Les pages qui
suivent sont des notes prises lors de la lecture du livre de Claude
TRESMONTANT: "Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de
Dieu" aux éditions du Seuil (Collection "Livre de Vie").
Savoir si l'univers a commencé ou non,
cela relève en droit de la cosmologie positive et scientifique. Mais la
question de savoir si l'univers est créé ou incréé, cela ne relève pas des
sciences expérimentales, mais d'une analyse rationnelle, située sur un autre
plan.
Cette analyse
philosophique ne doit pas s'appuyer sur une théorie scientifique encore
fragile, tout comme évidement elle ne doit négliger la réalité que les sciences
nous découvrent.
En
passant d'une théorie à l'autre la science parcourt un chemin irréversible;
c'est la direction même de ce chemin qui est significative pour le philosophe,
car c'est la réalité elle-même, découverte par les sciences qui doit être le
fondement de l'analyse philosophique.
Exemple:
Si
les sciences montrent que l'univers a commencé, comme elles semblent en voie de
le faire alors l'univers ne peut être incréé, par contre un univers éternel
n'est pas forcément incréé.
L'attitude scientifique
tire l'information, la connaissance par observation expérimentale et analyse du
réel. Elle étudie ainsi l'essence de l'univers: ce qu'il est, son fonctionnement, les
causes et les lois qui régissent son évolution.
De même, la véritable
philosophie part de l'expérience, en accordant une valeur fondamentale à la
connaissance sensible et sans négliger l'activité de la raison. Toute
connaissance vient en effet de l'expérience, qui est nourriture pour l'esprit.
Il existe cependant
des questions objectives, non arbitraires qui se posent à l'intelligence
humaine à partir de l'expérience et dont la solution est pourtant hors du champ
des sciences expérimentales: elle relève d'une analyse rationnelle
rigoureuse, basée sur les faits expérimentaux. Les sciences explorent l'essence
de l'univers tandis que la métaphysique étudie le problème fondamental de son
existence.
Et
si le mot de science désigne une connaissance certaine, rationnelle, il n'y a
pas à priori de science qu'expérimentale. L'analyse rationnelle des problèmes
objectifs posés à l'intelligence humaine ( la
métaphysique ou philosophie première) est une véritable science.
L'attitude
classique du scientiste moderne consiste non pas à dire que les problèmes
objectifs ne se posent pas mais simplement à affirmer qu'ils sont insolubles.
Ce jugement repose sur un présupposé faux, à savoir le préjugé empiriste selon
lequel l'intelligence humaine est confinée dans les limites de la connaissance
sensible. Ce présupposé a déjà été mis en échec dans l'histoire de la science
moderne où il s'est avéré à plusieurs reprises que des théoriciens, par simple
analyse rationnelle des résultats expérimentaux, ont pu prévoir des phénomènes
avant leur observation expérimentale.
Ces métaphysiques
affirment que l'univers n'est qu'une illusion, que l'enseignement de
l'expérience n'est que mensonge. Elles
n'expliquent pas le fait de l'existence de cette apparence et n'en rendent
compte que par des mythes inintelligibles. Dans tous les cas, il reste de
toute façon à expliquer l'existence du philosophe et de sa représentation du
monde !
Ces
métaphysiques absurdes seront écartées par la suite.
Ils affirment qu'ils
étudient l'essence de l'univers mais son existence ne leur pose pas de problème
en apparence.
Une telle affirmation
atteste en fait une oscillation de la pensée entre deux thèses incompatibles
(et fausses comme nous le verrons par la suite):
-
la première consiste à dire que ces problèmes
se posent mais qu'ils sont insolubles. Cette thèse est influencée par la
conception Kantienne de la raison,
-
la seconde consiste à présupposer que le monde
est nécessaire; ce qui revient à dire que l'Univers est l'Etre lui-même, qu'il
existe par soi, qu'il est ontologiquement suffisant. C'est la thèse
matérialiste, qui conduit au panthéisme.
Nous allons étudier chacune de ces thèses dans
les deux paragraphes suivants.
La critique Kantienne
est valable lorsqu'elle traite une métaphysique qui procède par construction a
priori (métaphysiques postcartésiennes). Elle ne concerne pas la vraie
métaphysique qui procède à partir de l'expérience, comme le voulait Aristote.
Il
faut de plus remarquer les nombreux présupposés dont Kant est parti:
-
Kant est parti d'une fausse conception de la
raison, selon laquelle la raison serait constituée a priori, indépendamment de
l'expérience; il présuppose l'existence de jugements synthétiques a priori.
En fait c'est la réalité objective qui impose
à l'homme connaissant les principes de sa raison, qui sont en fait les
principes de l'essence de l'être: le rationnel se définit à partir de ce qui
est (c'est d'ailleurs ce qu'avaient déjà observé Aristote et Saint Thomas d'Aquin).
Par exemple les concepts, comme le principe de
causalité ne dérivent pas d'après Kant de l'expérience. Un tel présupposé est
évidement absurde: c'est l'expérience courante qui conduit au principe de
causalité (une même cause conduit aux même effets).
Déjà, Aristote et Saint Thomas d'Aquin avaient
observé ce fait: "il n'est pas une seule de nos idées dont les éléments
n'aient été puisés dans le monde sensible ou de l'expérience".
-
de plus on ne peut étudier directement la
raison comme un objet sans faire un exercice effectif de celle-ci. Ceci ôte
toute valeur aux conclusions de l'étude ainsi faite.
La seule étude possible de la raison consiste
à l'observer à l’œuvre, par exemple dans les sciences expérimentales où elle a
prouvé ses possibilités: la science moderne, en ses différents domaines, part
du donné expérimental et y revient constamment; mais elle est aussi
vigoureusement rationnelle car elle fait preuve d'une grande confiance dans la
raison (non à la manière cartésienne mais à la manière aristotélicienne).
Le
fait que les philosophes sont souvent en désaccord ne prouve pas que la
philosophie n'est pas une science. Cela prouve
simplement que les hommes s'y prennent mal parce qu'ils sont passionnés, car la
philosophie porte sur des problèmes dont les conséquences ne nous sont pas
indifférentes, contrairement aux sciences expérimentales.
L'objet
de la philosophie est en fait de traiter le réel, tel qu'il nous est donné dans
notre expérience, de traiter les problèmes rationnels posés par le réel jusqu'au
bout. Il ne s'agit pas d'ajouter quoi que ce soit au réel, mais de découvrir ce
que le réel implique, ce qu'il présuppose, ce qu'il prérequiert,
ce qu'il contient pour être ce qu'il est, ce qui l'habite et ce qui travaille
en lui.
S'il y a eu une fois
le néant absolu - à supposer que l'idée de néant ait un sens - éternellement
néant il y aura, car le néant ne peut produire l'être.
Nous pouvons constater
que l'univers existe, mais rien ne nous permet d'ajouter que l'univers est
l'Etre même pris au sens absolu. Au
contraire, cette hypothèse explorée à fond conduit à des contradictions
insurmontables, compte tenu de ce que nous savons du réel, comme nous le
verrons dans les paragraphes suivants.
Il
existe aussi des métaphysiques qui professent que le monde objectif, avec sa
multiplicité des êtres, n'est qu'une apparence (monisme, idéalisme). Ainsi
l'idéalisme affirme que le monde n'est qu'une illusion, que seul l'Un existe.
Cette affirmation mythologique n'est évidement pas
justifiée ni justifiable. On observe ici
la connexion qu'il y a entre le panthéisme idéaliste et le matérialisme
(panthéiste lui-aussi comme nous aurons l'occasion de le voir). Le philosophe
grec Parménide est d'ailleurs à la fois le père du matérialisme et de
l'idéalisme.
La
véritable question est donc: "Comment penser l'être même de l'univers
?" Les sciences
positives nous éloignent de plus en plus du matérialisme et du panthéisme car
elles nous présentent l'univers comme un système évolutif, qui passe de l'état
de matière relativement simple, à la matière vivante puis pensante.
Bergson, dans
"L'évolution créatrice" a montré que, comme l'idée de désordre, l'idée de néant n'est qu'une pseudo-idée,
qu'un être au moins est nécessaire.
Auparavant, Saint
Thomas d'Aquin et Maimonide avaient déjà montré qu'un être au moins est
nécessaire. Il est impensable qu'aucun être ne soit nécessaire, car si tous les
êtres étaient contingents, si aucun être existait de
manière nécessaire, il se serait trouvé un moment où rien n'aurait existé. Et
si à un moment rien n'existe absolument, éternellement rien ne sera: le néant
absolu ne saurait produire aucun être.
Les
sciences positives nous montrent que l'univers comporte une évolution
irréversible et une histoire. Nous
allons voir que l'athéisme glisse inévitablement au panthéisme pour peu qu'il
prenne l'univers en considération, et nous verrons par la suite les
contradictions que cela entraîne.
Par
exemple, Marx glisse de la constatation du fait de l'évolution à l'affirmation
selon laquelle cette évolution serait ontologiquement suffisante (elle
s'opérerait en vertu de ses ressources propres).Cette suffisance ontologique
revient à dire qu'elle est autocréatrice. En fait, aucune science, en tant que
telle, ne peut nous dire que le monde existe par soi, qu'il est ontologiquement
suffisant, ni que l'évolution est auto-créatrice. La thèse de Marx n'est donc pas scientifique
mais métaphysique, et cette thèse est fausse comme nous le verrons. Elle
revient en fait à transposer au plan de la cosmogonie la théogonie hégélienne.
Les thèses physiques
de la cosmologie marxiste (éternité de l'univers, de la matière et du
mouvement...) procèdent par déduction de présupposés métaphysiques, à savoir
principalement le présupposé selon lequel l'Univers est l'Etre absolu,
ontologiquement suffisant. Or ce présupposé ne repose sur rien dans la réalité objective:
aucune science expérimentale, en tant que telle, ne pourra nous dire si
l'univers est incréé ou créé. Par contre, une condition nécessaire pour que
l'univers soit incréé est son éternité, c'est la raison pour laquelle la
cosmologie marxiste professe un univers éternel, infini dans le temps et dans
l'espace. Il faut d'ailleurs noter que si un jour les sciences expérimentales
montraient l'éternité de l'univers (on voit mal comment),elles
ne pourraient pas, en tant que telles, pour autant se prononcer sur le
caractère créé ou incréé de l'univers, car il ne s'agit pas du même problème.
En fait,
l'astrophysique contemporaine, issue de la relativité, s'oriente vers un modèle
fini dans l'espace et dans le temps (ce qui interdit un univers incréé).
Sans
même se baser sur les derniers résultats de l'astrophysique, on voit que les
marxistes, qui ont le culot de dire qu'ils se basent sur "l'univers, sans
plus", ajoutent en fait arbitrairement beaucoup de choses au donné de la
réalité objective: présupposé selon lequel le monde est incréé, autocréateur
dans son évolution, éternel et impérissable.
Quelque soit le modèle d'univers proposé, les
problèmes ontologiques qui se posent restent toujours les mêmes:
-
l'existence de l'univers
-
l'existence de son évolution interne qui
conduit de façon accélérée la matière vers des formes d'organisation de plus en
plus complexes.
Ceux qui présupposent
l'univers comme étant l'Etre absolu n'ont que deux voies possibles de
raisonnement s'ils veulent tenir compte du réel:
-
soit ils virent vers l'animisme cosmique: on
attribue à la matière tout ce qui se fera dans l'univers au cours de son
évolution (la vie, la pensée notamment).
La
matière a alors des attributs divins (incréation,
éternité, vie, pensée) car elle ne peut donner ce qu'elle n'a pas (à ceci près
qu'elle serait en régime de genèse et de transformation!).
-
en fait, l'apparition du nouveau constituant
un scandale pour l'intelligence athée, celle-ci s'efforce de réduire le plus
possible l'originalité, la spécificité, l'essence même de la vie et de la
pensée. Au mépris de l'expérience, on essaie de diminuer l'originalité de la
vie et de la pensée pour la faire entrer dans ce qui n'est pas elle.
Bergson
a montré que la genèse, le devenir n'est rien d'autre qu'une série de
commencements, d'innovations (cf. la suite, chapitre II).nb L'athéisme échoue à
rendre compte rationnellement du réel car il ne répond pas aux questions posées
par l'univers:
A
ce stade de notre réflexion, il ne reste donc plus que deux métaphysiques
possibles: le panthéisme et la métaphysique de la création.
Sartre
a prouvé l'absurdité de l'athéisme du à ses contradictions avec la réalité
objective. Il présuppose en effet au départ l'athéisme pur, non panthéiste. Il
ne peut donc comprendre l'existence du monde. Au lieu de revoir son hypothèse
de départ, il en conclut que l'existence est "en trop" ! Le ridicule
d'un tel raisonnement serait comique s'il n'avait entraîné à sa suite un
certain nombre de gens.
Sartre a de plus raconté un certain nombre
d'absurdités au sujet des philosophes chrétiens. Contrairement à ce qu'il
voudrait faire croire, ceux-ci (comme Saint Thomas) n'essaient pas de
"surmonter" la contingence du réel en "inventant" une cause
nécessaire et cause de soi. Ils recherchent au contraire, par une analyse
minutieuse et rigoureuse ce qui est impliqué dans le réel, dans le monde
contingent, ce qui est pré requis par le monde existant pour être pensable.
Contrairement à Sartre, ils n'ajoutent rien, n'inventent rien: l'existence du
monde, qui ne se suffit pas, atteste l'existence d'un Autre.
Laplace a affirmé
qu'une intelligence qui connaîtrait toutes les forces, tous les êtres et leur
mouvement dans l'univers aurait présent à ses yeux à la fois le passé et
l'avenir car rien ne serait incertain pour elle. Cette vision du monde, appelée
déterminisme contient un certain nombre de paralogismes, de sophismes et de
pétitions de principes qu'il est important de dégager.
Dans l'évolution de
l'univers, il y a des relations causales: l'univers n'est pas un phénomène
discontinu. Cependant
ce ne sont pas des relations de causalité suffisantes ontologiquement. On ne
peut pas dire avec exactitude que l'état passé de l'univers soit la cause de
son état présent.
