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SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT.
SUR LE JUGEMENT DERNIER.

 

ANALYSE.

 

SUJET.  Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles, et sur la terre les peuples seront dans la consternation : de sorte que les hommes sécheront de peur, dans l'attente des maux dont tout l'univers sera menacé.

Signes vénérables, puisque c'est Jésus-Christ même qui nous les  a  marqués comme les présages de son dernier avènement. Signes salutaires, puisqu'il a prétendu par la réveiller notre foi et ranimer notre ferveur. Signes terribles, puisque les hommes en sécheront de peur. Mais ce ne seront, après tout, que les préparatifs d'une action encore infiniment plus à craindre, qui est le ni de Dieu, dont il s'agit dans ce discours de justifier l'équité et la sainteté.

Division. Dieu a tout fait, et pour lui-même, et pour ses élus. D'où saint Chrysostome conclut que, quand Dieu s'est déterminé à juger le monde, il a en deux vues principales: l'une, de se faire justice à lui-même; et l'autre de la faire à ses prédestinés. Jugement qui vengera Dieu des outrages qu'il a reçus du monde, 1ère partie ; jugement qui vengera les élus de Dieu des injustices que leur a faites le monde, 2e partie.

PREMIÈRE PARTIE. Jugement qui vengera Dieu. Levez-vous, Seigneur, lui disait le Prophète royal, et prenez en main votre cause. Mais souvenez-vous surtout des outrages que vous avez reçus et que vous recevez sans cesse de l'impie. Ainsi Dieu se souviendra, 1° en général des outrages que lui fout maintenant les hommes; 2° en particulier de ceux que lui font certains hommes insolents dans leur impiété.

1° Dieu se lèvera pour juger lui-même sa cause. Maintenant il la laisse entre les mains des hommes, et il les charge de défendre ses droits C'est pour cela qu'il a établi sur la terre des souverains, des magistrats, des supérieurs, des prélats, des prêtre. C'est par la même raison qu'il veut bien nous prendre pour juges entre lui et nous-mêmes : car la pénitence, dit saint Augustin, n'est rien autre chose, de la part du pécheur, qu'une justice qu'il rend à Dieu aux dépens de soi-même. Mais qu'arrive-t-il ? cette cause de Dieu, mise entre les mains des hommes, est tous les jours abandonnée et lâchement trahie. Combien de crimes, de scandales sont tolérés par la négligence, par la faiblesse, par l'iniquité de ceux qui les devraient punir. Dans le tribunal même de la pénitence, quelle facilité des ministres du Dieu vivant ! quelle délicatesse des pécheurs prétendus pénitents ! A peine nous reste-t-il des traces de ces anciens canons qui, pour des péchés aujourd'hui communs, exigeaient des satisfactions si rigoureuses. Ce n'est pas que Dieu se soit relâché de ses droits, mais c'est nous-mêmes qui nous sommes relâchés du saint zèle qui animait les premiers chrétiens, et qui devrait comme eux nous animer.

Or c'est en cette vue que David disait à Dieu : Levez-vous, Seigneur, et montrez aux hommes que, malgré vos lenteurs passées, vous savez enfin vous rendre à vous-même une pleine justice. Oui, il le sait, et il le fera dans son dernier jugement. De là vient que ce jour fatal est appelé le jour du Seigneur.

Aussi il n'appartient qu'à Dieu d'être, en dernier ressort et sans appel, juge et partie dans sa propre cause : pourquoi ? parce qu'il n'y a point, répond saint Chrysostome, de juge si éclairé que lui, si intègre que lui, si puissant que lui. Il se vengera, ajoute le même Père, parce qu'il ne convient qu'à lui d'être saint et irrépréhensible dans ses vengeances. Quand l'homme se venge, la passion l'aveugle et l'emporte à des extrémités criminelles. L'ordre veut donc que ce soit par un autre qu'il soit vengé. Mais c'est à Dieu de se venger lui-même, parce qu'il est l'équité et la sainteté même.

2° Quels sont en particulier ces outrages que Dieu aura reçus de l'impie, et dont il viendra se faire justice à lui-même? David les réduit il trois. 1° L'impie a dit dans son coeur : il n'y a point de Dieu : Dixit in corde suo : Non est Deus ; outrage à la Divinité. 2° Il a dit : S'il y a un Dieu, ou il n'a pas vu, ou il a oublié le mal que j'ai commis : Dixit in corde suo :Oblitus est Deus ; avertit faciem suam, ne vident : outrage à la Providence. 3° Il a dit : Quand ce Dieu dont on me menace aurait vu mon péché et qu'il s'en souviendrait, il ne nie condamnera pas pour si peu de chose : Dixit in corde suo : Non requiret : outragea la justice de Dieu vindicative. Trois articles capitaux sur lesquels Dieu confondra le pécheur libertin.

Parce que l'impie aura refusé de reconnaître la Divinité, Dieu se fera voir à lui dans tout l'éclat de sa gloire, et lui dira ce qu'il disait aux Israélites par la bouche de Moïse : Videte quod ego sim solus, et non sit alius prœter me : Reconnaissez que je mu   Dieu, que je suis votre Dieu, que je suis seul Dieu.

Parce que l'impie aura outragé la Providence, en disant : Ou Dieu n'a pas su, ou il a oublié le mal que j'ai fait ; Dieu, pour lui montrer qu'il a tout su, et qu'il se souvient do tout, révélera devant ses yeux, et aux yeux de l'univers, tout ce qu'il y a eu de plus  honteux et de plus caché dans sa vie.

Parce que l'impie aura dit : Quelque connaissance que Dieu puisse avoir de mes crimes, il ne me punira pas pour si peu de chose; Dieu se fera un devoir particulier de venger sa justice de ce blasphème : comment? en l'exerçant,cette justice redoutable, sur lu pécheur, et en le condamnant sans miséricorde.

La seule ressource qui vous reste maintenant, pécheurs, c'est la pénitence. Il vous en doit coûter pour la faire : mais par là vous vous préserverez du jugement de Dieu. Ce Dieu que vous avez outragé, ce Dieu de patience vous attend encore. Rapprochez-vous île lui par une humble confession de vos iniquités, et vous trouverez grâce devant lui.

Deuxième partie. Jugement qui vengera les élus de Dieu. Ces élus de Dieu, ce sont : 1° les justes; 2° les humbles; 3° les pauvres; 4° les faibles. S'il n'y avait point d'autre vie, dit saint Chrysostome, et que Dieu ne dût jamais juger le monde, leur condition serait bien à plaindre. Car souvent dans cette vie les Justes sont décriés et confondus avec les hypocrites; les humbles sont méprisés et insultés ; les pauvres sont rebutés, abandonnés ; enfin, les faibles sont accablés et opprimés. Or de là même, conclut saint Chrysostome, suit la nécessité du jugement de Dieu ; et c'est aussi sur ces quatre chefs qu'il viendra en qualité de souverain juge, faire justice à ses élus.

 

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1° Il viendra pour venger les Justes, j'entends les vrais Justes, en les séparant des hypocrites. Durant cette vie tout est mêlé et confondu. Combien de scélérats travestis en gens de probité et d'honneur : et combien au contraire de Justes accusés et calomniés ! Or, c'est ce que le jugement de Dieu dévoilera par la manifestation des consciences.

Ainsi, selon l'oracle de Job, la joie de l'hypocrite finira, et son espérance périra. La joie de l'hypocrite était d'imposer, et cependant d'être respecté et honoré : mais au jugement de Dieu, cette joie de l'hypocrite finira, parce que son hypocrisie sera démasquée, et qu'elle deviendra le sujet éternel de sa confusion. L'espérance de l'hypocrite était qu'il ne serait jamais connu à fond, et son désespoir sera de ne pouvoir plus se déguiser. Mais au contraire la gloire des Justes sera de paraître devant toutes Ira créatures intelligentes, et que l'on discerne enfin la droiture de leurs actions et la pureté de leurs intentions.

2° Il viendra pour venger les humbles en les glorifiant. Leur humilité passait pour petitesse d'esprit et pour bassesse de coeur, mais Dieu la relèvera et la couronnera. C'est alors qu'ils s'élèveront eux-mêmes contre ceux qui les méprisaient, et que s'accomplira cette parole de Jésus-Christ, que quiconque s'abaisse sera exalté. Dans la vie, l'humilité n'est pas toujours glorifiée, souvent même elle est accompagnée jusques au bout de l'humiliation : mais c'est à la fin des siècles qu'elle recevra tout l'honneur qui lui est dû.

3° Il viendra pour venger les pauvres en les béatifiant. Combien de pauvres souffrent sur la terre par la dureté des riches! combien de véritables pauvres sont rebutés, comme s'ils ne l'étaient pas! combien de saints pauvres sont d'autant plus oubliés, qu'ils se plaignent moins, et qu'ils prennent leur pauvreté avec plus de patience ! Or la patience des pauvres, dit le Prophète, ne sera pas toujours sans fruit. Car je sais que le Seigneur jugera le pauvre, et qu'il tirera une vengeance éclatante de ceux qui l'auront oublié. Tandis que les riches, ces riches impitoyables, seront frappés d'un éternel anathème, les pauvres, mis en possession d'une souveraine béatitude, seront bien dédommagés de cette inégalité de condition qui les avait réduits dans le besoin et dans la misère.

