus et même le péril de mort auquel ils avaient été exposés. Aussi, sans faire aucune mention de l'Esprit-Saint, posent-ils ainsi la question : « Seigneur, sera-ce dans ce temps-ci que vous « rétablirez le royaume d'Israël ? » Ils ne disent pas : Quand rétablirez-vous ? mais : Sera-ce présentement que vous rétablirez; tant ils désiraient connaître ce jour ! C'est pourquoi ils abordent le Sauveur tous ensemble et comme pour lui faire honneur.

Je pense toutefois qu'ils ne comprenaient pas clairement en quoi consistait ce royaume, car ils n'avaient pas encore été instruits par l'Esprit-Saint. Observons aussi qu'ils ne disent pas : Quand cela arrivera-t-il ? mais : « Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d'Israël? » Comme si déjà l'époque était passée. Au reste, cette demande prouve qu'ils étaient encore attachés aux choses de la terre, quoique bien moins qu'auparavant. Et cependant, quelque imparfaits qu'ils soient, ils se font déjà de Jésus-Christ des idées plus hautes; et lui-même, les voyant plus avancés dans les voies spirituelles, leur tient un langage plus sublime. Il ne répète donc point ce mot : « Le Fils de l'homme ne connaît pas ce jour », mais il leur dit : « Ce n'est point à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance ». C'est comme s'il leur eût dit : Vous demandez (569) à connaître une chose au-dessus de votre portée. Vous m'objecterez qu'ils avaient déjà connu des mystères bien plus relevés. Et si vous en doutez, direz-vous, voici quelques indications sommaires qui vous le prouveront. Oui, je vous le demande, quels mystères plus sublimes que ceux qui leur avaient été révélés. Car ils savaient que Jésus-Christ était Fils de Dieu et méritait les honneurs divins; ils savaient qu'il ressusciterait, qu'il monterait au ciel, et qu'il s'assoierait à la droite de Dieu le Père. Ils savaient, prodige vraiment incroyable, que dans la personne de Jésus-Christ, notre chair, élevée au plus haut des cieux, serait adorée des anges, et que cet Homme-Dieu reviendrait sur la terre pour juger tous les hommes. Enfin, ils savaient que dans ce grand jour, assis eux-mêmes sur des trônes, ils jugeraient les douze tribus d'Israël, et que les gentils prendraient la place des Juifs rejetés.

La connaissance d'un avenir si admirable tient vraiment du miracle, et il semble qu'il est moins étonnant de savoir l'époque précise où un royaume sera rétabli. De plus, l'apôtre a connu des secrets qu'il n'est pas permis à l'homme de révéler, les choses qui ont précédé la création du monde. Est-il donc plus difficile d'en connaître la fin que le commencement ? Il le paraît, vous répondrai-je , puisque Moïse, qui nous a donné la chronologie du monde, n'en marque point la fin. Salomon possédait aussi ces mêmes connaissances, car il dit : « Je raconterai ce qui a été dès le commencement du monde ». (Eccli. LI, 11.) Quant aux apôtres, ils connurent plus tard que l'avènement du Seigneur était proche, comme le prouve cette parole de saint Paul : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude ». (Philip. IV, 5, 6.) Mais alors ils ne le connaissaient pas, quoiqu'ils en eussent vu les signes avant-coureurs.

Observons aussi qu'au sujet de l'Esprit-Saint, Jésus-Christ s'était contenté de dire à ses apôtres, sans rien préciser, qu'ils le recevraient « sous peu de jours ». Et c'est pour les tenir dans l'attente qu'il adopte cette ligne de conduite. Car ce n'était plus, il est vrai, le dernier jour du monde qu'ils voulaient connaître, mais celui de sa royauté temporelle, comme le prouve leur demande : « Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d'Israël ? » Il ne leur fit donc aucune réponse positive. Quand ils l'avaient interrogé sur la fin du monde, il leur avait répondu sévèrement, pour éloigner d'eux la pensée que leur délivrance était proche. Et il les avait lancés dans les périls de la prédication évangélique. Ici, nous retrouvons la même conduite, mais avec un langage plus doux. Et en effet, il semble craindre que sa réponse ne leur paraisse une injure, ou un vain subterfuge; aussi, entendez la promesse qu'il leur fait d'un Consolateur qui les remplira de joie. « Vous recevrez », leur dit-il, « la vertu du Saint-Esprit venant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre». (Act. I, 8.) Et aussitôt, pour prévenir une seconde interrogation, il, s'éleva vers les cieux.

