ANA LYSE. Saint Jean
Ce premier discours d'un illustre
orateur n'est pas sans beautés ; mais il faut convenir qu'un excès d'humilité et de
modestie y jette de l'embarras, et empêche que le ton n'en soit assez ferme. Il a
dû être prononcé au commencement de l'année 386.
1. L'événement dont vous êtes les
témoins est-.:il véritable? ce qui
est arrivé est-il réellement arrivé, et n'est-ce pas l'illusion d'un songe qui nous
abuse? est-ce à présent la nuit qui règne? sommes-nous vraiment dans le jour? Sommes-nous tous réveillés? Eh !
qui croirait qu'en plein jour, tout le monde étant réveillé et de sang-froid, un jeune
homme obscur, et sans mérite ait été élevé à un aussi grand honneur? Il ne serait
pas étonnant que la nuit et le sommeil enfantassent de pareilles illusions. Souvent des
hommes estropiés, mutilés, manquant même du nécessaire, se sont figuré en dormant
qu'ils étaient beaux, bien faits, assis à la table des princes; mais ce n'était que
l'effet du sommeil, et l'imposture d'un songe. Car telle est la nature du songe; il
imagine des monstres et des prodiges, il se repaît de choses merveilleuses et
extraordinaires. Tout change avec le jour, et les choses paraissent alors ce qu'elles
sont.
Mais ce que vous voyez maintenant de vos propres yeux, et qui n'est que trop réel, est plus incroyable qu'un songe. Trop prévenu pour
1 Traduction de l'abbé Auger revue
et corrigée.
mes faibles talents, le peuple d'une
grande ville, un peuple aussi nombreux et aussi distingué, attend de moi un discours d'un
mérite supérieur. Cependant, quand je trouverais en moi-même des fleuves intarissables
d'éloquence, pourrais-je voir ce grand nombre de personnes accourues pour m'entendre,
sans que la crainte arrêtât le cours de mes paroles, et les fît
retourner vers leur source? Mais lorsque, loin de trouver en moi les torrents d'une riche
élocution, j'y trouve à peine de modiques ruisseaux, je devrais dire une source si
faible qu'elle ne donne que goutte à goutte, n'ai-je pas lieu d'appréhender que la
frayeur ne les tarisse et ne laisse entièrement à sec mon génie troublé, qu'enfin je
n'éprouve ce qui nous arrive tous les jours? Et que nous arrive-t-il? ce
que nous tenons dans la main, ce que nous serrons dans les doigts, nous échappe lorsque
nous sommes effrayés, parce que la peur qui relâche nos nerfs, ôte à notre corps toute
sa force. Je crains que mon esprit ne subisse le même sort, et que le peu de pensées
médiocres que j'ai recueillies avec (190) peine, ne s'évanouissent chassées par la
peur, et ne laissent mon imagination absolument dépourvue. Je vous prie donc tous,
princes et sujets, puisque vous avez causé mon embarras par votre empressement à venir
écouter un orateur novice, je vous supplie de m'inspirer de la confiance par la ferveur
de vos prières, de demander à Celui qui donne la parole pour annoncer avec force
l'Evangile (Ps. LXVII, 12), qu'il dirige ma langue, en ce jour où j'ouvre la bouche pour
la première fois (Ephés. VI, 19). Il vous est très-facile, à vous qui êtes en si grand nombre et qui avez un si
grand pouvoir auprès de Dieu, de rendre l'assurance à un jeune homme interdit; et il est
juste que vous vous prêtiez à mes demandes, puisque c'est à cause de vous que je me
suis hasardé de paraître sur un si grand théâtre. Oui, c'est ma charité pour vous,
sentiment irrésistible, tyrannique, qui m'a déterminé à parler en public, moi qui ai
si peu d'expérience pour la parole; c'est ce zèle ardent pour vos intérêts qui m'a
fait entrer dans cette lice d'instruction, moi qui jusqu'à ce jour, éloigné de ces
exercices, me suis tenu parmi les auditeurs, et me suis borné à un loisir tranquille.
Mais qui serait assez dur, assez insensible pour ne rien dire à une assemblée si
nombreuse? et quand on serait le moins éloquent des hommes,
pourrait-on ne pas entretenir cette foule de fidèles si avides de nous entendre ?
