ANALYSE. 1-3. Les apôtres sont de nouveau arrêtés et menés
devant le tribunal des prêtres juifs. Belle réponse que fait saint Pierre;
l'orateur en montre l'à-propos et la portée. Pierre qui tremblait naguère devant
la servante de Caïphe, parait aujourd'hui avec un visage assuré devant Caiphe lui-même.
4 et 5. Exhortation morale contre les théâtres et les jurements.
L'orateur est confondu de ce qu'au lieu de s'élancer dans les hautes régions de
l'enseignement évangélique , il soit encore obligé de ramper à terre pour
reprendre-les préceptes que les prophètes avaient jadis inculqués aux Juifs.
Pour extirper la criminelle habitude du jurement, donnons-nous des surveillants dans
toutes les personnes qui nous entourent.
1. Ils n'avaient pas encore eu le temps de
respirer après les premières persécutions, que déjà de nouvelles venaient les
visiter. Et voyez comment la Providence ménage les (29) événements ! C'est d'abord
ta persécution du rire qu'ils ont à souffrir tous ensemble, et ce n'est pas peu de
chose. En second lieu, ce sont les chefs qui tombent en péril. Ces deux épreuves
n'arrivent pas coup sur coup ni au hasard. Les apôtres se signalent d'abord par leurs
discours à la multitude, leur puissance éclate ensuite par un grand miracle, et ce n'est
qu'après cela, c'est-à-dire quand leur confiance s'est affermie; qu'ils sont appelés de
Dieu à livrer des combats plus difficiles. Mais considérez comment ceux qui ont soudoyé
un traître contre Jésus-
« Cependant beaucoup de ceux qui avaient entendu le discours » de Pierre « crurent et le nombre des hommes fut d'environ cinq mille (4) ». Qu'est ceci? Les voyait-on entourés de considération ? Ne les voyait-on pas, au contraire, chargés de fers ? Qu'est-ce donc qui attirait à la foi ? Voyez-vous éclater la vertu de Dieu ? Tout conspire à ébranler la foi, et c'est le contraire qui arrive. C'est que le discours de Pierre avait jeté la semence divine fort avant dans les âmes, c'est qu'il avait touché les coeurs. Les Juifs étaient irrités de voir que les disciples ne les craignaient pas et qu'ils comptaient pour rien les maux présents. Voici en effet le raisonnement que faisaient les disciples : Si le Crucifié opère de telles oeuvres, s'il a fait marcher le boiteux, nous n'avons rien à craindre de ceux-ci. C'était donc là un effet de la divine sagesse. C'était par son action que le nombre des croyants augmentait. Effrayés de cet accroissement, les ennemis de la foi enchaînèrent les apôtres à la vue de leurs disciples, pour intimider ceux-ci. Le contraire de ce qu'ils voulaient arriva. . Ils n'interrogèrent pas les prisonniers devant les fidèles, mais à l'écart, de peur que ceux-ci ne profitassent de la fermeté de leurs réponses s'ils les entendaient.
« Le lendemain les chefs du peuple, les
sénateurs et les scribes, s'assemblèrent dans Jérusalem, avec Ange le grand prêtre,
Caïphe, Jean, Alexandre et tous ceux qui étaient de la race sacerdotale (5, 6). Voilà
qu'ils se réunissent encore une fois; car, pour comble de malice, ils n'observaient plus
même la loi. De nouveau ils dissimulent leur mauvais dessein sous les formes de la
justice, afin de noircir ces innocents par un jugement injuste. « Et ayant fait venir les
apôtres au milieu d'eux, ils leur dirent : Par quelle puissance ou au nom de qui,
faites-vous ceci (7)? » Ils le savaient bien. « Ils ne pouvaient souffrir », dit le
texte, « qu'ils annonçassent en Jésus-
2. Ce début est plein. de gravité. Il y est montré que les Juifs s'enlacent eux-mêmes
dans les filets du malheur. « Nous vous déclarons que c'est au nom de Jésus de Nazareth
». Il ajoute aussitôt la chose qui causait surtout leur dépit. Il faisait ce que
Jésus-
« Ils leur commandèrent donc de sortir
de l'assemblée, et ils se mirent à délibérer entre eux
». Voyez-vous leur embarras? Les voyez-vous agir par une crainte tout humaine? Autrefois,
lorsqu'ils ne pouvaient ni empêcher l'oeuvre du
Voyez leur impudence et la sagesse des apôtres ! « Mais Pierre et Jean répondant, leur dirent. Jugez vous-mêmes s'il est juste devant Dieu de vous obéir plutôt qu'à Dieu; pour nous, nous ne pouvons ne point parler des choses que nous avons vues et entendues. Alors ils les renvoyèrent avec menaces, ne trouvant point de moyen de les punir à cause du peuple ». Les miracles leur fermèrent la bouche, et ne leur permirent pas d'accomplir, leurs menaces; néanmoins, ils n'avaient pas honte de leur défendre de parler. « Parce que tous rendaient gloire à Dieu de ce qui était. arrivé. Car l'homme qui avait été guéri d'une manière si miraculeuse avait plus de quarante ans ». (19-22.)
