SAINT THOMAS D'AQUIN

Docteur de l'Eglise

QUESTIONS DISPUTEES SUR LA PUISSANCE DE DIEU

De potentia

 

Copyright, Traduction et notes par Raymond BERTON

Deuxime dition numrique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2008

Les uvres compltes de saint Thomas d'Aquin

 

La traduction franaise est faite partir de lՎdition lectronique des Opera omnia de Thomas dAquin, ralise par le professeur Enrique Alarcn, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Universit de Navarre, 2004).

http://www.corpusthomisticum.org

 

Question 1 La puissance de Dieu dans l'absolu_ 3

Article 1 Y a-t-il de la puissance en Dieu ?_ 3

Article 2 La puissance de Dieu est-elle infinie ?_ 14

Article 3 Ce qui est impossible la nature est-il possible Dieu ?_ 21

Article 4 Faut-il juger le possible et limpossible selon les causes infrieures ou suprieures ?_ 30

Article 5 Dieu peut-il faire ce quil ne fait pas et abandonner ce quil fait ?_ 35

Article 6 Dieu peut-il faire ce qui est possible dautres, comme pcher, marcher etc. ?_ 42

Article 7 Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant ?_ 48

Question 2  La puissance gnrative en Dieu_ 51

Article 1 Y a-t-il une puissance gnrative en Dieu ?_ 51

Article 2 Parle-t-on de la puissance gnrative en Dieu selon lessence ou la notion ?_ 61

Article 3 La puissance gnrative en son acte de gnration procde-t-elle du pouvoir de la volont ?_ 68

Article 4 Peut-il y avoir plusieurs Fils en Dieu ?_ 76

Article 5 La puissance d'engendrer est-elle comprise dans la toute puissance ?_ 83

Article 6 La puissance d'engendrer et celle de crer sont-elles identiques ?_ 88

Question 3  La cration qui est le premier effet de la puissance divine_ 90

Article 1 Dieu peut-il crer de rien ?_ 91

Article 2 La cration est-elle un changement ?_ 103

Article 3 La cration est-elle une ralit dans la crature et si oui, quelle est-elle ?_ 106

Article 4 Le pouvoir ou mme lacte de crer peut-il tre communiqu une crature ?_ 112

Article 5 Est-il possible que quelque chose ne soit pas cr par Dieu ?_ 126

Article 6 N'y a-t-il qu'un seul principe de cration ?mmm_ 130

Article 7 Dieu agit-il dans lopration de nature ?_ 145

Article 8 Dieu opre-t-il dans la nature en crant, ce qui revient chercher si la cration est mle l'opration de nature ?  159

Article 9 L'me rationnelle est-elle amene l'tre par cration, ou par transmission de la semence ?_ 170

Article 10 LՉme rationnelle est-elle cre dans le corps ou hors du corps ?_ 186

Article 11 LՉme sensitive et l'me vgtative existent-elles par cration ou par transmission de la semence ?  196

Article 12 LՉme sensitive ou lՉme vgtative sont-elles dans la semence ds le moment o elle est spare ?  207

Article 13   Un tre qui dpend dun autre peut-il tre ternel ?_ 213

Article 14 Ce qui est diffrent de Dieu par essence peut-il tre ternel ?_ 216

Article 15 Les choses procdent-elles de Dieu par ncessit de nature ou par le libre arbitre de sa volont  225

Article 16 La pluralit peut-elle procder d'un premier tre unique ?_ 235

Article 17 Le monde a-t-il toujours exist ?_ 250

Article 18 Les anges ont-ils t crs avant le monde visible ?_ 268

Question 4 La cration de la matire sans forme_ 279

Article 1 La cration de la matire sans forme a-t-elle prcd la cration dans la dure ?_ 279

Article 2 La mise en forme de la matire a-t-elle eu lieu toute en mme temps ou successivement ?_ 304

Question 5 La conservation des cratures dans l'tre par Dieu_ 357

Article 1 Les cratures sont-elles conserves lՐtre par Dieu ou mme si on restreint toute action de sa part, demeurent-elles en lՐtre par elles-mmes ?_ 357

Article 2 Dieu peut-il communiquer une crature le pouvoir de se conserver dans lՐtre par soi et sans lui ?  369

Article 3 Dieu peut-il ramener la crature au nant ?_ 370

Article 4 Une crature doit-elle retourner au nant, ou mme y retournera-t-elle ?_ 381

Article 5 Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour ?_ 387

Article 6 L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrtera ?_ 403

Article 7 Quand cessera le mouvement du ciel, les lments demeureront-ils ?_ 409

Article 8 Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les lments ?  419

Article 9 Les plantes, les animaux et les minraux demeureront-ils aprs la fin du monde ?_ 423

Article 10 Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel ?_ 431

Question 6 Les miracles 435

Article 1 Dieu peut-il oprer dans les cratures au-del des causes naturelles, ou contre la nature ou contre son cours ?  436

Article 2 Peut-on appeler miracles tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles ou contre le cours de la nature ?  448

Article 3 Les cratures spirituelles peuvent-elles accomplir des miracles par leur pouvoir naturel ?_ 453

Article 4 Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grce ?_ 466

Article 5 Les dmons aussi travaillent-ils faire des miracles ?_ 470

Article 6 Les anges et les dmons ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement ?_ 476

Article 7 Les anges ou les dmons peuvent-ils assumer un corps ?_ 491

Article 8 L'ange ou le dmon, par le corps qu'il assume, peut-il exercer les oprations d'un corps vivant ?  499

Article 9 Faut-il attribuer le miracle la foi ?_ 504

Article 10 Les dmons sont-ils forcs par des objets sensibles et corporels, des vnements ou des paroles, d'accomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques ?_ 513

Question 7 La simplicit de lessence divine_ 520

Article 2 La substance ou lessence en Dieu sont-elles la mme chose que son tre ?_ 527

Article 3 Dieu est-il dans un genre ?_ 535

Article 4 'Bon', 'sage', 'juste' etc. attribuent-ils un accident Dieu ?_ 540

Article 5 Ces noms attribus Dieu signifient-ils sa substance ?_ 547

Article 6 Ces noms sont-ils synonymes ?_ 558

Article 7 De tels noms sont-ils utiliss pour Dieu et les cratures de manire univoque ou quivoque ?_ 564

Article 8 Y a-t-il une relation entre Dieu et la crature ?_ 572

Article 9 De telles relations entre les cratures et Dieu sont-elles rellement en elles ?_ 577

Article 10 Dieu se rfre-t-il la crature, de telle sorte que cette relation soit une ralit en lui ?_ 583

Article 11 Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison ?_ 590

Question 8 Ce quon appelle relations ternelles en Dieu_ 594

Article 1 Les relations appeles ternelles en Dieu, rapportes par les noms de  Pre  et  Fils , sont-elles relles ou de raison seulement ?_ 594

Article 2 La relation en Dieu est-elle sa substance ?_ 603

Article 3 Les relations constituent-elles et distinguent-elles les personnes ou les hypostases ?_ 611

Article 4 Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu ?_ 621

Question 9  Les personnes divines 627

Article 1 Quel est le rapport de la personne vis--vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase ? 627

Article 2 Qu'est-ce que la personne ?_ 633

Article 3 Peut-il y avoir une personne en Dieu ?_ 640

Article 4 Ce nom "personne" signifie-t-il en Dieu, le relatif ou l'absolu ?_ 644

Article 5 Le nombre des personnes est-il en Dieu ?_ 653

Article 6 Le nom de personne peut-il tre convenablement attribu Dieu au pluriel ?_ 666

Article 7 Comment les termes numriques sont-ils attribus aux personne divines, est-ce positivement ou ngativement seulement ?_ 669

Article 8 Y a-t-il de la diversit en Dieu ?_ 683

Article 9 En Dieu, y a-t-il trois personnes, ou plus, ou moins ?_ 686

Question 10 Les processions des Personnes divines 705

Article 1  Y a-t-il une procession dans les personnes divines ?_ 705

Article 2  En Dieu n'y a-t-il qu'une seule procession ou plusieurs ?_ 716

Article 3  Lordre de la procession la relation en Dieu_ 732

Article 4  LEsprit saint procde-t-il du Fils ?_ 736

Article 5  L'Esprit saint demeurerait-il distinct du Fils, s'il ne procdait pas de lui ?_ 755

 

 

 

   

Textum Taurini 1953 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcn atque instruxit

Question 1 La puissance de Dieu dans l'absolu

 

 

q. 1 pr. 1 Et primo quaeritur utrum in Deo sit potentia.

1. Y a-t-il de la puissance en Dieu ?

q. 1 pr. 2 Secundo utrum potentia Dei sit infinita.

2. La puissance de Dieu est-elle infinie ?

3 Tertio utrum ea quae sunt naturae impossibilia, Deo sint possibilia.

3. Ce qui est impossible la nature est-il possible Dieu ?

q. 1 pr. 4 Quarto utrum iudicandum sit aliquid possibile vel impossibile, secundum causas inferiores vel superiores.

4. Faut-il juger du possible ou de l'impossible selon les causes infrieures ou les causes suprieures ?

q. 1 pr. 5 Quinto utrum Deus possit facere quae non facit, et dimittere quae facit.

5. Dieu pourrait-il faire ce qu'il ne fait pas et dfaire ce qu'il fait ?

q. 1 pr. 6 Sexto utrum Deus possit facere quae alii faciunt, ut peccare, ambulare, et cetera.

6. Peut-il faire ce que dautres font, c'est--dire pcher, marcher, etc.

q. 1 pr. 7 Septimo utrum Deus dicatur omnipotens.

7. Dit-on que Dieu est tout-puissant ?

 

 

 

Article 1 Y a-t-il de la puissance en Dieu ?

q. 1 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum in Deo sit potentia. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

 

Objections :

q. 1 a. 1Arg. 1 Potentia enim est operationis principium. Sed operatio Dei, quae est eius essentia, non habet principium, quia neque est genita neque procedens. Ergo in Deo non est potentia.

1. La puissance est en effet le principe[2] de l'opration. Mais lopration de Dieu, qui est son essence, na pas de principe[3], parce quelle n'est ni engendre, ni dpendante. Donc en Dieu il ny a pas de puissance.

q. 1 a. 1Arg. 2 Praeterea, omne perfectissimum est Deo attribuendum, secundum Anselmum [in Monol., cap. XIV]. Ergo quod respicit aliquid se perfectius, non debet Deo attribui. Sed omnis potentia respicit se perfectius, scilicet passiva formam et activa operationem. Ergo potentia Deo attribui non potest.

2. On doit attribuer Dieu tout ce qu'il y a de plus parfait, selon Anselme (Monologium, XV[4]). Donc, on ne doit pas lui attribuer ce qui trouve plus parfait que soi. Mais toute puissance trouve plus parfait quelle, savoir la forme pour la puissance passive, et lopration pour la puissance active (Mtaphysique, (J) IX, 9, 1051 a 4-15). Donc on ne peut attribuer la puissance Dieu.

q. 1 a. 1Arg. 3 Praeterea, potentia est principium transmutandi in aliud secundum quod est aliud : secundum philosophum [in V Metaphys. Text. 17] ; sed principium relatio quaedam est ; et est relatio Dei ad creaturas, prout significatur in potentia creandi vel movendi. Nulla autem talis relatio est in Deo secundum rem, sed solum secundum rationem. Ergo potentia non est in Deo secundum rem.

3. La puissance est le principe de changement dans un autre tre en tant quautre, selon le Philosophe[5], (Mtaphysique, () V, 12, 1019 a 15-16[6]), mais ce principe est une relation et cest la relation de Dieu ses cratures, telle qu'elle est signifie dans sa puissance crer ou mouvoir. Mais en Dieu, il ny a aucune relation de ce genre en ralit, mais seulement en raison[7]. Donc, il n'y a pas rellement de puissance en Dieu.

q. 1 a. 1Arg. 4 Praeterea, habitus est perfectior potentia, utpote operanti propinquior. Sed habitus non ponitur in Deo. Ergo nec potentia

4. L'habitus[8] est plus parfait que la puissance, en tant que plus proche de celui qui opre, mais on nadmet pas dhabitus en Dieu. Donc pas de puissance non plus.

 q. 1 a. 1Arg. 5 Praeterea, nihil debet in Deo significari per quod derogetur eius primitiae vel simplicitati. Sed Deus, in quantum est simplex, et primum agens, agit per essentiam suam. Ergo non debet significari agere per potentiam, quae saltem secundum modum significandi super essentiam addit.

5. On ne doit rien signaler en Dieu qui drogerait sa prminence ou sa simplicit. Mais Dieu, en tant qu'tre simple et agent premier, agit par son essence. Donc, on ne doit pas signifier quil agit par une puissance qui, au moins, selon la manire de la signifier, ajoute son essence.

q. 1 a. 1Arg. 6 Praeterea, secundum philosophum [in III Phys., texte 32] in perpetuis non differt esse et posse : multo minus ergo in divinis. Sed ubi est eadem res, debet esse idem nomen a digniori sumptum. Dignius autem est essentia quam potentia : quia potentia essentiae advenit. Ergo in Deo debet nominari essentia tantum, non autem potentia.

6. Selon le Philosophe (Physique, III, 4, 203 b 28[9]), dans ce qui est ternel, tre et pouvoir ne diffrent pas toujours ; donc encore beaucoup moins en Dieu. Mais l o plusieurs choses sont identiques, il doit y avoir un nom identique pris de la plus digne. Lessence est plus digne que la puissance, parce que cette dernire sajoute lessence. Donc en Dieu, on ne doit dsigner que lessence seule et non la puissance[10].

q. 1 a. 1Arg. 7 Praeterea, sicut materia prima est pura potentia, ita Deus est purus actus. Sed prima materia secundum essentiam suam considerata, est denudata ab omni actu. Ergo Deus in essentia sua consideratus, est absque omnipotentia.

7. De mme que la matire premire[11] est puissance pure, de mme Dieu est acte pur. Mais la matire premire, considre en son essence, est dnue de tout acte. Donc Dieu, considr en son essence, est dnu de toute puissance.

q. 1 a. 1Arg. 8 Praeterea, omnis potentia ab actu separata est imperfecta : et ita, cum nihil imperfectum Deo conveniat, talis potentia in Deo esse non potest. Si ergo in Deo est potentia, oportet quod semper sit actui coniuncta : et ita potentia creandi est coniuncta actui semper ; et sic sequitur quod ab aeterno creavit res ; quod est haereticum.

8. Toute puissance spare de l'acte est imparfaite et ainsi, comme rien dimparfait ne convient Dieu, une telle puissance ne peut pas exister en lui[12]. Si donc il y a une puissance en Dieu, il faut quelle soit toujours jointe lacte, et si la puissance de crer est toujours jointe son acte, il en dcoule alors quil a cr de toute ternit, ce qui est hrtique.

q. 1 a. 1Arg. 9 Praeterea, quando aliquid sufficit ad aliquid agendum, superflue aliquid superadditur. Sed essentia Dei sufficit ad hoc quod Deus per eam aliquid agat. Ergo superflue ponitur in eo potentia per quam agat.

9. Quand quelque chose suffit pour agir, il est superflu dajouter autre chose. Mais lessence de Dieu est suffisante pour quil agisse par elle. Donc il est superflu de lui ajouter une puissance pour agir.

q. 1 a. 1Arg. 10 Sed dices, quod potentia non est aliud quam essentia secundum rem ; sed solum secundum modum intelligendi.- Sed contra, omnis intellectus cui non respondet aliquid in re est cassus et vanus.

10. Mais on pourrait dire[13] que la puissance nest pas en ralit autre chose que lessence ; mais seulement selon la manire de la comprendre. En sens contraire, tout concept quoi rien ne correspond dans la ralit est vide et vain.

q. 1 a. 1Arg. 11 Praeterea, praedicamentum substantiae est nobilius aliis praedicamentis. Sed Deo non attribuitur, ut Augustinus dicit [lib. VII de Trin.,cap. V]. Multo ergo minus praedicamentum qualitatis. Sed potentia est in secunda specie qualitatis. Ergo Deo attribui non debet.

11. La catgorie de substance[14] est plus noble que les autres catgories. Mais on ne lattribue pas Dieu, comme le dit Augustin (La Trinit. VII, V, 10[15]). Donc on lui attribue encore moins la catgorie de qualit. Mais la puissance est dans la seconde espce de qualit[16]. Donc on ne doit pas lattribuer Dieu.

q. 1 a. 1Arg. 12 Sed dices, quod potentia quae Deo attribuitur, non est qualitas, sed Dei essentia, sola ratione differens.- Sed contra, aut isti rationi aliquid respondet in re, aut nihil. Si nihil ratio vana est. Si autem aliquid in re ei respondet, sequitur quod aliquid in Deo sit potentia praeter essentiam, sicut ratio potentiae est praeter rationem essentiae.

12. Mais on pourrait dire que la puissance, attribue Dieu, nest pas une qualit mais son essence qui diffre en raison seulement. En sens contraire, cette notion (ratio[17]), quelque chose correspond en ralit ou rien. Si ce nest rien, la notion est vaine. Mais si quelque chose lui correspond en ralit, il sensuit que quelque chose serait en Dieu puissance en plus de lessence, ainsi la notion de puissance est en plus de celle dessence[18].

q. 1 a. 1Arg. 13 Praeterea, secundum philosophum [lib. IV Topicorum,capit.V], omnis potestas et omne effectivum est propter aliud eligendum. Nullum autem huiusmodi Deo convenit : quia ipse non est propter aliud. Ergo potentia Deo non convenit.

13. Selon le Philosophe (Les Topiques, IV, 5, 126 b 5[19]) tout pouvoir et tout ce qui agit est en vue d'autre chose. Rien de ce genre ne convient Dieu, parce quil nest pas lui-mme en vue dune autre chose. Donc la puissance ne convient pas Dieu.

q. 1 a. 1Arg. 14 Praeterea, virtus a Dionysio [in lib. De Caelesti Hierarchia, capit. XI] ponitur media inter substantiam et operationem. Sed Deus non agit per aliquod medium. Ergo non agit per virtutem ; et ita nec per potentiam : et sic potentia non est in Deo.

14. Le pouvoir[20] est considr par Denys (La hirarchie cleste, XI, 284 D[21]) comme intermdiaire entre la substance et l'opration, Mais Dieu nagit pas par un intermdiaire. Donc il nagit pas par pouvoir, ni en consquence par puissance. Et ainsi il ny a pas de puissance en Dieu.

q. 1 a. 1Arg. 15 Praeterea, secundum philosophum [in IX Metaph., cap. II et lib. V, cap. XVII]. potentia activa, quae soli Deo potest competere, est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud. Sed Deus agit sine transmutatione, sicut patet in creatione. Ergo Deo potentia activa attribui non potest.

15. Selon le Philosophe (Mtaphysique (J) IX, 1, 1046 a 10 - et V, 12, 1019 a 15-16) la puissance active, la seule qui peut convenir Dieu, est le principe dun changement en autre chose en tant quautre. Mais Dieu opre sans changement, comme cela apparat dans la cration[22]. Donc on ne peut pas lui attribuer la puissance.

q. 1 a. 1Arg. 16 Praeterea, philosophus dicit, quod eiusdem est potentia actionis et passionis. Sed potentia passionis Deo non convenit. Ergo nec potentia actionis.

16. Le Philosophe (Mtaphysique, (Q) IX, 1, 1046 a 19) dit que la puissance active et la puissance passive sont de mme nature. Mais cette dernire ne convient pas Dieu. En consquence la puissance active non plus.

q. 1 a. 1Arg. 17 Praeterea, philosophus dicit [ibidem], quod potentiae activae est contraria privatio. Sed contraria nata sunt fieri circa idem. Cum ergo in Deo nullo modo sit privatio, non erit ibi potentia.

17. Le Philosophe (Mtaphysique, (Q) IX, 1, 1046 a 29) dit que la privation est le contraire de la puissance active. Mais les contraires concernent un mme genre. Donc, comme en Dieu il ny a en aucune manire de privation, il ny aura pas de puissance.

q. 1 a. 1Arg. 18 Praeterea, Magister dicit [in I dist., II lib.] d. quod agere non proprie competit Deo. Sed ubi non est actio, ibi non potest esse potentia activa nec passiva, ut patet. Ergo nulla.

18. Le Matre des Sentences (II Sent., d. 1[23]) dit quagir nappartient pas au sens propre Dieu. Mais l o il ny a pas daction, il ne peut y avoir de puissance, ni active, ni passive, c'est vident. Donc pas de puissance en Dieu.

 

En sens contraire :

q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur in Psalm. LXXXVIII, 9 : Potens es, domine, et veritas tua in circuitu tuo.

1. On lit dans le Ps. 88, 9 : Tu es puissant, Seigneur et ta Vrit tentoure[24].

1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth. III, 9 : Potens est Deus de lapidibus istis suscitare filios Abrahae.

2. Mt. 3, 9 : Dieu a le pouvoir de faire natre de ces pierres des enfants Abraham.

q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, omnis operatio ab aliqua potentia procedit. Sed Deo maxime convenit operari. Ergo Deo maxime potentia convenit.

3. Toute opration procde dune puissance. Mais il convient tout fait Dieu dagir. Donc, la puissance lui convient tout fait[25]

 

Rponse :

q. 1 a. 1 co. Respondeo. Ad huius quaestionis evidentiam sciendum, quod potentia dicitur ab actu : actus autem est duplex : scilicet primus, qui est forma ; et secundus, qui est operatio : et sicut videtur ex communi hominum intellectu, nomen actus primo fuit attributum operationi : sic enim quasi omnes intelligunt actum ; secundo autem exinde fuit translatum ad formam, in quantum forma est principium operationis et finis.

Pour clairer cette question, il faut savoir quon parle de la puissance partir de lacte. Or celui-ci est double : d'abord une forme et ensuite une opration[26]. Et daprs la manire gnrale de le comprendre, le nom dacte a dabord t attribu lopration. En effet, cest ainsi que presque tout le monde comprend lacte, mais ensuite il fut transmis la forme, dans la mesure o elle est le principe de lopration et sa fin.

Unde et similiter duplex est potentia : una activa cui respondet actus, qui est operatio ; et huic primo nomen potentiae videtur fuisse attributum : alia est potentia passiva, cui respondet actus primus, qui est forma, ad quam similiter videtur secundario nomen potentiae devolutum. Sicut autem nihil patitur nisi ratione potentiae passivae, ita nihil agit nisi ratione actus primi, qui est forma. Dictum est enim, quod ad ipsum primo nomen actus ex actione devenit. Deo autem convenit esse actum purum et primum ; unde ipsi convenit maxime agere, et suam similitudinem in alias diffundere, et ideo ei maxime convenit potentia activa ; nam potentia activa dicitur secundum quod est principium actionis.

De la mme manire, il y a aussi deux sortes de puissances : lune est active, quoi correspond lacte en tant quopration ; cest celle-ci dabord que le nom de puissance parat avoir t attribu[27] ; lautre est la puissance passive quoi correspond lacte premier qui est la forme, qui de la mme manire le nom de puissance parat avoir t dvolu en second. De mme que rien ne subit sinon en raison de la puissance passive, de mme rien nagit quen raison de lacte premier qui est la forme. Car il a t dit que le nom dacte vient d'abord de laction[28]. Mais il convient Dieu d'tre acte pur et premier : il lui convient donc minemment dagir et de diffuser sa ressemblance dans les autres[29] et cest pourquoi la puissance active lui convient tout fait ; car on lappelle ainsi parce quelle est le principe de laction.

Sed et sciendum, quod intellectus noster Deum exprimere nititur sicut aliquid perfectissimum. Et quia in ipsum devenire non potest nisi ex effectuum similitudine ; neque in creaturis invenit aliquid summe perfectum quod omnino imperfectione careat : ideo ex diversis perfectionibus in creaturis repertis, ipsum nititur designare, quamvis cuilibet illarum perfectionum aliquid desit ; ita tamen quod quidquid alicui istarum perfectionum imperfectionis adiungitur, totum a Deo amoveatur. Verbi gratia esse significat aliquid completum et simplex sed non subsistens ; substantia autem aliquid subsistens significat sed alii subiectum.

Mais il faut savoir que notre esprit s'efforce dexprimer Dieu comme un tre absolument parfait. Et parce qu'il ne peut parvenir lui que par une ressemblance dans ses effets et que dans les cratures, il ne trouve rien d'absolument parfait, exempt de toute imperfection, partir des diffrentes perfections qu'il trouve dans les cratures, il sefforce de le reprsenter, bien qu'il y ait quelque manque chacune de ces perfections[30]. De sorte cependant qu'on exclut de Dieu entirement tout ce qui d'imparfait est joint une de ces perfections. Par exemple lՐtre dsigne quelque chose de complet et de simple, mais non subsistant ; mais la substance signifie quelque chose de subsistant mais substrat pour un autre.

Ponimus ergo in Deo substantiam et esse, sed substantiam ratione subsistentiae non ratione substandi ; esse vero ratione simplicitatis et complementi, non ratione inhaerentiae, qua alteri inhaeret. Et similiter attribuimus Deo operationem ratione ultimi complementi, non ratione eius in quod operatio transit. Potentiam vero attribuimus ratione eius quod permanet et quod est principium eius, non ratione eius quod per operationem completur.

Nous plaons donc en Dieu la substance et lՐtre, mais la substance en raison de sa subsistance, non du fait dՐtre substrat[31], lՐtre en raison de sa simplicit et de sa perfection, non en raison de linhrence un sujet[32]. Et de mme nous attribuons Dieu lopration en raison de sa perfection ultime, non en raison de ce en quoi elle passe. Nous attribuons la puissance du fait qu'elle demeure et est son principe, mais non pas parce qu'elle est complte par l'opration.

 

Solutions :

q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia non solum est operationis principium, sed etiam effectus ; unde non oportet, quod si potentia in Deo ponitur quae sit effectus principium, quod essentiae divinae quae est operatio, sit aliquod principium. Vel dicendum, et melius, quod in divinis invenitur duplex relatio. Una realis, illa scilicet qua personae ad invicem distinguuntur, ut paternitas et filiatio ; alias personae divinae non realiter sed ratione distinguerentur, ut Sabellius dixit. Alia rationis tantum, quae significatur, cum dicitur quod operatio divina est ab essentia divina, vel quod Deus operatur per essentiam suam. Praepositiones enim quasdam habitudines designant. Et hoc ideo contingit, quia cum attribuitur Deo operatio secundum suam rationem quae requirit aliquod principium, attribuitur etiam ei relatio existentis a principio, unde ista relatio non est nisi rationis tantum. Est autem de ratione operationis habere principium, non de ratione essentiae ; unde licet essentia divina non habeat aliquod principium neque re neque ratione, tamen operatio divina habet aliquod principium secundum rationem.

1. La puissance est non seulement le principe de lopration, mais aussi de l'effet[33] ; c'est pourquoi, il ne faut pas, si on place en Dieu une puissance qui est le principe de leffet, quelle soit un principe de lessence divine, qui est lopration. Ou pour mieux dire, on trouve en Dieu une double relation[34] : a) une premire relation relle, cest--dire celle par laquelle on distingue les personnes entre elles, comme la paternit et la filiation ; autrement les personnes divines ne seraient pas distingues rellement mais en raison, comme l'a dit Sabellius[35].b) Lautre relation de raison[36] seulement, qu'on dsigne, quand on dit que lopration divine vient de (ab) son essence ou que Dieu opre par (per) son essence. Car ces prpositions dsignent des relations. Et cela arrive, parce que, quand on attribue Dieu une opration selon sa nature qui requiert un principe, on lui attribue une relation avec ce qui existe par ce principe. C'est pourquoi, cette relation nest quen raison seulement. Mais il est de la nature de lopration davoir un principe, non de celle de lessence ; c'est pourquoi, bien que lessence divine nait pas de principe, ni en ralit, ni en raison, cependant lopration divine a un principe en raison[37].

q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet omne perfectissimum sit Deo attribuendum, non tamen oportet quod omne illud quod Deo attribuitur, sit perfectissimum ; sed oportet quod sit conveniens ad designationem perfectissimi, ad quod competit aliquid ratione suae perfectionis quod habet aliquid se perfectius, cui tamen deest illa quam aliud habet.

 2. Bien qu'il faille attribuer tout ce qu'il y a de trs parfait Dieu, il ne faut pas cependant que tout ce qui lui est attribu le soit absolument[38], mais il faut que cela convienne pour dsigner ce qui est trs parfait, quoi correspond une ralit en raison de sa perfection qui a plus parfait que lui, qui cependant manque celle que l'autre possde[39].

q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia dicitur principium non quia sit ipsa relatio quam significat nomen principii sed quia est id quod est principium.

 3. La puissance est appele principe, non pas parce quelle est la relation mme que signifie ce nom, mais parce quelle est ce qu'est un principe[40].

q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod habitus numquam est in potentia activa, sed solum in passiva, et ea est perfectior : talis autem potentia Deo non attribuitur.

 4. Lhabitus nest jamais dans la puissance active, mais seulement dans la puissance passive[41] et il est plus parfait quelle, aussi on nattribue pas une telle puissance Dieu.

q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ista sunt impossibilia, quod Deus ponatur agere per essentiam suam, et quod non sit in Deo potentia : hoc enim quod est actionis principium, potentia est : unde essentia divina ex hoc ipso quod ponitur Deus per ipsam agere, ponitur esse potentia. Et sic ratio potentiae in Deo non derogat neque simplicitati neque primitiae eius, quia non ponitur quasi aliquid additum essentiae.

 5. Il est impossible de penser que Dieu agit par son essence sans penser quil y a de la puissance en lui[42]. Car le principe de son action, cest sa puissance ; c'est pourquoi du fait quon pense que Dieu agit par son essence, on la pense comme puissance. Et ainsi la nature de la puissance en Dieu ne droge ni sa simplicit[43] ni sa prminence, parce quon ne la pense pas comme ajoute son essence.

q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur, quod in perpetuis non differt esse et posse, intelligitur passiva ; et sic nihil facit ad propositum, quia talis potentia non est in Deo. Tamen quia verum est quod potentia activa est idem in Deo quod eius essentia, ideo dicendum, quod licet essentia divina et potentia sint idem secundum rem, tamen quia potentia maxime modum significandi addit, ideo speciale nomen requirit : nam nomina respondent intellectibus, secundum philosophum [I Periher.].

 6. Quand on dit quՐtre et pouvoir ne diffrent pas dans ce qui est ternel, on le comprend de la puissance passive et ainsi, cela ne change rien notre propos, puisquune telle puissance nexiste pas en Dieu. Cependant parce quil est vrai que la puissance active en Dieu est identique son essence, il faut dire que, bien que lessence divine et sa puissance soient identiques en ralit, cependant, parce que la puissance ajoute surtout une manire de signifier, elle requiert un nom spcial, car les noms rpondent ce que lesprit conoit, selon le philosophe (L'Interprtation[44], I, 16 a 4).

q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ratio illa probat quod in Deo non sit potentia passiva, et hoc concedimus.

 7. Cet argument prouve qu'en Dieu il ny a pas de puissance passive et cela nous le concdons.

q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod potentia Dei semper est coniuncta actui, id est operationi (nam operatio est divina essentia) ; sed effectus sequuntur secundum imperium voluntatis et ordinem sapientiae. Unde non oportet quod semper sit coniuncta effectui ; sicut nec quod creaturae fuerint ab aeterno.

 8. La puissance de Dieu est toujours jointe un acte, c'est--dire son opration (car l'opration est lessence divine), mais les effets en dcoulent selon le pouvoir de sa volont et lordre de sa sagesse. C'est pourquoi, il ne faut pas quelle soit toujours jointe leffet ; ainsi les cratures nauront pas exist ternellement.

q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod essentia Dei sufficit ad hoc quod per eam Deus agat, nec tamen superfluit potentia : quia potentia intelligitur quasi quaedam res addita supra essentiam, sed superaddit secundum intellectum solam relationem principii : ipsa enim essentia ex hoc quod est principium agendi, habet rationem potentiae.

 9. Lessence suffit Dieu pour agir et cependant sa puissance nest pas superflue, parce quelle est comprise comme ajoute lessence, mais elle surajoute seulement, en esprit, une relation de principe, car, lessence elle-mme, du fait quelle est le principe daction, a nature de puissance.

q. 1 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod intellectui respondet aliquid in re dupliciter. Uno modo immediate, quando videlicet intellectus concipit formam rei alicuius extra animam existentis, ut hominis vel lapidis.

 10. Quelque chose rpond lesprit dans la ralit de deux manires[45] : a) Dabord immdiatement, quand, par exemple, lesprit[46] conoit la forme de ce qui existe hors de lՉme comme celle dhomme ou de pierre.

Alio modo mediate, quando videlicet aliquid sequitur actum intelligendi, et intellectus reflexus supra ipsum considerat illud. Unde res respondet illi considerationi intellectus mediate, id est mediante intelligentia rei : verbi gratia, intellectus intelligit naturam animalis in homine, in equo, et multis aliis speciebus : ex hoc sequitur quod intelligit eam ut genus. Huic intellectui quo intellectus intelligit genus, non respondet aliqua res extra immediate quae sit genus ; sed intelligentiae, ex qua consequitur ista intentio, respondet aliqua res. Et similiter est de relatione principii quam addit potentia supra essentiam : nam ei respondet aliquid in re mediate, et non immediate. Intellectus enim noster intelligit creaturam cum aliqua relatione et dependentia ad creatorem : et ex hoc ipso quia non potest intelligere aliquid relatum alteri, nisi e contrario reintelligat relationem ex opposito, ideo intelligit in Deo quamdam relationem principii, quae consequitur modum intelligendi, et sic refertur ad rem mediate.

b) Dune autre manire, indirectement, quand par exemple, un concept dcoule de lacte dintellection et que lintellect le considre, en rflchissant sur lui. C'est pourquoi, la chose correspond cette considration de lintellect indirectement, cest--dire par le moyen de lintellection de la chose : par exemple, lintellect comprend la nature de lanimal dans lhomme, dans le cheval et dans beaucoup dautres espces. Il en dcoule quil le comprend comme genre. A cette conception par laquelle lintellect comprend le genre, rien ne correspond immdiatement dans lobjet extrieur qui soit un genre, mais pour lintelligence do dcoule ce concept rpond une ralit. Et il en est de mme de la relation de principe que la puissance ajoute l'essence ; car quelque chose lui correspond dans la ralit indirectement et non immdiatement. Car notre intellect comprend la crature en relation et en dpendance au crateur[47] et du fait qu'il ne peut comprendre une chose en rapport une autre, moins au contraire de comprendre de nouveau la relation, son oppos, c'est pourquoi il comprend en Dieu une relation de principe, qui accompagne le mode de comprhension et ainsi notre esprit est indirectement en relation avec la ralit[48].

q. 1 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod potentia, quae est in secunda specie qualitatis, non attribuitur Deo : haec enim est creaturarum, quae non immediate per formas suas essentiales agunt, sed mediantibus formis accidentalibus : Deus autem immediate agit per suam essentiam.

 11. Cette puissance, qui est dans la seconde espce de qualit[49], nest pas attribue Dieu, car c'est celle des cratures qui agissent non pas immdiatement par leurs formes essentielles, mais par l'intermdiaire de formes accidentelles. Mais Dieu agit par son essence sans intermdiaire.

q. 1 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod diversis rationibus attributorum respondet aliquid in re divina, scilicet unum et idem. Quia rem simplicissimam, quae Deus est, propter eius incomprehensibilitatem, intellectus noster cogitur diversis formis repraesentare ; et ita istae diversae formae quas intellectus concipit de Deo, sunt quidem in Deo sicut in causa veritatis, in quantum ipsa res quae Deus est, est repraesentabilis per omnes istas formas ; sunt tamen in intellectu nostro sicut in subiecto.

 12. Aux diverses notions d'attributs correspond rellement quelque chose en Dieu, savoir l'un et le mme. Parce que notre esprit est forc de reprsenter cet tre absolument simple quest Dieu, cause de son incomprhensibilit, par des formes diverses, et ainsi ces formes, que lesprit conoit son sujet, sont en lui comme dans la cause de la vrit[50], en tant que ce qui est Dieu est reprsentable par toutes ces formes ; elles sont cependant dans notre esprit comme dans un substrat.

q. 1 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod philosophus intelligit de potentiis activis et effectivis, et huiusmodi, quae sunt in artificialibus et in rebus humanis : nam nec etiam in rebus naturalibus verum est quod potentia activa sit semper propter suos effectus. Ridiculum enim est dicere, quod potentia solis sit propter vermes, qui eius virtute generantur ; multo minus divina potentia est propter suos effectus.

 13. Le Philosophe comprend au sujet des puissances actives et pratiques etc., celles qui sont dans les ralisations artistiques et les affaires humaines, car, dans les choses naturelles, il nest pas vrai que la puissance active soit toujours en vue de ses effets. Il est ridicule de dire en effet que la puissance du soleil est pour les vers qui sont engendrs par son pouvoir[51] : la puissance divine est beaucoup moins en vue de ses effets.

q. 1 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum quod potentia Dei non est media secundum rem, quia non distinguitur ab essentia, nisi ratione ; et ex hoc habetur quod significetur ut medium. Deus autem non agit per medium realiter differens a se ipso : unde ratio non sequitur.

 14. La puissance de Dieu nest pas rellement intermdiaire, parce quelle nest distingue de lessence qu'en raison et de l vient quon la signifie comme intermdiaire. Mais Dieu nagit pas par un intermdiaire rellement diffrent de lui-mme. C'est pourquoi largument na pas de valeur.

q. 1 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod duplex est actio. Una quae est cum transmutatione materiae ; alia est quae materiam non praesupponit ; ut patet in creatione : et utroque modo Deus agere potest, ut infra patebit. Unde patet quod Deo recte potentia activa potest attribui, licet non semper agat transmutando.

 15. Laction est double. Lune, avec changement de la matire, lautre ne prsuppose pas de matire, comme on le voit dans la cration et Dieu peut agir de deux manires, comme cela apparatra plus loin[52]. Donc il est clair qu'on peut lui attribuer une puissance active, bien quil nagisse pas toujours en oprant des changements.

q. 1 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod philosophus non loquitur universaliter, sed particulariter, quando scilicet aliquid movet se ipsum, sicut animal. Quando autem aliquid movetur ab altero, tunc non est eadem potentia passionis et actionis.

 16. Le philosophe ne parle pas de manire universelle mais particulire[53], quand par exemple quelque chose se meut lui-mme comme lanimal. Quand un tre est m par un autre, alors ce nest pas la mme puissance pour la passion et laction.

q. 1 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod potentiae dicitur esse contraria privatio, scilicet impotentia ; non tamen de contrarietate facienda est circa Deum mentio, quia nihil quod est in Deo, habet contrarium, cum non sit in genere.

 17. On dit que la privation est le contraire de la puissance, c'est--dire que c'est l'impuissance : cependant on ne doit pas faire mention de contrarit en Dieu, parce que rien en lui na de contraire, puisquil nest pas dans un genre.

q. 1 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod agere non removetur a Deo simpliciter, sed per modum rerum naturalium, quae agunt et patiuntur simul.

 18. Agir n'est absolument pas refus Dieu, mais seulement par comparaison aux tres naturels qui agissent et subissent en mme temps.

 

 

 

Article 2 La puissance de Dieu est-elle infinie ?[54]

q. 1 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum potentia Dei sit infinitaEt videtur quod non.

 Il semble que non.

 

Objections :[55]

1 q. 1 a. 2Arg. 1 Quia, ut dicitur in IX Metaph., text. 21] frustra esset in natura aliqua potentia activa cui non responderet aliqua passiva. Sed potentiae infinitae divinae non respondet aliqua passiva in natura. Ergo frustra esset divina potentia infinita.

1. Parce que, comme il est dit en Mtaphysique (IX, 1, 1046 a 18[56]), une puissance active serait vaine dans la nature si ne lui correspondait pas une puissance passive. Mais la puissance divine infinie ne correspond pas de puissance passive dans la nature. Donc la puissance divine infinie serait sans raison.

q. 1 a. 2Arg. 2 Praeterea philosophus probat [in VIII Physic.], non esse potentiam infinitam magnitudine infinita : quia sequeretur quod ageret in non tempore. Nam maior virtus agit in minori tempore : unde quanto virtus est maior, tanto tempus est minus. Sed potentiae infinitae ad finitam nulla est proportio. Ergo nec temporis in quo agit potentia infinita, ad tempus in quo agit potentia finita. Cuiuslibet autem temporis ad quodlibet tempus est proportio. Ergo cum potentia finita moveat in tempore, potentia infinita movebit in non tempore. Eadem ratione si potentia Dei est infinita, semper operabitur in non tempore ; quod falsum est.

2. Le Philosophe prouve (Physique, VIII, 10, 266 a 24 b 5) quil ny a pas de puissance infinie de grandeur infinie, parce quil sensuivrait quelle n'agirait pas dans le temps. Car un plus grand pouvoir agit dans un temps plus court ; aussi, plus le pouvoir est grand, plus le temps est court. Mais il ny a aucune proportion d'une puissance infinie une puissance finie. Donc, non plus du temps dans lesquels agit la puissance infinie au temps dans lequel agit une puissance finie. Or dun temps un autre, il y a une proportion. Donc comme une puissance finie meut dans le temps, la puissance infinie le fera hors du temps. Par la mme raison, si la puissance de Dieu est infinie, il oprera toujours hors du temps, ce qui est faux.

q. 1 a. 2Arg. 3 Sed dices, quod voluntas divina non determinat quanto tempore velit effectum suum compleri ; et sic non oportet quod potentia divina semper agat in non tempore.- Sed contra, voluntas divina non potest immutare eius potentiam. Sed de ratione potentiae infinitae est quod agat in non tempore. Ergo hoc per voluntatem divinam immutari non potest.

3. Mais on pourrait dire que la volont divine ne dtermine pas en combien de temps elle veut que son effet soit accompli ; et ainsi il ne faut pas que le puissance divine agisse toujours hors du temps. En sens contraire, la volont de Dieu ne peut pas modifier sa puissance. Mais il est de la nature dune puissance infinie dagir hors du temps. Donc cela ne peut pas tre chang par la volont divine.

q. 1 a. 2Arg. 4 Praeterea, omnis potentia manifestatur per suum effectum. Sed Deus non potest facere effectum infinitum. Ergo potentia Dei non est infinita.

4. Toute puissance se manifeste par son effet. Mais Dieu ne peut pas produire un effet infini. Donc la puissance de Dieu nest pas infinie.

q. 1 a. 2Arg. 5 Praeterea, potentia proportionatur operationi. Sed operatio Dei est simplex. Ergo et potentia. Simplex autem et infinitum ad invicem repugnant. Ergo ut prius.

5. La puissance est proportionne lopration. Mais l'opration de Dieu est simple. Donc sa puissance aussi. Mais le simple et l'infini sopposent lun lautre. Donc comme ci-dessus.

q. 1 a. 2Arg. 6 Praeterea, infinitum est passio quantitatis, ut philosophus dicit [in I Physic., text. 15] Sed Deus est absque quantitate et magnitudine. Ergo eius potentia non potest esse infinita.

6. Linfini est le support de la quantit, comme le dit Aristote (Physique, I, 2, 185 a 15 - b 33-34[57]), mais Dieu est sans quantit ni grandeur. Donc sa puissance ne peut pas tre infinie.

q. 1 a. 2Arg. 7 Praeterea, omne quod est distinctum est finitum. Sed potentia Dei est distincta a rebus aliis. Ergo est finita.

7. Tout ce qui est distinct est fini. Mais la puissance de Dieu est distincte des autres attributs. Donc elle est finie.

q. 1 a. 2Arg. 8 Praeterea, infinitum dicitur per remotionem finis. Finis autem est triplex ; scilicet magnitudinis, ut punctus ; perfectionis, ut forma ; intentionis, ut causa finalis. Haec autem duo ultima, cum sint perfectionis, a Deo removeri non debent. Ergo divina potentia non debet dici infinita.

8. 0n parle dinfini si on exclut une fin. Mais la fin est triple : cest--dire celle de la grandeur, comme le point ; de la perfection comme la forme ; de la fin comme la cause finale. Ces deux dernires, puisquelles concernent la perfection ne doivent pas tre exclues de Dieu. Donc on ne peut pas dire que la puissance divine est infinie.

q. 1 a. 2Arg. 9 Praeterea, si potentia Dei est infinita, hoc non potest esse nisi quia est effectuum infinitorum. Sed multa alia sunt quae habent effectus infinitos in potentia, ut intellectus, qui potest intelligere infinita in potentia, et sol qui potest producere effectus infinitos. Si ergo potentia Dei dicatur infinita, pari ratione et multae aliae erunt infinitae ; quod est impossibile.

9. Si la puissance de Dieu est infinie, cela n'est possible que parce quil sagit deffets infinis. Mais il y a beaucoup dautres choses qui ont des effets infinis en puissance, comme lesprit, qui peut comprendre linfini en puissance et le soleil qui peut produire des effets infinis. Donc, si on dit que la puissance de Dieu est infinie, raison gale, beaucoup dautres choses seront infinies, ce qui est impossible.

q. 1 a. 2Arg. 10 Praeterea, finis est quoddam ad nobilitatem pertinens. Sed omne quod est huiusmodi, rebus divinis debet attribui. Ergo potentia divina debet dici finita.

10. La fin a quelque rapport avec la noblesse. Mais tout ce qui est de ce genre doit tre attribu Dieu. Donc on doit dire que la puissance divine est finie.

q. 1 a. 2Arg. 11 Praeterea, infinitum, secundum philosophum [in III Physi., text. 66], est partis, et materiae : quae imperfectionis sunt, et Deo non conveniunt. Ergo nec infinitum est in potentia divina.

11. Linfini, selon le Philosophe (Physique, III, 6, 207 a 26[58]), concerne la partie et la matire, qui sont imparfaites et ne conviennent pas Dieu. Donc il n'y a pas dinfini dans la puissance divine.

q. 1 a. 2Arg. 12 Praeterea, secundum philosophum, terminus neque finitus neque infinitus est. Sed divina potentia est omnium rerum terminus. Ergo non est infinita.

12. Selon le Philosophe (Physique, I, 2, 185 b 16-18[59]), le terme n'est ni fini, ni infini. Mais la puissance divine est la destination de tout. Donc elle nest pas infinie.

q. 1 a. 2Arg. 13 Praeterea, Deus agit tota potentia sua. Si ergo potentia eius est infinita, semper effectus eius erit infinitus ; quod erat impossibile.

13. Dieu agit par toute sa puissance. Si donc elle est infinie, son effet sera toujours infini ; ce qui tait impossible.

 

En sens contraire :

q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit Damascenus, quod infinitum est quod neque tempore neque loco neque comprehensione finitur. Hoc autem convenit divinae potentiae. Ergo divina potentia est infinita.

1. Il y a ce que dit Jean Damascne (La foi orthodoxe, I, 4[60]) : linfini est ce qui est sans limite, ni dans le temps, ni dans le lieu, ni dans son apprhension[61]. Cela convient la puissance divine. Donc la puissance divine est infinie.

q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius dicit : Deus immensae virtutis, vivens potestas, quae nusquam non adsit nec usquam desit. Omne autem immensum est infinitum. Ergo potentia Dei est infinita.

2. Hilaire dit (La Trinit, VIII, 24[62]) : Dieu dimmense pouvoir, puissance vivante, qui nest absente de nulle part, ni jamais ne manque. Tout ce qui est immense est infini. Donc la puissance de Dieu est infinie

 

Rponse :

q. 1 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod infinitum dicitur dupliciter. Uno modo privative ; et sic dicitur infinitum quod natum est habere finem et non habet : tale autem infinitum non invenitur nisi in quantitatibus. Alio modo dicitur infinitum negative, id est quod non habet finem.

On parle de linfini de deux manires :a) Dune manire privative et ainsi on appelle infini ce qui est destin avoir une fin et nen a pas ; un tel infini ne se trouve que dans les quantits. b) Dune autre manire, on parle dinfini de manire ngative, cest--dire de ce qui na pas de fin.

Infinitum primo modo acceptum Deo convenire non potest, tum quia Deus est absque quantitate, tum quia omnis privatio imperfectionem designat, quae longe a Deo est.

Linfini reu en Dieu de la premire manire ne peut pas convenir, dune part parce quil ny a pas de quantit en lui, dautre part parce que toute privation dsigne une imperfection, ce qui ne convient pas Dieu.


Infinitum autem dictum negative convenit Deo quantum ad omnia quae in ipso sunt. Quia nec ipse aliquo finitur, nec eius essentia, nec sapientia, nec potentia, nec bonitas ; unde omnia in ipso sunt infinita. Sed de infinitate eius potentiae specialiter sciendum est, quod cum potentia activa sequatur actum, quantitas potentiae sequitur quantitatem actus ; unumquodque enim tantum abundat in virtute agendi quantum est in actu.

Linfini exprim ngativement convient Dieu pour tout ce qui est en lui. Parce que lui-mme nest fini par rien, ni son essence, ni sa sagesse, ni sa puissance, ni sa bont, non plus ; c'est pourquoi tout en lui est infini. Mais propos de linfinit de sa puissance, il faut savoir spcialement que, puisque la puissance active suit lacte, la grandeur de la puissance suit la grandeur de lacte ; car chaque chose est riche en pouvoir dagir qu'autant qu'il est en acte.

Deus autem est actus infinitus, quod patet ex hoc quod actus non finitur nisi dupliciter. Uno modo ex parte agentis ; sicut ex voluntate artificis recipit quantitatem et terminum pulchritudo domus. Alio modo ex parte recipientis ; sicut calor in lignis terminatur et quantitatem recipit secundum dispositionem lignorum.

Dieu est aussi lacte infini, ce qui apparat du fait quun acte nest fini que de deux manires : a) Du ct de lagent ; ainsi la beaut de la maison reoit de la volont de l'artisan sa grandeur et sa destination. b) Du ct de celui qui reoit ; ainsi la chaleur sachve dans les morceaux de bois et reoit son intensit de leur disposition[63].

Ipse autem divinus actus non finitur ex aliquo agente, quia non est ab alio, sed est a se ipso ; neque finitur ex alio recipiente, quia cum nihil potentiae passivae ei admisceatur, ipse est actus purus non receptus in aliquo ; est enim Deus ipsum esse suum in nullo receptum.

Mais lacte divin mme nest limit par aucun agent, parce qu'il ne dpend pas dun autre mais de lui-mme, et il nest pas limit par un autre qui le reoit, parce que, rien en lui nest ml de puissance passive, il est acte pur, reu en rien ; car Dieu est son tre mme, reu en rien[64].

Unde patet quod Deus est infinitus ; quod sic videri potest. Esse enim hominis terminatum est ad hominis speciem, quia est receptum in natura speciei humanae ; et simile est de esse equi, vel cuiuslibet creaturae. Esse autem Dei, cum non sit in aliquo receptum, sed sit esse purum, non limitatur ad aliquem modum perfectionis essendi, sed totum esse in se habet ; et sic sicut esse in universali acceptum ad infinita se potest extendere, ita divinum esse infinitum est ; et ex hoc patet quod virtus vel potentia sua activa, est infinita.

Par l, il apparat que Dieu est infini : ce quon peut voir ainsi : lՐtre de lhomme, en effet, se termine son espce, parce quil est reu dans la nature de lespce humaine ; et cest pareil pour lՐtre du cheval ou celui de n'importe quelle crature. Mais comme lՐtre de Dieu n'est reu en rien, et quil est tre pur, il nest pas limit un mode de perfection dՐtre, mais il possde en lui la totalit de lՐtre ; et ainsi de mme que l'tre reu en son sens universel peut sՎtendre linfini, de mme lՐtre divin est infini ; et cela montre que son pouvoir ou sa puissance active[65] est infinie.

Sed sciendum quod quamvis potentia habeat infinitatem ex essentia, tamen ex hoc ipso quod comparatur ad ea quorum est principium, recipit quemdam modum infinitatis quem essentia non habet. Nam in obiectis potentiae, quaedam multitudo invenitur ; in actione etiam invenitur quaedam intensio secundum efficaciam agendi, et sic potest potentiae activae attribui quaedam infinitas secundum conformitatem ad infinitatem quantitatis et continuae et discretae. Discretae quidem secundum quod quantitas potentiae attenditur secundum multa vel pauca obiecta ; et haec vocatur quantitas extensiva : continuae vero, secundum quod quantitas potentiae attenditur in hoc quod remisse vel intense agit ; et haec vocatur quantitas intensiva. Prima autem quantitas convenit potentiae respectu obiectorum, secunda vero respectu actionis. Istorum enim duorum activa potentia est principium.

Mais il faut savoir que, quoique la puissance possde l'infinit par l'essence, cependant du fait quelle est compare ce dont elle est le principe, elle reoit un mode dinfinit que lessence ne possde pas. Car dans ce qui prsente de la puissance, on trouve une certaine pluralit ; mais dans laction aussi, on trouve un accroissement selon lefficacit de laction et ainsi on peut attribuer la puissance active une infinit en conformit linfini d'une quantit continue et discrte. Discrte[66] selon que la quantit de la puissance est dirige vers beaucoup ou peu dobjets ; on lappelle quantit extensive ; continue, selon que la quantit de la puissance est pousse agir doucement ou intensment et on lappelle la quantit intensive. La premire quantit convient la puissance par rapport aux objets, la seconde par rapport laction. Car la puissance active est le principe des deux.

Utroque autem modo divina potentia est infinita. Nam nunquam tot effectus facit quin plures facere possit, nec unquam ita intense operatur quin intensius operari possit. Intensio autem in operatione divina non est attendenda secundum quod operatio est in operante, quia sic semper est infinita, cum operatio sit divina essentia ; sed attendenda est secundum quod attingit effectum ; sic enim a Deo moventur quaedam efficacius, quaedam minus efficaciter.

Des deux manires la puissance divine est infinie. Car jamais elle ne produit tant deffets quelle ne puisse en produire davantage, et jamais elle n'opre de faon si intense quelle ne puisse oprer plus intensment. Mais lintensit ne doit pas tre tablie dans lopration divine selon que lopration est dans celui qui opre, parce quelle est toujours infinie, puisque lopration est lessence divine ; mais elle doit tre tablie selon quelle arrive un effet ; car certaines choses sont ainsi mues par Dieu plus efficacement, dautres moins.

 

Solutions :

q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nihil quod est in Deo, potest dici frustra, quia frustra est quod est ad aliquem finem quem non potest attingere ; Deus autem et quae in ipso sunt, non sunt ad finem, sed sunt finis. Vel dicendum, quod philosophus loquitur activa naturali. Res enim naturales coordinatae sunt ad invicem, et etiam omnes creaturae : Deus autem est extra hunc ordinem ; ipse enim est ad quem totus hic ordo ordinatur, sicut ad bonum extrinsecum, ut exercitus ad ducem, secundum philosophum [in XII Mtaph., texte 52 et 53]. Et ideo non oportet ut ei quod est in Deo, aliquid in creaturis respondeat.

 1. Rien de ce qui est en Dieu ne peut tre considr comme vain, parce qu'est vain ce qui est en vue d'une fin quil ne peut atteindre. Mais Dieu, ainsi que ce qui est en lui, nest pas en vue dune fin, mais est la fin. Ou bien il faut dire que le Philosophe parle de puissance active naturelle. Car les choses naturelles sont coordonnes entre elles, toutes les cratures aussi : mais Dieu est hors de cet ordre ; car lui-mme est celui quoi tout cet ordre est ordonn comme un bien extrinsque, comme larme est ordonne au gnral, selon le Philosophe (Mtaphysique, (L) XII, 10, 1075 a 13). Et c'est pourquoi il ne faut pas que quelque chose dans les cratures corresponde ce qui est en Dieu.

q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum Commentatorem in VIII Physic. [com. 79],demonstratio illa de proportione temporis et potentia moventis procedit infinita in magnitudine, quae proportionatur infinito temporis cum sint unius generis determinati, scilicet continuae quantitatis, non autem tenet de infinito extra magnitudinem, quod non est proportionale infinito temporis, utpote alterius rationis existens. Vel dicendum, ut tactum est in obiiciendo, quod Deus quia agit voluntarie, mensurat motum eius quod ab eo movetur, sicut vult.

 2. Il faut dire que, pour le Commentateur[67] (Physique, VIII, 10[68]), cette dmonstration au sujet de la proportionnalit du temps et de la puissance du moteur, procde dune puissance infinie en grandeur, proportionne linfini du temps, puisquils sont d'un seul genre dtermin, savoir de la quantit continue, mais elle ne tient pas dun infini hors grandeur, qui est sans proportion avec linfini du temps, du fait quil existe dune autre manire. Ou il faut dire, comme cependant on la signal dans l'objection, que parce quil agit volontairement, Dieu mesure le mouvement de ce qu'il meut, comme il le veut.


q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet voluntas Dei non possit mutare eius potentiam, potest tamen determinare eius effectum. Nam voluntas potentiam movet.

 3. Quoique la volont de Dieu ne puisse pas modifier sa puissance, il peut cependant limiter son effet. Car cest la volont qui met en mouvement la puissance.

q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ipsa ratio facti vel creati repugnat infinito. Nam ex hoc ipso quod fit ex nihilo, habet aliquem defectum, et est in potentia, non actus purus ; et ideo non potest aequari primo infinito ut sit infinitum.

 4. La nature de lobjet fabriqu ou de la crature soppose linfini. En effet, ce qui est fait de rien a une imperfection et est en puissance et non acte pur ; et cest pourquoi, cela ne peut tre gal au premier infini pour tre infini.

q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod infinitum privative dictum, quod est passio quantitatis, repugnat simplicitati, non autem infinitum quod est negative dictum.

 5. Linfini dit privatif qui est ce qui supporte la quantit, soppose la simplicit mais pas l'infini dit ngatif.

q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa ratio procedit de infinito privative dicto.

 6. Cette raison procde de linfini dit privatif.

q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aliquid potest esse distinctum dupliciter. Uno modo per aliud sibi adiunctum, sicut homo distinguitur per rationalem differentiam ab asino, et tale distinctum oportet esse finitum, quia illud adiunctum determinat ipsum ad aliquid. Alio modo per se ipsum ; et sic Deus est distinctus ab omnibus rebus, et hoc eo ipso quia nihil addi ei est possibile ; unde non oportet quod sit finitus neque ipse neque aliquid quod in ipso significatur.

 7. Quelque chose peut tre distinct de deux faons : a) Par ce qui d'autre lui est ajout, ainsi lhomme est distingu de lՉne par la raison et ce qui est distinct de cette faon doit tre fini, parce que ce qui est ajout, le limite une chose. b) Par soi-mme. Ainsi Dieu est distingu de tout, et cela parce qu'il est impossible de rien lui ajouter ; c'est pourquoi il ne faut pas quil soit fini, ni lui-mme ni rien de ce qui est signifi en lui.

q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod finis cum sit perfectionis, Deo nobilissimo modo attribuitur, scilicet ut ipse essentialiter sit finis, non denominative finitus.

 8. Il faut dire que, comme la fin concerne la perfection, elle est attribue Dieu par le mode le plus noble, savoir pour quil soit lui-mme essentiellement la fin et quon ne le dsigne pas comme fini.

q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut in quantitatibus potest considerari infinitum secundum unam dimensionem et non secundum aliam, et iterum infinitum secundum omnem dimensionem, ita et in effectibus. Possibile est enim aliquam creaturam posse producere effectus infinitos quantum est de se, secundum aliquid, utpote secundum numerum in eadem specie ; et sic omnium illorum effectuum natura est finita, utpote ad unam speciem determinata, ut si accipiamus homines vel asinos infinitos. Non est autem possibile ut sit aliqua creatura quae possit in effectus infinitos omnibus modis et secundum numerum et secundum species et secundum genera ; sed hoc solius Dei est, et ideo sola eius potentia est simpliciter infinita.

 9. Dans les quantits, on peut considrer linfini selon une dimension et non selon une autre, et nouveau linfini selon toute dimension ; il en est de mme pour les effets. Car il est possible quune crature puisse produire des effets infinis quant elle, sous un rapport, par exemple, selon le nombre dans la mme espce ; et ainsi la nature de tous ces effets est finie, en tant que limite une seule espce, comme si nous admettions des hommes ou des nes infinis. Mais il n'est pas possible qu'il y ait une crature qui puisse avoir des effets infinis de toutes les manires, selon le nombre, lespce et le genre ; cela n'appartient qu' Dieu seul et cest pourquoi seule sa puissance est absolument infinie.

q. 1 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, sicut ad octavum.

 10. Il faut dire comme pour la solution 8.

q. 1 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ratio illa procedit de infinito privative dicto.

 11. Cette raison procde de linfini dit privatif.

q. 1 a. 2 ad 12 Et similiter dicendum ad duodecimum.

 12. Il faut dire de mme.

q. 1 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus semper agit tota sua potentia ; sed effectus terminatur secundum imperium voluntatis, et ordinem rationis.

 13. Dieu agit toujours par toute sa puissance, mais son effet est limit selon le pouvoir de sa volont et lordre de la raison.

 

 

 

Article 3 Ce qui est impossible la nature est-il possible Dieu ?

q. 1 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum ea quae sunt naturae impossibilia, sint Deo possibilia. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[69]

q. 1 a. 3Arg. 1 Dicit enim quaedam Glossa [ordin., super illud Contra naturam insertus], Rom. XI, vers. 24, quod Deus cum sauctor naturae non potest facere contra naturam. Sed ea quae sunt impossibilia naturae sunt contra naturam. Ergo Deus ea facere non potest.

1. Une glose[70], au sujet de Rm. 11, 24 : (Greff contre nature), dit que, puisque Dieu est lauteur de la nature, il ne peut pas agir contre elle. Mais ce qui est impossible la nature est contre elle. Donc Dieu ne peut pas le faire.

 1 a. 3Arg. 2 Praeterea, sicut omne in natura necessarium est demonstrabile, ita omne impossibile in natura, est improbabile per demonstrationem. Sed in omni conclusione demonstrationis includuntur demonstrationis principia ; in omnibus autem demonstrationis principiis includitur hoc principium, quod affirmatio et negatio non sunt simul vera. Ergo istud principium includitur in quolibet impossibili naturae. Sed Deus non potest facere quod negatio et affirmatio sint simul vera, ut respondens dicebat. Ergo nullum impossibile in natura potest facere.

2. Tout ce qui est ncessaire dans la nature peut tre dmontr, de mme tout ce qui y est impossible ne peut pas tre prouv par dmonstration. Mais les principes de la dmonstration sont inclus dans toute conclusion ; donc dans tous les principes de dmonstration est inclus ce principe : Laffirmation et la ngation ne sont pas vraies en mme temps. Donc ce principe est inclus dans tout ce qui est impossible dans la nature. Mais Dieu ne peut pas faire que la ngation et laffirmation soient vraies en mme temps, comme lobjecteur le disait. Donc il ne peut rien faire dimpossible dans la nature.

q. 1 a. 3Arg. 3 Praeterea, sub Deo sunt duo principia, ratio et natura. Sed Deus ea quae sunt impossibilia rationi, facere non potest, sicut quod genus non praedicetur de specie. Ergo nec illa quae sunt impossibilia naturae.

3. Il y a deux principes sous Dieu : la raison[71] et la nature. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible pour la raison, par exemple que le genre ne soit pas attribu lespce. Donc il ne peut pas faire ce qui est impossible la nature

q. 1 a. 3Arg. 4 Praeterea, sicut se habet falsum et verum ad cognitionem, ita se habet possibile et impossibile ad operationem. Sed illud quod est falsum in natura, Deus scire non potest. Ergo quod est impossibile in natura, Deus non potest operari.

4. De la mme manire que le faux et le vrai se comportent par rapport la connaissance, le possible et l'impossible le font par rapport l'opration. Mais Dieu ne peut pas connatre ce qui est faux dans la nature[72]. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible dans la nature.

q. 1 a. 3Arg. 5 Praeterea, quando est simile de uno et omnibus, quod probatur de uno, intelligitur de omnibus esse probatum ; sicut si probatur de uno triangulo, demonstrato quod habeat tres aequales duobus rectis, de omnibus intelligitur esse probatum. Sed similis ratio videtur de omni impossibili, quod Deus illud possit et non possit ; tum ex parte facientis, quia divina potentia infinita est : tum ex parte facti, quia omnis res habet potentiam obedientiae ad Deum. Ergo si aliquod impossibile est naturae quod facere non possit, ut respondens dicebat, videtur quod nullum impossibile facere possit.

5. Quand lun et le tout sont semblables, ce qui est prouv pour lun est compris comme prouv pour le tout. Ainsi si on prouve, aprs dmonstration, quun triangle a trois angles gaux deux droits, on comprend que cest prouv pour tous les triangles. Mais une raison semblable parat sappliquer tout ce qui est impossible, que Dieu le puisse ou ne le puisse pas ; d'une part du ct de celui qui agit, parce que la puissance divine est infinie, d'autre part du ct de ce qui est fait, parce que toute chose a une puissance obdientielle Dieu[73]. Donc s'il y a quelque chose d'impossible la nature quil ne puisse pas faire, comme celui qui a rpondu le disait, il semble quil ne puisse rien faire dimpossible.

q. 1 a. 3Arg. 6 Praeterea, II Timoth. II, 13, dicitur : Fidelis Deus, qui se ipsum negare non potest. Negaret autem se ipsum, ut dicit Glossa [interlinear.], si promissum non impleret. Sicut autem promissum Dei est a Deo, ita omne verum est a Deo : quia, ut dicit Glossa Ambrosii [Ambrosiastri] I Cor. XII, 3, super illud : Nemo potest dicere, dominus Iesus, omne verum, a quocumque dicatur, a spiritu sancto est. Ergo non potest facere contra aliquod verum. Faceret autem contra verum, si faceret aliquid impossibile. Ergo Deus non potest facere aliquid impossibile in natura.

6. En 2 Tm. 2,13, il est dit : Le Dieu fidle qui ne peut pas se nier lui-mme. Il se nierait lui-mme, comme le dit la glose [interlinaire[74]], sil naccomplissait pas ce qu'il a promis. De mme que la promesse de Dieu vient de lui, de mme toute vrit vient de lui, parce que, comme le dit la glose dAmbroise (Ambrosiaster) au sujet de I Co. 12, 3 : Personne ne peut dire, Seigneur Jsus, toute vrit, qui que soit celui qui la dise, vient de lEsprit Saint. Donc il ne peut pas agir contre la vrit. Il agirait contre elle, sil faisait quelque chose d'impossible. Donc Dieu ne peut rien faire dimpossible dans la nature.

q. 1 a. 3Arg. 7 Praeterea, Anselmus dicit [lib. I,Cur deus homo, cap. X1], quod minimum inconveniens Deo est impossibile. Sed inconveniens esset quod affirmatio et negatio essent simul vera, quia intellectus esset ligatus. Ergo Deus non potest facere hoc ; et ita non potest facere omnia impossibilia in natura.

7. Anselme dit (Cur Deus homo, livre 1, ch. 20[75]) que la plus petite inconvenance est impossible Dieu. Mais il ne conviendrait pas que laffirmation et la ngation soient vraies en mme temps, parce que lintellect aurait t li. Donc Dieu ne peut pas le faire ; et ainsi il ne peut pas faire tout ce qui est impossible dans la nature.

q. 1 a. 3Arg. 8 Praeterea, nullus artifex potest operari contra artem suam : quia principium suae operationis est ars. Sed Deus faceret contra artem suam, si faceret aliquid impossibile in natura : quia naturae ordo, secundum quem illud est impossibile, est secundum artem divinam. Ergo Deus et cetera.

8. Aucun artisan ne peut oprer contre son art, parce que celui-ci est le principe de son opration. Mais Dieu agirait contre son art, sil faisait quelque chose dimpossible dans la nature ; parce que l'ordre de la nature, qui entrane l'impossibilit, dpend de lart divin. Donc Dieu, etc..

q. 1 a. 3Arg. 9 Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se quam quod est impossibile per accidens. Sed Deus non potest facere quod est impossibile per accidens, scilicet quod id quod fuit non fuerit, ut patet per Hieronymum [ad Eustochium de custodia virginitatis] qui dicit, quod cum cetera Deus possit, non potest facere virginem de corrupta ; et per Augustinum [contra Faustum], et per philosophum [in V Ethic., cap. V]. Ergo Deus non potest facere id quod est impossibile per se in natura.

9. Plus est impossible ce qui est impossible en soi que ce qui lest par accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident[76], par exemple que ce qui a exist ne l'ait pas t, comme on le voit chez Jrme (Lettre Eustochium sur la sauvegarde de la virginit) qui dit qu'encore que Dieu puisse toutes les autres choses, il ne peut pas rendre vierge celle qui est dflore[77]. Augustin (C. Faust. 26[78]) et le philosophe (thique, VI, 2, 1139 b 10[79]) le montrent aussi. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible en soi dans la nature[80].

 

En sens contraire :[81]

q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Lucae I, 37 : Non erit impossibile apud Deum omne verbum.

1. En Lc (1, 37) il est dit : Aucune parole[82] ne sera impossible Dieu.

q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis potentia quae potest facere hoc et non illud, est potentia limitata. Si ergo Deus potest facere possibilia in natura, et non impossibilia, vel haec impossibilia et non illa, videtur quod Dei potentia sit limitata, quod est contra supra determinata. Ergo et cetera.

2. Toute puissance qui peut faire ceci et non cela est une puissance limite. Si donc Dieu peut faire dans la nature ce qui est possible et ne pas faire ce qui y est impossible, ou certaines choses impossibles et non d'autres, sa puissance semble limite, ce qui est contre ce qui a t expliqu ci-dessus[83]. Donc

q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, omne illud quod non limitatur per aliquid quod est in re, per nihil quod est in re impediri potest. Sed Deus non limitatur per aliquid quod est in re. Ergo per nihil quod est in re potest impediri ; et ita veritas huius principii : Affirmatio et negatio non possunt esse simul, non potest impedire quin Deus possit facere. Et pari ratione de omnibus aliis.

3. Tout ce qui nest pas limit par quelque chose de rel, ne peut tre empch par rien de rel. Mais Dieu nest limit par rien de rel. Donc il ne peut tre empch par rien en ralit et ainsi la vrit de ce principe : Laffirmation et la ngation ne peuvent exister simultanment, ne peut pas empcher que Dieu puisse agir. Et raison gale pour tout le reste.

. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, privationes non suscipiunt magis et minus. Sed impossibile dicitur secundum privationem potentiae. Si ergo unum impossibile est quod Deus facere potest, ut caecum illuminare, videtur pari ratione quod potest facere omnia.

4. Les privations ne reoivent ni plus ni moins. Mais on parle d'impossible en raison de la privation de puissance. Si donc il y a une seule chose impossible que Dieu peut faire, comme rendre la vue un aveugle, raison gale, il semble quil peut tout faire.

q. 1 a. 3 s. c. 5 Praeterea, omne quod resistit alicui, resistit in ratione alicuius oppositionis. Sed potentiae divinae nihil est oppositum, ut ex supra dictis patet. Ergo ei nihil potest resistere ; et ita potest facere omnia impossibilia.

5. Tout ce qui rsiste quelque chose, lui rsiste en raison dune opposition. Mais rien nest oppos la puissance divine, comme on le voit dans ce qui a t dit ci-dessus. Donc rien ne peut lui rsister et ainsi il peut accomplir tout ce qui est impossible.

q. 1 a. 3 s. c. 6 Praeterea, sicut caecitas opponitur visioni, ita virginitas partui. Sed Deus fecit quod virgo, manens virgo, pareret. Ergo pari ratione potest facere quod caecus, manens caecus, videat, et potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, et per consequens omnia impossibilia.

6. La ccit est oppose la vision, comme la virginit lenfantement. Mais Dieu a fait quune vierge enfante, en demeurant vierge. Donc raison gale, il peut faire que laveugle voit tout en demeurant aveugle et que laffirmation et la ngation soient vraies en mme temps et par consquence il peut faire tout ce qui est impossible.

q. 1 a. 3 s. c. 7 Praeterea, difficilius est coniungere formas substantiales disparatas quam formas accidentales. Sed Deus coniunxit in unum formas substantiales maxime disparatas, scilicet divinam et humanam, quae differunt secundum creatum et increatum. Ergo multo amplius potest coniungere duas formas accidentales in unum, ut faciat quod idem sit album et nigrum : et sic idem quod prius.

7. Il est plus difficile d'unir des formes substantielles diffrentes que des formes accidentelles. Mais Dieu a runi en un seul tre les formes substantielles les plus loignes, cest--dire la forme divine et la forme humaine qui diffrent en tant que cre et incre. Donc il peut bien davantage unir deux formes accidentelles en une seule, pour faire qu'une mme chose soit blanche et noire, et ainsi de mme que plus haut[84].

q. 1 a. 3 s. c. 8 Praeterea, posito quod a definito removeatur aliquid quod cadat in eius definitione, sequitur contraria esse simul, sicut quod homo non sit rationalis. Sed terminari ad duo puncta est in definitione lineae rectae. Ergo si quis hoc removeat a linea recta, sequitur quod duo contraria sint simul. Sed Deus hoc fecit quando intravit ianuis clausis ad discipulos : tunc enim fuerunt duo corpora simul, et sic sequitur quod duae lineae fuerunt terminatae ad duo puncta tantum, et unaquaeque ad duo puncta. Ergo Deus potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, et per consequens potest facere omnia impossibilia.

8. Suppos qu'on exclut un lment qui se trouve dans sa dfinition, il en dcoule que les contraires sont ensemble ; ainsi que lhomme ne soit pas raisonnable. Mais la ligne droite est par dfinition termine par deux points. Donc si on exclut cela de la ligne droite, il sensuit que deux contraires sont ensemble. Mais Dieu le fit quand il entra chez les disciples, les portes fermes : car il y eut deux corps en mme temps, et ainsi il s'ensuit que deux lignes se sont termines deux points seulement, et chacune deux points. Donc Dieu peut faire que laffirmation et la ngation soit vraies en mme temps et par consquence il peut faire tout ce qui est impossible.

 

Rponse :

q. 1 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod, secundum philosophum [ in V Metaph., text. 17], possibile et impossibile dicuntur tripliciter. Uno modo secundum aliquam potentiam activam vel passivam ; sicut dicitur homini possibile ambulare secundum potentiam gressivam, volare vero impossibile. Alio modo non secundum aliquam potentiam, sed secundum se ipsum, sicut dicimus possibile quod non est impossibile esse, et impossibile dicimus quod necesse est non esse.

Il faut dire que, selon le Philosophe (Mtaphysique, () V, 12, 1019 b 23 ss.), on parle de possible et dimpossible de trois manires[85] : a) Selon une puissance active ou passive ; ainsi on dit quil est possible un homme de marcher selon qu'il en a le pouvoir, mais voler lui est impossible. b) Hors puissance mais en soi ; ainsi nous appelons possible ce qui na pas l'impossibilit dՐtre et nous appelons impossible ce qui a ncessit de ne pas tre.

Sciendum est ergo quod impossibile quod dicitur secundum nullam potentiam, sed secundum se ipsum, dicitur ratione discohaerentiae terminorum. Omnis autem discoherentia terminorum est in ratione alicuius oppositionis ; in omni autem oppositione includitur affirmatio et negatio, ut probatur X Metaph. [text.. comm. 15] ; unde in omni tali impossibili implicatur affirmationem et negationem esse simul. Hoc autem nulli activae potentiae attribui potest ; quod sic patet. Omnis activa potentia consequitur actualitatem et entitatem eius cuius est.

Donc il faut savoir que limpossible dont on parle hors puissance, mais en soi, est dfini en raison de la contradiction des termes. Toute contradiction des termes vient dune opposition : dans toute opposition sont incluses laffirmation et la ngation, comme cest prouv en Mtaphysique (G) IV, 3, 1005 b 18[86]). Cest pourquoi en toute impossibilit de ce genre est impliqu que laffirmation et la ngation soient en mme temps. Cela ne peut tre attribu aucune puissance active ; ce qui parat ainsi : toute puissance active suit lactualit et lentit de ce dont elle dpend.

Unumquodque autem agens est natum agere sibi simile ; unde omnis actio activae potentiae terminatur ad esse. Etsi enim aliquando fit per actionem non esse, ut in corruptione patet, tamen hoc non est nisi in quantum esse unius non compatitur esse alterius, sicut esse calidi non compatitur esse frigidi ; et ideo calor ex principali intentione generat calidum, sed quod corrumpat frigidum, hoc est ex consequenti. Hoc autem quod est affirmationem et negationem esse simul, rationem entis habere non potest, nec etiam non entis, quia esse tollit non esse, et non esse tollit esse : unde nec principaliter nec ex consequenti potest esse terminus alicuius actionis potentiae activae.

Tout agent est destin faire du semblable soi : c'est pourquoi toute action d'une puissance active se termine lՐtre. Car mme si quelquefois par son action, cela devient du non tre, comme on le voit dans la corruption, cependant cela narrive que dans la mesure o lՐtre de lun ne supporte pas celui de lautre ; ainsi l'tre du chaud ne supporte pas celui du froid ; et cest pourquoi la chaleur tend principalement engendrer le chaud, mais elle dtruit le froid, cen est la consquence. Le fait que laffirmation et la ngation soient ensemble, ne peut avoir nature d'tre, ni mme de non tre, parce que lՐtre enlve le non tre et le non tre enlve lՐtre : c'est pourquoi ni principalement, ni par consquence, cela ne peut pas tre le terme de l'action dune puissance active[87].

Impossibile vero quod dicitur secundum aliquam potentiam potest attendi dupliciter. Uno modo propter defectum ipsius potentiae ex se ipsa, quia videlicet ad illum effectum non potest se extendere, utpote quando non potest agens naturale transmutare aliquam materiam.

Ce qu'on dsigne comme impossible selon la puissance peut tre atteint de deux manires : 1) A cause de la dfaillance de la puissance mme par soi, parce quil est clair qu'elle ne peut parvenir cet effet ; par exemple quand lagent naturel ne peut pas oprer un changement dans la matire.

alio modo ab extrinseco, utpote cum potentia alicuius impeditur vel ligatur. Sic ergo aliquid dicitur impossibile fieri tribus modis. Uno modo propter defectum activae potentiae, sive in transmutando materiam, sive in quocumque alio ; alio modo propter aliquod resistens vel impediens ; tertio modo propter hoc quod id quod dicitur impossibile fieri, non potest esse terminus actionis.

2) De lextrieur, par exemple, quand la puissance est empche ou lie. Ainsi donc, on dit quune chose devient impossible de trois manires : a) A cause de la dfaillance de la puissance active, soit dans la transformation de la matire, soit en tout autre chose.b) A cause d'une rsistance ou d'un empchement.c) Parce que ce qu'on dit impossible raliser ne peut pas tre le terme de l'action.

Ea ergo quae sunt impossibilia in natura primo vel secundo modo, Deus facere potest. Quia eius potentia, cum sit infinita, in nullo defectum patitur, nec est aliqua materia quam transmutare non possit ad libitum ; eius enim potentiae resisti non potest. Sed id quod tertio modo dicitur impossibile, Deus facere non potest, cum Deus sit actus maxime, et principale ens. Unde eius actio non nisi ad ens terminari potest principaliter, et ad non ens consequenter. Et ideo non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, nec aliquod eorum in quibus hoc impossibile includitur. Nec hoc dicitur non posse facere propter defectum suae potentiae : sed propter defectum possibilis, quod a ratione possibilis deficit ; propter quod dicitur a quibusdam quod Deus potest facere, sed non potest fieri.

Donc ce qui est impossible dans la nature de la premire ou de la deuxime manire, Dieu peut le faire. Parce que, comme sa puissance est infinie, elle ne souffre de dfaillance en rien et il ny pas de matire quil ne puisse transformer sa guise, car elle ne peut rsister sa puissance. Mais pour limpossible de la troisime manire, Dieu ne peut pas le faire, parce quil est acte au plus haut point et l'tre principal. C'est pourquoi son action ne peut se terminer quՈ l'tant, et en consquence au non tant. Et cest pourquoi il ne peut pas faire que laffirmation et la ngation soient vraies en mme temps, ni rien dans ce en quoi cette impossibilit est inclue. Et on ne peut pas dire quil ne peut pas le faire cause de la dfaillance de sa puissance : mais cause de la dfaillance du possible, parce que celui-ci a perdu sa raison de possible, cest pour cela que certains ont dit que Dieu peut le faire, mais cela ne peut pas tre fait.

 

Solutions :

q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Augustini in Glossa illa non est intelligendum quod Deus non possit facere aliter quam natura faciat, cum ipse frequenter faciat contra consuetum cursum naturae ; sed quia quidquid in rebus facit, non est contra naturam, sed est eis natura, eo quod ipse est conditor et ordinator naturae. Sic enim in rebus naturalibus videtur, quod quando aliquod corpus inferius a superiori movetur, est ei ille motus naturalis, quamvis non videatur conveniens motui quem naturaliter habet ex seipso ; sicut mare movetur secundum fluxum et refluxum a luna ; et hic motus est ei naturalis, ut Commentator dicit [in III Caeli et mundi, com. 20], licet aquae secundum se ipsum motus naturalis sit ferri deorsum ; et hoc modo omnes creaturae quasi pro naturali habent quod a Deo in eis fit. Et propter hoc in eis distinguitur potentia duplex : una naturalis ad proprias operationes vel motus ; alia quae obedientiae dicitur, ad ea quae a Deo recipiunt.

 1. Par la parole dAugustin dans cette glose, on ne doit pas comprendre que Dieu ne pourrait pas agir autrement que la nature, puisque lui-mme frquemment agit contre son cours habituel ; mais parce que tout ce qu'il fait dans les choses nest pas contre leur nature, mais c'est leur nature, du fait quil en est lui-mme le crateur et lordonnateur. Ainsi dans ce qui est naturel, il semble que, quand un corps infrieur est mis en mouvement par un corps suprieur, ce mouvement lui est naturel, quoiquil ne paraisse pas convenir au mouvement quil possde naturellement de lui-mme ; ainsi la mer est mise en mouvement, selon le flux et le reflux, par la lune, et ce mouvement lui est naturel[88], comme le dit le Commentateur (Le ciel et le monde, III, com. 20), bien que le mouvement naturel de leau en lui-mme la porte vers le bas et de cette manire ce que Dieu accomplit dans les cratures est pour ainsi dire naturel en elles. Et cause de cela on distingue en elles une double puissance : l'une, naturelle pour les oprations ou les mouvements propres ; lautre qui est appele obdientielle, pour ce quelles reoivent de Dieu.

q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in quolibet impossibili implicatur affirmationem et negationem esse simul secundum hoc quod est impossibile ; sed ea quae sunt impossibilia propter defectum potentiae naturalis, ut caecum, videntem fieri, vel aliquid huiusmodi, cum non sint impossibilia secundum se ipsa, non implicant huiusmodi impossibile secundum se ipsa, sed per comparationem ad potentiam naturalem cui sunt impossibilia, ut si dicamus, natura potest facere caecum videntem, implicatur praedictum impossibile, quia naturae potentia est terminata ad aliquid, ultra quod est id quod ei attribuitur.

 2. N'importe quel impossible implique que l'affirmation et la ngation sont ensemble, du fait que cest impossible ; mais ce qui est impossible cause de la dfaillance de la puissance naturelle, ainsi rendre la vue un aveugle, ou autre chose de ce genre, puisque ce n'est pas impossible en soi, nimplique pas une telle impossibilit en soi, mais par comparaison la puissance naturelle pour qui cela est impossible ; comme si on disait : la nature peut rendre la vue un aveugle, cela implique une affirmation impossible, parce que la puissance de la nature est limite une chose au-del de ce qui lui est attribu.

q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impossibilia rationalis philosophiae non sunt secundum aliquam potentiam, sed secundum se ipsa : quia ea quae sunt in rationali philosophia, non sunt applicata ad materiam, vel ad aliquas potentias naturales.

 3. Ce qui est impossible pour la philosophie rationnelle ne lest pas selon une puissance, mais de soi, parce que ce qui est en cette philosophie nest pas appliqu la matire ou des puissances naturelles. 

q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod est falsum in natura, est falsum simpliciter, et ideo non est simile.

 4. Ce qui est faux dans la nature est faux absolument et c'est pourquoi ce nest pas pareil.

q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est eadem ratio de omni impossibili : quia quaedam sunt impossibilia per se, quaedam per respectum ad aliquam potentiam, ut supra dictum est. Nec hoc quod dissimiliter se habent ad divinam potentiam, impedit infinitatem divinae potentiae, vel obedientiam creaturae.

 5. Toute impossibilit n'est pas identique ; parce que certaines choses sont impossibles en soi, certaines par rapport une puissance, comme on la dit ci-dessus. Et ce qui se comporte diffremment vis--vis de la puissance divine, nentrave pas linfinit de sa puissance, ni l'obdience de la crature.

q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus id quod iam verum est, non destruit ; quia non facit ut quod verum fuit, non fuerit ; sed facit quod aliquod non sit verum, quod alias verum esset. Sicut cum suscitat mortuum, facit quod non sit verum eum esse mortuum, quod aliter verum esset. Vel aliter dicendum, quod non est simile, quia ex hoc quod Deus non impleret promissum, sequeretur eum non esse veracem : ex hoc autem quod aliquem suum effectum destruit, hoc non sequitur : quia non ordinavit ut suus effectus perpetuo maneret, sicut ordinavit quod promissum impleret.

 6. Dieu ne dtruit pas ce qui est dsormais vrai ; parce quil ne fait pas que ce qui a t vrai nait pas t ; mais il fait que quelque chose ne soit pas vrai, qui autrement serait vrai. Ainsi quand il ressuscite un mort, il fait que ce ne soit pas vrai quil soit mort, ce qui autrement serait vrai. Ou bien il faut dire autrement, ce qui nest pas pareil ; parce que du fait que Dieu naccomplirait pas sa promesse, il en dcoulerait quil nest pas vridique ; mais cela ne dcoule pas du fait quil dtruit un de ses effets, parce quil na pas dispos son effet pour demeurer toujours, de mme quil a dispos quil accomplirait sa promesse.

 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non potest facere affirmationem et negationem esse simul : non quia sit inconveniens, sed ratione praedicta.

7. Il ne peut pas faire que laffirmation et la ngation soient en mme temps, non parce que cela ne conviendrait pas, mais pour la raison dj dite.

, q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ars Dei non solum se extendit ad ea quae facta sunt, sed ad multa alia. Unde quando in aliquo mutat cursum naturae non propter hoc contra artem suam facit.

8. Lart de Dieu sՎtend non seulement ce qui a t fait, mais beaucoup dautres choses. C'est pourquoi quand il change le cours de la nature ce nest pas pour cela quil agit contre son art.

, q. 1 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Socratem non cucurrisse, si cucurrerit, dicitur impossibile per accidens : eo quod Socratem currere vel non currere, quantum est in se, est contingens ; sed per implicationem huius quod est praeteritum non fuisse, fit impossibile per se. Et ideo dicitur impossibile per accidens, quasi per aliud adveniens. Hoc autem adveniens est impossibile secundum se ipsum. Et plane implicat contradictionem : dicere enim, quod fuit et non fuit, sunt contradictoria : quo sequitur, si fiat quod praeteritum non fuerit.

Que Socrate nait pas couru, sil a couru, on dit que cest impossible par accident : en effet que Socrate court ou ne court pas, en soi est contingent, mais par implication au fait que le pass na pas exist, cela devient impossible en soi. Et c'est pourquoi on dit quil est impossible par accident, comme sil arrive par autre chose. Quand cela arrive, cest impossible en soi, et implique une contradiction absolue ; car dire que : il a t et na pas t, est contradictoire ; il en dcoule quainsi il ferait que le pass nait pas exist[89].

 

Rponse aux arguments en sens contraire :

q. 1 aad s. c. 1 Ad primum vero, quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod verbum dicitur non solum quod ore profertur, sed quod mente concipitur. Hoc autem quod est affirmationem et negationem esse simul veram, non potest mente concipi, ut probatur IV Metaph. [comm. 9], et per consequens nec aliquid eorum in quibus hoc includitur. Cum enim contrariae opiniones sint quae sunt contrariorum, secundum philosophum, sequeretur eumdem simul habere contrarias opiniones : et ita non est contra verbum Angeli, si dicatur, quod Deus non potest praedictum impossibile.

Ce verbe concerne non seulement ce que la bouche profre, mais ce que lesprit conoit[90]. Que laffirmation et la ngation soient vraies en mme temps ne peut pas tre conu par lesprit, comme cela est prouv en Mtaphysique, (G) IV, 6, 1005 b 19[91] et par consquent rien non plus de ce qui inclut une telle contradiction. En effet, comme les opinions contraires sont celle qui sont contradictoires, selon le philosophe (Mtaphysique, (G) IV, 6, 1005 b 27[92]), il sensuivrait que le mme aurait des opinions contraires en mme temps, et ainsi ce nest pas contre la parole de lange, si non dit que Dieu ne peut pas une affirmation impossible.

, q. 1 a. 3 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod potentia Dei non potest praedictum impossibile, quia deficit a ratione possibilis : et ideo potentia Dei non dicitur limitari, quamvis hoc non possit.

2. La puissance de Dieu ne peut pas une affirmation impossible, parce quelle a perdu sa nature de possible et cause de cela on ne dit pas que sa puissance est limite, bien quelle ne le puisse pas.

, q. 1 a. 3 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod Deus dicitur hoc non posse, non a libero arbitrio, quasi impeditus, ut dictum est ; sed quia hoc non potest esse terminus actionis alicuius activae potentiae.

3. Dire que Dieu ne peut pas ne vient pas de son libre arbitre, comme sil tait empch, comme on la dit, mais parce que cela ne peut pas tre le terme de laction dune puissance passive.

, q. 1 a. 3 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod privatio non recipit magis et minus secundum se ; potest tamen recipere secundum causam ; sicut aliquis dicitur magis caecus qui habet oculum erutum, quam cuius visus impeditur propter aliquem humorem impedientem : et similiter dicitur magis impossibile quod est secundum se ipsum impossibile, quam quod est simpliciter impossibile.

La privation ne reoit ni plus ni moins ; cependant elle peut en recevoir dans sa cause ; ainsi on juge plus aveugle celui qui a lil arrach que celui dont la vue est empche par une humeur qui lentrave ; et de mme on dclare plus impossible ce qui lest en soi, que ce qui est simplement impossible.

, q. 1 a. 3 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod, sicut iam dictum est, Deus non dicitur hoc non posse, quod impediatur ab aliquo, sed rationibus praedictis.

5. Comme on la dj dit (dans le corps de larticle) on ne dit pas que Dieu ne le peut pas, parce quil est empch, mais pour les raisons dj dites.

, q. 1 a. 3 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod virginitas non opponitur partui sicut caecitas visui ; sed opponitur virili commixtioni sine qua natura partum facere non potest, Deus autem potest.

6. La virginit nest pas oppose lenfantement, comme la ccit la vue, mais elle est oppose laccouplement viril sans lequel la nature ne peut pas produire un enfantement, mais Dieu le peut

q. 1 a. 3 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod illa opposita, creatum et increatum, non fuerunt in Christo secundum idem, sed secundum diversas naturas ; unde non sequitur quod Deus potest facere opposita inesse eidem secundum idem.

 7. Ces opposs, le cr et l'incr, ne furent pas dans le Christ selon le mme ordre, mais selon des natures diffrentes. Cest pourquoi il n'en dcoule pas que Dieu peut faire que des opposs soient dans le mme tre sous un mme rapport.

q. 1 a. 3 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod quando Christus intravit ianuis clausis, et duo corpora fuerunt simul, non est aliquid factum contra geometriae principia. Nam ad duo puncta diversorum corporum ex una parte, non terminabatur una linea, sed duae. Quamvis enim duae lineae mathematicae non sint distinguibiles nisi secundum situm, ita quod intelligi non potest duas lineas tales simul esse ; tamen duae naturales distinguuntur in subiecto ; ita quod, posito quod duo corpora sint simul, sequitur quod duae lineae sint simul, et duo puncta, et duae superficies.

 8. Quand le Christ est entr, les portes tant closes, deux corps furent ensemble, ce nest pas quelque chose de fait contre les principes de la gomtrie. Car en deux points des corps diffrents dun ct se terminait une ligne mais pas deux. Car, quoique deux lignes mathmatiques ne puisent pas tre distingues, sinon par le lieu, de sorte quon ne peut pas comprendre que deux lignes telles soient ensemble, cependant on distingue deux [lignes] naturelles dans le sujet, de sorte que, une fois les deux corps placs ensemble, il en dcoule que deux lignes sont ensemble, ainsi que deux points et deux surfaces.

 

 

 

Article 4 Faut-il juger le possible et limpossible selon les causes infrieures ou suprieures ?

q. 1 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum sit iudicandum aliquid possibile vel impossibile secundum causas inferiores aut secundum causas superioresEt videtur quod secundum causas superiores.

Il semble que ce soit selon les causes suprieures.

 

Objections : [93]

q. 1 a. 4Arg. 1 Quia sicut dicit quaedam Glossa [interl.] I Cor. I, 20 : stultitia sapientium mundi fuit, quia iudicaverunt possibile et impossibile secundum quod videbant in rerum natura. Ergo non est iudicandum de possibili et impossibili secundum causas inferiores, sed secundum superiores.(in X metaph., text comm. 1]

1. Comme le dit la glose (interlinaire) propos de 1 Co. 1, 20 :  La sottise des sages de ce monde fut quils jugrent du possible et de limpossible selon ce quils voyaient dans la nature . Donc on ne doit pas en juger selon les causes infrieures, mais selon les causes suprieures.

q. 1 a. 4Arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, illud quod est primum in omni genere, est mensura omnium quae sunt illius generis. Sed divina potentia est prima potentia. Ergo secundum eam debet aliquid iudicari possibile et impossibile.

2. Selon le philosophe (Mtaphysique (I) X, 1, 1052 b 18[94]) ce qui est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui appartient ce genre. Mais la puissance divine est la premire puissance. Donc c'est selon elle qu'on doit juger du possible et de l'impossible[95].

q. 1 a. 4Arg. 3 Praeterea, quanto causa magis influit in effectum, tanto secundum eam magis debet iudicium sumi. Sed causa prima magis influit in effectum quam causa secunda. Ergo secundum causam primam magis debet iudicari de effectu. Effectus ergo iudicandi sunt possibiles vel impossibiles secundum causas superiores.

3. Plus une cause a d'influence sur leffet, plus cest sur elle quon doit baser son jugement. Mais la cause premire influe plus sur leffet que la cause seconde[96]. Donc cest plus sur la cause premire quon doit juger de leffet. Donc les effets doivent tre jugs possibles ou impossibles selon les causes suprieures.

q. 1 a. 4Arg. 4 Praeterea, illuminare caecum est impossibile secundum causas inferiores ; et tamen hoc est possibile, cum quandoque fiat. Ergo non est iudicandum si aliquid impossibile sit, secundum causas inferiores, sed secundum superiores.

4. Rendre la vue un aveugle est impossible par les causes infrieures et cependant cela est possible, puisque cela arrive quelquefois. Donc il ne faut pas juger si quelque chose est impossible selon les causes infrieures mais selon les causes suprieures.

q. 1 a. 4Arg. 5 Praeterea, mundum fore fuit possibile antequam mundus esset. Non autem fuit possibile secundum causas inferiores. Ergo idem quod prius.

5. Que le monde existe a d tre possible avant quil existe[97]. Mais il ne fut pas possible selon les causes infrieures. Donc de mme que ci-dessus.

 

En sens contraire :

q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Secundum illam causam effectus debet iudicari possibilis a qua recipit possibilitatem. Sed effectus recipit possibilitatem vel contingentiam, aut etiam necessitatem, a causa proxima, non autem a remota ; sicut meritum recipit contingentiam a libero arbitrio, quod est causa proxima ; non autem necessitatem a praedestinatione divina, quae est causa remota. Ergo secundum causas inferiores, quae sunt proximae, debet iudicari aliquid possibile vel impossibile.

1. Leffet doit tre jug possible selon la cause dont il reoit sa possibilit. Mais leffet reoit sa possibilit, sa contingence ou mme sa ncessit de la cause la plus proche, et non dune cause loigne ; ainsi le mrite reoit sa contingence du libre arbitre qui est la cause la plus proche ; mais il ne reoit pas sa ncessit de la prdestination divine qui est sa cause loigne. Donc cest selon les causes infrieures, qui sont les plus proches, quon doit juger du possible ou de limpossible.

q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quod est possibile secundum causas inferiores, est etiam possibile secundum causas superiores, et ita est possibile secundum omnem modum. Sed quod est possibile secundum omnem modum, est possibile simpliciter. Ergo secundum causas inferiores est aliquid iudicandum possibile simpliciter.

2. Ce qui est possible selon les causes infrieures est aussi possible selon les causes suprieures, et ainsi cest possible de toute manire. Mais ce qui est possible de toute manire est absolument possible. Donc il faut juger du possible absolument selon les causes infrieures.

q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, causae superiores sunt necessariae. Si ergo secundum eas essent iudicandi effectus, omnes effectus erunt necessarii : quod est impossibile.

3. Les causes suprieures sont ncessaires. Donc si les effets devaient tre jugs selon elles, tous les effets seraient ncessaires, ce qui est impossible.

q. 1 a. 4 s. c. 4 Praeterea, Deo sunt omnia possibilia. Si ergo secundum ipsum possibile et impossibile iudicetur, omnino nihil est impossibile : quod est inconveniens.

4. Tout est possible Dieu. Si donc on juge selon lui du possible ou de limpossible, il n'y a absolument rien d'impossible ; ce qui ne convient pas.

q. 1 a. 4 s. c. 5 Praeterea, nominibus utendum est secundum quod plures loquuntur. Sed hoc modo homines loquuntur, quod sint ita ordinatae, potentia, dispositio, necessitas et actus. Haec autem inveniuntur in causis inferioribus non superioribus. Ergo non est iudicandum de possibilitate rerum secundum causas superiores, sed secundum inferiores.

5. Il faut utiliser les noms que la plupart des hommes emploient. Mais les hommes parlent de la puissance de telle manire que la puissance, la disposition, la ncessit et l'acte soient ordonns. Cela se trouve dans les causes infrieures et non dans les causes suprieures. Donc il ne faut pas juger de la possibilit selon les causes suprieures, mais selon les causes infrieures.

 

Rponse :

q. 1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod iudicium de possibili et impossibili potest considerari dupliciter : uno modo ex parte iudicantium ; alio modo ex parte eius de quo iudicatur.

On peut juger du possible et de limpossible de deux manires : dabord du ct de ceux qui jugent, dautre part de ct de ce qui est jug.

Quantum ad primum, sciendum est, quod si sunt duae scientiae, quarum una considerat causas altiores, et alia minus altas ; iudicium in utraque non eodem modo sumetur, sed secundum causas quas utraque considerat, ut patet in medico et astrologo ; quorum astrologus considerat causas supremas, medicus autem causas proximas. Unde medicus dabit iudicium de sanitate vel morte infirmi secundum causas proximas, id est virtutem naturae et virtutem morbi ; astrologus vero secundum causas remotas, scilicet secundum positionem siderum.

1) Pour le premier cas, il faut savoir que s'il y a deux sciences, dont lune considre les causes les plus hautes, et lautre les moins hautes, le jugement en lune et lautre nest pas pris de la mme manire, mais selon les causes que chacune considre, comme on le voit chez le mdecin et lastronome[98] ; ce dernier considre les causes suprmes, mais le mdecin les causes les plus proches. Donc le mdecin donnera son jugement sur la sant ou la mort du malade selon les causes les plus proches, cest--dire le pouvoir de la nature et celui de la maladie ; lastronome jugera selon les causes loignes, cest--dire selon la position des astres.

Eodem modo est in proposito. Est enim duplex sapientia : scilicet mundana, quae dicitur philosophia, quae considerat causas inferiores, scilicet causas causatas, et secundum eas iudicat ; et divina, quae dicitur theologia, quae considerat causas superiores, id est divinas, secundum quas iudicat. Dicuntur autem superiores causae, divina attributa, ut sapientia, bonitas, et voluntas divina, et huiusmodi.

Il en est de mme pour notre sujet. Car la sagesse est double : c'est--dire celle du monde, quon appelle philosophie, qui considre les causes infrieures, c'est--dire les causes causes[99], et qui juge selon elles ; et (la sagesse) divine quon appelle thologie qui considre les causes suprieures, c'est--dire divines, selon lesquelles elle juge. On appelle causes suprieures les attributs divins, comme la sagesse, la bont, et la volont[100], etc..

Sciendum tamen, quod ista quaestio frustra movetur de affectibus qui non possunt esse nisi superiorum causarum, id est quos solus Deus facere potest ; illos enim non convenit dici possibiles vel impossibiles secundum causas inferiores. Sed haec quaestio movetur de illis effectibus qui sunt causarum inferiorum : hi enim effectus sunt inferiorum et superiorum : sic enim potest in dubitationem verti. Similiter etiam ista quaestio non habet locum in illis possibilibus et impossibilibus, quae non dicuntur secundum aliquam potentiam, sed secundum se ipsa. Effectus autem causarum secundarum, de quibus est quaestio, secundum iudicium theologi, dicuntur possibiles et impossibiles secundum causas superiores ; secundum autem iudicium philosophi, dicuntur possibiles vel impossibiles secundum causas inferiores.

Cependant il faut savoir qu'on traite en vain cette question pour les effets qui ne peuvent tre que par des causes suprieures, cest--dire ceux que Dieu seul peut faire ; car il ne convient pas de les appeler possibles ou impossibles selon les causes infrieures. Ce sont les effets des causes infrieures et suprieures. Mais on traite cette question pour ces effets qui viennent des causes infrieures ; ainsi, en effet, elle peut tre mise en doute. De la mme manire cette question na pas place dans ce genre de possible ou dimpossible, dont on ne parle pas selon une puissance mais en soi. Les effets des causes secondes, dont il est question, selon le jugement du thologien, sont appeles possibles et impossibles selon les causes suprieures ; mais selon le jugement du philosophe, elles sont appeles possibles ou impossibles selon les causes infrieures.

Si autem consideretur istud iudicium quantum ad naturam eius de quo iudicatur, sic patet quod effectus debent iudicari possibiles secundum causas proximas, cum actio causarum remotarum, secundum causas proximas determinetur, quas praecipue effectus imitantur : et ideo secundum eas praecipue iudicium de effectibus sumitur. Et hoc patet etiam per simile passiva. Nam materia non dicitur, proprie loquendo, in potentia ad aliquid, quae est remota, sicut terra ad scyphum ; sed quae est propinqua, uno motore potens exire in actum, ut patet per philosophum [IX Metaph.], sicut aurum est potentia scyphus sola arte educente in actum. Et similiter effectus, in quantum est ex sui natura, non nisi propinquis causis possibiles vel impossibiles dicuntur.

2) Mais si on considre ce jugement quant sa nature par quoi on le juge, il est clair ainsi que les effets doivent tre jugs possibles selon les causes les plus proches, puisque laction des causes loignes est limite par les causes les plus proches, que les effets imitent surtout et cest pourquoi cest partir delles quon tire surtout le jugement sur ces effets. Et il apparat que c'est la mme chose pour la puissance passive. Car on ne dit pas, proprement parler, que la matire est en puissance quelque chose, si elle en est loigne comme largile pour une coupe, mais pour celle qui est proche, qui peut par un moteur passer en acte[101], comme on le voit chez le philosophe (Mtaphysique (q) IX, 1, 1046 a 12[102]). Ainsi lor est une coupe en puissance par le seul art qui lamne l'acte. Et de mme les effets, autant quil en est de leur nature, ne sont appels possibles ou impossibles que par les causes proches.

 

Solutions :

q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum dicendum, quod sapientes mundi propter hoc stulti vocantur, quia quae secundum causas inferiores sunt impossibilia simpliciter et absolute impossibilia iudicabant, etiam Deo.

 1. Les sages de ce monde sont appels des sots, parce quils jugeaient simplement et absolument impossible mme pour Dieu ce qui tait impossible selon les causes infrieures.

q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod comparatio possibilis ad potentiam, non est sicut mensurati ad mensuram, sed sicut obiecti ad potentiam. Contingit tamen divinam potentiam omnium potentiarum esse mensuram.

2. La comparaison du possible la puissance nest pas comme celle du mesure la mesure, mais comme celle de lobjet la puissance. Cependant il arrive que la puissance divine soit la mesure de toutes les puissances[103]

q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet causa prima maxime influat in effectum, tamen eius influentia per causam proximam determinatur et specificatur ; et ideo eius similitudinem imitatur effectus.

 3. Bien que la cause premire soit celle qui influe le plus sur leffet, cependant son influence est limite et spcifie par la cause la plus proche ; et cest pourquoi leffet est sa ressemblance.

q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis illuminare caecum sit Deo possibile, non tamen potest dici omnino possibile.

 4. Quoique rendre la vue laveugle soit possible Dieu, on ne peut cependant le dire comme tout fait possible[104].

q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod mundum fore, fuit possibile respectu causarum superiorum : unde hoc non pertinet ad quaestionem praesentem. Et propterea istud dictum : mundum fore, est possibile non solum secundum divinam potentiam activam, sed secundum se ipsum, quia termini non sunt discohaerentes.

 5. Il faut dire que le monde venir a t possible par rapport aux causes suprieures : c'est pourquoi cela ne concerne pas la prsente question. Et cause de cela, cette parole : le monde venir est possible non seulement selon la puissance divine active, mais en soi, parce que les termes ne sont pas contradictoires.

 

Rponse aux arguments en sens contraire :

q. 1 a. 4 ad s. c. 1 Ad primum quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad naturam effectus de quo iudicatur.

 1. Cette raison procde de la nature de leffet sur lequel porte le jugement.

q. 1 a. 4 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod licet illud quod est possibile secundum causas inferiores, sit etiam possibile secundum superiores, non tamen est ita de impossibili, immo magis e contrario ; unde non sequitur quod iudicium debeat sumi universale sive universaliter secundum causas inferiores de possibili et impossibili.

 2. Bien que ce qui est possible, selon les causes infrieures, soit aussi possible selon les causes suprieures, cependant il nen est pas de mme pour limpossible, bien au contraire. C'est pourquoi il n'en dcoule pas que le jugement doit tre pris comme universel ou universellement selon les causes infrieures au sujet du possible et de limpossible.

q. 1 a. 4 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod non iudicantur aliqua impossibilia vel possibilia secundum aliquas causas, quia sint similes illis causis in possibilitate vel in impossibilitate, sed quia causis illis sunt possibiles vel impossibiles.

 3. Le possible et limpossible ne sont pas jugs selon des causes, parce qu'ils leur seraient semblables en possibilit et impossibilit, mais parce qu'ils sont possibles ou impossibles par ces causes.

q. 1 a. 4 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod secundum considerationem theologi, omnia illa quae non sunt in se impossibilia, possibilia dicuntur, secundum illud, Marc. IX, 22 : Omnia possibilia sunt credenti ; et : non est impossibile apud Deum omne verbum : Luc. I, 37.

 4. Selon la considration du thologien, tout ce qui nest pas en soi impossible est appel possible, selon ce mot de Mc (9, 22) : Tout est possible celui qui croit et Aucune parole nest impossible Dieu (Lc 1, 37).

q. 1 a. 4 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod licet omnia illa in causis superioribus non inveniantur, tamen causis superioribus sunt subiecta ; et propterea obiectio illa procedit passiva, non de activa de qua nunc loquimur..

 5. Bien quon ne trouve pas tout cela[105] dans les causes suprieures, cependant cela est soumis des causes suprieures et c'est pourquoi cette objection procde de la puissance passive et non de la puissance active dont nous parlons maintenant.

 

 

 

Article 5 Dieu peut-il faire ce quil ne fait pas et abandonner ce quil fait ?

q. 1 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum Deus possit facere quae non facit et dimittere quae facit. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[106]

q. 1 a. 5Arg. 1 Deus non potest facere nisi quod praescit se facturum. Sed non praescit se facturum nisi quod facit. Ergo Deus non potest facere nisi quod facit.

1. Dieu ne peut faire que ce quil prvoit de faire. Mais il ne prvoit de faire que ce quil fait. Donc Dieu ne peut faire que ce quil fait.

q. 1 a. 5Arg. 2 Sed dicit respondens, quod ratio ista procedit de potentia in ordine ad praescientiam, non de potentia absoluta.- Sed contra, immobiliora sunt divina humanis. Sed apud nos quae fuerunt, non possunt non fuisse. Ergo multo minus quae Deus praescivit, non potest non praescivisse. Sed praescientia manente, non potest alia facere. Ergo Deus, absolute loquendo, non potest alia facere quam quae facit.

2. Mais, dit celui qui rpond : cette raison procde de la puissance en rapport avec la prescience, mais pas de la puissance absolue. En sens contraire, le divin est plus immuable que lhumain. Mais pour nous ce qui a t ne peut pas ne pas avoir t. Donc encore beaucoup moins ce que Dieu a prvu, il ne peut pas ne pas lavoir prvu. Mais si la prescience demeure, il ne peut pas faire autre chose. Donc Dieu, absolument parlant, ne peut faire autre chose que ce quil fait.

q. 1 a. 5Arg. 3 Praeterea, sicut divina natura est immutabilis, ita et divina sapientia. Sed ponentes Deum agere ex necessitate naturae ponebant eum non posse alia quam quae fecit. Ergo similiter et nos debemus ponere, qui dicimus Deum agere secundum ordinem sapientiae.

3. La nature de Dieu est immuable, sa sagesse aussi. Mais ceux[107] qui pensaient que Dieu agissait par ncessit de nature pensaient quil ne peut faire autre chose que ce quil a fait. Donc, de la mme faon, nous devons aussi le penser, nous qui disons que Dieu agit selon lordre de sa sagesse[108].

q. 1 a. 5Arg. 4 Sed dicet respondens, quod ratio ista procedit de potentia regulata per sapientiam, non de potentia absoluta. - Sed contra, illud quod non potest fieri secundum ordinem sapientiae absolute homini Christo impossibile dicitur ; quamvis illud potuerit absoluta. Dicitur enim Ioan. VIII, 55 : Si dixero quod non novi eum, ero similis vobis mendax. Poterat enim Christus haec verba pronuntiare ; sed quia contra ordinem sapientiae erat, dicitur absolute, quod Christus non potuerit mentiri. Ergo multo amplius quod non est secundum ordinem sapientiae, absolute loquendo, Deus non potest.

4. Mais dira celui qui nous rpond : cette raison procde de la puissance ordonne par la sagesse, non de la puissance absolue. En sens contraire, on dit que ce qui ne peut pas tre fait selon lordre de la sagesse est absolument impossible pour le Christ en tant quhomme, bien que la puissance absolue l'aurait pu. Car il est dit en Jn (8, 55) : Si je vous avais dit que je ne le connais pas, je serais menteur, comme vous. Le Christ pouvait, en effet, prononcer ces paroles ; mais parce que cՎtait contre lordre de la sagesse, on dit de faon absolue quil na pas pu mentir. Donc beaucoup plus, Dieu ne peut pas, absolument parlant, ce qui nest pas selon lordre de la sagesse.

q. 1 a. 5Arg. 5 Praeterea, in Deo duo contradictoria simul esse non possunt. Sed absolutum et regulatum contradictionem implicant ; nam absolutum est quod secundum se consideratur ; illud vero quod regulatur, ordinem ad aliud habet. Ergo in Deo non debet poni potentia absoluta et regulata.

5. Deux choses contradictoires ne peuvent exister pas en Dieu en mme temps. Mais ce qui est absolu et ce qui est ordonn[109] impliquent contradiction, car labsolu est ce qui est considr en soi, mais ce qui est ordonn a rapport un autre. Donc en Dieu on ne doit pas poser une puissance absolue et une puissance ordonne.

q. 1 a. 5Arg. 6 Praeterea, potentia et sapientia Dei sunt aequales. Una ergo aliam non excedit ; potentia ergo absque sapientia esse non potest ; et ita potentia divina semper est sapientia regulata.

6. La puissance et la sagesse de Dieu sont gales. Donc lune nexcde pas lautre ; donc la puissance ne peut exister sans la sagesse et ainsi la puissance divine est toujours ordonne la sagesse.

q. 1 a. 5Arg. 7 Praeterea, quod Deus fecit, est iustum. Sed non potest facere nisi iustum. Ergo non potest facere nisi quod fecit vel faciet.

7. Ce que Dieu a fait est juste. Mais il ne peut faire que ce qui est juste. Donc il ne peut faire que ce quil a fait ou fera.

q. 1 a. 5Arg. 8 Praeterea, bonitatis divinae est ut non solum se communicet, sed ordinatissime se communicet. Sic ergo ea quae fiunt a Deo, ordinate fiunt. Sed praeter ordinem Deus facere non potest. Ergo non potest facere alia quam quae fecit.

8. Le propre de la bont divine est non seulement de se communiquer, mais de le faire avec beaucoup dordre. Ainsi donc ce qui est fait par Dieu est fait de manire ordonne. Mais il ne peut pas le faire contre lordre. Donc il ne peut faire autre chose que ce quil a fait.

q. 1 a. 5Arg. 9 Praeterea, Deus non potest facere nisi quod vult ; quia in agentibus per voluntatem potentia sequitur voluntatem, velut imperantem. Sed non vult nisi quae facit. Ergo non potest facere nisi quod facit.

9. Dieu ne peut faire que ce quil veut, parce que, pour ceux qui agissent par volont, la puissance suit la volont, en tant qu'elle gouverne. Mais il ne veut que ce quil fait. Donc il ne peut faire que ce quil fait.

q. 1 a. 5Arg. 10 Praeterea, Deus, cum sit sapientissimus operator, nihil agit sine ratione. Rationes autem quibus Deus agit, Dionysius [V cap. De div. Nom.] dicit esse productivas existentium ; existentia autem sunt quae sunt ; et sic Deus rationes non habet nisi eorum quae sunt. Ergo non potest facere nisi ea quae facit.

10. Puisque Dieu est un  ouvrier  suprmement sage, il ne fait rien sans raison. Denys (Les noms divins, 5) dit que les raisons[110] pour lesquelles Dieu agit, produisent ce qui existe ; mais ce qui existe est ce qui est, et ainsi Dieu na de raisons (dides) que de ce qui est. Donc il ne peut faire que ce quil fait.

q. 1 a. 5Arg. 11 Praeterea, secundum philosophos, res naturales sunt in primo motore, qui Deus est, sicut artificiata in artifice ; et sic Deus operatur tamquam artifex. Sed artifex non operatur sine forma vel idea sui operis ; domus enim quae est in materia, est a domo quae est in mente artificis, secundum philosophum [II de Gener. Animal., cap. I]. Sed Deus non habet ideas nisi eorum quae fecit, vel facit, vel facturus est. Ergo praeter hoc Deus nihil agere potest.

11. Selon les philosophes, les tres naturels sont dans le premier moteur qui est Dieu, comme les uvres[111] dans [l'esprit de] lartisan et ainsi Dieu opre comme un artisan. Mais lartisan nopre pas sans forme ni ide de son uvre ; car la maison qui est dans la matire tire son origine de la maison qui est dans lesprit de lartisan, selon le Philosophe (La gnration des animaux, II, 1). Mais Dieu na d'ides que de ce quil a fait, de ce quil fait ou fera. Donc, en dehors de cela, Dieu ne peut rien faire.

q. 1 a. 5Arg. 12 Praeterea, Augustinus in Lib. de symbolo dicit : Hoc solum Deus non potest nisi quod non vult. Sed non vult nisi quae fecit. Ergo non potest nisi quae facit.

12. Augustin dans Le symbole, dit : Dieu ne peut pas que ce quil ne veut pas. Mais il ne veut que ce quil a fait. Donc il ne peut faire que ce quil fait.

q. 1 a. 5Arg. 13 Praeterea, Deus mutari non potest. Ergo non se habet ad utrumlibet contrariorum ; et sic sua potentia est determinata ad unum. Ergo non potest facere nisi quae facit.

13. Dieu ne peut pas subir de changement. Donc il n'a faire aucun de deux contraires[112] ; et ainsi sa puissance est limite un seul objet. Donc il ne peut faire que ce quil fait.

q. 1 a. 5Arg. 14 Praeterea, quidquid Deus facit aut dimittit, facit aut dimittit optima ratione. Sed Deus non potest facere aliquid aut dimittere nisi optima ratione. Ergo non potest facere nec dimittere, nisi quod facit aut dimittit.

14. Tout ce que Dieu fait ou omet, il le fait ou l'omet pour la meilleure raison. Mais Dieu ne peut le faire ou l'omettre que pour la meilleure raison. Donc il ne peut faire ni abandonner que ce quil fait ou abandonne.

q. 1 a. 5Arg. 15 Praeterea, optimi est optima adducere, secundum Platonem, et sic Deus, cum sit optimus, optimum facit. Sed optimum cum sit superlativum, uno modo est. Ergo Deus non potest facere alio modo vel alia quam quae fecit.

15. Cest au meilleur dՐtre cause du meilleur selon Platon[113],, et ainsi comme Dieu est le meilleur, il fait ce quil y a de meilleur. Mais comme le meilleur est un superlatif, il nexiste que dune seule manire. Donc Dieu ne peut pas faire dautre manire ou dautres choses que ce quil a fait.

 

En sens contraire :

q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit Christus Deus et homo : Matth. XXVI, 53 : An non possum rogare patrem ? Poterat ergo Christus aliquid quod non faciebat.

1. Il y a ce que dit le Christ, Dieu et homme : (Mt. 26, 53) : Ne puis-je pas prier mon Pre ? Donc le Christ pouvait faire ce quil ne faisait pas.

q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Ephes. III, 20, dicitur : Ei qui potest omnia facere superabundanter quam intelligimus aut petimus. Non tamen omnia facit. Ergo potest alia facere quam quae facit.

2. En Ep. 3, 20, il est dit : A celui qui peut tout faire bien au-del de ce que nous pensons ou demandons. Cest donc quil ne fait pas tout. Donc il peut faire dautres choses que ce quil fait.

q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, potentia Dei est infinita. Hoc autem non esset si determinaretur ad ea tantum quae facit : ergo potest alia facere quam quae facit.

3. La puissance de Dieu est infinie. Mais cela ne serait pas si elle tait limite seulement ce quil fait ; donc il peut faire autre chose que ce quil fait.

q. 1 a. 5 s. c. 4 Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit, quod omnipotentiae Dei non adaequatur opus. Ergo potentia excedit opus : et ita plura potest facere quam quae facit.

4. Hugues de Saint Victor dit que luvre de Dieu nՎgale pas sa toute-puissance. Donc sa puissance excde son uvre et ainsi il peut faire plus que ce quil fait.

q. 1 a. 5 s. c. 5 Praeterea, potentia Dei est actus non finitus, quia non per aliquid finitur. Hoc autem non esset, si limitaretur ad ea quae facit. Ergo idem quod prius.

5. La puissance de Dieu est un acte infini, parce quelle nest limite par rien[114]. Cela ne serait pas, si elle se limitait ce quil fait. Donc de mme que ci-dessus.

 

Rponse :

q. 1 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod hic error, scilicet Deum non posse facere nisi quae facit, duorum fuit :

Cette erreur, que Dieu ne peut faire que ce quil fait, vient de deux opinions :

primo fuit quorumdam philosophorum dicentium Deum agere ex necessitate naturae. Quod si esset, cum natura sit determinata ad unum, divina potentia ad alia agenda se extendere non posset quam ad ea quae facit.

1) Dabord elle fut celle de certains philosophes[115] qui disaient que Dieu agit par ncessit de nature. Si c'tait vrai, comme sa nature serait limite un seul objet[116], la puissance divine ne pourrait parvenir faire dautres choses, que ce quil fait.

Secundo fuit quorumdam theologorum considerantium ordinem divinae iustitiae et sapientiae, secundum quem res fiunt a Deo, quem Deum praeterire non posse dicebant ; et incidebant in hoc, ut dicerent, quod Deus non potest facere nisi quae facit. Et imponitur hic error magistro Petro Almalareo [Abaelardo ?]

2) Ensuite, elle fut celle de certains thologiens qui, considrant lordre de sa justice et de sa sagesse selon laquelle les choses sont faites par Dieu, disaient qu'il ne pouvait passer outre, et ils en arrivaient dire qu'il ne peut faire que ce quil fait. Et on attribue cette erreur au matre Pierre Ablard[117].

A. - Harum ergo positionum veritatem inquiramus, vel falsitatem ; et primo primae. Quod enim Deus non agat ex necessitate naturae planum est videre. Omne enim agens agit propter finem, quia omnia optant bonum. Actio autem agentis, ad hoc quod sit conveniens fini, oportet quod ei adaptetur et proportionetur quod non potest fieri nisi ab aliquo intellectu, qui finem et rationem finis cognoscat, et proportionem finis ad id quod est ad finem ; aliter convenientia actionis ad finem casualis esset. Sed intellectus praeordinans in finem, quandoque quidem est coniunctus agenti vel moventi, ut homo in sua actione ; quandoque separatus, ut patet in sagitta, quae ad determinatum finem tendit, non per intellectum sibi coniunctum, sed per intellectum hominis ipsam dirigentem. Impossibile est autem, id quod agit ex naturae necessitate, sibi ipsi determinare finem : quia quod est tale, est ex se agens ; et quod est agens vel motum ex se ipso, in ipso est agere vel non agere, moveri vel non moveri, ut dicitur VIII Physic., et hoc non potest competere ei quod ex necessitate movetur, cum sit determinatum ad unum.

A) Cherchons donc la vrit ou la fausset de ces positions et d'abord de la premire. Il est ais de voir que Dieu nagit pas par ncessit de nature. Car tout agent agit en vue dune fin, parce que tout aspire au bien. Laction de lagent du fait qu'elle s'accorde une fin, doit lui tre adapte et proportionne, ce qui ne peut se faire que par un intellect qui connat la fin, sa nature et son rapport avec la fin qui la concerne ; autrement la conformit de laction sa fin serait fortuite. Mais lintellect qui pr-ordonne une fin, quelquefois est joint lagent ou au moteur, comme lhomme dans son action ; quelquefois il en est spar, comme cela apparat dans la flche qui tend un but dtermin, non par un intellect qui lui est ajout, mais par celui de lhomme qui la dirige. Il est impossible que ce qui agit par ncessit de nature, dtermine une fin pour soi, parce que ce qui est tel est agent par soi, et ce qui est agent ou m par soi agit ou pas, se meut ou pas, comme il est dit en Physique (VIII), et cela ne peut convenir ce qui est m par ncessit, puisqu'il est limit un seul objet.

Unde oportet quod omni ei quod agit ex necessitate naturae, determinetur finis ab aliquo quod sit intelligens. Propter quod dicitur a philosophis, quod opus naturae est opus intelligentiae. Unde si aliquando aliquod corpus naturale adiungitur alicui intellectui, sicut in homine patet, quantum ad illas actiones quibus intellectus illius finem determinat, obedit natura voluntati, sicut ex motu locali hominis patet : quantum vero ad illas actiones in quibus ei finem non determinat, non obedit, sicut in actu nutrimenti et augmenti. Ex his ergo colligitur quod id quod ex necessitate natura agit, impossibile est esse principium agens, cum determinetur sibi finis ab alio. Et sic patet quod impossibile est Deum agere ex necessitate naturae ; et ita radix primae positionis falsa est.

C'est pourquoi il faut que, pour tout ce qui agit par ncessit de nature, la fin soit programme par un tre intelligent. En raison de quoi les philosophes disent que luvre de la nature est l'uvre dune intelligence. C'est pourquoi, si quelquefois un corps naturel est uni un intellect, comme on le voit dans lhomme, pour ces actions pour lesquelles son intellect dtermine une fin, la nature obit la volont, comme cela apparat dans ses dplacements : mais pour les actions pour lesquelles il ne dtermine pas de fin, elle nobit pas, comme pour la nourriture ou la croissance. Par l on comprend que pour ce que fait la nature par ncessit il est impossible que ce soit un principe agent puisque sa fin est dtermine par un autre. Donc il est clair quil est impossible que Dieu agisse par ncessit de nature ; ainsi le fondement de la premire proposition est fausse.

B. - Sic autem restat investigare de secunda positione. Circa quod sciendum est, quod dupliciter dicitur aliquis non posse aliquid. Uno modo absolute ; quando scilicet aliquid principiorum, quod sit necessariam actioni, ad actionem illam non se extendit ; ut si pes sit confractus, homo non potest ambulare.

B) Il reste faire des recherches sur la seconde proposition : ce sujet il faut savoir quon dit que quelquun ne peut pas quelque chose de deux manires :a) Lune, de manire absolue, quand par exemple un des principes, qui serait ncessaire pour laction, ne sՎtend pas jusquՈ elle ; ainsi avec un pied cass, lhomme ne peut pas marcher.