4° Il viendra pour venger les faibles. Maintenant ils sont dans l'oppression, et c'est le crédit qui l'emporte, et le plus fort qui a toujours raison. De là tant de persécutions et de vexations : mais la scène changera : Judicare pupillo et humili, ut non apponat ultra magnificare se homo super terram. Au lieu que le faible était sous les pieds, il se verra sur la tète de ces grands du monde, qui faisaient, pour l'accabler, un si criminel abus de leur grandeur.

Conclusion. Dieu, dans son jugement, séparera les Justes d'avec les hypocrites et les impies : séparez-vous-en dès à présent par une solide piété. Il glorifiera les humbles : humiliez-vous. Il béatifiera les pauvres : assistez-les. Il relèvera les faibles : protégez-les. Et vous, Justes, humbles, pauvres, faibles, soutenez-vous dans votre justice, dans votre obscurité, dans votre pauvreté, dans votre faiblesse, par l'attente de ce grand jour, qui sera le jour du Seigneur et le vôtre. Craignez le jugement de Dieu ; car il est toujours a craindre : mais en le craignant, désirez-le, espérez-le, aimez-le, puisqu'il vous doit être si favorable. Craignons-le tous, mais d'une crainte efficace qui nous convertisse et qui nous sauve.

 

Erunt signa in sole, et luna, et stellis, et in terris pressura gentium... arescenlibus hominibus prœ timore et expectatione quœ superveniet universo orbi.

 

Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles, et sur la terre les peuples seront dans la consternation ; de sorte que les hommes sécheront de peur, dans l'attente des maux dont l'univers est menacé. (Saint Luc, chap. XXI, 26.)

 

Sire,

 

C'est par l'accomplissement de cette prédiction du Fils de Dieu que doit commencer l'affreuse catastrophe de l'univers. C'est dans ces phénomènes prodigieux que l'évangile de ce jour nous donne l'idée de la plus étonnante révolution : Erunt signa ; il y aura des signes, et dans le ciel, et sur la terre. Signes vénérables, puisque c'est Jésus-Christ lui-même qui nous les a marqués comme les présages de son dernier avènement. Signes salutaires, puisqu'il a prétendu par là réveiller notre foi du profond assoupissement où elle est ensevelie. Signes terribles, puisque non-seulement les hommes en sécheront de peur, mais que les vertus mômes des cieux en seront ébranlées.

Tout cela est vrai, dit saint Jean Chrysostome ; mais après tout, ces signes, quoique vénérables, quoique salutaires, quoique terribles, ne seront néanmoins que les préparatifs d'une action encore infiniment plus digne de nos réflexions, encore infiniment plus essentielle à notre salut, encore infiniment plus redoutable, qui est le jugement de Dieu. Et c'est, Chrétiens, de ce jugement de Dieu que le devoir de mon ministère m'oblige aujourd'hui à vous parler. Jugement de Dieu, dont la pensée a fait trembler les Saints, et d'où, selon l'expression de l'Apôtre, le Juste même à peine se sauvera. Jugement de Dieu, dont j'entreprends de justifier l'équité et la sainteté, en vous faisant voir sur quoi sera fondée son extrême et inévitable sévérité. Soutenez-moi, Seigneur, et me donnez les forces nécessaires pour bien traiter un point, et si solide, et si important. Mais donnez en même temps à mes auditeurs toute la soumission et la docilité que demande votre sainte parole. Car, renonçant ici à mes faibles raisonnements, ce n'est qu'à votre parole que je m'attache, et c'est votre seule parole qui fera la preuve de tout ce que j'ai à dire dans ce discours. Remplissez-moi de votre esprit; et que, par votre grâce, la grande vérité que j'annonce fasse sur les cœurs toute l'impression qu'elle y peut et qu'elle y doit faire. C'est pour cela que j'implore votre secours par l'intercession toute-puissante de Marie : Ave, Maria.

Il est de la foi chrétienne que Dieu, qui est l'Etre absolu et souverain, a fait pour lui-même tout ce qu'il a fait : Universa propter semetipsum operatus est Dominus (1) ; el la même foi nous enseigne que Dieu, sans déroger

 

1 Proverb., XVI, 4.

 

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en rien à la souveraineté de son être, a fait encore toutes choses pour les prédestinés et les élus : Propter electos. Il s'ensuit donc, conclut saint Chrysostome raisonnant sur ces deux principes, que quand Dieu s'est déterminé à juger le monde en dernier ressort, comme il le jugera à la fin des siècles, il a eu deux vues et deux intentions principales : l’une de se faire justice à lui-même, et l'autre de la faire à ses élus.

La conséquence est infaillible, et c'est à cette conséquence que je m'arrête d'abord, parce qu'elle m'a paru la plus solide et la plus propre pour servir de fond à l'important discours que j'ai à vous faire. En voici l'ordre et le partage. Dieu, jaloux de sa gloire, jugera le monde pour se faire justice à lui-même ; et voilà pourquoi Jésus-Christ, qui doit, comme Fils de Dieu, présider à ce jugement, viendra avec toutes les marques de la puissance et de la majesté divine : Veniet cum potestate magna et majestate; c'est ma première proposition. Dieu, Adèle à ceux qui le servent, jugera le monde pour faire justice à ses élus ; et de là vient que Jésus-Christ parlait toujours à ses disciples de ce jugement comme d'un point qui devait par avance les consoler, en les assurant que ce serait le jour de leur gloire et de leur salut : His autem fieri incipientibus, respicite et levate capita vestra, quoniam appropinquat redemptio vestra (1) : c'est ma seconde proposition.

Vérités adorables, et qui comprennent en deux mots ce qu'il y a de plus essentiel dans le jugement de Dieu. Tout le reste n'en est que les préliminaires, dont nous ne laissons pourtant pas, pour peu de religion que nous ayons, d'ètie effrayés. Mais pourquoi ces préliminaires du jugement universel nous paraissent-ils si terribles, et pourquoi en effet le sont-ils? Je vous en ai dit les deux raisons : parce qu'ils doivent aboutir à un jugement qui sera la dernière justice que Dieu se rendra à lui-même, vous le verrez dans la première partie ; parce qu'ils doivent être suivis d'un jugement qui sera, aux dépens des réprouvés, la plus parfaite cl la plus éclatante justice que Dieu rendra à ses élus ; je vous le ferai voir dans la seconde. Sans cela, ni l'obscurcissement du soleil, ni la chute des étoiles, ni tous les autres signes avant-coureurs du jugement dernier, n'auraient rien pour les pécheurs mêmes de si formidable. Sans cela j'attendrais tranquillement cette révolution générale qui doit précéder la

 

1 Luc, XXI, 28.

 

venue du Fils de l'Homme. Mais d'avoir à subir un jugement qui, à la confusion du monde, vengera Dieu et les élus de Dieu, ah ! mes chers auditeurs, c'est ce qui doit faire le sujet éternel de nos méditations aussi bien que de nos craintes. Or, ce sont cependant les deux points de foi que notre évangile nous propose. Appliquez-vous, encore une fois, à les bien comprendre : un jugement qui vengera Dieu, autant que Dieu mérite d'être vengé, et qu'il peut être vengé; un jugement qui vengera les élus de Dieu des injustices du monde, aussi pleinement et aussi authentiquement qu'ils en peuvent et qu'ils en doivent être vengés. Voilà tout mon dessein ; je vous demande une favorable attention.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Parce que le monde sera parvenu au comble de l'iniquité, le jour de la vengeance arrivera : c'est ainsi que s'explique l'Ecriture : Veniet dies ultionis (1). Et parce que les hommes auront achevé de remplir la mesure de leurs crimes, Dieu, qui jusque-là avait été le Dieu riche en miséricorde, ne pouvant plus souffrir l'affreux désordre où lui paraîtra l'univers, commencera enfin à se faire justice. Voilà sur quoi le Prophète royal a fondé la nécessité de ce jugement redoutable que je vous prêche aujourd'hui : Exsurge, Deus, et judica causam tuam (2) : Levez-vous, Seigneur, disait-il à Dieu, plein d'un zèle ardent pour sa gloire, et jugez vous-même votre propre cause : Memor esto improperiorum tuorum, eorum quœ ab insipiente sunt tota die (3) : Souvenez-vous des outrages qu'a osé vous faire, et que vous fait encore à tout moment l'impie et l'insensé, afin qu'ils ne demeurent pas éternellement impunis. Deux choses par où le Saint-Esprit nous donne à connaître en quoi consistera la rigueur du jugement de Dieu; deux pensées capables de nous en imprimer l'idée la plus vive et la plus touchante. Dieu se lèvera pour juger lui-même sa cause ; Dieu se souviendra en général des outrages que lui font maintenant les hommes, mais en particulier de ceux que lui font certains hommes insolents dans leur impiété, certains pécheurs scandaleux dont le caractère est d'insulter à Dieu même avec plus d'orgueil. Entrons donc, mes chers auditeurs, dans ces deux pensées, et tirons-en des conséquences dignes de notre foi, mais surtout salutaires et pratiques pour la réformation de nos mœurs.

