HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APOTRES (1).
HOMÉLIE I. J'AI ÉCRIT UN PREMIER LIVRE, Ô THÉOPHILE, DE TOUT CE QUE JÉSUS A FAIT
ET ENSEIGNÉ DEPUIS LE COMMENCEMENT, JUSQU'AU JOUR OU IL MONTA AU CIEL, INSTRUISANT PAR LE
SAINT-ESPRIT LES APÔTRES QU'IL AVAIT CHOISIS. (CHAP. I, 1, 2.)
ANALYSE.
1. Saint Chrysostome annonce qu'il va expliquer le
Livre des Actes, parce que ce Livre est peu connu, quoiqu'il renferme d'admirables
instructions.
2. Il fait ensuite ressortir la modestie de saint Luc qui, parlant
de son Evangile, l'appelle seulement un Livre, et il montre qu'on doit avoir toute
confiance en un écrivain, témoin des faits qu'il raconte.
3. L'orateur entre ensuite dans l'explication détaillée des
premiers versets, et observe que les apôtres ont eu soin de prouver principalement la
résurrection du Sauveur, parce que ce point étant bien établi, il était facile d'en
faire découler sa divinité.
4. Si Jésus-Christ voulut que les apôtres
attendissent, à Jérusalem, la venue de l'Esprit-Saint, ce fut pour qu'ils ne
s'élançassent pas au combat à demi-armés, et pour qu'ils
donnassent à leurs concitoyens les prémices de leur mission.
5. L'Esprit-Saint lui-même ne descendit sur les apôtres que dix
jours après l'Ascension, afin qu'ils se préparassent mieux à le recevoir comme Esprit
de consolation.
6. Et saint Chrysostome infère de ce titre la
divinité du Saint-Esprit, autrement il n'eût pu les consoler de l'absence du Fils de
Dieu.
7 et 8. Et à l'occasion de ces paroles : Vous serez baptisés
dans l'Esprit-Saint, il s'élève vivement contre la pernicieuse coutume de ne recevoir le
baptême qu'à la dernière extrémité, et réfute les vains prétextes dont on colorait
cette négligence.
1. Plusieurs ignorent l'existence même du
livre des Actes, ainsi que le nom de son auteur. J'ai donc cru utile d'en entreprendre
l'explication pour remédier à cette profonde ignorance, et vous révéler le riche
trésor que ce livre renferme. Sa lecture ne nous sera pas moins avantageuse que celle de
l'Evangile lui-
même, tant il abonde en maximes de
sagesse, en vérités dogmatiques et en récit de miracles, principalement de ceux que
l'Esprit-Saint a opérés. Il mérite ainsi d'être lu avec attention et d'être commenté
avec soin. Nous y voyons en effet l'accomplissement des prédictions que Jésus-Christ a
faites dans son Evangile ; la vérité y brille de toutes les clartés de (588)
l'histoire, et, après la descente du Saint-Esprit, les apôtres y paraissent des hommes
tout nouveaux. Jésus-Christ leur avait dit : « Celui qui croira en .moi fera les oeuvres
que je fais et en fera de plus grandes ». Il leur avait également prédit qu'ils
seraient conduits devant les magistrats et les rois, flagellés dans les synagogues et
exposés à mille cruels traitements. Mais il leur avait promis qu'ils sortiraient
victorieux de toutes ces épreuves, et il avait annoncé que son Evangile serait prêché
dans le monde entier. Eh bien ! le livre des Actes nous raconte
le parfait accomplissement de ces diverses prédictions et de plu sieurs autres que les
apôtres avaient recueillies de la bouche de Jésus-Christ. (Jean, XIV, 12; Matth. X, 18.)
Vous y verrez les apôtres parcourir d'un
vol rapide les continents et les mers, et de timides et grossiers qu'ils étaient
naguère, devenir soudain des hommes nouveaux. Ils méprisent les richesses et la gloire,
et ils se montrent supérieurs à la colère, à la volupté et à~toutes les autres
passions. Vous les verrez encore s'aimer comme des frères, étouffer tout souvenir de
leurs anciennes rivalités et bannir tout désir comme toute dispute de prééminence.
Mais surtout vous admirerez en eux le radieux épanouissement de la charité ; car ils
cultivent avec un soin tout particulier cette vertu que Jésus-Christ leur avait tant
recommandée, et dont il avait dit : « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si
vous vous aimez les uns les autres ». (Jean, XIII, 35.) Quant aux vérités
dogmatiques, ce livre en renferme un certain nombre que sans lui nous ne connaîtrions que
très-imparfaitement; et l'on peut dire en général qu'il
éclaire d'un jour tout nouveau la vie, les exemples et la doctrine de Jésus-Christ, qui
est le chef de tous les chrétiens.
Toutefois, la plus grande partie des Actes
contient le récit des travaux de saint Paul, qui a plus travaillé que 'tous les autres
apôtres; et la raison en est que l'auteur de ce livre est saint Luc, son disciple. Au
reste, la fidélité de ce disciple à ne pas abandonner son maître est, entre mille
preuves de sa haute vertu, une des plus éclatantes. C'est le témoignage que lui rend
saint Paul,'lorsqu'il écrit à Timothée Démas et Hermogène m'ont quitté pour aller, l'un en Galatie et l'autre en
Dalmatie, et « Luc est seul avec moi ». (II Tim. IV,
11.) Dans la seconde épître aux Corinthiens, il dit de lui que « son éloge se trouve,
à cause de l'Evangile, dans toutes les églises » (II Cor. VIII, 18) ; et dans sa
première épître aux mêmes Corinthiens, il avait déjà dit: « Jésus-Christ apparut
à Pierre et ensuite aux onze, selon l'Évangile que vous avez reçu ». (I Cor. XV,
5, 1.) Or cet évangile est celui de saint Luc. Mais si Jésus-Christ a inspiré le
premier ouvrage, il n'est pas moins évident qu'il a aussi inspiré le second. Et si l'on
me demande pourquoi saint Luc, qui est resté auprès de l'apôtre jusqu'à son martyre,
n'a pas prolongé son récit jusqu'à ce moment, je répondrai que le livre des Actes, tel
que nous le possédons, remplit parfaitement le but de l'écrivain. Car les évangélistes
ne se sont proposé que d'écrire le plus essentiel; et ils ont
si peu ambitionné la gloire de beaucoup écrire, qu'ils nous ont laissé un grand nombre
de traditions orales.