Alio modo ex suppositione ; posito enim opposito alicuius actionis, actio fieri non potest ; non enim possum ambulare dum sedeo. Cum autem Deus sit agens per voluntatem et intellectum, ut probatum est, oportet in ipso tria actionis principia considerare ; et primo intellectum, secundo voluntatem, tertio potentiam naturae. Intellectus ergo voluntatem dirigit, voluntas vero potentiae imperat quae exequitur. Sed intellectus non movet nisi in quantum proponit voluntati suum appetibile ; unde totum movere intellectum est in voluntate.

b) Lautre par hypothse, car si on tablit ce qui soppose laction, celle-ci ne peut tre accomplie ; en effet, je ne peux pas marcher tant que je suis assis. Comme Dieu est un agent par volont et intellect, comme on la prouv, il faut considrer en lui trois principes daction ; lintellect, la volont, et la puissance de sa nature. Donc lintellect dirige la volont, et la volont commande la puissance qui lexcute. Mais lintellect ne met en mouvement que dans la mesure o il propose la volont ce qui est dsirable pour elle ; donc mouvoir tout lintellect dpend de la volont.

Sed dupliciter dicitur Deum absolute non posse aliquid.

Mais on dit que Dieu ne peut absolument pas quelque chose de deux manires :

Uno modo quando potentia Dei non se extendit in illud : sicut dicimus quod Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, ut ex supra dictis patet. Sic autem non potest dici quod Deus non potest facere nisi quod facit ; constat enim quod potentia Dei ad multa alia potest se extendere.

a) Dune premire manire quand sa puissance ne sՎtend pas jusquՈ l ; ainsi nous disons quil ne peut pas faire que laffirmation et la ngation soient vraies en mme temps, comme le montre ce quon a dit plus haut. Mais on ne peut pas dire que Dieu ne peut faire que ce quil fait ; car il est clair que sa puissance peut sՎtendre beaucoup dautres effets.

Alio modo quando voluntas Dei ad illud se extendere non potest. Oportet enim quod quaelibet voluntas habeat aliquem finem quem naturaliter velit, et cuius contrarium velle non possit ; sicut homo naturaliter et de necessitate vult beatitudinem, et miseriam velle non potest. Cum hoc autem quod voluntas velit necessario finem suum naturalem, vult etiam de necessitate ea sine quibus finem habere non potest, si hoc cognoscat ; et haec sunt quae sunt commensurata fini ; sicut si volo vitam, volo cibum. Ea vero sine quibus finis haberi potest, quae non sunt fini commensurata ; non de necessitate vult.

b) Dune autre manire, quand la volont de Dieu ne peut pas sՎtendre jusquՈ l. Car il faut que nimporte quelle volont ait une fin quelle veut naturellement, et quelle ne puisse pas vouloir le contraire ; ainsi lhomme naturellement et par ncessit veut son bonheur et il ne peut pas vouloir le malheur. Mais comme la volont veut ncessairement sa fin naturelle, elle veut aussi par ncessit ce sans quoi elle ne peut obtenir cette fin, si elle la connat ; et c'est ce qui est proportionn la fin ; ainsi si on veut la vie, on veut la nourriture. Mais ce sans quoi on ne peut atteindre la fin qui nest pas proportionn cette fin, elle ne le veut pas par ncessit.

Finis ergo naturalis divinae voluntatis est eius bonitas, quam non velle non potest. Sed fini huic non commensurantur creaturae, ita quod sine his divina bonitas manifestari non possit ; quod Deus intendit ex creaturis. Sicut enim manifestatur divina bonitas per has res quae nunc sunt et per hunc rerum ordinem, ita potest manifestari per alias creaturas et alio modo ordinatas : et ideo divina voluntas absque praeiudicio bonitatis, iustitiae et sapientiae, potest se extendere in alia quam quae facit. Et in hoc fuerunt decepti errantes : aestimaverunt enim ordinem creaturarum esse quasi commensuratum divinae bonitati quasi absque eo esse non posset.

Donc la fin naturelle de la volont de Dieu est sa bont, qu'il ne peut pas ne pas vouloir. Mais les cratures ne sont pas proportionnes cette fin, de sorte que la bont divine ne puisse pas manifester sans elles ce que Dieu atteint par elles. Car, de mme que la bont divine se manifeste par ce qui est maintenant et par cet ordre des choses, de mme elle peut se manifester par dautres cratures, ordonnes autrement ; et cest pourquoi la volont divine, sans prjudice de sa bont, de sa justice et de sa sagesse, peut sՎtendre dautres choses que ce quil fait. Et c'est en cela que ceux qui sont dans l'erreur se sont tromps : car ils ont pens que lordre des cratures tait proportionn la bont divine comme si, sans lui, cet ordre ne pouvait pas exister.

Patet ergo quod absolute Deus potest facere alia quam quae fecit. Sed quia ipse non potest facere quod contradictoria sint simul vera, ex suppositione potest dici, quod Deus non potest alia facere quam quae fecit : supposito enim quod ipse non velit alia facere, vel quod praesciverit se non alia facturum, non potest alia facere, ut intelligatur composite, non divisim.

Il est donc clair que Dieu peut absolument faire d'autres choses que ce quil fait. Mais, parce quil ne peut pas faire que les contradictoires soient vrais en mme temps, on peut dire par hypothse que Dieu ne peut pas faire autre chose que ce quil a fait : car suppos que lui-mme ne veuille pas faire autre chose ou quil ait prvu quil ne ferait rien dautre, il ne peut pas faire autre chose, pour quon le comprenne avec ordre et non sparment.

 

Solutions :

q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec locutio, Deus non potest facere nisi quod praescit se facturum, est duplex : quia exceptio potest referri ad potentiam quae importatur per ly potest, vel ad actum, qui importatur per ly facere. Si primo modo, tunc locutio est falsa. Plura enim potest facere quam praesciat se facturum ; et in hoc sensu ratio procedebat. Si autem secundo modo, sic locutio est vera ; et est sensus, quod non potest esse quod aliquid fiat a Deo, et non sit a Deo praescitum. Sed hic sensus non est ad propositum.

 1. Cette proposition : "Dieu ne peut faire que ce quil prvoit de faire", a deux sens. La restriction peut porter sur la puissance dsigne par potest (peut), ou sur lacte dsign par facere (faire[118]). Selon le premier sens la proposition est fausse. Car il peut faire plus quil ne prvoit de faire ; et c'est en ce sens que l'objection tait avance. Si cest selon lautre sens, la proposition est vraie, et le sens est qu'il nest pas possible que quelque chose soit fait par Dieu sans qu'il l'ait prvu. Mais ce sens ne convient pas notre propos.

q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Deo non cadit praeteritum et futurum ; sed quidquid est in eo, est totum in praesenti aeternitatis. Nec praeteritum vel futurum in eo verbum significatur, nisi per respectum ad nos ; unde non habet hic locum obiectio de necessitate praeteriti. Nihilominus dicendum est, quod obiectio non est ad propositum : quia praescientia non commensuratur potentiae faciendi, de qua est quaestio ; sed solum divinae actioni, ut dictum est.

 2. En Dieu, il ny a ni pass ni futur, mais tout ce qui est en lui est tout entier dans un prsent dՎternit. Le mot de pass et de futur na de sens en lui que par rapport nous. C'est pourquoi lobjection sur la ncessit du pass na pas dobjet ici. Cependant il faut dire que lobjection est hors sujet : parce que la prescience nest pas proportionne la puissance d'agir dont il est question ; mais seulement laction divine, comme on la dit.

q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi qui dicebant Deum agere ex necessitate naturae, ponebant positionem de qua agitur, non solum ratione immutabilitatis naturae, sed ratione determinationis naturae ad unum. Sapientia autem divina non est determinata ad unum, sed se habet ad multa scienda ; unde non est simile.

 3. Ceux qui disaient que Dieu agit par ncessit de nature, prenaient cette position, non seulement en raison de limmutabilit de sa nature[119], mais de sa dtermination un seul objet. La sagesse de Dieu nest pas limite un seul objet mais elle est pour connatre beaucoup de choses. C'est pourquoi ce nest pas pareil.

q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus non poterat velle dicere illa verba absolute, quae mendacium important, sine praeiudicio suae bonitatis. Sic autem non est in proposito, ut ex dictis patet ; et ideo non sequitur.

 4. Le Christ ne pouvait pas, dans labsolu, vouloir dire ces paroles, qui apportent un mensonge, sans prjudice pour sa bont. Mais ce nest pas notre sujet, comme on le voit par ce qui a t dit, et cest pourquoi cela ne vaut pas.

q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod absolutum et regulatum non attribuuntur divinae potentiae nisi ex nostra consideratione : quae potentiae Dei in se consideratae, quae absoluta dicitur, aliquid attribuit quod non attribuit ei secundum quod ad sapientiam comparatur, prout dicitur ordinata.

 5. Labsolu et ce qui est ordonn ne sont attribus la puissance divine que par notre rflexion. A cette puissance de Dieu, considre en soi, qu'on appelle absolue, elle attribue quelque chose quelle ne lui a pas attribu selon quelle est compare la sagesse, dans la mesure o on la dit ordonne.

q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentia Dei numquam est in re sine sapientia : sed a nobis consideratur sine ratione sapientiae.

 6. La puissance de Dieu n'est jamais en ralit sans sagesse ; mais c'est nous qui la considrons sans rapport avec elle.

q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus fecit quidquid est iustum in actu, non autem quidquid est iustum in potentia ; potest enim aliquid facere quod nunc non est iustum, quia non est : tamen si esset, faceret iustum.

 7. Dieu a fait tout ce qui est juste en acte, mais pas tout ce qui est juste en puissance ; car il peut faire une chose qui maintenant nest pas juste, parce quelle nexiste pas : cependant si elle existait, il la ferait juste.

q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod divina bonitas potest se communicare ordinate, non solum isto modo quo res operatur, sed multis aliis.

 8. La divine bont peut se communiquer avec ordre, non seulement de la manire dont elle opre, mais de nombreuses autres manires.

q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus non velit facere nisi quae facit, potest tamen alia velle ; et ideo, absolute loquendo, potest alia facere.

 9. Bien que Dieu ne veuille faire que ce quil fait, il peut cependant vouloir dautres choses, et cest pourquoi, absolument parlant, il peut en faire d'autres.

q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod rationes illas, de quibus Dionysius loquitur, intelligit esse productivas existentium absolute, non solum autem eorum quae nunc sunt in actu.

 10. Denys comprend que ces raisons dont il parle sont productives d'tres dans labsolu, mais pas seulement de ceux qui sont en acte maintenant.

q. 1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in hac quaestione versatur, utrum eorum quae nec sunt, nec erunt, nec fuerunt, quae tamen Deus facere potest, sit idea. Videtur dicendum, quod si idea secundum completam rationem accipiatur, scilicet secundum quod idea nominat formam artis, non solum intellectu excogitatam, sed etiam per voluntatem ad opus ordinatam, sic praedicta non habent ideam ; si vero accipiatur secundum imperfectam rationem, prout scilicet est solum excogitata in intellectu artificis, sic habent ideam. Patet enim in artifice creato quod excogitat aliquas operationes quas nunquam operari intendit. In Deo vero quidquid ipse cognoscit, est in eo per modum excogitati ; cum in ipso non differat cognoscere actu et habitu. Ipse enim novit totam potentiam suam, et quidquid potest : unde omnium quae potest habet rationes quasi excogitatas.

 11. Dans cette question, on cherche savoir si ce qui n'est pas, ne sera pas et n'a pas t, et que cependant Dieu peut raliser est une ide. Il semble quil faut dire que, si on conoit lide, selon sa pleine acception, cest--dire selon que lide dsigne une forme de lart, non seulement pense par lesprit, mais aussi ordonne luvre par la volont, ce dont on parle na pas dide, mais si on le prend selon une raison imparfaite dans la mesure o elle est seulement pense dans lintellect de lartisan, alors ce dont on parle a une ide. Car on voit dans lartisan cre quil invente des oprations quil na jamais lintention de faire. Mais ce quil connat lui-mme est en lui par mode dinvention ; puisquil ny a pas en lui de diffrence entre connatre en acte et en habitus[120]. Car il connat lui-mme toute sa puissance, et tout ce qu'il peut. C'est pourquoi il possde les raisons de tout ce quil peut, en tant quelles sont penses.

q. 1 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod intelligendum est hoc Deum non posse quod non vult se posse : et sic non facit ad propositum.

 12. Il faut comprendre que Dieu ne peut pas ce quil ne veut pas pouvoir et c'est dessein qu'il ne le fait pas.

q. 1 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet Deus sit immutabilis, tamen eius voluntas non est determinata ad unum in his quae facienda sunt : et ideo habet liberum arbitrium.

 13. Bien que Dieu soit immuable, cependant sa volont nest pas dtermine un seul objet parmi ce quil doit faire et cest pourquoi il a le libre arbitre.

q 1 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicen. dum, quod optima ratio, qua Deus omnia facit, est sua bonitas et sua sapientia : quae maneret, etiam si alia, vel alio modo faceret.

 14. La meilleure raison, par laquelle Dieu fait tout, cest sa bont et sa sagesse, qui demeureraient mme sil faisait dautres choses ou dune autre manire.

q. 1 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod illud quod facit, est optimum per ordinem ad Dei bonitatem : et ideo quidquid aliud est ordinabile ad eius bonitatem secundum ordinem suae sapientiae, est optimum.

 15. Ce que Dieu fait est le meilleur par rapport sa bont et cest pourquoi toute autre chose qui peut tre ordonne sa bont selon lordre de sa sagesse est le meilleur.

 

 

 

Article 6 Dieu peut-il faire ce qui est possible dautres, comme pcher, marcher etc. ?

q. 1 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum Deus possit facere quae sunt aliis possibilia, ut peccare, ambulare et huiusmodi. Et videtur quod sic.

Il semble que oui :

 

Objections :[121]

q. 1 a. 6Arg. 1 Quia Augustinus dicit [Enchirid., cap. CV] quod melior est natura quae potest peccare, quam quae peccare non potest. Sed omne quod est optimum, est Deo attribuendum. Ergo Deus potest peccare.

1. Parce quAugustin (Enchiridium, 105[122]) dit que meilleure est la nature qui peut pcher que celle qui ne le peut pas. Mais tout ce qui est le meilleur doit tre attribu Dieu. Donc il peut pcher.

q. 1 a. 6Arg. 2 Praeterea, illud quod est laudabilitatis, non debet Deo subtrahi. Sed in laudem viri dicitur Eccli. XXXI, 10 : Qui potuit transgredi et non est transgressus. Ergo posse transgredi et non transgredi Deo debet attribui.

2. On ne doit pas retirer Dieu ce qui est digne de louange. Mais la louange de lhomme, lEcclsiaste (Si 31, 10) dit : Qui a pu pcher et n'a pas pch Donc le pouvoir de pcher et ne pas pcher doit tre attribu Dieu.

q. 1 a. 6Arg. 3 Praeterea, philosophus dicit [lib. IV, Topic. CaP. V] : Potest Deus et studiosus prava agere. Ergo Deus potest peccare.

3. Le Philosophe dit (Topique. IV, 5, 126 a 37-39[123]) : Dieu peut et avec zle faire de mauvaises actions. Donc Dieu peut pcher.

q. 1 a. 6Arg. 4 Praeterea, quicumque consentit in peccatum mortale, peccat mortaliter. Sed quicumque praecipit peccatum mortale, consentit, immo quodammodo principaliter facit. Cum ergo Deus praeceperit peccatum mortale Abrahae, scilicet quod interficeret filium innocentem ; et Oseae, quo acciperet mulierem fornicariam, et faceret ex ea filios fornicationis, et Semei, ut malediceret David, ut habetur II Reg. XVI, 7, quem constat peccasse ex poena sibi inflicta III Reg. II, 36, videtur quod ipse peccaverit mortaliter.

4. Quiconque consent un pch mortel, pche mortellement. Mais quiconque l'ordonne consent ; bien plus d'une certaine manire c'est surtout lui qui l'accomplit. Donc, comme Dieu a ordonn un pch mortel Abraham, savoir tuer son fils innocent (Gn 22, 2) ; Ose (Os.1, 2), de prendre pour pouse une prostitue et d'avoir d'elle des enfants de prostitution et Shime (II Sam. 16, 7) de maudire David, lequel est reconnu avoir pch, vu le chtiment qui lui fut inflig (I Rois 2, 36[124]), il semble que Dieu a lui-mme pch mortellement.

q. 1 a. 6Arg. 5 Praeterea, quicumque cooperatur peccanti mortaliter, ipse peccat mortaliter. Sed Deus cooperatur peccanti mortaliter : ipse enim operatur in omni operatione, et per consequens in omni eo qui mortaliter peccat. Ergo Deus peccat.

5. Quiconque coopre avec qui pche mortellement, pche mortellement lui aussi. Mais Dieu coopre avec celui qui pche mortellement, car il agit lui-mme dans toute opration[125] et par consquent dans tout homme qui pche mortellement. Donc Dieu pche.

q. 1 a. 6Arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit [in lib. De gratia et libero arbitrio, cap. XXI, ut habetus in Glossa, Rom.1], quod Deus operatur in cordibus hominum, inclinando voluntates eorum in quodcumque voluerit, sive in bonum, sive in malum. Sed inclinare voluntatem hominis in malum, est peccatum. Ergo Deus peccat.

6. Augustin dit (De la grce et du libre arbitre, ch. 21), comme on le voit dans la glose, (Rm 1) que Dieu opre dans le cur des hommes, en inclinant leur volont vers tout ce qu'il aura voulu, soit en bien, soit en mal. Mais incliner la volont de l'homme au mal est un pch. Donc Dieu pche.

q. 1 a. 6Arg. 7 Praeterea, homo factus est ad imaginem Dei, ut habetur Gen. I, 26. Sed quod invenitur in imagine oportet inveniri in exemplari. Hominis autem voluntas est ad utrumlibet. Ergo et voluntas Dei ; et ita potest peccare et non peccare.

7. Lhomme a t cr limage de Dieu (Gn. 1, 26). Mais ce quon trouve dans limage, on doit le trouver dans lexemplaire[126]. Mais la volont de l'homme penche vers le bien et vers le mal. Donc la volont de Dieu aussi. Et ainsi il peut pcher et ne pas pcher.

q. 1 a. 6Arg. 8 Praeterea, quidquid potest virtus inferior, potest et superior. Sed homo cuius virtus est inferior divina virtute, potest ambulare, peccare et alia huiusmodi facere. Ergo et Deus.

8. Ce que peut un pouvoir infrieur, un pouvoir suprieur le peut aussi. Mais lhomme dont le pouvoir est infrieur au pouvoir divin peut marcher, pcher et accomplir d'autres actes de ce genre. Donc Dieu aussi.

q. 1 a. 6Arg. 9 Praeterea, tunc aliquis omittit quando non facit bona quae potest. Sed Deus potest multa bona facere quae non facit. Ergo omittit, et ita peccat.

9. Quelqu'un commet une ngligence, quand il ne fait pas le bien quil peut faire. Mais Dieu peut faire beaucoup de bien quil ne fait pas. Donc, il commet une ngligence et ainsi il pche.

q. 1 a. 6Arg. 10 Praeterea, quicumque potest prohibere peccatum et non prohibet, videtur peccare. Sed Deus potest prohibere omnia peccata. Cum ergo non prohibeat, videtur quod peccet.

10. Qui peut empcher le pch et ne le fait pas, semble pcher. Mais Dieu peut empcher tous les pchs. Donc, comme il ne le fait pas, il semble quil pche.

q. 1 a. 6Arg. 11 Praeterea, Amos III, 6, habetur : Non est malum in civitate quod Deus non faciat. Hoc autem non potest intelligi de malo poenae : nam dicitur Sap. I, 13, quod Deus mortem non fecit. Ergo oportet intelligi de malo culpae ; et sic Deus est auctor mali culpae.

11. On lit dans Amos ((3, 6[127]) : Il ny a pas de mal dans la cit sans que Dieu ne le fasse. Mais cela ne peut pas tre compris du mal du chtiment. Car il est dit (Sg 1, 13) que Dieu na pas fait la mort. Donc il faut le comprendre du mal de la faute et ainsi Dieu est lauteur de ce mal.

 

En sens contraire : 

q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra. I Ioan. I, 5, dicitur : Deus lux est, et tenebrae in eo non sunt ullae. Sed peccata sunt tenebrae spirituales. Ergo peccatum in Deo esse non potest.

1. Il est dit en I Jean 1, 5 que Dieu est lumire et il ny a pas de tnbres en lui. Mais les pchs sont des tnbres spirituelles. Donc le pch ne peut pas exister en Dieu.

q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, princeps propriis legibus astrictus non tenetur. Sed omne peccatum est contra legem divinam, ut Augustinus dicit [lib. XXII, Contra Faustum, cap. 27]. Ergo Deus peccato astringi non potest.

2. Le prince nest pas assujetti ses propres lois. Mais tout pch est contre la loi divine, comme Augustin le dit (Contre. Fauste, XXII, 27). Donc Dieu ne peut y tre assujetti.

 

Rponse :

q. 1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod sicut supra dictum est, Deum absolute aliquid non posse dicitur dupliciter : uno modo ex parte voluntatis ; alio modo ex parte potentiae.

Comme on la indiqu ci-dessus, on dit que Dieu ne peut absolument pas quelque chose, de deux manires : 1) du ct de sa volont, 2) du ct de sa puissance.

Ex parte siquidem voluntatis, Deus non potest facere quod non potest velle. Cum autem nulla voluntas possit velle contrarium eius quod naturaliter vult, sicut voluntas hominis non potest velle miseriam ; constat quod voluntas divina non potest velle contrarium suae bonitatis, quam naturaliter vult. Peccatum autem est defectus quidam a divina bonitate : unde Deus non potest velle peccare. Et ideo absolute concedendum est, quod Deus peccare non potest.

1) Du ct de sa volont : Dieu ne peut pas faire ce quil ne peut pas vouloir. Puisque aucune volont ne peut vouloir le contraire de ce quelle veut naturellement, ainsi la volont de lhomme ne peut pas vouloir le malheur , il est clair que la volont divine ne peut vouloir le contraire de sa bont quil veut naturellement. Mais le pch est un manquement la divine bont ; c'est pourquoi Dieu ne peut pas vouloir pcher. Et cest pourquoi il faut absolument concder que Dieu ne peut pas pcher.

Ex parte vero potentiae dicitur Deum non posse aliquid, dupliciter : uno modo ratione ipsius potentiae ; alio modo ratione possibilis.

2) Du ct de sa puissance, on dit que Dieu ne peut pas une chose pour deux raisons : a) en raison de la puissance mme ; b) en raison de la possibilit.

Potentia siquidem eius quantum in se est, cum sit infinita, in nullo deficiens invenitur quod ad potentiam pertineat. Sed quaedam sunt quae secundum nomen potentiam important, quae secundum rem sunt potentiae defectus ; sicut multae negationes sunt, quae in affirmationibus includuntur ; ut cum dicitur posse deficere, videtur secundum modum loquendi, quaedam potentia importari, cum magis potentiae defectus importetur. Et propter hoc potentia aliqua dicitur esse perfecta, secundum philosophum [V Metph., text. 17], quando ista non potest. Sicut enim illae affirmationes habent vim negationum secundum rem, ita istae negationes habent vim affirmationum. Et propter hoc dicimus, Deum non posse deficere, et per consequens non posse moveri (quia motus et defectus quamdam imperfectionem important) et per consequens non posse eum ambulare, nec alios actus corporeos exercere, qui sine motu non fiunt.

a) Sa puissance, quant elle, tant infinie, on ne la trouve dfaillante en rien qui la concerne. Mais il y a des choses qui sous le nom de puissance apportent ce qui en ralit est une dfaillance de la puissance. Ainsi il y a de nombreuses ngations incluses dans les affirmations ; comme quand on dit 'pouvoir dfaillir', il semble, selon la manire de parler, qu'on apporte une puissance, alors que c'est plutt sa dfaillance. Et cest pour cela quon dit quune puissance est parfaite, selon le Philosophe (Mtaphysique V, 17, 1021 b 25 ss.), quand elle ne le peut pas. Car de mme que ces affirmations ont force de ngation en ralit, ainsi ces ngations ont force daffirmation. Et cest pour cela que nous disons que Dieu ne peut pas avoir de dfaillance et par consquent, ne peut tre m (parce que le mouvement et la dfaillance apportent une imperfection[128]) et par consquence, il ne peut pas marcher, ni accomplir dautres actes corporels qui ne se font pas sans mouvement[129].

Ratione vero possibilis dicitur Deum aliquid non posse facere quia id contradictionem implicat, ut ex supra dictis, art. 5, patet ; et per hunc modum dicitur quod non potest facere alium Deum aequalem sibi. Implicatur enim contradictio ex eo quod factum oportet esse in potentia aliquo modo, cum recipiat esse ab alio, et sic non potest esse actus purus, quod est proprium ipsius Dei.

b) En raison de la possibilit, on dit que Dieu ne peut pas faire une chose parce qu'elle implique contradiction, comme le montre ce qui a t dit l'article 5 et c'est pourquoi on dit quil ne peut faire un autre Dieu gal lui. Car cela implique contradiction : il faut que ce qui est fait soit en puissance dune certaine manire, puisquil reoit lՐtre dun autre et ainsi il ne peut pas tre acte pur, ce qui est le propre de Dieu lui-mme.

 

Solutions :

q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa comparatio non est intelligenda universaliter, sed solum inter hominem et animalia bruta.

 1. Cette comparaison ne doit pas tre comprise universellement, mais seulement de lhomme et de lanimal.

q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod id quod dicitur in laudem hominis non semper est congruum laudi divinae, immo esset blasphemia ; ut si dicerem Deum poenitere et huiusmodi. Aliquid enim, ut dicit Dionysius [cap. IV de div. Nomin.] est in inferiori natura laudabile quod in superiori natura vituperatur.

 2. Ce quon dit la louange de lhomme ne convient pas toujours la louange divine. Bien plus ce serait un blasphme ; ainsi si je disais que Dieu se repend, etc.. Car, comme le dit Denys (Les noms divins 4), est louable dans une nature infrieure ce qui serait blm dans une nature suprieure.

q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbum philosophi est intelligendum sub conditione voluntatis. Haec enim conditionalis est vera : Deus potest prava agere si vult : nihil enim prohibet conditionalem esse veram, licet antecedens et consequens sint impossibilia ; ut patet in hac : si homo volat, habet alas.

 3. Il faut comprendre le mot du Philosophe sous condition de la volont. Car, si elle est conditionnelle, elle est vraie : Dieu peut commettre des choses perverses sil le veut : car rien nempche la conditionnelle dՐtre vraie, bien que lantcdent et le consquent soient impossibles, comme cela parat dans cet exemple : si un homme vole, il a des ailes.

q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nihil prohibet aliquem actum qui in se esset peccatum mortale, aliqua circumstantia addita fieri virtuosum : occidere enim hominem absolute peccatum mortale est ; sed ministro iudicis occidere hominem propter iustitiam ex praecepto iudicis, non est peccatum, sed actus iustitiae. Sicut autem princeps civitatis habet disponere de hominibus quantum ad vitam et mortem, et alia quaecumque pertinent ad finem sui regiminis, qui est iustitia, ita Deus habet omnia in sui dispositione dirigere ad finem sui regiminis quod est eius bonitas. Et ideo licet occidere filium innocentem, de se possit esse peccatum mortale, tamen si hoc fiat ex praecepto Dei propter finem quem Deus praevidit et ordinavit, licet etiam sit homini ignotus, non est peccatum, sed meritum. Et similiter etiam dicendum est de fornicatione Oseae, cum constet Deum esse ordinatorem totius humanae generationis : quamvis quidam dicant, quod hoc non acciderit secundum veritatem rei, sed secundum visionem prophetiae. De praecepto autem Semei est dicendum aliter. Dicitur enim Deus dupliciter praecipere.

 4. Rien nempche qu'un acte qui serait en soi un pch mortel, si on ajoute les circonstances, ne devienne vertueux ; car tuer un homme est absolument un pch mortel ; mais pour lassistant du juge tuer un homme cause de la justice et sur lordre du juge, ce n'est pas un pch, mais un acte de justice. De mme que le prince dune cit doit disposer des hommes la vie et la mort, et [prendre] d'autres dcisions qui concernent le but de son gouvernement, qui est la justice ; de mme Dieu a tout sa disposition pour parvenir la finalit de son gouvernement qui est sa bont. Et cest pourquoi, bien que tuer son fils innocent puisse tre en soi un pch mortel, cependant si cela se fait sur lordre de Dieu en vue d'une fin qu'il a lui-mme prvue et programme, mme si elle est ignore de lhomme, ce nest pas un pch mais un mrite. Et il faut parler de la fornication dOse de la mme manire, puisque il est clair que Dieu est celui qui ordonne toute la gnration humaine. Cependant certains disent que cela ne serait pas arriv en ralit mais selon une vision prophtique. Pour ce qui est prescrit Shim, il faut parler autrement. Car on dit que Dieu donne ses prescriptions de deux manires :

Uno modo loquendo spiritualiter vel corporaliter per substantiam creatam ; et sic praecepit Abrahae et prophetis. Alio modo inclinando, sicut dicitur praecepisse vermi ut comederet hederam, Ionae I. Et per hunc modum praecepit Semei ut malediceret David, in quantum cor eius inclinavit ; et hoc per modum qui infra in solutione ad sextum, dicetur.

a) La premire, en parlant spirituellement ou corporellement par une substance cre, et ainsi il commande Abraham et aux prophtes.b) En inclinant : ainsi on dit quil prescrivit aux vers de manger le lierre (Jonas 4, 7). Et de cette mme manire il prescrivit Shime de maudire David, dans la mesure o il y inclina son cur et par le moyen signal ci-dessous, la solution six.

q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod operatio peccati, quantum ad id quod habet de entitate et actualitate, refertur in Deum sicut in causam ; quantum vero ad id quod habet de deformitate peccati, refertur in liberum arbitrium, non in Deum ; sicut quidquid motus est in claudicatione, est a virtute gressiva ; deformitas autem eius est a curvitate cruris.

 5. Lacte de pcher, quant ce qui concerne son entit et son actualit, se rfre Dieu comme sa cause ; mais on rapporte l'infamie du pch au libre arbitre, non Dieu ; ainsi tout mouvement dans la claudication vient du pouvoir de marcher, mais la difformit vient de la courbure de la jambe.

q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus non dicitur inclinare voluntates hominum in malum, immittendo malitiam, vel ad malitiam commovendo ; sed permittendo et ordinando, ut videlicet qui crudelitatem exercere consentiunt, in illos exerceant quos dignos Deus iudicat.

 6. On ne dit pas que Dieu incline la volont de lhomme au mal, en envoyant la malice ou en les y incitant, mais en permettant et en ordonnant ; pour qu'assurment ceux qui consentent exercer la cruaut, lexercent contre ceux que Dieu en juge dignes.

q. 1 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non est necessarium, quidquid in homine invenitur, quamvis sit ad imaginem Dei, in Deo inveniri ; et tamen in proposito voluntas Dei est ad utrumlibet, quia non est ad unum obiectum determinata. Potest enim hoc facere vel non facere, aut facere hoc vel illud : non tamen sequitur quod aliquid istorum possit male facere, quod est peccare.

 7. Il nest pas ncessaire que ce quon trouve dans lhomme, quoique quil soit limage de Dieu, se retrouve en Dieu et cependant dans le propos, la volont de Dieu concerne deux aspects, parce quelle nest pas dtermine un seul objet. Car il peut faire ou ne pas faire, faire ceci ou cela ; cependant il nen dcoule pas qu'il puisse mal faire l'une d'elle, ce qui est pcher.

q. 1 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod obiectio illa tenet in his quae pertinent ad potestatis perfectionem, non autem in his quae important potestatis defectum.

 8. Cette objection tient ce qui concerne la perfection de la puissance, mais non ce qui en cause la dfaillance.

q. 1 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus possit multa bona facere quae non facit, non tamen omittit : quia non debet illa facere, quod requiritur ad rationem omissionis.

 9. Bien que Dieu puisse faire beaucoup de bien quil ne fait pas, cependant il ne commet pas d'omission, parce quil ne doit pas le faire, condition requise pour dfinir une omission.

q. 1 a. 6 ad 10 Et similiter dicendum est ad decimum ; nam non est reus peccati qui peccatum non impedit nisi quando impedire debet.

 10. Ici il faut dire la mme chose, car celui qui nempche pas un pch nest coupable de pch que quand il doit l'empcher.

q. 1 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum Amos intelligitur de malo poenae. Quod autem dicitur Sap. I, 13 : Deus mortem non fecit intelligitur quantum ad ipsam causam mortis, quae est meritum culpae, vel quantum ad primam naturae institutionem, qua fecit hominem suo modo immortalem.

 11. Le mot dAmos est comprendre comme la peine du chtiment. Ce qui est dit en Sagesse (1, 13) : Dieu na pas fait la mort est compris quant la cause mme de la mort, qui est la consquence de la faute ; ou quant la premire institution de la nature, par laquelle il rendit lhomme immortel sa manire.

 

 

 

Article 7 Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant ?

q. 1 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur quare Deus dicatur omnipotens. Et videtur quod dicatur omnipotens quia simpliciter omnia possit.

On le dit tout puissant, semble-t-il, parce quil peut absolument tout.

 

Objections :[130]

q. 1 a. 7Arg. 1 Sicut enim Deus dicitur omnipotens, ita dicitur omnisciens. Sed dicitur omnisciens, quia simpliciter omnia scit. Ergo et omnipotens dicitur, quia simpliciter omnia potest.

1. Car de mme qu'on dit Dieu tout-puissant, on le dit omniscient. Mais on le dit omniscient, parce qu'il connat absolument tout. Donc on le dit tout puissant parce quil peut absolument tout.

q. 1 a. 7Arg. 2 Praeterea, si non ideo dicatur omnipotens quia simpliciter omnia possit, tunc haec distributio importata, non est absoluta, sed accommodata. Talis autem distributio non est universalis, sed determinatur ad aliquid. Ergo divina potentia esset ad aliquid determinata, et non esset infinita.

2. Si on ne le dit pas tout puissant parce qu'il pourrait absolument tout, alors cette attribution ajoute nest pas absolue, mais approprie. Or une telle attribution nest pas universelle, elle est limite un objet. Donc la puissance divine serait limite un objet et ne serait pas infinie.

Sed contra, Deus non potest facere, sicut dictum est, art. 3 et 5, ut affirmatio et negatio sint simul vera ; nec potest peccare nec mori. Haec autem includuntur in hac distributione, si absolute sumatur. Ergo non debet absolute sumi ; et ita Deus non potest dici omnipotens quia omnia possit absolute.

En sens contraire : Dieu ne peut pas faire, comme on la dit, aux articles 3 et 5, que laffirmation et la ngation soient vraies en mme temps ; et il ne peut pas pcher ni mourir. Cela est inclus dans cette attribution, si elle est prise dans l'absolu. Donc elle ne doit pas tre prise dans labsolu, et ainsi on ne peut pas dire que Dieu soit tout-puissant parce quil peut absolument tout.

q. 1 a. 7Arg. 3 Item videtur quod dicatur omnipotens quia potest omnia quae vult : dicit enim Augustinus in Enchiridion [cap. XCVI] : non ob aliud vocatur omnipotens, nisi quia quidquid vult, potest.

3. Il semble quon le dit tout-puissant parce quil peut tout ce quil veut. Car Augustin dit (Enchiridion ch. 96) : Il nest appel tout-puissant pour rien dautre sinon quil peut tout ce quil veut..

Sed contra, beati possunt quidquid volunt : aliter voluntas eorum non esset perfecta. Non tamen dicuntur omnipotentes. Ergo hoc non sufficit ad rationem omnipotentiae, quod Deus possit quidquid vult. Praeterea, voluntas sapientis non est de impossibili : unde nullus sapiens vult nisi quod potest ; nec tamen quilibet sapiens est omnipotens. Ergo idem quod prius.

En sens contraire : Les bienheureux peuvent ce quils veulent, autrement leur volont ne serait pas parfaite[131]. Cependant on ne dit pas quils sont tout-puissants. Donc cela ne suffit pas la nature de la toute-puissance, que Dieu puisse tout ce quil veut. En plus la volont du sage ne concerne pas limpossible. C'est pourquoi aucun sage ne veut que ce quil peut ; et cependant nimporte quel sage nest pas tout-puissant. Donc de mme que ci-dessus.

q. 1 a. 7Arg. 4 Item videtur quod dicatur omnipotens, quia possit omnia possibilia. Dicitur enim omnisciens, quia scit omnia scibilia. Ergo pari ratione dicitur omnipotens, quia potest omnia possibilia.

4. Il semble quon lappelle tout-puissant parce quil peut tout ce qui est possible. On lappelle en effet omniscient, parce quil connat tout ce qui peut tre connu. Donc raison gale, on lappelle tout-puissant parce quil peut tout ce qui est possible.

Sed contra, si dicitur omnipotens quia potest omnia possibilia ; aut hoc est quia potest omnia possibilia sibi, aut quia potest omnia possibilia naturae. Si quia potest omnia possibilia naturae, tunc eius omnipotentia naturae potentiam non excedit ; quod est absurdum. Si vero quia potest omnia possibilia sibi, tunc pari ratione quilibet dicetur omnipotens, quia quilibet potest omnia possibilia sibi. Et praeterea est ibi quaedam expositio per circumlocutionem, quae non est conveniens.

En sens contraire : si on lappelle tout-puissant parce quil peut tout ce qui est possible, ou bien c'est parce quil peut tout ce qui est possible pour lui, ou parce quil peut tout ce qui est possible la nature. Si cest parce quil peut tout ce qui est possible la nature, alors sa toute-puissance nexcde pas la puissance de la nature, ce qui est absurde. Mais si cest parce quil peut tout ce qui est possible pour lui, alors raison gale, nimporte qui est appel tout-puissant parce quil peut ce qui est possible pour lui. Et en plus il y a l une exposition par une circonlocution qui ne convient pas.

q. 1 a. 7Arg. 5 Item quaeritur quare Deus dicitur omnipotens et omnisciens, et non omnivolens.

5. De mme, on cherche pourquoi Dieu est appel celui qui peut tout, qui sait tout et pas celui qui veut tout.

 

Rponse :

q. 1 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod quidam volentes rationem omnipotentiae assignare, quaedam acceperunt quae ad rationem omnipotentiae non pertinent, sed magis sunt causa omnipotentiae, vel pertinentia ad perfectionem omnipotentiae, vel pertinentia ad rationem potentiae, vel ad modum habendi potentiam.

Certains voulant assigner une dfinition la toute-puissance ont accept des notions qui ne conviennent pas sa dfinition ; mais qui en sont plutt la cause ou ce qui appartient la perfection de la toute puissance ou celle de la puissance ou son mode de possession.

Quidam enim dixerunt, quod ideo Deus est omnipotens, quia habet potentiam infinitam. Qui non dicunt rationem omnipotentiae, sed causam ; sicut anima rationalis est causa hominis, sed non est eius definitio. Quidam vero ideo dixerunt Deum omnipotentem, quia non potest aliquid pati nec potest deficere, nec aliquid potest in ipsum, et alia huiusmodi, quae ad perfectionem potentiae pertinent.

Certains, en effet, ont dit que Dieu est tout-puissant, parce quil a une puissance infinie. Ils n'en donnent pas la raison mais la cause ; ainsi lՉme raisonnable est cause de lhomme, mais ce nest pas sa dfinition. Certains aussi ont dit que Dieu est tout-puissant, parce quil ne peut rien subir, ni tre dfaillant et il ne peut rien en lui ni autres choses de ce genre qui concernent la perfection de sa puissance.

Quidam etiam dixerunt, quod ideo dicitur omnipotens, quia potest quidquid vult ; et hoc habet a se et per se ; quod pertinet ad modum habendi potentiam.

Certains mme ont dit quon lappelle tout-puissant parce quil peut tout ce quil veut, et cela il la par lui et par son intermdiaire, ce qui concerne sa manire de possder la puissance.

Hae autem rationes omnes ideo sunt insufficientes, quia praetermittunt rationes operationum ad obiecta, quas implicat omnipotentia. Et ideo dicendum est, quod accipienda est aliqua trium viarum quae tactae sunt in obiiciendo, et dicunt comparationem ad obiecta.

Mais toutes ces raisons sont insuffisantes, parce quelles omettent les raisons des oprations pour les objets quimplique la toute-puissance. Et cest pourquoi on doit dire qu'il faut accepter lune des trois voies qui ont t avances en objections et qui apportent une comparaison avec les objets.

Dicendum ergo est, quod, sicut supra dictum est, potentia Dei, quantum est de se, ad omnia illa obiecta se extendit quae contradictionem non implicant. Nec etiam instantia de illis est quae defectum important, vel corporalem motum ; quia posse ea, Deo est non posse. Ea vero quae contradictionem implicant Deus non potest ; quae quidem sunt impossibilia secundum se. Relinquitur ergo quod Dei potentia ad ea se extendat quae sunt possibilia secundum se. Haec autem sunt quae contradictionem non implicant. Constat ergo quod Deus ideo dicitur omnipotens quia potest omnia quae sunt possibilia secundum se.

Il faut donc dire, comme on la dit plus haut, que la puissance de Dieu, quant elle, sՎtend tous ces objets qui nimpliquent pas contradiction. Et cela ne concerne pas ce qui apporte une dfaillance ou un mouvement corporel, parce que ce pouvoir, Dieu ne l'a pas. Dieu ne peut pas ce qui implique une contradiction ; cela est impossible en soi. Donc il reste que la puissance de Dieu sՎtend ce qui est possible en soi. Cest ce qui nimplique pas contradiction. Donc il est clair quon dit que Dieu est tout-puissant parce quil peut tout ce qui est possible en soi[132].

 

Solutions :

q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus dicitur omnisciens quia scit omnia scibilia ; falsa autem, quae non sunt scibilia, nescit. Impossibilia autem secundum se comparantur ad potentiam sicut falsa ad scientiam.

 1. Dieu est appel omniscient parce quil connat tout ce qui peut tre connu ; il ignore l'erreur qui nest pas connaissable. Ce qui est impossible en soi est compar pour la puissance l'erreur pour la science.

q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procederet, si distributio terminaretur infra genus possibilium hoc modo quod non se extenderet ad omnia possibilia.

 2. Cette raison conviendrait si lattribution se terminait l'intrieur du genre des possibles ; de telle manire qu'elle ne s'tende pas tous les possibles.

Ad illud quod quaeritur de alia ratione omnipotentiae, dicendum, quod posse quidquid vult facere non est sufficiens ratio omnipotentiae, sed est sufficiens signum omnipotentiae ; et sic intelligendum est verbum Augustini.

Pour ce quon cherche au sujet de l'autre raison de la toute-puissance, il faut dire que pouvoir tout ce qu'on veut faire n'est pas une raison suffisante de toute puissance, mais en est un signe suffisant. Cest ainsi quil faut comprendre la parole dAugustin.

q. 1 a. 7 ad 3 Ad illud quod arguitur de tertia ratione, dicendum, quod Deus dicitur omnipotens, quia potest omnia possibilia absolute ; et ideo obiectio non recte procedit de possibilibus Deo vel naturae.

 Pour le troisime argument, il faut dire qu'on appelle Dieu le tout-puissant, parce quil peut absolument tout ce qui est possible et cest pourquoi lobjection ne procde pas correctement[133] de ce qui possible pour Dieu ou pour la nature.

q. 1 a. 7 ad 5 Ad illud quod ultimo quaeritur, dicendum, quod in his quae aguntur per voluntatem, ut dicitur IX Metaph., [com. 3, 4 et 10], potentia et scientia determinantur ad opus per voluntatem ; et ideo scientia et potentia in Deo quasi non determinata universaliter pronuntiantur, ut cum dicitur omnisciens vel omnipotens, sed voluntas quae determinat, non potest esse omnium, sed eorum tantum ad quae potentiam et scientiam determinat ; et ideo Deus non potest dici omnivolens.

 5. Pour ce quon cherche la dernire objection, il faut dire que dans ce qui est fait par volont, comme il est dit (Mtaphysique IX, 5, 1048 a 10), la puissance et la connaissance sont limites une uvre par la volont ; et cest pourquoi la science et la puissance sont annonces en Dieu comme non limites universellement, comme quand on le dit omniscient ou tout puissant, mais la volont qui limite ne peut pas tre pour tout, mais seulement pour ce quoi elle limite sa puissance et sa connaissance et cest pourquoi on ne peut pas dire que Dieu veuille tout.

 

 

 

Question 2  La puissance gnrative en Dieu

q. 2 pr. 1 Et primo quaeritur utrum in divinis sit generativa potentia.

1. Y a-t-il une puissance gnrative en Dieu ?

q. 2 pr. 2 Secundo utrum potentia generativa in divinis dicatur essentialiter vel notionaliter.

2. Parle-t-on de la puissance gnrative en Dieu selon l'essence ou la notion ?

q. 2 pr. 3 Tertio utrum potentia generativa in actum generationis procedat per imperium voluntatis.

3. La puissance gnrative en son acte dpend-elle par le pouvoir de la volont ?

q. 2 pr. 4 Quarto utrum in divinis possint esse plures filii.

4. En Dieu peut-il y avoir plusieurs fils ?

q. 2 pr. 5 Quinto utrum potentia generandi sub omnipotentia comprehendatur.

5. La puissance d'engendrer est-elle incluse dans la toute puissance ?

q. 2 pr. 6 Sexto utrum potentia generandi et potentia creandi sint idem.

6. La puissance d'engendrer et celle de crer sont-elles une mme puissance ?

 

 

 

Article 1 Y a-t-il une puissance gnrative en Dieu ?[134]

q. 2 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum in divinis sit potentia generativa. Et videtur quod non.

Il semble que non[135] :

 

Objections :

q. 2 a. 1Arg. 1 Omnis enim potentia vel est activa vel passiva. Sed in divinis non potest esse potentia passiva aliqua ; nec ibi generativa potentia potest esse activa ; quia sic Filius esset actus vel factus, quod est contra fidem. Ergo in divinis non est potentia generativa.

1. Car toute puissance est active ou passive. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir de puissance passive, et la puissance gnrative ne peut pas y tre active, parce que le Fils de Dieu serait un acte ou un produit[136] ; ce qui est contre la foi. Donc, en Dieu, il ny a pas de puissance gnrative.

q. 2 a. 1Arg. 2 Praeterea, secundum philosophum [in libro de Somno et Vigilia, cap. I] cuius est potentia, eius est actio. Sed generatio non est in divinis. Ergo nec generativa potentia. Probatio mediae. Ubicumque est generatio ibi est communicatio naturae, et receptio eiusdem. Sed cum recipere sit materiae, vel passivae potentiae, quae in divinis non est, receptio Deo competere non potest. Ergo in divinis non potest esse generatio.

2. Selon le philosophe (Le Sommeil et Veille ch.1), laction vient de celui qui a la puissance [1]. Mais il n'y a pas de gnration en Dieu [2]. Donc pas de puissance gnrative [3]. Preuve intermdiaire[137] : Partout o il y a gnration, il y a communication d'une nature et sa rception. Mais comme recevoir est propre la matire ou la puissance passive, qui (toutes deux) n'existent pas en Dieu, la rception ne peut lui convenir. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir de gnration.

q. 2 a. 1Arg. 3 Praeterea, generans oportet esse distinctum a genito. Non autem secundum illud quod generans communicat genito, quia in hoc potius conveniunt. Ergo debet esse in genito aliquid aliud ab eo quod est sibi per generationem communicatum ; et ita oportet omne genitum esse compositum, ut videtur. In divinis autem non est aliqua compositio. Ergo non potest esse genitus Deus ; et sic non est ibi generatio ; et ita ut prius.

3. Lengendeur doit tre distinct de lengendr. Mais pas sur ce que communique lengendreur l'engendr, parce que cest en cela quils se rencontrent le plus. Donc il doit y avoir dans l'engendr quelque chose dautre que ce qui lui est communiqu par gnration ; et ainsi il faut, comme on le voit, que tout ce qui est engendr soit compos. Mais en Dieu il ny a pas de composition. Donc il ne peut y avoir un Dieu engendr ; et ainsi il ny a pas de gnration. Et de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 1Arg. 4 Praeterea, nihil imperfectionis est Deo attribuendum. Sed omnis potentia respectu sui actus, imperfecta est, tam activa quam passiva. Ergo potentia generativa in Deo ponenda non est.

4. Il ne faut rien attribuer dimparfait Dieu[138] ; mais toute puissance, tant active que passive, est imparfaite par rapport son acte[139]. Donc on ne doit pas attribuer de puissance gnrative Dieu.

q. 2 a. 1Arg. 5 Sed dicit respondens, quod hoc est verum de potentia non coniuncta actui.- Sed contra, omne quod perficitur per alterum est minus perfectum eo per quod perficitur. Sed potentia coniuncta actui perficitur per actum. Ergo actus est ea perfectior ; et sic etiam potentia actui coniuncta, respectu actus, imperfecta est.

5. Mais celui qui rpond dit que c'est vrai de la puissance qui nest pas jointe un acte lacte Mais en sens contraire, tout ce qui est achev par un autre est moins parfait que ce par quoi il est achev. Mais la puissance jointe lacte est acheve par lui. Donc lacte est plus parfait quelle, et ainsi mme la puissance jointe lacte, par rapport lui, est imparfaite.

q. 2 a. 1Arg. 6 Praeterea, natura divina est efficacior in agendo quam natura creata. Sed in creaturis invenitur natura aliqua quae non operatur per aliquam potentiam mediam sed per se ipsam, sicut sol illuminat aerem et anima vivificat corpus. Ergo multo fortius divina natura non per aliquam potentiam, sed per se ipsam est principium generationis ; et ita in divinis non est ponenda potentia generativa.

6. La nature divine est plus efficace en agissant que la nature cre. Mais on trouve dans les cratures une nature qui nopre pas par une puissance intermdiaire mais par elle-mme ; ainsi le soleil illumine lair et lՉme donne vie au corps. Donc la nature divine, beaucoup plus intensment est principe de gnration, non pas par une puissance, mais par elle-mme, et ainsi il ne faut pas placer en Dieu de puissance gnrative.

q. 2 a. 1Arg. 7 Praeterea, generativa potentia aut attestatur dignitati aut indignitati. Non autem attestatur dignitati, quia sic in superioribus creaturis esset magis quam in infimis, scilicet in Angelis et caelestibus corporibus magis vel potius quam in animalibus et in plantis. Ergo attestatur indignitati, et sic non est in Deo ponenda.

7. La puissance gnrative rvle sa dignit ou son indignit. Mais elle ne rvle pas sa dignit, sinon elle serait plus dans les cratures suprieures que dans les cratures infrieures, cest--dire dans les anges et les corps clestes, plus ou mieux que dans les animaux et les plantes. Donc elle prouve son indignit et il ne faut pas la placer en Dieu.

q. 2 a. 1Arg. 8 Praeterea, in rebus inferioribus duplex invenitur generativa potentia : scilicet completa ut in his quorum generatio est per sexuum commixtionem ; et incompleta quae est sine sexuum commixtione ut in plantis. Cum ergo completa Deo non attribuatur, quia non potest poni in divinis sexuum commixtio, videtur quod nullo modo sit ibi potentia generativa.

8. Dans les tres infrieurs, on trouve deux sortes de puissance gnrative ; savoir une puissance complte, comme dans ceux dont la gnration s'accomplit par union des sexes ; et incomplte, sans union des sexes comme dans les plantes. Donc, comme la gnration complte nest pas attribue Dieu, parce qu'il n'est pas possible de placer en lui l'union des sexes, on voit bien quen aucune manire il ny a en lui de puissance gnrative.

q. 2 a. 1Arg. 9 Praeterea, sub potentia non cadit nisi possibile, cum potentia respectu possibilis dicatur. Sed generationem esse in divinis, non est possibile vel contingens, cum sit aeternum. Ergo respectu eius, potentia in divinis dici non potest ; et sic non est ibi generativa potentia.

9. Sous la puissance ne tombe que le possible, puisquon parle de la puissance en rapport avec lui[140]. Mais quil y ait de la gnration en Dieu nest ni possible, ni contingent, puisquil est ternel. Donc on ne peut parler de puissance en Dieu en rapport avec lui et ainsi il ny a pas de puissance gnrative en lui.

q. 2 a. 1Arg. 10 Praeterea, potentia Dei cum sit infinita, non finitur neque ad actum neque ad obiectum. Sed si sit in Deo potentia generativa, eius actus erit generatio, effectus vero Filius. Ergo potentia Patris non se habebit tantum ad unum Filium generandum, sed ad plures ; quod est absurdum.

10. Comme la puissance de Dieu est infinie, elle ne se termine ni lacte, ni lobjet[141]. Mais sil y a en Dieu une puissance gnrative, son action sera la gnration, et son effet un Fils. Donc la puissance du Pre ne consistera pas engendrer seulement un fils, mais plusieurs, ce qui est absurde.

q. 2 a. 1Arg. 11 Praeterea, secundum Avicennam quando res aliqua habet aliquid tantum ab altero, ei secundum se consideratae attribuitur oppositum eius, sicut aer qui non habet lumen nisi ab alio secundum se consideratus est tenebrosus, et per hunc modum omnes creaturae, quae habent ab alio esse, veritatem et necessitatem, secundum se consideratae, sunt non entes, falsae et impossibiles. Sed nihil tale potest esse in divinis. Ergo non potest ibi esse aliquis qui tantum habeat esse ab altero ; et ita non potest ibi esse aliquis genitus ; et per consequens nec generatio nec generativa potentia.

11. Selon Avicenne[142], quand une chose ne possde quelque chose que dune autre, c'est son contraire qui lui est attribu[143], considre en soi ; ainsi lair sans lumire, moins de la recevoir d'une autre chose, considr en soi, est tnbreux et de cette manire toutes les cratures qui tiennent dun autre lՐtre, la vrit et la ncessit, considres en soi, sont des non tants, des cratures fausses et impossibles. Mais il ne peut y avoir rien de tel en Dieu. Donc il ne peut y avoir en lui quelqu'un qui tienne son tre seulement dun autre, et ainsi il ne peut y avoir quelquun dengendr, et par consquent ni gnration, ni puissance gnrative.

q. 2 a. 1Arg. 12 Praeterea, in divinis Filius non habet aliquid nisi quod a Patre accipit ; aliter sequeretur quod esset ibi compositio. Sed a Patre accepit essentiam. Ergo in Filio non est nisi essentia. Si ergo est ibi generatio, vel Filius est genitus, oportebit essentiam esse genitam ; quod est falsum, quia sic essentia distingueretur in divinis.

12. En Dieu, le Fils na rien dautre que ce quil reoit du Pre, autrement il sensuivrait quil y aurait composition. Mais du Pre il a reu lessence. Donc en lui, il ny a que lessence. Si donc il y a gnration, ou si le Fils est engendr, il faudra que lessence soit engendre, ce qui est faux, parce quainsi elle serait diffrente en Dieu

q. 2 a. 1Arg. 13 Praeterea, si Pater generat in divinis, oportet quod ei conveniat secundum suam naturam. Sed eadem est natura in Patre et Filio et Spiritu sancto. Ergo eadem ratione et Filius et Spiritus sanctus generabunt ; quod est contra fidei documenta.

13. Si, en Dieu, le Pre engendre, il faut que cela lui convienne selon sa nature. Mais la nature est identique dans le Pre, le Fils et lEsprit Saint. Donc pour la mme raison, le Fils et lEsprit Saint engendreront, ce qui est contre les dogmes de la foi.

q. 2 a. 1Arg. 14 Praeterea, natura quae perpetuo et perfecte in uno supposito invenitur, non communicatur alteri supposito. Sed natura divina perfecte invenitur in Patre, et perpetuo, cum sit incorruptibilis. Ergo alteri supposito non communicatur ; et ita non est ibi generatio.

14. La nature qui se trouve de faon perptuelle et parfaitement dans un suppt unique, nest pas communique un autre suppt. Mais la nature divine se trouve parfaitement dans le Pre, et perptuellement, puisquelle est incorruptible. Donc elle nest pas communique un autre suppt et ainsi il ny a pas l de gnration.

q. 2 a. 1Arg. 15 Praeterea, generatio est species mutationis. Sed in divinis non est aliqua mutatio. Ergo nec generatio : ergo nec generativa potentia.

15. La gnration est une espce de changement. Mais en Dieu il ny pas de changement : donc pas de gnration, donc pas de puissance gnrative.

En sens contraire :

q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Secundum philosophum [in IV Metaph., text. 19] perfectum unumquodque est quando potest alterum tale facere quale ipsum est. Sed Deus Pater est perfectus. Ergo potest alterum talem facere qualis ipse est ; et sic potest Filium generare.

1. Selon le philosophe (Mtaphysique, () V, 16, 1022 a 2) un tre est parfait quand il peut faire un autre tel que lui. Mais Dieu le Pre est parfait. Donc il peut faire une autre tel que lui et ainsi il peut engendrer un Fils.

q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit [libro III Cont. Maxim., cap. VII) quod si Pater generare non potuit, impotens fuit. Sed in Deo nullo modo est impotentia. Ergo potuit generare : et sic est ibi potentia generandi.

2. Augustin (Contre Maximinien, III, ch. 7[144]) dit que, si le Pre na pu engendrer, il a t impuissant. Mais, en Dieu, il ny a absolument pas dimpuissance. Donc il a pu engendrer et ainsi il a la puissance dengendrer.

 

Rponse :

q. 2 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod natura cuiuslibet actus est, quod seipsum communicet quantum possibile est. Unde unumquodque agens agit secundum quod in actu est. Agere vero nihil aliud est quam communicare illud per quod agens est actu, secundum quod est possibile. Natura autem divina maxime et purissime actus est. Unde et ipsa seipsam communicat quantum possibile est. Communicat autem se ipsam per solam similitudinem creaturis, quod omnibus patet ; nam quaelibet creatura est ens secundum similitudinem ad ipsam. Sed fides Catholica etiam alium modum communicationis ipsius ponit, prout ipsamet communicatur communicatione quasi naturali : ut sicut ille cui communicatur humanitas, est homo, ita ille cui communicatur deitas, non solum sit Deo similis, sed vere sit Deus.

Il est de la nature de n'importe quel acte de se communiquer autant que possible. C'est pourquoi chaque agent agit selon quil est en acte. Mais agir nest rien dautre que communiquer ce par quoi lagent est acte, dans la mesure du possible. Mais la nature divine est au plus haut point et trs exclusivement un acte[145]. C'est pourquoi elle se communique dans la mesure du possible[146]. Elle se communique par sa seule ressemblance aux cratures, ce qui se voit en toutes, car toute crature est un tant sa ressemblance. Mais la foi catholique aussi place un autre mode de communication selon quelle est communique dune manire pour ainsi dire naturelle[147] ; ainsi de mme que celui qui est communique lhumanit est un homme, de mme celui qui est communique la divinit, non seulement est semblable Dieu, mais il est vraiment Dieu.

Oportet autem circa hoc advertere, quod natura divina a formis materialibus in duobus differt :

Mais ce sujet, il faut faire attention que la nature divine est diffrente des formes matrielles[148] de deux manires :

Primo quidem per hoc quod formae materiales non sunt subsistentes ; unde humanitas in homine non est idem quod homo qui subsistit : deitas autem est idem quod Deus ; unde ipsa natura divina est subsistens.

1) Du fait que ces dernires ne sont pas subsistantes ; c'est pourquoi lhumanit dans lhomme nest pas identique lhomme qui subsiste ; mais la divinit est identique Dieu, c'est pourquoi sa nature propre est subsistante.

Aliud est quod nulla forma vel natura creata est suum esse ; sed ipsum esse Dei est eius natura et quidditas ; et inde est quod proprium nomen ipsius est : qui est, ut patet Exod. cap. III, 14, quia sic denominatur quasi a propria sua forma.

2) Nulle forme ou nature cre nest son tre, mais lՐtre mme de Dieu est sa nature et sa quiddit[149] ; et pour cela son nom propre est Qui est, comme on le voit en Ex. 3,14[150], parce quil est ainsi dsign comme par sa propre forme.

Forma ergo in istis inferioribus, quia per se non subsistit, oportet quod in eo cui communicatur, sit aliquid aliud per quod forma vel natura subsistentiam recipiat : et haec est materia, quae subsistit formis materialibus et naturis. Quia vero natura materialis vel forma, non est suum esse, recipit esse per hoc quod in alio suscipitur ; unde secundum quod in diversis est, de necessitate habet diversum esse : unde humanitas non est una in Socrate et Platone secundum esse, quamvis sit una secundum propriam rationem.

Donc, parce que la forme dans les tres infrieurs ne subsiste pas par elle-mme, il faut que ce en quoi elle est communique soit quelque chose dautre par laquelle la forme ou la nature reoit sa subsistance[151] ; et cest la matire qui subsiste par les formes et les natures matrielles. Mais, parce que la nature matrielle ou la forme nest pas son tre, elle le reoit du fait qu'elle est reue dans un autre. C'est pourquoi, selon quelle est dans diffrents [tres], elle a ncessairement un tre diffrent. Ainsi lhumanit nest pas une dans Socrate et Platon selon lՐtre, bien qu'elle le soit selon sa propre dfinition.

In communicatione vero qua divina natura communicatur, quia ipsa est per se subsistens, non requiritur aliquid materiale per quod subsistentiam recipiat ; unde non recipitur in aliquo quasi in materia, ut sic genitus, ex materia et forma inveniatur compositus. Et quia iterum ipsa essentia est suum esse, non accipit esse per supposita in quibus est : unde per unum et idem esse est in communicante et in eo qui communicatur ; et sic manet eadem secundum numerum in utroque.

Dans lacte par lequel la nature divine se communique, parce quelle est subsistante par soi, elle na pas besoin de quelque chose de matriel pour recevoir sa subsistance ; donc elle nest pas reue dans quelque chose comme dans la matire, pour quainsi ce qui est engendr se trouve compos de matire et de forme. Et parce que, en plus, sa propre essence est son tre, elle ne le reoit pas lՐtre par les suppts en qui elle est ; c'est pourquoi par un seul et mme tre, elle est en celui qui communique et en celui qui est communiqu et ainsi elle demeure la mme en nombre dans les deux.

Huius autem communicationis exemplum in operatione intellectus congruentissime invenitur. Nam ipsa divina natura spiritualis est, unde per exempla spiritualia melius manifestatur. Cum enim alicuius rei extra animam per se subsistentis noster intellectus concipit quidditatem, fit quaedam communicatio rei quae per se existit, prout a re exteriori intellectus noster eius formam aliquo modo recipit ; quae quidem forma intelligibilis, in intellectu nostro existens, aliquo modo a re exteriori progreditur. Sed quia res exterior diversa a natura intelligentis est ; aliud est esse formae intellectus comprehensae, et rei per se subsistentis.

On trouve lexemple de cette communication, de manire trs pertinente dans lopration de lintellect[152]. Car la nature divine est spirituelle ; c'est pourquoi elle est plus facilement rvle par des exemples spirituels. En effet lorsque notre esprit conoit la quiddit de ce qui subsiste par soi hors de lՉme, une communication se fait qui existe par soi dans la mesure o notre esprit reoit sa forme ; cette forme intelligible, qui existe dans notre esprit, vient de la ralit extrieure dune certaine manire. Mais parce que la chose est extrieure la nature de celui qui la pense, l'tre de la forme pense par lintellect et de ce qui subsiste par soi sont diffrents.

Cum vero intellectus noster sui ipsius quidditatem concipit, utrumque servatur : quia videlicet et ipsa forma intellecta ab intelligente in intellectum aliquo modo progreditur cum intellectus eam format ; et unitas quaedam servatur inter formam conceptam quae progreditur et rem unde progreditur, quia utrumque habet intelligibile esse, nam unum est intellectus, et aliud est intelligibilis forma, quae dicitur verbum intellectus. Quia tamen intellectus noster non est secundum suam essentiam in actu perfecto intellectualitatis, nec idem est intellectus hominis quod humana natura ; sequitur quod verbum praedictum etsi sit in intellectu, et ei quodammodo conforme, non tamen sit idem quod ipsa essentia intellectus, sed eius expressa similitudo. Nec iterum in conceptione huiusmodi formae intelligibilis, natura humana communicatur, ut generatio proprie dici possit, quae communicationem naturae importat.

Mais quand notre intellect conoit sa propre quiddit, lun et lautre sont conservs, parce que la forme mme pense par celui qui la pense en son esprit sort en quelque manire quand l'esprit lui donne forme et une certaine unit est conserve entre la forme conue qui sort et ce dont elle sort, parce que les deux ont un tre intelligible, car lun est lesprit et lautre la forme intelligible quon appelle le verbe de lesprit. Cependant parce que notre intellect nest pas, en son essence, en acte parfait dintelligibilit, et que lintellect de lhomme nest pas identique la nature humaine, il en dcoule que ce verbe prononce, mme s'il est dans lintellect et lui est conforme dune certaine manire, nest cependant pas le mme que lessence mme de lintellect, mais sa ressemblance exprime. Et nouveau, dans la conception dune forme intelligible de ce genre, la nature humaine nest pas communique, comme on pourrait le dire proprement parler de la gnration qui apporte communication de la nature.

Sicut autem in nostro intellectu seipsum intelligente invenitur quoddam verbum progrediens, eius a quo progreditur similitudinem gerens ; et ita in divinis invenitur verbum similitudinem eius a quo progreditur habens. Cuius processione in duobus verbi nostri processionem superat.

Dans notre intellect qui se comprend lui-mme, on trouve un verbe qui sort, portant ressemblance de ce dont il sort ; et de mme, en Dieu, on trouve un verbe qui a ressemblance de celui dont il sort. Par sa procession il dpasse sur deux points celle de notre verbe.

Primo in hoc quod verbum nostrum est diversum ab essentia intellectus, ut dictum est ; intellectus vero divinus qui in perfecto actu intellectualitatis est secundum suam essentiam, non potest aliquam formam intelligibilem recipere quae non sit sua essentia ; unde verbum eius unius essentiae cum ipso est, et iterum ipsa divina natura eius intellectualitas est ; et sic communicatio quae fit per modum intelligibilem, est etiam per modum naturae, ut generatio dici possit ;

1) Premirement, en ce que notre verbe est diffrent de lessence de lintellect comme on la dit ; mais lintellect divin qui est, selon son essence, en acte parfait dintelligibilit, ne peut recevoir une forme intelligible qui ne soit pas son essence. C'est pourquoi son verbe est dune seule essence avec lui et en plus la nature divine elle-mme est son intellectualit et ainsi la communication qui se fait par mode intelligible est aussi par mode de nature pour quon puisse lappeler gnration.

in quo secundo processionem verbi nostri Dei verbum excedit. Et hunc modum generationis Augustinus assignat [in lib. De Trin.].

2) Deuximement, le verbe de Dieu dpasse la procession de notre verbe. Et cest ce mode de gnration quAugustin attribue Dieu (La Trinit).

Quia vero de divinis loquimur secundum modum nostrum,- quem intellectus noster capit ex rebus inferioribus, ex quibus scientiam sumit,- ideo sicut in rebus inferioribus cuicumque attribuitur actio, attribuitur aliquod actionis principium, quod potentia nominatur ; ita et in divinis, quamvis in Deo non sit differentia potentiae et actionis, sicut in rebus creatis. Et propter hoc, generatione in Deo posita, quae per modum actionis significatur, oportet ibi concedere potentiam generandi, vel potentiam generativam.

Parce que nous parlons de Dieu notre manire : ce que notre intellect prend des choses infrieures, il en tire sa connaissance, aussi de mme que dans les tres infrieurs, qui que ce soit qu'on attribue laction, on attribue un principe daction, quon appelle puissance ; de mme on l'attribue Dieu, quoique en lui il ny ait pas, comme dans les cratures, de diffrence entre la puissance et l'action. Et cest pour cela quune fois tablie une gnration en Dieu qui est signifie par son mode daction, il faut lui accorder la puissance dengendrer ou puissance gnrative.

 

Solutions :

q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia quae in Deo ponitur nec proprie activa nec passiva est, cum in ipso non sit nec praedicamentum actionis nec passionis, sed sua actio est sua substantia ; sed ibi est potentia per modum potentiae activae significata. Nec tamen oportet quod Filius sit actus vel factus, sicut nec oportet quod proprie sit ibi actio vel passio.

 1. La puissance qui se trouve en Dieu nest, proprement parler, ni active ni passive[153], puisquil n'y a pas en lui les catgories daction ou de passion[154], mais son action est sa substance, mais c'est l qu'est la puissance signifie par le mode de puissance active. Cependant il ne faut que le Fils soit ni un acte ou un produit, de mme qu'il ne faut pas quil y ait l proprement action ou passion.

q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum recipere terminetur ad habere, sicut ad finem ; dupliciter dicitur aliquid esse recipiens, sicut dupliciter est, habens.

 2. Comme la rception se termine la possession, comme sa fin, on parle de deux manires de ce qui reoit, et de deux manires de celui qui possde.

Habet enim uno modo materia formam suam, et subiectum accidens, vel qualitercumque habitum est extra essentiam habentis ;

a) Car la matire possde dune seule manire sa forme et le substrat son accident, ou bien de quelque manire que ce qui est possd soit hors de lessence de celui qui le possde.

habet autem alio modo suppositum naturam, ut hic homo humanitatem ; quae quidem non est extra essentiam habentis, immo est eius essentia. Socrates enim est vere id quod homo est. Genitus ergo in humanis etiam non recipit formam generantis sicut materia formam, vel sicut subiectum accidens sed sicut suppositum vel hypostasis habet naturam speciei ; et similiter est in divinis. Unde non oportet quod sit in Deo genito aliqua materia vel subiectum naturae divinae : sed quod ipse Filius subsistens sit qui naturam divinam habeat.

b) Mais le suppt possde sa nature dune autre manire, comme cet homme possde lhumanit, qui nest pas hors de lessence de son possesseur, mais est tout fait son essence. Car Socrate est vritablement ce quest un homme. Donc celui qui est engendr chez les hommes, ne reoit pas la forme de celui qui l'engendre, comme la matire reoit sa forme, ou comme le sujet laccident, mais comme le suppt ou lhypostase possde la nature de lespce ; il en est de mme en Dieu. C'est pourquoi il ne faut pas quil y ait en ce Dieu qui est engendr de la matire ou un substrat de nature divine : mais que le Fils subsistant soit lui-mme celui qui possde la nature divine[155].

q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus genitus non distinguitur a Deo generante per aliquam essentiam additam, cum, sicut dictum est, non requiratur aliqua materia in qua recipiatur natura divina. Distinguitur autem per ipsam relationem, quae est ab alio habere naturam, ita quod in Filio ipsa relatio filiationis tenet locum omnium principiorum individuantium in rebus creatis (propter quod dicitur proprietas personalis), ipsa autem natura divina tenet locum naturae speciei. Quia autem ipsa relatio secundum rem a natura divina non differt, non fit ibi aliqua compositio, sicut apud nos ex principio speciei et ex individuantibus quaedam compositio relinquitur.

 3. Dieu engendr nest pas distinct du Dieu qui engendre par une essence ajoute, puisque, comme il a t dit (dans le corps de larticle), il na pas besoin de matire dans laquelle serait reue la nature divine. Mais il est distingu par la relation qui consiste possder sa nature dun autre, de sorte que dans le Fils la relation de filiation tient lieu de tous les principes qui individualisent dans les cratures (cest pour cela quon lappelle la proprit personnelle), mais la nature divine mme tient lieu de nature despce. Parce que la relation en ralit ne diffre pas de la nature divine ; il ne se fait l aucune composition, comme chez nous, une certaine composition est laisse par le principe de l'espce et ce qui l'individualise.

q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit, quando potentia illa ab actu differt, sive sit coniuncta actui, sive non ; hoc autem non habet locum in divinis.

 4. Cette raison[156] est valable quand cette puissance est diffrente de lacte, quelle lui soit jointe, ou non, mais cela na pas de place en Dieu.

q. 2 a. 1 ad 5 Et sic patet solutio ad quintum.

 5. Et ainsi la solution l'objection 5 est vidente.

q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod omne illud quod est principium actionis, ut quo agitur, habet potentiae rationem ; sive sit essentia, sive aliquod accidens medium, puta qualitas quaedam inter essentiam et actionem. In creaturis tamen corporalibus vel vix vel nunquam invenitur aliqua actio alicuius naturae substantialis nisi mediante aliquo accidente : sol enim mediante luce quae in ipso est, illuminat. Quia vero anima vivificat corpus est per essentiam animae. Sed vivificare, licet per modum actionis dicatur, non tamen est in genere actionis, cum sit actus primus magis quam secundus.

 6. Tout ce qui est principe daction, comme par quoi il subit, a valeur de puissance ; que ce soit lessence, ou quelque accident intermdiaire ; par exemple une qualit entre lessence et laction. Cependant dans les cratures corporelles, rarement ou jamais, on ne trouve une action dune nature substantielle, sinon par quelque accident intermdiaire. Le soleil, en effet, claire par lintermdiaire de la lumire, qui est en lui. Ainsi parce que lՉme donne vie au corps c'est par son essence. Mais donner vie, bien quon le dise par mode daction, nest cependant pas dans le genre de laction, puisque c'est un acte premier plus qu'un acte second[157].

q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in creaturis non potest esse generatio sine divisione essentiae vel naturae secundum esse, cum natura non sit suum esse ; et ideo in creaturis est generatio cum aliqua indignitate : et propter hoc in creaturis nobilioribus non competit generatio. Sed in Deo potest esse generatio huiusmodi sine huiusmodi vel alia imperfectione ; et ideo nihil prohibet generationem ibi ponere.

 7. Dans les cratures il ne peut y avoir gnration sans division de lessence ou de la nature selon l'tre, puisque la nature nest pas son tre et cest pourquoi en elles, il y a une gnration avec un certain manque de dignit et cest pour cela que la gnration ne convient pas aux cratures plus nobles. Mais en Dieu il peut y avoir une telle gnration sans imperfection de ce genre ou autre et cest pourquoi rien nempche de placer la gnration en lui.

q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illa ratio procedit de generatione materiali ; unde ad propositum, locum non habet.

 8. Cette raison procde de la gnration matrielle ; donc elle na pas place dans notre propos.

q. 2 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod illud quod est obiectum potentiae activae vel passivae cuius actio vel passio est cum motu, oportet esse possibile et contingens, cum omne mobile huiusmodi sit. Talis autem non est potentia generativa in Deo, ut dictum est ; unde ratio non sequitur.

 9. Ce qui est lobjet d'une puissance active ou passive, dont laction ou la passion est avec mouvement, doit tre possible et contingent, puisque tout ce qui est mobile est de ce genre. Mais telle nest pas la puissance gnrative en Dieu, comme on la dit ; donc cette raison ne convient pas.

q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Filius Dei non se habet ad potentiam generativam sicut effectus, cum eum genitum, non factum confiteamur. Si tamen esset effectus, potentia generantis non finiretur ad ipsum, quamvis alius generari Filius non possit, quia ipse infinitus est. Quod autem alius Filius in divinis esse non potest, contingit, quia ipsa filiatio est proprietas personalis ipsius ; et hoc quo, ut ita dicam, individuatur. Cuilibet autem individuo principia individuantia sunt soli sibi ; alias sequeretur quod persona vel individuum esset communicabile ratione.

 10. Le Fils de Dieu ne se comporte pas vis--vis de la puissance gnrative comme un effet, puisque nous confessons quil est engendr et non cr. Si cependant il tait un effet, la puissance de celui qui engendre ne se terminerait pas lui bien qu'un autre fils ne puisse tre engendr, puisquil est lui-mme infini. Mais le fait quun autre fils ne puisse pas exister en Dieu, arrive parce que la filiation mme est sa proprit personnelle et ce par quoi il est personalis pour ainsi dire. Pour nimporte quel individu les principes qui individualisent sont pour lui seul ; autrement il sensuivrait que la personne ou lindividu serait communicable en raison.

q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum illud Avicennae intelligendum est, quando id quod recipitur ab alio, non idem numero est in recipiente et dante, sicut accidit in creaturis respectu Dei. Unde omne receptum in creatura, est quasi unitas respectu esse divini : quia creatura non potest esse recipere secundum illam perfectionem quae in Deo est. Sed Filius in divinis accipit a Patre eamdem naturam numero quam Pater habet : et ideo non procedit.

 11. Il faut comprendre que ce mot dAvicenne sapplique quand ce qui est reu dun autre nest pas identique en nombre dans celui qui reoit et celui qui donne, comme cela arrive pour les cratures par rapport Dieu. C'est pourquoi tout ce qui est reu dans la crature est comme une unit par rapport lՐtre divin ; parce que la crature ne peut pas recevoir lՐtre selon cette perfection qui est en Dieu. Mais le Fils reoit du Pre une nature identique en nombre celle du Pre ; et cest pourquoi, cette objection n'est pas valable.

q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Filius non habet aliquid realiter divisum ab essentia quam a Patre recipit : sed hoc ipso quod a patre recipit, oportet in ipso esse relationem qua ad Patrem referatur, et per quam ab eo distinguatur. Ipsa tamen relatio realiter ab essentia non differt.

 12. Le Fils na rien qui soit rellement spar de lessence quil reoit du Pre ; mais il faut que ce quil reoit du Pre soit en lui une relation par laquelle il se rfre au Pre, et par laquelle il est distingu de lui. Cependant cette relation n'est pas rellement diffrente de lessence[158].

q. 2 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet eadem natura sit in Patre et Filio, est tamen secundum alium modum existendi, scilicet cum alia relatione et ideo non oportet quod quidquid convenit patri per naturam suam, conveniat Filio.

13. Bien que la nature soit la mme dans le Pre et le Fils, elle prsente un autre mode d'existence, cest--dire avec une autre relation et cest pourquoi il ne faut pas que ce qui convient au Pre par sa nature convienne au Fils.

q. 2 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod creaturae per hoc quod participant naturam speciei, pertingunt ad divinam similitudinem : unde quod aliquod suppositum creatum subsistat in natura creata, est ordinatum ad alterum tamquam ad finem ; et ideo ex quo sufficienter pervenitur ad finem per unum individuum, secundum perfectam et propriam participationem naturae speciei, non oportet aliud individuum in illa natura subsistere. Sed natura divina est finis : et non propter aliquem finem. Fini autem congruit ut communicetur secundum omnem possibilem modum. Unde quamvis ibi in uno supposito perfecte et proprie inveniatur ; nihil prohibet quin etiam inveniatur in alio.

 14. En participant la nature de lespce, les cratures parviennent la ressemblance divine : c'est pourquoi le fait quun suppt cr subsiste dans la nature cre est ordonn un autre comme sa fin, et ainsi du fait quon parvient avec suffisance la fin par un individu, selon la participation parfaite et propre de la nature de lespce, il ne faut pas quun autre individu demeure dans cette nature. Mais la nature divine est la fin et non en vue dune fin. Il convient une fin dՐtre communique, de toute manire possible. C'est pourquoi, quoique l on le trouve dans un suppt parfaitement et en propre, rien nempche quon le trouve dans un autre.

q. 2 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod generatio est species mutationis ex parte illa qua natura per generationem communicata recipitur in aliqua materia, quae est mutationis subiectum. Hoc autem non accidit in divina generatione ; ideo ratio non sequitur.

 15. La gnration est une espce de changement du ct o la nature communique par gnration est reue dans une matire qui est le sujet du changement. Mais cela narrive pas dans la gnration divine, cest pourquoi largument ne convient pas.

 

 

 

Article 2 Parle-t-on de la puissance gnrative en Dieu selon lessence ou la notion ?

q. 2 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum potentia generativa in divinis dicatur essentialiter vel notionaliter. Et videtur quod notionaliter tantum.

Il semble que cest selon la notion seulement.

 

Objections :[159]

q. 2 a. 2Arg. 1 Potentia enim rationem principii habet, ut patet per definitiones positas V Metaph. [text. 17] Sed principium in divinis respectu divinae personae notionaliter dicitur. Cum ergo potentia generandi hoc modo principium importet, videtur quod notionaliter dicatur.

1. Car la puissance a raison de principe, comme on le voit dans les dfinitions donnes au livre V de la Mtaphysique () V, 12, 1019 a 15-16[160]). Mais on parle de principe en Dieu en rapport avec la personne divine selon la notion. Donc comme la puissance dengendrer de cette manire apporte un principe, il semble quon en parle selon la notion.

q. 2 a. 2Arg. 2 Sed dicitur, quod significat simul essentiam et notionem. Sed contra, in divinis, secundum Boetium [in libro de Trin.], sunt haec duo praedicamenta ; substantia, ad quam pertinet essentia ; et ad aliquid, ad quod pertinent notionalia. Non potest autem aliquid esse in duobus praedicamentis, quia homo albus non est aliquid unum nisi per accidens, ut habetur V Metaph. Ergo potentia generandi non potest in sua ratione utrumque complecti, scilicet substantiam et notionem.

2. Mais on dit que la puissance signifie en mme temps lessence et la notion. En sens contraire en Dieu, selon Boce[161] (la Trinit, V), il y a ces deux catgories : la substance laquelle se rattache lessence ; et la relation laquelle se rattachent les notions[162]. Mais rien ne peut tre dans deux catgories, parce que lhomme blanc nest quelque chose d'unique que par accident, comme on le dit (Cf. Mtaphysique () V, 7, 1017 a 8 ss[163].). Donc la puissance dengendrer ne peut pas par dfinition embrasser les deux, cest--dire la substance et la notion.

q. 2 a. 2Arg. 3 Praeterea, principium in divinis distinguitur ab eo cuius est principium. Sed essentia non debet distingui. Ergo non competit ei ratio principii : et ita potentia, quae rationem principii includit, non significat essentiam.

3. En Dieu, on distingue le principe de ce dont il est le principe. Mais on ne doit pas faire de distinctions pour lessence. Donc la raison de principe ne lui convient pas, et ainsi la puissance, qui inclut la raison du principe, ne signifie pas lessence[164].

q. 2 a. 2Arg. 4 Praeterea, in divinis quod est proprium, est relativum et notionale ; quod vero est commune, est essentiale et absolutum. Potentia autem generandi non est communis patri et Filio, sed propria Patris. Ergo dicitur relative sive notionaliter, non essentialiter nec absolute.

4. En Dieu, ce qui est en propre est relatif et notionnel[165], et ce qui est commun, essentiel et absolu. Mais la puissance dengendrer nest pas commune au Pre et au Fils, mais propre au Pre. Donc on la dfinit comme relative ou notionnelle, mais non comme essentielle ou absolue.

q. 2 a. 2Arg. 5 Praeterea, propriae actionis est principium propria forma, non communis ; sicut homo per intellectum intelligit : nam haec actio est sibi propria respectu animalium aliorum, sicut et forma rationalitatis sive intellectualitatis. Sed generatio est propria operatio Patris in quantum est Pater. Ergo eius principium est paternitas, quae est propria forma Patris, et non deitas, quae est forma communis. Paternitas vero ad aliquid dicitur. Ergo potentia generandi non solum quantum ad rationem principii, sed etiam quantum ad id quod est principium, dicitur ad aliquid.

5. Le principe dune action particulire est la forme propre, non commune ; ainsi lhomme comprend par son intellect ; car cette action lui est propre par rapport aux autres tres anims, de mme que la forme de la rationalit ou de lintellectualit. Mais la gnration est lopration propre du Pre en tant que tel. Donc son principe est la paternit qui est la forme propre du Pre et non la divinit qui est la forme commune. Et la paternit est dsigne comme une relation. Donc la puissance dengendrer, non seulement quant la nature du principe, mais aussi quant ce pour quoi elle est principe, est appele relation.

q. 2 a. 2Arg. 6 Praeterea, sicut potentia generandi realiter ab essentia divina non differt, ita nec etiam paternitas. Sed hoc non obstante paternitas dicitur tantum ad aliquid. Ergo nec propter hoc debet dici quod potentia generandi, cum relatione significet essentiam.

6. La puissance dengendrer ne diffre pas rellement de lessence divine, la paternit non plus. Cependant cela n'empche pas que la paternit ne soit dfinie quen tant que relation. Donc ce n'est pas cause de cela qu'on doit dire que la puissance dengendrer signifie lessence avec une relation.

q. 2 a. 2Arg. 7 Praeterea, in divinis tria invenimus quae rationem principii habent, scilicet potentiam et scientiam et voluntatem, quae essentialiter dicuntur in Deo. Sed scientia et voluntas non simul significantur cum aliqua relatione vel notione in divinis. Ergo pari ratione nec potentia ; et sic non potest dici quod potentia generandi significet simul essentiam ex parte potentiae, et notionem ex parte generationis ; sed videtur quod significet tantum notionem per rationes inductas.

7. En Dieu, nous trouvons trois attributs qui ont nature de principe, savoir la puissance, la science et la volont, dont on parle en lui en rapport avec lessence. Mais on ne signifie pas la science et la volont en mme temps avec une relation ou une notion. Donc, raison gale, la puissance non plus, et ainsi on ne peut pas dire que la puissance dengendrer signifie en mme temps lessence du ct de la puissance et la notion du ct de la gnration, mais il semble quelle signifie seulement la notion pour les raisons invoques.

En sens contraire :

q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Magister dicit, 7 dist., I Senten., quod potentia generandi in patre est ipsa divina essentia.

1. Il y a ce que dit la Matre des Sentences (I Sent., d.7[166]) que la puissance dengendrer dans le Pre est lessence divine mme.

q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius dicit [libro de Synodis], quod Pater generat virtute naturae divinae. Ergo ipsa natura est generationis principium ; et sic rationem potentiae habet.

2. Hilaire dit (Les synodes[167]) que le Pre engendre par le pouvoir de sa nature divine. Donc sa propre nature est le principe de la gnration et ainsi elle a raison de puissance.

q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Damascenus dicit [lib. II de Fide orth., cap. XXIIII] quod generatio est opus naturae existens ; et sic idem quod prius.

3. Jean Damascne (La foi orthodoxe, 1, 8[168]) dit que la gnration est luvre de la nature et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 2 s. c. 4 Praeterea, in divinis est tantum una potentia. Sed potentia creandi dicitur essentialis. Ergo et potentia generandi.

4. En Dieu, il n'y a qu'une seule puissance[169]. Mais on dit que la puissance de crer est essentielle[170]. Donc la puissance dengendrer aussi.

 

Rponse :

q. 2 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod potentia generandi in divinis dicitur tantum ad aliquid : et movebantur hac ratione : quia potentia secundum suam rationem est principium quoddam ; principium autem relative dicitur et est notionale, si referatur ad divinam potentiam et non ad creaturas. Sed in hac ratione videntur fuisse decepti propter duo : `

Sur ce sujet les opinions sont nombreuses.A) Car certains ont dit qu'on parle de la puissance dengendrer en Dieu seulement comme relation[171], et ils y taient pousss parce que la puissance par nature est un principe ; on dit d'un principe quil est relatif et il est notionnel, si on le rapporte la puissance divine et non aux cratures.Mais dans ce raisonnement, ils paraissent sՐtre tromps pour deux raisons :

primo, quia licet potentiae conveniat ratio principii, quod in genere relationis est, tamen id quod est principium actionis vel passionis, non est relatio, sed aliqua forma absoluta ; et id est essentia potentiae ; et inde est quod philosophus ponit potentiam non in genere relationis, sed qualitatis, sicut et scientiam, quamvis utrique aliqua relatio accidat.

a) Parce que, bien que la nature du principe, qui est dans le genre de la relation, convienne la puissance, cependant ce qui est principe daction ou de passion nest pas une relation mais une forme absolue ; c'est--dire lessence de la puissance ; et de l vient que le philosophe place la puissance non pas dans le genre de la relation mais dans celui de qualit comme la connaissance aussi, quoique en chacune des deux on trouve une relation[172].

Secundo, quia ea quae in divinis important principium respectu operationis, non dicuntur notionaliter, sed solum ea quae dicunt principium respectu eius quod est operationis terminus : principium enim quod notionaliter dicitur in divinis, est respectu personae subsistentis ; operatio autem non significatur ut subsistens : unde ea quae respectu operationis rationem principii habent, non oportet in divinis notionaliter dici ; alias voluntas et scientia et intellectus et omnia huiusmodi notionaliter dicerentur.

b) Parce qu'on ne dsigne pas comme notion ce qui apporte en Dieu un principe en rapport avec lopration, mais seulement de ce quils appellent le principe en rapport avec le terme de lopration[173] ; car le principe qu'on dsigne comme notion en Dieu, est en rapport avec une personne subsistante ; mais lopration nest pas signifie comme subsistante. C'est pourquoi ce qui a raison de principe en rapport avec l'opration ne doit pas tre signifi en Dieu comme une notion, autrement la volont, la connaissance, lintellect et tout ce qui est de ce genre serait signifi comme notions.

Potentia autem, licet sit principium quandoque et actionis et eius quod est per actionem productum, tamen unum accidit ei, alterum vero competit ei per se : non enim potentia activa semper, per suam actionem, aliquam rem producit quae sit terminus actionis, cum sint multae operationes quae non habent aliquid operatum, ut philosophus dicit [I Ethic., cap. I et IX, Metaph., lec. 15] ; semper enim potentia est actionis vel operationis principium. Unde non oportet quod propter relationem principii, quam nomen potentiae importat, relative dicatur in divinis.

Mais bien que la puissance soit parfois principe de laction et de ce qui est produit par son action, cependant une seule chose lui arrive, et lautre lui convient par soi ; car la puissance active, par son action, ne produit pas toujours ce qui est le terme de laction, puisquil y a de nombreuses oprations qui nont aucun rsultat, comme le philosophe le dit (thique I, 1, 1094 a 4 et Mtaphysique IX, 8, 1050 a 3[174]), car la puissance est toujours principe de laction ou de lopration. Donc il ne faut pas que, cause de la relation de principe quintroduit le nom de puissance, on en parle selon la relation en Dieu.

Ipsa etiam positio veritati consona non videtur. Nam si id quod est potentia, est ipsa res quae est principium actionis, oportet naturam divinam esse id quod est principium in divinis : cum enim omne agens, in quantum huiusmodi, agat simile sibi, illud est principium generationis in generante secundum quod genitus generanti similatur, homo enim virtute humanae naturae generat Filium, qui sibi in natura humana similis invenitur : Deo autem patri conformis est Deus genitus in natura divina : unde natura divina est generationis principium, ut cuius virtute generat Pater, sicut Hilarius dicit, loc. cit.

Cette position ne semble pas non plus en accord avec la vrit. Car si ce qui est la puissance est ce qui est principe de laction, il faut que la nature divine soit ce qui est le principe en Dieu ; puisque, en effet, tout agent, en tant que tel, fait du semblable lui ; cest cela le principe de la gnration dans celui qui engendre selon que lengendr lui ressemble, car lhomme par le pouvoir de sa nature, engendre un fils qui se trouve lui ressembler dans la nature humaine, mais le Dieu engendr dans la nature divine est conforme Dieu le Pre. C'est pourquoi la nature divine est principe de gnration, comme de ce que le Pre engendre par son pouvoir, comme le dit Hilaire (Loc. cit.).

et propter hoc alii dixerunt, quod potentia generandi significat essentiam tantum. Sed illud etiam conveniens non videtur : actio enim quae fit virtute naturae communis per aliquid sub natura communi contentum, aliquem modum accipit ex propriis illius principiis ; sicut actio quae debetur naturae animalis, fit in homine secundum quod competit principiis speciei humanae : unde et homo perfectius habet actum virtutis imaginativae quam alia animalia, secundum quod competit eius rationalitati. Similiter etiam actio hominis invenitur in hoc et in illo homine secundum quod competit principiis individualibus huius vel illius, ex quibus contingit quod unus homo clarius alio intelligit. Et ideo oportet quod si natura communis sit principium alicuius operationis quae solum patri convenit, oportet quod sit principium, secundum quod competit proprietati personali patri. Et propter hoc in ratione potentiae includitur quodammodo paternitas, etiam quantum ad id quod est generationis principium.

B) Et cest pour cela que dautres ont dit que la puissance dengendrer signifie lessence seulement. Mais mme cela ne parat pas convenir. Car laction qui se fait par le pouvoir d'une nature commune par quelque chose contenu dans la nature commune, reoit un mode par ses propres principes ; de mme que laction, due la nature de l'animal est accomplie dans lhomme selon qu'elle rpond aux principes de l'espce humaine : c'est pourquoi lhomme a un acte de son pouvoir imaginatif plus parfait que les autres autres anims, selon qu'il rpond sa rationalit. De la mme manire, on trouve laction de lhomme dans cet homme et dans celui-l, selon quil rpond aux principes individuels de celui-ci ou celui-l, par lesquels il se trouve quun homme pense plus clairement quun autre. Et cest pourquoi, si la nature commune est le principe dune opration qui convient seulement au Pre, il faut quelle soit le principe, selon quelle convient par la proprit personnelle du Pre. Et cause de cela la paternit est incluse d'une certaine manire aussi dans la nature de la puissance, pour ce qui est aussi le principe de la gnration.

Et propter hoc cum aliis dicendum est, quod potentia generandi simul essentiam et notionem significat.

C) Et cest pour cela quil faut le dire avec dautres[175], la puissance dengendrer signifie en mme temps essence et notion.

 

Solutions :

q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia importat rationem principii respectu operationis, quae notionaliter non dicitur in divinis, ut dictum est.

 1. La puissance apporte une raison de principe en rapport avec lopration dont on ne parle pas comme une notion en Dieu, comme on la dit[176].

q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus creatis unum praedicamentum accidit alteri, propter quod non potest ex duobus fieri unum, nisi unum per accidens ; sed in divinis relatio est realiter ipsa essentia : et ideo non est simile.

 2. Dans les cratures, il ny a quune seule catgorie qui arrive dans une autre, parce qu'on ne peut de deux en faire une moins qu'elle ne soit une, par accident[177] ; mais en Dieu, la relation est rellement lessence mme et cest pourquoi ce nest pas pareil.

q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in rebus creatis principium generationis est duplex, scilicet generans et quo generatur : sed generans quidem per generationem distinguitur a genito, cum nulla res generet se ipsam ; sed id quod generans generat, non distinguitur, sed est commune utrique, ut dictum est, in corp. art. unde non oportet naturam divinam distingui, sicut potentia generandi, cum potentia sit principium ut quo.

 3. Dans les cratures, le principe de la gnration est double : celui qui engendre et ce par qui il est engendr ; mais celui qui engendre est distingu de lengendr par la gnration, puisque rien ne sengendre soi-mme ; mais ce que ce qui engendre engendre nest pas diffrent, mais est commun lun et lautre, comme on la dit, dans le corps de l'article. C'est pourquoi il ne faut pas que la nature divine soit distingue comme la puissance dengendrer, puisque la puissance est le principe dorigine.

q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratione relationis implicitae, potentia generandi non est communis, sed propria.

 4. Par la nature de la relation implicite, le pouvoir dengendrer nest pas commun, mais personnel.

q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in qualibet generatione principium generationis principaliter non est aliqua forma individualis, sed forma quae pertinet ad naturam speciei. Item non oportet quod genitum similetur generanti quantum ad conditiones individuales, sed quantum ad naturam speciei. Paternitas autem non est in patre per modum formae speciei, sicut humanitas in homine, sic enim in eo est divina natura ; sed est in eo, ut ita dicam, sicut principium individuale, est enim proprietas personalis : et ideo non oportet quod sit generationis principium principaliter, sed quodammodo cointellectum ratione supradicta : aliter sequeretur quod Pater per generationem non solum deitatem, sed paternitatem communicaret ; quod est inconveniens.

 5. Dans n'importe quelle gnration, le principe nest pas principalement une forme individuelle, mais celle qui rpond la nature de lespce. Dautre part, il ne faut pas que lengendr ressemble celui qui engendre pour les caractres individuels, mais pour la nature de lespce. La paternit nest pas dans le Pre la manire d'une forme despce, comme lhumanit dans lhomme, car ainsi il y a en lui la nature divine ; mais elle est en lui, pour ainsi dire, comme principe individuel, car elle est une proprit personnelle ; et cest pourquoi il ne faut pas quelle soit principalement le principe de la gnration mais dune certaine manire, comprise avec lui pour la raison quon a donne ; autrement il en dcoulerait que le Pre communiquerait non seulement la divinit par gnration mais aussi sa paternit, ce qui ne convient pas.

q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentia generandi est idem realiter cum natura divina ita quod natura includitur in ratione ipsius : non autem sic est de paternitate, unde non est simile.

 6. La puissance dengendrer est identique en ralit la nature divine, de sorte que la nature est incluse dans sa raison dՐtre, mais il nen est pas ainsi de la paternit, donc ce nest pas pareil.

q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod scientia vel voluntas non est principium generationis, cum generatio sit naturae, quae in quantum est actionis principium, rationem potentiae habet. Et inde est quod potentia consignificatur cum eo quod est ad aliquid in divinis, non autem scientia vel voluntas.

 7. La science ou la volont nest pas un principe de gnration, puisque celle-ci vient de la nature, qui, en tant que principe daction, a raison de puissance. Et de l vient que la puissance est signifie en mme temps avec ce qui est relation en Dieu, mais non la connaissance ou la volont.

q. 2 a. 2 ad s. c. Ad ea autem quae sunt in contrarium de facili patet responsio ex praedictis.

A partir de ce qui vient dՐtre dit, la rponse est facile pour les arguments contraires.

 

 

 

Article 3 La puissance gnrative en son acte de gnration procde-t-elle du pouvoir de la volont ?

Qu. 2, a. 3q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum potentia generativa in actum generationis procedat per imperium voluntatis. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

 

Objections :[178]

q. 2 a. 3Arg. 1 Hilarius enim dicit [in lib. De Synodis], quod Non naturali ductus necessitate Pater genuit Filium. Sed si non genuit voluntate, genuit naturali necessitate, quia agens vel est voluntarium vel naturale. Ergo Pater genuit Filium voluntate ; et sic potentia generativa per imperium voluntatis exit in actum generandi.

1. Hilaire dit, en effet, dans Les Synodes (PL. 10, 59[179]) que ce nest pas pouss par une ncessit naturelle que le Pre a engendr le Fils. Mais sil na pas engendr volontairement, il la engendr par ncessit naturelle, parce qu'un agent agit par volont ou par nature. Donc le Pre a engendr le Fils par volont, et ainsi la puissance gnrative en vient lacte dengendrer par le pouvoir de la volont.

q. 2 a. 3Arg. 2 Sed dicebat, quod Pater non genuit Filium neque voluntate praecedente, neque voluntate consequente, sed concomitante.- Sed contra, videtur quod haec ratio sit insufficiens. Cum enim quidquid est in Deo sit aeternum, nihil quod est in Deo, potest tempore praecedere aliquid in Deo existens : et tamen invenitur quod aliquid habet ad aliud rationem principii, sicut voluntas Dei ad electionem qua eligit iustos ex hoc solo quod ab intellectu procedit. Ergo quamvis voluntas generationem filii tempore non praecedat, nihilominus, ut videtur, potest poni principium generationis filii ex hoc quod procedit ab intellectu.

2. Mais on pourrait dire que le Pre na engendr le Fils, ni par volont antcdente ni volont consquente, mais volont concomitante. En sens contraire, cette raison semble insuffisante. Comme, en effet, tout ce qui est en Dieu est ternel, rien de ce qui est en lui ne peut prcder chronologiquement ce qui existe en lui et cependant on trouve que quelque chose a raison de principe pour une autre ; comme la volont de Dieu pour lՎlection par laquelle il lit les justes du seul fait que cela procde de son intellect. Donc quoique la volont ne prcde pas la gnration du Fils chronologiquement, nanmoins, ce quil semble, on peut poser le principe de la gnration du Fils du fait quil procde de son intellect

q. 2 a. 3Arg. 3 Praeterea, Filius procedit per actum intellectus cum procedat ut verbum : verbum enim intellectuale non est nisi cum intelligimus aliquid cogitantes, ut Augustinus dicit [de Trinit., lib. IX, cap. VII]. Sed voluntas est principium intellectualis operationis : imperat enim actum intellectus, sicut et aliarum potentiarum, ut Anselmus dicit [in lib. De Similitud., cap. II] ; intelligo enim quia volo, sicut et ambulo quia volo. Ergo voluntas est principium processionis Filii.

3. Le Fils procde par un acte de lintellect, puisqu'il procde en tant que Verbe, car le verbe intellectuel nexiste que lorsque nous saisissons quelque chose par la pense, comme Augustin le dit (la Trinit, IX, VII, 11). Mais la volont est le principe de lopration intellectuelle ; car elle commande lacte de lintellect, comme celui des autres puissances, comme le dit Anselme (De similit. 2) ; car je pense, parce que je le veux, de mme que je me promne parce que je le veux. Donc la volont est le principe de la procession du Fils.

q. 2 a. 3Arg. 4 Sed dices, quod in humanis verum est quod voluntas imperat actum intellectus, non autem in divinis.- Sed contra, praedestinatio quodammodo est actus intellectus : dicimus enim, quod Deus praedestinavit Petrum quia voluit, secundum illud Rom. IX, 18 : Cuius vult miseretur et quem vult indurat. Ergo non solum in humanis sed etiam in divinis voluntas imperat actum intellectus.

4. Mais on dira que chez l'homme, il est vrai que la volont commande lacte de lintellect, mais pas en Dieu. En sens contraire, la prdestination est dune certaine manire un acte de lintellect ; car nous disons que Dieu a prdestin Pierre parce quil la voulu, selon cette parole de Rm. 9,18 : Il a piti de qui il veut et il endurcit qui il veut. Donc non seulement chez l'homme mais aussi en Dieu, la volont commande lacte de lintellect.

q. 2 a. 3Arg. 5 Praeterea, secundum philosophum [VIII Phys., text ; 34], quod movetur ex se ipso potest moveri et non moveri ; et eadem ratione quod agit ex se ipso agere potest et non agere. Sed natura non potest agere et non agere, cum sit determinata ad unum. Ergo non agit ex se ipsa, sed quasi mota ab alio. Hoc autem in divinis esse non potest. Nulla ergo actio in divinis est a natura ; et sic nec generatio. Et ita generatio est a voluntate, cum omnia agentia reducantur in naturam vel voluntatem, ut patet II Physic. [comm. 45 et 49]

5. Selon le philosophe (Physique, VIII, 5, 256 a 13), ce qui se meut de lui-mme a pouvoir de se mouvoir ou pas ; et pour la mme raison, ce qui agit de soi-mme a pouvoir d'agir ou pas. Mais la nature ne peut pas agir ou ne pas agir, puisquelle est limite un seul objet. Donc elle nagit pas d'elle-mme, mais comme mue par un autre. Mais cela ne peut pas exister en Dieu. Donc nulle action en lui ne dpend de la nature, la gnration non plus. Et ainsi la gnration dpend de la volont, puisque tous les agents sont ramens la nature ou la volont, comme on le voit en Physique (II, 4, 196 a 28[180]).

q. 2 a. 3Arg. 6 Praeterea, si actio naturae praecedat actionem voluntatis, sequitur inconveniens, quod scilicet ratio voluntatis tollatur. Nam cum natura sit determinata ad unum, si voluntatem moveat, eam ad unum tantum movebit ; quod est contra rationem voluntatis, quae secundum quod huiusmodi, libera est. Si vero voluntas naturam moveat, neque tolletur ratio naturae neque voluntatis, quia quod se habet ad plura, nihil prohibet quod ad unum moveat. Ergo rationabiliter actio voluntatis praecedit actionem naturae, magis quam e converso. Sed generatio filii est pura actio sive operatio. Ergo est a voluntate.

6. Si laction de la nature prcde laction de la volont, il en dcoule un inconvnient : on exclut la raison dՐtre de la volont. Car, puisque la nature est dtermine un seul objet, si elle meut la volont, elle la mettra en mouvement pour un seul objet, ce qui est contre la nature de la volont, qui, en tant que telle, est libre. Mais si la volont meut la nature, ni la raison dՐtre de la nature ni de la volont n'est exclue, parce quelle s'tend plusieurs objets, rien nempche quelle meuve pour un seul objet. Donc en raison, laction de la volont prcde laction de nature, plus que le contraire. Mais la gnration du Fils est pure action ou pure opration. Donc elle dpend de la volont.

q. 2 a. 3Arg. 7 Praeterea, in Psalm. CXLVIII, 5, dicitur : dixit, et facta sunt, quod Augustinus exponit [lib. II de genesi ad litt., c. VI et VII] : Id est, verbum genuit in quo erant ut fierent. Sic ergo processio verbi a patre, est ratio creaturae producendae. Si ergo Filius non procedit a Patre per imperium voluntatis sed naturae, videtur sequi quod omnes creaturae a Deo naturaliter et non solum voluntarie procedant, quod est erroneum.

7. Dans le Ps. 148,5 il est dit : Il dit et ce fut fait quAugustin expose ainsi (La Gense au sens littral, II, VI, 13 et II, VII) Cest--dire il engendra le Verbe dans lequel il tait que cela serait fait[181]. Ainsi donc la procession du Verbe partir du Pre est la raison de la production de la crature. Si donc le Fils ne procde pas du Pre par le pouvoir de la volont, mais par celui de la nature, il parat en dcouler que toutes les cratures procdent de Dieu naturellement et pas seulement volontairement, ce qui est une erreur[182].

q. 2 a. 3Arg. 8 Praeterea, Hilarius dicit in libro de Synodis : si quis nolente patre natum dicat Filium, anathema sit. Non ergo Pater genuit Filium involuntarie ; et sic idem quod prius.

8. Hilaire dit dans le livre des Synodes (57, PL. 10, 520 C, canon 25) : Si quelquun dit que le Fils est n sans que le Pre le veuille, quil soit anathme. Donc le Pre ne la pas engendr involontairement et ainsi de mme que plus haut.

q. 2 a. 3Arg. 9 Praeterea, Ioan. III, 35, dicitur : Pater diligit Filium, et omnia dedit in manu eius, quod secundum unam Glossam exponitur de datione generationis aeternae. Dilectio ergo Patris ad Filium est signum potius quam ratio generationis aeternae. Sed dilectio est a voluntate. Ergo voluntas est principium generationis Filii.

9. En Jean 3, 35, il est dit : Le Pre aime le Fils et a tout mis dans sa main, quon expose, selon une glose, comme le don de la gnration ternelle. Donc lamour du Pre pour le Fils est le signe plus que la raison de la gnration ternelle. Mais lamour vient de la volont. Donc la volont est le principe de la gnration du Fils.

q. 2 a. 3Arg. 10 Praeterea, Dionysius dicit [in libro de div. Nom. cap. IV], quod divinus amor non permittit ipsum sine germine esse. Ex quo etiam videtur idem, scilicet quod amor sit ratio generationis.

10. Denys (Les Noms divins, ch. 4) dit que lamour de Dieu ne lui permet pas dՐtre sans descendance. Cela montre la mme chose, savoir que lamour est la raison de la gnration.

q. 2 a. 3Arg. 11 Praeterea, positio ad quam non sequitur aliquod inconveniens sive error, potest poni in divinis. Sed si ponatur quod Pater genuerit Filium voluntate, non sequitur aliquod inconveniens : neque enim sequitur quod Filius non sit aeternus, ut videtur ; neque quod non sit consubstantialis aut aequalis patri : quia Spiritus sanctus, qui procedit per modum voluntatis, coaeternus est, coaequalis et consubstantialis Patri et Filio. Ergo videtur quod non sit erroneum dicere, quod Pater genuit Filium voluntate.

11. On peut mettre sur Dieu une hypothse d'o ne dcoule ni inconvnient ni erreur. Mais si lon pense que le Pre a engendr le Fils par volont, il nen dcoule aucun d'inconvnient ; en effet il nen dcoule pas que le Fils n'est pas ternel, l'vidence ; ni quil ne soit pas consubstantiel ou gal au Pre, parce que lEsprit Saint qui procde par mode de volont est coternel, cogal et consubstantiel au Pre et au Fils. Donc il semble que ce nest pas une erreur de dire que le Pre engendre le Fils par volont.

q. 2 a. 3Arg. 12 Praeterea, voluntas quaelibet non potest non velle suum ultimum finem. Sed finis divinae voluntatis est communicatio suae bonitatis, quae maxime fit per generationem. Ergo voluntas Patris non potest non velle generationem Filii : voluntate ergo genuit Filium.

12. Toute volont ne peut pas ne pas vouloir sa fin ultime. Mais la fin de la volont divine est la communication de sa bont, ce qui se fait au plus haut degr par gnration. Donc la volont du Pre ne peut pas ne pas vouloir la gnration du Fils ; donc il a engendr le Fils par sa volont.

q. 2 a. 3Arg. 13 Praeterea, humana generatio a divina extrahitur, secundum illud Ephes. cap. III, 15 : Ex quo omnis paternitas in caelo et in terra nominatur. Sed humana generatio subiacet imperio voluntatis : aliter in actu generationis peccatum non esset. Ergo etiam divina ; et sic idem quod prius.

13. La gnration humaine dcoule de celle de Dieu, selon cette parole de Ep. 3,15 : De lui toute paternit dans le ciel et sur la terre tire son nom. Mais la gnration humaine est soumise au pouvoir de la volont. Autrement, dans lacte de gnration, il ny aurait pas de pch. Donc de mme dans la gnration divine et ainsi de mme que plus haut.

q. 2 a. 3Arg. 14 Praeterea, omnis actio naturae immutabilis est necessaria. Sed natura divina omnino est immutabilis. Si ergo generatio sit operatio naturae et non voluntatis, sequitur quod sit necessaria, et ita quod Pater genuit Filium necessitate : quod est contra Augustinum [ad orosium, cap. VII].

14. Toute action dune nature immuable est ncessaire. Mais la nature divine est tout fait immuable. Si donc la gnration est une opration de nature et non de la volont, il s'ensuit quelle est ncessaire et ainsi que le Pre a engendr le Fils par ncessit, ce qui soppose Augustin ( Orose, ch. 7[183]).

q. 2 a. 3Arg. 15 Praeterea, Augustinus dicit [XV de Trinitate cap. XX], quod Filius est consilium de consilio et voluntas de voluntate. Sed haec praepositio de denotat principium. Ergo voluntas est principium generationis Filii, et sic idem quod prius.

15. Augustin dit (la Trinit, XV, XX, 38) que le Fils est le conseil du conseil, le volont de la volont[184]. Mais cette prposition de dsigne un principe. Donc la volont est le principe de la gnration du Fils et ainsi de mme que ci-dessus.

 

En sens contraire :

q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit [in libro ad Orosium] : Pater neque voluntate neque necessitate genuit Filium.

1. Il y a ce que dit Augustin ( Orose[185]) : Le Pre na engendr le Fils, ni par volont, ni par ncessit.

q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, summa diffusio voluntatis est per modum amoris. Filius autem non procedit per modum amoris, sed potius Spiritus sanctus. Ergo voluntas non est principium generationis filii.

2. La plus haute diffusion de la volont saccomplit par mode damour. Le Fils ne procde pas par mode damour, mais c'est plutt lEsprit Saint. Donc la volont nest pas le principe de la gnration du Fils.

q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Filius procedit a Patre ut splendor a luce, secundum illud Hebr. cap. I, vers. 3 : Qui cum sit splendor gloriae et figura substantiae eius. Sed splendor non procedit a luce voluntate mediante. Ergo nec Filius a Patre.

3. Le Fils procde du Pre comme la splendeur (procde) de la lumire, selon ce mot de Hb. 1, 3 : Il est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance[186]. Mais la splendeur ne procde pas de la lumire par lintermdiaire de la volont. Donc ni le Fils du Pre.

 

Rponse :

q. 2 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod generatio Filii potest se habere ad voluntatem ut voluntatis obiectum : Pater enim et Filium voluit et Filii generationem ab aeterno : nullo autem modo voluntas esse potest divinae generationis principium : quod sic patet. Voluntas, inquantum voluntas, cum sit libera, ad utrumlibet se habet. Potest enim voluntas agere vel non agere, sic vel sic facere, velle et non velle. Et si respectu alicuius hoc voluntati non conveniat, hoc accidet voluntati non in quantum voluntas est, sed ex inclinatione naturali quam habet ad aliquid, sicut ad finem ultimum, quem non potest non velle ; sicut voluntas humana non potest non velle beatitudinem, nec potest velle miseriam. Ex quo patet quod omne illud cuius voluntas est principium, quantum in se est, possibile est esse vel non esse, et esse tale vel tale, et tunc vel nunc (...)

Il faut dire que la gnration du Fils se comporte par rapport la volont comme son objet. Car le Pre a voulu le Fils et sa gnration ternellement. Mais en aucune manire, la volont ne peut tre le principe de la gnration divine ; ce qu'on montre ainsi. Comme la volont, en tant que telle, est libre, elle choisit entre deux solutions. Car la volont peut agir ou pas, agir ainsi ou diffremment, vouloir ou ne pas vouloir. Et si par rapport quelque chose cela ne convient pas la volont, cela lui arrive, non en tant quelle est volont, mais par linclination naturelle quelle a pour quelque chose comme sa fin ultime qu'elle ne peut pas ne pas vouloir ; ainsi la volont humaine ne peut pas ne pas vouloir la batitude, et elle ne peut vouloir le malheur. Par l il est clair que tout ce dont la volont est le principe quant soi, a la possibilit dՐtre ou ne pas tre, et tre tel ou tel et alors ou maintenant.

Omne autem illud quod sic se habet, est creatum : quia in eo quod increatum est, non est potestas ad esse vel non esse. Sed per se necesse est esse, ut Avicenna probat [VIII Metaph., cap. IV]. Si ergo ponitur Filius voluntate genitus, necessario sequitur ipsum esse creaturam. Et propter hoc Ariani qui ponebant Filium creaturam, dicebant eum esse genitum voluntate. Catholici autem dicunt Filium non natum voluntate, sed natura. Natura enim ad unum determinata est. Et secundum hoc ex hoc quod Filius est a Patre genitus natura, oportet quod ipse non possit esse non genitus, et quod non possit esse alio modo quam est, aut patri non consubstantialis ; cum quod naturaliter procedit, procedat in similitudinem eius a quo procedit. Et hoc est quod Hilarius dicit : Omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit ; sed naturam filio dedit perfecta nativitas ; et ideo talia sunt cuncta qualia Deus esse voluit ; Filius autem talis est qualis est Deus.

Tout ce qui se comporte ainsi est cr, parce que, en ce qui est incr, le pouvoir d'tre ou ne pas tre n'existe pas. Mais il lui est ncessaire d'tre par soi, comme Avicenne le prouve (Mtaphysique VIII, 4[187]). Donc si on pense que la Fils a t engendr par volont, il en dcoule ncessairement quil est une crature. Et cest pour cela que les Ariens, qui affirmaient que le Christ tait une crature, disaient quil avait t engendr par volont. Mais les Catholiques disent que le Fils nest pas n par volont mais par nature. Car la nature est dtermine un seul but. Et du fait que le Fils a t engendr du Pre par nature, il faut que lui-mme ne puisse pas ne pas tre engendr, et quil ne puisse pas exister dune autre manire quil nest, ou sans tre consubstantiel au Pre ; puisque ce qui procde naturellement procde dans la ressemblance de ce dont il procde. Et cest ce que Hilaire dit (Les Synodes, n58[188]) : La volont de Dieu apporte la substance toutes les cratures, mais une naissance parfaite a donn la nature au Fils ; et ainsi toute chose est telle que Dieu a voulu qu'elle existe, mais le Fils est tel que Dieu.

Sicut autem dictum est, voluntas licet respectu aliquorum ad utrumlibet se habeat, tamen respectu finis ultimi naturalem inclinationem habet ; et similiter intellectus respectu cognitionis principiorum primorum, naturalem quemdam motum habet. Principium autem divinae cognitionis est ipse Deus qui est finis suae voluntatis ; unde illud quod procedit in Deo per actum intellectus cognoscentis seipsum realiter procedit ; et similiter quod procedit per actum voluntatis diligentis se ipsam. Et propter hoc cum Filius procedat ut Verbum per actum intellectus divini in quantum Pater cognoscit seipsum et Spiritus sanctus per actum voluntatis in quantum Pater diligit Filium : sequitur quod tam Filius quam Spiritus sanctus naturaliter procedant, et ex hoc ulterius quod sint consubstantiales et coaequales et coaeterni patri et sibi invicem.

Comme on la dit, bien que la volont choisisse entre deux solutions, cependant elle a une inclination naturelle par rapport la fin ultime ; et semblablement lintellect a un mouvement naturel en rapport avec la connaissance des premiers principes. Mais le principe de la connaissance divine est Dieu lui-mme qui est la fin de sa volont, c'est pourquoi ce qui procde en Dieu par un acte de lintellect qui se connat lui-mme procde rellement de lui et il en est de mme pour ce qui procde par un acte de la volont qui saime elle-mme. Et cause de cela, comme le Fils procde comme Verbe, par un acte de lintellect divin, dans la mesure o le Pre se connat lui-mme, et comme lEsprit Saint procde par un acte de la volont dans la mesure o le Pre aime le Fils, il sensuit que tant le Fils que lEsprit Saint procdent naturellement et par l en plus ils sont consubstantiels et co-gaux et coternels au Pre et lun avec lautre.

 

Solutions :

q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hilarius loquitur de necessitate quae importat violentiam : quod patet per hoc quod subdit : Non naturali necessitate ductus, cum vellet generare Filium.

 1. Hilaire parle dune ncessit qui apporte la violence, ce qui apparat par ce quil ajoute : Il nՎtait pas pouss par une ncessit naturelle, quand il voulait engendrer son Fils[189].

q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod respectu nullius rei est in Deo voluntas antecedens ; quia quidquid aliquando Deus vult, ab aeterno voluit. Concomitans vero est respectu omnium bonorum quae sunt tam in ipso quam in creaturis ; vult enim se esse et creaturam esse. Sed praecedens vel antecedens tempore quidem non est nisi respectu creaturae, quae ab aeterno non fuit ; praecedens vero intellectus est respectu actuum aeternorum qui significantur ad creaturas terminari ; sicut dispositio, praedestinatio et huiusmodi. Generatio vero filii, neque est creatura, neque ad creaturam significatur terminari. Unde respectu eius non est voluntas praecedens nec tempore neque intellectu, sed solum voluntas concomitans.

 2. La volont antcdente en Dieu n'est en rapport avec rien ; parce que tout ce que Dieu veut quelquefois il la voulu ternellement. Mais la volont concomitante est en rapport avec tous les biens qui sont tant en lui que dans les cratures ; car il veut tre et que la crature soit. Mais la [volont] antcdente ne peut lՐtre chronologiquement qu'en rapport avec la crature qui na pas exist ternellement, mais l'intellect prcdent est en rapport avec les actes ternels qui sont dsigns comme se terminant aux cratures, comme la disposition, la prdestination, etc.. Mais la gnration du Fils nest pas une crature, et n'est pas signifie comme se terminant une crature. C'est pourquoi, par rapport lui, il n'y a pas de volont prcdente, ni chronologiquement, ni selon lintellect, mais seulement une volont concomitante.

q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut actus intellectus videtur sequi actum voluntatis, in quantum a voluntate imperatur ; ita e converso actus voluntatis videtur sequi actum intellectus, in quantum per intellectum praesentatur voluntati suum obiectum, quod est bonum intellectum. Unde esset procedere in infinitum, nisi esset ponere statum vel in actu intellectus vel in actu voluntatis. Non autem potest status poni in actu voluntatis, cum obiectum praesupponatur ad actum ; unde oportet ponere statum in actu intellectus, qui naturaliter intellectum consequitur ; ita quod a voluntate non imperatur. Et per hunc modum procedit Filius Dei ut Verbum secundum actum intellectus divini, ut ex dictis, in corp. art., patet.

 3. De mme que lacte de lintellect parat suivre celui de la volont, dans la mesure o elle le commande, ainsi l'inverse, lacte de la volont parait suivre celui de l lintellect dans la mesure o son objet qui est un bien intellig est prsent la volont. C'est pourquoi, il faudrait procder linfini, sinon il faut placer un arrt dans lacte de lintellect ou dans celui de la volont. Mais on ne peut pas le placer dans un acte de la volont, puisque lobjet est prsuppos lacte ; cest pourquoi il faut le placer dans lacte de lintellect qui suit naturellement la conception de sorte qu'il ne soit pas command par la volont. Et de cette manire, le Fils de Dieu procde comme Verbe selon lacte de lintellect divin, comme cela apparat dans ce qui a t dit dans le corps de l'article.

q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus intellectus divini naturalis est secundum quod ad ipsum Deum terminatur, qui est principium suae cognitionis ; secundum vero quod significatur ad creaturas terminari, ad quas sic se habet quodammodo ut intellectus noster ad conclusiones, non naturaliter ab intellectu progreditur sed voluntarie ; et ideo in divinis aliqui actus intellectus significantur ut imperati a voluntate.

 4. Lacte de lintellect divin est naturel, dans la mesure o il se termine en Dieu mme, qui est le principe de sa connaissance ; mais selon quon le signifie comme se terminant aux cratures, envers lesquelles il se comporte dune certaine manire comme notre intellect vis--vis des conclusions, il ne sort pas de lintellect naturellement mais volontairement ; et cest pourquoi en Dieu, certains actes de lintellect sont dcrits comme commands par la volont.

q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quoad ea ad quae natura potest se extendere secundum propria principia essentialia, non indiget ut ab alio determinetur, sed ad ea tantum ad quae propria principia non sufficiunt. Unde philosophi non sunt ducti ut ponerent opus naturae, opus intelligentiae, ex operibus quae competunt calido et frigido secundum se ipsa ; quia in has, etiam ponentes res naturales ex necessitate materiae accidere, omnia naturae opera reducebant. Ducti sunt autem ex illis operationibus ad quas non possunt sufficere virtus calidi et frigidi, et huiusmodi qualitatum ; sicut ex membris ordinatis in corpore animalis tali modo quod natura salvatur. Quia ergo naturae divinae secundum se opus est generatio non oportet quod ad hanc actionem ab aliqua voluntate determinetur.- Vel dicendum, quod natura determinatur ab aliquo, ut in finem. Illi autem naturae quae est finis, et non ad finem, non competit ab aliquo determinari.

 5. Jusquo la nature peut sՎtendre selon ses propres principes essentiels, cela na pas besoin dՐtre dtermin par un autre, mais seulement pour ce quoi les principes propres ne suffisent pas. C'est pourquoi les philosophes nont pas t amens penser luvre de la nature, comme luvre d'une intelligence par ces oprations qui conviennent le chaud et le froid en soi Parce que, pensant qu'en elles les choses naturelles arrivent par ncessit de la matire, ils y ramenaient toutes les uvres de la nature. Mais ils y ont t amens par ces oprations o le pouvoir du chaud et du froid et les qualits de ce genre ne peuvent pas suffire ; de mme ils y ont t amens par la disposition des membres dans le corps dun animal de telle sorte que la nature se conserve. Donc parce que luvre de la nature divine en soi est la gnration, il ne faut pas qu'elle soit dtermine cette action par une volont Ou bien il faut dire que la nature est dtermine par quelque chose comme sa fin. Mais cette nature, qui est la fin, il ne convient pas dՐtre dtermine par quelque chose pour la fin.

q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in diversis considerando, actio voluntatis actionem naturae praecedit. Unde totius naturae inferioris actio ex voluntate gubernantis procedit. Sed in eodem oportet quod actio naturae praecedat actionem voluntatis. Natura enim secundum intellectum praecedit voluntatem, cum natura intelligatur esse principium quo res subsistit, voluntas vero ultimum quo ad finem ordinatur. Nec tamen sequitur quod tollatur ratio voluntatis. Quamvis enim ad inclinationem naturae voluntas ad aliquid unum determinetur, quod est ultimus finis a natura intentus, respectu tamen aliorum indeterminata manet ; sicut patet in homine, qui naturaliter vult beatitudinem et de necessitate, non autem alia. Sic ergo in Deo naturae actio actionem voluntatis praecedit natura et intellectu ; nam generatio filii est ratio omnium eorum quae per voluntatem producuntur, scilicet creaturarum.

 6. En prenant en considration divers lments, laction de la volont prcde celle de la nature. C'est pourquoi, laction de toute la nature infrieure procde de la volont de celui qui gouverne. Mais dans un mme tre, il faut que laction de la nature prcde celle de la volont. Car la nature selon lintellect prcde la volont, puisqu'on comprend la nature comme le principe par lequel un tre subsiste, mais la volont est le principe ultime par lequel elle est ordonne sa fin. Cependant il nen dcoule pas qu'on exclut la raison dՐtre de la volont. Car quoique pour linclination de la nature la volont soit limite un objet unique, qui est sa fin ultime dcide par la nature, cependant, par rapport aux autres, elle demeure indtermine, comme on le voit chez lhomme qui veut la batitude naturellement et ncessairement, mais pas autre chose. Ainsi donc en Dieu laction de la nature prcde celle de la volont par nature et par lintellect ; car la gnration du Fils est la raison de tout ce qui est produit par la volont, savoir les cratures[190].

q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet in verbo Dei a patre genito fuerit ut omnes creaturae fierent, non tamen oportet, si verbum naturaliter procedit, quod creaturae etiam naturaliter procedant ; sicut nec sequitur, si intellectus noster principia naturaliter cognoscit, quod naturaliter cognoscat ea quae ex principiis consequuntur : eo enim quod naturaliter habemus, voluntas utitur ad utramque partem.