Ayant à parler pour la première fois
dans l'église, j'aurais voulu (1) offrir les prémices de mes discours au souverain Etre
de qui je tiens l'organe de la parole. Que pourrait-il, en effet, y avoir de plus
convenable? est-ce seulement de la vigne et de la moisson qu'on
doit à Dieu les prémices? n'est-ce pas beaucoup plus encore
des discours ; puisque ce fruit nous est plus propre, et qu'il est plus agréable au
Seigneur, à qui nous en faisons hommage? Les épis et les raisins sont enfantés par le
sein de la terre, nourris par les eaux du ciel, cultivés par les mains des hommes : une
hymne sainte est produite par la piété de l'âme, nourrie par une bonne conscience,
recueillie par Dieu dans les greniers célestes; et autant l'âme par sa nature est
supérieure à la terre, autant les productions de l'une sont préférables à celles de
l'autre Aussi un prophète, homme admirable (c'est
1 Saint Jean
Osée) , exhorte-t-il ceux qui ont
offensé le Seigneur, et qui veulent se le rendre propice, de prendre avec eux, non des
troupeaux de boeufs ni des mesures de farine, ni une tourterelle et une colombe, ni aucune
autre offrande semblable. Que veut-il donc qu'on prenne? Portez avec vous, dit-il, des
paroles. (Osée. XIV, 3.) Mais, dira-t-on, des paroles peuvent-elles former un
sacrifice ? Oui , assurément , et le sacrifice le plus noble,
le plus auguste, le plus excellent de tous. Qui nous en assure? celui
qui était le plus versé dans cette doctrine, le grand et généreux David. Ce prince,
rendant à Dieu des,actions de grâces pour une victoire qu'il
avait remportée sur ses ennemis, s'exprimait à peu près de la sorte : Je
célébrerai le nom de Dieu par des cantiques, je relèverai sa gloire par des louanges.
(Ps. LXVIII , 35.) Ensuite voulant montrer toute l'excellence
de ce sacrifice, il ajoute : Et ce sacrifice sera plus agréable au Seigneur que celui
d'un jeune taureau dont les cornes et les ongles commencent à pousser. J'aurais donc
voulu immoler aujourd'hui cette victime non sanglante, et offrir à Dieu ce sacrifice
spirituel.
Mais hélas ! un
sage me ferme la bouche et m'effraie en me, disant: La louange n'est point belle dans
la bouche du pécheur. (Ecclés. XV, 9.) Et comme dans les
couronnes il ne suffit pas que les fleurs soient pures, si la main qui les tresse ne l'est
aussi; de même dans les hymnes sacrées il ne suffit pas que les paroles soient saintes,
si l'âme qui les dispose ne l'est encore. Or, mon âme n'est point pure; souillée par le
péché, elle manque de la confiance nécessaire. A l'autorité du sage dont nous venons
de parler, ajoutons les paroles d'un législateur plus ancien, qui ferme aussi la bouche
aux pécheurs. Ecoutons David qui nous parlait tout à l'heure des sacrifices; c'est lui
qui a porté cette loi rigoureuse : Louez le Seigneur, dit-il, ô vous,
habitants des cieux, louez-le dans les lieux les plus élevés! (Ps. CXLVIII, 1) louez
le Seigneur, dit-il un peu plus bas, ô vous, habitants de la terre! Il invite
les créatures supérieures et inférieures, sensibles et intelligibles, visibles et
invisibles; il forme un seul choeur des unes et des autres, et les exhorte à célébrer
ensemble le Roi de l'univers ; mais il n'invite nulle part le pécheur, et il l'exclut
encore du concert universel dans cette circonstance.
2. Pour vous en fournir une, preuve plus
évidente, je vais vous lire le psaume même : Louez (191) le Seigneur, ô vous,
habitants des cieux ! louez-le dans les lieux les plus
élevés. Louez-le, vous tous qui êtes ses anges; louez-le, vous tous qui composez la
troupe des puissances célestes. Vous voyez, mes Frères, que les anges louent le
Seigneur, vous voyez les archanges, vous voyez les chérubins et les séraphins; car
voilà ce que renferme cette expression : la troupe des puissances célestes. Le pécheur
n'est nommé nulle part. Et comment, me direz-vous, pouvez-vous savoir ce qui se passe
dans le ciel? je vais donc vous faire descendre sur la terre,
et vous montrer la seconde partie du choeur dont le pécheur est pareillement exclu :
Louez le Seigneur, à vous, habitants de la terre, vous, dragons et poissons
monstrueux, vous, bêtes féroces et animaux de toute espèce, vous serpents qui rampez,
et vous oiseaux qui avez des ailes. Ce n'est pas sans raison que je m'arrête tout
court en prononçant ces mots; peu s'en faut que je ne verse des larmes amères, que je ne
pousse des cris lamentables. Quoi de plus triste ! je vous le demande. Les scorpions, les
serpents, les dragons, sont invités à glorifier Celui qui les a faits; le pécheur seul
est exclu de ce choeur sacré, et avec bien de la justice sans doute.
