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PROJET DOCTEUR ANGÉLIQUE
TRADUCTION ET PUBLICATION DE L’ŒUVRE DE SAINT THOMAS D’AQUIN

 

 

Le Magistère de l’Église
s’exprime sur Thomas d’Aquin

 

 

 

I. Historique des grands textes pontificaux sur saint Thomas d’Aquin

II. La philosophie chrétienne, saint Thomas d’Aquin, Léon XIII, 1879

III. Saint Pie X et les 24 thèses thomistes

IV. Bref du pape Benoit XV, 1918

V. L’encyclique Studiorum ducem, Pie XI, 1923: la conduite des études avec saint Thomas d’Aquin

VI. Extrait de la lettre encyclique Fides et ratio, Jean-Paul II, 1998

VII. Lettre apostolique Inter munera academiarum, Jean-Paul II, 1999

 
 

Table des matières ↑

I. Historique des grands textes pontificaux
sur saint Thomas d’Aquin

XIIIe SIÈCLE

Le pape Alexandre IV ouvre cette série. Dans un bref à Emeric, chancelier de l’Eglise de Paris, il écrit: « Bien vive a été notre satisfaction d’apprendre avec quel zèle et quelle vigilance vous prenez les intérêts de la piété et de la justice. C’est ainsi que récemment, avant même d’avoir reçu nos Lettres, vous avez accordé la Licence à Frère Thomas d’Aquin, de l’Ordre des Prêcheurs, homme également illustre par la noblesse de sa race, la pureté de sa vie, et le trésor de science et de doctrine que la grâce de Dieu lui a déjà fait acquérir. » Quand Alexandre IV tenait ce langage, en 1256, Thomas d’Aquin, âgé de trente ans, était loin encore d’avoir donné les plus belles productions de son génie.

XIVe SIÈCLE

Jean XXII, dans la bulle de Canonisation de Saint Thomas: « On apprend plus avec saint Thomas en une année, qu’avec tous les autres saints ensemble pendant toute la vie. »

« Autant ce Docteur a composé d’articles, autant il a opéré de miracles, » et cette autre du même pontife: « Lui qui  a plus éclairé l’Eglise que tous les autres docteurs ensemble. »

Clément VI, dans une bulle datée de 1344, après avoir comparé la doctrine de l’Ange de l’école au rayon de soleil qui illumine la terre, et à un glaive spirituel qui pourfend l’erreur, ajoute à sa louange: « Les écrits de saint Thomas, remplis de sagesse et de science, ne cessent pas de procurer à l’Eglise universelle cette abondance de fruits variés, dont l’arôme console et réjouit toujours la sainte Epouse de Jésus-Christ. »

Innocent VI: « La doctrine de saint Thomas a, plus que toutes les autres, le droit canon excepté, l’avantage de la propriété des termes, de la mesure dans l’expression, de la vérité des propositions, de telle sorte que ceux qui la possèdent ne sont jamais surpris hors du sentier de la vérité, et que quiconque l’a combattue a toujours été suspect d’erreur. »

Urbain V à l’Académie de Toulouse : « Considérant que saint Thomas a, par cette science éminente qu’il avait reçue de Dieu, illustré non seulement l’Ordre des Frères Prêcheurs, mais encore l’Eglise entière, et que, fidèlement attaché aux pas du bienheureux Augustin, il a enrichi cette même Eglise d’un très grand nombre de savants ouvrages, Nous vous exhortons dans le Seigneur Jésus à recevoir son corps avec toute sorte de respect, d’honneur et de vénération. »

« Nous voulons et, par la teneur des présentes, Nous vous enjoignons de suivre la doctrine du bienheureux Thomas, comme étant véridique et catholique, et de vous appliquer de toutes vos forces à la développer. »

XVIe SIÈCLE

En 1567, le pape saint Pie V déclara Thomas d’Aquin Docteur de l’Eglise, et ordonna que sa fête fût célébrée avec la même solennité lue celles des quatre premiers docteurs de l’Eglise latine: saint Grégoire le Grand, saint Ambroise, saint Augustin et saint Jérôme. Le principal motif de cette décision se trouve exposé comme il suit, dans la bulle Mirabilis : « Par un effet de la providence du Tout-Puissant, plusieurs hérésies qui s’étaient élevées, depuis la mort du Docteur angélique, sont maintenant confondues et entièrement dissipées, grâce à la force et à la vérité de sa doctrine; on l’a vu dans le passé, mais la chose a paru en dernier liera très clairement, dans les décrets du saint concile de Trente. »

Le zèle empressé des Napolitains, pour obtenir du Saint-Siège le droit d’honorer saint Thomas comme patron de leur cité, donna occasion au pape Clément VIII de leur adresser trois Brefs, desquels on peut détacher ces magnifiques éloges: « C’est par un motif également sage et pieux que vous désirez avoir pour nouveau protecteur le bienheureux Thomas d’Aquin, jadis votre concitoyen, angélique interprète des volontés divines, dont la doctrine a eu ce rare privilège d’être approuvée par le témoignage de Dieu même. En accordant votre demande, Nous voulons non seulement satisfaire Notre dévotion particulière envers ce Saint, mais témoigner, en Notre nom autant qu’au nom de toute l’Eglise, combien Nous nous sentons redevables au Docteur angélique. »

XVIIe SIÈCLE

Quatre ans après, Paul V, successeur de Clément VIII, écrivait: « Nous nous réjouissons beaucoup dans le Seigneur de voir tous les jours s’accroître le culte et les honneurs que l’on rend à saint Thomas d’Aquin, ce très illustre athlète de la foi catholique, dont les écrits servent à l’Eglise militante comme d’un bouclier pour repousser avec succès les traits des hérétiques. »

Le pape Alexandre VII, qui condamna les cinq propositions de Jansénius, écrivait, en 1660, aux docteurs de Louvain: « Nous ne doutons point que vous ne suiviez toujours et’ n’ayez en singulière vénération les principes très sûrs et inébranlables de saint Augustin et de saint Thomas, ces deux célèbres et saints docteurs, dont le grand génie et la réputation si bien établie parmi les peuples catholiques sont supérieurs à toute louange, et ne peuvent être recommandés par de nouveaux éloges. »

XVIIIe SIÈCLE

Benoît XIII, dans trois brefs adressés à l’Ordre des Frères Prêcheurs, auquel il déclare avoir eu l’honneur d’appartenir, relève de son autorité apostolique les louanges décernées par ses prédécesseurs à la doctrine de saint Thomas, et s’insurge contre les calomnies dont on l’a attaqué: « Par un effet de sa providence suprême, Dieu ne s’est pas contenté de donner au Docteur angélique la force et la science nécessaires pour confondre et dissiper les hérésies qui avaient précédé sa naissance ou qui s’étaient répandues de son temps, mais encore plusieurs autres qui ont affligé l’Eglise depuis sa mort. Méprisez donc, Nos chers fils, les calomnies que l’on a mises en avant pour noircir vos sentiments, particulièrement sur la grâce efficace par elle-même et par une vertu intrinsèque, comme parle l’école, et sur la prédestination gratuite à la gloire, sans aucune prévision des mérites; sentiments que vous avez enseignés jusqu’à ce jour avec honneur, que votre école se glorifie avec juste titre d’avoir puisés dans saint Augustin et dans saint Thomas, et qu’elle soutient avec une louable fermeté être conformes à la parole divine, aux décrets des conciles, aux décisions des souverains pontifes et à la doctrine des Pères de l’Eglise.

« Continuez de vous consacrer à l’étude des ouvrages. de votre saint Docteur sans craindre de vous égarer, puisque ses écrits, exempts de toute erreur, sont plus lumineux que le soleil, et que l’Eglise, qui admire son érudition, reconnaît en avoir été éclairée; appuyés sur une règle si sûre de la doctrine chrétienne, soutenez toujours avec courage les vérités de notre sainte religion et la pureté de sa morale.

« Voilà ce que nos prédécesseurs ont pensé et Nous ont appris de la doctrine de saint Thomas; à leurs justes éloges Nous joignons de grand coeur les Nôtres. »

L’acte important de Clément XII pour honorer la mémoire de l’angélique Docteur. Après avoir rappelé, l’approbation donnée à ses écrits par les pontifes romains, et cité nommément treize de ses prédécesseurs: Alexandre IV, Jean XXII, Clément VI, Urbain V, Nicolas V, Pie IV, Pie V, Sixte-Quint, Clément VIII, Paul V, Alexandre VII, Innocent XII et Benoît XIII, le Saint-Père déclare que, "voulant aussi témoigner son estime particulière pour la doctrine de saint Thomas, il accorde à tous les séculiers qui auront étudié la théologie dans les écoles des Frères Prêcheurs, selon la forme en usage, mêmes prérogatives, mêmes grades, mêmes droits aux bénéfices, que s’ils avaient suivi les cours des plus célèbres Universités du monde."

Dans la constitution de 1733 du pape Clément XII: « La doctrine de ce grand homme a été exaltée dans les conciles même oecuméniques. »

Pour continuer cette nomenclature, il faudrait citer encore Benoît XIV, Pie VI

XIXe SIÈCLE

… et Pie IX, qui ont comblé de louanges le Docteur angélique.

Léon XIII, Aeterni Patris : « Entre tous les docteurs scolastiques, brille, d’un éclat sans pareil leur prince et maître à tous, Thomas d’Aquin, lequel, ainsi que le remarque Cajetan, pour avoir profondément vénéré les Saints Docteurs qui l’ont précédé, a hérité en quelque sorte de l’intelligence de tous. Thomas recueillit leurs doctrines, comme les membres dispersés d’un même corps; il les réunit, les classa dans un ordre admirable, et les enrichit tellement, qu’on le considère lui-même, à juste titre, comme le défenseur spécial et l’honneur de l’Eglise. D’un esprit ouvert et pénétrant, d’une mémoire facile et sûre, d’une intégrité parfaite de moeurs, n’ayant d’autre amour que celui de la vérité, très riche de science tant divine qu’humaine, justement
comparé au soleil, il réchauffa la terre par le rayonnement de ses vertus, et la remplit de la splendeur de sa doctrine. Il n’est aucune partie de la philosophie qu’il n’ait traitée avec autant de pénétration que de solidité: les lois du raisonnement, Dieu et les substances incorporelles, l’homme et les autres créatures sensibles, les actes humains et leurs principes, font tour à tour l’objet des thèses qu’il soutient, dans lesquelles rien ne manque, ni l’abondante moisson des recherches, ni l’harmonieuse ordonnance des parties, ni une excellente manière de procéder, ni la solidité des principes ou la force des arguments, ni la clarté du style ou la propriété
de l’expression, ni la profondeur et la souplesse avec lesquelles il résout les points les plus obscurs. »

XXe SIÈCLE

Saint Pie X, Pascendi: « Quand Nous prescrivons la philosophie scolastique, ce que Nous entendons surtout par là - ceci est capital - c’est la philosophie que nous a léguée le Docteur angélique. Nous déclarons que tout ce qui a été édicté à ce sujet par Notre Prédécesseur reste pleinement en vigueur, et, en tant que de besoin, Nous l’édictons à nouveau et le confirmons, et ordonnons qu’il soit par tous rigoureusement observé. Que, dans les Séminaires où on aurait pu le mettre en oubli, les évêques en imposent et en exigent l’observance: prescriptions qui s’adressent aussi aux Supérieurs des Instituts religieux. Et que les professeurs sachent bien que s’écarter de saint Thomas, surtout dans les questions métaphysiques, ne va pas sans détriment grave. »

Pie XI, Studiorum ducem, 1923 : « Disons pourtant qu’entre ceux qui ont au cour l’amour de saint Thomas, et il convient que ce soit tous les fils de l’Église consacrés aux sciences supérieures, - Nous désirons voir régner une sage émulation dans une juste liberté, ce qui est la condition du progrès intellectuel, mais sans aucune de ces disputes qui ne servent pas la vérité et ne vont qu’à relâcher les liens de la charité. Que ces paroles du Code de Droit canonique soient donc la loi pour tous: « Quant aux études de philosophie et de théologie et à la formation des étudiants en ces matières, que les professeurs s’inspirent absolument de la méthode, de la doctrine et des principes de saint Thomas, et y soient inviolablement attachés »: que tous s’inspirent tellement de cette ligne de conduite qu’ils puissent en toute vérité l’appeler leur maître. Que les uns pourtant se gardent d’exiger des autres plus que n’exige de tous l’Église, mère et maîtresse de tous: dans les questions traditionnelles, où les meilleurs maîtres des différentes écoles théologiques ne sont pas d’accord, chacun peut, en toute liberté, suivre l’opinion qui lui paraît la plus vraisemblable. »

Pie XI, ibid. Studiorum ducem, 1923 : « Pour dissiper les erreurs qui sont la source et l’origine de toutes les misères actuelles, il faut s’attacher plus religieusement que jamais aux doctrines de saint Thomas. Il réfute à fond tous les mensonges modernistes: en philosophie, par la valeur et puissance qu’il reconnaît à l’esprit humain et les arguments très solides qu’il donne de l’existence de Dieu ; en dogmatique, par la distinction qu’il établit entre l’ordre surnaturel et l’ordre naturel et l’explication qu’il donne des raisons de croire et des dogmes à croire ; en théologie, par l’affirmation que les articles de foi ne sont pas de simples opinions, mais des vérités, et des vérités immuables ; en Écriture Sainte, par la vraie notion de l’inspiration ; en morale, en sociologie, en droit, par la formule exacte des principes de justice légale ou sociale, commutative ou distributive, et l’explication des rapports entre la justice et la charité; en ascétique, par les règles de la perfection chrétienne et la défense des Ordres religieux de son époque contre leurs adversaires. Enfin, contre la prétendue autonomie de la raison humaine, il revendique les droits et l’autorité sur nous du Dieu Souverain. On voit assez pourquoi, entre tous les Docteurs de l’Église, aucun n’est plus redoutable aux modernistes que Thomas d’Aquin. »

Pie XII, Humani Generis: « Si l’on a bien saisi ces précisions, on verra sans peine pour quelle raison l’Eglise exige que ses futurs prêtres soient instruits des disciplines philosophiques "selon la méthode, selon la doctrine et les principes du Docteur Angélique"; c’est que l’expérience de plusieurs siècles lui a parfaitement appris que la méthode de l’Aquinate l’emporte singulièrement sur toutes les autres, soit pour former les étudiants, soit pour approfondir les vérités peu accessibles ; sa doctrine forme comme un accord harmonieux avec la révélation divine ; elle est de toutes la plus efficace pour mettre en sûreté les fondements de la foi, comme pour recueillir utilement et sans dommage les fruits d’un progrès véritable C’est pour tant de motifs, qu’il est au plus haut point lamentable que la philosophie reçue et reconnue dans l’Eglise soit aujourd’hui méprisée par certains qui, non sans imprudence, la déclarent vieillie dans sa forme et rationaliste (comme ils osent dire) dans son processus de pensée. Nous les entendons répétant que cette philosophie, la nôtre, soutient faussement qu’il peut y avoir une métaphysique absolument vraie; et ils affirment de façon péremptoire que les réalités, et surtout les réalités transcendantes, ne peuvent être mieux exprimées que par des doctrines disparates, qui se complètent les unes les autres, encore qu’elles s’opposent entre elles toujours en quelque façon»

Paul VI, Lumen Ecclesiae n° 22 : « L’Église couvre de son autorité la doctrine de saint Thomas et s’en sert comme d’un instrument de choix, de telle sorte que, autant et plus que ses autres grands docteurs, il prolonge en quelque sorte son Magistère ».

