ACTES X

HOMÉLIE X. COMME ILS PARLAIENT AU PEUPLE, LES PRÊTRES ET LE CAPITAINE DES GARDES DU TEMPLE SURVINRENT. (CHAP. IV, 1, JUSQU'AU VERS. 23.)

 

ANALYSE. 1-3. Les apôtres sont de nouveau arrêtés et menés devant le tribunal des prêtres juifs. — Belle réponse que fait saint Pierre; l'orateur en montre l'à-propos et la portée. — Pierre qui tremblait naguère devant la servante de Caïphe, parait aujourd'hui avec un visage assuré devant Caiphe lui-même.

4 et 5. Exhortation morale contre les théâtres et les jurements. — L'orateur est confondu de ce qu'au lieu de s'élancer dans les hautes régions de l'enseignement évangélique , il soit encore obligé de ramper à terre pour reprendre-les préceptes que les prophètes avaient jadis inculqués aux Juifs. — Pour extirper la criminelle habitude du jurement, donnons-nous des surveillants dans toutes les personnes qui nous entourent.

 

1. Ils n'avaient pas encore eu le temps de respirer après les premières persécutions, que déjà de nouvelles venaient les visiter. Et voyez comment la Providence ménage les (29) événements ! C'est d'abord ta persécution du rire qu'ils ont à souffrir tous ensemble, et ce n'est pas peu de chose. En second lieu, ce sont les chefs qui tombent en péril. Ces deux épreuves n'arrivent pas coup sur coup ni au hasard. Les apôtres se signalent d'abord par leurs discours à la multitude, leur puissance éclate ensuite par un grand miracle, et ce n'est qu'après cela, c'est-à-dire quand leur confiance s'est affermie; qu'ils sont appelés de Dieu à livrer des combats plus difficiles. Mais considérez comment ceux qui ont soudoyé un traître contre Jésus-Christ, en viennent maintenant à mettre eux-mêmes la main sur les disciples, et comment leur audace et leur impudence se sont accrues depuis le crucifiement du Sauveur. C'est que le péché, tant qu'il n'est pour ainsi parler qu'en enfantement, garde une certaine pudeur, et que, quand il est une fois accompli , il accroît l'impudence de ceux qui l'ont commis. Mais pourquoi le capitaine des gardes vient-il aussi ? « Les prêtres », dit le texte, « survinrent avec le capitaine des gardes ». C'était afin de donner à cette affaire le caractère d'un crime d'Etat, et pour ne pas courir le risque de se faire justice eux-mêmes comme dans une affaire privée. C'est une conduite qu'ils s'appliquent partout à tenir. « Ne pouvant souffrir qu'ils enseignas« sent le peuple (2) ». Leur dépit venait non-seulement de ce que les apôtres enseignaient, mais de ce qu'ils annonçaient la résurrection du Sauveur, et même notre propre résurrection par Jésus-Christ. « Qu'ils enseignassent le « peuple », dit le texte, « et qu'ils annonças« sent la résurrection des morts en Jésus« Christ ». Il y a eu tant de vertu dans la résurrection de Jésus-Christ, qu'il est devenu l'auteur de la résurrection des autres. « Et ils mirent la main sur eux, et ils les jetèrent en prison jusqu'au lendemain, parce qu'il était déjà tard ( 3) ». O impudence ! ils avaient les mains encore toutes pleines du premier sang qu'ils avaient répandu, et leur fureur n'en était pas ralentie, ils voulaient même lés remplir d'un nouveau sang. La présence du capitaine des gardes à cette affaire avait peut-être encore une autre raison outre celle que nous avons donnée; peut-être craignait-on les disciples qui étaient devenus une multitude. « Il était déjà tard ». Les Juifs agissaient de la sorte et gardaient les. apôtres pour lés adoucir, mais ce délai ne servait qu'à ajouter à leur constance. Considérez quels sont ceux qu'on arrête ; ce sont les chefs des apôtres : on veut en faire pour les autres un exemple qui les empêche de se rechercher les uns les autres et d'agir de concert.