Toutes choses sont donc admirables en ce livre , mais principalement le langage simple et familier avec lequel
les apôtres, sous la direction du Saint-Esprit, expliquent la divine économie de notre
salut. Il faut observer aussi que, dans les questions élevées qui se rattachent à
Jésus-Christ, ils ont peu parlé de sa divinité et se sont longuement étendus sur son
humanité, sa passion, sa résurrection et son ascension. Car l'important, alors, était
d'établir ces points de notre foi; en sorte que l'on crût en Jésus-Christ ressuscité
et monté aux cieux. Nous voyons dans l'Évangile que le divin Sauveur se préoccupe
surtout de prouver qu'il a été envoyé par le Père; et dans le livre des Actes, il
insiste spécialement sur ces trois faits .. qu'il est ressuscité, qu'il est monté au ciel, et qu'il est revenu
vers celui qui l'avait envoyé. Ce dernier article était celui qu'il fallait proposer le
premier; autrement les dogmes de la résurrection et de l'ascension n'eussent rendu
l'ensemble de la foi que plus incompréhensible aux Juifs. C'est pourquoi on les initie
peu à peu et comme insensiblement aux plus sublimes vérités du christianisme. Aussi
l'apôtre, annonçant Jésus-Christ dans Athènes, ne parle-t-il que de son humanité. Et
c'était prudence de sa part; car lorsque le Christ lui-même révélait aux Juifs son
égalité de nature avec Dieu le Père, ils le traitaient de blasphémateur et voulurent
plusieurs fois le lapider; mais comment eussent-ils, après le supplice du calvaire,
accueilli ce même (559) langage dans la bouche de pauvres pêcheurs?
2. Et pourquoi parler des Juifs, quand les
apôtres eux-mêmes se troublaient et s'offensaient de la doctrine sublime que Jésus-Christ
leur développait? Aussi leur disait-il : « J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais
vous ne pouvez les porter à présent ». (Jean, XVI, 12.) Si tels étaient les apôtres
qui avaient vécu plusieurs années avec lui; qui avaient vu ses miracles et qui avaient
connu les secrets du royaume des cieux, des hommes tout récemment arrachés aux autels et
aux sacrifices de l'idolâtrie, détrompés du culte des chats et des crocodiles, et
éclairés à peine sur lés erreurs du paganisme ,
pouvaient-ils soudain comprendre les sublimes mystères de la foi? Quant aux Juifs, qui
chaque jour répétaient ce précepte de la loi mosaïque : « Ecoute, Israël, le
Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur, et il n'y a point d'autre Dieu que lui» (Deut. VI, 4), qui avaient vu Jésus-Christ attaché à la croix, qui
l'avaient eux-mêmes crucifié et mis dans le tombeau, et qui ne l'avaient point vu
ressuscité; s'ils eussent entendu tout d'abord proclamer que ce même Jésus était Dieu
et égal à Dieu le Père, ils se seraient récriés contre cette doctrine et se fussent
retirés. C'est pourquoi les apôtres ne leur révèlent que par degré la sublimité de
nos dogmes, et se proportionnent à leur faiblesse. Remplis eux-mêmes de la plénitude de
l'Esprit-Saint, ils opèrent des miracles plus grands que ceux dé Jésus-Christ; et ils
les opèrent en témoignage de sa résurrection, et pour guérir ces infortunés
paralytiques.
Ainsi saint Luc se propose, dans le livre
des Actes, de prouver la résurrection de Jésus-Christ, parce que ce point gagné, tout
le reste suit facilement; c'est le but de son livre, et comme le sommaire de tout son
récit. Au reste, en voici la préface : «J'ai écrit un premier livre, ô Théophile, de
tout ce que Jésus a a fait et enseigné ». Pourquoi rappeler
son Evangile? Afin de montrer sa scrupuleuse véracité. Car au commencement de son
Evangile, il a dit : « J'ai cru qu'après avoir été exactement informé de toutes
choses, depuis leur commencement, je devais en écrire l'histoire avec ordre ». Bien
plus, peu content de ses propres recherchés, il s'en réfère au témoignage des
apôtres, et continue ainsi : « Comme nous les ont racontées ceux qui dès le
commencement les ont vues, et qui ont été les ministres de la parole ». (Luc, I,1, 3.) Mais parce que, dans ce premier ouvrage, il s'est gagné la
confiance de ses lecteurs, il n'a pas besoin dans celui-ci dé recourir à de nouveaux
témoignages; Car Théophile est déjà persuadé, et de plus le livre lui-même porte
tous les caractères d'une scrupuleuse véracité. Et en effet, nous ajoutons foi aux
récits de saint Luc, quand il nous raconte ce que d'autres lui ont appris; mais ne
devons-nous pas le croire plus encore, quand il écrit, non d'après les récits qui lui
ont été, faits, mais d'après ce qu'il a vu et entendu lui-même? Aussi semble-t-il nous
dire que si nous avons reçu son témoignage sur la vie de Jésus-Christ, nous ne saurions
le récuser sur les apôtres. Mais quoi! le livre des Actes
est-il purement historique, et ne renferme-t-il aucun sens spirituel? Nullement; et en
voici la raison. C'est que les apôtres, qui avaient rapporté à saint Luc les actions du
divin Sauveur, qui en avaient été les témoins, et qui avaient été les ministres de la
parole, étaient eux-mêmes remplis de l'Esprit-Saint. Et pourquoi ne dit-il pas : comme
nous ont rapporté les choses ceux qui avaient mérité de recevoir l'Esprit-Saint, mais.
« qui les ont vues eux-mêmes dès le commencement? » Parce
qu'un témoin oculaire inspiré toujours une plus grande
confiance. D'ailleurs, un autre langage eût peut-être paru vain et orgueilleux à des
esprits prévenus ou bornés.