Le péché est une bête dangereuse et
cruelle, qui ne signale pas seulement sa malignité sur les hommes, mais qui répand le
venin de sa malice sur la gloire même du Roi suprême. C'est à cause de vous, dit
l'Ecriture, que mon nom est blasphémé parmi les nations. (Is.
LII, 5. Rom. II, 24.) Voilà pourquoi le Prophète chasse le pécheur de toutes les
contrées du monde, comme d'une patrie sacrée, et qu'il le relègue aux extrémités de
la terre. Un habile musicien, afin que son instrument soit d'accord, en retranche la corde
qui se trouve discordante, de peur qu'elle ne trouble l'harmonie des autres; un médecin
qui connaît son art coupe sagement un membre gangrené, de peur que la corruption ne se
communique aux membres sains: le Prophète agit de même, il retranche le pécheur de tout
le corps des créatures, comme un membre gangrené et, comme une corde discordante.
Que ferons-nous donc? il
faut absolument que nous gardions le silence, puisque nous sommes retranché et rejeté.
Mais garderons-nous un silence absolu? et personne ne nous
permettra-t-il de célébrer le Maître de tous les hommes ? sera-ce
en vain que nous aurons réclamé vos prières? sera-ce en vain
que nous aurons imploré votre médiation ? A Dieu ne plaise que ce soit en vain ! J'ai
trouvé une autre manière de glorifier le Seigneur, et je la dois à vos prières, qui,
au milieu de mon embarras, ont brillé à mes regards comme des éclairs dans
l'obscurité. Je louerai mes frères et mes semblables. Car je puis les louer, et la
gloire en reviendra tout entière au souverain Maître. Oui, le Seigneur est glorifié par
les louanges données aux hommes, comme Jésus-
3. Qui donc louerons-nous de nos frères
et de nos semblables? quel autre, sinon le docteur et le
maître de notre patrie, et par lui le Docteur et le Maître de toute la terre? car vous avez appris aux autres hommes à renoncer à la vie plutôt
qu'à la vertu, comme il vous a appris lui-même à combattre jusqu'à la mort pour la
vérité. Voulez-vous qu'avec ces victoires saintes nous tressions les couronnes de son
éloge? Je le voudrais, sans doute; mais je vois une mer immense d'actions illustres, et
je crains qu'ayant pénétré dans cet abîme, il ne me soit plus permis d'en sortir. Qui
pourrait, en effet, raconter les exploits anciens de notre pontife, ses courses, ses
voyages, ses veilles, ses soins et ses sollicitudes, ses combats, ses trophées et ses
victoires sans nombre, en un mot, cette longue suite de faits glorieux, auxquels non-seulement ma langue, mais aucune langue humaine ne pourrait atteindre , et qui demanderaient une voix apostolique, animée de cet
Esprit divin, seul capable de tout dire et de tout enseigner? Nous laisserons donc cette
partie de la vie de notre père commun, pour. passer à une
autre qui soit moins profonde, et que nous puissions en quelque sorte parcourir
légèrement avec une simple nacelle.