« Cependant beaucoup de ceux qui avaient entendu le discours » de Pierre « crurent et le nombre des hommes fut d'environ cinq mille (4) ». Qu'est ceci? Les voyait-on entourés de considération ? Ne les voyait-on pas, au contraire, chargés de fers ? Qu'est-ce donc qui attirait à la foi ? Voyez-vous éclater la vertu de Dieu ? Tout conspire à ébranler la foi, et c'est le contraire qui arrive. C'est que le discours de Pierre avait jeté la semence divine fort avant dans les âmes, c'est qu'il avait touché les coeurs. Les Juifs étaient irrités de voir que les disciples ne les craignaient pas et qu'ils comptaient pour rien les maux présents. Voici en effet le raisonnement que faisaient les disciples : Si le Crucifié opère de telles oeuvres, s'il a fait marcher le boiteux, nous n'avons rien à craindre de ceux-ci. C'était donc là un effet de la divine sagesse. C'était par son action que le nombre des croyants augmentait. Effrayés de cet accroissement, les ennemis de la foi enchaînèrent les apôtres à la vue de leurs disciples, pour intimider ceux-ci. Le contraire de ce qu'ils voulaient arriva. . Ils n'interrogèrent pas les prisonniers devant les fidèles, mais à l'écart, de peur que ceux-ci ne profitassent de la fermeté de leurs réponses s'ils les entendaient.

« Le lendemain les chefs du peuple, les sénateurs et les scribes, s'assemblèrent dans Jérusalem, avec Ange le grand prêtre, Caïphe, Jean, Alexandre et tous ceux qui étaient de la race sacerdotale (5, 6). Voilà qu'ils se réunissent encore une fois; car, pour comble de malice, ils n'observaient plus même la loi. De nouveau ils dissimulent leur mauvais dessein sous les formes de la justice, afin de noircir ces innocents par un jugement injuste. « Et ayant fait venir les apôtres au milieu d'eux, ils leur dirent : Par quelle puissance ou au nom de qui, faites-vous ceci (7)? » Ils le savaient bien. « Ils ne pouvaient souffrir », dit le texte, « qu'ils annonçassent en Jésus-Christ la résurrection des morts ». C'était pour cela même qu'ils les avaient arrêtés. Pourquoi donc les interrogent-ils? Ils espéraient les faire rétracter, et ils comptaient bien tout réparer par ce moyen. Voyons donc (30) ce qu'ils disent: « Au nom de qui faites-vous ceci ? Alors Pierre, rempli de l'Esprit-Saint leur dit » : C'est le moment de se rappeler les paroles de Jésus-Christ et d'en remarquer l'accomplissement : « Lorsqu'ils vous mèneront dans leurs synagogues, ne vous mettez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz ». (Luc, XII, 11, 12.) Ils avaient donc, reçu une grande puissance. Mais écoutons la réponse : « Princes du peuple et sénateurs d'Israël ». Admirez cette sagesse ! l'apôtre est plein de confiance, mais il ne dit rien d'injurieux, il s'exprime respectueusement : « Princes du peuple », dit-il, « et sénateurs d'Israël , puisqu'aujourd'hui l’on nous demande raison du bien que nous avons fait à un homme infirme, et qu'on veut s'informer de la manière dont il a été guéri, nous vous déclarons à vous tous et à tout le peuple d'Israël». Dès son exorde il fait retentir à leurs oreilles des paroles courageuses et pénétrantes. Il leur rappelle ce qui s'est passé, il leur dit que c'est pour un bienfait qu'on les appelle en jugement. C'est comme s'il disait : Il fallait nous couronner pour cette action, il fallait nous signaler au publie comme des bienfaiteurs insignes : et maintenant nous sommes appelés en jugement pour le bien que nous avons fait à.un homme,infirme , non pas riche,, non pas noble : qui donc eu pourrait prendre ombrage?