Dieu   se lèvera  pour juger lui-même sa

 

1 Jerem., XLVI, 46. — 2 Psalm., LXXIII, 22. — 3 lbid.

 

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cause. En effet, pendant cette vie il en laisse à d'autres le soin. Occupé à répandre ses grâces et à l'aire luire son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il laisse à ceux qui sont en place, et qui ont en main l'autorité, le soin de maintenir ses droits. C'est pour cela qu'il a établi des puissances sur la terre. Car le prince, dit saint Paul, est le ministre des vengeances de Dieu ; et ce n'est pas en vain qu'il porte l’épée, puisque c'est pour la cause de Dieu bien plus que pour la sienne qu'il doit s'en servir. Il est le ministre de Dieu, et pour faire rendre à Dieu ce qui lui est dû, et pour punir ceux qui violent sa loi : Dei minister est, vindex in iram ei qui malum agiti; autant qu'il y a dans le monde de souverains, de magistrats, de supérieurs, de prélats, de juges, ce sont autant d'hommes chargés des intérêts de Dieu, et dans les mains de qui Dieu a mis sa cause. Si son nom est blasphémé, si son culte est profané, il leur en demande justice, et c'est à eux à lui en faire raison. C'est pour cela qu'il a donné aux prêtres, dans la loi de grâce, une juridiction si absolue. Car les prêtres, dit saint Chrysostome, en vertu du pouvoir qu'ils ont de retenir les péchés et de les remettre, sont, dans le tribunal de la pénitence, comme les arbitres de la cause de Dieu et de ses droits les plus sacrés; et Dieu, en leur accordant ce pouvoir, leur a dit à la lettre et sans restriction : Judicate inter me et vineam meam (2) : Soyez juges entre moi et ma vigne; c'est-à-dire, soyez juges entre moi et mon peuple, entre moi et ces pécheurs qui viennent, prosternés à vos pieds, confesser les désordres de leur vie. Obligez-les à m'en faire de légitimes réparations ; imposez-leur pour cela des peines proportionnées; tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel; mais prenez bien garde qu'en exerçant ce ministère, c'est ma cause que vous jugez, aussi bien que leur cause, et même encore plus que leur cause : Judicate inter me et vineam meam.

C'est par la même raison que, lorsqu'il s'agit de nous réconcilier avec Dieu, Dieu, par un excès de bonté, quoique nous soyons alors parties contre lui, veut bien nous prendre pour juges entre lui et nous-mêmes. Car la pénitence, remarque saint Augustin, considérée dans le pécheur, n'est rien autre chose qu'une justice que le pécheur rend à Dieu aux dépens de soi-même : comme si Dieu nous avait dit, (et il est vrai, Chrétiens, qu'il nous l'a dit) : faites-moi justice de vous-mêmes, et n'attendez

 

1 Rom., XIII, 4. — 2 Isai., V, 3.

 

pas que je vienne, dans le jour de ma colère, me la faire malgré vous. Convaincus, par le témoignage de vos consciences, que vous êtes coupables devant moi, armez-vous pour moi d'un saint zèle contre vous-mêmes, condamnez-vous, punissez-vous, exécutez-vous vous-mêmes, afin que je ne vous juge pas. Car c'est la condition qu'il nous offre; d'où le grand Apôtre concluait, sans hésiter, que si nous nous jugions nous-mêmes de bonne foi, nous ne serions jamais jugés de Dieu : Quod si nosmetipsos dijudicaremus, non utique judicaremur (1) ; telle est, dis-je, durant cette vie, la conduite de Dieu : il nous laisse juger sa cause, et il veut bien s'en reposer sur nous.

Mais qu'arrive-t-il? ah! Chrétiens, ce que nous ne pouvons jamais assez déplorer, et ce qui doit être pour nous un des plus infaillibles présages de la rigueur du jugement de Dieu : le voici. Cette cause de Dieu, mise entre les mains des hommes, par un effet de leur infidélité, est tous les jours indignement traitée, faiblement soutenue, honteusement abandonnée, lâchement trahie. Je m'explique. Combien de crimes, et même de crimes énormes, tolérés dans le monde par la négligence, par la connivence, par la fausse prudence, par la corruption et la prévarication de ceux qui les devaient punir, et que Dieu avait préposés pour les punir? combien de sacrilèges, combien de scandales, combien de vices abominables, combien de péchés, et de péchés les plus monstrueux et les plus infâmes, dont on ne voit nul châtiment, et dont les auteurs, à la honte de la religion, marchent impunément et tête levée? Combien d'impies, non-seulement épargnés et ménagés, mais respectés et honorés, mais, dans leur impiété même, loués et applaudis, et tout cela au mépris de Dieu? Qu'un grand delà terre soit offensé, tout conspire à le satisfaire : et il n'y a point d'assez prompte justice pour réparer la moindre injure qu'il prétend avoir reçue. Ne s'agit-il que de l'offense de Dieu? en mille conjonctures tout est faible, tout est languissant. Quelque obligation qu'on ait de réprimer le libertinage, quand Dieu s'y trouve seul intéressé, on dissimule, on temporise, on mollit, on a des égards; et par là le libertinage, malgré la sainteté des lois, prend le dessus.

Où est aujourd'hui dans le monde ce zèle de la cause de Dieu, ce zèle dont brûlait David, et dont tout chrétien doit brûler, s'il ne veut

 

1 1 Cor., XI, 31.

 

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se rendre indigne du nom qu'il porte? où est-il, et où l'exerce-t-on ? En combien de rencontres ne cède-t-il pas à la politique mondaine, et n'est-il pas affaibli par le respect humain ? Le dirai-je? dans le tribunal même de la pénitence, tout sacré qu'il est, la cause de Dieu ne court pas souvent moins de risque. Quels abus n'y commet-on pas ? avec quelle facilité n'y absout-on pas quelquefois les plus insignes et les plus endurcis pécheurs? quelle distinction n'y fait-on pas de leurs personnes, et de quelle indulgence n'y use-t-on pas pour s'accommoder à leur délicatesse ? Autrefois on y procédait avec une sévérité de discipline qui honorait Dieu aux dépens du pécheur : maintenant vous diriez que tout le secret est d'y ménager le pécheur aux dépens de Dieu. A mesure que l'iniquité s'est accrue, la pénitence s'est mitigée. En comparaison de ces siècles fervents où elle était dans sa vigueur, par une malheureuse prescription, elle n'est plus que l'ombre de ce qu'elle a été ; à peine nous reste-t-il des traces de ces canons si vénérables qui, pour des péchés aujourd'hui communs, ordonnaient des années entières de satisfactions, et de satisfactions rigoureuses. Cependant Dieu n'a point changé, et ses droits immuables et éternels subsistent toujours. Mais n'imputons point à d'autres qu'à nous-mêmes ces relâchements de la pénitence. C'est nous-mêmes, Chrétiens, reconnaissons-le avec douleur, c'est nous-mêmes qui, par la dureté de nos cœurs, forçons en quelque sorte les ministres de Jésus-Christ à avoir pour nous dans le saint tribunal ces condescendances et ces ménagements dont nous répondrons encore plus qu'eux, et qui ne peinent aboutir qu'à notre perdition et à notre ruine ; c'est nous qui, par nos artifices, trouvons le moyen d'énerver leur zèle et de corrompre même leur fidélité ; c'est nous qui, malgré eux, les engageons à être souvent les fauteurs de nos désordres, et par conséquent qui sommes, dans la cause de Dieu,les premiers prévaricateurs.

Or c'est en cette vue, je le répète, que David sollicitait Dieu avec un saint empressement de prendre lui-même sa cause en main, quand il lui disait : Exsurge (1) ; levez-vous, Seigneur : Judica causam tuam; mettez-vous en devoir de juger vous-même votre cause, et ne vous en liez plus qu'à vous-même. Jusqu'à présent vous avez été le Dieu patient et le Dieu fort : Deus fortis et Deus patiens (2); et comme tel, vous avez souffert avec une tranquillité qui

 

1 Psalm., LXXXIII, 22. — 2 Ibid., VII, 12.

 

nous doit surprendre, que vos intérêts dans le monde fussent trahis par ceux même qui en doivent être les défenseurs et les vengeurs ; il est temps d'y pourvoir, et d'apporter remède à un abus si déplorable. Memor esto : souvenez-vous, Seigneur, que vous avez affaire à des rebelles, qui se prévalent contre vous de vos plus divins attributs, et qui prennent votre patience pour indolence, et votre force pour faiblesse. Exsurge : levez-vous, et montrez-leur que, malgré vos lenteurs passées, vous savez enfin vous rendre une pleine justice. Or, voilà, Chrétiens, ce que Dieu fera dans le dernier jugement. Qui le dit? Lui-même, par ces paroles de l'Ecriture, aussi terribles qu'elles sont énergiques : Cum arripuerit judicium manus mea, reddam ultionem hostibus meis (1) : Quand j'aurai repris ce pouvoir déjuger, qui m'appartient à titre de souveraineté ; quand je l'aurai ôté aux hommes qui en abusent ; quand, lassé de le voir entre leurs mains, je me serai mis seul en possession de l'exercer par moi-même : Cum arripuerit judicium manus mea; c'est alors, dit Dieu, que je, rentrerai dans mes droits, c'est alors que ma cause sera victorieuse ; c'est alors que je ferai sentir à mes ennemis le poids de cette vengeance sans miséricorde que je leur prépare : Reddam ultionem hostibus meis.

De là vient que ce jour fatal destiné pour le jugement du monde, dans le langage des prophètes, est appelé par excellence le jour du Seigneur : Dies Domini (2). Pourquoi ? parce que c'est le jour où Dieu, oubliant tout autre intérêt, agira hautement et uniquement pour son intérêt propre. Tous les autres jours auront été, pour ainsi dire, les jours des hommes, parce que Dieu jusqu'alors aura semblé n'avoir eu de puissance que pour les hommes, de providence que pour les hommes, de bonté et de zèle que pour les hommes : mais à ce jour, à ce grand jour, il commencera à être puissant pour lui-même, bon pour lui-même, zélé pour lui-même ; et c'est pourquoi il déclare que ce sera son jour : Dies Domini.