C'est ainsi que le Précurseur disait aux
Juifs « Je l'ai vu, et j'ai rendu témoignage qu'il est Fils de Dieu » (Jean, I, 34), et
que le Sauveur lui-même éclairait par les paroles suivantes l'ignorance de Nicodème :
« Ce que nous savons, nous le disons, et ce que nous avons vu, nous le témoignons, mais
personne ne reçoit notre témoignage ». (Jean, III, 11.) C'est encore à ce même
témoignage des yeux que Jésus-Christ faisait allusion, quand il disait à ses apôtres :
« Vous me rendrez témoignage, parce que vous avez été avec moi dès le commencement
». (Jean, XV, 27.) Enfin les apôtres eux-mêmes tiennent souvent ce langage : « Nous en
sommes tous témoins, ainsi que l'Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui croient en
lui ». (Act. II, 32.) Et saint Pierre, pour attester
pleinement le fait de la résurrection de Jésus-Christ, dit : « Nous avons mangé et bu
avec lui ». (Act. X, 4l.) Mais si les Juifs admettaient ainsi
de (560) préférence le témoignage des apôtres qui avaient vécu avec le Sauveur, c'est
qu'ils ignoraient complètement la nature et. les opérations
de l'Esprit-Saint. Aussi saint Jean, pariant du sang et de l'eau qui découlèrent du
coté de Jésus, dit-il dans son évangile, qu'il l'a vu; et il donne ce témoignage comme
le plus certain de tous. Toutefois, l'inspiration de l'Esprit-Saint est pour tout autre
qu'un infidèle, bien supérieure au témoignage des yeux. Au reste, saint Luc avait, lui
aussi, reçu l'Esprit-Saint comme l'attestent les prodiges qu'opéraient alors tous les
fidèles auxquels l'Esprit-Saint se communiquait indistinctement. Nous en avons encore une
seconde preuve dans l'éloge que lui donne saint Paul, et dans la charge honorable que les
églises lui avaient confiée. « Nous vous avons envoyé avec Tite », écrit-il aux
Corinthiens, « un de nos frères dont l'éloge se trouve à cause de l'Evangile dans
toutes les églises, et qui de plus a été choisi par ces églises pour nous accompagner
dans nos voyages et prendre part au soin que nous avons de procurer cette assistance à
nos frères ». (Il Cor. VIII, 18, 19.)
3. Et maintenant, admirons tout d'abord la
modestie et l'humilité de cet auteur. Il ne dit point: J'ai écrit un premier évangile,
mais « un premier livre », jugeant ce mot, évangile, trop beau pour son ouvrage; et
cependant l'apôtre assure que « son éloge se trouve, à cause de cet évangile, dans
toutes les églises ». Il s'exprime donc avec cette exquise modestie: « J'ai écrit un
premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné». Et pour mieux
préciser l'époque qu'embrasse sa narration, il ajoute: « Depuis le commencement
jusqu'au jour où il monta au ciel ». Mais l'évangéliste saint Jean nous déclare
formellement qu'on ne saurait écrire toutes les actions et toutes les paroles de Jésus-Christ.
« Si elles étaient rapportées en détail », dit-il, « je ne crois pas que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites ». (Jean, XXI,
25.) Comment donc saint Luc dit-il qu'il a écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et
enseigné? Il suffit d'observer qu'il ne dit pas: J'ai écrit tout ce que Jésus a fait et
enseigné , il dit seulement: « J'ai écrit un livre de tout
ce que Jésus a fait et enseigné », c'est-à-dire, comme un abrégé qui comprend ce que
ses miracles , ses paroles et ses actes nous offrent de plus essentiel et de plus
important.
Remarquons ensuite combien est humaine et
apostolique l'âme de saint Luc. Il entreprit cette oeuvre pénible et difficile, la
rédaction de son évangile, pour le salut d'un seul homme, « pour vous faire connaître
», dit-il, « la vérité « dès choses qu'on vous a enseignées ». (Luc, I, 4.) C'est
qu'il avait médité cette parole du Sauveur Jésus : « Ce n'est pas la volonté de mon
Père qu'un seul de ces petits périsse ». (Matth. XVIII,
14.) Mais pourquoi, au lieu de ne faire qu'un seul livre ,
adressé a un seul et même lecteur , a-t-il voulu diviser l'ouvrage en deux parties ?
C'est d'abord calcul de prudence , pour ne pas trop fatiguer
son lecteur, et puis C'est que les deux récits sont bien différents.
Mais , avant de
poursuivre ce sujet, je veux vous faire observer comment Jésus-Christ lui-même a soin
d'appuyer ses paroles de l'autorité de ses exemples; il exhorte ses disciples à la
douceur, et il leur dit: « Apprenez de moi « que je suis. doux
et humble de cur ». (Matth. XI, 29 .) Il enseignait la pauvreté, et il la pratiquait si sévèrement
qu-il pouvait dire: « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ». (Matth. VIII, 20.) Il pria sur la croix pour ses bourreaux, et
accomplit ainsi cette parole: « A celui qui veut disputer en jugement avec vous, et
vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau». (Matth.
V , 40.) Mais il a donné plus que ses vêtements
, puisqu'il a donné tout son sang. C'est cette même règle de conduite qu'il a
prescrite à ses disciples; aussi l'apôtre disait-il aux Philippiens
: « Conduisez-vous selon le modèle que vous avez vu en nous ». (Philip. III, 17.) Et en
effet, rien de plus froid qu'un docteur qui ne sait que discourir: il est moins un
philosophe qu'un comédien. Les apôtres out donc voulu agir avant que de parler; et
véritablement ils avaient d'autant moins besoin de parler, que leurs actions elles-mêmes
étaient fané éloquente prédication. On peut aussi, en ce même sens, appeler la
passion du Sauveur son oeuvre par excellence; car c'est en souffrant qu'il a réalisé
l'oeuvre admirable de son triomphe sur la mort, et assuré notre rédemption.
« Jusqu'au jour où,il
s'est élevé au ciel, instruisant, par le Saint-Esprit, les apôtres qu'il avait choisis
». « Les instruisant par le Saint-Esprit », c'est-à-dire, leur révélant une doctrine
toute spirituelle, et nullement humaine.
561
Cette parole peut encore s'entendre dans
ce sens qu'il leur enseignait ce que lui communiquait l'Esprit-Saint. Et c'est ainsi que
Jésus-Christ, parlant humblement de lui-même, disait:,« Je
chasse les démons par l'Esprit de Dieu ». (Matth. XII, 28.)
Et, en effet, l'Esprit-Saint opérait en lui comme dans son sanctuaire. Mais quelles
instructions donnait-il à ses apôtres? « Allez », leur disait-il, « enseignez toutes
les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; leur
enseignant à garder,tout ce que je vous ai confié ». (Matth. XXVIII, 19.) Combien est glorieuse cette mission des
apôtres, qui reçoivent l'ordre d'évangéliser l'univers, et dont les paroles seront remplies de l'Esprit-Saint ! Car c'est ce qu'indique
cette remarque de l'écrivain sacré : « Jésus les instruisait par l'Esprit-Saint » , c'est-à-dire, que les paroles qu'il leur adressait étaient
esprit et vie.