Lorsqu'ils l'avaient interrogé sur le dernier jour du monde, il leur avait fait cette réponse toute pleine de terreur et d'obscurité : Je né le sais pas; et ici il disparaît soudain à leurs regards. Car ils avaient un tel désir de connaître ce secret, qu'ils seraient revenus à la charge; néanmoins, il était absolument nécessaire qu'il leur fût caché. Et en effet, je vous le demande, les gentils ont-ils plus de peine à croire le dogme de la fin du monde que celui d'un Dieu fait homme, né d'une vierge, et,conversant parmi les hommes. Certes, c'est bien ce dernier mystère. Vous ne sauriez en douter, et je rougis de tant insister sur une chose aussi simple. Les apôtres eussent pu dire à Jésus-Christ: Pourquoi nous tenez-vous en suspens? et c'est pour prévenir cette parole qu'il leur parle « Des temps que le Père a disposés dans sa puissance ». Au reste, la puissance du Père et celle du Fils sont donc égales: « Car comme le Père ressuscite les morts et les vi« ville, ainsi le Fils vivifie ceux qu'il veut ». (Jean, V, 21.) Mais s'il y a égalité de puissance dans les actions, comment n'existerait-elle pas dans la science des événements, puisque la résurrection d'un mort est bien supérieure à la connaissance du jour où le royaume d'Israël sera rétabli ? Pourquoi donc le Fils de Dieu, qui opère ce premier et si étonnant prodige, ne ferait-il pas à plus forte raison le second?

2. La parabole suivante vous aidera à me comprendre. Lorsqu'un enfant pleure et nous demande un objet qui ne lui est pas utile, nous cachons cet objet, et montrant nos mains vides, nous lui disons : Je ne l'ai pas. Jésus-Christ en agit ainsi envers ses apôtres. Mais (570) comme ce même enfant, si on ne lui présente rien, redouble ses pleurs et ses cris, parce qu'il croit qu'on se moque de lui, nous nous éloignons sous prétexte que quelqu'un nous demande, et au lieu de l'objet qu'il désirait, nous lui en offrons un autre. Nous avons même bien soin, pour écarter ses premiers désirs, de louer cet objet au-dessus de celui qu'il demandait, et nous nous esquivons aussitôt. Ainsi se conduisit le divin Sauveur. Ses apôtres l'interrogeaient curieusement, et il leur répondit qu'il ne pouvait satisfaire leur curiosité. D'abord cette parole les consterna, ruais bientôt ils renouvelèrent leur demande; et de son côté , Jésus-Christ réitéra la même réponse. Cependant il ne cherche plus à les épouvanter, et après leur avoir rappelé :es oeuvres, il leur donne une raison plausible de son refus : c'est que « le Père a disposé ces temps dans sa puissance ».

Eh quoi ! ô Jésus, n'êtes-vous pas initié aux secrets du Père? Vous connaissez le Père, et il vous cacherait ses décrets? vous avez dit « Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils » ; et encore : « L'Esprit pénètre toutes « choses, même les profondeurs de Dieu » ; et il n'y aurait que ce secret qui vous serait caché? (Luc, X; 22; I Cor. II, 10.) Cela ne peut être; et tel n'est point le sens de sa réponse. Mais Jésus-Christ a feint de ne pas connaître ce jour pour éloigner des questions intempestives. C'est pourquoi les apôtres n'osèrent plus l'interroger, de peur de s'attirer ce reproche : « Et vous aussi, vous avez perdu le sens ». (Matth. XV, 16.) Car ils ne l'abordaient alors qu'avec bien plus de réserve qu'auparavant. « Mais vous recevrez », ajoute-t-il, « la vertu «de l'Esprit-Saint qui viendra en vous». Tout à l'heure il refusait de répondre à leurs questions, et maintenant, comme un maître qui seul est juge de ce qu'il doit dire à son élève, il leur révèle un secret dont la connaissance était utile pour calmer leurs frayeurs et étayer leur faiblesse. C'est aussi afin de mieux les rassurer et de raffermir leur courage, qu'il voile les difficultés de l'avenir. Comme il allait les quitter, il ne leur adresse nulle parole sévère, et avec un art infini il tempère le blâme par l'éloge. Ne craignez , point, leur dit-il, « car vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint qui viendra en vous , et vous serez mes témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie ». Auparavant il leur avait dit : « N'allez point vers les nations, et n'entrez point dans les villes des Samaritains ». (Matth. X, 5.) plais aujourd'hui il veut qu'ils prêchent l'Évangile dans toute la Judée, dans la Samarie, et, ce qu'il dit pour la première fois, «jusqu'aux extrémités de la terre ».