Parlons d'abord de sa tempérance; disons
comment il a triomphé de ses penchants, comment il a bravé les délices, comment il a
méprisé une table somptueuse, lui qui avait été nourri dans une maison opulente. Il
n'est pas étonnant que celui qui a vécu dans la pauvreté embrasse une vie dure et
austère : la pauvreté, compagne assidue de son pèlerinage, (192) lui rend chaque jour
le fardeau plus léger mais celui qui est possesseur de grandes richesses, ne s'arrachera
pas facilement à la satisfaction d'en jouir, et à tout cet essaim de passions qui
investissent son âme. Les ténèbres épaisses dont elles obscurcissent son esprit ne lui
permettent pas de lever les yeux au ciel, mais le forcent de les baisser vers la terre , et de ne soupirer que pour les choses de ce monde. Non, il
n'est pas de plus grand obstacle dans la voie qui conduit au ciel, que les richesses et
tous les vices qu'elles enfantent. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Jésus-
Ou plutôt il a considéré ses ancêtres,
non ceux qui lui étaient unis par les liens du sang, mais ceux auxquels il appartenait
par les sentiments de la vertu, et dont il a copié le caractère. Il a considéré le
patriarche Abraham, il a considéré le grand Moïse, qui, élevé à la cour d'un prince,
nourri à une table somptueuse, au milieu de toute la pompe et de tout le faste des
Egyptiens (et vous savez combien les Barbares sont fastueux et superbes), plein de mépris
pour toute cette grandeur, lui a préféré l'argile et la brique des infortunés
Israélites, et s'est mis au nombre des prisonniers et des esclaves, lui qui était roi et
fils de roi. Mais pour prix de son sacrifice, il a retrouvé beaucoup plus de splendeur
qu'il n'en avait abandonné volontairement. Après sa fuite, après sa servitude chez son
beau-père, après avoir essuyé une infinité de maux, dans un pays étranger, de retour
à la cour du roi, il est devenu le maître de ce prince, ou plutôt son Dieu : Je vous
ai établi, dit l'Ecriture, le Dieu de Pharaon. (Exod.
VII, 4.) Oui, il brillait avec plus d'éclat que le souverain de l'Egypte, sans être
orné du diadème, sans être revêtu de la pourpre, sans être traîné sur un char d'or,
sans être environné de tout le faste qu'il avait foulé aux pieds : La gloire de la
fille du roi, dit le Prophète, est toute au dedans d'elle-même. (Ps. XLIV, 15.)
Moïse revint donc à la cour de Pharaon, armé d'un sceptre par lequel il commandait non-seulement aux hommes, mais au ciel, à la terre, à la mer, à
la nature de l'air et des eaux, aux lacs, aux fontaines, aux fleuves. Tous les éléments
étaient dociles à ses ordres ; toutes les créatures devenaient entre ses mains tout ce
qu'il voulait, et comme un serviteur fidèle, elles obéissaient à l'ami de leur Maître
sur tous les points comme à leur Maître lui-même.
Formé sur ce grand modèle, notre pontife en a été une copie parfaite, et cela dès sa jeunesse, si jamais il a été jeune, ce que je ne puis croire, tant il a eu un esprit mûr dès le berceau. Mais lorsqu'il était jeune par le nombre des années, il s'est rempli d'une sagesse divine; et sachant que notre nature est comme un terrain sauvage, il a usé de la parole sainte comme d'une faux tranchante, pour couper sans peine toutes les passions de l'âme. Enfin il a présenté au Cultivateur suprême un champ bien nettoyé, propre à y jeter la semence qu'il a reçue, tout entière, bien avant, et non simplement à la surface; de sorte que sa vertu profondément enracinée n'a pu être ni desséchée par les rayons du soleil, ni étouffée par les pointes des épines. Tel est le soin qu'il prenait de son âme; quant à son corps, il réprimait les révoltes de la chair par les remèdes de la tempérance, leur donnant le jeûne pour frein comme à un cheval indocile, et ne cessant de contredire ses passions, qu'il ne les eût domptées par une rigueur salutaire que tempérait la sagesse ; il n'affligeait pas son corps jusqu'à le rendre inhabile aux divers emplois pour lesquels il voulait s'en servir; il ne permettait pas non plus qu'il prît trop d'embonpoint, de peur qu'étant trop bien traité, il ne se révoltât contre la raison chargée de tenir les rênes; mais il était occupé en même temps (193) et à le maintenir sain et à le rendre soumis.
Cette vigilance qu'il avait montrée
étant jeune, il ne s'en départit pas lorsqu'il fut plus avancé en âge ; il est
toujours aussi attentif à présent même qu'il est parvenu à la vieillesse comme à un
port tranquille. La jeunesse, mes très-chers frères,
ressemble à une mer furieuse dont les flots sont agités sans cesse par l'impétuosité
des vents; au lieu que la vieillesse, nous plaçant dans un port calme et paisible, à
l'abri des vents et des flots, nous fait jouir d'une douce paix, fruit de l'âge et de la
raison. Quoiqu'il jouisse à présent de cette tranquillité, et qu'il soit parvenu au
port, comme je l'ai dit, notre saint pontife n'est pas moins inquiet que ceux qui se
trouvent encore au milieu (d'une mer orageuse. Et cette crainte, il l'a prise du
bienheureux Paul, (lui, après avoir été ravi au troisième ciel, disait: Je crains
qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. (I Cor. IX, 27.)