Or, saint Luc ne s'exprime ainsi que pour
concilier aux apôtres la pleine confiance de son lecteur, et pour exciter en celui-ci le
désir de connaître les secrets que Jésus-Christ leur a confiés. Et en effet, les
apôtres vont parler selon l'inspiration de l'Esprit-Saint, et ils nous révéleront les
préceptes qu'ils reçurent du Sauveur « jusqu'au jour où il fut élevé dans le ciel
». Saint Luc ne dit pas: Jusqu'au jour où le Christ monta dans le ciel, parce qu'il ne
parle encore de lui que comme homme. Sans doute Jésus-Christ., après sa résurrection,
avait donné plusieurs instructions à ses apôtres ; mais aucun des évangélistes n'a
écrit en détail et avec soin cette partie de sa vie. Saint Jean et saint Luc s'y
arrêtent; il est vrai , un peu plus que -les deux autres; et
néanmoins leur récit est loin d'être précis et complet, car ils se hâtaient vers un
autre but. Ce sont donc les apôtres qui , en nous rapportant
ce qu'ils avaient entendu, nous ont fait connaître les derniers enseignements de Jésus-Christ.
« Auxquels il se montra vivant ». Après avoir parlé de l'ascension de Jésus-Christ,
saint Luc mentionne sa résurrection; et parce qu'il avait dit: « Il fut élevé dans le
ciel » , il ajoute aussitôt qu' « il se montra vivant
à ses apôtres », afin de prévenir ce doute qu'il ne se serait élevé dans le ciel que
par un secours étranger. Car s'il s'est ressuscité lui-même ,
à plus forte raison a-t-il monté au ciel par sa propre vertu, puisque ce second miracle
est moins étonnant que le premier.
4. Voyez-vous donc quels dogmes sublimes
sont cachés sous cette simple parenthèse ! « Leur apparaissant durant quarante
jours ». C'est que Jésus-Christ ne vivait pas au milieu d'eux comme avant sa
résurrection. Aussi saint Luc ne dit-il pas : Leur apparaissant quarante jours, mais «
durant quarante jours»; car il se montrait et disparaissait successivement. Et pourquoi?
Parce qu'il voulait spiritualiser davantage leurs pensées, et rendre moins humain l'amour
qu'ils lui portaient. Cette conduite attestait encore de sa part une profonde sagesse ;
car elle disposait prudemment les apôtres à croire qu'il était ressuscité, et à
confesser qu'il était plus qu'un homme. Or, le dogme de la résurrection de Jésus-Christ
et celui de sa divinité semblaient se contredire ; car l'un s'appuyait sur des faits
humains, et l'autre sur des faits tout opposés. Et cependant tous deux ont été établis
en temps opportun.
Mais pourquoi Jésus-Christ ne s'est-il
montré qu'aux apôtres, et non à tous les Juifs? Parce que le plus grand nombre,
ignorant le mystère d'un Dieu homme, l'eussent pris pour un fantôme. Et en effet, si
d'abord les apôtres eux-mêmes furent troublés et demeurèrent incrédules, et s'ils ne
se rendirent qu'après avoir touché ses plaies; et après avoir mangé avec lui, quels
eussent été les sentiments de la multitude? C'est pourquoi Jésus-Christ voulut
confirmer par de nouveaux miracles celui de sa résurrection, mais ces miracles n'ont pas
eu seulement pour but de convaincre les apôtres, et ils sont encore pour nous tous une
preuve certaine de la résurrection de Jésus-Christ. Cette même conviction qu'ils
portèrent alors dans l'esprit de ceux qui en furent les témoins, se transmettra d'âge
en âge à tous ceux qui les croiront. De là ce dilemme dont nous poursuivons les
incrédules : Si Jésus-Christ n'est pas ressuscité, et s'il est encore mort, comment les
apôtres ont-ils fait des miracles, en son nom? Mais ils n'ont fait aucun miracle. Comment
donc le christianisme s'est-il établi ? Car son établissement est un fait qui tombe sous
les yeux et dont on ne peut ni contester, ni récuser la réalité.
Ainsi l'incrédule qui nie les miracles se
confond lui-même, car ce serait le plus grand de tous les miracles, que, sans miracle,
l'univers se soit converti à la voix de douze hommes pauvres et ignorants ; et en effet,
ces pêcheurs (562) n'ont point vaincu l'idolâtrie par l'argent, l'éloquence ou tout
autre moyen naturel. Il faut donc reconnaître forcément en eux une vertu divine puisque
leur couvre est au-dessus de toute force humaine. Jésus-Christ resta donc sur la terre
encore quarante jours après sa résurrection, et il se montra fréquemment à ses
apôtres, afin qu'ils pussent bien s'assurer de la vérité, et bien se convaincre qu'il
n'était point un fantôme; mais, à cette première preuve, il voulut en ajouter une
seconde, et, comme nous le dit saint Luc, « il mangea avec eux ». Aussi les apôtres
ont-ils toujours soin de citer ce fait comme un témoignage certain de sa résurrection.
« Nous avons mangé », disent-ils, « et nous avons bu avec lui ». (Act. X, 41.)
Mais quel était l'objet de ces
fréquentes apparitions ? Saint Luc nous l'apprend par ces mots : « Il leur apparaissait
et leur parlait du royaume de Dieu ». Les apôtres étaient découragés et troublés par
tout ce qui était arrivé ; et, en outre, Jésus-Christ allait les lancer sur de
terribles champs de bataille : il leur découvre donc l'avenir pour les fortifier, et «
leur commande de ne point quitter Jérusalem, mais d'y attendre la promesse du a Père ».
D'abord, dans le premier instant de leur crainte et de leur frayeur, il les avait amenés
dans la Galilée, afin qu'ils pussent écouter sa parole avec plus d'assurance et de
liberté; mais, après qu'ils eurent entendu cette parole, et joui de ses entretiens
pendant quarante jours, « il leur commanda de ne point quitter Jérusalem » ; et
pourquoi ? Le général retient ses soldats dans les rangs jusqu'à ce qu'ils soient
complètement armés, et il ne lance point sa cavalerie avant que chaque cheval n'ait
reçu son cavalier ; et ainsi Jésus-Christ ne veut point que ses apôtres affrontent le
combat sans avoir reçu l'Esprit-Saint, de peur qu'ils ne succombent sous la multitude de
leurs ennemis.