2. Ce début est plein. de gravité. Il y est montré que les Juifs s'enlacent eux-mêmes dans les filets du malheur. « Nous vous déclarons que c'est au nom de Jésus de Nazareth ». Il ajoute aussitôt la chose qui causait surtout leur dépit. Il faisait ce que Jésus-Christ avait commandé : « Ce que l'on vous dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits des maisons. (Matth. X, 27.) C'est au nom « de Jésus-Christ de Nazareth que vous avez crucifié, que Dieu a, ressuscité d'entre les morts, c'est en son nom que cet homme se tient debout devant vous et guéri (8-10) ». Ne croyez pas que nous cachions sa patrie ni le genre de sa mort. « Celui que, vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité d'entre les morts, c'est en son. nom que cet homme-ci se tient debout devant vous et guéri ». Encore la passion, encore la résurrection. C'est lui qui est cette pierre « rejetée par vous, et que vous n'avez pas voulu admettre dans votre édifice, et qui est devenue la principale pierre de l’angle ». Il les fait souvenir d'une parole propre à les effrayer. « Car », dit l'Ecriture, « celui qui tombera sur cette pierre, sera brisé, et celui sur qui tombera cette pierre, elle le broiera. (Matth. XXI, 44.) Et il n'y a et point de salut par aucun autre». Combien de coups pensez-vous que ces paroles leur ont valus? « Car nul autre none sous le ciel n'a été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés (12) ». Ici le discours devient sublime. Dès qu'il ne s'agit plus de devoir à remplir, mais seulement de liberté à montrer, Pierre ne ménage plus rien. Les mauvais traitements ne lui faisaient pas. peur. Il ne dit pas simplement : Nous ne pouvons être sauvés par un autre; mais : et Il n'y a point de salut « par aucun autre » , montrant ainsi que celui-là peut. nous sauver et voulant en même temps effrayer ses auditeurs. « Lorsqu'ils virent la constance de Pierre et de Jean, sachant que c'étaient des hommes sans lettres, et du commun du peuple, ils en furent étonnés; ils savaient aussi qu'ils avaient été disciples de Jésus (13) ». Et comment des hommes sans lettres étaient-ils devenus assez éloquents pour l'emporter sur des lettrés, sur des princes des prêtres ? — Ce n'étaient pas eux qui parlaient, mais la grâce du Saint-Esprit par leur bouche. « Et comme ils voyaient aussi l'homme qui avait été guéri présent avec eux, ils n'avaient rien à leur opposer (14) ». Cet homme ne manquait pas de courage, on le voit, puisqu'il accompagnait les apôtres devant le tribunal; de manière que si les Juifs avaient dit.: Non, vous n'avez guéri personne, il était là pour leur répondre.

« Ils leur commandèrent donc de sortir de l'assemblée, et ils se mirent à délibérer entre  eux ». Voyez-vous leur embarras? Les voyez-vous agir par une crainte tout humaine? Autrefois, lorsqu'ils ne pouvaient ni empêcher l'oeuvre du Christ, ni en amortir l'éclat, mais que la foi à sa parole croissait en proportion des efforts qu'ils faisaient. pour l'arrêter, ils avaient dit : « Que ferons-nous ? » Et voici qu'ils le disent encore aujourd'hui. O démence, de s'imaginer que les mauvais traitements viendraient à bout de l'intrépidité des apôtres ! Ils n'avaient rien pu contre eux dès le commencement, et ils comptaient faire quelque chose après la puissance de parole qu'ils venaient de voir éclater.en eux. Plus (31) donc ils s'efforçaient d'arrêter l'Evangile, plus il faisait son chemin. « Que ferons-nous à ces gens-ci? Car ils ont fait un miracle qui est connu de tous les habitants de Jérusalem; cela est certain, et nous ne pouvons pas le nier. Mais afin qu'il ne se répande pas davantage parmi le peuple, défendons-leur avec menaces de parler à l'avenir en ce nom-là à qui que ce soit. Et les ayant fait appeler, ils leur défendirent de parler en quelque manière que ce fût, ni d'enseigner au nom de Jésus».

Voyez leur impudence et la sagesse des apôtres ! « Mais Pierre et Jean répondant, leur dirent. Jugez vous-mêmes s'il est juste devant Dieu de vous obéir plutôt qu'à Dieu; pour nous, nous ne pouvons ne point parler des choses que nous avons vues et entendues. Alors ils les renvoyèrent avec menaces, ne trouvant point de moyen de les punir à cause du peuple ». Les miracles leur fermèrent la bouche, et ne leur permirent pas d'accomplir, leurs menaces; néanmoins, ils n'avaient pas honte de leur défendre de parler. « Parce que tous rendaient gloire à Dieu de ce qui était. arrivé. Car l'homme qui avait été guéri d'une manière si miraculeuse avait plus de quarante ans ». (19-22.)