Ce fut après cette solennelle parole que, prévenant toute nouvelle question, « il s'éleva en leur présence, et une nuée le déroba à leurs yeux ». Eh bien ! les apôtres n'ont-ils pas rempli leur mission, et prêché l'Évangile? Certes , Jésus-Christ leur avait confié une oeuvre vraiment grande ! Jérusalem, avait-il dit, a été témoin de votre faiblesse, et c'est à elle que vous adresserez tout d'abord la parole que vous porterez ensuite jusqu'aux extrémités de la terre. fuis, pour affermir leur croyance en ses paroles, « il s'éleva en leur présence ». Jésus-Christ, qui n'était point ressuscité sous le regard de ses apôtres , voulut donc monter au ciel en leur présence. C'est que dans ce dernier mystère il devait y avoir autre chose que le témoignage des yeux. Les apôtres, qui virent l'accomplissement du miracle de la résurrection, n'en avaient pas vu le commencement: et le contraire arriva dans l'ascension; il leur eût été vraiment inutile d'assister au prodige de la résurrection, puisque Jésus-Christ devait en personne le leur raconter, et que d'ailleurs le tombeau vide le proclamait lui-même. Mais une parole divine pouvait seule nous apprendre ce qui suivit l'ascension.

Et en effet l'oeil ne pouvait atteindre ces hauteurs incommensurables, ni s'assurer que le Christ s'était véritablement élevé jusqu'aux cieux. Aussi qu'est-il arrivé? Les apôtres savaient que celui qui s'élevait était Jésus-Christ, et ils s'en rapportaient sur ce point au témoignage de ses propres paroles; mais, parce qu'ils ne pouvaient plus le reconnaître dans un si prodigieux éloignement, il fut nécessaire que des anges vinssent les assurer qu'il était entré dans les cieux. C'est donc par suite d'une admirable disposition de la Providence, que dans ce mystère tout n'est pas révélé par l'Esprit-Saint, et qu'une partie nous est attestée par le témoignage des yeux. :liais pourquoi une nuée le déroba-t-elle aux regards des apôtres? Cette nuée était un signe que déjà il avait pénétré dans les cieux. Et en effet, ce ne fut point un tourbillon de feu ni un char de (571) feu qui le reçut comme le prophète Elie ( IV Rois, II, 11), mais une nuée qui symbolisait le ciel lui-même, selon cette parole du Psalmiste : « Le Seigneur s'élève sur les nuées ». (Ps. CIII, 3.) Quoique cette parole s'applique principalement à Dieu le Père, on peut néanmoins l'entendre de Jésus-Christ, comme se rapportant à la puissance divine, car autrement la nuée n'aurait aucune signification symbolique. Le prophète Isaïe dit également : « Le Seigneur est assis sur une nuée a légère ». (Isaïe, XIX, 1.)

3. Ce prodige s'opéra donc au moment où les apôtres faisaient à Jésus-Christ une question qu'ils considéraient comme très-importante, et où tout préoccupés de ce qu'il allait leur répondre, ils étaient attentifs et vigilants. Une nuée protectrice couvrit le mont Sinaï, lorsque Moïse pénétra dans le tourbillon; mais dans l'ascension, ce n'était point pour protéger Jésus-Christ. Observons aussi que le divin Sauveur ne dit pas absolument à ses apôtres

« Je m'en vais » , cette parole les eût contristés ; mais il leur dit : « Je vous enverrai l'Esprit consolateur ». (Jean, XVI, 5, 7.) Quant à son élévation au plus haut des cieux, ils la virent de leurs propres yeux. Dieu ! quel magnifique spectacle! « Et comme ils le contemplaient montant vers le ciel, voilà que deux hommes se présentèrent devant eux avec des vêtements blancs, et leur dirent : Hommes de Galilée , pourquoi demeurez-vous là regardant les cieux? Ce Jésus, qui du milieu, de vous a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l'y avez vu monter ».