 
 

Table des matières ↑

II. La philosophie chrétienne, saint Thomas d’Aquin
Léon XIII, 1879

 

LETTRE ENCYCLIQUE

 

À tous Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.

Le Fils unique du Père éternel, après avoir apparu sur la terre pour apporter au genre humain le salut ainsi que la lumière de la divine sagesse, procura au monde un immense et admirable bienfait quand, sur le point de remonter aux cieux, il enjoignit aux Apôtres d’aller et d’enseigner toutes les nations[1], et laissa, pour commune et suprême maîtresse de tous les peuples, l’Église qu’il avait fondée. Car les hommes que la vérité avait délivrés, la vérité devait les garder : et les fruits des célestes doctrines, qui ont été pour l’humanité des fruits de salut, n’eussent point été durables, si le Christ Notre Seigneur n’avait constitué, pour instruire les esprits dans la foi, un magistère perpétuel. Soutenue par les promesses, imitant la charité de son divin Auteur, l’Église a fidèlement accompli l’ordre reçu, ne perdant jamais de vue, poursuivant de toute son énergie ce dessein : enseigner la religion, combattre sans relâche l’erreur. C’est là que tendent les labeurs et les veilles de l’Épiscopat tout entier ; c’est à ce but qu’aboutissent les lois et les décrets des conciles, et c’est beaucoup plus encore l’objet de la sollicitude quotidienne des Pontifes romains, lesquels, successeurs de la primauté du bienheureux Pierre, le prince des Apôtres, ont le droit et le devoir d’enseigner leurs frères et de les confirmer dans la foi.

Or, ainsi que l’Apôtre nous en avertit, c’est par la philosophie et les vaines subtilités[2] que l’esprit des fidèles du Christ se laisse le plus souvent tromper, et que la pureté de la foi se corrompt parmi les hommes. Voilà pourquoi les Pasteurs suprêmes de l’Église ont toujours cru que leur charge les obligeait aussi à contribuer de toutes leurs forces au progrès de la véritable science et à pourvoir en même temps, avec une singulière vigilance, à ce que l’enseignement de toutes les sciences humaines fût donné partout selon les règles de la foi catholique, mais surtout celui de la philosophie, car c’est d’elle que dépend en grande partie la sage direction des sciences. Nous-même avions déjà touché ce point, entre plusieurs autres, Vénérables Frères, dans la première Lettre encyclique que Nous Vous adressâmes ; mais, aujourd’hui, l’importance du sujet et les circonstances Nous engagent à traiter de nouveau avec Vous de la nature d’un enseignement philosophique, qui respecte en même temps et les règles de la foi, et la dignité des sciences humaines.

Si l’on fait attention à la malice du temps où nous vivons, si l’on embrasse, par la pensée, l’état des choses tant publiques que privées, on le découvrira sans peine : la cause des maux qui nous accablent, comme de ceux qui nous menacent, consiste en ce que des opinions erronées sur les choses divines et humaines se sont peu à peu insinuées des écoles des philosophes, d’où jadis elles sortirent, dans tous les rangs de la société, et sont arrivées à se faire accepter d’un très grand nombre d’esprits. Comme, en effet, il est naturel à l’homme de prendre pour guide de ses actes sa propre raison, il arrive que les défaillances de l’esprit entraînent facilement celles de la volonté ; et c’est ainsi que la fausseté des opinions, qui ont leur siège dans l’intelligence, influe sur les actions humaines et les vicie. Au contraire, si l’intelligence est saine et fermement appuyée sur des principes vrais et solides, elle sera, pour la société comme pour les particuliers, la source de grands avantages, d’innombrables bienfaits.

Sans doute, nous n’accordons pas à la philosophie humaine assez de force et d’autorité pour la juger capable, par elle seule, de repousser ou de détruire absolument toutes les erreurs. De même, en effet, que lors du premier établissement de la religion chrétienne, ce fut l’admirable lumière de la foi, répandue non par les paroles persuasives de l’humaine sagesse, mais par la manifestation de l’esprit et de la force[3], qui reconstitua le monde dans sa dignité première ; de même, dans les temps présents, c’est, avant tout, de la vertu toute puissante et du secours de Dieu que nous devons attendre le retour des esprits, arrachés enfin aux ténèbres de l’erreur. Mais nous ne devons ni mépriser, ni négliger les secours naturels mis à la portée des hommes par un bienfait de la divine sagesse, laquelle dispose tout avec force et suavité ; et, de tous ces secours, le plus puissant, sans contredit, est l’usage bien réglé de la philosophie. Ce n’est pas vainement que Dieu a fait luire dans l’esprit humain la lumière de la raison ; et tant s’en faut que la lumière surajoutée de la foi éteigne ou amortisse la vigueur de l’intelligence ; au contraire, elle la perfectionne, et, en augmentant ses forces, la rend propre à de plus hautes spéculations.

Il est donc tout à fait dans l’ordre de la divine Providence que, pour rappeler les peuples à la foi et au salut, on recherche aussi le concours de la science humaine : procédé sage et louable, dont les pères de l’Église les plus illustres ont fait un usage fréquent, ainsi que l’attestent les monuments de l’antiquité. Ces mêmes Pères, en effet, assignèrent communément à la raison un rôle non moins actif qu’important, et saint Augustin le résume tout entier en quatre mots, lorsqu’il attribue à la science humaine ce par quoi la foi salutaire est engendrée, nourrie, défendue, fortifiée[4].

Et tout d’abord, la philosophie, entendue dans le vrai sens où l’ont prise les sages, a la vertu de frayer et d’aplanir en quelque sorte le chemin qui mène à la foi véritable, en disposant convenablement l’esprit de ses disciples à accepter la révélation : c’est pourquoi les anciens l’appelèrent sagement, tantôt une institution préparatoire à la foi chrétienne[5], tantôt le prélude et l’auxiliaire du christianisme[6], tantôt le préparateur à la doctrine de l’Évangile[7].

Et, en effet, dans son extrême bonté, Dieu, dans l’ordre des choses divines, nous a manifesté par la lumière de la foi, non seulement ces vérités que l’intelligence humaine ne peut atteindre par elle-même, mais encore beaucoup d’autres qui ne sont pas absolument inaccessibles à la raison, afin que, confirmées par l’autorité divine, elles puissent, sans aucun mélange d’erreur, être connues de tous.

De là vient que certaines vérités, proposées d’ailleurs à notre croyance par l’enseignement divin, ou qui se rattachent par des liens étroits à la doctrine de la foi, ont été reconnues, convenablement démontrées et défendues par les philosophes païens eux-mêmes, uniquement éclairés de la raison naturelle : " Car les choses invisibles de Dieu, comme dit l’Apôtre, depuis la création du monde, comprises par le moyen des choses créées, se perçoivent, et même son éternelle puissance et sa divinité[8] et les nations qui n’ont pas la loi… montrent néanmoins l’œuvre de la loi écrite dans leurs cœurs[9]. " Ces vérités, reconnues même par les philosophes païens, il est de toute opportunité de les faire tourner à l’avantage et à l’utilité de la doctrine révélée, afin de faire voir avec évidence comment l’humaine sagesse, elle aussi, comment le témoignage même de nos adversaires déposent en faveur de la foi chrétienne.

Cette tactique n’est certainement point d’introduction récente, mais elle est fort ancienne et d’un fréquent usage chez les Pères de l’Église. Bien plus, ces vénérables témoins et gardiens des traditions religieuses ont reconnu comme un modèle, presque comme une figure de ce procédé, dans ce fait des Hébreux, qui, près de sortir de l’Égypte, reçurent l’ordre d’emporter avec eux les vases d’or et d’argent et les riches vêtements des Égyptiens, afin que ces dépouilles, qui avaient servi jusque-là à des rites ignominieux et à de vaines superstitions, fussent, par un changement immédiat, consacrées à la religion du vrai Dieu. Saint Grégoire de Néocésarée fait un titre de gloire à Origène[10] de ce que, s’emparant d’idées ingénieusement choisies parmi celles des païens, comme des traits arrachés à l’ennemi, il les avait retournées avec une singulière adresse à la défense de la sagesse chrétienne et à la ruine de la superstition. Grégoire de Nazianze[11] et Grégoire de Nysse[12] louent et approuvent cette méthode de discussion dans saint Basile le Grand ; saint Jérôme la loue grandement dans Quadratus, disciple des Apôtres, dans Aristide, dans Justin, dans Irénée et dans un grand nombre d’autres[13]. " Ne voyons-nous pas, dit saint Augustin, avec quelle charge d’or, d’argent et de vêtements précieux sortit de l’Égypte Cyprien, docteur très suave, et bienheureux martyr ? et Lactance, et Victorin, et Optat, et Hilaire ? et pour taire les vivants, ces Grecs innombrables ? "[14] Or, si, avant d’être fécondée par la vertu du Christ, la raison naturelle a pu produire une si riche moisson, elle en produira certes une bien plus abondante, à présent que la grâce du Sauveur a restauré et augmenté les facultés natives de l’esprit humain. - Et qui ne voit le chemin commode et facile que cette méthode philosophique ouvre vers la foi ?

Toutefois, l’utilité de ce même procédé philosophique ne s’arrête pas à ces limites. Et, de fait, les oracles de la divine sagesse adressent de graves reproches à la folie de ces hommes qui, par les biens visibles n’ont pu comprendre Celui qui est, et, à la vue des œuvres, n’ont pu reconnaître l’ouvrier[15]. Ainsi, un premier fruit de la raison humaine, fruit grand et précieux entre tous, c’est la démonstration qu’elle nous donne de l’existence de Dieu : car, par la magnificence et la beauté de la créature, le Créateur de ces choses pourra être vu d’une manière intelligible[16].- La raison nous montre ensuite l’excellence singulière de ce Dieu qui réunit toutes les perfections, principalement une sagesse infinie, à laquelle rien ne peut échapper, et une souveraine justice contre laquelle aucune disposition vicieuse ne peut prévaloir ; elle nous fait comprendre ainsi que, non seulement Dieu est véridique, mais qu’il est la vérité même, ne pouvant ni se tromper ni tromper. D’où il ressort en toute évidence que la raison humaine procure à la parole de Dieu la foi la plus entière et la plus grande autorité. - Semblablement, la raison nous déclare que, dès son origine, la doctrine évangélique a brillé de signes merveilleux, arguments certains d’une vérité certaine ; c’est pourquoi ceux qui ajoutent foi à l’Évangile, ne le font point témérairement, comme s’ils s’attachaient à des fables spécieuses[17], mais ils soumettent leur intelligence et leur jugement à l’autorité divine par une obéissance entièrement conforme à la raison. Enfin, ce qui n’est pas moins précieux, la raison met en évidence comment l’Église, instituée par Jésus-Christ, nous offre (ainsi que l’établit le Concile du Vatican) " dans son admirable propagation, dans son éminente sainteté et la fécondité intarissable qu’elle révèle en tous lieux, dans l’unité catholique, dans son inébranlable stabilité, un grand et perpétuel motif de crédibilité et un témoignage irréfragable de la divinité de sa mission[18]. "

Ces fondements étant ainsi très solidement posés, on peut retirer encore de la philosophie des avantages sans nombre : c’est d’elle que la théologie sacrée doit recevoir et revêtir la nature, la forme et le caractère d’une vraie science. Il est, en effet, de toute nécessité que, dans cette dernière science, la plus noble de toutes, les parties nombreuses et variées des célestes doctrines soient rassemblées comme en un seul corps, de manière que, disposées avec ordre, chacune en son lieu, et déduites des principes qui leur sont propres, elles se trouvent fortement reliées entre elles ; il faut enfin que toutes ces parties, dans l’ensemble et dans le détail, soient confirmées par des preuves appropriées et inébranlables. - On ne peut non plus taire ni dédaigner cette connaissance plus exacte et plus riche des matières de nos croyances, et cette intelligence un peu plus nette, autant qu’il se peut faire, des mystères eux-mêmes de la foi. Saint Augustin et les autres Pères en ont fait le sujet de leurs éloges et l’objet de leur application, et le Concile du Vatican[19], à son tour, l’a déclarée très avantageuse. Cette connaissance et cette intelligence, ceux-là sans aucun doute les acquièrent plus abondamment et plus facilement, qui, à l’intégrité des mœurs et au zèle de la foi, joignent un esprit cultivé par les sciences philosophiques ; et c’est, en effet, la pensée de ce même Concile du Vatican, lorsqu’il enseigne que cette intelligence des dogmes sacrés doit se puiser, " tant dans l’analogie des choses qui sont connues naturellement, que dans le nœud qui relie les mystères entre eux et avec la fin dernière de l’homme[20]."