L'état,
à un moment donné, de l'univers n'est pas cause d'être et encore moins
d'évolution, d'innovation, pour un moment ultérieur. Le scientifique décrit les
lois de l'évolution d'un système dans des conditions données, il décrit les
lois auxquelles obéit la matière. Ces lois sont des chemins nécessaires (non au
sens ontologique) par où doit passer toute évolution du système. Mais elles ne
sont pas suffisantes pour expliquer profondément (ontologiquement) l'évolution
du système et particulièrement la complexification de l'univers.
Ainsi,
de la complexification commencée de la matière un savant génial aurait pu
émettre l'hypothèse que la matière va continuer de se complexifier, mais il
n'aurait pas pu prévoir l'évolution du vivant. Le
paralogisme de Laplace part du présupposé faux selon lequel l'univers est une
machine réversible dans laquelle rien de nouveau ne serait créé historiquement.
Ce modèle impliquerait un modèle d'univers où le temps n'existerait pas,
puisqu'il n'y aurait pas d'évolution réelle, au sens ontologique du terme
(apparition d'êtres nouveaux).
Il
y a en effet deux manières d'annihiler fictivement le temps:
-
soit en présupposant que tous les êtres
auraient toujours préexisté au sein de l'unité originelle (idéalisme,
panthéisme)
-
soit en assimilant l'univers à une machine
(vision anthropomorphique comme
celle de Laplace)
La
conception cartésienne du temps est liée à la conception cartésienne du
mouvement, qui le réduit au déplacement spatial. Le mouvement fondamental, qui
n'est pas relatif et qui comporte une signification ontologique est celui de
croissance, d'évolution historique (c'est-à-dire d'apparition d'êtres
nouveaux).C'est un mouvement irréversible, une genèse.
Même
dans une vision monothéiste, une conception incorrecte du temps, par la voie du
mécanisme, conduit à une vision anthropomorphique du Créateur: le Dieu horloger
de Voltaire.
Bergson:
-
critique de l'idée de néant absolu: un être au
moins est nécessaire ontologiquement
-
critique de l'idée de désordre absolu: l'être
est toujours dans un certain ordre, forcément ordonné. Le désordre, produit de
désorganisation est un phénomène second.
Les
sciences positives nous montrent une évolution de l'univers allant du moins
complexe au plus complexe, et cela d'ailleurs de manière accélérée.
La
question est: comment penser correctement ce fait ? Dire que la vie existe de
toute éternité ce n'est pas répondre à la question de son existence (outre les
difficultés et contradictions que soulèverait une telle hypothèse). Lors de
l'apparition de la vie, le savant aurait pu en décrire les étapes, les
modalités, scruter les causalités physico-chimiques mises en œuvre. Cependant
une telle description n'est pas suffisante. Les causalités secondes appellent
une causalité supérieure qui les oriente.
La
question est de savoir si la matière produit la vie par ses propres ressources
ou non. L'apparition de la vie n'est pas un "miracle", un miracle
étant un événement utilisant les causalités habituelles de la nature, mais
selon un rythme et des modalités inhabituelles. Dans
le cas de l'apparition de la vie, il n'y a pas eu modification des lois habituelles
de la nature, mais création de lois nouvelles, les lois spécifiquement
biologiques, qui intègrent les lois physiques.
La
science nous décrit les conditions, les modalités, l'histoire de l'apparition
de la vie. Mais la connaissance de
l'histoire n'est pas explication: la science recherche bien les causes mais il
y a plusieurs niveaux de causalité. On ne peut appeler cause la description
hypothétique d'un processus.
La
science ne rend pas compte de l'existence même de l'organisation. Ceux qui,
savants ou philosophes, pensent expliquer l'apparition de la vie par la simple
description d'un processus rappellent irrésistiblement ce que dit Socrate dans
sa prison dans le Phédon de Platon: "Sans
la possession d'os, de muscles, de tout ce qu'en plus j'ai en moi, je ne serais
pas à même de réaliser mes desseins; c'est vrai. Mais dire que c'est à cause de
cela que je fais ce que je fais, il y abus de langage".
Autre chose est en effet ce qui est cause réellement,
autre chose ce sans quoi la cause ne serait jamais cause. La description
scientifique met en lumière de manière éclatante le problème philosophique de
l'existence de cette évolution vers des structures de plus en plus complexes et
surtout vers la vie. Il reste à rendre compte de l'existence des causes
observées, de leur disposition orientée et continue, de leur mise en place.
L'antique
conception des atomistes grecs selon laquelle le monde serait passé d'un état
mythique de chaos originel à l'état actuel est aujourd'hui dépourvu
de sens:
·
les probabilités d'arrangement des atomes en
structures complexes sont infiniment petites
·
cela n'explique pas l'orientation continue de
la matière vers des structures de plus en plus complexes
·
ceci d'autant plus que le processus
d'organisation de la matière est accéléré
·
cet atomisme est basé sur une conception
totalement dépassée de la matière (néglige valences, affinités...)
·
enfin l'arrangement des atomes, des molécules
et des macromolécules ne suffit pas à rendre compte de la vie même de l'être
vivant: tout au plus cet arrangement serait-il susceptible d'expliquer la
constitution d'un beau cadavre frais de cellule mais non sa vie c'est-à-dire
pouvoir qu'elle a de renouveler son stock matériel tout en restant elle-même,
d'assimiler et d'éliminer des éléments étrangers, de se réparer, de se
reproduire.
Nous
avons vu que l'explication par le hasard n'est pas valable. Dans sa célèbre expérience, Miller
a pu obtenir quelques acides nucléiques fondamentaux dans la constitution de la
vie en recréant les conditions hypothétiques de l'apparition de la vie sur
terre. Ainsi ont été mises en évidence l'importance des nécessités physiques
dans l'organisation de la matière en molécules complexes.
Le
premier problème philosophique qui se pose est donc de rendre compte de cette
disposition rationnelle des causalités physiques: elle requiert elle-même une
cause. Et la découverte de causalités physiques de plus en plus subtiles
augmente le problème posé qui peut se résumer par ces deux points fondamentaux:
-
l'existence de la matière, de l'univers
-
existence d'une nécessité, ou loi naturelle
immanente qui commande à l'organisation de la matière.
Si on considère que la matière et la loi
immanente ne font qu'un, comment comprendre la nouveauté des lois biologiques,
sans tomber dans une métaphysique panthéiste irrationnelle ni sans dévaluer les
caractères spécifiques de la vie et de la pensée ?
Pouvait-on
réellement dire, il y 5 ou 6 milliards d'années qu'une nécessité naturelle
imposait à la matière le développement historique qu'elle a connu,
particulièrement l'apparition de la nouveauté de la vie ?
En fait la biologie ne peut pas échapper à
l'évidence d'une intelligence organisatrice immanente. Déjà Aristote, lui-même
naturaliste avait été conduit à cette conclusion par l'observation de la
réalité biologique. De manière plus générale, la multiplicité des éléments
matériels ne suffit pas par elle-même, ontologiquement, à rendre compte des
organisations complexes dans lesquels ces éléments sont intégrés.
Même
une simple réaction chimique:
H2
+ 1/2.O2 ---> H2O
pose un
problème philosophique réel : comment rendre compte du fait que les atomes
d'hydrogène et d'oxygène sont ainsi construits qu'ils sont capables d'entrer en
combinaison, qu'ils sont pré adaptés à cette synthèse ? Bien sûr, on peut
décrire les causalités physiques de cette synthèse: liaison chimique
électronique en décrivant les conditions nécessaires à cette liaison dans la
mesure où on les connaît (recouvrement des orbitales... ).Le
problème philosophique reste entier, il devient même plus éclatant: comment
comprendre l'existence de cette loi naturelle, de cette "rationalité"
qui commande les transformations de la nature ?
De
plus, entre la "forme" d'une molécule (aussi complexe soit-elle) et
celle d'un être vivant, il y a une différence de nature : avec la vie
apparaissent désormais des structures de type nouveau, capables de renouveler leurs
éléments matériels en restant elles-mêmes, de croître par assimilation, de se
reproduire.
Certains savants ont
osé définir la vie comme "une forme du mouvement de la matière
particulièrement accomplie".
Cette définition est
insuffisante: le propre du vivant c'est d'être une structure subsistante, capable de se maintenir alors même qu'elle
renouvelle les éléments matériels qu'elle intègre, capable d'intégrer d'autres
éléments matériels par assimilation, d'éliminer des éléments matériels par
désassimilation, capable de se réparer elle-même si elle est blessée, capable
de reconstituer cette forme qu'elle est, capable de croître et de se développer
tout en restant elle-même, capable de se reproduire, capable de s'adapter aux
changements de milieu, d'inventer les modifications organiques qui seront
nécessaires à cette adaptation.
A ce propos la
distinction entre l'objet fabriqué par les mains de l'homme et l'objet naturel
est capitale. Elle a été formulée par Aristote et reprise par Bergson. La
structure d'un être vivant est aussi différente de la structure d'un cristal,
des structures purement physiques (croissance par assimilation, reproduction,
forme non directement dépendante de la composition chimique...).
Objectivement, la
persistance de la structure est la base concrète de l'individualité de chaque
vivant. Il ne suffit pas qu'à chaque constituant chimique de l'organisme s'en
substitue un qui lui soit chimiquement semblable, il faut que cette
substitution se fasse au sein de la structure de sorte qu'elle reste en
première approximation intacte et que son évolution soit lente et disciplinée.
Cuvier avait déjà remarqué: "La vie
est un tourbillon dans lequel la forme est plus importante que la
matière". L'originalité du vivant est d'être maître
de sa spécificité, qu'il maintient constante en dépit du renouvellement
matériel dont il est le siège.
Ainsi, l'existence de
structures subsistantes, lors même que les éléments
matériels intégrés sont renouvelés est riche d'implications métaphysiques que
le philosophe doit dégager. Il faut en fait choisir entre l'atomisme mécaniste
et une doctrine qui reconnaît la présence opératoire d'une "raison"
immanente dans la matière.
La première doctrine
utilise souvent l'idée de sélection naturelle. En fait, puisque celle-ci n'est
commandée par aucune intention elle n'est en fait autre que le hasard. On est
en droit, et même en devoir de se demander comment le hasard (ou, ce qui
revient au même, l'absence de cause rationnelle et intelligente) peut produire
des résultats "rationnels".
On doit conclure
qu'aucun théoricien ne peut se passer d'un "moteur" ou d'un
"agent créateur" de cette évolution qui conduit du non vivant au
vivant. Et quand les biologistes décrivent, "expliquent" (à un
premier niveau) l'essence des êtres
vivants il décrit chaque partie par sa raison d'être, c'est-à-dire par sa
finalité: c'est seulement lorsqu'on a compris cette finalité qu'on a
compris la raison d'être de telle structure, de tel organe.
Rendre compte de cette
rationalité-là, c'est rendre compte de l'organisation du vivant, de son
adaptation structurale et organique à ses fonctions et ses actions. C'est
comprendre comment il est possible qu'un vivant soit en effet un système
rationnellement construit, d'une manière que nous sommes obligés de dire
"intelligente". Le premier de ses actes est son existence d'être
vivant, qui représente un véritable et incessant travail organique: le vivant, ce n'est pas seulement une
organisation, c'est une activité.
La
multiplicité matérielle ne rendra jamais compte par elle-même de l'apparition
d'un sujet, capable d'intégrer la multiplicité des éléments matériels, en les
choisissant, les transformant, capable de croître, de faire sa propre synthèse,
de se reproduire, de se régénérer.
Quand bien même le
hasard suffirait, et il ne suffit pas, à rendre compte de l'arrangement de la
matière en macromolécules, en compositions cellulaires, cet arrangement ne
suffit pas à rendre compte par lui-même de l'apparition d'un être qui est sujet
d'action, de perception et finalement de conscience. Car ce n'est pas
l'arrangement de la matière qui explique l'apparition d'un être capable
d'activité propre. Il est bien plus probable que c'est cet être qui explique
l'organisation de la matière (cf. Aristote). Il faut donc rendre compte de
l'apparition de ces formes vivantes et subsistantes, qui constituent
objectivement quelque chose de nouveau
dans l'histoire de l'univers.
Il importe de bien
comprendre l'originalité du vivant lorsqu'on traite du problème: est-ce que
l'homme pourra en laboratoire opérer la synthèse du vivant à partir d'une
matière non vivante ?
Il faut d'abord bien
noter que, du point de vue d'une métaphysique monothéiste, du point de vue
théologique, il n'y a pas semble-t-il d'objection de principe à l'en contre d'une telle possibilité. Si l'homme parvient en
laboratoire à faire la synthèse d'un organisme monocellulaire vivant, c'est
que, à partir de matériaux qu'il n'a pas créé, ayant eux-mêmes des structures
qu'il n'a pas construites, profitant de forces et d'énergie qui sont dans la
nature et dont il n'est pas l'auteur, il a su mettre en présence ces corps et
utiliser des énergies qui se sont exercées il y a deux milliards d'années lorsque
la vie est apparue. L'homme saurait en somme faire faire à la nature ce qu'elle
a fait il y a deux milliards d'années. Il n'y a pas de difficulté à cela, a
priori, d'un point de vue théologique.
Mais il importe de
bien voir quelles sont les dimensions réelles du problème, au plan scientifique
même. Faire la synthèse d'un vivant (le mot créer ne convient pas
ontologiquement pour l'homme),c'est réaliser un être
capable d'évolution ultérieure, capable de se reproduire, de s'adapter. Il ne
suffit pas d'assembles des atomes, des acides aminés synthétiques, il faut
encore insuffler au vivant ce pouvoir: les premiers vivants, il y a deux
milliards d'années avaient eux ce dynamisme puisque
de fait toute l'évolution biologique est sortie d'eux !
On risque d'arriver à
la rigueur à la reconstitution d'un beau cadavre frais de cellule, mais il
manquera précisément ce qui fait la différence entre un cadavre frais et le
vivant. Cela est du à la différence décisive, à
l'abîme qui existe entre l'organisation de la matière et la vie.
L'arrangement de la
matière n'explique pas la propriété qui caractérise le vivant. C'est peut-être,
et plus probablement la vie qui explique l'organisation de la matière dans le
vivant. On constate que les biologistes reviennent, contraints par la vérité
elle-même, aux expressions mêmes d'Aristote que la "forme" du vivant
ou son "âme" est "principe de mouvement" (mouvement au sens
ontologique aristotélicien, c'est-à-dire toute transformation en premier lieu la
croissance).