 7. Bien que dans le Verbe de Dieu, engendr par le Pre, il y ait le pouvoir de crer toutes les cratures, cependant il ne faut pas, si le Verbe procde par nature, que les cratures procdent aussi par nature, il nen dcoule pas, non plus, si notre intellect connat naturellement les principes, qu'il connaisse naturellement ce qui dcoule d'eux ; car la volont se sert de ce que nous avons naturellement pour lune et lautre solution.

q. 2 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Pater voluntarie genuit ; sed in hoc non designatur nisi voluntas concomitans.

 8. La Pre a engendr volontairement, mais on ne dsigne par l que la volont concomitante.

q. 2 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod si verbum illud de generatione aeterna intelligatur, dilectio Patris ad Filium non est intelligenda ut ratio illius dationis qua Pater Filio aeternaliter omnia dat, ut signum. Similitudo enim ratio est amoris.

 9. Si cette parole[191] est comprise de la gnration ternelle, lamour du Pre pour le Fils ne doit pas tre compris comme la raison de ce don, par lequel il donne tout au Fils ternellement, comme un sceau. Car la ressemblance est la raison de lamour.

q. 2 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Dionysius loquitur de productione creaturae, non de generatione filii.

 10. Denys parle de la production de la crature, non de la gnration du Fils.

q. 2 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Spiritus sanctus procedere dicitur per modum voluntatis, quia procedit per actum qui naturaliter est a voluntate, scilicet per hoc quod Pater amat Filium, et e converso. Ipse enim amor est Spiritus sanctus, sicut Filius est Verbum quo Pater dixit se ipsum.

 11. On dit que lEsprit Saint procde par mode de volont, parce quil procde par un acte qui dpend naturellement de la volont[192], savoir que le Pre aime le Fils et inversement. Car lEsprit Saint est lamour mme, comme le Fils est le Verbe, par lequel le Pre se dit lui-mme.

q. 2 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ex illa etiam ratione non sequitur nisi quod Pater rationem filii velit ; quod pertinet ad voluntatem concomitantem, quae respicit generationem sicut obiectum, non sicut id cuius sit principium.

 12. De cette raison[193] il dcoule seulement que le Pre veut la nature du Fils, ce qui convient la volont concomitante, qui regarde la gnration comme objet, non comme ce dont elle est le principe.

q. 2 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod humana generatio fit per virtutem naturalem, scilicet generativam potentiam, mediante potentia motiva, quae imperio subiacet voluntatis, non autem generativa potentia. Hoc autem non accidit in divinis ; et ideo non est simile.

 13. La gnration chez lhomme se fait par un pouvoir naturel, cest--dire la puissance gnrative ; par lintermdiaire de la puissance motrice, qui est soumise au pouvoir de la volont, mais pas la puissance gnrative. Mais cela narrive pas en Dieu ; et cest pourquoi ce nest pas pareil.

q. 2 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Augustinus non intendit negare necessitatem immutabilitatis, de qua ratio procedit, sed necessitatem coactionis.

 14. Augustin nentend pas nier la ncessit de limmutabilit, do procde cet argument, mais la ncessit de coaction[194].

q. 2 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod cum dicitur Filius esse voluntas de voluntate, intelligitur esse de Patre, qui est voluntas. Unde haec praepositio de notat generationis principium, quod est generans, non id quo generatur, de quo est praesens quaestio.

 15. Quand on dit que le Fils est volont de la volont, on comprend quil est du Pre qui est la volont. C'est pourquoi cette prposition de indique le principe de la gnration qui est celui qui engendre, non ce par quoi il est engendr, ce dont il sagit dans la prsente question.

 

 

 

Article 4 Peut-il y avoir plusieurs Fils en Dieu ?

q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum in divinis possint esse plures filii. Et videtur quod sic.

Il semble que oui :

 

Objections :[195].

q. 2 a. 4Arg. 1 Operatio enim naturae quae convenit uni supposito, convenit etiam omnibus suppositis eiusdem naturae. Sed generatio, secundum Damascenum [lib. II, c. XXVII], est opus naturae, et convenit Patri. Ergo etiam Filio et Spiritui sancto qui sunt supposita eiusdem naturae. Sed Filius non generat se ipsum : nam, secundum Augustinum, nulla res potest generare se ipsam. Ergo generat alium Filium, et sic in divinis possunt esse plures filii.

1. Car l'opration de nature qui convient un suppt, convient aussi tous les suppts de mme nature. Mais la gnration, selon Jean Damascne (la foi orthodoxe, II, 27) est l'uvre de la nature et convient au Pre. Donc aussi au Fils et lEsprit Saint qui sont des suppts de mme nature. Mais le Fils ne sengendre pas lui-mme, car selon Augustin, rien ne peut s'engendrer soi-mme. Donc il engendre un autre fils et ainsi il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4Arg. 2 Praeterea, totam virtutem suam Pater in Filium transfundit. Sed potentia generandi pertinet ad virtutem Patris. Ergo huiusmodi potentiam habet Filius a Patre ; et sic idem quod prius.

2. Le Pre a transmis tout son pouvoir au Fils. Mais la puissance dengendrer appartient au pouvoir du Pre. Donc le Fils reoit du Pre une puissance de ce genre, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 4Arg. 3 Praeterea, Filius est perfecta imago Patris, ad quod requiritur perfecta assimilatio ; quae non esset si Filius non quantum ad omnia Patrem imitaretur. Ergo sicut Pater Filium generat, ita et Filius ; et sic idem quod prius.

3. Le Fils est limage parfaite du Pre, cela requiert une ressemblance parfaite, qui n'existerait pas si le Fils nimitait pas en tout le Pre. Donc, comme le Pre engendre le Fils, le Fils aussi engendre et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 4Arg. 4 Praeterea, perfectior est assimilatio ad Deum secundum conformitatem actionis quam secundum conformitatem alicuius formae, ut patet per Dionysium : sicut soli magis assimilatur quod lucet et illuminat quam quod lucet tantum. Sed Filius perfectissime assimilatur Patri. Ergo est ei conformis non solum in potentia, sed etiam in actu generandi ; et sic idem quod prius.

4. La ressemblance Dieu est plus parfaite en conformit avec laction quavec celle dune forme, comme le montre Denys (La hirarchie cleste, 3[196]) ; ainsi ce qui brille et claire ressemble plus au soleil que ce qui brille seulement. Mais le Fils ressemble trs parfaitement au Pre. Donc il lui est conforme non seulement en puissance, mais aussi dans lacte dengendrer ; et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 4Arg. 5 Praeterea, ex hoc contingit quod Deus facta una creatura potest facere aliam, quia eius potentia neque exhauritur neque diminuitur in creando. Sed similiter potentia Patris neque exhauritur neque diminuitur ex hoc quod generat Filium. Ergo per hoc quod generat Filium, non prohibetur quin possit alium Filium generare ; et sic possunt esse plures Filii in divinis.

5. De ce fait il arrive que Dieu, ayant cr une crature, peut en crer une autre, parce que sa puissance nest ni augmente ni diminue en crant. Mais de la mme manire la puissance du Pre nest ni augmente ni diminue du fait quil engendre le Fils. Donc par le fait quil l'engendre, il nest pas empch de pouvoir engendrer un autre fils et ainsi il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4Arg. 6 Sed dices, quod ideo non generat alium Filium, quia sequeretur inconveniens quod Augustinus ponit, scilicet quod infinita esset divina generatio, si Pater plures filios generaret vel Filius Patri generaret nepotem, et sic de aliis. Sed contra. In Deo nihil est in potentia quod non sit in actu : esset enim imperfectus. Si ergo est in potentia Patris quod plures filios generet, nullo inconvenienti prohibente, erunt plures filii in divinis.

6. Mais on pourrait dire qu'il nengendre pas un autre fils, parce quil en dcoulerait un inconvnient quAugustin expose, savoir que la gnration divine serait infinie, soit que le Pre engendre plusieurs fils, soit que le Fils engendre un petit-fils au Pre, etc.. En sens contraire : en Dieu rien nest en puissance qui ne soit en acte : car il serait imparfait. Si donc il est dans la puissance du Pre d'engendrer plusieurs fils, si nul inconvnient ne lempche, il y aura plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4Arg. 7 Praeterea, de natura geniti est ut procedat in similitudinem generantis. Sed sicut Filius est similis Patri, ita et Spiritus sanctus ; et ita Spiritus sanctus est Filius, et sic sunt plures filii in divinis.

7. Il est de la nature de celui qui est engendr daboutir la ressemblance de celui qui l'engendre. Mais le Fils est semblable au Pre, lEsprit Saint aussi et ainsi il est aussi fils et il y a donc plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4Arg. 8 Praeterea, secundum Anselmum [in Monolog., cap. XXXII) nihil est aliud dicere Patrem Filium generare, quam Patrem dicere se ipsum. Sed sicut Pater potest dicere se ipsum, ita et Filius et Spiritus sanctus. Ergo Pater et Filius et Spiritus sanctus possunt filios generare ; et sic idem quod supra.

8. Selon Anselme (Monologium, 62), que le Pre engendre le Fils, ce n'est rien dautre que le Pre se dit lui-mme. Mais de mme que le Pre peut se dire lui-mme, le Fils et lEsprit Saint aussi. Donc le Pre, le Fils et lEsprit saint peuvent engendrer des fils, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 4Arg. 9 Praeterea, ex hoc Pater dicitur Filium generare, quod similitudinem suam in intellectu suo concipit. Sed hoc idem possunt facere Filius et Spiritus sanctus. Ergo idem quod prius.

9. On dit que du fait que le Pre engendre le Fils, il conoit sa ressemblance dans son intellect. Mais le Fils et lEsprit Saint peuvent faire de mme. Donc de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 4Arg. 10 Praeterea, potentia est media inter essentiam et operationem. Sed una est essentia Patris et Filii, eademque potentia. Ergo et una operatio ; et sic Filio convenit generare ; et ita ut prius.

10. La puissance est intermdiaire entre lessence et lopration. Mais lessence du Pre et du Fils est une, et la puissance est la mme. Donc il y a une seule opration et ainsi il convient au Fils dengendrer et de mme que plus haut.

q. 2 a. 4Arg. 11 Praeterea, bonitas est diffusionis principium. Sed sicut est infinita bonitas in Patre et Filio, ita etiam in Spiritu sancto. Ergo sicut Pater infinita communicatione suam naturam communicat Filium generando, ita Spiritus sanctus aliquam divinam personam producendo ; non enim infinite communicatur divina bonitas creaturae ; et sic videtur quod possint esse plures filii in divinis.

11. La bont est le principe de la diffusion. Mais la bont dans le Pre et le Fils est infinie, de mme aussi dans lEsprit saint. Donc le Pre communique sa nature dans une communication infinie en engendrant le Fils ; de mme lEsprit Saint aussi en produisant une personne divine ; car la divine bont nest pas communique de manire infinie la crature et ainsi il semble qu'il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4Arg. 12 Praeterea, nullius boni sine consortio potest esse iucunda possessio. Sed filiatio est quoddam bonum in Filio. Ergo videtur oportere ad perfectam iucunditatem Filii, esse alium Filium in divinis.

12. Une possession agrable ne peut exister sans partage d'aucun bien[197]. Mais la filiation dans le Fils est un bien. Donc on voit bien quil faut pour la joie parfaite du Fils quil y ait un autre fils en Dieu.

q. 2 a. 4Arg. 13 Praeterea, Filius procedit a Patre ut splendor a luce, ut patet Hebr. I, 3 : Qui cum sit splendor gloriae, et figura substantiae eius. Sed splendor potest alium splendorem producere, et ille alium, et alius alium. Ergo similiter videtur esse in processione divinarum personarum, quod Filius possit alium Filium generare, et sic idem ut prius.

13. Le Fils procde du Pre comme la splendeur de la lumire, comme il est dit en Hb. 1,3[198] : Il est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance Mais la splendeur peut produire une autre splendeur et celle-ci une autre et lautre une autre. Donc de la mme manire, il semble que dans la procession des personnes divines, le Fils puisse engendrer un autre fils et ainsi de mme que plus haut.

q. 2 a. 4Arg. 14 Praeterea, paternitas in Patre ad eius dignitatem pertinet. Sed eadem est dignitas Patris et Filii. Ergo paternitas convenit Filio ; et sic sunt plures filii in divinis.

14. La paternit dans le Pre convient sa dignit. Mais elle est identique pour le Pre et le Fils. Donc la paternit convient au Fils, et ainsi il y a plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4Arg. 15 Praeterea, eius est potentia cuius est actus. Sed potentia generandi est in Filio. Ergo Filius generat.

15. La puissance dpend de ce dont elle est lacte. Mais la puissance d'engendrer est dans le Fils. Donc le Fils engendre.

 

En sens contraire :

q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Illa sunt perfectissima in creaturis quae ex tota materia sua constant, et sunt eorum in singulis speciebus singula tantum. Sed sicut creaturae materiales individuantur per materiam, ita filii persona constituitur filiatione. Ergo cum Deus Filius sit perfectus Filius, videtur quod in ipso solo in divinis filiatio inveniatur.

1. Sont trs parfaites parmi les cratures celles qui sont composes de toute leur matire et sont seules dans leur espce. Mais de mme que les cratures matrielles sont individues par la matire, de mme la personne du fils est constitue par la filiation. Donc, comme Dieu le Fils est un fils parfait, il est clair qu'on ne trouve la filiation en Dieu quen lui seul.

q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit [lib. III contra Maxim, cap. VII, XVIII et XXIII] quod si Pater posset generare et non generaret, invidus esset. Sed Filius non est invidus. Ergo cum non generet, generare non potest. Et sic non possunt esse plures filii in divinis.

2. Augustin dit (Contre Maximinien, III, ch. 7, 18 et 23[199]) que, si le Pre pouvait engendrer et nengendrait pas, il serait envieux, mais le Fils nest pas envieux. Donc puisquil nengendre pas, il ne peut engendrer. Et ainsi il ne peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, quod perfecte dictum est semel iterum dici non oportet. Sed Filius est Verbum perfectum, cui nihil deest, secundum Augustinum [lib. VI de Trin., cap. X et lib. VII, cap. II]. Ergo non oportet esse plura verba in divinis, et ita nec plures filios.

3. Ce qui est parfaitement dit une fois na pas besoin dՐtre rpt. Mais le Fils est le Verbe parfait qui rien ne manque, selon Augustin (La Trinit VI, 10 et VII, 2). Donc, il ne faut pas quil y ait plusieurs verbes en Dieu, ni plusieurs fils non plus.

 

Rponse :

q. 2 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod in divinis impossibile est esse plures filios ; quod sic patet. Personae namque divinae cum in omnibus absolutis conveniant, utpote sibi invicem essentiales, distingui non possunt nisi secundum relationes, nec secundum alias nisi secundum relationes originis. Nam aliarum relationum quaedam distinctionem praesupponunt, ut aequalitas et similitudo ; quaedam vero inaequalitatem designant, ut dominus et servus, et alia huiusmodi. Relationes vero originis ex sui ratione conformitatem important : quia quod oritur ex alio, eius similitudinem retinet in quantum huiusmodi.

Il est impossible quen Dieu il y ait plusieurs fils, ce quon montre ainsi : les personnes divines, en effet, s'accordent en tous les absolus, dans la mesure o elles sont de la mme essence entre elles, elles ne peuvent tre distingues que par des relations et par rien dautre que les relations dorigine. Car certaines prsupposent qu'on les distinguent des autres relations comme l'galit et la ressemblance ; certaines dsignent lingalit, comme matre et esclave, etc.. Mais les relations dorigine apportent une conformit par leur propre nature ; parce que ce qui sort dun autre, conserve sa ressemblance en tant qu'il est de ce genre.

Non est igitur aliquid in divinis quo Filius distinguatur ab aliis personis nisi sola relatio filiationis, quae est eius personalis proprietas, et qua Filius non solum est Filius, sed est hoc suppositum vel haec persona.

Il ny a rien en Dieu qui distingue le Fils des autres personnes que la seule relation de filiation qui est sa proprit personnelle, par laquelle il est non seulement le Fils, mais aussi ce suppt ou cette personne.

Impossibile autem est quod illud quo aliquod suppositum est hoc in pluribus inveniri : quia sic suppositum ipsum esset communicabile ; quod est contra rationem individui, suppositi, vel personae. Unde nullo modo potest esse alius Filius in divinis quam unus. Non enim potest dici, quod una filiatio constituat hunc Filium et alia alium : quia cum filiationes ratione non differant, oporteret quod si materia vel quocumque supposito distinguerentur, esset in divinis materia, aut aliquid aliud distinguens quam relatio.

Il est impossible que ce par quoi quelque chose est un suppt se trouve en plusieurs ; parce qu'ainsi le suppt mme serait communicable, ce qui est contre la notion d'individu, de suppt ou de personne. Donc en aucune manire, il ne peut y avoir un autre fils en Dieu ; il n'y en a qu'un. Car on ne peut pas dire quune filiation constitue ce fils et une autre filiation en constitue un autre, parce que, comme les filiations ne diffrent pas en raison, il faudrait que, si elles taient distingues par la matire ou un suppt quelconque, quil y ait de la matire en Dieu ou quelque chose dautre que la relation qui les distingue.

Potest autem et alia ratio specialis assignari, quare Pater tantum unum Filium gignere possit. Natura enim ad unum determinatur ; unde cum Pater natura generet Filium, non potest esse nisi unus Filius a patre genitus. Nec potest dici, quod sint plures numero in eadem specie existentes, sicut apud nos accidit ; cum ibi non sit materia, quae est principium distinctionis secundum numerum in eadem specie.

On peut attribuer une autre raison spcifique pour laquelle le Pre ne peut engendrer quun seul fils. Car la nature est limite un seul objet, donc, comme le Pre engendre le Fils par nature il ne peut y avoir qu'un fils unique engendr par le Pre. Et on ne peut pas dire quils soient plusieurs en nombre dans une mme espce, comme cela arrive pour nous, puisque l, il ny a pas la matire qui est le principe de la distinction selon le nombre dans la mme espce.

 

Solutions :

q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio quamvis in Patre sit quodammodo opus naturae divinae, est tamen eius cum quadam concomitantia personalis proprietatis Patris, ut supra, art. 2, dictum est ; unde non oportet quod conveniat Filio, in quo natura divina sine tali proprietate invenitur.

 1. Quoique d'une certaine manire, la gnration soit dans le Pre l'uvre de la nature divine, elle est en mme temps sa proprit personnelle de Pre, comme on la dit ci-dessus (a. 2). C'est pourquoi il ne faut pas quelle convienne au Fils en qui la nature divine se trouve sans une telle proprit.

q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Pater totam virtutem suam communicat Filio, quae naturam divinam sequitur absolute. Potentia vere generandi sequitur naturam divinam cum adiunctione proprietatis Patris, ut dictum est.

 2. Le Pre communique au Fils tout son pouvoir qui dcoule de la nature divine dans labsolu. Mais la puissance dengendrer suit la nature divine avec adjonction de la proprit du Pre, comme on la dit.

q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod imago assimilatur ei cuius est imago quantum ad speciem, non quantum ad relationem. Non enim oportet quod si imago est ab aliquo quod id cuius est imago, sit ab alio : quia nec similitudo proprie secundum relationem attenditur, sed secundum formam.

 3. Limage ressemble celui dont il est limage quant la forme, non quant la relation. Car il ne faut pas que, si l'image vient de quelque chose dont elle est l'image, elle vienne d'un autre, parce que la ressemblance n'est pas atteinte en propre par la relation, mais par la forme[200].

q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Filius assimilatur patri in natura divina, non in proprietate personali ; ita et assimilatur ei in actione quae concomitatur naturam, sine concomitantia proprietatis praedictae. Talis autem actio non est generatio ; unde ratio non sequitur.

 4. Le Fils ressemble au Pre dans sa nature divine, mais pas dans une proprit personnelle, et de mme il lui ressemble dans laction qui accompagne la nature, sans tre accompagn de cette proprit. Mais une telle action nest pas la gnration ; donc largument ne vaut pas.

q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet potentia generativa Patris non exhauriatur neque minuatur per generationem filii ; tamen eius infinitatem adaequat Filius, qui est intellectus infinitus, non autem creatura finita ; unde non est simile.

 5. Bien que la puissance gnrative du Pre ne soit ni augmente ni diminue par la gnration du Fils, cependant le Fils, qui est un intellect infini, mais non une crature finie, gale son infinit ; c'est pourquoi ce nest pas pareil.

q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in ratione ducente ad inconveniens non oportet quod sola inconvenientis vitatio sit causa removendae positionis ex qua inconveniens sequitur, sed etiam causae manifestationis inconvenientis ; unde non oportet quod propter hoc solum non sint plures filii in divinis, ne sit generatio infinita.

 6. Dans une raison qui conduit un inconvnient, il ne faut pas quՎviter linconvnient soit une raison pour exclure la situation d'o elle vient, mais aussi la cause de sa manifestation. C'est pourquoi, il ne faut pas que pour cette seule raison il ny ait pas plusieurs fils en Dieu, pour que la gnration ne soit pas infinie.

q. 2 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Spiritus sanctus procedit per modum amoris. Amor autem non significat aliquid figuratum vel specificatum specie amantis vel amati, sicut verbum significat speciem dicentis et eius quod dicitur habens ; et ideo cum Filius procedat per modum verbi, ex ipsa ratione suae processionis habet, ut procedat in similem speciem generantis, et sic quod sit Filius, et eius processio generatio dicatur. Non autem Spiritus sanctus hoc habet ratione suae processionis, sed magis ex proprietate divinae naturae, quia in Deo non potest esse aliquid quod non sit Deus ; et sic ipse amor divinus Deus est, in quantum quidem divinus, non in quantum amor.

 7. LEsprit Saint procde par mode damour. Mais lamour ne signifie rien de figur ou de spcifi par la forme de lamant et de laim, comme le verbe signifie la forme de celui qui parle et de celui qui est dit le possder ; et ainsi comme le Fils procde par mode de verbe, par la nature mme de la procession, il peut aboutir une forme semblable celui qui l'engendre et ainsi parce qu'il est le Fils, sa procession est appele gnration. Mais lEsprit saint ne l'a pas en raison de sa procession, mais plus par la proprit de la nature divine, parce qu'en Dieu, il ne peut rien y avoir qui ne soit pas Dieu, et ainsi lamour divin mme est Dieu, en tant que divin, non en tant qu' amour.

q. 2 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod hoc verbum dicere potest accipi dupliciter : stricte et large : stricte accipiendo dicere, idem est quod verbum a se emittere ; et sic est notionale, et convenit tantum Patri : et sic accipit dicere Augustinus ; unde ponit in principio VI de Trinitate, quod solus Pater dicit se. Alio modo potest accipi communiter, prout dicere idem est quod intelligere ; et sic essentiale. Et hoc modo Anselmus accipit in Monologio, ubi dicit, quod Pater et Filius et Spiritus sanctus dicunt se.

 8. Ce mot dire peut tre compris en deux sens, au sens strict ou au sens large. En le prenant au sens strict, dire c'est la mme chose qu'mettre une parole de soi, et ainsi il est notionnel et il convient seulement au Pre. Et cest ainsi que le dit Augustin ; c'est pourquoi au dbut du livre VI de La Trinit (VII) il pense que seul le Pre se dit. Dune autre manire on peut le prendre communment, selon que dire est la mme chose que l'intellection ; et ainsi cela concerne l'essence. Et cest de cette manire qu'Anselme le prend dans le Monologium (62[201]) o il dit que le Pre, le Fils et lEsprit saint se disent.

q. 2 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut generare soli patri convenit in divinis, ita et concipere ; unde solus Pater suam similitudinem concipit in intellectu, quamvis Filius et Spiritus sanctus intelligant ; quia in intelligendo nulla relatio exprimitur, nisi forte secundum modum intelligendi tantum ; sed in generando et in concipiendo exprimitur realis origo.

 9. En Dieu, engendrer convient au Pre seul, concevoir aussi. Cest pourquoi, seul le Pre conoit sa ressemblance dans son intellect, quoique le Fils et lEsprit saint pensent (intelligant), parce que, en pensant, aucune relation nest exprime, sinon par hasard selon le mode de l'intellection seulement ; mais dans le fait dengendrer et de concevoir s'exprime lorigine relle.

q. 2 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio illa recte procedit de actione quae consequitur naturam absolute sine aliquo respectu ad proprietatem : talis autem non est generatio ; unde ratio non sequitur.

 10. Cette raison procde directement de laction qui suit la nature dans labsolu sans aucun rapport avec la proprit ; mais telle nest pas la gnration, c'est pourquoi la raison ne vaut pas.

q. 2 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis non potest esse nisi spiritualis processio, quae quidem est solum secundum intellectum et voluntatem : et ideo non potest a Spiritu sancto alia persona divina procedere ; quia ipse procedit per modum voluntatis ut amor. Filius per modum intellectus ut Verbum.

 11. En Dieu, il ne peut y avoir quune procession spirituelle, qui est seulement selon lintellect et la volont et cest pourquoi une autre personne divine ne peut pas procder de lEsprit saint, parce que lui-mme procde par mode de volont comme amour. Le Fils par l'esprit (intellectus) en tant que Verbe.

q. 2 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod proprietas personalis oportet ut sit incommunicabilis, ut supra dictum est ; unde in ea consortium fieri non requirit iucunditas.

 12. Il faut que la proprit personnelle soit incommunicable comme on l'a dit ci-dessus, donc la joie ne requiert pas quil y ait accord.

q. 2 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod illa similitudo non oportet quod teneat quantum ad omnia.

 13. Il ne faut quil ait une ressemblance totale pour tout[202].

q. 2 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod sicut paternitas in patre et filiatio in Filio sunt una essentia : ita et sunt una dignitas et una bonitas.

 14. De mme que la paternit dans le Pre et la filiation dans Fils sont une seule essence, il y a une seule dignit et une seule bont.

q. 2 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum quod cum dicitur potentia generandi, hoc gerundium generandi tripliciter potest accipi.

 15. Quand on parle de la puissance d'engendrer ce grondif d'engendrer, peut tre compris en trois sens :

Uno modo prout est gerundium verbi activi ; et sic ille habet potentiam generandi qui habet potentiam ad hoc quod generet

a) Selon quil est le grondif dun verbe actif, et ainsi il a la puissance dengendrer celui qui en a la puissance pour le faire

. Alio modo prout gerundium est verbi passivi ; et sic ille habet generandi potentiam qui habet potentiam ad hoc ut generetur.

b) Selon que le grondif est dun verbe passif ; et ainsi a la puissance (tre engendr[203]) celui qui en a la puissance.

Tertio modo prout est gerundium verbi impersonalis ; et sic dicitur ille habere potentiam generandi qui habet potentiam illam qua ab alio generatur.

c) Selon quil est le grondif dun verbe impersonnel. et ainsi on dit qu'a la puissance dՐtre engendr celui qui a cette puissance par laquelle il est engendr par un autre.

Primo ergo modo potentia generandi non convenit Filio, sed secundo et tertio ; unde ratio non sequitur.

Selon le premier mode la puissance dengendrer ne convient pas au Fils, mais selon le second et le troisime, oui. Donc la raison ne vaut pas[204].

 

 

 

Article 5 La puissance d'engendrer est-elle comprise dans la toute puissance ?[205]

q. 2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum potentia generandi sub omnipotentia comprehendatur. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[206]

q. 2 a. 5Arg. 1 Omnipotentia enim convenit Filio, secundum illud Symboli : Omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens Spiritus sanctus. Non autem convenit ei potentia generandi. Ergo sub omnipotentia non comprehenditur.

1. Car la toute puissance convient au Fils selon ce que dit le Symbole[207] : Le Pre tout-puissant, le Fils tout-puissant et lEsprit saint tout puissant. Mais la puissance dengendrer ne lui convient pas. Donc elle nest pas comprise sous la toute puissance.

q. 2 a. 5Arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [Enchir., cap. XCVI], quod Deus dicitur omnipotens, quia potest omnia quae vult. Ex quo videtur quod potentia illa ad omnipotentiam pertineat quae a voluntate imperatur. Potentia autem generandi non est huiusmodi : quia Pater non genuit Filium voluntate, ut supra, art. 3, habitum est. Ergo potentia generandi ad omnipotentiam non pertinet.

2. Augustin dit (Enchiridion, XXIV, 96[208]) que Dieu est appel tout-puissant, parce quil peut tout ce quil veut. Cela montre que cette puissance concerne la toute-puissance qui est commande par la volont. Mais la puissance d'engendrer nest pas de ce genre ; parce que le Pre na pas engendr le Fils par volont, comme on la dit ci-dessus (a. 3). Donc la puissance d'engendrer ne concerne pas la toute-puissance.

q. 2 a. 5Arg. 3 Praeterea, omnipotentia Deo attribuitur, in quantum eius omnipotentia ad omnia quae sunt in se possibilia se extendit. Sed generatio Filii vel ipse Filius non est de possibilibus, sed de necessariis. Ergo potentia generandi sub omnipotentia non comprehenditur.

3. On attribue la toute puissance Dieu dans la mesure o elle sՎtend tout ce qui est possible en soi. Mais la gnration du Fils ou le Fils lui-mme ne sont pas du domaine du possible, mais de celui du ncessaire. Donc la puissance dengendrer nest pas comprise sous la toute-puissance.

q. 2 a. 5Arg. 4 Praeterea, quod convenit pluribus communiter, convenit eis secundum aliquid eis commune, sicut habere tres aequilatero et gradato, secundum hoc quod triangulus sunt. Ergo quod convenit alicui soli, convenit ei secundum hoc quod sibi est proprium. Omnipotentia autem non est propria Patris. Cum ergo potentia generandi soli Patri conveniat in divinis, non convenit ei in quantum est omnipotens ; et ita ad omnipotentiam non pertinebit.

4. Ce qui convient en commun plusieurs leur convient selon ce qui leur est commun ; ainsi avoir trois angles quilatraux ou des cts ingaux convient en cela au triangle. Donc ce qui convient un seul, lui convient selon ce qui lui est propre. Mais la toute-puissance nest pas propre au Pre. Donc, comme la puissance d'engendrer en Dieu ne convient qu'au Pre seul, elle ne lui convient pas en tant que tout-puissant et ainsi elle ne concernera pas la toute-puissance.

q. 2 a. 5Arg. 5 Praeterea, sicut est una essentia Patris et Filii, ita et una omnipotentia. Sed ad omnipotentiam Filii non reducitur posse generare. Ergo nec ad omnipotentiam Patris ; et sic nullo modo potentia generandi ad omnipotentiam pertinet.

5. Il y a une seule essence pour le Pre et le Fils, de mme une seule toute-puissance. Mais pouvoir engendrer n'est pas ramen la toute-puissance du Fils. Donc ni la toute puissance du Pre, et ainsi la puissance dengendrer ne concerne en aucune manire la toute puissance[209].

q. 2 a. 5Arg. 6 Praeterea, ea quae non sunt unius rationis, sub una distributione non cadunt : non enim cum dicitur omnis canis, distributio sumitur pro latrabili et caelesti. Sed generatio Filii et productio aliorum quae omnipotentiae subiacent, non sunt unius rationis. Ergo cum dicitur : Deus est omnipotens, non includitur ibi potentia generandi.

6. Ce qui nest pas dune seule nature ne tombe pas sous une seule rpartition. En effet, quand on parle de n'importe quel chien, on ne l'attribue ni celui qui aboie, ni la constellation du chien. Mais la gnration du Fils et la cration des autres qui sont soumis la toute puissance ne sont pas dune seule nature. Donc quand on dit : Dieu est tout puissant, on n'y inclut pas la puissance dengendrer.

q. 2 a. 5Arg. 7 Praeterea, illud ad quod omnipotentia se extendit, est omnipotentiae subiectum. Sed in divinis nihil est subiectum, ut Hieronymus dicit Damascenus, libro IV, capit. XIX et libro III, capit. XXI. Ergo nec generatio Filii nec Filius omnipotentiae subditur ; et sic idem quod prius.

7. Ce quoi s'tend la toute-puissance en est le sujet. Mais en Dieu, rien nest sujet, comme le dit Jean Damascne, (IV, 19 et III, 21). Donc ni la gnration du Fils, ni le Fils ne sont soumis la toute-puissance ; et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 2 a. 5Arg. 8 Praeterea, secundum philosophum [V Phys., lib. I, com. 18 et praeced.] relatio non potest esse terminus motus per se, et per consequens nec actionis ; et ita nec potentiae obiectum, quae dicitur respectu actionis. Sed generatio et Filius in divinis relative dicuntur. Ergo Dei potentia ad ea se non extendit ; et sic posse generare non includitur in omnipotentia.

8 Selon le philosophe (Physique, V, 2, 225 b 10[210] et prcdent), la relation ne peut tre le terme du mouvement par soi ni, par consquence, celui de laction et non plus de lobjet de la puissance dont on parle en rapport avec l'action. Mais on parle de la gnration et du Fils en Dieu selon la relation. Donc la puissance de Dieu ne sy tend pas et pouvoir engendrer nest pas inclus dans la toute puissance.

 

En sens contraire :

q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit [Contra maximinum, lib. III, capit. VII et cap. XVII et XXIII], Si Pater non potest generare Filium sibi aequalem, ubi est eius omnipotentia ? Ergo omnipotentia ad generationem se extendit.

1. Augustin dit Contra Maximinien (III, c. 7, 17 et 18) : Si le Pre ne peut engendrer un Fils gal lui, o est sa toute puissance ? Donc la toute-puissance sՎtend la gnration[211].

q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, omnipotentia in Deo dicitur non solum respectu actuum exteriorum, ut creare, gubernare et huiusmodi, qui ad effectus exterius terminari significantur ; sed etiam respectu actuum interiorum ; ut intelligere et velle. Si quis enim Deum non posse intelligere diceret, eius omnipotentiae derogaret. Sed Filius procedit ut verbum per actum intellectus. Ergo respectu generationis filii omnipotentia Dei intelligitur.

2. On parle de la toute-puissance en Dieu, non seulement en rapport avec les actes extrieurs, comme crer, gouverner etc., qui sont signifis se terminer aux effets l'extrieur, mais aussi en rapport avec les actes intrieurs, comme penser et vouloir. Car si quelquun disait que Dieu ne peut pas penser, cela drogerait sa toute-puissance. Mais le Fils procde en tant que Verbe par un acte de linttellect. Donc on comprend la toute-puissance de Dieu en rapport avec la gnration du Fils[212].

q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, maius est generare Filium quam creare caelum et terram. Sed posse creare caelum et terram est omnipotentiae. Ergo multo magis posse Filium generare.

3. Il est plus grand dengendrer le Fils que de crer le ciel et la terre. Mais pouvoir crer le ciel et la terre est le propre de la toute-puissance. Donc beaucoup plus le pouvoir d'engendrer un Fils.

q. 2 a. 5 s. c. 4 Praeterea, in quolibet genere est unum principium, ad quod omnia quae sunt illius generis, reducuntur. In genere autem potentiarum principium est omnipotentia. Ergo omnis potentia ad omnipotentiam reducitur ; ergo et potentia generandi vel continetur sub omnipotentia, vel in genere potentiarum erunt duo principia, quod est impossibile.

4. Dans nimporte quel genre, il y a un seul principe auquel est ramen tout ce qui est de ce genre. Or dans le genre des puissances, le principe c'est la toute-puissance. Donc chaque puissance est ramene la toute-puissance. Donc la puissance dengendrer, ou bien est contenue sous la toute puissance, ou bien elle sera dans le genre des puissances, il y aura deux principes, ce qui est impossible.

 

Rponse :

q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod potentia generandi pertinet ad omnipotentiam Patris, non autem ad omnipotentiam simpliciter : quod sic patet. Cum enim potentia in essentia radicari intelligatur, et sit principium actionis, oportet idem esse iudicium de potentia et actione quod est de essentia. In essentia autem divina hoc considerandum est, quod propter eius summam simplicitatem quidquid est in Deo, est divina essentia ; unde et ipsae relationes quibus personae ad invicem distinguuntur, sunt ipsa divina essentia secundum rem. Et quamvis una et eadem essentia sit communis tribus personis, non tamen relatio unius personae communis est tribus, propter oppositionem relationum ad invicem. Ipsa enim paternitas est divina essentia, nec tamen paternitas Filio inest, propter oppositionem paternitatis et filiationis.

La puissance d'engendrer convient la toute-puissance du Pre, mais pas la toute-puissance dans l'absolu[213] ; ce qui apparat ainsi : tant donn que la puissance, en effet, est comprise comme ayant sa racine dans lessence, et est ainsi principe daction, il faut que le jugement sur la puissance et sur laction soit identique, parce qu'il concerne l'essence. Il faut considrer dans lessence divine qu' cause de sa suprme simplicit suprme, tout ce qui est en Dieu est son essence ; c'est pourquoi les relations mmes par lesquelles les personnes se distinguent entre elles, sont rellement lessence divine elle-mme. Et quoiquune seule et mme essence soit commune aux trois personnes, cependant la relation dune personne nest pas commune aux trois cause de lopposition des relations entre elles. Car la paternit mme est lessence divine et cependant elle nest pas dans le Fils cause de lopposition de la paternit et de la filiation.

Unde potest dici, quod paternitas est divina essentia prout est in Patre, non prout est in Filio : non enim eodem modo est in Patre et Filio, sed in Filio ut ab altero accepta, in Patre autem non. Nec tamen sequitur quod quamvis paternitatem Filius non habeat quam Pater habet, aliquid habeat Pater quod non habet Filius : nam ipsa relatio secundum rationem sui generis, in quantum est relatio, non habet quod sit aliquid, sed solum quod sit ad aliquid. Quod sit vero aliquid secundum rem, habet ex illa parte qua inest, vel ut idem secundum rem, ut in divinis, vel ut habens causam in subiecto, sicut in creaturis. Unde cum id quod est absolutum, communiter sit in Patre et Filio, non distinguuntur secundum aliquid, sed secundum ad aliquid tantum ; unde non potest dici quod aliquid habet Pater quod non habet Filius ; sed quod aliquid secundum unum respectum convenit patri, et secundum alium aliquid Filio.

C'est pourquoi, on peut dire que la paternit est lessence divine selon quelle est dans le Pre, mais non selon quelle est dans le Fils, car elle nest pas de la mme manire dans le Pre et le Fils ; elle est dans le Fils comme reue dun autre mais pas dans le Pre. Et cependant il n'en dcoule pas que, quoique le Fils nait pas la paternit qu'a le Pre, le Pre ait quelque chose que n'a pas le Fils ; car la relation en tant que telle selon la nature de son genre na pas tre quelque chose mais seulement tre relation. Mais que ce soit quelque chose en ralit vient de cette partie dans laquelle elle est ou comme identique en ralit, comme en Dieu, ou comme ayant sa cause dans le sujet, comme dans les cratures. C'est pourquoi puisque ce qui est absolu est en commun dans le Pre et dans le Fils, ils ne sont pas distingus par leur nature, mais par la relation seulement. C'est pourquoi on ne peut pas dire que le Pre a quelque chose que le Fils na pas, mais que quelque chose convient selon un rapport au Pre et selon un autre au Fils.

Similiter ergo dicendum est de actione et potentia. Nam generatio significat potentiam cum aliquo respectu, et potentia generandi significat potentiam cum respectu ; unde ipsa generatio est Dei actio, sed prout est Patris tantum ; et similiter ipsa potentia generandi est Dei omnipotentia, sed prout est Patris tantum. Nec tamen sequitur quod aliquid possit Pater quod non possit Filius. Sed omnia quaecumque potest Pater, potest Filius, quamvis generare non possit : nam generare ad aliquid dicitur.

Il faut en dire autant de laction et de la puissance. Car la gnration signifie la puissance avec une certaine relation et la puissance dengendrer signifie la puissance avec une relation ; c'est pourquoi la gnration mme est laction de Dieu, mais en tant quil est Pre seulement, et semblablement la puissance mme dengendrer est la toute-puissance de Dieu selon qu'elle est du Pre seulement. Et cependant il nen dcoule pas que le Pre puisse ce que ne peut pas le Fils. Mais tout ce que peut le Pre, le Fils le peut, quoiquil ne puisse engendrer, car on dit qu'engendrer est une relation.

 

Solutions :

q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod posse generare, ad omnipotentiam pertinet, sed non prout est in Filio, ut dictum est, in corp. articuli.

 1. Pouvoir engendrer concerne la toute-puissance, mais pas dans la mesure o elle est dans le Fils, comme on la dit dans le corps de larticle.

q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus non intendit ostendere totam rationem omnipotentiae in verbis illis, sed quoddam omnipotentiae signum. Nec loquitur de omnipotentia nisi secundum quod ad creaturas se extendit.

 2. Augustin na pas lintention de montrer toute la nature de la toute-puissance dans ces paroles, mais d'en montrer un aspect. Et il nen parle que dans la mesure o elle sՎtend aux cratures.

q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod possibile ad quod omnipotentia se extendit, non est accipiendum solum pro contingenti : quia et necessaria sunt per divinam potentiam ad esse producta : et sic nihil prohibet generationem Filii computari inter possibilia divinae potentiae.

 3. Le possible quoi s'tend la toute-puissance nest pas recevoir seulement pour ce qui est contingent, parce que ce qui est ncessaire est amen l'tre par la puissance divine, et ainsi rien nempche que la gnration du Fils soit compte parmi les possibilits de la puissance divine.

q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet omnipotentia absolute considerata non sit propria Patris, tamen prout cointelligitur ei determinatus modus existendi, sive determinata relatio, propria fit Patri ; sicut hoc quod dicitur Deus Pater, Patri proprium est, quamvis Deus sit tribus commune.

 4. Quoique la toute-puissance, considre dans l'absolu, ne soit pas le propre du Pre, cependant dans la mesure o un mode dtermin d'existence ou une relation dtermine est comprise en lui, elle devient propre au Pre ; ainsi ce quon appelle Dieu le Pre est propre au Pre, quoique Dieu soit commun aux trois personnes.

q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut una et eadem est essentia trium personarum, non tamen sub eadem relatione, vel secundum eumdem modum existendi est in tribus personis ; ita est et de omnipotentia.

 5. Une seule et mme essence pour les trois personnes, non cependant sous la mme relation, ou selon le mme mode d'existence est dans les trois personnes, il en est de mme pour la toute-puissance.

q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod generatio Filii et productio creaturarum non sunt unius rationis secundum univocationem, sed secundum analogiam tantum. Dicit enim Basilius [Hom. XV de Fidei]quod accipere Filius habet commune cum omni creatura ; et ratione huius dicitur primogenitus omnis creaturae et hac ratione potest eius generatio productionibus creaturae communicari sub una distributione.

 6. La gnration du Fils et la production des cratures ne sont pas dune mme nature selon lunivocit, mais par analogie seulement. Car Basile dit (Hom. 15 Sur le foi ) que le fait de recevoir, le Fils l'a eu en commun avec toute crature, et sous ce rapport, il est appel premier-n de toute crature (Col. 1, 15) et pour cette raison sa gnration peut tre attribue aux productions de la crature sous une seule attribution[214].

q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod generatio Filii est subiecta omnipotentiae, non hoc modo quo subiectum inferioritatem designat sed hoc modo quo designat solummodo potentiae obiectum.

 7. La gnration du Fils est soumise la toute-puissance, non de cette manire o elle dsigne un sujet infrieur, mais de celle o elle dsigne seulement lobjet de la puissance.

q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod generatio Filii significat relationem per modum actionis, et Filius per modum hypostasis subsistentis ; et ideo nihil prohibet quin respectu horum omnipotentia dicatur.

 8. La gnration du Fils signifie une relation par mode daction[215] et le Fils [est signifi] par mode dhypostase subsistante[216] ; et cest pourquoi rien nempche quon dsigne la toute-puissance en rapport avec cela.

q. 2 a. 5 ad s. c. Aliae vero rationes non concludunt, nisi quod posse generare ad omnipotentiam Patris pertineat.

Les autres raisons napportent pas de conclusions, sinon que le pouvoir d'engendrer concerne la toute-puissance du Pre.

 

 

 

Article 6 La puissance d'engendrer et celle de crer sont-elles identiques ?

q. 2 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum potentia generandi et potentia creandi sint idem. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[217]

q. 2 a. 6Arg. 1 Generatio enim est operatio vel opus naturae, sicut Damascenus dicit [lib. II, cap ; XXVII] ; creatio vero est opus voluntatis, ut patet per Hilarium in libro de Synod. sed voluntas et natura non sunt idem principium, sed ex opposito dividuntur, ut patet II Phys. [co. 45 et 49] Ergo potentia generandi et potentia creandi non sunt idem.

1. Car la gnration est l'opration ou l'oeuvre de la nature, comme Jean Damascne le dit (II, 27) : mais la cration est l'oeuvre de la volont, comme le montre Hilaire (Les synodes). Mais la volont et la nature ne sont pas un mme principe, mais elles sont divises par opposition, comme on le voit en Physique (II, 4, 196 a 28 et 5, 196 b 18. Donc la puissance d'engendrer et celle de crer ne sont pas identiques.

q. 2 a. 6Arg. 2 Praeterea, potentiae distinguuntur per actus, ut habetur II de anima. Sed generatio et creatio sunt actus multum differentes. Ergo et potentia generandi et potentia creandi non sunt una potentia.

2. On distingue les puissances par les actes, comme il est dit dans L'me, II, 4, 415 a 20. Mais la gnration et la cration sont des actes trs diffrents. Donc la puissance d'engendrer et celle de crer ne sont pas une seule puissance.

q. 2 a. 6Arg. 3 Praeterea, minor unitas est eorum quae in aliquo univocantur, quam eorum quae habent idem esse. Sed potentia generandi et potentia creandi in nullo univocantur ; sicut nec generatio et creatio nec Filius et creatura. Ergo potentia generandi et potentia creandi non sunt idem secundum esse.

3. L'unit de ceux qui sont dsigns par un mme nom est moindre que celle de ceux qui ont le mme tre. Mais la puissance d'engendrer et celle de crer ne sont univoques en rien, la gnration et la cration, non plus, le Fils et la crature, non plus. Donc la puissance d'engendrer et celle de crer ne sont pas la mme chose dans l'tre.

q. 2 a. 6Arg. 4 Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit ordo. Sed potentia creandi est prior quam potentia generandi secundum intellectum, sicut essentiale notionali. Ergo praedictae potentiae non sunt idem.

4. Il n'y a pas d'ordre en ce qui est identique. Mais la puissance de crer est avant la puissance d'engendrer selon l'intellect, comme ce qui est de l'essence est avant ce qui est de la notion. Donc ces puissances ne sont pas une mme chose.

 

En sens contraire :

q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. In Deo non differt potentia et essentia. Sed una tantum est divina essentia. Ergo et una tantum potentia. Non ergo praedictae potentiae distinguuntur.

1. En Dieu la puissance et l'essence ne sont pas diffrentes. Il y a seulement une seule essence divine. Donc une seule puissance. Donc ces puissances ne sont pas distingues.

q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, Deus non facit per plura quod potest facere per unum. Sed per unam potentiam Deus potest generare et creare, praecipue cum generatio Filii sit ratio productionis creaturae ; secundum illam Augustini expositionem [lib. II de Genesi ad litt., cap. VI et VII] : Dixit, et facta sunt ; id est, Verbum genuit, in quo erat ut fierent. Ergo una tantum potentia est generandi et creandi.

2. Dieu ne fait pas par plusieurs moyens ce qu'il peut faire par un seul. Mais par une seule puissance Dieu peut engendrer et crer, surtout parce que la gnration du Fils est la raison de la production de la crature ; selon ce qu'expose Augustin (La Gense au sens littral, II, 6 et 7) : "Il dit et ce fut fait, c'est--dire, il engendra le Verbe en qui tait ce qui tait faire." Donc la puissance d'engendrer et de crer est une seulement.

 

Rponse :

q. 2 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut supra, dictum est, ea quae de potentia dicuntur in divinis, consideranda sunt ex ipsa essentia. In divinis autem licet una relatio ab altera distinguatur realiter propter oppositionem relationum, quae reales in Deo sunt ; ipsa tamen relatio non est aliud secundum rem quam ipsa essentia, sed solum ratione differens : nam relatio ad essentiam oppositionem non habet. Et ideo non est concedendum quod aliquid absolutum in divinis multiplicetur, sicut quidam dicunt, quod in divinis est duplex esse, essentiale et personale.

Comme on l'a dit ci-dessus (a. 5) ce qui est dit de la puissance en Dieu doit tre considr partir de l'essence mme. En Dieu, bien qu'une relation soit distingue d'une autre, rellement cause de l'opposition des relations qui sont relles en lui, cependant elle n'est pas autre chose en ralit que l'essence mme, mais diffrente en raison seulement, car la relation ne s'oppose pas l'essence. Et c'est pourquoi il ne faut pas concder que ce qui est absolu en Dieu est multipli, comme certains disent qu'en lui il y a une tre double, essentiel et personnel.

Omne enim esse in divinis essentiale est, nec persona est nisi per esse essentiae. In potentia vero, praeter id quod est ipsa potentia, consideratur respectus quidam vel ordo ad id quod potentiae subiacet. Si ergo potentia quae est respectu actus essentialis, sicut potentia intelligendi vel creandi, comparetur ad potentiam quae est respectu actus notionalis (cuiusmodi est potentia generandi) secundum id quod est ipsa potentia, invenitur una et eadem potentia, sicut est unum et idem esse naturae et personae. Sed tamen utrique potentiae cointelligitur alius et alius respectus, secundum diversos actus ad quos potentiae dicuntur.

Car tout l'tre en Dieu est essentiel et la personne n'est que par l'tre de l'essence. Mais dans la puissance, au-del de ce qu'elle est elle-mme, on considre un rapport ou un ordre ce qui lui est soumis. Donc si la puissance, qui est en rapport avec l'acte essentiel, comme la puissance de penser et de crer, est assimile celle qui est en rapport avec l'acte notionnel (la puissance d'engendrer est de ce genre) selon ce qui est la puissance mme, on trouve une seule et mme puissance de mme que l'tre de la nature et de la personne est un et identique. Mais cependant, on comprend avec chaque puissance un rapport diffrent selon les actes diffrents pour lesquels elles sont appeles puissance.

Sic ergo potentia generandi et creandi est una et eadem potentia, si consideretur id quod est potentia ; differunt tamen secundum diversos respectus ad actus diversos.

Donc ainsi la puissance d'engendrer et celle de crer sont une seule et mme puissance, si on considre ce qu'est la puissance, elles diffrent cependant selon des rapports diffrents des actes diffrents.

 

Solutions :

q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet in creaturis differant natura et propositum, in divinis tamen sunt idem secundum rem. Vel potest dici, quod potentia creandi non nominat propositum sive voluntatem, sed potentiam prout a voluntate imperatur. Potentia autem generandi, secundum quod natura inclinat, agit. Hoc autem non facit diversitatem potentiae, nam nihil prohibet aliquam potentiam ad aliquem actum imperari a voluntate et ad alium inclinari a natura. Sicut intellectus noster ad credendum inclinatur a voluntate, ad intelligendum prima principia ducitur ex natura.

1. Bien que, dans les cratures, la nature et l'intention soient diffrentes, cependant en Dieu elles sont identiques en ralit. Ou bien, on peut dire que la puissance de crer ne dsigne pas l'intention ou la volont, mais une puissance dans la mesure o elle est commande par la volont. Mais la puissance d'engendrer agit selon ce quoi la nature l'incline. Mais cela ne cre pas la diversit de la puissance, car rien n'empche qu'une puissance soit commande pour un acte par la volont et incline un autre par la nature. Ainsi notre esprit est pouss croire par la volont, il est amen comprendre les premiers principes par la nature.

q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quanto aliqua potentia est superior, tanto ad plura se extendit, unde minus est distinguibilis per diversitatem obiectorum ; sicut imaginatio una potentia est respectu omnium sensibilium, respectu quorum sensus proprii distinguuntur. Divina autem potentia est summe elevata : unde differentia actuum in ipsa potentia, quantum ad id quod est, diversitatem non inducit, sed secundum unam potentiam Deus omnia potest.

2. Plus une puissance est suprieure, puis elle s'tend de nombreux objets ; c'est pourquoi on peut moins distinguer par la diversit des objets, ainsi l'imagination est une seule puissance par rapport tout le sensible, par le rapport dont les sens propres se distinguent. Mais la puissance divine est trs au-dessus ; c'est pourquoi la diffrence des actes dans la puissance mme, quant ce qu'il en est, n'apporte pas de diversit, mais, Dieu peut tout par une seule puissance.

q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia generandi et potentia creandi quantum ad ipsam (ut ita loquar) potentiae substantiam, non solum univocantur, sed sunt unum. Sed quod analogice dicantur, hoc est ex ordine actus.

3. La puissance d'engendrer et celle de crer, quant la substance mme de la puissance, pour ainsi dire, ne sont pas univoques, mais sont une seule mme chose. Mais ce qui est dit analogiquement vient de la nature de l'acte.

q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedictae potentiae non ordinantur secundum prius et posterius, nisi prout distinguuntur. Unde ordo earum non attenditur nisi per respectum ad actus. Et ex hoc patet quod potentia generandi est prior potentia creandi, sicut generatio creatione. Quantum vero ad hoc quod ad essentiam comparantur, sunt idem, et non est in eis ordo.

4. Les puissances dont on a parl ne sont ordonnes selon l'avant et l'aprs, que si on les distingue. Donc leur ordre n'est atteint que par rapport l'acte. Cela montre que la puissance d'engendrer reste avant la puissance de crer, comme la gnration est avant la cration. Mais dans la mesure o on les compare l'essence, elles sont une mme chose et il n'y a pas d'ordre en elles.

 

 

 

Question 3  La cration qui est le premier effet de la puissance divine

q. 3 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit aliquid creare.

Article 1. Dieu peut-il crer ?

q. 3 pr. 2 Secundo utrum creatio sit mutatio.

Article 2. La cration est-elle un changement ?

q. 3 pr. 3 Tertio utrum creatio sit aliquid realiter in creatura.

Article 3. La cration est-elle quelque chose de rel dans la crature ?

q. 3 pr. 4 Quarto utrum potentia creandi sit creaturae communicabilis.

Article 4. La puissance de crer est-elle communicable la crature ?

q. 3 pr. 5 Quinto utrum possit esse aliquid quod non sit a Deo creatum.

Article 5. Peut-il exister quelque chose qui ne soit pas cr par Dieu ?

q. 3 pr. 6 Sexto utrum sit unum tantum creationis principium.

Article 6. N'y a-t-il qu'un seul principe de cration

q. 3 pr. 7 Septimo utrum Deus operetur in omni operatione naturae.

Article 7. Dieu opre-t-il dans tout opration de la nature ?

q. 3 pr. 8 Octavo utrum creatio operi naturae admisceatur.

Article 8. La cration est-elle mle l'opration de nature ?

q. 3 pr. 9 Nono utrum anima creetur.

Article 9. L'me est-elle cre ?

q. 3 pr. 10 Decimo utrum anima sit creata in corpore, vel extra corpus.

Article 10. L'me est-elle cre dans le corps ou hors du corps ?

q. 3 pr. 11 Undecimo utrum anima sensibilis et vegetabilis sint per creationem.

Article 11. L'me sensitive et l'me vgtative existent-elles par cration ou par transmission de la semence ?

q. 3 pr. 12 Duodecimo utrum sint in semine quando discinditur.

Article 12. L'me sensitive et l'me vgtative sont-elles dans la semence ds le moment o elle se spare ?

q. 3 pr. 13 Decimotertio utrum aliquod ens ab alio, possit esse aeternum.

Article 13. Un tant qui dpend d'un autre peut-il tre ternel ?

q. 3 pr. 14 Decimoquarto utrum id quod est divisum a Deo per essentiam, possit semper fuisse.

Article 14. Ce qui est diffrent de Dieu en essence peut-il avoir toujours exist ?

q. 3 pr. 15 Decimoquinto utrum res processerint a Deo per necessitatem naturae.

Article 15. Les cratures procdent-elles de Dieu par ncessit de nature ?

q. 3 pr. 16 Decimosexto utrum ab uno primo possit procedere multitudo.

Article 16. La pluralit procde-t-elle d'une unit premire ?

q. 3 pr. 17 Decimoseptimo utrum mundus semper fuerit.

Article 17. Le monde a-t-il toujours exist ?

q. 3 pr. 18 Decimoctavo utrum Angeli sint creati ante mundum visibilem.

Article 18. Les anges ont-ils t crs avant le monde visible ?

q. 3 pr. 19 Undevigesimo utrum potuerint esse Angeli ante mundum visibilem.

Article 19. Les anges ont-ils pu exister avant le monde visible ?

 

 

 

Article 1 Dieu peut-il crer de rien ?

q. 3 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit aliquid creare ex nihilo. Et videtur quod non.

Il semble que non[218].

 

Objections :

q. 3 a. 1Arg. 1 Deus enim non potest facere contra communem animi conceptionem, sicut quod totum non sit maius sua parte. Sed, sicut dicit philosophus [in I Phys., text.33], communis conceptio ex sententia philosophorum fuit, quod ex nihilo nihil fiat. Ergo Deus non potest de nihilo aliquid facere.

1. Dieu ne peut agir contre la conception commune de lesprit : faire par exemple que le tout ne soit pas plus grand que la partie. Mais, comme le dit le philosophe (I Phys. 4, 187 a 26), la conception commune : Rien ne vient partir de rien[219] provient de lopinion des philosophes[220]. Donc Dieu ne peut rien faire partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 2 Praeterea, omne quod fit, antequam esset, possibile erat esse : si enim erat impossibile esse, non erat possibile fieri : nihil enim mutatur ad id quod est impossibile. Sed potentia qua aliquid potest esse, non potest esse nisi in aliquo subiecto : nisi forte ipsamet sit subiectum ; nam accidens absque subiecto esse non potest. Ergo omne quod fit, fit ex materia vel subiecto. Impossibile est ergo ex nihilo aliquid fieri.

2. Tout ce qui est fait, en avait la possibilit[221] avant dexister ; car s'il lui tait impossible d'tre, il ne pouvait pas tre fait. Car rien ne se change en ce qui est impossible. Mais la puissance par laquelle quelque chose peut exister ne peut tre que dans un substrat, moins que par hasard elle-mme soit le substrat ; car un accident ne peut pas exister sans substrat. Donc tout ce qui est fait est fait partir de la matire ou dun substrat. En consquence, il est impossible que quelque chose soit fait partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 3 Praeterea, infinitam distantiam non contingit pertransire. Sed non entis simpliciter ad ens est infinita distantia ; quod ex hoc patet, quia quanto potentia est minus ad actum disposita, tanto magis ab actu distat ; unde si omnino potentia subtrahatur, erit infinita distantia. Ergo impossibile est quod aliquid transeat simpliciter de non ente ad ens.

3. On ne peut traverser une distance infinie. Mais du non tant absolu lՎtant, la distance est infinie. Ce qui apparat ainsi : moins une puissance est dispose lacte, plus elle en est distante. C'est pourquoi, si on supprime tout fait la puissance, la distance sera infinie. Donc il est impossible que quelque chose passe du non tant absolu lՎtant.

q. 3 a. 1Arg. 4 Praeterea, philosophus dicit [in I de Gen., comm. 48], quod omnifariam dissimile, non agit in omnifariam dissimile ; oportet enim quod agens et patiens conveniant in genere et in materia. Sed non ens simpliciter et Deus in nullo conveniunt. Ergo Deus non potest agere in non ens simpliciter, et ita non potest facere aliquid de nihilo.

4. Le philosophe (De la Gnration et de la corruption, I, 10[222]) dit que des objets tout fait dissemblables n'interagissent pas entre eux. Car il faut que lagent et le patient saccordent dans le genre et la matire. Mais le non tant absolu et Dieu ne saccordent en rien. Donc Dieu ne peut agir sur le non tant absolu et ainsi il ne peut pas faire quelque chose de rien.

q. 3 a. 1Arg. 5 Sed dicebat, quod ratio ista procedit de agente cuius actio differt a sua substantia, quam oportet in aliquo subiecto recipi.- Sed contra Avicenna dicit [lib. IX Metaph., cap II] quod si calor esset a materia expoliatus, per se ipsum ageret absque materia ; et tamen eius actio non esset sua substantia. Ergo hoc quod actio Dei est sua essentia, non est ratio quod materia non indigeat.

5. Mais on pourrait dire que cette raison procde d'un agent dont laction est diffrente de la substance, qui doit tre reue dans un substrat. En sens contraire, Avicenne (Mtaphysique, IX, ch. 2) dit que si la chaleur tait dpourvue de matire, elle agirait par elle-mme, sans matire et cependant son action ne serait pas sa substance. Donc le fait que laction de Dieu soit son essence nest pas une raison pour quil nait pas besoin de matire[223].

q. 3 a. 1Arg. 6 Praeterea, ex nihilo nihil concluditur : quod est quoddam fieri rationis. Sed esse rationis consequitur esse naturae. Ergo etiam in natura ex nihilo nihil fieri potest.

6. A partir de rien, on ne conclut rien, ce qui est un certain cheminement de la raison[224]. Mais lՐtre de raison suit lՐtre de nature. Donc mme dans la nature, on ne peut rien faire partir de rien

q. 3 a. 1Arg. 7 Praeterea, si ex nihilo aliquid fiat, haec praepositio ex aut notat causam, aut ordinem. Causam autem non videtur notare nisi efficientem, vel materialem. Nihil autem neque efficiens causa entis esse potest, neque materia ; et sic in proposito non denotat causam ; similiter nec ordinem, quia, ut dicit Boetius, entis ad non ens non est aliquis ordo. Ergo nullo modo ex nihilo potest aliquid fieri.

7. [Dans la phrase] : Si quelque chose est fait partir de (ex) rien, la prposition ex (de[225]) dsigne la cause ou une relation. Si cest la cause, elle parat ne signifier quune cause efficiente ou matrielle. Mais le nant ne peut pas tre la cause efficiente de lՎtant, la matire non plus et ainsi dans cette proposition, elle nindique pas la cause, ni de la mme manire la relation, parce que, comme le dit Boce, de lՐtre au non-tre, il ny a pas de relation. Donc, en aucune manire, rien ne peut tre fait de rien[226].

q. 3 a. 1Arg. 8 Praeterea, potentia activa secundum philosophum [IV Metaph., com. 17] est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud. Potentia autem Dei non est nisi potentia activa. Ergo requirit aliquod subiectum transmutationis ; et sic non potest ex nihilo aliquid facere.

8. La puissance active, selon le philosophe (Mtaphysique V, 12, 1019 a 15-16), est le principe dun changement en autre chose, en tant quautre. Mais la puissance de Dieu est uniquement active. Donc elle requiert un substrat transformer et ainsi elle ne peut pas faire quelque chose partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 9 Praeterea, in rebus invenitur diversitas, prout una res est alia perfectior. Huius autem diversitatis causa non est ex parte Dei, qui est unus et simplex. Ergo oportet huius diversitatis causam assignare ex parte materiae. Oportet ergo ponere res factas esse ex materia et non ex nihilo.

9. Dans les tres, on trouve la diversit du fait quune chose est plus parfaite quune autre. Mais la cause de cette diversit ne vient pas de Dieu qui est un et simple[227]. Donc il faut en assigner la cause la matire. En consquence, il faut penser que les cratures ont t faites de matire et non partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 10 Praeterea, quod ex nihilo factum est, habet esse post non esse. Est ergo considerare aliquod instans in quo ultimo non est, ex quo non esse desinit, et aliquod in quo primo est, ex quo esse incipit. Aut ergo est unum et idem instans, aut diversa. Si idem, sequitur duo contradictoria esse in eodem instanti ; si diversa, cum inter duo instantia sit tempus medium, sequitur aliquid esse medium inter affirmationem et negationem : nam non potest dici non esse post ultimum instans in quo non fuit, nec esse ante primum instans in quo fuit. Utrumque autem est impossibile, scilicet contradictionem esse simul, et eam habere medium. Ergo impossibile est aliquid fieri ex nihilo.

10. Ce qui est fait partir de rien possde lՐtre aprs le non tre. Il faut donc considrer un instant, la fin duquel il nexiste pas et o cesse le non tre et un autre instant au dbut duquel il existe et auquel il commence tre. Donc ou cest un mme et unique instant ou ce sont des instants diffrents. Si c'est le mme, il sensuit que deux choses contradictoires existent en mme temps ; sils sont diffrents, comme entre deux instants il y a un temps intermdiaire, il sensuit que quelque chose est intermdiaire entre laffirmation et la ngation ; car on ne peut pas dire quil nՎtait pas aprs lultime instant en lequel il ne fut pas, ni quil est avant le premier dans lequel il a exist. Lun et lautre sont impossibles, c'est--dire que les deux termes de la contradiction soient en mme temps et quelle ait un intermdiaire. Donc il est impossible que quelque chose soit fait partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 11 Praeterea, quod factum est, necesse est aliquando fieri ; et quod creatum est, aliquando creari. Aut ergo simul fit et factum est, quod creatur, aut non simul. Sed non potest dici quod non simul, quia creatura non est antequam facta sit. Si ergo fieri eius sit antequam facta sit, oportebit esse aliquod factionis subiectum, quod est contra creationis rationem. Si autem simul fit et factum est, sequitur quod simul fit et non fit, quia quod factum est in permanentibus, est ; quod tamen fit, non est. Hoc autem est impossibile. Ergo impossibile est aliquid fieri ex nihilo, vel creari.

11. Il est ncessaire que ce qui a t fait, le soit dans un temps donn et ce qui a t cr aussi. Ou bien donc ce qui est cr est fait et a t fait en mme temps ou pas. Mais on ne peut pas dire que ce nest pas en mme temps, parce que la crature nexiste pas avant davoir t faite. Si donc son devenir est avant davoir t faite, il faudra quil y ait quelque substrat de laction, ce qui est contre la notion de cration. Sil se fait et a t fait en mme temps, il sensuit quil est fait et non fait en mme temps, parce que ce qui a t fait dans ce qui demeure existe ; ce qui cependant se fait nest pas. Mais cela est impossible. Donc il est impossible que quelque chose soit fait ou cr partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 12 Praeterea, omne agens agit simile sibi. Omne autem agens agit secundum quod est in actu. Ergo nihil fit nisi quod est in actu. Sed materia prima non est in actu. Ergo fieri non potest, praecipue a Deo, qui est purus actus ; et sic quaecumque fiunt, fiunt ex praesupposita materia, et non ex nihilo.

12. Tout agent fait du semblable lui. Mais tout agent nagit que selon quil est en acte. Donc rien nest fait que ce qui est en acte[228]. Mais la matire premire nest pas en acte. Donc elle ne peut pas tre faite, surtout par Dieu qui est acte pur ; et ainsi tout ce qui est fait, est fait dune matire prsuppose, et non partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 13 Praeterea, quidquid facit Deus, per ideam operatur, sicut artifex agit artificiata per formas artis. Sed materia prima non habet ideam in Deo : quia idea forma est, et similitudo ideati. Materia autem prima cum intelligatur secundum suam essentiam absque omni forma, non potest forma eius esse similitudo. Ergo materia prima a Deo fieri non potest ; et sic idem quod prius.

13. Tout ce que Dieu fait, il lopre par lide, comme lartisan fait ses uvres par les formes de son art. Mais la matire premire na pas dide en Dieu, parce que lide est une forme, et une ressemblance de l'idat[229]. Comme on comprend la matire premire, selon son essence, hors de toute forme, sa forme ne peut pas en tre une ressemblance. Donc elle ne peut avoir t faite par Dieu ; et de mme que ci-dessus.

q. 3 a. 1Arg. 14 Praeterea, non potest esse idem perfectionis et imperfectionis principium. In rebus autem imperfectio invenitur, cum rerum quaedam aliis potiores sint ; quod contingere non potest nisi per inferiorum imperfectionem. Cum ergo perfectionis principium sit Deus, oportebit imperfectionem in aliud principium reducere. Sed non nisi in materiam. Ergo oportebit res ex aliqua materia esse factas, et non ex nihilo.

14. Il ne peut pas y avoir de principe identique pour la perfection et limperfection. On trouve limperfection dans des choses, puisque certaines sont meilleures que dautres, ce qui ne peut arriver que par limperfection des infrieures. Donc puisque le principe de la perfection est Dieu, il faudra ramener limperfection un autre principe. Mais il n'est que dans la matire. Donc il faudra que les choses aient t faites dune matire et non partir de rien[230].

q. 3 a. 1Arg. 15 Praeterea, si aliquid fit ex nihilo aut fit ex eo sicut ex subiecto, sicut statua ex aere ; aut sicut ex opposito, sicut figuratum ex infigurato ; aut ex composito, sicut statua ex aere infigurato. Sed aliquid non potest fieri ex nihilo sicut ex subiecto, quia non ens non potest esse entis materia ; neque sicut ex composito, quia sic non ens converteretur in ens, sicut aes infiguratum convertitur in aes figuratum ; et ita oporteret aliquid esse commune enti et non enti, quod est impossibile ; neque etiam sicut ex opposito, cum plus differant non esse simpliciter et ens quam duo entia diversorum generum, ex quorum uno non fit aliud, sicut figura non fit color, nisi forte per accidens. Ergo nullo modo aliquid potest fieri ex nihilo.

15. Si quelque chose est fait partir de rien ou il en est fait comme dun substrat ; - ainsi la statue est faite dairain, ou bien comme dun oppos[231], comme ce qui est form est fait de ce qui est sans forme - ou bien dun compos comme la statue est faite de lairain sans forme. Mais rien ne peut tre fait partir du nant comme dun substrat, parce que le non tant ne peut tre la matire dun tant, ni fait comme dun compos, parce qu'ainsi le non tant serait transform en tant, comme lairain sans forme est transform en airain en forme et ainsi il faudrait que quelque chose soit commun lՎtant et au non tant, ce qui est impossible ; ni mme fait comme de loppos, puisque le non tant absolu et lՎtant diffrent encore plus que deux tants de genres diffrents ; il ne devient pas autre partir de l'un d'eux ; ainsi la figure ne devient pas couleur, sinon par hasard par accident. Donc en aucune manire, quelque chose ne peut tre fait partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 16 Praeterea, omne quod est per accidens, reducitur ad per se. Sed ex opposito fit aliquid per accidens, ex subiecto autem per se ; sicut statua ex infigurato fit per accidens, ex aere autem per se, quia aeri accidit esse infiguratum. Si ergo aliquid fiat ex non ente, hoc erit per accidens. Ergo oportet quod fiat per se ex aliquo subiecto ; et ita non fit ex nihilo.

16. Tout ce qui est par accident est ramen au par soi. A partir de l'oppos, on fait quelque chose par accident et partir du substrat, on fait quelque chose par soi ; ainsi la statue est faite partir de quelque chose sans forme par accident, mais elle est faite partir de lairain par soi, parce quil arrive lairain dՐtre sans forme. Si donc quelque chose est fait partir du non tre, il le sera par accident. Donc il faut qu'il soit fait par soi partir dun substrat, et ainsi il nest pas fait partir de rien.

q. 3 a. 1Arg. 17 Praeterea, ei quod fit faciens dat esse. Si ergo Deus facit aliquid ex nihilo, Deus alicui dat esse. Aut ergo est aliquid recipiens esse, aut nihil. Si nihil : ergo nihil constituitur in esse per illam actionem ; et sic non fit aliquid. Si autem est aliquid recipiens esse, hoc erit aliud ab eo quod est Deus ; quia non est idem recipiens et receptum. Ergo Deus facit ex aliquo praeexistenti, et ita non ex nihilo.

17. Celui qui fait donne lՐtre ce qui est fait. Si donc Dieu fait quelque chose partir de rien, il donne lՐtre quelque chose. Donc, ou il y a quelque chose qui reoit lՐtre, ou il ny a rien. S'il n'a a rien, donc ce rien est constitu dans l'tre par cette action, et ainsi il ne devient pas quelque chose. Mais s'il y a quelque chose qui reoit lՐtre, cela sera autre chose que ce qui est Dieu, parce que celui qui reoit et ce qui est reu ne sont pas identiques. Donc Dieu cre partir de quelques chose qui prexiste, et non partir de rien.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Genes. I, 1 : in principio creavit Deus caelum et terram, dicit Glossa, ex Beda, quod creare est ex nihilo facere aliquid. Ergo Deus potest facere aliquid ex nihilo.

1. Au commencement Dieu cra le ciel et la terre (Gn. 1, 1). La glose de Bde dit que Crer, cest faire quelque chose partir de rien. Donc Dieu peut faire quelque chose partir de rien.

q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Avicenna dicit quod agens cui accidit agere, requirit materiam in quam agat. Sed Deo non accidit agere, immo sua actio est sua substantia. Ergo non requirit materiam in quam agat, et ita potest ex nihilo aliquid facere.

2. Avicenne (Mtaphysique VII, 2) dit que lagent qui agit par accident a besoin de la matire sur laquelle il agit. Mais Dieu nagit pas par accident[232], au contraire son action est sa substance. Donc il na pas besoin de matire sur laquelle agir et ainsi il peut faire quelque chose partir de rien.

q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, virtus divina est potentior quam virtus naturae. Sed virtus naturae facit aliquod ens ex hoc quod erat in potentia. Ergo virtus divina aliquid amplius facit, et ita facit ex nihilo.

3. La pouvoir de Dieu est plus puissant que celui de la nature. Mais celui-ci fait un tant de ce qui tait en puissance[233]. Donc le pouvoir de Dieu fait quelque chose de plus et ainsi il le fait partir de rien.

 

Rponse :

q. 3 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod tenendum est firmiter, quod Deus potest facere aliquid ex nihilo et facit. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod omne agens agit, secundum quod est actu ; unde oportet quod per illum modum actio alicui agenti attribuatur quo convenit ei esse in actu. Res autem particularis est particulariter in actu : et hoc dupliciter : primo ex comparatione sui, quia non tota substantia sua est actus, cum huiusmodi res sint compositae ex materia et forma ; et inde est quod res naturalis non agit secundum se totam, sed agit per formam suam, per quam est in actu.

Il faut affirmer fermement que Dieu peut faire quelque chose partir de rien et quil le fait. Pour le mettre en vidence, il faut savoir que tout agent agit selon quil est en acte. C'est pourquoi il faut que de cette manire, laction soit attribue un agent qui il convient dՐtre en acte. Un tre particulier est en acte partiellement. Et cela de deux manires : 1) Par comparaison lui-mme, parce que ce nest pas toute sa substance qui est acte, puisque les choses de ce genre sont composes de matire et de forme et de l vient quune chose naturelle nagit pas tout entire par soi mais agit par la forme par laquelle elle est en acte.

Secundo in comparatione ad ea quae sunt in actu. Nam in nulla re naturali includuntur actus et perfectiones omnium eorum quae sunt in actu ; sed quaelibet illarum habet actum determinatum ad unum genus et ad unam speciem ; et inde est quod nulla earum est activa entis secundum quod est ens, sed eius entis secundum quod est hoc ens, determinatum in hac vel illa specie : nam agens agit sibi simile.

2) Par comparaison ce qui est en acte. Car en rien de naturel ne sont inclus lacte et les perfections de tout ce qui est en l'acte, mais nimporte lesquels parmi eux a un acte limit un seul genre et une seule espce, et de l vient quaucun nest actif en son tre, en tant qu'tant, mais en cet tant, en tant quil est, limit cette espce-ci ou celle-l, car lagent fait quelque chose de semblable lui.

Et ideo agens naturale non producit simpliciter ens, sed ens praeexistens et determinatum ad hoc vel ad aliud, ut puta ad speciem ignis, vel ad albedinem, vel ad aliquid huiusmodi. Et propter hoc, agens naturale agit movendo ; et ideo requirit materiam, quae sit subiectum mutationis vel motus, et propter hoc non potest aliquid ex nihilo facere. Ipse autem Deus e contrario est totaliter actus, - et in comparatione sui, quia est actus purus non habens potentiam permixtam - et in comparatione rerum quae sunt in actu, quia in eo est omnium entium origo ; unde per suam actionem producit totum ens subsistens, nullo praesupposito, utpote qui est totius esse principium, et secundum se totum. Et propter hoc ex nihilo aliquid facere potest ; et haec eius actio vocatur creatio.

Et cest pourquoi lagent naturel ne produit absolument pas un tant, mais l'tant prexistant et limit ceci ou cela, comme par exemple limit lespce du feu, la blancheur ou quelque chose de ce genre. Et c'est pourquoi, lagent naturel agit en provoquant le mouvement et ainsi il a besoin de la matire qui est le substrat du changement ou du mouvement et, pour cela, il ne peut pas faire quelque chose partir de rien. Dieu au contraire est totalement acte et par rapport lui-mme, parce quil est acte pur, sans puissance mle et par rapport ce qui est en acte, parce que lorigine de tous les tres est en lui. Cest pourquoi, par son action, il produit lՎtant subsistant tout entier, sans rien de prsuppos, tant donn quil est le principe de lՐtre entier et tout entier principe en soi. Et cause de cela il peut faire quelque chose partir de rien et cette action est appele cration.

Et inde est quod in Lib. de causis, dicitur, quod esse eius est per creationem, vivere vero, et caetera huiusmodi, per informationem. Causalitates enim entis absolute reducuntur in primam causam universalem ; causalitas vero aliorum quae ad esse superadduntur ; vel quibus esse specificatur, pertinet ad causas secundas, quae agunt per informationem, quasi supposito effectu causae universalis : et inde etiam est quod nulla res dat esse, nisi in quantum est in ea participatio divinae virtutis. Propter quod etiam dicitur in Lib. de causis, quod anima nobilis habet operationem divinam in quantum dat esse.

C'est pour cela quil est dit dans le Livre des Causes (prop. 18) que l'tre existe par cration, mais que la vie et les autres choses de ce genre existent par mise en forme. Car les causalits de lՐtre sont ramenes absolument la cause premire universelle, mais pour ce qui est ajout l'tre ou ce par quoi il est spcifi, la causalit appartient aux causes secondes qui agissent par mise en forme, l'effet de la cause universelle tant pour ainsi dire suppose. Et de l vient que rien ne donne lՐtre que dans la mesure o il y a en lui participation[234] du pouvoir divin. Cest pour cela quon dit aussi dans le Livre des Causes (prop. 3[235]) que lՉme noble a une opration divine dans la mesure o elle donne lՐtre.

 

Solutions :

q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex nihilo nihil fieri, philosophus dicit esse communem animi conceptionem vel opinionem naturalium, quia agens naturale, quod ab eis consideratur, non agit nisi per motum ; unde oportet esse aliquod subiectum motus vel mutationis, quod in agente supernaturali non oportet, ut dictum est.

# 1. Rien ne vient partir de rien. Le philosophe dit que cest la conception du sens commun ou lopinion des Naturalistes, parce que lagent naturel quils considrent nagit que par mouvement. C'est pour cela qu'il faut quil y ait un substrat au mouvement ou au changement, qui nest pas ncessaire pour lagent surnaturel, comme on la dit.

q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod antequam mundus esset, possibile erat mundum esse ; non tamen oportet quod aliqua materia praeexisteret, in qua potentia fundaretur. Dicitur enim V Metaph., aliquid aliquando dici possibile, non secundum aliquam potentiam, sed quia in terminis ipsius enuntiabilis non est aliqua repugnantia, secundum quod possibile opponitur impossibili. Sic ergo dicitur, antequam mundus esset, possibile mundum fieri, quia non erat repugnantia inter praedicatum enuntiabilis et subiectum. Vel potest dici, quod erat possibile propter potentiam activam agentis, non propter aliquam potentiam passivam materiae. Philosophus autem utitur hoc argumento, in generationibus naturalibus contra Platonicos, qui dicebant formas separatas esse naturalis generationis principia.

# 2. Avant que le monde ait exist, son existence tait possible : il ne faut pas cependant qu'une matire prexiste dans laquelle serait tablie la puissance. Car on lit (Mtaphysique V, 3, 1047 a, 24-26[236]), qu'on dit que quelque chose est quelquefois possible, non en raison d'une puissance, mais parce que, dans les termes de son nonc, il ny a rien qui sy oppose, selon que le possible est oppos limpossible. Ainsi donc, on dit quavant que le monde ait exist, il tait possible quil soit fait, parce quil ny avait aucune opposition entre le prdicat de lՎnonc et le sujet. On peut dire aussi quil tait possible cause d'une puissance active de lagent, non cause de la puissance passive de la matire. Le philosophe use de cet argument (Mtaphysique VII, 8, 1033 b 26[237]) dans les gnrations naturelles contre les Platoniciens qui disaient que les formes spares taient les principes de la gnration naturelle.

q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod entis et non entis simpliciter est aliquo modo et semper infinita distantia, non tamen eodem modo : sed quandoque quidem ex utraque parte infinita, sicut cum comparatur non esse ad esse divinum quod infinitum est, ac si comparetur albedo infinita ad nigredinem infinitam : quandoque autem est finita ex una parte tantum, sicut cum comparatur non esse simpliciter ad esse creatum quod finitum est, ac si comparetur nigredo infinita ad albedinem finitam. In illud ergo esse quod est infinitum, non potest fieri transitus ex non esse ; sed in illud esse quod est finitum, talis transitus fieri potest, prout distantia non esse ad illud esse ex una parte terminatur, quamvis non sit transitus proprie : sic enim est in motibus continuis, per quos transit pars post partem. Sic enim contingit nullo modo infinitum transire.

# 3. Il faut dire que de lՐtre au non tre absolu, il y a de quelque manire et toujours une distance infinie, mais pas cependant de la mme manire. Quelquefois d'une partie infinie une autre infinie, comme lorsquon compare le non tre lՐtre divin qui est infini, comme si on comparait la blancheur infinie au noir infini. Quelquefois ce nest fini que dun ct, comme quand on compare le non tre absolu lՐtre cr qui est fini, comme si on comparat le noir infini une blancheur finie. Donc en cet tre qui est infini, le passage partir du non tre ne peut pas se faire, mais dans celui qui est fini un tel passage peut se faire, selon que la distance du non tre cet tre est limite dun ct, quoique ce ne soit pas proprement parler un passage : car c'est ainsi dans les mouvements continus par lesquels passe partie aprs partie. Car ainsi, en aucune manire, on n'arrive traverser linfini[238].

q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum fit aliquid ex nihilo, non esse, sive nihil, non se habet per modum patientis nisi per accidens, sed magis per modum oppositi ad id quod fit per actionem. Nec etiam in naturalibus oppositum se habet per modum patientis nisi per accidens, sed magis subiectum.

# 4. Quand quelque chose est fait partir de rien, le non tre ou le nant ne joue le rle de patient que par accident, mais il joue davantage le rle de contraire, pour ce qui est fait par l'action. Et mme dans ce qui est naturel, l'oppos ne joue le rle de patient que par accident, mais c'est plutt le substrat qui le joue.

q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod calor, si esset expoliatus a materia, ageret quidem sine materia quae requireretur ex parte agentis, sed non sine materia quae requireretur ex parte patientis.

# 5. Si la chaleur tait exclue de matire, elle agirait sans la matire requise du ct de lagent, mais non sans celle ncessaire du ct au patient.

q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod concludi se habet in actibus rationis sicut moveri in actibus naturae, eo quod in concludendo ratio ab uno in aliud discurrit ; et ideo sicut motus omnis naturalis est ex aliquo, ita et omnis conclusio rationis. Sicut vero intelligere principia, quod est concludendi principium, non est ex aliquo ex quo concludatur, ita creatio, quae est omnis motus principium, non est ex aliquo.

# 6. La conclusion se comporte dans les actions de raison comme le mouvement dans les actions de la nature, parce quen concluant, la raison passe dun objet une autre. Et de mme que tout mouvement naturel dpend de quelque chose, toute conclusion de la raison aussi. De mme que comprendre les principes, ce qui est le principe pour conclure, ne dpend pas de quelque chose do lon conclut, de mme la cration, qui est le principe de tout mouvement, ne dpend de rien.

q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum dicitur aliquid fieri ex nihilo, duplex est sensus, ut patet per Anselmum in suo Monologio. Nam negatio importata in nihilo potest negare praepositionem ex, vel potest includi sub praepositione. Si autem neget praepositionem, adhuc potest esse duplex sensus

# 7. Quand on dit que quelque chose est fait partir de rien, il y a deux sens, comme le montre Anselme dans son Monologium (ch. 5 et 7). Car la ngation exprime par rien peut nier la prposition[239] ex, ou peut tre incluse sous elle[240]. Mais si elle nie la prposition, elle peut encore avoir deux sens :

unus, ut negatio feratur ad totum, et negetur non solum praepositio, sed etiam verbum, ut si dicatur aliquid ex nihilo fieri quia non fit, sicut de tacente possumus dicere quod de nihilo loquitur : et sic de Deo possumus dicere quod de nihilo fit, quia omnino non fit ; quamvis iste modus loquendi non sit consuetus.

a) Comme la ngation porte sur le tout, non seulement la prposition est nie, mais encore le mot (verbum), comme si on disait quelque chose est fait partir de rien, parce quil nest pas fait, comme on peut dire de celui qui se tait quil ne parle de rien (de nihilo[241]) : et ainsi nous pouvons dire de Dieu quil est fait de rien (de nihilo), parce quil nest absolument pas fait : cependant ce mode de parler n'est pas habituel.

Alius sensus est, ut verbum remaneat affirmatum, sed negatio feratur solum ad praepositionem ; et ideo dicatur aliquid ex nihilo fieri, quia fit quidem, sed non praeexistit aliquid ex quo fiat ; sicut dicimus aliquem tristari ex nihilo, quia non habet tristitiae suae causam : et hoc modo per creationem dicitur aliquid ex nihilo fieri. Si vero praepositio includit negationem, tunc est duplex sensus : unus verus, et alius falsus.

b) Autre sens : de sorte que le mot demeure affirm, mais la ngation porte seulement sur la prposition et ainsi on dit que quelque chose est fait partir de rien parce quil est fait, mais rien de ce partir de quoi il est fait n'a prexist. Ainsi nous disons que quelquun sattriste partir de rien parce que sa tristesse na pas de cause, et de cette manire, pour la cration on dit, que quelque chose est fait partir de rien. Mais si la prposition inclut la ngation, alors le sens est double : lun est vrai, lautre faux.

Falsus quidem, si positio importet habitudinem causae (non ens enim esse nullo modo potest causa entis) ; verus autem, si importet ordinem tantum, ut dicatur aliquid fieri ex nihilo quia fit post nihilum, quod etiam verum est in creatione. Quod autem Boetius dicit, quod non entis ad ens non est ordo, intelligendum est de ordine determinatae proportionis, vel de ordine qui sit realis relatio, quae inter ens et non ens esse non potest, ut Avicenna dicit.

i) Faux si sa position exprime une relation de cause (car le non tant ne peut en aucune manire tre cause de lՎtant) ; ii) vrai si elle exprime lordre seulement, comme on dit que quelque chose est fait partir de rien parce quil est fait aprs rien, ce qui est vrai dans la cration. Mais quand Boce dit que du non tant lՎtant, il ny a pas dordre, il faut le comprendre de lordre d'un rapport dtermin ou de celui d'une relation relle, qui ne peut exister entre lՎtant et le non tant, comme Avicenne le dit (Mtaphysique, III[242]).

q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod definitio illa intelligitur de potentia activa naturali.

# 8. Cette dfinition est comprise de la puissance active naturelle.

q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus non producit res ex necessitate naturae, sed ex ordine suae sapientiae. Et ideo diversitas rerum non oportet quod sit ex materia, sed ex ordine divinae sapientiae ; quae ad complementum universi diversas naturas instituit.

# 9. Dieu ne cre pas par ncessit de nature[243], mais selon lordre de sa sagesse. Et cest pourquoi il ne faut pas que la diversit des choses[244] viennent de la matire, mais de lordre de la sagesse divine, qui institua des natures diverses pour parfaire lunivers[245].

q. 3 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod cum fit aliquid ex nihilo, esse quidem eius quod fit, est primo in aliquo instanti ; non esse autem non est in illo instanti nec in aliquo reali, sed in aliquo imaginario tantum. Sicut enim extra universum non est aliqua dimensio realis, sed imaginaria tantum, secundum quam possumus dicere quod Deus potest aliquid facere extra universum tantum, vel tantum distans ab universo ; ita ante principium mundi non fuit aliquod tempus reale, sed imaginarium ; et in illo possibile est imaginari aliquod instans in quo ultimo fuit non ens. Nec oportet quod inter ista duo instantia sit tempus medium, cum tempus verum et tempus imaginarium non continuentur.

# 10. Quand une chose est fait partir de rien, son tre est d'abord dans un instant, mais le non tre nest ni dans cet instant ni dans un instant rel, mais imaginaire seulement, En effet, hors de lunivers, il ny a pas de dimension relle, mais imaginaire seulement, selon laquelle nous pouvons dire que Dieu peut faire quelque chose hors de lunivers seulement ou seulement quelque chose dՎloign de lunivers : de la mme manire avant le commencement du monde, il ny eut pas de temps rel, mais un temps imaginaire, et en lui il est possible dimaginer un instant la fin duquel il y eut le non tant. Et il ne faut pas, quentre ces deux instants, il y ait un temps intermdiaire, puisque le temps rel et le temps imaginaire nont pas de rapport.

q. 3 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod illud quod fit ex nihilo, simul fit et factum est ; et similiter est in omnibus mutationibus momentaneis ; simul enim aer illuminatur et illuminatus est. Ipsum enim factum esse in talibus dicitur fieri, secundum quod est in primo instanti in quo factum est. Vel potest dici quod id quod fit ex nihilo, dicitur fieri quando factum est non secundum motum, quod est ab uno termino in alterum, sed secundum effluxum ab agente in factum. Haec enim duo in generatione naturali inveniuntur, scilicet transitus de uno termino in alterum, et effluxus ab agente in factum, quorum alterum tantum proprie est in creatione.

# 11. Ce qui est fait partir de rien, se fait et est fait en mme temps[246]. Et il en est de mme dans tous les changements instantans. Car au mme moment lair sillumine et est illumin. Car on dit quavoir t fait en telles conditions, cest tre fait, selon quil est dans le premier instant dans lequel il a t fait. Ou bien on peut dire que ce qui est fait de rien, est dit fait, quand il a t fait non selon le mouvement, qui passe dun terme un autre, mais selon lՎcoulement partir de l'agent ce qui est fait. Car on trouve les deux dans la gnration naturelle, savoir le passage dun terme un autre et l'coulement partir de lagent dans ce qui est fait, dont lun des deux seulement est proprement dans la cration.

q. 3 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod neque materia neque forma neque accidens proprie dicuntur fieri ; sed id quod fit est res subsistens. Cum enim fieri terminetur ad esse, proprie ei convenit fieri cui convenit per se esse, scilicet rei subsistenti : unde neque materia neque forma neque accidens proprie dicuntur creari, sed concreari. Proprie autem creatur res subsistens, quaecumque sit. Si tamen in hoc vis non fiat, tunc dicendum, quod materia prima habet similitudinem cum Deo in quantum participat de ente. Sicut enim lapis est similis Deo in quantum ens, licet non sit intellectualis sicut Deus, ita materia prima habet similitudinem cum Deo in quantum ens, non in quantum est ens actu. Nam ens, commune est quodammodo potentiae et actui.

# 12. On ne peut pas dire proprement parler que la matire, la forme, et laccident sont faits, mais ce qui est fait cest ce qui subsiste. En effet, comme le devenir se termine lՐtre, il convient proprement dՐtre fait ce quoi il convient dՐtre par soi, cest--dire ce qui subsiste ; c'est pourquoi on dit que ni la matire, ni la forme, ni laccident sont proprement crs mais concrs. Proprement cest la chose subsistante qui est cre, quelle qu'elle soit. Si cependant le caractre essentiel n'y est pas fait, alors il faut dire que la matire premire a une ressemblance avec Dieu dans la mesure o elle participe de lՎtant. Car de mme que la pierre est semblable Dieu en tant quՎtant, bien quelle ne soit pas spirituelle comme lui, de mme la matire premire ressemble Dieu en tant quՎtant, non en tant qu'tant en acte. Car lՐtre est commun dun certaine manire la puissance et lacte[247].

q. 3 a. 1 ad 13 Et sic etiam patet responsio ad decimumtertium. Nam proprie loquendo, materia non habet ideam, sed compositum, cum idea sit forma factiva. Potest tamen dici esse aliquam ideam materiae secundum quod materia aliquo modo divinam essentiam imitatur.

# 13. Et ainsi on rpond la 13e objection. Car proprement parler la matire na pas dide[248], mais le compos en a une, puisque lide est une forme qui cre. Cependant on peut dire quil y a une ide de la matire selon quelle imite lessence divine dune certaine manire.

q. 3 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non oportet, si duarum creaturarum est aliqua dignior, quod minus digna habeat aliquam imperfectionem : nam imperfectio designat carentiam alicuius quod natum est haberi vel debet haberi. Unde et in gloria, quamvis unus sanctorum alium excedat, nullus tamen imperfectus erit. Si tamen aliqua imperfectio in creaturis sit, non oportet quod sit ex Deo neque ex materia ; sed in quantum creatura est ex nihilo.

# 14. Il ne faut pas, si de deux cratures l'une est plus digne, que la moins digne ait une imperfection. Car limperfection dsigne un manque de ce quelle est destine avoir ou quelle doit avoir. Donc dans la gloire, quoique un des saints en dpasse un autre, cependant aucun ne sera imparfait. Mais sil y a quelque imperfection dans les cratures, il ne faut pas quelle vienne de Dieu ni de la matire, mais du fait que la crature ne vient de rien.

q. 3 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ex nihilo dicitur aliquid fieri sicut ex opposito secundum unum sensum superius expositum. Nec tamen oportet quod ex ente unius generis fiat ens alterius generis, sicut ex colore et figura ; ens enim et non ens non possunt esse simul ; color autem et figura simul esse possunt. In autem ex quo aliquid fit, debet esse in contingens ei quod fit, ut dicitur I Phys., quod non contingat simul esse.

15. On dit que quelque chose est fait partir de rien comme de son oppos selon le sens expos plus haut. Cependant il ne faut pas que dun tre dun genre soit fait un tre dun autre genre, comme de la couleur et la figure. Car lՎtant et le non tant ne peuvent coexister, mais la couleur et la figure le peuvent. Mais le "dans" (in) partir duquel la chose se fait doit tre un "dans" (in) qui arrive qui se fait, comme on le dit en I Physique, V, (188 a - 188b) parce qu'il n'arriverait pas tre en mme temps.

q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod si ly ex nominet causam, non fit aliquid ex opposito nisi per accidens, ratione scilicet subiecti. Si vero nominet ordinem, tunc fit aliquid ex opposito etiam per se ; unde et privatio dicitur principium esse fiendi, sed non essendi. Hoc autem modo dicitur aliquid fieri ex nihilo, ut prius dictum est, in corp. art.

16. Si la prposition ex (de) dsigne la cause, ce qui se fait nest fait partir de son oppos que par accident, savoir en raison du substrat. Si elle dsigne lordre, alors ce qui est fait est fait de loppos mme par soi, c'est pourquoi la privation est appele principe de lՐtre faire, mais non dՐtre. De cette manire, on dit que quelque chose est fait partir de rien, comme on l'a dit plus haut dans le corps de larticle.

q. 3 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod Deus simul dans esse, producit id quod esse recipit : et sic non oportet quod agat ex aliquo praeexistenti.

17. Dieu, en mme temps quil donne lՐtre, produit ce qui le reoit. Et ainsi il ne faut pas quil agisse partir de quelque chose de prexistant.

 

 

 

Article 2 La cration est-elle un changement ?

q. 3 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum creatio sit mutatio. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

 

Objections :[249] :

q. 3 a. 2Arg. 1 Mutatio enim secundum nomen suum designat hoc esse post hoc, ut patet V Phys. Sed hoc habet creatio : nam fit esse post non esse. Ergo creatio est mutatio.

1. Car un changement, d'aprs son nom, montre quune chose est aprs l'autre, comme on le dmontre (Phys. V, 7, 224 b 35 - 225 a[250]). Mais c'est ainsi que se comporte la cration : lՐtre, en effet, est cr aprs le non tre. Donc la cration est un changement.

q. 3 a. 2Arg. 2 Praeterea, omne quod fit, fit aliquo modo ex non ente ; quia quod est, non fit. Sicut ergo se habet generatio, secundum quam fit res secundum partem substantiae suae, ad privationem formae, quae est non esse secundum quid ; ita se habet creatio, per quam fit secundum totam substantiam suam, ad non esse simpliciter. Sed privatio proprie loquendo, est terminus generationis. Ergo et non esse simpliciter, proprie loquendo, est terminus creationis ; et sic creatio, proprie loquendo, est mutatio.

2. Tout ce qui est fait est fait dune certaine manire partir du non tre, parce que ce qui est ne se fait pas. Donc, de la mme manire que se comporte la gnration, d'aprs laquelle une chose est faite selon une partie de sa substance, pour combler la privation de la forme, qui est un non tre relatif, de cette mme manire se comporte la cration par laquelle la chose est faite selon toute sa substance pour combler le non tre absolu. Mais la privation de la forme est proprement parler le terme de la gnration. Donc le non tre absolu est proprement le terme de la cration et ainsi, vrai dire, la cration est un changement.

q. 3 a. 2Arg. 3 Praeterea, quanto est maior distantia inter terminos, tanto maior est mutatio. Maior enim est mutatio de albo in nigrum quam de albo in pallidum. Sed plus distat non ens simpliciter ab ente quam contrarium a contrario, vel non ens secundum quid ab ente. Ergo cum transitus de contrario in contrarium, vel de non ente secundum quid in ens, fit mutatio, multo magis transitus de non ente simpliciter in ens, quod est creatio, erit mutatio.

3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le changement. Car le changement est plus grand de blanc noir que de blanc blanc ple. Mais le non tre absolu est plus distant de lՐtre qu'un contraire de son contraire ou le non tant relatif de lՎtant[251]. Donc comme le passage dun contraire son contraire, ou du non tre relatif de lՐtre, devient changement, le passage du non tre absolu lՐtre, quest la cration, sera beaucoup plus un changement[252].

q. 3 a. 2Arg. 4 Praeterea, quod non similiter habet se nunc et prius, mutatur vel movetur. Sed quod creatur non similiter se habet nunc et prius : quia prius erat simpliciter non ens, et postea fit ens. Ergo quod creatur, movetur vel mutatur.

4. Ce qui ne se comporte pas de la mme manire maintenant qu'auparavant est soumis au changement ou au mouvement. Mais ce qui est cr ne se comporte pas de la mme manire maintenant qu'auparavant ; parce quavant c'tait un non tant absolu et aprs il est devenu un tant. Donc, ce qui est cr est m ou chang.

q. 3 a. 2Arg. 5 Praeterea, illud quod exit de potentia in actum, mutatur. Sed quod creatur, exit de potentia in actum ; quia ante creationem erat tantum in potentia facientis, postea autem est in actu. Ergo quod creatur, movetur vel mutatur : ergo creatio est mutatio.

5. Ce qui passe de la puissance lacte subit un changement. Mais ce qui est cr passe de la puissance lacte ; parce quavant la cration il tait seulement dans la puissance du crateur, mais ensuite il est en acte. Donc ce qui est cr, a subi un mouvement ou un changement : donc la cration est un changement.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 2 s. c. Sed contra, species motus vel mutationis sunt sex, secundum philosophum in praedicamentis. Nulla autem earum est creatio ut patet per singula inducenti. Ergo creatio non est mutatio.

Les espces de mouvements ou de changements sont au nombre de six, selon Aristote, dans Les catgories (chapitre sur le mouvement). Aucun delles nest cration, comme cela parat qui les examine une une. Donc la cration nest pas un changement.

 

Rponse :

q. 3 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod in mutatione qualibet requiritur quod sit aliquid idem commune utrique mutationis termino. Si enim termini mutationis oppositi in nullo eodem convenirent, non posset vocari transitus ex uno in alterum. In nomine enim mutationis et transitus designatur aliquid idem, aliter se habere nunc et prius ; et etiam ipsi mutationis termini non sunt incontingentes, quod requiritur ad hoc ut sint mutationis termini, nisi in quantum referuntur ad idem. Nam duo contraria si ad diversa subiecta referantur, contingit simul esse.

Dans un changement, il faut quelque chose de commun chacun des deux termes du changement. Car si les termes opposs du changement ne concordaient en rien, on ne pourrait pas parler de passage de lun lautre. En effet, sous le nom de changement et celui de passage, on dsigne une mme chose, qui se comporte autrement maintenant qu'auparavant. Et aussi ces termes du changement ne sont pas incompatibles, ce qui est requis pour quils en soient les termes, moins quils se rapportent un mme tre. Il arrive en effet que deux contraires soient ensemble sils se rapportent des sujets diffrents.

Quandoque ergo contingit quod utrique mutationis termino est unum commune subiectum actu existens ; et tunc proprie est motus ; sicut accidit in alteratione et augmento et diminutione et loci mutatione. Nam in omnibus his motibus subiectum unum et idem actu existens, de opposito in oppositum mutatur. Quandoque vero est idem commune subiectum utrique termino, non quidem ens actu, sed ens in potentia tantum, sicut accidit in generatione et corruptione simpliciter. Formae enim substantialis et privationis subiectum est materia prima, quae non est ens actu : unde nec generatio nec corruptio proprie dicuntur motus, sed mutationes quaedam.//

Donc parfois il arrive que, pour chaque terme du changement, il y a un seul substrat commun[253] qui existe en acte ; c'est alors proprement un mouvement, comme cela arrive dans laltration, la croissance, la diminution et le changement de lieu. Car dans tous ces mouvements un seul et mme substrat, qui existe en acte, est chang en oppos partir de son. Mais quelquefois cest le mme substrat commun aux deux termes[254], non un tant en acte, mais en puissance seulement, comme cela arrive simplement dans la gnration et la corruption. Car le substrat de la forme substantielle et celui de la privation est la matire premire qui nest pas un tant en acte. C'est pour cela que ni la gnration, ni la corruption ne sont proprement parler des mouvements, mais des changements.

Quandoque vero non est aliquod subiectum commune neque actu neque potentia existens ; sed est idem tempus continuum, in cuius prima parte est unum oppositum et in secunda aliud, ut cum dicimus hoc fieri ex hoc, id est post hoc, sicut ex mane fit meridies. Sed haec non proprie vocatur mutatio, sed per similitudinem, prout ipsum tempus imaginamur quasi subiectum eorum quae in tempore aguntur.

Mais parfois il ny a de substrat commun ni en acte ni en puissance : mais cest le mme temps continu, dans la premire partie duquel il y a un oppos et dans la seconde un autre, comme quand on dit que ceci a t fait de cela, cest--dire aprs cela, comme le midi est fait du matin. Mais on nappelle pas cela un changement au sens propre, mais par analogie, dans la mesure o on imagine le temps lui-mme comme sujet de ce qui se fait dans ce temps.

In creatione autem non est aliquid commune aliquo praedictorum modorum. Neque enim est aliquod commune subiectum actu existens, neque potentia. Tempus etiam non est idem, si loquamur de creatione universi ; nam ante mundum tempus non erat. Invenitur tamen aliquod commune subiectum esse secundum imaginationem tantum, prout scilicet imaginamur unum tempus commune dum mundus non erat, et postquam mundus in esse productus est. Sicut enim extra universum non est aliqua realis magnitudo, possumus tamen eam imaginari ; ita et ante principium mundi non fuit aliquod tempus, quamvis sit possibile ipsum imaginari : et quantum ad hoc creatio secundum veritatem, proprie loquendo, non habet rationem mutationis, sed solum secundum imaginationem quamdam ; non proprie, sed similitudinarie.

Mais dans la cration, il ny a rien de commun avec lun des modes dont on a parl. Car il ny a pas de substrat commun ni en acte ni en puissance. Le temps non plus nest pas le mme, si nous parlons de la cration de l'univers[255] : car avant le monde, le temps nexistait pas. Cependant on trouve un sujet commun en imagination seulement, cest--dire dans la mesure o nous imaginons un seul temps commun, pendant lequel le monde nexistait pas et aprs lequel il a t produit dans lՐtre. Car hors de lunivers il n'y a pas de grandeur relle, nous pouvons cependant en imaginer une ; de la mme manire, avant le commencement du monde, le temps na pas exist, quoiquil soit possible de l'imaginer. Et pour cela, la cration, proprement parler, n'est pas vritablement dfinie comme un changement mais l'est seulement e n imagination ; non au sens propre, mais par analogie.

 

Solutions :

q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mutatio secundum suum nomen designat hoc esse post hoc circa aliquid idem, ut praedictum est, in corp. art. Hoc autem in creatione non est.

# 1. Le changement, par son nom, dsigne un tat qui existe aprs un premier tat, pour quelque chose de semblable, comme il a t dit dans le corps de larticle. Cela nexiste pas dans la cration.

q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in generatione, secundum quam fit aliquid secundum partem substantiae suae, est aliquid commune subiectum privationi et formae, et non est in actu existens : et ideo sicut proprie ibi accipitur terminus, sic etiam et proprie accipitur ibi transitus ; quod in creatione non est.

# 2. Dans la gnration, d'aprs laquelle une chose est faite selon une partie de sa substance, il y a un substrat commun la privation et la forme et il nexiste pas en acte et cest pourquoi de mme qu'on prend ici le terme au sens propre, on prend aussi le passage au sens propre, ce qui nexiste pas dans la cration, comme on l'a dit dans le corps de l'article.

q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ubi est maior distantia terminorum, est maior mutatio, supposita identitate subiecti.

# 3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le changement, si on suppose lidentit du sujet.

q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod non similiter se habet nunc et prius, mutatur, supposita consistentia subiecti : alias non ens simpliciter mutaretur ; quia non ens simpliciter, non similiter se habet nunc et prius, neque dissimiliter. Oportet autem ad hoc quod sit mutatio, quod sit aliquid idem dissimiliter se habens nunc et prius.

# 4. Ce qui ne se comporte pas de la mme manire maintenant et avant, subit un changement, si on suppose la prservation du substrat. Autrement le non tre absolu serait chang, parce qu'il ne se comporte pas dune manire semblable maintenant et avant ni mme dune manire diffrente. Mais il faut, pour qu'il y ait un changement, qu'il y ait une mme chose qui se comporte de manire diffrente maintenant et auparavant.

q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potentia passiva est subiectum mutationis, non autem activa ; et ideo quod exit de potentia passiva in actum, mutatur, non autem quod de potentia activa exit : et ideo non valet obiectio.

# 5. La puissance passive est substrat de changement, mais pas la puissance active et cest pourquoi ce qui passe de la puissance passive lacte est chang, mais non ce qui sort de la puissance active et cest pourquoi lobjection ne vaut pas.

 

 

 

Article 3 La cration est-elle une ralit dans la crature et si oui, quelle est-elle ?

q. 3 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum creatio sit aliquid realiter in creatura, et si est, quid sit. Et videtur quod non sit aliquid reale in creatura.

La cration nest pas, semble-t-il, une ralit dans la crature[256]..

 

Objections :

q. 3 a. 3Arg. 1 Ut enim dicitur in libro de causis, omne quod recipitur in aliquo, est in eo per modum recipientis. Sed actio Dei creantis recipitur simpliciter in non ente : quia Deus creando ex nihilo aliquid facit. Ergo creatio nihil reale ponit in creatura.

1. Comme on le dit dans le Livre des Causes (prop. 10[257]) tout ce qui est reu en quelque chose, y est selon le mode de celui qui reoit. Mais laction de Dieu Crateur est entirement reue dans le non tant, parce que Dieu en crant fait quelque chose partir de rien. Donc la cration napporte rien de rel dans la crature.

q. 3 a. 3Arg. 2 Praeterea, omne quod est in rerum natura, aut est creator aut creatura. Sed creatio non est creator, quia sic esset ab aeterno ; nec etiam creatura, quia aliqua creatione crearetur ; quae etiam creatio, aliqua creatione indigeret creari, et sic in infinitum. Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.

2. Tout ce qui est dans le nature est crateur ou crature. Mais la cration nest ni le crateur, parce quainsi elle serait ternelle, ni non plus une crature, parce quelle serait cre par une cration ; laquelle aurait besoin dՐtre cre par une cration et ainsi linfini. Donc la cration nest rien dans la nature des choses.

q. 3 a. 3Arg. 3 Praeterea, omne quod est, vel est substantia vel accidens. Sed creatio non est substantia, cum non sit nec materia neque forma neque compositum, ut de facili patere potest : nec etiam accidens, quia accidens sequitur suum subiectum ; creatio autem est naturaliter prior creato, quod nullum sibi supponit subiectum. Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.

3. Tout ce qui existe est substance ou accident. Mais la cration nest pas une substance, puisque elle nest ni matire, ni forme, ni compos, comme on peut le dcouvrir facilement. Elle nest pas non plus un accident parce que celui-ci suit son substrat. Mais la cration est naturellement antrieure au cr, parce quil ne suppose en soi aucun substrat. Donc la cration nest rien dans la nature des choses.

q. 3 a. 3Arg. 4 Praeterea, sicut se habet generatio ad rem generatam, ita se habet creatio ad rem creatam. Sed generationis subiectum non est res generata, sed magis terminus ; subiectum vero eius est materia prima, ut dicitur in de Generat. et Corrupt. Ergo nec subiectum creationis est res creata. Nec potest dici quod subiectum eius sit aliqua materia, cum res creata non creetur ex aliqua materia. Ergo creatio non habet subiectum aliquod, et ita non est accidens. Constat autem quod non est substantia. Ergo non est aliquid in rerum natura.

4. La cration se comporte vis--vis de la crature comme la gnration vis--vis de l'engendr. Mais le substrat de la gnration nest pas ce qui est engendr, mais cest plutt son terme. Son substrat est la matire premire, comme il est dit dans La gnration et la corruption (texte 1). Donc le substrat de la cration nest pas la crature. Et on ne peut pas dire que son substrat soit une certaine matire puisque la crature nest pas cre partir de la matire. Donc la cration na pas de substrat et ainsi elle nest pas un accident. Il est clair quelle nest pas une substance. Donc elle nest rien[258] dans la nature des choses.

q. 3 a. 3Arg. 5 Praeterea, si creatio est aliquid in rerum natura, cum non sit mutatio, ut supra dictum est, maxime videtur esse relatio. Sed non est relatio, cum in nulla relationis specie contineri possit. Simpliciter enim non enti, ex quo est relatio, ens simpliciter neque supponitur neque aequatur. Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.

5. Si la cration est quelque chose dans la nature des choses, comme elle nest pas changement, comme on l'a dit plus haut, elle parat tre surtout une relation. Mais ce nen est pas une, puisquelle ne peut tre contenue dans aucune espce de relation. Car lՎtant nest absolument ni soumis, ni gal au non tant absolu do part la relation. Donc la cration nest rien dans la nature des choses.

q. 3 a. 3Arg. 6 Praeterea, si creatio importet relationem entis creati ad Deum a quo esse habet ; cum ista relatio semper maneat in creatura, non solum quando incipit esse, sed quamdiu res est ; continue aliquid crearetur : quod videtur absurdum. Ergo creatio non est relatio : et sic idem quod prius.

6. Si la cration apporte une relation de lՎtant cr Dieu de qui il tient lՐtre, comme cette relation demeure toujours dans la crature, non seulement quand elle commence tre, mais aussi longtemps qu'elle existe, quelque chose serait cr continuellement, ce qui parat absurde. Donc la cration nest pas une relation et ainsi de mme que plus haut.

q. 3 a. 3Arg. 7 Praeterea, omnis relatio realiter in rebus existens, acquiritur ex aliquo quod est diversum ab ipsa relatione, sicut aequalitas a quantitate, et similitudo a qualitate. Si ergo creatio sit aliqua relatio in creatura realiter existens, oportet quod differat ab eo ex quo acquiritur relatio. Hoc autem est quod per creationem accipitur. Sequitur ergo quod ipsa creatio non sit per creationem accepta ; et ita sequitur quod sit aliquid increatum : quod est impossibile.

7. Toute relation qui existe rellement dans les choses est acquise de quelque chose qui est diffrent de la relation mme, comme lՎgalit est diffrente de la quantit et la ressemblance de la qualit. Donc si la cration est une relation qui existe rellement dans la crature, il faut quelle diffre de ce par quoi la relation est acquise. Mais cest ce qui est reu par cration. Donc il sensuit que la cration mme ne serait pas reue par une cration et ainsi il en dcoule quelle serait quelque chose dincr, ce qui est impossible.

q. 3 a. 3Arg. 8 Praeterea, omnis mutatio reducitur ad illud genus ad quod terminatur, sicut alteratio ad qualitatem, et augmentum ad quantitatem ; et propter hoc dicitur, in III Phys., quod quot sunt species entis, tot sunt species motus. Sed creatio terminatur ad substantiam ; nec tamen potest dici quod sit in genere substantiae, ut supra, argum. 3, dictum est. Ergo non videtur quod sit aliquid secundum rem.

8. Tout changement est ramen au genre o il se termine, comme laltration la qualit et la croissance la quantit et cause de cela il est dit (III Physique, 201 a 8[259]) qu'il y a autant despces de mouvements qu'il y a d'espces d'tants. Mais la cration se termine la substance ; et cependant on ne peut pas dire quelle soit dans le genre de la substance, comme on l'a dit ci-dessus l'objection 3. Donc il ne parat pas que ce soit quelque chose de rel.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Si creatio non est aliqua res, ergo nec aliquid realiter creatur. Hoc autem apparet esse falsum. Ergo creatio aliquid est in rerum natura.

1. Si la cration nest rien, donc rien nest rellement cr. Ce qui parat faux. Donc la cration est quelque chose dans la nature des choses.

q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ex hoc Deus est dominus creaturae, quia eam creando in esse produxit. Sed dominium est quaedam relatio realiter in creatura existens. Ergo multo fortius creatio.

2. Dieu est le matre de la crature, parce quen la crant, il la fait venir lՐtre. Mais son pouvoir est une relation, qui existe rellement dans la crature. Donc la cration encore beaucoup plus.

 

Rponse :

q. 3 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod quidam dixerunt creationem aliquid esse in rerum natura medium inter creatorem et creaturam. Et quia medium neutrum extremorum est, ideo sequebatur quod creatio neque esset creator neque creatura. Sed hoc a magistris erroneum est iudicatum, cum omnis res quocumque modo existens non habeat esse nisi a Deo, et sic est creatura.

Certains ont dit que la cration est quelque chose dans la nature des choses, intermdiaire entre le crateur et la crature. Et parce quil n'y a aucun intermdiaire entre les extrmes, il sensuivrait que la cration ne serait ni crateur, ni crature. Mais cela a t jug faux par les docteurs, puisque toute chose de quelque manire qu'elle existe na lՐtre que de Dieu et est ainsi une crature.

Et ideo alii dixerunt, quod ipsa creatio non ponit aliquid realiter ex parte creaturae. Sed hoc etiam videtur inconveniens. Nam in omnibus quae secundum respectum ad invicem referuntur, quorum unum ab altero dependet, et non e converso, in eo quod ab altero dependet, relatio realiter invenitur, in altero vero secundum rationem tantum ; sicut patet in scientia et scibili, ut dicit philosophus. Creatura autem secundum nomen refertur ad creatorem. Dependet autem creatura a creatore, et non e converso. Unde oportet quod relatio qua creatura ad creatorem refertur, sit realis ; sed in Deo est relatio secundum rationem tantum. Et hoc expresse dicit Magister in I Sent. distinct. 30.

A cause de cela, dautres ont dit que la cration elle-mme nՎtablit rien en ralit du ct de la crature. Mais cela ne parat pas convenir. Car dans tout ce qui est mis en relation rciproquement sous un rapport dont lun dpend de lautre et non le contraire, dans ce qui dpend de lun, on trouve rellement une relation, mais dans lautre on la trouve en raison seulement, comme cela parat dans la science et le savoir, comme le philosophe le dit, (Mtaphysique V, 20, 1022 b 5[260]). La crature d'aprs son nom a rapport au crateur. Elle dpend de lui, et non le contraire. Donc il faut que la relation, par laquelle la crature est rfre au crateur, soit relle. Mais en Dieu ce nest quune relation de raison seulement. Et cela le Matre le dit expressment (I Sent., d. 30).

Et ideo dicendum est, quod creatio potest sumi active et passive. Si sumatur active, sic designat Dei actionem, quae est eius essentia, cum relatione ad creaturam ; quae non est realis relatio, sed secundum rationem tantum. Si autem passive accipiatur, cum creatio, sicut iam supra dictum est, proprie loquendo non sit mutatio, non potest dici quod sit aliquid in genere passionis, sed est in genere relationis.

Et c'est pourquoi il faut dire que la cration peut tre considre de faon active ou passive. Si on la considre comme active, elle dsigne ainsi laction de Dieu, qui est son essence, avec relation la crature, qui nest pas une relation relle, mais de raison seulement. Si on la prend au sens passif, la cration, comme on la dit plus haut, proprement parler nest pas un changement, on ne peut pas dire quelle soit quelque chose (aliquid) dans le genre de la passivit, mais elle est dans celui en relation.

Quod sic patet. In omni vera mutatione et motu invenitur duplex processus. Unus ab uno termino motus in alium, sicut ab albedine in nigredinem ; alius ab agente in patiens, sicut a faciente in factum. Sed hi processus non similiter se habent in ipso moveri, et in termino motus. Nam ipso moveri, id quod movetur recedit ab uno termino motus et accedit ad alterum ; quod non est in termino motus ; ut patet in eo quod movetur de albedine in nigredinem : quia in ipso termino motus iam non accedit in nigredinem, sed incipit esse nigrum. Similiter dum est in ipso moveri, patiens vel factum transmutatur ab agente ; cum autem est in termino motus, non ulterius transmutatur ab agente, sed consequitur factum quamdam relationem ad agentem, prout habet esse ab ipso, et prout est ei simile quoquomodo, sicut in termino generationis humanae consequitur natus filiationem.

Ce qui apparat ainsi : en tout vrai changement et vrai mouvement, on trouve un double processus. Lun est le mouvement dun terme un autre, comme de la blancheur la noirceur ; lautre de lagent au patient, comme de celui qui fait ce qui est fait. Mais ces processus ne se comportent pas de la mme manire, dans le mouvement lui-mme et au terme du mouvement. Car par la mise en mouvement mme, ce qui est m sՎloigne dun terme du mouvement et arrive un autre, ce qui nest pas dans le terme du mouvement ; comme cela parat dans ce qui passe de la blancheur la noirceur ; parce quau terme mme du mouvement dj, il narrive pas encore la noirceur, mais il commence tre noir. De mme pendant quil est dans le mouvement mme, le patient ou ce qui est fait, est chang par lagent, mais quand il est au terme du mouvement, il nest plus chang par lagent, mais ce qui est fait reoit une relation lagent dans la mesure o il a lՐtre de lui, et o il lui est semblable dune certaine manire, comme au terme de la gnration humaine, lenfant reoit la filiation.

Creatio autem, sicut dictum est, non potest accipi ut moveri, quod est ante terminum motus, sed accipitur ut in facto esse ; unde in ipsa creatione non importatur aliquis accessus ad esse, nec transmutatio a creante, sed solummodo inceptio essendi, et relatio ad creatorem a quo esse habet ; et sic creatio nihil est aliud realiter quam relatio quaedam ad Deum cum novitate essendi.

Mais la cration, comme on la dit (art. prcd.) ne peut tre reue comme une mise en mouvement qui est avant le terme du mouvement, mais elle est reue comme tre dans ce qui est fait ; c'est pourquoi dans la cration mme, ce nest pas un accs l'tre qui est apport, ni un changement par le crateur, mais seulement un commencement dՐtre et une relation au crateur de qui il tient lՐtre et ainsi la cration nest rellement rien dautre quune relation Dieu avec la nouveaut de lՐtre.

 

Solutions :

q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creatione non ens non se habet sicut recipiens divinam actionem, sed id quod creatum est, ut supra dictum est.

# 1. Dans la cration, le non tant ne se comporte pas comme recevant laction divine, mais cest ce qui est cr, comme on la dit ci-dessus[261].

q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio active accepta significat divinam actionem cum quadam relatione cointellecta, et sic est increatum ; accepta vero passive, sicut dictum est, realiter relatio quaedam est significata per modum mutationis ratione novitatis vel inceptionis importatae. Haec autem relatio, creatura quaedam est, accepto communiter nomine creaturae pro omni eo quod est a Deo. Nec oportet procedere in infinitum, quia creationis relatio non refertur ad Deum alia relatione reali, sed seipsa. Nulla enim relatio refertur alia relatione, ut Avicenna dicit in sua Metaph. Si vero nomen creaturae accipiamus magis stricte pro eo tantum quod subsistit (quod proprie fit et creatur, sicut proprie habet esse), tunc relatio praedicta non est quoddam creatum, sed concreatum, sicut nec est ens proprie loquendo, sed inhaerens. Et simile est de omnibus accidentibus.

# 2. La cration, prise au sens actif, signifie laction divine avec une relation conue en mme temps, et ainsi cest de lincr ; mais prise au sens passif, comme on la dit, une relation est rellement dsigne par mode de changement en raison de la nouveaut, ou du commencement qui est apport. Mais cette relation est une crature ; on accepte communment le nom de crature pour tout ce qui vient de Dieu. Et il ne faut pas procder linfini, parce que la relation de cration n'est pas en rapport avec Dieu par une autre relation relle, mais par elle-mme. Car aucune relation n'est en rapport avec une autre relation, comme Avicenne le dit (Mtaphysique l. III, ch. 10). Si nous acceptons le nom de crature plus strictement pour autant qu'elle subsiste seulement (ce qui proprement est fait et cr, comme ayant proprement lՐtre, alors cette relation nest pas quelque chose de cr, mais quelque chose de concr, de mme quelle nest pas un tant proprement parler, mais quelque chose dinhrent. Il en est de mme de tous les accidents[262].

q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa relatio accidens est, et secundum esse suum considerata, prout inhaeret subiecto, posterius est quam res creata ; sicut accidens subiecto, intellectu et natura, posterius est ; quamvis non sit tale accidens quod causetur ex principiis subiecti. Si vero consideretur secundum suam rationem, prout ex actione agentis innascitur praedicta relatio, sic est quodammodo prior subiecto, sicut ipsa divina actio, est eius causa proxima.

# 3. Cette relation est un accident et considre selon son tre, dans la mesure o elle adhre au substrat, elle est postrieure ce qui est cr ; comme laccident est postrieur au substrat, en esprit et par nature ; bien que ce ne soit pas un accident tel qu'il soit caus partir des principes du substrat. Si on la considre selon sa raison, dans la mesure o la relation susdite nat de laction de lagent, elle est ainsi dune certaine manire avant le substrat, de mme que laction divine mme, elle est sa cause la plus proche.

q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in generatione est et mutatio et relatio, qua refertur genitum ad generans. Ratione ergo mutationis non habet pro subiecto ipsum generatum, sed eius materiam ; sed ratione relationis habet subiectum ipsum generatum. In creatione vero est relatio, sed non mutatio proprie, ut dictum est ; et ideo non est simile.

# 4. Dans la gnration il y a un changement et une relation, par laquelle lengendr est en rapport avec celui qui lengendre. Donc par sa raison de changement elle na pas pour substrat ce qui est engendr mais sa matire ; mais par sa raison de relation, elle a comme substrat ce qui est engendr. Mais dans la cration, il y a une relation mais pas de changement proprement parler, comme on la dit ; et cest pourquoi ce nest pas pareil.

q. 3 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod relatio praedicta non est intelligenda entis ad non ens ; quia talis relatio non potest esse realis, ut Avicenna dicit, sed est entis creati ad creatorem ; unde patet quod est relatio suppositionis.

# 5. La relation dont on a parl, nest pas comprendre de lՎtant au non tant, parce quune telle relation ne peut pas tre relle, comme le dit Avicenne (Mtaphysique III, dernier chapitre) mais elle est de lՎtant cr au Crateur. C'est pourquoi il apparat que cest une relation d'assujettissement.

q. 3 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creatio importat relationem praedictam cum novitate essendi ; unde non oportet quod res, quandocumque est, creetur, licet semper referatur ad Deum : quamvis non esset inconveniens dicere quod sicut aer quamdiu lucet, illuminetur a sole, ita creatura, quamdiu habet esse, fiat a Deo, ut etiam Augustinus dicit super Genes. ad Litt. Sed in hoc non est diversitas nisi secundum nomen, prout nomen creationis potest accipi cum novitate, vel sine.

# 6. La cration apporte la relation dont on a parl avec la nouveaut de lՐtre ; c'est pourquoi il ne faut pas que la chose, tant quelle existe, soit cre, bien quelle soit toujours en rapport avec Dieu. Cependant il naurait pas t inconvenant de dire que, de mme que tant que lair brille, il est illumin par le soleil, de mme la crature tant quelle a lՐtre, est cre par Dieu, comme Augustin aussi le dit (La Gense au sens littral, VIII, 12). Mais en cela il ny a diffrence que de nom, selon que le nom de cration peut tre reu avec la nouveaut ou sans elle.

q. 3 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod id ex quo acquiritur relatio creationis principaliter, est res subsistens, a qua differt ipsa creationis relatio, quae et ipsa creatura est ; et non principaliter, sed quasi secundario, sicut quid concreatum.