Il appartient enfin aux sciences philosophiques de protéger religieusement les vérités divinement révélées, et de résister à l’audace de ceux qui les attaquent. C’est là, certes, un beau titre d’honneur pour la philosophie, d’être appelée le boulevard de la foi, et comme le ferme rempart de la religion. " Il est vrai, " comme témoigne Clément d’Alexandrie, " que la doctrine du Sauveur est parfaite par elle-même et n’a besoin du secours de personne, puisqu’il est la force et la sagesse de Dieu. La philosophie grecque, par son concours, n’ajoute rien à la puissance de la vérité ; mais comme elle brise les arguments opposés à cette vérité par les sophistes, et qu’elle dissipe les embûches qui lui sont tendues, elle a été appelée la haie et la palissade dont la vigne est munie[21]." En effet, tandis que les ennemis du nom catholique, dans leurs luttes contre la religion, prétendent emprunter à la méthode philosophique la plupart des armes dont ils se servent, c’est également dans l’arsenal de la philosophie que les défenseurs des sciences divines demandent la plupart des moyens de défendre les dogmes révélés. Et il ne faut pas estimer que c’est un médiocre triomphe pour la foi chrétienne, que les armes empruntées contre elle par ses adversaires aux artifices de la raison humaine, cette même raison humaine les repousse avec autant de force que de facilité.

Cette sorte de joute religieuse fut employée par l’Apôtre des nations lui-même, ainsi que le rappelle saint Jérôme dans son épître à Magnus. Ce genre de combat fut familier à l’Apôtre des nations : Le guide de l’armée chrétienne, Paul, l’orateur invincible, défendant la cause du Christ, retourne avec art en faveur de la foi une inscription rencontrée par hasard : car il avait appris du vrai David à arracher le glaive aux mains de l’ennemi, et à se servir du propre fer du très orgueilleux Goliath pour lui trancher la tête[22].

L’Église elle-même, non seulement conseille, mais ordonne aux Docteurs chrétiens d’appeler à leur aide la philosophie.

Le cinquième Concile de Latran, après avoir établi que toute " assertion contraire à la vérité de la foi surnaturelle est absolument fausse, attendu que le vrai ne peut être contradictoire au vrai[23]," enjoint aux maîtres en philosophie de s’appliquer avec soin à la réfutation des arguments captieux ; " car, au témoignage de saint Augustin, toute raison apportée contre l’autorité des divines Écritures ne peut, si spécieuse soit-elle, que tromper par l’apparence du vrai ; car, pour vraie, elle ne peut l’être[24]."

Mais, pour que la philosophie se trouve en état de porter les fruits précieux que nous venons de rappeler, il faut, à tout prix, que jamais elle ne s’écarte du sentier suivi dans l’antiquité par le vénérable cortège des saints Pères, et que naguère le concile du Vatican approuvait solennellement de son autorité. C’est-à-dire que, puisque le plus grand nombre des vérités de l’ordre surnaturel, objet de notre foi, surpassent de beaucoup les forces de toute intelligence, la raison humaine, connaissant son infirmité, doit se garder de prétendre plus haut qu’elle ne peut, ou de nier ces mêmes vérités, ou de les mesurer à ses propres forces, ou de les interpréter selon son caprice ; elle doit plutôt les recevoir d’une foi humble et entière, et se tenir souverainement honorée d’être admise à remplir auprès des célestes sciences les fonctions de servante, et, par un bienfait de Dieu, de pouvoir les approcher en quelque façon. - Au contraire, s’il s’agit de ces points de doctrine que l’intelligence humaine peut saisir par ses forces naturelles, il est juste, sur ces matières, de laisser à la philosophie sa méthode, ses principes et ses arguments, pourvu toutefois, qu’elle n’ait jamais l’audace de se soustraire à l’autorité divine. Bien plus, ce que la révélation nous enseigne étant certainement vrai, et ce qui est contraire à la foi étant également contraire à la raison, le philosophe catholique doit savoir qu’il violerait les droits de la raison, aussi bien que ceux de la foi, s’il admettait une conclusion qu’il sût être contraire à la doctrine révélée.

Il en est, nous le savons, qui, exaltant outre mesure les puissances de la nature humaine, prétendent que, par soumission à la divine autorité, l’intelligence de l’homme déchoit de sa dignité native, et, courbée sous le joug d’une sorte d’esclavage, se trouve notablement retardée et embarrassée dans sa marche vers le faîte de la vérité et de sa propre excellence. - Mais ces assertions séduisantes sont pleines d’erreurs ; elles ont pour dernier résultat de porter les hommes au comble de la folie, et de les rendre coupables d’ingratitude, en leur faisant rejeter des vérités plus sublimes, et repousser spontanément le divin bienfait de la foi qui fut la source de tous les biens pour la société civile elle-même. En effet, l’esprit humain, circonscrit dans des limites déterminées et même assez étroites, est exposé à de nombreuses erreurs et à ignorer bien des choses. Au contraire, la foi chrétienne, appuyée qu’elle est sur l’autorité de Dieu, est une maîtresse très sûre de vérité : qui la suit, ne se laisse pas enlacer dans les filets de l’erreur ni ballotter par les flots d’opinions incertaines. Unir donc l’étude de la philosophie avec la soumission à la foi chrétienne, c’est se montrer excellent philosophe ; car la splendeur des vérités divines, en pénétrant l’âme, vient en aide à l’intelligence elle-même, et, loin de lui rien ôter de sa dignité, accroît considérablement sa noblesse, sa pénétration, sa solidité.

En appliquant la sagacité de l’esprit à réfuter les opinions contraires à la foi et à prouver celles qui s’y rattachent, on exerce sa raison avec autant de dignité que de profit ; pour les premières, on découvre les causes de l’erreur, et l’on discerne le défaut des arguments sur lesquels elles s’appuient ; pour les autres, on possède les raisons qui les démontrent solidement et sont, pour tout homme sage, des motifs efficaces de persuasion. Cette application, cet art, cet exercice, augmentent les ressources de l’esprit et en développent les facultés : qui le nierait, prétendrait, ce qui est absurde, que discerner le vrai du faux ne sert de rien pour le progrès de l’intelligence. C’est donc avec raison que le Concile du Vatican célèbre en ces termes les précieux avantages procurés à la raison par la foi : " La foi délivre de l’erreur la raison et la prémunit contre elle et la dote de connaissances variées[25]." Par conséquent, l’homme, s’il est sage, ne doit pas accuser la foi d’être l’ennemie de la raison et des vérités naturelles ; mais il doit plutôt rendre à Dieu de dignes actions de grâces, et se féliciter grandement de ce que, parmi tant de causes d’ignorance et au milieu de cet océan d’erreurs, la très sainte lumière de la foi brille à ses yeux, et, comme un astre bienfaisant, lui montre, à l’abri de tout péril d’erreur, le port de la vérité.

Si maintenant, Vénérables Frères, Vous parcourez l’histoire de la philosophie, Vous y trouverez la démonstration de tout ce que Nous venons de dire. En effet, parmi les philosophes anciens, qui n’eurent pas le bienfait de la foi, ceux mêmes qui passaient pour les plus sages tombèrent, en bien des points, dans de monstrueuses erreurs. Vous n’ignorez pas combien, à travers quelques vérités, ils enseignent de choses fausses et absurdes, combien plus d’incertaines et de douteuses, touchant la nature de la divinité, l’origine première des choses, le gouvernement du monde, la connaissance que Dieu a de l’avenir, la cause et le principe des maux, la fin dernière de l’homme et l’éternelle félicité, les vertus et les vices, et d’autres points de doctrine, dont la connaissance vraie et certaine est d’une nécessité absolue au genre humain.

Au contraire, les premiers Pères et Docteurs de l’Église, comprenant très bien que, dans les desseins de la volonté divine, le Christ est le restaurateur de la science, puisqu’il est la force et la sagesse de Dieu[26] et qu’en lui sont cachés tous les trésors de sagesse et de science[27], entreprirent de fouiller les livres des anciens philosophes, et de comparer leurs sentiments avec les doctrines révélées ; par un choix intelligent, ils adoptèrent ce qui leur parut chez eux conforme à la vérité et à la sagesse, et, quant au reste, ils rejetèrent ce qu’ils ne pouvaient corriger. Car, de même que Dieu, dans son admirable Providence, suscita pour la défense de l’Église, contre la cruauté des tyrans, des martyrs héroïques et noblement prodigues de leur vie, ainsi, aux sophistes et aux hérétiques, il opposa des hommes d’une profonde sagesse qui eussent soin de défendre, même par le secours de la raison humaine, le trésor des vérités révélées. Dès le berceau de l’Église, la doctrine catholique rencontra des adversaires très acharnés, qui, tournant en dérision les dogmes et les principes des chrétiens, affirmaient qu’il y avait plusieurs dieux, que le monde matériel n’a ni commencement ni cause, que le cours des choses n’est pas régi par le conseil de la divine Providence, mais qu’il est mû par on ne sait quelle force aveugle et par une fatale nécessité. Contre ces fauteurs de doctrines insensées s’élevèrent à propos des hommes savants, connus sous le nom d’apologistes, lesquels, guidés par la foi, prouvèrent, au moyen d’arguments empruntés au besoin à la sagesse humaine, qu’on ne doit adorer qu’un Dieu, doué, au plus haut point, de tous les genres de perfection, que toutes choses sont sorties du néant par sa toute-puissance, qu’elles subsistent par sa sagesse et par elle sont mues et dirigées chacune vers sa fin propre.

Au premier rang de ces apologistes, nous rencontrons le martyr saint Justin. Après avoir parcouru, comme pour les éprouver, les plus célèbres d’entre les écoles grecques, après s’être convaincu qu’on ne pouvait puiser la vérité tout entière que dans les doctrines révélées, Justin s’attacha à ces dernières de toute l’ardeur de son âme, les justifia des calomnies dont on les chargeait, les défendit auprès des empereurs romains avec autant de vigueur que d’abondance, et montra l’accord qui souvent existait entre elles et les idées des philosophes païens.

À la même époque, Quadratus et Aristide, Hermias et Athénagore suivirent avec succès la même voie.- Cette cause suscita un défenseur non moins illustre dans la personne de l’invincible martyr Irénée, pontife de l’Église de Lyon ; en réfutant vaillamment les opinions perverses apportées de l’Orient par les gnostiques et disséminées sur toute l’étendue de l’empire, il expliqua, par la même occasion, comme le dit saint Jérôme, les origines de toutes les hérésies, et découvrit dans les écrits des philosophes les sources d’où elles émanaient.

Tout le monde connaît les controverses soutenues par Clément d’Alexandrie, au sujet desquelles saint Jérôme s’écrie avec admiration : Que peut-on y trouver de faible ? Qu’y a-t-il qui ne sorte du cœur même de la philosophie ?[28] Clément écrivit sur une incroyable variété de sujets, des choses très utiles, soit pour l’histoire de la philosophie, soit pour l’art et l’exercice de la dialectique, soit pour établir la concorde entre la foi et la raison.- Après lui vient Origène. Cet illustre maître de l’École d’Alexandrie, très instruit dans les doctrines des Grecs et des Orientaux, publia des livres, aussi nombreux que savants, d’une merveilleuse utilité pour l’interprétation des divines Écritures et l’explication des dogmes sacrés ; bien que ces ouvrages, tels du moins qu’ils nous sont restés, ne soient point tout à fait exempts d’erreurs, ils renferment néanmoins un grand nombre de pensées qui ajoutent au trésor et augmentent la force des vérités naturelles. Aux hérétiques, Tertullien oppose l’autorité des Saintes Lettres ; avec les philosophes, il change d’armure, et leur oppose la philosophie ; ces derniers, il les réfute avec tant d’habileté et d’érudition, qu’il ne craint point de leur jeter à la face ce défi : En fait de science comme en fait de discipline, quoi que vous en pensiez, vous n’êtes pas mes pairs[29].

Arnobe, dans ses livres contre les Gentils, et Lactance, principalement dans ses Institutions divines, emploient l’un et l’autre au service de leur zèle une égale éloquence et une vigueur égale, pour inculquer aux hommes les dogmes et les préceptes de la sagesse catholique ; toutefois, loin de bouleverser la philosophie, comme le font les académiciens[30], ils se servent pour convaincre, tantôt des armes qui leur sont propres, tantôt de celles que leur livrent les querelles intestines des philosophes[31]. Les écrits que le grand Athanase, et Chrysostome, le prince des orateurs, nous ont laissés sur l’âme humaine, les divins attributs et d’autres questions de souveraine importance, sont, au jugement de tous, d’une telle perfection qu’il semble impossible de rien désirer de plus riche et de plus profond. Sans vouloir prolonger outre mesure cette série de noms, nous ajouterons cependant aux grands hommes que nous avons nommés Basile le Grand ainsi que les deux Grégoire. Ils sortaient d’Athènes, ce domicile de tous les arts, où ils s’étaient pourvus abondamment de toutes les ressources de la philosophie ; et ces trésors de science, que chacun d’eux avait conquis avec une ardeur si vive, ils les firent servir à la réfutation des hérétiques et à l’enseignement des chrétiens.

Mais la palme semble appartenir entre tous à saint Augustin, ce puissant génie qui, pénétré à fond de toutes les sciences divines et humaines, armé d’une foi souveraine, d’une doctrine non moins grande, combattit sans défaillance toutes les erreurs de son temps. Quel point de la philosophie n’a-t-il pas touché, n’a-t-il pas approfondi, soit qu’il découvrit aux fidèles les plus hauts mystères de la foi, tout en les défendant contre les assauts furieux de ses adversaires ; soit que, réduisant à néant les fictions des Académiciens et des Manichéens, il assit et assurât les fondements de la science humaine, ou recherchât la raison, l’origine et la cause des maux sous le poids desquels l’humanité gémit ? Avec quelle élévation, quelle profondeur, n’a-t-il pas traité des anges, de l’âme, de l’esprit humain, de la volonté et du libre arbitre, de la religion et de la vie bienheureuse, du temps et de l’éternité, et jusque de la nature des corps, sujets aux changements ! Plus tard, en Orient, Jean Damascène, sur les traces de Grégoire de Nazianze, en Occident, Boëce et Anselme, suivant les doctrines d’Augustin, enrichissent à leur tour le patrimoine de la philosophie.