Et si l'homme parvenait
un jour à "faire la synthèse d'un vivant",d'un vivant authentique il faudrait qu'il
reconnaisse qu'en décidant la "nature" à refaire ce qu'elle fit
spontanément il y a deux ou trois milliards d'années, il n'a pas créé du
vivant.
L'homme
ne peut pas faire la synthèse du vivant: il pourra peut-être un jour la faire
faire par la "nature". La vie ne se fabrique pas à partir d'éléments
matériels antérieurs. Elle n'est pas de l'ordre de la fabrication humaine mais
de l'organisation, ou de la création, cette création que l'homme n'a pas faite,
mais dont il peut user, et même abuser.
Les expériences de
Stanley L.Miller dont nous avons déjà parlé ont été
prolongées et continues d'être développées. Dés 1960,on a ainsi pu réaliser la synthèse d'adénine, une des bases
importantes entrant dans la composition des acides nucléiques.
On constate donc que
la matière est ainsi faite que, dans certaines conditions physiques, elle a
tendance en ces structures moléculaires.
Le premier
problème philosophique est donc: comment comprendre l'existence d'une matière
qui a tendance, semble-t-il, à s'organiser en structures moléculaires complexes
? Comment comprendre l'existence de cette loi interne, inhérente à la matière
et qui la porte à se composer elle-même pour donner des molécules qui vont
entrer dans la composition des molécules géantes d'intérêt biologique ?
Le second problème
c'est celui de l'apparition de la vie. En 1970, c'est d'abord et
essentiellement le problème posé par l'apparition dans le monde d'une
information génétique capable de commander à la construction d'un être vivant.
Enfin, le problème de
l'évolution biologique, c'est le problème posé par la croissance de cette
information génétique au cours du temps, conduisant à la construction d'organismes
de plus en plus complexes et de plus en plus différenciés. L'état de la
biochimie aujourd'hui peut se comparer à une imprimerie du modèle ancien, avec
des caractères d'imprimerie dans des casses et dont les caractères auraient des
attirances particulières les uns envers les autres de manière à former des mots
(encore faut-il rendre compte de l'existence de ces attirances).
Si l'on prend ces mots
tout composés, et si on les jette en l'air, on peut obtenir "par
hasard" des poèmes, mais à condition
d'avoir d'abord créé une langue dans laquelle les mots aient un sens.
En
simplifiant passablement les choses, on admet aujourd'hui que le code contenu
dans les acides nucléiques représente l'ordre même de la vie, il se pose alors
un problème: quelle est l'origine de ce code ?
Il semble
bien qu'il n’y ait que trois voies possibles d'analyse de ce problème:
·
On peut essayer d'expliquer l'origine de
l'information génétique par un "hasard" heureux. En fait, même si le
"hasard" était capable d'expliquer la genèse d'une structure aussi
complexe que celle du moindre des monocellulaires, il ne serait en tout cas pas
capable d'expliquer que ce monocellulaire soit vivant à savoir l'apparition
d'une structure subsistante ainsi que d'un code génétique commandant à sa
construction.
La plupart
des biologistes reconnaissent que le moindre des vivants est déjà un psychisme
que psychisme et vie sont indissociables (une particularité d'un psychisme est
de traiter de l'information...).
·
Certains peuvent aussi refuser l'explication
par le hasard, mais partant du présupposé d'une matière incréée et éternelle il
croit pouvoir affirmer que la matière a produit par ses seules ressources cette
information génétique qui apparaît sur notre planète il y a trois milliards
d'années, et qui n'a fait que croître et embellir au cours du temps:
o ou
bien, on retombe dans le matérialisme de type démocritéen, et l'on revient à
l'idée que l'information génétique a été produite par hasard. On a vu
l'impossibilité d'une telle thèse.
o
ou bien, on pense que cette information
génétique était déjà présente, d'une manière qu'on ne nous précise pas, dans la
matière supposée éternelle et incréée.
Remarquons ici que le terme d'émergence
utilisé par nombre de biologiste contemporain est une filouterie qui cache une
telle théorie: lorsque le petit bateau qui avait coulé dans le bassin du jardin
du Luxembourg émerge à nouveau, ou lorsque la baleine émerge après avoir
plongé, le petit bateau ou la baleine existaient déjà.
D'une
part, une telle thèse dissimule le vrai problème qui est celui d'un
commencement d'existence car selon toutes les apparences, selon surtout tout ce
que l'on connaît du réel scientifiquement exploré c'est bien de cela qu'il
s'agit.
D'autre
part, elle reprend la tradition du matérialisme français de Diderot et Le Dantec et aussi d'Haeckel. Comme le reconnaissait
franchement Haeckel, cela conduit à l'hylozoïsme qui est une des formes du
panthéisme éternel.
Reste
à savoir si cette thèse est conforme aux exigences d'un rationalisme qui se
veut fondé sur l'expérience
scientifiquement explorée. C'est ce dont nous doutons, car nous n'avons pas
connaissance que la physique nous ait fait connaître des propriétés aussi
merveilleuses de la matière. En fait cette thèse n'est pas obtenue au terme
d'une analyse inductive procédant à partir de l'expérience, mais, au contraire,
elle résulte d'une déduction à partir de principes posés a priori. Ces
principes n'ont aucun fondement dans l'expérience, et sont donc des postulats.
Les
conclusions valent ce que valent les postulats, mais les postulats ne sont pas
justifiés. Une telle thèse est l'expression d'un choix, d'une option
personnelle, mais aucunement la résultante d'une démarche rationnelle correcte.
Ainsi,
prétendre que, dans la matière multiple et non organisée qui précédait
l'apparition de la vie et du psychisme, il y avait déjà de la vie "en
germe" et "en puissance", c'est quitter complètement l'analyse
rationnelle et positive.
·
Si l'on admet ni l'explication par le
"hasard", ni la conception mystique (ou plutôt irrationnelle) de la
matière qui aurait en elle-même la source de sa propre information, il reste
que le monde est, nous l'avons vu, un système évolutif, épigénétique à
information croissante: il reçoit de l'information.
Certains
peuvent penser que le monde a reçu l'information nécessaire au début et qu'il
ne la manifeste que petit à petit: c'est un point de vue préformationiste.
Mais il faudrait admettre alors que cette information est cachée, et bien
cachée dans un Univers qui ne comportait pas encore les molécules géantes qui
portent l'information génétique.
Il
est plus simple d'admettre, conformément aux apparences, que le monde reçoit
constamment de l'information créatrice. On est conduit, dans ce cas, à l'idée
d'une création évolutive et progressive.
Le vivant est
radicalement autre que ce que nous fabriquons avec des matériaux: habitués à
voir les matériaux qui précèdent sur les chantiers ou dans les ateliers la
forme qu'on va leur donner, nous avons de la peine à comprendre que, dans
l'ordre de la vie, la "forme" préexiste d'une certaine manière à ses
propres matériaux puisque c'est elle qui va les choisir, puisqu'elle peut en
changer tout en demeurant elle-même ce qu'elle est.
Nous sommes déroutés
devant le vivant que nous ne parvenons jamais à démonter complètement comme une
machine, et que nous ne savons pas remonter à partir de ses éléments
constituants, que nous ne connaissons d'ailleurs pas suffisamment.
Ce qu'on appelle, bien
à tort, le "rationalisme cartésien repose sur la confusion entre l'ordre
réel et l'ordre de la machine que nous avons fabriquée. Et la critique que fait
Bergson de l'intelligence "caractérisée par une incompréhension naturelle
de la vie",n'est sans doute pas autre chose que
la critique de l'intelligence telle que Descartes et le cartésianisme
postérieur l'ont comprise, c'est-à-dire au fond la critique de la confusion
entre l'ordre du réel naturel, biologique, et l'ordre de l'objet fabriqué par
nous, la critique de la confusion entre création et fabrication :
"La fabrication
va donc de la périphérie au centre ou, comme diraient les philosophes, du
multiple à l'un. Au contraire le travail d'organisation va du centre à la
périphérie. Il commence en un point qui est presque un point mathématique, et
se propage autour de ce point en ondes concentriques qui vont toujours
s'élargissant. Le travail de fabrication est toujours d'autant plus efficace
qu'il dispose d'une plus grande quantité de matière. Il procède par
concentration et compression. Au contraire, l'acte d'organisation a quelque
chose d'explosif: il faut, au
départ, le moins de place possible, un minimum de matière, comme si les forces
organisatrices n'entraient dans l'espace qu'à regret."
La vie,
contrairement à l'ouvrier humain, "ne procède pas par association et
addition mais par dissociation et dédoublement". C'est en effet ce qu'on
peut voir en ouvrant n'importe quel traité d'embryologie, qui nous présente le
développement de l’œuf et sa croissance, sa différenciation: la croissance
vient de l'intérieur.
Le mécanisme
philosophique, qui confond l'ordre du vivant et celui de la machine représente
aujourd'hui souvent une tentative pour réduire autant que faire se peut
l'originalité, la spécificité du vivant, son caractère d'irréductible nouveauté
par rapport à la matière qu'étudie le physicien.
Mais si
ceux qui préconisent malgré tout le mécanisme pensent protéger ainsi leur
athéisme ils se font des illusions, car même dans leur perspective, il
resterait à rendre compte
1°de l'existence de la
matière,
2° de la construction
efficace et fonctionnelle des organismes que l'on voudrait assimiler à des
machines
3° de l'existence de la
pensée dans quelques-unes de ces "machines" qui s'appellent des
hommes.
Au terme de ces réflexions, on peut dire,
semble-t-il, que la matière, que nous connaissons par la physique seule, est
bien incapable de rendre compte par elle-même des lois biologiques nouvelles,
ni de l 'apparition de la vie. La multiplicité des
éléments matériels atomiques et moléculaires est incapable de rendre compte par
elle-même, ontologiquement, des
synthèses hautement complexes, des structures et des organisations dans
lesquels ces éléments sont intégrés.
Et l'arrangement des
atomes et des molécules ne suffit pas à rendre compte de l'apparition de
structures subsistantes, relativement
indépendantes des éléments matériels qu'elles unifient et qu'elles
renouvellent.
Ces
structures sont des sujets d'action, de réaction, d'adaptation, elles sont
capables d'évolution et, à un niveau de l'histoire des espèces de réflexion, de
pensée. En dernier ressort, nous devons bien convenir que seul un Vivant peut
rendre compte de l'apparition de la vie, car on ne peut faire sortir le plus du
moins.
De même, il nous
faudra accorder que seul un Pensant peut rendre compte de l'apparition des
êtres capables de pensée, car jamais on ne fera comprendre ce que pourrait
signifier la production, par une matière non vivante et non pensante, d'un être
capable de penser.
On a donc
le choix entre deux métaphysiques:
·
une métaphysique qui prête arbitrairement,
sans aucune base expérimentale, des pouvoirs divins de création et
d'organisation à une matière ainsi mystifiée
·
une métaphysique qui reconnaît l'insuffisance
ontologique radicale du monde matériel, physique qui est incapable de rendre
compte de son existence, de sa structure, de ce qui va fleurir en lui: la vie
et la pensée.
Il nous
faut rendre compte du réel tout entier, dans son être, sa structure et son
développement historique. Il
nous faut rendre compte non seulement de la matière multiple mais encore des
lois physiques, puis spécifiquement biologiques qui l'emportent vers une
destinée nouvelle.
Il est
certain que ces lois sont les lois de l'univers, de la matière, puisque nous
les voyons présentes et actives dans le monde et la matière.
Mais la question est
de savoir si on peut raisonnablement dire que de ces lois, la matière du
physicien est elle-même responsable, si elle peut en rendre compte
ontologiquement, si elle en est l'auteur.
L'observation
d'une telle rationalité immanente dans l'univers conduit inéluctablement
l'athée à un panthéisme irrationnel, sans base
la réalité objective. Cette même observation, accueillie sans à priori
conduit le philosophe rationnel à
reconnaître l'insuffisance ontologique de l'univers, et donc à découvrir
l'existence d'un Autre, être nécessaire et absolu par qui toute chose et tout
vivant existe.
Partant d'un
présupposé athée, Jean Rostand se croit contraint de choisir entre deux
alternatives pour expliquer l'apparition de la vie:
·
ou bien les propriétés vitales ne sont qu'un
effet, une résultante de l'arrangement structural de la matière (pseudo théorie
de l'émergence. En fait, si on réfléchit, on ne voit pas comment la matière
inanimée présenterait de nouvelles propriétés de son arrangement, propriétés
qui seraient capables d'expliquer la genèse et l'évolution de tous les êtres
vivants jusqu'à l'homme: on ne peut donner ce que l'on ne possède pas.
·
ou bien, la première alternative étant
impossible, l'athée se voit contraint d'accorder les propriétés vitales (et
aussi de la pensée) à la matière inanimée, en affirmant l'existence de pré- ou
d'infra-vie en ses éléments eux-mêmes. Nous avons qu'une telle "métaphysique"
part en fait du présupposé arbitraire, sans base expérimentale, de l'athéisme,
de la suffisance ontologique de l'univers. On voit très mal comment attribuer à
la matière du physicien de telles propriétés, propriétés dont on n'a jamais vu
l'ombre d'une mise en évidence expérimentale, et qui de toute façon ne
résoudraient pas le problème de l'existence de l'univers, ni de l'existence des
lois qui le régissent.
Tout ceci
est conforme aux conclusions de notre analyse, résumées dans le précédent
paragraphe.
Reconnaissant
l'insuffisance ontologique de l'univers, le philosophe peut se proposer une
doctrine de la création, correcte théologiquement, réduisant les interventions
du Créateur: au début, Dieu a créé la nature, la matière et ses lois, puis il
la laisse se déployer historiquement selon ses lois internes. Il n'y aurait pas
d'intervention spéciale au niveau de l'apparition de la vie. Il y aurait
simplement réalisation des "virtualités immanentes" contenus dans la
matière et l'univers dés le début.
S'il n'y a aucune
raison de refuser à priori cette doctrine,
il y a cependant le fait que, historiquement, la vie apparaît à un
moment donné. Nous nous méfions des explications préformationistes
affirmant la préexistence dite "virtuelle" ou "potentielle"
des propriétés du vivant.