C'est ici votre heure, disait le Fils de Dieu, parlant aux Juifs conjurés contre lui, et qu venaient pour l'arrêter ; c'est ici votre heure, et la puissance des ténèbres : Hœc est hora vestra, et potestas tenebrarum (3). Ainsi, mondains et mondaines qui m'écoutez, pourrais-je vous dire aujourd'hui : ce sont ici vos jours, et, si vous voulez, vos beaux jours, vos heureux jours, ces jours que vous donnez à vos

 

1 Deut., XXXII, 41. — 2 Zach., XIV, 1; Malach., IV, 5. — 3 Luc, XXII, 53.

 

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divertissements et à vos plaisirs ; ces jours où, enivrés du monde, vous ne pensez qu'à en goûter les fausses joies; ces jours où, dans un profond oubli de tout ce qui regarde le salut, vous n'êtes occupés que des desseins et des vues de votre ambition; ces jours que vous passez dans les parties de jeu, dans les intrigues et les commerces, ce sont vos jours ; et, dans l'erreur où vous êtes que ces jours ne sont faits que pour vous, au lieu de les remplir de bonnes œuvres et de vos devoirs, vous les employez à des œuvres de ténèbres et à satisfaire vos désirs : Hœc est hora vestra, et potestas tenebrarum. Mais attendez le triste jour où tous ces jours se doivent terminer : comme vous avez votre temps, Dieu aura le sien ; et le temps de Dieu, c'est celui que Dieu prendra pour vous juger. Cum accepero tempus, ego justitias judicabo (1) : Lorsque j'aurai pris mon temps, ajoute-t-il, je jugerai non-seulement les injustices que l'on m'aura faites, mais les fausses justices qu'on m'aura rendues; non-seulement les crimes commis contre moi, mais les fausses pénitences dont ils auront été suivis ; non-seulement les péchés, mais les contritions apparentes et inefficaces, mais les confessions nulles et infructueuses, mais les satisfactions imparfaites et insuffisantes. Parce que mon temps sera venu, je jugerai les jugements mêmes, ces jugements faux et erronés que le pécheur aura faits de lui-même, en se flattant, en s'excusant, en se justifiant : Cum accepero tempus, ego justitias judicabo.

Aussi, Chrétiens, il n'appartient qu'à Dieu d'être en dernier ressort et sans appel juge et partie dans sa propre cause. Les rois de la terre les plus absolus, ou ne prétendent pas avoir tel droit, ou du moins n'en usent pas. Si pour des intérêts particuliers ils ont avec un de leurs sujets quelque différend à vider, par une équité digne d'eux, ils veulent bien se dépouiller de la qualité de juges, et prendre celle de simples parties, pour s'en rapporter à un jugement libre, désintéressé et hors de soupçon. Ainsi le pratiquent les princes vraiment religieux; et, pour notre consolation, nous en avons vu des exemples qui ont mérité nos éloges. Mais les mêmes raisons qui, dans de pareilles conjonctures, obligent les rois de la terre à se relâcher de leur souverain pouvoir, obligeront Dieu, au contraire, quand il jugera les pécheurs, à ne rien rabattre du sien; et ces raisons sont si solides, qu'il suffit de les bien concevoir pour en être touché et pénétré.

 

1 Psalm., LXXIII, 3.

 

Car Dieu, dit saint Chrysostome, jugera lui-même sa cause, parce que sa cause ne peut être parfaitement jugée que par lui. Il la jugera, parce qu'il n'y a que lui capable de connaître à fond l'injure qui lui est faite par le péché. Il la jugera, parce qu'il faut être Dieu comme lui pour comprendre jusqu'où va la malice du péché, et quelle en doit être la peine, la dignité infinie de l'être de Dieu étant l'essentielle mesure de l'un et de l'autre. Comme Dieu, il se vengera lui-même, parce qu'il ne peut être pleinement vengé que par lui-même; parce que tout autre que lui-même ne le vengerait qu'à demi ; parce qu'il n'y a point de tribunal au-dessus de lui, point de juge aussi éclairé, aussi intègre que lui, dont il pût attendre cette vengeance complète qui lui est due. Il se vengera, poursuit saint Chrysostome, parce qu'il ne convient qu'à lui d'être saint, d'être louable, d'être irrépréhensible dans ses vengeances. Car voilà pourquoi il a dit : Mihi vindicta (1) : C'est à moi que la vengeance est réservée, à moi qui sais non-seulement la modérer, mais la sanctifier; et non pas à l'homme, qui s'en fait un crime lorsqu'il entreprend de l'exercer. En effet, quand l'homme se venge, il s'emporte, il s'aigrit, il se passionne, il satisfait sa malignité, il s'abandonne à la férocité, il ne garde dans sa vengeance nulle proportion ; pour repousser une légère offense qu'il a reçue, il en fait une atroce dont il s'applaudit. L'ordre veut donc que ce soit par autrui qu'il soit vengé, parce qu'il est trop aveugle et trop injuste pour se bien venger lui-même ; mais c'est à Dieu, encore une fois, à se venger lui-même, parce qu'il est la sainteté même : Mihi vindicta. Sainte vengeance qui corrigera tous les excès des nôtres. Vengeance adorable, qui n'aura pour objet que le péché, et qui, formée dans le cœur de Dieu, ne sera pas moins digne de nos respects que la sainteté même de Dieu. Ce ne sera donc pas, concluait saint Chrysostome, par une ostentation d'autorité, mais par une absolue nécessité, que Dieu se lèvera pour juger lui-même sa cause; et c'est tout le mystère de cette divine parole : Exsurge, Deus, et judica causam tuam (3).

Allons plus avant, et suivons la pensée du Prophète. Souvenez-vous, Seigneur, ajoute-t-il, des outrages qu'on vous a faits : Memor esto improperiorum tuorum. Voyons donc maintenant et en particulier quels sont ces outrages que Dieu, surtout en jugeant le monde, se

 

1 Rom., XII, 19. — 2 Psalm., LXXIII, 22.

 

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souviendra d'avoir reçus de l'impie et de l'insensé, et dont il tirera une juste vengeance : Eorum quœ ab insipiente sunt tota die. David nous les a marqués aux psaumes neuvième et treizième, et c'est ici où j'ai besoin de toute votre réflexion. Pourquoi, demandait ce saint roi, l'impie a-t-il irrité Dieu? Propter quod irritavit impius Deum (1) ? Parce qu'il a dit dans son cœur ces trois choses outrageuses à Dieu, dont sa raison n'est jamais demeurée d'accord, et contre lesquelles sa conscience a toujours intérieurement réclamé, mais que son impiété n'a pas laissé, malgré toutes les vues de sa raison, de lui suggérer, jusqu'à y faire consentir sa volonté dépravée. Ecoutez, et ne perdez rien de ceci.

L'insensé et l'impie a irrité Dieu, parce qu'il a dit dans son cœur : il n'y a point de Dieu. Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus (2); outrage à la Divinité qu'il n'a pas voulu reconnaîtra. Il a irrité Dieu, parce qu'il a dit dans son cœur : S'il y a un Dieu, ou ce Dieu n'a pas vu, ou ce Dieu a oublié le mal que j'ai commis : Dixit in corde suo : Oblitus est Deus ; avertit faciem suam, ne videat (3); outrage à la Providence qu'il a combattue, et à qui il a prétendu se soustraire. Il a irrité Dieu, parce qu'il a dit dans son cœur: Quand ce Dieu dont on me menace aurait vu mon péché, et qu'il s'en souviendrait, il ne me recherchera pas, ni ne me damnera pas pour si peu de chose : Dixit in corde suo : Non requiret. Outrage à la justice vindicative de Dieu, que l'impie a méprisée, et dont il a tâché de secouer le joug. Que fera Dieu? Apprenez, Chrétiens, pourquoi le jugement de Dieu est nécessaire, et quelle en doit être la fin : peut-être ne l'avez-vous jamais compris. Dieu , irrité de ces trois outrages dont il aura conservé le souvenir, en fera éclater son ressentiment; car il viendra pour achever de convaincre l'impie 'qu'il y a un Dieu. Il viendra pour forcer l'impie à reconnaître que ce Dieu n'a rien ignoré, ni rien oublié des plus secrets désordres de sa vie. Il viendra pour confondre l'impie, en lui faisant voir que ce Dieu, ennemi irréconciliable du péché, n'est pas plus capable de souffrir éternellement le pécheur dans l'impunité que de cesser lui-même d'être Dieu. A quoi pensons-nous, si nous ne méditons pas continuellement ces importantes vérités?