Ensuite, les Docteurs du moyen âge, connus sous le nom de scolastiques, viennent entreprendre une œuvre colossale : ils recueillent avec soin les riches et abondantes moissons de doctrine, répandues çà et là dans les œuvres innombrables des Pères, et en font comme un seul trésor, pour l’usage et la commodité des générations futures.

Et ici, Vénérables Frères, Nous aimons à emprunter les paroles par lesquelles Sixte V, Notre prédécesseur, homme de profonde sagesse, développe l’origine, le caractère et l’excellence de la doctrine scolastique : " Par la divine magnificence de Celui qui, seul, donne l’esprit de sagesse et qui, dans le cours des âges et selon les besoins, ne cesse d’enrichir son Église de nouveaux bienfaits et de la munir de défenses nouvelles, nos ancêtres, hommes de science profonde, inventèrent la théologie scolastique. Mais ce sont surtout deux glorieux docteurs, l’angélique saint Thomas et le séraphique saint Bonaventure, tous deux professeurs illustres en cette faculté… qui, par leur talent incomparable, leur zèle assidu, leurs grands travaux et leurs veilles, cultivèrent cette science, l’enrichirent et la léguèrent à l’avenir, disposée dans un ordre parfait, largement et admirablement développée. Et certes, la connaissance et l’habitude d’une science aussi salutaire, qui découle de la source très féconde des Saintes Écritures, des Souverains Pontifes, des saints Pères et des Conciles, a pu, en tous temps, être d’un très grand secours à l’Église, soit pour la saine intelligence et la véritable interprétation des Écritures, soit pour lire et expliquer les Pères plus sûrement et plus utilement, soit pour démasquer et réfuter les diverses erreurs et les hérésies ; mais, en ces derniers jours, qui nous ont amené ces temps critiques prédits par l’Apôtre et dans lesquels des hommes blasphémateurs, orgueilleux, séducteurs, progressent dans le mal, errant eux-mêmes et induisant en erreur les autres à coup sûr, pour confirmer les dogmes de la foi catholique et réfuter les hérésies, la science dont nous parlons est plus que jamais nécessaire.[32] "

Cet éloge, bien qu’il ne paraisse comprendre que la théologie scolastique, s’applique cependant, comme on le voit, à la philosophie elle-même. En effet, les qualités éminentes qui rendent la théologie scolastique si formidable aux ennemis de la vérité, à savoir, ainsi que l’ajoute le même Pontife, " cette cohésion étroite et parfaite des effets et des causes, cette symétrie et cet ordre semblables à ceux d’une armée en bataille, ces définitions et distinctions lumineuses, cette solidité d’argumentation et cette subtilité de controverse, par lesquelles la lumière est séparée des ténèbres, le vrai distingué du faux, et les mensonges de l’hérésie, dépouillées du prestige et des fictions qui les enveloppent, sont découvertes et mises à nu[33] " ; toutes ces brillantes et admirable qualités, disons-nous, sont dues uniquement au bon usage de la philosophie, que les docteurs scolastiques avaient pris généralement le soin et la sage coutume d’adopter, même dans les controverses théologiques. En outre, comme le caractère propre et distinctif des théologies scolastiques est d’unir entre elles, par le nœud le plus étroit, la science divine et la science humaine, la théologie, dans laquelle ils excellèrent, n’aurait certainement pu acquérir autant d’honneur et d’estime dans l’opinion des hommes, si ses docteurs n’eussent employé qu’une philosophie incomplète, tronquée ou superficielle.

Mais entre tous les docteurs scolastiques, brille, d’un éclat sans pareil leur prince et maître à tous, Thomas d’Aquin, lequel, ainsi que le remarque Cajetan, pour avoir profondément vénéré les Saints Docteurs qui l’ont précédé, a hérité en quelque sorte de l’intelligence de tous[33]. Thomas recueillit leurs doctrines, comme les membres dispersés d’un même corps ; il les réunit, les classa dans un ordre admirable, et les enrichit tellement, qu’on le considère lui-même, à juste titre, comme le défenseur spécial et l’honneur de l’Église. - D’un esprit ouvert et pénétrant, d’une mémoire facile et sûre, d’une intégrité parfaite de mœurs, n’ayant d’autre amour que celui de la vérité, très riche de science tant divine qu’humaine, justement comparé au soleil, il réchauffa la terre par le rayonnement de ses vertus, et la remplit de la splendeur de sa doctrine. Il n’est aucune partie de la philosophie qu’il n’ait traitée avec autant de pénétration que de solidité : les lois du raisonnement, Dieu et les substances incorporelles, l’homme et les autres créatures sensibles, les actes humains et leurs principes, font tour à tour l’objet des thèses qu’il soutient, dans lesquelles rien ne manque, ni l’abondante moisson des recherches, ni l’harmonieuse ordonnance des parties, ni une excellente manière de procéder, ni la solidité des principes ou la force des arguments, ni la clarté du style ou la propriété de l’expression, ni la profondeur et la souplesse avec lesquelles il résout les points les plus obscurs.

Ajoutons à cela que l’angélique docteur a considéré les conclusions philosophiques dans les raisons et les principes mêmes des choses : or, l’étendue de ces prémisses, et les vérités innombrables qu’elles contiennent en germe, fournissent aux maîtres des âges postérieurs une ample matière à des développements utiles, qui se produiront en temps opportun. En employant, comme il le fait, ce même procédé dans la réfutation des erreurs, le grand docteur est arrivé à ce double résultat, de repousser à lui seul toutes les erreurs des temps antérieurs, et de fournir des armes invincibles pour dissiper celles qui ne manqueront pas de surgir dans l’avenir.- De plus, en même temps qu’il distingue parfaitement, ainsi qu’il convient, la raison d’avec la foi, il les unit toutes deux par les liens d’une mutuelle amitié : il conserve ainsi à chacune ses droits, il sauvegarde sa dignité, de telle sorte que la raison, portée sur les ailes de saint Thomas, jusqu’au faîte de l’intelligence humaine, ne peut guère monter plus haut, et que la foi peut à peine espérer de la raison des secours plus nombreux ou plus puissants que ceux que saint Thomas lui a fournis.

C’est pourquoi, surtout dans les siècles précédents, des hommes du plus grand renom en théologie comme en philosophie, après avoir recherché avec une incroyable avidité les œuvres immortelles du grand docteur, se sont livrés tout entier, Nous ne dirons pas à cultiver son angélique sagesse, mais à s’en pénétrer et à s’en nourrir.

On sait que presque tous les fondateurs et législateurs des Ordres religieux ont ordonné à leurs frères d’étudier la doctrine de saint Thomas et de s’y attacher religieusement, et qu’ils ont pourvu d’avance à ce qu’il ne fût permis à aucun d’eux de s’écarter impunément, pas même sur le moindre point, des vestiges d’un si grand homme : sans parler de la famille dominicaine, qui revendique cet illustre maître comme une gloire lui appartenant, les Bénédictins, les Carmes, les Augustins, la Société de Jésus et plusieurs autres Ordres religieux sont soumis à cette loi, ainsi qu’en témoignent leurs statuts respectifs.

Et, ici, c’est avec un extrême plaisir que l’esprit se reporte à ces écoles et ces académies célèbres et jadis si florissantes de Paris, de Salamanque, d’Alsace, de Douai, de Toulouse, de Louvain, de Padoue, de Bologne, de Naples, de Coïmbre, et d’autres en grand nombre. Personne ne l’ignore : la gloire de ces académies crût, en quelque sorte, avec le temps, et les consultations qu’on leur demandait, dans les affaires les plus importantes, jouirent partout d’une grande autorité. Or, on sait aussi que, dans ces nobles asiles de la sagesse humaine, saint Thomas régnait en prince, comme dans son propre empire, et que tous les esprits, tant des maîtres que des auditeurs, se reposaient uniquement, et dans une admirable concorde, sur l’enseignement et l’autorité du docteur angélique.

Il y a plus encore : les Pontifes romains, nos prédécesseurs, ont honoré la sagesse de Thomas d’Aquin de remarquables éloges et des plus glorieux suffrages.

Clément VI, Nicolas V, Benoît XIII, d’autres encore témoignent de l’éclat que son admirable doctrine donne à l’Église universelle. Saint Pie V reconnaît que cette même doctrine confond, terrasse et dissipe les hérésies, et que chaque jour elle délivre le monde entier de funestes erreurs ; d’autres, avec Clément XII, affirment que des biens abondants ont découlé de ses écrits sur l’Église universelle, et qu’on lui doit à lui-même les honneurs et le culte que l’Église rend à ses plus grands docteurs, Grégoire, Ambroise, Augustin et Jérôme ; d’autres enfin ne crurent pas trop faire en proposant saint Thomas aux académies et aux grandes écoles, comme un modèle et un maître qu’elles pouvaient suivre sans crainte d’erreur. Et, à ce propos, les paroles du bienheureux Urbain V à l’académie de Toulouse méritent d’être rappelées ici : " Nous voulons et, par la teneur des présentes, Nous vous enjoignons de suivre la doctrine du bienheureux Thomas, comme étant véridique et catholique, et de vous appliquer de toutes vos forces à la développer[34]." À l’exemple d’Urbain V, Innocent XII impose les mêmes prescriptions à l’université de Louvain, et Benoît XIV au collège dionysien de Grenade. Pour couronner ces jugements portés par les Pontifes suprêmes sur saint Thomas d’Aquin, Nous ajoutons ce témoignage d’Innocent VI : " La doctrine de saint Thomas a, plus que toutes les autres, le droit canon excepté, l’avantage de la propriété des termes, de la mesure dans l’expression, de la vérité des propositions, de telle sorte que ceux qui la possèdent ne sont jamais surpris hors du sentier de la vérité, et que quiconque l’a combattue a toujours été suspect d’erreur[35]."

À leur tour, les conciles œcuméniques dans lesquels brille la fleur de la sagesse cueillie de toute la terre, se sont appliqués en tout temps à rendre à Thomas d’Aquin un hommage particulier. Dans les conciles de Lyon, de Vienne, de Florence, du Vatican, on eût cru voir saint Thomas prendre part, présider même, en quelque sorte, aux décrets des Pères, et combattre, avec une vigueur indomptable et avec le plus heureux succès, les erreurs des Grecs, des hérétiques et des rationalistes. Mais le plus grand honneur rendu à saint Thomas, réservé à lui seul, et qu’il ne partagea avec aucun des docteurs catholiques, lui vint des Pères du concile de Trente : ils voulurent qu’au milieu de la sainte assemblée, avec le livre des divines Écritures et des décrets des Pontifes suprêmes, sur l’autel même, la Somme de Thomas d’Aquin fût déposée ouverte, pour qu’on pût y puiser des conseils, des raisons, des oracles.

Enfin, une dernière palme semble avoir été réservée à cet homme incomparable : il a su arracher aux ennemis eux-mêmes du nom catholique le tribut de leurs hommages, de leurs éloges, de leur admiration. On le sait, en effet : par les chefs des partis hérétiques, on en a vu déclarer hautement, qu’une fois la doctrine de saint Thomas d’Aquin supprimée, ils se faisaient forts d’engager une lutte victorieuse avec tous les docteurs catholiques, et d’anéantir l’Église[36].- Vaine espérance, sans doute, mais le témoignage n’est point vain.

Pour ces faits et ces motifs, Vénérables Frères, toutes les fois que Nous considérons la bonté, la force et les remarquables avantages de cet enseignement philosophique, tant aimé de Nos Pères, Nous jugeons que ç’a été une témérité de n’avoir continué, ni en tous temps, ni en tous lieux, à lui rendre l’honneur qu’il mérite : d’autant plus que la philosophie scolastique a en sa faveur et un long usage, et l’approbation d’hommes éminents, et, ce qui est capital, le suffrage de l’Église. À la place de la doctrine ancienne, un nouveau genre de la philosophie s’est introduit çà et là, et n’a point porté les fruits désirables et salutaires que l’Église et la société civile elle-même eussent souhaités. Sous l’impulsion des novateurs du XVIe siècle, on se prit à philosopher sans aucun égard pour la foi et l’on s’accorda mutuellement pleine licence de laisser aller sa pensée selon son caprice et son génie. Il en résulta tout naturellement que les systèmes de philosophie se multiplièrent outre mesure, et que des opinions diverses, contradictoires, se firent jour, même sur les objets les plus importants des connaissances humaines. De la multitude des opinions on arriva facilement aux hésitations et au doute : or, du doute à l’erreur, qui ne le voit ? la chute est facile.

Les hommes se laissant volontiers entraîner par l’exemple, cette passion de la nouveauté parut avoir envahi, en certains pays, l’esprit des philosophes. Dédaignant le patrimoine de la sagesse antique, ils aimèrent mieux édifier à neuf qu’accroître et perfectionner le vieil édifice, projet certes peu prudent, et qui ne s’exécuta qu’au grand détriment des sciences. En effet, ces systèmes multiples, appuyés uniquement sur l’autorité et le jugement de chaque maître particulier, n’ont qu’une base mobile, et, par conséquent, au lieu d’une science sûre, stable et robuste, comme était l’ancienne, ne peuvent produire qu’une philosophie branlante et sans consistance. Si donc il arrive parfois à cette philosophie de se trouver à peine en force pour résister aux assauts de l’ennemi, elle ne doit s’imputer qu’à elle-même la cause et la faute de sa faiblesse.