Ce sont des anges qui leur apparurent sous une forme humaine, et avec un visage riant. Observons aussi la manière dont ils s'expriment : en parlant de Jésus-Christ, ils disent : « ce Jésus », comme le montrant du doigt, et en s'adressant aux apôtres, ils les nomment « hommes de Galilée», afin de donner à leur parole plus de poids et d'autorité. Autrement, pourquoi les désigner par le nom de leur patrie ? Ajoutons encore que l'éclat de leur beauté attirait sur eux les regards des apôtres, et prouvait surabondamment qu'ils venaient du ciel. Mais pourquoi Jésus-Christ leur envoie-t-il ses anges, au lieu de leur parler lui-même? C'est que déjà il les avait instruits de toutes choses, et qu'il suffisait de les leur rappeler par le ministère des esprits célestes.

Ceux-ci ne disent point : ce Jésus qui a été élevé , mais « qui est monté au ciel », pour montrer au contraire dans ce mystère l'action de sa divinité. Quand ils veulent désigner son humanité ; ils disent : « Ce Jésus qui , du milieu de vous, a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière ». Car ici la divinité élève l'humanité. « Il viendra », disent-ils, et il ne sera pas envoyé. En quoi donc le Fils est-il moindre que le Père? « Une nuée le reçut » ; expression parfaitement juste, puisqu'il s'éleva lui-même sur la nuée, selon cette parole de l'apôtre : « Celui qui est descendu , est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux ». (Ephés. IV, 10.)

Observez donc comment les anges varient leur langage, selon qu'ils se proportionnent à l'intelligence des apôtres, ou qu'ils envisagent l'excellence du Fils de Dieu. D'ailleurs, cet admirable spectacle inspira aux apôtres des idées toutes sublimes, et leur donna une importante notion du second avènement de Jésus-Christ. « Il viendra de la même manière », dirent les anges. Cette parole signifie que Jésus-Christ paraîtra en son humanité sainte, ce que les apôtres désiraient tant savoir, et que ce sera aussi sur les nuées qu'il paraîtra pour le jugement général. « Et voilà», dit saint Luc, « que deux hommes se présentèrent devant eux ». Pourquoi, dit-il, « deux hommes? » Parce que ces deux anges avaient revêtu une forme humaine, afin de ne point effrayer les apôtres. « Et ils leur dirent : Pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux?» Cette parole est pleine de bienveillance, et toutefois elle n'annonce pas comme prochain le second avènement du Sauveur. Les anges en affirment seulement la circonstance la plus importante, la certitude que Jésus-Christ reviendra, et la confiance avec laquelle nous devons attendre son retour. Mais quand aura lieu ce retour? C'est un détail moins important, et ils le taisent.

Cependant les apôtres, arrachés au magnifique spectacle qu'ils contemplaient, écoutent attentivement le message qui les assure que ce Jésus, qu'ils ne voient plus, est réellement monté au ciel, et qui les prémunit eux-mêmes contre une vaine curiosité. Car, si auparavant ils demandaient à Jésus-Christ : « Où allez-vous? » aujourd'hui, bien que dans toute autre circonstance ils eussent dit : « Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le (572) royaume d'Israël?» ils connaissaient tellement sa bonté, que, même après sa passion, ils renouvellent cette question : « Rétablirez-vous? » Il leur avait dit auparavant : « Vous entendrez parler de guerre et de bruits de guerre, mais ce ne sera encore ni la fin », ni la prise de Jérusalem. (Marc, XIII, 7.) Aussi les apôtres ne parlent-ils que du royaume d'Israël, et non de la fin du monde. D'ailleurs, ils n'avaient eu avec lui que de courts entretiens après sa résurrection , et c'est pourquoi, altérés de gloire et de célébrité , ils s'empressent de l'interroger sur ce prochain rétablissement. Mais Jésus-Christ se renferme dans un silence absolu, parce qu'il n'y avait pour eux aucune nécessité de le savoir. C'est donc par respect pour ce silence du divin Maître, qu'ils ne lui disent plus : « Quel sera le signe de votre avènement et de la fin du monde?» mais : « Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d'Israël? » Ils pensaient, en effet, que ce temps était déjà arrivé, quoique Jésus-Christ leur eût fait comprendre par une parabole qu'il n'était pas encore proche. Aussi ne répond-il à leur demande que par ces mots : « Vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint qui viendra en vous ».