Nous accordons
volontiers que l'univers tout entier était préparé, préadapté,
à cet heureux avènement, physiquement et chimiquement. Mais il n'en reste pas moins qu'avec la vie apparaît
quelque chose de nouveau, de radicalement, ontologiquement nouveau. Dire que
cela préexistait "potentiellement",
"virtuellement", dans
l'univers, en vertu de lois posées par
la création dés le commencement, c'est user de
métaphores empruntées au vivant dont il faut justement penser l'apparition.
C'est pourquoi une
autre conception de la création nous paraît plus conforme au donné historique
tel qu'il se présente à nos yeux aujourd'hui: selon cette seconde manière de
voir, la création se fait aujourd'hui même, elle continue de se faire.
Dans cette
perspective, l'histoire de l'évolution cosmique et biologique ne fait que
représenter à nos yeux la création qui est en train de se faire depuis des
milliards d'années. L'apparition de la vie constitue un des moments décisifs,
une des étapes capitales de la création. Il y a alors intervention du Créateur,
mais intervention qui respecte et utilise les causalités et déterminismes
physiques, chimiques. L'intervention créatrice opère du dedans, dans un univers
physique préparé pour porter ce fruit.
Plutôt que le mot
intervention, il faudrait parler d'un
pas nouveau dans l'acte créateur, d'un pas en avant qui respecte le donné déjà
créé, mais qui continue de le travailler du dedans, afin de le faire murir et
de lui faire porter ce fruit qui ne peut être réaliser
que par l'agir créateur de Dieu. Dans le sein de la matière virginale, Dieu
seul peut porter ce fruit qui permettra à la terre de concevoir des êtres
vivants. De même Dieu seul peut donner à la matière cette pensée qu'elle ne
saurait produire d'elle-même.
Cette conception de la
création est déjà adoptée par les théologiens quand ils en viennent à traiter
de la création des personnes humaines. La théologie orthodoxe définit en effet
que c'est aujourd'hui que sont créées ces âmes vivantes et capables de Dieu,
qui sont conçues en ce moment même: il s'agit bien d'une création continuée au
moins pour les personnes humaines.
Par cette création
continuée de l'univers, les lois naturelles physiques, chimiques, puis
biologiques ne sont pas violées. Elles sont créées comme tout le reste, et le
Créateur respecte les ordres du créé, même lorsqu'il crée un ordre nouveau et
supérieur. C'est ce que dit Saint Thomas d'Aquin: gratia
non tollit naturam, sed perficit. La causalité
première de Dieu respecte les causalités secondes créées, mais elle reste libre par rapport à ces
causalités secondes, libre de poursuivre sa création comme elle le veut.
A ce propos certains
confondent le problème du miracle et le problème du surnaturel: il existe un
surnaturel non miraculeux. Compte tenu
de ce que nous savons du réel dans son évolution historique, il faut dire,
semble-t-il que la création est constante. Ce n'est donc pas une intervention,
mais une immanence de l'action créatrice ininterrompue et poursuivie,
continuée. La présence créatrice de Dieu est donc constante, ininterrompue,
conformément au mot du Quatrième Evangile: "Mon Père jusqu'à maintenant
est à l'œuvre (il continue de créer) et moi aussi j'opère.
Comme le remarquait
Saint Thomas à la suite d'Avicenne, l'ouvrier
qui construit une maison peut bien s'en aller le soir se reposer: la
construction de la maison cesse, mais la maison, elle, ne cesse pas d'exister, tout simplement
parce que l'ouvrier n'a pas créé les matériaux qu'il a mis en place. Ils
subsistent indépendamment de lui. Mais la création divine est d'un autre ordre:
ce n'est pas une fabrication à partir de matériaux préexistants donnés. La
création, contrairement à la fabrication humaine, implique et requiert l'intime
présence incessante de l'action créatrice à l'intérieur même de l'être créé.
La création continuée,
telle que nous la découvrons aujourd'hui en découvrant l'histoire du monde et
de son développement qui n'est rien d'autre que l'histoire de sa création,
n'est pas seulement une conservation, mais elle se manifeste comme une
innovation continuée.
Nous
venons de réfléchir sur le fait historique que constitue l'apparition de la
vie. Mais, à partir du moment où la vie apparaît sur terre, une autre série de
problèmes se pose qui concerne la multiplication des vivants et l'apparition de
la vie.
Une
analyse philosophique, informée par le donné scientifique, est requise pour essayer de comprendre la
reconstruction du vivant à chaque procréation.
Il ne suffit pas de dire que les gènes des parents ont transmis
"l'information" nécessaire pour que l'embryon se construise lui-même.
Car cela, c'est le moyen utilisé par la
vie pour se perpétuer et se développer dans le sens que nous découvre
l'histoire de la vie.
Il sera utile de méditer,
dans les années qui viennent, sur le contenu philosophique et les
implications métaphysiques de ce concept "d'information" dont usent
aujourd'hui les biochimistes et les biologistes.
De quelque manière
qu'on tourne ou retourne les choses, on ne fera jamais comprendre que la
matière seule, la matière du physicien, suffise à expliquer l'invention des
organismes complexes, l'invention des grands systèmes anatomiques, l'organisation infiniment subtile et complexe
des grandes fonctions du vivant.
D'autre part, si
Descartes et les philosophes qui dépendent du cartésianisme rejettent hors de
la philosophie l'étude des causes
finales, les biologistes, eux, semblent de plus en plus nombreux à reconnaître
qu'on ne peut se dispenser de faire appel à cette notion qu'Aristote rangeait
parmi les causes ou principes nécessaires pour comprendre le réel: le "ce
pourquoi". Tous, en effet usent d'un langage invinciblement téléologique:
but, choix, adaptation, conformité, adaptation
à une fonction...
En embryologie particulièrement, le
biologiste affronte la finalité:
lorsqu'il a démonté avec succès certains mécanismes, lorsqu'il a prouvé qu'une différenciation en
commande une autre, qu'un tissu exerce
une induction sur un autre tissu par l'intermédiaire de substances chimiques,
il n'a pas expliqué pourquoi ces substances apparaissent à un moment précis du
développement et à un emplacement déterminé de l'embryon, pourquoi tout se met en place suivant un plan
rigoureux et une chronologie précise, comme si tout était prévu et harmonisé à
l'avance. En remontant de stade en stade, d'effets en cause, il retrouve l’œuf
à son départ, dans toute sa simplicité, mais avec toute sa complexité
d'organisme virtuel. Aucune science ne souligne plus que l'embryologie cette
projection du présent dans le futur.
Sans doute, l'analyse
des causalités physico-chimiques pourra être poussée très loin mais il
subsistera toujours le problème de la coordination de ces facteurs, qui sont
utilisés par la vie pour ses propres fins. Il n'est pas question de remplacer
une description des causalités physiques par une explication métaphysique, car la causalité première utilise les
causalités empiriques pour réaliser son œuvre, et c'est le travail de la science
expérimentale que de rechercher ces causalités empiriques, ces moyens mis en
œuvre.
Il
n'est pas question de substituer l'explication par les "causes
finales" aux explications par les "causes efficientes". Mais il faut reconnaître que c'est la découverte
des causes efficientes qui constitue et rend chaque jour plus inéluctable le
problème posé par l'organisation cohérente des causalités.
Une chose est
certaine, incontestée, c'est que les espèces vivantes apparaissent
successivement au cours du temps selon un certain ordre, qui n'est pas
quelconque : l'ordre de complexité croissante.
Au niveau de
l'histoire de la vie, cette "complexification" de la matière se
précise et se discerne grâce à un paramètre plus précis: le paramètre de céphalisation croissante. Cela est d'ailleurs vérifié quel
que soit le groupe animal (vertébré ou arthropode).
Le savant moderne
décrit les raisons d'être de ces complexifications successives: augmentations
du nombre de maillons de la chaîne du métabolisme, augmentation du volume de
l'être vivant, spécialisation des
cellules des organismes multicellulaire,
systèmes de régulations du milieu interne (température, acidité,
concentration d'oxygène et d'acide carbonique, teneur en sucre et en acides aminés, rapport
du phosphore et du calcium etc. . .
Le savant atteint
ainsi dans le réel une finalité, une
rationalité. De cette rationalité du réel, il faut rendre compte. Les raisons des choses se trouvent dans les
choses, dans le réel (mais celui-ci ne suffit pas pour en rendre compte). Le
savant peut les dégager par un processus que l'épistémologie aristotélicienne
appelle l'abstraction. Il y a, dans la réalité objective, une rationalité
immanente que l'intelligence humaine peut atteindre par la science. Nous sommes
aussi loin de l'idéalisme platonicien qui sépare l'intelligible de la réalité
sensible et matérielle, que du nominalisme empiriste de Hume qui ne sait pas
discerner les raisons, les causes effectives et concrètes des phénomènes
naturels, et qui ne sait que constater du dehors, d'une manière tout externe,
le fait de leur succession constante.
Deux types de
problèmes, d'ailleurs connexes, doivent être envisagés lorsqu'on traite d'un
point de vue philosophique le fait de l'évolution biologique, historique, qui a
conduit la vie de ses formes les plus simples, les plus rudimentaires, jusqu'à
l'Homme.
Le premier type de
question concerne, comme toujours l'être même de ce développement, de cette
évolution, qui va du moins au plus: c'est une évolution progressive. Comment
rendre compte de ce processus qui est indiscutablement créateur ?
Un deuxième type de
questions concerne le sens de l'évolution, le dessein qui semble se manifester
à la lecture de cette histoire naturelle de la vie, et la rationalité
discernable dans l'organisation continue du vivant, son adaptation, l'invention
des organes de plus en plus complexes, sur des lignes évolutives différentes.
La
question de l'être même de cette évolution progressive n'est pas séparable de
la question du sens de cette même évolution, puisque précisément ce sens
manifeste l'organisation de plus en plus perfectionnée du vivant au cours du
temps. Le problème des rapports entre "l'être" et "le
temps" doit être traité dans la perspective réelle, c'est-à-dire évolutive
(inutile de souligner que ce n'est pas ainsi que Martin Heidegger l'a traité
dans son célèbre ouvrage portant ce titre).
Darwin et ses
disciples font appel, on le sait, au "hasard" pour expliquer les
mutations, infimes ou massives, et l'évolution biologique tout entière.
Nous avons déjà vu que
le "hasard", par lui-même, est bien incapable d'expliquer
ontologiquement la synthèse de la moindre molécule complexe. Cependant il n'est peut-être pas inutile de
revenir une dernière fois, avant de lui dire définitivement adieu, à cette tentative d'explication par le
"hasard" dans le cas de l'évolution biologique.
Bergson, dans
l'Evolution créatrice a fait la critique magistrale de cette tentative
d'explication par le hasard. En effet, le hasard, bien incapable d'expliquer
l'organisation de la moindre cellule, ne peut non plus expliquer l'évolution du vivant dans la direction d'une
complexification croissante.
D'une part l'évolution
a du s'effectuer de manière cohérente sur plusieurs organes interdépendants à
la fois. D'autre part, comment supposer que les mêmes petites
variations, en nombre incalculable, se soient produites dans le même ordre sur
deux lignes d'évolution indépendantes, si elles étaient purement accidentelles
? Comment concevoir que les nombreuses petites variations nécessaires pour
décrire par exemple une création d'organe se soient accumulées,
"attendues", alors que chacune d'elles, prise à part, n'était
d'aucune utilité, et cela d'autant plus que l'on observe des évolutions
parallèles sur des lignes indépendantes ?
En fait, dans l'état
actuel de la biologie, on observe que les mutations ont le plus souvent un
caractère soustractif. Elles suppriment mais ne créent pas. Elles résultent de
l'altération de gènes préexistants. Jusqu'à plus ample information elles ne
procèdent pas de l'apparition de gènes nouveaux. Comment alors concevoir par
exemple, le passage des reptiles aux oiseaux, qui ont gagné par rapport aux
premiers, des plumes, des ailes, des sacs aériens ?
De plus,
beaucoup de mutations ont un caractère létal, c'est-à-dire que leur apparition
entraîne non l'évolution, mais l'extinction
de la race mutée, et un pourcentage extrêmement élevé des mutations viables
sont récessives.
La singularité de
l'évolution, c'est ce qu'on nomme orthogenèse, à savoir une série d'évolution
dans le même sens à travers plusieurs espèces au sein d'un phylum. Là, l'hypothèse et la théorie cèdent le pas
au témoignage irrécusable des faits historiques.
"Disposerait-on
de doctrines plus cohérentes, plus liées à des faits, plus aptes à embrasser
les données paléontologiques dans leur ensemble, que l'énigme évolutionniste se
retrancherait dans une suprême redoute. Si on était à même de comprendre
comment les vertébrés ont succédé aux invertébrés, comment les oiseaux ont
succédé aux reptiles, il resterait à concevoir pourquoi l'Evolution s'est accomplie
dans un sens progressif. L'apparition de formes de plus en plus
"perfectionnées", l'avènement des grands systèmes de régulation qui
s'ajustent à la complication des organismes, comme l'homéothermie,
l'homéostasie, les corrélations hormonales, ne se plient à aucune théorie de
l'évolution. La suprématie de l'homme, sa singularité dans le règne animal, le
développement de son cerveau, échappent à la spéculation biologique" (Pr
Aron Problèmes de la vie).
Revenons encore sur la
théorie qui voudrait "expliquer" l'orthogenèse par la sélection
naturelle. En fait, il faut remarquer tout de suite que la mort, en tant
qu'instrument de sélection, fait tout au plus disparaître les individus
porteurs d'anomalies, de tares, de mutations pathologiques, et, loin d'être
différenciatrice, elle efface les différences et conserve l'espèce dans son
état normal et sain.
D'autre
part, les résultats de la génétique ont fait comprendre que si la sélection
artificielle, -et de même la sélection naturelle dans certains cas
particuliers-, est capable d'isoler une race d'un caractère déterminé, tout
mode de sélection est impuissant à créer un caractère nouveau ou à majorer un
caractère ancien. (Nous avons vu que le hasard ne peut expliquer l'apparition
de caractères nouveaux, cohérents d'une part et décisifs pour la survie de
l'espèce d'autre part.
Ce qui est
fondamental, c'est le merveilleux pouvoir de création, d'adaptation du vivant.