J'ajoute encore deux autres raisons : la
première, qu'un grand nombre de Juifs devaient croire dans Jérusalem, et la seconde,
pour qu'on ne dît pas qu'abandonnant leurs amis et leurs
concitoyens, ils allaient par orgueil prêcher l'Evangile à des peuples étrangers. C'est
'pourquoi ils annonceront d'abord la résurrection de Jésus-Christ à ces mêmes Juifs
qui l'ont mis à mort, qui l'ont crucifié et enseveli, et dans les lieux mêmes où ce déïcide a été commis. Disons aussi que rien ne frappa davantage
les païens ; car, voyant la conversion (le ceux mêmes qui avaient crucifié Jésus-Christ,
ils en conclurent la réalité de leur crime et la certitude des mystères de la croix et
de la résurrection. Enfin, Jésus-Christ veut en dernier lieu prévenir cette objection
que pouvaient lui faire les apôtres : Comment nous, qui sommes si peu nombreux et si
faibles, pourrons-nous vivre au milieu de cette foule d'hommes pervers et homicides? Mais
voyez comme le divin Sauveur aplanit d'avance et résout toutes les difficultés « en
leur commandant d'attendre la promesse du Père, que vous avez », dit-il, « entendue de
ma bouche ». Et quand est-ce qu'ils l'ont entendue? Lorsqu'il leur avait dit : « il vous
est avantageux que je m'en aille, car, si je ne m'en vais, l'Esprit consolateur ne viendra
pas en vous »; et encore : « Je prierai mon Père et il vous enverra un autre
Consolateur qui demeurera avec vous ». (Jean, XVI, 14, 16.)
5. Et maintenant pourquoi l'Esprit-Saint
ne fut-il pas donné en présence même de Jésus-Christ, ou du moins immédiatement
après son ascension. Car Jésus-Christ ne monta au ciel que le quarantième jour, et le
Saint-Esprit ne descendit sur les apôtres que le cinquantième; en outre, puisque
l'Esprit-Saint n'avait pas encore été donné, comment Jésus-Christ avait-il pu dire :
« Recevez l'Esprit-Saint ? » (Jean, XX, 22.) Je réponds à cette dernière objection
que, par cette parole, Jésus-Christ disposait et préparait ses apôtres à recevoir
l'Esprit-Saint. Car si le prophète Daniel trembla à la vue d'un ange, combien plus
l'approche d'une si grande grâce devait-elle troubler les apôtres ! On peut répondre
aussi que le Sauveur parlait de ce qui devait arriver, comme d'une chose déjà faite.
C'est ainsi qu'il avait dit à ces mêmes apôtres : « Foulez aux pieds les serpents et
les scorpions, et toute la puissance de l'ennemi». (Luc, X, 19.)
Mais pourquoi la descente du Saint-Esprit
n'eut-elle pas lieu immédiatement? C'est qu'il fallait que, par l'ardeur de leurs
désirs, les apôtres méritassent de la recevoir. De plus, l'Esprit-Saint ne descendit
sur eux que lorsque Jésus-Christ les eut quittés, car s'il fût venu pendant que le
divin Sauveur était au milieu d'eux, ils l'eussent beaucoup moins désiré; et il
différa même huit ou neuf jours après l'ascension, parce que rien ne nous porte plus à
Dieu que le sentiment du besoin. Ainsi Jean (563) le précurseur n'envoie ses disciples à
Jésus-Christ qu'au moment où sa captivité leur rendait ce secours nécessaire.
D'ailleurs, il convenait que notre nature prît d'abord possession du ciel, et qu'ainsi
fût accompli l'acte de notre réconciliation ; alors seulement la venue de l'Esprit-Saint
pouvait inonder les coeurs d'une joie pure. Et en effet, si Jésus-Christ eût attendu
pour se retirer la venue de l'Esprit-Saint, la
présence de celui-ci eût apporté aux apôtres moins de consolation, car ils étaient si
fortement attachés à leur divin Maître, qu'ils ne pouvaient s'en séparer qu'avec une
peine extrême. Aussi leur disait-il lui-même pour les consoler : « Il vous est
avantageux que je m'en aille ». (Jean, XVI, 17.) Il voulut donc retarder de quelques
jours l'envoi de l'Esprit-Saint, afin que, pénétrés et de douleur pour son absence et
du vif sentiment de leur faiblesse, ils éprouvassent, comme je l'ai dit, une joie pure et
parfaite.
Mais si l'Esprit-Saint était inférieur
au Fils, il n'eût pu être pour les apôtres une consolation suffisante; et comment
Jésus-Christ leur eût-il dit : « Il vous est avantageux que je m'en aille? » C'est pourquoi il était réservé à
ce divin Esprit clé répandre en eux les plus vives lumières de la science et de la
doctrine, afin qu'ils ne le crussent pas inférieur au Fils. Il n'était pas moins
nécessaire que Jésus-Christ leur commandât de rester à Jérusalem, en même temps
qu'il leur promettait de leur envoyer le Saint-Esprit. Autrement ils se fussent dispersés
après son ascension ; mais l'attente de ce divin Esprit fut comme un lien qui les retint
dans Jérusalem. Ainsi, Jésus-Christ commanda à ses apôtres « d'attendre la promesse
du Père , que vous avez », dit-il , « entendue de ma bouche.
Car Jean », ajouta-t-il, « a baptisé dans l'eau; mais vous serez baptisés dans le
Saint-Esprit sous peu de jours ». (Act. I, 5.) Le Sauveur
déclare ici quelle distance le sépare du précurseur; et ce n'est point obscurément,
comme quand il avait dit : « Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que
lui ». (Matth. XI, 11.) Mais il parle manifestement : « Jean
», dit-il, « a baptisé dans l'eau , mais vous serez
baptisés dans le Saint-Esprit ». Ainsi, il n'allègue donc plus l'autorité du
précurseur, et se contente de le nommer, rappelant ainsi les divers témoignages qu'il
lui a rendus. Il révèle ainsi à ses apôtres leur propre supériorité sur
Jean-Baptiste, parce qu'ils doivent être baptisés dans l'Esprit-Saint. Observez encore
que Jésus-Christ ne leur dit ras : Je vous baptiserai dans l'Esprit-Saint; mais : « Vous
serez baptisés ». Et cette parole est pour nous une leçon d'humilité : car il est
évident, par le témoignage même du précurseur, que c'était Jésus qui baptiserait. «
Il vous baptisera », avait-il dit, « dans le Saint-Esprit et dans le feu ». (Luc, III,
16.) Aussi, le Sauveur se contente-t-il de nommer saint Jean.