Observez ici que Jésus-Christ dit, en parlant du Saint-Esprit, qu' « il viendra » en eux, et non qu'il leur sera envoyé, afin de lui conserver un honneur égal à celui des deux autres personnes de la Trinité. Comment donc, ô ennemis de l'Esprit-Saint, osez-vous dire qu'il est une créature? « Et vous serez mes témoins ». Cette parole donnait à entendre que Jésus-Christ allait monter au ciel , ou plutôt elle rappelait aux apôtres ce qu'il leur avait déjà annoncé. Au reste, c'est à l'ascension du divin Sauveur que se rapporte cette parole du Psalmiste : « Les nuées et l'obscurité sont sous ses pieds ». (Ps. XCVI, 2.) Et cette parole est identique à celle-ci : « Une nuée le reçut ». Reconnaissons donc en lui le roi des cieux, puisque son Père lui envoie un char royal : et il le lui envoie afin que les apôtres ne soient point tentés de murmurer ou d'imiter Elisée qui, voyant que son maître lui était ravi, déchira ses vêtements. Mais que disent les anges? « Ce Jésus qui, du milieu de vous, s'est élevé dans le ciel, viendra de la même manière ». C'est avec raison aussi que saint Luc dit : « Et voilà que deux hommes se présentèrent devant eux ». Car, nous lisons au livre de la loi que toute affaire se termine sur la déposition de deux ou trois témoins. (Deut. XVII, 6.) Aussi, les deux anges affirment-ils la même chose. « Avec des vêtements blancs ». Au sépulcre du Sauveur, les apôtres avaient déjà vu un ange brillant de lumière, qui leur avait révélé les pensées de leurs coeurs, et de même ici un ange leur annonce le mystère de l'ascension. Quant aux prophètes , ils en ont souvent parlé en le mêlant à celui de la résurrection.

4. Partout nous retrouvons ce ministère des esprits célestes : à Nazareth près de Marie, à Bethléem pour la naissance de Jésus, au sépulcre pour sa résurrection, et ici pour son ascension. De même aussi, dans son second avènement, les anges seront ses précurseurs. Mais; après avoir dit : « Ce Jésus qui, du milieu de vous s'est élevé dans le ciel » , ils ajoutent aussitôt, pour prévenir toute pensée de tristesse: « Il viendra de la même manière ». Les apôtres respirèrent donc un peu, en apprenant que Jésus ne leur était pas enlevé pour toujours, et qu'il reviendrait de la même manière qu'il était monté au ciel. Remarquons aussi ce mot . « Du milieu de vous ». Il a bien sa raison de convenance, car il rappelle aux apôtres l'amour de Jésus, le choix de leur élection, et la promesse de ne point lés abandonner. Jésus-Christ a voulu être seul témoin de sa résurrection; et de tous les miracles qui ont précédé ou suivi l'incarnation, celui-ci est le plus étonnant. Aussi disait-il lui-même : « Détruisez ce temple, et dans trois jours je le relèverai ». (Jean, II, 19.) Mais au jour de son ascension, ce sont des anges qui annoncent son second avènement, en disant : « Il viendra de la même manière ».

Que celui donc qui désire voir Jésus-Christ, et qui s'attriste de ne pas l'avoir vu, recueille cette parole; s'il mène une vie vraiment chrétienne, il est assuré de le voir et de réaliser ses désirs. Car il reviendra environné de gloire, porté sur les nuées, et dans son humanité sainte. Mais combien sera-t-il alors plus admirable de le voir descendre ainsi des cieux, que de (avoir vu s'y élevant de la terre ! Il viendra, disent les anges, mais ils se taisent sur les causes de ce second avènement. « Il viendra de la même manière » ; c'est une preuve de sa résurrection : car, s'il est monté au ciel en son corps, à plus forte raison est-il ressuscité en son corps. Où sont donc ceux qui (573) nient la résurrection? Sont-ils païens, ou chrétiens? Je l'ignore ; ou plutôt, je ne le sais que trop bien. Ce sont des païens qui nient la création, et qui affirment également que Dieu ne peut ni tirer une créature du néant, ni la ressusciter du tombeau. Cependant, ils rougissent bientôt de méconnaître ainsi la puissance du Seigneur, et tâchent de s'excuser en disant qu'absolument il pourrait ressusciter les corps, mais que cette résurrection est inutile. Elle est donc bien vraie, leur répondrai-je, cette parole dé l'Ecriture : « L'insensé ne dit que des extravagances ». (Isaïe, XXXII, 6.) Quoi ! vous n'avez pas honte de refuser à Dieu le pouvoir de tirer du néant une créature? Mais, s'il ne crée qu'avec une matière préexistante, en quoi diffère-t-il de l'homme ?