Certains peuvent refouler le problème métaphysique au niveau de la matière en
lui prêtant des "potentialités" extraordinaires mais le problème
reste le même: l'univers ne suffit pas ontologiquement à rendre compte de son
existence ni de son évolution.
M.
Ruyer, à propos de la sélection naturelle, fait observer que bien entendu, un
industriel qui met sur le marché une automobile meilleure l'emporte en vertu de
la concurrence. Mais ce n'est pas la concurrence qui explique la construction
du modèle, c'est l'ingénieur qui invente
un modèle plus efficace.
Enfin, si les
mutations chromosomiques se font "par hasard" comme le pensent des
biologistes éminents, encore faut-il rendre compte de la structure des gènes,
et de cette structure là, hautement complexe, le
hasard est bien incapable d'expliquer la genèse. Et cela n'explique pas
l'orthogenèse. La succession des formes organisées ne s'est point déroulée au
hasard, le mouvement évolutif a un sens et une
direction. L'avènement de l'homme n'est point le résultat de quelque accident,
mais le terme naturel de l'évolution biologique.
Il semble bien
aujourd'hui qu'il soit impossible, lorsqu'on décrit l'évolution biologique, de
faire l'économie d'une intentionnalité, au moins immanente, qui l'oriente dans
le sens que l'on voit. Comment comprendre ce dessein de l'évolution, si on ne
reconnaît pas une intention opérante ?
Nous
retrouvons les deux doctrines que nous avons vu s'affronter jusqu'à présent:
·
ou bien on affirme que cette intentionnalité
est le fait de la matière elle-même: on revient dans ce cas à une doctrine qui
prête à la matière des attributs fantastiques, sans aucune base expérimentale,
c'est la fin de tout rationalisme.
·
ou bien cette intentionnalité est en effet
présente dans la matière, opérant dans la matière en utilisant les causalités
physiques concrètes (déjà créées), mais sans être de la matière.
Nous avons
déjà suffisamment examiné ce problème pour y revenir une fois de plus. C'est
l'un des deux aspects de la question qui nous est posée par le fait de
l'histoire naturelle de l'univers et de la vie. Mais il y un autre aspect, encore plus
important, qui concerne l'être même de l'évolution biologique, de cette
histoire naturelle des espèces vivantes.
On n'expliquera pas
l'évolution biologique, l'invention des espèces vivantes de plus en plus
complexes par une déduction à partir de ce qui était donné au commencement, les
organismes monocellulaires (dont il faut d'ailleurs expliquer l'existence, et
nous avons vu que cette existence ne se laisse pas expliquer par la matière
multiple du physicien).
Il y a
plus au terme de l'évolution biologique qu'au commencement. Il y a épigenèse et
non préformation. L'histoire de l'évolution biologique, l'histoire de
l'évolution cosmique, c'est l'avènement constant d'un plus qui ne préexistait
pas, c'est dire que l'évolution cosmique et l'évolution biologique attestent
d'une création réelle.
Ce fait
d'une création réelle, effective, en train de se poursuivre, de se continuer,
c'est ce qu'il faut interpréter correctement. Le "hasard" n'y suffit
certes pas. Il est la personnification d'une négation: la négation d'une
causalité intentionnelle. Il n'explique pas l'apparition de structures vivantes
de plus en plus complexes. Il n'explique rien.
Il ne reste donc que
les deux types d'explication que nous avons déjà vu à
l’œuvre pour essayer de rendre compte de l'existence de l'univers et de
l'apparition de la vie. Nous tirerons les mêmes conclusions que dans notre
analyse précédente car le problème est le même, à cela près qu'il se présente
de manière encore plus aiguë.
Il faut en effet
rendre compte de l'apparition de réalités qui objectivement représentent un
plus, à la suite d'un état de chose qui représente un moins. Or, le moins ne
peut pas, par lui-même, ontologiquement, rendre compte du plus, -sous peine pour nous de renoncer totalement
à l'exercice de la raison.
Le matérialiste en est
conduit à attribuer à la matière tout ce qui est apparu dans son histoire, sous
forme de "potentialités". Prisonnier de son présupposé matérialiste,
il est alors conduit au panthéisme qui attribue à la matière des propriétés
fantastiques qui ne sont certes pas apparues dans l'expérience de la physique
positive ! On tombe dans le panpsychisme antique, par une démarche totalement
irrationnelle car non fondée dans la réalité objective.
Pour ceux d'entre nous
qui voulons rester rationnels, la matière ne produit rien du tout car elle
n'est pas une dame, elle n'est pas et ne peut être le sujet du verbe
"s'organiser" lorsque nous traitons de l'apparition de la vie; elle
n'est pas non plus le sujet qui organise et invente les espèces vivantes. La
matière ne s'organise pas, elle est organisée, ce qui est différent. Elle est ce avec quoi les choses sont faîtes, elle n'est pas ce
qui fait.
En somme, le
matérialisme contemporain n'a rien inventé: il reproduit simplement dans un
langage un peu moins franc l'antique confusion entre la cause matérielle et la
cause formelle, qu'Aristote avait déjà
analysée et réfutée.
"Ils
disent au bois: tu es mon père, et à la pierre: tu m’as mis au monde"
(Jérémie 2, 27).
Certains matérialistes
préfèrent affirmer que la vie et la pensée sont déjà présents
dans la matière dès le commencement pour éviter à tous prix de remettre en
cause leur préjugé matérialiste. Mais si la vie et la conscience sont déjà présents dans la matière, où sont-elles cachées ? Dans
chaque atome en particulier ? Or dans une population d'atomes, seuls les atomes
individuels existent, la multiplicité n'est pas un être. L'organisation de la matière requiert un
principe qui rassemble et intègre une multiplicité dans l'unité d'une seule
structure. Il faudrait donc admettre que la vie et la conscience cachées dans
la matière "couvraient" l'ensemble de la matière, afin de pouvoir
l'heure venue, procéder à l'organisation de cette multiplicité d'atomes. On en
vient donc quand même à faire de la vie et de la conscience
supposées présentes dans la matière quelque chose qui est distinct de la
matière. Affirmer qu'il s'agit tout de même de la vie et de la pensée de la
matière, c'est une fuite irrationnelle devant l'évidence du problème
métaphysique.
Certains
seront tentés d'affirmer qu'il s'agit de propriétés liées à l'essence même de
la matière, comme les lois
physiques. Dans ce cas il faut expliquer
l'existence de telles propriétés, comme pour les lois physiques d'ailleurs.
D'autre part prêter à la matière des propriétés occultes expliquant
l'apparition de la vie et de la conscience revient à attribuer à la cette
matière la vie et la substance au moins sous forme "virtuelle",
"potentielle", car dans
l'optique matérialiste on ne peut expliquer autrement la genèse ontologique de
la vie.
Si nous convenons que
la matière d'il y a 7 ou 10 milliards d'années ne contenait pas la vie ni la
conscience, fut-ce "en puissance", on doit admettre que la vie est
apparue dans l'histoire de l'univers. Le matérialiste peut alors être conduit à
dire que la matière a cependant pu seule produire la vie et la pensée. Il est
alors conduit au pire des mythes: le mythe théogonique, transposé en cosmogonie, qui implique une destruction de la raison. Si
une fois la matière existe seul sans vie, sans pensée, jamais il n'y aura de vie et de pensée dans
l'univers.
D'autre enfin, au mépris des observations tirées de
l'expérience, tentent de réduire la
spécificité, l'originalité irréductible et objective de la vie et de la pensée. Aristote,
lui, part du fait du devenir réel
de l'univers, il est conduit à
reconnaître l'existence d'un Etre en acte, qui seul peut rendre compte du
devenir.
Cela ne signifie pas
que l'évolution biologique soit purement et simplement identique au geste
créateur ni qu'elle soit purement et simplement l'effet de l'acte créateur. Les
vivants créés entrent peut-être en jeu dans le processus d'évolution, en sorte qu'il y ait deux types de causalités
à discerner dans l'évolution biologique,
comme d'ailleurs dans les autres domaines:
·
la Causalité créatrice première
·
les causalités secondes, créées, qui coopèrent
déjà, selon la mesure de leur forces, à cette
entreprise créatrice.
Il nous semble en
effet que l'évolution biologique "tâtonne". Si cette apparence
correspond à une réalité, peut-être l'évolution biologique n'est-elle pas
simplement menée. Saint Thomas
professait que Dieu, Cause première, a communiqué aux êtres créés un pouvoir et
une efficacité réelles, il a voulu leur conférer la
dignité d'être causes, dignitatem causandi
aliis conferre voluit. Les êtres créés tendent à ressembler à Dieu en ce
qu'ils sont causes (secondes) d'autres êtres. C'est là l'ultime perfection qui
peut être conférée à un être créé: la perfection de devenir cause (seconde)
d'autres êtres.
Retirer
quelque chose à la perfection des créatures, c'est retirer à la perfection de
la puissance divine. Retirer aux êtres
créés l'agir propre, c'est retrancher à la divine bonté. On ne doit pas retirer
les causalités secondes aux êtres créés. Pour
M. Wintrebert, comme pour Lamarck, c'est la fonction
qui requiert l'organisation. Il y a non seulement priorité de la forme sur la
matière mais priorité de l'acte sur la structure, la forme, priorité du
dynamisme du vivant.
Encore une fois, la
découverte et la mise en valeur légitimes des causes secondes, des causes
physiques, n'enlèvent rien à la nécessité de discerner l'opération de la Cause
première. Si l'on veut à la fois comprendre le fait de l'évolution biologique
et ne pas verser dans une mythologie que rien ne justifie, irrationnelle car
non basée dans la réalité objective,
nous sommes contraints de reconnaître que l'évolution biologique est
menée, dirigée, opérée par un Etre qui a en Lui-même au moins tout ce que nous
voyons apparaître : la vie et la pensée. Il est Etre en acte d'Aristote.
Le problème posé par
l'origine de l'information est le premier problème philosophique que fait
surgir la biologie fondamentale. Mais le problème posé par la croissance de
l'information génétique n'est pas moindre.
A vrai dire c'est le même problème,
car il y a création d'information nouvelle, comme au premier jour. Le
problème majeur, c'est l'origine du code
génétique et du mécanisme de sa traduction.
Nous avons vu que
l'explication par le hasard ne tient pas debout, car il faudrait que les plans
de construction d'organes nouveaux, issus par le pur hasard des erreurs de
copies, soient des plans complets, qui commandent à la construction d'un organe
susceptible d'assurer au vivant un avantage. Encore faut-il que cet avantage
lui permette d'avoir une plus nombreuse descendance.
On a
étudié longuement et minutieusement les problèmes posés par la communication et
la transmission des messages.
L'accumulation des erreurs augmente avec le nombre d'étapes de
transmission: entropie et information sont deux grandeurs qui vont en sens
inverse. Prétendre que la
création, depuis 3 milliards d'années,
de systèmes biologiques extraordinairement complexes, toujours dans le sens
d'une plus grande complexité, est due à une succession d'erreurs de copie, c'est extravagant, irrationnel,
car la quantité d'information créée est considérable.
On nous demande
d'admettre que la croissance de l'information s'explique par le processus qui,
dans l'expérience explique la dégradation de l'information. Certains font appel
à la sélection naturelle. Il est pourtant clair que la sélection n'est qu'un
facteur négatif, un facteur de destruction, jamais un facteur de création. Ceci
est d'autant plus remarquable que l'évolution biologique est un processus
accéléré.
Expérimentalement, la
drosophile, la mouche du vinaigre, qui peut aisément donner dix générations par
an et compte des milliards et des milliards d'individus vivants en même
temps, présente de nombreuses mutations
naturelles (plusieurs centaines exactement recensées). Or, depuis l'Eocène
supérieur, elle n'a pas sensiblement changé. Toutes les modifications qu'elle a
subies l'ont laissée à l'intérieur du même cadre générique, voir spécifique.
De plus, les mutations
qui ont abouti à la genèse des gènes proprement humains sont fort nombreuses,
et elles ne peuvent pas avoir été désordonnées, sous peine d'aboutir à des
monstres inviables. Elles ont été au contraire coordonnées. Comment attribuer
au hasard une telle coordination convergente dans de multiples mutations qui
ont abouti à l'homme moderne ?
Au
total, la science de l'hérédité instruit sur le maintien et la transmission des
caractères, et sur certains de leurs changements, mais ne concerne pas
l'apparition de véritables nouveautés, celles qui sont la conséquence d'une
création. L'hérédité est un phénomène, l'évolution en est un autre. L'hérédité
conserve, l'évolution crée. Sans l'hérédité, pas d'évolution,
mais confondre les deux ordres de phénomènes fausse les données du problème et
aboutit à des non-sens.
La grande évolution,
la vraie, exige du nouveau: elle n'émerge pas de la recombinaison de gènes
préexistants. D'autre part, nier la formation de nouveaux gènes revient à
admettre que l'Amibe, ou la Monère archétype comme aurait dit Haeckel,
possédait la totalité des gènes qui, au cours de l'évolution, se sont
distribués entre les diverses espèces d'animaux.
Comment admettre que
l'être le plus primitif ait contenu réellement, substantiellement, en lui-même
tous les gènes du règne animal, voir même végétal, sans verser dans un animisme
inavoué ? C'est par la genèse de nouveaux gènes, et non par le désemboitement de gènes préformés que se sont développés
les règnes animal et végétal.
Comment comprendre que
l'explication absurde par le hasard soit aujourd'hui encore défendue par des
biologistes réputés comme J. Monod ? Dans le cas de J. Monod c'est, semble-t-il
extrêmement simple. Dans Le Hasard et la
Nécessité, il explique en effet le point de départ de son analyse
philosophique. D'après lui,
"la pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat
d'objectivité de la nature", c'est-à-dire,
toujours d'après lui, "le refus systématique de considérer comme pouvant
conduire à une connaissance vraie toute interprétation des phénomènes donnée en
termes de causes finales, c'est-à-dire de projet." Il est vrai que le
physicien, comme le biologiste ne recherche pas les causes finales, mais les
causes efficientes: la science expérimentale, c'est la science des causes
efficientes.