En disant cela, Nous n’entendons certes pas improuver ces savants ingénieux qui emploient à la culture de la philosophie leur talent, leur érudition, ainsi que les richesses des inventions nouvelles. Nous le comprenons parfaitement : tous ces éléments concourent au progrès de la science. Mais il faut se garder, avec le plus grand soin, de faire de ce talent et de cette érudition le seul ou même le principal objet de son application. On doit en juger de même pour la théologie : il est bon de lui apporter le secours et la lumière d’une érudition variée ; mais est-il absolument nécessaire de la traiter à la manière grave des scolastiques, afin que, grâce aux forces réunies de la révélation et de la raison, elle ne cesse d’être le boulevard inexpugnable de la foi[37] ?

C’est donc par une heureuse inspiration que des amis, en certain nombre, des sciences philosophiques, désirant, dans ces dernières années, en entreprendre la restauration d’une manière efficace, se sont appliqués et s’appliquent encore à remettre en vigueur l’admirable doctrine de saint Thomas d’Aquin, et à rendre à cet enseignement son ancien lustre. Animés d’un même esprit, plusieurs membres de Votre Ordre, Vénérables Frères, sont entrés avec ardeur dans la même voie. Cela a causé à Notre âme la plus grande joie. Nous les en louons vivement et Nous les exhortons à persévérer dans cette noble entreprise ; quant aux autres, Nous les avertissons tous que rien ne Nous est plus à cœur, et que Nous ne souhaitons rien tant que les voir fournir largement et copieusement à la jeunesse studieuse les eaux très pures de la sagesse, telles que le docteur angélique les répand en flots pressés et intarissables.

Plusieurs motifs provoquent en Nous cet ardent désir : En premier lieu, comme à notre époque la foi chrétienne est journellement en butte aux manœuvres et aux ruses d’une certaine fausse sagesse, il faut que tous les jeunes gens, ceux particulièrement dont l’éducation est l’espoir de l’Église, soient nourris d’une doctrine substantielle et forte, afin que, pleins de vigueur et revêtus d’une armure complète, ils s’habituent de bonne heure à défendre la religion avec vaillance et sagesse, prêts, selon l’avertissement de l’Apôtre, à rendre raison à quiconque le demande, de l’espérance qui est en nous[38] ; ainsi qu’à exhorter, dans une doctrine saine, et à convaincre ceux qui y contredisent[39]. Ensuite, un grand nombre de ceux qui, éloignés de la foi, haïssent les principes catholiques, prétendent ne connaître d’autre maître et d’autre guide que la raison.

Pour les guérir et les ramener à la grâce en même temps qu’à la foi catholique, après le secours surnaturel de Dieu, Nous ne voyons rien de plus opportun que la forte doctrine des Pères et des scolastiques, lesquels, ainsi que Nous l’avons dit, mettent sous les yeux les fondements inébranlables de la foi, sa divine origine, sa vérité certaine, ses motifs de persuasion, les bienfaits qu’elle procure au genre humain, son parfait accord avec la raison, et tout cela, avec plus de force et d’évidence qu’il n’en faut pour fléchir les esprits les plus rebelles et les plus obstinés.

L’immense péril dans lequel la contagion des fausses opinions a jeté la famille et la société civile est pour nous tous évident. Certes, l’une et l’autre jouiraient d’une paix plus parfaite et d’une sécurité plus grande si, dans les académies et les écoles, on donnait une doctrine plus saine et plus conforme à l’enseignement de l’Église, une doctrine telle qu’on la trouve dans les œuvres de Thomas d’Aquin. Ce que saint Thomas nous enseigne sur la vraie nature de la liberté, qui de nos temps, dégénère en licence, sur la divine origine de toute autorité, sur les lois et leur puissance, sur le gouvernement paternel et juste des souverains, sur l’obéissance due aux puissances plus élevées, sur la charité mutuelle qui doit régner entre tous les hommes ; ce qu’il nous dit sur ces sujets et autres du même genre, a une force immense, invincible, pour renverser tous ces principes du droit nouveau, pleins de dangers, on le sait, pour le bon ordre et le salut public. Enfin, toutes les sciences humaines ont droit à espérer un progrès réel et doivent se promettre un secours efficace de la restauration, que Nous venons de proposer, des sciences philosophiques. En effet, les beaux-arts demandent à la philosophie, comme à la science modératrice, leurs règles et leur méthode, et puisent chez elle, comme à une source commune de vie, l’esprit qui les anime. Les faits et l’expérience constante nous le font voir : les arts libéraux ont été surtout florissants lorsque la philosophie conservait sa gloire et sa sagesse ; au contraire, ils ont langui, négligés et presque oubliés, quand la philosophie a baissé et s’est embarrassée d’erreurs ou d’inepties.

Aussi, les sciences physiques elles-mêmes, si appréciées à cette heure, et qui, illustrées de tant de découvertes, provoquent de toute part une admiration sans bornes, ces sciences, loin d’y perdre, gagneraient singulièrement à une restauration de l’ancienne philosophie. Ce n’est point assez pour féconder leur étude et assurer leur avancement, que de se borner à l’observation des faits et à la contemplation de la nature ; mais les faits constatés, il faut s’élever plus haut, et s’appliquer avec soin à reconnaître la nature des choses corporelles et à rechercher les lois auxquelles elles obéissent, ainsi que les principes d’où elles découlent et l’ordre qu’elles ont entre elles, et l’unité dans leur variété, et leur mutuelle affinité dans la diversité. On ne peut s’imaginer combien la philosophie scolastique, sagement enseignée, apporterait à ces recherches de force, de lumière et de secours.

À ce propos, il importe de prémunir les esprits contre la souveraine injustice que l’on fait à cette philosophie, en l’accusant de mettre obstacle au progrès et au développement des sciences naturelles. Comme les scolastiques, suivant en cela les sentiments des saints Pères, enseignent à chaque pas, dans l’anthropologie, que l’intelligence ne peut s’élever que par les choses sensibles à la connaissance des êtres incorporels et immatériels, ils ont compris d’eux-mêmes l’utilité pour le philosophe de sonder attentivement les secrets de la nature, et d’employer un long temps à l’étude assidue des choses physiques. C’est, en effet, ce qu’ils firent.

Saint Thomas, le bienheureux Albert le Grand, et d’autres princes de la scolastique, ne s’absorbèrent pas tellement dans la contemplation de la philosophie, qu’ils n’aient aussi apporté un grand soin à la connaissance des choses naturelles ; bien plus, dans cet ordre de connaissances, il est plus d’une de leurs affirmations, plus d’un de leurs principes, que les maîtres actuels approuvent, et dont ils reconnaissent la justesse. En outre, à notre époque même, plusieurs illustres maîtres des sciences physiques attestent publiquement et ouvertement que, entre les conclusions admises et certaines de la physique moderne et les principes philosophiques de l’école, il n’existe en réalité aucune contradiction.

Nous donc, tout en proclamant qu’il faut recevoir de bonne grâce et avec reconnaissance toute pensée sage, toute invention heureuse, toute découverte utile, de quelque part qu’elles viennent, Nous Vous exhortons, Vénérables Frères, de la manière la plus pressante, et cela pour la défense et l’honneur de la foi catholique, pour le bien de la société, pour l’avancement de toutes les sciences, à remettre en vigueur et à propager le plus possible la précieuse doctrine de saint Thomas. Nous disons la doctrine de saint Thomas, car s’il se rencontre dans les docteurs scolastiques quelque question trop subtile, quelque affirmation inconsidérée, ou quelque chose qui ne s’accorde pas avec les doctrines éprouvées des âges postérieurs, qui soit dénué, en un mot, de toute valeur, Nous n’entendons nullement le proposer à l’imitation de notre siècle. Du reste, que des maîtres, désignés par Votre choix éclairé, s’appliquent à faire pénétrer dans l’esprit de leurs disciples la doctrine de saint Thomas d’Aquin, et qu’ils aient soin de faire ressortir combien celle-ci l’emporte sur toutes les autres en solidité et en excellence. Que les académies, que Vous avez instituées ou que Vous instituerez par la suite, expliquent cette doctrine, la défendent et l’emploient pour la réfutation des erreurs dominantes. Mais, pour éviter qu’on ne boive une eau supposée pour la véritable, une eau bourbeuse pour celle qui est pure, veillez à ce que la sagesse de saint Thomas soit puisée à ses propres sources, ou du moins à ces ruisseaux qui, sortis de la source même, coulent encore purs et limpides, au témoignage assuré et unanime des docteurs : de ceux, au contraire, qu’on prétend dérivés de la source, mais qui, en réalité, se sont gonflés d’eaux étrangères et insalubres, écartez-en avec soin l’esprit des adolescents.

Mais, Nous le savons, tous Nos efforts seront vains, si Notre commune entreprise, Vénérables Frères, n’est secondée par Celui qui s’appelle le Dieu des sciences dans les divines Écritures[40], lesquelles Nous avertissent également que " tout bien excellent et tout don parfait vient d’en haut, descendant du Père des lumières[41]." Et encore : " Si quelqu’un a besoin de la sagesse, qu’il la demande à Dieu, lequel donne à tous avec abondance et ne reproche pas ses dons, et elle lui sera donnée[42]." En cela aussi, suivons l’exemple du docteur angélique, qui ne s’adonnait jamais à l’étude ou à la composition avant de s’être, par la prière, rendu Dieu propice, et qui avouait avec candeur que tout ce qu’il savait, il le devait moins à son étude et à son propre travail qu’à l’illumination divine.

Adressons donc au Seigneur d’humbles et unanimes prières, afin qu’il répande sur les fils de son Église l’esprit de science et d’intelligence, et qu’il ouvre leur raison à la lumière de la sagesse. Et, pour obtenir en plus grande abondance les fruits de la divine bonté, faites intervenir auprès de Dieu le très puissant secours de la Bienheureuse Vierge Marie, qui est appelée le Siège de la sagesse; recourez en même temps à l’intercession de saint Joseph, le très pur époux de la Vierge, ainsi qu’à celle des grands apôtres Pierre et Paul, qui renouvelèrent par la vérité la terre infectée de la contagion de l’erreur, et la remplirent des splendeurs de la céleste sagesse.

Enfin, soutenu par l’espoir du secours divin et confiant en Votre zèle pastoral, Nous Vous donnons à tous, Vénérables Frères, du fond de Notre cœur, ainsi qu’à Votre clergé et au peuple commis à la sollicitude de chacun de Vous, la bénédiction apostolique, comme un gage des dons célestes et en témoignage de Notre particulière bienveillance.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 4e jour d’août de l’an 1879, de Notre Pontificat l’an II.

Léon XIII, pape

1. Matth. XXVIII, 19. [↩]

2. Coloss., II, 8. [↩]

3. I Cor. II, 4. [↩]

4. De Trinit. lib. XIV. c. 1. [↩]

5. Clem. Alexandr., Strom. lib. I. c. 16 ; lib. VIII. c. 3. [↩]

6. Orig. ad Gregor. Thaum. [↩]

7. Clem. Alex., Strom. lib. I. c. 5. [↩]

8. Rom. I, 20. [↩]

9. Ibid. II, 14-15. [↩]

10. Orat. Paneg. [↩]

11. Vit. Moys. [↩]

12. Carm. I. lamb. 3. [↩]

13. Epist. ad Magn. [↩]

14. De doctr. Christ. lib. II, c. 40. [↩]

15. Sap. XIII, I. [↩]

16. Ibid. 5. [↩]

17. II. Petr. I, 16. [↩]

18. Const. dogm. de Fide cath., cap. 3. [↩]

19. Constit. cit., cap. 4. [↩]

20. Ibid. [↩]

21. Strom. lib. I, c. 20. [↩]

22. Epist. ad Magn. [↩]

23. Bulla Apostolici regiminis. [↩]

24. Epist. CXLIII al. 7 ad Marcellin, n. 7. [↩]

25. Constit. dogm. de Fide cath. cap. 4. [↩]

26. I. Cor. I, 24. [↩]

27. Coloss. II, 3. [↩]

28. Epist. ad Magn. [↩]

29. Loc. cit. [↩]

30. Apologet. § 46. [↩]

31. De Opif. Dei, cap. 21. [↩]

32. Bulla Triumphantis, an. 1558. [↩]

33. In 2am 2ae q. 148, a, 4, in finem. [↩]

34. Cons. V. ad cancell. Univ. Tolos., 1368. [↩]

35. Sermo de S. Thoma. [↩]

36. Beza-Bucerus. [↩]

37. Sixtus, V, Bulla. cit. [↩]

38. I, Pet. III, 15. [↩]

39. Tit. l, 9. [↩]

40. Reg., 1, n, 3. [↩]

41. Jac., 1, 17. [↩]

42. Ibid., I, 5. [↩]

 
 

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III. Saint Pie X et les 24 thèses thomistes

ENCYCLIQUE PASCENDI, 8 SEPTEMBRE 1907
(SUR LES DOCTRINES MODERNISTES)

I.- La philosophie de saint Thomas, base des études.

63. Premièrement, en ce qui regarde les études, Nous voulons et ordonnons que la philosophie scolastique soit mise à la base des sciences sacrées. Il va sans dire que s’il se rencontre quelque chose chez les docteurs scolastiques que l’on puisse regarder comme excès de subtilité, ou qui ne cadre pas avec les découvertes des temps postérieurs, ou qui n’ait enfin aucune espèce de probabilité, il est loin de notre esprit de vouloir le proposer à l’imitation des générations présentes (cf. Pape Léon XIII, Encyclique Æternis Patris). Et quand Nous prescrivons la philosophie scolastique, ce que Nous entendons surtout par là - ceci est capital - c’est la philosophie que nous a léguée le Docteur angélique. Nous déclarons donc que tout ce qui a été édicté à ce sujet par Notre Prédécesseur reste pleinement en vigueur, et, en tant que de besoin. Nous l’édictons à nouveau et le confirmons, et ordonnons qu’il soit par tous rigoureusement observé. Que, dans les Séminaires où on aurait pu le mettre en oubli, les évêques en imposent et en exigent l’observance: prescriptions qui s’adressent aussi aux Supérieurs des Instituts religieux. Et que les professeurs sachent bien que s’écarter de saint Thomas, surtout dans les questions métaphysiques, ne va pas sans détriment grave.