# 7. Ce dont est acquise la relation de cration principalement est ce qui subsiste, dont diffre la relation mme de cration, qui est elle-mme crature ; et non principalement, mais comme secondairement, comme quelque chose de concr.

q. 3 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod motus reducitur ad genus sui termini, in quantum proceditur de potentia in actum : nam in ipso motu terminus motus est in potentia, et potentia et actus reducuntur ad idem genus. In creatione autem non est exitus de potentia in actum ; et ideo non est simile.

# 8. Le mouvement est ramen au genre de son terme, dans la mesure o il passe de la puissance lacte. Car dans le mouvement mme, le terme du mouvement est en puissance et la puissance et lacte sont ramen au mme genre. Dans la cration, il ny a pas de passage de puissance lacte et ainsi ce nest pas pareil.

 

 

 

Article 4 Le pouvoir ou mme lacte de crer peut-il tre communiqu une crature ?

q. 3 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum potentia creandi sit alicui creaturae communicabilis, vel etiam actus creationis Et videtur quod sic.

Il semble que oui[263].

 

Objections :

q. 3 a. 4Arg. 1 Eodem enim modo et ordine quo res exeunt a primo principio, reordinantur in ultimum finem, cum idem sit primum principium et ultimus rerum finis. Sed inferiores creaturae ordinantur in Deum sicut in finem mediantibus superioribus creaturis ; quia, sicut Dionysius dicit, lex divinitatis est, per prima, ultima ad se adducere. Ergo et creaturae inferiores exeunt a primo principio per creationem mediantibus superioribus creaturis ; et ita creationis actus creaturae communicatur.

1. De la mme manire et dans le mme ordre que les cratures sortent du premier principe, elles sont rordonnes leur fin ultime, puisque le premier principe et la fin ultime des tres sont identiques. Mais les cratures infrieures sont ordonnes Dieu comme leur fin par lintermdiaire des cratures suprieures, parce que, comme le dit Denys (La Hirarchie cleste, 5,1) la loi de la divinit est de reconduire elle les dernires par les premires. Donc les cratures infrieures sortent du premier principe par cration, par lintermdiaire des cratures suprieures, et cest ainsi que lacte de cration est communiqu la crature.

q. 3 a. 4Arg. 2 Praeterea, illud quod communicatum creaturae non trahit ipsam extra terminos creaturae, est alicui creaturae communicabile per potentiam creatoris, qui potest etiam nova genera condere creaturarum. Sed posse creare, si creaturae communicaretur, non poneret ipsam extra terminos creaturae. Ergo posse creare est creaturae communicabile. Probatio mediae. Illud dicitur extra terminos creaturae rem aliquam ponere quod rationi creaturae repugnat. Posse autem creare non repugnat rationi creaturae, nisi propter infinitatem virtutis quae videtur ad creationem requiri. Non autem requiritur, ut videtur ; nam unumquodque tantum distat ab uno oppositorum quantum de natura alterius participat. Tantum enim aliquid est album, quantum distat a nigro. Ens autem creatum finite participat naturam entis. Ergo finite distat a non esse simpliciter. Educere autem aliquid in esse ex distantia finita, non demonstrat potentiam infinitam ; et sic relinquitur quod potentiae finitae possit esse creationis actus ; et sic posse creare rationi creaturae non repugnat, nec ponit ipsam extra terminos creaturae.

2. [1] Ce qui est communiqu la crature et ne lentrane pas hors de ses limites, lui est communicable par la puissance du crateur, qui peut mme crer de nouveaux genres de cratures. [2] Mais le pouvoir de crer, sil tait communiqu la crature, ne la mettrait pas hors de ses limites. [3] Donc le pouvoir de crer lui est communicable. Preuve intermdiaire[264] : [2] on dit que ce qui place une chose hors des limites de la crature s'oppose sa nature. Mais pouvoir crer ne s'oppose la nature de la crature quՈ cause de linfinit du pouvoir qui semble requis pour la cration. Mais ce nest pas requis, ce quil semble, car chaque chose est loigne de lun de ses opposs qu'autant quelle participe la nature de lautre. Car plus un objet est blanc, plus il est loign du noir. Mais lՎtant cr participe de faon limite la nature de lՎtant. Donc, il est loign du non tre absolu de faon limite. Amener quelque chose lՐtre partir dune distance finie ne rvle pas une puissance infinie et ainsi il reste que lacte de cration pourrait appartenir une puissance finie et ainsi le pouvoir de crer n'est pas oppos la condition de crature et il ne la place pas hors de ses limites.

q. 3 a. 4Arg. 3 Sed diceretur, quod hoc quod dicitur, quod unumquodque tantum distat ab uno oppositorum quantum participat de alio, locum habet in illis oppositis quorum utrumque est natura quaedam, sicut sunt contraria ; non autem in illis quorum alterum tantum est natura, sicut in privatione et habitu, affirmatione et negatione.- Sed contra, praedicta oppositio locum habet in contrariis secundum hoc quod ad invicem distant ; quod quidem eis competit in quantum opposita sunt. Sed causa oppositionis in contrariis et radix, est oppositio affirmationis et negationis, ut probatur. Ergo in oppositione affirmationis et negationis maxime debet locum habere.

3. Mais on pourrait dire que cette assertion : chaque chose est loigne de lun de ses opposs quautant quelle participe de l'autre, trouve sa place dans ces opposs dont lun et lautre sont une certaine nature, comme le sont les contraires, mais non dans ceux dont l'un seulement est cette nature, ainsi dans la privation, et la possession, laffirmation et la ngation. En sens contraire, lopposition susdite trouve sa place dans les contraires selon qu'ils sont loigns lun de lautre, ce qui se rencontre en eux dans la mesure o ils sont opposs. Mais la cause de lopposition dans les contraires, ainsi que sa racine est lopposition de laffirmation et de la ngation, comme on le prouve (Cf. Mtaphysique, IV, 6, 1011 b 20[265]). Donc cest dans lopposition de laffirmation et de la ngation quelle doit avoir lieu.

q. 3 a. 4Arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum tripliciter res fieri dicuntur. Uno modo in verbo, alio modo in angelica cognitione, et tertio modo in propria natura. Propter quod Genes., I, 1-2, dicit : dixit, fiat, et factum est. Modus autem quo res dicuntur in angelica intelligentia fieri, medius est inter illos duos modos. Ergo videtur quod res creatae procedant ut sint in propria natura a verbo creatoris cognitione angelica mediante ; et sic videtur quod mediantibus Angelis res creentur.

4. Selon Augustin (La Gense au sens littral, II, 8, 16[266]), dit quune chose est faite de trois faons : 1) dans le Verbe, 2) dans la connaissance anglique, 3) dans sa nature propre. Cest pour cela que la Gense (1, 1-2) dit : Il dit : que cela soit fait et cela fut fait. Mais la manire dont on dit que les choses sont cres dans lintelligence anglique est intermdiaire entre ces deux modes. Donc il semble que les cratures procdent, pour venir lՐtre dans leur propre nature, du Verbe du Crateur, par lintermdiaire de la connaissance anglique, et ainsi il semble que les choses sont cres par lintermdiaire des anges.

q. 3 a. 4Arg. 5 Praeterea, nihil et aliquid plus distant quam aliquid et esse, cum nihil et aliquid nihil habeant commune, aliquid autem sit entis pars. Deus autem facit creando, ut quod nihil erat, aliquid fiat, et per consequens quod nulla potentia fiat aliqua potentia. Ergo multo amplius facere potest quod aliqua potentia terminata, cuiusmodi est potentia creaturae, fiat omnipotentia, cuius est creare. Et sic communicari potest creaturae quod creet.

5. Il y a plus de distance entre le nant et une chose quentre une chose et lՐtre[267], puisque le nant et la chose nont rien de commun[268], alors que la chose est une partie de lՎtant. Mais Dieu, en crant, fait que ce qui tait nant devienne quelque chose et par consquent quune puissance nulle devienne une puissance. Donc il peut faire beaucoup plus, savoir qu'une puissance limite, de quelque manire que soit la puissance de la crature, devienne une toute puissance qui cre. Et ainsi le pouvoir de crer peut tre communiqu la crature.

q. 3 a. 4Arg. 6 Praeterea, lux spiritualis est nobilior et potentior quam corporalis. Sed lux corporalis se ipsam multiplicat. Ergo Angelus, qui est lux spiritualis secundum Augustinum, potest se ipsum multiplicare. Sed hoc non potest facere nisi creando. Ergo Angelus potest creare.

6. La lumire spirituelle est plus noble et plus puissante que la lumire corporelle. Mais celle-ci se multiplie elle-mme. Donc lange, qui est lumire spirituelle selon Augustin (La Gense au sens littral, II, 8, 17[269]) peut se multiplier lui-mme. Mais il ne peut le faire quen crant. Donc lange peut crer.

q. 3 a. 4Arg. 7 Praeterea, cum formae substantiales non generentur, eo quod solum compositum generatur, ut probat philosophus, non possunt deduci in esse nisi per creationem. Sed natura creata disponit materiam ad formam. Ergo ministerio aliquid operatur ad creationem ; et sic communicari potest creaturae, quod habeat in creatione ministerium.

7. Comme les formes substantielles ne sont pas engendres, parce que seul le compos est engendr, comme le prouve le philosophe (Mtaphysique VII, 8, 1033 b 5 - 1033b 16[270]), elles ne peuvent venir lՐtre que par cration. Mais la nature cre dispose la matire pour la forme. Donc par fonction, quelque chose travaille pour la cration, et ainsi le fait davoir cette fonction dans la cration peut tre communiqu la crature

q. 3 a. 4Arg. 8 Praeterea, opus iustificationis est nobilius quam creationis, cum gratia sit supra naturam. Unde et Augustinus dicit quod maius est iustificare impium quam creare caelum et terram. Sed in iustificatione impii ministerium exhibet creatura : sacerdos enim dicitur ut minister iustificare, sive peccata remittere. Ergo multo magis potest creatura ministerium exhibere in creationis actu.

8. Luvre de justification est plus noble que celle de cration, puisque la grce est au-dessus de la nature. Do ce que dit Augustin (Sur saint Jean, trait 34) quil est plus important de justifier un impie que de crer le ciel et la terre. Mais dans la justification de limpie, la crature rvle son ministre ; car on dit que le prtre justifie ou remet les pchs en tant que ministre. Donc la crature peut beaucoup plus montrer sa fonction dans lacte de cration

q. 3 a. 4Arg. 9 Praeterea, oportet omne factum simile esse agenti, ut probatur in VII Metaph. Sed creatura corporalis non est similis Deo neque specie neque genere. Ergo non potest a Deo per creationem procedere nisi mediante aliqua creatura, quae sit similis saltem in genere ; et sic videtur quod res corporales creentur a Deo mediantibus superioribus creaturis.

9. Il faut que tout ce qui est fait ressemble lagent, comme on le prouve (Mtaphysique VII, 8, 1033 b 29[271]). Mais la crature corporelle nest semblable Dieu ni en espce ni en genre. Donc elle ne peut procder de Dieu par cration que par lintermdiaire dune crature, qui serait semblable, au moins en genre. Et ainsi il semble que ce qui est corporel est cr par Dieu par lintermdiaire des cratures suprieures.

q. 3 a. 4Arg. 10 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod illa quae est intelligentia secunda, non recipit ex bonitatibus primis, quae procedunt ex causa prima, nisi mediante intelligentia superiori. Sed de primis bonitatibus est ipsum esse. Ergo intelligentia secunda non recipit esse a Deo nisi mediante intelligentia prima ; et sic videtur quod Deus actum creationis alicui creaturae communicet.

10. Dans le Livre des Causes (prop. 19[272]), il est dit que celle qui est lintelligence seconde ne reoit des perfections premires qui procdent de la cause premire, que par lintermdiaire de l'intelligence suprieure[273]. Mais l'tre mme vient des bonts premires. Donc lintelligence seconde ne reoit lՐtre de Dieu que par lintermdiaire de l'intelligence premire et ainsi il apparat que Dieu communique laction de crer une crature.

q. 3 a. 4Arg. 11 Praeterea, in eodem Lib. dicitur, quod intelligentia scit quod sub se est, per modum substantiae suae, in quantum est ei causa. Sed una intelligentia cognoscit intelligentiam aliam quae est sub ipsa : ergo est eius causa. Sed non causatur nisi per creationem, cum non sit composita. Ergo intelligentia creare potest.

11. Dans le mme livre (prop. 8[274]), on dit que lintelligence connat ce qui est sous elle, au moyen de sa substance, dans la mesure o elle en est la cause. Mais une intelligence en connat une autre qui est sous elle. Donc elle en est la cause. Mais elle nest cause que par cration, puisquelle nest pas compose. Donc lintelligence peut crer.

q. 3 a. 4Arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit, quod creatura spiritualis communicat corporali speciem et esse ; et sic videtur quod creaturae corporales creentur mediantibus spiritualibus.

12. Augustin (L'immortalit de l'me, XVI, 25[275]) dit que la crature spirituelle communique la crature corporelle lespce et lՐtre et ainsi il semble que les cratures corporelles seraient cres par lintermdiaire des cratures spirituelles.

q. 3 a. 4Arg. 13 Praeterea, duplex est cognitionis genus ; una siquidem cognitio est ad rem, et alia quae est a rebus. Angelus autem cognoscit res corporales non cognitione quae est a rebus, cum careat potentiis sensitivis, quibus mediantibus pervenit cognitio sensibilium ad intellectum. Ergo cognoscit res cognitione quae est ad rem, quae est similis divinae cognitioni. Sicut ergo Deus per suam scientiam est causa rerum, ita et scientia Angeli rerum causa esse videtur.

13. Il y a deux sortes de connaissance : la premire va vers l'objet, l'autre en vient. Or lange connat ce qui est corporel, non par une connaissance qui vient de la ralit, puisquil na pas d'organes sensitifs par lintermdiaire desquelles la connaissance du sensible lui parvient lesprit. Donc il le connat dune connaissance qui va vers l'objet et qui est semblable la connaissance divine. Donc, comme Dieu, par sa science, est la cause des choses, ainsi la science de lange semble aussi en tre la cause.

q. 3 a. 4Arg. 14 Praeterea, duplex est modus quo res in esse exeunt : unus secundum quod exeunt de puro non esse in esse, quod fit per creationem : alius secundum quod exeunt de potentia in actum. Virtus autem materialis, quae est rerum naturalium, potest res producere modo secundo, scilicet extrahendo res de potentia in actum. Ergo virtus immaterialis, quae est potentior, qualis est virtus Angeli, potest aliquid producere in esse modo primo, quod est maioris virtutis, scilicet de puro non esse in esse, quod est creare ; et sic videtur quod Angelus possit creare.

14. Le processus par lequel les tres viennent l'existence est double : 1) ils passent du pur non tre lՐtre, ce qui se fait par cration ; 2) ils passent de la puissance lacte[276]. Mais le pouvoir matriel des choses naturelles peut produire des tres de la seconde manire, cest--dire en les faisant passer de la puissance lacte. Donc un pouvoir immatriel qui est plus puissant, tel celui de lange, peut amener lՐtre de la premire manire, ce qui dpend dun plus grand pouvoir, cest--dire [l'amener] du pur non tre lՐtre, ce qui est crer et ainsi il semble que lange puisse crer.

q. 3 a. 4Arg. 15 Praeterea, infinito non est maius aliquid. Sed infinitae potentiae est educere aliquid de nihilo in esse : alias nihil prohiberet creaturas creare. Nulla ergo potentia potest esse maior quam ista. Et sic non est maius facere creaturam ex nihilo et dare ei potentiam creandi quam creare. Primum autem Deus potest. Ergo et secundum.

15. Rien nest plus grand que linfini. Mais c'est le pouvoir dune puissance infinie de faire passer quelque chose du nant lՐtre ; autrement, rien nempcherait de crer des cratures. Donc nulle puissance ne peut tre plus grande que celle-la. Et ainsi ce nest pas plus grand de faire une crature de rien et lui donner la puissance de crer que crer. Dieu peut le premier. Donc aussi le second.

q. 3 a. 4Arg. 16 Praeterea, quanto maior est resistentia patientis ad agens, tanto maior est difficultas in agendo. Sed contrarium magis resistit quam non ens ; non ens enim agere non potest sicut agit contrarium. Cum ergo creatura possit aliquid ex contrario facere, videtur quod multo magis possit aliquid facere ex nihilo, quod est creare. Ergo potest creatura creare.

16. Plus grande est la rsistance du patient lagent, plus grande est la difficult de celui-ci pour agir. Mais le contraire rsiste plus que le non tre, car le non tre ne peut agir comme agit le contraire. Comme donc la crature pourrait faire quelque chose de contraire, il semble quelle puisse beaucoup plus faire quelque chose de rien, ce qui est crer. Donc une crature peut crer.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Ens et non ens in infinitum distant. Sed operari aliquid ex distantia infinita est infinitae virtutis. Ergo creare est infinitae virtutis ; et ita non potest alicui creaturae communicari.

1. LՎtant et le non tant sont spars par une distance infinie[277]. Mais produire quelque chose partir dune distance infinie dpend dun pouvoir infini. Donc crer est le propre dun pouvoir infini, et il ne peut tre communiqu aucune crature.

q. 3 a. 4 s. c. 2 Praeterea, superiores creaturae ut Angeli, secundum Dionysium dividuntur in essentiam, virtutem, et operationem : ex quo haberi potest quod nullius creaturae virtus est sua essentia, et sic nulla creatura agit se tota, cum id quo res agit sit virtus eius. Sed secundum quod agens agit, effectus agitur. Ergo nulla creatura potest aliquem effectum totum producere ; et sic non potest creare, sed semper in sua actione materiam praesupponit.

2. Les cratures suprieures, comme les anges, selon Denys (La hirarchie cleste, XI), sont divises en essence, puissance et opration : de l on peut constater que le pouvoir daucune crature nest son essence et ainsi aucune crature nagit elle-mme toute entire, puisque ce par quoi quelque chose agit cest sa puissance[278]. Mais leffet est produit selon que lagent agit. Donc aucune crature ne peut produire un effet total, et ainsi elle ne peut crer, mais elle prsuppose toujours une matire pour son action.

q. 3 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Augustinus dicit, quod Angeli non possunt esse creatores alicuius rei, nec boni nec mali. Inter ceteras vero creaturas Angelus est nobilior. Ergo multo minus aliqua alia creatura potest creare.

3. Augustin ( (La Trinit, III, ch. 8 et 9[279]) dit que les anges ne peuvent tre crateurs de rien, ni les bons ni les mauvais. Parmi les autres cratures, lange est le plus noble. Donc les autres peuvent encore beaucoup moins crer.

q. 3 a. 4 s. c. 4 Praeterea, eiusdem virtutis est creare et creaturas in esse conservare. Sed creaturae non possunt in esse conservari nisi per virtutem divinam, quae si se rebus subtraheret, in momento deficerent, secundum Augustinum. Ergo res non possunt creari nisi per virtutem divinam.

4. Crer et conserver les cratures dans lՐtre est un mme pouvoir. Mais les cratures ne peuvent tre conserves dans lՐtre que par le pouvoir divin ; sil se retirait des cratures, elles retourneraient au nant linstant, selon Augustin (La Gense au sens littral, IV, 12, 22 et 23[280]). Donc les choses ne peuvent tre cres que par la puissance divine.

q. 3 a. 4 s. c. 5 Praeterea, illud quod est alicuius proprie proprium, alteri convenire non potest. Sed creare dicitur communiter proprium esse Deo. Ergo creare non potest alteri convenire.

5. Ce qui est vraiment propre une chose ne peut convenir un autre. Mais on dit communment que crer est propre Dieu. Donc crer ne peut pas convenir un autre.

 

Rponse :

q. 3 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod quorumdam philosophorum fuit positio, quod Deus creavit creaturas inferiores mediantibus superioribus, ut patet in Lib. de causis ; et in Metaphys. Avicennae, et Algazelis, et movebantur ad hoc opinandum propter quod credebant quod ab uno simplici non posset immediate nisi unum provenire, et illo mediante ex uno primo multitudo procedebat. Hoc autem dicebant, ac si Deus ageret per necessitatem naturae, per quem modum ex uno simplici non fit nisi unum.

La position de certains philosophes fut que Dieu cra les cratures infrieures par lintermdiaire des cratures suprieures, comme cela apparat dans le Livre des Causes, prop. 10[281] Avicenne, Mtaphysique, IX, 4[282] et Algazel et ils taient pousss le penser parce quils croyaient que, dun tre unique et simple ne pouvait immdiatement provenir quun tre unique et que c'est par son intermdiaire que la multitude procdait du premier tre unique. Ils disaient cela comme si Dieu agissait par ncessit de nature, de cette manire dun seul tre simple, il n'est fait quun tre unique.

Nos autem ponimus, quod a Deo procedunt res per modum scientiae et intellectus, secundum quem modum nihil prohibet ab uno primo et simplici Deo multitudinem immediate provenire, secundum quod sua sapientia continet universa. Et ideo secundum fidem Catholicam ponimus, quod omnes substantias spirituales et materiam corporalium Deus immediate creavit, haereticum reputantes si dicatur per Angelum vel aliquam creaturam aliquid esse creatum ; unde Damascenus dicit : quicumque dixerit Angelum aliquid creare, anathema sit.

Nous, nous pensons que les cratures procdent de Dieu par mode de science et d'intellect[283] ; de cette manire, rien nempche que de Dieu, unique, premier et simple, provienne la multitude sans intermdiaire, selon que sa sagesse contient toutes choses. Et cest pourquoi, selon la foi catholique, nous pensons que Dieu a cr toutes les substances spirituelles et la matire des tres corporels sans intermdiaire, considrant comme hrtique de dire que quelque chose a t cr par un ange ou par quelque crature. C'est pourquoi Jean Damascne dit (La foi orthodoxe, II, 2) que quiconque aura dit quun ange cre quelque chose, quil soit anathme.

Quidam tamen Catholici tractatores dixerunt quod, etsi nulla creatura possit aliquid creare, communicari tamen potuit creaturae ut per eius ministerium Deus aliquid crearet. Et hoc ponit Magister in 5 dist., IV libro Sentent.

Certains auteurs catholiques cependant ont dit que mme si aucune crature ne peut crer, Dieu a pu lui communiquer le pouvoir de crer par son ministre. Le matre des Sentences le dit (4 Sent. Dist. 5[284]).

Quidam vero e contrario dicunt, quod nullo modo creaturae communicari potuit ut aliquid crearet ; quod etiam communius tenetur.

Certains, au contraire, disent que le pouvoir de crer na pu en aucune manire tre communiqu la crature, ce qui est le plus communment admis.

Ad horum autem evidentiam sciendum est quod creatio nominat activam potentiam, qua res in esse producuntur ; et ideo est absque praesuppositione materiae praeexistentis et alicuius prioris agentis : hae enim solae causae praesupponuntur ad actionem. Nam forma geniti est terminus actionis generantis, et ipsa est etiam finis generationis quae secundum esse non praecedit sed sequitur actionem.

Pour le mettre en vidence, il faut savoir que la cration dsigne une puissance active par laquelle les choses sont amenes lՐtre et sans prsupposer une matire prexistante et un agent antrieur[285]. Car seules, ces causes[286] sont prsupposes pour laction. En effet la forme de lengendr est le terme de laction de celui qui engendre et elle-mme est la fin de la gnration qui, selon lՐtre, ne prcde pas mais suit laction.

Quod enim creatio materiam non praesupponat, patet ex ipsa nominis ratione. Dicitur enim creari quod ex nihilo fit. Quod etiam non praesupponat aliquam priorem causam agentem, patet ex hoc quod Augustinus dicit, ubi probat Angelos non esse creatores, quia operantur ex seminibus naturae inditis quae sunt virtutes activae in natura.

Que la cration, en effet, ne prsuppose pas la matire, cela apparat dans la dfinition mme du nom. Car on dit que crer c'est faire quelque chose de rien. Qu'elle ne prsuppose pas non plus une cause premire efficiente, est clair par ce que dit Augustin (La Trinit, III, 8[287]), l o il prouve que les anges ne sont pas crateurs, parce quil oprent partir des semences introduites dans la nature, qui sont des pouvoirs actifs en elle[288].

Si igitur sic stricte creatio accipitur, constat quod creatio non potest nisi primo agenti convenire, nam causa secunda non agit nisi ex influentia causae primae ; et sic omnis actio causae secundae est ex praesuppositione causae agentis.

Donc si on comprend la cration au sens strict, il est clair quelle ne peut convenir qu'au premier agent, car la cause seconde nagit que sous linfluence de la cause premire, et ainsi toute action de la cause seconde prsuppose une cause efficiente.

Nec etiam ipsi philosophi posuerunt Angelos vel intelligentias aliquid creare, nisi per virtutem divinam in ipsis existentem, ut intelligamus quod causa secunda duplicem actionem habere potest ; unam ex propria natura, aliam ex virtute prioris causae. Impossibile est autem quod causa secunda ex propria virtute sit principium esse in quantum huiusmodi ; hoc enim est proprium causae primae ; nam ordo effectuum est secundum ordinem causarum.

Et les philosophes eux-mmes ont pens que les anges ou les intelligences ne craient que par la puissance divine qui existait en eux, de sorte que nous comprenons que la cause seconde peut avoir une double action : lune de sa propre nature, lautre du pouvoir de la cause premire. Il est impossible que la cause seconde de son propre pouvoir soit le principe dՐtre en tant que tel, cela, en effet, est le propre de la cause premire, car lordre des effets dpend de lordre des causes.

Primus autem effectus est ipsum esse, quod omnibus aliis effectibus praesupponitur et ipsum non praesupponit aliquem alium effectum ; et ideo oportet quod dare esse in quantum huiusmodi sit effectus primae causae solius secundum propriam virtutem ; et quaecumque alia causa dat esse, hoc habet in quantum est in ea virtus et operatio primae causae, et non per propriam virtutem ; sicut et instrumentum efficit actionem instrumentalem non per virtutem propriae naturae, sed per virtutem moventis ; sicut calor naturalis per virtutem animae generat carnem vivam, per virtutem autem propriae naturae solummodo calefacit et dissolvit.

Le premier effet est lՐtre mme, qui est prsuppos tous les autres effets ; et il n'en prsuppose pas dautre ; et cest pourquoi donner lՐtre en tant que tel doit tre leffet de la seule cause premire selon son propre pouvoir ; et que toute autre cause donne lՐtre, cela arrive dans la mesure o il y a en elle le pouvoir et lopration de la cause premire, et non par son propre pouvoir ; de la mme manire, linstrument effectue laction instrumentale, non par le pouvoir de sa propre nature, mais par le pouvoir du moteur ; ainsi la chaleur naturelle, par le pouvoir de l'me, engendre la chair vivante mais, par le pouvoir de sa propre nature, seulement elle rchauffe et dissout.

Et per hunc modum posuerunt quidam philosophi, quod intelligentiae primae sunt creatrices secundarum, in quantum dant eis esse per virtutem causae primae in eis existentem. Nam esse per creationem, bonum vero et vita et huiusmodi, per informationem, ut in libro de causis habetur. Et hoc fuit idolatriae principium, dum ipsis creatis substantiis quasi creatricibus aliarum, latriae cultus exhibebatur. Magister vero in IV sententiarum ponit hoc esse communicabile creaturae non quidem ut propria virtute creet, quasi auctoritate, sed ministerio quasi instrumentum.

Et de cette manire, certains philosophes ont pens que les intelligences premires sont cratrices des secondes dans la mesure o elles leur donnent lՐtre par le pouvoir de la cause premire qui existe en elles[289]. Car lՐtre est par cration, le bien et la vie etc. sont par mise en forme, comme on le dit dans le Livre des Causes. Et cela fut l'origine de lidoltrie, puisque, ces substances cres, en tant que cratrices des autres, on offrait un culte de latrie. Mais le Matre des Sentences (IV Sent.) pense que ce pouvoir est communicable la crature, non pour quelle cre par son propre pouvoir, comme par son autorit, mais par fonction en tant qu'instrument.

Sed diligenter consideranti apparet hoc esse impossibile. Nam actio alicuius, etiamsi sit eius ut instrumenti, oportet ut ab eius potentia egrediatur. Cum autem omnis creaturae potentia sit finita, impossibile est quod aliqua creatura ad creationem operetur, etiam quasi instrumentum. Nam creatio infinitam virtutem requirit in potentia a qua egreditur : quod ex quinque rationibus apparet.

Mais pour celui qui examine avec attention, cela parat impossible. Car il faut que laction de quelqu'un, mme si elle est comme celle dun instrument, vienne de sa puissance. Comme la puissance de toute crature est limite, il est impossible quune crature agisse pour crer, mme comme instrument. Car la cration demande un pouvoir infini, la puissance do elle sort : ce qui apparat pour cinq raisons.

Prima est ex hoc quod potentia facientis proportionatur distantiae quae est inter id quod fit et oppositum ex quo fit. Quanto enim frigus est vehementius, et sic a calore magis distans, tanto maiori virtute caloris opus est ut ex frigido fiat calidum. Non esse autem simpliciter, in infinitum ab esse distat, quod ex hoc patet, quia a quolibet ente determinato plus distat non esse quam quodlibet ens, quantumcumque ab alio ente distans invenitur ; et ideo ex omnino non ente aliquid facere non potest esse nisi potentiae infinitae.

1. Premire raison : la puissance de celui qui agit est proportionne la distance qui est entre ce qui est fait et loppos dont il est fait. En effet plus le froid est violent, et plus il est loign de la chaleur, plus grand doit tre le pouvoir de la chaleur qu'il faut pour passer du froid au chaud. Le non tre absolu est loign de lՐtre linfini, ce qui apparat du fait que le non tre est plus loign de quelque tant dtermin que nimporte quel tant, quelque distance quon le trouve de cet autre tant et cest pourquoi, de ce qui est tout fait du non tant, on ne peut absolument rien crer sans faire venir l'tre d'une puissance infinie.

Secunda ratio est, quia hoc modo factum agitur quo faciens agit. Agens autem agit secundum quod actu est ; unde id solum se toto agit quod totum actu est, quod non est nisi actus infiniti qui est actus primus ; unde et rem agere secundum totam eius substantiam solius infinitae virtutis est.

2. Seconde raison : parce que ce qui est fait de cette manire subit laction l o celui qui le fait agit. Lagent agit selon quil est en acte. C'est pourquoi seul agit par soi tout entier ce qui est tout entier en acte, ce qui nest le propre que de lacte infini qui est lacte premier. C'est pourquoi faire une chose selon toute sa substance est le propre du seul pouvoir infini.

Tertia ratio est, quia cum accidens oporteat esse in subiecto, subiectum autem actionis sit recipiens actionem ; illud solum faciendo aliquid recipientem materiam non requirit, cuius actio non est accidens, sed ipsa substantia sua, quod solius Dei est ; et ideo solius eius est creare.

3. Troisime raison : comme laccident doit tre dans le substrat, le substrat de laction serait ce qui la reoit. En faisant cela seulement, il n'a pas besoin de matire pour le recevoir, celui dont laction nest pas un accident, mais sa substance mme, ce qui est le propre de Dieu seul et ainsi il est seul crer.

Quarta ratio est, quia cum omnes secundae causae agentes a primo agente habeant hoc ipsum quod agant, ut in Lib. de causis probatur ; oportet quod a primo agente, omnibus secundis agentibus modus et ordo imponatur ; ei autem non imponitur modus vel ordo ab aliquo. Cum autem modus actionis ex materia dependeat quae recipit actionem agentis, solius primi agentis erit absque materia praesupposita ab alio agente agere, et aliis omnibus secundis agentibus materiam ministrare.

4. Quatrime raison : parce que, comme toutes les causes efficientes secondes reoivent du premier agent leur pouvoir dagir, comme on le prouve dans le Livre des Causes (prop. 19 et 20[290] ), il faut que le mode et l'ordre soient imposs par le premier agent tous les agents seconds ; mais le mode ou l'ordre ne lui sont imposs par personne. Comme le mode de laction dpend de la matire qui reoit laction de lagent, ce ne sera le propre que du seul premier agent dagir sans matire prsuppose par un autre agent et de fournir la matire tous les autres agents seconds.

Quinta ratio est ducens ad impossibile. Nam secundum elongationem potentiae ab actu, est proportio potentiarum de potentia in actum aliquid reducentium : quanto enim plus distat potentia ab actu, tanto maiori potentia indigetur. Si ergo sit aliqua potentia finita quae de nulla potentia praesupposita aliquid operetur, oportet eius esse aliquam proportionem ad illam potentiam activam quae educit aliquid de potentia in actum ; et sic est aliqua proportio nullius potentiae ad aliquam potentiam, quod est impossibile. Non entis enim ad ens nulla est proportio, ut habetur IV Physic. Relinquitur ergo quod nulla potentia creaturae potest aliquid creare neque propria virtute, neque sicut alterius instrumentum.

5. La cinquime raison conduit une impossibilit. Car selon lՎloignement de la puissance lacte, il y a un rapport des puissances qui ramnent quelque chose de la puissance lacte. Car plus la puissance est loigne de lacte, plus grande est la puissance dont elle a besoin. Si donc il y a une puissance finie qui agit partir dune puissance prsuppose nulle, il faut quelle ait une proportion cette puissance active qui conduit quelque chose de la puissance lacte, et ainsi il y a une proportion d'une puissance nulle une puissance, ce qui est impossible. Car il n'y a aucune proportion du non tant lՎtant (Cf. Physique IV[291]). Donc il reste qu'aucune puissance dune crature ne peut crer quelque chose ni par son propre pouvoir, ni en tant quinstrument dun autre.

 

Solutions :

q. 3 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in reducendo ad finem, praeexistunt ea quae sunt ad finem : et ideo non impossibile est per actionem alicuius cooperari Deo ad hoc quod res aliquae in finem ultimum reducantur. Sed in universali eductione rerum in esse, nihil praesupponitur ; unde non est simile.

# 1. Quand on ramne les cratures leur fin, ce qui est en vue de cette fin prexiste et cest pourquoi il nest pas impossible par laction de quelque tre de cooprer avec Dieu pour que les choses soient ramenes leur fin ultime. Mais dans la venue universelle des cratures lՐtre, rien nest prsuppos, c'est pourquoi ce nest pas pareil[292].

q. 3 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet aliquam distantiam imaginari infinitam ex una parte et ex alia finitam. Ex utraque autem parte infinitam imaginamur distantiam, quando utrumque oppositorum ponitur infinitum ; puta si sint calor et frigus infinita. Ex parte autem altera, quando alterum est finitum ; sicut si calor esset infinitus, et frigus finitum. Distantia ergo infiniti entis a non esse simpliciter, est infinita ex utraque parte. Distantia autem entis finiti a non esse simpliciter est infinita ex una parte tantum, et requirit nihilominus potentiam infinitam agentem.

# 2. Rien n'empche dimaginer une distance infinie dun ct et une distance finie de lautre. Mais on imagine la distance infinie de deux cts, quand on pense que lun et l'autre des opposs sont infinis ; par exemple sil y avait une chaleur et un froid infini. Mais de lautre ct, quelquefois lautre est fini, comme si par exemple la chaleur tait infinie et le froid fini. Donc la distance de lՐtre infini au non tre absolu est infinie de chaque ct. Mais la distance de lՎtant fini au non tre absolu est infinie dun ct seulement et elle requiert nanmoins une puissance agissante infinie.

q. 3 a. 4 ad 3 Tertium concedimus, non enim quantum ad hoc differt, an utrumque oppositorum sit natura quaedam an alterum tantum.

# 3. Nous concdons la troisime objection, mais non pour les diffrences, si les deux opposs sont une certaine nature, ou lun des deux seulement.

q. 3 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod res in intelligentia dicuntur fieri secundum cognitionem tantum, non secundum rationem operativae virtutis : unde res non producuntur a Deo mediantibus Angelis operantibus, sed solum Angelis cognoscentibus.

# 4. On dit que les cratures dans lintelligence se font selon la connaissance seulement, non selon un pouvoir opratif. Cest pourquoi les tres ne sont pas produits par Dieu par lintermdiaire des anges qui oprent, mais les anges en ont seulement connaissance.

q. 3 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur non posse fieri ab aliquo, non solum propter distantiam extremorum, sed etiam propter hoc quod omnino fieri non potest ; ut si dicamus quod ex aliquo corpore non potest fieri Deus, quia Deus omnino fieri non potest. Sic ergo dicendum quod ex aliqua potentia non potest fieri omnipotentia, non solum propter distantiam utriusque potentiae, sed etiam propter hoc quod omnipotentia omnino fieri non potest. Nam omne quod fit, purus actus esse non potest, cum ex hoc ipso quod ex alio esse habeat, potentia in eo deprehendatur : et ideo non potest esse potentia infinita.

# 5. On dit qu'une chose ne peut pas tre faite par une autre, non seulement cause de la distance des extrmes, mais aussi parce quelle ne peut absolument pas tre faite. Comme si on disait que Dieu ne peut tre fait d'un corps, parce quil ne peut absolument pas tre fait. Donc il faut dire ainsi que dune puissance on ne peut faire une toute-puissance, non seulement cause de la distance de l'une lautre des puissances, mais aussi parce qu'une toute-puissance ne peut absolument pas tre faite. Car tout ce qui est fait ne peut pas tre acte pur, puisque, du fait qu'il reoit lՐtre dun autre, c'est en lui qu'est saisie la puissance. Cest pourquoi elle ne peut pas tre infinie.

q. 3 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod lux corporalis multiplicat se non per creationem novae lucis, sed diffundendo se super materiam : quod de Angelis dici non potest, cum sint substantiae per se stantes.

# 6. La lumire corporelle se multiplie non par cration d'une nouvelle lumire, mais en se diffusant sur la matire, ce quon ne peut pas dire des anges, puisque ce sont des substances subsistantes par soi.

q. 3 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod forma potest considerari dupliciter :

# 7. On peut considrer une forme de deux manires :

uno modo secundum quod est in potentia ; et sic a Deo materia concreatur, nulla disponentis naturae actione interveniente.

A) Selon quelle est en puissance, et ainsi la matire est concre par Dieu, sans l'intervention d'une action de la nature qui la dispose.

Alio modo secundum quod est in actu ; et sic non creatur, sed de potentia materiae educitur per agens naturale ; unde non oportet quod natura aliquid agat dispositive ad hoc quod aliquid creetur. Quia tamen aliqua forma naturalis est quae per creationem in esse producitur, scilicet anima rationalis, cuius materiam natura disponit ; ideo sciendum est, quod cum creationis opus materiam tollat, dupliciter aliquid creari dicitur. Nam quaedam creantur nulla materia praesupposita, nec ex qua nec in qua, sicut Angeli et corpora caelestia ; et ad horum creationem natura nihil operari potest dispositive.

B) Selon quelle est en acte et ainsi, elle nest pas cre, mais elle est tire de la puissance de la matire par un agent naturel. C'est pourquoi il ne faut pas que la nature agisse rgulirement en vue de crer quelque chose. Cependant, parce quil y a une forme naturelle qui est amene lՐtre par cration, savoir lՉme raisonnable, dont la nature dispose la matire, il faut savoir que, puisque luvre de cration n'a pas besoin de la matire, une chose est dite cre de deux manires. a) Certaines choses en effet, sont cres sans aucune matire prsuppose, ni do elles viennent, ni o elles sont, comme les anges et les corps clestes, et pour leur cration, la nature ne peut rien faire par disposition.

Quaedam vero creantur, etsi non praesupposita materia ex qua sint, praesupposita tamen materia in qua sint, ut animae humanae. Ex parte ergo illa qua habent materiam in qua, natura potest dispositive operari ; non tamen quod ad ipsam substantiam creati, naturae actio se extendat.

b) Mais certaines autres sont cres, mme sans matire prsuppose do elles viennent, cependant avec la matire prsuppose dans laquelle elles sont, comme pour l'me humaine. Donc de ce ct o elles ont la matire dans laquelle elles sont, la nature peut oprer par disposition, non cependant que l'action de la nature s'tende la substance mme du cr.

q. 3 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in opere iustificationis homo aliquid operatur ministerio tantum per hoc quod adhibet sacramenta : unde cum sacramenta iustificare dicantur instrumentaliter et dispositive, solutio redit in idem cum solutione praedicta.cum solutione praedicta.

# 8. Dans luvre de justification, lhomme agit seulement par sa fonction en recourant gnralement aux sacrements. C'est pourquoi, comme on dit que les sacrements justifient de manire instrumentale et par disposition, la solution revient au mme que la prcdente.

q. 3 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quamvis inter Deum et creaturam non possit esse similitudo generis vel speciei ; potest tamen esse similitudo quaedam analogiae, sicut inter potentiam et actum, et substantiam et accidens.

# 9. Quoique entre Dieu et la crature, il ne puisse pas y avoir ressemblance de genre ou despce, il peut cependant y avoir une certaine ressemblance par analogie, comme entre la puissance et lacte, la substance et laccident.

Et hoc dicitur uno modo in quantum res creatae imitantur suo modo ideam divinae mentis, sicut artificiata formam quae est in mente artificis.

On le dit a) dans la mesure o les cratures imitent leur manire lide qui est dans lesprit[293] divin, comme l'uvre d'art imite la forme qui est dans lesprit de lartisan.

Alio modo secundum quod res creatae ipsi naturae divinae quodammodo similantur, prout a primo ente alia sunt entia, et a bono bona, et sic de aliis. Tamen haec obiectio non est ad propositum : quia supposito quod creaturae a Deo procedant mediante aliqua potentia creata, adhuc redibit eadem difficultas, qualiter scilicet illa prima natura creata esse possit a Deo, similitudine non existente.

b) Selon que les cratures ressemblent dune certaine manire la nature divine, selon que les autres tant viennent de lՎtant premier, et les biens du Bien, etc.. Cependant cette objection ne concerne pas le sujet, parce que, suppos que les cratures procdent de Dieu par lintermdiaire dune puissance cre, alors reviendra la mme difficult, cest--dire comment cette premire nature pourrait avoir t cre par Dieu, sans ressemblance.

q. 3 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod error iste expresse in libro de causis invenitur, quod creaturae inferiores creatae sunt a Deo superioribus mediantibus : unde in hoc auctoritas illius non est recipienda.

# 10. On trouve cette erreur expressment dans le Livre des Causes (prop. 10) : savoir que les cratures infrieures ont t cres par Dieu, par lintermdiaire de cratures suprieures. Cest pourquoi en cela on ne doit pas accepter son autorit.

q. 3 a. 4 ad 11 Et similiter dicendum ad undecimum.

# 11. Il faut dire de mme.

q. 3 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de anima, quae communicat corpori esse et speciem non per modum creantis, sed per modum formae.

# 12. En cet endroit, Augustin parle de lՉme, qui communique lՐtre et lespce au corps, non comme un crateur, mais la manire d'une forme.

q. 3 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet Angelus non cognoscat res cognitione quae est a rebus accepta, non tamen oportet quod cognoscat tali cognitione quae sit causa rerum : est enim cognitio eius media inter duas cognitiones praedictas. Cognoscit enim res naturali cognitione, quae est per rerum similitudines in eius intellectum effluxas a divino intellectu ; ut sic eius cognitio non sit ad rem quasi rerum causa, sed sit quaedam similitudo divinae cognitionis, quae res causat.

# 13. Bien que lange ne connaisse pas les choses par une connaissance reue delles, cependant il ne faut pas quil connaisse dune connaissance telle qu'elle serait leur cause, car sa connaissance est intermdiaire entre les deux connaissances dont on a parl. Car il connat dune connaissance naturelle par les images des tres infuses en son esprit par lesprit divin ; de sorte que sa connaissance nirait pas l'tre comme cause des choses, mais serait une image de la connaissance divine qui cause les tres

q. 3 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod in educendo res de potentia in actum multi gradus attendi possunt, in quantum aliquid potest educi de potentia magis vel minus remota in actum, et etiam facilius vel minus faciliter : unde non oportet, si virtus Angeli virtutem naturae materialis excedat, quod possit aliquid facere de puro non esse, natura educente aliquid de potentia in actum ; sed quod hoc possit multo facilius quam natura ; sicut etiam Augustinus dicit, quod Daemones seminibus naturae occultius et efficacius operantur quam nos operari sciamus.

# 14. Dans le passage de la puissance lacte on peut passer par de nombreux degrs, selon quune chose peut tre mene dune puissance plus ou moins loigne lacte et mme plus ou moins facilement ; c'est pourquoi il ne faut pas, si le pouvoir de lange dpasse le pouvoir dune nature matrielle, quil puisse faire quelque chose du pur non tre, puisque la nature fait passer une chose de la puissance lacte, mais quil puisse le faire beaucoup plus facilement que la nature. Ainsi Augustin dit (La Trinit, III, 8 et 9), que les dmons oprent avec des semences naturelles de faon plus occulte et plus efficace que nous savons le faire.

q. 3 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod nulla est maior potentia quam potentia creandi : nec oportet quod potentia creantis ad hoc se extendat quod alicui creaturae potentiam creandi communicet, eo quod creaturae communicabilis nullo modo est. Quod enim aliquid fieri non possit, non solum provenit ex defectum potentiae facientis, sed quandoque ex ipsa factione rei, quae fieri non potest ; sicut Deus non potest facere Deum, non propter defectum suae potentiae, sed quia Deus a nullo fieri potest ; et similiter potentia creandi finita esse non potest, nec creaturae communicari, cum sit infinita.

# 15. Il n'y a aucune puissance plus grande que celle de crer. Et il ne faut pas que la puissance du crateur sՎtende jusquՈ communiquer la puissance de crer une autre crature parce quelle ne lui est en aucune manire communicable. Car ce qui ne pourrait pas tre fait non seulement provient de la dfaillance de la puissance de celui qui produit, mais quelquefois de la production de la chose elle-mme qui ne peut pas tre accomplie. Ainsi Dieu ne peut faire un Dieu, non cause de la dfaillance de sa puissance, mais parce Dieu ne peut tre fait par personne, et de la mme manire la puissance de crer ne peut tre limite ni communique aux cratures, puisquelle est infinie.

q. 3 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in actu potest attendi difficultas dupliciter :

# 16. Dans un acte on peut atteindre une difficult de deux manires :

uno modo ex hoc quod patiens resistit contra agentem ; et hoc non est in omnibus generale, sed solum in his quae mutuo agunt et patiuntur in invicem, in quibus agens patitur ex contraria actione patientis : et sic corpora caelestia, quae contrarium non habent agendo, non patiuntur difficultatem in agendo ex contraria actione patientis ; multo minus Deus

a) D'une premire manire, le patient rsiste lagent et cela nest pas gnral dans toutes les cratures, mais seulement en des tres qui agissent avec rciprocit et se supportent lune lautre ; en eux lagent supporte par laction contraire du "patient". Ainsi les corps clestes qui nont pas de contraire, nՎprouvent pas de difficult en agissant du fait de laction contraire dun patient, et Dieu encore bien moins.

Alio modo, qui generalis est, secundum quod patiens elongatur ab actu. Quanto enim potentia magis ab actu elongata invenitur, tanto maior est difficultas in actione agentis. Unde cum magis elongetur ab actu purum non ens quam materia cuicumque contrario subiecta, quantumcumque intenso, manifestum est maioris esse virtutis producere aliquid de nihilo quam facere contrarium de contrario.

b) Dune autre manire, qui est gnrale, dans la mesure o le patient est loign de lacte. Car plus une puissance se trouve loigne de lacte, plus grande est la difficult pour laction de lagent. Cest pourquoi, comme le pur non tant est plus loign de lacte que la matire soumise quelque contraire, quelque intense quil soit, il est clair que cest le fait dun plus grand pouvoir de produire quelque chose de rien que de faire le contraire dun contraire.

q. 3 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in actu potest attendi difficultas dupliciter : uno modo ex hoc quod patiens resistit contra agentem ; et hoc non est in omnibus generale, sed solum in his quae mutuo agunt et patiuntur in invicem, in quibus agens patitur ex contraria actione patientis : et sic corpora caelestia, quae contrarium non habent agendo, non patiuntur difficultatem in agendo ex contraria actione patientis ; multo minus Deus. Alio modo, qui generalis est, secundum quod patiens elongatur ab actu. Quanto enim potentia magis ab actu elongata invenitur, tanto maior est difficultas in actione agentis. Unde cum magis elongetur ab actu purum non ens quam materia cuicumque contrario subiecta, quantumcumque intenso, manifestum est maioris esse virtutis producere aliquid de nihilo quam facere contrarium de contrario.

16. Dans un acte on peut rencontrer une difficult de deux manires : a) D'une premire manire, le patient rsiste lagent et cela nest pas gnral dans toutes les cratures, mais seulement en des tres qui agissent avec rciprocit et se supportent lune lautre ; en eux lagent supporte par laction contraire du "patient". Ainsi les corps clestes qui nont pas de contraire, nՎprouvent pas de difficult en agissant du fait de laction contraire dun patient, et Dieu encore bien moins. b) Dune autre manire, qui est gnrale, dans la mesure o le patient est loign de lacte. Car plus une puissance se trouve loigne de lacte, plus grande est la difficult pour laction de lagent. Cest pourquoi, comme le pur non tant est plus loign de lacte que la matire soumise quelque contraire, quelque intense quil soit, il est clair que cest le fait dun plus grand pouvoir de produire quelque chose de rien que de faire le contraire dun contraire.

 

 

 

Article 5 Est-il possible que quelque chose ne soit pas cr par Dieu ?

q. 3 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum possit esse aliquid quod non sit a Deo creatum. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[294].

 

Objections :

q. 3 a. 5Arg. 1 Cum enim causa sit potentior effectu, illud quod est possibile nostro intellectui, qui a rebus notitiam sumit, videtur magis esse possibile in natura. Sed intellectus noster potest aliquid intelligere non intelligendo illud esse a Deo, cum causa efficiens non sit de natura rei, et sic sine ea res intelligi possit. Ergo multo magis in rerum natura potest aliquid esse quod non sit a Deo.

1. En effet, comme la cause est plus puissante que leffet, ce qui est possible pour notre esprit, qui tire sa connaissance de la ralit, semble tre encore plus possible dans la nature. Mais notre esprit peut comprendre quelque chose sans comprendre que cela vient de Dieu, puisque la cause efficiente ne fait pas partie de la nature de la chose et ainsi on peut la comprendre sans elle. Donc plus forte raison, il peut exister dans la nature un tre qui ne viendrait pas de Dieu.

q. 3 a. 5Arg. 2 Praeterea, omnia quae a Deo sunt facta dicuntur esse Dei creaturae. Creatio autem terminatur ad esse : prima enim rerum creatarum est esse, ut habetur in Lib. de causis. Cum ergo quidditas rei sit praeter esse ipsius, videtur quod quidditas rei non sit a Deo.

2. Tout ce qui a t fait par Dieu est appel crature de Dieu. Mais la cration se termine lՐtre. Car la premire des choses cres est lՐtre[295], comme on le dit dans le Livre des Causes (prop. 4). Donc comme la quiddit[296] est en plus de son tre, elle ne semble pas venir de Dieu.

q. 3 a. 5Arg. 3 Praeterea, omnis actio terminatur ad aliquem actum, sicut et procedit ab aliquo actu : nam omne agens agit in quantum actu est, et omne agens agit sibi simile in natura. Sed materia prima est pura potentia. Ergo actio creantis ad ipsam terminari non potest ; et ita non omnia sunt a Deo creata.

3. Toute action se termine l'acte, de mme qu'elle procde de l'acte : car tout agent agit en tant quil est en acte et fait du semblable lui dans la nature. Mais la matire premire est pure puissance. Donc laction du crateur ne peut pas se terminer elle, et ainsi tout nest pas cr par Dieu.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 5 s. c. Sed contra. Est quod dicitur Rom. XI, 36 : ex ipso et per ipsum et in ipso sunt omnia.

Il est dit en Rm. 11, 36 : Tout est de lui, par lui et en lui.

 

Rponse :

q. 3 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum ordinem cognitionis humanae processerunt antiqui in consideratione naturae rerum. Unde cum cognitio humana a sensu incipiens in intellectum perveniat priores philosophi circa sensibilia fuerunt occupati, et ex his paulatim in intelligibilia pervenerunt. Et quia accidentales formae sunt secundum se sensibiles, non autem substantiales, ideo primi philosophi omnes formas accidentia esse dixerunt, et solam materiam esse substantiam. Et quia substantia sufficit ad hoc quod sit accidentium causa, quae ex principiis substantiae causantur, inde est quod primi philosophi, praeter materiam, nullam aliam causam posuerunt ; sed ex ea causari dicebant omnia quae in rebus sensibilibus provenire videntur ; unde ponere cogebantur materiae causam non esse, et negare totaliter causam efficientem.

Les anciens[297] ont progress dans la considration de la nature des choses selon lordre de la connaissance humaine. Ainsi, comme la connaissance chez l'homme parvient lesprit en commenant par les sens, les premiers philosophes se sont occups du sensible et de l, peu peu, en sont venus aux intelligibles. Et parce que les formes accidentelles sont du domaine du sensible en soi, mais non les formes substantielles, les premiers philosophes ont dit que toutes les formes taient des accidents, et que seule la matire tait une substance. Et parce que la substance suffit pour tre la cause des accidents qui sont causs partir de ses principes, les premiers philosophes nont tabli aucune autre cause, en dehors de la matire, mais ils disaient que cest delle quՎtait caus tout ce qui semblait natre dans les choses sensibles ; c'est pourquoi ils taient forcs de penser qu'il n'y avait pas de cause pour la matire et forcs de nier totalement la cause efficiente.

Posteriores vero philosophi, substantiales formas aliquatenus considerare coeperunt ; non tamen pervenerunt ad cognitionem universalium, sed tota eorum intentio circa formas speciales versabatur : et ideo posuerunt quidam aliquas causas agentes, non tamen quae universaliter rebus esse conferrent, sed quae ad hanc vel ad illam formam, materiam permutarent ; sicut intellectum et amicitiam et litem, quorum actionem ponebant in segregando et congregando ; et ideo etiam secundum ipsos non omnia entia a causa efficiente procedebant, sed materia actioni causae agentis praesupponebatur.

Les philosophes suivants commencrent considrer jusqu' un certain point les formes substantielles. Ils ne parvinrent pas cependant la connaissance de l'universel mais toute leur pense tait occupe avec les formes spciales ; et cest pourquoi certains tablirent des causes efficientes, non cependant pour confrer universellement lՐtre aux cratures, mais pour modifier la matire en une forme ou en une autre ; comme lintelligence, l'amiti et le procs dont ils tablissaient quils agissaient par rpulsion et attraction ; et cest pourquoi, mme selon eux, tous les tres ne procdaient pas dune cause efficiente, mais la matire tait prsuppose laction de cette cause efficiente.

Posteriores vero philosophi, ut Plato, Aristoteles et eorum sequaces, pervenerunt ad considerationem ipsius esse universalis ; et ideo ipsi soli posuerunt aliquam universalem causam rerum, a qua omnia alia in esse prodirent, ut patet per Augustinum.

Les philosophes suivants, comme Platon, Aristote et leurs disciples, parvinrent considrer lՐtre universel mme et cest pourquoi eux seuls ont tabli une cause universelle des choses par laquelle toutes les autres cratures parviennent lՐtre, comme le montre Augustin (La Cit de Dieu, VIII, 4).

Cui quidem sententiae etiam Catholica fides consentit. Et hoc triplici ratione demonstrari potest : quarum prima est haec.

La foi catholique est d'accord avec cette opinion. Et on peut le dmontrer par trois raisons :

Oportet enim, si aliquid unum communiter in pluribus invenitur, quod ab aliqua una causa in illis causetur ; non enim potest esse quod illud commune utrique ex se ipso conveniat, cum utrumque, secundum quod ipsum est, ab altero distinguatur ; et diversitas causarum diversos effectus producit. Cum ergo esse inveniatur omnibus rebus commune, quae secundum illud quod sunt, ad invicem distinctae sunt, oportet quod de necessitate eis non ex se ipsis, sed ab aliqua una causa esse attribuatur. Et ista videtur ratio Platonis, qui voluit, quod ante omnem multitudinem esset aliqua unitas non solum in numeris, sed etiam in rerum naturis.

1. Si on trouve quelque chose de commun plusieurs tres, il faut que cela soit caus en eux par une cause unique[298]. Car il nest pas possible que ce qui est commun l'un et l'autre vienne deux-mmes, en tant que tels puisque lun est distingu de lautre ; et la diversit des causes produit des effets divers. Comme il se trouve que lՐtre est commun toutes les cratures, qui selon ce quelles sont, sont distinctes les unes des autres, il faut que ncessairement lՐtre leur soit attribu non par elles-mmes mais par une cause unique. Et cela parat tre le raisonnement de Platon qui voulut quavant toute multiplicit, il y eut lunit non seulement dans les nombres, mais encore dans la nature des choses.

Secunda ratio est, quia, cum aliquid invenitur a pluribus diversimode participatum oportet quod ab eo in quo perfectissime invenitur, attribuatur omnibus illis in quibus imperfectius invenitur. Nam ea quae positive secundum magis et minus dicuntur, hoc habent ex accessu remotiori vel propinquiori ad aliquid unum : si enim unicuique eorum ex se ipso illud conveniret, non esset ratio cur perfectius in uno quam in alio inveniretur ; sicut videmus quod ignis, qui est in fine caliditatis, est caloris principium in omnibus calidis. Est autem ponere unum ens, quod est perfectissimum et verissimum ens : quod ex hoc probatur, quia est aliquid movens omnino immobile et perfectissimum, ut a philosophis est probatum. Oportet ergo quod omnia alia minus perfecta ab ipso esse recipiant. Et haec est probatio philosophi.

2. Quand une chose se trouve participe de diverses manires par plusieurs, il faut que ce soit partir du plus parfait o on la trouve qu'on l'attribue tout ce qui se trouve moins parfait. Car ces tres quon dsigne positivement selon la plus ou le moins, le possde dune source plus loigne ou plus proche pour un effet unique ; car si cela convenait de soi chacun deux, il ny aurait pas de raison pour quon le trouve plus parfait dans lun que dans lautre. Ainsi nous voyons que le feu qui a pour but l'chauffement est principe de la chaleur dans les corps chauds. Il faut tablir un tre unique qui est absolument parfait et absolument vrai, ce qui est prouv par le fait quil est un moteur, absolument immobile et absolument parfait, comme le prouvent les philosophes. Il faut donc que tous les autres tres qui sont moins parfaits reoivent de lui leur existence. C'est la preuve du philosophe (Mtaphysique, II, 1, 993 b 23[299]).

Tertia ratio est, quia illud quod est per alterum, reducitur sicut in causam ad illud quod est per se. Unde si esset unus calor per se existens, oporteret ipsum esse causam omnium calidorum, quae per modum participationis calorem habent. Est autem ponere aliquod ens quod est ipsum suum esse : quod ex hoc probatur, quia oportet esse aliquod primum ens quod sit actus purus, in quo nulla sit compositio. Unde oportet quod ab uno illo ente omnia alia sint, quaecumque non sunt suum esse, sed habent esse per modum participationis. Haec est ratio Avicennae.

3. Ce qui existe par un autre est ramen comme sa cause ce qui est par soi. C'est pourquoi, sil y avait une seule chaleur existant par soi, il faudrait quelle soit la cause de tout ce qui est chaud, qui aurait la chaleur par mode de participation. Mais cest tablir un tant qui est son tre propre. On le prouve par le fait quil faut quil y ait un tant premier qui soit acte pur, en qui nentre aucune composition. C'est pourquoi, il faut que tous les autres qui ne sont pas leur tre mais qui ont lՐtre par participation existent partir dun tant unique. Cest le raisonnement dAvicenne (Mtaphysique VIII, ch. 7 et IX, ch. 4[300]).

Sic ergo ratione demonstratur et fide tenetur quod omnia sint a Deo creata.

Ainsi on dmontre par la raison[301] et on tient par la foi que tout a t cr par Dieu.

Solutions :

q. 3 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet causa prima, quae Deus est, non intret essentiam rerum creatarum ; tamen esse, quod rebus creatis inest, non potest intelligi nisi ut deductum ab esse divino ; sicut nec proprius effectus potest intelligi nisi ut deductus a causa propria.

# 1. Bien que la cause premire, qui est Dieu, n'entre pas dans lessence des cratures, cependant lՐtre qui est en elles ne peut tre compris que dcoulant de lՐtre divin ; de mme que l'effet le plus proche ne peut tre compris que dduit de sa propre cause[302].

q. 3 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc ipso quod quidditati esse attribuitur, non solum esse, sed ipsa quidditas creari dicitur : quia antequam esse habeat, nihil est, nisi forte in intellectu creantis, ubi non est creatura, sed creatrix essentia.

# 2. Du fait que lՐtre est attribu la quiddit, on dit que non seulement lՐtre mais la quiddit elle-mme est cre car avant davoir lՐtre, elle nest rien, sinon peut-tre dans lesprit du Crateur o elle nest pas crature, mais essence cratrice.

q. 3 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa probat, quod materia prima per se non creatur ; sed ex hoc non sequitur quod non creetur sub forma ; sic enim habet esse in actu.

# 3. Cette raison prouve que la matire premire nest pas cre par soi, mais il nen dcoule pas qu'elle ne soit pas cre sous une forme, car cest ainsi quelle a lՐtre en acte.

 

 

 

Article 6 N'y a-t-il qu'un seul principe de cration ?mmm

q. 3 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum sit unum tantum creationis principium. Et videtur quod non.

Il semble que non[303].

 

Objections :

q. 3 a. 6Arg. 1 Dicit enim Dionysius : non est causa mali bonum. Aliquod autem malum est in mundo. Aut ergo est causatum ab aliqua causa quae non est bonum ; aut nullo modo est causatum, sed est causa prima ; et utrolibet modo oportet ponere plura creationis principia : nam constat primum principium creationis bonorum esse bonum.

1. Car Denys dit (Les noms divins, ch. 4, 14) : Le bien n'est pas la cause du mal[304]. Mais il y a du mal dans le monde. Donc, ou il a une cause qui n'est pas le bien, ou alors il n'est caus en aucune manire, mais il est la cause premire ; et des deux manires, il faut poser plusieurs principes de cration ; car il est clair que le premier principe de cration des biens est le bien.

q. 3 a. 6Arg. 2 Sed diceretur, quod bonum non est causa mali per se, sed per accidens.- Sed contra, omnis effectus qui est alicuius causae per accidens, est alterius causae per se ; cum omne per accidens ad per se reducatur. Si ergo malum est effectus boni per accidens, erit per se effectus alicuius alterius ; et sic idem quod prius.

2. Mais on pourrait dire que le bien n'est pas la cause du mal par soi, mais par accident. En sens contraire, tout effet qui dpend d'une cause par accident vient d'une autre cause par soi ; puisque tout ce qui est par accident est ramen au par soi. Si donc le mal est l'effet du bien par accident, il sera l'effet par soi de quelque chose d'autre, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 3 a. 6Arg. 3 Praeterea, effectus causae per accidens, accidit praeter intentionem causae, et non fit. Si ergo bonum est causa mali per accidens, sequeretur quod malum non sit factum. Sed nihil est non creatum nisi creationis principium, ut supra, art. praeced., ostensum est. Ergo malum est creationis principium.

3. L'effet de la cause par accident arrive au-del de l'intention de la cause et il ne se fait pas. Donc si le bien est la cause du mal par accident, il en dcoulerait que le mal ne serait pas fait. Mais il n'y a rien qui ne soit cr sinon le principe de cration[305], comme on l'a montr ci-dessus, l'article prcdant. Donc le mal est un principe de cration.

q. 3 a. 6Arg. 4 Praeterea, nullum nocumentum accidit in effectu praeter intentionem agentis, nisi vel propter ignorantiam agentis qui non providet, vel propter impotentiam quam vitare non potest. Sed in Deo, qui est creator boni, non est neque impotentia neque ignorantia. Ergo malum, quod nocivum est, Dei effectibus non potest praeter intentionem provenire. Nam Augustinus dicit, quod ideo dicitur malum, quia nocet.

4. Aucun dommage n'arrive dans l'effet au-del de l'intention de l'agent, sinon cause de l'ignorance de l'agent qui ne le prvoit pas, ou cause d'une impuissance qu'il ne peut pas viter. Mais en Dieu qui est le crateur du bien, il n'y a ni impuissance, ni ignorance. Donc le mal, qui est nuisible, ne peut pas provenir par des effets qui dpendent de Dieu au-del de son intention. Car Augustin dit (Enchiridion III, 11) qu'on l'appelle mal parce qu'il nuit.

q. 3 a. 6Arg. 5 Praeterea, quod est per accidens est ut in paucioribus, ut habetur in II Physic. Malum autem est ut in pluribus, ut habetur in II Topic. Ergo malum non est ab aliqua causa per accidens.

5. Ce qui est par accident, est, pour ainsi dire, dans le plus petit nombre, comme on le voit en Physique, II, 5, 196 b 10[306]. Mais le mal est dans le plus grand nombre, comme on le lit dans les Topiques (II, 6, 112 b 10[307] ). Donc le mal ne vient pas d'une cause par accident.

q. 3 a. 6Arg. 6 Praeterea, malum, secundum Augustinum, non habet causam efficientem sed deficientem. Sed causa per accidens est causa efficiens. Ergo bonum non est causa mali per accidens.

6. Le mal, selon Augustin (Cit de Dieu, XII, 7) n'a pas une cause efficiente, mais dficiente. Mais la cause par accident est une cause efficiente. Donc le bien n'est pas cause du mal par accident.

q. 3 a. 6Arg. 7 Praeterea, quod non est, non habet causam ; quia quod non est, neque causa neque causatum est. Sed malum nihil est, secundum Augustinum. Ergo malum non habet aliquam causam nec per se nec per accidens. Falsum est ergo quod dicebatur, quod bonum est causa mali per accidens.

7. Ce qui n'existe pas n'a pas de cause, parce que ce qui n'existe pas n'est ni cause ni caus. Mais le mal n'est rien, selon Augustin (Sur Jean. Tract. 1). Donc le mal n'a de cause ni par soi, ni par accident. Donc dire que le bien est la cause du mal par accident, est faux.

q. 3 a. 6Arg. 8 Praeterea, secundum philosophum, illud cui aliquid inest per prius, est causa omnium in quibus illud per posterius invenitur : sicut ignis est causa caloris in omnibus calidis. Sed malitia per prius fuit in Diabolo. Ergo ipse est causa malitiae in omnibus malis ; et sic est unum principium omnium malorum, sicut et bonorum.

8. Selon le philosophe (Mtaphysique II, 1, 993 b 23[308]), ce en quoi quelque chose est d'abord, est cause de tout ce en quoi on le trouve ensuite ; ainsi le feu est cause de la chaleur dans tout ce qui est chaud. Mais la malice fut d'abord dans le diable. Donc lui-mme est cause de la malice dans tous les maux et ainsi il y a un principe de tous les maux comme il y en a un de tous les biens.

q. 3 a. 6Arg. 9 Praeterea, secundum Dionysium, bonum contingit uno modo : sed malum omnifariam. Malum ergo propinquius est ad esse quam bonum. Si ergo bonum est natura aliqua indigens creatore, et malum etiam indigebit creatore ; et sic idem quod prius.

9. Selon Denys (Les noms divins, ch. IV, 22[309]), le bien arrive d'une seule manire, le mal de toutes les manires. Donc le mal est plus proche de l'tre que le bien. Donc si le bien est une nature qui a besoin d'un crateur, le mal aussi en aura besoin et ainsi de mme que plus haut.

q. 3 a. 6Arg. 10 Praeterea, quod non est non potest esse genus nec species. Sed malum ponitur genus. Dicitur enim in praedicamentis, quod bonum et malum non sunt in genere, sed sunt genera aliorum. Ergo malum est ens : et sic indiget aliquo creante : unde cum non creetur a bono, videtur quod oporteat aliquod malum ponere creationis principium.

10. Cequi n'est pas ne peut pas tre un genre ni une espce. Mais le mal est considr comme un genre. Car on dit dans les Catgories (11, les contraire 14 a 24) que le bien et le mal ne sont pas dans un genre, mais sont les genres des autres. Donc le mal est un tant, et ainsi il a besoin d'un crateur ; c'est pourquoi comme il n'est pas cr par le bien, il semble qu'il faille considrer un mal comme principe de cration.

q. 3 a. 6Arg. 11 Praeterea, utrumque contrariorum est natura aliqua positive : contraria enim sunt in eodem genere. Quod autem non est, non potest esse in genere. Sed bonum et malum sunt contraria. Ergo est natura aliqua ; et sic idem quod prius.

11. L'un et l'autre des contraires sont positivement une certaine nature ; car les contraires sont dans un mme genre. Ce qui n'existe pas ne peut pas tre dans un genre. Mais le bien et le mal sont des contraires. Donc c'est une nature et ainsi de mme que plus haut.

q. 3 a. 6Arg. 12 Praeterea, differentiae constitutivae speciei significant naturam aliquam ; unde uno modo natura est unumquodque informans specifica differentia, ut Boetius dicit. Sed malum est differentia constitutiva speciei alicuius : bonum enim et malum sunt differentiae habituum. Ergo malum est natura aliqua ; et sic idem quod prius.

12. Les diffrences constitutives de l'espce indiquent une certaine nature ; c'est pourquoi d'une manire la nature est une diffrence spcifique qui donne forme chaque chose, comme Boce le dit (Les deux natures, 1[310]). Mais le mal est la diffrence constitutive d'une espce ; car le bien et le mal sont des diffrences de manire d'tre. Donc le mal est une nature et ainsi de mme que plus haut.

q. 3 a. 6Arg. 13 Praeterea, Eccli. XXXIII, 15 : contra malum bonum est, et contra vitam mors, sic et contra virum iustum peccator. Si ergo est unum creationis principium bonum, oportet esse aliud malum quod sit ei contrarium.

13. En Eccl[311] 33, 15, on lit : Le bien est contre le mal, la mort contre la vie, et ainsi le pcheur contre le juste. Donc s'il y a un bon principe de cration, il faut qu'il en ait un autre mauvais qui lui est contraire.

q. 3 a. 6Arg. 14 Praeterea, intentio et remissio dicuntur per respectum ad aliquem terminum. Sed invenitur aliquid esse alio peius. Ergo oportet inveniri aliquid quod sit pessimum, in quo sit malorum terminus : et illud oportet esse principium omnium malorum, sicut summum bonum est principium bonorum.

14. On parle d'intensit et de diminution par rapport un terme. Mais on trouve une chose plus mauvaise qu'une autre. Donc, il faut trouver quelque chose qui soit trs mauvais en qui est le terme des maux ; et il faut que cela soit le principe de tous les maux, comme le bien suprme est le principe des biens.

q. 3 a. 6Arg. 15 Praeterea, Matth. VII, 18, dicitur : non potest arbor bona fructus malos facere. Aliquid autem invenitur esse malum in mundo. Ergo non potest esse fructus, id est effectus, causae bonae, quae per arborem bonam significatur ; et sic oportet quod omnium malorum sit causa aliquod primum malum.

15. En Matthieu (8, 18) on lit : "Le bon arbre ne peut pas produire de mauvais fruits". Mais on trouve qu'il y a du mal dans le monde. Donc ce ne peut pas tre le fruit, c'est--dire l'effet d'une bonne cause qui est signifie par l'arbre bon, et ainsi il faut que la cause de tous les maux soit quelque mal premier.

q. 3 a. 6Arg. 16 Praeterea, Genes. I, 2, dicitur quod in principio creationis rerum erant tenebrae super faciem abyssi. Sed a bono, quod habet naturam lucis, non potest esse creatio tenebrarum. Ergo creatio quae ibi describitur, non est a bono principio, sed a malo.

16. En Gense 1, 2, on dit que, au commencement de la cration, il y avait les tnbres sur la surface de l'abme. Mais partir du bien, qui a la nature de la lumire, il ne peut y avoir cration de tnbres. Donc la cration qui est ici dcrite, ne vient pas du principe du bien mais de celui du mal.

q. 3 a. 6Arg. 17 Praeterea, omne quod exit ab aliquo, attestatur ei a quo exit, in quantum est ei simile. Sed malum nullo modo attestatur Deo, nec habet in ipso aliquam similitudinem. Ergo non potest esse ab ipso, sed ab alio principio.

17. Tout ce qui sort de quelque chose atteste ce dont il sort, dans la mesure o il lui est semblable. Mais le mal n'atteste Dieu en aucune manire, et il n'a pas de ressemblance avec lui. Donc il ne peut venir de lui, mais il vient d'un autre principe.

q. 3 a. 6Arg. 18 Praeterea, nihil exit ab aliquo, nisi quod est in ipso in potentia. Sed malum non est in Deo nec in actu nec in potentia. Ergo non est a Deo ; et sic idem quod prius.

18. Rien ne sort de quelque chose qu'il n'y soit en puissance. Mais le mal n'est en Dieu, ni en acte, ni en puissance. Donc il ne vient pas de Dieu et ainsi c'est pareil que plus haut.

q. 3 a. 6Arg. 19 Praeterea, sicut generatio est motus naturalis, ita et corruptio. Sed corruptio terminatur ad privationem, sicut generatio ad formam. Ergo sicut forma inducitur ex intentione naturae, ita et privatio : et sic oportet quod malum, quod est privatio, habeat aliquam causam agentem per se, sicut et forma.

19. La gnration est un mouvement naturel, la corruption aussi. Mais la corruption se termine la privation, comme la gnration la forme. Donc la forme est induite par l'intention de la nature, de mme la privation, et ainsi il faut que le mal, qui est privation, ait une cause agente par soi, comme la forme.

q. 3 a. 6Arg. 20 Praeterea, omne agens, agit ex praesuppositione primi agentis. Sed liberum arbitrium, cum peccat, non agit ex praesuppositione divinae actionis : nam aliquod peccatum est, sicut fornicatio vel adulterium, quod non potest a sua deformitate separari, quae non potest esse a Deo. Ergo oportet quod liberum arbitrium sit primum agens, vel quod reducatur ad aliquod aliud primum agens quam Deum.

20. Tout agent agit et prsuppose un premier agent. Mais quand le libre arbitre pche, il n'agit pas avec la prsupposition de l'action divine, car un pch, comme la fornication ou l'adultre, ne peut pas tre spar de sa difformit, qui ne peut pas venir de Dieu. Donc il faut que le libre arbitre soit le premier agent, ou qu'il soit ramen un premier agent autre que Dieu.

q. 3 a. 6Arg. 21 Sed diceretur, quod substantia actus peccati est a Deo, non autem deformitas.- Sed contra est quod Commentator dicit : impossibile est unius agentis actionem terminari ad materiam, et alterius ad formam. Sed deformitas est quasi forma actus peccati. Ergo non potest esse deformitas peccati ab uno auctore, et substantia ab alio.

21. Mais on pourrait dire que la nature du pch vient de Dieu, mais pas la difformit. En sens contraire le commentateur (Mtaphysique VII, 28) dit : "Il est impossible que l'acte d'un seul agent se termine la matire et celle d'un autre la forme. Mais la difformit est pour ainsi dire la forme de l'acte du pch. Donc sa difformit ne peut pas venir d'un auteur et sa nature d'un autre.

q. 3 a. 6Arg. 22 Praeterea, ab uno simplici non procedit nisi simplex. Sed Deus est omnino simplex. Ergo huiusmodi composita non sunt ab ipso, sed ab alio auctore.

22. D'une chose simple ne peut procder que du simple. Mais Dieu est tout fait simple. Donc les composs de ce genre ne viennent pas de lui mais d'un autre crateur.

q. 3 a. 6Arg. 23 Praeterea, macula aliquid ponit in anima : si enim esset gratiae privatio solum, tunc per quodlibet peccatum mortale homo haberet maculam omnium peccatorum. Sed macula peccati non est a Deo, cum Deus non sit illius rei auctor cuius est ultor, secundum Fulgentium, et cum non sit ab aeterno, oportet quod habeat causam. Ergo oportet reducere in aliquam causam primam, quae non est Deus.

23. Une souillure laisse une trace dans l'me : car si elle tait privation de la grce seulement, alors par n'importe quel pch mortel, l'homme aurait la souillure de tous les pchs. Mais la souillure du pch ne vient pas de Dieu, puisqu'il n'en est pas l'auteur, mais le vengeur, selon Fulgence (liv. 1 Monime) et comme elle n'est pas ternelle, il faut qu'elle ait une cause. Donc il faut la ramener une cause premire qui n'est pas Dieu.

q. 3 a. 6Arg. 24 Praeterea, Eccle. III, 14, dicitur : didici quod omnia opera quae fecit Deus, perseverant in aeternum. Haec autem corruptibilia in aeternum non perseverant. Ergo non sunt opera Dei, sed oportet ea reducere in aliud principium.

24. En Eccl. (Qo) 3, 14, on lit :J'ai appris que toutes les uvres que Dieu a faites, demeurent ternellement. Mais ce qui est corruptible ne demeure pas ternellement. Donc elles ne sont pas les uvres de Dieu, mais il faut les ramener un autre principe.

q. 3 a. 6Arg. 25 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed huiusmodi corpora corruptibilia non sunt Deo similia : nam Deus spiritus est, ut habetur Ioan. IV 24. Ergo huiusmodi corruptibilia non sunt a Deo ; et sic idem quod prius.

25. Tout agent fait du semblable lui, Mais les corps corruptibles de ce genre ne sont pas semblables Dieu, car Dieu est esprit, comme on le lit en Jn 4, 24. Donc les corruptibles de ce genre ne viennent pas de Dieu, et ainsi c'est pareil que plus haut.

q. 3 a. 6Arg. 26 Praeterea, natura semper fecit quod melius est, secundum philosophum et hoc ex bonitate naturae provenit. Sed bonitas Dei est perfectior quam naturae. Ergo Deus facit aliquid quanto melius potest. Sed meliora sunt spiritualia corporalibus. Ergo corporalia non facit Deus ; quia si fecisset Deus ea, dedisset eis spiritualem bonitatem ; et sic relinquitur quod oportet ponere plura creationis principia.

26. La nature a toujours fait le meilleur, selon le philosophe (Du ciel, 2, texte 34) et cela provient de la bont de la nature. Mais la bont de Dieu est plus parfaite que celle de la nature. Donc Dieu fait quelque chose du mieux qu'il peut. Mais les tres spirituels sont meilleurs que les tres corporels. Donc Dieu ne les a pas faits, parce que, s'il les avait faits, il leur aurait donn la bont spirituelle et ainsi il en dcoule qu'il faut tablir plusieurs principes de cration.

En sens contraire :

q. 3 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod habetur Isai. XLV, vers. 6 : ego dominus, et non est alter Deus, formans lucem et creans tenebras, faciens pacem et creans malum ; ego dominus faciens omnia haec.

1. On lit en Isae 45, 10 : Je suis le Seigneur, et il n'y a pas d'autre Dieu ; je forme la lumire, je cre les tnbres, je fais la paix et je cre le malheur ; je suis le Seigneur qui fait tout cela[312].

q. 3 a. 6 s. c. 2 Praeterea, malum non radicatur nisi in natura boni, ut manifestat Dionysius. Hoc autem non esset, si malum haberet contrarium creationis principium ei qui creat bona : alias principium malorum esset potentius quam principium bonorum, ex quo in ipsis bonis effectum suum induceret. Ergo malum non est ab aliquo alio creationis principio quam bonum.

2. Le mal ne prend racine que dans la nature du bien, comme le montre Denys (Les noms divins, ch. 4[313]). Mais cela n'arriverait pas si le mal avait un principe de cration contraire celui qui cre les biens, autrement le principe des maux serait plus puissant que le principe des biens, de l, il produirait son effet dans les biens mme. Donc le mal ne vient pas d'un autre principe de cration que le bien.

q. 3 a. 6 s. c. 3 Praeterea, philosophus probat, esse unum primum motorem. Hoc autem non esset, si essent diversa creationis principia prima : nam unum principium non gubernaret nec moveret creaturas alterius principii sibi contrarii. Non est ergo nisi unum tantum creationis principium.

3. Le philosophe prouve (Physique VIII, 5, 256 a 13 ss.[314]) qu'il y a un seul premier moteur. Mais cela ne serait pas s'il y avait diffrents principes premiers de cration : car un seul principe ne gouvernerait ni me mettrait en mouvement les cratures d'un autre principe qui lui serait contraire. Donc il n'y qu'un seul principe de cration.

 

Rponse :

q. 3 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut dictum est, antiqui philosophi specialia principia tantum naturae considerantes, ex consideratione materiae in hunc errorem devenerunt, quod non omnia naturalia creata esse credebant : ita quod ex consideratione contrariorum, quae cum materia ponuntur principia in natura, devenerunt in hoc ut rerum duo prima principia constituerent : et hoc propter triplicem defectum qui eis aderat in contrariorum consideratione.

Comme on l'a dit (art. prc.), les anciens philosophes en s'en tenant seulement aux principes spciaux de la nature, du fait de la considration de la matire, tombrent dans cette erreur qu'ils ne croyaient pas que tout ce qui est naturel avait t cr ; de sorte que, de la considration des contraires, qui sont placs comme principes avec la matire dans la nature, il en arrivrent constituer deux premiers principes des choses et cela cause de trois erreurs, qui leur taient venues en considrant les contraires.

Primus erat, quia contraria considerabant secundum hoc tantum quod diversa sunt ex natura speciei, non autem secundum quod est aliquid unum in eis ex natura generis, licet contraria in eodem genere sint : unde non attribuebant eis causam secundum id in quo conveniunt, sed secundum hoc in quo differunt : et propter hoc in duo prima contraria, sicut in duas primas causas, omnia contraria reduxerunt, ut habetur in I Physic. Sed inter eos Empedocles prima contraria etiam primas causas agentes posuit, scilicet amicitiam et litem : et hic, ut habetur I Metaph., primo posuit bonum et malum principia.

La premire, parce qu'ils considraient les contraires seulement du fait qu'ils sont diffrents par la nature de l'espce, et non selon une unicit en eux qui vient de la nature du genre, bien que les contraires soient dans un mme genre : c'est pourquoi ils ne leur attriburent pas une cause en raison de leur ressemblance, mais en raison de leur diffrence et cause de cela, ils ramenrent tous les contraires deux premiers contraires, comme deux premires causes, comme on le lit en Phys. I, 5, 188 a 19 ss[315]. Mais parmi eux, Empdocle plaa mme, comme causes premires efficientes, des contraires premiers, savoir l'amiti et le procs, et, comme on le lit en Mtaphysique (I, 4, 985 a 17 ss), il y tablit d'abord le bien et le mal comme principes.

Secundus defectus fuit, quia utrumque contrariorum aequaliter iudicabant ; cum tamen oporteat semper duorum contrariorum unum esse cum privatione alterius : et propter hoc unum est perfectum et aliud imperfectum, et unum melius et aliud peius, ut habetur I Phys. Et exinde provenit quod tam bonum quam malum, quae videbantur esse generaliora contraria, ponebant quasi quasdam naturas diversas. Et inde fuit quod Pythagoras posuit duo genera rerum, scilicet bonum et malum ; et in genere boni posuit omnia perfecta, ut lucem, masculum, quietem et huiusmodi ; et in genere mali posuit omnia imperfecta, ut tenebras, feminam et huiusmodi.

La seconde erreur fut qu'ils jugeaient chacun des contraires galit, alors que cependant il faut toujours que l'un des deux contraires soit avec la privation de l'autre ; et pour cela l'un est parfait et l'autre imparfait, l'un est meilleur et l'autre plus mauvais, comme on le dit en Physique I, 5, 189 a 3. Et de l vient qu'ils considraient le bien autant que le mal, qui paraissaient tre des contraires plus gnraux, comme des natures diffrentes. Et c'est pour cela que Pythagore a tabli deux genres, savoir le bien et le mal et dans le genre du bien il plaa tout ce qui est parfait, comme la lumire, le mle, le repos etc, et dans le genre du mal tout ce qui est imparfait comme les tnbres, la femme, etc.

Tertius defectus fuit, quia iudicaverunt de rebus secundum quod in se considerantur tantum, vel secundum ordinem unius rei ad aliam rem particularem, non autem in comparatione ad totum ordinem universi. Et inde est quod si invenerunt aliquam rem esse alteri nocivam, vel esse in se imperfectam respectu aliarum perfectarum, iudicaverunt eam simpliciter malam secundum naturam suam, et non ducere originem a causa boni. Et propterea Pythagoras feminam, quae est quid imperfectum, posuit in genere mali.

La troisime erreur vient de ce qu'ils jugrent des choses selon qu'elles sont considres en soi seulement, ou selon le rapport d'une chose particulire une autre, mais pas en comparaison tout l'ordre de l'univers. Et c'est pour cela, que s'ils trouvrent une chose nocive pour une autre, ou imparfaite en soi par rapport aux autres qui taient parfaites, ils jugrent qu'elle tait absolument mauvaise selon sa nature et ne tirait pas son origine de la cause du bien. C'est pour cette raison que Pythagore plaa la femme, qui est quelque chose d'imparfait, dans le genre du mal.

Et ex hac radice provenit quod Manichaei corruptibilia, quae respectu incorruptibilium ; et visibilia, quae respectu invisibilium ; et vetus testamentum, quod respectu novi testamenti, imperfecta sunt, non posuerunt esse a Deo bono, sed a contrario principio. Et praecipue, cum viderent alicui creaturae bonae, utpote homini, provenire aliquod nocumentum ex aliquibus visibilium et corruptibilium creaturarum.

C'est partir de l que les Manichens ont pens que le corruptible par rapport l'incorruptible, le visible l'invisible, l'Ancien Testament au Nouveau, sont imparfaits et ne viennent pas du Dieu bon, mais d'un principe contraire. Et surtout, quand ils virent que, pour une crature bonne, savoir l'homme, le mal venait de quelques-unes des cratures visibles et corruptibles.

Hic autem error est omnino impossibilis ; sed oportet omnia reducere in unum principium primum, quod est bonum : quod quidem tribus rationibus ostenditur ad praesens.

Cette erreur est tout fait inadmissible. Il faut tout ramener un seul principe premier qui est le bien, ce qu'on montre prsent par trois raisons :

Quarum prima est, quia in quibuscumque diversis invenitur aliquid unum commune, oportet ea reducere in unam causam quantum ad illud commune, quia vel unum est causa alterius, vel amborum est aliqua causa communis. Non enim potest esse quod illud unum commune utrique conveniat secundum illud quod proprie utrumque eorum est, ut in praecedenti quaestione, art. praec., est habitum. Omnia autem contraria et diversa, quae sunt in mundo, inveniuntur communicare in aliquo uno, vel in natura speciei, vel in natura generis, vel saltem in ratione essendi : unde oportet quod omnium istorum sit unum principium, quod est omnibus causa essendi. Esse autem, in quantum huiusmodi, bonum est : quod patet ex hoc quod unumquodque esse appetit, in quo ratio boni consistit, scilicet quod sit appetibile ; et sic patet quod supra quaslibet diversas causas oportet ponere aliquam causam unam, sicut etiam apud naturales supra ista contraria agentia in natura ponitur unum agens primum scilicet caelum, quod est causa diversorum motuum in istis inferioribus. Sed quia in ipso caelo invenitur situs diversitas in quam sicut in causam reducitur inferiorum corporum contrarietas, ulterius oportet reducere in primum motorem, qui nec per se nec per accidens moveatur. Secunda ratio est, quia omne agens agit secundum quod actu est, et per consequens secundum quod est aliquo modo perfectum.

La premire : parce que, si dans les diffrentes choses on trouve quelque chose de commun, il faut les ramener une seule cause pour ce qui est commun, parce que ou l'un est la cause de l'autre ou il y a une cause commune des deux. Car il n'est pas possible que cette chose unique commune convienne l'une et l'autre selon ce qui est proprement l'un d'eux, comme dans l'article prcdent (qu. 3, a. 5, corps de l'article) on l'a dit. Mais tout ce qui est contraire ou divers dans le monde se trouve avoir un rapport commun en une chose unique, soit dans la nature de l'espce, soit dans celle du genre, soit rarement dans sa raison d'tre : c'est pourquoi il faut qu'il y ait un principe unique de toutes ces choses qui est pour tous la cause d'tre. Mais l'tre en tant que tel est bon ; ce qui apparat du fait que toute chose dsire tre, ce en quoi consiste la raison du bien, savoir qu'il est dsirable, et ainsi il apparat que, au-dessus de certaines causes diffrentes, il faut placer une cause unique, comme chez les Naturalistes, au-dessus de ces agents contraires, on place dans la nature un seul agent premier, savoir le ciel, qui est la cause des diffrents mouvements dans les tres infrieurs. Mais, parce que dans le ciel mme on trouve la diversit du lieu, o l'opposition des corps infrieurs est ramene comme une cause, il faut la ramener par la suite un premier moteur, qui n'est m ni par soi, ni par accident.

Secundum autem quod malum est, non est actu, cum unumquodque dicatur malum ex hoc quod potentia est privata proprio et debito actu. Secundum vero quod actu est unumquodque, bonum est : quia secundum hoc habet perfectionem et entitatem, in qua ratio boni consistit. Nihil ergo agit in quantum malum est, sed unumquodque agens agit in quantum bonum est. Impossibile est ergo ponere aliud activum rerum principium nisi bonum. Et cum omne agens agat sibi simile, nihil etiam fit nisi secundum quod actu est ; ac per hoc, secundum quod bonum est. Ex utraque ergo parte positio est impossibilis qua ponitur malum esse principium creationis malorum. Et huic rationi concordant verba Dionysii qui dicit, quod malum non agit nisi virtute boni, et quod malum est praeter intentionem et generationem.

La seconde raison vient de ce que tout agent agit selon qu'il est en acte et par consquent selon qu'il est parfait de quelque manire. En tant que mal, il n'est pas en acte, puisque on appelle mal ce dont la puissance est prive d'acte propre et normalement d. Mais selon qu'une chose est en acte, elle est bonne, parce que, ainsi, elle a la perfection et l'entit, en quoi consiste la raison du bien. Donc rien n'agit en tant qu'il est un mal, mais chaque agent agit en tant qu'il est bon. Donc il est impossible de placer un principe actif des chose, sinon bon. Et puisque tout agent fait du semblable soi, rien n'est fait que selon qu'il est en acte et de ce fait, selon qu'il est bon. Donc des deux cts, cette opinion d'aprs laquelle on pense que le mal est un principe de cration des maux est impossible. Et les paroles de Denys (Les noms divins, ch. 4) sont en accord avec cette raison, lui qui dit que le mal n'agit que par le pouvoir du bien et que le mal est au-del de l'intention et de la gnration.

Tertia ratio est, quia, si diversa entia essent omnino a contrariis principiis in unum principium non reductis, non possent in unum ordinem concurrere nisi per accidens. Ex multis enim non fit coordinatio nisi per aliquem ordinantem, nisi forte multa casualiter in idem concurrant. Videmus autem corruptibilia et incorruptibilia, spiritualia et corporalia, perfecta et imperfecta in unum ordinem concurrere. Nam spiritualia movent corporalia, quod ad minus in homine apparet. Corruptibilia etiam per corpora incorruptibilia disponuntur, sicut patet in alterationibus elementorum a corporibus caelestibus. Nec potest dici, quod haec casualiter eveniant, nam non contingeret ita semper vel in maiori parte, sed solum in paucioribus. Oportet ergo omnia ista diversa in aliquod unum primum principium reducere a quo in unum ordinantur : unde philosophus concludit quod unus est principatus.

Troisime raison : si des tres taient tout fait diffrents des principes contraires non ramenes l'unit, ils ne pourraient concourir un ordre unique que par accident. Car il n'y a coordination de plusieurs choses que par quelque chose qui ordonne, moins que par hasard elles ne s'accordent dans le mme par une cause. Mais nous voyons que les tres corruptibles et incorruptibles, spirituels et corporels, parfaits et imparfaits concourent un seul ordre. Car les tres spirituels meuvent les tres corporels, ce qui apparat au moins dans l'homme. Ce qui est corruptible aussi est dispos par les corps incorruptibles, comme cela apparat dans les altrations des lments par les corps clestes. Et on ne peut pas dire que cela arrive causalement, car cela n'arriverait pas toujours ainsi ou la plupart du temps, mais seulement dans des cas moins nombreux. Il faut donc ramener toutes ces choses diffrentes un premier principe par lequel elles sont ordonnes l'unit : c'est pourquoi le Philosophe (Mtaphysique XII, 4, 1070 a 31 et XII, 6 premier moteur) conclut qu'il n'y a qu'une seule origine[316].

 

Solutions :

q. 3 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod malum, sicut supra ostensum est, cum non sit ens, sed defectus entis, non potest esse per se loquendo, factum ; et pro tanto dicit Dionysius, quod bonum non est causa mali ; non autem ad hoc quod malum in causam primam reducatur.

# 1. Puisque le mal, comme on l'a montr, n'est pas un tre mais une dfaillance de l'tre, il ne peut pas tre proprement parler fait par soi, et pour autant Denys dit que le bien n'est pas cause du mal, mais ce n'est pas pour cela qu'il est ramen une cause premire.

q. 3 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod obiectio illa procedit de effectu qui potest per se causam habere. Tale autem non est malum : unde nec proprie effectus dici potest.

# 2. Cette objection procde de l'effet qui peut avoir une cause par soi. Mais tel n'est pas le mal, c'est pourquoi on ne peut pas proprement parler d'effet.

q. 3 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, malum est incidens effectibus ; sed non est factum, per se loquendo ; quod ex hoc patet quod non est intentum. Nec tamen sequitur quod sit primum principium, nisi cum hoc adderetur quod malum esset natura quaedam. Sicut enim malum per hoc quod non est ens, sed entis privatio, caret propria ratione effectus ; ita et multo amplius caret ratione causae, ut probatum est.

# 3. Le mal arrive dans les effets, mais il n'est pas fait proprement parler, ce qui apparat du fait qu'il n'est pas recherch. Et cependant il n'en dcoule pas qu'il soit premier principe, sauf si on ajoutait que le mal serait une certaine nature. Car de mme que le mal, du fait qu'il n'est pas un tre mais une privation d'tre, est priv de la nature propre de l'effet, de mme il est beaucoup plus priv de celle d'une cause, comme on l'a prouv.

q. 3 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, secundum Augustinum, Deus est adeo bonus quod numquam aliquod malum esse permitteret, nisi esset adeo potens quod de quolibet malo posset elicere bonum. Unde nec propter impotentiam nec propter ignorantiam Dei est quod mala in mundo proveniunt ; sed est ex ordine sapientiae suae et magnitudine bonitatis, ex qua provenit quod multiplicantur diversi gradus bonitatis in rebus ; quorum multi deficerent, si nullum malum esse permitteret ; non enim esset bonum patientiae, nisi accidente malo persecutionis ; nec esset bonum conservationis vitae in leone, nisi esset malum corruptionis in animalibus ex quibus vivit.

# 4. Selon Augustin (Enchiridion, ch. 1) Dieu est si bon qu'il ne permettrait jamais qu'il y ait un mal, s'il n'tait pas assez puissant pour pouvoir en tirer un bien. C'est pourquoi ce n'est pas cause de l'impuissance ni de l'ignorance de Dieu que le mal se trouve dans le monde, mais de l'ordre de sa sagesse et de la grandeur de sa bont, que les diffrents degrs de bont sont multiplis dans les tres, dont beaucoup manqueraient s'il ne permettait aucun mal, car il n'y aurait pas le bien de la patience sans le mal de la perscution, ni celui de la conservation de la vie dans le lion sans le mal de la corruption dans les animaux dont il vit.

q. 3 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod malum nunquam invenitur nisi in paucioribus, si referuntur effectus ad causas proprias : quod quidem in naturalibus patet. Nam peccatum vel malum non accidit in actione naturae, nisi propter impedimentum superveniens illi causae agenti ; quod quidem non est nisi in paucioribus, ut sunt monstra in natura, et alia huiusmodi. In voluntariis autem magis videtur malum esse ut in pluribus quantum ad factibilia, in quantum ars non deficit nisi ut in paucioribus, imitatur enim naturam. In agibilibus autem, circa quae sunt virtus et vitium, est duplex appetitus movens, scilicet rationalis et sensualis ; et id quod est bonum secundum unum appetitum, est malum secundum alterum, sicut prosequi delectabilia est bonum secundum appetitum sensibilem, qui sensualitas dicitur, quamvis sit malum secundum appetitum rationis. Et quia plures sequuntur sensus quam rationem, ideo plures inveniuntur mali in hominibus quam boni. Sed tamen sequens appetitum rationis in pluribus bene se habet, et non nisi in paucioribus male.

# 5. On ne trouve jamais le mal que dans le plus petit nombre, si les effets sont rapports leurs causes propres, ce qui apparat chez les Naturalistes. Car le pch ou le mal n'arrive dans l'action de la nature qu' cause de l'empchement qui survient cette cause efficiente, ce qui n'arrive que dans le plus petit nombre, comme les monstres dans la nature, etc.. Mais dans les actes volontaires, le mal semble tre comme dans le plus grand nombre pour ce qui peut tre fait ; en tant qu'art, il ne dfaille que comme dans le plus petit nombre, car il imite la nature. Dans les actes qui concernent la vertu et le vice, il y a un double apptit qui meut, savoir l'apptit rationnel et l'apptit sensuel ; et ce qui est bon selon l'un est mal selon l'autre, ainsi poursuivre ce qui est dlectable est bien selon l'apptit sensible, appel sensualit, quoique ce soit un mal selon l'apptit de la raison. Et parce que ceux qui suivent les sens sont plus nombreux que ceux qui suivent la raison, on trouve parmi les hommes plus de mauvais que de bons. Mais cependant celui qui suit l'apptit de la raison se comporte bien en des cas plus nombreux et mal en des cas moins nombreux[317].

q. 3 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod duplex est causa per accidens.

# 6. La cause par accident est double.

Una quae aliquid operatur ad effectum ; sed dicitur causa eius per accidens, quia praeter intentionem ille effectus a tali causa sequitur ; sicut patet in eo qui fodiendo sepulcrum, invenit thesaurum.

a) L'une qui agit sur l'effet, mais on l'appelle cause par accident parce que cet effet dpend d'une telle cause au-del de l'intention, comme on le voit pour celui qui en creusant un spulcre trouve un trsor.

Alia causa per accidens est quae nihil operatur ad effectum ; sed ex eo quod accidit causae agenti, causa per accidens nominatur ; sicut album dicitur esse causa domus per accidens, eo quod accidit aedificatori.

b) L'autre cause par accident est celle qui n'opre rien pour l'effet, mais du fait que cela arrive la cause efficiente, elle est appele cause par accident ; ainsi on dit que le blanc est cause de la maison par accident parce que cela arrive au btisseur.

Similiter duplex est effectus per accidens

De mme l'effet par accident est double.

Unus ad quem potest terminari actio causae, licet praeter eius intentionem accidat, sicut inventio thesauri ; et talis effectus licet sit huiusmodi causae per accidens, potest esse alterius causae effectus per se. Hoc autem modo malum non habet causam per accidens ; quia, sicut iam dictum est, non potest esse terminus alicuius actionis.

a) L'un auquel peut se terminer l'action de la cause, bien qu'il arrive au-del de l'intention, comme la dcouverte d'un trsor, et un tel effet, bien qu'il dpende d'une telle cause par accident peut tre l'effet par soi d'une autre cause. Mais de cette manire le mal n'a pas de cause par accident parce que, comme on l'a dj dit, il ne peut pas tre le terme d'une action.

Alius effectus per accidens est ad quem non terminatur actio alicuius agentis ; sed ex eo quod accidit effectui, effectus per accidens nominatur ; sicut album accidens domui, potest dici effectus per accidens aedificatoris ; et sic nihil prohibet malum habere causam per accidens.

b) L'autre effet par accident est celui auquel ne se termine pas l'action de l'agent, mais du fait qu'il est accidentel pour l'effet, on l'appelle effet par accident ; comme le blanc, accident pour la maison peut tre appel effet par accident du btisseur et ainsi rien n'interdit que le mal ait une cause par accident.

q. 3 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod malum licet non sit natura aliqua, non est tamen negatio pura, sed est privatio ; quae secundum philosophum est negatio alicui subiecto inhaerens : nam privatio est negatio in substantia ; unde ex hoc ipso quod accidit alicui, potest ei causa per accidens assignari modo praedicto.

# 7. Bien que le mal ne soit pas une substance naturelle, il n'est cependant pas ngation pure, mais privation, qui, selon le philosophe, est une ngation inhrente un sujet : car (selon lui, IV Mtaphysique, 22) la privation est ngation dans la substance ; c'est pourquoi du fait que cela arrive une chose, la cause par accident peut lui tre assigne de la manire dont on a parl.

q. 3 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod malum per prius inest Diabolo quam aliis, tempore, non natura, quasi malitia sit eius essentia vel accidens ex principiis propriae naturae derivatum. Nec obstat, si ipse est aliis peior, cum hoc non sit propter connaturalitatem malitiae ad ipsum, sed per accidens, quia amplius peccavit. Illa autem principia aliorum sunt de quibus aliquid maxime dicitur per se, et non secundum accidens.

# 8. Le mal est prsent dans le diable plus tt que dans les autres, chronologiquement, non par nature, comme si la malice tait son essence ou un accident driv des principes de sa propre nature. Et ce n'est pas un empchement si lui-mme est pire que les autres, puisque cela ne vient pas de la connaturalit de sa malice lui-mme, mais par accident, parce qu'il a pch davantage. Mais ces principes, pour les autres, sont ceux pour lesquels on dit que quelque chose est absolument par soi et non par accident.

q. 3 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ex perfectione boni est quod solum uno modo contingat ; nam non potest esse aliquid perfectum, nisi omnibus concurrentibus ex quibus eius perfectio quasi integratur. Quodcumque autem eorum deficiat, est imperfectum, et per consequens malum ; unde ex imperfectione mali est quod malum multipliciter contingit ; et ideo malum habet minus de ratione entis quam bonum.

# 9. Il est de la perfection du bien d'arriver seulement d'une seule manire, car il ne peut y avoir quelque chose de parfait que pour tout ce qui arrive dont la perfection est comme intgre. Tout ce qui en eux est dfaillant est imparfait et par consquent un mal, c'est pourquoi c'est le propre de l'imperfection du mal qu'il arrive de multiples faons, et c'est pourquoi il a moins de raison d'tre que le bien.

q. 3 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod verbum philosophi est accipiendum secundum opinionem Pythagorae, qui posuit bonum et malum esse genera, ut prius dictum est. Habet tamen eius opinio aliquid veritatis. Nam cum bonum positive dicatur malum vero privative, ut dictum est ; sicut omnis forma habet rationem boni, ita omnis privatio habet rationem mali ; et sic bonum et malum quodammodo convertuntur cum ente et cum privatione entis. In quibuslibet autem contrariis, ut probatur in X Metaph., includitur privatio et habitus ; et ideo semper alterum contrariorum quod est perfectius reducitur ad bonum ; et alterum quod est imperfectius reducitur ad malum. Unde philosophus dicit, quod altera pars contrarietatis ad maleficium pertinet, et pro tanto bonum et malum possunt dici contrariorum genera.

# 10. La parole du philosophe est prendre selon l'opinion de Pythagore, qui a pens que le bien et le mal taient des genres, comme on l'a dit plus haut. Son opinion comporte cependant une part de vrit. Car comme on parle du bien de manire positive, du mal de manire privative, comme on l'a dit, de mme que toute forme est un bien par nature, de mme toute privation est un mal par nature et ainsi le bien et le mal d'une certaine manire sont convertibles l'tant et sa privation. Dans n'importe quels contraires, comme on le prouve en Mtaphysique (X, 9), la privation et la possession sont incluses et c'est pourquoi toujours l'un des contraires, qui est plus parfait, est ramen au bien, et l'autre, plus imparfait, est ramen au mal. C'est pour cela que le philosophe dit (I Phys. 9, 191 b 13[318]) que l'autre partie du contraire appartient au mal, et pour autant on peut dire que le bien et le mal sont des genres de contraires.

q. 3 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod malum, quod est contrarium bono, non dicit privationem solam, sed habitum quemdam cum privatione ; qui quidem habitus non habet rationem mali in quantum habet de ente, sed in quantum habet adiunctam privationem perfectionis debitae.

# 11. Le mal qui est le contraire du bien, ne dsigne pas la seule privation, mais une possession avec la privation, cette possession n'a pas valeur de mal dans la mesure o elle possde de l'tant, mais dans la mesure o on lui ajoute la privation d'une perfection qui lui est due.

q. 3 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod malum, in quantum est privatio sola, non ponitur differentia constitutiva habitus vitiosi, sed secundum quod adiungitur intentioni finis indebite, in qua non invenitur ratio mali ex fine intento, nisi in quantum cum hoc fine non potest stare debitus finis : sicut cum fine delectationis carnalis non potest stare bonum rationis. Ideo autem in habitibus animae specialiter bonum et malum poni dicuntur, quia morales actus, et per consequens habitus, specificantur ex fine, qui est quasi forma voluntatis, quae est principium proprium malorum actuum. Bonum vero et malum dicuntur per comparationem ad finem.

# 12. Le mal, en tant que privation seule, n'est pas pens comme une diffrence constitutive d'une possession vicieuse, mais selon que la fin est ajoute indment l'intention ; en celle-ci on ne trouve pas la nature du mal partir de la fin vise, sinon dans la mesure o la fin normalement due ne peut pas demeurer avec cette fin ; ainsi, le bien de la raison ne peut pas demeurer avec la fin de la dlectation charnelle. C'est pourquoi dans les manires d'tre de l'me, on dit qu'on place spcialement le bien et le mal, parce que les actes moraux, et par consquent les manires dՐtre (habitus) sont spcifis partir de la fin, qui est comme une forme de la volont, qui est le principe propre des mauvaises actions. Mais le bien et le mal sont dfinis par comparaison la fin.

q. 3 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod non intelligitur contra malum esse bonum sicut unum principium primum contra aliud principium primum, sed sicut duo provenientia ex uno primo principio ; quorum unum per se provenit, et aliud per accidens ; quod patet ex eo quod subditur : et sic intuere in omnia opera altissimi, et cetera.

# 13. On ne comprend pas que le bien est contre le mal, comme un principe premier est contre un autre principe premier, mais comme deux (principes) issus d'une seul premier principe, dont l'un arrive par soi et l'autre par accident, ce qui apparat dans la suite du texte : Et ainsi contemple toutes les uvres du Trs Haut (Si. 33, 15).

q. 3 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod malum non intenditur per accessum ad aliquem terminum, sed per recessum ab aliquo termino : sicut enim dicitur aliquid bonum per participationem boni, ita dicitur malum per recessum a bono.

# 14. Le mal nest pas recherch pour parvenir un terme mais en l'abandonnant ; car, de mme qu'on dit qu'un bien l'est par participation, de mme le mal l'est par labandon du bien.

q. 3 a. 6 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod dominus per arborem bonam intelligit causam boni, non quidem primam, sed proximam ad aliquem singularem effectum ; et simile est de arbore mala ; unde per arborem malam haereticos vult intelligi, qui ex suis operibus cognoscuntur, quasi arbor ex fructibus : et hoc etiam patet per similitudinem attendenti ; nam fructus non est arbor causa prima, sed radix. Si tamen per arborem universaliter omnem causam intelligamus, sicut Dionysius videtur accipere : tunc respondendum est, quod bonum non est per se causa mali, sicut ad primum dictum est.

# 15. Le Seigneur comprend par le bon arbre la cause du bien, non pas cependant la premire, mais la plus proche pour un effet particulier, et il en est de mme pour l'arbre mauvais ; c'est pourquoi par cet arbre, il veut qu'on comprenne les hrtiques, qui sont connus par leurs uvres, comme l'arbre par ses fruits ; et cela mme apparat par l'image celui qui y prte attention, car l'arbre n'est pas la cause premire du fruit, mais c'est sa racine qui l'est. Si cependant par l'arbre nous comprenons universellement toute cause, comme Denys semble le concevoir, alors il faut rpondre que le bien n'est pas en soi cause du mal, comme on l'a dit ( la 1re solution).

q. 3 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod tenebrae, de quibus in principio creationis dicitur, non fuerunt aliqua creatura, sed sola carentia lucis in aere ; non tamen malum, quia illa sola carentia boni et mali rationem inducit quae est eius quod potest et debet inesse. Non enim est malum in lapide, qui non habet sensum ; vel in puero statim nato, qui non ambulat. Nec tamen ex imperfectione agentis provenit quod aerem sine luce creavit, sed ab eius sapientia : cuius ordo requirit quod aliquid ex imperfecto ad perfectum ducatur.

# 16. Les tnbres, dont on parle au commencement de la cration, ne furent pas une crature, mais seulement le manque de lumire dans l'air, cependant ce n'tait pas un mal, parce que ce seul manque induit la nature du bien et du mal, qui est de ce qui peut et doit y tre. Car le mal n'est pas dans la pierre qui n'a pas de sensation, ni dans l'enfant sitt n, qui ne marche pas. Et cependant cela ne provient pas de l'imperfection de l'agent que l'air soit cr sans lumire, mais de sa sagesse, dont l'ordre demande que quelque chose soit men de l'imperfection la perfection.

q. 3 a. 6 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod obiectio illa procedit, ac si malum haberet causam per se, quod supra ostensum est falsum esse.

# 17. Cette objection se prsente comme si le mal avait une cause en soi, on a montr plus haut que cՎtait faux.

q. 3 a. 6 ad 18 Et similiter dicendum ad decimumoctavum.

# 18. Il faut dire de mme.

q. 3 a. 6 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod aliter se habet natura ad generationem et corruptionem. Forma enim quae est terminus generationis, est per se intenta tam a natura universali quam a natura particulari : privatio vero est praeter intentionem naturae particularis ; est autem secundum intentionem naturae universalis, non quidem ut per se intenta, sed quia sine privatione alicuius formae non potest alia forma introduci ; et sic generatio est naturalis omnibus modis. Corruptio vero dicitur quandoque contra naturam, habito respectu ad naturam particularem.

# 19. La nature se comporte diffremment pour la gnration et la corruption. Car la forme qui est le terme de la gnration est atteinte par soi tant par la nature universelle que par la nature particulire : la privation est au-del de l'intention de la nature particulire, mais elles est selon l'intention de la nature universelle, non comme atteinte par soi, mais parce que, sans la privation de la forme, une autre forme ne peut pas tre introduite ; et ainsi la gnration est naturelle de toutes les manires. Mais on dit que la corruption est quelquefois contre la nature, en rapport une nature particulire.

q. 3 a. 6 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod in actu peccati quidquid est entitatis vel actionis reducitur in Deum sicut in primam causam ; quod vero est ibi deformitatis reducitur sicut in causam in liberum arbitrium ; sicut quod est de gressu in claudicatione reducitur in virtutem motivam sicut in primam causam ; quidquid autem est ibi obliquitatis provenit ex curvitate cruris.

# 20. Dans le pch, quelque chose de l'entit ou de l'action est ramen Dieu, comme sa cause premire, mais ce qu'il y a l de difformit est ramen comme sa cause au libre arbitre, ainsi ce qui concerne la marche est ramen la claudication dans le pouvoir de mouvement comme sa premire cause, mais la dformation de la marche provient de la courbure de la jambe.

q. 3 a. 6 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod ratio illa procedit de duobus agentibus omnino disparatis, non autem quando unum agens in alio operatur : sic enim potest unus eorum esse effectus. Deus autem in omni natura et voluntate operatur ; unde ratio non sequitur.

# 21. Cette raison procde des deux agents tout fait diffrents, mais non quand un agent opre dans un autre, car ainsi l'un d'eux peut tre l'effet. Mais Dieu opre en toute nature et volont ; c'est pourquoi la raison ne vaut pas[319].

q. 3 a. 6 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod ratio illa procedit de agente per necessitatem naturae, quod si unum sit, unum effectum producit. Nec tamen oportet effectum esse simplicem sicut causam : quia nec in universalitate nec in simplicitate oportet effectum causae aequari. Deus vero non agit per necessitatem naturae, sed per voluntatem : unde potest simplicia et composita mutabilia et immutabilia facere.

# 22. Cette raison procde de l'agent qui agit par ncessit de nature, parce que, s'il est seul, il produit un seul effet. Et cependant il ne faut pas que l'effet soit simple comme la cause, parce que, ni dans l'universel, ni dans la substance simple, il ne faut que l'effet gale la cause. Mais Dieu n'agit pas par ncessit de nature, mais par volont ; c'est pourquoi il peut faire des choses simples et composes, muables et immuables[320].

q. 3 a. 6 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod macula in anima non ponit naturam aliquam, sed solam gratiae privationem, tamen cum respectu ad actum peccati praecedentem, qui huius privationis causa fuit vel esse potuit : et sic non oportet quod habeat maculam alicuius peccati, qui actum peccati illius non commisit.

# 23. La souillure dans l'me n'tablit pas une nature, mais la seule privation de la grce, cependant en rapport avec l'acte du pch qui la prcd, qui a t cause de cette privation ou a pu l'tre, et ainsi il ne faut pas que celui qui n'a pas commis le pch en ait la souillure.

q. 3 a. 6 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod opera Dei perseverant in aeternum, non secundum numerum, sed secundum speciem vel genus, et secundum substantiam, non secundum modum essendi : praeterit enim figura huius mundi, ut dicitur I Cor. VII, 31.

# 24. Les uvres de Dieu demeurent ternellement, non pas selon le nombre[321], mais selon l'espce ou le genre, et selon la substance, non selon la manire d'tre. Car elle passe la figure de ce monde, comme il est dit (1 Co 7, 31).

q. 3 a. 6 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod Deus licet sit spiritus, habet tamen in sua sapientia rationes corporum, quibus corpora assimilantur per modum quo artificiata artifici similantur quantum ad suam artem ; nihilominus tamen corpora Deo similantur quantum ad eius naturam, in quantum sunt et bona sunt et unitatem aliquam habent.

# 25. Bien que Dieu soit un esprit, il a cependant dans sa sagesse les ides des corps auxquelles les corps ressemblent la manire dont les uvres d'art ressemblent l'artisan pour ce qui est de son art ; cependant les corps ressemblent galement Dieu quant sa nature dans la mesure o ils sont, o ils sont bons et ont une unit.

q. 3 a. 6 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod natura non facit semper quod melius est habito respectu ad partem, sed habito respectu ad totum ; alias totum corpus hominis faceret oculum vel cor ; hoc enim unicuique partium melius esset, sed non toti. Similiter licet melius esset alicui rei quod in altiori ordine poneretur, non tamen esset melius universo, quod imperfectum remaneret, si omnes creaturae unius ordinis essent.

# 26. La nature ne fait pas toujours ce qui est meilleur par rapport la partie, mais par rapport au tout ; autrement tout le corps de l'homme ferait l'il ou le cur, car cela serait meilleur pour chacune des parties, mais pas pour le tout. De la mme manire, mme si c'tait meilleur pour un tre d'tre plac dans un ordre plus lev, cependant ce ne serait pas meilleur pour l'univers, qui demeurerait imparfait, si toutes les cratures taient sous un seul ordre.

 

 

 

Article 7 Dieu agit-il dans lopration de nature ?

q. 3 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum Deus operetur in operatione naturae. Et videtur quod non.

Il semble que non[322].

 

Objections :

q. 3 a. 7Arg. 1 Natura enim neque deficit in necessariis neque abundat in superfluis. Sed ad actionem naturalem sufficit virtus activa ex parte agentis, et passiva ex parte recipientis. Ergo non requiritur virtus divina in rebus operans.

1. En effet, la nature[323] ne manque pas du ncessaire et na pas de superflu. Mais la puissance active de lagent et la puissance passive du patient suffisent laction de la nature. Donc la puissance divine qui opre dans les cratures n'est pas ncessaire.

q. 3 a. 7Arg. 2 Sed dices, quod virtus activa naturae dependet in sua operatione ab operatione divina.- Sed contra, sicut operatio naturae creatae dependet ab operatione divina, ita operatio corporis elementaris dependet ab operatione corporis caelestis : nam corpus caeleste comparatur ad corpus elementare sicut causa prima ad secundam. Non autem dicitur, quod corpus caeleste operetur in quolibet corpore elementari agente. Ergo non est dicendum, quod Deus operetur in qualibet operatione naturae.

 2. Mais on pourrait dire que la puissance active de la nature dpend dans son opration de celle de Dieu. En sens contraire : de mme que lopration de la nature cre dpend de celle de Dieu, lopration du corps lmentaire[324] dpend de celle d'un corps cleste, car celui-ci est compar au le corps lmentaire comme la cause premire la cause seconde. Mais on ne dit pas que le corps cleste opre en n'importe quel corps lmentaire agent. Donc il ne faut pas dire que Dieu opre dans nimporte quelle opration de la nature.

q. 3 a. 7Arg. 3 Praeterea, si Deus operatur in qualibet operatione naturae, aut una et eadem operatione operatur Deus et natura, aut diversis. Sed non una et eadem : unitas enim operationis attestatur unitati naturae ; unde quia in Christo sunt duae naturae, sunt etiam ibi duae operationes : creaturae autem et Dei constat non esse unam naturam. Similiter nec est possibile quod sint operationes diversae : nam diversae operationes non videntur ad idem factum terminari ; cum motus et operationes penes terminos distinguantur. Ergo nullo modo est possibile quod Deus in natura operetur.

3. Si Dieu opre dans nimporte quelle opration de nature, ou bien Dieu et la nature agissent par une seule et mme opration ou bien par des oprations diffrentes. Mais ce nest pas une unique et mme opration, car lunit dopration atteste lunit de nature : c'est pourquoi, du fait qu'il y a deux natures dans le Christ, il y a aussi en lui deux oprations. Mais il est clair quil ny a pas une nature unique pour la crature et pour Dieu. De mme, il nest pas possible que les oprations soient diffrentes, car les oprations diffrentes ne paraissent pas se terminer un mme rsultat, puisque le mouvement et les oprations sont distingus selon leurs termes. Donc il nest nullement possible que Dieu opre dans la nature.

q. 3 a. 7Arg. 4 Sed dices, quod duae operationes possunt terminari ad idem, quae se habent secundum prius et posterius.- Sed contra, ea quae immediate se habent ad aliquid unum, non habent ad invicem ordinem. Sed tam Deus quam natura immediate operatur effectum naturalem. Ergo operatio Dei et operatio naturae non se habent secundum prius et posterius.

4. Mais on pourrait dire que deux oprations qui se produisent l'une avant l'autre, peuvent aboutir un mme effet En sens contraire les choses qui se rapportent immdiatement un objet unique nont pas dordre entre elles. Mais autant Dieu que la nature produisent immdiatement un effet naturel. Donc lopration de Dieu et celle de la nature ne se comportent pas selon un avant et un aprs.

q. 3 a. 7Arg. 5 Praeterea, quandocumque Deus aliquam naturam instituit, ex hoc ipso dat ei omnia illa quae sunt de ratione illius naturae ; sicut ex hoc ipso quod facit hominem, dat ei animam rationalem. Sed de ratione virtutis est quod sit principium agendi, cum virtus sit ultimum potentiae, quae est principium agendi in alio secundum quod est aliud, ut dicitur in V Metaph. Ergo ex hoc ipso quod virtutes naturales rebus indidit, dedit eis quod operationes naturales perficerent. Non ergo oportet quod ulterius in rebus naturalibus operetur.

5. Chaque fois que Dieu a tabli quelque chose de naturel, par l mme il lui donne tout ce qui convient sa nature ; ainsi du fait qu'il cre un homme, il lui donne une me rationnelle. Mais il est de la dfinition du pouvoir[325] dՐtre le principe daction, puisque le pouvoir est le sommet de la puissance, qui est le principe daction dans un autre en tant qu'autre, comme on le dit en Mtaphysique (V, 12, 1019 a 15-16). Donc du fait mme quil a introduit des pouvoirs naturels dans les choses, il leur a donn le pouvoir d'accomplir les oprations naturelles. Il ne faut donc pas que par la suite il opre dans les choses naturelles.

q. 3 a. 7Arg. 6 Sed dices, quod virtutes naturales non possent durare, sicut nec alia entia, nisi virtute divina continerentur.- Sed contra, non est idem operari ad rem et operari in re. Sed operatio Dei qua virtutem naturalem vel facit vel in esse conservat, est operatio ad illam virtutem constituendam vel conservandam. Non ergo propter hoc potest dici, quod Deus in virtute naturali operante operetur.

6. Mais on pourrait dire que les pouvoirs naturels ne pourraient durer, de mme que les autres tants, que sil sont maintenus par le pouvoir divin. En sens contraire : ce nest pas la mme chose doprer pour une chose et doprer en elle. Mais lopration de Dieu, par laquelle il cre un pouvoir naturel ou il le conserve lՐtre, est une opration pour le constituer ou le conserver. Donc ce n'est pas cause de cela qu'on peut dire que Dieu opre dans un pouvoir naturel qui opre.

q. 3 a. 7Arg. 7 Praeterea, si Deus in natura operante operatur, oportet quod operando aliquid rei naturali tribuat : nam agens, agendo, aliquid actu facit. Aut ergo illud sufficit ad hoc quod natura possit per se operari, aut non. Si sufficit, cum etiam virtutem naturalem Deus naturae tribuerit, eadem ratione potest dici quod et virtus naturalis sufficiebat ad agendum : nec oportebit quod Deus, postquam virtutem naturae contulit, ulterius ad eius operationem aliquid operetur. Si autem non sufficit, oportet quod ibi aliquid aliud iterum faciat ; et si illud non sufficit, iterum aliud, et sic in infinitum ; quod est impossibile. Nam unus effectus non potest dependere ab actionibus infinitis : quia cum infinita non sit pertransire, nunquam compleretur. Ergo standum est in primo, dicendo quod virtus naturalis sufficit ad actionem naturalem, sine hoc quod Deus in ea ulterius operetur.

7. Si Dieu opre dans une nature qui opre, il faut en le faisant, qu'il lui accorde quelque chose, car lagent, en agissant, met quelque chose en acte. Donc ou cela suffit pour que la nature puisse oprer par elle-mme ou non. Si cela suffit, comme cest Dieu qui aura attribu ce pouvoir naturel la nature, on peut dire pour la mme raison qu'il tait suffisant pour agir. Et il ne faudra pas que Dieu, aprs lui avoir attribu ce pouvoir ajoute ensuite son opration. Mais si cela ne suffit pas, il faut qu'il y fasse nouveau quelque autre chose ; et si cela ne suffit pas, nouveau autre chose, et ainsi linfini, ce qui est impossible. Car un seul effet ne peut pas dpendre dactions infinies, parce que, comme on ne peut traverser linfini, jamais il ne serait achev. Donc il faut sen tenir la premire solution en disant que le pouvoir naturel suffit l'action naturelle, sans que Dieu opre sur elle ensuite.

q. 3 a. 7Arg. 8 Praeterea, posita causa ex necessitate naturae agente, sequitur eius actio nisi per accidens impediatur, eo quod natura est determinata ad unum. Si ergo calor ignis agit ex necessitate naturae : ergo posito calore, sequitur calefactio, nec requiritur aliqua virtus superior agens in ipso.

8. Si on prend une cause qui agit par ncessit de nature, il en dcoule que son action suit moins d'tre empche par accident, parce que la nature est dtermine un effet unique. Si donc la chaleur du feu agit par ncessit de nature, si on pose la chaleur, il en dcoule lՎchauffement, et il ny a pas besoin dun pouvoir suprieur qui agisse en elle.

q. 3 a. 7Arg. 9 Praeterea, ea quae sunt omnino disparata, possunt ab invicem separari. Sed actio Dei et actio naturae sunt omnino disparatae ; cum Deus agat per voluntatem, natura vero per necessitatem. Ergo actio Dei potest separari ab actione naturae ; et ita non oportet quod Deus in natura agente operetur.

9. Les choses tout fait diffrentes peuvent tre spares lune de lautre. Or laction de Dieu et celle de la nature sont tout fait diffrentes, puisque Dieu agit par volont, et la nature par ncessit. Donc laction de Dieu peut tre spare de celle de la nature et ainsi il ne faut pas que Dieu opre dans la nature agent.

q. 3 a. 7Arg. 10 Praeterea, creatura in se considerata, Dei similitudinem habet, in quantum actu est, et actu agit ; et secundum hoc est divinae bonitatis particeps. Hoc autem non esset, si virtus sua ad agendum non sufficeret. Sufficit ergo creatura ad agendum sine hoc quod Deus in ea operetur.

10. La crature, considre en soi, ressemble Dieu, dans la mesure o elle est en acte et agit par son acte ; et en cela elle participe de la divine bont[326]. Mais cela n'existerait pas si son pouvoir ne suffisait pas pour agir. Donc la crature se suffit pour agir, sans ce que Dieu opre en elle.

q. 3 a. 7Arg. 11 Praeterea, duo Angeli in uno loco esse non possunt, ut a quibusdam dicitur, ne operationum confusio sequatur ; quia Angelus ubi est, ibi operatur. Plus autem distat Deus a natura quam unus Angelus ab alio. Ergo Deus non potest simul in eodem cum natura operari.