La
recherche des finalités n'est, semble-t-il, pas l'objet des sciences
expérimentales, encore que certains biologistes n'hésitent pas à dire que la
question du but et de la fin n'est pas inutile en recherche même. Car enfin,
jusqu'à présent, on n'a jamais trouvé dans la nature un système biologique qui
ne servait à rien, et le biologiste est amené à se poser des questions sur les
raisons d'être d'un système, pour comprendre son fonctionnement. Comme le
souligne E. Wolf, "en embryologie
par exemple, on ne peut éviter le
recours à un principe de coordination...
C'est là que le biologiste retrouve la finalité inhérente à l'organisme
en voie de développement". Il
parait de moins en moins évident que la science expérimentale n'a à s'occuper
que des causalités physico-chimiques.
Admettons cependant
provisoirement, avec Monod, que la science expérimentale n'ait à s'occuper que
des causalités physico-chimiques. Qu'est-ce que cela prouve ?
Est-ce que cela prouve
qu'en réalité, dans la nature, il n'y ait pas d'intelligence organisatrice qui
opère, qu'aucun dessein ne soit en train de se réaliser, qu'aucun but ne soit
poursuivi par et dans cette histoire de la création qu'est l'évolution cosmique,
physique et biologique ? Nullement.
Cela prouverait que,
par souci de méthode, la science expérimentale limite définitivement son champ
d'exploration, et qu'elle ne recherche pas quelle est la source de
l'information génétique, ni quelle est la signification de l’œuvre déjà
réalisée, et inachevée, dans la nature, qu'elle ne se pose pas, en tant que
telle, les questions d'origine et de but.
L'erreur de Monod, ce
n'est pas d'avoir posé ce postulat méthodologique pour l'exercice de la
science; son erreur c'est, par un glissement subtil d'avoir posé ce postulat
méthodologique comme un postulat ontologique selon lequel les choses sont ainsi
en réalité, il n'y aurait pas d'intelligence organisatrice dans la nature.
Comment passe-t-on du postulat méthodologique au dogme ontologique ? On ne nous
le dit certes pas.
Mis en forme, le raisonnement qui sous-tend tout le livre
de M. Monod, et qui en constitue la
thèse philosophique, s'articulerait de
la manière suivante: "S'il est
vrai qu'il n'y a pas de projet dans la nature, c'est-à-dire pas d'intelligence
organisatrice, pas de Logos immanent, c'est-à-dire s'il est vrai que tout ne
peut naître que du hasard, -alors la seule source de l'organisation est le
hasard. Ce raisonnement est une pure
tautologie. Cela s'appelle une pétition
de principe.
M. Monod nous dira
sans doute: je n'ai pas à justifier le passage du postulat méthodologique
initial à l'affirmation ontologique finale, car il n'y a de science
qu'expérimentale. Il commettrait un paralogisme grave. Car toute la question
est de savoir si le champ de la science expérimentale est exhaustif, si elle
peut répondre aux questions premières et dernières, celle de l'être, celle de la source de l'information, celle de
la finalité ultime de toute l'histoire de l'évolution créatrice.
Affirmer
que la science expérimentale est la seule connaissance authentique, c'est professer le positivisme et
l'empirisme: la question est de savoir si cette philosophie est vraie, nous en avons déjà vu les failles. Pour
revenir au postulat d'objectivité,
demandons-nous si le glissement de l'ordre méthodologique et
épistémologique à l'ordre ontologique est justifié.
Les
biologistes sont aujourd'hui dans la situation de savants qui seraient en
présence d'un poème en train d'être composer mais
sans voir l'auteur. Ils sont en présence
de ce grand poème en composition qu'est l'univers, et de ces millions de poèmes subsistants que
sont les êtres vivants produits par l'évolution. Qu'ils estiment que tout cela
est l’œuvre du hasard, ou qu'ils pensent qu'une intelligence créatrice est à
l’œuvre, ils n'en font pas moins, en laboratoire, un travail également objectif, si ce sont
d'authentiques savants, c'est-à-dire
s'ils ne font pas intervenir leurs conclusions philosophiques dans leur travail.
C'est-à-dire
que le postulat d'objectivité, que M.
Monod place au fondement de la science, ne nous paraît nullement impliquer
qu'en réalité, dans la nature, il n'y
ait pas d'intelligence organisatrice, ni
de projet, ni d'intention. Peut-être est-ce
une limitation légitime inhérente à la méthode scientifique, mais c'est tout. On ne peut pas en tirer une ontologie.
Même si la nature comporte un projet, cela n'empêche nullement les
sciences expérimentales de l'étudier objectivement, de déterminer les
causalités efficientes, les causalités physico-chimiques, les connexions, les
structures et les genèses. Il suffit aux
sciences expérimentales de ne pas s'occuper de ce projet ou de cette finalité,
si elles estiment que ce n'est pas là leur tâche.
En ce qui
concerne l'apparition de la pensée consciente et réfléchie dans la nature, la
pensée de l'homme, Monod, dans sa philosophie ne nous donne aucune explication:
elle survient sans cause. La conscience est en trop dans le système. Son
apparition, son existence, sont totalement inintelligibles dans cette
perspective. M. Monod semble s'orienter
dans le sens d'un dualisme de type cartésien. Mais Descartes associait une
pensée créée à une matière créée. Puisque Monod n'admet pas l'idée de création,
comment s'y prend-il ?
Il reste de plus un problème que M. Monod n'a même pas abordé:
l'existence de l'univers, support d'une
telle évolution continue et accélérée produisant des inventions de plus en plus
merveilleuses. Le matérialisme de Monod,
comme celui de Leucippe et de Démocrite, ne prend pas la peine de traiter le
problème fondamental posé par l'existence même du système, dont il prétend
(arbitrairement, sans justification objective) qu'il est purement mécanique.
La découverte de
l'histoire de l'évolution est relativement nouvelle. Les anciens n'avaient pas
idées que l'univers comportât une histoire irréversiblement orientée. Ils
avaient l'idée de cycles cosmiques, mais non celle d'une évolution cosmique. Ce
sont les sciences positives qui nous ont apporté cette vue sur l'univers.
La plupart, particulièrement Platon et l'école
platonicienne, avaient une idée inverse, celle d'involution, d'une évolution régressive. Alors que
l'évolution cosmique et biologique atteste le passage du moins au plus, de la
matière simple à la matière complexe, la procession platonicienne, et plus
encore la procession plotinienne, affirmait un passage du plus au moins. Dans
cette philosophie, de l'Un émane,
"sans qu'il le veuille" la multiplicité des êtres, cette émanation, éternelle, nécessaire,
est une dégradation.
Plotin et les anciens
n'avaient pas sous les yeux l'évolution cosmique et biologique qui nous
présente le schéma inverse: au commencement de l'histoire non pas l'Homme, mais la matière. L'homme n'apparaîtra qu'au terme de
l'évolution biologique. L'évolution présente non pas une dispersion à partir de
l'Un, mais au contraire le regroupement,
l'organisation d'une matière relativement simple au début.
Cela ne signifie pas
qu'on parte d'une multiplicité pure: ce que nous savons aujourd'hui de
l'univers ne nous conduit pas vers cette idée d'une multiplicité
originelle. Bien plutôt, les modèles
cosmogoniques souvent adoptés nous invitent à admettre une unité cosmique première
qui aurait explosé et se serait dispersée: sur ce point un schéma
néoplatonicien semble s'appliquer. Il
s'appliquerait assez bien en présence de phénomène de dispersion et de
dégradation. Mais ce schéma n'a pas prévu,
et s'avère incapable d'intégrer, l'autre phénomène non moins constant et
essentiel dans l'univers: le phénomène de complexification et d'organisation,
de montée du plus simple au plus complexe, de la matière à la vie et à la
pensée.
La doctrine chrétienne
de la création traitera le problème autrement. La création n'est pas une
procession nécessaire, ni une émanation,
mais un don volontaire et libre qui atteste ce que Dieu est : agape (amour et
miséricorde).
Aujourd'hui nous
partons du monde matériel, physique, et nous nous demandons comment ce monde
est pensable, ce qu'il présuppose, ce
qu'il prérequiert.
Nous avons d'abord à établir l'existence de Dieu, avant de traiter le problème de la
création. Pour établir l'existence de
Dieu, nous ne pouvons partir que de ce qui est donné aux yeux de tous: ce monde
physique, et son histoire que tous reconnaissent. Le fait de l'évolution est à cet égard très
éclairant car il nous montre que la création historique et concrète est, en
fait, une montée, une ascension. C'est de ce fait qu'il faut rendre compte.
Les métaphysiques de
l'Un - aussi bien celle qui s'exprime à travers les Upanishad que celle de
Plotin - étaient conduites, ne parvenant pas à comprendre la coexistence de
l'Un et du multiple, à exténuer autant
que possible la réalité de ce multiple et à professer que la multiplicité des
êtres n'est, en fait, qu'une apparence, qu'il faut surmonter, afin de
reconnaître notre identité ontologique avec l'Un. Elles évacuaient de même le
devenir. Pour nous aujourd'hui au XXe siècle, la réalité du multiple, le fait d'une multiplicité d'êtres, et le fait du devenir évolutif, c'est le
donné dont il faut partir.
L'évolution biologique
semble bien terminée avec l'apparition de l'homme. Cela ne signifie pas que la
création soit achevée: elle se continue, mais à l'intérieur même de cette
espèce nouvelle et ultime, l'espèce humaine . . .
Qu'est-ce que l'homme
? Comment définir l'homme par rapport aux espèces animales antérieurement
apparues ? Pour entreprendre de définir l'homme par rapport à l'animal, il
faudrait un travail spécial. L'homme se définit d'abord par des critères
anatomiques et physiologiques bien précis, la structure de son squelette, le
volume et la structure de son cerveau, le nombre de neurones et les
possibilités qui résultent de ce cerveau plus développé que celui des grands
singes anthropomorphes, etc.
Caractères anatomiques
et physiologiques bien particuliers permettent de comprendre en partie
l'originalité de l'homme du point de vue psychique. On l'a dit et répété,
surtout depuis Descartes: l'homme est un animal capable de connaître et de se
connaître, capable de réflexion, capable de dire "Je". Mais est-ce
tout ? Est-ce suffisant ? A-t-on véritablement défini l'homme lorsqu'on a dit
que c'est un animal capable de penser, capable de réflexion ?
Non, très
probablement. Il faudrait définir ce qu'est la pensée, ce qu'elle implique, ce
qu'elle présuppose. Des horizons nouveaux s'ouvriraient sans doute si l'on
entreprenait une telle recherche. Elle a été engagée par un grand métaphysicien
moderne, Maurice Blondel, dans un
ouvrage qui s'appelle précisément "La Pensée".
On verrait sans doute,
on serait obligé de reconnaître, que l'homme est un étrange animal. En l'homme,
quelque chose passe l'homme. L'homme est un être du passage. Une perspective
théologique s'ouvre inévitablement à qui entreprend d'analyser ce qu'est
l'homme et de faire l'inventaire de ce qu'il trouve en lui. Un être capable de
Dieu, disent les théologiens, un être capable, par nature, de recevoir, par
grâce, la participation à la vie divine. Le métaphysicien peut discerner en lui
les pierres d'attente, la structure et le dynamisme interne qui atteste que
l'homme ne s'achève pas en lui-même, que l'homme est en genèse et en régime de
divinisation.
Nous
n'aborderons pas ici ce problème. Nous nous contenterons d'une simple
constatation objective: l'homme est un être qui ne se suffit pas
ontologiquement, l'être pour l'homme est quelque chose de reçu, un don.
Il existe des
philosophies pour lesquelles l'existence du monde n'est pas absolument certaine
au départ et doit être démontrée (Descartes), d'autres pour lesquelles
l'existence du monde est réduite en sorte qu'on peut aller jusqu'à dire: le
monde est ma représentation (Schopenhauer).
Les philosophies
postcartésiennes, qui accepteront le point de départ de Descartes, son
épistémologie, sa critique de la valeur de la connaissance sensible, son doute
initial, son anthropologie, mais qui
n'acceptent pas la démonstration cartésienne de l'existence du monde extérieur
qui passe, comme on sait, par la démonstration de l'existence de Dieu, ces
philosophies ont du mal à retrouver le réalisme du sens commun.
Nous n'avons
pas ici à nous engager dans une analyse critique des présupposés de l'idéalisme
cartésien et postcartésien (cf. pour cela R. VERNEAUX, Les sources cartésiennes
et kantiennes de l'idéalisme français, Paris, 1936, et les ouvrages ultérieurs
du même auteur, notamment son Epistémologie générale). Il nous suffit de rappeler que, du point de
vue cartésien, on ne peut partir du monde, comme nous l'avons fait pour établir
l'existence de Dieu, puisque l'existence du monde ne parait pas à Descartes une
certitude initiale.
Eh bien, même en
acceptant ce point de départ par ailleurs tout à fait discutable, même en
acceptant cette réduction, on peut encore engager une démarche rationnelle qui
conduise jusqu'à reconnaître l'existence de Dieu. Il suffit d'opérer une
transposition et de rapporter à cette substance pensante qu'est le philosophe
tout ce que nous avons dit de l'univers, de reprendre, à propos du moi pensant
du philosophe la démarche que nous avons utilisée en partant de l'univers.
Là encore c'est le
panthéisme qui constitue l'obstacle principal à surmonter, le panthéisme dont
les premières expressions se trouvent dans la tradition du brahmanisme et qui
se continue jusqu'à aujourd'hui. Cette doctrine qui était aussi celle de
Plotin, affirme notre identité avec l'Etre Absolu: je suis l'Etre absolu, sans
le savoir, mais il me faut le réapprendre. Une telle doctrine est bien entendue
contraire au sens commun: je ne suis pas l'Absolu, j'existe, mais je suis
incapable de rendre compte par moi-même de ma propre existence.
La démonstration de
l'existence de Dieu consiste tout simplement à rechercher le fondement de cette
notre existence contingente, de l'insuffisance ontologique radicale de
l'existence du sujet humain pensant. C'est cette voie qu'aurait du emprunter Descartes, au lieu d'utiliser l'idée de
parfait comme Saint Anselme.
Nous avons déjà vu
comment J. P. Sartre n'accepte ni le panthéisme selon lequel le monde est
l'Etre absolu, ni la métaphysique chrétienne et juive de la Création. Il en
résulte, dans la philosophie de Sartre, que l'univers n'a pas de justification
philosophique du tout. Le monde est "en trop". Du point de vue de
l'athéisme pur, son existence est absurde.