Dieu, par un pur zèle de la justice qu'il se doit à lui-même, rétablira dans le cœur de l'impie cette notion de la Divinité que

 

1 Psalm., X, 13. — 2 Ibid., XIII, 1. — 3 Ibid., X, 11.

 

l'aveuglement du péché y avait effacée. Car c'est pour cela qu'après avoir été un Dieu caché dans le mystère de son incarnation , qui est le mystère de son humilité, il se produira sur ce tribunal redoutable où l'évangile de ce jour nous le représente avec tout l'éclat de la gloire et de la majesté. C'est pour cela qu'il paraîtra accompagné de tous ses anges, et qu'il assemblera devant lui toutes les nations ; que les hommes en sa présence demeureront pâmés de frayeur, et que les astres par leurs éclipses, que les éléments par leur désordre même et leur confusion, rendront hommage à sa suprême puissance. Pourquoi viendra-t-il avec cet appareil et cette pompe? Pour avoir droit, répond excellemment saint Chrysostome, de dire aux athées, soit de créance s'il y en a, soit de mœurs (le monde en est plein), ce qu'il leur avait dit déjà par la bouche de Moïse, et ce qu'il leur dira encore plus authentiquement : Videte quod ego sim solus, et non sit alius Deus prœter me (1): Reconnaissez enfin que je suis Dieu, puisque malgré vous tout l'univers combat aujourd'hui pour moi, et condamne l'extrême folie qui vous en a fait douter. Reconnaissez que je suis votre Dieu, puisqu'avec toute la fierté de votre libertinage, vous n'avez pu éviter de tomber entre mes mains, et qu'il faut malgré vous que vous subissiez la rigueur inflexible de mon jugement. Reconnaissez que je suis seul Dieu, puisque tous ces grands du monde dont vous vous êtes fait des divinités, et dont tant de fois vous avez été idolâtres, sont maintenant anéantis devant moi : Videte quod ego sim solus. Paroles du Deutéronome qui, dans le jugement dernier, se vérifieront à la lettre, et qui jamais n'auront été d'une conviction si sensible qu'elles le seront alors.

Car dans cette vie les grands (c'est Dieu même qui le dit) sont comme les dieux de la terre : Ego dixi : Dii estis (2); et ce sont, dit saint Chrysostome, ces dieux de la terre qui empêchent tous les jours que le Dieu du ciel ne soit connu pour ce qu'il est. A force d'être ébloui de leur grandeur, on oublie celui dont ils ne sont que les images ; à force de s'attacher à eux, et de n'être occupé que d'eux on ne pense plus à celui qui règne sur eux. Mais dans le dernier jugement, ces dieux de la terre humiliés serviront encore à l'impie d'une démonstration palpable qu'il y a un Dieu au-dessus de ces prétendus dieux : Excelsus super omnes deos (3), c'est-à-dire un Dieu absolument

 

1 Deut.,  XXXII, 39.  — 2 Psalm., LXXXI,  6. — 3 Ibid., XLVI, 3.

 

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Dieu, uniquement Dieu, éternellement Dieu : In illa die exaltabitur solus Deus (1) : en ce jour-là, dit Isaïe, Dieu seul sera grand et paraîtra grand. Tout ce qui n'est pas Dieu sera petit, sera bas et rampant, sera comme un atome, comme un néant devant son souverain être : Tanquam nihilum ante te (2); c'est-à-dire en ce jour-là toutes les grandeurs humaines seront abaissées, toutes les fortunes détruites, tous les trônes renversés, tous les titres effacés, tous les rangs confondus : Dieu seul s'élèvera, Dieu seul régnera : Exaltabitur solus Deus. Ce n'est pas assez.

Parce que l'impie aura dit dans son cœur : Ou Dieu n'a pas su, ou il a oublié le mal que j'ai fait; Dieu, pour la justification de sa providence, montrera qu'il a tout su, et qu'il se souvient de tout. Car c'est pour cela que dans ce jour de lumière il découvrira tout ce que l'impie se flattait d'avoir caché dans les ténèbres. C'est pour cela qu'à la face de toutes les nations, il révélera toute la turpitude du pécheur et toute son ignominie : ces péchés honteux et humiliants : ces péchés dont l'impie lui-même, au moment qu'il les a commis, était obligé de rougir ; ces péchés dont il eût été au désespoir d'être seulement soupçonné ; ces péchés qu'il n'eût osé avouer au plus discret et au plus sûr de ses amis ; ces péchés qui l'auraient perdu dans le monde de réputation et d'honneur, et dont il sentait bien que le reproche lui eût été moins supportable que la mort même, Dieu les fera connaître : Revelabo pudenda tua in facie tua, et ostendam gentibus nuditatem tuam (3). Non, non, lui dira-t-il, je n'ai point détourné mon visage de tes crimes. Quelque horreur qu'ils me fissent, je les ai vus ; et, pour ne les point oublier, je les ai écrits, mais avec des caractères qui ne s'effaceront jamais, dans ce livre de vie et de mort que je produis aujourd'hui. Tant d'actions lâches et infâmes, tant de friponneries secrètes, tant de noires perfidies, tant d'abominations et de désordres dont ta vie a été souillée, tout cela n'est-il pas mis en réserve, et comme scellé dans les trésors de ma colère? Nonne hœc condita sunt apud me et signala in thesauris meis (4)? Or ce sont ces trésors de colère que Dieu ouvrira quand il viendra juger le monde ; et c'est ainsi qu'il se vengera de l'injure que lui aura faite le pécheur, en le croyant ou plutôt en voulant le croire un Dieu aveugle, un Dieu sans providence,

 

1 Isai., II, 11. — 2 Psalm., XXXVIII, 6. — 3 Nahum, III, 5. — 4 Deut., XXXII, 34.

 

un Dieu semblable à ces idoles qui ont des yeux, mais pour ne point voir.

Enfin , parce que l'insensé aura dit dans son cœur : Quelque connaissance que Dieu puisse avoir de mes crimes, il ne me recherchera pas, ni ne me réprouvera pas pour si peu de chose; Dieu , Chrétiens, se fera un devoir particulier de mettre sa justice et sa sainteté à couvert de ce blasphème; et comment? par l'application qu'il aura à condamner les crimes de l'impie dans la plus étroite rigueur, à ne lui en passer, à ne lui en pardonner aucun, à les punir sans rémission et autant qu'ils sont punissables; en un mot, à lui faire sentir tout le poids de ce jugement sans miséricorde dont la seule idée fait frémir, mais qui demanderait, un discours entier pour vous le faire concevoir dans toute son étendue et dans toute sa sévérité. Jugement sans miséricorde que Dieu alors exercera, mais surtout qu'il exercera à l'égard de ces péchés où le mondain et le libertin, pour pécher plus impunément, aura eu l'insolence de se faire à son gré un système de religion, en se figurant un Dieu selon ses désirs, un Dieu condescendant à ses faiblesses, un Dieu indulgent et commode, dont il comptait de n'être jamais recherché : Dixit enim in corde suo : Non requiret. Car c'est particulièrement contre ces pécheurs et contre l'attentat de leur orgueil que Dieu armera tout le zèle de sa colère. Pourquoi? parce qu'il s'agira de justifier le plus adorable de ses attributs, qui est sa sainteté: Quoniam veritatem requiret Dominus, et retribuet abundanter facientibus superbiam (1).

Voilà, pécheurs qui m'écoutez , ce qu'il y a pour vous de plus terrible dans le jugement de Dieu : un Dieu offensé qui se satisfera, un Dieu méprisé qui se vengera. Voilà ce qui a saisi d'effroi les plus justes même. Mais du reste, rassurez-vous, et, tout pécheurs que vous êtes, consolez-vous, puisque, dans quelque état que vous soyez, vous avez encore une ressource, et une ressource infaillible, qui est la pénitence. Aimable pénitence, disait saint Bernard , en vertu de laquelle je puis prévenir le jugement de Dieu ! Et moi je dis, Chrétiens: Heureuse pénitence ! par où je puis venger Dieu, apaiser Dieu , satisfaire à Dieu : en sorte que, quand il viendra pour me juger, il se trouve déjà satisfait et vengé par moi, et qu'il ne soit plus obligé à se venger et à se satisfaire par lui-même. Il est vrai, mes chers auditeurs, il faut pour cela que notre pénitence ait tous les caractères d'une pénitence solide, qu'elle

 

1 Psalm., XXX, 24.

 

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soit exacte, qu'elle soit fervente, qu'elle soit efficace, qu'elle soit sévère et proportionnée à la grièveté de nos péchés aussi bien qu'à leur multitude , parce que sans cela Dieu ne serait ni satisfait ni vengé. Mais peut-il nous en trop coûter, quand il s'agit de nous préserver du jugement de Dieu ; et pouvons-nous jamais nous plaindre qu'on exige trop de nous, quand il est question de nous réconcilier avec Dieu irrité contre nous? Il est vrai que ce Dieu de gloire nous jugera selon le jugement que nous aurons fait de nous-mêmes dans la pénitence, et que, si nous nous sommes épargnés, il ne nous épargnera pas. Sibi parcenti, ipse non partit , dit saint Augustin : mais aussi, par une règle toute contraire, s'ensuit-il de là que si je ne m'épargne pas, Dieu m'épargnera ; que si je ne me pardonne pas, il me pardonnera ; que si ma pénitence est rigoureuse, son jugement me sera favorable ; enfin , que si je me fais justice, il me fera grâce? Or, que puis-je désirer de plus avantageux pour moi? Ah! Seigneur, je serais indigne de vos miséricordes si cette condition me semblait dure, ou plutôt si je n'envisageais pas la pénitence la plus sévère comme le souverain bonheur de ma vie ; et je serais non-seulement le plus injuste, mais le plus insensé des hommes, si je prétendais, par une pénitence lâche et molle, me garantir de votre redoutable jugement.