11. Deux anges ne peuvent tre dans un seul et mme lieu, comme certains lont dit, pour viter la confusion des oprations. Parce que lange opre l o il est. Dieu est plus loign de la nature que lange lest dun autre ange. Donc Dieu ne peut, en mme temps que la nature, oprer dans un mme objet.

q. 3 a. 7Arg. 12 Praeterea, Eccli. XI, 14, dicitur, quod Deus fecit hominem, et reliquit eum in manu consilii sui. Non autem reliquisset, si semper in voluntate operaretur. Ergo non operatur in voluntate operante.

12. LEcclsiaste (Si) (11, 14) dit que Dieu fit lhomme et le laissa son conseil. Il ne laurait pas laiss, sil oprait toujours dans sa volont. Donc il nopre pas dans la volont en son opration.

q. 3 a. 7Arg. 13 Praeterea, voluntas est domina sui actus. Hoc autem non esset, si agere non posset nisi Deo in ipsa operante ; cum voluntas nostra non sit domina divinae operationis. Ergo Deus non operatur in voluntate nostra operante.

13. La volont est matresse de son acte. Mais cela ne serait pas, si elle ne pouvait agir que si Dieu oprait en elle, puisque notre volont nest pas matresse de lopration divine. Donc Dieu nopre pas dans notre volont en son opration.

q. 3 a. 7Arg. 14 Praeterea, liberum est quod causa sui est, ut dicitur in I Metaph. Quod ergo non potest agere nisi causa in ipso agente non est liberum in agendo. Sed voluntas nostra est libera in agendo. Ergo potest agere, nulla alia causa in ipsa operante : et sic idem quod prius.

14. Est libre ce qui est cause de soi, comme il est dit (Mtaphysique, I, 2, 982 b 25[327]). Donc ce qui ne peut agir que par une cause qui agit en lui n'est pas libre en agissant. Mais notre volont est libre quand nous agissons. Donc elle peut agir, sans autre cause qui opre en elle. Et ainsi de mme que plus haut.

q. 3 a. 7Arg. 15 Praeterea, causa prima plus est influens in causatum quam causa secunda. Si ergo Deus operetur in voluntate et natura, sicut causa prima in secunda ; sequeretur quod defectus qui accidunt in operatione voluntatis et naturae, magis Deo quam naturae vel voluntati attribuerentur ; quod est inconveniens.

15. La cause premire[328] a plus dinfluence dans leffet que la cause seconde. Si donc Dieu oprait dans la volont et la nature, comme cause premire dans la cause seconde, il en dcoulerait que les dfaillances qui arrivent dans lopration de la volont et de la nature, seraient attribues plus Dieu quՈ la nature ou la volont ; ce qui ne convient pas.

q. 3 a. 7Arg. 16 Praeterea, posita causa sufficienter operante, superfluum est alterius causae operationem ponere. Sed constat, si Deus operetur in natura et voluntate, quod sufficienter operatur. Ergo superflueret omnis operatio naturae et voluntatis. Cum ergo in natura nihil sit superfluum ; nec natura nec voluntas aliquid operaretur, sed solus Deus. Hoc autem est inconveniens. Ergo et primum, scilicet quod Deus in natura et voluntate operetur.

16. Si on pose une cause qui opre valablement, il est superflu de poser lopration dune autre. Mais il est clair que, si Dieu oprait dans la nature et la volont, il le ferait valablement (Car les uvres de Dieu sont parfaites, Dt. 32, 4[329]). Donc toute opration de la nature et de la volont serait superflue Aussi comme dans la nature rien nest superflu, ni la nature, ni la volont noprerait, mais Dieu seul. Cela ne convient pas. Donc il faut sen tenir la premire solution, savoir que Dieu oprerait dans la nature et la volont.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Is. XXVI, vers. 12 : omnia opera nostra operatus es in nobis, domine.

1. Isae dit. (26, 12) : Tu as accompli tous nos uvres en nous, Seigneur [330].

q. 3 a. 7 s. c. 2 Praeterea, sicut ars praesupponit naturam, ita natura praesupponit Deum. Sed in operatione artis operatur natura ; non enim sine operatione naturae, artis operatio efficitur, sicut igne emollitur ferrum ut percussione fabri extendatur. Ergo et Deus in operatione naturae operatur.

2. De mme que lart prsuppose la nature, la nature prsuppose Dieu. Mais la nature opre dans lopration de lart, car sans elle, lopration de lart ne se fait pas, de mme que le feu ramollit le fer, de sorte quil sallonge sous les coups du forgeron. Donc Dieu aussi opre dans lopration de nature.

q. 3 a. 7 s. c. 3 Praeterea, secundum philosophum, homo generat hominem et sol. Sed sicut operatio hominis in generatione dependet ab actione solis, ita et multo amplius actio naturae dependet ab actione Dei. Ergo quidquid operatur natura etiam Deus operatur.

3. Selon le philosophe (Physique, II, 2, 194 b 13[331]), lhomme et le soleil engendrent lhomme. Mais de mme que lopration de lhomme dans la gnration dpend de laction du soleil, ainsi et beaucoup plus laction de la nature dpend de laction de Dieu. Donc ce que fait la nature, Dieu le fait aussi.

q. 3 a. 7 s. c. 4 Praeterea, nihil potest operari nisi sit ens. Sed natura non potest esse nisi Deo operante ; in nihilum enim decideret nisi divinae potentiae actione conservaretur in esse, ut patet per Augustinum super Genes. ad litteram. Ergo natura non potest agere nisi Deo agente.

4. Rien ne peut oprer sinon l'tant. Mais la nature ne peut exister que si Dieu opre, car elle retournerait au nant si la puissance divine par son action ne la conservait pas dans lՐtre[332], comme on le lit chez Augustin (La Gense au sens littral). Donc la nature ne peut agir que si Dieu agit.

q. 3 a. 7 s. c. 5 Praeterea, virtus Dei est in qualibet re naturali, quia Deus in omnibus rebus esse dicitur per essentiam et potentiam et praesentiam. Sed non est dicendum quod virtus divina secundum quod est in rebus sit otiosa. Ergo secundum quod est in natura operatur. Nec potest dici quod aliud quam ipsa natura operetur, cum non appareat ibi nisi una operatio. Ergo in qualibet naturae operatione Deus operatur.

5. Le pouvoir de Dieu est en chaque tre naturel, parce quon dit qu'il est en toutes choses par essence, puissance et prsence[333]. Mais il ne faut pas dire que le pouvoir divin, selon quil est dans les choses, est inutile. Donc, selon quil est dans la nature, il opre. Et on ne peut pas dire quautre chose que la nature elle-mme opre, puisque ici napparat quune seule opration. Donc Dieu opre en chaque opration de la nature.

 

Rponse :

q. 3 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod simpliciter concedendum est Deum operari in natura et voluntate operantibus. Sed quidam hoc non intelligentes, in errorem inciderunt : attribuentes Deo hoc modo omnem naturae operationem quod res penitus naturalis nihil ageret per virtutem propriam ; et ad hoc quidem ponendum sunt diversis rationibus moti.

Il faut absolument conceder que Dieu opre dans ce qui opre par nature et volont. Mais certains, qui ne lont pas compris, sont tombs dans lerreur, en attribuant Dieu toute opration de la nature, de telle sorte que la chose naturelle ne ferait strictement rien par son pouvoir propre, et pour l'tablir, ils y ont t pousss par diverses raisons.

Quidam enim loquentes in lege Maurorum, ut Rabbi Moyses narrat, dixerunt, omnes huiusmodi naturales formas accidentia esse : et cum accidens in aliud subiectum transire non possit, impossibile reputabant quod res naturalis per formam suam aliquo modo induceret similem formam in alio subiecto ; unde dicebant quod ignis non calefacit, sed Deus creat calorem in re calefacta.

A) Certains parlant selon la loi des Musulmans, comme Rabbi Moyses (Mamonide[334]) le raconte, ont dit que toutes les formes naturelles taient des accidents[335], et comme laccident ne peut pas passer dans un autre sujet, ils considraient comme impossible que la chose naturelle, par sa forme, introduise dune certaine manire une forme semblable dans un autre substrat. Cest pour cela quils disaient que le feu ne chauffe pas, mais que Dieu cre la chaleur dans lobjet chauff[336].

Sed si obiiceretur contra eos, quod ex applicatione ignis ad calefactibile, semper sequatur calefactio, nisi per accidens esset aliquid impedimentum igni, quod ostendit ignem esse causam caloris per se ; dicebant, quod Deus ita statuit ut iste cursus servaretur in rebus, quod nunquam ipse calorem causaret nisi apposito igne ; non quod ignis appositus aliquid ad calefactionem faceret.

Mais si on leur objectait que de lapplication du feu ce quon chauffe, il en dcoule toujours un chauffement, sauf si, par accident, le feu tait empch, ce qui montre qu'il est la cause de la chaleur en soi, ils disaient que Dieu a dcid que ce concours serait conserv dans les choses, que jamais lui-mme ne causerait la chaleur sauf si le feu tait plac tout prs et que ce n'tait pas le feu plac ct d'un objet qui provoquait l'chauffement.

Haec autem positio est manifeste repugnans sensui : nam cum sensus non sentiat nisi per hoc quod a sensibili patitur (quod etsi in visu sit dubium, propter eos qui visum extra mittendo fieri dicunt, in tactu et in aliis sensibus est manifestum), sequitur quod homo non sentiat calorem ignis si per ignem agentem non sit similitudo caloris ignis in organo sentiendi. Si enim illa species caloris in organo ab alio agente fieret, tactus etsi sentiret calorem, non tamen sentiret calorem ignis nec sentiret ignem esse calidum, cum tamen hoc iudicet sensus, cuius iudicium in proprio sensibili non errat.

Mais cette position[337] s'oppose manifestement nos sens : puisque en effet, ils ne peroivent que par ce quils reoivent du sensible (mme si pour la vue[338], il y a un doute cause de ceux qui disent que la vue fonctionne en se projetant lextrieur, pour le toucher et les autres sens cest clair) ; il sensuit que lhomme ne sent pas la chaleur du feu si par le feu agent, il ny a pas la ressemblance de la chaleur du feu dans lorgane de la sensation. Car si cette espce de chaleur tait faite dans l'organe par un autre agent, mme si le toucher sentait la chaleur, il ne sentirait pas la chaleur du feu ni que le feu est chaud, puisque le sens dont le jugement ne se trompe pas dans sa propre sensibilit le juge ainsi.

Repugnat etiam rationi, per quam ostenditur in rebus naturalibus nihil esse frustra. Nisi autem res naturales aliquid agerent, frustra essent eis formae et virtutes naturales collatae : sicut si cultellus non incideret, frustra haberet acumen. Frustra etiam requireretur appositio ignis ad ligna, si Deus absque igne ligna combureret.

Cela s'oppose aussi la raison : par elle, on dmontre que rien n'est vain dans les choses naturelles. Si elles ne faisaient rien, les formes et les pouvoirs naturels qui sy trouvent leur seraient inutiles. Ainsi si le couteau ne coupait pas, cest en vain quil aurait une lame. Et on chercherait en vain de mettre en contact le feu avec bois, si Dieu brlait le bois sans feu[339].

Repugnat etiam divinae bonitati, quae sui communicativa est ; ex quo factum est quod res Deo similes fierent non solum in esse, sed etiam in agere. Ratio vero quam pro se inducunt, est omnino frivola. Nam cum dicitur accidens de subiecto in subiectum aliud non transire, intelligitur de accidente eodem secundum numerum, non quia simile accidens secundum speciem possit induci in aliud subiectum virtute accidentis quod alicui subiecto naturali inest. Et hoc est necesse in omni actione naturali contingere. Falsum etiam est quod supponunt, omnes formas esse accidentia : quia sic nullum esset in rebus naturalibus esse substantiale, cuius principium forma accidentalis esse non potest, sed substantialis tantum. Periret etiam generatio et corruptio, et multa alia inconvenientia sequerentur.

Cela s'oppose aussi la bont divine qui se communique delle-mme ; de l vient que les cratures ressemblent Dieu, non seulement dans leur tre, mais aussi dans leur agir. Mais la raison quils avancent en leur faveur est tout fait futile. En effet, quand on dit que laccident ne passe pas dun substrat dans un autre, on le comprend de ce mme accident selon le nombre, et non pas parce qu'un accident d'une espce semblable pourrait tre induit dans un autre substrat par le pouvoir de l'accident qui est dans un sujet naturel. Et il est ncessaire que cela arrive dans toute action naturelle. Mais quils supposent que toutes les formes sont des accidents est faux, parce qu'ainsi, il ny aurait aucun tre substantiel dans les choses naturelles, dont le principe ne peut pas tre une forme accidentelle, mais une forme substantielle seulement. La gnration et la corruption disparatraient et beaucoup dautres inconvnients en dcouleraient.

Avicebron etiam in libro fontis vitae dicit, quod nulla substantia corporalis agit, sed vis spiritualis penetrans per omnia corpora agit in eis, et tanto corpus aliquod est magis activum quanto est purius et subtilius et per consequens a virtute spirituali penetrabilius. Et ad hoc inducit tres rationes : quarum prima est, quod omne agens post Deum requirit subiectam materiam in quam agat ; corporali autem substantiae non subiicitur aliqua materia, et sic videtur quod agere non possit.

B) Avicebron[340] aussi, dans son livre, La Fontaine de vie, dit quaucune substance corporelle nagit, mais que c'est une puissance spirituelle qui pntre travers tous les corps qui agit en elles, et plus un corps est actif, plus il est pur et subtil et par consquent plus accessible au pouvoir spirituel. Et cela il apporte trois raisons :1. Tout agent aprs Dieu a besoin dune matire qui est un substrat, dans laquelle il agit ; mais la matire nest pas subordonne la substance corporelle et ainsi il semble quelle ne puisse pas agir.

Secunda est quia quantitas impedit actionem et motum : cuius signum ponit, quia multitudo quantitatis retardat motum et addit corpori gravitatem ; et ita substantia corporalis quae est implicita quantitati, agere non potest.

2. La quantit empche laction et le mouvement ; il en donne comme preuve quune trs grande quantit retarde le mouvement et ajoute de la lourdeur au corps et ainsi la substance corporelle qui est mle la quantit ne peut pas agir.

Tertia ratio est, quod substantia corporalis est remotissima a primo agente, quod est agens tantum et non patiens, substantiae autem mediae sunt agentes et patientes ; unde oportet substantiam corporalem, quae est ultima, esse patientem tantum et non agentem.

3. La substance corporelle est trs loin du premier agent, qui est agent seulement et non patient ; les substances intermdiaires sont agents et patients ; c'est pourquoi il faut que la substance corporelle, qui est la dernire soit "patiente" seulement et non agent.

Sed in hoc est manifesta deceptio ex hoc quod accipitur tota substantia corporalis quasi una et eadem numero substantia, ac si non esset secundum esse substantiale distincta sed solo accidente. Si enim diversae substantiae corporales substantialiter distinctae accipiantur, tunc non quaelibet substantia corporalis erit ultima entium et remotissima a primo agente, sed una erit alia superior et primo agenti propinquior, et sic una in alia agere poterit.

Mais l'erreur est manifeste, du fait quon prend toute la substance corporelle comme une seule et mme substance par le nombre, comme si elle nՎtait pas distincte selon son tre substantiel mais seulement par l'accident. Car si on accepte que les diverses substances corporelles comme substantiellement distinctes, alors ce nest pas une quelconque substance corporelle qui sera le dernier des tants et la plus loigne du premier agent, mais lune sera suprieure lautre et plus proche du premier agent, et ainsi lune pourra agir dans lautre.

Item in praedictis consideratur substantia corporalis tantum secundum rationem materiae, et non ratione suae formae, cum tamen ex utroque sit composita. Substantiae enim corporali competit esse ultimum entium, et non habere inferius subiectum, ratione materiae, non autem ratione formae ; quia ratione formae est inferius subiectum omnis substantia in cuius materia est in potentia forma illa quam haec res designata habet in actu.

De mme, dans ce qui a t dit, on ne considre la substance corporelle qu'en raison de la matire et non de sa forme, alors quelle est compose de lune et lautre. Il appartient, en effet, la substance corporelle dՐtre le dernier des tants et de ne pas avoir un substrat plus bas, cause de la matire, mais non de la forme ; parce que, en raison de celle-ci, toute substance est un substrat plus bas, dans la matire de qui il y a en puissance cette forme que cette chose possde en acte.

Et inde sequitur quod est mutua actio in substantiis corporalibus, cum in materia unius sit in potentia forma alterius, et e converso. Si autem ipsa forma non est sufficiens ad agendum eadem ratione nec vis substantiae spiritualis, quam corporalis substantia per modum suum necesse est quod recipiat. ICIC

Et de l dcoule qu'il y a une action mutuelle dans les substances corporelles, puisque dans la matire de lune la forme de lautre est en puissance, et inversement. Mais si la forme mme nest pas suffisante pour agir, par une mme raison, le pouvoir de la substance spirituelle, quil est ncessaire que la substance corporelle reoive sa manire, non plus.

Quantitas etiam non tollit motum et actionem, cum nihil moveatur nisi quantum ut in VI Physic. probatur. Nec est verum quod quantitas sit causa gravitatis. Hoc enim reprobatur in IV Cael. et mundi. Unde et quantitas addit in velocitatem motus naturalis ; nam corpus grave quanto est maius, tanto velocius deorsum fertur, et similiter leve sursum. Licet etiam quantitas secundum se non sit actionis principium non tamen potest assignari ratio quare actionem impediat, cum magis sit quoddam instrumentum qualitatis activae, nisi quatenus formae activae in materia subiecta quantitati receptae, esse quoddam limitatum recipiunt et individuatum ad materiam illam, ut sic per actionem in aliam materiam non se extendat. Sed quamvis esse individuatum in materia consequantur, rationem tamen speciei non amittunt, ex qua simile sibi in specie producere possunt, licet ipsaemet in alio subiecto esse non possint.

La quantit nenlve ni le mouvement, ni laction, puisque rien nest m si ce n'est qu' sa mesure, comme on le prouve Physique, VI, 3, 233 b 19 234 a 35[341]). Il nest pas vrai que la quantit soit la cause de la pesanteur. Car cela est rejet au livre IV Du ciel (p. 151 B 313 a 4). C'est pourquoi la quantit ajoute la vitesse du mouvement naturel, car plus un corps lourd est grand, plus vite il descend, et cest pareil pour le corps lger vers le haut. Bien que la quantit en soi ne soit pas principe daction, on ne peut trouver cependant la raison pour laquelle elle empcherait laction, puisquelle serait plus un instrument de la qualit active, sauf dans la mesure o les formes actives, reue dans la matire soumise la quantit, reoivent un tre limit et individualis pour cette matire pour quainsi, par son action, elle ne sՎtende pas une autre matire. Mais quoiquelles atteignent un tre individualis dans la matire, cependant elles ne perdent pas la nature de lespce, du fait qu'elles peuvent y produire quelque chose de semblable elles, en espce, bien quelles ne le puissent tre elles-mmes dans un autre sujet.

Non ergo sic est intelligendum quod Deus in omni re naturali operetur, quasi res naturalis nihil operetur ; sed quia in ipsa natura vel voluntate operante Deus operatur : quod quidem qualiter intelligi possit, ostendendum est.

 Ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre que Dieu opre en toute chose naturelle, comme si elle ne faisait rien, mais parce qu'il opre dans la nature mme ou dans la volont en son opration, il faut montrer comment on peut le comprendre.

Sciendum namque est, quod actionis alicuius rei res alia potest dici causa multipliciter.

Car il faut savoir qu'une chose peut tre appele cause d'une autre de multiples faons.

Uno modo quia tribuit ei virtutem operandi ; sicut dicitur in IV Physic., quod generans movet grave et leve, in quantum dat virtutem per quam consequitur talis motus : et hoc modo Deus agit omnes actiones naturae, quia dedit rebus naturalibus virtutes per quas agere possunt, non solum sicut generans virtutem tribuit gravi et levi, et eam ulterius non conservat, sed sicut continue tenens virtutem in esse, quia est causa virtutis collatae, non solum quantum ad fieri sicut generans, sed etiam quantum ad esse, ut sic possit dici Deus causa actionis in quantum causat et conservat virtutem naturalem in esse.

1. D'une premire manire, parce quelle lui attribue le pouvoir doprer, comme on le dit en Physique, IV 3, 210 a 14-24, parce que celui qui engendre met en mouvement le lourd et le lger dans la mesure o il donne un pouvoir d'o dcoule un tel mouvement. Et Dieu, de cette manire, accomplit toutes les actions de nature, parce quil a donn aux choses naturelles des pouvoirs par lesquels elles peuvent agir, non seulement comme celui qui engendre fournit un pouvoir au lourd et au lger, et ne le conserve plus, mais comme celui qui maintient continuellement ce pouvoir dans lՐtre, parce quil est cause du pouvoir qui lui est attribu, non seulement quant au devenir comme celui qui engendre, mais aussi quant lՐtre, de sorte quainsi on peut dire que Dieu est la cause de laction dans la mesure o il cause et conserve en l'tre le pouvoir naturel.

Nam etiam alio modo conservans virtutem dicitur facere actionem, sicut dicitur quod medicinae conservantes visum, faciunt videre. Sed quia nulla res per se ipsam movet vel agit nisi sit movens non motum.

2. Car dune autre manire, on dit qu'en conservant ce pouvoir, il accomplit laction, de mme qu'on dit que les remdes qui conservent la vue font voir. Mais parce que rien ne se meut par soi ou nagit que sil est un moteur non m.

Tertio modo dicitur una res esse causa actionis alterius in quantum movet eam ad agendum ; in quo non intelligitur collatio aut conservatio virtutis activae, sed applicatio virtutis ad actionem ; sicut homo est causa incisionis cultelli ex hoc ipso quod applicat acumen cultelli ad incidendum movendo ipsum. Et quia natura inferior agens non agit nisi mota, eo quod huiusmodi corpora inferiora sunt alterantia alterata ; caelum autem est alterans non alteratum, et tamen non est movens nisi motum, et hoc non cessat quousque perveniatur ad Deum : sequitur de necessitate quod Deus sit causa actionis cuiuslibet rei naturalis ut movens et applicans virtutem ad agendum.

3. Dune troisime manire, on dit quune chose est la cause de l'action dune autre dans la mesure o elle la pousse agir ; en cela on ne comprend pas lattribution ou la conservation du pouvoir actif, mais son application laction. Ainsi lhomme est la cause de lentaille du couteau du seul fait quil applique son tranchant pour couper en le manipulant. Et parce que la nature, agent infrieur, nagit que si elle est mue, de tels corps infrieurs changent en tant eux-mmes changs. Mais le ciel provoque des changements sans tre chang, et cependant il nest moteur que m, et cela ne cessera que jusquՈ ce quon parvienne Dieu. Il dcoule ncessairement que Dieu est la cause de laction dune chose naturelle comme moteur, qui applique le pouvoir pour agir.

Unde quarto modo unum est causa actionis alterius, sicut principale agens est causa actionis instrumenti ; et hoc modo etiam oportet dicere, quod Deus est causa omnis actionis rei naturalis. Quanto enim aliqua causa est altior, tanto est communior et efficacior, et quanto est efficacior, tanto profundius ingreditur in effectum, et de remotiori potentia ipsum reducit in actum.

4. C'est pourquoi, dune quatrime manire, lun est cause de laction de lautre, comme lagent principal est cause de laction de linstrument, et de cette manire aussi, il faut dire que Dieu est cause de toute action de l'tre naturel. Car plus une cause est leve, plus elle est commune et efficace, et plus elle est efficace, plus elle entre profondment dans leffet et, dune puissance plus loigne, elle l'amne l'acte.

In qualibet autem re naturali invenimus quod est ens et quod est res naturalis, et quod est talis vel talis naturae. ;

Dans nimporte quel tre naturel[342], on trouve qu'il y a l'tant, la chose naturelle, et ce qui est de telle ou telle nature.

Quorum primum est commune omnibus entibus ;

1) Le premier est commun tous les tants ;

secundum omnibus rebus naturalibus

2) le second toutes les choses naturelles,

tertium in una specie ; et quartum, si addamus accidentia, est proprium huic individuo.

3) le troisime une seule espce, 4) et le quatrime, si on ajoute les accidents, est propre cet individu particulier.

Hoc ergo individuum agendo non potest constituere aliud in simili specie nisi prout est instrumentum illius causae, quae respicit totam speciem et ulterius totum esse naturae inferioris. Et propter hoc nihil agit ad speciem in istis inferioribus nisi per virtutem corporis caelestis, nec aliquid agit ad esse nisi per virtutem Dei. Ipsum enim esse est communissimus effectus primus et intimior omnibus aliis effectibus ; et ideo soli Deo competit secundum virtutem propriam talis effectus : unde etiam, ut dicitur in Lib. de causis, intelligentia non dat esse, nisi prout est in ea virtus divina.

Donc ce dernier en agissant ne peut en constituer une autre dans la mme espce que dans la mesure o il est linstrument de cette cause, qui concerne toute lespce et davantage tout l'tre de nature infrieure. Et pour cette raison rien nagit pour lespce dans ces choses infrieures que par le pouvoir dun corps cleste, et rien nagit pour lՐtre que par le pouvoir de Dieu. Car lՐtre lui-mme est le premier effet le plus commun et plus intime[343] que tous les autres effets et cest pourquoi il convient Dieu seul, selon le pouvoir propre dun tel effet : c'est pourquoi, comme aussi on le dit dans le Livre des Causes (prop. 9[344]), lIntelligence ne donne lՐtre que dans la mesure o il y a en elle un pouvoir divin.

Sic ergo Deus est causa omnis actionis, prout quodlibet agens est instrumentum divinae virtutis operantis. Sic ergo si consideremus supposita agentia, quodlibet agens particulare est immediatum ad suum effectum. Si autem consideremus virtutem qua fit actio, sic virtus superioris causae erit immediatior effectui quam virtus inferioris ; nam virtus inferior non coniungitur effectui nisi per virtutem superioris ; unde dicitur in Lib. de Caus., quod virtus causae primae prius agit in causatum, et vehementius ingreditur in ipsum.

Ainsi donc Dieu est cause de toute action, dans la mesure o n'importe quel agent est linstrument du pouvoir divin en son opration. Si donc nous considrons les suppts agents, nimporte quel agent particulier est sans intermdiaire son effet. Mais si nous considrons le pouvoir par lequel laction est accomplie, alors le pouvoir de la cause suprieure sera plus immdiat dans leffet que celui de la cause infrieure, car ce dernier nest joint leffet que par le pouvoir du suprieur. C'est pourquoi il est dit dans Le livre des Causes (prop. 1), que la pouvoir de la cause premire agit avant dans leffet et entre plus fortement en lui.

Sic ergo oportet virtutem divinam adesse cuilibet rei agenti, sicut virtutem corporis caelestis oportet adesse cuilibet corpori elementari agenti. Sed in hoc differt ; quia ubicumque est virtus divina, est essentia divina ; non autem essentia corporis caelestis est ubicumque est sua virtus : et iterum Deus est sua virtus, non autem corpus caeleste.

Ainsi donc il faut que le pouvoir divin soit prsent tout ce qui agit, de mme qu'il faut que le pouvoir du corps cleste le soit tout corps lmentaire qui agit. Mais la diffrence c'est que partout o il y a le pouvoir divin, il y a lessence divine. Lessence du corps cleste nest pas partout o est son pouvoir ; en plus Dieu est son propre pouvoir, mais pas le corps cleste.

Et ideo potest dici quod Deus in qualibet re operatur in quantum eius virtute quaelibet res indiget ad agendum : non autem potest proprie dici quod caelum semper agat in corpore elementari, licet eius virtute corpus elementare agat. Sic ergo Deus est causa actionis cuiuslibet in quantum dat virtutem agendi, et in quantum conservat eam, et in quantum applicat actioni, et in quantum eius virtute omnis alia virtus agit. Et cum coniunxerimus his, quod Deus sit sua virtus, et quod sit intra rem quamlibet non sicut pars essentiae, sed sicut tenens rem in esse, sequetur quod ipse in quolibet operante immediate operetur, non exclusa operatione voluntatis et naturae.

Cest pourquoi on peut dire que Dieu opre en toute chose dans la mesure o elle a besoin de son pouvoir pour agir ; mais on ne peut proprement dire que le ciel agit toujours dans le corps lmentaire, bien que ce soit par son pouvoir que le corps lmentaire agisse. Ainsi donc Dieu est cause de nimporte quelle action dans la mesure o il donne le pouvoir dagir, o il le conserve et, il lapplique laction et o tout autre pouvoir agit dans le sien. Et comme nous avons ajout cela que Dieu est son propre pouvoir, et qu'il est en n'importe quelle chose, non comme une partie de son essence, mais comme celui qui la conserve dans lՐtre, il en dcoule que lui-mme opre sans intermdiaire en nimporte quel tre en son opration, sans exclure lopration de la volont et de la nature.

 

Solutions :

q. 3 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus activa et passiva rei naturalis sufficiunt ad agendum in ordine suo ; requiritur tamen virtus divina, ratione iam dicta, in corp. art.

# 1. Le pouvoir actif et passif dune chose naturelle suffisent pour agir en son ordre. Cependant elle a besoin du pouvoir divin, pour la raison dj dite dans le corps de l'article

q. 3 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio virtutis naturalis ad Deum et corporis elementaris ad corpus caeleste sunt quantum ad aliquid similes, non autem quantum ad omnia.

# 2. Lopration du pouvoir naturel relativement Dieu et celle du corps lmentaire relativement au corps cleste sont semblables en un certain point, mais pas en tout.

q. 3 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum quod in operatione qua Deus operatur movendo naturam, non operatur natura ; sed ipsa naturae operatio est etiam operatio virtutis divinae ; sicut operatio instrumenti est per virtutem agentis principalis. Nec impeditur quin natura et Deus ad idem operentur, propter ordinem qui est inter Deum et naturam.

# 3. Dans lopration par laquelle Dieu opre en mettant en mouvement la nature, la nature nopre pas. Mais lopration mme de la nature est aussi une opration du pouvoir divin, de mme que lopration de linstrument existe par le pouvoir de lagent principal. Et rien nempche que la nature et Dieu oprent sur un mme objet, cause de l'ordre entre Dieu et la nature[345]..

q. 3 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tam Deus quam natura immediate operantur ; licet ordinentur secundum prius et posterius, ut ex dictis patet.

# 4. Dieu autant que la nature opre sans intermdiaire, bien quils soient ordonns selon un avant et un aprs, comme cela apparat dans ce qui a t dit.

q. 3 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de ratione virtutis inferioris est quod sit aliquo modo operationis principium in suo ordine, id est ut agat ut instrumentum superioris virtutis : unde, exclusa superiori virtute, inferior virtus operationem non habet.

# 5. Il appartient un pouvoir infrieur d'tre en quelque manire principe d'opration en son ordre, c'est--dire qu'il agisse comme instrument d'un pouvoir suprieur. C'est pourquoi, si le pouvoir suprieur est exclus, le pouvoir infrieur na pas dopration..

q. 3 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus non solum est causa operationis naturae ut conservans virtutem naturalem in esse, sed aliis modis, ut dictum est.

# 6. Dieu est non seulement la cause de lopration de la nature, en tant qu'il conserve le pouvoir naturel dans lՐtre, mais aussi par dautres moyens, comme on la dit.

q. 3 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtus naturalis quae est rebus naturalibus in sua institutione collata, inest eis ut quaedam forma habens esse ratum et firmum in natura. Sed id quod a Deo fit in re naturali, quo actualiter agat, est ut intentio sola, habens esse quoddam incompletum, per modum quo colores sunt in aere, et virtus artis in instrumento artificis. Sicut ergo securi per artem dari potuit acumen, ut esset forma in ea permanens, non autem dari ei potuit quod vis artis esset in ea quasi quaedam forma permanens, nisi haberet intellectum ; ita rei naturali potuit conferri virtus propria, ut forma in ipsa permanens, non autem vis qua agit ad esse ut instrumentum primae causae ; nisi daretur ei quod esset universale essendi principium : nec iterum virtuti naturali conferri potuit ut moveret se ipsam, nec ut conservaret se in esse : unde sicut patet quod instrumento artificis conferri non oportuit quod operaretur absque motu artis ; ita rei naturali conferri non potuit quod operaretur absque operatione divina.

# 7. Le pouvoir naturel, plac dans les choses naturelles en leur constitution est en elles comme une forme ayant un tre dtermin et ferme en nature. Mais ce qui est fait par Dieu, dans un tre naturel o il agit de manire actuelle est comme une intention seule avec un tre incomplet, la manire dont les couleurs sont dans lair, et le pouvoir de lart dans linstrument de lartiste. Ainsi donc on a pu donner un tranchant la hache pour quil y soit forme permanente, mais on naurait pu lui donner le pouvoir de lart comme forme permanente que si elle avait une intelligence. De la mme manire, un pouvoir propre a pu tre confr la chose naturelle, comme une forme permanente en elle, mais non la force par laquelle elle agit pour tre comme l'instrument de la cause premire, moins de lui donner ce qui serait le principe universel dՐtre. Et il na pu, non plus, tre confr au pouvoir naturel de se mouvoir lui-mme, ni de se conserver dans l'tre lui-mme. C'est pourquoi, de mme qu'il est vident quil ne fallut pas qu'il soit donn linstrument de lartisan doprer sans le mouvement de lart, de mme, il n'a pu tre donn la chose naturelle doprer sans lopration divine.

q. 3 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod necessitas naturae, per quam calor agit, constituitur ex ordine omnium causarum praecedentium ; unde non excluditur virtus causae primae.

# 8. La ncessit naturelle, par laquelle la chaleur agit, est constitue de lordre de toutes les causes prcdentes. C'est pourquoi le pouvoir de la cause premire n'est pas exclu.

q. 3 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet natura et voluntas sint secundum esse disparata, tamen in agendo habent aliquem ordinem. Nam sicut actio naturae praecedit actionem voluntatis nostrae, ratione cuius in operibus artis, quae a voluntate sunt, naturae operatione indiget ; ita voluntas Dei, quae est origo omnis naturalis motus, praecedit operationem naturae ; unde et eius operatio in omni operatione naturae requiritur.

# 9. Bien que la nature et la volont soient diffrentes selon leur tre, cependant elles ont un certain ordre en agissant. Car, de mme que laction de la nature prcde laction de notre volont, pour la raison que dans les oprations de lart, qui dpendent de la volont, celle-ci a besoin de lopration de nature ; de mme la volont de Dieu, qui est lorigine de tout mouvement naturel, prcde lopration de la nature ; c'est pourquoi son opration est requise dans toute opration de nature.

q. 3 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod creatura habet aliquam Dei similitudinem participando bonitatem ipsius, in quantum est et agit, non tamen ita quod per similitudinis perfectionem ad aequalitatem perveniat ; et ideo sicut imperfectum indiget perfecto, ita virtus naturae in agendo indiget operatione divina.

# 10. La crature a une certaine ressemblance Dieu en participant sa bont, dans la mesure o elle est et agit, non cependant de manire lՎgaler par la perfection de cette ressemblance. Et cest pourquoi, de mme que limparfait a besoin du parfait, ainsi le pouvoir de la nature dans son action a besoin de lopration divine.

q. 3 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod duo Angeli minus distant secundum gradum naturae quam Deus et natura creata ; tamen in ordine causae et effectus, Deus et natura conveniunt, non autem duo Angeli ; unde Deus in natura operatur, non autem unus Angelus in alio.

# 11. Deux anges sont moins distants selon la hirarchie de la nature que Dieu et la nature cre ; cependant dans lordre de la cause et de leffet, Dieu et la nature se rencontrent, mais pas deux anges. C'est pour cela que Dieu opre dans la nature, mais pas un ange dans un autre.

q. 3 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Deus non dicitur hominem dereliquisse in manu consilii sui, quin in voluntate operetur ; sed quia voluntati hominis dedit dominium sui actus, ut non esset obligata ad alteram partem contradictionis : quod quidem dominium naturae non dedit, cum per suam formam sit determinata ad unum.

# 12. On ne dit pas que Dieu a abandonn lhomme son conseil, au point de ne plus oprer dans sa volont, mais parce quil a donn la volont de lhomme le pouvoir sur son action, pour qu'elle ne soit pas lie l'autre partie de la contradiction[346] : il na pas donn le pouvoir la nature, puisque par sa forme elle est dtermine un objet unique.

q. 3 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod voluntas dicitur habere dominium sui actus non per exclusionem causae primae, sed quia causa prima non ita agit in voluntate ut eam de necessitate ad unum determinet sicut determinat naturam ; et ideo determinatio actus relinquitur in potestate rationis et voluntatis.

# 13. On dit que la volont a pouvoir sur son action non en excluant la cause premire, mais parce que celle-ci nagit pas dans la volont de sorte la dterminer ncessairement un objet, comme elle dtermine la nature et ainsi la dtermination de lacte est laisse au pouvoir de la raison et de la volont.

q. 3 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non quaelibet causa excludit libertatem, sed solum causa cogens : sic autem Deus non est causa operationis nostrae.

# 14. Ce nest pas nimporte quelle cause qui enlve la libert mais seulement une cause contraignante, mais ainsi Dieu nest pas cause de notre opration.

q. 3 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod quia causa prima magis influit in effectum quam secunda, ideo quidquid perfectionis est in effectu, principaliter reducitur ad primam causam ; quod autem est de defectu, reducendum est in causam secundam, quae non ita efficaciter operatur sicut causa prima.

# 15. Parce que la cause premire influe plus sur leffet que la cause seconde, ce qu'il y a de perfection dans leffet, est ramen principalement la cause premire ; mais ce qui est dfaillance, doit tre ramen la cause seconde, qui nopre pas aussi efficacement que la cause premire[347].

q. 3 a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Deus perfecte operatur ut causa prima ; requiritur tamen operatio naturae ut causae secundae. Posset tamen Deus effectum naturae etiam sine natura facere ; vult tamen facere mediante natura, ut servetur ordo in rebus.

# 16. Dieu opre de manire parfaite comme cause premire ; cependant lopration de la nature est requise comme cause seconde. Dieu pourrait cependant produire un effet de nature mme sans la nature, mais il veut le faire par lintermdiaire de la nature pour conserver lordre des choses.

 

 

 

Article 8 Dieu opre-t-il dans la nature en crant, ce qui revient chercher si la cration est mle l'opration de nature ?

q. 3 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum Deus operetur in natura creando ; quod est quaerere : utrum creatio operi naturae admiscetur. Et videtur quod sic.

Et il semble que oui[348].

 

Objections :

q. 3 a. 8Arg. 1 Per hoc quod dicit Augustinus [in II lib. de Trinitate, cap. VIII] : apostolus, inquit, Paulus discernens interius Deum creantem atque formantem ab operibus creaturae quae admoventur extrinsecus, de agricultura similitudinem assumens ait : ego plantavi, Apollo rigavit, sed Deus incrementum dedit.

1. Daprs ce que dit Augustin (La Trinit, III, 8, 14) : Laptre Paul distinguant lopration de Dieu qui cre et qui faonne au dedans, des oprations de la crature qui agissent au dehors, en empruntant une image lagriculture, dit : Jai plant, Apollon a arros, mais Dieu a donn laccroissement (1 Co. 3, 6).

q. 3 a. 8Arg. 2 Sed dices, quod creatio accipitur ibi large pro qualibet factione.- Sed contra, Augustinus, ex auctoritate apostoli intendit in verbis praedictis distinguere operationem creaturae ab operatione Dei. Non autem distinguitur per creationem communiter acceptam pro qualibet factione, quia sic etiam natura creat ; aliquid enim facit, ut ostensum est supra, art. praeced., sed non per creationem proprie acceptam. Ergo de creatione proprie accepta oportet verba praemissa intelligere.

2. Mais on pourrait dire que la cration est prise ici au sens large pour une fabrication quelconque En sens contraire, Augustin (ibid.) par lautorit de lAptre, vise, dans les paroles ici rapportes, distinguer lopration de la crature de celle de Dieu. Mais elle n'est pas distingue par une cration au sens communment accept d'une fabrication quelconque, parce que la nature cre aussi. Car elle agit, comme on la montr ci-dessus larticle prcdent, mais non par cration au sens propre. Donc il faut comprendre que ces paroles se rapportent la cration au sens propre.

q. 3 a. 8Arg. 3 Praeterea, idem Augustinus [loc. cit.] : subdit : Sicut in ipsa vita nostra mentem iustificando formare non potest nisi Deus, praedicare autem extrinsecus Evangelium etiam homines possunt ; ita creationem rerum visibilium Deus interius operatur, exteriores autem operationes bonorum sive malorum Angelorum vel hominum, vel quorumcumque animalium, ita rerum naturae adhibet, in qua creat omnia, quemadmodum terrae agriculturam. Sed mentem nostram iustificando format creatione proprie accepta : nam gratia per creationem dicitur esse. Ergo et creatione proprie dicta formas naturales creat.

3. Le mme Augustin ajoute : De la mme manire que dans notre vie mme, il n'y a que Dieu seul qui peut faonner l'esprit en le justifiant, mais annoncer lՃvangile lextrieur, mme les hommes peuvent le faire ; de la mme manire, Dieu opre de lintrieur la cration du monde visible ; mais aussi les oprations extrieures des anges, bons ou mauvais, et des hommes, ou de tous les animaux (), de sorte qu'il les applique la nature en qui il cre tout ; comme lagriculture pour la terre. Mais il forme notre esprit en le justifiant par une cration au sens propre. Car on dit que la grce existe par cration. Donc il cre les formes naturelles par cration proprement dite[349].

q. 3 a. 8Arg. 4 Sed dices, quod formae naturales habent causam in subiecto, non autem gratia ; et pro tanto gratia proprie creatur, non autem formae naturales.- Sed contra, ut dicitur in Glossa Genes. I, creare est ex nihilo aliquid facere. Cum autem haec praepositio ex quandoque importet habitudinem causae efficientis, sicut I Corinth., VIII, 6 : Ex quo omnia, per quem omnia, quandoque autem habitudinem causae materialis, sicut habetur Tobiae cap. XIII, 21-22 : Omnis circuitus murorum eius ex lapide candido et mundo ; cum dicitur aliquid ex nihilo fieri, non negatur habitudo causae efficientis (quia sic Deus rerum creatarum causa efficiens non esset), sed negatur habitudo causae materialis. Formae autem naturales habent in subiectis causas efficientes, per quod differunt a gratia ; habent etiam et materiam in qua, quod et gratiae competit. Non ergo magis competit ratio creationis gratiae quam naturalibus formis, per hoc quod est habere causam in subiecto.

4. Mais on pourrait dire que les formes naturelles ont leur cause dans le substrat mais pas la grce, et pour autant celle-ci est cre au sens propre, mais pas les formes naturelles. En sens contraire, comme on le dit dans la Glose de Gn 1, 1 : Crer c'est faire quelque chose de rien[350]. Comme cette prposition ex ('de') apporte quelquefois une relation de cause efficiente comme en 1 Co. 8, 6 : Tout vient de lui, tout est par lui, quelquefois aussi une relation de la cause matrielle, comme on le trouve en Tobie 13, 21 - 22 : Tout le tour de ses murs : de (ex) pierre blanche et pure, quand on dit que quelque chose est fait de rien, on ne nie pas la relation la cause efficiente, (sinon Dieu ne serait pas la cause efficiente des cratures), mais on nie la relation la cause matrielle. Mais les formes naturelles ont dans leur substrat des causes efficientes par le fait quelles diffrent de la grce. Elles ont aussi une matire dans laquelle elles sont, ce qui convient aussi la grce. Donc la nature de la cration ne convient pas plus la grce quaux formes naturelles, par le fait d'avoir une cause dans le substrat.

q. 3 a. 8Arg. 5 Praeterea, formae artificiales non habent causam in subiecto, sed sunt totaliter ab extrinseco. Si ergo gratia propter hoc creari dicitur quia non habet causam in subiecto, pari ratione formae accidentales artificiales creabuntur.

5. Les formes artificielles nont pas de cause dans le substrat, mais elle viennent totalement de l'extrieur. Donc si on dit que la grce est cre, parce quelle na pas de cause dans le substrat, raison gale les formes accidentelles artificielles seront cres.

q. 3 a. 8Arg. 6 Praeterea, id quod non habet materiam partem sui, non potest ex materia fieri. Sed formae non habent materiam partem sui : quia forma distinguitur et contra materiam et contra compositum, ut patet in principio secundi de Anima [com. 2 et 4] Cum ergo formae fiant quia de novo esse incipiunt, videtur quod non fiant ex materia ; et sic fiunt ex nihilo, et per consequens creantur.

6. Ce qui na pas de partie matrielle, ne peut tre fait de matire. Mais les formes nont pas de matire en participation, parce que la forme est distingue de la matire et du compos, comme cela apparat au dbut du livre 2 de L'me ( 412 b 10[351]). Donc comme les formes sont faites, parce quelles commencent exister de nouveau, il semble quelles ne sont pas faites de matire, et ainsi elles sont faites de rien et par consquent elles sont cres.

q. 3 a. 8Arg. 7 Sed diceretur, quod licet formae naturales non habeant materiam partem sui ex qua sint, habent tamen materiam in qua sunt, et pro tanto non creantur.- Sed contra, sicut aliae formae naturales, ita et anima rationalis est forma in materia. Sed anima rationalis creari ponitur. Ergo et similiter est de aliis formis naturalibus ponendum.

7. Mais on pourrait dire que, bien que les formes naturelles naient pas de matire en participation delles-mmes, d'o elles viennent, elles ont cependant une matire dans laquelle elles sont, et pour autant elles ne sont pas cres. En sens contraire : comme les autres formes naturelles, lՉme raisonnable est une forme dans la matire. Mais il est tabli quelle est cre. Donc il faut le concevoir de la mme manire pour les autres formes naturelles.

q. 3 a. 8Arg. 8 Sed dices, quod anima rationalis non educitur de materia, sicut aliae formae naturales. Sed contra, nihil educitur de aliquo quod non est in eo. Sed ante finem generationis forma, quae est generationis terminus, non erat in materia ; alias essent formae contrariae in materia simul. Ergo formae naturales non educuntur de materia.

8. Mais on pourrait dire que lՉme raisonnable nest pas tire de la matire, comme les autres formes naturelles. En sens contraire : rien nest tir de quelque chose qui n'est pas en lui. Mais, avant la fin de la gnration, la forme, qui en est le terme, nՎtait pas dans la matire. Autrement il y aurait dans la matire en mme temps des formes contraires. Donc les formes naturelles ne sont pas tires de la matire.

q. 3 a. 8Arg. 9 Praeterea, forma quae est generationis terminus, non apparebat ante generationem completam. Si ergo erat ibi, erat latens : et ita sequeretur latitatio cuiuslibet in quolibet, quam ponebat Anaxagoras, et Aristoteles improbat in I Phys. [text. 32, 33, 42 et seq.].

9. La forme qui est le terme de la gnration napparaissait pas avant la gnration complte. Donc si elle y tait, elle tait cache, et il sensuivrait ainsi un tat latent d'une chose dans une autre, ce que professait Anaxagore et que rejette Aristote (Physique. I, 4, - 187 a 31[352]).

q. 3 a. 8Arg. 10 Sed dices, quod forma naturalis non existebat in materia ante completam generationem, complete, ut Anaxagoras ponebat, sed incomplete.- Sed contra, si forma aliquo modo est in materia ante terminum generationis, est ibi secundum aliquid sui. Si autem non est ibi complete secundum aliquid sui, non praeexistit. Habet ergo forma aliquid et aliquid, et sic non est simplex ; cuius contrarium in principio Sex principiorum habetur.

10. Mais on pourrait dire que la forme naturelle n'existait pas compltement dans la matire avant la gnration complte, comme Anaxagore le pensait, mais de faon incomplte. En sens contraire : si la forme est en quelque manire dans la matire avant le terme de la gnration, elle y est comme la partie d'elle-mme. Mais si elle ny est pas compltement, elle ne prexiste pas comme partie. Donc la forme a une chose et l'autre et ainsi, elle nest pas simple ; on trouve le contraire au commencement des Six principes[353] .

q. 3 a. 8Arg. 11 Praeterea, si non complete praeexistit in materia, et postmodum completur, oportet quod per generationem ei adveniat complementum. Illud autem complementum in materia non praeexistebat, quia sic fuisset ibi complete. Ergo illud complementum per creationem erit ad minus.

11. Si elle ne prexiste pas compltement dans la matire, et quelle est complte ensuite, il faut que le complment lui advienne par gnration. Mais ce complment ne prexistait pas dans la matire, parce quil y aurait ainsi t en entier. Donc ce complment existera au moins par cration.

q. 3 a. 8Arg. 12 Sed dices, quod praeexistebat in materia incomplete, non quidem secundum partem, sed quia alio modo erat ante, et alio modo post : prius enim erat in potentia, sed post est in actu.- Sed contra, ex hoc quod aliquid alio et alio modo se habet, est alteratio, non generatio. Si ergo per opus naturae non fit aliquid, nisi quod forma quae prius erat in potentia, postea fit actu ; sequeretur quod per operationem naturae non sit aliqua generatio, sed alteratio sola.

12. On pourrait dire quelle prexistait incompltement dans la matire, non pas en partie, mais parce qu'elle existait d'une manire diffrente avant et aprs : car avant, elle tait en puissance, mais aprs elle est en acte. En sens contraire, du fait que quelque chose se comporte dune manire et dune autre, cest un changement d'tat, non une gnration. Si donc par l'uvre de la nature, rien n'est fait sinon que la forme, qui tait avant en puissance, devient ensuite en acte, il en dcoulerait que par une opration de nature il n'y aurait pas gnration mais changement d'tat seulement.

q. 3 a. 8Arg. 13 Praeterea, in natura inferiori non invenitur aliquod activum principium, nisi accidens : nam ignis agit per calorem, qui est accidens ; et similiter de aliis. Sed accidens non potest esse causa activa formae substantialis, quia nihil agit ultra suam speciem ; effectus autem non praeeminet causae, cum tamen forma substantialis praeemineat accidenti. Ergo forma substantialis non producitur per actionem naturae inferioris ; et ita oportet quod sit per creationem.

13. Dans la nature infrieure, on ne trouve comme principe actif que l'accident ; car le feu agit par la chaleur, qui est un accident, et de mme pour les autres choses. Mais laccident ne peut tre la cause active de la forme substantielle, parce que rien nagit au-del de son espce ; leffet ne lemporte pas sur la cause, encore que cependant la forme substantielle lemporte sur laccident. Donc la forme substantielle nest pas produite par laction d'une nature infrieure, et ainsi il faut quelle existe par cration.

q. 3 a. 8Arg. 14 Praeterea, imperfectum non potest esse causa perfecti. Sed in semine bruti animalis non est vis animae nisi imperfecte. Ergo anima bruti non producitur per actionem naturalem virtutis seminalis ; et ita oportet quod sit per creationem et pari ratione omnes aliae formae naturales.

14. Limparfait ne peut pas tre cause du parfait. Mais la force de l'me n'est dans la semence de lanimal quimparfaitement. Donc lՉme de lanimal nest pas produite par laction naturelle du pouvoir sminal et ainsi il faut quelle existe par cration, et raison gale, toutes les autres formes naturelles[354].

q. 3 a. 8Arg. 15 Praeterea, illud quod non est animatum nec vivum, non potest esse causa rei animatae viventis. Sed animalia quae generantur ex putrefactione, sunt res animatae viventes ; non autem inveniuntur in natura aliqua viventia, a quibus eis vita conferatur. Ergo oportet quod eorum animae sint per creationem a primo vivente, et pari ratione aliae formae naturales.

15. Ce qui nest ni anim, ni vivant ne peut tre cause dun tre anim vivant. Mais les animaux qui naissent de la putrfaction sont des tres anims vivants ; et on ne trouve pas dans la nature des tres vivants par lesquels la vie leur est confre. Donc il faut que leurs mes existent par cration partir du premier vivant et raison gale les autres formes naturelles.

q. 3 a. 8Arg. 16 Praeterea, natura non agit nisi sibi simile. Sed aliqua res naturalis invenitur generari, cuius similitudo in generante non praecessit. Mulus enim neque equo, neque asino est similis in specie. Ergo forma muli non est per actionem naturae, sed per creationem ; et sic idem quod prius.

16. La nature ne fait que du semblable elle-mme. Mais on trouve un tre naturel engendr, dont la ressemblance ne l'a pas prcd dans celui qui engendre. La mulet en effet, nest semblable en espce, ni au cheval ni lՉne. Donc la forme du mulet ne vient pas de laction de la nature, mais par cration et ainsi de mme que plus haut.

q. 3 a. 8Arg. 17 Praeterea, Augustinus dicit in lib. de vera Relig.[lib. II de lib. Arb. XVII], quod res naturales formis suis formatae non essent, nisi esset aliquid primum unde formarentur. Hoc autem est ipse Deus. Ergo omnes formae sunt per creationem a Deo.

17. Augustin dit (La vraie religion, Le libre arbitre, II, 17) que les tres naturels ne seraient mis en forme que sil y avait quelque tre premier qui les forme. Mais celui-ci, cest Dieu lui-mme. Donc toutes les formes viennent par la cration de Dieu.

q. 3 a. 8Arg. 18 Praeterea, Boetius dicit [in libro de Trinitate], quod ex formis quae sunt sine materia, venerunt formae quae sunt in materia. Formae autem quae sunt sine materia, non possunt intelligi in proposito, nisi ideae rerum in mente divina existentes. Nam Angeli, qui possunt dici sine materia formae non sunt causae formarum naturalium, ut patet per Augustinum [III de Trin. Cap. VIII et XI]. Ergo formae naturales non sunt per actionem naturae, sed a datore creante.

18. Boce dit (La Trinit, II) que les formes qui sont dans la matire sont venues des formes sans matire. Mais les formes sans matire ne peuvent tre comprises que dans l'hypothse o les ides des choses existent dans lesprit divin. Car les anges, qui peuvent tre appels des formes sans matire, ne sont pas causes des formes naturelles, comme Augustin le montre (La Trinit III, 8 et 9). Donc les formes naturelles ne dpendent pas de laction de la nature, mais dun donneur qui les cre.

q. 3 a. 8Arg. 19 Praeterea, in libro de Causis, [prop. 18] dicitur, quod esse est per creationem. Hoc autem non esset nisi formae crearentur : nam forma est essendi principium. Ergo formae sunt per creationem : ergo Deus in materia operatur aliquid creando, scilicet ipsas formas.

19. Dans le Livre des Causes (prop. XVIII), il est dit que lՐtre existe par cration. Mais cela ne serait possible que si les formes taient cres, car la forme est le principe d'tre. Donc les formes existent par cration ; et Dieu opre dans la matire en crant quelque chose, cest--dire les formes elles-mmes.

q. 3 a. 8Arg. 20 Praeterea, id quod est per se, est causa eius quod non est per se. Sed formae rerum naturalium non sunt per se, sed sunt in materia. Ergo earum causa est forma per se stans ; et ita oportet quod formae naturales sint per creationem ab agente extrinseco ; et sic videtur quod Deus in natura operetur, formas creando.

20. Ce qui est par soi est cause de ce qui ne lest pas. Mais les formes des tres naturels ne sont pas par soi mais sont dans la matire. Donc leur cause est une forme qui demeure par soi et de mme qu'il faut que les formes naturelles soient cres par un agent extrieur, de mme il semble que Dieu opre dans la nature en crant les formes.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Opus creationis distinguitur ab opere gubernationis et propagationis. Quod autem actione naturae agitur, pertinet ad opus gubernationis et ad rerum propagationem. Ergo creatio operi naturae non admiscetur.

1. On distingue luvre de la cration de celle du gouvernement et de la propagation[355]. Mais ce qui est fait par laction de la nature, convient luvre du gouvernement et de la propagation. Donc la cration nest pas mle l'opration de la nature.

q. 3 a. 8 s. c. 2 Praeterea, nihil potest creare nisi solus Deus. Si ergo formae sunt per creationem, non erunt nisi a Deo ; et sic omnis actio naturae frustrabitur, cuius finis est forma.

2. Rien ne peut crer, sinon Dieu seul. Si donc les formes existent par cration, elles nexisteront que par Dieu ; et ainsi toute l'action de la nature, dont la fin est la forme, sera vaine.

q. 3 a. 8 s. c. 3 Praeterea, sicut forma substantialis non habet materiam partem sui, ita nec accidentalis. Si ergo propter hoc formas substantiales oportet esse per creationem, quia non habent materiam, pari ratione et formae accidentales. Sicut autem res generata perficitur per formam substantialem, ita fit dispositio per formam accidentalem. Ergo res naturalis nullo modo erit generans, neque sicut perficiens neque sicut disponens ; et sic cassa erit omnis naturae actio.

3. La forme substantielle na pas de matire en participation, la forme accidentelle non plus. Si donc, il faut que les formes substantielles soient cres, parce quelles nont pas de matire, raison gale les formes accidentelles aussi. Mais de la mme manire que ce qui est engendr est achev par la forme substantielle, de mme la disposition est faite par la forme accidentelle. Donc l'tre naturel n'engendrera en aucune manire, ni en achevant, ni en disposant. Et ainsi toute action de la nature sera vaine.

q. 3 a. 8 s. c. 4 Praeterea, natura est ex similibus similia procreans. Sed generatum invenitur simile generanti secundum speciem et formam. Ergo ipsa forma generati fit per actionem generantis, et non per creationem.

4. La nature procre du semblable partir du semblable. Mais on trouve que l'engendr est semblable celui qui l'engendre, selon lespce et la forme. Donc la forme mme de lengendr est faite par laction de celui qui engendre, et non par cration.

q. 3 a. 8 s. c. 5 Praeterea, diversorum agentium actiones non terminantur ad unum effectum. Sed ex materia et forma fit unum simpliciter. Ergo non potest esse quod sit aliud agens quod disponit materiam et quod inducit formam. Disponens autem materiam, est agens naturale. Ergo et inducens formam ; et sic formae non sunt per creationem, et ita creatio non admiscetur operibus naturae.

5. Les actions des divers agents ne se terminent pas un seul effet. Mais l'unit vient simplement de la matire et de la forme. Donc il est impossible que ce soit un agent diffrent qui dispose la matire et qui induit la forme. Mais en disposant la matire, il est agent naturel. Donc en induisant la forme aussi, et de mme que les formes n'existent pas par cration, de mme la cration nest pas mle aux uvres de la nature.

 

Rponse :

q. 3 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, circa istam quaestionem diversae fuerunt opiniones. Quarum omnium videtur radix fuisse unum et idem principium, secundum quod natura non potest ex nihilo aliquid facere.

A propos de cette question les opinions ont t diverses. La racine de toutes semble avoir t un seul et mme principe : la nature ne peut rien faire de rien.

A. - Ex hoc enim aliqui crediderunt quod nulla res fieret aliter nisi per hoc quod extrahebatur a re alia in qua latebat, sicut de Anaxagora narrat philosophus [in I Physic., com. 3 et 33], qui ex hoc videtur fuisse deceptus, quia non distinguebat inter potentiam et actum ; putabat enim oportere quod actu praeextiterit illud quod generatur. Oportet autem quod praeexistat potentia et non actu ; si enim non praeexisteret potentia, fieret ex nihilo ; si vero praeexisteret actu, non fieret : quia quod est, non fit.

A. Car partir de l, certains ont cru que rien nՎtait faite autrement quen tant tir dune chose en qui elle tait cache, comme le philosophe le raconte dAnaxagore[356] (Physique, I, 4, 187 a 26), qui semble avoir t tromp parce quil ne distinguait pas la puissance et lacte. Car il pensait quil fallait que ce qui est engendr prexiste en acte. Il faut aussi qu'il prexiste en puissance et non en acte. Car s'il ne prexistait pas en puissance, il serait fait de rien, mais sil prexistait en acte, il ne serait pas fait, parce que ce qui est ne se fait pas.

B. - Sed quia res generata est in potentia per materiam, et in actu per suam formam ; posuerunt aliqui, quod res fiebat quantum ad formam materia praeexistente. Et quia operatio naturae non potest esse ex nihilo, et per consequens oportet quod sit ex praesuppositione, non operabatur, secundum eos, natura, nisi ex parte materiae disponendo ipsam ad formam. Formam vero, quam oportet fieri et non praesupponi, oportet esse ex agente qui non praesupponit aliquid, sed potest ex nihilo facere : et hoc est agens supernaturale, quod Plato posuit datorem formarum. Et hoc Avicenna dixit esse intelligentiam ultimam inter substantias separatas.

B. Mais parce quun tre engendr est en puissance par la matire, et en acte par sa forme, certains ont pens que la chose tait faite, quant sa forme avec une matire prexistante. Et parce que lopration de nature ne peut pas exister partir de rien, et que par consquent, il faut quelle vienne de quelque chose de prsuppos, la nature noprait selon eux, qu' partir d'une partie de la matire, en la disposant la forme. Mais il faut que la forme soit faite et non prsuppose, et il faut que lՐtre vienne dun agent qui ne prsuppose rien, mais peut la faire de rien. Et cest un agent surnaturel que Platon a tabli comme donneur de formes. Et Avicenne a dit que cՎtait la dernire intelligence parmi les substances spares[357].

Quidam vero moderni eos sequentes, dicunt hoc esse Deum. Hoc autem videtur esse inconveniens. Quia cum unumquodque natum sit simile sibi agere (nam unumquodque agit in eo quod actu est, hoc scilicet quod est in potentia id quod agendum est), non requireretur similitudo secundum formam substantialem in agente naturali, nisi forma substantialis geniti esset per actionem agentis. Ex quo etiam id quod in genito acquirendum est, actu in generante naturali invenitur, et unumquodque agit secundum quod actu est ; inconveniens videtur, hoc generante praetermisso, aliud exterius inquirere.

C. Certains modernes[358] qui les suivent disent que c'est Dieu. Mais cela ne parat pas convenir. Parce que, comme chaque chose est destine faire du semblable soi[359] (car elle agit en ce qui est en acte, car il va de soi que ce qui est en puissance est ce qui doit tre fait), la ressemblance ne serait requise pour la forme substantielle dans lagent naturel que si celle de l'engendr venait de laction de lagent. D'o ce qui doit tre acquis dans l'engendr, c'est ce qui se trouve en acte dans le gniteur naturel. Chacun agit selon quil est en acte ; recourir un agent extrieur sans tenir compte de ce qui engendre, ne semble pas convenir.

D. - Unde sciendum est, quod istae opiniones videntur provenisse ex hoc quod ignorabatur natura formae, sicut et primae provenerunt ex hoc quod ignorabatur natura materiae. Forma enim naturalis non dicitur univoce esse cum re generata. Res enim naturalis generata dicitur esse per se et proprie, quasi habens esse, et in suo esse subsistens ; forma autem non sic esse dicitur, cum non subsistat, nec per se esse habeat ; sed dicitur esse vel ens, quia ea aliquid est ; sicut et accidentia dicuntur entia, quia substantia eis est vel qualis vel quanta, non quod eis sit simpliciter sicut per formam substantialem : unde accidentia magis proprie dicuntur entis, quam entia, ut patet in Metaphys. [lib. VII, comm. 21]

D. C'est pourquoi il faut savoir que ces opinions paraissent provenir de ce que la nature de la forme tait ignore, de mme que les premires opinions provenaient de ce que la nature de la matire tait ignore. Car on ne dit pas que la forme naturelle est univoque avec ce qui est engendr. Mais on dit que la chose naturelle engendre est par soi et proprement, comme ayant lՐtre, et subsistante en soi, mais on ne dit pas que ce nest pas ainsi quexiste la forme, puisquelle ne subsiste pas, et quelle na pas lՐtre par soi. Mais on lappelle tre ou tant, parce quelle est quelque chose, de mme qu'on appelle les accidents des tants, parce que la substance pour eux est qualit ou grandeur, non parce quelle existe absolument pour eux, comme par une forme substantielle ; c'est pourquoi les accidents sont plus proprement appels de l'tant que des tants, comme cela apparat en Mtaphysique VII, 1, 1028 a 35 - b 1[360]

Unumquodque autem factum, hoc modo dicitur fieri quo dicitur esse. Nam esse est terminus factionis : unde illud quod proprie fit per se, compositum est. Forma autem non proprie fit, sed est id quod fit, id est per cuius acquisitionem aliquid dicitur fieri. Nihil ergo obstat per hoc quod dicitur quod per naturam ex nihilo nihil fit, quin formas substantiales, ex operatione naturae esse dicamus. Nam id quod fit, non est forma, sed compositum ; quod ex materia fit, et non ex nihilo. Et fit quidem ex materia, in quantum materia est in potentia ad ipsum compositum, per hoc quod est in potentia ad formam. Et sic non proprie dicitur quod forma fiat in materia, sed magis quod de materiae potentia educatur.

On dit que chaque chose faite est faite de la manire par laquelle on la dit exister. Car lՐtre est le terme du faire : c'est pourquoi ce qui est fait par soi proprement parler est compos. Mais la forme nest pas faite proprement parler, mais elle est ce qui est fait, cest--dire par l'acquisition de ce dont on dit qu'elle est faite[361]. Donc rien n'empche, du fait quon dit que rien nest fait de rien par nature, de dire que les formes substantielles viennent de lopration de la nature. Car ce qui est fait, ce nest pas la forme, mais le compos, qui est fait de matire et non de rien. C'est fait de matire, dans la mesure o celle-ci est en puissance pour ce compos mme, parce qu'elle est en puissance pour la forme. Et ainsi ce nest pas proprement quon dit que la forme est faite dans la matire, mais elle est plutt tire de la puissance de la matire.

Ex hoc autem ipso quod compositum fit, et non forma, ostendit philosophus [in VII Metaph., text. 26 et 27], quod formae sunt ex agentibus naturalibus : nam, cum factum oporteat esse simile facienti, ex quo id quod factum est, est compositum, oportet id quod est faciens, esse compositum, et non forma per se existens, ut Plato dicebat ; ut sic sicut factum est compositum, quo autem fit, est forma in materia in actum reducta ; ita generans sit compositum, non forma tantum ; sed forma sit quo generat : forma, inquam, in hac materia existens, sicut in his carnibus et in his ossibus et in aliis huiusmodi.

Du fait que cest le compos qui est fait et non la forme, le philosophe montre (Mtaphysique VII, 8, 1033 a 24 - b 8 8, 1034 b 7-16[362]) :que les formes proviennent des agents naturels. Car, comme ce qui est fait doit ressembler ce qui le fait, du fait quil a t fait, il est compos, il faut que celui qui le fait soit compos et non une forme existante en soi, comme Platon le disait[363], de sorte que, de mme que ce qui a t fait est un compos, par quoi il est fait, il y a une forme dans la matire ramene lacte ; de mme celui qui engendre serait un compos et non une forme seulement. Mais la forme serait par quoi il engendre ; la forme, dis-je, qui existe dans cette matire, comme dans ces chairs et ces os[364], etc..

 

Solutions :

q. 3 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex verbis Augustini in operibus naturae creatio Deo attribuitur ratione virtutum naturalium, quas in principio materiae indidit per opus creationis, non quod in quolibet naturae opere aliquod creetur.

 1. Par ces paroles dAugustin, la cration, dans les oprations de nature, est attribue Dieu, en raison des pouvoirs naturels quil a introduits au commencement de la matire[365] par luvre de cration, non parce quil cre quelque chose dans n'importe quelle uvre de nature.

q. 3 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio proprie accipitur in verbis Augustini ; non tamen referenda est ad effectus naturae, sed ad virtutes quibus natura operatur ; quae per opus creationis naturae sunt inditae.

 2. Dans ces paroles, Augustin prend la cration au sens propre ; elles ne doivent pas cependant tre rapportes aux effets de nature, mais aux pouvoirs par lesquels la nature opre, qui sont introduits dans la nature par lopration de la cration.

q. 3 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia, cum non sit forma subsistens, nec esse nec fieri ei proprie per se competit : unde non proprie creatur per modum illum quo substantiae per se subsistentes creantur. Infusio tamen gratiae accedit ad rationem creationis in quantum gratia non habet causam in subiecto, nec efficientem, nec talem materiam in qua sit hoc modo in potentia, quod per agens naturale educi possit in actum, sicut est de aliis formis naturalibus.

 3. Il ne convient pas la grce, puisqu'elle n'est pas une forme subsistante, d'exister ni dՐtre faite rellement par soi. C'est pourquoi, elle nest pas proprement cre la manire dont les substances subsistantes par soi sont cres. Cependant linfusion de la grce touche la notion de cration, dans la mesure o elle na pas de cause efficiente dans le sujet, ni telle matire en laquelle elle serait ainsi en puissance, ce qui pourrait tre amene lacte par lagent naturel comme pour les autres formes naturelles.

q. 3 a. 8 ad 4 Unde patet solutio ad quartum. Nam cum dicitur aliquid fieri ex nihilo, negatur causa materialis. Hoc vero aliquo modo ad carentiam materiae pertinet, quod aliqua forma de naturali materiae potentiae educi non potest.

 4. Ainsi parat la solution la 4e objection. Car, lorsqu'on dit que quelque chose est fait de rien, on nie la cause matrielle. Quune forme ne puisse pas tre tire de la puissance naturelle de la matire, cela concerne, dune certaine manire, une carence de la matire.

q. 3 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet in natura non inveniatur principium efficiens respectu formarum artificialium, tamen huiusmodi formae non excedunt naturae ordinem, sicut gratia ; immo infra subsistunt, quia omne naturale est nobilius quam artificiale.

 5. Quoiquon ne trouve pas dans la nature de principe efficient en rapport avec les formes artificielles, cependant de telles formes ne dpassent pas lordre de la nature, comme la grce. Bien au contraire, elles se situent au-dessous, parce que ce qui est naturel est plus noble que ce qui est artificiel.

q. 3 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ex hoc quod forma non habet materiam partem sui, sequeretur quod ei creari competeret, ei proprie fieri posset sicut res per se subsistens.

 6. Il dcoulerait, du fait que la forme na pas de partie matrielle, qu'il lui conviendrait d'tre cre, cela pourrait proprement parler tre fait comme une chose subsistante par soi.

q. 3 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet anima rationalis habeat materiam in qua sit, non tamen educitur de potentia materiae, cum eius natura supra omnem materialem ordinem elevetur : quod eius intellectualis operatio declarat. Et iterum haec forma est res per se subsistens, cum corrupto corpore, maneat.

7. Bien que lՉme raisonnable ait une matire en laquelle elle se situe, elle ne sort cependant pas de la puissance de la matire, puisque sa nature s'lve au-dessus de tout lordre de la matire, ce que montre son opration intellectuelle. Et de plus cette forme est une chose subsistante en soi, puisquelle demeure aprs la corruption du corps.

q. 3 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod forma, quae est generationis terminus, erat in materia ante generationem completam, non in actu, sed in potentia. Non est autem inconveniens duorum contrariorum unum esse actu et aliud in potentia.

 8. La forme, qui est le terme de la gnration, tait dans la matire avant la gnration complte, non en acte mais en puissance. Mais il ny a pas d'inconvnient que lun des deux contraires soit en acte et lautre en puissance.

q. 3 a. 8 ad 9 Et per hoc patet responsio ad nonum. Nam Anaxagoras non ponebat formas actu praeexistere in materia, sed latere.

 9. Et par l apparat la rponse la 9e objection. Car Anaxagore ne pensait pas que les formes prexistaient en acte dans la matire mais quelles y taient caches.

q. 3 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod forma praeexistit in materia imperfecte ; non quod aliqua pars eius sit ibi in actu, et alia desit ; sed quia tota praeexistit in potentia, et postmodum tota producitur in actu.

 10. La forme prexiste dans la matire de faon imparfaite, non parce quune de ses parties y est en acte et que lautre manque, mais parce quelle prexiste tout entire en puissance et ensuite elle est amene toute entire acte.

q. 3 a. 8 ad 11 Et per hoc etiam patet responsio ad undecimum ; patet enim quod non perficitur esse formae in materia alio exteriori addito, quod in potentia materiae non esset.

 11. Et par l parat la rponse la 11e objection, car il est clair que lՐtre de la forme dans la matire n'est pas achev par une chose extrieure ajoute, qui ne serait pas dans la puissance de la matire.

q. 3 a. 8 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod esse in potentia et esse in actu non dicunt diversos modos accidentales, ex quorum diversitate alteratio proveniat, sed substantiales. Nam etiam substantia dividitur per potentiam et actum, sicut et quodlibet aliud genus.

 12. LՐtre en puissance et lՐtre en acte nindiquent pas diffrents modes accidentels de la diversit desquelles proviendraient laltration, mais ils indiquent des modes substantiels. Car la substance aussi se divise en puissance et en acte, comme nimporte quel autre genre.

q. 3 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod forma accidentalis agit in virtute formae substantialis quasi instrumentum eius ; sicut etiam in II de Anima [com. 50] calor ignis dicitur esse instrumentum virtutis nutritivae ; et ideo non est inconveniens, si actio formae accidentalis ad formam substantialem terminetur.

 13. La forme accidentelle agit dans le pouvoir de la forme substantielle comme son instrument. Ainsi, on dit dans le livre De L'me (II, 4, 416 a 10[366]) que la chaleur du feu est linstrument du pouvoir nutritif, cest pourquoi il n'y a pas d'inconvnient si laction dune forme accidentelle se termine la forme substantielle.

q. 3 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod etiam in semine calor seminis agit ut instrumentum virtutis animae, quae est in semine : quae quidem licet imperfecta sit, tamen est impressio quaedam animae perfectae relicta : est enim in semine ab anima generantis, et agit etiam in virtute corporis caelestis cuius est quasi instrumentum ; et propter hoc non dicitur quod semen generet, sed quod anima et sol.

 14. La chaleur de la semence agit aussi en celle-ci comme linstrument du pouvoir de lՉme qui est en elle. Quoiquelle soit imparfaite, cependant elle est l'empreinte laisse par une me parfaite. Car elle est dans la semence par lՉme de celui qui engendre et elle agit aussi dans le pouvoir du corps cleste dont elle est comme linstrument et cause de cela on ne dit pas que la semence engendre, mais que cest lՉme et le soleil qui engendrent.

q. 3 a. 8 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod animalia generata ex putrefactione sunt minoris perfectionis aliis animalibus ; unde in eorum generatione efficit vis caelestis corporis inferiori materiae impressa, quod in generatione animalium perfectorum facit eadem vis caelestis cum virtute seminis.

 15. Les animaux engendrs de la putrfaction sont dune moindre perfection que les autres. C'est pourquoi dans leur gnration, la puissance dun corps cleste imprime dans une matire infrieure, produit ce que dans la gnrations des animaux parfaits la mme force cleste accomplit avec le pouvoir de la semence.

q. 3 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet mulus non sit similis equo vel asino in specie, est tamen similis in genere proximo : ratione cuius similitudinis ex diversis speciebus sua species, quasi media generatur.

 16. Bien que le mulet ne soit semblable ni au cheval ni lՉne selon lespce, il est cependant semblable [parce que] dans un genre trs proche. En raison de cette ressemblance, son espce est engendre d'espces diffrentes, pour ainsi dire intermdiaires.

q. 3 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod sicut virtus divina, scilicet primum agens, non excludit actionem virtutis naturalis, ita nec prima exemplaris forma, quae est Deus, excludit derivationem formarum ab aliis inferioribus formis, quae ad sibi similes formas agunt.

 17. De mme que le pouvoir divin, cest--dire le premier agent nexclut pas laction dun pouvoir naturel, de mme, la premire forme exemplaire, qui est Dieu, n'exclut pas l'manation des formes d'autres formes infrieures, qui agissent pour des formes qui leur sont semblables.

q. 3 a. 8 ad 18 Et per hoc patet responsio ad decimumoctavum. Nam Boetius [loc. cit.], intelligit formas quae sunt in materia, provenire ex formis quae sunt sine materia, sicut a primis exemplaribus, non sicut a proximis.

 18. Et ainsi apparat la rponse la 18e objection car Boce (loc. cit.) comprend que les formes qui sont dans la matire proviennent des formes sans matires, comme si elles venaient des premiers exemplaires, mais pas comme des plus proches.

q. 3 a. 8 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod esse per creationem dicitur, in quantum omnis causa secunda dans esse, hoc habet in quantum agit in virtute primae causae creantis ; cum esse sit primus effectus nihil aliud praesupponens.

 19. On parle d'exister par cration, dans la mesure o toute cause seconde qui donne lՐtre, a ce pouvoir, en tant qu'elle agit dans celui de la cause premire cratrice, puisque lՐtre est le premier effet qui ne prsuppose rien dautre.

q. 3 a. 8 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod forma naturalis, quae est in materia, non potest reduci ad formam per se existentem eiusdem speciei, cum forma naturalis habeat materiam in sui ratione ; sed reducitur ad formam per se existentem, sicut dictum est.

 20. La forme naturelle, qui est dans la matire, ne peut tre ramene une forme dune mme espce, existant par soi, puisque elle possde la matire dans sa nature, mais elle est ramene une forme qui existe par soi, comme on la dit.

 

 

 

Article 9 L'me rationnelle est-elle amene l'tre par cration, ou par transmission de la semence ?

q. 3 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum anima rationalis educatur in esse per creationem, vel per seminis traductionem. Et videtur quod propagetur cum semine.

Il semble qu'elle est transmise avec la semence.

 

Objections :[367]

q. 3 a. 9Arg. 1 Dicitur enim Gen. XLVI, 26 : cunctae animae quae ingressae sunt cum Iacob in Aegyptum, et egressae sunt de femore illius, absque uxoribus filiorum eius, sexaginta sex. Sed nihil egreditur de femore patris, nisi per seminis traductionem. Ergo anima rationalis traducitur cum semine.

1. Car on dit dans la Gense (46, 26) : "Toutes les mes qui sont entres avec Jacob en gypte et sont sorties de sa cuisse, sans compter les pouses de ses fils, taient soixante six." Mais rien ne sort de la cuisse du pre que par la transmission de la semence. Donc l'me rationnelle est transmise avec la semence.

q. 3 a. 9Arg. 2 Sed diceretur, quod ponitur pars pro toto, id est anima pro homine - sed contra, homo est quid compositum ex anima et corpore. Si ergo totus homo ex femore patris egreditur, non solum corpus, sed etiam anima cum semine traducetur, ut prius.

2. Mais on pourrait dire qu'on prend la partie pour le tout, c'est--dire l'me pour l'homme. - En sens contraire, l'homme est compos d'une me et d'un corps. Si donc tout l'homme sort de la cuisse du pre, non seulement le corps mais aussi l'me est transmise avec la semence, comme on l'a dit ci-dessus.

q. 3 a. 9Arg. 3 Praeterea, accidens traduci non potest nisi subiectum traducatur, eo quod accidens de subiecto in subiectum non transeat. Sed anima rationalis est subiectum peccati originalis. Cum ergo peccatum originale traducatur a parente in prolem, videtur etiam quod anima rationalis filii a parente traducatur.

3. L'accident ne peut tre transmis que si le substrat est transmis, parce que l'accident ne passe pas dun substrat un autre. Mais l'me rationnelle est le substrat du pch originel. Donc comme celui-ci est transmis par les parents leur descendance, il semble que l'me rationnelle du fils est transmise par les parents[368].

q. 3 a. 9Arg. 4 Sed diceretur, quod peccatum originale, licet sit in anima sicut in subiecto, est tamen in carne sicut in causa ; unde per carnis traductionem traducitur.- Sed contra, Rom. V, 12, dicitur : peccatum per unum hominem in mundum intravit, et per peccatum mors : et ita mors in omnes pertransit, in quo omnes peccaverunt. Glossa autem exponit : in quo homine peccatore, vel in quo peccato. Non autem in illo peccato omnes peccassent, nisi illud unum peccatum in omnes traductum fuisset. Illud ergo unum peccatum quod in Adam fuit, in omnes traducitur ; et sic anima illius, quae peccati subiectum erat, traducitur in omnes.

4. Mais on pourrait dire que, bien que le pch originel soit dans l'me comme dans un substrat, il est cependant dans la chair comme dans sa cause. C'est pourquoi il est transmis par la chair.- En sens contraire : on lit en Rm. 5, 12 : Par un seul homme le pch est entr dans le monde, et par le pch la mort. Et ainsi la mort passe en tous, en lui tous ont pch. Mais la glose (Augustin, Les mrites et la rmission des pchs, 10) explique : Dans l'homme pcheur ou dans le pch. Mais tous n'auraient pch en lui que si cet unique pch avait t transmis en tous. Donc cet unique pch qui fut en Adam, est transmis en tous ; et ainsi son me qui avait t soumise au pch, est transmise tous.

q. 3 a. 9Arg. 5 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed omne agens agit per virtutem formae. Ergo illud quod agit agens, est forma. Sed generans agens est. Ergo forma generati est per actionem generantis. Cum ergo homo generet hominem, et anima rationali sit forma hominis ; videtur quod anima rationalis sit per generationem, et non per creationem.

5. Tout agent fait du semblable soi. Mais tout agent agit par le pouvoir de la forme. En consquence, ce que l'agent fait, est forme. Mais le gniteur est un agent. Aussi la forme de l'engendr vient par son action. Donc, puisque l'homme engendre l'homme et que la forme de l'homme existe par l'me rationnelle, il semble que celle-ci viendrait par gnration et non par cration.

q. 3 a. 9Arg. 6 Praeterea, secundum philosophum in II Phys., causa efficiens in suo effectu incidit in idem specie. Sed homo sortitur speciem per animam rationalem. Ergo videtur quod id quod facit generans in genito, sit anima rationalis.

6. Selon le philosophe (Physique, II, 7, 198 a 25[369]) la cause efficiente arrive en son effet, dans ce qui est identique en espce. Mais l'homme reoit l'espce par l'me rationnelle. Donc il semble que ce que produit le gniteur dans l'engendr soit l'me rationnelle.

q. 3 a. 9Arg. 7 Praeterea, filii similantur parentibus propter hoc quod a parentibus propagantur. Similantur autem parentibus filii, non solum quantum ad dispositiones corporales, sed etiam quantum ad dispositiones animae. Ergo sicut corpora a corporibus, ita animae ab animabus traducuntur.

7. Les fils ressemblent leurs parents, parce qu'ils sont transmis par eux. Les fils ressemblent aux parents non seulement quant aux dispositions corporelles mais aussi quant celles de l'me. Donc, comme les corps sont transmis par les corps, les mes le sont par les mes.

q. 3 a. 9Arg. 8 Praeterea, Moyses dicit, Levit. XVII, 11 : anima carnis in sanguine est. Sed sanguis cum semine traducitur : praecipue cum sperma non sit nisi sanguis decoctus. Ergo et anima cum semine traducitur.

8. Mose dit (Lv. 17, 11) : L'me de la chair est dans le sang. Mais le sang est transmis avec la semence ; surtout puisque que le sperme n'est que du sang cuit[370]. Donc l'me est transmise avec la semence.

q. 3 a. 9Arg. 9 Praeterea, embrio antequam anima rationali perficiatur, habet aliquam operationem animae ; quia augetur et nutritur et sentit. Sed operatio animae non est sine vita. Ergo vivit. Vitae vero corporis principium est anima. Ergo habet animam. Sed non potest dici quod adveniat ei alia anima ; quia tunc in uno corpore essent duae animae. Ergo ipsa anima quae prius erat in semine propagata, est anima rationalis.

9. L'embryon avant d'tre achev par l'me rationnelle, possde l'opration d'une me ; parce qu'il grandit, se nourrit et prouve des sensations. Mais l'opration de l'me n'existe pas sans la vie. Donc il vit. Mais le principe de la vie du corps est l'me. Donc il a une me. Mais on ne peut pas dire qu'il lui arrive une autre me, parce que, alors, dans un seul corps, il y aurait deux mes. Donc l'me mme qui avait t d'abord propage dans la semence est l'me rationnelle.

q. 3 a. 9Arg. 10 Praeterea, diversae animae secundum speciem, constituunt diversas animas secundum speciem. Si ergo in semine ante ipsam animam rationalem erat anima quae non erat rationalis, erat ibi animal secundum speciem diversum ab homine ; et sic ex illo non poterit homo fieri ; quia diversae species animalis non transeunt in invicem.

10. Les mes diffrentes en espce constituent des mes diffrentes en espce. Si donc dans la semence, avant l'me rationnelle mme, il y en avait une qui ne soit pas raisonnable, il y aurait l un animal diffrent de l'homme en espce et ainsi il ne sera pas possible quil devienne un homme, parce que les diffrentes espces animales ne passent pas de l'une l'autre.

q. 3 a. 9Arg. 11 Sed dices, quod huiusmodi operationes animae non conveniunt embrioni per animam, sed per aliquam virtutem animae, quae dicitur virtus formativa.- Sed contra, virtus supra substantiam radicatur ; unde ponitur media inter substantiam et operationem, ut habetur a Dionysio. Si ergo est ibi virtus animae, erit ibi animae substantia.

11. Mais on pourrait dire que de telles oprations de l'me n'arrivent pas l'embryon par l'me mais par quelque puissance de l'me, appele puissance formative - En sens contraire, la puissance s'enracine sur la substance. C'est pourquoi elle est place entre la substance et l'opration, comme on le lit chez Denys (La Hirarchie cleste, ch. 11, 284 D). Si donc il y a l la puissance de l'me, il y aura l sa substance.

q. 3 a. 9Arg. 12 Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod embrio prius vivit quam animal, et prius animal quam homo. Sed omne animal habet animam. Ergo prius est ibi aliqua anima quam sit ibi anima rationalis per quam homo est homo.

12. Le philosophe (Les animaux XVI, 3 La gnration animale II, 3) dit que l'embryon vit avant l'animal et l'animal avant l'homme. Mais tout animal a une me. Donc il y a l une me avant qu'il y ait l'me rationnelle par laquelle l'homme est homme.

q. 3 a. 9Arg. 13 Praeterea, secundum philosophum, anima est actus viventis corporis in quantum huiusmodi. Sed si embrio vivit, et operationem vitae exercet per huiusmodi virtutem formativam, ipsa virtus erit actus eius in quantum est vivens. Ergo erit anima.

13. Selon le philosophe (L'me, II, 4, 415 b 7[371]) l'me est l'acte du corps vivant en tant que tel. Mais si l'embryon vit et exerce l'opration de vie par une telle puissance formative, celle-ci mme sera son acte en tant qu'il est vivant. Donc elle sera l'me.

q. 3 a. 9Arg. 14 Praeterea, ut dicitur in I de anima, vivere inest omnibus viventibus per animam vegetabilem. Sed manifestum est embrionem vivere ante infusionem animae rationalis, cum in eo operationes vitae inveniantur. Ergo est ibi anima vegetabilis antequam sit anima rationalis.

14. Comme on le dit (L'me, I, 5, 411 b 28[372]), la vie est dans tous les vivants par l'me vgtative. Mais il est vident que l'embryon vit avant l'infusion de l'me rationnelle, puisqu'on trouve en lui les oprations vitales. Donc il a une me vgtative avant l'me rationnelle.

q. 3 a. 9Arg. 15 Praeterea, in II de anima, improbat philosophus quod augeri non est actus ignis sicut principalis agentis, sed magis animae vegetabilis. Sed embrio ante adventum animae rationalis augetur. Ergo habet animam vegetabilem.

15. Dans L'me (II, 4, 416 a 10[373]) Aristote prouve que la croissance n'est pas un acte du feu, comme principal agent, mais plutt celui de l'me vgtative. Or l'embryon grandit avant l'arrive de l'me rationnelle. Donc il possde une me vgtative.

q. 3 a. 9Arg. 16 Praeterea, si non est ibi anima vegetabilis ante adventum animae rationalis, sed virtus formativa ; adveniente anima, illa virtus suam operationem non habebit ; cum operatio quam illa virtus faciebat in embrione, sufficienter postmodum fiat in animali per animam. Ergo erit ibi otiosa ; quod videtur esse inconveniens, cum nihil sit otiosum in natura.

16. S'il n'y a pas d'me vgtative avant l'arrive de l'me rationnelle, mais une puissance formatrice, son arrive, ce pouvoir n'exercera plus son opration, puisque l'opration que cette puissance exerait dans l'embryon, est faite ensuite avec suffisance par l'me dans l'animal. Donc elle y sera inutile, ce qui ne parat pas convenir, puisqu'il n'y a rien d'inutile dans la nature.

q. 3 a. 9Arg. 17 Sed dices, quod illa virtus destruitur adveniente anima rationali.- Sed contra, dispositiones non destruuntur adveniente forma, sed manent, et quodammodo tenent formam in materia. Sed illa virtus erat quaedam dispositio ad animam. Ergo adveniente anima, illa virtus non destruitur.

17. Mais on pourrait dire que cette puissance est dtruite quand arrive l'me rationnelle. - En sens contraire, les dispositions ne sont pas dtruites quand arrive la forme, mais elles demeurent, et d'une certaine manire, elles maintiennent la forme dans la matire. Mais cette puissance tait une disposition pour l'me. Donc quand arrive l'me, elle n'est pas dtruite.

q. 3 a. 9Arg. 18 Praeterea, ex actione illius virtutis pervenitur ad introductionem animae. Si ergo anima adveniente illa virtus destruitur, videtur quod aliquid agat ad sui destructionem ; quod est impossibile.

18. Par l'action de cette puissance, on parvient l'introduction de l'me. Si donc, quand l'me arrive, cette puissance est dtruite, il semble que quelque chose agisse pour sa destruction, ce qui est impossible.

q. 3 a. 9Arg. 19 Praeterea, homo est homo per animam rationalem. Si ergo anima non exit in esse per generationem, nec erit verum dicere quod homo generetur ; quod patet esse falsum.

19. L'homme est homme par son me rationnelle. Si donc l'me ne vient pas l'existence par gnration, il ne sera pas vrai de dire que l'homme est engendr, ce qui parat faux.

q. 3 a. 9Arg. 20 Praeterea, corpus hominis exit in esse per actionem generantis. Si ergo anima non exit in esse a generante, erit in homine duplex esse ; unum corporis, quod facit generans ; et aliud animae, quod non facit ; et sic ex anima et corpore non fit unum simpliciter, cum secundum esse differant.

20. Le corps de l'homme vient l'existence par l'action de celui qui l'engendre. Si donc l'me ne vient pas l'existence par lui, il y aura deux tres dans l'homme : celui du corps que fait celui qui engendre, et celui de l'me qu'il ne fait pas. Et ainsi ce nest absolument pas un tre unique fait de l'me et du corps, mais ils diffrent selon l'tre.

q. 3 a. 9Arg. 21 Praeterea, impossibile est quod actio unius agentis terminetur ad materiam, et alterius ad formam ; alias ex forma et materia non esset unum simpliciter, cum unum factum sit per unam actionem. Sed actio naturae generantis terminatur ad corpus. Ergo et terminatur ad animam, quae est forma eius.

21. Il est impossible que l'action d'un agent se termine la matire, et celle d'un autre la forme[374]. Autrement partir de la forme et de la matire il n'y aurait pas un tre absolument unique ; puisque l'objet unique est fait par une action unique. Mais l'action de la nature qui engendre se termine au corps. Donc elle se termine aussi l'me qui en est la forme.

q. 3 a. 9Arg. 22 Praeterea, secundum philosophum in libro XVI de animalibus, principia quorum actiones non sunt sine corpore, cum corpore producuntur. Sed actio animae rationalis non est sine corpore ; maxime enim intelligere esset sine corpore, quod patet esse falsum ; non enim est intelligere sine phantasmate, ut dicitur in I et III de anima ; phantasma autem non est sine corpore. Ergo anima rationalis cum corpore traducitur.

22. Selon le philosophe, (Les animaux, livre 16 La gnration des animaux, II, ch. 3) les principes dont les actions ne sont pas sans corps, sont produits avec lui. Mais l'action de l'me rationnelle n'est pas sans le corps ; car l'intellection en particulier se produirait sans corps, ce qui est videmment faux. Car l'intellection ne se fait pas sans images,(phantasma), comme on le dit (De l'me I et III). Il n'y a pas d'image sans corps. Donc l'me rationnelle est transmise avec le corps.

q. 3 a. 9Arg. 23 Sed dicebat, quod anima rationalis indiget phantasmate intelligendo quantum ad acquisitionem specierum intelligibilium, non autem postquam eas iam acquisivit.- Sed contra, homo postquam acquisivit scientiam, impeditur in actione intellectus laeso organo phantasiae. Hoc autem non esset, si intellectus post acquisitionem scientiae, phantasmatibus non indigeret. Indiget ergo eis non solum in acquirendo scientiam, sed in utendo scientia acquisita.

23. Mais on pourrait dire que l'me rationnelle a besoin d'images dans l'intellection pour l'acquisition des espces intelligibles, mais non aprs qu'elle les a acquises. - En sens contraire, aprs avoir acquis la connaissance, l'homme est empch dans l'action de son intellect quand l'organe de l'imagination est bless. Mais cela n'existerait pas si l'intellect, aprs l'acquisition de la science, n'avait pas besoin d'images. Donc il en a besoin, non seulement pour acqurir la connaissance, mais encore pour l'utiliser une fois acquise.

q. 3 a. 9Arg. 24 Sed dices, quod impedimentum operationis intellectualis ex laesione organi phantasiae provenit non ex hoc quod intellectus indigeat phantasmatibus in utendo scientia acquisita, sed ex hoc quod imaginatio et intellectus sunt in una essentia animae : unde per accidens, imaginatione impedita, impeditur et intellectus.- Sed contra est quod coniunctio potentiarum in una essentia animae est causa quare quando una potentiarum intenditur in suo actu, alterius actus remittitur ; sicut quando aliquis attente videt, minus attente audit ; et est etiam causa quare una potentiarum cessante a suo actu, alia in suo actu roboratur ; unde caeci plerumque acutius audiunt. Non ergo propter huiusmodi coniunctionem contingeret quod propter impedimentum potentiae imaginativae impediretur actio intellectus, sed magis roboraretur.

24. Mais on pourrait dire que l'empchement de l'opration intellectuelle par la lsion de l'imagination provient, non de ce que l'intellect a besoin d'images en utilisant la science acquise, mais de ce que l'imagination et l'intellect sont dans l'unique essence de l'me. C'est pourquoi, par accident, si l'imagination est empche, l'intellect aussi. - En sens contraire, la conjonction des puissances dans l'unique essence de l'me est la raison pour laquelle, quand une des puissance est tendue son action, l'acte de l'autre est relche. Ainsi quand quelqu'un regarde attentivement, il coute moins attentivement et c'est aussi la raison pour laquelle, quand une des puissance cesse son action, l'autre est renforce dans la sienne. C'est pourquoi les aveugles la plupart du temps entendent mieux. Donc ce n'est pas cause d'une telle conjonction qu'il arriverait que l'action de l'intellect serait empche par un blocage de la puissance imaginative, mais elle serait plutt renforce.

q. 3 a. 9Arg. 25 Praeterea, quicumque dat ultimum complementum operationi alicui, ille maxime operanti cooperatur. Sed si omnes animae humanae creantur a Deo, et ab ipso corporibus infunduntur, ipse dat ultimum complementum generationi quae est ex adulterio. Ergo ipse cooperabitur adulteris ; quod videtur absurdum.

25. Quiconque donne un dernier complment une opration coopre au maximum avec celui qui opre. Mais si toutes les mes humaines sont cres par Dieu et sont infuses par lui dans les corps, il donne un dernier complment la gnration qui provient d'un adultre. Donc lui-mme cooprera l'adultre, ce qui parat absurde[375].

q. 3 a. 9Arg. 26 Praeterea, secundum philosophum, perfectum unumquodque est quod potest sibi simile facere. Quanto ergo aliquid est perfectius, tanto magis potest sibi simile facere. Sed animae rationales sunt perfectiores materialibus formis elementorum, quae sibi similes formas producunt. Ergo virtute animae rationalis poterit anima rationalis produci per viam generationis.

26. Selon le philosophe, (Les mtores, IV, 3, 380 a 11-15, L'me II, 4, 415 a 26[376]) est parfait tout ce qui peut faire quelque chose de semblable soi. Donc, plus une chose est parfaite, plus elle peut faire du semblable elle. Mais les mes rationnelles sont plus parfaites que les formes matrielles des lments qui produisent des formes semblables elles. Donc par sa puissance, elle pourra tre produite par gnration.

q. 3 a. 9Arg. 27 Praeterea, anima rationalis constituta est inter Deum et res corporales media ; unde in libro de causis dicitur, quod est creata in horizonte aeternitatis et temporis. Sed in Deo generatio invenitur, similiter in rebus corporalibus. Ergo et anima, quae est media, per generationem producitur.

27. L'me rationnelle est tablie intermdiaire entre Dieu et les corps. C'est pourquoi, dans le Livre des Causes, (prop. 2[377]), on dit qu'elle a t cre la limite de l'ternit et du temps. Mais on trouve la gnration en Dieu, et de la mme manire dans les corps. Donc l'me qui est intermdiaire est produite par gnration.

q. 3 a. 9Arg. 28 Praeterea, philosophus in XVI de animalibus dicit, quod spiritus qui exit cum spermate, est virtus principii animae et est res divina ; et tale dicitur intellectus ; et ita videtur quod intellectus propagetur cum semine.

28. Le philosophe, au ch. 16, Des animaux (La gnration animale, c. 3) dit que l'esprit[378] qui sort avec le sperme est la puissance du principe de l'me et est chose divine, et on en dit autant de l'intellect et ainsi il semble transmis avec la semence.

q. 3 a. 9Arg. 29 Praeterea, in eodem Lib., philosophus dicit, quod in generatione femina dat corpus, et anima est ex mare ; et ita videtur quod anima sit per seminis propagationem, et non per creationem.

29. Dans le mme livre, (ch. 4), le philosophe dit que dans la gnration, la femelle donne le corps et l'me vient du mle et ainsi il semble que l'me vient de la propagation de la semence et non par cration.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Isai. LVII, vers. 16 : omnem flatum ego feci. Per flatum autem intelligitur anima. Ergo videtur quod anima creetur a Deo.

1. Il y a ce que dit Isae, 57, 16 : C'est moi qui ai fait tout souffle. Par souffle on comprend l'me. Donc il semble que l'me est cre par Dieu.

q. 3 a. 9 s. c. 2 Praeterea, in Psal. XXXII, 15, dicitur : qui finxit singillatim corda eorum. Non ergo una anima propagatur ex alia, sed omnes seorsum creantur a Deo.

2. Au Ps. 32, 15, on dit : Il a fix un un leurs curs. Donc l'me n'est pas propage partir d'une autre, mais toutes sont cres sparment par Dieu.

 

Rponse :

q. 3 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod, circa hanc quaestionem antiquitus diversa dicebantur a diversis. Quidam namque dicebant, animam filii ex parentis anima propagari, sicut et corpus propagatur ex corpore. Alii vero dicebant, omnes animas seorsum creari ; sed ponebant a principio eas extra corpora fuisse creatas simul, et post modum corporibus seminatis coniungebantur, vel proprio motu voluntatis, secundum quosdam, vel Deo mandante et faciente, secundum alios.

Il faut dire, propos de cette question que, dans l'antiquit, divers penseurs ont mis diverses opinions. A) Car certains[379] disaient que l'me du fils est propage par l'me du pre, comme le corps est propag par le corps. B) D'autres disaient que toutes les mes sont cres sparment, mais ils pensaient qu'au commencement elles avaient t cres en mme temps hors des corps ; aprs ce stade, elles taient unies des corps ensemencs soit par le propre mouvement de leur volont selon certains, soit par ordre et agissement de Dieu, selon d'autres.

Alii vero dicebant, animas simul cum creantur, corporibus infundi.

C) D'autres disaient que les mes en mme temps qu'elles sont cres sont infuses dans les corps.

Alii vero dicebant, animas simul cum creantur, corporibus infundi. Quae quidem opiniones, quamvis aliquo tempore sustinerentur, et quae earum esset verior in dubium verteretur, ut patet ex Augustino, et in libris quos scribit de origine animae ; tamen primae duae postmodum iudicio Ecclesiae sunt damnatae, et tertia approbata ; unde dicitur in Lib. de ecclesiasticis dogmatibus : animas hominum non esse ab initio inter ceteras intellectuales naturas, nec simul creatas credimus, sicut Origenes fingit ; neque cum corporibus per coitum seminantur, sicut Luciferiani et Cyrillus et aliqui Latinorum praesumptores affirmant. Sed dicimus corpus tantum per coniugii copulam seminari, ac formato iam corpore, animam creari et infundi.

D) Quoique ces opinions aient t soutenues quelque temps, on peut se demander laquelle est la plus vraie, comme cela parat chez Augustin dans La Gense au sens littral, (X, ch. 21 et 22) et dans ses livres crits sur L'origine de l'me. Cependant les deux premires opinions ont t condamnes par jugement de l'glise et la troisime approuve. D'o ce qu'on lit dans Les dogmes ecclsiastiques, ch. 13 : Nous croyons que les mes humaines ne sont pas au commencement parmi les autres natures intellectuelles et qu'elles n'ont pas t cres en mme temps comme Origne l'imagine. Et elles ne sont pas semes avec les corps dans l'union conjugale, comme les Lucifriens[380], Cyrille[381] et quelques penseurs latins l'affirment. Mais nous disons que le corps seulement est sem par l'union conjugale et quand le corps est dj form, l'me est cre et infuse[382]..

Diligenter autem consideranti apparet rationabiliter illam opinionem esse damnatam quae ponebat animam rationalem cum semine propagari, de qua nunc est quaestio. Et hoc tribus rartionibus potest videri ad praesens.

A celui qui examine le problme avec attention, il apparat raisonnablement que doit tre condamne cette opinion qui tablissait que l'me rationnelle est propage avec la semence, [opinion] dont il est maintenant question. Et on peut le voir pour trois raisons.

prima est, quia rationalis anima in hoc a ceteris formis differt, quod aliis formis non competit esse in quo ipsae subsistant, sed quo eis res formatae subsistant ; anima vero rationalis sic habet esse ut in eo subsistens ; et hoc declarat diversus modus agendi. Cum enim agere non possit nisi quod est, unumquodque hoc modo se habet ad operandum vel agendum, quomodo se habet ad esse ; unde, cum in operatione aliarum formarum necesse sit communicare corpus, non autem in operatione rationalis animae, quae est intelligere et velle ; necesse est ipsi rationali animae esse attribui quasi rei subsistenti, non autem aliis formis. Et ex hoc est quod inter formas, sola rationalis anima a corpore separatur.

1. Premire raison : L'me rationnelle diffre de toutes les autres formes du fait qu'il ne leur convient pas d'tre l o elles subsistent mais l o subsistent ce qui est inform en elles ; l'me rationnelle a un tre subsistant en soi ; et ses mode d'action diffrents le rvlent. En effet, comme ne pourrait agir que ce qui existe, chaque chose se comporte pour oprer ou agir de la manire dont elle se comporte vis--vis de l'tre. C'est pourquoi, comme dans l'opration des autres formes, il est ncessaire que le corps participe, mais pas dans l'opration de l'me rationnelle qui consiste penser (intelligere) et vouloir ; il est ncessaire d'attribuer l'tre l'me rationnelle en tant que subsistante, mais pas aux autres formes. Et de l vient que parmi les formes, seule l'me rationnelle est spare du corps.

Ex hoc ergo patet quod anima rationalis exit in esse, non sicut formae aliae, quibus proprie non convenit fieri, sed dicuntur fieri facto quodam. Sed res quae fit, proprie et per se fit. Quod autem fit, fit vel ex materia vel ex nihilo. Quod vero ex materia fit, necesse est fieri ex materia contrarietati subiecta. Generationes enim ex contrariis sunt, secundum philosophum : unde cum anima vel omnino materiam non habeat, vel ad minus non habeat materiam contrarietati subiectam, non potest fieri ex aliquo. Unde restat quod exeat in esse per creationem, quasi ex nihilo facta. Ponere autem quod per generationem corporis fiat, est ponere ipsam non esse subsistentem, et per consequens cum corpore corrumpi.

Et partir de l, il est clair que l'me rationnelle vient l'tre, non pas comme les autres formes pour lesquelles il ne convient pas proprement parler d'tre faites, mais on dit qu'elles sont faites de ce qui est fait. Mais ce qui est fait est proprement parler fait par soi. Ce qui est fait, est fait de matire ou de rien. Mais ce qui est fait de matire doit tre fait ncessairement d'une matire soumise la contrarit. Car les gnrations viennent des contraires selon le philosophe (La Gnration des animaux, livre 1, ch. 18). C'est pourquoi, comme l'me n'a absolument pas de matire ou du moins pas de matire soumise la contrarit, elle ne peut pas tre faite partir de quelque chose. Aussi, il reste qu'elle vient l'tre par cration, comme faite de rien. Mais penser qu'elle est faite par gnration du corps, c'est penser qu'elle n'est pas subsistante et par consquent qu'elle se corrompt avec le corps.

Secunda ratio est, quia impossibile est actionem corporeae virtutis ad hoc elevari quod virtutem penitus spiritualem et incorpoream causare possit ; nihil enim agit ultra suam speciem ; immo agens oportet esse praestantius patiente, secundum Augustinum. Generatio autem hominis fit per virtutem generativam, quae organum habet corporale ; virtus etiam quae est in semine, non agit nisi mediante calore, ut dicitur in XVI de animalibus ; unde, cum anima rationalis sit forma penitus spiritualis, non dependens a corpore nec communicans corpori in operatione, nullo modo per generationem corporis potest propagari, nec produci in esse per aliquam virtutem quae sit in semine.

2. Seconde raison : Il est impossible que l'action d'un pouvoir corporel soit lev pouvoir causer un pouvoir tout fait spirituel et incorporel ; car rien n'agit au del de son espce ; au contraire, il faut que l'agent soit plus important que le patient, selon Augustin (La Gense au sens littral, XII,16). La gnration de l'homme se fait par une puissance gnrative qui a un organe corporel, cette puissance, qui est dans la semence, n'agit que par l'intermdiaire de la chaleur, comme il est dit (Les animaux, 16, La gnration animale, ch.3). C'est pourquoi, comme l'me rationnelle est une forme tout fait spirituelle, qui ne dpend pas du corps, et ne participe en aucune manire avec lui son opration, elle ne peut tre propage par la gnration du corps, ni amene l'existence par un pouvoir qui serait dans la semence.

Tertia ratio est, quia omnis forma quae exit in esse per generationem, vel per virtutem naturae, educitur de potentia materiae, ut probatur in VII Metaph. Anima vero rationalis non potest educi de potentia materiae. Formae enim quarum operationes non sunt cum corpore, non possunt de materia corporali educi. Unde relinquitur quod anima rationalis non propagetur per virtutem generantis ; et haec est ratio Aristotelis.

3. Troisime raison : Toute forme qui vient l'tre par gnration, ou par le pouvoir de la nature est duite de la puissance de la matire, comme c'est prouv en Mtaphysique (VII, 1033 b 7[383]). Mais l'me rationnelle ne peut pas tre duite de la puissance de la matire. Car les formes dont les oprations ne dpendent pas du corps, ne peuvent pas tre tires de la matire corporelle. C'est pourquoi, il reste que l'me rationnelle n'est pas transmise par le pouvoir du gniteur et c'est la raison donne par Aristote (Les animaux, 16, ch. 2).

 

Solutions :

q. 3 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in auctoritate inducta per synecdochem ponitur pars pro toto, id est anima pro toto homine ; et hoc ideo quia anima est principalior pars hominis, et unumquodque totum videtur esse id quod est principalius in eo ; unde totus homo videtur esse anima vel intellectus, secundum quod dicitur in IX Ethic., cap. IV.

# 1. Dans l'autorit cite[384], on place par synecdoque la partie pour le tout, c'est--dire l'me pour l'homme entier et cela parce qu'elle en est la partie la plus importante et chaque ensemble parat tre est plus important en lui. C'est pourquoi, l'homme entier semble tre me ou intellect[385], selon ce qui est dit en thique, 9 ch. 4[386].

q. 3 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod totus homo egreditur de femore generantis, propter hoc quod virtus seminis de femore egredientis operatur ad unionem corporis et animae, disponendo materiam ultima dispositione, quae est necessitans ad formam ; ex qua unione homo habet quod sit homo ; non autem ita quod quaelibet pars hominis per virtutem seminis causetur.

# 2. L'homme entier sort de la cuisse du gniteur, parce que le pouvoir de la semence qui en sort travaille l'union de l'me et du corps, en plaant la matire dans une ultime disposition, ncessaire pour la forme. C'est de cette union que l'homme est un homme ; mais non de telle sorte que n'importe quelle partie de l'homme soit cause par le pouvoir de la semence.

q. 3 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum originale dicitur peccatum totius naturae, sicut peccatum actuale dicitur peccatum personale ; unde quae est comparatio peccati actualis ad unam personam singularem, eadem est comparatio peccati originalis ad totam naturam humanam traditam a primo parente, in quo fuit peccati initium et per cuius voluntatem in omnibus originale peccatum quasi voluntarium reputatur. Sic ergo originale peccatum est in anima in quantum pertinet ad humanam naturam. Humana autem natura traducitur a parente in filium per traductionem carnis, cui postmodum anima infunditur ; et ex hoc infectionem incurrit quod fit cum carne traducta una natura. Si enim non uniretur ei ad constituendam naturam, sicut Angelus unitur corpori assumpto, infectionem non reciperet.

# 3. Le pch originel est appel pch de toute la nature, comme le pch actuel est appel pch personnel. C'est pourquoi, la comparaison du pch actuel une personne particulire, est la mme que celle du pch originel la nature humaine toute entire transmise par le premier pre, en qui fut le commencement du pch et, par sa volont, le pch originel est considr comme volontaire en tous. Donc ainsi le pch originel est dans l'me dans la mesure o il appartient la nature humaine. Mais cette nature est transmise par le pre au fils par la transmission de la chair, en qui l'me est introduite par la suite et de l elle en arrive la souillure, parce qu'elle devient une nature unique avec la chair qui lui est transmise. Car si elle ne lui tait pas unie pour constituer une nature, comme l'ange est uni un corps qu'il prend, elle ne recevrait pas la souillure[387].

q. 3 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in natura Adae erat natura omnium nostrum originaliter ; ita et peccatum originale, quod in nobis est, erat in illo peccato originali originaliter. Nam peccatum originale, ut dictum est, per se recipit natura, anima vero ex consequenti.

# 4. De mme que dans la nature d'Adam se trouvait originellement notre nature, de mme, le pch originel, qui est en nous, l'origine tait dans ce pch originel. Car la nature reoit ce pch par soi, comme on l'a dit, mais l'me le reoit par consquence.

q. 3 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod homo generans generat sibi simile in specie per virtutem formae suae, scilicet animae rationalis ; non quod ipsa sit immediatum principium in generatione humana agens, sed quia vis generativa, et ea quae in semine agunt, non disponerent materiam, ut fieret corpus perfectibile anima rationali, nisi quatenus agerent ut instrumenta quaedam rationalis animae. Et tamen ista actio non potest pertingere ad factionem animae rationalis, rationibus praedictis.

# 5. L'homme, en tant que gniteur, engendre du semblable[388] lui en espce par le pouvoir de sa forme, c'est--dire de l'me rationnelle, non qu'elle soit le principe immdiat agissant dans la gnration humaine, mais parce que le pouvoir gnratif et ce qui agit dans la semence ne disposeraient la matire pour faire un corps perfectible par l'me rationnelle que s'ils agissaient jusqu' un certain point comme instrument de l'me rationnelle. Et cependant cette action ne peut parvenir faire l'me rationnelle, pour les raisons quon a dj donnes.

q. 3 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod generans generat sibi simile in specie, in quantum generatum per actionem generantis producitur ad participandum speciem eius ; quod quidem fit per hoc quod generatum consequitur formam similem generanti. Si ergo forma illa non sit subsistens, sed esse suum sit solum in hoc quod uniatur ei cuius est forma ; oportebit quod generans sit causa ipsius formae, sicut accidit in omnibus formis materialibus. Si autem sit talis forma quae subsistentiam habeat, et non dependeat esse suum totaliter ex unione ad materiam, sicut est in anima rationali ; tunc sufficit quod generans sit causa unionis talis formae ad materiam per hoc quod disponit materiam ad formam ; nec oportet quod sit causa ipsius formae.

# 6. Le gniteur engendre du semblable lui quant l'espce dans la mesure o l'engendr est produit par l'action du gniteur pour participer son espce, ce qui arrive par le fait que l'engendr reoit une forme semblable celui qui engendre. Si donc cette forme n'tait pas subsistante, mais que son tre soit seulement dans ce qui est uni ce dont elle est la forme ; il faudra que celui qui engendre soit la cause de la forme mme, comme cela arrive dans toutes les formes matrielles. Mais si la forme tait telle qu'elle ait une subsistance et que son tre ne dpende pas totalement de son union la matire, comme pour l'me rationnelle, alors il suffit que celui qui engendre soit la cause de l'union dune telle forme la matire par le fait qu'il dispose la matire la forme ; et il ne faut pas qu'il soit cause de la forme mme.

q. 3 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ipsam dispositionem corporis sequitur dispositio animae rationalis ; tum quia anima rationalis accipit a corpore ; tum quia secundum diversitatem materiae diversificantur et formae. Et ex hoc est quod filii similantur parentibus etiam in his quae pertinent ad animam, non propter hoc quod anima ex anima traducatur.

# 7. La disposition de l'me rationnelle suit la disposition mme du corps ; dabord parce l'me rationnelle reoit du corps, ensuite parce que les formes sont aussi diversifies selon la diversit de la matire. Et c'est pour cela que les enfants ressemblent leurs parents, mme en ce qui concernent l'me et non parce que l'me est transmise par l'me.

q. 3 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quia anima est proprie actus corporis viventis, vivere autem est per calidum et humidum, quae in animali per sanguinem conservantur ; ideo dicitur quod anima est in sanguine, ad designandum propriam dispositionem corporis, in quantum est materia perfecta per animam.

# 8. Parce que l'me est proprement l'acte du corps vivant, vivre dpend du chaud et de l'humide conservs dans l'animal par le sang ; c'est pourquoi on dit que l'me est dans le sang, pour dsigner la disposition propre du corps, dans la mesure o la matire est acheve par l'me.

q. 3 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod circa embrionis vitam sunt aliqui diversimode opinati.

# 9. Au sujet de la vie de l'embryon, certains ont eu des opinions diverses.

Quidam namque assimilaverunt in generatione humana progressum animae rationalis progressui corporis humani, dicentes, quod sicut corpus humanum in semine est virtualiter, non tamen habens actu humani corporis perfectionem, quae in distinctione organorum consistit, sed paulatim per virtutem seminis ad perfectionem huiusmodi pervenitur ; ita in principio generationis est ibi anima, virtute quadam habens omnem perfectionem quae postea apparet in homine completo, non tamen eam habens actu, cum non appareant animae actiones, sed processu temporis paulatim eam acquirit ; ita quod primo apparent in ea actiones animae vegetabilis, et postmodum animae sensibilis, et tandem animae rationalis. Et hanc opinionem tangit Gregorius Nyssenus in Lib. quem fecit de homine.

A) Certains en effet ont assimil, dans la gnration humaine, le progrs de l'me rationnelle celui du corps humain, en disant que, de mme que le corps est virtuellement dans la semence, sans en avoir cependant le perfection en acte, qui consiste dans la distinction des organes, mais que peu peu par le pouvoir de la semence il parvient une telle perfection ; de mme, au commencement de la gnration, il y a une me qui a par un certain pouvoir toute la perfection qui apparat ensuite dans l'homme complet, mais sans l'avoir cependant en acte, puisque les actions de l'me n'apparaissent pas ; mais elle l'acquiert peu peu par l'volution du temps ; de sorte qu'y apparaissent d'abord les actions de l'me vgtative, ensuite de l'me sensitive et enfin de l'me rationnelle. Et Grgoire de Nysse soutient cette opinion dans le livre qu'il fit Sur l'homme[389].

Sed haec opinio non potest stare, quia aut intelligit quod ipsa anima secundum speciem suam existat a principio in semine, nondum habens perfectas operationes propter organorum defectum, aut intelligit quod in semine a principio sit aliqua virtus vel forma, quae nondum habet speciem animae ; sicut nec semen habet speciem humani corporis, sed paulatim producitur per actionem naturae ad hoc quod ipsa eadem sit anima primo quidem vegetabilis, secundo sensibilis et deinde rationalis.

Mais cette opinion n'est pas valable, parce que, ou bien elle sous-entend que l'me mme selon son espce existe au dbut dans la semence, n'ayant pas encore les oprations parfaites cause de la dficience de ses organes, ou bien elle sous-entend que dans la semence, ds le dbut, il y a un pouvoir ou une forme qui n'a pas encore la nature de l'me ; de mme que la semence n'a pas la nature du corps humain, mais peu peu, il est produite par l'action de la nature pour que la mme me soit d'abord vgtative, ensuite sensitive et enfin rationnelle.

Prima autem pars huius divisionis destruitur : primo quidem per auctoritatem philosophi. Dicitur enim in II de anima, quod potentia vitae quae est in corpore physico organico, cuius actus est anima, non est abiiciens animam, sicut semen et fructus ; ex quo datur intelligi, quod semen est ita in potentia ad animam quod anima caret.

I. La premire partie de cette division est rfute. a) Premirement, par l'autorit du philosophe. Il est dit, en effet, (L'me, II, 2, 412 b 25[390]) que la puissance de vie qui est dans le corps physique organique, dont l'acte est l'me, ne la rejette pas, comme la semence et les fruits. Par l on donne comprendre que la semence est celle qui est en puissance pour l'me, parce qu'elle en est priv.

Secundo, quia cum semen nondum sit ultima assimilatione membris assimilatum (sic enim eius resolutio esset corruptio quaedam) sed sit superfluitas ultimae digestionis, ut dicitur in XV de animalibus, nondum fuit in corpore generantis existens anima perfectum ; unde non potest esse quod in principio suae decisionis sit in eo anima.

b) Deuximement parce que, comme la semence n'est pas encore assimile aux membres par une ultime assimilation (car ainsi cette dissolution serait une corruption) mais est une superfluit de la digestion ultime[391], comme on le dit dans Les animaux (15- La gnration animale, ch. 19 II, 3, 736 b 26-27[392]), elle n'a pas encore t dans le corps de celui qui engendre, existant parfait par l'me ; c'est pourquoi ce n'est pas possible, quau commencement de sa sparation, il y ait une me en elle.

Tertio, quia dato quod cum eo decideretur anima, non tamen potest hoc dici de anima rationali ; quae cum non sit actus alicuius partis corporis, non potest deciso corpore decidi.

3) Troisimement, parce que, si on suppose que l'me est spare de la semence, on ne peut pas cependant pas le dire de l'me rationnelle, qui, puisqu'elle n'est pas l'acte d'une partie du corps ne peut tre spare si le corps est spar[393] du corps spar.

Secundam etiam partem divisionis praedictae patet esse falsam. Cum enim forma substantialis non continue vel successive in actum producatur, sed in istanti (alias oporteret esse motum in genere substantiae, sicut est in genere qualitatis) non potest esse quod illa virtus quae est a principio in semine, successive proficiat ad diversos gradus animae. Non enim forma ignis in aere hoc modo inducitur ut continuo procedat de imperfecto ad perfectum ; cum nulla forma substantialis suscipiat magis et minus ; sed solum materia per alterationem praecedentem variatur, ut sit magis et minus disposita ad formam. Forma vero non incipit esse in materia nisi in ultimo instanti alterationis.

II - Il apparat que la seconde partie de cette division est fausse. En effet, comme la forme substantielle n'est pas produite en acte continuellement ou successivement, mais dans l'instant (autrement il faudrait qu'il y ait un mouvement dans le genre de la substance, comme dans le genre de la qualit) il n'est pas possible que cette puissance qui est au commencement dans la semence, parvienne successivement aux diffrents degrs de l'me. Car la forme du feu, dans l'air, n'est pas amene de manire procder continuellement de l'imparfait au parfait, puisque nulle forme substantielle ne reoit le plus et le moins ; mais la matire seulement est modifie par altration prcdente, de sorte qu'elle est plus ou moins dispose la forme. Mais la forme ne commence tre dans la matire qu'au dernier moment du changement.

Alii vero dicunt, quod in semine primo est anima vegetabilis, et post modum ea manente, inducitur anima sensibilis ex virtute generantis, et ultimo inducitur anima rationalis per creationem, ita quod ponunt in homine esse tres animas per essentiam differentes.

B) Mais d'autre disent que dans la semence, il y d'abord l'me vgtative et ensuite, encore qu'elle y demeure, l'me sensitive est introduite par le pouvoir de celui qui engendre et enfin l'me rationnelle par cration, de sorte qu'ils pensent qu'il y a dans l'homme trois mes diffrentes en essence.

Sed contra hoc est quod dicitur : neque duas animas dicimus esse in uno homine sicut et Iacobus et alii Syrorum scribunt, unam animalem qua animatur corpus et immixta sit sanguini, et alteram spiritualem quae rationem ministret. Et iterum impossibile est unius et eiusdem rei esse plures formas substantiales : nam cum forma substantialis faciat esse non solum secundum quid, sed simpliciter, et constituat hoc aliquid in genere substantiae, si prima forma hoc facit, secunda adveniens, inveniens subiectum iam in esse substantiali constitutum, accidentaliter ei adveniet ; et sic sequeretur quod anima sensibilis et rationalis in homine corpori accidentaliter uniantur. Nec potest dici quod anima vegetabilis quae in planta est forma substantialis, in homine non sit forma substantialis, sed dispositio ad formam : quia quod est de genere substantiae nullius accidens esse potest, ut dicitur in I Physic.

Mais contre cela, il y a ce qu'on dit, dans le livre des Dogmes ecclsiastiques, ch. 15 : Nous disons qu'il n'y a pas deux mes dans un seul homme comme Jacques l'crit d'autres Syriens l'une animale qui anime le corps, mle au sang et l'autre spirituelle qui gouverne la raison. Et nouveau, il est impossible qu'il y ait plusieurs formes substantielles d'une seule et mme chose, en effet, comme la forme substantielle fait l'tre non seulement relatif, mais absolu et le place dans le genre de la substance, si la premire forme le fait, la seconde, quand elle survient, trouvant un sujet dj constitu dans l'tre substantiel, lui arriverait de manire accidentelle ; et ainsi il en dcoulerait que l'me sensitive et l'me rationnelle dans l'homme seraient unies accidentellement au corps. On ne peut pas dire que l'me vgtative qui est la forme substantielle dans la plante, ne soit pas la forme substantielle dans l'homme, mais une disposition pour la forme ; parce que ce qui est du genre de la substance ne peut tre l'accident de rien, comme on le dit (I Physique, I, 2, 184 b 30).

Unde alii dicunt, quod anima vegetabilis est in potentia ad animam sensibilem et sensibilis est actus eius ; unde anima vegetabilis quae primo est in semine, per actionem naturae perducitur ad complementum animae sensibilis ; et ulterius anima rationalis est actus et complementum animae sensibilis ; unde anima sensibilis perducitur ad suum complementum, scilicet ad animam rationalem, non per actionem generantis sed per actum creantis ; et sic dicunt quod ipsa rationalis anima in homine partim est ab intrinseco, scilicet quantum ad naturam intellectualem ; et partim ab extrinseco, quantum ad naturam vegetabilem et sensibilem.

C) C'est pourquoi, d'autres disent que l'me vgtative est en puissance pour l'me sensitive et la sensibilit est son acte ; c'est pourquoi l'me vgtative qui est d'abord dans la semence, par l'action de la nature est amene tre complte par l'me sensitive ; et plus tard, l'me rationnelle est l'acte et le complment de l'me sensitive : c'est pourquoi l'me sensitive est amene son complment, savoir l'me rationnelle, non par l'action de celui qui engendre mais par l'acte du crateur et ainsi ils disent que l'me rationnelle elle-mme dans l'homme vient en partie de l'intrieur, pour la nature intellectuelle et en partie de l'extrieur, pour la nature vgtative et sensitive.

q. 3 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod embrio antequam habeat animam rationalem non est ens perfectum, sed in via ad perfectionem ; unde non est in genere vel specie nisi per reductionem sicut incompletum reducitur ad genus vel speciem completi.

# 10. Avant de possder l'me rationnelle, l'embryon n'est pas un tre parfait, mais il est sur le chemin de la perfection ; c'est pourquoi il n'est dans le genre ou l'espce que s'il y est amen par rduction comme l'incomplet est amen au genre ou l'espce de ce qui est complet.

q. 3 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in semine a principio quamvis non sit anima, est tamen ibi virtus animae, ut dictum est, quae quidem virtus fundatur in spiritu qui in spermate continetur, et dicitur virtus animae quia est ab anima generantis.