L'Evangile
nous raconte donc les actions et les discours de Jésus-Christ, et les Actes des Apôtres
contiennent le récit des opérations diverses du Saint-Esprit. Sans doute, ce divin
Esprit n'avait point cessé d'agir, de même que le Christ continue encore sa puissante
action; mais il avait agi jusqu'alors par l'humanité sainte du Sauveur, en laquelle il
résidait, comme dans son sanctuaire, et maintenant il agit par ses apôtres. Il s'était
reposé dans le sein virginal de Marie, et y avait formé le corps du Sauveur Jésus, en
qui il habitait, comme dans son tempe; mais il descendit alors
sur les apôtres. il avait apparu autrefois sous la figure
d'une colombe , et dans ce jour il se montra sous celle de langues de feu. Pourquoi ces
symboles différents? Parce qu'au baptême de Jésus-Christ, il annonçait le règne de la
douceur, et qu'au jour de la Pentecôte, il prophétisait la sévérité de la vengeance.
Et c'est avec raison qu'on nous parle ici de jugement; car, si la miséricorde divine
surabonde seule dans la rémission des péchés, il est juste, quand une âme a reçu les
dons dé l'Esprit-Saint, examiner et d'apprécier l'usage qu'elle en fait.
Mais comment Jésus-Christ a-t-il pu
dire : « Vous serez baptisés » , puisqu'il n'y avait
point d'eau dans le cénacle? C'est que l'Esprit-Saint supplée à l'élément de l'eau.
Et c'est ainsi qu'on dit de Jésus qu'il est Christ, quoiqu'il n'ait reçu aucune onction
d'huile, parce que l'Esprit-Saint s'est reposé en lui. Au reste, il est facile de prouver
que les apôtres ont également reçu le bapiême de l'eau,
mais antérieurement. La pratique aujourd'hui est d'administrer en même temps le baptême
et la confirmation, mais il n'en a pas été ainsi des apôtres, car ils furent d'abord
baptisés par Jean-Baptiste. Et ne nous en étonnons point, les publicains et les
courtisanes accouraient à son baptême, à plus forte raison ceux (564) qui devaient
être baptisés dans l'Esprit-Saint. Mais comme le Sauveur avait souvent entretenu ses
apôtres de la venue de l'Esprit-Saint, ils eussent pu penser qu'il s'en tiendrait encore
à une promesse qui ne se réaliserait jamais. C'est pourquoi il a soin d'ajouter que «
ce sera sous peu de jours ». Toutefois, il ne précise point le jour, afin d'exciter leur
vigilance; mais il le leur annonce comme proche, pour entretenir leur courage; et s'il ne
le leur fait point connaître plus explicitement, c'est qu'il veut qu'ils se tiennent
toujours prêts et disposés. A ce premier motif de confiance), la brièveté du retard,
il en ajoute un second, l'assurance « de la promesse qu'ils a ont entendue de sa bouche
n. Car ce n'est plus ici, semble-t-il leur dire, une simple parole, mais une promesse
solennelle. Quant à nous, ne nous étonnons point que Jésus-Christ nous cache le jour de
son dernier avènement, puisqu'il n'a point voulu révéler à ses apôtres le jour si
proche de la descente du Saint-Esprit. Et son silence à cet égard a eu pour but de les
maintenir dans une attente vive et inquiète.
6. Et en effet, la grâce, je ne saurais
trop le dire, la grâce ne se communique qu'aux âmes attentives et vigilantes. Aussi, le
prophète Elie dit-il à son disciple : « Si tu me vois, lorsque je serai enlevé, tu
auras ce que tu as demandé ». (IV Rois, II, 10.) Le Sauveur lui-même adressait
presque toujours cette question à ceux qui l'approchaient : Croyez-vous? car si nous ne désirons vivement le bienfait que nous sollicitons,
nous n'en apprécierons que faiblement le prix et l'importance. C'est ainsi encore que
saint Paul ne recouvra pas la vue sur-le-champ, mais il resta aveugle pendant trois jours;
et durant cet intervalle , la crainte le purifiait de ses
péchés, et le disposait à recevoir l'Esprit-Saint. L'ouvrier qui teint en pourpre, fait
subir aux étoffes une certaine préparation afin qu'elles retiennent mieux l'éclat de la
couleur. Et c'est ainsi que Dieu veut que d'abord notre âme se dispose par une active
vigilance à recevoir la plénitude de ses grâces. Il n'envoya donc point tout aussitôt
l'Esprit consolateur, et attendit jusqu'au jour de la Pentecôte.
Peut-être demanderez-vous pourquoi nous
ne conférons pas le baptême en ce jour, mais seulement à la fête de Pâques? La raison
en est que si la grâce du sacrement est la même
dans ces deux jours, le jeûne qui
précède le second y dispose mieux l'âme. Un second motif, non moins grave, se tire du
temps même de la Pentecôte. Quel est-il? Nos pères ont considéré le baptême comme un
frein puissant contre les passions, et une forte leçon de morale, en sorte qu'à
l'époque même des plaisirs, il puisse nous retenir dans les bornes de la tempérance
chrétienne. C'est pourquoi, lorsque nous devons nous nourrir de Jésus-Christ, et nous
asseoir à sa table sainte, nous évitons les moindres péchés, et nous nous préparons
à la communion par le jeûne, la prière et la vigilance. Celui que le prince nomme à
une charge importante, ne néglige rien de ce qu'exige sa nouvelle dignité; et l'argent,
le temps et les soins ne lui coûtent point pour se mettre à la hauteur de sa position.
Mais quels châtiments ne méritons-nous pas, nous qui nous approchons de la table sainte
avec tant de négligence, qui nous préparons si peu à recevoir cet aliment céleste, et
qui, après l'avoir reçu, sommes si tièdes et si lâches?
Mais si nous sommes lâches après la
communion, c'est qu'avant de nous y présenter, nous n'avons pas veillé sur nous-mêmes.
Aussi, en voit-on plusieurs retourner presque immédiatement à leur premier vomissement.
On dirait qu'ils n'ont été délivrés de leurs anciens péchés que pour tomber dans un
état plus grave encore, et se rendre dignes de plus rigoureux supplices. Et, en effet,
rien n'irrite plus le courroux du souverain Juge que cette coupable négligence après la
grâce d'une heureuse guérison. Aussi réalisent-ils à leur égard cette menace de
Jésus-Christ au paralytique : « Voilà que vous êtes guéri; ne péchez plus
désormais, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis ». (Jean, V, 14.) Le
Sauveur fit aussi la même prédiction aux Juifs, et leur annonça que leur ingratitude
serait punie des plus terribles châtiments. « Si je n'étais venu», dit-il, « et si je
ne leur eusse parlé, ils ne seraient pas coupables ». (Jean, XV, 22.) Le péché de
rechute est donc empreint d'une double et quadruple malice. Et
comment? Parce qu'après avoir reçu l'honneur de la régénération spirituelle, nous
devenons ingrats et pécheurs. Aussi le baptême n'est-il point pour nous un titre à un
châtiment moins sévère.