C'est ainsi, pécheurs, que vous devez raisonner ; et quand parmi vous il y aurait de ces esprits gâtés et corrompus dont l'impiété serait allée jusqu'à ne plus connaître Dieu, je ne pourrais pas m'empêcher de leur dire encore : Ecoutez, mes Frères, vous dont le salut me doit être plus cher que ma vie, et pour la conversion de qui je me sens, si je l'ose dire, un zèle tout divin ; vous pour qui, s'il m'était permis, je voudrais, à l'exemple de l'Apôtre, être moi-même anathème, écoutez aujourd'hui la voix de Dieu, et n'endurcissez pas vos cœurs. Ce Dieu que vous avez méconnu, a encore pour vous des grâces de réserve. Comme son bras n'est pas raccourci, il est encore prêt à se laisser fléchir par votre pénitence et par vos larmes. La longue patience avec laquelle il vous a supportés jusqu'à présent vous en doit être une preuve consolante, et comme un gage assuré. Tout juge qu'il est, malgré vos égarements , il ;i encore pour vous toutes les tendresses d'un père, et du père le plus charitable. C'est dans des pécheurs et des libertins comme vous qu'il se plaît à faire éclater les richesses de sa miséricorde : quelque scandaleuse qu'ait été votre vie, vous pouvez être (et qui sait si les plus impies d'entre vous ne sont point ceux qu'il a choisis pour cela?), vous pouvez, dis-je, devenir des vases d'élection. Rapprochez-vous de lui, et, par une humble confession de l'affreux aveuglement où vous a conduits le péché, mettez-vous en état, quoique pécheurs, de trouver grâce devant lui. Votre conversion fera sa gloire et l'édification de son Eglise. C'est donc de votre part, mon Dieu, que je parle, et je ne crains pas de pousser trop loin les idées que je leur donne de votre divine clémence, puisqu'elle surpasse encore infiniment toute la charité que j'ai pour eux. Dieu, dans le jugement dernier, se fera justice à lui-même : vous l'avez vu, Chrétiens ; et il me reste à vous faire voir quelle justice il rendra à ses élus : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Je l'ai dit, c'est une vérité incontestable, et qui nous est expressément marquée dans l'Ecriture, que Dieu a fait toutes choses pour ses élus, que pour eux il a créé le monde, que pour eux il le conserve, que sans eux il Je détruirait, que tous les desseins de sa providence roulent sur eux, et que, dans l'ordre de la nature, de la grâce et de la gloire, tout aboutit et se réduit à eux : Propter electos. Il faut néanmoins reconnaître que cette parole, si avantageuse aux élus de Dieu, ne doit proprement s'accomplir que dans le jugement dernier. En effet, dit saint Chrysostome, s'il n'y avait point d'autre vie que celle-ci, et si jamais Dieu ne devait juger le monde, il serait difficile de comprendre en quoi ses élus auraient été si favorisés et si privilégiés; et, bien loin de convenir que Dieu eût tout fait pour eux, on aurait souvent lieu de croire que ce serait plutôt pour eux qu'il paraîtrait n'avoir rien fait, ou du moins avoir très-peu fait. Car enfin, pendant cette vie, les élus, quoique élus de Dieu, ne font dans le monde nulle figure qui les distingue , ni qui marque pour leurs personnes ces égards si particuliers de la Providence. Au contraire, par une conduite de Dieu bien surprenante, et que David confesse avoir été pour lui un sujet de tentation et de trouble pendant cette vie, les élus de Dieu, qui sont les Justes, bien loin d'être connus pour tels par la malignité du monde, sont souvent décriés et confondus avec les hypocrites; pendant cette vie, les élus de Dieu, qui sont les humbles, bien loin d'être honorés et respectés, sont souvent

 

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méprisés et insultés; pendant cette vie, les élus de Dieu, qui sont les pauvres, bien loin d'être soulagés, sont souvent rebutés et abandonnés; pendant cette vie, les élus de Dieu, qui sont communément les faibles, bien loin d'être protégés, sont souvent accablés et opprimés. Or tout cela est bien éloigné de cette favorable prédilection que Dieu, selon sa promesse, doit avoir pour eux. Il est vrai, répond saint Chrysostome ; mais c'est justement ce qui prouve la vérité, l'infaillibilité, l'absolue et indispensable nécessité du jugement de Dieu : car, pourquoi le Fils de Dieu, en qualité de souverain Juge, viendra-t-il à la fin des siècles? pour faire justice à ses élus sur ces quatre chefs. Oui, il viendra pour venger les Justes, je dis les vrais Justes, en les séparant des hypocrites, et faisant pour jamais cesser le règne de l'hypocrisie ; il viendra pour venger les humbles, en glorifiant dans leurs personnes l'humilité, et en confondant les superbes qui n'auront eu pour elle que du mépris; il viendra pour venger les pauvres qui, par la dureté des riches, auront langui dans la misère, mais aux gémissements de qui il montrera bien qu'il n'a pas été insensible; il viendra pour venger les faibles de tout ce que l'iniquité, la violence, l'abus de l'autorité, leur aura fait indignement souffrir. Car ce sont là, mes chers auditeurs, par rapport aux prédestinés, les fins principales pour quoi l'Ecriture nous fait entendre que le Dieu vengeur paraîtra. Appliquez-vous donc, et, pour l'intérêt que chacun de vous y doit prendre, redoublez votre attention.

Il viendra pour juger les Justes, j'entends toujours les Justes de bonne foi, en les séparant des hypocrites; comme le berger, dit-il lui-même dans l'Evangile, sépare les brebis d'avec les boucs : première justice que Dieu rendra à ses élus; car, encore une fois, durant cette vie, tout est mêlé et confondu, la vertu avec le vice, l'innocence avec le crime, la vérité avec l'imposture, la religion avec l'hypocrisie; et dans ce mélange le juste souffre, et l'impie triomphe.

Quand, au reste, je parle de l'hypocrisie, ne pensez pas que je la borne à cette espèce particulière qui consiste dans l'abus de la piété, et qui fait les faux dévots. Je la prends dans un sens plus étendu, et d'autant plus utile à votre instruction, que peut-être malgré vous-mêmes serez-vous obligés de convenir que c'est un vice qui ne vous est que trop commun ; car j'appelle hypocrite quiconque, sous de spécieuses apparences , a le secret de cacher les désordres d'une vie criminelle. Or, en ce sens, on ne peut douter que l'hypocrisie ne soit répandue dans toutes les conditions, et que , parmi les mondains , il ne se trouve encore bien plus d'imposteurs et d'hypocrites que parmi ceux que nous nommons dévots. En effet, combien dans le monde de scélérats travestis en gens d'honneur ! combien d'hommes corrompus et pleins d'iniquité, qui se produisent avec tout le faste et toute l'ostentation de la probité! combien de fourbes insolents à vanter leur sincérité ! combien de traîtres habiles à sauver les dehors de la fidélité et de l'amitié! combien de sensuels, esclaves des passions les plus infâmes, en possession d'affecter la pureté des mœurs, et de la pousser jusqu'à la sévérité ! combien de femmes libertines, fières sur le chapitre de leur réputation, et quoique engagées dans un commerce honteux , ayant le talent de s'attirer toute l'estime d'une exacte et parfaite régularité ! Au contraire, combien de Justes, faussement accusés et condamnés ! combien de serviteurs de Dieu , par la malignité du siècle, décriés et calomniés ! combien de dévots de bonne foi, traités d'hypocrites, d'intrigants et d'intéressés ! combien de vraies vertus contestées ! combien de bonnes œuvres censurées! combien d'intentions droites mal expliquées, et combien de saintes actions empoisonnées! Or c'est là, dit saint Chrysostome, ce que le jugement de Dieu dévoilera ; en sorte que chacun sera connu pour ce qu'il est, que chacun paraîtra ce qu'il a été, que chacun tiendra le rang qu'il doit tenir; les secrets des consciences seront révélés, et alors, dit l'Apôtre, chacun recevra la louange qui lui sera due : Et tunc laus erit unicuique a Deo (1). Par cette fatale et décisive séparation du bon grain d'avec l'ivraie (écoutez l'oracle de Job, qui s'accomplira à la lettre, et qui sera une partie de la justice que Dieu rendra à ses élus), par cette fatale et décisive séparation, la joie de l'hypocrite finira, son espérance périra. Funeste, mais juste menace que lui fait le Saint-Esprit : Et gaudium hypocritœ ad instar puncti : et spes hypocritœ peribit (2).

Car la joie de l'hypocrite était d'en imposer, et cependant d'être honoré et respecté. Sa joie était d'avoir dans le monde un certain crédit qui ne lui coûtait qu'à bien faire son personnage, et qu'à bien jouer la comédie. Sa joie était d'être parvenu à force de dissimulation, à recevoir l'hommage et le tribut des plus pures

 

1 1 Cor., IV, 5. — 2 Job, XX, 5.