# 11. Dans la semence au commencement, bien qu'il n'y ait pas d'me, il y a cependant un pouvoir de l'me, comme on l'a dit. Celui-ci est fond dans  l'esprit  contenu dans le sperme, et il est appel puissance de l'me, parce qu'il vient de l'me de celui qui engendre.

q. 3 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod embrio ante animam rationalem vivit et animam habet, ut dictum est, unde hoc argumentum concedimus.

# 12. L'embryon vit avant l'me rationnelle, et il a une me, comme on l'a dit. C'est pourquoi nous concdons cet argument.

q. 3 a. 9 ad 13 Et similiter ad decimumtertium, decimumquartum et decimumquintum.

# Et de mme pour les objections13, 14 et 15.

q. 3 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod virtus formativa quae in principio est in semine, manet adveniente etiam anima rationali ; sicut et spiritus in quos fere tota substantia spermatis convertitur manent. Et illa quae prius fuit formativa corporis fit postmodum corporis regitiva. Sicut etiam calor qui fuit dispositio ad formam ignis manet forma ignis adveniente, ut instrumentum formae in agendo.

# 16. Le pouvoir formateur qui est au commencement dans la semence, demeure quand arrive l'me rationnelle ; de mme que demeurent les esprits dans lesquels presque toute la substance du sperme est transforme. Et celle qui a t d'abord formatrice du corps devient par la suite son rgisseur. De mme la chaleur, qui a t une disposition pour la forme du feu, demeure, quand arrive la forme du feu, en agissant comme instrument de la forme.

q. 3 a. 9 ad 17 Et per hoc patet solutio ad decimumseptimum et decimumoctavum.

# 17-18 Et ainsi cela donne la solution pour la 17e et 18e objections.

q. 3 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod licet anima rationalis non sit a generante, unio tamen corporis ad eam, est quodammodo a generante, ut dictum est. Et ideo homo dicitur generari.

# 19. Bien que l'me rationnelle ne vienne pas de celui qui engendre, cependant son union au corps vient de lui, d'une certaine manire, comme on l'a dit. Et c'est pour cela qu'on dit que l'homme est engendr.

q. 3 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod pro tanto in homine non est duplex esse, quia non est sic intelligendum corpus esse a generante et animam a creante, quasi corpori acquiratur esse separatum a generante, et separatim animae a creante ; sed quia creans dat esse animae in corpore, et generans disponit corpus ad hoc quod huius esse sit particeps per animam sibi unitam.

# 20. Pour autant, il n'y a pas deux tres dans l'homme, parce qu'il ne faut pas comprendre que le corps existe par celui qui engendre et l'me par le crateur, comme si un tre spar tait acquis au corps par celui qui engendre et sparment par le crateur pour l'me ; mais parce que le crateur donne l'tre l'me dans le corps, et celui qui engendre dispose le corps pour que l'tre du corps participe par l'me qui lui est unie.

q. 3 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod duo agentia omnino disparata non possunt hoc modo se habere quod actio unius terminetur ad materiam, et alterius ad formam ; hoc tamen contingit in duobus agentibus ordinatis, quorum unum est instrumentum alterius. Actio enim principalis agentis se extendit quandoque ad aliquid ad quod non potest se extendere actio instrumenti. Natura autem est sicut instrumentum quoddam divinae virtutis ut supra, ostensum est. Unde non est inconveniens, si virtus divina sola faciat animam rationalem, actione naturae se extendente solum ad disponendum corpus.

# 21. Deux agents totalement diffrents ne peuvent se comporter de manire que l'action de l'un se termine la matire et celle de l'autre la forme. Cependant cela arrive dans deux agents ordonns, dont l'un est l'instrument de l'autre. Car l'action de l'agent principal s'tend quelquefois l o l'action de l'instrument ne peut parvenir. Mais la nature est comme un instrument du pouvoir divin, comme on l'a montr (art. 8, obj. 14, et art. 7, c.). Aussi il n'y a pas d'inconvnient, si seul le pouvoir divin cre l'me rationnelle, alors que l'action de la nature s'tend seulement la disposition du corps.

q. 3 a. 9 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod intellectus in corpore existens non indiget aliquo corporali ad intelligendum, quod simul cum intellectu sit principium intellectualis operationis, sicut accidit in visu : nam principium visionis non est visus tantum, sed oculus constans ex visu et pupilla. Indiget autem corpore tamquam obiecto, sicut visus indiget pariete in quo est color : nam phantasmata comparantur ad intellectum ut colores ad visum, sicut dicitur in III de anima. Et ex hoc est quod intellectus impeditur in intelligendo, laeso organo phantasiae : quia quamdiu est in corpore indiget phantasmatibus non solum quasi accipiens a phantasmatibus dum acquirit scientiam, sed etiam comparans species intelligibiles phantasmatibus dum utitur scientia acquisita. Et propter hoc exempla in scientiis sunt necessaria.

# 22. L'esprit (intellectus) qui existe dans un corps n'a pas besoin d'un organe corporel pour l'intellection, parce que, avec lui en mme temps, il y a le principe de l'opration intellectuelle, comme cela arrive pour la vue ; car le principe de vision n'est pas la vue seulement, mais l'il compos de la vue et de la pupille. Mais elle a besoin d'un corps comme objet, de mme que la vue a besoin d'un mur sur lequel il y a de la couleur : car les images pour l'esprit sont compares aux couleurs pour la vision, comme il est dit dans L'me, III, 431 b 2. Et c'est pourquoi l'esprit est empche d'abstraire, si l'organe de l'image est blesse, parce que tant qu'elle est dans le corps, elle a besoin des images non seulement en recevant par elles, pendant qu'elle acquiert la connaissance, mais mme en comparant les espces intelligibles aux images, pendant qu'elle se sert de la connaissance acquise. Et c'est pour cela que les exemples sont ncessaires dans les sciences.

q. 3 a. 9 ad 23 Et per hoc patet responsio ad vicesimumtertium et vicesimum-quartum.

# Et par l on trouve la rponse la 22e, 23e et 24e objection.

q. 3 a. 9 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod illa ratio est Apollinaris, ut Gregorius Nyssenus dicit. Decipiebatur autem in hoc quod non distinguebat operationem naturae, quae est generatio prolis, cui Deus dat complementum, ab operatione voluntaria adulterii in qua peccatum consistit.

# 25. Cet argument est d'Apollinaire, comme Grgoire de Nysse[394] le dit (L'me, ch. 6). Il tait tromp parce qu'il ne distinguait pas l'opration de nature qui est la gnration d'une descendance, qui Dieu accorde un complment, de l'opration volontaire de l'adultre, en quoi consiste le pch.

q. 3 a. 9 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod anima, cum sit perfectior formis materialibus, posset sibi similem producere si anima rationalis posset produci aliter quam per creationem, quod esse non potest ; et hoc provenit ex eius perfectione, ut ex praedictis potest patere.

# 26. Comme l'me est plus parfaite que les formes matrielles, elle pourrait produire quelque chose de semblable elle si l'me rationnelle pouvait tre produite autrement que par cration, ce qui n'est pas possible, et cela provient de sa perfection, comme on peut le dcouvrir dans ce qu'on a dit prcdemment.

q. 3 a. 9 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum, quod in solo Deo potest esse una natura in pluribus suppositis ; et ideo ibi solummodo potest esse generatio sine imperfectione mutationis et divisionis ; unde nobiliores creaturae, quae sunt indivisibiles nec substantialiter transmutantur, sicut anima rationalis et Angelus, non generantur ; sed inferiores creaturae, quae sunt divisibiles et corruptibiles.

# 27. En Dieu seul, il peut y avoir une seule nature dans plusieurs suppts. Et c'est pourquoi, l uniquement, il peut y avoir une gnration sans l'imperfection du changement et de la division. C'est pour cela que les plus nobles cratures, qui sont indivisibles, et ne se transforment pas substantiellement, comme l'me rationnelle et l'ange, ne sont pas engendres ; mais seules sont engendres les cratures infrieures qui sont divisibles et corruptibles.

q. 3 a. 9 ad 28 Ad vicesimumoctavum dicendum, quod virtus illa quae est in semine, a philosopho vocatur intellectus, ut dicit Commentator, propter quamdam similitudinem : quia sicut intellectus operatur absque organo, ita et illa virtus.

# 28. Ce pouvoir qui est dans la semence, est appel lesprit (intellectus) par le philosophe, comme le dit le Commentateur (Mtaphysique, VII, com. 31) cause d'une certaine ressemblance ; parce que l'intellect opre sans organe, ce pouvoir aussi.

q. 3 a. 9 ad 29 Ad vicesimumnonum dicendum, quod verbum illud philosophi est intelligendum de anima sensibili, non de rationali.

# 29. Cette parole du philosophe est comprendre de l'me sensitive, non de l'me rationnelle.

 

 

 

Article 10 LՉme rationnelle est-elle cre dans le corps ou hors du corps ?

q. 3 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum anima rationalis sit creata in corpore, vel extra corpus. Et videtur quod sit creata extra corpus.

Il semble que lՉme est cre hors du corps[395].

 

Objections :

q. 3 a. 10Arg. 1 Eorum enim quae sunt idem secundum speciem, est idem modus prodeundi in esse. Sed animae nostrae sunt eiusdem speciei cum anima Adae. Anima autem Adae fuit extra corpus cum Angelis creata, ut Augustinus dicit. Ergo et aliae animae humanae extra corpus creantur.

1. Car la manire de venir lՐtre est identique pour ce qui est identique en espce[396]. Mais nos mes sont de la mme espce que celle dAdam. Or celle-ci fut cre hors de son corps avec les anges, comme Augustin (La Gense au sens littral, VII, 25 et 27[397]) le dit. Donc les autres mes humaines sont cres hors du corps.

q. 3 a. 10Arg. 2 Praeterea, omne totum imperfectum est cui deest aliqua pars quae ad eius perfectionem pertinet. Sed animae rationales magis pertinent ad perfectionem universi quam etiam substantiae corporales, cum substantia intellectualis sit nobilior corporali substantia. Si ergo animae rationales a principio non fuerunt omnes creatae, sed quotidie creantur cum corpora generantur ; sequitur quod universum sit imperfectum ex eo quod desunt sibi nobilissimae partes eius. Hoc videtur esse inconveniens. Ergo animae rationales sunt a principio extra corpora creatae.

2. Tout ensemble imparfait est celui qui manque une partie qui importe sa perfection. Mais les mes rationnelles concernent plus la perfection de lunivers que les substances corporelles, puisque la substance intellectuelle est plus noble que la substance corporelle. Si donc les mes rationnelles nont pas toutes t cres au commencement, mais sont cres chaque jour, quand les corps sont engendrs, il en dcoule que l'univers est imparfait, parce que ses parties les plus nobles lui font dfaut. Cela parat ne pas convenir. Donc les mes rationnelles ont t cres au commencement hors du corps.

q. 3 a. 10Arg. 3 Praeterea, theatralibus ludis videtur esse simile, quod tunc universum destruatur, quando ad ultimam perfectionem devenerit. Sed mundus tunc finietur quando hominum generatio cessabit, et tunc completissima universi perfectio erit, si animae simul creantur cum corpora generantur. Ergo secundum hoc divina gubernatio, quae mundum regit, erit similis ludo ; quod videtur esse absurdum.

3. La destruction de lunivers, quand il sera parvenu son ultime perfection, ressemble une reprsentation thtrale[398]. Mais le monde sera fini, quand la gnration des hommes cessera et alors la perfection de lunivers sera trs complte, si les mes sont cres en mme temps que les corps sont parfaitement engendrs. Donc dans cet optique, la gouvernement divin, qui rgit le monde, ressemble une reprsentation thtrale, ce qui parat absurde.

q. 3 a. 10Arg. 4 Sed dices, quod nihil prohibet perfectioni universi deesse aliquid secundum numerum, cum tamen quantum ad omnes eius species sit completum.- Sed contra, species rerum ex hoc quod, quantum in ipsis est, perpetuitatem quamdam habent, pertinent ad essentialem perfectionem universi, utpote per se intentae ab universi auctore. Individua vero, quae non habent esse perpetuum, pertinent ad quamdam accidentalem universi perfectionem, utpote non propter se intenta, sed propter speciei conservationem. Animae autem rationales non solum secundum speciem, sed etiam secundum singula individua perpetuitatem habent. Ergo si a principio omnes animae rationales defuerunt ; ita fuit universum imperfectum, ac si aliquae species universi defuissent.

4. Mais on pourrait dire que rien nempche quil manque quelque chose la perfection de lunivers, en nombre, alors que cependant il est complet pour toutes les espces. En sens contraire, du fait que, quant elles, les espces ont une certaine perptuit, elles conviennent la perfection essentielle de lunivers, puisque dcides pour elles-mmes par le crateur de lunivers. Mais les choses individuelles qui nont pas dՐtre perptuel, conviennent la perfection accidentelle de lunivers, n'tant pas dcides pour elles-mmes, mais pour la conservation de l'espce. Les mes rationnelles non seulement selon lespce, mais aussi selon les individus particuliers, ont la perptuit. Donc, si, au commencement, toutes les mes rationnelles ont manqu, il y eut ainsi un univers imparfait, comme si quelques espces de lunivers avaient manqu.

q. 3 a. 10Arg. 5 Praeterea, Macrobius super somnium Scipionis, duas portas in caelo posuit : unam deorum, et aliam animarum, in cancro scilicet, et Capricorno ; per quarum alteram animae ad corpus descendebant. Sed hoc non esset, nisi animae extra corpus in caelo crearentur. Ergo animae extra corpora creatae sunt.

5. Macrobe dans Le songe de Scipion (liv. 1) a plac deux portes dans le ciel : celle des dieux et celle des mes, dans le Cancer et le Capricorne ; par lune d'elles, les mes descendaient dans le corps. Mais cela ne pouvait exister que si les mes taient cres au ciel hors du corps. Donc les mes ont t cres hors du corps.

q. 3 a. 10Arg. 6 Praeterea, causa efficiens praecedit tempore suum effectum. Sed anima est causa efficiens corporis, ut dicitur in II de anima. Ergo est ante corpus, et ita non creatur in corpore.

6. La cause efficiente prcde son effet dans le temps. Mais lՉme est cause efficiente du corps, comme on le dit dans le livre II de L'me, (II, 4, 415 b 10[399]). Donc elle est avant le corps et ainsi elle nest pas cre dans le corps.

q. 3 a. 10Arg. 7 Praeterea, in libro de spiritu et anima, dicitur, quod anima antequam corpori uniatur, habet irascibilitatem et concupiscibilitatem. Sed haec non possunt esse in anima antequam anima sit. Ergo anima est antequam corpori uniatur, et ita non creatur in corpore.

7. Dans le livre L'esprit et l'me[400] (ch. 13), on dit que lՉme, avant d'tre unie au corps, possde lirascible et le concupiscible. Mais ils ne peuvent pas exister dans lՉme avant quelle existe. Donc lՉme existe, avant quelle soit unie au corps et ainsi elle nest pas cre dans le corps.

q. 3 a. 10Arg. 8 Praeterea, substantia animae rationalis tempore non mensuratur : quia, ut dicitur in Lib. de causis, est supra tempus ; nec iterum mensuratur aeternitate, quia hoc solius Dei est. In Lib. etiam de causis dicitur, quod anima est infra aeternitatem. Ergo mensuratur aevo, sicut et Angeli : et ita eadem est mensura durationis Angeli et animae. Cum ergo Angeli sint creati a principio mundi, videtur quod etiam animae tunc sint creatae, et non in corporibus.

8. La substance de lՉme rationnelle nest pas mesure par le temps ; parce que, comme on le dit dans le Livre des Causes, (prop. 2[401]), elle est au-dessus du temps. Elle nest pas mesure non plus par lՎternit, qui n'appartient quՈ Dieu seul. Mais dans le Livre des Causes (ibid.), on dit que lՉme est en dessous de lՎternit. Donc elle est mesure par laevum[402], comme les anges et ainsi cest la mme mesure de dure pour lange et lՉme. Donc comme les anges sont crs depuis le commencement du monde, il semble que les mes aussi ont t cres alors et non dans les corps.

q. 3 a. 10Arg. 9 Praeterea, in aevo non est prius et posterius : alias a tempore non differret, ut quibusdam videtur. Sed si Angeli ante animas essent creati, vel una anima post aliam crearetur, esset in aevo prius et posterius, cum mensura animae sit aevum, ut ostensum est. Ergo oportet omnes animas simul creari cum Angelis.

9. Dans laevum, il ny a pas davant et daprs[403], autrement il ne diffrerait pas du temps, comme il le semble certains. Mais si les anges avaient t crs avant les mes, ou quune me soit cre aprs lautre, il y aurait dans laevum un avant et un aprs, puisque la mesure de lՉme cest "laevum", comme on la montr. Donc il faut que toutes les mes aient t cres en mme temps que les anges.

q. 3 a. 10Arg. 10 Praeterea, unitas loci attestatur unitati naturae : unde et diversorum corporum secundum naturam, diversa sunt loca. Sed Angeli et animae conveniunt in natura, cum sint substantiae spirituales et intellectuales. Ergo animae creatae sunt in caelo Empyreo, sicut Angeli, et non in corporibus.

10. Lunit de lieu atteste lunit de nature ; donc les lieux o sont les diffrents corps sont diffrents en nature[404]. Mais les anges et les mes se ressemblent en nature, puisquils sont des substances spirituelles et intellectuelles. Donc les mes cres sont dans le ciel empyre, comme les anges, et non dans les corps.

q. 3 a. 10Arg. 11 Praeterea, quanto aliqua substantia est subtilior, tanto ei altior locus debetur ; unde ignis locus altior est quam aeris vel aquae. Sed anima est multo simplicior substantia quam aliquod corpus. Ergo videtur quod sit creata supra omnia corpora, et non in corpore.

11. Plus une substance est subtile, plus lui est d lieu lev ; c'est pourquoi le lieu du feu est plus haut que celui de lair ou de leau. Mais lՉme est une substance beaucoup plus simple quun corps quelconque. Donc il semble quelle a t cr au-dessus de tous les corps et non dans un corps.

q. 3 a. 10Arg. 12 Praeterea, cuiuslibet rei ultima perfectio est secundum quod est in proprio loco ; cum non sit extra proprium locum nisi per violentiam quamdam. Sed ultima perfectio animae est in caelesti habitatione. Ergo ibi locus est congruens naturae eius ; et ita videtur quod ibi sit creata.

12. La perfection ultime de n'importe quel tre est de se situer dans son lieu propre, puisquil nen est en dehors que par une violence quelconque. Mais lultime perfection de lՉme est dans la demeure cleste. Donc ici le lieu est conforme sa nature et ainsi il semble quelle y ait t cre.

q. 3 a. 10Arg. 13 Praeterea, Genes. II, 2, dicitur : requievit Deus die septimo ab universo opere quod patrarat. Ex quo intelligi datur quod tunc Deus a novis creaturis creandis cessavit. Sed hoc non esset, si nunc quotidie animae crearentur. Ergo animae non creantur in corpore, sed creatae sunt a principio extra corpus.

13 En Gense 2, 2 il est dit : Dieu se reposa le septime jour de toute luvre quil avait accomplie. Par l, il est donn comprendre qualors Dieu cessa de crer des cratures nouvelles. Mais ce ne serait pas vrai si maintenant, chaque jour, des mes taient cres. Donc les mes ne sont pas cres dans le corps, mais elles l'ont t ds le commencement, hors du corps.

q. 3 a. 10Arg. 14 Praeterea, opus creationis praecedit opus propagationis. Hoc autem non esset, si simul animae crearentur dum corpora propagantur. Ergo animae ante corpora sunt creatae.

14. Luvre de la cration prcde celle de la propagation. Mais cela ne serait pas si les mes taient cres en mme temps que se propagent les corps. Donc les mes ont t cres avant les corps[405].

q. 3 a. 10Arg. 15 Praeterea, Deus omnia secundum iustitiam operatur. Sed secundum iustitiam non dantur diversa et inaequalia nisi in illis in quibus aliqua inaequalitas meriti praeexistit. Cum ergo in nativitate hominum circa animas multa inaequalitas attendatur : tum ex hoc quod quaedam uniuntur corporibus ad operationes animae aptis, quaedam vero ineptis ; tum ex hoc quod quidam ex infidelibus nascuntur alii vero ex fidelibus, qui per sacramentorum susceptionem salvantur ; videtur quod inaequalitas meriti in animabus praecesserit : et sic videtur quod animae fuerint ante corpora.

15. Dieu opre en tout selon la justice. Mais selon elle, les diffrences et les ingalits ne sont donnes que l o prexiste une ingalit du mrite. Donc, comme dans la naissance des hommes, on remarque dans les mes beaucoup dingalit, cela vient d'une part de ce que certaines sont unies des corps aptes aux oprations de lՉme, certaines des corps inaptes, d'autre part de ce que certaines sont nes dinfidles, dautres de fidles, qui sont sauvs en recevant les sacrements. Il semble que lingalit du mrite aurait exist auparavant dans les mes et ainsi il semble que les mes ont exist avant les corps.

q. 3 a. 10Arg. 16 Praeterea, ea quorum una est inceptio, videtur quod secundum esse dependeant ad invicem. Sed anima secundum esse suum non dependet a corpore, quod patet ex hoc quod corrupto corpore manet. Ergo nec anima simul incipit cum corpore.

16. Il semble que les choses, dont lune est le commencement dpendent les unes des autres pour leur existence. Mais lՉme en son tre ne dpend pas du corps, ce qui le montre cest qu'elle demeure une fois le corps corrompu. Donc lՉme ne commence pas en mme temps que le corps.

q. 3 a. 10Arg. 17 Praeterea, ea quorum unum impedit alterum, non naturaliter uniuntur. Sed anima impeditur a sua operatione a corpore : corpus enim quod corrumpitur, aggravat animam, ut dicitur Sapient. cap. IX, 15. Ergo anima non naturaliter unitur corpori ; et ita videtur quod prius fuerit corpori non unita quam uniretur.

17. Les choses, dont lune entrave lautre, ne sont pas unies naturellement. Mais lopration de lՉme est entrave par le corps. Car le corps corrompu appesantit lՉme, comme il est dit en Sg. 9, 15. Donc lՉme nest pas naturellement unie au corps et ainsi il semble quelle na pas t avec le corps avant de lui tre uni.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur in libro de Ecclesiast. dogmatibus, quod animae ab initio inter ceteras intellectuales creaturas non simul creantur.

1. Il est dit dans le livre des Dogmes ecclsiastiques, ch. 13[406], que les mes ne sont pas cres au commencement en mme temps que les autres cratures intellectuelles.

q. 3 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Gregorius Nyssenus dicit, quod assertio utriusque opinionis vituperatione non caret : et eorum qui prius vivere animas in suo quodam statu atque ordine fabulantur, et eorum qui eas post corpora creatas existimant.

2. Grgoire de Nysse (dans La cration du monde, 29, PG. 44, 234 D) dit que lՎnonciation de chacune des deux opinions ne manque pas de venin, celles de ceux qui racontent que les mes vivent dabord dans leur statut et leur ordre, et celles de ceux qui pensent quelles sont crs aprs les corps.

q. 3 a. 10 s. c. 3 Praeterea, Hieronymus dicit in symbolo fidei, quem composuit : eorum condemnamus errorem qui dicunt animas ante peccasse, vel in caelis conversatas fuisse, quam in corpora immitterentur.

3. Jrme dit dans Le symbole de la foi quil composa [Plage dans Lexposition de la foi Damase] : Nous condamnons l'erreur de ceux qui disent que les mes ont pch avant ou quelles ont t conserves dans les cieux avant d'tre introduites dans les corps.

q. 3 a. 10 s. c. 4 Praeterea, proprius actus fit in propria materia. Sed anima est proprius actus corporis. Ergo in corpore anima creatur.

4. L'acte plus appropri se fait dans une matire approprie. Mais lՉme est lacte le plus appropri du corps. Donc lՉme est cre dans le corps.

 

Rponse :

q. 3 a. 10 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut supra dictum est, quorumdam opinio fuit, quod animae omnes simul creatae fuerunt extra corpus. Cuius quidem opinionis falsitas potest ad praesens quatuor rationibus ostendi :

Comme on la dit plus haut (art. 9), lopinion de certains[407] a t que toutes les mes ont t cres en mme temps hors du corps. La fausset de cette opinion peut prsent tre montre par quatre raisons :

quarum prima est, quod res creatae sunt a Deo in sua perfectione naturali. Perfectum enim naturaliter praecedit imperfectum, secundum philosophum. Et Boetius dicit, quod, natura a perfectis sumit exordium. Anima autem non habet perfectionem suae naturae extra corpus, cum non sit per se ipsam species completa alicuius naturae, sed sit pars humanae naturae : alias oporteret quod ex anima et corpore non fieret unum nisi per accidens. Unde non fuit anima humana extra corpus creata.

1) Dont la premire est que les cratures ont t cres par Dieu dans leur perfection naturelle[408]. Car le parfait prcde naturellement limparfait, selon le philosophe (Le ciel. I, 2, 269 a 20). Et Boce (La Consolation, 10, prose 10) dit que la nature prend son dpart partir de ce qui est parfait. Mais lՉme na pas la perfection de sa nature hors du corps, puisquelle nest pas par elle-mme une espce complte d'une certaine nature, mais une partie de la nature humaine ; autrement il faudrait que l'unit de lՉme et du corps ne soit faite que par accident. Donc lՉme humaine na pas t cre hors du corps.

Quicumque autem posuerunt animas extra corpora fuisse antequam corporibus unirentur, aestimaverunt eas esse naturas perfectas, et quod naturalis perfectio animae non est esse in hoc quod anima corpori uniretur, sed uniretur ei accidentaliter, sicut homo indumento : sicut Plato dicebat, quod homo non est ex anima et corpore, sed est anima utens corpore. Et propter hoc omnes qui posuerunt animas extra corpora creari, posuerunt transcorporationem animarum ; ut sic anima exuta a corpore uno, alteri corpori uniretur, sicut homo exutus uno vestimento induit alterum.

Tous ceux qui ont pens que les me ont exist hors des corps avant de leur tre unies, ont estim quelles taient des natures parfaites, et que la perfection naturelle de lՉme ne consiste pas tre unie au corps, mais qu'elle lui serait unie accidentellement, de la mme manire que lhomme son vtement. Ainsi Platon disait que lhomme nest pas compos dune me et dun corps, mais cest une me qui se sert dun corps[409]. Et cest pourquoi tous ceux qui ont pens que les mes sont cres hors des corps, ont cru la transcorporation des mes[410], de sorte quune me, ainsi sortie dun corps, sunirait un autre, comme lhomme retire son vtement et en met un autre.

Secunda ratio est Avicennae. Cum enim anima non sit composita ex materia et forma, distinctio animarum ab invicem esse non posset nisi secundum formalem differentiam, si solum secundum se ipsas distinguerentur. Formalis autem differentia diversitatem speciei inducit. Diversitas autem secundum numerum in eadem specie ex differentia materiali procedit : quae quidem animae competere non potest secundum naturam ex qua fit, sed secundum materiam in qua fit.

2) La seconde raison est donne parAvicenne. En effet, comme lՉme nest pas compose de matire et de forme (car elle est distingue de la matire et du compos dans le livre II de l'me), la distinction des mes lune de lautre ne pourrait exister que selon une diffrence formelle, si seulement elles se distinguaient elles-mmes en soi. Mais la diffrence formelle amne la diversit de lespce. La diversit selon le nombre dans la mme espce provient de la diffrence matrielle ; ce qui, pour lՉme, ne peut convenir selon la nature dont elle est faite, mais selon la matire dans laquelle elle est faite.

Sic ergo solum ponere possumus plures animas humanas eiusdem speciei, numero diversas esse, si a sui principio corporibus uniantur, ut earum distinctio ex unione ad corpus quodammodo proveniat, sicut a materiali principio, quamvis sicut ab efficiente principio talis distinctio sit a Deo. Si vero extra corpora animae humanae fuissent creatae oportuisset eas esse specie differentes, sublato distinctionis materiali principio, sicut et omnes substantiae separatae a philosophis ponuntur specie differentes.

Donc ainsi nous pouvons seulement penser que plusieurs mes humaines de la mme espce sont diffrentes par le nombre, si elles sont unies au corps par leur principe, de sorte que leur distinction provient dune certaine manire de lunion au corps, comme par un principe matriel, quoique une telle distinction vienne de Dieu comme par un principe efficient. Si les mes humaines avaient t vraiment cres hors des corps, il aurait fallu quelle soient diffrentes en espce, si on enlve le principe matriel de la distinction, ainsi que les philosophes ont pens que toutes les substances spares sont diffrentes en espce[411].

Tertia ratio est, nam anima rationalis humana non differt secundum substantiam a sensibili et vegetabili, sicut superius est ostensum ; vegetabilis autem et sensibilis animae origo non potest esse nisi in corpore, cum sint actus quarumdam partium corporis ; unde nec anima rationalis potest nisi in corpore creari secundum naturae suae convenientiam, tamen absque divinae praeiudicio potestatis.

3) Troisime raison : en effet, lՉme rationnelle humaine ne diffre pas en substance de l'me sensitive et vgtative, comme on la montr plus haut, mais lorigine de lՉme vgtative et de l'me sensitive ne peut tre que dans le corps, puisquelles sont les actes de certaines parties du corps ; c'est pourquoi lՉme rationnelle ne peut tre cre que dans un corps selon la convenance de sa nature, cependant sans prjudice pour la puissance divine.

Quarta ratio est, quia si anima rationalis extra corpus creata fuit, et ibi habuit sui esse naturalis complementum, impossibile est convenientem causam assignare unionis eius ad corpus. Non enim potest dici, quod proprio motu se corporibus adiunxit, cum videamus quod deserere corpus non subiaceat animae potestati ; quod esset, si ex voluntate sua corpori esset unita. Et praeterea si sunt creatae omnino separatae, non potest dici quare unio corporis voluntatem separatae animae illexisset.

4) Quatrime raison : si lՉme rationnelle a t cre hors du corps, et y a trouv le complment de son tre naturel, il est impossible dassigner une cause convenable son union au corps. Car on ne peut pas dire qu'elle s'est jointe au corps de son propre mouvement[412], puisque nous voyons quabandonner le corps n'est pas en son pouvoir ; ce qui serait possible si elle sՎtait unie un corps par sa volont. Et ensuite si elles sont cres tout fait spares, on ne peut pas dire pourquoi lunion du corps aurait attir la volont dune me spare.

Nec iterum potest dici, quod post aliquos annorum circuitus naturalis ei appetitus supervenerit corpori adhaerendi ; et quod ex operatione naturae huiusmodi unio sit causa. Nam ea quae certo temporis spatio secundum naturam aguntur, ad motum caeli reducuntur sicut ad causam, per quam temporum spatia mensurantur. Animas autem separatas non est possibile caelestium corporum motibus subiacere.

Et on ne peut pas dire non plus qu'aprs quelques annes d'un circuit naturel lenvie lui viendrait dadhrer un corps et que lunion soit la cause dune telle opration de la nature. Car ce qui est fait dans un certain espace de temps selon la nature, est ramen au mouvement du ciel comme sa cause, par laquelle sont mesures les dures. Mais il nest pas possible que les mes spares se soumettent au mouvement des corps clestes[413].

Similiter non potest dici, quod a Deo sint corpori alligatae, si eas prius absque corporibus creavisset. Si enim dicatur, quod ad earum perfectionem hoc fecit, non fuisset ratio quare absque corporibus crearentur. Si vero in earum poenam hoc factum est, ut corporibus quasi quibusdam carceribus intruderentur, sicut Origenes dixit, propter peccata commissa, sequeretur quod institutio naturarum ex spiritualibus et corporalibus substantiis compositarum, esset per accidens, et non ex prima Dei intentione : quod est contra id quod legitur Genes. I, 31 : vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona : ubi manifeste ostenditur bonitatem Dei et non malitiam cuiuscumque creaturae fuisse causam bonorum operum condendorum.

De la mme manire, on ne peut pas dire quelles ont t lies au corps par Dieu, sil les a cres dabord sans corps. Car si on disait quil l'a fait pour leur perfection, cela n'aurait pas t la raison pour laquelle elles auraient t cres sans corps. Mais si les introduire dans des corps comme dans des prisons, a t fait pour leur chtiment, comme Origne[414] l'a dit, cause des pchs quelles ont commis, il en dcoulerait que la constitution des natures composes partir des substances spirituelles et corporelles existerait par accident et non de la premire intention de Dieu, ce qui est contre ce quon lit en Gense 1, 31 : Dieu vit tout ce quil avait fait et cՎtait trs bon, o on montre manifestement la bont de Dieu et que ce n'est pas la malice de quelque crature qui a t cause de la cration des uvres bonnes[415].

 

Solutions :

q. 3 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in Lib. super Gen. ad Litt., et praecipue inquirendo de origine animae, loquitur magis investigando quam asserendo, sicut ipsemet dicit.

# 1. Augustin dans La Gense au sens littral, surtout en enqutant sur lorigine de lՉme, est en recherche plus quil naffirme, comme il le dit lui-mme[416].

q. 3 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod universum in sui principio fuit perfectum quantum ad species, et non quantum ad omnia individua ; vel quantum ad causas rerum naturalium, ex quibus possunt postmodum alia propagari, non quantum ad omnes effectus. Animae vero rationales quamvis non fiant a causis naturalibus ; tamen corpora, quibus divinitus infunduntur sicut sibi connaturalibus, per operationem naturae fiunt.

# 2. L'univers en son commencement a t parfait pour les espces, et non pour tous les individus, ou encore pour les causes des tres naturels d'o les autres peuvent par la suite se propager, non pour tous les effets. Mais quoique les mes rationnelles ne soient pas faites par des causes naturelles, cependant les corps, dans lesquels elles sont insres par laction de Dieu comme dans ce qui leur est connaturel, sont faits par lopration de la nature.

q. 3 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in ludo non quaeritur aliquid propter ludum. Sed ex motu quo Deus creaturas corporales movet, quaeritur aliquid propter ipsum motum, scilicet completus numerus electorum, quo habito motus cessabit ; licet non substantia mundi.

# 3. Dans le jeu thtral, on ne cherche pas quelque chose cause du jeu. Mais du mouvement par lequel Dieu meut[417] les cratures corporelles, on cherche quelque chose propos de ce mouvement mme, savoir le nombre complet des lus par lequel, quand il sera atteint, cessera ce mouvement, pas cependant la substance du monde.

q. 3 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod multitudo animarum pertinet ad essentialem perfectionem universi ultimam, sed non primam, cum tota corporum mundi transmutatio ordinetur quodammodo ad animarum multiplicationem ; ad quam requiritur corporum multiplicatio, ut ostensum est, in corp.

# 4. La multitude des mes appartient la perfection essentielle et ultime de lunivers mais non la premire perfection puisque le changement total du monde des corps est ordonn dune certaine manire la multiplication des mes ; comme on la montr dans le corps de larticle[418].

q. 3 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Platonici ponebant naturam animarum per se esse completam, et accidentaliter corporibus uniri : unde etiam ponebant transitum animarum de corpore ad corpus. Ad quod ponendum praecipue inducebantur per hoc quod ponebant humanas animas immortales, et generationem numquam deficere. Unde ad infinitatem animarum removendam, ponebant fieri quemdam circulum, ut animae prius exeuntes iterato unirentur. Et secundum hanc opinionem, quae erronea est, Macrobius loquitur : unde eius auctoritas in hac parte non est recipienda.

# 5. Les Platoniciens pensaient que la nature des mes tait complte en soi, et unie accidentellement des corps. C'est pour cela, qu'ils pensaient aussi qu'il y avait passage des mes de corps en corps. Pour lՎtablir ils taient amens principalement penser que les mes humaines immortelles, et la gnration ne manquaient jamais. Aussi pour viter linfinit des mes, ils pensaient quil y avait un cycle pour que les mes sortantes s'unissent nouveau. Et Macrobe parle selon cette opinion, qui est errone. C'est pourquoi on ne peut pas recevoir son autorit sur ce sujet.

q. 3 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus non dicit animam, efficientem esse causam corporis, sed causam unde est principium motus, in quantum est principium motus localis in corpore, et augmenti et aliorum huiusmodi, ut ipsemet exponit ibidem.

# 6. Le philosophe (L'me, II, 4, 415 b 10[419]) ne dit pas que lՉme est cause efficiente du corps, mais une cause lorigine du principe du mouvement, dans la mesure o elle est principe du mouvement local dans le corps, de la croissance etc., comme lui-mme lexpose l mme.

q. 3 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in auctoritate illa intelligitur irascibilitas et concupiscibilitas inesse animae prius quam corpori uniretur, natura, non tempore : quia anima hoc non habet a corpore, sed potius corpus ab anima.

# 7. Dans cette autorit, on comprend que lirascible et le concupiscible sont dans lՉme avant quelle soit unie au corps, par nature et non dans le temps, parce que lՉme ne les tient pas du corps, mais plutt c'est le corps qui les tient par lՉme.

q. 3 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod anima mensuratur tempore secundum esse quo unitur corpori ; quamvis prout consideratur ut substantia quaedam spiritualis, mensuretur aevo. Non tamen oportet quod tunc inceperit aevo mensurari quando et Angeli.

# 8. LՉme est mesure par le temps selon lՐtre par lequel elle est unie au corps ; quoique, si elle est considre comme substance spirituelle, elle soit mesure par lvum. Il ne faut pas cependant quelle ait commenc tre mesure par lվvum en mme temps que les anges.

q. 3 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet aevum non habeat prius et posterius quantum ad ea quae mensurat, nihil tamen prohibet quin unum altero prius aevo participet.

# 9. Bien que l'vum nait ni avant ni aprs, pour ce qu'il mesure, rien cependant nempche que lun ne participe avant l'aevum avant un autre[420].

q. 3 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet Angelus et anima conveniant in natura intellectuali, differunt tamen in hoc quod Angelus est quaedam natura in se completa, unde per se creari potuit ; anima vero, cum perfectionem suae naturae habeat in hoc quod corpori unitur, non debuit in caelo, sed in corpore cuius est perfectio, creari.

# 10. Bien que lange et lՉme se rencontrent dans la nature intellectuelle, ils diffrent cependant en ce que lange est une nature complte par soi ; c'est pourquoi il a pu tre cr en soi ; mais comme lՉme a la perfection de sa nature du fait quelle est unie un corps, elle na pas d tre cre au ciel mais dans le corps dont elle est la perfection.

q. 3 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod anima licet sit secundum se simplicior omni corpore, tamen est forma et perfectio corporis ex elementis compositi, cuius locus est circa medium, cum quo simul oportet eam hic creari.

# 11. Bien que lՉme soit plus simple en soi que tout corps, cependant elle en est la forme et la perfection du corps compos dՎlments, dont le lieu est autour du milieu, avec lequel il faut quelle soit cre en mme temps[421].

q. 3 a. 10 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod prima perfectio animae attenditur secundum esse suum naturale : quae quidem perfectio consistit in unione eius ad corpus ; et ideo a principio debuit in loco corporis creari. Ultima autem perfectio eius est in hoc quod communicat cum substantiis aliis intellectualibus ; et illa perfectio dabitur ei in caelo.

# 12. La premire perfection de lՉme est atteinte selon son tre naturel ; elle consiste dans son union au corps et cest pourquoi, au commencement, elle a d tre cre dans le lieu du corps. Mais sa perfection ultime est dans ce quelle communique avec les autres substances intellectuelles, et cette perfection lui sera donne au ciel.

q. 3 a. 10 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod animae quae modo creantur, licet sint novae creaturae secundum numerum, tamen sunt antiquae secundum speciem suam : praecesserunt enim in operibus sex dierum in suo simili secundum speciem, id est in animabus primorum parentum.

# 13. Bien que les mes qui sont cres un moment, soient de nouvelles cratures en nombre, elles sont cependant anciennes par leur espce ; car elles ont exist prcdemment dans les uvres des six jours dans quelque chose de semblable en espce, cest--dire dans les mes des premiers parents[422].

q. 3 a. 10 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod opus creationis quo naturae principia instituuntur, oportet praecedere opus propagationis. Non autem tale opus est animarum creatio.

# 14. Il faut que luvre de la cration par laquelle les principes de nature sont institus, prcde luvre de propagation. Mais une telle uvre nest pas la cration des mes.

q. 3 a. 10 ad 15 Ad decimumquintum dicendum est, quod ad iustitiam pertinet reddere debitum ; unde contra iustitiam fit, si inaequalia aequalibus dantur, quando debita redduntur, non autem quando gratis aliqua dantur : quod convenit in creatione animarum. Vel potest dici, quod ista diversitas non procedit ex diverso merito animarum, sed ex diversa dispositione corporum ; unde et Plato dicebat, quod formae infunduntur a Deo secundum merita materiae.

# 15. Il convient la justice de rendre ce qui est d ; c'est pourquoi, cest contre la justice, si des dons ingaux sont donns des tres gaux, quand quand on rend ce qui est d, mais non quand c'est donn gratuitement ; cest ce qui se passe pour la cration des mes. Ou bien on peut dire que cette diversit ne procde pas du mrite diffrent des mes, mais de la disposition diffrente des corps. C'est pourquoi Platon disait (Les lois, X) que les formes sont incluses par Dieu selon les mrites de la matire.

q. 3 a. 10 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet anima dependeat a corpore quantum ad sui principium, ut in perfectione, suae naturae incipiat, tamen quantum ad sui finem non dependet a corpore, quia acquiritur sibi esse in corpore ut rei subsistenti : unde destructo corpore, nihilominus manet in suo esse, licet non in completione suae naturae, quam habet in unione ad corpus.

# 16. Bien que lՉme dpende du corps en son principe, pour commencer dans la perfection de sa nature, cependant quant sa fin, elle n'en dpend pas, parce que l'tre lui est acquis dans le corps, en tant qu'tre subsistant ; c'est pourquoi, une fois le corps dtruit, elle demeure nanmoins en son tre, bien que ce ne soit pas dans l'achvement de la nature qu'elle possde, quand elle est unie au corps.

q. 3 a. 10 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod natura corporis non aggravat animam, sed eius corruptio, ut ex ipsa auctoritate ostenditur.

# 17. Ce n'est pas la nature du corps qui appesantit lՉme, mais sa corruption, comme on le montre partir de cette autorit (Sg. 15)

 

 

 

Article 11 LՉme sensitive et l'me vgtative existent-elles par cration ou par transmission de la semence ?

q. 3 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum anima sensibilis et vegetabilis sint per creationem, vel traducantur ex semine. Et videtur quod sic, hac ratione.

Il semble que c'est par cration pour la raison suivante[423].

 

Objections :

q. 3 a. 11Arg. 1 Eorum enim quae sunt eiusdem rationis, est idem modus prodeundi in esse. Sed anima sensibilis et vegetabilis in homine sunt et in brutis et in plantis eiusdem speciei vel rationis. In homine autem sunt per creationem, cum sint eiusdem substantiae cum anima rationali, quae est per creationem, ut ostensum est. Ergo etiam in brutis et in plantis vegetabilis et sensibilis sunt per creationem.

1. Car ce qui est de mme nature, vient l'tre de la mme manire[424]. Mais lՉme sensitive et l'me vgtative sont de mme espce ou de mme nature, dans lhomme, les animaux et les plantes. Dans lhomme, elles sont cres, puisquelles sont de la mme substance que lՉme rationnelle elle-mme cre, comme on la montr (art. 9). Donc chez les animaux et les plantes aussi, lՉme vgtative et lՉme sensitive sont cres.

q. 3 a. 11Arg. 2 Sed dices, quod anima sensibilis et vegetabilis est in plantis et brutis ut forma et perfectio ; in hominibus autem ut dispositio.- Sed contra, quanto aliquid est nobilius, tanto nobiliori modo exit in esse. Sed nobilius est esse formam et perfectionem quam esse dispositionem. Si ergo anima sensibilis et vegetabilis in hominibus, in quibus sunt ut dispositiones, exeunt in esse per creationem, qui est nobilissimus modus prodeundi in esse cum nobilissimae creaturae hoc modo esse incipiant ; videtur quod multo magis in plantis et brutis sint productae per creationem.

2. Mais on pourrait dire que lՉme sensitive et vgtative est dans les plantes et les animaux comme une forme et une perfection ; et dans les hommes comme une disposition[425]. En sens contraire, plus un tre est noble, plus noble est sa manire de venir lՐtre. Mais il est plus noble dՐtre une forme et une perfection quune disposition. Si donc lՉme sensitive et lՉme vgtative dans les hommes, dans lesquels elles sont comme des dispositions, viennent lՐtre par cration, ce qui est le plus noble moyen de venir lՐtre, puisque les plus nobles cratures commencent exister de cette manire, il semble qu'elles aient t produites beaucoup plus par cration dans les plantes et les animaux.

q. 3 a. 11Arg. 3 Praeterea, dicit philosophus : quod vere est, id est substantia, nulli est accidens. Si ergo anima sensibilis et vegetabilis sunt in brutis et in plantis ut formae substantiales, non possunt esse in homine ut dispositiones accidentales.

3. Le philosophe dit (Physique, I, 7, 190 a 35[426]) : Ce qui est vraiment, cest--dire la substance, nest accident pour rien. Si donc lՉme sensitive et lՉme vgtative sont dans les animaux et dans les plantes comme des formes substantielles, elles ne peuvent pas tre dans lhomme comme des dispositions accidentelles.

q. 3 a. 11Arg. 4 Praeterea, ex virtute generantis producitur aliquid in esse in rebus viventibus per virtutem quae est in semine. Sed in semine non est anima sensibilis vel vegetabilis in actu. Cum ergo nihil agat nisi secundum quod est in actu, videtur quod ex virtute seminis non possit produci anima sensibilis vel vegetabilis ; et ita nec per generationem, sed per creationem.

4. A partir du pouvoir du gniteur, quelque chose vient l'tre chez les vivants par le pouvoir de la semence. Mais, en elle, il ny a pas dՉme sensitive ni vgtative en acte. Donc, puisque rien nagit que dans la mesure o il est en acte, il semble que lՉme sensitive ou l'me vgtative ne peuvent tre produites par le pouvoir de la semence et ainsi par gnration non plus mais par cration.

q. 3 a. 11Arg. 5 Sed dices, quod virtus quae est in semine, licet non sit anima sensibilis actu agit tamen in virtute animae sensibilis, quae erat in patre, a quo semen deciditur.- Sed contra, quod agit in virtute alterius, agit ut instrumentum illius. Instrumentum autem non movet nisi motum ; movens autem et motum oportet esse simul, ut probatur VII Phys. Cum ergo virtus quae est in semine, non sit coniuncta animae sensibili generantis, videtur quod non possit agere ut instrumentum eius, nec in virtute illius.

5. Mais on pourrait dire que le pouvoir qui est dans la semence, encore que celui-ci ne soit pas lՉme sensitive en acte, agit cependant dans le pouvoir de l'me sensitive, qui tait dans le pre, de qui la semence a t spare. En sens contraire, ce qui agit dans le pouvoir dun autre s'en sert comme de son instrument ; or celui-ci ne met en mouvement que m, mais il faut que le moteur, et ce qui est m soient ensemble, comme on le prouve (Physique VIII, 10, 266 b 27 267 b 17). Donc comme le pouvoir qui est dans la semence na pas t joint lՉme sensitive du gniteur, il semble quil ne peut pas agir comme son instrument, ni dans le pouvoir de celle-ci.

q. 3 a. 11Arg. 6 Praeterea, instrumentum se habet ad principale agens sicut virtus mota et imperata ad virtutem motivam et imperantem, quae est vis appetitiva et motiva. Sed virtus mota imperata non movet, si separetur a motiva imperante, ut patet in partibus animalis decisis. Ergo nec virtus quae est in semine deciso potest operari in virtute generantis.

6. Linstrument se comporte vis--vis de lagent principal comme un pouvoir m et command en vue d'un pouvoir qui meut et commande, qui est une force apptitive et motrice. Mais un pouvoir m et command ne meut pas, s'il est spar de ce qui met en mouvement et commande, comme cela parat dans les organes spars d'un animal. Donc le pouvoir qui est dans la semence spare ne peut oprer dans le pouvoir du gniteur.

q. 3 a. 11Arg. 7 Praeterea, quando effectus deficit a perfectione causae, non potest se extendere in propriam causae actionem ; diversitati enim naturarum attestatur diversitas actionum. Sed virtus quae est in semine, etsi sit effectus animae sensibilis generantis, tamen constat quod deficit a perfectione ipsius. Ergo non potest in actionem quae proprie competeret animae sensibili, scilicet producere animam sibi similem in specie.

7. Quand leffet est dfaillant par rapport la perfection de la cause, il ne peut sՎtendre la propre action de sa cause. Car la diversit des actions atteste la diversit des natures. Mais cependant il est clair que le pouvoir, qui est dans la semence, mme si cest leffet de lՉme sensitive du gniteur, est dfaillant par rapport sa perfection mme. Donc il ne peut pas, dans laction qui appartient proprement lՉme sensitive, produire une me qui lui ressemble en espce.

q. 3 a. 11Arg. 8 Praeterea, ad corruptionem subiecti sequitur corruptio formae et virtutis. Sed sperma in processu generationis corrumpitur, et aliam formam recipit, ut Avicenna dicit. Ergo virtus illa corrumpitur quae erat in semine ; non ergo per eam potest produci anima sensibilis in esse.

8. A la corruption du sujet succde celle de la forme et de la puissance. Mais le sperme est corrompu dans le processus de la gnration et il reoit une autre forme, comme Avicenne le dit. Donc ce pouvoir qui tait dans la semence est corrompu ; donc ce nest pas par lui que lՉme sensitive peut venir lՐtre.

q. 3 a. 11Arg. 9 Praeterea, natura inferior non agit nisi mediante calore et aliis qualitatibus activis et passivis. Sed calor non potest producere animam sensibilem in esse : quia nihil agit ultra suam speciem ; nec potest esse factum nobilius faciente. Ergo anima sensibilis vel vegetabilis non potest educi in esse per aliquod agens naturale ; et ita est a creatione.

9. La nature infrieure nagit que par lintermdiaire de la chaleur et dautres qualits actives et passives. Mais la chaleur ne peut amener lՉme sensitive lՐtre, parce que rien nagit au-del de son espce. Et rien de ce qui est fait n'est plus noble que ce qui le fait. Donc lՉme sensitive ou vgtative ne peut pas tre amene lՐtre par un agent naturel et ainsi elle lest par cration.

q. 3 a. 11Arg. 10 Praeterea, agens materiale non agit influendo, sed materiam transmutando. Sed per transmutationem materiae non pervenitur nisi ad formam accidentalem. Ergo per agens naturale non potest produci anima sensibilis et vegetabilis, quae sunt formae substantiales.

10. Lagent matriel nagit pas en exerant une influence sur la matire. Mais en la transformant, on ne parvient quՈ une forme accidentelle. Donc lՉme sensitive et l'me vgtative, qui sont des formes substantielles, ne peuvent pas tre produites par un agent naturel.

q. 3 a. 11Arg. 11 Praeterea, anima sensibilis vel vegetabilis habent quamdam quidditatem, quae quidditas est ab alio facta. Haec autem quidditas non erat ante generationem, nisi quia materia poterat eam habere. Ergo oportet quod producatur ab aliquo agente quod operetur non ex materia ; et huiusmodi est solus Deus creans.

11. LՉme sensitive ou l'me vgtative ont une quiddit, produite par un autre. Mais elle nexistait avant la gnration que parce que la matire pouvait lavoir. Donc il faut quelle soit produite par un agent qui nopre pas partir de la matire, et de tel, il ny a que le Dieu crateur.

q. 3 a. 11Arg. 12 Praeterea, animalia generata ex semine sunt nobiliora animalibus ex putrefactione generatis, utpote perfectiora, et sibi similium generativa. Sed in animalibus ex putrefactione generatis animae sunt a creatione : non enim est dare aliquod agens simile in specie a quo in esse producantur. Ergo videtur multo fortius quod animae animalium ex semine generatorum sint a creatione.

12. Les animaux engendrs par semence sont plus nobles que les animaux engendrs de la putrfaction, ils sont plus parfaits, et peuvent engendrer des tres semblables eux. Mais dans les animaux engendrs de la putrfaction, les mes viennent par cration. Car ce n'est pas par un agent semblable d'une espce semblable qu'ils sont amens l'tre. Donc il semble bien plus que les mes des animaux qui engendrent par la semence soient crs.

q. 3 a. 11Arg. 13 Sed dices, quod per virtutem caelestis corporis producitur anima sensibilis in animalibus ex putrefactione generatis, sicut et in aliis per virtutem formativam in semine.- Sed contra, sicut dicit Augustinus, substantia vivens praeeminet cuilibet substantiae non viventi. Sed corpus caeleste non est substantia vivens, cum sit inanimatum. Ergo eius virtute produci non potest anima sensibilis, quae est principium vitae.

13. Mais on pourrait dire que par le pouvoir du corps cleste, l'me sensitive est produite dans les animaux issus de la putrfaction, comme pour les autres par le pouvoir formateur qui est dans la semence. En sens contraire, comme le dit Augustin (La vraie religion, 55), la substance vivante est au-dessus de nimporte quelle substance non vivante. Mais le corps cleste nest pas une substance vivante, puisquil est inanim. Donc lՉme sensitive, qui est principe de vie ne peut tre produite par son pouvoir.

q. 3 a. 11Arg. 14 Sed dices, quod corpus caeleste potest esse causa animae sensibilis, prout agit in virtute intellectualis substantiae quae ipsum movet. Sed contra, quod recipitur in alio, est in eo per modum recipientis, et non per modum sui. Si ergo virtus intellectualis substantiae recipitur in corpore caelesti non vivente, non erit ibi ut virtus vitalis quae possit esse principium vitae.

14. Mais on pourrait dire que le corps cleste peut tre la cause de lՉme sensitive, en tant quil agit dans le pouvoir de la substance intellectuelle, qui le meut. En sens contraire, ce qui est reu dans un autre est en lui par le mode de celui qui reoit, et non par son mode propre. Donc si le pouvoir de la substance intellectuelle est reu dans un corps cleste non vivant, il ny sera pas l comme un pouvoir vital qui puisse tre principe de vie.

q. 3 a. 11Arg. 15 Praeterea, substantia intellectualis non solum vivit, sed etiam intelligit. Si ergo per eius virtute corpus caeleste ab ea motum potest conferre vitam, pari ratione conferre poterit intellectum ; et ita anima rationalis erit a generante ; quod est falsum.

15. La substance intellectuelle non seulement vit, mais aussi pense (intelligit). Donc si par son pouvoir, le corps cleste, m par elle, peut confrer la vie, raison gale, il pourra confrer lintellect. Et ainsi lՉme rationnelle viendra de celui qui engendre, ce qui est faux.

q. 3 a. 11Arg. 16 Praeterea, si anima sensibilis est ab aliquo agente naturali, et non per creationem, aut ergo producetur a corpore, aut ab anima. Sed non a corpore, quia sic corpus ageret ultra suam speciem : nec iterum ab anima : quia vel oporteret totam animam patris in filium transfundi, et sic pater absque anima remaneret ; vel quoad partem eius, et sic in patre non remaneret tota anima : quorum utrumque est falsum. Ergo anima sensibilis non est a generante, sed a creante.

16. Si lՉme sensitive vient dun agent naturel, et non par cration, elle est donc produite par le corps ou par lՉme. Mais pas par le corps, parce que, ainsi, un corps agirait au-del de son espce ; ni nouveau par lՉme, parce que, ou bien, il faudrait que toute lՉme du pre soit transfuse dans le Fils, et ainsi le pre demeurerait sans me, ou avec une partie seulement, et ainsi dans le pre, l'me ne resterait pas entire ; les deux solutions sont fausses. Donc lՉme sensitive ne vient pas de celui qui engendre mais du crateur.

q. 3 a. 11Arg. 17 Praeterea, Commentator dicit, quod nulla virtus cognoscitiva est ab actione elementorum commixtorum. Sed anima sensibilis est virtus cognoscitiva. Ergo non est ab actione elementorum ; et ita nec per actionem naturae, cum nulla actio naturae in istis inferioribus sit absque actione elementorum.

17. Le Commentateur dit (L'me, III) quaucun pouvoir connaissant vient de laction des lments mixtes. Mais lՉme sensitive est un pouvoir qui a la facult de connatre. Donc elle ne dpend pas de laction des lments, de l'action de la nature non plus, puisque aucune de ces actions nest dans ces choses infrieures sans laction des lments.

q. 3 a. 11Arg. 18 Praeterea, nulla forma potest esse movens, quae non est subsistens ; unde formae elementorum, secundum philosophum, non sunt moventes ; sed generans et removens prohibens. Sed anima sensibilis est movens, cum omne animal a sua anima moveatur. Ergo anima sensibilis non est forma tantum, sed est substantia per se existens. Constat etiam quod non est ex materia et forma composita. Omnis autem talis substantia educitur in esse per creationem, et non aliter. Ergo anima sensibilis educitur in esse per creationem.

18. Aucune forme, qui nest pas subsistante, ne peut tre moteur ; c'est pourquoi les formes des lments, selon le philosophe (Physique VIII, 4, 254 b35, 255 a 12) ne sont pas moteurs, mais cest ce qui engendre et prive en empchant. Mais lՉme sensitive est motrice, puisque tout animal est m par son me. Donc lՉme sensitive nest pas une forme seulement, mais une substance existant par soi. Il est clair aussi qu'elle nest pas compose de matire et de forme. Mais toute substance de ce genre vient lՐtre par cration, et non autrement. Donc lՉme sensitive vient lՐtre par cration.

q. 3 a. 11Arg. 19 Sed dices, quod anima sensibilis non movet per se corpus, sed ipsum corpus animatum movet se ipsum.- Contra, philosophus probat, quod in quolibet movente seipsum oportet unam partem esse quae sit movens tantum, et alteram quae sit mota. Sed corpus non potest esse movens tantum, quia nullum corpus movet nisi motum. Ergo oportet quod anima sit movens tantum ; et ita sensibilis anima habet operationem in qua non communicat sibi corpus : et sic anima sensibilis erit substantia subsistens.

19. Mais on pourrait dire que lՉme sensitive ne meut pas le corps par soi, mais que le corps anim se meut lui-mme. En sens contraire, le philosophe prouve (Physique VIII, 257 b 2 ss.) que dans nimporte quel tre qui se meut lui-mme, il faut quune partie de lՐtre soit moteur, et une autre mue. Mais le corps ne peut pas tre moteur seulement, parce quaucun corps ne meut que m. Donc il faut que lՉme soit moteur seulement et ainsi lՉme sensitive a une opration, o le corps ne communique pas avec elle et ainsi elle sera une substance subsistante.

q. 3 a. 11Arg. 20 Sed dices, quod anima sensibilis movet secundum imperium appetitivae virtutis, cuius actus communiter est animae et corporis. Sed contra, in animali non solum movet vis quae imperat motum, sed etiam est ibi vis exequens motum ; cuius operatio non poterit esse animae et corpori communis, rationibus praedictis ; et sic oportet quod anima sensibilis aliquam operationem per se habeat. Ergo est substantia per se subsistens ; et ita per creationem educitur in esse, et non per generationem naturalem.

20. Mais on pourrait dire que l'me sensitive meut selon l'ordre du pouvoir de l'apptit, dont lacte est commun au corps et l'me. Mais en sens contraire, dans lanimal, non seulement il y a la force qui commande le mouvement et meut, mais encore il y a l une force qui suit le mouvement dont lopration ne pourra pas tre commune lՉme et au corps, pour les raisons dj donnes. Et ainsi il faut que lՉme sensitive ait par soi une opration. Donc elle est substance subsistante par soi, et ainsi elle est amene lՐtre par cration, et non par la gnration naturelle.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 11 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Genes. I, vers. 20 : producant aquae reptile animae viventis ; et ita videtur quod animae sensibiles reptilium et aliorum animalium sint ex actione corporalium elementorum.

1. Il y a ce qui est dit en Gn. 1, 20 : Que les eaux produisent le reptile lՉme vivante, et ainsi il semble que les mes sensitives des reptiles et des autres animaux viennent de laction des corps lmentaires.

q. 3 a. 11 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet corpus patris ad eius animam, ita et corpus filii ad eius animam. Ergo commutatim, sicut se habet corpus filii ad corpus patris, ita et anima filii ad animam patris. Sed corpus filii traducitur a corpore patris. Ergo anima filii traducitur ab anima patris.

2. De la mme manire que se comporte le corps du pre vis--vis de son me, le corps du fils se comporte vis--vis de la sienne. Donc inversement, de mme que le corps du fils se comporte par rapport celui du pre, lՉme du fils se comporte par rapport celle du pre. Mais le corps du fils est transmis par le corps du pre. Donc lՉme du fils est transmise par lՉme du pre.

 

Rponse :

q. 3 a. 11 co. Respondeo. Dicendum quod circa productionem formarum substantialium, philosophorum opiniones diversificantur. Nam quidam dixerunt, quod agens naturale solummodo disponit materiam ; forma autem, quae est ultima perfectio, provenit a principiis supernaturalibus.

A propos de la production des formes substantielles, les opinions des philosophes ont diverg[427]. Car certains ont dit que lagent naturel dispose seulement la matire, mais la forme, qui est lultime perfection, provient des principes surnaturels.

Quae quidem opinio ex duobus praecipue ostenditur esse falsa : primo quidem ex hoc quod, cum esse formarum naturalium et corporalium non consistat nisi in unione ad materiam ; eiusdem agentis esse videtur eas producere cuius est materiam transmutare.

On montre que cette opinion est fausse principalement pour deux raisons : 1) Du fait que lՐtre des formes naturelles et corporelles ne consiste quen une union la matire, il semble que cest le fait d'un mme agent de les produire, dont le rle est de transformer la matire.

Secundo, quia cum huiusmodi formae non excedant virtutem et ordinem et facultatem principiorum agentium in natura, nulla videtur necessitas, eorum originem in principia reducere altiora ; unde philosophus dicit, quod caro et os generantur a forma quae est in his carnibus et in his ossibus : secundum cuius sententiam non solum agens naturale disponit materiam, sed educit formam in actum, e converso primae opinioni.

2) Parce que de telles formes nexcdent pas le pouvoir, lordre et la facult des principes agents dans la nature, on ne voit aucune ncessit de ramener leur origine des principes plus levs. Cest pour cela que le philosophe dit (Mtaphysique VII, 1034 a 5[428], Physique, II, 1, 193 a 2) que la chair et los sont engendrs par une forme qui est en ces chairs et en ces os ; selon cette opinion, non seulement lagent naturel dispose la matire mais amne la forme lacte, contrairement la premire opinion.

Ab hac autem generalitate formarum oportet excludere animam rationalem. Ipsa enim est substantia per se subsistens ; unde esse suum non consistit tantum in hoc quod est materiae uniri ; alias separari non posset : quod falsum esse etiam eius operatio ostendit, quae est animae secundum se ipsam absque corporis communione. Nec potest aliter operari quam sit. Quod enim per se non est, per se non operatur. Et iterum intellectualis natura totum ordinem et facultatem excedit materialium et corporalium principiorum ; cum intellectus intelligendo omnem corporalem naturam transcendere possit : quod non esset, si eius natura infra limites corporalis naturae contineretur.

De cet ensemble des formes, il faut exclure lՉme rationnelle. Car elle est elle-mme une substance subsistante par soi. C'est pourquoi son tre ne consiste pas seulement en ce quil doit tre unie la matire, autrement elle ne pourrait pas sen sparer : son opration montre que c'est faux, elle vient de lՉme mme en soi sans la participation du corps. Et elle ne peut agir autrement quelle est. Car ce qui nest pas par soi, nopre pas par soi. Et nouveau la nature intellectuelle excde tout lordre et toute la facult des principes matriels et corporels ; puisque lintellect en son intellection (intelligendo) peut transcender toute nature corporelle, ce qui ne serait pas possible si sa nature tait contenue dans les limites de la nature corporelle.

Neutrum autem horum de anima sensibili vel vegetabili dici potest. Esse autem huiusmodi animarum non potest consistere nisi in unione ad corpus : quod eorum operationes ostendunt ; quae sine organo corporali esse non possunt : unde nec esse earum est eis absolute sine dependentia ad corpus. Propter quod nec a corpore separari possunt, nec iterum in esse produci, nisi quatenus producatur corpus in esse. Unde sicut producitur corpus per actum naturae generantis, ita et animae praedictae. Ponere autem eas seorsum per creationem fieri, videtur redire in opinionem eorum qui ponebant huiusmodi animas post corpora remanere, cum utrumque simul in Lib. de Eccl. dogmatibus condemnetur.

Mais on ne peut utiliser ni l'un ni l'autre argument pour lՉme sensitive ou l'me vgtative. LՐtre des mes de ce genre ne peut consister que dans lunion au corps ; ce que leurs oprations montrent : elle ne peuvent exister sans organe corporel ; c'est pourquoi leur tre nest absolument pas pour elles sans dpendance au corps. A cause de cela, elles ne peuvent tre spares du corps, ni nouveau amenes lՐtre, que dans la mesure o le corps y est amen. C'est pourquoi, de mme que le corps est produit par laction de la nature qui engendre, les mes susdites aussi. Mais penser qu'elles soient faites sparment par cration semble ramener lopinion de ceux qui pensaient que les mes de ce genre demeuraient aprs le corps ; alors que les deux opinions sont condamnes ensemble dans le livre des Dogmes ecclsiastiques.

Huiusmodi etiam animae ordinem principiorum naturalium non excedunt. Et hoc patet earum operationes considerantibus. Nam secundum ordinem naturarum sunt etiam ordines actionum. Invenimus autem quasdam formas quae se ulterius non extendunt quam ad id quod per principia materialia fieri potest ; sicut formae elementares et mixtorum corporum, quae non agunt ultra actionem calidi et frigidi ; unde sunt penitus materiae immersae.

De telles mes ne dpassent pas l'ordre des principes naturels. Et cela est visible pour ceux qui considrent leurs oprations. Car l'ordre des actions dpend de l'ordre des natures. Nous trouvons certaines formes qui ne s'tendent pas plus loin que ce qui peut tre fait par les principes matriels ; ainsi les formes lmentaires et celles des corps mixtes qui n'agissent pas au-del de l'action du chaud et du froid. C'est pourquoi elles sont tout fait immerges dans la matire.

Anima vero vegetabilis, licet non agat nisi mediantibus qualitatibus praedictis, attingit tamen operatio eius ad aliquid in quod qualitates praedictae se non extendunt, videlicet ad producendum carnem et os, et ad praefigendum terminum augmento, et ad huiusmodi ; unde et adhuc retinetur infra ordinem materialium principiorum, licet non quantum formae praemissae.

Mais bien que lՉme vgtative nagisse que par lintermdiaire de ces qualits, cependant son opration va jusqu'o elles ne sՎtendent pas, savoir produire la chair et los et fixer un terme la croissance, etc. ; c'est pourquoi elle est encore retenue sous lordre des principes matriels, bien que pas autant sur les formes annonces.

Anima vero sensibilis non agit per virtutem calidi et frigidi de necessitate, ut patet in actione visus et imaginationis et huiusmodi ; quamvis ad huiusmodi operationes requiratur determinatum temperamentum calidi et frigidi ad constitutionem organorum, sine quibus actiones praedictae non fiunt ; unde non totaliter transcendit ordinem materialium principiorum, quamvis ad ea non tantum deprimatur, quantum formae praedictae.

Mais lme sensitive nagit pas ncessairement par le pouvoir du chaud et du froid, comme cela parat dans laction de la vue, de limagination, etc., quoique pour de telles oprations un caractre dtermin de chaud et de froid soit requis pour la constitution des organes, sans lesquels les actions susdites ne se font pas ; c'est pourquoi elle ne transcende pas totalement lordre des principes matriels, bien qu'elle n'y soit pas enclave autant que les formes susdites.

Anima vero rationalis etiam agit actionem ad quam virtus calidi et frigidi non se extendit ; nec eam exercet per virtutem calidi et frigidi, nec organo etiam corporali ; unde ipsa sola transcendit ordinem naturalium principiorum ; non autem anima sensibilis in brutis, vel vegetabilis in plantis.

Mais lՉme rationnelle accomplit une action l o ne sՎtend pas le pouvoir du chaud et du froid, et elle ne l'exerce pas par ce pouvoir, ni par un organe matriel. C'est pour cela qu'elle seule transcende lordre des principes naturels, mais pas lՉme sensitive dans les animaux, ni lՉme vgtative dans les plantes.

 

Solutions :

q. 3 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet anima sensibilis in hominibus et brutis sit eiusdem rationis secundum genus, non tamen est eiusdem rationis secundum speciem, sicut nec idem animal specie est homo et brutum ; unde et operationes animae sensibilis sunt multo nobiliores in homine quam in brutis, ut patet in tactu et in apprehensivis interioribus. Nec oportet eorum quae sunt in genere, si specie differant, esse unum modum procedendi in esse, ut patet per animalia generata ex semine et ex putrefactione ; quae in genere conveniunt, et specie differunt.

# 1. Bien que lՉme sensitive soit de mme nature en genre dans les hommes et les animaux, cependant elle ne l'est pas en espce ; ainsi l'homme et la bte ne sont pas un tre anim identique en espce ; c'est pourquoi les oprations de lՉme sensitive sont beaucoup plus nobles chez lhomme que chez les btes, comme cela parat dans le toucher et dans les perceptions intrieures. Et il ne faut pas, pour ceux qui sont dans un genre, sils diffrent par lespce, qu'il y ait un seul mode de parvenir lՐtre, comme cela parat chez les animaux engendrs de la semence et de la putrfaction, qui sont dans un mme genre et diffrent en espce.

q. 3 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in homine non dicitur anima sensibilis ut dispositio, quasi sit aliud in substantia ab anima rationali, et sit dispositio ad ipsam ; sed quia non distinguitur sensibile a rationali in homine, nisi sicut potentia a potentia. Anima vero sensibilis in bruto distinguitur ab anima rationali hominis sicut una forma substantialis ab alia. Et tamen sicut potentia sensibilis in homine et vegetabilis fluunt ab essentia animae, ita et in brutis et in plantis. Sed in hoc differunt quia in plantis non fluunt ab essentia animae nisi potentiae vegetabiles, et ideo ab eis anima denominatur ; in brutis vero non solum vegetabiles, sed etiam sensibiles a quibus denominatur eorum anima ; in homine vero praeter has etiam intellectuales a quibus denominatur.

# 2. Dans lhomme on ne parle pas de lՉme sensitive comme d'une disposition, comme si dans la substance elle tait autre que lՉme rationnelle et disposition pour elle-mme ; mais parce qu'on ne distingue le sensitif du rationnel dans lhomme, que comme une puissance dune autre puissance. Mais lՉme sensitive dans lanimal est distincte de lՉme rationnelle de lhomme comme une forme substantielle dune autre. Cependant la puissance sensitive et vgtative dans lhomme dcoule de lessence de lՉme, dans les animaux et dans les plantes aussi. Mais elles diffrent en ceci que dans les plantes, seules les puissances vgtatives dcoulent de lessence de lՉme, c'est pourquoi on dfinit leur me par elles ; dans les animaux non seulement les puissances vgtatives mais aussi sensitives par lesquelles leur me est dfinie, dans l'homme en plus les puissances intellectuelles par lesquelles elle est dfinie.

q. 3 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod substantia, a qua potentia sensibilis fluit, tam in brutis quam in hominibus est forma substantialis ; potentia vero utrobique est accidens.

# 3. La substance, d'o dcoule la puissance sensitive, tant chez les animaux que chez les hommes, est une forme substantielle ; mais la puissance dans les uns et les autres est un accident.

q. 3 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod anima sensibilis non est actu in semine secundum propriam speciem, sed sicut in virtute activa ; sicut domus in actu est in mente artificis ut in virtute activa : et sicut formae corporales sunt in virtutibus caelestibus.

# 4. LՉme sensitive nest pas en acte dans le semence pour son espce propre, mais comme dans une puissance active ; de la mme manire la maison en acte est dans lesprit de lartisan comme dans une puissance active ; et de mme les formes corporelles sont dans les puissances clestes.

q. 3 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod instrumentum intelligitur moveri a principali agente, quamdiu retinet virtutem a principali agente impressam ; unde sagitta tamdiu movetur a proiciente, quamdiu manet vis impulsus proicientis. Sicut etiam generatum tamdiu movetur a generante in gravibus et levibus quamdiu retinet formam sibi traditam a generante ; unde et semen tamdiu intelligitur moveri ab anima generantis quamdiu remanet ibi virtus impressa ab anima, licet corporaliter sit divisum. Oportet autem movens et motum esse simul quantum ad motus principium, non tamen quantum ad totum motum, ut apparet in proiectis.

# 5. On comprend que linstrument est mis en mouvement par lagent principal aussi longtemps quil conserve ce pouvoir imprim par cet agent ; c'est pourquoi la flche est mue par celui qui la lance tant que dure son impulsion. De mme aussi, tant que lengendr est m par celui qui engendre dans le lourd et le lger, il conserve la forme qui lui a t donne par lui ; c'est pourquoi, on comprend que la semence est mue par lՉme de celui qui engendre, tant qu'en lui il y a le pouvoir imprim par lՉme, bien qu'il soit divis corporellement. Mais il faut que le moteur et le m soit ensemble au principe du mouvement, non cependant pour tout ce qui est m, comme cela parat dans ce quon projette.

q. 3 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod vis appetitiva animae non habet imperium nisi super corpus unitum ; unde pars decisa non obedit animae appetitivae ad votum. Sed semen non movetur ab anima generantis per imperium, sed per cuiusdam virtutis transfusionem, quae in semine manet etiam postquam fuerit decisum.

# 6. La force apptitive de lՉme na de pouvoir que sur le corps qui lui est uni ; c'est pourquoi une partie coupe nobit pas au dsir de lՉme apptitive. Mais la semence nest pas mue par lՉme de celui qui engendre par pouvoir, mais par la transmission dun certain pouvoir qui demeure dans la semence mme une fois spare.

q. 3 a. 11 ad 7 Ad septimum dicendum, quod anima sensibilis et vegetabilis de potentia materiae educuntur, sicut et formae aliae materiales ad quarum productionem requiritur virtus materiam transmutans. Virtus autem quae est in semine licet deficiat ab aliis actionibus animae hanc tamen habet. Sicut enim per animam materia transmutatur, ut convertatur in totum in actione nutrimenti ; ita et per virtutem praedictam transmutatur materia, ut generetur conceptum ; unde nihil prohibet quin virtus praedicta operetur quantum ad hoc ad actionem animae sensibilis in virtute ipsius.

# 7. LՉme sensitive et l'me vgtative sont tires de la puissance de la matire, comme les autres formes matrielles pour la production desquelles est requis un pouvoir qui transforme la matire. Mais bien que le pouvoir qui est dans la semence soit dfaillant, par les autres actions de l'me il la possde cependant ; en effet, la matire est transforme par lՉme, pour quelle soit convertie en tout par laction de la nourriture, de mme par le pouvoir susdit, la matire est transforme, pour engendrer ce qui est conu ; c'est pourquoi rien nempche que ce pouvoir opre, ce sujet, en son pouvoir pour laction de lՉme sensitive.

q. 3 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus praedicta radicatur in spiritu, qui in semine includitur, sicut in subiecto. Fere autem totum semen, ut dicit Avicenna, in spiritum convertitur. Unde licet corpulenta materia, ex qua conceptum formatur, multoties per generationem transmutetur, non tamen virtutis praedictae subiectum destruitur.

# 8. Ce pouvoir, prend racine dans l'esprit, qui se trouve inclus dans la semence, comme dans son sujet. Mais presque toute la semence, comme le dit Avicenne, est convertie en cet esprit. C'est pourquoi, bien que la matire corporelle, d'o ce qui est conu est form, soit transforme de nombreuses fois par gnration, cependant le substrat de ce pouvoir nest pas dtruit.

q. 3 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut calor agit ut instrumentum formae substantialis ignis, ita nihil prohibet quin agat ut instrumentum animae sensibilis ad educendum animam sensibilem in actum, non quod propria virtute hoc possit.

# 9. La chaleur agit comme instrument de la forme substantielle du feu, de la mme manire, rien nempche quelle agisse comme instrument de lՉme sensitive pour lamener l'me l'acte, encore qu'elle ne le puisse pas par son propre pouvoir[429].

q. 3 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod materia transmutatur non tantum transmutatione accidentali, sed etiam substantiali ; utraque enim forma in materiae potentia praeexistit ; unde agens naturale, quod materiam transmutat, non solum est causa formae accidentalis, sed etiam substantialis.

# 10. La matire subit un changement, non seulement accidentel, mais aussi substantiel ; car lune et lautre forme prexiste dans la puissance de la matire ; c'est pourquoi lagent naturel qui transforme la matire est non seulement la cause de la forme accidentelle, mais aussi de la forme substantielle.

q. 3 a. 11 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod anima sensibilis cum non sit res subsistens, non est quidditas, sicut nec aliae formae materiales, sed est pars quidditatis, et esse suum est in concretione ad materiam ; unde nihil aliud est animam sensibilem produci, quam materiam de potentia in actum transmutari.

# 11. Comme lՉme sensitive nest pas un tre subsistant, elle nest pas une quiddit, les autres formes matrielles non plus, mais elle en est une partie ; et son tre est dans son agrgation la matire. C'est pourquoi, produire l'me sensitive n'est rien d'autre que faire passer la matire de la puissance l'acte.

q. 3 a. 11 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod quanto aliquid est imperfectius, tanto ad eius constitutionem pauciora requiruntur. Unde cum animalia ex putrefactione generata, sint imperfectiora animalibus quae ex semine generantur, in animalibus ex putrefactione generatis sufficit sola virtus caelestis corporis quae etiam in semine operatur, licet non sufficiat sine virtute animae ad producendum animalia ex semine generata : virtus enim caelestis corporis in inferioribus corporibus relinquitur, in quantum ab eo transmutantur, sicut a primo alterante. Et propter hoc dicit philosophus, in libro de animalibus, quod omnia corpora inferiora sunt plena virtutibus animae. Caelum autem licet non sit simile in specie cum huiusmodi animalibus ex putrefactione generatis, est tamen similitudo quantum ad hoc quod effectus in causa activa virtualiter praeexistit.

# 12. Plus une chose est imparfaite, moins elle a de besoins pour sa constitution. C'est pourquoi, puisque les animaux engendrs de la putrfaction sont plus imparfaits que ceux ns dune semence, il suffit pour eux du seul pouvoir du corps cleste qui opre aussi dans la semence, bien quil ne suffise pas sans le pouvoir de lՉme pour produire les animaux engendrs par la semence. Car le pouvoir du corps cleste demeure dans les corps infrieurs, dans la mesure o ils sont transforms par lui, comme par le premier qui apporte le changement. Et c'est pour cela que le philosophe dit, dans le Livre des Animaux, que tous les corps infrieurs sont emplis des pouvoirs de l'me. Mais bien que le ciel ne soit pas semblable en espce avec de tels animaux engendrs de la putrfaction, il y a cependant ressemblance, parce que leffet prexiste potentiellement dans la cause.

q. 3 a. 11 ad 13 Ad decimumtertium dicendum est, quod corpus caeleste etsi non sit vivum, agit tamen in virtute substantiae viventis a qua movetur, sive sit Angelus, sive sit Deus. Secundum philosophos tamen ponitur corpus caeleste animatum et vivum.

# 13. Mme si le corps cleste nest pas vivant, il agit cependant dans le pouvoir de la substance vivante par laquelle il est m ; que ce soit un ange, ou Dieu. Les philosophes, cependant, pensent qu'un corps cleste est anim et vivant.

q. 3 a. 11 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod virtus substantiae virtualis moventis relinquitur in corpore caelesti et motu eius, non sicut forma habens esse completum in natura, sed per modum intentionis, sicut virtus artis est in instrumento artificis.

# 14. Le pouvoir de la substance, moteur virtuel, est laiss dans le corps cleste et son mouvement, non comme une forme ayant lՐtre complet en nature, mais par mode dintention comme le pouvoir de lart est dans linstrument de lartisan.

q. 3 a. 11 ad 15 Ad decimumquintum dicendum est quod anima rationalis, ut dictum est, excedit totum ordinem corporalium principiorum ; unde nullum corpus potest agere etiam ut instrumentum ad eius productionem.

# 15. LՉme rationnelle, comme on la dit, dpasse tout lordre des principes corporels, c'est pourquoi aucun corps ne peut agir mme comme instrument pour sa production.

q. 3 a. 11 ad 16 Ad decimumsextum dicendum est, quod anima sensibilis producitur in concepto non per actionem corporis nec per decisionem animae, sed per actionem virtutis formativae, quae est in semine ab anima generante, ut dictum est.

# 16. LՉme sensitive est produite dans ce qui est conu, non par laction dun corps ni par sparation de lՉme, mais par laction du pouvoir formateur qui vient dans la semence par lՉme qui engendre, comme on la dit.

q. 3 a. 11 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod virtus cognoscitiva negatur esse ab actione elementorum, quasi elementorum virtutes ad eam causandam sufficiant sicut sufficiunt ad causandam duritiem et mollitiem. Non autem negatur quin instrumentaliter aliquo modo cooperari possit.

# 17. On nie que le pouvoir cognitif vienne de laction des lments, comme si les pouvoir des lments suffisaient les causer, comme ils suffisent causer la duret ou la tendret. Mais on ne nie pas quils puissent cooprer de quelque manire en tant quinstrument.

q. 3 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod anima sensibilis movet per appetitum. Actio vero appetitus sensibilis non est animae tantum, sed compositi ; unde talis vis habet determinatum organum. Unde non oportet ponere, quod anima sensibilis aliquam operationem habeat absque corporis communione.

18. LՉme sensitive meut par lapptit. Mais laction de lapptit sensible ne vient pas de lՉme seulement, mais du compos ; c'est pourquoi un tel pouvoir a un organe dtermin. Aussi, il ne faut pas penser que lՉme sensitive a quelque opration hors de son union au corps.

q. 3 a. 11 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod corpus potest movere quasi non motum specie illa motus qua movet, licet non possit movere nisi aliquo modo motum ; corpus enim caeli alterat non alteratum, sed localiter motum ; et similiter organum virtutis appetitivae movet localiter non motum sed aliquo modo alteratum localiter. Operatio enim appetitivae sensibilis sine corporali alteratione non contingit, sicut patet in ira et in huiusmodi passionibus.

# 19. Le corps peut mouvoir comme non m, par cette espce de mouvement par lequel il meut, bien quil ne puisse mouvoir qu'en tant m en quelque manire. Car le corps du ciel change sans tre chang, mais m localement, et de la mme manire lorgane du pouvoir de lapptit meut, localement non m, mais chang localement dune certaine manire. Car lopration de lapptit sensible n'arrive pas sans changement du corps, comme cela parat dans la colre et les passions de ce genre.

q. 3 a. 11 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod vis motiva exequens motum est magis dispositio mobilis qua natum est moveri a tali motore, quam sit per se movens.

# 20. La force motrice qui accompagne le mouvement est plus une disposition mobile par laquelle elle est destine tre m par un tel moteur, que d'tre moteur par soi.

 

 

 

Article 12 LՉme sensitive ou lՉme vgtative sont-elles dans la semence ds le moment o elle est spare ?

q. 3 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum anima sensibilis vel vegetabilis sint in semine a principio quando deciditur. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[430].

 

Objections :[431] :

q. 3 a. 12Arg. 1 Quia, ut Gregorius Nyssenus dicit, utriusque opinionis assertio vituperatione non caret, et eorum qui prius vivere animas in suo quodam statu atque ordine fabulantur, et eorum qui eas post corpora creatas existimant. Sed si anima in semine non fuit in suo principio, oportet eam fieri post corpus. Ergo anima a principio fuit in semine.

1. Comme Grgoire de Nysse le dit (La cration de l'homme, XVI) : Laffirmation des deux opinions ne manque pas de critiques : celle de ceux qui ont pens que les mes vivent dabord dans un certain tat et un certain ordre, et celle ceux qui pensent quelles sont crs aprs les corps. Mais si lՉme na pas t dans la semence en son commencement, il faut quelle soit faite aprs le corps. Donc lՉme a t ds le commencement dans la semence.

q. 3 a. 12Arg. 2 Praeterea, si anima sensibilis a principio non fuit in semine, sicut nec rationalis ; eadem ratio erit de sensibili et rationali. Sed anima rationalis est a creatione. Ergo et anima sensibilis est a creatione : cuius contrarium est ostensum.

2. Si lՉme sensitive na pas t ds le commencement dans la semence, lՉme rationnelle non plus ; la mme raison sappliquera lune et l'autre. Mais cette dernire est cre. Donc lՉme sensitive aussi, alors qu'on a montr le contraire (article prcdant).

q. 3 a. 12Arg. 3 Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod virtus quae est in semine est sicut filius de domo patris egrediens. Sed filius est eiusdem speciei cum patre. Ergo et illa virtus quae est in semine est eiusdem speciei cum anima sensibili, a qua derivatur.

3. Le philosophe dit (Les animaux, livre 16, La gnration animale, II, ch. 4) que le pouvoir qui est dans la semence est comme le fils qui sort de la maison de son pre. Mais le fils est de la mme espce que son pre. Donc ce pouvoir qui est dans la semence est de la mme espce que lՉme sensitive d'o il drive.

q. 3 a. 12Arg. 4 Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod virtus illa est sicut ars, quae si in materia esset, ad perfectionem artificiati operaretur. Sed in arte est species artificiati. Ergo in illa virtute seminis est species animae sensibilis quae per semen producitur.

4. Le philosophe dit (Les animaux, livre 16), que ce pouvoir est comme lart, qui, s'il tait dans la matire, oprerait pour la perfection de luvre fabrique. Mais dans l'art il y a la forme de l'uvre. Donc dans ce pouvoir de la semence il y a la forme de lՉme sensitive qui est produite par la semence.

q. 3 a. 12Arg. 5 Praeterea, decisio seminis est naturalis, decisio vero animalis anulosi est contra naturam. Sed in parte animalis anulosi decisi est anima, ut philosophus dicit. Ergo multo magis est in semine deciso.

5. La sparation de la semence est naturelle, mais la division du ver est contre nature[432]. Mais dans la partie spare de cet animal il y a une me, comme le dit le philosophe. Donc encore plus dans la semence spare.

q. 3 a. 12Arg. 6 Praeterea, philosophus dicit, in XVI de animalibus, quod mas in generatione animalis dat animam. Sed nihil est egrediens a patre nisi semen. Ergo anima est in semine.

6. Le philosophe dit (Les animaux, livre 16), que le mle, dans la gnration de lanimal, donne lՉme. Mais rien ne sort du pre que la semence. Donc lՉme est dans la semence.

q. 3 a. 12Arg. 7 Praeterea, accidens non transfunditur nisi per transfusionem subiecti. Sed aliquae aegritudines transfunduntur a parentibus in filios, sicut lepra et podagra et huiusmodi. Ergo et eorum substantia transfunditur. Haec autem non sunt sine anima. Ergo anima est a principio in semine.

7. Laccident nest transmis que par transmission de son substrat. Or certaines maladies sont transmises par les parents leurs enfants comme la lpre, la goutte etc.. Donc leur substance est transmise. Mais cela ne se fait pas sans lՉme. Donc lՉme est au commencement dans la semence.

q. 3 a. 12Arg. 8 Praeterea, Hippocrates dicit, quod per decisionem venae quae est iuxta aures, generatio impeditur. Hoc autem non esset, nisi semen decideretur a toto corpore, quasi actio per prius existens. Ergo cum id quod est actu pars animalis, habeat animam, videtur, quod semen a principio habeat animam.

8. Hippocrate dit que la coupure de la veine qui est prs des oreilles empche la gnration. Mais cela n'arriverait que si la semence tait spare du corps tout entier, comme une action prexistant. Donc comme ce qui est la partie en acte de lanimal a une me, il semble que la semence en a une ds le commencement.

q. 3 a. 12Arg. 9 Praeterea, idem dicit, quod equus quidam propter nimium coitum inventus est sine cerebro. Hoc autem non esset, nisi semen decideretur ab eo quod est actu pars. Ergo idem quod prius.

9. Le mme dit qu'un cheval cause dun accouplement excessif a t trouv sans cerveau. Mais cela ne serait pas arriv si la semence avait t spare de ce qui est une partie en acte. Donc de mme que ci-dessus.

q. 3 a. 12Arg. 10 Praeterea, quod est superfluum, non est de substantia rei. Si ergo semen sit superfluum, non erit de substantia generantis ; et ita filius, qui est ex semine, non erit de substantia patris ; quod est inconveniens. Ergo semen est de substantia generantis ; et ita est ibi anima in actu.

10. Le superflu nappartient pas la substance. Donc si la semence est un superflu, elle nappartiendra pas la substance de celui qui engendre et ainsi le fils, qui vient de la semence ne sera pas de la substance du pre, ce qui ne convient pas. Donc la semence vient de la substance de celui qui engendre, et ainsi il y a l une me en acte.

q. 3 a. 12Arg. 11 Praeterea, omne quod caret anima, est inanimatum. Si ergo semen caret anima, erit inanimatum ; et sic corpus inanimatum transmutabitur, et fiet animatum ; quod videtur inconveniens. Ergo anima est a principio in semine.

11. Tout de qui n'a pas dՉme est inanim. Donc si la semence n'en a pas, elle sera inanime, et ainsi le corps inanim sera transform et deviendra anim, ce qui ne parat pas convenir. Donc lՉme est au commencement dans la semence.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod philosophus dicit quod semen et fructus est in tali potentia ad animam, quae est abiiciens animam.

1. Le Philosophe dit (L'me, II, 1, 412 b 25[433]) que la semence et le fruit, sont en une telle puissance pour l'me qui est spare.

q. 3 a. 12 s. c. 2 Praeterea, si semen a principio habet animam, hoc non videtur esse possibile nisi duobus modis ; vel quod tota anima generantis in semen transeat ; vel quod pars eius. Utrumque autem horum videtur esse inconveniens ; quia ex primo sequitur quod non remaneat anima in patre, ex secundo autem sequitur quod non remaneat ibi tota. Ergo anima non est in semine a principio.

2. Si la semence possde une me au commencement, cela ne parait possible que de deux manires ; lՉme de celui qui engendre passe dans la semence, toute ou bien en partie. Lune et lautre de ces solutions ne paraissent pas convenir, parce que de la premire, il dcoule quil ne reste pas dՉme dans le pre, et de la seconde, quelle n'y reste pas toute entire. Donc lՉme nest pas dans la semence au commencement.

 

Rponse :

q. 3 a. 12 co. Respondeo. Dicendum quod opinio quorumdam fuit, quod anima a principio decisionis esset in semine, volentes quod sicut corpus divideretur a corpore, ita simul anima propagaretur ab anima, ut statim cum corporis particula esset etiam ibi anima.

Lopinion de certains fut que lՉme au commencement de la sparation tait dans la semence ; ils voulaient que, de mme que le corps est spar du corps, en mme temps lՉme soit transmise par lՉme, pour quaussitt elle y soit aussi avec une parcelle du corps.

Haec autem opinio non videtur esse vera : quia, secundum quod philosophus probat in XV de animalibus, semen non deciditur ab eo quod fuit actu pars, sed quod fuit superfluum ultimae digestionis ; quod nondum erat ultima assimilatione assimilatum. Nulla autem corporis pars est actu per animam perfecta, nisi sit ultima assimilatione assimilata ; unde semen ante decisionem nondum erat perfectum per animam, ita quod anima esset forma eius ; erat tamen ibi aliqua virtus, secundum quam iam per actionem animae erat alteratum et deductum ad dispositionem propinquam ultimae assimilationi ; unde et postquam decisum est, non est ibi anima, sed aliqua virtus animae. Et propter hoc, in XVI de animalibus, philosophus dicit, quod in semine est virtus principii animae.

Cette opinion ne parat pas vraie, parce que, selon ce que le philosophe prouve (Les animaux, XV, (livre. 1 de La gnration des animaux, ch. 18,19), la semence ne serait pas spare de ce qui fut une partie en acte, mais de ce qui fut le superflu dune ultime digestion, qui nՎtait pas encore assimile tout fait, mais aucune partie du corps n'est parfaite en acte par l'me si elle n'est assimile tout fait. C'est pourquoi la semence avant la sparation nest pas encore acheve par lՉme, de sorte que lՉme soit sa forme ; cependant il y avait l un pouvoir selon lequel, dj par laction de lՉme, elle tait change et amene une disposition proche de la dernire assimilation ; c'est pourquoi, aprs sa sparation, il ny a pas dՉme mais un pouvoir de l'me. Et c'est pour cela que dans le Livre 16 de La gnration des animaux, la gnration animale, ch. 3, le philosophe dit que dans la semence il y a le pouvoir du principe de lՉme.

Et praeterea si anima esset in semine a principio, aut esset ibi habens actu speciem animae, aut non, sed ut quaedam virtus, quae converteretur postmodum in animam. Primum esse non potest : quia cum anima sit actus corporis organici, ante qualemcumque organizationem corpus susceptivum animae esse non potest. Et etiam sic sequitur quod totum id quod agit in seminibus, non est nisi quaedam dispositio materiae, et per consequens non esset generatio, cum generatio non sequatur, sed praecedat formam substantialem. Nisi forte dicatur, quod corporis sit alia forma substantialis praeter animam ; ex quo sequitur quod anima non substantialiter corpori uniretur, utpote adveniens corpori, postquam est iam per aliam formam hoc aliquid constitutum.

Et en plus si lՉme tait dans la semence ds le dpart, ou elle possderait la forme de lՉme en acte, ou pas, mais comme une certaine puissance qui se transformerait ensuite en me. La premire solution n'est pas possible, parce que, comme lՉme est lacte dun corps organique, le corps qui reoit lՉme ne peut pas exister avant nimporte quelle organisation. Et mme ainsi il en dcoule que tout ce qui agit dans les semences, nest quune disposition de la matire, et par consquence ce ne serait pas une gnration, puisque celle-ci ne suit pas mais prcde la forme substantielle. A moins que par hasard on dise qu'il y aurait une autre forme substantielle du corps en plus de lՉme. Il en dcoule que lՉme ne serait pas unie substantiellement au corps, ou qu'elle arriverait en lui aprs qu'il soit dj constitu par une autre forme.

Sequeretur ulterius quod generatio viventis non esset generatio, sed decisio quaedam ; sicut pars ligni separatur a ligno, ut sit actu lignum.

Il dcoulerait par la suite que la gnration du vivant ne serait pas une gnration, mais une espce de sparation ; comme un morceau de bois est spar du bois pour tre du bois en acte.

Secunda pars divisionis praedictae esse non potest ; quia secundum hoc sequeretur quod forma substantialis non subito sed successive in materia proveniret ; et sic in substantia esset motus, sicut in quantitate et qualitate ; quod est contra philosophum ; et etiam formae substantiales reciperent magis et minus ; quod est impossibile. Unde relinquitur quod anima non est in semine, sed virtus quaedam animae, quae agit ad animam producendam, ab anima derivata.

La seconde partie de la division dont on a parl ne peut pas exister, parce qu'il en dcoulerait que la forme substantielle ne parviendrait pas dans la matire subitement, mais successivement, et ainsi il y aurait du mouvement dans la substance, comme dans la quantit et la qualit ; ce qui est contre ce que dit le philosophe (V Physique, V, 2, 225 b 10-226 a 23) et mme les formes substantielles recevraient du plus et du moins, ce qui est impossible. C'est pourquoi, il reste que ce n'est pas lՉme qui est dans la semence, mais un certain pouvoir de l'me qui en est driv, qui agit pour la produire.

 

Solutions :

q. 3 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus viventis, utpote leonis vel olivae, non est anima, sed est semen corporis tantum ante animam, et ante virtutem quae agit ad animam. Eadem enim est proportio seminis ad virtutem huiusmodi, et corporis ad animam.

# 1. Le corps de l'tre vivant, comme celui du lion ou de lolive, nest pas une me, mais cest la semence du corps seulement avant lՉme et avant son pouvoir qui agit pour lՉme. Car il y a la mme proportion de la semence un tel pouvoir que du corps lՉme.

q. 3 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc interest inter animam rationalem et alias animas, quod anima rationalis non est ex virtute seminis sicut aliae animae ; quamvis nulla anima sit in semine a principio.

# 2. Entre lՉme rationnelle et les autres mes il y a cette diffrence que la premire ne vient pas du pouvoir de la semence, comme les autres, bien qu'aucune me ne soit dans la semence ds le commencement.

q. 3 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus illa non assimilatur filio egredienti de domo patris quantum ad complementum speciei, sed quantum ad acquisitionem eorum quae desunt utrique ad aliquod complementum. Perfectio enim prima plerumque manifestatur per similitudinem perfectionis secundae.

# 3. Ce pouvoir ne ressemble pas au fils qui sort de la maison du pre pour complter lespce, mais pour acqurir de ce qui manque lun et lautre pour les complter. Car la perfection premire, la plupart du temps, se manifeste par la ressemblance de la perfection seconde[434].

q. 3 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod assimilatio inter virtutem praedictam et artem procedit quantum ad hoc quod sicut artificiatum praeexistit in arte sicut in virtute activa, ita et res viva generanda in virtute formativa.

# 4. La ressemblance entre un tel pouvoir et lart vient du fait que, de mme que luvre prexiste dans lart, comme dans un pouvoir actif, de mme l'tre vivant qui doit tre engendr prexiste dans un pouvoir formateur.

q. 3 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex hoc ipso decisio animalis anulosi est violenta et contra naturam, quod pars decisa erat actu pars, et perfecta per animam ; unde per decisionem materiae anima in utraque parte remanet ; quae quidem erat in toto una in actu, et plures in potentia. Quod quidem accidit per hoc quod huiusmodi animalia fere sunt similia in toto et partibus ; nam eorum animae, quia imperfectiores sunt aliis, modicam diversitatem organorum requirunt. Et inde est quod una pars decisa potest esse animae susceptiva, utpote habens tantum de organis quantum sufficit ad talem animam suscipiendam ; sicut accidit in aliis corporibus similibus utpote ligno et lapide, aqua et aere. Ex hoc autem philosophus probat in XV de animalibus, quod sperma non fuit actu pars ante decisionem ; quia eius decisio non fuisset naturalis, sed modus corruptionis cuiusdam. Unde non oportet quod per decisionem seminis in ipso semine anima remaneat.

# 5. La coupure du ver est violente et contre nature, parce que la partie coupe tait une partie en acte, parfaite par lՉme ; c'est pourquoi quand on coupe le corps, lՉme demeure dans lune et lautre partie, qui tait une en acte dans le tout et plusieurs en puissance. Ce qui arrive parce que de tels animaux sont presque semblables dans le tout et dans la partie ; parce que leurs mes sont plus imparfaites que les autres, elles demandent peu de diversit dans leurs organes. Et de l vient qu'une partie coupe peut recevoir lՉme, comme ayant seulement[435] pour les organes autant qu'il suffit pour recevoir une telle me, comme cela arrive dans les autres corps semblables, comme le bois et la pierre, leau et lair. De l le philosophe prouve (les animaux,15, La gnration animale, 18) que le sperme na pas t une partie en acte avant la sparation, parce que celle-ci naurait pas t naturelle, mais une manire de corruption. C'est pourquoi il ne faut pas que lՉme demeure en elle par la sparation de la semence.

q. 3 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod mas dicitur dare animam, in quantum in semine maris continetur virtus quae agit ad animam.

# 6. On dit que la mle donne lՉme, dans la mesure o le pouvoir qui agit pour lՉme est contenu dans sa semence.

q. 3 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aegritudines, de quibus est obiectio, non traducuntur cum semine quasi actu in semine sint, sed quia est principium eorum in semine, per aliquam seminis indispositionem.

# 7. Les maladies dont on parle dans lobjection ne sont pas transmises avec la semence, comme si elles y taient en acte, mais parce que leur principe est dans la semence, par une mauvaise disposition.

q. 3 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod cum sperma sit quaedam superfluitas, habet quasdam proprias vias, sicut et aliae superfluitates, quibus intercisis generatio impeditur ; non propter hoc quod aliquid ex eo quod erat actu pars, resolvatur.

# 8. Comme le sperme est une surabondance, il a ses propres voies, comme les autres surabondances, par lesquelles, si elles sont coupes, la gnration est empche. Ce nest pas cause de cela que quelque chose qui tait une partie en acte est dtruit.

q. 3 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut immoderatus aliarum superfluitatum fluxus solvit aliquid de eo quod erat iam conversum, per violentiam quamdam ; et non naturaliter ; ita etiam immoderatus fluxus seminis. Ea vero quae fiunt contra naturam, non sunt in consequentiam naturae trahenda.

# 9. Le flux immodr des autres surabondances dissout quelque chose de ce qui delle tait dj chang par violence et non de faon naturelle ; de la mme manire, le flux immodr de la semence aussi. Mais ce qui est fait contre nature, ne doit pas tre considr comme sa consquence.

q. 3 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod semen est tale superfluum, quod licet non sit actu pars substantiae patris, est tamen potentia, tota ; et ob hoc filius dicitur de substantia patris esse.

# 10. La semence est un tel superflu que, bien quelle ne soit pas une partie en acte de la substance du pre, elle est cependant tout entire une puissance, et cest pour cela quon dit que le fils vient de la substance du pre.

q. 3 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet semen non sit animatum actu, est tamen animatum virtute ; unde non est simpliciter inanimatum.

# 11. Bien que la semence ne soit pas anime en acte, cependant elle lest en puissance ; c'est pourquoi, elle nest pas tout fait inanime.

 

 

 

Article 13 : Un tre qui dpend dun autre peut-il tre ternel ?

q. 3 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum aliquod ens ab alio possit esse aeternum. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[436] :

q. 3 a. 13Arg. 1 Nihil enim quod est semper, indiget aliquo ad hoc quod sit. Omne autem quod est ab aliquo, indiget eo a quo est, ut sit. Ergo nihil quod est ab alio, est semper.

1. Car tout ce qui n'existe pas toujours a besoin de quelque chose pour exister. Tout tre qui dpend dun autre a besoin de ce dont il vient pour exister. Donc rien de ce qui vient dun autre n'existe toujours.

q. 3 a. 13Arg. 2 Praeterea, nihil accipit quod iam habet. Ergo quod semper est, semper esse habet ; ergo quod est semper, non accipit esse. Sed omne quod est ab alio, accipit esse ab eo a quo est. Ergo nihil quod est ab alio, est semper.

2. Rien ne reoit ce quil a dj. Donc ce qui existe toujours a toujours lՐtre. Donc il ne le reoit pas. Mais tout ce qui dpend dun autre reoit lՐtre de celui par lequel il existe. Donc rien de ce qui vient dun autre n'existe toujours.

q. 3 a. 13Arg. 3 Praeterea, quod est, non generatur neque fit, neque aliquo modo in esse producitur ; quia quod fit, non est. Ergo oportet quod omne quod generatur vel fit, vel producitur, aliquando non esset. Omne autem quod est ab alio, est huiusmodi. Ergo omne quod est ab alio aliquando non est. Quod autem aliquando non est, non semper est. Ergo nihil quod est ab alio, est sempiternum.

3. Ce qui est, nest pas en train d'tre engendr, ni fait, ni amen lՐtre de quelque manire, parce que ce qui se fait nest pas. Il faut donc que tout ce qui est engendr, fait ou amen l'tre nait pas exist certains moments. Mais tout ce qui dpend dun autre est de ce genre. Donc ce qui dpend d'un autre n'existe pas certains moments, ce qui n'existe pas certains moments, n'existe pas toujours. Donc rien de ce qui dpend dun autre nest ternel.

q. 3 a. 13Arg. 4 Praeterea, quod non habet esse nisi ab alio, in se consideratum, non est. Huiusmodi autem oportet aliquando non esse. Ergo oportet quod omne quod est ab alio, aliquando non esset, et per consequens non esse sempiternum.

4. Ce qui ne possde lՐtre que par un autre, considr en soi, nest pas. Pour un tel tre, il faut ne pas exister certains moments. Donc il faut que tout ce qui dpend dun autre, n'ait pas exist certains moments et par consquent ne soit pas ternel.

q. 3 a. 13Arg. 5 Praeterea, omnis effectus est posterior sua causa. Quod autem est ab alio, est effectus eius a quo est. Ergo est posterius eo a quo est ; et ita non potest esse sempiternum.

5. Tout effet est postrieur sa cause. Mais ce qui dpend dun autre est leffet de celui par qui il est. Donc il lui est postrieur, et ainsi il ne peut pas tre ternel.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 13 s. c. Sed contra, est quod Hilarius dicit, quod ab aeterno a patre natum, aeternum esse habet quod natum est. Sed filius Dei natus est ab aeterno patre. Ergo aeternum habet quod natum est ; ergo est aeternum.

Hilaire dit (La Trinit, Livre XII) que celui qui est n de toute ternit du Pre a un tre ternel qui est n. Mais le Fils de Dieu est n du Pre ternel. Donc il possde ce qui est n comme ternel. Donc il est ternel.

 

Rponse :

q. 3 a. 13 co. Respondeo. Dicendum quod, cum ponamus filium Dei naturaliter a patre procedere, oportet quod ita sit a patre, quod tamen sit ei coaeternus : quod quidem hoc modo apparet. Inter voluntatem enim et naturam hoc interest, quod natura determinata est ad unum, quantum ad id quod virtute naturae producitur, et quantum ad hoc quod est producere vel non producere ; voluntas vero quantum ad neutrum determinata invenitur. Potest tamen aliquis hoc vel illud per voluntatem facere, sicut artifex scamnum vel arcam, et iterum facere ea et a faciendo cessare ; ignis vero non potest nisi calefacere, si subiectum suae actionis adsit ; nec potest aliud inducere in materiam quam effectum similem sibi.

Quand nous pensons que le Fils de Dieu procde naturellement du Pre, il faut quil vienne du Pre de sorte lui tre cependant coternel. Ce qui se dmontre de cette manire. Entre la volont et la nature, en effet, il y a cette diffrence que la nature est dtermine un seul objet pour ce qui est produit par son pouvoir et pour produire ou ne pas produire ; mais la volont ne se trouve dtermine ni pour l'un, ni pour l'autre. Cependant quelquun peut faire ceci ou cela par volont, comme louvrier fait un banc ou un coffre et en plus il le fait et cesse de le faire ; mais le feu ne peut que chauffer si le sujet de son action est prsent et il ne peut induire dans la matire quun effet semblable lui[437].

Unde etsi de creaturis, quae divina voluntate ab ipso procedunt, dici possit quod potuit creaturam talem vel talem facere et tunc vel tunc facere, de filio tamen, qui naturaliter procedit, hoc dici non potest. Non enim potuit alterius modi esse filius secundum naturam, quam se habet patris natura. Nec potuit vel prius vel posterius filius esse nisi quando fuit patris natura : non enim potest dici, quod divinae naturae aliquando perfectio naturae defuerit, qua adveniente virtute naturae, filius Dei sit generatus ; cum divina natura sit simplex et immutabilis. Neque potest dici, quod huiusmodi generatio dilata fuerit propter materiae absentiam vel indispositionem, cum omnino haec generatio immutabilis sit. Unde relinquitur, quod cum natura patris ab aeterno fuerit, et filius sit a patre aeternaliter generatus, ac per consequens patri coaeternus.

C'est pourquoi, si propos des cratures qui procdent de Dieu par sa volont, il est possible de dire quil a pu faire telle ou telle crature et la faire un moment ou un autre, au sujet de son Fils cependant, qui procde par nature, on ne peut pas le dire. Car le Fils n'a pu tre diffrent en sa nature de celle du Pre. Et il na pu tre Fils avant ou aprs que la nature du Pre n'ait exist. En effet on ne peut pas dire que la perfection de la nature divine ait manqu certains moments, quand par le pouvoir de cette nature qui lui parvint, le Fils de Dieu a t engendr, puisque la nature divine est simple et immuable. On ne peut pas dire, non plus, quune telle gnration aura t diffre, cause de labsence ou de lindisposition de la matire, puisque cette gnration est tout fait immuable. C'est pourquoi il reste que, comme la nature du Pre a t ternelle et que le Fils a t engendr ternellement par le Pre, il est coternel au Pre.

Ariani vero, quia ponebant filium non naturaliter a patre procedere, ponebant filium neque patri coaequalem neque coaeternum, sicut contingit in aliis quae a Deo procedunt secundum arbitrium voluntatis ipsius. Fuit autem difficile considerare generationem filii patri coaeternam, propter assuefactionem humanae cognitionis in consideratione productionis rerum naturalium, in quibus una res ab alia per motum producitur ; res autem producta per motum in esse prius esse incipit in principio quam in termino motus. Cum autem principium motus de necessitate terminum motus duratione praecedat, quod necesse est propter motus successionem, nec possit esse motus principium vel initium sine causa ad producendum movente ; necesse est ut causa movens ad aliquid producendum praecedat duratione id quod ab ea producitur.

Mais les Ariens qui estimaient que le Fils ne procde pas du Pre par nature, pensaient quil nՎtait ni gal ni coternel au Pre, comme cela arrive dans les autres tres qui procdent du Pre selon le libre arbitre de sa volont. Il fut difficile de considrer la gnration du Fils comme coternelle au Pre, cause de lhabitude de la pense humaine, quand elle considre la production des choses naturelles, dans lesquelles l'une est produite partir dune autre par mouvement. Mais ce qui est amen lՐtre par mouvement commence tre au commencement plutt qu'au terme du mouvement. Comme le commencement du mouvement par ncessit prcde son terme dans la dure, ce qui ncessaire cause de la succession du mouvement, le commencement du mouvement ou son dbut ne pourrait exister sans cause pour le produire en le mettant en mouvement, il est ncessaire que la cause motrice, pour produire quelque chose, prcde en dure ce qui est produit par elle.

Unde quod ab aliquo sine motu procedit, simul est duratione cum eo a quo procedit, sicut splendor in igne vel in sole : nam splendor subito et non successive a corpore lucido procedit, cum illuminatio non sit motus, sed terminus motus. Relinquitur ergo quod in divinis, ubi omnino motus locum non habet, procedens sit simul duratione cum eo a quo procedit ; et ideo cum pater sit aeternus, filius et spiritus sanctus ab eo procedentes sunt ei coaeterni.

C'est pourquoi, ce qui procde de quelque chose sans mouvement est en dure en mme temps que celui do il procde, comme la lumire dans le feu ou le soleil ; car la lumire procde du corps lumineux de faon soudaine et non successivement, puisque lillumination nest pas un mouvement mais son terme. Il reste donc que, en Dieu, en qui le mouvement na absolument pas de place, celui qui procde est dans le mme temps que celui dont il procde ; et cest pourquoi, comme le Pre est ternel, le Fils et lEsprit Saint qui procdent de lui, lui sont coternels[438].

 

Solutions :

q. 3 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si indigentia importet defectum vel carentiam eius quo indigetur, quod semper est non indiget aliquo ad hoc quod sit. Si vero importet solum ordinem originis ad id a quo est, sic nihil prohibet id quod semper est, aliquo indigere ad hoc quod sit, in quantum non a se ipso, sed ab alio esse habet.

# 1. Si le besoin apporte une dfaillance ou une carence de ce dont il manque, ce qui existe toujours n'a besoin de rien pour exister. Mais sil apporte une seule relation d'origine ce par lequel il est, rien ainsi nempche que ce qui existe toujours ait besoin de quelqu'un pour tre, dans la mesure o il a l'tre, non de lui-mme mais dun autre.

q. 3 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accipiens aliquid non habet illud ante acceptionem, habet vero illud quando iam accepit ; unde si ad aeterno accipit, ab aeterno habet.

# 2. Celui qui reoit quelque chose ne la pas avant de le recevoir, mais il l'a quand il a dj reu ; c'est pourquoi, sil le reoit de toute ternit, il le possde de toute ternit.

q. 3 a. 13 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit in generatione quae est per motum ; quia quod movetur ad esse, non est. Et pro tanto dicitur quod id quod generatur non est, sed quod est generatum est : unde ubi non est aliud generari et generatum esse, ibi non oportet quod generatur, aliquando non esse.

# 3. La raison donne se produit dans la gnration qui se fait par mouvement, parce que ce qui est amen lՐtre nest pas. Et pour autant, on dit que ce qui est engendr nest pas, mais ce qui est a t engendr est. C'est pourquoi l o ce n'est pas diffrent d'tre engendr et avoir t engendr, il ne faut pas que ce qui est engendr n'existe pas certains moments.

q. 3 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod habet esse ab alio, in se consideratum, est non ens, si ipsum sit aliud quam ipsum esse quod ab alio accipit ; si autem sit ipsum esse quod ab alio accipit, sic non potest in se consideratum, esse non ens ; non enim potest in esse considerari non ens, licet in eo quod est aliud quam esse, considerari possit. Quod enim est, potest aliquid habere permixtum ; non autem ipsum esse, ut Boetius dicit in libro de hebdomadibus. Prima quidem conditio est creaturae, sed secunda est conditio filii Dei.

# 4. Ce qui reoit lՐtre dun autre, considr en soi est un non tant, s'il est autre que lՐtre mme quil reoit de lui ; mais s'il est lui-mme l'tre qu'il reoit d'une autre, il ne peut pas, considr en soi, tre un non tant, bien qu'en lui on puisse considrer ce qui est autre que lՐtre. Car ce qui existe, peut avoir quelque chose de ml, mais pas lՐtre lui-mme, comme Boce le dit dans son livre De Hebdomadibus[439]. La premire condition est celle de la crature, mais la seconde celle du Fils de Dieu.

q. 3 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod filius Dei non potest dici effectus : quia non fit, sed generatur. Hoc enim fit cuius esse est diversum a faciente ; unde nec patrem proprie loquendo causam filii dicimus, sed principium. Nec oportet omnem causam effectum duratione praecedere, sed natura tantum sicut patet in sole et splendore.

# 5. Le Fils de Dieu ne peut tre considr comme un effet, parce quil nest pas fait, mais engendr. Car est fait ce dont lՐtre est diffrent de celui qui le fait. C'est pourquoi nous ne disons pas que le Pre, proprement parler, est la cause du Fils mais son principe. Et il ne faut pas que toute la cause prcde leffet dans la dure, mais en nature seulement, comme cela apparat pour le soleil et la lumire.

 

 

 

Article 14 Ce qui est diffrent de Dieu par essence peut-il tre ternel ?

q. 3 a. 14 tit. 1 Decimoquarto quaeritur utrum id quod est a Deo diversum in essentia, possit semper fuisse. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[440] :

 

Objections :[441] :

q. 3 a. 14Arg. 1 Non enim est minor potestas causae producentis totam rei substantiam super effectum suum, quam causae producentis formam tantum. Sed causa producens formam tantum, potest producere eam ab aeterno, si ab aeterno esset ; quia splendor qui gignitur ab igne atque diffunditur coaeternus est illi ; et esset coaeternus, si ignis esset aeternus, ut Augustinus dicit. Ergo multo fortius Deus, potest producere effectum sibi coaeternum.

1. Car la puissance de la cause, qui produit la substance totale de lՐtre en plus de son effet, n'est pas plus petite que celle de la cause qui produit la forme seulement. Mais celle-ci pourrait la produire de toute ternit, si elle tait ternelle ; parce que la lumire qui est engendre et diffuse par le feu est simultane et elle lui serait coternelle si le feu tait ternel, comme le dit Augustin (La Trinit). Donc Dieu, beaucoup plus, peut produire des effets qui lui sont coternels.

q. 3 a. 14Arg. 2 Sed dices, quod hoc est impossibile ; quia sequitur inconveniens, scilicet quod creatura parificetur creatori in duratione.- Sed contra, duratio quae non est tota simul, sed successiva, non potest aequiparari durationi quae est tota simul. Sed si mundus semper fuisset, eius duratio non semper tota simul esset ; quia tempore mensuraretur, ut etiam Boetius dicit in fine de Consol. Ergo adhuc Deo non aequipararetur creatura in duratione.

2. Mais on pourrait dire que cela est impossible, parce quil en dcoule un inconvnient : la crature serait gale au Crateur en dure. En sens contraire : la dure, qui nest pas toute la fois mais successive, ne peut tre gale une dure qui serait toute en mme temps. Mais si le monde avait toujours exist, sa dure naurait pas t toujours toute la fois, parce qu'elle aurait t mesure par le temps, comme Boce le dit aussi la fin De la Consolation (Livre V, dernire prose). Donc jamais la crature nest gale Dieu en dure.

q. 3 a. 14Arg. 3 Praeterea, sicut divina persona procedit a Deo sine motu, ita et creatura. Sed divina persona potest esse Deo coaeterna, a quo procedit. Ergo similiter et creatura.

3. Une personne divine procde de Dieu sans mouvement, la crature aussi. Mais une personne divine peut tre coternelle Dieu dont elle procde. Donc la crature aussi.

q. 3 a. 14Arg. 4 Praeterea, quod semper eodem modo se habet, semper potest idem facere. Sed Deus semper eodem modo se habet ab aeterno. Ergo ab aeterno potest idem facere. Si ergo aliquando produxit creaturam et ab aeterno producere potuit.

4. Ce qui se comporte toujours de la mme manire peut toujours faire la mme chose. Mais Dieu se comporte ternellement toujours de la mme manire. Donc de toute ternit il peut faire la mme chose. Si donc quelquefois il a produit une crature, il a pu en produire de toute ternit.

q. 3 a. 14Arg. 5 Sed dices, quod ratio ista procedit de agente per naturam, non autem de agente per voluntatem.- Contra, voluntas Dei non dirimit virtutem ipsius. Sed si non ageret per voluntatem, sequeretur quod ab aeterno creaturam produxisset. Ergo posito quod per voluntatem agat, non removetur quia ab aeterno producere potuerit.

5. Mais on pourrait dire que cette raison procde de celui qui est agent par nature, mais non de celui qui l'est par volont En sens contraire la volont de Dieu ninterrompt pas son pouvoir. Mais sil nagissait pas par volont, il sensuivrait quil aurait produit la crature de toute ternit. Donc une fois tabli quil agit par volont, on n'carte pas le fait qu'il ait pu produire de toute ternit.

q. 3 a. 14Arg. 6 Praeterea, si Deus in aliquo tempore vel instanti creaturam produxit, et eius potentia non est augmentata ; potuit etiam ante illud tempus vel instans creaturam producere ; et eadem ratione ante illud, et sic in infinitum. Ergo potuit ab aeterno producere.

6. Si Dieu a produit la crature dans le temps ou dans un instant, et que la puissance de celle-ci nen a pas t augmente, il a pu aussi avant ce temps ou cet instant produire une crature ; et pour la mme raison encore avant et ainsi linfini. Donc il a pu produire de toute ternit.

q. 3 a. 14Arg. 7 Praeterea, plus potest facere Deus quam humanus intellectus possit intelligere ; propter quod dicitur Luc. I, 37 : non erit impossibile apud Deum omne verbum. Sed Platonici intellexerunt aliquid esse factum a Deo, quod tamen semper fuit ; unde Augustinus dicit : de mundo, et de his quos in mundo deos a Deo factos, scribit Plato, apertissime dicit eos esse coepisse, et habere initium ; finem tamen non habituros, sed per conditoris potentissimam voluntatem perhibet in aeternum esse mansuros. Verum id quomodo intelligat, Platonici invenerunt, non esse hoc, videlicet temporis, sed institutionis initium. Sicut enim, inquiunt, si pes ab aeternitate fuisset in pulvere, semper subesset vestigium : quod tamen a calcante factum nemo dubitaret : sic mundus semper fuit semper existente qui fecit ; et tamen factus est. Ergo Deus potuit facere aliquid quod semper fuit.

7. Dieu peut faire plus que ce que lesprit humain peut comprendre : cest pour cela que Luc (1, 37) dit : Toute parole ne sera pas impossible Dieu, mais les Platoniciens ont compris que quelque chose avait t fait par Dieu, qui cependant a toujours exist, c'est pourquoi Augustin dit (La cit de Dieu, X, 31) : Au sujet du monde et de ceux qui ont t faits dieux dans le monde par Dieu, Platon dit trs clairement quils ont commenc exister et quils ont un dbut ; ils n'auront cependant pas de fin ; il raconte aussi que par la volont toute puissante du crateur, ils demeureront ternellement. Mais de la faon dont il le comprend, les Platoniciens trouvrent que ce nՎtait pas le commencement du temps, mais celui d'une institution. En effet, disent-ils, si un pied avait t de toute ternit dans la poussire, il resterait toujours son vestige, cependant personne ne douterait que cela a t fait par quelqu'un qui marchait ; de la mme manire, le monde a toujours exist alors qu'existait toujours celui qui la fait et cependant il a t fait Donc Dieu a pu faire que quelque chose ait toujours exist.

q. 3 a. 14Arg. 8 Praeterea, quidquid non est contra rationem creaturae, Deus potest in creatura facere ; alias non esset omnipotens. Sed semper fuisse non est contra rationem creaturae in quantum est facta ; alias idem esset dicere creaturam semper fuisse et factam non esse ; quod patet esse falsum. Nam Augustinus, distinguit duas opiniones ; quarum una est quod mundus ita fuerit semper quod non sit a Deo factus ; alia est, quod ita mundus sit semper quod tamen a Deo sit factus. Ergo Deus hoc potest facere, quod aliquid ab eo factum, sit semper.

8. Dieu peut faire la crature, tout ce qui est contre sa nature, sinon il ne serait pas tout puissant. Mais avoir toujours exist nest pas contre la notion de crature dans la mesure o elle a t cre, autrement ce serait pareil de dire que la crature a toujours exist et qu'elle na pas t cre, ce qui parat faux, car Augustin (La cit de Dieu, XI, 4, et X, 31) a distingu deux opinions : lune est que le monde aura toujours t tel quil n'a pas t fait par Dieu, lautre que le monde existe toujours tel que cependant il a t cr par Dieu. Donc Dieu peut faire qu'un tre cr par lui existe toujours.

q. 3 a. 14Arg. 9 Praeterea, sicut natura statim potest producere effectum suum, ita et agens voluntarium non impeditum. Sed Deus est agens voluntarium quod impediri non potest. Ergo creaturae quae per eius voluntatem producuntur in esse, ab aeterno produci potuerunt, sicut et filius qui naturaliter a patre procedit.

9. La nature peut produire aussitt son effet, lagent volontaire qui nen est pas empch aussi. Mais Dieu est un agent volontaire qui ne peut pas tre empch. Donc les cratures qui sont amenes l'tre par sa volont ont pu tre produites de toute ternit, comme le Fils qui procde naturellement du Pre.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 14 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, quia omnino incommutabilis est illa natura Trinitatis, ob hoc ita est aeterna, ut ei aliquid coaeternum esse non possit.

1. Augustin dit (La Gense au sens littral, VIII, 23) : Parce que la nature de la Trinit est tout fait immuable, elle est ternelle, de sorte que rien ne peut lui tre coternel.

q. 3 a. 14 s. c. 2 Praeterea, Damascenus dicit, in I libro : quod ex non ente ad esse deducitur, non est aptum natum esse coaeternum ei quod sine principio et semper est. Sed creatura de non esse ad esse producitur. Ergo non potest fuisse semper.

2. Jean Damascne dit (livre 1) que Ce qui est amen du non tre lՐtre, n'est pas susceptible par nature d'tre coternel celui qui est sans principe et existe ternellement. Mais la crature est amene du non tre l'tre. Donc elle ne peut pas avoir exist toujours.

q. 3 a. 14 s. c. 3 Praeterea, omne aeternum est invariabile. Sed creatura non potest esse invariabilis ; quia si sibi relinqueretur, in nihilum decideret. Ergo non potest esse aeterna.

3. Tout ce qui est ternel est invariable. Mais la crature ne peut pas tre invariable, parce que si elle tait laisse elle-mme, elle retournerait au nant. Donc elle ne peut pas tre ternelle.

q. 3 a. 14 s. c. 4 Praeterea, nihil quod dependet ab alio est necessarium, et per consequens nec aeternum ; cum omne aeternum sit necessarium. Sed omne quod est factum, dependet ab alio. Ergo nullum factum potest esse aeternum.

4. Rien de ce qui dpend dun autre nest ncessaire et par consquent n'est pas ternel, puisque tout ce qui est ternel est ncessaire. Mais tout ce qui a t fait dpend dun autre. Donc rien de ce qui a t fait ne peut tre ternel.

q. 3 a. 14 s. c. 5 Praeterea, si Deus ab aeterno producere potuit creaturam, ab aeterno produxit ; quia, secundum philosophum, in sempiternis non differt esse et posse. Sed ponere creaturam ab aeterno fuisse productam, est contra fidem. Ergo et ponere quod produci potuerit.

5. Si Dieu a pu produire la crature de toute ternit, il la fait, parce que, selon le philosophe (Physique, III, 4, 203 b 28[442]), dans ce qui est ternel tre et pouvoir ne sont pas diffrents. Mais penser que la crature a t produite de toute ternit est contre la foi. Donc penser quelle aurait pu tre produite [de toute ternit est aussi contre la foi].

q. 3 a. 14 s. c. 6 Praeterea, voluntas sapientis non differt facere quod intendit, si potest, nisi propter aliquam rationem. Sed non potest reddi ratio quare Deus tunc mundum fecerit et non prius, vel ab aeterno, si ab aeterno fieri potuit. Ergo videtur quod ab aeterno fieri non potuit.