II.- Exclusion des modernistes du sacerdoce, des chaires et des grades.

67. […] Que le doctorat en théologie et en droit canonique ne soit plus conféré désormais à quiconque n’aura pas suivi le cours régulier de philosophie scolastique; conféré, qu’il soit tenu pour nul et de nulle valeur.

 

BREF HISTORIQUE DES 24 THÈSES
CONTENANT LES PRINCIPAUX POINTS ENSEIGNÉS
PAR SAINT THOMAS D’AQUIN

Saint Pie X, dans un Motu proprio du 29 juin 1914, prescrivit que les principes et les principaux points de doctrine enseignés dans les Écoles de Philosophie soient ceux de saint Thomas d’Aquin. Divers professeurs soumirent au jugement de la Congrégation des Études les Thèses, au nombre de vingt-quatre, qui résumaient l’enseignement qu’ils avaient l’habitude de donner sur des points particuliers discutés. La Congrégation, après en avoir conféré avec le Pape, déclara que ces Vingt-Quatre Thèses contenaient ouvertement les principaux points de la doctrine thomiste.

Après la mort du saint Pape, des doutes furent portés à la Congrégation des Séminaires et Universités. En février 1916, deux réunions, auxquelles assistait le Cardinal Mercier, aboutirent à la décision suivante: les Vingt-Quatre Thèses devaient être proposées comme des règles de direction entièrement sûres. Benoît XV confirma cette décision, et la promulgua le 7 mars 1916.

En 1947, une loi est insérée dans le Code de Droit canonique: les professeurs doivent traiter de tous points les études de la philosophie rationnelle et de la théologie, et la formation des élèves dans ces sciences, selon la méthode, la doctrine et les principes du Docteur Angélique, et s’y tenir religieusement. Or, parmi les sources qu’il indique, le Code signale le décret approuvant les Vingt-Quatre Thèses: celles-ci représentent donc bien la doctrine et les principes visés par l’article 1366, § 2, du Code.

Note: Les références données plus bas pour chacune des thèses soutenues par le Docteur angélique ne sont pas exhaustives.

 

LES 24 THÈSES THOMISTES

I. — Potentia et actus ita dividunt ens, ut quidquid est, vel sit actus purus, vel ex potentia et actu tanquam primis atque intrinsecis principiis necessario coalescat.

La puissance et l’acte divisent l’être de telle sorte que tout ce qui existe, ou bien est acte pur, ou bien se compose nécessairement de puissance et d’acte comme principes premiers et intrinsèques.

(Cf. S. Thomas, Métaphysiques, V, 14; IX, surtout I. I, 5, 7, 8, 9.- De Potentia, q. 1, a. 1 et 3; Somme théologique, Ire Partie, question 77, article 1, conclusion.)

 

II. — Actus, utpote perfectio, non limitatur, nisi per potentiam, quae est capacitas perfectionis. Proinde in quo ordine actus est purus, in eodem non nisi illimitatus et unicus existit; ubi vera est finitus ac multiplex, in veram incidit cum potentia compositionem.

L’acte, étant perfection, n’est limité que par la puissance qui est capacité de perfection. Par conséquent, dans l’ordre où il est pur, l’acte se trouve nécessairement sans limites et unique; mais là où il est fini et multiple, il entre dans une véritable composition avec la puissance.

(Cf. S. Thomas, I Contra Gentiles, ch. 43; I Sentences, dist. 43, q. 2.)

  

III. — Quapropter in absoluta ipsius esse ratione unus subsistit Deus, unus est simplicissimus: cetera cunsta quae ipsum esse participant, naturam habent qua esse coarctatur, ac tamquam distinctis realiter principiis, essentia et esse constant.

Aussi seul Dieu subsiste-t-il dans la raison absolue de l’être lui-même, seul il est parfaitement simple; toutes les autres choses qui participent de l’être lui-même ont une nature qui limite leur être et sont constituées d’une essence et d’une existence, comme de principes réellement distincts.

(Cf. S. Thomas, I Contra Gentiles, cc. 38, 52-54; Somme théologique, Ire Partie, q. 50, a. 2, ad. 3; L’Être et l’Essence, c. 5.)

 

IV. — Ens, quod denominatur ab esse, non univoce de Deo, et creaturis dicitur, nec tamen prorsus aequivoce, sed analogice, analogia tum attributionis tum proportionalitatis.

L’être, qui reçoit sa dénomination du verbe être, se dit de Dieu et des créatures d’une façon non pas univoque, ni pourtant tout équivoque, mais analogue d’une analogie et d’attribution et de proportionnalité.

(Cf. S. Thomas, I Contra Gentiles, cc. 32-34; De Potentia, q. 7, a. 7.) 

 

V. — Est praeterea in omni creatura realis compositio subjecti subsistentis cum formis secundario additis, sive accidentibus: ea vera nisi esse realiter in essentia distincta reciperetur, intelligi non posset.

Il y a, en outre, dans toute créature, composition réelle d’un sujet subsistant avec des formes surajoutées, des accidents: mais cette composition serait inintelligible si l’existence n’était pas réellement reçue dans une essence distincte.

(Cf. S. Thomas, I Contra Gentiles, c. 23; II Contra Gentiles, c. 52; Somme théologique, Ire Partie, q. 3; a. 6; L’Être et l’Essence, c. 7.)  

 

VI. — Praeter absoluta accidentia est etiam relativum, sive ad aliquid. Quamvis enim ad aliquid non significet secundum propriam rationem aliquid alicui inhaerens, saepe tamen causam in rebus habet, et ideo realem entitatem distinctam a subjecto.

Outre les accidents absolus, il en est un de relatif, en d’autres termes, un rapport à quelque chose. Bien que ce rapport ne signifie pas par lui-même quelque chose d’inhérent à un sujet, il y a souvent toutefois dans les choses sa cause et par suite une réalité entitative distincte du sujet.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, q. 28, surtout a. 1.)

 

VII. — Creatura spiritualis est in sua essentia omnino simplex. Sed remanet in ea compositio duplex: essentiae cum esse et substantiae cum accidentibus.

La créature spirituelle est tout à fait simple dans son essence. Mais il reste en elle une double composition, celle de l’essence et d’existence et celle de substance et d’accidents.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, questions 50-51 et 54; De spiritualibus creaturis, a. 1.)

 

VIII. — Creatura vero corporalis est quoad ipsam essentiam composita potentia et actu; quae potentia et actus ordinis essentiae materiae et formae nominibus designantur.

Quant à la créature corporelle, elle est dans son essence même composée de puissance et d’acte: cette puissance et cet acte de l’ordre de l’essence sont désignés sous les noms de matière et de forme.

(Cf. S. Thomas, De spiritualibus creaturis, a. 1.) 

 

IX. — Earum partium neutra per se esse habet, nec per se producitur vel corrumpitur, nec ponitur in praedicamento nisi reductive ut principium substantiale.

De ces deux parties, aucune n’existe par soi, n’est produite par soi, ne se corrompt par soi, ne peut être rangée dans un prédicament si ce n’est par réduction, en tant que principe substantiel.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, q. 45, a. 4; De Potentia, q. III, a. 1, ad. 12.) 

 

X. — Etsi corpoream naturam extensio in partes integrales consequitur, non tamen idem est corpori esse substantiam et esse quantum. Substantia quippe ratione sui indivisibilis est, non quidem ad modum puncti, sed ad modum ejus quod est extra ordinem dimensionis. Quantitas vero, quae extensionem substantiae tribuit, a susbtantia realiter differt, et est veri nominis accidens.

Bien que l’extension en parties intégrantes résulte de la nature des corps, ce n’est pourtant point la même chose pour un corps d’être une substance et d’être étendu. La substance, en effet, par elle-même, est indivisible, non à la façon d’un point, mais à la manière de ce qui se trouve en dehors de l’ordre de la dimension. Mais la quantité, qui donne son extension à la substance, en diffère réellement et c’est un véritable accident.

(Cf. S. Thomas, IV Contra Gentiles, c. 65; I Sent., dist. 37, q. 2, a. 1, ad. 3; II Sent., dist. 30, q. 2, a. 1.) 

 

XI. — Quantitate signata materia principium est individuationis, id est numericae distinctionis (quae in puris spiritibus esse non potest) unius individui ab alio in eadem natura specifica.

La matière désignée par la quantité est le principe de l’individuation, c’est-à-dire de la distinction numérique, impossible chez les esprits purs, d’individus au sein d’une même nature spécifique.

(Cf. S. Thomas, II Contra Gentiles, cc. 92-93; Somme théologique, Ire Partie, q. 50, a. 4; L’Être et l’Essence, c. II.) 

 

XII. — Eadem efficitur quantitate ut corpus circumscriptive sit in loco, et in uno tantum loco de quacumque potentia per hunc modum esse possit.

Cette même quantité fait que le corps se trouve d’une façon circonscriptive dans un lieu et qu’il ne peut, de quelque puissance que ce soit, se trouver de cette façon que dans un seul lieu.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, IIIe Partie, q. 75; IV Sent., dist. 10, a. 3; Quodlib., III.) 

 

XIII. — Corpora dividuntur bifariam: quaedam enim sunt viventia, quaedam expertia vitae. In viventibus, ut in eodem subjecto pars movens et pars mota per se habeantur, forma substantialis, animae nomine designata, requirit organicam dispositionem, seu partes heterogeneas.

Les corps se divisent en deux catégories: les uns sont vivants, les autres n’ont pas la vie. Chez les corps vivants, pour qu’il y ait dans un même sujet, par soi, une partie qui meuve et une partie qui soit mue, la forme substantielle, appelée âme, exige une disposition organique, en d’autres termes, des parties hétérogènes.

(Cf. S. Thomas, I Contra Gentiles, c. 97; Somme théologique, Ire Partie, q. 18, aa. 1-2; q. 75, a. 1; V Métaphysiques, lect. 14e; De Anima, passim., et spécialement L. II, c.I.) 

 

XIV. — Vegetalis et sensibilis ordinis animae nequaquam per se subsistunt, nec per se producuntur, sed sunt tantummodo ut principium quo vivens est et vivit, et, cum a materia se tolis dependeant, corrupto composito, eo ipso per accidens corrumpuntur.

Les âmes de l’ordre végétatif et de l’ordre sensible ne subsistent pas par elles-mêmes et ne sont pas produites en elles-mêmes; elles existent seulement à titre de principe par lequel l’être vivant existe et vit; et, comme elles dépendent de la matière par tout elles-mêmes, elles se corrompent par accident à la corruption du composé.

(Cf. S. Thomas, II Contra Gentiles, cc. 80, 82; Somme théologique, Ire Partie, q. 75, a. 3, et q. 90, a. 2.) 

 

XV. — Contra, per se subsistit anima humana, quae, cum subjecto sufficienter disposito potest infundi, a Deo creatur, et sua natura incorruptibilis est atque immortalis. 

Par contre, subsiste par elle-même l’âme humaine qui, créée par Dieu quand elle peut être infusée à un sujet suffisamment disposé, est de sa nature incorruptible et immortelle.

(Cf. S. Thomas, II Contra Gentiles, cc. 83 et suiv.; Somme théologique, Ire Partie, q. 75, a. 2; q. 90; q. 118; Questions disputées, De Anima, a. 14; De Potentia, q. 3, a. 2.) 

 

XVI. — Eadem anima rationalis ita unitur corpori, ut sit ejusdem forma substantialis unica, et per ipsam habet homo ut sit homo et animal et vivens et corpus et substantia et ens. Tribuit igitur anima homini omnem gradum perfectionis essentialem; insuper communicat corpori actum essendi, quo ipsa est. 

Cette âme raisonnable est unie au corps de façon à en être l’unique forme substantielle: c’est à elle que l’homme doit d’être homme, animal, vivant, corps, substance, être. L’âme donne donc à l’homme tous ses degrés essentiels de perfection; de plus elle communique au corps l’acte d’existence qui la fait exister elle-même.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, q. 76; II Contra Gentiles, cc. 56, 68-71; De Anima, a. 1; Quest. Disp., De Spiritualibus creaturis, a. 3.) 

 

XVII. — Duplicis ordinis facultates, organicae et inorganicae, ex anima humana per naturalem resultantiam emanant: priores, ad quas sensus pertinet, in composito subjectantur, posteriores in anima sola. Est igitur intellectus facultas ab organo intrinsece independens. 

Des facultés de deux ordres, les unes organiques, les autres inorganiques, émanent de l’âme humaine par un résultat naturel; les premières, auxquelles appartient le sens, ont pour sujet le composé; les secondes, l’âme seule. L’intelligence est donc une faculté intrinsèquement indépendante de tout organe.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, qq. 77-79; II Contra Gentiles, c. 72; De Spiritualibus creaturis, a. 11 et suiv.; De Anima, a. 12 et ss.) 

 

XVIII. — Immaterialitatem necessario sequitur intellectualitas, et ita quidem ut secundum gradus elongationis a materia, sint quoque gradus intellectualitatis. Adaequatum intellectionis objectum est communiter ipsum ens; proprium vero intellectus humani objectum in praesenti statu unionis, quidditatibus abstractis a conditionibus materialibus continetur. 

L’immatérialité entraîne nécessairement l’intellectualité à ce point qu’aux degrés d’éloignement de la matière répondent autant de degrés d’intellectualité. L’objet adéquat de l’intellection est d’une façon générale l’être lui-même; mais l’objet propre de l’intelligence humaine, dans son état actuel d’union avec le corps, est fait de quiddités abstraites de leurs conditions matérielles.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, q. 14, a. 1; q. 84, a. 7; q. 89, aa. 1-2; II Contra Gentiles, cc. 59, 72.)

 

XIX. — Cognitionem ergo accipimus a rebus sensibilibus. Cum autem sensibile non sit intelligibile in actu, praeter intellectum formaliter intelligentem, admittenda est in anima virtus activa, quae species intelligibiles a phantasmatibus abstrahat.