 

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vertus, et à jouir sans mérite  de tous les avantages du vrai mérite.  Voilà ce que   Job appelait les prospérités, les joies ,   le règne de l'hypocrisie ; mais dans le dernier jugement, ce règne de l'hypocrisie sera détruit, ces prospérités de l'hypocrisie s'évanouiront, ces joies de l'hypocrisie se changeront en des afflictions mortelles : elles n'étaient fondées que sur l'erreur des   âmes simples , séduites et éblouies par un faux éclat ; mais cette séduction des âmes simples, trompées jusqu'alors, mais enfin désabusées par la lumière de Dieu , après avoir été à l'hypocrite une frivole consolation , se tournera pour lui, disons mieux, contre lui, en opprobre et en confusion : l'espérance de l'hypocrite était qu'on ne le connaîtrait jamais à fond, et qu'éternellement le monde serait la dupe de sa damnable politique; et son désespoir, au contraire, sera de ne pouvoir plus se déguiser, de n'avoir plus de ténèbres où se cacher, de voir malgré lui le voile de son hypocrisie levé, ses artifices découverts, et d'être exposé aux yeux de toutes les nations : Spes hypocritœ peribit. Les autres pécheurs, connus dans le monde pour ce qu'ils étaient, en cela même qu'ils auront été connus, auront déjà été à demi jugés, et déjà, par avance, auront essuyé une partie de l'humiliation que leur doit causer le jugement de Dieu : mais l'hypocrite, à qui il faudra quitter le masque de cette fausse gloire dont il s'était toujours paré ; mais cette femme qui aura passé pour vertueuse, et dont les commerces viendront à être publiés ; mais ce magistrat que l'on aura cru un exemple d'intégrité, et dont les injustices seront mises dans un plein jour; mais cet ecclésiastique réputé saint, à qui Dieu reprochera hautement sa vie dissolue ; mais ce prétendu homme d'honneur dont on verra toutes les fourberies ; mais cet ami sur qui l'on comptait, dont les lâches trahisons seront éclaircies et vérifiées ; mais quiconque aura su l'art de tromper, et qui alors se trouvera dans la nécessité affreuse de faire une réparation solennelle à la vérité, ah ! Chrétiens, c'est pour ceux-là que le jugement de Dieu aura quelque chose de bien désolant!

La chose n'est que trop vraie ; mais, par une raison tout opposée, c'est ce qui rendra le jugement de Dieu non-seulement supportable, mais favorable, mais honorable , mais désirable aux Justes et aux prédestinés : car leur gloire, dit saint Chrysostome, sera de paraître à découvert devant toutes les créatures intelligentes; leur gloire, et même le comble de leurs désirs, sera que l'on discerne enfin, et la droiture de leurs actions, et la pureté de leurs intentions ; leur gloire sera qu'on les connaisse, parce que leur disgrâce jusque-là aura été de n'être pas assez connus : et voilà, âmes fidèles, qui, malgré la corruption du siècle , servez votre Dieu en esprit et en vérité, voilà ce qui doit, dans la vie, vous affermir et vous consoler. A ce terrible moment où le livre des consciences sera ouvert, votre espérance, ranimée par la vue du souverain Juge, et sur le point d'être remplie, vous soutiendra, et vous dédommagera bien des injustes persécutions du monde ; tandis que l'impie, confondu, troublé, consterné, marchera la tête baissée et sans oser lever les yeux, vous paraîtrez avec une sainte assurance : pourquoi? parce que le jour de votre justification sera venu. Maintenant l'envie, la calomnie lancent contre vous leurs traits envenimés; mais enfin l'envie sera forcée à se faire, ou, si elle parle, ce ne sera plus qu'en votre faveur ; la calomnie sera convaincue de mensonge, et la vérité se montrera dans tout son lustre. Cependant, jouissez du témoignage secret de votre cœur, que vous devez préférer à tous les éloges du monde ; dites avec saint Paul : Peu m'importe quel jugement les hommes font présentement de moi, puisque c'est mon Dieu qui doit un jour me juger : Qui autem judicat me Dominus est (1) ; ou bien dites avec Jérémie : C'est vous, Seigneur, qui sondez les âmes, et qui en découvrez les plis et les replis les plus cachés ; c'est à vous que j'ai remis ma cause, vous la jugerez : Tibi enim revelavi causam meam (2). Avançons.

Il viendra pour glorifier l'humilité dans la personne des humbles, seconde justice que Dieu rendra à ses élus. Cette humilité, cette simplicité du Juste, cette patience à souffrir les injures sans se venger, que les mondains auront traitée de faiblesse d'esprit, de petitesse de génie, de bassesse de cœur, Dieu viendra pour la couronner, et pour convaincre tout l'univers qu'elle aura été la véritable force, la véritable grandeur d'âme, la véritable sagesse. Car c'est alors, dit l'Ecriture, dans cet admirable passage que vous avez entendu cent fois, et dont vous avez été cent fois touchés, c'est alors que les humbles de cœur s'élèveront avec confiance contre ceux qui les auront méprisés et insultés : Tunc stabunt Justi in magna constantia (3). C'est alors que les sages du siècle, que ces esprits forts seront non-seulement surpris, mais déconcertés, en voyant ces hommes, qu'ils n'avaient jamais regardés que comme le

 

1 1 Cor., IV, 4.— 2 Jerem., XI, 20. — 3 Sap., V, 1.

 

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rebut du monde, placés sur des trônes de gloire. C'est alors qu'interdits et hors d'eux-mêmes, ils s'écrieront en gémissant : Ce sont là ceux dont nous nous sommes autrefois moqués, et qui ont été le sujet de nos railleries : Hi sunt quos habuimus aliquando in deritum (1). Insensés que nous étions ! leur vie nous paraissait une folie, et toute leur conduite nous faisait pitié : Nos insensati vitam illorum œstimabamus insaniam (2) ; cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu, et leur partage est avec les Saints : Ecce quomodo computati sunt inter filios Dei, et inter sanctos sors illorum est (3). C'est, dis-je, alors que l'orgueil du monde rendra ce témoignage, quoique forcé, à l'humilité des élus de Dieu ; et c'est là même qu'on verra sensiblement l'effet de cette promesse de Jésus-Christ, que quiconque s'humilie sera glorifié : Omnis qui se humiliat exaltabitur (4).

Car pendant la vie il n'est pas toujours vrai, et même il est rarement vrai que celui qui s'abaisse et qui s'humilie soit élevé. On en voit dont l'humilité, quoique véritable et quoique solide, est accompagnée jusqu'au bout de l'humiliation. On en voit qui, pour chercher Dieu, et par un esprit de religion, s'étant ensevelis et comme anéantis devant les hommes, meurent dans leur obscurité et dans leur anéantissement. Combien d'âmes saintes dont la vie est cachée avec Jésus-Christ, et à qui le monde n'a jamais tenu nul compte du courage héroïque qu'ils ont eu de se séparer et de se détacher de lui? Or c'est pour cela , reprend saint Chrysostome, qu'il doit y avoir et qu'il y aura un jugement à la fin des siècles.

Parce que le monde ne rend pas justice à ces chrétiens parfaits qui s'humilient et s'anéantissent pour Dieu, Dieu, qui se pique d'être fidèle, la leur rendra au centuple. Parce qu'il y a des saints sur la terre dont l'humilité, quoique sincère, n'est ni connue du monde, ni honorée au point qu'elle le devrait être si le monde était équitable, Dieu suppléera au défaut du monde, et la relèvera ; mais aux dépens de qui ? toujours aux dépens et à la honte du mondain, dont la fausse gloire, dont la vanité ridicule, dont la présomptueuse ambition, condamnée et réprouvée, rendra hommage à la sainteté des maximes que le sage et humble chrétien aura suivies , puisqu'on même temps que l'humble sera exalté, Qui se humiliat exaltabitur (5), l'orgueilleux sera

 

1 Sap., V, 3. — 2 Ibid., 4. — 3 Ibid., 5. — 4 Luc, XIV, 11. — 5 Ibid.

 

humilié et couvert d'un éternel opprobre : Et qui se exaltat humiliabitur. Ce n'est pas assez.

Il viendra pour béatifier les pauvres : autre mystère du jugement de Dieu, autre justice qu'il rendra à ses prédestinés. Car il est de la foi que le pauvre ne sera pas éternellement dans l'oubli : Quoniam non in finem oblivio erit pauperis (1). Il est de la foi que la patience des pauvres ne périra pas pour jamais, c'est-à-dire qu'elle ne sera pas pour jamais inutile et sans fruit : Patientia pauperum non peribit in finem (2). Et il est néanmoins évident que ces deux oracles du Saint-Esprit ne se vérifient pas toujours ni même communément dans cette vie. Car combien de pauvres y sont oubliés! combien y demeurent sans secours et sans assistance I Oubli d'autant plus déplorable que, de la part des riches, il est volontaire, et par conséquent criminel : je m'explique. Combien de malheureux réduits aux dernières rigueurs de la pauvreté,  et que l'on ne soulage pas, parce qu'on ne les connaît pas et qu'on ne les veut pas connaître ! Si l'on savait l'extrémité de leurs besoins, on aurait pour eux, malgré soi, sinon de la charité, au moins de l'humanité. A la vue de leurs misères, on rougirait de ses excès, on aurait honte de ses délicatesses, on se reprocherait ses folles dépenses, et l'on s'en ferait avec raison des crimes devant Dieu. Mais parce qu'on ignore ce que souffrent ces membres de Jésus-Christ, parce qu'on ne veut pas s'en instruire, parce qu'on craint d'en entendre parler, parce qu'on les éloigne de sa présence, on croit en être quitte en les oubliant; et quelque extrêmes que soient leurs maux, on y devient insensible. Combien de véritables pauvres que l'on rebute comme s'ils ne l'étaient pas, sans qu'on se donne et qu'on veuille se donner la peine de discerner s'ils le sont en effet ! combien de saints pauvres dont les gémissements sont trop faibles pour venir jusqu'à nous, et dont on ne veut pas s'approcher pour se mettre en devoir de les écouter ! combien de  pauvres abandonnés dans les provinces! combien de désolés dans les prisons! combien de languissants dans les hôpitaux, combien de honteux dans les familles particulières! Parmi ceux qu'on connaît pour pauvres, et dont on ne peut ni ignorer, ni même oublier le douloureux état, combien sont négliges ! combien sont durement traités!  combien de serviteurs de Dieu qui manquent de tout, pendant que l'impie est dans l'abondance, dans le