Observez, en effet, que ce sacrement
efface (565) tous les péchés, quelque graves qu'ils soient l'homicide ou l'adultère.
Oui, il n'est aucun péché, ni aucune impiété que le baptême ne puisse remettre, parce
que la grâce divine est pleine et entière. Supposons donc maintenant qu'après votre
baptême vous retombiez dans ces mêmes crimes, sans doute le pardon qui vous a été
précédemment accordé, n'est point révoqué, « car les dons de Dieu et sa grâce sont
sans repentir » (Rom. XI, 29); mais vous n'en mériterez pas moins, pour ces nouveaux
péchés, un même châtiment plus rigoureux que si les premiers ne vous eussent pas été
pardonnés. Car ici ce n'est plus un simple péché, mais un double et triple caractère
de malice. Au reste, l'apôtre nous apprend combien est grande la punition de ces
péchés. «Celui », dit-il, « qui viole la loi de Moïse, est mis à mort sans
miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins; songez donc combien mérite de
plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, profané le sang de
l'alliance, et outragé l'esprit. de la grâce ». (Hébr. X, 28, 29.)
Je crains que quelques-uns n'interprètent
mes paroles comme un conseil de différer leur baptême. Mais telle n'est point mon
intention, et je veux seulement exhorter ceux qui l'ont reçu à persévérer dans la
tempérance et la douceur chrétiennes. J'appréhende, me direz-vous, de ne pas conserver
l'innocence de mon baptême. Vous la conserverez en recevant ce sacrement dans de pieuses dispositions. Mais je ne le reçois point par un
effet de cette même appréhension. Eh quoi ! ne
craignez-vous pas de mourir sans baptême? Le Seigneur est miséricordieux, me
répondrez-vous. C'est pourquoi vous devez recevoir le baptême, car le Seigneur est bon
et secourable. Or, quand il est question d'agir sérieusement, vous oubliez cette bonté,
et quand il ne faut que différer selon vos désirs, vous vous en faites un prétexte et
un motif. Mais aujourd'hui le moment est favorable pour user de cette bonté, et plus nous
aurons fait ce qui dépend de nous, et plus aussi elle s'épanchera large et abondante.
Celui qui se confie à la miséricorde divine, obtiendra par la pénitence le pardon des
péchés commis après le baptême, mais celui qui veut raffiner sur cette même
miséricorde, s'expose, s'il meurt sans la grâce du baptême, à d'inévitables
supplices.
Et pourquoi hasarder ainsi votre salut?
Car il est impossible, oui, il est impossible, selon moi, que, bercé par de telles
espérances, vous fassiez quelque chose de vraiment grand et généreux. Que ne
bannissez-vous ces craintes chimériques? Et pourquoi attendre un avenir incertain? Ne
vaut-il pas mieux échanger la crainte contre l'activité et le travail qui vous rendront
devant Dieu grand et élevé? Est-ce que vous préféreriez la crainte au travail ? Mais
si l'on vous mettait dans une maison qui menace ruine et qu'on vous dît
: Attendez indolemment que la charpente tombe sur votre tête, car elle peut tomber comme
elle peut tenir encore, ou bien remuez-vous et passez dans un bâtiment plus sûr. Je vous
le demande, choisiriez-vous une indolence pleine de dangers, plutôt qu'un travail plein
de sécurité ? Eh bien ! agissez de même aujourd'hui, car
l'avenir est incertain et ressemble à une maison qui menace ruine; mais la réception du
baptême, quelque laborieuse qu'elle soit, nous préserve de tout danger.
7. Sans doute, fasse le ciel que nous ne
péchions point après notre baptême ! Mais si ce malheur nous arrivait, ne nous
décourageons pas, car le Seigneur est miséricordieux, et il nous facilite mille moyens
d'obtenir notre pardon. Au reste, de même que le chrétien qui pèche après son baptême
mérite d'être puni plus sévèrement que le catéchumène, ainsi ceux qui connaissent
les voies de la pénitence et ne veulent point les suivre, sont dignes de plus rigoureux
châtiments. Et en effet, autant est immense la bonté de notre Dieu, autant, si nous n'en
profitons point, s'accroîtront nos supplices. Que dis-tu, ô homme? Rempli de malice et
de misères, soudain tu es rentré en grâce avec ton Dieu, et par un don gratuit de sa
bonté, et non par tes propres efforts, tu as été élevé à l'honneur de partager son
héritage, et voilà que de nouveau tu retombes dans tes premiers désordres, quoique tu
n'ignores pas que tu en seras sévèrement puni. Cependant, ce même Dieu, loin de te
repousser, multiplie sous tes pas les voies de la pénitence et les moyens de recouvrer
son amitié; mais toi, tu ne veux te donner ni action, ni mouvement.
Comment mériter ton pardon? Et comment
échapper aux justes railleries des gentils qui traitent ta conduite de mensonge et
d'hypocrisie? Si votre religion, nous disent-ils, est la véritable, pourquoi un si grand
nombre négligent-ils de s'y faire initier? Certes, vos (566) mystères sont sublimes et
bien dignes d'être recherchés. Mais nul ne témoigne un sincère désir de se purifier
par le baptême, et chacun le renvoie même à ce moment suprême, qui est bien plus
l'heure de faire un testament que de demander l'initiation sacrée. Car celle-ci exige un
esprit sain et une âme sobre et vigilante. Ainsi parlent les gentils; et moi j'ajoute
que, dans l'état où vous demandez le baptême, vous ne voudriez pas faire un testament
de peur de donner prise à quelques chicanes. C'est pourquoi on a soin d'ajouter cette
clause à tout testament: Moi vivant, et jouissant de toutes mes facultés, j'écris les
présentes dispositions. Comment donc le catéchumène, qui n'a pas la conscience de ses
actions, pourra-t-il dignement recevoir le saint baptême ?
Mais si les lois interdisent à celui qui
ne possède point le plein usage de sa raison, de disposer de choses terrestres et de sa
propre fortune, quand il s'agit du royaume des cieux et de ses biens infinis, serez-vous
capable, affaibli par la maladie, de recevoir pleinement l'instruction chrétienne?