Sartre, formé dans la
scolastique postcartésienne et postkantienne, ne part pas d'une réflexion sur
le monde, son point de départ c'est le cogito de Descartes. Là encore, on
attendrait des explications, des justifications, car l'idéalisme problématique ou hypothétique
qu'expose Descartes avant de trouver la certitude du cogito est extrêmement
contestable. Même dans cette hypothèse, comment Sartre traite-t-il l'existence
du cogito ?
Comme pour le monde,
Sartre affirme que le philosophe aussi est "en trop": "J'étais
de trop pour l'éternité" (La Nausée p. 163). Mon existence, comme celle du
monde, est absurde. Le problème ontologique posé par l'existence de l'homme
n'est donc pas traité.
Car on ne peut
considérer comme un effort pour traiter le problème, les métaphores proposées
par exemple dans L'existentialisme est un humanisme. Dire que "l'existence
précède l'essence" (p. 17 et passim) est une expression qui, prise à la
rigueur, ne veut strictement rien dire. Lorsqu'un être existe, qu'il soit
animal ou homme, il existe tel ou tel. Il n'existe jamais sans plus. Il est un
corps organisé, de telle ou telle espèce, il a telle ou telle structure
anatomique.
C'est là qu'intervient
la définition du concept telle que l'a proposée Aristote : l'ensemble des
caractères, de ces déterminations réelles, que le biologiste, le naturaliste,
discerne dans une multiplicité d'individus, et qui leur sont communs, qui caractérisent
et définissent précisément l'espèce à laquelle ils appartiennent. Le concept ne
préexiste peut-être pas dans un "ciel intelligible" à cette
multiplicité concrète d'individus existants. Mais il peut parfaitement se
dégager, par l'analyse positive, scientifique, de cette multiplicité: il
désigne un ensemble de caractères communs à ces individus.
Sartre n'accepte pas
cette manière de comprendre le concept,
il est nominaliste, comme l'ensemble de la tradition philosophique dans
laquelle il a été formé. Il le professe explicitement: "Il est impossible
de trouver dans chaque homme une essence universelle qui serait la nature
humaine" (Ibid. , p. 67). Et ce nominalisme
radical s'explique fort bien par la méthode adoptée par Sartre, le point de
départ, l'absence de référence aux sciences positives, la méconnaissance de
l'ordre physique et biologique.
Non seulement la
formule proposée par Sartre ne veut strictement rien dire, mais de plus elle ne
répond pas au problème posé : comment comprendre l'existence du moi, du cogito
du philosophe qui a commencé par mettre en doute, sans raison valable,
l'existence du monde ? De plus, dire que "l'homme existe d'abord, se
rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après", cela ne
répond toujours pas à la question posée par son existence.
Nous admettons
volontiers que l'homme est responsable de son destin, qu'il se modèle lui-même,
se transforme. Mais il subsiste une question première: pour se faire tel ou
tel, il faut d'abord être. Et comment rendre compte de cet être ?
Comme Etienne Gilson
le remarquait il y a longtemps déjà, la philosophie dite
"existentialiste" ne traite pas le problème posé par l'existence même
de l'être concret. Elles traitent des modalités de l'existence, mais non du
problème ontologique posé par cet exister. A la rigueur, cette philosophie
devrait avoir le courage d'aller jusqu'à professer que l'homme se crée
réellement à partir de rien: ainsi l'athéisme serait cohérent !
Mais cette proposition
elle-même est impensable : si l'homme n'existe pas, comment peut-il se créer
lui-même seul ? Et s'il existe déjà, comme c'est le cas, il lui faut bien
reconnaître qu'il n'a plus besoin, en respectant la rigueur des termes, de se
créer. L'être est pour lui reçu. Il peut
coopérer à cette création, ratifier le
don de la création, coopérer, comme le veut la théologie chrétienne orthodoxe,
à sa divinisation: mais au départ, il reçoit, il a reçu l'être. L'homme n'est
pas autocréateur.
La
théogonie, impensable pour des dieux, est impensable, nous l'avons vu,
transposée en cosmogonie. Elle est impensable aussi transposée dans le registre
de l'idéalisme. C'est sans doute pourquoi Sartre ne va pas jusque
là. Un athéisme cohérent, avec le point de départ qui est celui de
Sartre, se doit de professer: "je me suis absolument créé moi-même et je
ne dépends d'aucun autre" -exactement comme Marx et Engels professent que
le monde existe par soi et qu'il se fait lui-même !
Une fois de plus, nous
le constatons, un athéisme cohérent n'échappe pas au mythe théogonique,
impensable. L'athéisme de Sartre est purement verbal, il ne traite pas le seul
problème qui est en question: celui de l'être du monde et de l'homme.
Sartre reconnaît
lui-même que l'homme "ne s'est pas créé lui-même"(p. 37). Dire que
l'homme a été "jeté dans le monde" (ibid. )
c'est user d'une vielle métaphore gnostique qui était employée dans la
mythologie orphique, mais qui n'en a plus aujourd'hui. Les orphiques et les
gnostiques professaient en effet que l'âme humaine est tombée de sa condition antérieure,
divine, elle est une parcelle de la
substance divine aliénée dans la matière. Cette mythologie inacceptable
aujourd'hui n'est pas acceptée par Sartre, pourquoi use-t-il alors de cette
métaphore ?
Notons en passant
que, pour plusieurs philosophes
contemporains, formés dans la tradition cartésienne et kantienne, non seulement l'existence du monde en dehors
du sujet connaissant est problématique et fait question, mais de plus,
l'existence du monde avant l'homme est impensable.
Si en effet le monde
est ma représentation, si c'est le sujet connaissant humain qui constitue
l'expérience, si le temps et l'espace sont les formes constitutives de ma
capacité de percevoir, et si l'homme est le seul être pensant, -si l'on accepte
tous ces présupposés, l'existence du monde avant l'homme est impensable.
"Rien ne me fera jamais comprendre, écrit Merleau-Ponty, ce que pourrait
être une nébuleuse qui ne serait vue par personne. La nébuleuse de Laplace n'est
pas derrière nous, à notre origine, elle est devant nous, dans le monde
culturel. "(in Phénoménologie de la perception p.
494).
Outre les
présupposés idéalistes, cette conclusion présuppose la vérité de l'athéisme. En
effet, on voit mal ce que pourrait être une nébuleuse ou une espèce vivante qui
ne serait connue par personne. Mais toute la question est justement de savoir
si elle n'était connue par personne.
Pauvre diplodocus: au
temps où il recouvrait la terre, au Secondaire, il n'y avait pas encore d'homme
pour le connaître, et donc il n'existait pas. Et maintenant que l'homme est là
pour le connaître, le diplodocus, lui, n'existe plus. En somme, il n'a jamais
réussi à exister d'aucune façon. Seul son squelette au Muséum d'Histoire
naturelle a la chance d'exister...
Le sens commun est
réaliste, on le sait: c'est précisément ce que l'idéalisme lui reproche. Le
sens commun, ce n'est pas seulement la manière de voir spontanée de l'homme qui
n'a jamais fait de philosophie, de celui qui n'a pas de culture, en somme de
l'humanité entière hormis des philosophes appartenant à la tradition idéaliste.
Le savant qui pratique la science expérimentale est spontanément réaliste. Son
épistémologie est spontanément aristotélicienne. Toute sa méthode consiste à partir du donné.
Il considère le réel comme un donné qu'il n'a pas produit et qu'il doit étudier,
explorer, écouter.
C'est
ici que se situe l'opposition la plus profonde entre la science expérimentale
moderne et les courants les plus marquants de la philosophie contemporaine: le
savant comme le sens commun part du donné, le philosophe idéaliste part du
sujet humain connaissant.
L'homme n'est pas
seulement un être. Il est un organisme
vivant. En tant qu'il est un corps vivant, nous pourrions reprendre ici tout ce
que nous avons dit des organismes vivants les plus simples, et les problèmes posés
par la vitalisation.
Contenant environ 1027
atomes, l'organisme humain est fait principalement de vide. Ce qui constitue le
corps humain, c'est la structure originale et souple qui intègre ces 1027
atomes. L'organisme humain est en
renouvellement constant cellulaire et moléculaire (chaque jour, dans un
organisme humain adulte, il naît et il meurt environ cinq cent mille millions
de cellules) et pourtant le sujet humain demeure identique dans sa croissance
et dans son renouvellement. Il est une "structure subsistante", ou
une "forme substantielle" ce qui signifie exactement la même chose.
Il ne faut pas dire
que l'homme a un corps organisé, car ce serait faire de l'homme autre chose que
ce corps qu'il serait censé avoir. L'homme est un corps organisé, et en lui
l'organisation de la matière atteint un degré suprême dans l'histoire de la
vie. L'homme est à la pointe, au sommet, à la flèche d'un processus de
complexification cosmique qui s'est précisé, au cours de l'histoire de la vie,
par le processus de céphalisation.
D'une part, nous avons
déjà vu que la matière multiple, les atomes, ne suffisent pas par eux-mêmes à
rendre compte de cette organisation prodigieusement complexe que représente un
organisme humain vivant. De plus,
cette organisation n'explique pas par elle-même cette activité, cette capacité
de se mouvoir, d'agir, de s'adapter aux situations nouvelles, d'assimiler et d'éliminer, de se cicatriser, qui caractérise le vivant.
L'homme est, comme
tout vivant, une structure subsistante.
Pour parler le langage d'Aristote,
il est une forme. Il est de plus capable de dire Je, capable de pensée
réfléchie, et de langage.
Il y a bien une
composition dans un organisme vivant: d'une part il y a les éléments
matériels, multiples et, d'autre part,
il y a un principe formel, une
structure subsistante, qu'Aristote
appelait la forme du vivant ou son âme (psyché).
Mais on ne peut pas
dire légitimement que le vivant soit composé d'une "âme" et d'un
"corps", car dans le terme
"corps" on a déjà implicitement compris le principe formel, le principe d'organisation et de
structuration. Car un corps vivant est un corps animé, ou il n'est rien. Lorsque l'âme s'en va, il ne reste pas un corps,
il reste un cadavre, c'est-à-dire une multiplicité pure d'éléments chimiques
qui s'en vont et se dispersent. Le cadavre n'est plus un corps, il est une multiplicité.
Le corps vivant et
concret n'est pas autre chose que l'âme qui informe la matière et l'organise.
Le problème psychophysiologique a été faussé parce qu'on a cru voir deux choses
là où il n'y en a qu'une. Et si la médecine psychosomatique fait effort
aujourd'hui pour surmonter le dualisme hérité de Descartes, elle a cependant le
tort de garder les deux termes de ce dualisme. Lorsqu'on soigne un corps
vivant, on ne soigne pas "le corps" en tant que distingué de
"l'âme": on soigne l'homme.
Un problème correct
serait celui entre l'âme ou la forme subsistante, et la matière qu'elle informe
pour en faire un corps organisé et vivant. Comment une forme vivante peut-elle
organiser une matière multiple afin d'en faire cette unité souple qu'est le
corps vivant ? C'est le problème de l'organisation de la matière, mais non
celui des rapports de l'âme et du corps.
L'expression
"l'homme est composé d'une âme et d'un corps" est donc incorrecte et trompeuse,
car le corps c'est la matière animée par l'âme. On dira: c'est une
question de mots. Peut-être. Encore faut-il s'entendre sur les mots qu'on
emploie, et les utiliser toujours avec la même signification.
J'ai le droit de dire
que je suis un corps vivant, cela est correct. Je peux dire aussi: je suis une
âme vivante, cela est correct aussi. Mais je n'ai pas le droit de dire:
"j'ai un corps", car, en
disant cela je fais du corps que je suis autre chose que moi-même; de même on
ne peut dire "j'ai une âme".
En fait, ce corps
vivant, cet organisme vivant que je suis, et cette âme vivante que je suis,
cela ne fait pas deux choses, mais une seule. On peut dire que l'âme est
l'essence même du corps organisé. Les confusions du dualisme sont encore très
présentes aujourd'hui, bien qu'elles
proviennent de l'ancestrale anthropologie orphique, reprise par les pythagoriciens et par Platon, et selon laquelle l'homme vivant et concret,
serait composé de deux substances: l'âme, psyché, et le corps, soma. Bien plus
l'orphisme professait que l'âme, substance divine, parcelle de la divinité,
était tombée dans un corps mauvais qui l'aliène, l'exile et la souille.
Aristote a réagi
contre cette anthropologie et a montré qu'elle était fausse. Il a montré que,
pour l'homme comme pour les autres êtres vivants, il convient de distinguer une
matière et un principe formel, et les deux ensembles constituent un corps
organisé qui est un. On ne désigne du même nom un œil mort et un œil vivant que
par un abus de langage.
Du point de vue
aristotélicien, qui est le point de vue d'une analyse objective et exacte, il
faut dire qu'un corps vivant, ou ce qui revient au même, un vivant tout court,
est constitué d'une multiplicité matérielle et d'un principe formel qui unifie,
qui unifie, intègre et informe cette multiplicité matérielle. Pour qu'il y ait
un corps, il faut déjà qu'il y ait un principe formel qui organise et anime la
matière dont le corps vivant est constitué.
Remarquons que la
formule incorrecte à laquelle nous sommes habitués reçoit la caution de
Descartes, qui rejette l'analyse aristotélicienne. A la place il nous propose
un schéma plus simple, simpliste, fondé tout entier sur l'analogie entre le
corps et la machine. Le premier inconvénient, c'est que cette analogie est
radicalement, ontologiquement
fausse. Il n'y a rien de commun entre la
machine que l'homme fabrique à partir de matériaux donnés et l'organisme vivant.
La machine est
fabriquée. Lorsqu'elle est achevée, elle reste ce qu'elle est, elle ne dure
pas, elle n'évolue pas: elle n'a pas d'histoire. Elle s'use et se rouille, à la
longue, mais la temporalité n'est pas inscrite dans son être.
Au contraire, le vivant évolue, il ne reste pas ce qu'il
est, il croit, se développe, et vieillit en profondeur, dans l'intimité de ses cellules. La machine est
composée de pièces qui sont relativement indépendantes les unes des autres.