 

1 Psalm., IX, 19. — 2 Ibid.

 

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luxe, dans les délices 1 S'il n'y avait point de jugement dernier, voilà ce que l'on pourrait appeler le scandale de la Providence : la patience des pauvres outragée par la dureté et par l'insensibilité des riches. Mais c'est pour cela même, dit saint Chrysostome, que la Providence prépare aux riches un jugement sévère et rigoureux ; et c'est ce que comprenait parfaitement David, quand il disait : Cognovi quia faciet Dominus jadicium inopis, et vindictam pauperum (1) : J'ai connu que Dieu jugera la cause des pauvres, et qu'il les vengera. Et par où l'avait-il connu ? par cet invincible raisonnement, que la patience des pauvres, dans le sens que je l'ai marquée, ne devant et ne pouvant périr pour jamais, il fallait qu'il y eût un jugement supérieur à celui des hommes, où l'on connût qu'en effet elle ne périt point, c'est-à-dire que Dieu a pour elle tous les égards qu'elle a droit d'attendre d'un maître souverainement équitable : Patientia pauperum non peribit in finem (2) ; un jugement où non-seulement les pauvres fussent dédommagés de cette inégalité de biens qui les a réduits dans l'indigence et la disette, mais où leur patience poussée à bout fût pleinement vengée des injustes traitements qu'elle aurait soufferts. C'est pour cela, dit Dieu lui-même, que je me lèverai : c'est parce que les souffrances des pauvres, à qui le riche impitoyable aura fermé son cœur et ses entrailles, auront excité mon courroux, parce que leurs crimes m'auront touché; parce que j'aurai été indigné de voir qu'on s'endurcit à leurs plaintes : Propter miseriam inopum, et gemitum pauperum, nunc exurgam, dicit Dominus (3). Ces cris des pauvres, qui sont montés jusqu'à moi, me solliciteront eu leur faveur; et je ne croirai point m'être acquitté de ce que je leur dois et comme créateur et comme juge, que dans ce grand jour où je prononcerai pour eux un arrêt de salut, tandis que je réprouverai, par un jugement sans miséricorde, ceux qui n'auront usé envers eux de nulle miséricorde. A entendre ainsi Dieu parler dans l'Ecriture, ne dirait-on pas que le jugement dernier, quoique universel, ne doive être que pour les pauvres, et qu'il n'ait pour terme et pour fin que de leur faire justice? Propter miseriam inopum et gemitum pauperum ; à voir comment le Fils de Dieu qui doit y présider s'y comportera et y procédera, ne dirait-on pas que tout le jugement du monde doit rouler sur le soin des pauvres ; que de là doive dépendre absolument et essentiellement

 

1 Psalm., CXXXIX, 13. — 2 Ibid., IX, 19. — 3 Ibid., XI, 6.

 

le sort éternel des hommes, c'est-à-dire que les uns ne doivent être condamnés que parce qu'ils auront méprisé le pauvre, et les autres comblés de gloire, que parce qu'ils l'auront secouru? Heureux donc, concluait le Prophète royal, heureux celui qui pense attentivement au pauvre : Beatus qui intelligit super egenum et pauperem (1) : pourquoi ? parce que Dieu, au jour de sa colère, l'épargnera et le sauvera : In die mala liberabit eum Dominus (2).

Finissons, et disons encore que Dieu viendra pour venger les faibles que le pouvoir, joint à la violence, aura opprimés : quatrième et dernière justice dont il se tiendra redevable à ses élus. Car maintenant c'est le crédit qui l'emporte, et qui a presque partout gain de cause : le plus fort a toujours raison, quoi qu'il entreprenne, et parce qu'il est le plus fort, il croit avoir un titre pour l'entreprendre, et il en vient à bout. Combien de persécutions, de vexations causées par l'abus de l'autorité ! combien de misérables, combien de veuves, faute d'appui, sacrifiés comme des victimes à la faveur ! combien de pupilles dont l'héritage devient, après bien des formalités, la proie du chicaneur et de l'usurpateur ! combien de familles ruinées parce que le bon droit, attaqué par une partie redoutable, n'a point trouvé de protection ! combien de procès mal fondés, néanmoins hautement gagnés, parce que les sollicitations, la cabale et les brigues ont prévalu ! Malgré la justice et les lois, le faible succombe presque toujours. S'il y a des juges sans probité, c'est toujours contre lui et jamais pour lui qu'ils se laissent corrompre. Du moment qu'il est le plus faible, par une malheureuse fatalité, tout lui est contraire et rien ne lui est favorable. Mais , Seigneur, il trouvera enfin auprès de vous ce qui lui aura été refusé à tous les tribunaux de la terre ; vous viendrez plein d'équité et de zèle, et vous prendrez la défense de l'orphelin, afin que le puissant, que le grand qui avait tant abusé de sa grandeur, cesse de se glorifier : Judicare pupillo et humili, ut non apponat ultra magnificare se homo super terram (3). Jusque-là il aura toujours eu le dessus; jusque-là fier de ses succès, parce que rien ne lui résistait, il aura passé, non-seulement pour le plus fort, mais pour le plus habile, pour le mieux établi clans ses droits, pour le plus digne d'être distingué et honoré; jusque-là il se sera fait une fausse gloire et un prétendu mérite de ses violences mêmes : mais vous le détromperez bien alors,

 

1 Ibid., XL, 2. — 2 Ibid. — 3 Ibid., X, 18.

 

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Seigneur, et vous lui ferez bien rabattre de ses vaines idées : Ut non apportat ultra magnificare se. Comment cela? c'est que vous tirerez le faible de l'oppression , et qu'il trouvera en vous, ô mon Dieu, un vengeur et un protecteur.

Il est donc vrai que le jugement de Dieu sera pour ses élus le jour de leur rédemption, le jour de leur gloire, le jour où Dieu leur fera justice. Ah! Chrétiens, à quoi pensons-nous, si, persuadés d'une vérité si touchante, nous ne travaillons pas de toutes nos forces à être du nombre de ces heureux prédestinés? que faisons-nous, si, renonçant aux fausses maximes du monde, nous ne nous mettons pas en état d'être de ces élus de Dieu qui paraîtront avec tant de confiance devant le tribunal de Jésus-Christ ? Or, en voici, mes chers auditeurs, l'important secret, que je vous laisse pour fruit de tout ce discours. Commencez dès maintenant à accomplir dans vos personnes ce que Dieu, dans le jugement dernier, fera en faveur de ses élus ; il les séparera d'avec les hypocrites et les impies : séparez-vous-en par la pratique d'une solide et d'une véritable piété ; il glorifiera les humbles : humiliez-vous, dit saint Pierre, et soumettez-vous à Dieu, afin que Dieu vous élève au jour de sa visite, c'est-à-dire dans son jugement : Humiliamini, ut vos Deus exaltet in tempore visitationis (1) ; il béatifiera les pauvres : assistez-les, soulagez-les, faites-vous-en des amis auprès de votre juge, afin que quand il viendra vous juger ils soient vos intercesseurs, et qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels ; il vengera les faibles opprimés : protégez-les, et, selon la mesure de votre pouvoir, soyez leurs patrons ; servez, à l'exemple de Dieu, de tuteurs au pupille et à la veuve.

 

1 1 Petr., V, 6.

 

Et vous, justes, humbles, pauvres, faibles, les bien-aimés de Dieu, soutenez-vous dans votre justice, dans votre obscurité, dans voire pauvreté, dans votre faiblesse, par l'attente de ce grand jour, qui sera tout à la fois le jour du Seigneur et le vôtre. Non pas que vous ne deviez craindre le jugement de Dieu, il est à craindre pour tous; mais en le craignant, craignez-le de sorte que vous puissiez au même temps le désirer, l'aimer, l'espérer : car, pourquoi ne l'aimeriez-vous pas, puisqu'il doit vous délivrer de toutes les misères de cette vie? pourquoi ne le désireriez-vous pas, puisqu'il doit vous racheter de la servitude du siècle? pourquoi ne l'espéreriez-vous pas, puisqu'il doit commencer votre bonheur éternel? Craignez le jugement de Dieu, mais craignez-le d'une crainte mêlée d'amour et accompagnée de confiance; craignez-le comme vous craignez Dieu. Il ne vous est point permis de craindre Dieu sans l'aimer; il faut qu'en le craignant vous l'aimiez, et que vous l'aimiez encore plus que vous ne le craignez ; sans cela votre crainte n'est qu'une crainte servile, qui ne suffit pas même pour le salut. Or, il en est de même du jugement de Dieu : craignons-le tous, mes chers auditeurs, ce terrible jugement, mais craignons-le d'une crainte efficace, d'une crainte qui nous convertisse, qui corrige nos désordres, qui redouble notre vigilance, qui rallume notre ferveur, qui nous porte à la pratique de toutes les œuvres chrétiennes, tellement que nous méritions d'être placés à la droite, et d'entendre de la bouche de notre juge ces consolantes paroles: Venite, benedicti Patris mei (1) : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous est préparé dès la création du monde : je vous le souhaite, etc.

 

1 Matth., XXV, 34.

 

 

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