Mais reprenons. « Que ferons-nous »,
disent-ils, « à ces gens-ci? » D'abord ils font tout pour la gloire humaine. Ils
avaient encore.une autre intention: ils ne voulaient pas passer pour des meurtriers, comme
on le voit par ce qu'ils disent quelque temps après : « Vous voulez faire retomber sur
nous le sang de cet homme. Défendons-leur avec menaces de ne plus parler en ce nom
à qui que ce soit ». O démence ! Ils sont convaincus qu'il est ressuscité, par
conséquent qu'il est Dieu ; et ils espèrent, par leurs machinations; retenir dans
l'ombre celui que la mort n'a pu garder. Y a-t-il rien d'égal à cette démence?
Cependant, ne vous étonnez pas trop de les voir encore une fois tenter l'impossible.
Telle est l'impiété ; elle ne voit rien à rien, elle se trouble de tout, Ils se sont
trompés dans leurs calculs, et ils en éprouvent un vif dépit; c'est l'histoire de tous
ceux qui ont éprouvé une déception , une mystification. En
effet, les apôtres, malgré la défense qu'on leur avait faite, allaient répétant sans
cesse et partout que Dieu avait ressuscité Jésus, que c'était au nom de Jésus que le
boiteux était maintenant guéri, preuve éclatante de la résurrection de Jésus-
3. Voie de nouveau des assemblées à
Jérusalem, le sang est répandu sans respect pour la ville sainte. Voici encore Anne et
Caïphe. Naguère l'apôtre Pierre avait tremblé devant la servante de celui-ci qui
l'interrogeait ; il avait renié son Maître déjà arrêté par le même Caïphe.
Maintenant que le voilà lui-même amené en présence des mêmes hommes, voyez comme il
parle : « Puisqu'aujourd'hui l'on nous demande raison du bien
que nous avons fait à un homme infirme, et que lon veut savoir par la vertu de qui
il a été guéri, nous vous déclarons à vous tous». Ils disent : «Au nom de qui
avez-vous fait cela? » Pourquoi dites-vous simplement « cela? » Pourquoi ne pas dire
expressément la chose dont il s'agit? pourquoi la laisser dans
l'ombre? « Au nom de qui avez-vous fait cela ? » Pierre répondit que ce n'était pas
eux qui l'avaient fait. Voyez sa prudence; il ne dit pas simplement : Nous l'avons fait au
nom de Jésus-
L'apôtre prend ses adversaires eux-mêmes à témoin. Ceux-ci
demandaient : « Au nom de qui avez-vous agi? » Au nom du
Maintenant que le moment était venu, il en parlait avec une sublimité qui frappait d'étonnement tous les auditeurs. Voici un signe non moindre que le premier : «Ils les reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus ». L'écrivain sacré n'a pas tracé ces mots au hasard. C'était pour rappeler en quelle circonstance les Juifs avaient vu les apôtres, c'est-à-dire pendant la passion. Pierre et Jean étaient seuls avec Jésus alors, et c'est là que les pharisiens les virent si humbles et si tremblants. Aussi un changement si complet leur paraissait étrange. C'était toujours le même tribunal ayant Anne et Caïphe pour chefs. Ils étaient donc stupéfaits de retrouver maintenant si intrépides des hommes qu'ils avaient vus naguère si timides. Ce n'était pas seulement par leur langage que ceux-ci montraient qu'ils se souciaient fort peu d'une affaire où il y allait pour eux de la peine capitale, mais encore par leur attitude, par leur voix et par leurs regards; en un mot, la résolution où ils étaient de parler, de ce qu'ils savaient, éclatait dans toute leur personne aux yeux du peuple. Les Juifs s'étonnaient aussi parce que c'étaient des hommes sans lettres et du commun. Comme on peut être sans lettres et n'être cependant pas du commun, et réciproquement, il met les deux termes, parce que les deux choses étaient vraies pour les apôtres: « Sachant», dit le texte, «que c'étaient des hommes sans lettres ». Comment le savaient-ils? Par leur manière de s'énoncer. Les apôtres ne font pas de longs discours; ils disent simplement et sans artifice ce qu'ils veulent dire, mais avec un accent qui prouve leur résolution courageuse. Peut-être les eussent-ils maltraités, si l'homme guéri par eux n'eût été là. « Ils les reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus » ; circonstance qui leur faisait voir qu'ils tenaient de lui ce qu'ils disaient, et qu'ils agissaient en qualité de ses disciples. D'ailleurs le miracle récent parlait encore plus haut qu'eux, et c'était lui surtout qui fermait la bouche aux Juifs : « Jugez s'il est juste en présence de Dieu de vous obéir plutôt qu'à « Dieu ». Maintenant qu'ils n'ont plus rien à craindre (les menacer équivalait à les absoudre), leur langage s'adoucit, tant ils étaient loin de l'audace qui provoque. Ils ont fait un miracle qui est connu de tout le monde , « nous ne pouvons le nier ». De sorte qu'ils l'auraient nié, s'il en eût été autrement, si le témoignage de la multitude n'eût été là.