6. La volont du sage ne remet ce quil a lintention de faire, sil le peut, que pour quelque bonne raison. Mais on ne peut pas trouver la raison pour laquelle Dieu a fait le monde un tel moment et non avant, ou de toute ternit, si cela tait possible. Donc il semble quil na pas pu tre fait de toute ternit.

q. 3 a. 14 s. c. 7 Praeterea, si creatura est facta, aut ex nihilo, aut ex aliquo. Sed non ex aliquo : quia vel ex aliquo quod est divina essentia, quod est impossibile ; vel ex aliquo alio : quod si non esset factum, erit aliquid praeter Deum, non ab ipso creatum ; quod supra est improbatum : quod si est factum ex alio, aut procedetur in infinitum, quod est impossibile ; aut devenietur ad aliquid quod est factum de nihilo. Impossibile autem est, quod fit ex nihilo, semper fuisse. Ergo impossibile est creaturam semper fuisse.

7. Si la crature a t cre, elle la t ou de rien ou de quelque chose. Mais pas de quelque chose, qui est lessence divine, ce qui est impossible, ou d'autre chose qui, si elle navait pas t cre, serait au-del de Dieu, non cre par lui ; ce quon a refus ci-dessus ; sil est fait dautre chose, ou on procde linfini ce qui est impossible, ou on en arrive ce qui a t fait de rien. Mais il est impossible que ce qui est fait de rien existe toujours. Donc il est impossible que la crature ait toujours exist.

q. 3 a. 14 s. c. 8 Praeterea, de ratione aeterni est non habere principium, de ratione vero creaturae est habere principium. Ergo nulla creatura potest esse aeterna.

8. Il est de la dfinition de lՎternel, de ne pas avoir de principe, mais de la dfinition de la crature d'en avoir un. Donc nulle crature ne peut tre ternelle.

q. 3 a. 14 s. c. 9 Praeterea, creatura mensuratur tempore vel aevo. Sed aevum et tempus differunt ab aeternitate. Ergo creatura non potest esse aeterna.

9. La crature est mesure par le temps ou lvum. Mais ils diffrent lun et lautre de lՎternit. Donc la crature ne peut pas tre ternelle.

q. 3 a. 14 s. c. 10 Praeterea, si aliquid est creatum, oportet dare aliquod instans in quo creatum fuerit. Sed ante id non fuit. Ergo oportet dicere creaturam non semper fuisse.

10. Si une chose a t cre, il faut fixer un temps o elle aura t cre. Mais avant cela, elle na pas exist. Donc il faut dire que la crature na pas toujours exist.

 

Rponse :

q. 3 a. 14 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum philosophum, possibile dicitur quandoque quidem secundum aliquam potentiam, quandoque, vero secundum nullam potentiam ; secundum potentiam quidem vel activam, vel passivam. Secundum activam quidem, ut si dicamus possibile esse aedificatori quod aedificet ; secundum passivam vero, ut si dicamus, possibile esse ligno quod comburatur.

Selon le philosophe (Mtaphysique V, 12, 1019 b 22-33[443]) on dfinit le possible, quelquefois selon un puissance, quelquefois sans elle : selon une puissance, ou active ou passive. Selon une puissance active, comme si nous disions quil est possible au btisseur dՎdifier, selon la puissance passive, comme si nous disions quil est possible au bois de brler.

Dicitur autem et quandoque aliquid possibile, non secundum aliquam potentiam, sed vel metaphorice, sicut in geometricis dicitur aliqua linea potentia rationalis, quod praetermittatur ad praesens ; vel absolute, quando scilicet termini enuntiationis nullam ad invicem repugnantiam habent.

Mais on dit qu'une chose est possible quelquefois, non selon une puissance, mais par mtaphore, comme en gomtrie, on dit quune ligne est puissance rationnelle, parce quelle est omise pour linstant ; ou bien absolument, quand, par exemple, les termes dun nonc n'offrent pas de contradiction entre eux.

E contrario vero impossibile, quando sibi invicem repugnant ; ut simul esse affirmationem et negationem impossibile dicitur, non quia sit impossibile alicui agenti vel patienti, sed quia est secundum se impossibile, utpote sibi ipsi repugnans.

Au contraire, c'est impossible, quand les termes sopposent lun lautre ; ainsi on dit qu'il est impossible que laffirmation et la ngation soient ensemble, non parce que cela serait impossible un agent ou un patient, mais parce que c'est impossible en soi, comme sopposant soi.

Si ergo consideretur hoc enuntiabile, aliquid diversum in substantia existens a Deo fuisse semper, non potest dici impossibile secundum se, quasi sibi ipsi repugnans : hoc enim quod est esse ab alio, non repugnat ei quod est esse semper, ut supra ostensum est ; nisi quando aliquid ab alio procedit per motum, quod non intervenit in processu rerum a Deo. Per hoc autem quod additur, diversum in substantia, similiter nulla repugnantia absolute loquendo datur intelligi ad id quod est semper fuisse.

Si donc, on considre cette proposition : quelque chose de diffrent existant par Dieu en substance, a toujours exist, on ne peut pas dire que cest impossible en soi, comme si elle sopposait soi, car il n'est pas incompatible que l'tre reu d'un autre existe toujours, comme on la montr plus haut[444], sauf quand une chose procde d'une autre par mouvement, ce qui nintervient pas dans ce qui procde de Dieu. Du fait qu'on ajoute "diffrent en substance", on ne donne ainsi comprendre, absolument parlant, aucune opposition pour le fait de toujours exister.

Si autem accipiamus possibile dictum secundum potentiam activam, tunc in Deo non deest potentia ab aeterno essentiam aliam a se producendi. Si vero hoc ad potentiam passivam referatur, sic, supposita Catholicae fidei veritate, dici non potest, quod aliquid a Deo procedens in essentia diversum, potuerit semper esse. Supponit enim fides Catholica omne id quod est praeter Deum, aliquando non fuisse. Sicut autem impossibile est, quod ponitur aliquando fuisse, nunquam fuisse : ita impossibile est, quod ponitur aliquando non fuisse, semper fuisse. Unde et dicitur a quibusdam quod hoc quidem est possibile ex parte Dei creantis, non autem ex parte essentiae a Deo procedentis, per suppositionem contrarii, quam fides facit.

Mais si nous acceptons quon parle de possible selon la puissance active, alors la puissance ne manque pas Dieu, pour produire de tout ternit une autre essence que lui. Mais si on se rfre la puissance passive, en s'en tenant la vrit de la foi catholique, on ne peut pas dire qu'un tre diffrent en essence qui procde de Dieu aura pu toujours exist. Car la foi catholique suppose que tout ce qui existe sauf Dieu na pas toujours exist. Mais de mme quil est impossible de penser que ce qui a exist une fois n'a jamais exist, de mme il est impossible de penser que ce qui n'a pas toujours exist, a toujours exist. C'est pourquoi certains disent que ce qui est possible pour le Dieu crateur ne lest pas pour lessence qui procde de Dieu, en le supposant contraire la foi.

 

Solutions :

q. 3 a. 14 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit ex parte potentiae facientis, non autem ex parte facti, de quo facta sit suppositio aliquando non fuisse.

# 1. Cette raison procde de la puissance du crateur, mais non de celle de la crature, dont on a suppos qu'elle n'a pas toujours pas exist.

q. 3 a. 14 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam si creatura semper fuisset, non simpliciter Deo aequipararetur, sed secundum quod eum imitaretur ; quod non est inconveniens ; unde illa obviatio parum est efficax.

# 2. Mme si la crature avait toujours exist, elle naurait absolument pas gale Dieu, mais seulement en l'imitant, ce qui n'est pas inconvenant. C'est pourquoi ce rapprochement est peu efficace.

q. 3 a. 14 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in persona divina non est aliquid quod supponatur aliquando non fuisse, sicut est in omni essentia aliena a Deo.

# 3. Dans la personne divine, il ny a rien qu'on suppose navoir pas toujours exist, comme cela arrive dans toute essence trangre Dieu.

q. 3 a. 14 ad 4 Ad quartum dicendum, quod obiectio procedit ex parte potentiae facientis ; quae nec etiam per voluntatem diminuitur, nisi quatenus ex arbitrio voluntatis divinae fuit quod non semper fuerit creatura.

# 4. Lobjection vient de la puissance de l'agent qui nest empch par la volont que dans la mesure o il a dpendu du libre arbitre de la volont divine que la crature nait pas toujours exist[445].

q. 3 a. 14 ad 5 Unde patet responsio ad quintum.

# 5. Ainsi cela rpond lobjection 5.

q. 3 a. 14 ad 6 Ad sextum dicendum, quod si ponatur ante quodcumque tempus datum creaturam fuisse, salvatur positio fidei, qua ponitur nihil praeter Deum semper fuisse ; non tamen salvatur, si ponatur eam semper fuisse ; unde non est simile. Sciendum etiam, quod forma arguendi non valet. Potest enim Deus quamlibet creaturam facere meliorem, non tamen potest facere infinitae bonitatis creaturam ; infinita enim bonitas rationi creaturae repugnat, non autem determinata bonitas quantacumque. Sciendum etiam, quod si dicatur, Deum potuisse facere mundum antequam fecerit ; si haec prioritas ad potentiam facientis referatur, indubitanter est verum : quia ab aeterno affuit ei potentia faciendi ; aeternitas vero tempus creationis praecedit. Si autem referatur ad esse facti, ita quod intelligatur ante instans creationis mundi, tempus reale fuisse, in quo potuerit fieri mundus ; patet omnino esse falsum, quia ante mundum motus non fuit, unde nec tempus. Possumus tamen imaginari aliquod tempus ante mundum ; sicut altitudinem vel dimensiones aliquas extra caelum ; per quem modum possumus dicere, et quod altius caelum potuit elevare, et quod prius potuit facere ; quia potuit facere et tempus diuturnius, et altitudinem altiorem.

# 6. Si on pense que la crature a exist avant un temps donn, on conserve la position de la foi, par laquelle on affirme que rien sauf Dieu n'a toujours exist ; cependant on ne la conserve pas, si on affirme qu'elle a toujours exist. C'est pourquoi ce nest pas pareil. Mais il faut savoir que la forme de la dmonstration ne vaut pas. Car Dieu peut crer quelque crature meilleure, sans cependant pouvoir crer une crature dune bont infinie ; car la bont infinie s'oppose la notion de crature, mais non une bont dtermine de quelque grandeur. Mais il faut savoir que si on dit : Dieu aurait pu faire le monde avant quil ne la fait, si cette priorit se rfre la puissance du crateur, cest indubitablement vrai ; parce que, de toute ternit il a possd la puissance de crer, mais lՎternit prcde le temps de la cration. Si on se rfre lՐtre de la crature, de sorte quon comprend qu'avant linstant de la cration du monde, il y eut un temps rel, dans lequel le monde aurait pu tre cr, il est clair que c'est tout fait faux, parce quavant le monde il ny eut pas de mouvement, et par consquent pas de temps. Cependant nous pouvons imaginer un temps avant le monde, une altitude et des dimensions hors du ciel aussi ; de cette manire nous pouvons dire qu'il aurait pu lever le ciel plus haut, et le faire avant, parce quil aurait pu faire un temps plus long et une altitude plus haute.

q. 3 a. 14 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Platonici hoc intellexerunt, fidei veritatem non supponendo, sed ab ea alieni.

# 7. Les Platoniciens lont compris sans supposer la vrit de la foi, car ils lui tait trangers.

q. 3 a. 14 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa non probat nisi quod esse factum, et esse semper, non habeant ad invicem repugnantiam secundum se considerata ; unde procedit de possibili absolute.

# 8. Cette raison ne prouve seulement que ce qui a t cr et ce qui a toujours exist n'ont pas d'incompatibilit en soi ; c'est pourquoi elle procde absolument du possible..

q. 3 a. 14 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ratio illa procedit de possibili ex parte potentiae activae.

# 9. Cette raison procde du possible du ct de la puissance active.

 

Rponse :s aux objections opposes :

q. 3 a. 14 ad s. c. Sed quia rationes oppositae concludere videntur, quod secundum nullam considerationem sit possibile ; ideo ad eas etiam est respondendum.

Mais parce que les raison opposes semblent conclure que c'est possible sans aucune considration, il faut aussi leur rpondre.

q. 3 a. 14 ad s. c. 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Boetium in fine de consolatione philosophiae, etiam si mundus semper fuisset, non esset Deo coaeternus eius enim duratio non esset tota simul ; quod ad aeternitatis rationem requiritur. Est enim aeternitas interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio, ut ibidem dicitur. Temporis autem successio ex motu causatur, ut ex philosopho patet. Unde quod mutabilitati subiacet, etiam si semper sit, aeternum esse non potest ; et propter hoc Augustinus dicit, quod invariabili essentiae Trinitatis nulla creatura coaeterna esse potest.

## 1. Selon Boce, la fin de La consolation de la philosophie (livre V, dernire prose), mme si le monde avait toujours exist, il naurait pas t coternel Dieu, car sa dure naurait pas t toute la fois ; ce qui est requis pour la notion d'ternit. Car il existe une ternit dune vie interminable toute la fois et possession parfaite, comme on est dit au mme endroit. Mais la succession du temps est cause par le mouvement, comme le philosophe le montre (Physique, IV, 4, 219 a 22-25[446]). C'est pourquoi ce qui est soumis mutation, mme sil a toujours exist, ne pourrait pas tre ternel et cause de cela Augustin dit (Sur la Gense, VIII, 23) qu'aucune crature ne peut tre coternelle lessence immuable de la Trinit.

q. 3 a. 14 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus loquitur supposita fidei veritate ; quod patet ex hoc quod dicit, quod ex non esse ad esse deductum est, et cetera.

## 2. Jean Damascne parle en supposant la vrit de la foi ; ce qui apparat du fait quil dit que ce qui a t amen du non-tre lՐtre, etc..

q. 3 a. 14 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod variabilitas de sui ratione excludit aeternitatem, non autem infinitam durationem.

## 3. La variabilit par sa dfinition exclut lՎternit, mais non la dure infinie.

q. 3 a. 14 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod id quod ab alio dependet, nunquam esse potest nisi per influxum eius a quo est ; quod si semper fuit, et ipsum semper erit.

## 4. Ce qui dpend dun autre ne peut jamais exister qu'en dcoulant de ce par quoi il est ; parce que, sil a toujours t, il sera toujours.

q. 3 a. 14 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod non sequitur, si Deus aliquid potuit facere, quod illud fecerit, eo quod est agens secundum voluntatem, non secundum necessitatem naturae. Quod autem dicitur, quod in sempiternis non differt esse et posse, intelligendum est secundum potentiam passivam, non autem secundum activam. Potentia enim passiva actui non coniuncta, corruptionis principium est, et ideo sempiternitati repugnat ; effectus vero activae potentiae actu non existens, perfectioni causae agentis praeiudicium non affert, maxime in causis voluntariis. Effectus enim non est perfectio potentiae activae sicut forma potentiae passivae.

## 5. Il n'en dcoule pas, que, si Dieu a pu faire quelque chose, il l'ait fait, c'est parce quil est agent volontaire, mais non agent par ncessit de nature. Quand on dit que dans ce qui est ternel, lՐtre et le pouvoir ne diffrent pas, il faut le comprendre de la puissance passive mais non de la puissance active. Car la puissance passive qui nest pas jointe un acte est principe de corruption, et cest pourquoi elle soppose l'ternit : mais leffet de la puissance active qui nexiste pas en acte, napporte la perfection de la cause efficiente aucun prjudice, surtout dans les causes volontaires. Car leffet nest pas la perfection de la puissance active comme la forme de la puissance passive.

q. 3 a. 14 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod circa productionem primarum creaturarum intellectus noster rationem investigare non potest, eo quod non potest comprehendere artem illam quae sola est ratio quod creaturae praedictae hunc habeant modum ; unde sicut non potest ratio reddi ab homine quare caelum est tantum et non amplius ; ita reddi non potest ratio quare mundus factus non fuit antea, cum tamen utrumque fuerit divinae potestati subiectum.

## 6. A propos de la production des premires cratures, notre esprit ne peut en scruter la raison parce quil ne peut comprendre cet art qui seul est la raison pour laquelle les cratures susdites ont ce mode. C'est pourquoi, de mme que l'homme ne peut trouver la raison pour laquelle le ciel est tel, et non plus vaste ; de mme on ne peut donner la raison pour laquelle le monde a t fait avant, puisque cependant les deux conditions ont t soumises la puissance divine.

q. 3 a. 14 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod primae creaturae non sunt productae ex aliquo, sed ex nihilo. Non tamen oportet ex ipsa ratione productionis, sed ex veritate quam fides supponit, quod prius non fuerint, et postea in esse prodierint. Unus enim sensus praedictae locutionis esse potest, secundum Anselmum, ut dicatur creatura facta ex nihilo, quia non est facta ex aliquo, ut negatio includat praepositionem et non includatur ab ea, ut sic negatio ordinem ad aliquid, quem praepositio importat, neget ; non autem praepositio importat ordinem ad nihil. Si vero ordo ad nihil remaneat affirmatus, praepositione negationem includente, nec adhuc oportet quod creatura aliquando fuerit nihil. Potest enim dici, sicut et Avicenna dicit, quod non esse praecedat esse rei, non duratione, sed natura ; quia videlicet, si ipsa sibi relinqueretur, nihil esset : esse vero solum ab alio habet. Quod enim est natum alicui inesse ex se ipso, naturaliter prius competit ei, eo quod non est ei natum inesse nisi ab alio.

## 7. Les premires cratures nont pas t produites de quelque chose, mais de rien[447]. Cependant il faut, non partir de la dfinition mme de leur production, mais partir de la vrit que suppose la foi, quelles naient pas exist avant et qu'elles soient venues lՐtre ensuite. En effet, un des sens de la locution susdite peut tre, selon Anselme (Monologium ch. 8), que la crature a t cre de rien, parce quelle na pas t faite de quelque chose, pour que la ngation inclut la prposition et ne soit pas incluse par elle, afin que la ngation nie le relation ce qu'elle apporte ; mais celle-ci napporte de relation rien. Mais ainsi la relation au nant demeure affirme, alors que la prposition inclut la ngation, et il ne faut pas encore que la crature ait t un jour nant. Car on peut dire, comme Avicenne le dit, que le non tre prcde lՐtre de la chose, non dans la dure, mais dans sa nature, parce qu'il est vident que si elle tait laisse elle-mme, elle ne serait rien ; mais elle tient lՐtre seulement dun autre. Car ce qui est destin tre dans quelque chose par soi, lui appartient naturellement dabord, parce qu'il est destin n'tre que par un autre.

q. 3 a. 14 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod de ratione aeterni est non habere durationis principium ; de ratione vero creationis habere principium originis, non autem durationis ; nisi accipiendo creationem ut accipit fides.

## 8. Il est de la nature de lՎternit de ne pas avoir de principe de dure, mais de la nature de la cration davoir un principe dorigine, mais non de dure, moins de recevoir la cration comme la foi la reoit.

q. 3 a. 14 ad s. c. 9 Ad nonum dicendum, quod aevum et tempus ab aeternitate differunt, non solum ratione principii durationis, sed etiam ratione successionis. Tempus enim in se successivum est ; aevo vero successio adiungitur prout substantiae aeternae sunt quantum ad aliquid variabiles, etsi quantum ad aliquid non varientur, prout aevo mensurantur. Aeternitas vero nec successionem continet nec successioni adiungitur.

## 9. Lվvum et le temps diffrent de lՎternit, non seulement en raison du principe de dure, mais aussi en raison de la succession. Car le temps en soi est successif ; la succession est ajoute lվvum, dans la mesure o les substances ternelles sont variables sur un point, mme si elles ne varient en rien selon quelles sont mesures par lvum. LՎternit ne contient pas de succession et elles nest pas ajoute une succession.

q. 3 a. 14 ad s. c. 10 Ad decimum dicendum, quod operatio qua Deus res producit in esse, non sic est intelligenda sicut operatio artificis qui facit arcam et postea eam deserit ; sed quod Deus continue influat esse, ut Augustinus dicit ; unde non oportet assignare aliquod instans productionis rerum antequam productae non sint, nisi propter fidei suppositionem.

## 10. Lopration par laquelle Dieu fait venir les choses lՐtre ne doit pas tre comprise comme lopration de lartisan qui fait un coffre et ensuite labandonne, parce que Dieu insuffle lՐtre constamment, comme Augustin le dit (La Gense au sens littral, IV, 12 et VIII, 12) ; c'est pourquoi il ne faut pas assigner un instant de la production des choses avant quelles naient t produites qu' cause d'une supposition de foi.

 

 

 

Article 15 Les choses procdent-elles de Dieu par ncessit de nature ou par le libre arbitre de sa volont

q. 3 a. 15 tit. 1 Decimoquinto quaeritur utrum res processerint a Deo per necessitatem naturae vel per arbitrium voluntatis. Et videtur quod per necessitatem naturae.

Il semble que Dieu agisse par ncessit de nature[448].

 

Objections :

q. 3 a. 15Arg. 1 Dicit enim Dionysius : sicut noster sol non ratiocinans aut praeeligens, sed per ipsum suum esse omnia lumine eius participare volentia illuminat ; ita divina bonitas per essentiam suam omnibus existentibus proportionaliter radios bonitatis immittit. Sed sol sine electione et ratione illuminans hoc agit ex necessitate naturae. Ergo et Deus creaturas producit suam bonitatem communicando per necessitatem naturae.

1. Car Denys (Les noms divins, 4, 1 PG. 693B[449]) dit : De mme que notre soleil, sans raisonner ni choisir, mais par son tre mme, claire tout ce qui est susceptible de participer sa lumire, de mme la divine bont, par son essence, communique proportionnellement tout ce qui existe les rayons de sa bont. Mais le soleil qui illumine sans choix et sans raison le fait par ncessit de nature. Donc Dieu aussi produit les cratures en communiquant sa bont par ncessit de nature.

q. 3 a. 15Arg. 2 Praeterea, omnis perfectio inferioris naturae a perfectione divinae naturae derivatur. Sed ad perfectionem naturae inferioris pertinet quod sua virtute aliquid simile sibi faciat producendo effectum. Ergo multo fortius Deus similitudinem suae bonitatis creaturis communicat naturaliter, et non voluntarie.

2. Toute la perfection de la nature infrieure drive de celle de la nature divine. Mais il convient la perfection dune nature infrieure, de faire, par son pouvoir, quelque chose de semblable soi en produisant son effet. Donc Dieu communique beaucoup mieux la ressemblance de sa bont aux cratures, par nature et non par volont.

q. 3 a. 15Arg. 3 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Ergo secundum hoc effectus agitur a causa agente, quod eius similitudinem habet. Sed creatura habet similitudinem Dei quantum ad ea quae ad Dei naturam pertinent, scilicet quantum ad esse et bonitatem et unitatem, et alia huiusmodi, non solum quantum ad ea quae sunt in voluntate vel in intellectu, sicut artificiata sunt similia artifici quantum ad formam artis, non quantum ad naturam artificis, propter quod voluntarie et non naturaliter ab artifice procedunt. Ergo creaturae procedunt a Deo per virtutem naturae divinae et non per voluntatem.

3. Tout agent fait du semblable lui. C'est pourquoi leffet est produit par la cause efficiente, parce quil lui ressemble. Mais pour ce qui concerne la nature de Dieu, la crature lui ressemble, pour ce qui concerne lՐtre, la bont, l'unit, etc., et pas seulement pour ce qui est dans la volont ou lintellect ; ainsi, de mme les uvres faites par lartisan lui-mme ressemblent la forme de son art, mais pas sa nature dartisan, parce quelles proviennent de lui par volont et non par nature. Donc les cratures procdent de Dieu par le pouvoir de la nature divine et non par volont.

q. 3 a. 15Arg. 4 Sed dices, quod similitudinem naturalium attributorum communicat creaturis divina voluntas.- Sed contra, similitudo naturae communicari non potest nisi per virtutem naturae. Sed virtus naturae in nulla re subiacet voluntati ; unde et in Deo generatio filii a patre, quae est naturalis, non fit per imperium voluntatis, nec etiam in hominibus vires animae vegetabiles, quae naturales dicuntur, voluntati subduntur. Ergo non potest esse quod voluntate divina, similitudo naturalium attributorum creaturis communicetur.

4. Mais on pourrait dire que la volont divine communique la ressemblance de ses attributs naturels aux cratures. En sens contraire, la ressemblance de la nature ne peut tre communique que par son pouvoir. Mais ce pouvoir nest subordonn en rien la volont ; c'est pourquoi, en Dieu, la gnration du Fils par le Pre, qui est naturelle, ne se fait pas par le pouvoir de la volont, et dans les hommes les puissances vgtatives de lՉme, qu'on appelle naturelles, ne sont pas soumises la volont. Donc il n'est pas possible que la ressemblance des attributs naturels soit communique par la volont divine aux cratures.

q. 3 a. 15Arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit in libro de doctrina Christiana, quod quia Deus bonus est, sumus : et ita bonitas Dei videtur esse causa productionis creaturarum. Sed bonitas est Deo naturalis. Ergo et fluxus rerum a Deo est naturalis.

5. Augustin dit dans La doctrine chrtienne, (I, 32) que nous existons, parce que Dieu est bon ; et ainsi la bont de Dieu semble tre la cause de la production des cratures. Mais cette bont est naturelle pour Dieu. Donc le flux des tres partir de Dieu est naturel.

q. 3 a. 15Arg. 6 Praeterea, in Deo idem est natura et voluntas. Si ergo Deus producat res voluntarie, sequetur quod producat eas naturaliter.

6. En Dieu, la nature et la volont sont identiques. Donc si Dieu produit les tres volontairement, il sensuit quil les produit naturellement.

q. 3 a. 15Arg. 7 Praeterea, necessitas naturae provenit ex hoc quod natura immobiliter operatur idem, nisi impedimentum eveniat. Sed maior est immutabilitas Dei quam naturae inferioris. Ergo magis ex necessitate Deus producit effectum suum quam natura inferior.

7. La ncessit de nature provient de ce que la nature immuablement fait la mme chose, sauf si intervient un empchement. Mais limmutabilit de Dieu est plus grande que celle de la nature infrieure. Donc Dieu produit son effet plus par ncessit que la nature infrieure.

q. 3 a. 15Arg. 8 Praeterea, operatio Dei est eius essentia. Sed essentia sua est ei naturalis. Ergo naturaliter operatur quidquid operatur.

8. Lopration de Dieu[450] est son essence. Mais celle-ci lui est naturelle. Donc toute opration lui est naturelle.

q. 3 a. 15Arg. 9 Praeterea, secundum philosophum voluntas est finis, electio eorum quae sunt ad finem. Sed in Deo non est aliquis finis, cum sit infinitus. Ergo non agit ex voluntate, sed magis ex necessitate naturae.

9. Selon le Philosophe (thique, III, 2, 1111 b 28[451]) la volont est une fin, le choix de ce qui est en vue de la fin. Mais en Dieu il ny a pas de fin, puisquil est infini[452]. Donc il nagit pas par volont, mais plutt par ncessit de nature.

q. 3 a. 15Arg. 10 Praeterea, Deus operatur in quantum est bonus, ut Augustinus dicit. Sed ipse est bonum necessarium. Ergo ex necessitate operatur.

10. Dieu opre en tant quil est bon, comme Augustin le dit (La doctrine chrtienne, I, 32). Mais il est le bien ncessaire. Donc il opre par ncessit.

q. 3 a. 15Arg. 11 Praeterea, omne quod est, vel est contingens, vel necessarium. Necessarium vero est aliquid tripliciter : scilicet per coactionem, ex suppositione, et absolute. Non autem potest dici quod in Deo sit aliquid possibile vel contingens : hoc enim mutabilitati attestatur, ut per philosophum patet, quia quod contingit esse, contingit non esse. Similiter non est ibi aliquid necessarium per coactionem, quia nihil ibi est violentum nec contra naturam, ut dicitur in V Metaph. Similiter nec necessarium ex suppositione : quia hoc necessarium causatur ex aliquibus causis praesuppositis, Deo autem nihil est causa. Relinquitur ergo quod quidquid est in Deo sit necessarium absolute ; et ita videtur quod res ex necessitate in esse producat..

11. Tout ce qui est, est contingent ou ncessaire. Mais le ncessaire existe de trois manires : cest--dire par contrainte, sous condition et absolument. Mais on ne peut pas dire qu'en Dieu, il y ait quelque chose de possible ou de contingent ; car la mutabilit l'atteste, comme on le voit chez le Philosophe (Mtaphysique, XI, 8, 1064 b 32[453]) que le contingent est ou nest pas. De mme, il ny a rien ici de ncessaire par contrainte, parce que rien n'y est violent, ni contraire la nature, comme on le dit (Mtaphysique V, 5, 1015 a 25[454]). De la mme manire, il ny a pas de ncessit sous condition, parce que cette ncessit est cause par des causes prsupposes. Mais, en Dieu il ny a pas de cause. Donc il reste que ce qui est en Dieu est absolument ncessaire, et ainsi il semble quil fasse venir les cratures lՐtre par ncessit[455].

q. 3 a. 15Arg. 12 Praeterea, II ad Timoth. II, 13, dicitur : Deus fidelis permanet et seipsum negare non potest. Sed cum ipse sit sua bonitas, se ipsum negaret si suam bonitatem negaret. Negaret autem suam bonitatem si eam communicando non diffunderet ; cum hoc sit proprium bonitatis. Ergo Deus non potest non producere creaturam suam bonitatem communicando : ergo ex necessitate producit : quia non possibile non esse et necesse esse convertuntur, ut patet in II perihermeneias.

12. En 2 Tm 2, 13, il est dit : Dieu demeure fidle et il ne peut se (re)nier[456]. Mais, comme il est sa propre bont, il se renierait lui-mme, sil reniait sa bont. Il la nierait, sil ne la diffusait pas en la communiquant, puisque c'est cela le propre de la bont. Donc Dieu ne peut pas ne pas produire une crature en communiquant sa bont. Donc il produit par ncessit ; parce qu'il n'est pas possible que le non tre et lՐtre ncessaire soient convertibles, comme cela parat dans le Perihermeneias (II, 3, 22 a 3).

q. 3 a. 15Arg. 13 Praeterea, secundum Augustinum, patrem generare filium, est patrem dicere se suo verbo. Sed Anselmus dicit, quod eodem verbo pater dicit se et creaturam. Cum ergo generatio filii a patre sit naturaliter et non per imperium voluntatis, videtur quod etiam creaturarum productio : nam apud Deum non differt dicere et facere ; cum scriptum sit, Ps. XXXII, 9 : dixit, et facta sunt.

13. Selon Augustin, le fait que le Pre engendre le Fils, cest le Pre qui se dit par son Verbe. Mais Anselme dit (Monologium 31[457]) que par le mme verbe le Pre se dit et dit la crature. Donc puisque la gnration du Fils par le Pre est naturelle et non par le pouvoir de sa volont, il semble quil en est de mme pour la production des cratures ; car en Dieu dire et faire ne sont pas diffrents, puisquil est crit Ps. 32, 9 : Il dit, et cela fut fait.

q. 3 a. 15Arg. 14 Praeterea, omnis volens de necessitate vult suum ultimum finem, sicut homo de necessitate vult esse beatus. Sed ultimus finis divinae voluntatis est suae bonitatis communicatio : propter hoc enim producit creaturas, ut suam bonitatem communicet. Ergo Deus hoc de necessitate vult, ergo et ex necessitate producit.

14. Tout ce qui veut par ncessit veut sa fin ultime, comme lhomme veut ncessairement tre heureux. Mais la fin ultime de la volont divine est la communication de sa bont ; il produit des cratures pour communiquer sa bont. Donc Dieu le veut ncessairement, donc il produit par ncessit.

q. 3 a. 15Arg. 15 Praeterea, sicut Deus est per se bonum, ita est per se necessarium. Sed in Deo, quia est per se bonus, nihil est nisi bonum. Ergo et similiter in eo nihil est nisi necessarium ; et ita ex necessitate producit res.

15. Dieu est bon en soi ; de mme il est ncessaire en soi. Mais en Dieu, parce quil est bon en soi, il n'y a rien sinon le bien. Donc et de la mme manire, en lui il n'y a rien qui ne soit ncessaire et ainsi il produit les cratures par ncessit.

q. 3 a. 15Arg. 16 Praeterea, voluntas Dei est determinata ad unum, scilicet ad bonum. Sed natura propter hoc ex necessitate operatur, quia est determinata ad unum. Ergo et voluntas divina ex necessitate operatur creaturas.

16. La volont de Dieu est dtermine un seul objet, cest--dire au bien. Mais la nature opre par ncessit, parce quelle est dtermine un seul effet. Donc la volont divine cre les cratures par ncessit.

q. 3 a. 15Arg. 17 Praeterea, pater virtute naturae suae est principium filii et spiritus sancti, ut Hilarius dicit. Sed eadem natura quae est in patre et filio, est etiam in spiritu sancto. Ergo eadem ratione ipse spiritus sanctus est principium naturaliter. Sed non est principium nisi creaturae. Ergo creatura naturaliter procedit a Deo.

17. Le Pre par le pouvoir de sa nature est le principe du Fils et de lEsprit Saint, comme Hilaire le dit (Livre des Synodes). Mais la mme nature est dans le Pre, le Fils et aussi dans lEsprit Saint. Donc, pour la mme raison, lEsprit Saint lui-mme est principe par nature. Mais il ne l'est que pour la crature. Donc la crature procde naturellement de Dieu.

q. 3 a. 15Arg. 18 Praeterea, effectus procedit a causa agente. Ergo agens non comparatur ad effectum nisi per hoc quod comparatur ad actionem vel operationem. Sed comparatio operationis vel actionis divinae ad ipsum est naturalis, cum actio Dei sit sua essentia. Ergo similiter ad effectum comparatur naturaliter producendo ipsum.

18. Leffet procde de la cause efficiente. Donc lagent nest compar leffet que parce ce quil est compar laction ou lopration. Mais la comparaison de lopration ou de laction de Dieu lui-mme est naturelle, puisque son action est son essence. Donc de mme, il est compar leffet en le produisant lui-mme naturellement.

q. 3 a. 15Arg. 19 Praeterea, a per se bono non fit aliquid nisi bonum et bene. Ergo et a per se necessario non fit aliquid nisi necessarium et necessario. Sed Deus est huiusmodi. Ergo omnia procedunt ab ipso ex necessitate.

19. Du bien en soi ne se fait que ce qui est bon et bien. Donc du ncessaire en soi ne se fait que quelque chose de ncessaire et ncessairement. Mais Dieu est de ce genre. Donc tout procde de lui par ncessit.

q. 3 a. 15Arg. 20 Praeterea, cum id quod est per se, sit prius eo quod est per aliud, oportet primum agens agere per suam essentiam. Sed sua essentia et sua natura idem est. Ergo agit per naturam suam ; et ita naturaliter creaturae ab eo procedunt.

20. Comme ce qui est par soi est avant ce qui est par un autre, il faut que le premier agent agisse par son essence. Mais son essence et sa nature sont un mme attribut. Donc il agit par sa nature, et ainsi les cratures procdent de lui naturellement.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 15 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit : omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit ; et ibidem : tales sunt creaturae quales Deus eas esse voluit. Ergo Deus producit creaturas per voluntatem, non per naturae necessitatem.

1. Il y a ce quHilaire dit dans le Livre des synodes : La volont de Dieu apporte leur substance toutes les cratures. et au mme endroit : Les cratures sont telles que Dieu a voulu quelles soient. Donc Dieu produit les cratures par volont, non par ncessit de nature.

q. 3 a. 15 s. c. 2 Praeterea, Augustinus in XII Confess., ad Deum loquens, ait duo fecisti, domine : unum prope te, scilicet Angelum, et aliud prope nihil, scilicet materiam. Neutrum tamen est de natura tua : quia neutrum est quod tu es. Sed filius pro tanto naturaliter a patre procedit, quia eamdem habet naturam quam pater, ut Augustinus dicit. Ergo creatura non procedit a Deo naturaliter.

2. Augustin dans Les Confessions (XII, 7) parlant Dieu dit : Tu as fait, Seigneur, deux cratures : lune proche de toi, savoir lange et lautre proche du nant, savoir la matire. Cependant ni lune, ni lautre ne sont de ta nature, parce que ni lune ni lautre est ce que tu es. Mais le Fils pour autant procde du Pre naturellement, parce qu'il a la mme nature que lui, comme Augustin le dit (La Trinit, XV, 14[458]). Donc la crature ne procde pas de Dieu naturellement[459].

 

Rponse :

q. 3 a. 15 co. Respondeo. Dicendum quod, absque omni dubio, tenendum est quod Deus ex libero arbitrio suae voluntatis creaturas in esse produxit nulla naturali necessitate. Quod potest esse manifestum ad praesens quatuor rationibus :

Sans aucun doute, il faut croire que Dieu fit venir les cratures lՐtre par le libre arbitre de sa volont, sans aucune ncessit naturelle. Ce qui peut tre montr prsent par quatre raisons :

quarum prima est, quod oportet dicere universum aliquem finem habere : alias omnia in universo casu acciderent ; nisi forte diceretur, quod primae creaturae non sunt propter finem, sed ex naturali necessitate ; posteriores vero creaturae sunt propter finem ; sicut et Democritus ponebat caelestia corpora esse a casu facta, inferiora vero a causis determinatis, quod improbatur in II Phys., per hoc quod ea quae sunt nobiliora, non possunt esse minus ordinata quam indigniora. Necesse est igitur dicere, quod in productione creaturarum a Deo sit aliquis finis intentus.

1) Premire raison : Il faut dire que lunivers a une fin[460] ; autrement tout y arriverait par hasard ; moins quon dise que les premires cratures[461] ne sont pas finalises mais dpendent d'une ncessit de nature ; mais les cratures suivantes sont en vue dune fin ; ainsi Dmocrite pensait que les corps clestes taient dus au hasard, mais les tres infrieurs des causes dtermines, ce qui est dsapprouv en Physique (II, 4, 196 a 28 - b 4[462]), parce que, ce qui est plus noble, ne peut pas tre moins ordonn que ce qui l'est moins. Donc il est ncessaire de dire que, dans la production des cratures par Dieu, il y a une fin recherche.

Invenitur autem agere propter finem et voluntas et natura, sed aliter et aliter. Natura enim, cum non cognoscat nec finem nec rationem finis, nec habitudinem eius, quod est ad finem in finem, non potest sibi praestituere finem, nec se in finem movere aut ordinare vel dirigere ; quod quidem competit agenti per voluntatem, cuius est intelligere et finem et omnia praedicta. Unde agens per voluntatem sic agit propter finem, quod praestituit sibi finem, et seipsum quodammodo in finem movet, suas actiones in ipsum ordinando. Natura vero tendit in finem sicut mota et directa ab alio intelligente et volente, sicut patet in sagitta, quae tendit in signum determinatum propter directionem sagittantis ; et per hunc modum a philosophis dicitur, quod opus naturae est opus intelligentiae. Semper autem quod est per aliud, est posterius eo quod est per se. Unde oportet quod primum ordinans in finem, hoc faciat per voluntatem ; et ita Deus per voluntatem creaturas in esse produxit, non per naturam. Nec est instantia de filio, quod naturaliter procedit a patre, cuius generatio creationem praecedit : quia filius non procedit ut ad finem ordinatus, sed ut omnium finis.

On trouve que la volont et la nature agissent en vue dune fin, mais de faons diffrentes. En effet, comme la nature ne connat ni la fin ni sa raison, ni sa relation de la fin la fin, elle ne peut s'en fixer une ; ni aller vers cette fin, ni l'ordonner, ni la diriger, ce qui appartient l'agent volontaire dont cest le propre de comprendre (intelligere) la fin, etc.. C'est pourquoi un agent volontaire agit en vue dune fin, parce quil se l'est assigne et il va lui-mme dune certaine manire vers elle, en y ordonnant ses actions. Mais la nature tend sa fin comme mue et dirige par un autre, pourvu d'esprit et de volont, comme cela parat pour la flche qui tend une cible dtermine par l'action dirige par l'archer et ainsi les philosophes disent que luvre de la nature est celle dune intelligence. Mais toujours ce qui dpend dun autre est postrieur ce qui est par soi. C'est pourquoi il faut que celui qui ordonne en premier vers une fin, le fasse par volont. Et ainsi Dieu a fait venir lՐtre des cratures par sa volont, non par nature. Et ce nest pas le cas du Fils parce qu'il procde naturellement du Pre ; sa gnration a prcd la cration : parce qu'il ne procde pas comme ordonn une fin, mais comme la fin de tout.

Secunda vero ratio est, quia natura est determinata ad unum. Cum autem omne agens sibi simile producat, oportet quod natura ad illam similitudinem tendat producendam quae est determinate in uno. Cum autem aequalitas ab unitate causetur, inaequalitas vero ex multitudine quae vario modo se habet (ratione cuius non est aliquid alteri aequale nisi uno modo, inaequale vero secundum multos gradus) natura semper facit sibi aequale, nisi sit propter defectum virtutis activae, vel receptivae sive passivae. Defectus autem passivae potentiae Deo non praeiudicat, cum ipse materiam non requirat ; nec iterum virtus sua est deficiens, sed infinita. Unde hoc solum ab eo procedit naturaliter quod est sibi aequale, scilicet filius. Creatura vero, quae est inaequalis, non naturaliter, sed per voluntatem procedit ; sunt enim multi gradus inaequalitatis. Nec potest dici quod divina virtus ad unum determinetur tantum, cum sit infinita. Unde cum divina virtus se extendat ad diversos gradus inaequalitatis in creaturis constituendos ; quod in hoc gradu determinato creaturam constituit, ex arbitrio voluntatis fuit, non ex naturali necessitate.

2) Seconde raison : la nature est dtermine un seul effet[463]. Et comme tout agent produit du semblable lui, il faut que la nature tende produire cette ressemblance, qui est dtermine un seul objet. Mais comme lՎgalit est cause par lunit, lingalit par la pluralit qui se comporte de manire varie (pour la raison que rien nest gal autre chose que d'une seule manire et ingal en de nombreux degrs) ; la nature fait toujours de lՎgal soi, sauf dfaillance du pouvoir qui agit, qui reoit ou qui subit. Mais la dfaillance de la puissance passive ne porte pas prjudice Dieu puisqu'il na pas besoin de matire ; et en plus son pouvoir nest pas dfaillant, mais infini. C'est pourquoi, seul procde de lui naturellement, ce qui lui est gal, cest--dire son Fils. Mais la crature qui est ingale, procde non pas naturellement, mais par volont. Car il y a de nombreux degrs dingalit. Et on ne peut pas dire que le pouvoir divin soit dtermin un seul effet seulement, puisquil est infini. C'est pourquoi, comme le pouvoir divin sՎtend pour constituer diffrents degrs dingalit dans les cratures, qu'il ait tabli la crature un degr dtermin dpend du libre arbitre de sa volont, mais non d'une ncessit naturelle.

Tertia ratio est, quia cum omne agens agat sibi simile aliquo modo, oportet quod effectus in sua causa aliqualiter praeexistat. Omne autem quod est in aliquo, est in eo per modum eius in quo est ; unde cum ipse Deus sit intellectus, creaturae in ipso intelligibiliter praeexistunt propter quod dicitur Ioan. I, 3 : quod factum est, in ipso vita erat. Quod autem est in intellectu, non producitur nisi mediante voluntate : voluntas enim est executrix intellectus et intelligibile voluntatem movet ; et ita oportet quod res creatae a Deo processerint per voluntatem.

3) Troisime raison : puisque tout agent produit du semblable lui, dune certaine manire, il faut que leffet prexiste en quelque sorte dans sa cause. Mais tout ce qui est dans une chose y est par le mode de celle en qui elle est ; c'est pourquoi, comme Dieu lui-mme est un esprit, les cratures prexistent en lui de faon intelligible, cest pour cela qu'on dit en Jn 1, 3 : Ce qui a t fait, tait vie en lui[464]. Mais ce qui est dans lintellect ne procde que par lintermdiaire de la volont : car la volont accompli ce qui est pens et lintelligible met en mouvement la volont et ainsi il faut que les cratures procde de Dieu par volont[465].

Quarta ratio est, quia, secundum philosophum, duplex est actio :

4) Quatrime raison[466] : Selon le Philosophe (Mtaphysique, IX, 8, 1050 a 23 - B 2) laction est double :

quaedam quae consistit in ipso agente, et est perfectio et actus agentis, ut intelligere, velle et huiusmodi :

1) L'une qui demeure dans lagent lui-mme ; et est sa perfection et son acte, comme abstraire (intelligere), vouloir, etc..

quaedam vero quae egreditur ab agente in patiens extrinsecum et est perfectio et actus patientis, sicut calefacere, movere et huiusmodi. Actio autem Dei non potest intelligi ad modum huiusmodi secundae actionis, eo quod, cum actio sua sit eius essentia, non egreditur extra ipsum : unde oportet quod intelligatur ad modum primae actionis quae non est nisi in intelligente et volente, vel etiam sentiente ; quod etiam in Deum non cadit : quia actio sensus licet non tendat in aliquid extrinsecum, est tamen ab actione extrinseci. Per hoc igitur Deus agit quidquid extra se agit, quod intelligit et vult. Nec hoc generationi filii praeiudicat quae est naturalis, quia huiusmodi generatio non intelligitur terminari ad aliquid quod sit extra divinam essentiam. Necessarium est igitur dicere omnem creaturam a Deo processisse per voluntatem, et non per necessitatem naturae.

2) L'autre qui sort de lagent dans un patient extrieur et cest la perfection et lacte de celui qui reoit, comme rchauffer, mouvoir et autres actions de ce genre. Mais laction de Dieu ne peut tre comprise la manire de cette seconde action, parce que, comme elle est son essence, elle ne sort pas de lui. C'est pourquoi il faut la comprendre la manire de la premire action qui nest que dans celui qui pense (intelligit) et veut, - ou mme prouve des sensations ; ce qui n'arrive pas en Dieu - ; parce que, bien que laction du sens ne tende pas quelque chose dextrieur, elle dpend cependant dune action extrieure. De ce fait donc, Dieu fait ce qu'il fait hors de lui, parce qu'il le pense (intelligit) et le veut. Et cela ne porte pas prjudice la gnration du Fils qui est naturelle, parce quune gnration de ce genre nest pas comprise comme se terminant quelque chose hors de lessence divine. Donc il est ncessaire de dire que toute crature a procd de Dieu par volont et non par ncessit de nature.

 

Solutions :

q. 3 a. 15 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod similitudo Dionysii est intelligenda quantum ad universitatem diffusionis ; sol enim in omnia corpora radios effundit, non discernendo unum ab alio, et similiter divina bonitas. Non autem intelligitur quantum ad privationem voluntatis.

# 1. Il faut comprendre l'image de Denys quant luniversalit de la diffusion ; car le soleil rpand ses rayons sur tous les corps, sans distinguer lun de lautre. Il en est de mme pour la bont divine. Mais ce n'est pas compris comme un manque de volont[467].

q. 3 a. 15 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex perfectione divinae naturae est quod virtute naturae divinae, ipsius naturae similitudo creaturis communicetur, non tamen haec communicatio fit per necessitatem naturae sed per voluntatem.

# 2. Cest partir de la perfection de la nature divine que, par son pouvoir, sa ressemblance de la nature mme est communique aux cratures, cependant cette communication ne se fait pas par ncessit de nature, mais par volont.

q. 3 a. 15 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium.

# 3. Et par l parat la solution la troisime objection.

q. 3 a. 15 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura non subiacet voluntati in his quae sunt intima rei, sed quantum ad ea quae sunt extra rem, nihil prohibet naturam subiici voluntati ; unde et in motu locali in animalibus natura musculorum et nervorum subiacet appetitui imperanti ; unde nec est inconveniens, si virtute naturae divinae, creaturae producantur in esse secundum arbitrium divinae voluntatis.

# 4. La nature nest pas soumise la volont dans ce qui est lintime de la chose, mais quant ce qui hors delle, rien nempche la nature dՐtre soumise la volont ; c'est pourquoi dans un mouvement local chez les animaux, l'ensemble des muscles et des nerfs est soumis lapptit qui les gouverne ; aussi ce nest pas inconvenant si, par le pouvoir de la nature divine, les cratures sont amenes lexistence en raison du libre arbitre de la volont divine.

q. 3 a. 15 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bonum est proprium obiectum voluntatis ; unde bonitas Dei, in quantum est ad ipso volita et amata, mediante voluntate est creaturae causa.

# 5. Le bien est lobjet propre de la volont ; c'est pourquoi la bont de Dieu, dans la mesure o elle est pour ce qu'il veut et aime, est cause de la crature par lintermdiaire de la volont.

q. 3 a. 15 ad 6 Ad sextum dicendum, quod licet voluntas et natura, prout in Deo sunt, sint, secundum rem, idem, differunt tamen ratione, secundum quod per ea diversimode designatur respectus ad creaturam ; natura enim importat respectum ad aliquid unum determinate, non autem voluntas.

# 6. Bien que la volont et la nature, selon quelles sont en Dieu, soient en ralit un mme attribut, elles diffrent cependant en raison, selon que, travers elles, on dsigne diversement le rapport la crature ; car la nature tablit un rapport une seule chose de faon dtermine, mais pas la volont.

q. 3 a. 15 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non est ex immobilitate naturae solum quod aliquid ex necessitate producit, sed ex eius determinatione ad unum quae non competit divinae voluntati, licet in ea sit immobilitas summa.

# 7. Ce nest pas par limmutabilit de la nature seulement que quelque chose produit par ncessit, mais par sa dtermination un effet, ce qui n'appartient pas la volont divine ; bien quen elle il y ait limmutabilit suprme.

q. 3 a. 15 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet operatio Dei naturaliter ei competat, cum sit eius natura vel essentia, effectus tamen creaturae operationem consequitur, quae per modum intelligendi consideratur, ut principium voluntatis, sicut et effectus calefactionis sequitur secundum modum caloris.

# 8. Bien que lopration de Dieu lui convienne naturellement, puisqu'elle est sa nature et son essence, cependant leffet accompagne lopration de la crature, qui est considre par mode de comprhension, comme principe de la volont, comme leffet de lՎchauffement dcoule du mode de la chaleur.

q. 3 a. 15 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus sit infinitus, est tamen finis ad quem omnia ordinantur. Non enim est infinitus privative, sicut finitum est passio quantitatis quae nata est habere finem ; hoc enim modo finis neque infinitus, neque finitus est. Dicitur autem infinitus negative, quia nullo modo finitur.

# 9. Bien que Dieu soit infini, il est cependant la fin laquelle tout est ordonn. Car il nest pas infini de faon privative[468], ainsi le fini est ce qui supporte une grandeur, destine avoir une fin, car de cette manire la fin nest ni infinie, ni finie. Mais on dsigne linfini de faon ngative, parce quil nest fini en aucune manire.

q. 3 a. 15 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet Deus operetur in quantum est bonus, et bonitas ei necessario insit, non tamen sequitur quod de necessitate operetur. Bonitas enim mediante voluntate operatur, in quantum est eius obiectum vel finis ; voluntas autem non necessario se habet ad ea quae sunt ad finem ; licet respectu ultimi finis necessitatem habeat.

# 10. Bien que Dieu opre dans la mesure o il est bon, et que sa bont soit ncessairement en lui, il nen dcoule cependant pas quil opre par ncessit. Car la bont opre par lintermdiaire de la volont, dans la mesure o elle en est lobjet ou la fin ; mais la volont ne se comporte pas ncessairement pour ce qui concerne la fin, bien quelle soit ncessaire par rapport la fin ultime.

q. 3 a. 15 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quantum ad id quod in ipso Deo est, non potest attendi aliqua possibilitas, sed sola necessitas naturalis et absoluta ; respectu vero creaturae potest ibi considerari possibilitas, non secundum potentiam passivam, sed secundum potentiam activam, quae non limitatur ad unum.

# 11. Quant ce qui est en Dieu lui-mme, on ne peut atteindre aucune possibilit, mais la seule ncessit naturelle et absolue ; mais par rapport la crature, on peut y considrer la possibilit, non selon la puissance passive, mais selon la puissance active qui nest pas limite un seul objet.

q. 3 a. 15 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod si Deus hoc modo suam bonitatem negaret quod aliquid contra suam bonitatem faceret, vel in quo sua bonitas non exprimeretur, sequeretur per impossibile quod negaret se ipsum. Non autem hoc sequeretur, si etiam nulli bonitatem suam communicaret. Suae enim bonitati nihil deperiret, si communicata non esset.

# 12. Si Dieu reniait sa bont de cette manire en faisant quelque chose contre elle, ou quelque chose en quoi sa bont ne serait pas exprime, il en dcoulerait par impossible, quil se renierait lui-mme. Mais cette consquence n'existerait pas, s'il ne communiquait sa bont personne. Car rien ne manquerait sa bont si elle nՎtait pas communique[469].

q. 3 a. 15 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet ipsum verbum Dei naturaliter a patre oriatur, non tamen oportet quod creaturae naturaliter procedant a Deo. Hoc autem modo pater verbo suo creaturas dicit sicut in ipso patre sunt ; in quo quidem sunt non ut per necessitatem producendae, sed per voluntatem.

# 13. Bien que le Verbe de Dieu lui-mme naisse du Pre naturellement, il ne faut cependant pas que les cratures procdent de Dieu naturellement. Par ce moyen, le Pre dit les cratures son Verbe, comme elles sont en lui. Elles n'y sont pas pour tre produites par ncessit, mais par volont.

q. 3 a. 15 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod communicatio bonitatis non est ultimus finis, sed ipsa divina bonitas, ex cuius amore est quod Deus eam communicare vult ; non enim agit propter suam bonitatem quasi appetens quod non habet, sed quasi volens communicare quod habet : quia agit non ex appetitu finis, sed ex amore finis.

# 14. La communication de la bont nest pas la fin ultime, mais c'est la bont divine elle-mme (qui est la fin). Par son amour Dieu veut la communiquer ; car il nagit pas cause de sa bont comme s'il dsirait ce quil na pas, mais comme voulant communiquer ce quil a ; parce quil agit non par dsir de la fin, mais par amour de celle-ci.

q. 3 a. 15 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sicut in Deo nihil est nisi bonum, ita in eo nihil est nisi necessarium. Non tamen oportet quod quidquid est ab eo, procedat per necessitatem.

# 15. En Dieu il n'y a rien que le bien ; de mme en lui, il n'y a rien que le ncessaire. Il ne faut cependant pas que ce qui vient de lui procde par ncessit.

q. 3 a. 15 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod voluntas Dei, sicut dictum est, in corp. art., naturaliter fertur in suam bonitatem ; unde non potest velle nisi id quod est ei conveniens, scilicet bonum ; non tamen determinatur ad hoc vel illud bonum ; et ideo non oportet quod bona quae sunt, ab eo procedant per necessitatem.

# 16. La volont de Dieu, comme on la dit, dans le corps de larticle, est porte naturellement sa bont ; c'est pourquoi il ne peut vouloir que ce qui lui convient, savoir le bien ; cependant il nest pas dtermin ce bien ou celui-l et cest pourquoi il ne faut pas que le bien qui existe procde de lui par ncessit.

q. 3 a. 15 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet eadem natura sit patris et filii et spiritus sancti, non tamen eumdem modum existendi habet in tribus, et dico modum existendi secundum relationem. In patre enim est ut non accepta ab alio, in filio vero ut a patre accepta ; unde non oportet quod quidquid convenit patri virtute naturae suae, conveniat filio vel spiritui sancto.

# 17. Bien que le Pre, le Fils et lEsprit Saint soient dune mme nature, cependant elle na pas le mme mode dexistence dans les trois ; et je parle du mode dexistence selon la relation. Car dans le Pre, la nature nest pas reue dun autre, dans le Fils, elle est reue du Pre, c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui convient au Pre par le pouvoir de sa nature, convienne au Fils et lEsprit Saint.

q. 3 a. 15 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod effectus sequitur ab actione secundum modum principii agendi ; unde cum per modum intelligendi, actionis divinae principium, prout respicit creaturam, consideretur divina voluntas quae ad creaturam non habet necessariam habitudinem, non oportet quod creatura procedat a Deo per necessitatem naturae, licet ipsa actio sit Dei essentia vel natura.

# 18. Leffet procde de laction la manire dun principe d'action ; c'est pourquoi, comme par la manire de le comprendre, le principe de laction divine, selon quil regarde la crature, est considr comme volont divine, qui na pas de relation ncessaire la crature, il ne faut pas que la crature procde de Dieu par ncessit de nature, bien que laction elle-mme soit son essence ou sa nature.

q. 3 a. 15 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod creatura assimilatur Deo quantum ad generales conditiones, non autem quantum ad modum participandi. Alio enim modo, esse est in Deo et in creatura, et similiter bonitas. Unde licet a primo bono sint omnia bona, et a primo ente sint omnia entia, non tamen a summo bono sunt omnia summe bona, nec ab ente necessario sunt omnia per necessitatem.

# 19. La crature ressemble Dieu pour les conditions gnrales, mais non pour la manire de participer. Car, lՐtre est en Dieu dune autre manire que dans la crature, et il en est de mme pour sa bont. C'est pourquoi, bien que tous les biens viennent du premier Bien, et tous les tres du premier Etre, tout ce qui est suprmement bon ne vient pas du Bien suprme, et tout ce qui est par ncessit ne vient pas de l'Etre ncessaire.

q. 3 a. 15 ad 20 Ad vigesimum dicendum, quod voluntas Dei est eius essentia ; unde hoc quod agit per voluntatem non removet quin per essentiam suam agat. Non enim est voluntas Dei aliqua intentio addita divinae essentiae, sed ipsa essentia.

# 20. La volont de Dieu est son essence ; c'est pourquoi ce qu'il fait par volont nempche pas quil agisse par son essence. Car la volont de Dieu nest pas un intention ajoute lessence divine, mais son essence elle-mme.

 

 

 

Article 16 La pluralit peut-elle procder d'un premier tre unique ?

q. 3 a. 16 tit. 1 Decimosexto quaeritur utrum ab uno primo possit procedere multitudo. Et videtur quod non.

Il semble que non[470].

 

Objections :

q. 3 a. 16Arg. 1 Sicuti enim Deus est per se bonum, et per consequens summum bonum ; ita est per se et summe unum. Sed ab eo in quantum est bonum, non potest procedere nisi bonum. Ergo nec ab eo procedere potest nisi unum.

1. Car de mme que Dieu est bon en soi, et par consquent le Bien suprme, de mme, il est par soi souverainement un. Mais de lui en tant quil est bon, ne peut provenir que le bien. Donc de lui ne peut venir qu'un effet[471].

q. 3 a. 16Arg. 2 Praeterea, sicut bonum convertitur cum ente, ita et unum. Sed in his quae sunt entia, oportet attendi assimilationem creaturae ad Deum, ut supra, art. praeced., dictum est. Ergo sicut in bonitate, ita et in unitate oportet Deo creaturam assimilari, ut scilicet sit una ab uno.

2. Le bien est convertible avec lՐtre, lun aussi[472]. Mais, dans ce que sont les tres, il faut considrer la ressemblance de la crature Dieu, comme on la dit ci-dessus (a. 15). Donc dans la bont comme dans l'unit, il faut que la crature ressemble Dieu, savoir qu'elle soit une partir de lun.

q. 3 a. 16Arg. 3 Praeterea, sicut bonum et malum opponuntur privative, si communiter accipiantur, licet sint contraria, prout sunt habituum differentiae ; ita unum et multa opponuntur privative, ut patet in X Metaph. Sed malitiam nullo modo dicimus a Deo procedere, sed ex defectu causarum secundarum eam incidere. Ergo nec debet poni quod multitudinis Deus sit causa.

3. Le bien et le mal sont opposs dans le particulier ; si on les considre en commun, bien quils soient contraires, alors ce sont des diffrences de manire d'tre ; de la mme manire lun et le multiple sont opposs[473], si on les prend dans le particulier, comme cela parat en Mtaphysique, (X, 1056 b 32[474]). Mais en aucune manire, nous disons que le mal procde de Dieu, mais il vient de la dfaillance des causes secondes. Donc on ne doit pas penser que Dieu soit la cause de la pluralit.

q. 3 a. 16Arg. 4 Praeterea, oportet proportionaliter accipere causas et causata, quia videlicet singularia sunt causa singularium, et universalia universalium, ut patet per philosophum. Sed Deus est causa maxime universalis. Ergo suus proprius effectus est effectus maxime universalis, scilicet esse. Sed ex hoc quod res habent esse non est multitudo, cum multitudinis sit causa diversitas vel differentia. In esse vero omnia conveniunt. Ergo multitudo non est a Deo ; sed ex causis secundis, ex quibus causantur particulares rerum conditiones, secundum quas etiam differunt.

4. Il faut concevoir les causes proportionnellement leurs effets, parce quil est vident que les singuliers sont causes des singuliers et les universels causes des universels, comme cela parat chez le Philosophe (Physique, II, 3, 195 b 25[475]). Mais Dieu est la cause absolument universelle. Donc son effet propre est leffet le plus universel, savoir lՐtre. Mais le fait d'avoir l'tre pour les choses, ce n'est pas la pluralit, puisque la diversit ou la diffrence en sont la cause. Mais tout se rencontre dans lՐtre. Donc la pluralit ne vient pas de Dieu, mais des causes secondes, qui tablissent les conditions particulires des choses, selon lesquelles elles diffrent.

q. 3 a. 16Arg. 5 Praeterea, uniuscuiusque effectus est aliquam propriam causam accipere. Sed impossibile est unum esse proprium multorum. Ergo impossibile est quod unum sit causa multitudinis.

5. Le propre de chaque effet est d'accueillir une cause qui lui est particulire. Mais il est impossible que lun soit le propre du multiple. Donc il est impossible que lun soit la cause de la pluralit.

q. 3 a. 16Arg. 6 Sed dices, quod hoc tenet in causis naturalibus, non in causis voluntariis.- Sed contra, artifex est causa artifici per voluntatem. Procedit autem artificiatum ab artifice secundum propriam formam illius artificiati, quae est in artifice. Ergo etiam in voluntariis effectus quilibet requirit propriam causam.

6. Mais on pourrait dire que cela arrive dans les causes naturelles, mais pas dans les causes volontaires. En sens contraire, lartisan est la cause de son uvre par volont. Luvre procde de lartisan selon la forme propre de cet art qui est en lui. Donc, mme dans ce qui est volontaire, un effet quelconque requiert sa cause propre.

q. 3 a. 16Arg. 7 Praeterea, oportet esse conformitatem inter causam et effectum. Sed Deus est omnino unus et simplex. Ergo in creatura, quae est eius effectus, nec multitudo nec compositio debet inveniri.

7. Il faut une conformit entre la cause et leffet. Mais Dieu est tout fait un et simple. Donc, dans la crature, qui est son effet, on ne doit trouver ni pluralit, ni composition.

q. 3 a. 16Arg. 8 Praeterea, diversorum agentium non potest esse idem effectus immediate. Sed sicut causa appropriatur effectui, ita effectus causae. Ergo nec eiusdem causae possunt esse plures immediate effectus ; et sic idem quod prius.

8. Il ne peut y avoir directement un effet identique qui vient d'agents divers. Mais de mme que la cause est approprie leffet, leffet l'est aussi la cause. Donc plusieurs effets ne peuvent venir directement de la mme cause, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 3 a. 16Arg. 9 Praeterea, in Deo est eadem potentia generandi, spirandi et creandi. Sed potentia generandi non est nisi ad unum, similiter nec potentia spirandi : quia in Trinitate non potest esse nisi unus filius et unus spiritus sanctus. Ergo et potentia creandi terminatur tantum ad unum.

9. En Dieu, il y a une mme puissance pour engendrer, spirer et crer. Mais la puissance dengendrer nest que pour un seul, de mme pour la puissance de spirer : parce que, dans la Trinit, il ne peut y avoir quun Fils unique et un seul Esprit Saint. Donc la puissance de crer sachve lun seulement.

q. 3 a. 16Arg. 10 Sed dices, quod universitas creaturarum est quodammodo unum secundum ordinem. Sed contra, effectum oportet assimilari causae. Sed unitas Dei non est unitas ordinis, quia in Deo non est prius nec posterius, nec superius et inferius. Ergo non sufficit unitas ordinis ad hoc quod ab uno Deo plura possint educi.

10. Mais on pourrait dire que luniversalit des cratures est dune certaine manire l'un en son ordre. En sens contraire, il faut que leffet ressemble la cause. Mais lunit de Dieu nest pas une unit dordre, parce qu'en lui, il ny a ni avant ni aprs, ni suprieur ni infrieur. Donc lunit de lordre ne suffit pas pour que du Dieu unique puisse sortir une pluralit.

q. 3 a. 16Arg. 11 Praeterea, unius simplicis non est nisi una actio. Sed ab una actione non est nisi unus effectus. Ergo ab uno simplici non potest procedere nisi unus effectus.

11. De l'un absolu ne dcoule qu'une action. Mais par une action, il ny a quun seul effet. Donc de ce qui est un et simple ne peut procder quun seul effet.

q. 3 a. 16Arg. 12 Praeterea, creatura procedit a Deo, non solum sicut effectus a causa efficiente, sed etiam sicut exemplatum ab exemplari. Sed unius exemplati est unum exemplar proprium. Ergo a Deo non potest procedere nisi una creatura.

12. La crature procde de Dieu, non seulement comme leffet de la cause efficiente, mais aussi comme l'image de l'exemplaire[476]. Mais pour une seule image, il ny a quun seul modle propre. Donc de Dieu ne peut procder quune crature.

q. 3 a. 16Arg. 13 Praeterea, Deus est causa rerum per intellectum. Agens autem per intellectum agit per formam sui intellectus. Cum igitur in divino intellectu non sit nisi una forma, videtur quod ab eo non possit procedere nisi una creatura.

13. Dieu est la cause des cratures par son esprit[477]. Mais lagent qui agit par lintellect agit par la forme de celui-ci. Donc comme dans lintellect divin, il ny a quune forme unique, il semble que de lui ne peut procder quune seule crature.

q. 3 a. 16Arg. 14 Sed dices, quod licet forma divini intellectus sit una secundum rem, quae est eius essentia, tamen attenditur ibi quaedam pluralitas secundum diversos respectus ad creaturas diversas ; et sic est ibi pluralitas rationis. Sed contra, aut isti respectus plures sunt in intellectu divino, aut sunt solum in ratione nostra. Si primo modo, ergo sequitur quod in intellectu divino erit pluralitas et non summa simplicitas. Si secundo modo, sequitur quod Deus non producat creaturas diversas nisi mediante ratione nostra : ex quo oportet quod diversas creaturas producat per diversos respectus ad creaturas qui non sunt nisi in ratione nostra ; et sic habetur propositum, scilicet quod a Deo immediate non procedat multitudo.

14. Mais on pourrait dire que, bien que la forme de lintellect divin qui est son essence, soit unique en ralit, cependant on atteint l une certaine pluralit selon les rapports divers avec des cratures diverses ; et ainsi il y a une pluralit de raison. En sens contraire, ces relations sont plusieurs dans lesprit divin, ou bien elles sont seulement en notre raison. Dans le premier cas, il dcoule donc que, dans l'esprit divin, il y aura une pluralit et non une totale simplicit. Dans le second, il en dcoule que Dieu ne produit des cratures diffrentes que par lintermdiaire de notre raison ; partir de l, il faut quil produise diverses cratures par divers rapports aux cratures qui ne sont que dans notre raison ; et ainsi on a cette affirmation que la pluralit ne procde pas directement de Dieu.

q. 3 a. 16Arg. 15 Praeterea, Deus per apprehensionem intellectus sui res in esse producit. Sed in eo non est nisi una apprehensio : quia suus intellectus est eius essentia, quae est una. Ergo non producit nisi unam creaturam.

15. Dieu par la saisie de son esprit amne les choses lՐtre. Mais en lui il ny a quune seule saisie, parce que son esprit est son essence, qui est une. Donc il ne produit quune unique crature.

q. 3 a. 16Arg. 16 Praeterea, illud quod non habet esse nisi in ratione, non est creatum a Deo : quia huiusmodi videntur esse quaedam vana, ut Chimaera, et huiusmodi. Sed multitudo non est nisi in ratione : significatur enim per abstractionem a multis quod in rerum natura non invenitur. Ergo Deus non est causa multitudinis.

16. Ce qui n'a lՐtre quen raison na pas t cr par Dieu ; parce que certains tres de ce genre paraissent vains comme la chimre, etc.. Mais la pluralit n'existe qu'en raison ; car elle est signifie par labstraction partir d'une multiplicit quon ne trouve pas dans la nature. Donc Dieu nen est pas la cause.

q. 3 a. 16Arg. 17 Praeterea, secundum Platonem, optimi est optima adducere. Sed optimum non potest esse nisi unum. Cum igitur Deus sit optimus, ab eo non potest produci nisi unum.

17. Selon Platon (Le Time), cest au meilleur de causer le meilleur. Mais le meilleur ne peut tre quunique. Donc comme Dieu est le meilleur, il ny a quun tre qui puisse tre produit par lui.

q. 3 a. 16Arg. 18 Praeterea, unusquisque agens propter finem, facit effectum suum propinquiorem fini quantum potest. Sed Deus producendo creaturam ordinat eam in finem. Ergo facit eam propinquissimam fini quantum potest. Sed hoc non potest nisi uno modo fieri. Ergo Deus non producit nisi unam creaturam.

18. Celui qui agit pour une fin, produit son effet le plus proche quil peut de cette fin. Mais Dieu, en produisant la crature, lordonne sa fin. Donc il la cre la plus proche quil peut de la fin. Mais ce ne peut tre fait que dune seule manire. Donc Dieu ne produit quune crature.

q. 3 a. 16Arg. 19 Praeterea, iniustum est quod aliquis inaequalia aliquibus tribuat, nisi aliqua inaequalitate circa eos praecedente, vel meritorum, vel quarumcumque conditionum diversarum. Sed operationem divinam non praecedit aliqua diversitas ; alias ipse non esset prima causa omnium. Ergo in prima rerum creatione non dedit creaturis inaequalia dona. Sed diversitas creaturarum et multitudo attenditur secundum hoc quod plus vel minus recipiunt de donis divinis, ut patet in IV cap. Cael. Hierar. Ergo in prima rerum creatione Deus multitudinem non produxit.

19. Il est injuste d'attribuer des dons ingaux certains, sinon cause d'une ingalit qui prcde les mrites ou de diverses conditions. Mais il n'y a pas de diversit qui prcde lopration divine, autrement il ne serait pas la cause premire de tout. Donc dans la premire cration, il n'a pas fait de dons ingaux aux cratures. Mais la diversit des cratures et la pluralit sont atteintes selon ce qu'elles reoivent en plus ou en moins, comme cela parat au chapitre 4 de La hirarchie cleste (P.G. 177 c). Donc dans la premire cration, Dieu na pas produit la pluralit.

q. 3 a. 16Arg. 20 Praeterea, Deus creaturis communicat suam bonitatem quantum capaces sunt. Sed natura superiorum creaturarum capax fuit huiusmodi perfectionis et dignitatis, ut essent causae inferiorum creaturarum. Id enim quod est perfectius, potest agere in id quod est eo imperfectius, et communicare ei suam perfectionem. Ergo videtur quod Deus creaturas inferiores mediantibus superioribus produxit ; et ita ipse immediate non produxit nisi unam creaturam aliis superiorem, quaecumque sit illa.

20. Dieu communique sa bont ses cratures autant quelles sont capables [de la recevoir]. Mais la nature des cratures suprieures a t capable d'une telle perfection et d'une telle dignit, d'tre cause des cratures infrieures. Car ce qui est plus parfait peut agir sur ce qui l'est moins que lui et lui communiquer sa perfection. Donc il semble que Dieu a produit les cratures infrieures par lintermdiaire des cratures suprieures, et ainsi lui-mme na produit immdiatement quune seule crature suprieure aux autres, quelle quelle soit[478].

q. 3 a. 16Arg. 21 Praeterea, quanto aliquae formae sunt magis immateriales, tanto sunt magis activae, utpote magis a potentia separatae ; unumquodque enim agit secundum quod est in actu, non secundum quod est in potentia. Sed formae rerum quae sunt in mente Angeli, sunt magis immateriales quam formae quae sunt in rebus naturalibus. Cum ergo formae naturales sint causae formarum sibi similium, videtur quod multo fortius formae quae sunt in mente Angeli, produxerint formas rerum naturalium sibi similes. Diversitas autem rerum, et per consequens multitudo, est ex forma. Ergo videtur quod multitudo non processerit a Deo nisi mediantibus superioribus creaturis.

21. Plus certaines formes sont immatrielles, plus elles sont actives, comme plus loignes de la puissance. Car chacune agit selon quelle est en acte, non selon quelle est en puissance. Mais les formes des choses qui sont dans lesprit de lange sont plus immatrielles que celles qui sont dans les choses naturelles. Donc comme les formes naturelles sont causes de formes qui leur sont semblables, il semble que celles qui sont dans lesprit de lange ont avec plus de force produit les formes naturelles qui leur sont semblables. Mais la diversit des choses et par consquent la pluralit, vient de la forme. Donc il semble que la pluralit na procd de Dieu que par lintermdiaire des cratures suprieures.

q. 3 a. 16Arg. 22 Praeterea, quidquid Deus facit, est unum. Ergo ab eo non est nisi unum ; et ita ipse non erit causa multitudinis.

22. Tout ce que Dieu fait est un. Donc, de lui, ne vient que l'un et ainsi il ne sera pas cause de la pluralit.

q. 3 a. 16Arg. 23 Praeterea, Deus non intelligit nisi unum : quia nihil intelligit extra se, ut probatur in XII Metaph. Sed ipse est causa rerum per intellectum suum. Ergo ipse non causat nisi unum.

23. Dieu n'a qu'une pense, parce quil ne pense rien hors de lui, comme on le prouve en Mtaphysique,(XII, 9, 1074 b 34[479]). Mais lui-mme est cause des cratures par son esprit. Donc il nest cause que d'une (crature).

q. 3 a. 16Arg. 24 Praeterea, Anselmus dicit, quod creatura in Deo est creatrix essentia. Sed creatrix essentia est tantum una. Ergo et creatura in Deo est tantum una. Sed hoc modo creatur creatura a Deo secundum quod in ipso praecessit. Ergo a Deo non est nisi una tantum creatura ; et sic a Deo non procedit multitudo.

24. Anselme (Monologium ch. VIII) dit que l'essence cratrice est crature en Dieu[480]. Mais elle n'est qu'une. Donc la crature aussi est seulement une en Dieu. Mais de cette manire, la crature est cause par Dieu selon quelle existe auparavant en lui. Donc par Dieu il ny a quune seule crature. Et ainsi la pluralit ne procde pas de Dieu.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 16 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sapient. cap. XI, 21 : omnia in numero et pondere et mensura disposuisti, domine. Sed numerus non est sine multitudine. Ergo a Deo procedit multitudo.

1. On lit en Sg. 11, 21 : Tu as tout dispos, Seigneur, en nombre, poids et mesure. Mais il ny a pas de nombre sans pluralit. Donc celle-ci procde de Dieu.

q. 3 a. 16 s. c. 2 Praeterea, virtus Dei praecedit virtutem cuiuslibet alterius rei. Sed unum punctum potest esse principium multarum linearum. Ergo sic Deus, quamvis sit unus, potest esse principium creaturarum multarum.

2. Le pouvoir de Dieu prcde celui de nimporte quelle chose. Mais un seul point peut tre le principe de nombreuses lignes. Donc, quoique Dieu soit un, il peut tre le principe de nombreuses cratures.

q. 3 a. 16 s. c. 3 Praeterea, illud quod est proprium uni in quantum est unum, maxime competit ei quod est maxime unum. Sed proprium est unitatis quod sit multitudinis principium. Ergo hoc maxime competit Deo quod est summe unum, quod ab eo multitudo procedat.

3. Ce qui est propre une chose, en tant quunit, convient tout fait ce qui est tout fait un. Mais le propre de lunit est d'tre le principe de la pluralit. Donc il convient parfaitement Dieu d'tre lUn suprme, parce que de lui procde la multiplicit.

q. 3 a. 16 s. c. 4 Praeterea, Boetius dicit in principio arithmeticae, quod secundum exemplar numeri Deus res in esse produxit. Sed exemplatum exemplari conformatur. Ergo produxit res sub multitudine et numero.

4. Boce dit au dbut de lArithmtique (ch. 2), que Dieu a amen les choses l'tre selon l'exemplaire du nombre. Mais l'image est conforme lexemplaire. Donc il a produit les choses sous la pluralit et le nombre.

q. 3 a. 16 s. c. 5 Praeterea, in Psal. CIII, 24, dicitur : omnia in sapientia fecisti. Sed cum sapientis sit ordinare, oportet ea quae per sapientiam fiunt, ordinem habere, et per consequens multitudinem. Ergo rerum multitudo a Deo processit.

5. Dans le Ps. 103, 24, on dit : Tu as tout fait avec sagesse. Mais comme le propre de la sagesse cest d'ordonner, il faut que ce qui est fait avec sagesse, ait lordre et par consquent la pluralit. Donc celle-ci provient de Dieu.

 

Rponse :

q. 3 a. 16 co Respondeo. Dicendum, quod multa non posse procedere ab uno principio immediate et proprie, videtur esse ex determinatione causae ad effectum, ex qua videtur debitum et necessarium ut si est talis causa, talis effectus proveniat. Causae autem sunt quatuor, quarum duae, scilicet materia et efficiens, praecedunt causatum, secundum esse internum ; finis vero etsi non secundum esse, tamen secundum intentionem ; forma vero neutro modo, secundum quod est forma ; quia cum per eam causatum esse habeat, esse eius simul est cum esse causati ; sed in quantum etiam ipsa est finis, praecedit in intentione agentis. Et quamvis forma sit finis operationis, ad quem operatio agentis terminatur, non tamen omnis finis est forma. Est enim aliquis finis intentionis praeter finem operationis, ut patet in domo. Nam forma eius est finis terminans operationem aedificatoris ; non tamen ibi terminatur intentio eius, sed ad ulteriorem finem, quae est habitatio ; ut sic dicatur, quod finis operationis est forma domus, intentionis vero habitatio.

Que beaucoup de choses ne puissent procder dun seul principe immdiatement et en propre, cela semble venir de la limitation de la cause par l'effet ; par elle il semble ncessaire que, sil y a telle cause, il en provienne tel effet. Les causes sont au nombre de quatre, dont deux, cest--dire la cause matrielle et la cause efficiente, prcdent l'effet selon lՐtre interne. Mais la fin, mme si elle ne concerne pas l'tre, concerne lintention ; la forme (ne la concerne) en aucune manire, en tant que telle, parce que, comme l'tre est caus par elle, elle existe en mme temps que lՐtre de l'effet ; mais dans la mesure mme o elle-mme est la fin, elle est avant dans lintention de lagent. Et quoique la forme soit la fin de lopration, laquelle celle de lagent se termine, toute fin n'est pas une forme. Car il y a une fin de lintention au del de la fin de lopration, comme cela parat dans une maison. Car sa forme est la fin qui termine lopration du btisseur ; cependant son intention ne se termine pas l, mais une fin ultrieure qui est lhabitation ; de sorte quon dit que la fin de lopration est la forme de la maison, mais celle de son intention c'est l'habitation.

Debitum igitur essendi tale causatum non potest esse ex forma in quantum est forma, quia sic concomitatur causatum ; sed vel ex virtute causae efficientis, vel ex materia vel ex fine, sive sit finis intentionis, sive finis operationis. Non potest autem dici in Deo, quod effectus eius habeat debitum essendi ex materia. Nam cum ipse sit totius esse auctor, nihil quolibet modo esse habens praesupponitur eius actioni, ut sic ex dispositione materiae necesse sit dicere talem vel talem eius esse effectum. Similiter nec ex potentia effectiva. Nam cum eius activa potentia sit infinita, non terminatur ad unum nisi ad id quod esset aequale sibi, quod nulli effectui competere potest.

Un tel effet ncessaire de l'tre ne peut venir de la forme en tant que telle, parce que, ainsi, elle accompagne leffet ; mais [il peut venir] du pouvoir de la cause efficiente, de la matire ou de la fin, soit que ce soit la fin de lintention ou la fin de lopration. Mais on ne peut pas dire qu'en Dieu son effet a un d dՐtre de la matire[481]. En effet, comme lui-mme est auteur de tout l'tre, rien ayant lՐtre de quelque manire n'est prsuppos son action, de sorte quainsi, par la disposition de la matire, il soit ncessaire de dire que son effet est tel ou tel. De la mme manire, il ne peut venir de la puissance effective (efficiente) non plus. Car comme sa puissance active est infinie, elle ne se termine lun que pour ce qui lui serait gal, ce qui ne peut convenir aucun effet.

Unde, si inferiorem sibi effectum producere sit necesse, potentia sua, quantum in se est, non terminatur ad hunc vel illum distantiae gradum, ut sic debitum sit ex ipsa virtute activa talem vel talem effectum produci.

C'est pourquoi, sil est ncessaire de produire un effet qui lui soit infrieur, sa puissance, pour ce qui est d'elle, ne se finit pas telle ou telle distance, de sorte tre oblige de produire tel ou tel effet. par son pouvoir actif.

Similiter nec ex fine intentionis. Hic enim finis est divina bonitas, cui nihil accrescit ex effectuum productione. Nec iterum per effectus potest totaliter repraesentari vel eis totaliter communicari, ut sic possit dici, quod debitum sit talem vel talem Dei effectum esse, ut totaliter divinam bonitatem participet, sed possibile est effectum multis modis eam participare ; unde nullius eorum necessitas est ex fine. Sic ex fine necessitas sumitur, quando intentio finis compleri non potest vel omnino, vel inconvenienter, nisi hoc vel illo existente.

De la mme manire, cela ne vient pas de la fin intentionnelle. Car cette fin est la bont divine qui nest en rien accrue par la production des effets. Et en plus par les effets il ne peut tre reprsent totalement ou communiqu totalement eux, de sorte quon puisse dire qu'il est ncessaire qu'il y ait tel ou tel effet pour recevoir en totalit la bont divine, mais il est possible que leffet la reoive de nombreuses manires. C'est pourquoi la ncessit d'aucun d'eux ne vient de la fin. Ainsi la ncessit vient de la fin quand son intention ne peut tre accomplie, ou totalement ou dune manire inconvenante, que par lexistence de ceci ou cela.

Relinquitur igitur quod debitum in operibus divinis esse non potest nisi ex forma, quae est finis operationis. Ipsa enim cum non sit infinita, habet determinata principia, sine quibus esse non potest ; et determinatum modum essendi, ut si dicamus, quod supposito quod Deus intendat hominem facere, necessarium est et debitum quod animam rationalem ei conferat et corpus organicum, sine quibus homo esse non potest. Et similiter possumus dicere in universo. Quod enim Deus tale universum constituere voluerit, non est necessarium neque debitum, neque ex fine neque ex potentia efficientis, neque materiae, ut ostensum est.

Il reste donc que ce qui est d dans les uvres divines ne peut exister que de la forme qui est la fin de lopration. En effet, comme elle nest pas infinie, elle possde des principes dtermins, sans lesquels elle ne peut exister ; et un mode dtermin dՐtre, comme si on disait que, suppos que Dieu ait lintention de faire un homme, il doit ncessairement lui confrer un d qui est l'me rationnelle et un corps organique sans lesquels il ne peut pas exister. Et nous pouvons dire la mme chose pour lunivers. Car que Dieu ait voulu constituer une tel univers, ce n'est ni ncessaire ni d cause de la fin, de la puissance de lefficience, ni de celle de la matire, comme on l'a montr.

Sed supposito quod tale universum producere voluerit, necessarium fuit quod tales et tales creaturas produxerit, ex quibus talis forma universi consurgeret. Et cum ipsa universi perfectio et multitudinem et diversitatem rerum requirat, quia in una earum inveniri non potest propter recessum a complemento bonitatis primae ; necesse fuit ex suppositione formae intentae quod Deus multas creaturas et diversas produceret ; quasdam simplices, quasdam compositas ; et quasdam corruptibiles, et quasdam incorruptibiles.

Mais suppos quil ait voulu produire une tel univers, il lui a t ncessaire de produire telles ou telles cratures, desquelles surgirait une telle forme de lunivers. Et comme la perfection de lunivers demande la pluralit et la diversit des cratures, parce qu'elle ne peut pas y tre trouve dans l'une de ces cratures seulement, parce qu'elle est loin de la perfection de la bont premire, il a t ncessaire, en supposant cette forme recherche, que Dieu produise des cratures nombreuses et diverses, certaines simples, dautres composes, certaines corruptibles, dautres incorruptibles.

Hoc autem quidam philosophi non considerantes, diversimode a veritate deviaverunt.

Certains philosophes[482], qui nont pas pris en compte ces considrations, ont dvi de la vrit de diverses manires.

Quidam namque non intelligentes Deum universi esse auctorem, posuerunt materiam non ab alio existentem, et ex eius necessitate rerum diversitatem produci, vel secundum raritatem vel secundum spissitudinem materiae res diversificantes, ut antiquissimi naturalium philosophorum, qui tantum causam materialem perceperunt ; vel secundum actionem alicuius causae efficientis, quae secundum diversitatem materiae diversos effectus producebat, sicut Anaxagoras posuit intellectum divinum, qui diversas res producebat, eas a commixtione materiae segregando, et sicut Empedocles, qui per amicitiam et litem, secundum diversitatem materiae diversos effectus vario modo distinctos vel coniunctos ponebat.

A) Car certains ne comprenant pas que Dieu est lauteur de lunivers ont pens que la matire nexistait pas par un autre (que lui[483]), que la diversit des cratures tait produite par sa ncessit, qu'ils n'apportaient la diversification selon la raret ou la densit de la matire, comme les plus anciens des philosophes Naturalistes qui n'ont dcouvert que la cause matrielle, ou selon laction d'une cause efficiente qui, selon la diversit de la matire, produisait des effets divers, comme Anaxagore qui a pens que l'esprit divin produisait diverses choses, en extrayant ce qui tait mlange dans la matire ; et comme Empdocle qui pensait que par lamiti et le procs, il y avait, selon la diversit de la matire, divers effets distincts ou conjoints sous un mode vari.

Quorum falsitas apparet ex duobus.

Leur erreur apparat de deux manires. :

Primo ex hoc quod non ponebant omne esse a primo et summo ente effluere, quod in alia quaestione est ostensum.

a) Du fait quils ne pensaient pas que tout tre dcoule de l'tre premier et suprme, ce qui a t montr dans une autre question.

Secundo, quia secundum eos sequebatur quod partium universi distinctio et earum ordo essent a casu ; quia sic necesse erat propter materiae necessitatem.

b) Parce que, selon eux, il en dcoulait que la distinction des parties de lunivers et leur ordre venaient du hasard, et parce qu'il tait ncessaire cause de la ncessit de la matire.

Alii pluralitatem rerum et modos diversos earum ex necessitate causae efficientis ponebant, sicut Avicenna, et eius sequaces. Posuit enim, quod primum ens, in quantum intelligit se ipsum, producit unum tantum causatum, quod est intelligentia prima, quam necesse erat a simplicitate primi entis deficere, utpote in quantum potentialitas incepit admisceri actui, in quantum esse recipiens ab alio non est suum esse, sed quodammodo potentia ad illud. Et sic in quantum intelligit primum ens, procedit ab ea alia intelligentia ea inferior, in quantum vero intelligit potentiam suam procedit ab ea corpus caeli, quod movet ; in quantum vero intelligit actum suum, procedit ab ea anima caeli primi ; et sic consequenter multiplicantur per multa media res diversae.

B) Dautres ont pens que la pluralit des choses et leurs modes divers venaient de la ncessit de la cause efficiente, comme Avicenne (Mtaphysique, tr. IX, c. 4[484]) et ses successeurs. Car il a pens que lՐtre premier, en tant quil se pense (intelligit) lui-mme, produit seul un effet qui est l'Intelligence premire, il tait ncessaire qu'elle manque de la simplicit du premier tre, vu que, autant la potentialit commence tre mle lacte, autant lՐtre qui reoit dun autre nest pas son tre propre, mais dune certaine manire puissance pour lui[485]. Et ainsi dans la mesure o le premier tre pense (intelligit), il en dcoule une autre intelligence qui lui est infrieure, mais dans cette mesure o elle pense sa puissance, le corps cleste quelle meut, procde d'elle dans la mesure o elle pense son acte, l' me du premier ciel procde d'elle et par consquent, les diverses choses sont multiplies par les nombreux intermdiaires.

Sed haec etiam positio stare non potest. Primo, quia ponit potentiam divinam terminari ad unum effectum, qui est intelligentia prima. Secundo, quia ponit alias substantias praeter Deum esse aliarum creatrices, quod esse impossibile in alia quaestione, art. 4, ostensum est. Sequitur etiam ad hanc positionem, sicut et ad primas, quod decor ordinis universi sit casualis, ex quo rerum diversitatem non adscribit intentioni finis, sed terminationi potentiarum activarum ad suos effectus.

Mais mme cette position n'est pas valable non plus. Dabord, parce qu'il pense que la puissance divine se termine un seul effet, qui est lintelligence premire. Deuximement, parce quil pense que des substances autres de Dieu sont cratrices d'autres tres, ce qui est impossible, on la montr dans une autre question, article 4. Il dcoule aussi de cette opinion comme pour les premires, que la beaut de lordre universel serait due au hasard ; par l, il n'ajoute pas la diversit des choses en vue de leur fin, mais au terme des puissances active pour leurs effets.

Alii vero circa debitum causae finalis erraverunt, sicut Plato, et eius sequaces. Posuit enim quod bonitati Dei ab eo intellectae et amatae debitum esset tale universum producere, ut sic optimus optimum produceret. Quod quidem potest esse verum, si solum quantum ad ea quae sunt respiciamus ; non autem si respiciamus ad ea quae esse possunt. Hoc enim universum est optimum eorum quae sunt ; et quod sit sic optimum, ex summa Dei bonitate habet. Non tamen bonitas Dei est ita obligata huic universo quin melius vel minus bonum aliud universum facere potuisset. .

C) Dautres se sont tromps propos de la ncessit de la cause finale, comme Platon, et ses successeurs. Car il a pens qu'il serait ncessaire la bont de Dieu, comprise et aime par lui, de produire un tel univers, pour qu'ainsi le meilleur produise le meilleur. Ce qui peut tre vrai, si seulement nous regardons ce qui est, mais non pas si nous regardons ce qui peut tre. Car cet univers est le meilleur de ceux qui existent, et qu'il soit ainsi le meilleur, il le tient de la suprme bont de Dieu. Cependant celle-ci na pas t lie cet univers de sorte quelle aurait pu faire un autre univers meilleur ou moins bon.

Quidam etiam debitum causae formalis non attendentes, sed solum debitum divinae bonitatis, erraverunt, sicut Manichaei ; qui cum considerarent Deum esse optimum, crediderunt a Deo esse tantum illas creaturas quae inter alias sunt optimae, scilicet spirituales et incorruptibiles ; corporalia vero et corruptibilia alteri attribuerunt principio. Ex simili etiam fonte prodiit Origenis error, licet huic contrarius. Consideravit enim Deum esse optimum et iustum ; unde ab ipso primo fuisse conditas optimas creaturarum solas et aequales existimavit, scilicet rationales creaturas ; quibus ex libero arbitrio diversimode operantibus in bonum vel in malum, consecutum esse dicebat ut diversi gradus rerum in universo constituerentur, dicens : illas rationales creaturas quae ad Deum conversae sunt, in angelicam dignitatem esse promotas, et secundum diversos ordines, prout magis et minus meruerunt ; e contrario vero ceteras rationales quae per liberum arbitrium peccaverunt, in inferiora dicit esse prolapsas, et corporibus alligatas ; quasdam quidem soli, lunae et stellis, quae minus peccaverunt ; quasdam vero corporibus hominum ; quasdam in Daemones esse conversas.

D) Dautres qui ne font pas attention ce qui est ncessaire la cause formelle, mais seulement ce qui est ncessaire la divine bont, se sont tromps, comme les Manichens. Comme ils considraient que Dieu tait le meilleur, ils ont cru que venaient de lui seulement ces cratures, qui sont les meilleures parmi les autres, cest--dire, les cratures spirituelles et incorruptibles ; mais ils attriburent les cratures corporelles et corruptibles un autre principe. Et cest de la mme source que provient lerreur dOrigne (Peri archon, I, 7 et 8) bien quelle leur soit contraire. Car il a considr que Dieu tait le meilleur et juste ; c'est pourquoi, il pensa que d'abord seules les meilleures des cratures ont t cres, par lui dabord seules et gales cest--dire les cratures rationnelles. Celles-ci ayant opr suivant leur libre arbitre de diffrentes manires en bien ou en mal, il disait quil en dcoulait que divers degrs taient constitus dans lunivers, ajoutant : ces cratures rationnelles qui se sont tournes vers Dieu, ont t promues la dignit d'ange, en diffrents ordres, selon quelles mritrent plus ou moins ; il dit qu' l'inverse les autres cratures rationnelles qui pchrent suivant leur libre arbitre, ont gliss dans les cratures infrieures et ont t lies des corps ; quelques-unes au soleil, la lune et aux toiles, celles qui pchrent moins ; quelques-unes aux corps des hommes, certaines ont t transformes en dmons.

Uterque enim error ordinem universi praeterire videtur in sua consideratione, considerando tantummodo singulas partes eius. Ex ipso enim ordine universi potuisset eius ratio apparere, quod ab uno principio, nulla meritorum differentia praecedente, oportuit diversos gradus creaturarum institui, ad hoc quod universum esset complementum (repraesentante universo per multiplices et varios modos creaturarum quod in divina bonitate simpliciter et indistincte praeexistit) sicut et ipsa perfectio domus et humani corporis diversitatem partium requirit. Neutrum autem eorum esset completum si omnes partes unius conditionis existerent ; sicut si omnes partes humani corporis essent oculus, aliarum enim partium deessent officia. Et similiter si omnes partes domus essent tectum, domus complementum et finem suum non consequeretur, ut scilicet ab imbribus et caumatibus defendere posset.

Les deux erreurs, dans leur considration, semblent dtruire lordre de lunivers, en ne tenant compte que de ses parties particulires. Car la raison de l'univers peut apparatre de son ordre mme : dun principe unique sans diffrence antrieure de mrites, il fallut instituer diffrents degrs de cratures, pour que lunivers soit une perfection (lunivers reprsentant les modes multiples et varies des cratures, ce qui existe de faon simple et sans distinction, dans la bont divine) ; de mme que la perfection de la maison et celle du corps humain a besoin de la diversit de ses parties. Mais ni lun ni lautre ne seraient complets, si toutes les parties existaient sous un seul tat ; ainsi si tous les organes du corps humain taient lil, le rle des autres parties manquerait. Et semblablement si toutes les parties de la maison taient le toit, la maison ne serait pas complte et n'atteindrait pas sa fin pour, par exemple, pouvoir protger des pluies et de la forte chaleur.

Sic igitur dicendum est, quod ab uno primo multitudo et diversitas creaturarum processit, non propter materiae necessitatem, nec propter potentiae limitationem, nec propter bonitatem, nec propter bonitatis obligationem ; sed ex ordine sapientiae, ut in diversitate creaturarum perfectio consisteret universi.

Ainsi donc il faut dire que la pluralit et la diversit des cratures a procd dun seul tre premier, non cause de la ncessit de la matire, de la limitation de sa puissance, ni de sa bont, ni de lobligation de sa bont, mais de lordre de la sagesse, pour que la perfection de lunivers consiste dans la diversit des cratures.

 

Solutions :

q. 3 a. 16 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Deus est unus, ita et unum produxit, non solum quia unumquodque in se est unum, sed etiam quia omnia quodammodo sunt unum perfectum, quae quidem unitas diversitatem partium requirit, ut ostensum est.

# 1. De mme que Dieu est un, de mme, il a produit lun, non seulement parce que chacun en soi est un, mais encore, parce que tout d'une certaine manire est unit parfaite qui requiert la diversit des parties, comme on la montr[486].

q. 3 a. 16 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatura assimilatur Deo in unitate, in quantum unaquaeque in se una est, et in quantum omnes unum sunt unitate ordinis, ut dictum est.

# 2. La crature ressemble Dieu dans lunit, dans la mesure o chaque chose est une en soi, et o toutes sont unes par lunit de nature, comme on la dit.

q. 3 a. 16 ad 3 Ad tertium dicendum, quod malitia totaliter in non esse consistit ; multitudo autem causatur ex ente. Ipsa enim differentia, per quam entia dividuntur ad invicem, quoddam ens est. Unde Deus non est auctor tendendi ad non esse, sed est omnis esse auctor ; non est principium malitiae sed est principium multitudinis. Sciendum autem, quod duplex est unum ;

# 3. le mal[487] consiste totalement dans le non tre. Mais la pluralit est cause partir de lՐtre. Car la diffrence mme par laquelle les tres sont diviss entre eux, est un certain tre. C'est pourquoi, Dieu nest pas le crateur de ce qui tend au non-tre mais le crateur de tout tre. Il nest pas le principe du mal, mais celui de la pluralit. Mais il faut savoir que lun est double :

quoddam scilicet quod convertitur cum ente, quod nihil addit supra ens nisi indivisionem ; et hoc unum privat multitudinem, in quantum multitudo ex divisione causatur ; non quidem multitudinem extrinsecam quam unum constituit sicut pars ; sed multitudinem intrinsecam quae unitati opponitur. Non enim ex hoc quod aliquid dicitur esse unum, negatur quin aliquid sit extra ipsum quod cum eo constituat multitudinem ; sed negatur divisio ipsius in multa

a) A savoir ce qui est convertible avec lՎtant, qui ne lui ajoute rien sinon lindivision ; et ce  un  supprime la pluralit, dans la mesure o elle est cause par la division ; non la pluralit extrinsque que l'un a constitu comme partie ; mais la pluralit intrinsque qui est oppose lunit. Car ce nest pas de ce que quelque chose est dit un, qu'est ni que quelque chose soit hors de lui qui constituerait la pluralit avec lui ; mais sa division est nie dans le multiple.

Aliud vero unum est quod est principium numeri, quod supra rationem entis addit mensurationem ; et huius unius multitudo est privatio, quia numerus fit per divisionem continui. Nec tamen multitudo privat unitatem totaliter, cum diviso toto adhuc remaneat pars indivisa ; sed removet unitatem totius. Sed malitia, quantum est in se, removet bonitatem, nullo modo eam constituens, nec ab ea constituta.

b) Lautre un est ce qui est principe du nombre, qui ajoute la mesure la nature de lՐtre ; et la pluralit de cette unit est privation, parce que le nombre se fait par la division du continu. Cependant la pluralit n'carte pas totalement lunit, puisque la partie indivise demeure encore quand tout est divis, mais elle loigne lunit du tout. Mais le mal, quant lui, loigne la bont, en ne la constituant en aucune manire, et il nest pas constitu par elle.

q. 3 a. 16 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ens alio modo se habet ad ea quae sub ente continentur, et alio modo animal vel quodlibet aliud genus ad species suas. Species enim addit supra genus, ut homo supra animal, differentiam aliquam quae est extra essentiam generis. Animal enim nominat tantum naturam sensibilem, in qua rationale non continetur ; sed ea quae continentur sub ente, non addunt aliquid supra ens quod sit extra essentiam eius ; unde non oportet quod illud quod est causa animalis in quantum est animal, sit causa rationalis in quantum huiusmodi. Oportet autem illud quod est causa entis in quantum est ens, esse causam omnium differentiarum entis, et per consequens totius multitudinis entium.

# 4. LՎtant, pour ce qui est contenu sous lui, se comporte d'une autre manire que lanimal ou n'importe quel autre genre vis--vis de leurs espces. Car lespce ajoute au genre, comme lhomme lanimal, une diffrence qui est hors de lessence du genre. Car lanimal dsigne seulement la nature sensible qui ne contient pas le rationnel ; mais ce qui est contenu sous lՎtant ne lui ajoute rien qui soit hors son essence ; c'est pourquoi, il ne faut pas que ce qui est cause de lanimal en tant quanimal, soit cause du rationnel en tant que tel. Mais il faut que ce qui est cause de lՎtant en tant que tel, soit cause de toutes ses diffrences, et par consquent de toute la pluralit des tants.

q. 3 a. 16 ad 5 Ad quintum dicendum, quod appropriatio causae ad effectum attenditur secundum assimilationem effectus ad causam. Assimilatio autem creaturae ad Deum attenditur secundum hoc quod creatura implet id quod de ipsa est in intellectu et voluntate Dei ; sicut artificiata similantur artifici in quantum in eis exprimitur forma artis, et ostenditur voluntas artificis de eorum constitutione. Nam sicut res naturalis agit per formam suam, ita artifex per suum intellectum et voluntatem. Sic igitur Deus propria causa est uniuscuiusque creaturae, in quantum intelligit et vult unamquamque creaturam esse. Quod autem dicitur idem non posse esse plurium proprium, intelligendum est quando fit propriatio per adaequationem ; quod in proposito non contingit.

# 5. Lappropriation de la cause leffet est atteinte par la ressemblance de leffet la cause. Mais l'assimilation de la crature Dieu est atteinte selon que la crature achve ce qui la concerne dans lintellect et la volont de Dieu ; ainsi les uvres artificielles ressemblent lartisan dans la mesure o sexprime en eux la forme de lart, et la volont de lartisan se montre au sujet de leur constitution. Car de mme que la chose naturelle agit par sa forme, de mme, lartisan agit par son esprit et sa volont. Donc Dieu est ainsi la cause propre de chaque crature, dans la mesure ou il pense (intelligit) et veut que chaque crature existe. Mais ce quon appelle le mme ne peut tre le propre de plusieurs, il faut comprendre quand se fait l'appropriation par ladquation[488] ; ce qui ne concerne pas notre propos.

q. 3 a. 16 ad 6 Ad sextum dicendum, quod solutio patet ex dictis.

# 6. La solution parat dans ce qui vient dՐtre dit.

q. 3 a. 16 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet sit quaedam similitudo creaturae ad Deum, non tamen adaequatio ; unde non oportet, si unitas Dei caret omni multitudine et compositione, quod propter hoc oporteat talem esse creaturae unitatem.

# 7. Bien quil existe une certaine ressemblance de la crature Dieu, il n'y a cependant pas une adquation ; c'est pourquoi, il ne faut pas, si lunit de Dieu manque de toute pluralit et de composition, qu' cause de cela, il faille quil existe une telle unit pour la crature.

q. 3 a. 16 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet effectus non possit excedere causam suam, tamen causa potest excedere effectum ; et ideo licet ab una causa possint procedere plures effectus, tamen non potest unus effectus a pluribus causis immediate procedere.

# 8. Bien que leffet ne puisse pas dpasser sa cause, cependant celle-ci peut dpasser leffet, et ainsi bien que plusieurs effets puissent procder dune cause unique, cependant un seul effet unique ne peut pas procder immdiatement de plusieurs causes

q. 3 a. 16 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet eadem sit potentia in Deo generandi et creandi secundum rem, non tamen idem respectus in utraque connotatur : sed potentia generandi connotat respectum ad id quod procedit per naturam ; et ideo oportet tantum unum esse ; sed potentia creandi importat respectum ad id quod procedit per voluntatem ; unde non oportet quod sit unum.

# 9. Bien que la puissance de Dieu soit la mme en ralit pour engendrer et crer, cependant on ne comprend pas le mme rapport pour lun et lautre ; la puissance dengendrer comprend un rapport ce qui procde par nature, et cest pourquoi il faut seulement un seul tre, mais la puissance de crer apporte un rapport ce qui procde par volont ; c'est pourquoi il ne faut pas quil soit un.

q. 3 a. 16 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non oportet, sicut dictum est, huiusmodi unitatem esse in creatura et in Deo ; licet creatura Deum in unitate imitetur.

# 10. Il ne faut pas, comme on la dit, quune telle unit soit dans la crature et en Dieu, bien que la crature imite Dieu dans son unit.

q. 3 a. 16 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod quamvis actio Dei sit una et simplex, quia est eius essentia ; non tamen oportet quod sit unus tantum effectus, sed multi ; quia ex actione divina procedit effectus secundum ordinem sapientiae et arbitrium voluntatis.

# 11. Quoique laction de Dieu soit une et simple, parce qu'elle est son essence ; il ne faut cependant pas quil y ait un seul effet, mais de nombreux effets ; parce que leffet procde de laction divine selon lordre de la sagesse et le libre arbitre de la volont.

q. 3 a. 16 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod quando exemplatum perfecte repraesentat exemplar, ab uno exemplari non est nisi unum exemplatum, nisi per accidens, in quantum exemplata materialiter distinguuntur. Creaturae vero non perfecte imitantur suum exemplar. Unde diversimode possunt ipsum imitari, et sic esse diversa exemplata. Perfectus autem modus imitandi est unus tantum : et propter hoc filius, qui perfecte imitatur patrem, non potest esse nisi unus.

# 12. Quand l'effet reprsente parfaitement l'exemplaire, il n'y a qu'un effet sauf accident, dans la mesure o les effets sont distingus matriellement. Mais les cratures nimitent pas parfaitement leur exemplaire. C'est pourquoi, elles peuvent limiter de diverses manires, et il y a diffrentes images. Mais le mode dimitation parfait est unique ; et cause de cela, le Fils, qui imite parfaitement le Pre, ne peut tre quunique.

q. 3 a. 16 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet forma intellectus divini sit una tantum secundum rem, est tamen multiplex ratione secundum diversos respectus ad creaturam, prout scilicet intelliguntur creaturae diversimode formam divini intellectus imitari.

# 13. Bien que la forme de lesprit divin soit une seulement en ralit, elle est cependant multiple en raison, selon les divers rapports la crature, naturellement selon qu'on comprend que les cratures imitent de diverses manires la forme de lesprit divin.

q. 3 a. 16 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod isti diversi respectus ad creaturam non solum sunt in intellectu nostro, sed etiam in intellectu divino. Nec tamen diversa aliqua sunt in intellectu divino, in quibus Deus intelligat ; quia intelligit tantum uno, quod est sua essentia ; sed sunt ibi multa, ut ab ipso intellecta. Sicut enim nos intelligimus quod creatura potest Deum multipliciter imitari, ita et Deus hoc intelligit ; et per consequens intelligit diversos respectus creaturae ad Deum.

# 14. Ces diffrents rapports la crature non seulement sont dans notre esprit, mais aussi dans lesprit divin. Cependant certaines [cratures], qui Dieu pense (intelligit) ne sont pas diffrentes en son esprit, parce quil pense seulement dans l'unit qui est son essence ; mais elles y sont nombreuses, en tant que penses par lui. Car de mme que nous pensons que la crature peut imiter Dieu de multiples manires, Dieu le pense aussi, et par consquent, il pense les diffrents rapports de la crature lui.

q. 3 a. 16 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sicut Deus uno intelligit omnia, ita etiam et per unam apprehensionem. Nam actum intellectus oportet esse unum vel multos, secundum unitatem vel multitudinem principii quo intelligitur.

# 15. De mme que Dieu pense (intelligit) tout par l'un, de mme il le pense en un seul concept aussi. Car il faut que lacte de lintellect soit un ou multiple, selon lunit ou la pluralit du principe par lequel il est pens.

q. 3 a. 16 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet multitudo praeter multa, non sit nisi in ratione, multitudo tamen in multis est etiam in rerum natura : sicut etiam animal commune non est nisi in ratione, natura tamen animalis est in singularibus : et propter hoc multitudinem et animalis naturam oportet reducere in Deum, sicut in causam.

# 16. Bien que la pluralit, au-del de nombreuses choses, ne soit qu'en raison, cependant en beaucoup elle est aussi dans leur nature ; ainsi mme l'animal commun n'existe qu'en raison, cependant sa nature animale est dans des individus particuliers, et c'est pour cela qu'il faut ramener Dieu la pluralit et la nature de l'animal comme sa cause.

q. 3 a. 16 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod universum quod est a Deo productum, est optimum respectu eorum quae sunt, non tamen respectu eorum quae Deus facere potest.

# 17. L'univers, produit par Dieu, est le meilleur par rapport ce qui existe, non cependant par rapport ce que Dieu peut faire.

q. 3 a. 16 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod ratio illa tenet quando id quod est ad finem potest totaliter et perfecte consequi finem per modum adaequationis ; quod in proposito non contingit.

# 18. Cette raison est valable, quand ce qui est en vue d'une fin, peut totalement et parfaitement atteindre la fin par son mode d'adquation, ce qui ne concerne pas notre propos.

q. 3 a. 16 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod illa ratio est Origenis, nec habet magnam efficaciam. Non enim est contra iustitiam quod inaequalia aequalibus dentur nisi quando alicui redditur debitum ; quod in prima rerum creatione non potest dici. Quod enim ex propria liberalitate datur, potest dari plus vel minus secundum arbitrium dantis, et secundum quod eius sapientia requirit.

# 19. Cette raison vient d'Origne (Peri Archon I, 7 et 8) et n'a pas grande efficacit. Car ce n'est pas contre la justice de donner ce qui est ingal ce qui est gal, sinon quand on rend quelqu'un ce qui lui est d : on ne peut pas le dire de la premire cration. Car ce qui est donn par pure libralit, peut l'tre plus ou moins selon le libre arbitre de celui qui donne, et selon que sa sagesse le requiert.

q. 3 a. 16 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod licet creaturae aliae sint Angelo inferiores, tamen earum productio requirit infinitam virtutem producentis, in quantum per creationem producuntur in esse, utpote non ex praeiacenti materia factae. Et ideo omnes creaturae, quae non sunt factae ex praeiacenti materia, oportet dicere immediate a Deo esse creatas.

# 20. Bien que les autres cratures soient infrieures l'ange, cependant leur production requiert un pouvoir infini du crateur, dans la mesure o elles sont amenes l'tre par cration, vu qu'elles ne sont pas cres d'une matire prexistante. Et c'est pourquoi, de toutes les cratures qui n'ont pas t faites d'une matire prexistante, on doit dire qu'elles ont t cres sans intermdiaire par Dieu.

q. 3 a. 16 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod cum creatio terminetur ad esse tamquam ad proprium effectum, impossibile est dicere, ea quae a Deo creantur, ab Angelis formas habere, cum omne esse sit a forma.

# 21. Comme la cration se termine l'tre comme son effet propre, il est impossible de dire que ce qui est cr par Dieu, reoit des anges sa forme, puisque tout tre vient par la forme.

q. 3 a. 16 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod licet quidquid Deus facit, in se sit unum, tamen haec unitas, ut dictum est, non removet omnem multitudinem, sed manet illa cuius unum est pars.

# 22. Bien que, tout ce que Dieu fait soit un en lui, cependant cette unit, comme on l'a dit, n'exclut pas toute pluralit, mais demeure celle dont l'un est une partie.

q. 3 a. 16 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod verbum philosophi, cum dicit quod Deus nihil intelligit extra se, non est intelligendum quasi Deus ea quae sunt extra ipsum non intelligat ; sed quia illa etiam quae extra ipsum sunt, non extra se, sed in se intuetur, quia per essentiam suam omnia alia cognoscit.

# 23. La parole du Philosophe, quand il dit que Dieu ne pense (intelligit) rien hors de lui, ne doit pas tre comprise comme si Dieu ne comprenait pas ce qui est hors de lui-mme, mais parce que ce qui est hors de lui, il ne le voit pas hors de lui, mais en lui, parce qu'il connat tous les autres tres par son essence.

q. 3 a. 16 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod creatura dicitur esse in Deo dupliciter.

# 24. On dit que la crature est en Dieu de deux manires :

Uno modo sicut in causa gubernante et conservante esse creaturae ; et sic praesupponitur esse creaturae distinctum a creatore ad hoc quod creatura a Deo esse dicatur. Non enim intelligitur creatura conservari in esse nisi secundum quod iam habet esse in propria natura, secundum quod esse creaturae a Deo distinguitur. Unde creatura hoc modo in Deo existens non est creatrix essentia.

a) Comme dans la cause qui gouverne et conserve l'tre de la crature, et ainsi on prsuppose que l'tre de la crature est diffrent du Crateur du fait qu'on dit que la crature existe par Dieu. Car on ne comprend que la crature soit conserve l'tre, sinon selon qu'elle l'tre a dj dans sa propre nature, en tant que selon que l'tre de la crature est distingu de Dieu. C'est pourquoi la crature qui existe en Dieu, de cette manire, n'est pas essence cratrice.

Alio modo dicitur creatura esse in Deo sicut in virtute causae agentis, vel sicut in cognoscente ; et sic creatura in Deo est ipsa essentia divina, sicut dicitur Ioannis I, 3 : quod factum est in ipso vita erat. Quamvis autem hoc modo creatura in Deo existens sit divina essentia, non tamen per istum modum est ibi una tantum creatura, sed multae. Nam essentia Dei est sufficiens medium ad cognoscendum diversas creaturas, et sufficiens virtus ad eas producendas.

b) On dit que la crature est en Dieu[489] comme dans le pouvoir de la cause efficiente, ou comme dans celui qui connat, et ainsi la crature en Dieu est l'essence mme de Dieu, comme on le dit (Jn 1, 3) Ce qui a t fait tait la vie en lui. Quoique, de cette manire, la crature qui existe en Dieu soit l'essence divine, cependant de cette manire, il n'y a pas l seulement une crature, mais de nombreuse cratures. Car l'essence de Dieu est un intermdiaire suffisant pour connatre les diffrentes cratures, et son pouvoir est suffisant pour les produire.

 

 

 

Article 17 Le monde a-t-il toujours exist ?

q. 3 a. 17 tit. 1 Decimoseptimo quaeritur utrum mundus semper fuerit. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[490].

 

Objections :[491] :

q. 3 a. 17Arg. 1 Quia proprium semper consequitur id cuius est proprium. Sed, sicut dicit Dionysius, proprium est divinae bonitatis ad communicationem sui ea quae sunt vocare ; quod quidem fit creaturas producendo. Cum ergo divina bonitas semper fuerit, videtur quod semper creaturas in esse produxerit ; et ita videtur quod semper fuerit mundus.

1. Ce qui appartient en propre une chose l'accompagne toujours. Mais, comme le dit Denys (La hirarchie cleste, IV), le propre de la bont divine c'est d'appeler ce qui existe pour se communiquer ; ce quil fait en produisant les cratures. Donc, comme la bont divine a toujours exist, il semble qu'il a toujours fait venir des cratures l'tre, et ainsi il semble que le monde a toujours exist.

q. 3 a. 17Arg. 2 Praeterea, Deus non denegavit alicui creaturae id cuius est capax secundum suam naturam. Sed aliquae creaturae sunt quarum natura est capax ut semper fuerit ; sicut caelum. Ergo videtur quod hoc fuerit caelo collatum ut semper esset. Sed caelo existente oportet ponere alias creaturas esse, sicut probat philosophus, in II de caelo et mundo. Ergo videtur quod mundus fuerit semper. Probatio mediae. Omne quod est incorruptibile, habet virtutem ut sit semper : quia si haberet virtutem ut esset aliquo tempore determinato tantum, non posset esse semper : et ita non esset incorruptibile. Caelum autem est incorruptibile. Ergo habet naturam quod sit semper.

2. Dieu n'a refus aucune crature ce dont elle est capable selon sa nature. Mais il y en a quelques-unes dont la nature est capable de toujours exister, comme le ciel[492]. Donc il semble qu'il a t attribu au ciel de toujours exister. Mais du fait que le ciel existe, il faut admettre qu'il existe d'autres cratures, comme le prouve le Philosophe, (Le ciel et le monde, II, 3, 285 b 17[493]). Donc il semble que le monde a toujours exist. Preuve intermdiaire : Tout ce qui est incorruptible a le pouvoir de toujours exister, parce que, s'il avait le pouvoir d'exister dans un temps dtermin seulement, il ne pourrait pas exister toujours ; et ainsi il ne serait pas incorruptible. Mais le ciel l'est. Donc il possde une nature pour exister toujours.

q. 3 a. 17Arg. 3 Sed dicendum, quod caelum non est simpliciter incorruptibile ; decideret enim in nihilum, nisi per virtutem Dei contineretur in esse.- Sed contra, non est reputandum aliquid esse possibile vel contingens, propter hoc quod eius destructio sequitur ex destructione consequentis ; licet enim hominem esse animal sit necessarium, tamen destructio eius sequitur ad destructionem huius consequentis hominem esse substantiam. Non ergo videtur quod propter hoc possit dici caelum esse corruptibile, quia eius non esse sequitur ad aliquam positionem qua ponitur Deus suam continentiam subtrahere creaturis.

3. Mais il faut dire que le ciel n'est pas absolument incorruptible ; car il retournerait au nant si Dieu, par son pouvoir, ne le maintenait pas l'existence. En sens contraire, il ne faut pas penser quune chose est possible ou contingente, parce que sa destruction dcoule dune consquence, car bien qu'il soit ncessaire que l'homme soit un animal, cependant sa destruction aboutit la destruction de cette consquence, savoir que l'homme est une substance. Donc il ne semble pas qu' cause de cela, on puisse dire que le ciel est corruptible, parce que son non-tre aboutit une position o on pense que Dieu retire ce qui est ncessaire aux cratures.

q. 3 a. 17Arg. 4 Praeterea, sicut Avicenna probat in sua Metaphysic., quilibet effectus, in comparatione ad suam causam est necessarius ; quia si posita causa non necessario sequitur effectus, adhuc posita causa possibile erit effectum esse vel non esse ; quod autem est in potentia, non reducitur in actum nisi per id quod est actu ; unde oportebit quod praeter causam praedictam sit aliqua alia causa quae faciat effectum prodire in actum ex potentia qua possibile erat ipsum esse vel non esse posita causa. Ex quo potest accipi, quod posita causa sufficienti necesse est ipsum poni. Sed Deus est causa sufficiens mundi. Cum ergo Deus fuerit semper, et mundus fuit semper.

4. Comme Avicenne le prouve dans sa Mtaphysique (livreIX, ch. 6[494]), n'importe quel effet est ncessaire en comparaison sa cause, parce que, si on pose une cause, l'effet n'en dcoule pas ncessairement. La cause une fois pose, il sera possible que l'effet existe ou n'existe pas ; mais ce qui est en puissance n'est amen l'acte que par ce qui est en acte ; c'est pourquoi, il faudra qu'en plus de cette cause, il y en ait une autre qui fasse passer l'effet lacte, partir de la puissance par laquelle il tait possible qu'il soit ou qu'il ne soit pas, une fois la cause pose. A partir de l, on peut admettre qu'une fois une cause suffisante pose, il est ncessaire de poser l'effet. Mais Dieu est la cause suffisante du monde. Donc, comme il a toujours exist, le monde aussi.

q. 3 a. 17Arg. 5 Praeterea, omne quod est ante tempus, est aeternum ; aevum enim non est ante tempus, sed incepit simul cum tempore. Sed mundus fuit ante tempus, fuit enim creatus in primo instanti temporis, quod constat esse ante tempus ; dicitur enim Genes. I, 1 : in principio creavit Deus caelum et terram, id est in principio temporis. Ergo mundus fuit ab aeterno.

5. Tout ce qui existe avant le temps est ternel ; car l'vum[495] n'existe pas avant le temps, mais il commence avec lui. Mais le monde a exist avant le temps, car il a t cr au premier instant du temps, ce qui montre qu'il est avant le temps ; car on dit dans la Gense (1, 1) : Au commencement, Dieu cra le ciel et la terre, (glose interlinaire) : c'est--dire au commencement du temps. Donc le monde a exist de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 6 Praeterea, idem manens idem, semper facit idem, nisi impediatur. Sed Deus semper idem manet, sicut in Ps. ci, 28, legitur : tu autem idem ipse es. Cum igitur in sua actione impediri non possit propter infinitatem suae potentiae, videtur quod semper idem faciat. Et ita, cum aliquando mundum produxerit, videtur quod etiam semper ab aeterno produxerit.

6. Ce qui demeure identique lui-mme fait toujours la mme chose, sauf empchement. Mais Dieu demeure toujours identique lui-mme, comme on le lit dans le Ps. 101, 28 : Toi, tu es le mme. Donc, puisque, dans son action, il ne peut pas tre empch cause de l'infinit de sa puissance, il semble qu'il fait toujours la mme chose. Et ainsi, quand il a produit un jour le monde, il semble qu'il l'a produit toujours, ternellement.

q. 3 a. 17Arg. 7 Praeterea, sicut homo necessario vult suam beatitudinem, ita Deus necessario vult suam bonitatem et quod ad eam pertinet. Sed ad bonitatem divinam pertinet productio creaturarum in esse. Ergo hoc Deus necessitate vult ; et ita videtur quod ab aeterno producere creaturas voluerit, sicut voluit ab aeterno bonitatem suam esse.

7. L'homme veut ncessairement sa batitude, de mme Dieu veut ncessairement sa bont et ce qui la concerne. Mais la venue des cratures l'tre appartient la bont divine. Donc Dieu le veut ncessairement et ainsi il semble qu'il a voulu produire les cratures de toute ternit, comme il a voulu que sa bont soit de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 8 Sed dicendum, quod ad bonitatem Dei pertinet quod creaturae producantur in esse, non autem quod producantur in esse ab aeterno.- Sed contra, maioris liberalitatis est aliquid citius dare quam tardius. Sed liberalitas divinae bonitatis est infinita. Ergo videtur quod ab aeterno esse creaturis dederit.

8. Mais il faut dire que la venue des cratures l'tre appartient la bont de Dieu, mais pas qu'elles le soient de toute ternit. En sens contraire, c'est une plus grande libralit de donner quelque chose plus tt que plus tard. Mais la libralit de la bont divine est infinie. Donc il semble qu'il a donn l'tre aux cratures de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit : illud dico te velle quod facis si potes. Sed Deus ab aeterno voluit mundum producere ; alias fuisset mutatus, si accessisset ei nova voluntas mundi creandi. Cum ergo nulla impotentia ei conveniat, videtur quod ab aeterno mundum produxerit.

9. Augustin dit (Confessions, VIII, 9) : Je te dis de vouloir ce que tu fais si tu le peux[496]. Mais Dieu a voulu produire le monde de toute ternit ; autrement il aurait subi un changement s'il lui tait arriv une volont nouvelle pour crer le monde. Donc comme nulle impuissance ne lui convient, il semble qu'il a produit le monde de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 10 Praeterea, si mundus non semper fuit ; antequam mundus esset, aut erat possibile ipsum esse, aut non. Si non erat possibile, ergo impossibile erat ipsum esse, et necesse non esse ; et sic nunquam fuisset in esse productus. Si autem possibile erat eum esse, ergo erat aliqua potentia respectu ipsius ; et ita erat aliquod subiectum sive materia, cum potentia non nisi in subiecto esse possit. Sed si fuit materia fuit et forma ; cum materia non possit omnino esse a forma denudata. Ergo fuit aliquod corpus compositum ex materia et forma, et ex consequenti fuit totum universum.

10. Si le monde n'a pas toujours exist, avant d'exister, il tait possible qu'il existe ou non[497]. Si ce n'tait pas possible, il tait donc impossible qu'il soit et ncessaire qu'il ne soit pas et ainsi jamais il n'aurait t amen l'tre. Mais s'il tait possible qu'il existt, il y avait donc en lui une puissance par rapport lui-mme et ainsi il tait un substrat ou une matire, puisque la puissance ne peut exister que dans un substrat. Mais s'il avait t matire, il aurait t forme, puisque la matire ne pourrait absolument pas tre dnue de forme. Donc il y eut un corps compos de matire et de forme et en consquence l'univers entier a exist.

q. 3 a. 17Arg. 11 Praeterea, omne quod fit actu postquam fuit possibile fieri, educitur de potentia in actum. Si ergo mundum fuit possibile fieri, antequam esset, oportet dicere mundum eductum esse de potentia in actum ; et ita materiam praecessisse, et fuisse aeternam : ex quo sequitur idem quod prius.

11. Tout ce qui est devenu en acte aprs en avoir t possible, passe de la puissance l'acte. Donc s'il a t possible que le monde soit fait, avant qu'il ne soit, il faut dire que le monde est pass de la puissance l'acte et ainsi la matire a prexist et a t ternelle, il en dcoule la mme consquence que ci-dessus.

q. 3 a. 17Arg. 12 Praeterea, omne agens quod de novo incipit agere, movetur de potentia in actum. Sed hoc Deo non potest competere, cum ipse sit omnino immobilis. Ergo videtur quod ipse non incepit de novo agere, sed quod ab aeterno mundum produxerit.