Au contraire, dans
l'organisme vivant, chaque organe, chaque fonction, est en rapport vital avec
tous les autres organes, toutes les autres fonctions, et intimement. L'idée d'une maladie strictement locale est, en médecine, une idée fausse, qui procède
précisément de l'analogie trompeuse employée par Descartes entre l'organisme et
la machine.
La machine a une
forme, une structure, chacune des pièces
qui la constituent a une forme: mais cette forme est externe, extérieure à
chacune des pièces. L'intérieur d'une
pièce n'est pas à son tour informé. Le vivant est au contraire informé jusqu'à
l'infiniment petit, au niveau moléculaire.
Surtout, le propre de
la forme, de la structure du
vivant, c'est d'être une "structure
subsistante" capable de choisir les éléments matériels qu'elle intègre,
capable de les renouveler tout en restant elle-même, d'assimiler en transformant, de s'adapter au milieu, de croître, de se réparer. La structure subsistante qui constitue le
vivant est sujet de ses propres opérations.
Dans une machine, si vous enlevez une pièce, elle ne marche plus (ou tout au moins
est-elle privée d'une partie de ses fonctions). Dans un organisme vivant, si une partie de l'organisme se trouve
atteinte, l'organisme tout entier fait
effort pour se passer de la partie malade, pour compenser ses déficiences. Et cela va fort loin: il peut compenser la
perte d'un poumon, d'un rein, et même la lésion d'une partie de cerveau. Chez certains animaux primitifs, l'organisme
peut régénérer des parties amputées.
Contrairement à l'organisme vivant, la machine n'est pas elle-même
principe d'action, elle n'a pas
d'initiative. Elle est posée-là, elle
est Dasein comme disent les Allemands.
L'organisme est autre chose, il
est spontanéité active et même intelligente.
La structure de l'être
vivant et celle de la machine n'ont donc rien de commun, si ce n'est le nom. Si je brise une statue,
un vase, ou une machine, la forme est détruite par le fait même. Cette forme,
ou structure est purement externe à la matière, et passive. Elle n'a pas de réalité ontologique.
Au contraire, dans le cas du vivant, la forme ou la structure non seulement
pénètre intimement la totalité de l'organisme mais surtout le constitue en
informant une matière. Cette forme, cette structure manifeste d'ailleurs une
relative indépendance par rapport à la matière intégrée puisqu'elle choisit
cette matière, l'assimile, la
transforme, élimine, sait se réparer, s'adapter et subsister. La forme du vivant est une forme subsistante
et active.
Nous découvrons alors, posé en termes corrects, le problème de
l'immortalité de l'âme. La
disparition, hors du champ de notre
expérience, de ce sujet, de cette personne - il ne reste plus qu'un
cadavre, c'est-à-dire de la matière
multiple, celle qui était précédemment informée
-, cette disparition n'est en effet nullement identique nécessairement à
l'annihilation (au contraire).
Rien ne permet de dire
que cette disparition hors du champ de notre perception équivaut à une
annihilation. On ne peut le prétendre que par une pétition de principe et en se
fondant sur la fausse analogie avec la forme ou la structure de l'objet
fabriqué.
Descartes s'imagine
que le vivant, et en l'occurrence l'homme,
le "corps de l'homme" comme il dit, pourrait être constitué comme il l'est, sans
être animé. Prisonnier de
sa confusion entre l'organisme vivant et la machine, il va jusqu'à imaginer que
Dieu fabrique d'abord un "corps", avec de la matière, puis il met
dans ce corps une "âme".
Cela n'a aucun sens dés que l'on regarde un être vivant quelconque. Un corps
vivant est forcément un corps organisé; un corps organisé est un corps animé.
Un organisme vivant, même élémentaire, est déjà un principe ou un sujet
d'action. Il n'est pas une machine, il
n'a rien de commun avec une machine, ni avec un modelage de potier.
Pour Descartes, le corps ne se définit pas par
l'organisation, mais simplement par la
matérialité et l'extension. Lorsqu'il
nous dit: "l'homme est composé d'une âme et d'un corps", il faudrait
donc entendre : l'homme est composé d'une âme et d'un cadavre. Or le cadavre,
nous l'avons vu, n'est pas une chose, ce n'est même pas un être, ce n'est pas
une réalité une: c'est une multiplicité qui mime provisoirement le corps vivant.
Sa structure n'est qu'apparente, spécieuse, provisoire. En aucune manière il
n'est légitime d'identifier le corps et le cadavre. Aristote, dans ses premiers écrits, avait
professé une anthropologie dualiste proche de celle de Platon.
Plus tard, il a pris le contre-pied de cette thèse (De Anima, II, 1,
412b).
L'homme
n'est pas l'union d'une âme vivante et d'un cadavre, mais l'union d'une âme vivante et d'une
matière qui est organisée par cette union même.
La stricte logique exigerait qu'on parle de la composition entre l'âme
et la matière.
L'existence de l'âme
n'a donc pas besoin d'être démontrée,
comme on démontre l'existence de Dieu à partir du monde. L'existence de
l'âme est une donnée immédiate de la perception: un organisme vivant est une
âme vivante qui informe la matière.
Au siècle dernier - la
belle époque du matérialisme mécaniste -, un médecin avait ce propos célèbre et
indéfiniment répété depuis: "Je croirai à l'existence de l'âme lorsque je
l'aurai trouvée sous mon scalpel. ". S'il
s'agissait, dans la pensée de ce médecin,
d'une autopsie, c'est-à-dire de
rechercher, avec le scalpel, l'âme dans un cadavre, il y avait assez peu de
chances, en effet, de l'y trouver... Mais s'il s'agissait d'une vivisection,
s'il s'agissait du vivant, point n'était nécessaire d'aller chercher le
scalpel: il suffisait de regarder n'importe quel vivant: il est une âme
vivante. Inutile de disséquer. Il suffit d'ouvrir les yeux.
Descartes,
a été, par son point de départ philosophique (le cogito), le père de
l'idéalisme moderne qui a perdu le sens du monde. Par son mécanisme, il a été
aussi le père du matérialisme moderne, qui confond le vivant avec une machine.
Descartes
définit l'âme par la pensée consciente et réfléchie. C'est là le présupposé qui lui rend
inintelligible la doctrine aristotélicienne, et aussi la réalité biologique
concrète.
Comme l'a montré M. Wintrebert, on ne peut plus se dispenser de reconnaître
chez les organismes vivants le travail d'une intelligence réelle, qui n'est
sans doute pas du même type que notre intelligence humaine réflexive mais qui a
été capable de faire bien plus que ce que nous savons faire. Nous savons faire
organiquement et inconsciemment, ce que nous ne savons pas, ce que nous ne
comprenons pas, au plan de la science réfléchie.
M. Wintrebert
a raison de dire: "L'intelligence a deux aspects: l'inconscient et le
conscient. C'est le premier qui dirige
l'évolution et le développement; le conscient n'existe que chez l'animal
développé et construit qui gagne sa vie,
et ne la gouverne que dans ses relations extérieures." "L'intelligence
consciente, cérébrale, est limitée au domaine des relations individuelles,
post-natale, spécialement affectée chez tous les animaux à la connaissance du
monde extérieur." "C'est la vie qui est intelligente... "
Conformément
à la pensée d'Aristote, et en opposition avec les thèses à Descartes, la
biologie moderne pense que le psychique est coextensif au biologique, non pas
le psychique de type humain, réfléchi, mais le psychique inconscient, non
réfléchi.
Mais alors, dira-t-on,
s'il en est ainsi, si tout corps vivant
est un corps animé, si le psychologique est coextensif au biologique, si tout
vivant doit être appelé une âme, selon la terminologie d'Aristote reprise par
Saint Thomas, qu'est-ce qui caractérise
l'homme par rapport à l'animal, quelle
différence existe-t-il entre l'"âme" animale et l'"âme"
humaine ? Ce problème exigerait de longs développements. Contentons-nous de quelques remarques
simples.
En fait, l'âme humaine
se distingue de l'âme animale d'abord comme le corps de l'homme se distingue du
corps animal. Le cerveau humain est autrement plus complexe que le cerveau des
animaux, quels qu'ils soient. Cette structure, cette complexité différente du
cerveau permet des structures de langages et de pensées nouvelles, ainsi que
l'a montré le Dr Paul Clauchard. Ne retombons pas
dans un idéalisme platonisant: la pensée humaine n'est pas "tombée"
dans n'importe quel organisme (c'est pourquoi le mythe de la transmigration des
âmes en des corps d'animaux est absurde). La pensée ne peut être ce qu'elle est
que lorsque l'organisme humain est ce qu'il est.
Cela ne signifie pas
que "le corps" produise "la pensée": en disant cela, nous
retomberions encore une fois dans le schème dualiste. Le "cerveau" ne
produit pas la pensée. Lorsqu'on parle du problème des rapports entre "le
cerveau" et "la pensée", on pose déjà mal le problème, car on
s'exprime comme si le cerveau était une chose et la pensée une autre.
Or lorsqu'on veut
traiter le problème des rapports entre le cerveau et la pensée, on veut
s'expliquer au sujet du cerveau vivant, et non du cerveau mort qui ne mérite
plus d'être appelé cerveau. La pensée est l'acte même du cerveau comme la vue
est l'acte de l’œil. Le cerveau vivant comprend la pensée. Le concept de
cerveau vivant implique la pensée qui est son acte. On ne peut donc pas parler
du cerveau vivant et de la pensée comme s'il s'agissait de deux termes
séparables.
L'erreur provient
toujours de ce qu'on confond le cerveau vivant et le cerveau mort, qui n'est
qu'une apparence de cerveau. La pensée
se sépare peut-être de la matière. Peut-être est-elle capable de subsister
indépendamment de la matière qu'elle informait (sûrement!): nous n'avons pas à
traiter ici ce problème de l'immortalité. Mais il est absurde de dire que la
pensée se sépare du cerveau, car le cerveau, c'est elle-même qui informe une
matière.
De
même, dire que l'âme se sépare du corps est une expression défectueuse: l'âme
se sépare de la matière qu'elle informait pour constituer un corps, mais elle
ne se sépare pas du corps, car le corps, c'est elle-même qui le constitue. Même
si l'on ne reconnaît pas d'âme aux formes les plus élémentaires de la vie, il
n'en reste pas moins que la pensée est apparue à un
moment donné dans l'histoire de la vie.
Avec l'apparition de
la vie, une forme domine la matière. A plus forte raison avec l'apparition de
l'homme, où l'on ne peut plus douter que cette structure subsistante qu'est
l'homme, cette forme vivante, cette âme vivante pour parler comme la Bible,
connaît le monde. Par cette connaissance, le sujet pensant se rend présent à
tout ce qui existe, se nourrit par l'esprit de tout ce qui existe, reçoit en
lui-même le monde extérieur, et dépasse à l'infini les limites de son
individualité corporelle. Cet acte de
connaissance, en tous cas, ne peut être l'effet d'une multiplicité matérielle. Le
sujet vivant et connaissant est autre que la multiplicité matérielle intégrée.
Il n'est pas constitué par eux. Il est d'un autre ordre. Il les transcende.
Le monde, qui existe,
ou l'homme, qui existe, ne peuvent
provenir seuls, de rien. La vie ne peut provenir, seule, de la matière non
vivante. La pensée ne peut provenir seule, de ce qui n'était pas encore pensée.
A tous ses niveaux, à
tous les moments historiques de son développement, le réel, tel que nous le
connaissons dans notre expérience, est incapable de rendre compte de ce qu'il
est, de ce qu'il contient, et de ce qu'il devient.
Si l'on part d'un
présupposé athée, on est obligé de dire que le mode existe seul, que
l'évolution cosmique et biologique s'opère seule, en vertu des ressources
inhérentes à l'univers lui-même. Une telle démarche ne résout le problème posé
par l'existence de l'univers que par l'affirmation d'un présupposé. D'autre part, elle conduit immanquablement à
attribuer la vie, la pensée à la matière physique la plus simple, au moins de
manière "virtuelle", "potentielle". Or on ne voit pas
comment la vie et la pensée peuvent se trouver diffuses dans une multiplicité.
Car la vie, comme la pensée requièrent, si nous ne nous trompons, un sujet. Où
est-il le sujet qui, en l'occurrence, serait le possesseur de la vie et de la
pensée encore enveloppée ?
On est alors conduit
au panthéisme qui attribue à l'univers des attributs divins: la suffisance
ontologique, l'aséité, la vie (potentielle), la pensée (non encore réflexive).
Pour tenir compte du réel tel que nous le connaissons on doit de plus affirmer que
c'est un dieu qui se développe: il s'agit alors du mythe théogonique, transposé
en cosmogonie, mais tout aussi impensable.
L'athée qui ne veut pas être panthéiste ne peut, même en partant de son
présupposé matérialiste, expliquer
l'évolution de l'univers, particulièrement l'apparition de la vie et de la
pensée. Nous avons vu que l'explication par le "hasard" est
maintenant fermée. Les atomistes grecs l'ont employée, elle n'est plus
utilisable.
De plus l'agrégation
d'atomes, puis de molécules, ne suffit pas à rendre compte de l'apparition de
structures subsistantes capables de renouveler cette multiplicité matérielle
nous en restant elles-mêmes, sujets d'action. Il
est impensable qu'une matière qui n'avait en elle ni la vie ni la pensée a su
produire seule des vivants et des pensants: on retomberait dans le mythe
théogonique. On n'échappe jamais complètement au mythe théogonique même en
attribuant à la matière des propriétés quelques peu magiques, voir des
attributs divins.
On ne s'en tire qu'en
mettant du flou là où les conséquences seraient trop claires, en laissant dans
une obscurité propice ces problèmes qui sont pourtant inévitables dés lors que l'on part du présupposé athée. Nous avons vu
d'autre part les difficultés internes que recèle le panthéisme s'il veut tenir
compte de la réalité objective (mythe théogonique, magie... ).
La raison humaine ne peut s'y tenir. Comme Maimonide, au terme d'une de ses démonstrations de
l'existence de Dieu, nous pouvons
tranquillement et sans crainte affirmer:
"C'est là une
démonstration qui n'admet ni doute, ni réfutation, ni contradiction, si ce
n'est pour celui qui ignore la méthode démonstrative."