Le miracle était manifeste ; mais que
n'ose pas l'iniquité , de quelle impudence n'est-elle pas
capable? « Défendons-leur avec mes traces ». Que dites-vous? Vous croyez, par des
menaces, pouvoir arrêter la prédication de la vérité? Les commencements sont
toujours pénibles et difficiles. Vous avez tué le Maître et, vous n'avez rien
empêché; et maintenant vous espérez nous détourner par des menaces? L'emprisonnement
n'a pas intimidé notre voix, et vous l'intimiderez, vous que nous ne comptons pour rien
avec toutes vos menaces ? « Jugez devant Dieu s'il est juste de vous obéir plutôt qu'à
Dieu ». Ici il dit Dieu pour Jésus-
4. Ensuite ils affirment la résurrection par ce qu'ils ajoutent : « Pour nous, nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu ».C'est-à-dire : Nous sommes des témoins dignes de foi, et vous qui nous menacez, vous nous menacez encore en vain. Au lieu de se convertir à la vue d'un miracle pour lequel le. peuple glorifiait Dieu , ils lancent des menaces de mort. C'était faire la guerre à Dieu lui-même. Après les avoir menacés, ils les renvoyèrent. Les apôtres n'en furent que plus illustres et plus glorieux. « Ma puissance », est-il écrit, « se montre tout entière dans la faiblesse ». Ils avaient montré qu'ils étaient préparés à tout événement. Qu'est-ce à dire : « Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu ? » C'est-à-dire: Si ce que nous disons est faux, reprenez-nous ; si c'est la vérité , pourquoi voulez-vous nous fermer la bouche ? Voyez ce que peut la sagesse. Les Juifs sont dans l'embarras, les apôtres dans la joie; ceux-là sont couverts de confusion, ceux-ci agissent en tout avec franchise;. ceux-là sont dans la crainte, ceux-ci dans la confiance. Quels étaient, dites-moi, ceux qui craignaient, de ceux qui disaient : « De peur que cette doctrine ne se répande dans le peuple », ou de ceux qui disaient : « Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu? » La joie, la franchise, l'allégresse, tels sont les sentiments des apôtres, et ceux des prêtres juifs sont le découragement, la honte et la crainte; ils redoutaient le peuple. Ceux-là disaient ouvertement ce qu'ils voulaient, ceux-ci ne faisaient pas ce qu'ils voulaient. Quels étaient ceux qui étaient dans les liens et les périls? N'était-ce pas surtout ceux-là?