C'est ainsi que notre père commun s'entretient dans une crainte continuelle pour être
continuellement à l'abri de tout danger. Toujours assis au gouvernail, il observe, non le
lever des astres, ni les écueils cachés ou visibles, mais les attaques violentes ou
insidieuses du démon, et les combats d'une raison superbe. Il fait sans cesse le tour de
son camp, pour que tous ceux qu'il renferme soient à l'abri du péril. Il ne veille pas
seulement à ce que le navire qu'il conduit ne soit pas submergé, mais il donne tous ses
soins pour qu'aucun des passagers ne soit troublé et inquiété dans sa route. C'est
grâce à sa sagesse que nous naviguons tous heureusement, et que nous voguons à pleines
voiles.
Lorsque nous avons perdu son illustre
prédécesseur qui l'avait élevé comme son fils, nous ressentions les plus vives
inquiétudes nous pleurions et nous gémissions, désespérant que ce siège fût jamais
occupé par un pontife qui lui ressemblât. Mais dès que son digne successeur parut, il
dissipa à l'instant toute nôtre tristesse, comme le soleil dissipe un nuage. Nos regrets
et notre douleur s'évanouirent si promptement, qu'il nous semblait que le saint
personnage qui nous avait gouvernés était sorti du tombeau et avait repris sa place sur
son siège.
Mais notre ardeur à célébrer les vertus
du père commun nous a fait passer insensiblement les bornes, non celles que nous
marquaient ses vertus, dont nous avons à peine esquissé le tableau, mais celles que
prescrivait notre jeunesse. Arrêtons-nous donc et terminons ici notre éloge. Il m'en
coûte d'abandonner un sujet aussi riche; j'ai regret de le quitter si promptement, et
tout mon désir serait de l'épuiser. Mais ne désirons pas ce qui est impossible; ne
poursuivons pas ce que nous ne saurions atteindre. Le peu que nous avons dit doit suffire
à l'empressement de ceux qui nous écoutent. Pour jouir d'un parfum précieux il n'est
pas nécessaire de répandre tout le vase qui le contient; si on y touche seulement de
l'extrémité du doigt, le peu qui en émane embaume les airs, et remplit tous les lieux
environnants d'une odeur suave. C'est ce qui nous arrive aujourd'hui, non par la force et
la beauté de nos discours, mais par l'excellence des vertus que nous célébrons.
Retirons-nous donc pour adresser nos
prières au ciel; conjurons le Seigneur de maintenir notre mère commune dans la paix et
la tranquillité, et de faire parvenir à la plus longue vie celui qui est à la fois
notre père, notre maître, notre pasteur, notre pontife. Si vous daignez aussi vous
occuper de nous, qui n'osons encore nous mettre au nombre des prêtres, parce qu'on ne
saurait compter des avortons parmi des êtres parfaits; mais enfin si vous daignez vous
occuper de moi comme d'un simple avorton (I Cor. XV, 8), demandez à Dieu qu'il nous
fortifie de sa grâce. Nous avions besoin de secours même auparavant, lorsqu'éloigné des affaires nous menions une vie privée; mais
depuis que nous sommes élevé au sacerdoce, soit par l'empressement des hommes, soit par
une faveur d'en-haut (je ne dis pas de quelle manière, et je
ne dispute point sur mon élection, de peur qu'on ne croie que je parle avec déguisement)
; depuis donc que nous sommes élevé au sacerdoce, depuis qu'on nous a imposé ce pesant
fardeau, nous avons besoin de beaucoup d'aide et de prières, afin de pouvoir remettre au
Seigneur tout le dépôt qu'il a mis entre nos mains, dans ce jour où ceux à qui on a
confié des talents paraîtront pour en rendre compte. Demandez donc au ciel que nous
soyons non de ceux qui seront liés et jetés dans les ténèbres, mais de ceux qui
pourront au moins obtenir quelque pardon, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-