Mais reprenons. « Que ferons-nous », disent-ils, « à ces gens-ci? » D'abord ils font tout pour la gloire humaine. Ils avaient encore.une autre intention: ils ne voulaient pas passer pour des meurtriers, comme on le voit par ce qu'ils disent quelque temps après : « Vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme. — Défendons-leur avec menaces de ne plus parler en ce nom à qui que ce soit ». O démence ! Ils sont convaincus qu'il est ressuscité, par conséquent qu'il est Dieu ; et ils espèrent, par leurs machinations; retenir dans l'ombre celui que la mort n'a pu garder. Y a-t-il rien d'égal à cette démence? Cependant, ne vous étonnez pas trop de les voir encore une fois tenter l'impossible. Telle est l'impiété ; elle ne voit rien à rien, elle se trouble de tout, Ils se sont trompés dans leurs calculs, et ils en éprouvent un vif dépit; c'est l'histoire de tous ceux qui ont éprouvé une déception , une mystification. En effet, les apôtres, malgré la défense qu'on leur avait faite, allaient répétant sans cesse et partout que Dieu avait ressuscité Jésus, que c'était au nom de Jésus que le boiteux était maintenant guéri, preuve éclatante de la résurrection de Jésus-Christ. Quoique les pharisiens eussent eux-mêmes quelque idée de la résurrection, idée incomplète il est vrai et puérile, néanmoins ils tombent dans l'incrédulité et le trouble, ils se demandent ce qu'ils feront à ces hommes. Cependant, n'y avait-il pas dans cette franchise des apôtres de quoi les convaincre qu'il n'y avait rien à faire? Pourquoi es-tu incrédule, ô Juif, réponds-moi ? Il fallait considérer le miracle accompli et les discours entendus, et non la malice de la multitude. Pourquoi ne les livrent-ils pas aux Romains? C'est qu'ils s'étaient déjà discrédités auprès d'eux par leur conduite envers le Christ, de manière qu'ils travaillaient contre eux-mêmes en différant de dénoncer les disciples. Envers le Christ, ils n'avaient pas. agi de la sorte : ils l'avaient arrêté au milieu de la nuit et conduit aussitôt au supplice, et ils n'avaient pas différé d'agir, parce qu'ils redoutaient le peuple; mais au sujet des apôtres, ils n'agissent plus avec la même décision, et la même confiance. Ils ne les conduisent pas devant Pilate, le souvenir de la passion de Jésus-Christ les retient, ils craignent de recevoir des reproches. « Le lendemain les chefs du peuple, les sénateurs et les scribes s'assemblèrent dans Jérusalem ».

3. Voie de nouveau des assemblées à Jérusalem, le sang est répandu sans respect pour la ville sainte. Voici encore Anne et Caïphe. Naguère l'apôtre Pierre avait tremblé devant la servante de celui-ci qui l'interrogeait ; il avait renié son Maître déjà arrêté par le même Caïphe. Maintenant que le voilà lui-même amené en présence des mêmes hommes, voyez comme il parle : « Puisqu'aujourd'hui l'on nous demande raison du bien que nous avons fait à un homme infirme, et que l’on veut savoir par la vertu de qui il a été guéri, nous vous déclarons à vous tous». Ils disent : «Au nom de qui avez-vous fait cela? » Pourquoi dites-vous simplement « cela? » Pourquoi ne pas dire expressément la chose dont il s'agit? pourquoi la laisser dans l'ombre? « Au nom de qui avez-vous fait cela ? » Pierre répondit que ce n'était pas eux qui l'avaient fait. Voyez sa prudence; il ne dit pas simplement : Nous l'avons fait au nom de Jésus-Christ; mais que dit-il ? « C'est en son nom que celui-ci se tient debout devant vous et guéri». Il ne dit pas qu'il a été guéri par eux. Cette parole : « Puisqu'aujourd'hui l'on nous (32) demande raison du bien que nous avons fait», a une grande portée: Pierre les accuse par là de ne faire que des accusations de ce genre, et de ne se plaindre que du bien que l'on fait aux hommes. Il leur rappelle aussi ce qui s'est passé, et qu'ils sont toujours prêts à répandre le sang, et le sang des bienfaiteurs de l'humanité. Admirez encore une fois la force et la gravité de ce langage ! Les apôtres s'aguerrissaient et devenaient intrépides. Saint Pierre montre aux Juifs qu'ils prêchent eux-mêmes Jésus-Christ malgré eux, qu'ils ne font que mettre en évidence la doctrine nouvelle en la discutant et l'examinant. — « Que vous avez crucifié ». Quelle franchise ! «. Que Dieu a « ressuscité d'entré les morts». Ceci témoigne encore d'une plus grande liberté. C'est comme s'il disait : Ne croyez pas que nous cachions ce que vous tenez vous autres pour ignominieux; nous sommes si éloignés de le dissimuler, que nous le publions hautement. C'est presqu'une attaque ouverte, et il ne dit pas cela simplement, mais il insiste sur la même pensée en disant : « C'est lui qui est la pierre que vous avez rejetée, et que vous n'avez pas voulu admettre dans votre édifice ». Puis, pour montrer qu'ils n'ont fait que travailler malgré eux à sa gloire, il ajoute: « Il est devenu la pierre principale de l'angle ». Vous avez donc réprouvé, ô Juifs, celui qui était honorable et bon par nature. C'est ainsi qu'ils parlaient, tant le miracle qu'ils avaient opéré leur donnait de confiance. Remarquez comment, lorsqu'il s'agit d'enseigner, ils citent de nombreuses prophéties, et lorsqu'il ne faut que faire preuve d'assurance, ils se contentent d'affirmer leur sentiment : « Car nul autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés; aux hommes », parce que ce nom a été donné à tous, et non pas aux seuls Juifs.