Attachons-nous donc à la vertu. Faites en
sorte que nous ne parlions pas seulement pour votre: plaisir et votre consolation. Ce
n'est pas ici un théâtre, mon cher frère, où l'on vient voir des comédiens ou
entendre des musiciens, où le fruit qu'on retire s'arrête à un plaisir qui ne dure
qu'un jour. Et encore, plût à Dieu que ce plaisir fût seul, et qu'il ne fût pas
accompagné d'un dommage ! Mais ce lieu-là, on ne le quitte pas sans remporter chez
soi quelque chose des ordures qui s'y débitent. Le jeune homme remporte dans sa mémoire
tout ce qu'il peut retenir des mélodies et des chants sataniques qu'il y a entendus, et
constamment il les répète à la maison. Le vieillard, un peu moins léger, ne fredonne
pas les airs, mais il redit les paroles qu'il a entendues. Mais d'ici, vous sortez sans
rien remporter. Quelle honte, mes frères! Nous avons porté une loi, ou pour mieux dire,
ce n'est pas nous qui l'avons portée, non : « N'appelez personne votre maître sur la
terre », dit le Sauveur. (Matth. XXIII, 8.) Le
Mais maintenant c'est sur le jurement que nous sommes obligé de parler. Nous faisons comme un maître de philosophie qui se verrait contraint de remettre ses élèves à l'étude des syllabes et de l'alphabet. Songez combien serait ridicule un homme qui, portant une longue barbe, un bâton et une robe de philosophe, irait à l'école avec des enfants et étudierait les mêmes choses qu'eux. Eh bien ! notre conduite n'est pas moins singulière. Car la différence est moindre entre la philosophie et l'alphabet qu'entre le christianisme et le judaïsme. De l'un à l'autre, il y a la même distance qu'entre l'ange et l'homme. Si quelqu'un, dites-moi, faisant descendre un ange du ciel l'invitait à demeurer ici pour entendre nos discours comme devant en profiter pour mieux régler sa conduite , ne ferait-il pas une chose ridicule ? Que s'il est déjà ridicule d'avoir encore besoin de tels enseignements, que sera-ce que de n'y être même pas attentif? Quelle honte ! Quelle damnation ! Et comment ne serait-ce pas une honte pour des chrétiens d'avoir encore besoin qu'on leur apprenne qu'il ne faut pas jurer? Corrigeons-nous donc afin que nous cessions d'être dignes de risée. C'est donc à la loi ancienne que nous allons emprunter notre enseignement. Et que dit-elle ? « N'accoutumez point votre bouche au jurement, ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint ». Pourquoi? « Parce que, comme un esclave qu'on met sans cesse à la torture en porte toujours la marque , ainsi en est-il de tout homme qui jure ». (Eccli. XIII, 9, 11.)
5.Voyez la
prudence du Sage. Il ne dit pas: , n'accoutumez point votre
pensée, mais: « votre bouche »; il savait que la bouche est tout dans ce péché qui se
corrige aisément. C'est une pure habitude qui fait agir sans réflexion; telle que celle
qu'ont beaucoup de personnes qui , allant au bain, se signent
en entrant. C'est un geste que la main sait faire d'elle-même, sans que la volonté y ait
aucune part. Une autre fois, c'est encore la main qui, au moment où une lampe s'allume , et pendant que l'esprit est ailleurs, fait le signe de la
croix. Il en est ainsi de la bouche qui jure elle n'agit point avec le consentement de
l'âme, mais par habitude, et tout est dans la langue. « Ne vous familiarisez pas avec le
nom du Saint; parce que, comme un esclave qu'on met sans cesse à la torture , en porte
toujours les marques; ainsi en est-il de tout homme qui jure». Ce n'est point le parjure,
mais le jurement qui est ici défendu et menacé d'un châtiment. Donc, c'est un péché
de jurer. L'âme de celui qui a l'habitude de jurer est en effet telle que ce serviteur
mis tous les jours à la torture, elle est couverte d'autant de plaies et de
meurtrissures. Mais je ne vois pas cela, dites-vous. C'est précisément ce qu'il y
a de terrible que vous ne le voyiez pas. Vous pourriez le voir, si vous vouliez. Dieu vous
a pour cela donné des yeux. C'était avec ces yeux-là que voyait le prophète lorsqu'il
disait « Mes plaies se sont pourries et corrompues, à cause de ma folie ». (Ps. XXXVII,
5.) Nous avons méprisé Dieu, nous avons haï le nom divin, nous avons foulé aux pieds
le
35
Pourquoi ces faits miraculeux qui
éclataient du temps des apôtres et dont nous sommes privés, aujourd'hui ? Cependant
c'est toujours le même Dieu, le même nom ; et les effets ne sont pas les mêmes.
Pourquoi cela? Parce que les apôtres ne l'appelaient qu'à propos de leur prédication.
Mais nous l'appelons pour des choses toutes différentes. Si c'est parce qu'on ne vous
croit pas que vous jurez, dites simplement : « Croyez-moi » ; ou, si vous voulez,
jurez par vous-même. Je ne dis pas cela, à Dieu ne plaise ! pour faire une loi
opposée à celle du
N'avez-vous pas honte d'être encore
régis par les mêmes lois qui servaient à conduire ces hommes faibles? Lorsque
j'entreprends de convertir un païen, je commence par lui faire connaître Jésus-
Traduit par M. JEANNIN.