Eh ! d'où vient le mal? me direz-vous. Et moi, je vous répondrai que vous ne devez point, pour en expliquer l'existence, admettre un principe mauvais. D'ailleurs, votre langage est doublement absurde. Car, d'abord, si vous ne pouvez concevoir en Dieu le pouvoir créateur, vous comprendrez plus difficilement encore l'origine du mal; en second lieu , vous blasphémez en soutenant que le mal existe par lui-même. Réfléchissez donc combien il est dangereux de rechercher trop curieusement la source du mal, et parce qu'on ne la connaît pas, d'en faire un second Dieu. Sans doute, il vous est permis d'aborder cette question, mais évitez tout blasphème. Eh quoi! je blasphème ! Oui, c'est un blasphème que d'affirmer l'éternité d'un principe mauvais, de lui attribuer le pouvoir divin et de le mettre sur le même rang que la vertu. Le mal, dites-vous, existe par lui-même; mais vous avez oublié cette parole de l'apôtre : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait ». (Rom. I, 20.) C'est pourquoi le démon dit que la matière préexistait avant Dieu et avant la création, afin que celle-ci ne nous conduise point à Dieu. Car, je vous le demande, est-il plus difficile de tirer une créature du néant que de rendre bon ce qui est essentiellement mauvais ? Je parle dans votre hypothèse, et, en supposant que ce principe existe, je dis qu'étant mauvais par lui-même, il ne peut être utilisé pour le bien. Et maintenant, pour parler des qualités d'un être, je vous demanderai lequel est le plus facile, ou d'ajouter une qualité qui n'existait pas, ou de changer une qualité existante en la qualité contraire ? Et encore, laquelle de ces deux choses est la plus aisée ou de bâtir une maison là où il n'y en a jamais eu , ou de relever des ruines? Evidemment, c'est la première. Concluons donc que le difficile ou même l'impossible ce n'est pas de créer bon ce qui n'existe pas, mais de faire que ce qui est essentiellement mauvais devienne bon.

5. Dites-moi encore lequel est le plus difficile de composer un parfum, ou de forcer la fange à prendre les propriétés du parfum ? Et puisque nous soumettons les couvres de Dieu à nos faibles raisonnements, (vous, du moins, car pour moi je m'en défends), répondez-moi n'est-il pas plus facile de former l'oeil que de faire qu'un aveugle voie, tout en demeurant aveugle, et voie mieux que celui qui a les meilleurs yeux, que de se servir de la cécité pour opérer la vue, de la surdité pour produire l'audition? Evidemment , la première chose est plus aisée. Eh bien ! vous accordez à Dieu le plus difficile, et vous lui refusez le plus facile 1 Mais pourquoi insister sur cette question? Nos contradicteurs disent encore que nos âmes sont une portion de la substance divine. Quel langage impie et extravagant ! Ils veulent prouver que Dieu est l'auteur du mal, et ils ne profèrent qu'un horrible blasphème. Car ils font le mal coéternel à Dieu, à qui ils refusent toute existence antérieure. Ainsi ils ne rougissent point d'admettre le mal en partage d'une si haute prérogative.

Mais en second lieu, le mal, selon eux, est immortel; car ce qui n'a pas eu de commencement, ne saurait avoir une fin. Entendez-vous ce blasphème? Il faut donc nécessairement admettre que rien ,ne vient de Dieu, ou dire que lui-même n'existe pas. Mais, en troisième lieu, comme je l'ai déjà observé, c'est là une contradiction flagrante, et qui ne peut qu'attirer la malédiction divine. En quatrième lieu, ils attribuent à une matière variable la puissance la plus absolue. En cinquième lieu, ils affirment que le mal est cause que Dieu est bon, en sorte que,, sans le principe mauvais, la bonté divine n'existerait point. En sixième lieu, il nous ferment toute voie pour arriver à la connaissance de Dieu. Septièmement enfin, ils abaissent Dieu jusqu'à l'homme; que dis-je ? jusqu'au bois et à la plante. Et en effet, si notre âme est une portion de la substance divine, et si elle passe dans le corps des (574) animaux, et même dans les plantes, comme les concombres, les melons et les raves, il est permis de dire que Dieu lui-même s'écoule en un concombre.