L'apôtre prend ses adversaires eux-mêmes à témoin. Ceux-ci demandaient : « Au nom de qui avez-vous agi? » Au nom du Christ, répond Pierre. « Il n'y a pas d'autre nom que celui-là en qui nous puissions être sauvés ». La chose est d'elle-même évidente, pourquoi donc m'interrogez-vous? Ces paroles sont d'une âme qui méprise la vie présente. Cette liberté de langage le montre assez. Ici il fait clairement voir que, lorsqu'il s'exprimait humblement au sujet du Christ, c'était par condescendance et non par crainte qu'il le faisait.

Maintenant que le moment était venu, il en parlait avec une sublimité qui frappait d'étonnement tous les auditeurs. Voici un signe non moindre que le premier : «Ils les reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus ». L'écrivain sacré n'a pas tracé ces mots au hasard. C'était pour rappeler en quelle circonstance les Juifs avaient vu les apôtres, c'est-à-dire pendant la passion. Pierre et Jean étaient seuls avec Jésus alors, et c'est là que les pharisiens les virent si humbles et si tremblants. Aussi un changement si complet leur paraissait étrange. C'était toujours le même tribunal ayant Anne et Caïphe pour chefs. Ils étaient donc stupéfaits de retrouver maintenant si intrépides des hommes qu'ils avaient vus naguère si timides. Ce n'était pas seulement par leur langage que ceux-ci montraient qu'ils se souciaient fort peu d'une affaire où il y allait pour eux de la peine capitale, mais encore par leur attitude, par leur voix et par leurs regards; en un mot, la résolution où ils étaient de parler, de ce qu'ils savaient, éclatait dans toute leur personne aux yeux du peuple. Les Juifs s'étonnaient aussi parce que c'étaient des hommes sans lettres et du commun. Comme on peut être sans lettres et n'être cependant pas du commun, et réciproquement, il met les deux termes, parce que les deux choses étaient vraies pour les apôtres: « Sachant», dit le texte, «que c'étaient des hommes sans lettres ». Comment le savaient-ils? Par leur manière de s'énoncer. Les apôtres ne font pas de longs discours; ils disent simplement et sans artifice ce qu'ils veulent dire, mais avec un accent qui prouve leur résolution courageuse. Peut-être les eussent-ils maltraités, si l'homme guéri par eux n'eût été là. « Ils les  reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus » ; circonstance qui leur faisait voir qu'ils tenaient de lui ce qu'ils disaient, et qu'ils agissaient en qualité de ses disciples. D'ailleurs le miracle récent parlait encore plus haut qu'eux, et c'était lui surtout qui fermait la bouche aux Juifs : « Jugez s'il est juste en présence de Dieu de vous obéir plutôt qu'à « Dieu ». Maintenant qu'ils n'ont plus rien à craindre (les menacer équivalait à les absoudre), leur langage s'adoucit, tant ils étaient loin de l'audace qui provoque. Ils ont fait un miracle qui est connu de tout le monde , « nous ne pouvons le nier ». De sorte qu'ils l'auraient nié, s'il en eût été autrement, si le témoignage de la multitude n'eût été là.