Nous recevons donc des choses sensibles notre connaissance. Mais comme l’objet sensible n’est pas actuellement intelligible, il faut admettre dans l’âme, en plus de l’intelligence formellement connaissante, une forme active capable d’abstraire des images les espèces intelligibles.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, q. 79, aa. 3-4; q. 84, aa. 6-7; II Contra Gentiles, c. 76 et suiv.; De Spiritualibus creatoris, a. 10.) 

 

XX. — Per has species directe universalia cognoscimus; singularia sensu attingimus, tum etiam intellectu per conversionem ad phantasmata; ad cognitionem vero spiritualium per analogiam ascendimus.

 Par ces espèces (intellectuelles) nous connaissons directement des objets universels; les objets singuliers, nous les atteignons par les sens et aussi par l’intelligence grâce à un retour sur les images; quant à la connaissance des choses spirituelles, nous nous y élevons par analogie.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, questions 85-88.) 

 

XXI. — Intellectum sequitur, non praecedit voluntas, quae necessario appetit id quod sibi praesentatur tanquam bonum ex omni parte explens appetitum, sed inter plura bona, quae judicio mutabili appetenda proponuntur, libere eligit. Sequitur proinde electio judicium practicum ultimum; at quod sit ultimum, voluntas efficit.

La volonté suit l’intelligence, ne la précède point; elle se porte d’un mouvement nécessaire vers l’objet qui lui est présenté comme un bien rassasiant de tout point l’appétit, mais entre plusieurs biens qu’un jugement réformable lui propose à rechercher, elle est libre dans son choix. Le choix suit donc le dernier jugement pratique; mais, qu’il soit le dernier, c’est la volonté qui le fait.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, qq. 82-83; II Contra Gentiles, cc. 72 et suiv.; De Veritate, q. 22, a. 5; De Malo, q. 11.) 

 

XXII. — Deum esse neque immediata intuitione percipimus, neque a priori demonstramus, sed utique a posteriori, hoc est, per ea quae facta sunt, ducto argumento ab effectibus ad causam: videlicet, a rebus quae moventur et sui motus principium adaequatum esse non possunt, ad primum motorem immobilem: a processu rerum mundanarum e causis inter se subordinatis, ad primam causam incausatam; a corruptibilibus, quae aequaliter se habent ad esse et non esse, ad ens absolute necessarium; ab iis quae secundum minoratas perfectiones essendi, vivendi, intelligendi, plus et minus sunt, vivunt, intelligunt, ad eum qui est maxime intelligens, maxime vivens, maxime ens; denique ab ordine universi ad intellectum sezparatum qui res ordinavit, disposuit et dirigit in finem.

L’existence de Dieu, nous ne la percevons point dans une intuition immédiate, nous ne la démontrons pas a priori, mais bien a posteriori, c’est-à-dire par les créatures, l’argument allant des effets à la cause: savoir, des choses qui sont mues et qui ne peuvent être le principe adéquat de leur mouvement, à un premier moteur immobile; du fait que les choses de ce monde viennent de causes subordonnées entre elles, à une première cause non causée; des choses corruptibles qui sont indifférentes à être ou à n’être pas, à un être absolument nécessaire; des choses qui, selon des perfections amoindries d’être, de vie et d’intelligence, sont, vivent, pensent plus ou moins, à celui qui est souverainement intelligent, souverainement vivant, souverainement être; enfin, de l’ordre de l’univers, à une intelligence séparée qui a mis en ordre et disposé les choses et les dirige vers leur fin.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, q. 2; I Contra Gentiles, cc. 12 et 31; III Contra Gentiles, qq. 10 et 11; De Veritate, qq. 1 et 10; De Potentia, qq. 4 et 7.) 

 

XXIII. — Divina essentia, per hoc quod exercitae actualitati ipsius esse identificatur, seu per hoc quod est ipsum Esse subsistens, in sua veluti metaphysica ratione bene nobis constituta proponitur, et per hoc idem rationem nobis exhibet suae infinitatis in perfectione.

L’essence divine, par là même qu’elle s’identifie avec l’actualité en exercice de son existence, en d’autres termes, qu’elle est l’Être même subsistant, s’offre à nous comme bien constituée pour ainsi dire dans sa raison métaphysique et par là aussi elle nous fournit la raison de son infinité en perfection.

(Cf. S. Thomas, I Sent., dist. 8, q. 1; Somme théologique, Ire Partie, q. 4, a. 2; q. 13, a. 11.) 

 

XXIV. — Ipsa igitur puritate sui esse, a finitis omnibus rebus secernitur Deus. Inde infertur primo, mumdum nonnisi per creationem a Deo procedere potuisse; deinde virtutem creativam, qua per se primo attingitur ens in quantum ens, nec miraculose ulli finitae naturae esse communicabilem; nullum denique creatum agens in esse cujuscumque effectus influere, nisi motione accepta a prima Causa.

 Donc, par la pureté même de son être, Dieu se distingue de toutes les choses finies. De là il s’ensuit d’abord que le monde n’a pu procéder de Dieu que par une création; ensuite que le pouvoir créateur, qui atteint de sa nature premièrement l’être en tant qu’être, ne peut, pas même par miracle, se communiquer à aucune nature finie; enfin qu’aucun agent créé ne peut influer sur l’être d’un effet quel qu’il soit, si ce n’est par une motion reçue de la Cause première.

(Cf. S. Thomas, Somme théologique, Ire Partie, qq. 44-45, 105; II Contra Gentiles, cc. 6-15; III, cc. 66-69; IV, c. 44; Questions disputées: de Potentia, surtout q. 3, a. 7.)  

 
 

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IV. Bref du pape Benoit XV, 1918

Au cher fils Thomas Pègues, de l’ordre des prêcheurs

Cher fils, salut et bénédiction apostolique. 

Les éloges, d’éclat exceptionnel, que le Siège Apostolique a faits de Thomas d’Aquin ne permettent plus à aucun catholique de douter que ce docteur n’ait été, dans ce but, suscité par Dieu, afin que l’Église eût un maître de la doctrine qu’elle suivrait par excellence en tout temps. D’autre part, il semblait convenable que la sagesse unique de ce docteur fût directement ouverte, non pas seulement aux hommes du clergé, mais encore à tous ceux, quels qu’ils soient, qui cultiveraient à un degré plus élevé les études religieuses, et jusqu’à la multitude elle-même: la nature veut, en effet, que plus on approche de la lumière, plus on s’en trouve abondamment éclairé. Vous êtes donc grandement à louer, vous qui, ayant entrepris d’expliquer par un commentaire littéral en français l’œuvre principale du Docteur angélique, la Somme théologique — et les volumes déjà parus montrent que votre projet se réalise avec succès — avez récemment publié la même Somme rendue en forme de catéchisme. Par là, vous n’avez pas d’une façon moins apte approprié les richesses de ce grand génie à l’usage des moins instruits qu’à celui des plus doctes, donnant, sous une forme brève et succincte, dans le même ordre lumineux, tout ce que lui-même avait exposé d’une façon plus copieuse. Et, assurément, Nous vous félicitons de ce fruit d’un travail et d’une étude prolongés, dans lequel il est permis de reconnaître votre grande connaissance et votre grande science de la doctrine thomiste ; et Nous souhaitons, ce qui est le vœu que vous inspire votre amour de la sainte Église, que ce travail serve au plus grand nombre possible pour connaître à fond la doctrine chrétienne. Comme gage des faveurs divines et comme témoignage de Notre bienveillance très spéciale, Nous vous accordons très affectueusement, à vous, cher fils, et à vos disciples, la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 5 février 1919, de Notre Pontificat, la cinquième année.  

Benoît XV, pape.

 
 

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V. L’encyclique Studiorum ducem, Pie XI, 1923
La conduite des études avec saint Thomas d’Aquin

 
 

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VI. Extrait de la lettre encyclique Fides et ratio
Jean-Paul II, 1998

DU SOUVERAIN PONTIFE JEAN-PAUL II
AUX ÉVÊQUES DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE
SUR LES RAPPORTS ENTRE LA FOI ET LA RAISON

 

Vénérés Frères dans l’épiscopat, salut et Bénédiction apostolique!

LA FOI ET LA RAISON sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. C’est Dieu qui a mis au cœur de l’homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L’aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même (cf. Ex 33, 18; Ps 27 [26], 8-9; 63 [62], 2-3; Jn 14, 8; 1 Jn 3, 2).

(…)

42. Dans la théologie scolastique, le rôle de la raison éduquée par la philosophie devient encore plus considérable, sous la poussée de l’interprétation anselmienne de l’intellectus fidei. Pour le saint archevêque de Cantorbéry, la priorité de la foi ne s’oppose pas à la recherche propre à la raison. Celle-ci, en effet, n’est pas appelée à exprimer un jugement sur le contenu de la foi; elle en serait incapable, parce qu’elle n’est pas apte à cela. Sa tâche est plutôt de savoir trouver un sens, de découvrir des raisons qui permettent à tous de parvenir à une certaine intelligence du contenu de la foi. Saint Anselme souligne le fait que l’intellect doit se mettre à la recherche de ce qu’il aime: plus il aime, plus il désire connaître. Celui qui vit pour la vérité est tendu vers une forme de connaissance qui s’enflamme toujours davantage d’amour pour ce qu’il connaît, tout en devant admettre qu’il n’a pas encore fait tout ce qu’il désirerait: « J’ai été fait pour te voir et je n’ai pas encore fait ce pour quoi j’ai été fait » (Ad te videndum factus sum, et nondum feci propter quod factus sum).[42] Le désir de vérité pousse donc la raison à aller toujours au-delà; mais elle est comme accablée de constater qu’elle a une capacité toujours plus grande que ce qu’elle appréhende. À ce point, toutefois, la raison est en mesure de découvrir l’accomplissement de son chemin: « Car j’estime qu’il doit suffire à qui recherche une chose incompréhensible de parvenir en raisonnant à connaître ce qu’elle est plus que certainement, même s’il ne peut, par son intelligence, pénétrer comment elle est de la sorte […]. Or qu’est-il d’aussi incompréhensible, d’aussi ineffable, que cela qui est au-dessus de toutes choses? Si les points qui furent jusqu’ici discutés au sujet de l’essence suréminente sont assurés par des raisons nécessaires, la solidité de leur certitude ne vacille nullement, bien que l’intelligence ne puisse les pénétrer, ni les expliquer par des paroles. Et, si une considération précédente a compris rationnellement qu’est incompréhensible (rationabiliter comprehendit incomprehensibile esse) la manière dont la sagesse suréminente sait ce qu’elle a fait, […] qui expliquera comment elle se sait ou se dit elle-même, elle dont l’homme ne peut rien savoir ou presque? ».[43]

L’harmonie fondamentale de la connaissance philosophique et de la connaissance de la foi est confirmée une fois encore: la foi demande que son objet soit compris avec l’aide de la raison; la raison, au sommet de sa recherche, admet comme nécessaire ce que présente la foi.

La constante nouveauté de la pensée de saint Thomas d’Aquin

43. Sur ce long chemin, saint Thomas occupe une place toute particulière, non seulement pour le contenu de sa doctrine, mais aussi pour le dialogue qu’il sut instaurer avec la pensée arabe et la pensée juive de son temps. À une époque où les penseurs chrétiens redécouvraient les trésors de la philosophie antique, et plus directement aristotélicienne, il eut le grand mérite de mettre au premier plan l’harmonie qui existe entre la raison et la foi. La lumière de la raison et celle de la foi viennent toutes deux de Dieu, expliquait-il; c’est pourquoi elles ne peuvent se contredire.[44]

Plus radicalement, Thomas reconnaît que la nature, objet propre de la philosophie, peut contribuer à la compréhension de la révélation divine. La foi ne craint donc pas la raison, mais elle la recherche et elle s’y fie. De même que la grâce suppose la nature et la porte à son accomplissement,[45] ainsi la foi suppose et perfectionne la raison. Cette dernière, éclairée par la foi, est libérée des fragilités et des limites qui proviennent de la désobéissance du péché, et elle trouve la force nécessaire pour s’élever jusqu’à la connaissance du mystère de Dieu Un et Trine. Tout en soulignant avec force le caractère surnaturel de la foi, le Docteur Angélique n’a pas oublié la valeur de sa rationalité; il a su au contraire creuser plus profondément et préciser le sens de cette rationalité. En effet, la foi est en quelque sorte « un exercice de la pensée »; la raison de l’homme n’est ni anéantie ni humiliée lorsqu’elle donne son assentiment au contenu de la foi; celui-ci est toujours atteint par un choix libre et conscient.[46]

C’est pour ce motif que saint Thomas a toujours été proposé à juste titre par l’Église comme un maître de pensée et le modèle d’une façon correcte de faire de la théologie. Il me plaît de rappeler, dans ce contexte, ce qu’a écrit le Serviteur de Dieu Paul VI, mon prédécesseur, à l’occasion du septième centenaire de la mort du Docteur Angélique: « Sans aucun doute, Thomas avait au plus haut degré le courage de la vérité, la liberté d’esprit permettant d’affronter les nouveaux problèmes, l’honnêteté intellectuelle de celui qui n’admet pas la contamination du christianisme par la philosophie profane, sans pour autant refuser celle-ci a priori. C’est la raison pour laquelle il figure dans l’histoire de la pensée chrétienne comme un pionnier sur la voie nouvelle de la philosophie et de la culture universelle. Le point central, le noyau, pour ainsi dire, de la solution qu’avec son intuition prophétique et géniale il donna au problème de la confrontation nouvelle entre la raison et la foi, c’est qu’il faut concilier le caractère séculier du monde et le caractère radical de l’Evangile, échappant ainsi à cette tendance contre nature qui nie le monde et ses valeurs, sans pour autant manquer aux suprêmes et inflexibles exigences de l’ordre surnaturel ».[47]

44. Parmi les grandes intuitions de saint Thomas, il y a également celle qui concerne le rôle joué par l’Esprit Saint pour faire mûrir la connaissance humaine en vraie sagesse. Dès les premières pages de sa Somme théologique,[48] l’Aquinate voulut montrer le primat de la sagesse qui est don de l’Esprit Saint et qui introduit à la connaissance des réalités divines. Sa théologie permet de comprendre la particularité de la sagesse dans son lien étroit avec la foi et avec la connaissance divine. Elle connaît par connaturalité, présuppose la foi et arrive à formuler son jugement droit à partir de la vérité de la foi elle-même: « La sagesse comptée parmi les dons du Saint-Esprit est différente de celle qui est comptée comme une vertu intellectuelle acquise, car celle-ci s’acquiert par l’effort humain, et celle-là au contraire "vient d’en haut", comme le dit saint Jacques. Ainsi, elle est également distincte de la foi, car la foi donne son assentiment à la vérité divine considérée en elle-même, tandis que c’est le propre du don de sagesse de juger selon la vérité divine ».[49]

La priorité reconnue à cette sagesse ne fait pourtant pas oublier au Docteur Angélique la présence de deux formes complémentaires de sagesse: la sagesse philosophique, qui se fonde sur la capacité de l’intellect à rechercher la vérité à l’intérieur des limites qui lui sont connaturelles, et la sagesse théologique, qui se fonde sur la Révélation et qui examine le contenu de la foi, atteignant le mystère même de Dieu.