Voulons-nous donc dire que l'Esprit-Saint s'est bâti un temple dans le sein virginal de Marie, ils sourient de dédain; et quand nous ajoutons qu'il habite dans le sanctuaire de notre âme, nous provoquons leurs railleries. Et cependant ils ne rougissent point, par un nouveau genre d'idolâtrie, d'abaisser la substance divine jusqu'à un concombre, un melon, une mouche, un hanneton et un âne. Mais ce n'est pas la rave, direz-vous, qui est en Dieu, et c'est Dieu qui est dans la rave; car jamais la rave n'a été Dieu. — Et pourquoi reculez-vous devant cet écoulement de la divinité dans les corps? — Parce que ce serait peu digne de Dieu. — Mais votre système est mille fois plus indigne de lui. — Je ne saurais l'avouer. — Et pourquoi ? — C'est qu'il n'est réellement indigne de Dieu que d'habiter dans l'homme. — Découvrez-vous le venin de l'impiété ?

Mais pourquoi nient-ils la résurrection des corps, et que disent-ils à ce sujet? C'est que, selon eux, la chair est essentiellement mauvaise. Et comment, leur dirais-je, connaissez-vous Dieu et la nature? Comment encore un sage peut-il acquérir la sagesse sans le secours du corps? détruisez les sens, et que pourrez-vous savoir et apprendre? Quelle ignorance serait donc le partage de l'âme, si nos sens étaient viciés dans leur principe ! Car il suffit, pour affaiblir ses facultés, qu'une partie du corps, le cerveau par exemple, soit lésée ; et que serait-ce si le corps tout entier était mauvais! Montrez-moi l'âme en dehors du corps et n'entendez-vous pas les médecins dire chaque jour qu'une maladie violente affaiblit nos facultés mentales? Pourquoi donc, leur dirai-je encore, ne vous détruisez-vous pas? Car le corps n'est-il pas matière? — Certainement. — Vous devriez donc le haïr : et pourquoi encore lui prodiguez-vous la nourriture et mille caresses, quand depuis longtemps vous auriez dû le détruire et briser votre prison? Mais peut-être Dieu ne petit-il agir sur la matière, s'il ne s'infuse en elle, et ne peut-il lui commander, s'il ne se mêle avec elle, et ne se répand en toutes ses parties? Quelle faiblesse de raisonnement ! Dans un Etat, tous obéissent aux ordres du prince, et Dieu ne commanderait pas un principe mauvais ! Mais, en résumé, la matière elle-même ne saurait subsister, si elle ne contenait un peu de bien car le mal ne peut exister sans cette adjonction, et, s'il n'était joint à quelque vertu, il n'existerait point. Telle est la condition du mal.

Supposez, en effet, un voluptueux qui ne se contraigne jamais, et il ne vivra pas dix jours : un malfaiteur qui attaque même ses complices , et il sera bientôt condamné à mort : un voleur qui dérobe publiquement, et il sera promptement jugé. Telle est donc la nature du mal, qu'il ne peut subsister que par le mélange de quelque bien, et telles sont, selon eux, les conditions d'existence gaie Dieu lui a imposées. Une société uniquement composée de citoyens pervers, ne saurait se soutenir ; et les méchants tombent dès qu'ils s'élèvent non plus contre les bons, mais contre eux-mêmes. « En vérité, ces hommes qui se disent sages sont devenus fous ». (Rom. I, 22.) Car, si le corps de l'homme est mauvais, pourquoi les éléments qui nous environnent, l'eau, la terre, la lumière et l'air, ont-ils été créés? Car l'air est un corps, quoiqu'il manque d'épaisseur et de solidité. Nous avons bien raison de dire, avec le Psalmiste : « Les impies m'ont raconté leurs fables ». (Ps. CXVIII, 85.) Mais ce langage est intolérable, et nous ne devons plus l'écouter. Oui, la résurrection des corps est certaine; c'est le dogme que proclament le tombeau vide du Sauveur et le bois auquel il a été attaché. D'ailleurs, les apôtres ne disent-ils pas : « Nous avons mangé et nous avons bu avec lui? » Croyons donc à la résurrection, et que nos moeurs soient en rapport avec notre foi, nous obtiendrons ainsi les biens éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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