Le miracle était manifeste ; mais que n'ose pas l'iniquité , de quelle impudence n'est-elle pas capable? « Défendons-leur avec mes traces ». Que dites-vous? Vous croyez, par des menaces, pouvoir arrêter la prédication de la vérité? — Les commencements sont toujours pénibles et difficiles. Vous avez tué le Maître et, vous n'avez rien empêché; et maintenant vous espérez nous détourner par des menaces? L'emprisonnement n'a pas intimidé notre voix, et vous l'intimiderez, vous que nous ne comptons pour rien avec toutes vos menaces ? « Jugez devant Dieu s'il est juste de vous obéir plutôt qu'à Dieu ». Ici il dit Dieu pour Jésus-Christ. Voyez-vous l'accomplissement de cette parole : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, ne les craignez point ?» (Matth. X, 16, 26.)

4. Ensuite ils affirment la résurrection par ce qu'ils ajoutent : « Pour nous, nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu ».C'est-à-dire : Nous sommes des témoins dignes de foi, et vous qui nous menacez, vous nous menacez encore en vain. Au lieu de se convertir à la vue d'un miracle pour lequel le. peuple glorifiait Dieu , ils lancent des menaces de mort. C'était faire la guerre à Dieu lui-même. Après les avoir menacés, ils les renvoyèrent. Les apôtres n'en furent que plus illustres et plus glorieux. « Ma puissance », est-il écrit, « se montre tout entière dans la faiblesse ». Ils avaient montré qu'ils étaient préparés à tout événement. Qu'est-ce à dire : « Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu ? » C'est-à-dire: Si ce que nous disons est faux, reprenez-nous ; si c'est la vérité , pourquoi voulez-vous nous fermer la bouche ? Voyez ce que peut la sagesse. Les Juifs sont dans l'embarras, les apôtres dans la joie; ceux-là sont couverts de confusion, ceux-ci agissent en tout avec franchise;. ceux-là sont dans la crainte, ceux-ci dans la confiance. Quels étaient, dites-moi, ceux qui craignaient, de ceux qui disaient : « De peur que cette doctrine ne se répande dans le peuple », ou de ceux qui disaient : « Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu? » La joie, la franchise, l'allégresse, tels sont les sentiments des apôtres, et ceux des prêtres juifs sont le découragement, la honte et la crainte; ils redoutaient le peuple. Ceux-là disaient ouvertement ce qu'ils voulaient, ceux-ci ne faisaient pas ce qu'ils voulaient. Quels étaient ceux qui étaient dans les liens et les périls? N'était-ce pas surtout ceux-là?

Attachons-nous donc à la vertu. Faites en sorte que nous ne parlions pas seulement pour votre: plaisir et votre consolation. Ce n'est pas ici un théâtre, mon cher frère, où l'on vient voir des comédiens ou entendre des musiciens, où le fruit qu'on retire s'arrête à un plaisir qui ne dure qu'un jour. Et encore, plût à Dieu que ce plaisir fût seul, et qu'il ne fût pas accompagné d'un dommage ! Mais ce lieu-là, on ne le quitte pas sans remporter chez soi quelque chose des ordures qui s'y débitent. Le jeune homme remporte dans sa mémoire tout ce qu'il peut retenir des mélodies et des chants sataniques qu'il y a entendus, et constamment il les répète à la maison. Le vieillard, un peu moins léger, ne fredonne pas les airs, mais il redit les paroles qu'il a entendues. Mais d'ici, vous sortez sans rien remporter. Quelle honte, mes frères! Nous avons porté une loi, ou pour mieux dire, ce n'est pas nous qui l'avons portée, non : « N'appelez personne votre maître sur la terre », dit le Sauveur. (Matth. XXIII, 8.) Le Christ a porté une loi qui défend de jurer. Comment cette loi est-elle observée ? C'est un sujet que je ne me lasserai pas de traiter. « Si je reviens de nouveau », dit l'apôtre, «Je serai sans pitié ». (II Cor. III, 2.) Vous êtes-vous occupés de cette affaire ? Y avez-vous songé ? Avez-vous montré quelque zèle, ou bien faut-il que nous recommencions toujours la même exhortation ? Mais, dans tous les cas, je reprendrai encore ce sujet, afin que vous vous occupiez enfin de cette affaire, si jusqu'ici vous n'avez rien fait, et afin que vous redoubliez de zèle si vous en avez déjà montré, et que vous exhortiez les autres. Par où débuterons-nous donc? Voulez-vous que ce soit par un passage de l'Ancien Testament? Mais c'est là notre honte que nous n'observions pas même les prescriptions de l'Ancien Testament, lorsqu'il nous faudrait aller bien au delà. Nous ne devrions pas être obligés de vous prêcher ces préceptes, qui ne convenaient qu'à la faiblesse juive. Voici les exhortations qu'il conviendrait d'adresser à des chrétiens : Rejetez l'argent, soyez ferme, donnez votre vie pour l'Evangile, moquez-vous de toutes les choses de la terre, n'ayez aucune attache à la vie présente. Si quelqu'un vous fait tort, faites-lui du bien; (34) s'il vous trompe, bénissez-le; s'il vous injurie, honorez-le, élevez-vous au-dessus de tout. Ce sont ces préceptes et d'autres semblables qu'il faudrait vous inviter à pratiquer.