Comment pourrez,vous dire que vous êtes enseveli avec Jésus-Christ,
puisque vous êtes sur le point de quitter la vie? Que dis-je? les
paroles ne suffisent pas et la reconnaissance doit se manifester par les oeuvres. Mais
vous agissez comme celui qui se fait inscrire pour la milice lorsque la guerre est
terminée, ou comme l'athlète qui se dépouille de ses vêtements quand les spectateurs
quittent le cirque. Et en effet, le soldat ne revêt point son armure pour prendre
incontinent la fuite, mais il veut combattre l'ennemi et remporter la victoire. Au reste,
n'accusez point mes paroles d'être intempestives, parce que nous ne sommes plus au temps
du carême; car c'est pour moi une peine extrême que de vous voir observer si
scrupuleusement à cet égard les temps et les moments. L'eunuque dont il est parlé au
livre des Actes était en voyage, et toutefois il n'attendit pas une circonstance plus
favorable. Et le geôlier de la prison où l'apôtre était détenu, le voyant battu de
verges, chargé de fers et exposé à une longue captivité, se hâta de recevoir le
baptême. Mais ici, on ne peut alléguer ni les embarras du voyage, ni les rigueurs de la
prison, et l'on diffère jusqu'au dernier soupir.
8. Doutez-vous encore de la divinité de
Jésus-Christ? Eh bien ! sortez de ce lieu, n'écoutez plus la
parole sainte, et rasez votre nom de la liste des catéchumènes. Mais si vous croyez au Christ
Dieu et homme, et si vous êtes éclairé sur la religion, pourquoi ces retards, ces
délais et cette négligence? Je crains, dites-vous, de retomber dans le péché. Eh ! vous ne craignez pas un malheur plus grand encore, celui de quitter
la vie tout chargé du poids de vos iniquités. Car l'on est plus coupable de ne pas
recevoir la grâce qui nous est offerte, que d'échouer dans ses efforts pour la
conserver. Dites-moi , que répondrez-vous au Seigneur quand il vous demandera pourquoi
vous ne vous êtes pas approché du sacrement de la régénération, ou pourquoi vous n'en
avez pas entièrement rempli les engagements? Ici vous pourrez alléguer la difficulté
des commandements et des vertus ; mais il n'en est pas de même à l'égard du baptême,
puisqu'il est une grâce toute gratuite et un plein affranchissement.
Vous craignez de retomber dans le péché
c'est bon à dire après le baptême; et c'est alors en effet que vous devrez craindre de
perdre votre liberté. Mais aujourd'hui pourquoi craindre d'en recevoir le don gratuit? Eh
quoi! avant le baptême vous êtes pieux et fervent, et après
le baptême vous seriez tâche et négligent! Vous voulez attendre l'époque du carême.
Et pourquoi ? Ce temps est-il plus privilégié qu'un autre? Car ce ne fut pas au temps de
Pâques, mais dans un autre, que les apôtres reçurent cette grâce. Ces huit mille
hommes convertis par saint Pierre, le centurion Corneille, l'eunuque de la reine Candace
et une multitude d'autres, n'ont pas été baptisés dans les solennités pascales. C'est
pourquoi ne différons pas jusqu'à ce terme encore éloigné, de peur que, retardant
toujours, nous ne soyons surpris par la mort vides de ce bienfait et
privés de cette grâce. Ah! vous ne sauriez croire
combien je souffre lorsque, apprenant qu'un d'entre vous est mort sans baptême, je songe
aux épouvantables tourments et aux inévitables supplices de l'enfer ! Mais mon anxiété
n'est pas moins douloureuse quand j'en vois d'autres toucher à leurs derniers moments et
ne témoigner aucun désir du baptême.
Aussi comme les choses se passent alors
tout contrairement à la dignité de ce sacrement ! Car le baptême devrait toujours être
une occasion de joies pieuses, de réjouissances et de (567) fêtes, et voilà que
l'épouse du malade apprenant qu'on se hâte sur l'avis du médecin, se répand en larmes
et en soupirs, comme à l'approche d'un malheur. Bientôt, en effet, toute la ' maison
retentit de cris et de gémissements, et l'on dirait qu'un criminel condamné à mort est
conduit au supplice. Cependant le malade lui-même devient plus souffrant, et la
guérison, quand elle a lieu, augmente son anxiété et semble le frapper d'un coup
terrible. C'est que, ne s'étant point préparé au sacrement, il ne montre qu'une
honteuse faiblesse et fuit les luttes de la vertu. Voyez-vous donc quels artifices
déploie le démon, et combien il rend aux yeux dos païens notre foi risible et ridicule
! Mais si nous voulons nous soustraire à toutes ces dérisions, vivons selon les
préceptes du divin Sauveur. Or, il a institué le baptême non pour crue nous le
recevions à nos derniers moments, mais pour qu'après l'avoir reçu nous produisions des
fruits de vie. Et comment direz-vous à un mourant : Couvrez-vous de fruits? Et
cependant ne savez-vous pas que « les fruits de l'Esprit-Saint sont la charité, la joie
et la paix?» (Gal. V, 22.)
Mais hélas! tout
le contraire arrive. Une épouse verse des larmes quand elle devrait se réjouir; des
enfants sanglotent, quand ils devraient se livrer à la joie; et le malade lui-même,
déjà entouré des ombres de la mort, ne manifeste que trouble et qu'inquiétude; ce jour
devrait être pour lui un jour de fête, et il s'abandonne à un profond chagrin, parce
qu'il va laisser ses enfants orphelins, son épouse veuve et sa maison déserte. Est-ce
ainsi, je vous le demande, qu'on s'approche des saints mystères et que l'on s'asseoit à la table eucharistique? En vérité, ce n'est pas
supportable. Lorsque l'empereur adresse aux prisonniers 'des lettres de grâces, c'est un
sujet de joie et d'allégresse. Et quand, du haut des cieux, le Seigneur envoie son divin
Esprit et nous remet, non une dette pécuniaire, mais tous nos péchés, vous n'accueillez
cette grâce que par des pleurs et des gémissements. N'est-ce pas là une révoltante anomalie? Je ne dis pas
encore que l'eau baptismale n'est versée que sur un cadavre et qu'un sacrement est
profané, car le ministère du prêtre n'est pas ici en cause, et je n'attaque que
l'indifférence de quelques-uns. C'est pourquoi, je vous en conjure, élevez-vous
au-dessus de toutes ces difficultés et approchez-vous du baptême avec un saint
empressement. L'ardeur que nous aurons montrée sur la terre pour mener une vie
chrétienne, nous donnera l'assurance de parvenir un jour au bonheur céleste.
Puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
à qui soient la gloire et l'empire, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Haut du
document