Intimement convaincu que « omne verum a quocumque dicatur a Spiritu Sancto est » (« toute vérité dite par qui que ce soit vient de l’Esprit Saint »),[50] saint Thomas aima la vérité de manière désintéressée. Il la chercha partout où elle pouvait se manifester, en mettant le plus possible en évidence son universalité. En lui, le Magistère de l’Église a reconnu et apprécié la passion pour la vérité; sa pensée, précisément parce qu’elle s’est toujours maintenue dans la perspective de la vérité universelle, objective et transcendante, a atteint « des sommets auxquels l’intelligence humaine n’aurait jamais pu penser ».[51] C’est donc avec raison qu’il peut être défini comme « apôtre de la vérité ».[52] Précisément parce qu’il cherchait la vérité sans réserve, il sut, dans son réalisme, en reconnaître l’objectivité. Sa philosophie est vraiment celle de l’être et non du simple apparaître.

Le drame de la séparation entre la foi et la raison

45. Avec la naissance des premières universités, la théologie allait se confronter plus directement avec d’autres formes de la recherche et du savoir scientifique. Saint Albert le Grand et saint Thomas, tout en maintenant un lien organique entre la théologie et la philosophie, furent les premiers à reconnaître l’autonomie dont la philosophie et la science avaient nécessairement besoin pour œuvrer efficacement dans leurs champs de recherche respectifs. À partir de la fin du Moyen Âge, toutefois, la légitime distinction entre les deux savoirs se transforma progressivement en une séparation néfaste. À cause d’un esprit excessivement rationaliste, présent chez quelques penseurs, les positions se radicalisèrent, au point d’arriver en fait à une philosophie séparée et absolument autonome vis-à-vis du contenu de la foi. Parmi les conséquences de cette séparation, il y eut également une défiance toujours plus forte à l’égard de la raison elle-même. Certains commencèrent à professer une défiance générale, sceptique et agnostique, soit pour donner plus d’espace à la foi, soit pour jeter le discrédit sur toute référence possible de la foi à la raison.

En somme, ce que la pensée patristique et médiévale avait conçu et mis en œuvre comme formant une unité profonde, génératrice d’une connaissance capable d’arriver aux formes les plus hautes de la spéculation, fut détruit en fait par les systèmes épousant la cause d’une connaissance rationnelle qui était séparée de la foi et s’y substituait.

(…)

 
 

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VII. Lettre apostolique Inter munera academiarum
Jean-Paul II, 1999

1. Parmi les tâches confiées aux Académies qui ont été fondées par les Pontifes romains au cours des siècles, la première place revient à la recherche en philosophie et en théologie.

Dans ma récente Lettre encyclique Fides et ratio (DC 1998, n. 2191, p. 901-942. NDLR), j’ai attribué une grande importance au dialogue entre la théologie et la philosophie, et j’ai dit clairement combien j’apprécie la pensée de saint Thomas d’Aquin, reconnaissant sa perpétuelle nouveauté (cf. n. 43-44).

A juste titre, saint Thomas peut être appelé « Apôtre de la vérité » (n. 44). En effet, l’intuition du Docteur angélique consiste en la certitude qu’il existe une harmonie fondamentale entre la foi et la raison (cf. n. 43): « Il est donc nécessaire que la raison du croyant ait une connaissance naturelle, vraie et cohérente, des choses créées du monde et de l’homme, qui sont aussi l’objet de la révélation divine; plus encore, la raison doit être en mesure d’articuler cette connaissance de manière conceptuelle et sous forme d’argumentation » (n. 66).

2. A l’aube du troisième millénaire, bien des conditions culturelles ont changé. On perçoit des approfondissements très importants dans le domaine de l’anthropologie, mais surtout des changements substantiels dans la manière même de comprendre la condition de l’homme devant Dieu, devant les autres hommes et la création tout entière. Le défi le plus grand de notre époque vient avant tout d’une séparation croissante entre la foi et la raison, entre l’Evangile et la culture. Les études consacrées à cet immense domaine se multiplient chaque jour dans le contexte de la nouvelle évangélisation. En effet, l’annonce du salut rencontre de nombreux obstacles qui découlent de concepts erronés et d’un grave manque de formation adéquate.

3. Un siècle après la promulgation de la Lettre encyclique Aeterni Patris de mon prédécesseur Léon XIII, qui marqua le début d’un nouveau développement dans le renouveau des études philosophiques et théologiques, ainsi que dans les rapports entre la foi et la raison, j’entends donner une nouvelle impulsion aux Académies pontificales qui travaillent dans ce domaine, en tenant compte de la pensée et des orientations actuelles, ainsi que des besoins pastoraux de l’Eglise.

Aussi, reconnaissant l’oeuvre accomplie depuis des siècles par les membres de l’Académie théologique romaine et de l’Académie pontificale Saint Thomas d’Aquin et de Religion catholique, j’ai décidé de renouveler les statuts - joints à cette Lettre apostolique - de ces Académies pontificales, afin qu’elles puissent exercer leur action dans les domaines philosophique et théologique avec une plus grande efficacité, pour venir en aide à la mission pastorale du Successeur de Pierre et de l’Eglise universelle.

4. L’Académie pontificale Saint Thomas d’Aquin.

« Doctor Humanitatis » [Docteur de l’Humanité] est le nom que l’on donne à saint Thomas d’Aquin parce qu’il fut toujours prêt à accueillir les valeurs de toutes les cultures (Allocution aux participants au VIIIe Congrès thomiste international, 13 septembre 1980: Insegnamenti, III, 2 [1980] 609). Dans les conditions culturelles de notre temps, il semble vraiment opportun de développer toujours davantage cette partie de la doctrine thomiste qui traite de l’humanité, car ses affirmations sur la dignité de la personne humaine et l’usage de sa raison, en parfaite harmonie avec la foi, font de saint Thomas un maître pour notre temps. Les hommes, surtout dans le monde d’aujourd’hui, sont préoccupés par cette question: qu’est-ce que l’homme ? En employant cette appellation de « Doctor Humanitatis », je me tiens dans le sillage du Concile Vatican Il, qui a traité de l’usage de la doctrine de l’Aquinate dans la formation philosophique et théologique des prêtres (Décret Optatam totius, 16), comme aussi de l’approfondissement, dans les Universités, de l’harmonie et de la concorde entre la foi et la raison (Déclaration Gravissimum educationis, 10).

Dans ma récente Lettre encyclique Fides et ratio, j’ai voulu rappeler l’enthousiasme de mon Prédécesseur Léon XIII quand il promulgua son Encyclique qui commençait par ces mots: « Aeterni Patris » (4 août 1879: ASS 11 [1878-1879] 97-115): « Ce grand Pontife a repris et développé l’enseignement du Concile Vatican I sur les rapports entre la foi et la raison, montrant que la pensée philosophique est une contribution fondamentale pour la foi et la science théologique. À plus d’un siècle de distance, de nombreux éléments contenus dans ce texte n’ont rien perdu de leur intérêt du point de vue tant pratique que pédagogique ; le premier entre tous est relatif à l’incomparable valeur de la philosophie de saint Thomas. Proposer à nouveau la pensée du Docteur Angélique apparaissait au Pape Léon XIII comme la meilleure voie pour retrouver un usage de la philosophie conforme aux exigences de la foi » (Fides et ratio, 57). Cette Lettre vraiment mémorable avait pour titre: « Epistula encyclica de Philosophia christiana ad mentem sancti Thomae Aquinatis Doctoris Angelici in scholis catholicis instauranda ».

Pour que les exhortations de cette Encyclique soient mises en pratique, le même Léon XIII créa l’Académie romaine Saint Thomas d’Aquin (Lettre apostolique Iampridem ad. Em.mum Card. Antoninum De Luca, 15 octobre 1879). L’année suivante, se réjouissant du début des travaux, il écrivit aux cardinaux chargés de la nouvelle Académie (Lettre apostolique du 21 novembre 1880). Quinze ans plus tard, il approuva ses statuts et établit des normes supplémentaires (Bref apostolique Quod iam inde, 11 mai 1895). Par la Lettre apostolique In praecipuis laudibus, du 23 janvier 1904, saint Pie X confirma les privilèges et le règlement de l’Académie. Les statuts furent amendés et complétés par les approbations des Pontifes romains Benoît XV (11 février 1916) et Pie XI qui, le 10 janvier 1934, incorpora à cette Académie l’Académie pontificale de Religion catholique qui, dans des circonstances alors bien différentes, avait été fondée en 1801 par le Très Révérend Giovanni Fortunato Zamboni. Il m’est agréable de rappeler ici les noms d’Achille Ratti (1882) et de Jean-Baptiste Montini (1922) qui, alors étaient jeunes prêtres, conquirent en cette Académie pontificale Saint Thomas le grade de docteur en philosophie thomiste, et qui furent ensuite appelés au souverain pontificat, prenant respectivement les noms de Pie XI et de Paul VI.

Pour que se réalisent de fait les souhaits formulés dans ma Lettre encyclique, il m’a semblé qu’il était opportun de renouveler les statuts de l’Académie pontificale Saint Thomas, pour en faire un instrument efficace pour l’Eglise et pour toute l’humanité. Dans les circonstances culturelles actuelles, décrites ci-dessus, il semble souhaitable, et même nécessaire, que cette Académie soit comme un « forum » central et international pour mieux étudier, et avec plus de soin, la doctrine de saint Thomas, de sorte que le réalisme métaphysique de l’« actus essendi », qui imprègne toute la philosophie et la théologie du Docteur Angélique, puisse entrer en dialogue avec les multiples impulsions de la recherche actuelle et de la doctrine.

Aussi, en pleine connaissance de cause et après mûre délibération, dans la plénitude de mon pouvoir apostolique, en vertu de cette Lettre, j’approuve in perpetuum les statuts de l’Académie pontificale Saint Thomas d’Aquin, légitimement élaborés et une nouvelle fois révisés, et je leur confère la force de l’approbation apostolique.

5. L’Académie pontificale de Théologie.

Maîtresse de vérité, l’Eglise a toujours cultivé l’étude de la théologie et a fait en sorte que les clercs et les fidèles, spécialement ceux qui sont appelés au service de la théologie, soient vraiment instruits. Au début du XVIIIe siècle, sous les auspices de mon Prédécesseur Clément XI, l’Académie théologique fut fondée dans la ville de Rome, pour qu’elle soit le siège des disciplines sacrées et nourrisse les nobles esprits, et que, comme une source, elle produise des fruits abondants pour la cause catholique. Par Lettre du 23 avril 1718, Clément XI institua donc canoniquement un lieu d’études et le combla de privilèges. Un autre de mes Prédécesseurs, Benoît XIII, qui, alors qu’il était cardinal, « summa cum animi … iucunditate » [avec une immense joie] (cf. Lettre apostolique du 6 mai 1726), fréquentait les réunions et les exercices de cette Académie, s’interrogea sur « la splendeur et la dignité que cette Académie apporterait non seulement à la Ville Mère de Rome mais au monde chrétien tout entier, si on la dotait de forces nouvelles et encore plus valables, dont le travail serait davantage encouragé, de sorte qu’elle puisse continuellement progresser » (cf. ibid.). Aussi, non seulement approuva-t-il l’Académie que Clément XI avait fondée, mais il la combla de sa bienveillance et de ses largesses. Reconnaissant, donc, les fruits satisfaisants et très abondants, produits par l’Académie théologique, Clément XIV continua à veiller sur elle avec autant de largesses et de bienveillance. Mon Prédécesseur Grégoire XVI, lui aussi, fit sien cet engagement et l’améliora, et, le 26 octobre 1838, il approuva de son autorité apostolique les statuts sagement élaborés. Il m’a semblé qu’il était maintenant nécessaire de réviser ces lois, de sorte qu’elles soient plus adaptées à ce qu’exige notre époque. La mission principale de la théologie consiste aujourd’hui à promouvoir le dialogue entre la Révélation et la doctrine de la foi, et à en fournir une compréhension toujours plus profonde. Accueillant favorablement les souhaits qui m’ont été adressés pour que j’approuve ces nouvelles lois et les partageant, je veux que cet illustre lieu d’études croisse en qualité et, pour cela, j’approuve, en vertu de cette Lettre, et cela in perpetuum, les statuts de l’Académie pontificale de Théologie, légitimement élaborés et une nouvelle fois révisés, et je leur confère la force de l’approbation apostolique.

6. J’ordonne que tout ce que j’ai décrété dans cette Lettre, donnée motu proprio [de notre propre initiative], ait une valeur stable et durable, nonobstant toutes choses contraires.

Donné à Rome, auprès de Saint Pierre, le 28 janvier, mémoire de saint Thomas d’Aquin, de l’an 1999, XXI° année de mon pontificat.

Jean-Paul II

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