Mais maintenant c'est sur le jurement que nous sommes obligé de parler. Nous faisons comme un maître de philosophie qui se verrait contraint de remettre ses élèves à l'étude des syllabes et de l'alphabet. Songez combien serait ridicule un homme qui, portant une longue barbe, un bâton et une robe de philosophe, irait à l'école avec des enfants et étudierait les mêmes choses qu'eux. Eh bien ! notre conduite n'est pas moins singulière. Car la différence est moindre entre la philosophie et l'alphabet qu'entre le christianisme et le judaïsme. De l'un à l'autre, il y a la même distance qu'entre l'ange et l'homme. Si quelqu'un, dites-moi, faisant descendre un ange du ciel l'invitait à demeurer ici pour entendre nos discours comme devant en profiter pour mieux régler sa conduite , ne ferait-il pas une chose ridicule ? Que s'il est déjà ridicule d'avoir encore besoin de tels enseignements, que sera-ce que de n'y être même pas attentif? Quelle honte ! Quelle damnation ! Et comment ne serait-ce pas une honte pour des chrétiens d'avoir encore besoin qu'on leur apprenne qu'il ne faut pas jurer? Corrigeons-nous donc afin que nous cessions d'être dignes de risée. C'est donc à la loi ancienne que nous allons emprunter notre enseignement. Et que dit-elle ? « N'accoutumez point votre bouche au jurement, ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint ». Pourquoi? « Parce que, comme un esclave qu'on met sans cesse à la torture en porte toujours la marque , ainsi en est-il de tout homme qui jure ». (Eccli. XIII, 9, 11.)

5.Voyez la prudence du Sage. Il ne dit pas: , n'accoutumez point votre pensée, mais: « votre bouche »; il savait que la bouche est tout dans ce péché qui se corrige aisément. C'est une pure habitude qui fait agir sans réflexion; telle que celle qu'ont beaucoup de personnes qui , allant au bain, se signent en entrant. C'est un geste que la main sait faire d'elle-même, sans que la volonté y ait aucune part. Une autre fois, c'est encore la main qui, au moment où une lampe s'allume , et pendant que l'esprit est ailleurs, fait le signe de la croix. Il en est ainsi de la bouche qui jure elle n'agit point avec le consentement de l'âme, mais par habitude, et tout est dans la langue. « Ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint; parce que, comme un esclave qu'on met sans cesse à la torture , en porte toujours les marques; ainsi en est-il de tout homme qui jure». Ce n'est point le parjure, mais le jurement qui est ici défendu et menacé d'un châtiment. Donc, c'est un péché de jurer. L'âme de celui qui a l'habitude de jurer est en effet telle que ce serviteur mis tous les jours à la torture, elle est couverte d'autant de plaies et de meurtrissures. — Mais je ne vois pas cela, dites-vous. C'est précisément ce qu'il y a de terrible que vous ne le voyiez pas. Vous pourriez le voir, si vous vouliez. Dieu vous a pour cela donné des yeux. C'était avec ces yeux-là que voyait le prophète lorsqu'il disait « Mes plaies se sont pourries et corrompues, à cause de ma folie ». (Ps. XXXVII, 5.) Nous avons méprisé Dieu, nous avons haï le nom divin, nous avons foulé aux pieds le Christ, nous nous sommes affranchis de la pudeur, personne ne rappelle avec respect le nom de Dieu. Si vous aimez quelqu'un et que l'on prononce son nom, vous vous lèverez. Mais Dieu, vous l'appelez sans cesse comme s'il n'était rien. Appelez-le, lorsque vous faites du bien à votre ennemi ; appelez-le pour le salut de votre âme; alors il viendra, alors vous le réjouirez; au lieu que maintenant vous l'irritez. Appelez-le comme l'appela Etienne : « Seigneur », disait-il, « ne leur imputez pas ce péché ». (Act. VII , 59.) Appelez-le comme l'appela la femme d'Elcana, avec des larmes, des gémissements, des prières. Je ne vous le défends pas, je vous y exhorte même fortement. Appelez-le comme l'appela Moïse, qui l'invoquait à haute voix pour ceux qui l'obligeaient de s'enfuir. Vous ne feriez que prononcer à la légère le nom d'un homme respectable, que cela serait considéré comme une offense; et lorsque vous avez continuellement, sans raison et même à contre-temps, le nom de Dieu à la bouche , vous croyez que c'est une chose sans conséquence? Quel châtiment ne mériterez-vous pas ? Je ne vous défends pas d'avoir toujours Dieu dans votre pensée, je le souhaite au contraire, c'est mon plus grand désir, mais que ce ne soit pas autrement qu'il ne lui plaît, que ce soit pour le louer, pour lui rendre hommage. Nous en retirerions de grands fruits, si nous ne l'appelions que lorsqu'il faut, et pour les choses qu'il faut.

 

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Pourquoi ces faits miraculeux qui éclataient du temps des apôtres et dont nous sommes privés, aujourd'hui ? Cependant c'est toujours le même Dieu, le même nom ; et les effets ne sont pas les mêmes. Pourquoi cela? Parce que les apôtres ne l'appelaient qu'à propos de leur prédication. Mais nous l'appelons pour des choses toutes différentes. Si c'est parce qu'on ne vous croit pas que vous jurez, dites simplement : « Croyez-moi » ; ou, si vous voulez, jurez par vous-même. Je ne dis pas cela, à Dieu ne plaise ! pour faire une loi opposée à celle du Christ, qui nous commande de ne dire que « oui, oui, non, non », je le dis par condescendance, pour vous induire à quelque chose de beaucoup moins grief , et pour vous affranchir d'une habitude tyrannique. Que de chrétiens recommandables à tout autre égard se sont perdus par ce seul vice ! Voulez-vous savoir pourquoi l'on permettait le serment aux anciens? (Le parjure leur était défendu) ; c'est parce qu'ils juraient par les idoles.

N'avez-vous pas honte d'être encore régis par les mêmes lois qui servaient à conduire ces hommes faibles? Lorsque j'entreprends de convertir un païen, je commence par lui faire connaître Jésus-Christ avant de lui enseigner qu'il ne faut pas jurer. Mais si le fidèle qui connaît déjà Jésus-Christ et sa doctrine a toujours besoin de la même condescendance que le païen, quel avantage le fidèle a-t-il sur le païen? — Mais l'habitude, dites-vous, est une chose fâcheuse ; il est difficile de s'en défaire. —Si telle est1a tyrannie de. l'habitude, changez votre. mauvaise habitude en une autre contraire. — Et comment est-ce possible? direz-vous. — Je répète ce que j'ai déjà dit bien des fois : Ayez des moniteurs pour observer vos paroles et les reprendre. Il n'y a aucune honte à être redressé par d'autres; il y en a bien plutôt à repousser la correction et de le faire au détriment de son salut. Quand il vous arrive de mettre votre vêtement à l'envers, vous permettez même à votre serviteur de vous en avertir, vous n'avez pas honte de recevoir de lui cette espèce de leçon, et cependant c'est un fait qui a bien son ridicule. Et vous aurez honte d'être averti par un autre d'un travers dont votre âme sera affectée ? Vous laisserez votre serviteur arranger votre vêtement, et si quelqu'un veut parer votre âme vous le repousserez? Quelle folie ! Laissez-vous reprendre par votre serviteur , par votre enfant , par votre ami , par votre parent, par votre voisin. Comme une bête féroce ne peut plus s'échapper quand elle est cernée de toutes parts, de même il faudra que vous vous observiez, lorsque vous serez entouré de tant de gens qui vous surveilleront, vous corrigeront; vous reprendront. Peut-être supporterez-vous difficilement ce régime pendant un , deux ou trois jours. Mais ensuite la difficulté disparaîtra, et au bout de quatre jours, il n'en sera plus question. Faites-en l'essai si vous ne me croyez pas; songez-y, je vous en conjure. Le mal à corriger est grave, mais la correction sera d'autant plus fructueuse ; vous avez tout ensemble un grand mal à détruire, un grand bien à conquérir. Puisse le bien se faire, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, empire,. honneur, soit au Père, ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Traduit par M. JEANNIN.

 

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