12. Tout agent qui recommence agir de nouveau passe de la puissance l'acte. Mais cela ne peut convenir Dieu puisqu'il est absolument immuable. Donc il semble qu'il n'a pas recommenc agir de nouveau, mais il a produit le monde de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 13 Praeterea, agens per voluntatem, si incipit facere quod prius volebat, cum antea non fecisset, oportet ponere aliquid esse nunc inducens ipsum ad agendum, quod prius non inducebat ; quod est quodammodo expergefaciens ipsum. Sed non potest dici quod aliquid aliud fuerit praeter Deum ante mundum, quod de novo eum induxerit ad agendum. Cum ergo ab aeterno voluerit mundum facere (alias voluntati eius aliquid accrevisset), videtur quod ab aeterno fecerit.

13. Si celui qui agit par volont commence faire ce qu'il voulait auparavant, puisque auparavant il ne l'aura pas fait, il faut penser qu'il existe quelque chose qui l'incite alors agir, qui d'abord ne l'incitait pas ; ce qui est d'une certaine manire le "rveiller". Mais on ne peut pas dire que quelque chose d'autre ait exist en dehors de Dieu avant le monde, qui l'aurait de nouveau incit agir. Donc, comme il a voulu faire le monde de toute l'ternit (autrement quelque chose se serait ajout sa volont), il semble qu'il l'a fait de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 14 Praeterea, nihil movet voluntatem divinam ad agendum nisi bonitas eius. Sed bonitas divina semper eodem modo se habet. Ergo et voluntas Dei semper se habet ad productionem creaturarum ; et ita ab aeterno creaturas produxit.

14. Rien ne pousse la volont divine agir sinon sa bont. Mais celle-ci se comporte toujours de la mme manire. Donc la volont de Dieu est toujours occupe la production des cratures et ainsi il les a produit de toute l'ternit.

q. 3 a. 17Arg. 15 Praeterea, illud quod est semper in principio et in fine sui nunquam incipit nec desinit : quia unaquaeque res est post sui principium et ante sui finem. Sed tempus semper est in sui principio et in sui fine ; nihil enim est temporis nisi instans, quod est finis praeteriti et principium futuri. Ergo tempus nunquam incipit nec desinit, sed semper est ; et per consequens motus semper, et mobile semper, et totus mundus ; tempus enim non est sine motu, nec motus sine mobili, nec mobile sine mundo.

15 Ce qui est toujours son commencement et sa fin ne commence ni ne finit jamais ; parce que chaque chose se situe aprs son commencement et avant sa fin. Mais le temps est toujours son commencement et sa fin, car rien n'appartient au temps que l'instant prsent, qui est la fin du pass et le commencement du futur. Donc le temps ne commence ni ne finit jamais, mais il existe toujours, et par consquent toujours aussi le mouvement, le mobile et le monde tout entier ; car le temps n'existe pas sans mouvement, ni le mouvement sans mobile, ni le mobile sans le monde.

q. 3 a. 17Arg. 16 Sed dicendum, quod primum instans temporis non est finis praeteriti, nec ultimum principium futuri.- Sed contra, nunc temporis semper consideratur ut fluens, et in hoc differt a nunc aeternitatis. Sed quod fluit, ab alio in aliud fluit. Ergo oportet omne nunc a priori nunc in posterius fluere. Ergo impossibile est esse aliquod primum vel ultimum nunc.

16. Mais il faut dire que le premier instant du temps n'est pas la fin dun pass, ni l'ultime commencement du futur. En sens contraire, on considre que le prsent du temps s'coule toujours, et en cela il diffre du prsent de l'ternit. Mais ce qui s'coule, s'coule de l'un dans un autre. Donc il faut que tout prsent passe d'un instant avant dans un autre aprs. Donc il est impossible qu'il y ait un premier ou un dernier instant.

q. 3 a. 17Arg. 17 Praeterea, motus sequitur mobile, et tempus sequitur motum. Sed primum mobile, cum sit circulare, non habet principium neque finem : quia in circulo non est accipere principium et finem in actu. Ergo neque motus neque tempus habent principium ; et sic idem quod prius.

17. Le mouvement suit le mobile, et le temps suit le mouvement ; mais comme le premier mobile est circulaire, il n'a pas de commencement ni de fin : parce que, dans le cercle, on ne peut comprendre ni commencement, ni fin en acte. Donc ni le mouvement, ni le temps n'ont de commencement et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 3 a. 17Arg. 18 Sed dicendum, quod licet ipsum corpus circulare non habeat principium magnitudinis, habet tamen principium durationis.- Sed contra, duratio motus sequitur mensuram magnitudinis : quia, secundum philosophum, quanta est magnitudo, tantum est et motus, et tantum tempus. Si ergo in magnitudine corporis circularis non est aliquod principium, nec in magnitudine motus et temporis erit principium, et per consequens nec in eorum duratione, cum eorum duratio, et praecipue temporis, sit eorum magnitudo.

18. Mais il faut dire que, bien que le corps circulaire mme n'ait pas un principe de grandeur, cependant il a un principe de dure. En sens contraire, la dure du mouvement est la mesure de sa grandeur ; parce que, selon le Philosophe, plus il y a de grandeur, autant il y a de mouvement et de temps. Si donc dans la grandeur du corps circulaire, il n'y a pas de principe, dans la grandeur, il n'y aura pas de principe la grandeur du mouvement et du temps, ni par consquent dans leur dure, puisque la dure et principalement celle du temps est leur grandeur.

q. 3 a. 17Arg. 19 Praeterea, Deus est causa rerum per scientiam suam. Scientia autem relative dicitur ad scibile. Cum igitur relativa sint simul natura, et scientia Dei sit aeterna, videtur quod res sint ab ipso ab aeterno productae.

19. Dieu est cause des choses par sa science ; mais on dit que la science est relative au connaissable. Donc comme ce qui est relatif est en mme temps, par nature, et que la science de Dieu est ternelle, il semble que les choses ont t produites par lui de toute l'ternit.

q. 3 a. 17Arg. 20 Praeterea, aut Deus praecedit mundum natura tantum, aut duratione. Si natura tantum, sicut causa effectum sibi coaevum, videtur quod cum Deus fuerit ab aeterno, et creaturae fuerint ab aeterno. Si autem praecedit mundum duratione, si ergo est accipere aliquam durationem priorem duratione mundi, quae se habet ad durationem mundi ut prius ad posterius. Sed duratio quae habet prius et posterius est tempus. Ergo ante mundum fuit tempus, et per consequens motus et mobile ; et sic idem quod prius.

20. Dieu prcde le monde, en nature seulement ou en dure. Si c'est en nature seulement, comme l'effet est contemporain la cause, il semble que puisque Dieu a exist de toute ternit, les cratures aussi. Mais s'il a prcd le monde en dure, ainsi il a recevoir une dure antrieure la dure du monde, qui se comporte pour la dure du monde comme un avant et un aprs. Mais la dure qui a un avant et un aprs c'est le temps. Donc avant le monde, il y eut le temps et par consquent un mouvement et un mobile et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 3 a. 17Arg. 21 Praeterea, Augustinus dicit : Deum ab aeterno dominum non fuisse dicere nolo. Sed quandocumque fuit dominus, habuit creaturam sibi subiectam. Ergo non est dicendum, quod creatura non fuerit ab aeterno.

21. Augustin dit (La Trinit, V, 16) : Je ne veux pas dire que Dieu a t Seigneur de toute l'ternit. Mais toutes les fois qu'il a t Seigneur, il eut une crature qui lui tait soumise[498]. Donc il ne faut pas dire que la crature n'a pas exist de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 22 Praeterea, Deus potuit mundum producere antequam produxerit ; alias impotens fuisset. Scivit etiam ante producere ; alias ignorans esset. Videtur etiam quod voluit, alias invidus fuisset. Ergo videtur quod non inceperit de novo producere creaturas.

22. Dieu a pu produire le monde avant le moment o il l'a produit ; autrement il aurait manqu de puissance. Et il a su aussi le produire avant, autrement il aurait t ignorant. Il semble aussi qu'il l'a voulu, autrement il aurait t jaloux[499]. Donc il semble qu'il n'a pas commenc produire des cratures de nouveau.

q. 3 a. 17Arg. 23 Praeterea, omne quod est finitum, est communicabile creaturae. Sed aeternitas est quoddam finitum ; alias nihil posset esse ultra aeternitatem : dicitur enim Exod. XV, 18 : dominus regnabit in aeternum et ultra. Ergo videtur quod creatura fuerit aeternitatis capax ; et sic conveniens fuit divinae bonitati quod creaturam ab aeterno produxerit.

23. Tout ce qui est fini peut-tre communiqu la crature. Mais l'ternit est quelque chose de fini ; autrement rien ne pourrait tre au-del de l'ternit[500] ; on dit en effet dans Ex. 15, 18 : Le Seigneur rgnera dans l'ternit et au-del. Donc il semble que la crature aura t capable d'ternit et ainsi il a t conforme la divine bont d'avoir produit la crature de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 24 Praeterea, omne quod incipit, habet mensuram suae durationis. Sed tempus non potest habere aliquam mensuram suae durationis : non enim mensuratur aeternitate, quia sic semper fuisset : nec aevo, quia sic in perpetuum duraret ; nec tempore, quia nihil est mensura sui ipsius. Ergo tempus non incipit esse, et ita nec mobile nec mundus.

24. Tout ce qui commence a la mesure de sa dure. Mais le temps ne peut pas lavoir ; car il n'est pas mesur par l'ternit, parce qu'ainsi il aurait toujours exist ; ni par l'vum parce qu'ainsi il durerait toujours, ni par le temps, parce que rien n'est sa propre mesure. Donc le temps n'a pas commenc exister, et ainsi ni le mobile, ni le monde non plus.

q. 3 a. 17Arg. 25 Praeterea, si tempus incepit esse, aut incepit esse in tempore, aut in instanti. Sed non incepit esse in instanti, quia in instanti tempus nondum est ; nec iterum in tempore, quia sic nihil temporis ante temporis terminum esset ; nihil enim rei est antequam res esse incipiat. Ergo tempus non incepit esse : et sic idem quod prius.

25. Si le temps a commenc exister, ou il a commenc exister dans le temps ou dans l'instant. Mais il n'a pas commenc exister dans l'instant, parce que, en celui-ci, le temps n'existe pas encore ; ni nouveau dans le temps, parce qu'ainsi rien du temps ne serait avant le terme du temps ; car rien d'une chose n'existe avant quelle commence tre. Donc le temps n'a pas commenc et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 3 a. 17Arg. 26 Praeterea, Deus ab aeterno fuit causa rerum : alias oporteret dicere, quod prius fuit causa in potentia, et postea in actu ; et sic esset aliquid prius quod reduceret ipsum de potentia in actum, quod est impossibile. Nihil autem est causa, nisi causatum habeat. Ergo mundus fuit a Deo ab aeterno creatus.

26. Dieu fut cause des tres de toute ternit ; autrement il faudrait dire que d'abord il a t une cause en puissance et ensuite en acte ; et ainsi il y aurait quelque chose avant lui qui le ferait passer de la puissance l'acte, ce qui est impossible. Mais rien n'est cause sinon ce qui a un effet. Donc le monde a t cr par Dieu de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 27 Praeterea, verum et ens convertuntur. Sed multa sunt vera ab aeterno ; sicut hominem non esse asinum, et mundum futurum esse, et multa similia. Ergo videtur quod multa sunt entia ab aeterno ; et non solum Deus.

27. Le vrai et l'tant sont convertibles. Mais beaucoup de vrit existent de toute l'ternit ; ainsi l'homme n'est pas un ne, le monde existera, et beaucoup de propositions semblables. Donc il semble que nombreux sont les tants qui existent de toute l'ternit et pas seulement Dieu.

q. 3 a. 17Arg. 28 Sed dicendum, quod omnia ista sunt vera veritate prima, quae Deus est.- Sed contra, alia veritass est huius propositionis, mundum futurum esse, et huius, hominem non esse asinum : quia posito per impossibile quod una sit falsa, adhuc reliqua erit vera. Sed veritas prima non est alia et alia. Ergo non sunt vera veritate prima.

28. Mais il faut dire que toutes ces propositions sont vraies par la vrit premire qui est Dieu. En sens contraire, la vrit de cette proposition, le monde existera est autre que celle-ci l'homme n'est pas un ne, parce que, une fois tabli que par impossible l'une est fausse, le reste sera encore vrai. Mais la vrit premire nest pas ceci ou cela. Donc elles ne sont pas vraies par la vrit premire.

q. 3 a. 17Arg. 29 Praeterea, secundum philosophum in praedicamentis, ex eo quod res est vel non est, oratio vera vel falsa est. Si igitur multae propositiones verae sint ab aeterno, videtur quod res per eas signatae ab aeterno extiterint.

29. Selon le Philosophe, dans les Catgories (La substance 5, 4 b 8) du fait qu'une chose existe ou n'existe pas, la parole est vraie ou fausse. Si donc de nombreuses propositions sont vraies de toute ternit, il semble que ce qu'elles dsignent aura exist de toute ternit.

q. 3 a. 17Arg. 30 Praeterea Deo idem est dicere quod facere ; unde in Ps. 148, 5 : dixit, et facta sunt. Sed dicere Dei est aeternum : alias filius qui est verbum patris non esset patri coaeternus. Ergo et facere Dei est aeternum, et ita mundus est factus ab aeterno.

30. Pour Dieu dire et faire, c'est pareil ; c'est pourquoi dans le Ps. 148, 5 : Il dit et ce fut fait. Mais la parole de Dieu est ternelle : autrement le Fils qui est le Verbe du Pre ne lui serait pas coternel. Donc l'action de Dieu est ternelle et ainsi le monde a t fait de toute ternit.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 17 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Proverb. cap. VIII, 24, ex ore divinae sapientiae : nondum erant abissi, et ego iam concepta eram : necdum fontes aquarum eruperant, necdum montes gravi mole constiterant ; ante omnes colles ego parturiebar ; adhuc terram non fecerat et flumina et cardines orbis terrae. Ergo cardines orbis terrae et flumina et terra non semper fuerunt. Ergo cardines orbis terrae et flumina et terra non semper fuerunt.

1. En Prov. 8, 24, il est dit de la bouche de la Sagesse divine : Les abmes n'existaient pas encore, et moi dj j'avais t conue ; les fontaines n'avaient pas encore jailli, et les montagnes n'taient pas tablies dans leur lourde masse ; avant toutes les collines j'tais enfante ; il n'avait pas encore fait la terre, les fleuves et les ples du monde. Donc les ples du monde, les fleuves et la terre n'ont pas toujours exist.

q. 3 a. 17 s. c. 2 Praeterea, secundum Priscinianum quanto tempore iuniores, tanto intellectu perspicaciores. Sed perspicacitas non est infinita. Ergo nec tempus quo perspicacitas creavit fuit infinitum, et per consequens nec mundus.

2. Selon Priscien[501], les plus jeunes dans le temps, sont perspicaces par lesprit. Mais la perspicacit n'est pas infinie. Donc le temps pendant lequel la perspicacit a cr n'a pas t infini, et par consquent le monde non plus.

q. 3 a. 17 s. c. 3 Praeterea, Iob XIV, 19 : alluvione paulatim terra consumitur. Sed terra non est infinita. Si ergo fuisset tempus infinitum, iam totaliter esset consumpta : quod patet esset falsum.

3. En Job 14, 19, on lit : La terre sՎrode peu peu. Mais la terre n'est pas infinie. Donc si le temps avait t infini, dj elle serait totalement rode, ce qui parat faux.

q. 3 a. 17 s. c. 4 Praeterea, constat Deum naturaliter esse mundo priorem, sicut causam effectu. Sed in Deo idem est duratio et natura. Ergo Deus duratione prior est mundo, et ita mundus non semper fuit.

4. Il est clair que Dieu existe naturellement avant le monde, comme la cause avant l'effet. Mais en Dieu la dure et la nature sont les mmes. Donc Dieu est avant le monde par la dure et ainsi le monde n'a pas toujours exist.

 

Rponse :

q. 3 a. 17 co. Respondeo. Dicendum quod firmiter tenendum est mundum non semper fuisse, sicut fides Catholica docet. Nec hoc potest aliqua physica demonstratione efficaciter impugnari. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut in quaestione alia est habitum, in operatione Dei non potest accipi aliquod debitum ex parte causae materialis, neque potentiae activae agentis, nec ex parte finis ultimi, sed solum ex parte formae quae est finis operationis, ex cuius praesuppositione requiritur quod talia existant qualia competunt illi formae

Il faut dire fermement que le monde n'a pas toujours exist, comme la foi catholique l'enseigne. Et cette croyance ne peut pas tre combattue efficacement par une dmonstration tire de la physique[502]. Pour en montrer l'vidence, il faut savoir que, comme on l'a considr dans une autre question, on ne peut accepter que dans l'opration de Dieu quelque chose soit d du ct de la cause matrielle[503], ni de la puissance active de l'agent, ni de la fin ultime, mais seulement du ct de la forme qui est la fin de l'opration ; de sa prsupposition, il est requis qu'ils existent tels qu'ils conviennent cette forme.

. Et ideo aliter dicendum est de productione unius particularis creaturae, et aliter de exitu totius universi a Deo. Cum enim loquimur de productione alicuius singularis creaturae, potest assignari ratio quare talis sit, ex aliqua alia creatura, vel saltem ex ordine universi, ad quem quaelibet creatura ordinatur, sicut pars ad formam totius. Cum autem de toto universo loquimur educendo in esse, non possumus ulterius aliquod creatum invenire ex quo possit sumi ratio quare sit tale vel tale ; unde, cum nec etiam ex parte divinae potentiae quae est infinita, nec divinae bonitatis, quae rebus non indiget, ratio determinatae dispositionis universi sumi possit, oportet quod eius ratio sumatur ex simplici voluntate producentis ut si quaeratur, quare quantitas caeli sit tanta et non maior, non potest huius ratio reddi nisi ex voluntate producentis.

C'est pourquoi il faut parler autrement de la production d'une crature particulire et de la sortie de Dieu de tout l'univers[504]. En effet, quand nous parlons de la production d'une crature particulire, on peut trouver la raison pour laquelle elle est telle, partir d'une autre crature, ou du moins partir de l'ordre de l'univers, qui toute crature est ordonne, comme la partie la forme du tout. Mais quand on parle de tout l'univers, qui parvient l'tre, nous ne pouvons plus trouver au-del quelque chose de cr d'o on puisse tirer une raison pour laquelle il est tel ou tel. C'est pourquoi, comme ni du ct de la puissance de Dieu qui est infinie, ni du ct de sa bont, qui n'a pas besoin des cratures, on ne peut trouver de raisons pour une disposition dtermine de l'univers, il faut admettre comme raison la volont absolue de celui qui produit l'univers, pour que, si on cherche pourquoi l'immensit du ciel est telle, et pas plus grande, on ne puisse tirer cette raison que de la volont du crateur.

Et propter hoc etiam, ut Rabbi Moyses dicit, divina Scriptura inducit homines ad considerationem caelestium corporum, per quorum dispositionem maxime ostenditur quod omnia subiacent voluntati et providentiae creatoris. Non enim potest assignari ratio quare talis stella tantum a tali distet, vel aliqua huiusmodi quae in dispositione caeli consideranda occurrunt, nisi ex ordine sapientiae Dei ; unde dicitur Is. XL, 26 : levate in excelsum oculos vestros ; et videte quis creavit haec.

A cause de cela, comme le dit aussi Rabbi Moyses, l'criture conduit les hommes la considration des corps clestes : leur disposition montre le mieux que tout est soumis la volont et la providence du crateur. Car on ne peut donner la raison pour laquelle telle toile est seulement telle distance, ou pour d'autres phnomnes de ce genre qui arrivent dans la disposition du ciel quand on le considre, sinon que cela vient de l'ordre de la sagesse de Dieu. C'est pourquoi on dit en Is. 40, 26 : Levez vos yeux vers le ciel, et voyez qui a cr cela.

Nec obstat, si dicatur quod talis quantitas consequitur naturam caeli vel caelestium corporum, sicut et omnium natura constantium est aliqua determinata quantitas, quia sicut divina potentia non limitatur ad hanc quantitatem magis quam ad illam, ita non limitatur ad naturam cui debeatur talis quantitas, magis quam ad naturam cui alia quantitas debeatur. Et sic eadem redibit quaestio de natura, quae est de quantitate ; quamvis concedamus, quod natura caeli non sit indifferens ad quamlibet quantitatem, nec sit in eo possibilitas ad aliam quantitatem nisi ad istam.

Rien n'empche de dire qu'une telle grandeur dcoule de la nature du ciel ou des corps clestes, de mme la nature de tout ce qui se maintient est une grandeur dtermine, parce que, la puissance de Dieu n'est pas plus limite cette grandeur qu' cette autre, de mme elle n'est pas limite la nature quoi telle grandeur est due, plus qu' la nature quoi cette autre grandeur est due. Et ainsi reviendra la mme question au sujet de la nature, en ce qui concerne la grandeur ; quoique nous concdions que la nature du ciel n'est pas indiffrente n'importe quelle grandeur, et qu'il n'y a pas en elle possibilit pour une autre grandeur que pour celle-l.

Non sic autem potest dici de tempore vel temporis duratione. Nam tempus est extrinsecum a re, sicut et locus ; unde etiam in caelo, in quo non est possibilitas respectu alterius quantitatis vel accidentis interius inhaerentis, est tamen in eo possibilitas respectu loci et situs, cum localiter moveatur ; et etiam respectu temporis, cum semper tempus succedat tempori, sicut est successio in motu et in ubi ; unde non potest dici, quod neque tempus neque ubi consequatur naturam eius, sicut de quantitate dicebatur. Unde patet quod ex simplici Dei voluntate dependet quod praefigatur universo determinata quantitas durationis, sicut et determinata quantitas dimensionis. Unde non potest necessario concludi aliquid de universi duratione, ut per hoc ostendi possit demonstrative mundum semper fuisse.

Mais il nest pas possible de parler ainsi du temps ou de sa dure. Car il est extrieur la chose, comme le lieu ; c'est pourquoi mme dans le ciel, dans lequel il n'y pas de possibilit par rapport une autre quantit ou un accident qui adhre plus intrieurement, il y a cependant en lui possibilit par rapport au lieu et lespace, puisqu'il est m localement, et aussi par rapport au temps, puisque toujours le temps succde au temps, de mme qu'il y succession dans le mouvement et le lieu ; c'est pourquoi on ne peut pas dire, que ni le temps, ni le lieu accompagnent sa nature, comme on le disait de la quantit. Aussi il est clair qu'il dpend de la simple volont de Dieu qu'une quantit dtermine de temps soit fixe l'univers, de la mme manire qu'une grandeur dtermine pour la dimension. Cest pourquoi on ne peut rien conclure ncessairement de la dure de l'univers, pour pouvoir dmontrer par le raisonnement que le monde a toujours exist.

Quidam vero non considerantes exitum universi a Deo, coacti sunt circa inceptionem mundi errare. Quidam namque causam agentem praetermittentes, solam materiam a nullo creatam ponentes, quae omnium causa esset, sicut antiquissimi naturales, necessario habuerunt dicere materiam semper fuisse. Cum enim nihil se educat de non esse in esse, oportet causam aliam habere quod incipit esse ; et hi posuerunt

A. Certains qui ne considrent pas que l'univers vient de Dieu, ont t forcs de se tromper sur le commencement du monde. Car certains sans tenir compte de la cause efficiente, pensant qu'il y avait seulement une matire incre[505], qui serait la cause de tout, comme les trs anciens Naturalistes, furent obligs de dire que la matire a toujours exist. En effet, comme rien ne passe par soi du non-tre l'tre, il faut que ce qui commence tre ait une autre cause et ils ont pens :

vel mundum semper fuisse continue, quia non ponebant nisi naturaliter agentia quae determinabantur ad unum, ex quo oportebat quod semper idem effectus sequeretur ;

a) ou bien que le monde a toujours exist en continuit, parce qu'ils ne pensaient qu'aux agents naturellement dtermins un seul objet d'o il fallait que dcoule toujours le mme effet,

vel cum interruptione sicut Democritus ; qui ponebat mundum vel mundos potius multoties fuisse compositos et dissolutos casu, propter causalem motum atomorum.

b) ou bien (qu'il a exist) avec interruption, comme Dmocrite le dit, qui pensait que le monde, ou plutt les mondes, avaient t composs et dsagrgs de nombreuses fois par le hasard, cause du mouvement causal des atomes.

Sed quia inconveniens videbatur quod omnes convenientiae et utilitates in rebus naturalibus existentes essent a casu, cum semper vel in pluribus inveniantur ; quod tamen necesse erat sequi, si solum materia poneretur, et praecipue cum inveniatur quidam effectus ad quos causalitas materiae non sufficit ; ideo alii posuerunt causam agentem, sicut Anaxagoras intellectum, et Empedocles amicitiam et litem. Sed tamen isti non posuerunt huiusmodi causas agentes universi esse, sed ad modum aliorum particularium agentium, quae agunt materiam transmutando de uno in aliud. Unde necesse erat eis dicere quod materia esset aeterna, utpote non habens causam sui esse ; sed mundum incepisse : quia omnis effectus causae agentis per motum sequitur suam causam in duratione, eo quod effectus non est nisi in termino motus, ante quem est principium motus, cum quo simul oportet esse agens, a quo est principium motus.

B. Mais parce qu'il paraissait inconvenant que toutes les aptitudes et fonctions qui existent dans les tres naturels dpendent du hasard, puisque on les trouvait soit toujours, soit mme dans le plus grand nombre des tres : ce que cependant il tait ncessaire de conclure, si on pensait qu'il n'y avait que la matire, et surtout puisqu'on trouvait un effet pour ce pourquoi la causalit de la matire ne suffit pas, d'autres ont tabli une cause efficiente, comme l'intelligence pour Anaxagore, et l'amiti et le procs pour Empdocle[506]. Mais cependant ils n'ont pas tabli de telles causes efficientes universelles, mais la manire des autres agents particuliers, qui agissent sur la matire en la changeant dune chose en une autre. C'est pourquoi il tait ncessaire pour eux de dire que la matire tait ternelle, c'est--dire comme sans cause de son tre ; mais que le monde a commenc ; parce que tout effet d'une cause efficiente par mouvement suit sa cause dans la dure, parce que l'effet n'existe qu'au terme du mouvement, avant lequel il y a son commencement, avec lequel il faut que l'agent soit en mme temps, par lequel existe un principe du mouvement.

Aristoteles vero, considerans, quod si ponatur causa constituens mundum agere per motum, sequeretur quod sit abire in infinitum, quia ante quemlibet motum erit motus, posuit mundum semper fuisse. Non enim processit ex consideratione illa qua intelligitur exitus universi esse a Deo, sed ex illa consideratione qua ponitur aliquod agens incipere operari per motum ; quod est particularis causae, et non universalis. Et propter hoc ex motu et immobilitate primi motoris, rationes suas sumit ad mundi aeternitatem ostendendam ; unde diligenter consideranti, rationes eius apparent quasi rationes disputantis contra positionem ; unde et in principio VIII Phys., mota quaestione de aeternitate motus, praemittit opiniones Anaxagorae et Empedoclis, contra quas disputare intendit.

C. Mais Aristote ( Physique, VIII, 1, 251 a 10-13), considrant que, si on pense qu'une cause qui constitue le monde agit par mouvement, il en dcoulerait que ce serait aller l'infini, parce que, avant n'importe quel mouvement, il y a un mouvement, pensa que le monde a toujours exist. Car il part pas de cette considration par laquelle on comprend que l'univers vient de Dieu, mais de celle par laquelle on pense quun agent commence oprer par mouvement, ce qui est d'une cause particulire, et non d'une cause universelle. Et ainsi il tire ses arguments du mouvement et de l'immobilit du premier moteur pour dmontrer l'ternit du monde. C'est pour cela que, pour celui qui les considre avec attention, ses raisons apparaissent comme celles de quelqu'un qui rfute une opinion ; et ainsi au commencement du livre VIII de la Physique (VIII, 1, 250 b 23[507]) ayant soulev la question de l'ternit du mouvement, il prsente pralablement les opinons d'Anaxagore et d'Empdocle contre lequel il a l'intention d'argumenter.

Sed sequaces Aristotelis considerantes exitum totius universi a Deo per suam voluntatem, et non per motum, conati sunt ostendere mundi aeternitatem per hoc quod voluntas non retardat facere quod intendit, nisi propter aliquam innovationem vel immutationem, saltem quam necesse est imaginari in successione temporis, dum vult facere hoc tunc et non prius.

D. Mais les successeurs d'Aristote considrant que l'univers est sorti de Dieu par sa volont et non par mouvement, ont essay de dmontrer l'ternit du monde par le fait que la volont ne tarde pas accomplir ce qu'elle a l'intention de faire sauf nouveaut ou changement, du moins qu'il est ncessaire d'imaginer dans la succession du temps, pendant qu'il veut faire cela alors et non avant.

Sed isti etiam in defectum similem inciderunt in quem et praedicti. Consideraverunt enim primum agens ad similitudinem alicuius agentis quod suam actionem exercet in tempore quamvis per voluntatem agat ; quod tamen non est causa ipsius temporis, sed tempus praesupponit. Deus autem est causa etiam ipsius temporis. Nam et ipsum tempus in universitate eorum quae a Deo facta sunt continetur ; unde cum de exitu universi esse a Deo loquimur, non est considerandum, quod tunc et non prius fecerit. Ista enim consideratio tempus praesupponit ad factionem, non autem subiicit factioni.

Mais ceux-ci tombrent dans une erreur semblable celle o taient tombs ceux dont on a parl. Car ils ont considr le premier agent la ressemblance d'un agent qui exerce son action dans le temps, quoiqu'il agisse par volont, ce qui n'est pas cause de ce temps, mais le prsuppose. Mais Dieu est la cause aussi du temps lui-mme. Car il est contenu dans l'universalit de ce que Dieu a cr ; c'est pourquoi, quand nous parlons de l'tre de l'univers sorti de Dieu, il ne faut pas considrer qu'il l'a fait alors et non avant. Car cette considration prsuppose le temps pour sa formation, mais elle n'y est pas soumise.

Sed si universitatis creaturae productionem consideramus, inter quas est etiam ipsum tempus, est considerandum quare tali tempori talem mensuram praefixerit, non quare hoc fecit in tali tempore. Praefixio autem mensurae temporis dependet ex simplici voluntate Dei, qui voluit quod mundus non esset semper, sed quandoque esse inciperet, sicut et voluit quod caelum nec esset maius vel minus.

Mais si nous considrons la production de luniversalit des cratures, parmi lesquelles il y a le temps lui-mme, il faut considrer pourquoi il a fix l'avance une telle mesure tel temps, non pourquoi il a fait cela en tel temps. La dtermination de la mesure du temps dpend de la simple volont de Dieu, qui a voulu que le monde n'existe pas toujours, mais quun jour, il commence exister comme il a voulu que le ciel ne soit ni plus grand ni plus petit.

 

Solutions :

q. 3 a. 17 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod bonitatis proprium est producere res in esse mediante voluntate, cuius est obiectum ; unde non oportuit quod quandocumque fuit divina bonitas, res producerentur in esse, sed secundum dispositionem voluntatis divinae.

# 1. Le propre de la bont est de faire venir les cratures l'tre par l'intermdiaire de la volont, dont c'est l'objet. C'est pourquoi il na pas fallu que toutes les fois o il y eut la bont de Dieu les cratures viennent l'tre, mais selon la disposition de la volont divine.

q. 3 a. 17 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in corpore caelesti, cum sit incorruptibile, est virtus ut sit semper ; sed nulla virtus neque essendi neque operandi respicit praeteritum, sed solum praesens vel futurum ; nullus enim habet virtutem ad quod aliquid fecerit, quia quidquid non est factum, non potest factum fuisse ; sed habet aliquis virtutem ad hoc ut nunc vel in posterum faciat ; unde et virtus existendi semper, quae inest caelo, non respicit praeteritum, sed futurum.

# 2. Le corps cleste, en tant qu'incorruptible, a le pouvoir de toujours exister ; mais aucun pouvoir d'tre ni d'oprer ne regarde le pass, mais seulement le prsent ou le futur ; car personne n'a de pouvoir sur ce qui aura t fait, parce que, tout ce qui n'a pas t fait ne peut pas avoir t fait ; mais quelquun en a le pouvoir dans le prsent ou le futur. C'est pourquoi le pouvoir d'exister toujours qui est dans le ciel, ne regarde pas le pass, mais le futur.

q. 3 a. 17 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest dici, simpliciter loquendo, caelum esse corruptibile propter hoc quod in non esse decideret, si a Deo non contineretur. Sed tamen quia creaturam contineri in esse a Deo, dependet ex immobilitate divina, non ex necessitate naturae, ut possit dici quod sit necessarium absolute, cum sit necessarium solum ex suppositione divinae voluntatis, quae hoc immobiliter statuit, potest concedi secundum quid corruptibile esse caelum, cum hac scilicet conditione, si Deus ipsum non contineret.

# 3. On ne peut pas dire, absolument parlant, que le ciel est corruptible, pour tomber dans le non-tre, s'il n'tait pas maintenu par Dieu. Mais cependant, parce que le fait que la crature soit maintenue l'tre par Dieu dpend de limmutabilit divine, non par la ncessit de nature, pour qu'on puisse dire quil est absolument ncessaire, puisqu'il serait ncessaire seulement, si on suppose la volont divine, qui la tabli de faon immobile, on peut concder en quoi le ciel est corruptible, cette condition que Dieu ne le maintienne pas.

q. 3 a. 17 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnis effectus habet necessariam habitudinem ad suam causam efficientem, sive sit causa naturalis, sive voluntaria. Sed non ponimus Deum causam mundi ex necessitate naturae suae, sed ex voluntate, ut supra dictum est, unde necessarium est effectum divinum sequi non quandocumque natura divina fuit, sed quando dispositum est voluntate divina ut esset, et secundum modum eumdem quo voluit ut esset.

# 4. Tout effet a une relation ncessaire sa cause efficiente, qu'elle soit naturelle ou volontaire. Mais nous ne pensons pas que Dieu soit la cause du monde par la ncessit de sa nature, mais par volont, comme on l'a dit plus haut ( qu. 3, art. 15). C'est pourquoi, il est ncessaire que l'effet divin suive, non pas chaque fois que la nature divine a exist, mais quand il a t dispos par la volont divine tre et de la manire mme dont il a voulu qu'il soit.

q. 3 a. 17 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ante tempus aliquid esse, potest intelligi dupliciter. Uno modo ante totum tempus, et ante omne id quod est temporis ; et sic mundus non fuit ante tempus, quia instans in quo incepit mundus, licet non sit tempus, est tamen aliquid temporis, non quidem ut pars, sed ut terminus. Alio modo intelligitur aliquid esse ante tempus, quia est ante temporis completionem ; quod non completur nisi in instanti ante quod est aliud instans ; et sic mundus est ante tempus. Non autem oportet propter hoc quod sit aeternus ; quia nec ipsum instans temporis quod sic est ante tempus est aeternum.

# 5. L'existence d'un tre avant le temps, peut tre comprise de deux faons :a) Avant tout le temps et avant tout ce qui concerne temps ; et ainsi le monde n'a pas exist avant le temps, parce que l'instant o il a commenc, bien que ce ne soit pas le temps, est cependant quelque chose du temps, non comme une partie, mais comme un terme.b) On comprend que quelque chose existe avant le temps parce qu'il est avant l'accomplissement du temps ; parce qu'il n'est complet que dans l'instant avant lequel il y a un autre instant ; et ainsi le monde est avant le temps. Mais il ne faut pas pour cela qu'il soit ternel, parce que cet instant mme du temps qui est ainsi avant le temps n'est pas ternel.

q. 3 a. 17 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum omne agens agat sibi simile, oportet quod effectus hoc modo sequatur a causa efficaciter operante, quod similitudinem causae retineat. Sicut autem quod est a causa naturaliter agente, retinet similitudinem eius prout habet formam similem formae agentis ; ita quod est ab agente voluntario, retinet similitudinem eius, prout habet formam similem causae, secundum quod hoc producitur in effectu quod est in voluntatis dispositione, ut patet de artificiato respectu artificis. Voluntas autem non disponit solum de forma effectus, sed de loco, duratione, et omnibus conditionibus eius ; unde oportet quod effectus voluntatis tunc sequatur quando voluntas disponit, non quando voluntas est. Non enim secundum esse, sed secundum id quod voluntas disponit, effectus voluntati similatur. Licet igitur voluntas semper sit eadem, non tamen oportet quod semper ex ea effectus sequatur.

# 6. Comme tout agent fait du semblable lui, il faut que l'effet dcoule de la cause qui opre efficacement, de manire maintenir sa ressemblance. De mme ce qui dpend d'une cause qui agit naturellement maintient la ressemblance dans la mesure o elle a une forme semblable celle de l'agent. De la mme manire ce qui maintient sa ressemblance, dans la mesure o il a une forme semblable celle de l'agent, selon que cela se produit dans un effet qui dpend de la volont, comme cela parat dans l'uvre de l'artisan, en rapport avec lui. La volont ne dispose pas seulement de la forme de l'effet, mais du lieu, de la dure et de toutes ses conditions. C'est pourquoi, il faut que l'effet de la volont suive quand elle le dispose, non quand elle existe. Car ce n'est pas selon l'tre, mais selon ce que la volont dispose, que l'effet est semblable la volont. Donc, bien que la volont soit toujours la mme, cependant il ne faut pas que toujours l'effet en dcoule.

q. 3 a. 17 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus de necessitate vult suam bonitatem et omne id sine quo sua bonitas esse non potest. Tale autem non est creaturarum productio ; unde ratio non sequitur.

# 7. Dieu veut ncessairement sa bont et tout ce sans quoi sa bont ne peut pas exister. Mais telle n'est pas la production des cratures. C'est pour cela que l'argument ne vaut pas.

q. 3 a. 17 ad 8 Ad octavum dicendum, quod cum Deus creaturas ad manifestationem sui produxerit, convenientius fuit et melius ut sic producerentur, sicut convenientius et expressius eum poterant manifestare. Expressius autem manifestatur ex creaturis, si non semper sint ; quia in hoc manifeste apparet quod ab alio eductae sunt in esse, et quod Deus creaturis non indiget, et quod creaturae omnino divinae subiacent voluntati.

# 8. Comme Dieu a produit les cratures pour se manifester, il a t plus convenable et meilleur de les produire aussi comme elles pouvaient le manifester plus convenablement et mieux. Mais il est plus expressment manifest par les cratures, si elles n'existaient pas toujours, parce que, en cela, il apparat manifestement qu'elles viennent l'tre par un autre, que Dieu n'a pas besoin de ses cratures, et que les cratures sont soumises entirement sa volont.

q. 3 a. 17 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus aeternam voluntatem habuit de mundi factione ; non tamen ut mundus semper fieret, sed ut tunc fieret quando fecit.

# 9. Dieu a eu la volont ternelle de crer le monde, non cependant pour qu'il existt toujours, mais pour qu'il soit cr quand il le fit.

q. 3 a. 17 ad 10 Ad decimum dicendum, quod antequam mundus esset, possibile erat mundum fieri, non quidem aliqua potentia passiva, sed solum per potentiam activam agentis. Vel potest dici, quod fuit possibile non per aliquam potentiam, sed quia termini non sunt invicem discohaerentes, huiusmodi scilicet propositionis : mundus est. Sic enim dicitur esse aliquid possibile secundum nullam potentiam, ut patet per philosophum, in V Metaph.

# 10. Avant que le monde existe, il tait possible qu'il soit cr, non cause d'une quelconque puissance passive, mais seulement par la puissance active de l'agent. Ou bien on peut dire encore qu'il a t possible, non par une puissance, mais parce que les termes ne se contrarient pas entre eux, savoir ceux de cette proposition : Le monde existe. Car ainsi on dit que quelque chose est possible mais pas selon la puissance, comme le Philosophe le fait voir (Mtaphysique V, 15, 1021 a 24-25[508]).

q. 3 a. 17 ad 11 Et per hoc patet solutio ad undecimum.

11. Et ainsi apparat la solution la onzime objection.

q. 3 a. 17 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod ratio illa procedit de agente quod incipit agere actione nova ; sed Dei actio est aeterna, cum sit sua substantia. Dicitur autem incipere agere ratione novi effectus, qui ab aeterna actione consequitur secundum dispositionem voluntatis, quae intelligitur quasi actionis principium in ordine ad effectum. Effectus enim ab actione sequitur secundum conditionem formae, quae est actionis principium ; sicut aliquid est calefactum per calefactionem ignis, ad modum caloris ignis.

12. Cette raison procde de l'agent qui commence agir par une action nouvelle ; mais l'action de Dieu est ternelle, puisqu'elle est sa substance. On dit qu'il commence agir pour un nouvel effet, qui dcoule de l'action ternelle selon la disposition de sa volont, qui est comprise comme le principe de l'action en rapport avec cet l'effet. Car l'effet dcoule de l'action selon la condition de la forme, qui en est le principe ; ainsi quelque chose est rchauff par la chaleur du feu, la manire de sa chaleur.

q. 3 a. 17 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod ratio illa procedit de agente quod ita facit effectum suum in tempore, quod tamen non est temporis causa ; quod in Deo locum non habet, ut ex supra dictis, patet.

13. Cette raison procde d'un agent qui produit son effet dans le temps, sans tre la cause du temps, ce qui nexiste pas en Dieu, comme cela parat de ce quon a dit plus haut (art. 15).

q. 3 a. 17 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod si motus proprie accipiatur, divina voluntas non movetur ; sed metaphorice loquendo dicitur moveri a suo volito ; et sic sola Dei bonitas movet ipsam, secundum quod Augustinus dicit quod Deus movet se ipsum sine loco et tempore. Nec tamen sequitur quod quandocumque fuit bonitas eius, tunc esset creaturarum productio ; quia creaturae non procedunt a Deo ex debito vel necessitate bonitatis, cum divina bonitas creaturis non egeat, nec per eas ei aliquid accrescat, sed ex simplici voluntate.

14. Si le mouvement est pris au sens propre, la volont divine n'est pas mue, mais en parlant par mtaphore, on dit qu'elle est mue par ce qu'il veut, et ainsi la seule bont de Dieu la meut elle-mme, selon ce que dit Augustin (La Gense au sens littral VIII, 22) que Dieu se meut lui-mme sans lieu ni temps. Cependant il n'en dcoule pas que chaque fois que sa bont a exist, il y aurait eu production de cratures, parce qu'elles ne procdent pas de Dieu comme un d ou ncessit de sa bont, puisque la bont divine n'a pas besoin des cratures, et par elles rien n'est accru en lui, mais cela vient de sa simple volont.

q. 3 a. 17 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod cum prima successio temporis causetur ex motus successione, ut dicitur in IV Phys., secundum hoc verum est quod omne instans et est principium et finis temporis, dicendum quod verum est quod omne momentum est principium et finis motus ; unde si supponamus motum non semper fuisse nec semper futurum esse, non oportebit dicere quod quodlibet instans sit principium et finis temporis ; sed erit aliquod instans quod est tantum principium, et aliquod quod tantum finis. Unde patet quod ratio ista est circularis, et propter hoc non est demonstratio ; sed tamen est efficax secundum intentionem Aristotelis, qui eam inducit contra positionem, ut dictum est, in corp. art. Multae enim rationes sunt efficaces contra positionem propter ea quae ab adversariis ponuntur, quae non sunt efficaces simpliciter.ICICq. 3 a. 17 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod instans semper consideratur ut fluens, sed non semper ut fluens ab aliquo in aliquid, sed quandoque ut fluens ab aliquo tantum, sicut ultimum instans temporis ; quandoque ut fluens in aliquid tantum, sicut primum instans.

15. Comme la premire succession du temps est cause par la succession du mouvement, comme on le dit (Physique IV, 218 b 9 sq.[509]), et qu'ainsi il est vrai que tout instant est commencement et fin du temps, il faut dire qu'il est vrai que tout moment est commencement et fin du mouvement ; c'est pourquoi si nous supposons que le mouvement n'a pas toujours exist, et ne durera pas toujours, il ne faudra pas dire que n'importe quel instant est commencement et fin du temps, mais il y aura un instant qui est seulement commencement et un qui est seulement fin. C'est pourquoi, il apparat que cette raison est circulaire et c'est pour cela que ce n'est pas une dmonstration, mais cependant elle est efficace dans l'intention d'Aristote qui l'oppose cette opinion, comme on l'a dit dans le corps de l'article. Car nombreuses sont les raisons efficaces contre cette opinion cause de ce que les adversaires ont pens, causes qui ne sont pas efficaces de faon absolue.16. L'instant est toujours considr comme fluctuant, mais pas toujours comme fluctuant de l'un dans l'autre, mais quelquefois comme fluctuant d'un seulement comme le dernier instant du temps, quelquefois comme fluctuant en l'un seulement, comme le premier instant.

q. 3 a. 17 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod illa ratio non probat quod motus semper fuerit, sed quod motus circularis possit esse semper, quia ex mathematicis non potest aliquid efficaciter de motu concludi ; unde Aristoteles, non probat ex circulatione motus, eius aeternitatem ; sed supposito quod sit aeternus, ostendit quod est circularis ; quia nullus alius motus potest esse aeternus.

17. Cette raison ne prouve pas que le mouvement a toujours exist, mais que le mouvement circulaire pourrait exist toujours, parce que mathmatiquement on ne peut rien conclure d'efficace sur le mouvement ; c'est pourquoi Aristote (Physique VIII, 8, 264 b 9 ss.) ne prouve pas de la circularit du mouvement son ternit ; mais suppos qu'il soit ternel, il montre qu'il est circulaire, parce que nul autre mouvement ne peut tre ternel.

q. 3 a. 17 ad 18 Et per hoc patet responsio ad decimumoctavum.

18. Et par l apparat la rponse la dix-huitime objection.

q. 3 a. 17 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod sicut se habet scibile ad scientiam nostram, ita se habet scientia Dei ad creaturas. Nam scientia Dei est causa creaturarum, sicut et scibile est causa scientiae nostrae ; unde sicut scibile potest esse, scientia nostra non existente, ut dicitur in praedicamentis, ita Dei scientia esse potest, scibili non existente.

19. La science de Dieu se comporte vis--vis des cratures de la mme manire que le connaissable vis--vis de notre science. Car celle de Dieu est la cause des cratures ; de mme que le connaissable est cause de notre science ; c'est pourquoi comme le connaissable peut exister sans que notre science existe, comme on le dit (Les Catgories, ad aliquid, 7, 7 b 23), ainsi la science de Dieu peut exister sans que le connaissable existe.

q. 3 a. 17 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod Deus praecedit mundum duratione, non quidem temporis, sed aeternitatis, quia esse Dei non mensuratur tempore. Nec ante mundum fuit tempus reale, sed solum imaginarium, prout scilicet nunc possumus imaginari infinita temporum spatia, aeternitate existente, potuisse revolvi ante temporis inceptionem.

20. Dieu prcde le monde dans la dure, non du temps mais de l'ternit, parce que l'tre de Dieu n'est pas mesur par le temps. Et avant le monde il n'y eut pas de temps rel, mais seulement imaginaire, dans la mesure o nous pouvons maintenant imaginer qu'un espace infini de temps, quand existe l'ternit, a pu se drouler avant le commencement du temps.

q. 3 a. 17 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod si relatio dominii intelligatur consequi actionem qua Deus actualiter creaturas gubernat, sic non est ab aeterno dominus. Si autem intelligatur consequi ipsam potestatem gubernandi, sic competit ei ab aeterno. Nec tamen oportet creaturas ab aeterno ponere, nisi in potentia.

21. La relation de Seigneur est comprise comme dcoulant de l'action par laquelle Dieu gouverne actuellement les cratures, ainsi, il n'est pas Seigneur depuis l'ternit. Mais si on comprend qu'elle dcoule de sa propre puissance de gouverner, alors ce nom lui convient depuis l'ternit. Cependant il ne faut pas penser que des cratures aient exist de toute ternit, sinon en puissance.

q. 3 a. 17 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod ratione illa utitur Augustinus, ad probandum coaeternitatem et coaequalitatem filii ad patrem ; quae tamen ratio non est efficax de mundo ; quia cum natura filii sit eadem cum patre, requirit aeternitatem et aequalitatem patris ; quae si sibi subtraheretur, invidiae esset. Non autem hoc requirit natura creaturae ; et ideo non est simile.

22. Augustin (Contre Maximinien, III, ch. 7, 8, 22) se sert de cette raison pour prouver la coternit et la cogalit du Fils au Pre ; cependant elle n'est pas valable pour le monde, parce que la nature du Fils est la mme que celle du Pre, elle requiert l'ternit et l'galit avec le Pre. Si elle lui tait enleve, ce serait une spoliation. Mais la nature de la crature ne le requiert pas, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 3 a. 17 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod secundum Graecos dicitur : dominus regnavit in saeculum saeculi, et adhuc ; quod exponens Origenes in Glossa, dicit, quod saeculum intelligitur spatium unius generationis, cuius finis notus est nobis : per saeculum saeculi immensum spatium temporis, quod finem habet, tamen nobis ignotum ; sed adhuc ultra illud, regnum Dei extenditur. Et sic aeternum exponitur pro tempore diuturno. Anselmus autem in Proslog., exponit aeternum pro aevo, quod nunquam finem habet ; et tamen ultra illud Deus esse dicitur propter hoc : primo, quia aeviterna possunt intelligi non esse. Secundo, quia non essent, nisi a Deo continerentur ; et sic de se non sunt. Tertio, quia non habent totum esse suum simul, cum in eis sit aliqua mutationis successio.

23. Selon les Grecs on dit : Le Seigneur a rgn pour le sicle de sicle, et au-del ; en l'exposant, Origne, dans la glose, dit que le sicle est compris comme la dure d'une gnration, dont la fin nous est connue ; par sicle de sicle, un immense dure de temps, qui a une fin, cependant ignore de nous ; mais par encore, le rgne de Dieu s'tend au-del de cela. Et ainsi ternel est pris pour un temps qui dure. Mais Anselme dans le Proslogion (ch. 19 et 20) dfinit ternel comme l'aevum, qui jamais n'a de fin et cependant on dit que Dieu est au-del pour cette raison : a) Ce qui est viternel peut tre compris comme n'existant pas. b) Cela n'existerait que si c'tait maintenu par Dieu : et ainsi en soi, cela n'existe pas. c) Ils n'ont pas tout leur tre en mme temps, puisqu'il y a en eux une succession de changements.

q. 3 a. 17 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod pro tanto oportet illud quod incipit, habere mensuram durationis, quia incipit per motum. Sic autem tempus non incipit per creationem, unde ratio non sequitur ; et tamen potest dici, quod omnis mensura in suo genere seipsa mensuratur, sicut linea per lineam, et similiter tempus per tempus.

24. Pour autant, il faut que ce qui commence ait la mesure de la dure, parce qu'il commence par un mouvement. Mais ainsi le temps ne commence pas par cration ; c'est pourquoi cette raison n'est pas valable ; et cependant on peut dire que toute mesure dans son genre est mesure par elle-mme, comme la ligne par la ligne, et semblablement le temps par le temps.

q. 3 a. 17 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod tempus non se habet sicut permanentia, quorum substantia est tota simul ; unde non oportet quod totum tempus sit quando incipit esse ; et sic nihil prohibet dicere, quod tempus incipit in instanti esse.

25. Le temps ne se comporte pas comme ce qui est permanent dont la substance est toute en mme temps ; c'est pourquoi il ne faut pas que le temps en entier existe, quand il commence exister, et ainsi rien n'empche de dire que le temps commence tre dans l'instant.

q. 3 a. 17 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod actio Dei est aeterna, sed effectus non est aeternus, ut supra dictum est ; unde licet Deus non semper fuerit causa, cum non semper fuerit effectus, non tamen sequitur quod non fuerit causa in potentia, quia actio eius semper fuit, nisi potentia ad effectum referatur.

26. L'action de Dieu est ternelle, mais l'effet ne l'est pas, comme on l'a dit plus haut ;. c'est pourquoi, bien que Dieu n'ait pas toujours t cause, comme son effet n'a pas toujours exist, il n'en dcoule cependant qu'il n'a pas t la cause en puissance, parce que son action n'a toujours exist, que si sa puissance se rapporte pas un effet.

q. 3 a. 17 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum, quod secundum philosophum, verum est in mente, non in rebus ; est enim adaequatio intellectus ad res. Unde omnia quae fuerunt ab aeterno, fuerunt vera per veritatem intellectus divini, quae est aeterna.

27. Selon le Philosophe (Mtaphysique VI, 4, 1027 b 25), la vrit est dans l'esprit, non dans la ralit, car c'est l'adquation de l'intellect aux choses. C'est pourquoi tout ce qui a exist de toute ternit, a t vrai par la vrit de l'intellect divin, qui ternel.

q. 3 a. 17 ad 28 Ad vicesimumoctavum dicendum, quod omnia illa quae ab aeterno dicuntur esse vera, non sunt alia et alia veritate vera, sed una et eadem divini intellectus veritate, ad diversas tamen res in proprio esse futuras relata ; et sic ex diversa relatione potest aliqua distinctio in illa veritate designari.

28. Tout ce qui est dclar vrai ternellement n'est pas vrai par diffrentes vrits mais par une seule et mme vrit de l'esprit divin, relative diffrentes choses futures dans leur propre tre. Et ainsi du fait de la diversit de la relation, on peut oprer une distinction dans cette vrit.

q. 3 a. 17 ad 29 Ad vicesimumnonum dicendum, quod verbum etiam philosophi intelligitur de oratione existente in nostro intellectu vel in nostra pronuntiatione ; veritas enim nostri intellectus vel verbi, ab existentia rei causatur. Sed e converso veritas divini intellectus est causa rerum.

29. Ce mot du Philosophe est compris de l'locution dans notre intellect et dans notre expression. Car la vrit de notre esprit ou de notre parole est cause par l'existence de la chose ; mais l'inverse la vrit de l'esprit divin est la cause des choses.

q. 3 a. 17 ad 30 Ad tricesimum dicendum, quod ex parte ipsius Dei facere non importat aliquid quod sit aliud quam suum dicere ; non enim actio Dei est accidens, sed eius substantia ; sed facere importat effectum actualiter existentem in propria natura, quod per dicere non importatur.

30. Du ct de Dieu mme, faire n'apporte rien d'autre que dire ; car son action n'est pas un accident, mais sa substance ; mais faire apporte l'effet existant actuellement dans la nature propre, ce qui n'est pas apport par le dire.

q. 3 a. 17 ad s. c. Argumenta vero quae obiiciuntur in contrarium, licet verum concludant, non tamen necessario, praeter primum, quod ex auctoritate procedit. Argumentum enim perspicacitatis secundum temporis cursum, non ostendit tempus quandoque incepisse. Potuit enim esse quod scientiarum studia pluries fuerint intermissa, et postmodum post longa tempora quasi de novo incepta, ut philosophus etiam dicit. Terra etiam non ita per illuvionem ex una parte consumitur, quin etiam per mutuam elementorum conversionem ex parte alia augmentetur ; duratio etiam Dei, licet sit idem quod eius natura secundum rem, tamen differt ratione ; unde non oportet quod sit prior duratione, si est prior natura.

Bien que les objections des arguments contraires dfinissent ce qui est vrai, ils ne le font pas ncessairement cependant, sauf la premire qui procde d'une autorit. Car l'argument de la perspicacit[510] selon le cours du temps ne montre pas que le temps a un jour commenc. Car il a pu arriver que l'tude des sciences ait t plusieurs fois interrompue, et ensuite aprs de long temps comme recommence de nouveau, comme le Philosophe le dit aussi (Mtaphysique XI). La terre n'est pas emporte par l'rosion d'un ct, sans que par un changement mutuel des lments elle augmente d'un autre ct. La dure mme de Dieu[511], bien qu'elle soit en ralit la mme chose que sa nature, diffre cependant en raison. C'est pourquoi, il ne faut pas qu'il soit avant en dure, s'il est avant en nature.

 

 

 

Article 18 Les anges ont-ils t crs avant le monde visible ?

q. 3 a. 18 tit. 1 Decimoctavo quaeritur utrum Angeli sint creati ante mundum visibilem. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

 

Objections :[512] :

q. 3 a. 18Arg. 1 Quia Gregorius Nazianzenus dicit, quod Deus primum excogitavit angelicas virtutes et caelestes ; et excogitatio fuit opus eius. Ergo prius fecit Angelos quam mundum visibilem conderet.

1. Parce que, [comme le rapporte Jean Damascne (livre 2, ch. 3[513])], Grgoire de Naziance dit (Orat. 38) que Dieu dabord pensa les puissances angliques et clestes et sa pense fut son uvre. Donc il cra les anges avant de fonder le monde visible

q. 3 a. 18Arg. 2 Sed dicendum, quod ly primum dicit ordinem naturae, non durationis.- Sed contra, Damascenus ibidem ponit super hoc duas opiniones : quarum una ponit, Angelos primum fuisse creatos, alia vero dicit contrarium. Sed nulla unquam opinio posuit, quin Angeli natura priores essent visibilibus creaturis. Ergo oportet quod intelligatur de ordine durationis.

2. Mais il faut dire que le mot premier indique lordre de la nature et non celui de la dure. En sens contraire, Jean Damascne rapporte au mme endroit ce sujet deux opinions[514] ; dont lune tablit que les anges ont t crs en premier, et lautre dit le contraire. Mais jamais aucune opinion na affirm que les anges aient exist par nature avant les cratures visibles. Donc il faut le comprendre de lordre de la dure.

q. 3 a. 18Arg. 3 Praeterea, Basilius dicit in principio Hexameron : erat quaedam natura ante hunc mundum intellectui nostro contemplabilis ; quod postmodum exponit de Angelis ; ergo videtur quod ante hunc mundum Angeli sint creati.

3. Basile dit au dbut de son Hexameron (Hom. 1) : Il y avait une nature avant ce monde qui pouvait tre contemple par notre esprit. Aprs il parle des anges. Donc il semble que les anges aient t crs avant ce monde.

q. 3 a. 18Arg. 4 Praeterea, ea quae cum mundo visibili facta sunt, Scriptura in principio Genesis prosequitur. Sed de Angelis nullam facit mentionem. Ergo videtur quod Angeli non fuerunt creati cum mundo, sed ante mundum.

4. Ce qui a t fait avec le monde visible, lՃcriture lexpose au dbut de la Gense. Mais elle ne fait aucune mention des anges. Il semble donc quils nont pas t crs avec le monde, mais avant lui.

q. 3 a. 18Arg. 5 Praeterea, illud quod ordinatur ad perfectionem alicuius sicut ad finem, est eo posterius. Sed mundus visibilis ordinatur ad perfectionem intellectualis naturae : quia, ut Ambrosius dicit, Deus, qui natura invisibilis est, opus visibile fecit, per quod cognosci posset. Et non nisi a rationali creatura. Ergo rationalis creatura facta est ante mundum visibilem.

5. Ce qui est ordonn la perfection d'un tre comme sa fin, lui est postrieur. Mais le monde visible est ordonn la perfection de la nature intellectuelle ; parce que, comme Ambroise le dit (Hexaemeron I, 5) Dieu, qui par nature est invisible, a fait une uvre visible par laquelle il puisse tre connu. Il ne peut tre connu que par la crature raisonnable. Donc celle-ci a t cre avant le monde visible.

q. 3 a. 18Arg. 6 Praeterea, quidquid est ante tempus, est ante mundum visibilem : quia tempus cum mundo visibili incepit. Sed Angeli creati sunt ante tempus : non enim fuit tempus ante diem ; Angeli autem creati sunt ante diem, ut Augustinus dicit. Ergo Angeli creati sunt ante mundum visibilem.

6. Ce qui existe avant le temps est avant le monde visible : parce que le temps a commenc avec lui. Mais les anges ont t crs avant le temps ; car il ny eut pas de temps avant le jour ; mais les anges ont t crs avant le jour, comme le dit Augustin (La Gense au sens littral, I, 9[515]). Donc ils ont t crs avant le monde visible.

q. 3 a. 18Arg. 7 Praeterea, Hieronymus dicit super epistolam ad Titum, cap. I : sex millia necdum nostri temporis implentur annorum ; et quantas prius aeternitates, quanta tempora fuisse arbitrandum est, in quibus Angeli Deo servierunt, et eo iubente substiterunt ? Sed mundus visibilis cum nostro tempore incepit. Ergo Angeli ante mundum visibilem fuerunt.

7. Jrme dit dans son commentaire sur lՃptre Tite (ch. 1) : Six mille ans de notre temps ne sont pas encore accomplis ; et il faut penser combien dՎternit avant, combien de temps ont exist pendant lesquels les anges ont servi Dieu et ont t sous son commandement. Mais le monde visible a commenc avec notre temps. Donc les anges ont exist avant le monde visible.

q. 3 a. 18Arg. 8 Praeterea, sapientis est ordinate suum effectum producere. Sed Angeli praecedunt nobilitatem creaturarum visibilium. Ergo a sapientissimo artifice Deo, primo debuerunt produci in esse.

8. Cest le propre du sage de produire son effet avec ordre (Mtaphysique, I, 2, 982 a 17-18). Mais les anges prcdent la noblesse des cratures visibles. Donc ils ont d tre amens lՐtre en premier par l'artisan trs sage qu'est Dieu.

q. 3 a. 18Arg. 9 Praeterea, Deus, in quantum bonus est, suae bonitatis alios participes facit. Sed huius dignitatis capaces erant Angeli, quod creaturam visibilem duratione praecederent. Ergo videtur hoc eis per summam Dei bonitatem collatum.

9. Dans la mesure o Dieu est bon, il fait participer les autres sa bont. Mais les anges taient susceptibles de recevoir cette dignit, puisquils ont prcd dans la dure la crature visible. Donc il semble que cela leur a t attribu par la bont suprme de Dieu.

q. 3 a. 18Arg. 10 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia maioris mundi similitudinem gerit. Sed in homine pars eius nobilior ante alias partes formatur, scilicet cor, ut philosophus dicit. Ergo videtur quod Angeli, qui sunt nobilior pars maioris mundi, ante visibiles creaturas sint conditi.q. 3 a. 18Arg. 11 Praeterea, ut Augustinus dicit, in opere secundae diei et deinceps tripliciter Scriptura rerum factionem commemorat. Dicit enim primo : dixit Deus, fiat firmamentum. Secundo : et factum est ita. Tertio vero : fecit Deus firmamentum. Quorum primum refertur ad esse rerum in verbo ; secundum ad esse rerum in cognitione angelica, prout Angeli accipiunt cognitionem creaturae fiendae ; tertium vero ad esse creaturae in propria natura. Sed quando creatura visibilis erat fienda, nondum erat. Ergo Angeli fuerunt et habuerunt cognitionem naturae visibilis antequam esset.

10. Lhomme est appel un petit monde [microcosme], parce quil porte la ressemblance dun monde plus grand. Mais dans l'homme, la partie la plus noble est forme avant les autres, savoir le cur, comme le dit le Philosophe (La gnration des animaux, ch. 4). Donc il semble que les anges qui sont la plus noble partie du monde aient t crs avant les cratures visibles.11. Comme Augustin le dit (La Gense au sens littral, II, 7, et 8) dans luvre du deuxime jour et ensuite par trois fois, lՃcriture rappelle la cration. Car elle dit dabord : Et Dieu dit : que soit fait le firmament. Deuximement : Et ainsi fut fait. Troisimement : Dieu fit le firmament. Le premier se rapporte lՐtre des choses dans le Verbe, le second leur tre dans la connaissance anglique, dans la mesure o les anges ont reu la connaissance des cratures crer ; le troisime lՐtre de la crature dans sa propre nature. Mais quand la crature visible devait tre faite, elle nexistait pas encore. Donc les anges ont exist et eurent connaissance de la nature visible avant quelle ait exist.

q. 3 a. 18Arg. 12 Sed dicendum, quod hic intelligitur de factione creaturae quantum ad eius formationem, non quantum ad primam creationem.- Sed contra, secundum opinionem Augustini, creatio naturae visibilis non praecedit tempore eiusdem formationem. Si ergo Angelus fuit ante formationem creaturae visibilis, fuit et ante eius creationem.

12. Mais il faut dire qu'on le comprend de la ralisation de la crature quant sa mise en forme, non quant sa premire cration. En sens contraire, selon lopinion dAugustin (La Gense au sens littral, I, XV, 29[516]) la cration de la nature visible na pas prcd sa mise en forme dans le temps. Si donc lange a exist avant la formation de la crature visible, il a exist aussi avant sa cration.

q. 3 a. 18Arg. 13 Praeterea, dicere Dei est causa creaturae fiendae ; quod non videtur posse intelligi de aeterna verbi genitura quia illa ab aeterno fuit, nec per vices temporum repetitur ; cum tamen in singulis diebus Scriptura repetat Deum aliquid dixisse. Nec etiam potest intelligi de locutione corporali ; tum quia nondum erat homo, qui vocem Dei loquentis audiret ; tum etiam quia oportuisset ante lucis formationem aliquod aliud corporeum formatum fuisse, cum vox corporalis non fiat nisi per alicuius corporis formationem. Ergo videtur quod intelligatur de spirituali locutione qua Deus ad Angelos loquitur ; et sic videtur quod Angelorum cognitio praesupponatur ut causa ad creaturarum visibilium productionem.

13. Le dire de Dieu est la cause de la crature crer, ce qui ne semble pas pouvoir tre compris de la gnration ternelle du Verbe, parce qu'elle a exist de toute ternit, et nest pas rpte dans la succession des temps, alors que cependant lՃcriture rpte que chaque jour Dieu a dit une parole. Et ainsi on ne peut le comprendre de la parole corporelle, d'abord parce qu'il n'y avait pas encore d'homme pour entendre la voix de Dieu qui parle ; ensuite aussi parce quil aurait fallu, avant la formation de la lumire, que quelque autre corps ait t form, puisque la voix corporelle nՎtait mise qu'aprs la formation dun corps. Donc il semble quon le comprend de la parole spirituelle par laquelle Dieu parle ses anges et ainsi il semble que la connaissance des anges est prsuppose comme cause pour la production des cratures visibles.

q. 3 a. 18Arg. 14 Praeterea ut supra dictum est, sacra Scriptura tripliciter actionem rerum commemorat : quorum primum pertinet ad esse rerum in verbo ; secundum ad esse rerum in cognitione angelica ; tertium in propria natura. Sed primum horum praecedit secundum et duratione et causa. Ergo similiter secundum praecedit tertium duratione et causa, scilicet cognitio angelica existentiam visibilis creaturae.

14. Comme on la dit ci-dessus, lՃcriture sainte rappelle de trois manires laction sur les cratures. La premire concerne leur tre dans le Verbe ; la seconde dans la connaissance anglique et la troisime dans leur propre nature. Mais la premire prcde la seconde par la dure et la cause. Donc, semblablement la seconde prcde la troisime par la dure et la cause, cest--dire que la connaissance anglique prcde lexistence de la crature visible.

q. 3 a. 18Arg. 15 Praeterea, non minus requiritur ordo in exitu rerum a principio quam in reductione earum in finem. Sed in reducendo res in finem, haec est lex divinitatis statuta, ut Dionysius dicit, quod ultima reducantur in finem per media. Ergo simpliciter creaturae corporales quae sunt infimae, procedunt a Deo per angelicas creaturas, quae sunt mediae ; et sic Angeli corporales creaturas praecedunt, sicut causae effectum.

15. Un ordre dans la sortie des choses de leur principe n'est pas moins requis que dans leur retour leur fin, Mais pour les ramener leur fin, cest une loi tablie par la Divinit, comme le dit Denys (La hirarchie cleste, ch. 5), parce que la dernire est ramene la fin par des intermdiaires. Donc simplement les cratures corporelles qui sont faibles, procdent de Dieu par les cratures angliques qui sont intermdiaires, et ainsi les anges prcdent les cratures corporelles comme les causes leur effet.

q. 3 a. 18Arg. 16 Praeterea, eis quae sunt omnino disparata, non competit associatio. Sed Angeli et creaturae visibiles sunt omnino disparata. Ergo non sunt associati in creatione, ut simul fierent. Inordinatum etiam esset quod Angeli post creaturas visibiles fierent. Ergo ante creaturas visibiles sunt conditi.

16. Pas question d'association pour ce qui est tout fait diffrent. Mais les anges et les cratures visibles sont tout fait diffrents. Donc ils ne sont pas associs dans la cration, pour tre crs ensemble. Ce serait mme contre l'ordre que les anges aient t cres aprs les cratures visibles. Donc ils ont t crs avant elles.

q. 3 a. 18Arg. 17 Praeterea, Eccli. I, 4, dicitur : primo omnium creata est sapientia ; quod non potest intelligi de filio Dei, qui est patris sapientia ; cum ipse non sit creatus, sed genitus. Ergo sapientia angelica, quae est creatura, est ante omnia alia facta.

17. On dit en Eccl.1, 4 : La sagesse a t cre la premire de tout, ce qui ne peut pas tre compris du Fils de Dieu, qui est la sagesse du Pre, puisquil na pas t cr, mais engendr. Donc la sagesse anglique, qui est une crature, a t faite avant toutes les autres cratures.

q. 3 a. 18Arg. 18 Praeterea Hilarius dicit in Lib. de Trinitate : quid mirum, si dominum nostrum Iesum Christum ante saecula fuisse confiteamur, cum etiam Deus Angelos fecerit ante mundum ? Sed Dei filius non solum ordine dignitatis, sed etiam durationis omnia saecula praecessit. Ergo et Angeli mundum visibilem.

18. Hilaire dit au livre XII de la Trinit : Quy a-t-il dՎtonnant si nous confessons que notre Seigneur Jsus Christ a exist avant tous les sicles, puisque mme Dieu a fait les anges avant le monde. Mais le Fils de Dieu non seulement dans lordre de la dignit mais encore dans celui de la dure, a prcd tous les sicles. Donc les anges ont prcd le monde visible.

q. 3 a. 18Arg. 19 Praeterea, creatura angelica media est inter naturam divinam et corpoream : aevum etiam, quod est Angeli mensura, medium est inter aeternitatem et tempus. Sed Deus sua aeternitate fuit ante Angelos et visibilem creaturam. Ergo et Angeli suo aevo fuerunt ante mundum visibilem.

19. La crature anglique est intermdiaire entre la nature divine et la nature corporelle ; l'aevum[517] aussi, qui est la mesure de lange, est intermdiaire entre lՎternit et le temps. Mais Dieu a t dans son ternit avant les anges et la crature visible. Donc les anges ont exist dans leur aevum avant le monde visible.

q. 3 a. 18Arg. 20 Praeterea, Augustinus dicit, quod Angeli semper fuerunt. Sed non potest dici quod creatura corporalis semper fuerit. Ergo Angeli fuerunt ante corpoream creaturam.

20. Augustin, dans la Cit de Dieu (XI, 9), dit que les anges ont toujours exist. Mais on ne peut pas le dire de la crature corporelle. Donc les anges ont exist avant la crature corporelle.

q. 3 a. 18Arg. 21 Praeterea, motus creaturae corporeae peraguntur per ministerium spiritualis creaturae, ut patet per Augustinum, et per Gregorium. Sed motor praecedit mobile. Ergo Angeli fuerunt ante visibiles creaturas.

21. Les mouvements des cratures corporelles sont accomplis par le ministre de la crature spirituelle, comme on le voit chez Augustin (La Trinit, III) et Grgoire [le Grand] (Dialogues IV). Mais le moteur prcde le mobile. Donc les anges ont exist avant les cratures corporelles [518].

q. 3 a. 18Arg. 22 Praeterea, Dionysius assimilat actionem divinam in res, actioni ignis in corpora quae ab igne patiuntur. Sed ignis prius agit in corpora propinqua quam in remota. Ergo et divina bonitas primo produxit creaturas angelicas sibi propinquas, quam creaturas corporeas magis ab eo distantes ; et sic Angeli ante mundum fuerunt.

22. Denys assimile laction divine sur les cratures laction du feu sur les corps qui le subissent. Mais le feu agit dans un corps proche avant dagir sur un corps loign. Donc la bont divine a produit les cratures angliques proches de lui avant les cratures corporelles plus distantes et ainsi les anges ont exist avant le monde.

 

En sens contraire :

q. 3 a. 18 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur in principio Genes. I, 1 : in principio creavit Deus caelum et terram ; ubi Glossa Augustini dicit, quod per caelum intelligitur natura angelica, per terram vero natura corporalis. Ergo Angeli simul cum natura corporali fuerunt facti.

1. Au dbut de la Gense (1, 1), il est dit : Au commencement Dieu cra le ciel et la terre, o la glose dAugustin dit que par le ciel il faut entendre la nature anglique, par la terre, la nature corporelle. Donc les anges ont t crs en mme temps que la nature corporelle.

q. 3 a. 18 s. c. 2 Praeterea, Glossa Strabonis ibidem dicit, quod per caelum ibi intelligitur caelum Empyreum, quod mox factum sanctis Angelis est repletum. Ergo Angeli simul fuerunt facti cum caelo Empyreo, quod est visibilis creatura.

2. La glose de Strabon dit en ce mme endroit, que par le ciel on comprend le ciel empyre qui, bientt aprs avoir t cr, a t rempli par les anges. Donc les anges ont t crs en mme temps que le ciel empyre, qui est une crature visible.

q. 3 a. 18 s. c. 3 Praeterea, homo minor mundus dicitur, quia habet similitudinem maioris mundi. Sed in homine simul fit corpus et anima. Ergo et in mundo maiori simul fit angelica et corporalis creatura.

3. On appelle lhomme un petit monde, [microcosme] parce quil ressemble au monde plus grand. Mais dans lhomme, le corps et lՉme sont faits en mme temps. Donc dans le monde plus grand, la crature anglique et la crature corporelle sont faites en mme temps[519].

 

Rponse :

q. 3 a. 18 co. Respondeo. Dicendum quod in hoc omnes Catholici doctores consenserunt, quod Angeli non semper fuerunt, utpote de nihilo in esse producti.

Tous les docteurs catholiques sont daccord que les anges nont pas toujours exist, vu quils ont t amens du nant lՐtre.

Quidam tamen posuerunt Angelos non simul cum mundo visibili, sed ante mundum visibilem incepisse. Ad hoc autem ponendum diversis rationibus sunt moti.

A) Certains[520] ont pens que les anges nont pas commenc avec le monde visible, mais avant lui. Ils ont t amens le penser par diverses raisons.

Quidam namque aestimaverunt creaturas corporeas non esse productas ex prima Dei intentione, sed occasionem eas producendi ex merito vel demerito spiritualis creaturae Deum habuisse dixerunt. Posuit enim Origenes, a principio simul creatas esse omnes creaturas immateriales et rationales, et eas fuisse aequales, divina iustitia hoc exigente. Non enim videtur quod inaequalitas possit esse in datis, iustitia servata, nisi propter meriti vel demeriti diversitatem. Unde diversitatem creaturarum (quam videmus) praecessisse posuit meriti et demeriti diversitatem, ut secundum quod spiritualium creaturarum quaedam magis Deo adhaeserunt, in altiores ordines Angelorum sint promotae ; quae vero magis peccaverunt, grossioribus et ignobilioribus corporibus sint alligatae ; quasi ipsa meritorum diversitas exegerit diversos gradus corporum a Deo produci

Car certains ont pens que les cratures corporelles navaient pas t produites dans un premier dessein de Dieu, mais ils disent qu'il eut loccasion de les produire cause du mrite ou du dmrite de la crature spirituelle. Origne, en effet, a pens quau commencement, ont t cres en mme temps toutes les cratures immatrielles et rationnelles et quelles ont t gales, comme la justice divine lexigeait. Car il ne semble que lingalit n'ait pu tre dans ce qui est donn, si on conserve la justice, qu' cause de la diversit du mrite ou du dmrite. C'est pourquoi il pensa que la diversit des cratures (que nous voyons) a prcd la diversit du mrite et du dmrite, de sorte que certaines des cratures spirituelles qui ont davantage adhr Dieu, ont t promues dans les ordres les plus hauts des anges, mais celles qui ont davantage pch ont t lies des corps plus grossiers et moins nobles ; comme si la diversit mme des mrites avait rclam les divers degrs des corps produits par Dieu.

Hanc autem positionem Augustinus reprobat. Causam enim creaturarum condendarum, tam spiritualium quam corporalium, constat nihil aliud esse quam Dei bonitatem, inquantum creaturae suae, sua bonitate creatae, bonitatem increatam secundum suum modum repraesentant. Propter quod Scriptura dicit de singulis Dei operibus, et postmodum de omnibus simul : vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona ; quasi diceret, quod ad hoc Deus creaturas condidit, quod bonitatem haberent. Secundum autem opinionem praedictam non ad hoc conditae fuissent creaturae corporales quia bonum esset eas esse, sed ut malitia spiritualis creaturae puniretur. Sequeretur etiam quod ordo universi quem nunc videmus a casu existeret, in quantum accidit quod diversae rationales creaturae diversimode peccaverunt. Si enim omnes peccassent aequaliter, nulla diversitas naturarum in corporibus esset, secundum eos.

Mais Augustin dsapprouve cette position (La cit de Dieu, XI, 23). Car il est clair que la cause des cratures, tant spirituelles que corporelles, qui devaient tre cres, nest rien dautre que la bont de Dieu, en tant quelles sont ses cratures ; cres par sa bont, elles reprsentent sa bont incre leur manire. Cest pourquoi lՃcriture (Gn. 1, 31) dit de chacune des uvres de Dieu et ensuite de toutes ensemble : Dieu vit tout ce quil avait fait, et cՎtait trs bon, comme si elle disait qu'il a cr ses cratures pour quelles possdent sa bont. Mais selon cette opinion, les cratures corporelles nauraient pas t cres parce qu'il serait bien qu'elles existent, mais pour que le mal de la crature spirituelle soit punie. Il sensuivrait que lordre de lunivers que nous voyons maintenant, existerait par le hasard, dans la mesure o il arrive que les diverses cratures rationnelles ont pch de diverses manires. Mais si toutes avaient pch galement, il ny aurait selon eux aucune diversit de nature dans les corps.

Unde hac positione remota, alii ex consideratione naturae spiritualium substantiarum, quae est dignior omni natura corporali, posuerunt spirituales substantias ante corporales conditas esse ; ut sicut natura spiritualis creata, media est ordine naturae inter Deum et creaturam corporalem, ita etiam sit media duratione.

B) C'est pourquoi, une fois repousse cette opinion, dautres en considrant la nature des substances spirituelles, qui est plus digne que toute nature corporelle, ont pens que les substances spirituelles avaient t cres avant les substances corporelles, de sorte que, de mme que la nature spirituelle cre est intermdiaire dans lordre de la nature entre Dieu et la crature corporelle, de mme elle serait intermdiaire dans la dure.

Haec autem opinio cum fuerit magnorum doctorum, scilicet Basilii, Gregorii Nazianzeni, et quorumdam aliorum, non est tamquam erronea reprobanda.

Mais cette opinion, comme elle a t celle des grands docteurs, cest--dire celle de Basile, de Grgoire de Naziance et quelques autres, ne doit pas tre rprouve comme errone[521].

Sed si diligenter consideretur alia opinio, quae est Augustini et aliorum doctorum, quae etiam modo communiter tenetur, rationabilior invenitur. Angeli enim non solum sunt considerandi absolute, sed etiam in quantum sunt pars universi ; et haec consideratio eorum intantum est magis attendenda, in quantum bonum universi praeeminet bono cuiuslibet creaturae particularis, sicut bonum totius praeeminet bono partis. Secundum autem quod considerantur Angeli ut partes universi, competit eis quod simul cum creatura corporali sint conditi. Unius enim totius una videtur esse productio. Si autem seorsum essent Angeli creati, viderentur omnino alieni ab ordine creaturae corporalis, quasi aliud universum per se constituentes. Unde dicendum est, quod Angeli simul cum creatura corporali sunt conditi ; tamen sine alterius opinionis praeiudicio.

C) Mais si on considre avec attention une autre opinion, celle dAugustin et dautres docteurs, laquelle est communment accepte, on la trouve plus rationnelle. Car les anges, non seulement doivent tre considrs dans l'absolu, mais aussi en tant que partie de lunivers. ; et cette considration doit tre observe bien plus, dans la mesure o le bien de lunivers prvaut sur le bien de quelque crature particulire, de mme que le bien du tout prvaut sur celui de la partie. Selon quon considre les anges comme partie de lunivers, il leur appartient d'avoir t crs en mme temps que les cratures corporelles. Car il semble qu'il y a production dun seul tout. Mais si les anges avaient t crs sparment, ils sembleraient tout fait trangers lordre de la crature corporelle, comme s'ils constituaient un autre univers par eux-mmes. C'est pourquoi il faut dire que les anges ont t crs en mme temps que la crature corporelle, cependant sans prjuger dune autre opinion.

 

Solutions :

q. 3 a. 18 ad 1 Et per hoc patet responsio ad tria prima : quia procedunt secundum mediam opinionem.

# 1. 2. 3. Et ainsi apparat la rponse aux trois premires objections qui procdent de cette opinion intermdiaire.

q. 3 a. 18 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Basilius dicit in primo Hexameron, Moyses legislator in principio Genesis exordium visibilis creaturae incepit exponere praetermissa creatura spirituali quae ante fuerat condita, de qua mentionem non fecit, quia rudi populo loquebatur, qui ad spiritualia capienda idoneus non erat. Secundum Augustinum vero creaturam spiritualem per caelum intelligit, sicut per terram creaturam corporalem, cum dicit : in principio creavit Deus caelum et terram. Quare autem sub metaphora caeli et non expresse creationem Angelorum tradidit, potest eadem ratio assignari quae et supra, scilicet ex populi ruditate, et iterum ad vitandam idololatriam in quam proni erant ; ad quam daretur eis occasio si plures substantiae spirituales ponerentur praeter unum Deum, quae essent caelo nobiliores ; et praecipue cum huiusmodi substantiae a gentilibus dii dicerentur. Secundum vero Strabonem, et alios priores, per caelum quod in auctoritate inducta ponitur, intelligitur caelum Empyreum quod est habitaculum sanctorum Angelorum, per metonymiam sicut quando ponitur continens pro contento.

# 4. Comme Basile le dit dans le premier livre de lHexameron (hom. 2, c.1), Mose, le lgislateur, commena, au dbut de la Gense, par exposer l'essor de la crature visible, en passant outre la crature spirituelle qui avait t cre avant, dont il ne fit pas mention, parce quil parlait un peuple rude qui nՎtait pas apte comprendre ce qui tait spirituel. Selon Augustin, il comprend, par le ciel, la crature spirituelle, de mme que par la terre, il comprend la crature corporelle, quand il dit : Au commencement Dieu cra le ciel et la terre. Parce qu'il dcrivit, sous la mtaphore du ciel et non expressment, la cration des anges, on peut donner la mme raison que ci-dessus, cest--dire la rudesse du peuple, et en plus pour viter lidoltrie laquelle ils taient enclins. L'occasion leur aurait t donne, si, en plus du seul Dieu, plusieurs substances spirituelles qui taient plus nobles que le ciel avaient t poses en principe et principalement quand de telles substances seraient appeles des dieux par les paens. Selon Strabon (II, ch. 8) et dautres auteurs plus rcents, par le ciel qui est pens dans une autorit induite, on comprend le ciel empyre qui est lhabitacle des saints anges, par mtonymie comme quand on prend le contenant pour le contenu.

q. 3 a. 18 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut dicit Augustinus, Angeli non cognoscunt Deum ex visibilibus creaturis ; unde creaturae visibiles non sunt factae ut Deum ostenderent Angelis, sed rationali creaturae quae est homo ; unde ex hoc probatur homo esse finis creaturarum. Finis autem, licet sit prius in intentione, est tamen ultimus in operatione ; unde et homo ultimo factus fuit.

# 5. Comme dit Augustin (La Gense au sens littral, V, ch. 5) les anges ne connaissent pas Dieu partir des cratures visibles ; c'est pourquoi, elles nont pas t faites pour leur montrer Dieu, mais (pour le montrer) la crature raisonnable quest lhomme ; c'est pourquoi, on prouve ainsi que lhomme est la fin des cratures. Mais la fin, bien quelle soit premire dans lintention, est cependant dernire dans lopration ; donc lhomme a t fait en dernier.

q. 3 a. 18 ad 6 Ad sextum dicendum, quod secundum Augustinum, creatio caeli et terrae non praecessit duratione lucis formationem seu productionem ; et ideo non intelligit quod creatio spiritualis naturae fuerit ante primum diem duratione, sed quodam naturae ordine ; quia substantia spiritualis et materia informis secundum suam essentiam considerata, alterationibus temporum non subiacent ; unde per hoc etiam haberi non potest quod creatura spiritualis sit facta ante corporalem, quia etiam ante lucis factionem agitur de creatione creaturae corporalis, quae per terram intelligitur. Secundum vero alios creatio caeli et terrae ad primum diem pertinet ; quia cum caelo et terra creatum est tempus ; licet distinctio temporum quantum ad diem et noctem inceperit per lucem : unde tempus ponitur unum de quatuor primo creatis, quae sunt natura angelica, caelum Empyreum, materia informis et tempus.

# 6. Selon Augustin (Sur la Gense, I, 5) la cration du ciel et de la terre n'a pas prcd en dure la formation ou la production de la lumire et cest pourquoi il ne comprend pas que la cration de la nature spirituelle ait exist avant le premier jour en dure, mais dans un certain ordre de la nature ; parce que la substance spirituelle et la matire informe considres selon leur essence ne sont pas soumises laltration des temps : c'est pourquoi, il ne se peut pas que la crature spirituelle ait t faite avant la crature corporelle, parce que mme avant la cration de la lumire, il sagit de la cration dune crature corporelle qui est comprise sous le terme de terre. Selon dautres, la cration du ciel et de la terre convient au premier jour ; parce que le temps a t cr avec le ciel et la terre, bien que la distinction des temps quant au jour et la nuit n'ait commenc qu'avec la lumire : c'est pourquoi, on pense que le temps est l'une des quatre cratures cres en premier, qui sont la nature anglique, le ciel empyre, la matire informe et le temps.

q. 3 a. 18 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Hieronymus loquitur secundum opinionem antiquorum doctorum.

# 7. Jrme parle selon lopinion des anciens docteurs.

q. 3 a. 18 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa procederet, si unaquaeque creatura produceretur ut existens per se absolute ; sic enim conveniens esset ut unaquaeque separatim crearetur secundum gradum suae bonitatis. Sed quia omnes creaturae producuntur ut partes unius universi, conveniens est ut omnes simul producantur ad unum universum constituendum.

# 8. Cette raison serait valable si chaque crature tait produite comme existant en soi absolument ; car ainsi il aurait t convenable que chacune soit cre sparment selon le degr de sa bont. Mais parce que toutes les cratures sont produites comme des parties dun seul univers, il convient que toutes soient produites en mme temps pour le constituer.

q. 3 a. 18 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet ad aliquam dignitatem creaturae spiritualis pertineret, si ante creaturam visibilem esset creata ; non tamen competeret dignitati et unitati universi.

# 9. Bien quil convienne une certaine dignit de la crature spirituelle d'tre cre avant la crature visible, cependant cela ne s'accorde pas avec la dignit et lunit de l'univers

q. 3 a. 18 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet cor ante alia membra formetur, tamen totius corporis animalis est una continua generatio, non quod seorsum una generatione formetur cor, et postmodum successive aliis generationibus alia membra aliquibus temporibus interiectis. Hoc autem non potest dici in creatione Angelorum et corporalium creaturarum, quod una productione sint condita, scilicet spiritualis creatura ante corporalem, quasi continue universum sit productum ; producere enim successive est in producendis his quae ex materia producuntur, in qua est una pars vicinior complemento quam alia ; unde in prima rerum creatione successio locum non habet, etsi in formatione rerum ex materia creata possit locum habere ; unde et doctores qui posuerunt Angelos ante mundum creatos, posuerunt omnino distinctam creationem Angelorum et corporum, et multam durationem mediam intervenisse. Et praeterea cor necesse est in animali prius formari, quia virtus cordis operatur ad formationem aliorum membrorum. Creatura autem spiritualis non operatur ad creationem corporalium creaturarum, cum solius Dei sit creare. Unde et Commentator imponit Platoni, quod dixerit, quod Deus primo creavit Angelos, et postea commisit eis creationem corporalium creaturarum.

# 10. Bien que le cur soit form avant les autres membres, cependant il y a une seule gnration continue de tout le corps anim, non parce que le cur est form sparment par une gnration et par la suite les autres membres, successivement par d'autres gnrations aprs un certain temps. On ne peut pas dire cela pour la cration des anges et des cratures corporelles, parce quils ont t crs par une seule production, savoir la crature spirituelle avant la crature corporelle, comme si lunivers tait produit en continuit ; car produire successivement, cest pour ce qui est produit partir de la matire, dans laquelle une partie est plus proche de la perfection que lautre ; c'est pourquoi, dans la premire cration, la succession na pas de place, mme si dans la formation de ce qui est cr partir de la matire, elle peut avoir lieu : c'est pourquoi, les docteurs qui ont pens que les anges avaient t crs avant le monde, ont pens que la cration des anges tait tout fait distincte de celle des corps et quune grande dure intermdiaire s'tait interpose. Et en plus, il est ncessaire que le cur soit form dans lՐtre anim avant, parce que son pouvoir opre pour la formation des autres membres. Mais la crature spirituelle nopre pas pour la cration des cratures corporelles, puisque Dieu seul en a le pouvoir. Cest pour cela que le Commentateur (Mtaphysique, XI, com. 44) impute Platon quil a dit que Dieu cra dabord les anges et ensuite il leur confia la cration des cratures corporelles.

q. 3 a. 18 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Augustinus loquitur de factione creaturarum corporalium, non quantum ad primam creationem, sed quantum ad formationem.

# 11. Augustin parle de la cration des cratures corporelles, non quant la premire cration mais quant leur formation

q. 3 a. 18 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod sustinendo quod omnia sint simul creata in forma et materia, creatura spiritualis dicitur habuisse cognitionem creaturae corporalis fiendae, non quia eius formatio esset tempore futura, sed quia cognoscebatur ut futura, prout considerabatur in sua causa, in qua erat ut ex ea posset procedere ; sicut qui cognoscit arcam in principiis ex quibus fit, potest dici eam cognoscere ut fiendam.

# 12. En soutenant que tout a t cr en mme temps dans la forme et la matire, on dit que la crature spirituelle a eu connaissance de la crature corporelle qui devait tre cre, non parce que sa formation tait venir dans le temps, mais parce qu'elle la connaissait comme future, dans la mesure o elle tait considre dans sa cause, o elle tait pour pouvoir en procder ; comme on peut dire que celui qui connat un coffre dans les principes dont il est fait, le connat comme devant tre fait.

q. 3 a. 18 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod dicere Dei intelligitur de aeterna verbi Dei generatione, in quo ab aeterno fuit ratio omnium creaturarum condendarum. Nec tamen ideo frequenter repetitur in singulis operibus, dixit Deus, quasi temporaliter dixerit ; sed quia licet verbum in se sit unum, tamen in eo est propria ratio singularum creaturarum. Sic ergo singulis operibus praemittitur Dei verbum sicut propria ratio operis fiendi, ne facto opere necesse sit quaerere quare tale opus sit factum, cum ante operis conditionem sit dictum, dixit Deus ; sicut cum aliquis volens assignare alicuius rei causam, incipit a causae cognitione.

# 13. La parole de Dieu est comprise de la gnration ternelle du Verbe de Dieu, en qui, de toute ternit, il y eut la raison de toutes les cratures crer. Et cependant elle n'est pas rpte frquemment dans les uvres singulires, Dieu dit, comme s'il avait parl temporellement, mais parce que, bien que, en soi, le Verbe soit un, cependant en lui il y a la raison propre des cratures particulires. Donc ainsi le verbe de Dieu est envoy pour les uvres particulires, comme la raison propre de l'uvre faire, pour qu'une fois faite, il ne soit pas ncessaire de chercher pourquoi une telle uvre a t faite, puisqu'elle t annonce avant sa fondation ; Dieu a dit, comme, lorsque quelqu'un, qui veut assigner la cause de quelque chose, il commence par connatre cette cause.

q. 3 a. 18 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod esse rerum in verbo est causa esse rerum in propria natura ; sed esse rerum in cognitione angelica non est causa esse rerum in propria natura ; et ideo non est simile.

# 14. L'tre des choses dans le verbe est leur cause dans leur nature propre, mais l'tre des choses dans la connaissance anglique n'est pas leur cause dans leur nature propre et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 3 a. 18 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod res in finem ordinatur per suam operationem. Non autem producitur in esse per suam operationem, sed solum per operationem causae agentis. Unde magis est conveniens quod creaturae superiores cooperentur Deo in reducendo creaturas inferiores in finem, quam in earum productione.

# 15. Une chose est ordonne sa fin par son opration. Elle n'est pas amene l'tre par elle, mais seulement par celle de la cause efficiente. C'est pourquoi il est plus convenable que les cratures suprieures cooprent avec Dieu pour ramener les cratures infrieures leur fin, que dans leur production.

q. 3 a. 18 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet creaturae corporales et spirituales sint disparatae secundum proprias naturas, tamen sunt connexae secundum ordinem universi ; et ideo oportuit quod simul crearentur.

# 16 Bien que les cratures corporelles et spirituelles soient diffrentes selon leur propre nature, cependant elles sont unies selon l'ordre de l'univers, et c'est pourquoi il fallut qu'elles soient cres ensemble.

q. 3 a. 18 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod illa auctoritas Eccli., secundum Augustinum, intelligitur de sapientia creata quae est in natura angelica, quae tamen secundum ipsum non prius creata est tempore sed dignitate. Secundum vero Hilarium in Lib. de synodis intelligitur de sapientia increata, quae est filius Dei ; quae quidem simul dicitur et creata et genita, ut patet Prov. VIII, 22, sq., et in diversis Scripturae locis, ut omnis imperfectio a nativitate filii Dei excludatur. In creatione enim attenditur imperfectio ex parte creati, in quantum de nihilo in esse educitur ; sed perfectio ex parte creantis, qui absque sui immutatione creaturas producit. In nativitate vero est e contrario ; quia importatur perfectio ex parte nati in quantum accipit naturam generantis ; sed imperfectio ex parte generantis secundum modum inferioris generationis, in quantum generat cum sui immutatione, vel divisione suae substantiae. Et ideo simul filius Dei et creatus et genitus dicitur, ut per creationem excludatur generantis mutatio, et ex nativitate geniti imperfectio, ut ex utroque unus intellectus constituatur perfectus.

# 17. Cette autorit (Eccl. 1, 4), selon Augustin (Confessions, XII, 15), est comprise de la sagesse cre qui est dans la nature anglique, qui cependant, selon lui, n'a pas t cre avant dans le temps, mais [avant] en dignit. Mais selon Hilaire (Les synodes), on le comprend de la sagesse incre, qui est le Fils de Dieu, laquelle en mme temps est dite, cre et engendre, comme cela parat dans Prov. 8, 22, ss., et dans divers lieux de l'criture, pour que toute imperfection soit exclue de la nativit du Fils de Dieu. Car dans la cration, l'imperfection se trouve du ct du cr, dans la mesure o, du nant, il est amen l'tre ; mais la perfection se trouve du ct du crateur qui produit les cratures sans changement de sa part. Mais dans la nativit c'est le contraire, parce que la perfection est apporte du ct de l'enfant dans la mesure o il reoit la nature du gniteur, mais l'imperfection est du ct de celui qui engendre. selon le mode de la gnration infrieure dans la mesure o il engendre en changeant et en divisant sa substance. Et c'est pourquoi on dit que le Fils de Dieu est en mme temps cr et engendr, pour exclure le changement de celui qui engendre par cration, et l'imperfection de la naissance de l'engendr, pour que de chaque cot soit constitu comme parfait un seul esprit.

q. 3 a. 18 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Hilarius loquitur secundum opinionem antiquorum doctorum.

# 18. Hilaire parle selon l'opinion des anciens Docteurs.

q. 3 a. 18 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod Deus est causa naturae angelicae ; non autem natura angelica causa est naturae corporalis ; et ideo non est simile.

# 19. Dieu est cause de la nature anglique ; mais celle-ci n'est pas cause de la nature corporelle et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 3 a. 18 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod Angeli dicuntur semper fuisse, non quia ab aeterno fuerunt, sed quia omni tempore fuerunt : quia quandocumque fuit tempus, fuerunt Angeli. Et per hunc etiam modum creaturae corporales semper fuerunt.

# 20. On dit que les anges ont toujours exist, non parce qu'il ont exist depuis l'ternit, mais parce qu'ils ont exist de tout temps ; parce que, quand il y eut le temps, les anges existrent. Et de cette manire, mme les cratures corporelles ont toujours exist aussi.

q. 3 a. 18 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod motor non de necessitate praecedit tempore mobile, sed dignitate, sicut patet in anima et corpore.

# 21. Le moteur ne prcde pas ncessairement en temps le mobile, mais (il le prcde) en dignit, comme cela apparat dans l'me et le corps.

q. 3 a. 18 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod in actione ignis in corpora, duplex ordo est considerandus ; scilicet situs, et temporis. Ordo situs est in omni actione eius eo quod omnis actio eius est situalis et in corpora sibi magis propinqua plenius suam actionem exercet ; unde ulterius procedendo in tantum debilitatur eius effectus, quod tandem totaliter deficit. Ordo autem temporis non attenditur in omni eius actione, sed solum in illa qua agit per motum. Unde cum ignis illuminet et calefaciat corpora, in calefactione servatur ordo situs et temporis ; sed in illuminatione, quae non est motus sed terminus motus, attenditur tantum ordo situs. Quia ergo actio Dei quantum ad creationem est absque motu, non attenditur similitudo quantum ad ordinem temporis, sed solum quantum ad ordinem situs. Item enim est in actione spirituali diversus gradus naturae, quod in actione corporali diversus situs. Quantum ergo ad hoc attenditur similitudo Dionysii, quod sicut ignis in corpora sibi vicina plenius suam virtutem effundit, ita Deus rebus sibi propinquioribus gradu dignitatis, copiosius suam bonitatem distribuit.

# 22. Dans l'action du feu sur les corps, il faut considrer un ordre double : savoir le lieu et le temps. Le lieu est dans toute action de sa part, parce qu'elle est locale et dans les corps qui lui sont les plus proches, il exerce plus pleinement son action. C'est pourquoi en procdant au-del, son effet est diminu, au point qu'il est totalement affaibli. Mais l'ordre du temps n'est pas atteint dans toute son action, mais seulement dans celle o il agit par mouvement. C'est pourquoi, comme le feu claire et rchauffe les corps, en rchauffant on conserve l'ordre du lieu et du temps, mais dans l'clairage, qui n'est pas un mouvement mais son terme, on atteint seulement l'ordre du lieu. Donc parce que l'action de Dieu dans la cration est sans mouvement, on n'atteint pas la ressemblance pour l'ordre du temps, mais seulement pour celui du lieu. D'autre part, en effet, dans l'action spirituelle, il y a divers degrs de nature qui parce que le lieu est diffrent dans l'action corporelle. Donc, la ressemblance (dont parle) Denys est atteinte, parce que, de mme que le feu dans les corps qui lui sont voisins, verse son pouvoir plus pleinement ; de mme, dans les cratures qui lui sont plus proches en dignit, Dieu distribue plus abondamment sa bont.

 

 

 

Question 4 La cration de la matire sans forme

q. 4 pr. 1 Et primo quaeritur utrum creatio materiae informis praecesserit duratione creationem rerum.

1. La cration de la matire sans forme a-t-elle prcd la cration en dure ?

q. 4 pr. 2 Secundo utrum materia informis tota simul fuerit, an successive.

2. La matire informe a-t-elle exist toute en mme temps ou successivement ?

 

 

 

Article 1 La cration de la matire sans forme a-t-elle prcd la cration dans la dure ?

q. 4 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum creatio materiae informis praecesserit duratione creationem rerum.Et videtur quod non.

Il semble que non[522].

 

Objections :

q. 4 a. 1Arg. 1 Quia, sicut dicit Augustinus, materia informis praecedit formatam ex ea, sicut vox cantum. Sed vox non praecedit cantum duratione, sed solum natura. Ergo materia informis, non praecedit res formatas duratione, sed solum natura.

1. Parce que, comme le dit Augustin (La Gense au sens littral, I, XV, 29[523]) la matire sans forme[524] prcde la matire qui est forme partir delle, comme la voix prcde le chant. Mais la voix ne le prcde pas en dure, mais seulement en nature. Donc la matire sans forme ne prcde pas les choses en forme, en dure, mais seulement en nature.

q. 4 a. 1Arg. 2 Sed diceretur, quod Augustinus loquitur de materia respectu formationis, quae est per formas elementorum ; quae quidem formae statim a principio in materia fuerunt.- Sed contra, sicut aqua et terra sunt elementa, ita etiam ignis et aer. Sed Scriptura tradens informitatem materiae facit mentionem de terra et aqua. Ergo si materia a principio habuisset formas elementares, pari ratione fecisset mentionem de aere et igne.

2. Mais on pourrait dire quAugustin parle de la matire par rapport sa formation par les formes des lments[525] ; ces formes qui ont exist aussitt au commencement dans la matire. En sens contraire : leau et la terre sont des lments, le feu et lair aussi. Mais lՃcriture, en rapportant l'absence de forme de la matire, fait mention de la terre et de l'eau. Donc si la matire, au commencement, avait eu des formes lmentaires, raison gale, elle aurait fait mention de lair et du feu.

q. 4 a. 1Arg. 3 Praeterea, forma substantialis cum materia sunt causa accidentalium qualitatum, ut patet per philosophum, in I Phys. Sed qualitates activae et passivae sunt proprietates proprie accidentales elementorum. Si ergo formae substantiales fuerunt a principio in materia, fuerunt ibi ex consequenti qualitates activae et passivae ; et ita nulla restabat informitas, ut videtur.

3. La forme substantielle est avec la matire la cause des qualits accidentelles, comme le montre le philosophe (Physique, I). Mais les qualits actives et passives sont des qualits proprement accidentelles des lments. Si donc les formes substantielles ont exist ds le commencement dans la matire, en consquence, les qualits actives et passives y ont aussi t, et ainsi il semble quaucune absence de forme ne demeurait.

q. 4 a. 1Arg. 4 Sed diceretur, quod erat informitas sive confusio quantum ad elementorum situm.- Sed contra, secundum philosophum, quantum unumquodque elementorum habet de specie, tantum habet de ubi ; elementa enim sunt in propriis locis ex virtute formae. Si ergo materia a principio habebat formas substantiales, tunc ex consequenti unumquodque elementorum suum situm habebat ; et ita nulla confusio in elementis restabat, secundum quam materia posset dici informis.

4. Mais on pourrait dire qu'il y avait absence de forme ou confusion au sujet de la situation des lments[526]. En sens contraire : selon le Philosophe (Le ciel et le monde, IV, 5, 312 b 20[527]), il y a autant de lieux que dՎlments diffrents[528] ; car les lments sont dans leur situation[529] propre par le pouvoir de leur forme. Si donc la matire, ds le commencement, avait des formes substantielles, alors en consquence, chaque lment avait sa situation et ainsi il ne subsistait aucune confusion dans les lments qui permette de dire que la matire pouvait tre sans forme.

q. 4 a. 1Arg. 5 Praeterea, si pro tanto materia informis dicitur, quod elementa nondum proprium et naturalem situm habebant, ex consequenti videtur quod secundum hoc eius formatio intelligitur quod elementis naturalis situs attribuitur. Sed hoc non videtur in rerum distinctione ; nam aquae aliquae supra caelos ponuntur, cum tamen naturalis situs aquarum sit sub aere supra terram immediate ; ut patet IV caeli et mundi. Ergo non intelligitur materiae informitas propter confusionem situs praedictam.

5. Si pour autant on dit que la matire est sans forme, parce que les lments navaient pas leur situation propre et naturelle, il semble en consquence, que selon cela on comprend [quil sagit de] la mise en forme, dans la mesure o une situation naturelle est attribue aux lments. Mais cela napparat pas dans la distinction, car certaines eaux sont places au-dessus des cieux ; alors que cependant leur situation naturelle est en dessous de lair, immdiatement sur la terre ; comme on le voit dans Le ciel et le monde, (IV, 5, 312 b 5). Donc on ne comprend pas l'absence de forme de la matire comme une confusion de situation.

q. 4 a. 1Arg. 6 Sed dicendum, quod aquae dicuntur esse supra caelos, in quantum vaporabiliter elevantur ut sint supra caelos.- Sed contra, aquae vaporabiles non possunt supra totum aerem elevari, ut a philosophis probatur ; immo solum usque ad medium aeris interstitium ascendunt. Multo ergo minus possunt elevari supra ignem, ut ulterius supra caelum.

6. Mais il faut signaler qu'on dit que les eaux sont au-dessus des cieux, dans la mesure o elles sՎtaient leves sous forme de vapeur pour sy trouver. En sens contraire, sous cette forme les eaux ne peuvent pas sՎlever au-dessus de latmosphre, comme le prouvent les philosophes ; au contraire elles montent seulement jusquՈ lintermdiaire des intersticesde lair[530]. Donc elles peuvent beaucoup moins s'lever au-dessus du feu, comme au-del au-dessus du ciel.

q. 4 a. 1Arg. 7 Praeterea, informitas materiae designatur in hoc quod dicitur : terra erat inanis et vacua. Sed inanitas materiae attribuitur respectu virtutis generativae, et vacuitas respectu ornatus, ut a sanctis exponitur, quod consistit in his quae in terra moventur. Ergo informitas materiae non attenditur quantum ad situm, ut sic dici possit quod materiae informitas duratione formationem praecesserit.

7. L' absence de forme de la matire est signale par ce qui en est dit (Gn. 1, 2) La terre tait vide et dserte. Mais le vide est attribu la matire en rapport avec le pouvoir gnrateur et la vacuit avec lornement, qui, comme les saints l'ont expos, consiste en ce qui se meut sur terre. Donc l'absence de forme de la matire ne concerne pas la situation, de sorte quon puisse dire ainsi quelle a prcd sa mise en forme dans la dure.

q. 4 a. 1Arg. 8 Praeterea, qui potest dare aliquid simul, minus liberaliter agit si dat successive ; unde Prov. III, 28 : ne dicas amico tuo : vade, et revertere ; cras dabo tibi. Sed Deus simul dare poterat rebus esse perfectum. Ergo cum sit liberalissimus, non fecit materiam informem ante eius formationem.

8. Qui peut donner quelque chose, en une seule fois, agit avec moins de libralit sil donne de manire successive. C'est pourquoi, on lit Prov. 3, 28 : Ne dis pas ton ami : Va et reviens ; demain je te le donnerai. Mais Dieu pouvait donner en mme temps un tre parfait aux choses. Donc comme il est suprmement gnreux, il na pas fait la matire sans forme avant sa formation.

q. 4 a. 1Arg. 9 Praeterea, motus a centro ad centrum sequitur elementa secundum quod habent naturales situs. Sed in ipsa informitate materiae apparet quod ibi fuisset motus a centro ad centrum, quia aquae vaporabiles super terram elevabantur, ut dicitur. Ergo elementa iam habebant suos naturales situs.

9. Le mouvement du centre au centre[531] suit les lments selon quils ont des situations naturelles. Mais dans l'absence de forme mme de la matire, il apparat quil y avait un mouvement du centre au centre, parce que les eaux qui pouvaient se vaporiser sՎtaient leves au-dessus de la terre, comme on le dit. Donc les lments avaient dj leurs situations naturelles.

q. 4 a. 1Arg. 10 Praeterea, rarum et densum sunt causa gravis et levis, ut patet IV Phys. Sed iam erat rarum et densum in elementis ; quia dicitur, quod aquae erant rariores quam modo sint. Ergo erat grave et leve, et elementa habebant sua ubi, quae eis attribuuntur ratione levitatis et gravitatis.

10. Le rare et le dense sont causes du lourd et du lger, comme cela parat en Physique, IV, 9, 217 b 11). Mais dj le rare et le dense taient dans les lments, parce qu'il est dit que les eaux taient plus rares, que maintenant. Donc il y avait le lourd et le lger, et les lments avaient leur place, qui leur est attribue en raison de leur lgret ou de leur densit.

q. 4 a. 1Arg. 11 Praeterea, in illa rerum informitate manifeste apparet quod terra suum situm habebat, et datur intelligi quod terra erat aquis cooperta, per hoc quod dicitur, Gen. I, 9 : congregentur aquae in unum locum ; et appareat arida. Ergo pari ratione et alia elementa suum situm habebant ; et ita nulla informitas in materia erat.

11. Dans cette absence de forme, il apparat manifestement que la terre avait sa situation et il est donn comprendre qu'elle tait recouverte par les eaux, cest pour cela quil est dit (Gn. 1, 9) :Que les eaux soient rassembles en un seul lieu, et quapparaisse le terre sche. Donc raison gale les autres lments avaient leur situation, et ainsi il ny avait nulle absence de forme dans la matire.

q. 4 a. 1Arg. 12 Praeterea, a perfecto agente educitur perfectus effectus ; quia omne agens agit sibi simile. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo a principio materiam perfectam produxit, et ita formatam, cum forma sit perfectio materiae.

12. Leffet parfait vient dun agent parfait, parce que tout agent fait du semblable soi. Mais Dieu est lagent absolument parfait. Donc, au commencement, il produisit la matire parfaite et ainsi mise en forme, puisque la forme est la perfection de la matire.

q. 4 a. 1Arg. 13 Praeterea, si materia informis formationem rerum duratione praecessit ; aut materia sic existens carebat omni forma, aut habebat aliquam formam. Si omni forma carebat, tunc erat tantum in potentia et non in actu ; et ita nondum erat creata, cum creatio terminetur ad esse. Si autem habebat aliquam formam, aut illa erat aliqua forma elementaris, aut forma mixti. Si forma elementaris, aut habebat tantum unam formam, aut diversas. Si diversas, ergo iam erat diversitas per diversas elementares formas. Si unam tantum, sequitur quod aliqua forma elementi sit naturaliter prius in materia quam aliae ; et ita unum elementum erat principium aliorum elementorum, sicut antiquissimi naturales posuerunt dicentes unum tantum elementum esse ; quod a philosopho improbatur. Si autem habebat formam mixti, ergo forma mixti naturaliter est prius in materia quam forma elementorum ; quod patet esse falsum ; quia mixtio non fit nisi per hoc quod aliquid elementa movet ad formam mixti. Ergo non potest esse quod materia fuerit prius informis quam formata.

13. Si la matire sans forme a prcd la mise en forme en dure, ou bien la matire en un tel tat manquait de toute forme, ou bien elle en avait une. Si elle manquait de toute forme, elle tait alors seulement en puissance et non en acte ; et ainsi elle nՎtait pas encore cre, puisque la cration se termine lՐtre. Mais si elle avait une forme, ou celle-ci tait une forme lmentaire, ou la forme dun mixte. Si cՎtait une forme lmentaire, ou bien elle avait seulement une forme ou des formes diverses. Si elles taient diverses, donc il y avait dj de la diversit par les diverses formes lmentaires. S'il n'y en avait qu'une, il en dcoule qu'une forme de lՎlment serait naturellement dans la matire avant les autres, et ainsi un seul lment tait le principe des autres, comme les trs anciens Naturalistes le pensaient, disant quil nen existait quun seul[532]. Ce qui est dsapprouv par le philosophe (La gnration et la corruption, II, 5, 331 b 5). Si elle avait la forme dun mixte, alors celle-ci est naturellement dans la matire avant la forme des lments, ce qui parat faux, parce que le mlange ne se fait que si quelque chose amne les lments la forme du mixte. Donc il n'est pas possible que la matire ait t sans forme avant dՐtre en forme.

q. 4 a. 1Arg. 14 Sed dices, quod materia habebat formas elementorum ; sed non secundum illum modum quo nunc sunt, quia aquae erant rariores, et in modum vaporis aeri permixtae.- Sed contra, forma uniuscuiusque elementi requirit determinatam mensuram raritatis vel densitatis, sine qua esse non potest. Raritas autem per quam aliquid ascendit in locum aeris excedit conditionem aquae ; quia natura aquae est ut sit gravis respectu aeris. Ergo si erat tanta subtilitas quod aquae evaporabiliter ad locum aeris ascenderent, non habebant speciem aquae ; et ita non erant in materia formae elementares, cuius contrarium supra dictum est.

14. Mais on pourrait dire que la matire avait la forme des lments ; mais pas de cette manire dont ils existent maintenant, parce que les eaux taient plus rares et mles lair sous forme de vapeur. En sens contraire, la forme de chaque lment requiert une mesure dtermine de rare et de dense, sans laquelle elle ne peut pas exister. Mais le rare par laquelle quelque chose monte dans un espace de lair dpasse la condition de leau, parce que sa nature est d'tre plus lourde que l'air. Donc s'il y avait une telle subtilit que les eaux montent la place de l'air sous forme de vapeur, elles navaient pas la nature de l'eau, et ainsi il n'y avait pas de formes lmentaires dans la matire ; [or] on a dit le contraire ci-dessus.

q. 4 a. 1Arg. 15 Praeterea, per opera sex dierum, formata sunt ex informi materia diversa rerum genera. Sed inter alia sex dierum opera, firmamentum secundo die est formatum. Si ergo materia informis subiacebat elementaribus formis sequetur quod caelum sit factum ex quatuor elementis ; quod a philosopho improbatur.

15. Par luvre des six jours, diffrents genres dՐtres ont t forms partir de la matire informe. Mais parmi les autres uvres des six jours, le firmament a t form le second jour. Si donc la matire informe dpendait des formes lmentaires, il en dcoulerait que le ciel a t fait partir des quatre lments, ce qui est dsapprouv par le Philosophe (Le ciel et le monde, I, com. 5 et s[533].)

q. 4 a. 1Arg. 16 Praeterea, sicut se habet corpus naturale ad figuram, ita se habet materia ad formam. Sed corpus naturale non potest esse quin habeat aliquam figuram. Ergo nec materia potest esse quin sit formata.

16. De la mme manire que le corps naturel se comporte vis--vis de son aspect, la matire se comporte vis--vis de la forme. Mais un corps naturel ne peut pas exister sans son aspect[534]. Donc la matire ne peut pas exister sans forme.

q. 4 a. 1Arg. 17 Praeterea, si formatio materiae a principio suae creationis non fuit, tunc aquarum congregatio, quae tertio die legitur, non semper fuit. Sed hoc videtur impossibile ; quia si aquae undique operiebant terram, non erat ubi possent congregari. Ergo videtur quod materia informis rerum formationem non praecesserit. Quod autem aqua undique operiret terram, apparet ex hoc quod elementa sunt separata, ut probatur in III caeli et mundi.

17. Si la mise en forme de la matire na pas eu lieu au dbut de sa cration, alors le rassemblement des eaux qui eut lieu le troisime jour, na pas toujours exist. Mais cela parat impossible, parce que, si les eaux couvraient la terre de tous cts, il ny avait pas de lieu o elles puissent se rassembler. Donc il semble que la matire sans forme naura pas prcd la mise en forme des choses. Mais que leau ait couvert la terre de tous cts, il apparat que cela vient du fait que les lments ont t spars, comme on le prouve dans Le ciel et le monde (III, 7, 305 b 12 b 26) et s.)

q. 4 a. 1Arg. 18 Sed diceretur, quod erat aliqua concavitas infra terram, in quam partes descenderunt et ita terram locum praebuit aquis.- Sed contra, huiusmodi concavitates vel cavernositates in terra causantur propter aliquas lapidositates, ex quibus superiores partes terrae retinentur, ne ad centrum descendant ; quod quidem tunc esse non poterat ; quia cum lapides sint corpora mixta, sequeretur quod corpus mixtum fuisset ante formationem elementorum. Ergo huiusmodi cavernositates esse non poterant.

18. Mais on pourrait dire qu'il y avait une cavit sous la terre o les parties descendirent et ainsi, elle offrit la terre comme lieu pour les eaux. En sens contraire, ces cavits ou ces trous ont t causs dans la terre cause des pierrailles qui ont soutenu les parties suprieures de la terre, pour quelles ne descendent pas vers le centre ; ce qui alors tait impossible ; puisque les pierres sont des corps mixtes ; il en dcoulerait que le corps mixte aurait exist avant la mise en forme des lments. Donc de telles cavits ne pouvaient pas exister.

q. 4 a. 1Arg. 19 Praeterea, si cavernositates aliquae erant in terra, non poterant esse vacuae. Ergo erant plenae aere, vel aqua ; quod videtur impossibile, cum subsidere terrae sit contra naturam utriusque.

19. S'il existait des cavits dans la terre, elles ne pouvaient pas tre vides. Donc elles taient emplies dair ou deau, ce qui parat impossible, puisque se situer sous la terre serait contre la nature de ces deux lments.

q. 4 a. 1Arg. 20 Praeterea, aut aqua cooperiens terram undique naturalem situm habebat, aut non. Si naturalem situm habebat, ergo ab illa dispositione non poterat removeri, nisi per violentiam ; quia a loco in quo corpus quiescit naturaliter, non removetur nisi per violentiam. Hoc autem non competit primae rerum institutioni, per quam natura instituitur, cui violentia repugnat. Si autem erat ille situs aquae violentus, per suam naturam redire poterat ad illam dispositionem quam non habebat ; quia a loco in quo quiescit aliquid violenter, movetur naturaliter ; et ita non oportebat poni inter opera formationis quod aquae in unum locum congregarentur.

20. Ou l'eau qui recouvrait la terre de toutes parts avait une situation naturelle ou elle ne l'avait pas. Si elle en avait un, l'eau nen pouvait tre dplace que par violence, parce qu'on ne dplace dun lieu que par violence le corps qui y est tabli naturellement. Mais cela ne fait pas partie du premier tablissement des choses, par qui la nature est tablie, laquelle rpugne la violence. Mais si cette situation tait violente pour leau, elle pouvait par sa propre nature revenir cette disposition qu'elle n'avait pas ; parce quune chose sՎloigne naturellement d'un lieu dans lequel elle est tablie avec violence, elle se meut naturellement ; et ainsi il ne fallait pas placer parmi les uvres de mise en forme le rassemblement des eaux.

q. 4 a. 1Arg. 21 Praeterea, secundum hunc ordinem res institutae sunt quem naturaliter habent. Sed naturaliter distincta sunt priora quam confusa, sicut simplex est naturaliter prius composito. Ergo non fuit conveniens rerum institutioni quod res primo fuerint in quadam confusione, et postmodum distinguerentur.

21. Les choses ont t tablies selon l'ordre qu'elles ont naturellement. Mais elles ont t spares naturellement avant d'tre mles, puisque le simple est naturellement avant le compos. Donc il n'a pas t convenable pour leur institution qu'elles aient t d'abord en une certaine confusion et qu'elles soient spares ensuite.

q. 4 a. 1Arg. 22 Praeterea, processus de actu in potentiam non competit rerum institutioni, sed magis corruptioni ; res enim fiunt per hoc quod de potentia in actum reducuntur. Sed procedere a mixtis ad elementa, est procedere de actu in potentiam, cum elementa sint quasi materia respectu formae mixti. Ergo non fuit conveniens rerum institutioni quod prius fierent in quadam confusione et mixtione, et postmodum distinguerentur.

22. Le passage de l'acte la puissance n'appartient pas l'tablissement des choses, mais plutt leur corruption : car les choses deviennent par le fait quelles sont amenes de la puissance l'acte. Mais procder des mixtes aux lments, c'est procder de l'acte la puissance, puisque les lments sont comme la matire en rapport avec la forme du mixte. Donc il n'a pas t convenable pour l'tablissement des choses que d'abord elles soient faites dans une certaine confusion et un certain mlange et qu'elles soient spares ensuite.

q. 4 a. 1Arg. 23 Praeterea, hoc videtur esse consonum erroribus antiquorum philosophorum ; scilicet opinioni Empedoclis, qui ponebat per litem partes mundi esse ad invicem distinctas, cum prius fuerint confusae per amicitiam ; et Anaxagorae, qui posuit quod cum aliquando omnia simul essent, intellectus incepit distinguere separando ab illo confuso et commixto. Quae quidem opiniones sufficienter a philosophis posterioribus improbantur. Ergo non est ponendum quod informitas vel confusio materiae rerum formationem duratione praecederet.

23.Cela parat en accord avec les erreurs des anciens philosophes ; savoir avec l'opinion d'Empdocle qui pensait que les parties du monde avaient t distingues les unes des autres par conflit, puisque d'abord elles avaient t mles par amiti ; et avec celle d'Anaxagore qui a pens que lorsque tout tait ensemble certains moments, l'intellect commenait apporter ses distinctions en sparant de ce qui tait confus et mlang. Ces opinions ont t suffisamment dsapprouves par les philosophes suivants. Donc il ne faut pas penser que l'absence de forme ou la confusion de la matire prcderait en dure la mise en forme des choses.

 

En sens contraire :

q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Gregorius exponens illud Eccli. XVIII, 1 : qui vivit in aeternum, creavit omnia simul, dicit quod omnia sunt simul creata per substantiam materiae, sed non per speciem formae ; quod esse non posset, nisi prius fuisset substantia materiae quam species formae inesset. Ergo materia informis duratione praecessit rerum formationem.

1. Grgoire [le Grand], quand il expose ce verset de l'Eccl. 18,1 : Celui qui vit ternellement a cr tout en mme temps, (les Morales, XXXII, ch. 9, dans les exemplaires nouveaux), dit que tout a t cr en mme temps par la substance de la matire mais non par la nature de la forme, ce qui n'tait possible que s'il y avait eu la substance avant que la nature de la forme y soit inclue. Donc la matire sans forme a prcd en dure la mise en forme des choses.

q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod non est, non potest habere aliquam operationem. Sed materia informis habet aliquam operationem ; appetit enim formam, ut dicitur III Phys. Ergo materia potest esse sine forma ; et ita non est inconveniens, si materia informis ponatur duratione rerum formationem praecessisse.

2. Ce qui n'existe pas ne peut pas avoir d'opration. Mais la matire sans forme en a une ; car elle dsire la forme, comme il est dit (Physique I, 9, 191 b 25). Donc la matire peut exister sans forme et ainsi il nest pas inconvenant de penser que celle-ci a prcd en dure la mise en forme.

q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Deus plus potest operari quam natura. Sed natura facit de ente in potentia ens actu. Ergo Deus potest facere de ente simpliciter ens in potentia ; et ita potuit facere materiam sine forma existentem.

3. Dieu peut faire plus que la nature. Mais la nature fait de l'tant en puissance un tant en acte. Donc Dieu peut faire d'un tant simplement un tant en puissance, et ainsi il a pu faire une matire qui existait sans forme.

q. 4 a. 1 s. c. 4 Praeterea, quod Scriptura sacra dicit fuisse aliquando, non est dicendum non fuisse ; quia ut Augustinus dicit, contra Scripturam sacram nemo Christianus sentit. Scriptura autem divina dicit, terram aliquando fuisse inanem et vacuam. Ergo non est dicendum quin aliquando fuerit inanis et vacua. Hoc autem pertinet ad informitatem materiae, quocumque modo exponatur. Ergo aliquando substantia materiae praecessit formationem ; alias nunquam informis fuisset.

4. L'criture sainte rvle quon ne peut dire que ce qui a exist une fois na pas exist, parce que, comme le dit Augustin (La Trinit, V), aucun chrtien ne pense contre l'criture sainte. Mais celle-ci dit que la terre fut certains moments vide et dserte. Donc il ne faut pas dire pourquoi un certain moment la terre aura t vide et dserte. Cela concerne l'absence de forme de la matire de quelque manire qu'on l'expose. Donc un certain moment, la substance de la matire a prcd sa mise en forme, autrement jamais elle aurait t sans forme.

q. 4 a. 1 s. c. 5 Praeterea, simul condita est spiritualis et corporalis creatura, ut ex superiori quaestione iam patuit. In spirituali autem creatura informitas formationem praecessit etiam duratione. Ergo eadem ratione et in corporali. Probatio mediae. Formatio creaturae spiritualis intelligitur secundum quod ad verbum convertitur, quod est eius illuminatio. Simul autem facta luce divisum est inter lucem et tenebras. Per tenebras autem in spirituali creatura peccatum intelligitur. Peccatum autem esse non potuit in primo instanti creationis Angelorum, quia tunc Daemones nunquam fuissent boni. Ergo spiritualis creatura non fuit formata in primo instanti suae creationis.

5. La crature spirituelle et la crature corporelle ont est cres en mme temps, comme cela a t montr dans la question 3, article 18. Mais, dans la crature spirituelle, l'absence de forme a prcd sa mise en forme mme en dure. Donc, pour la mme raison, dans la crature corporelle aussi. Preuve intermdiaire : on comprend la mise en forme de la crature spirituelle selon qu'elle se tourne vers le Verbe qui est son illumination. Mais en mme temps que la lumire a t faite, il y eut la division entre la lumire et les tnbres. Et par les tnbres, on comprend le pch dans la crature spirituelle. Mais le pch n'a pas pu exist au premier instant de la cration des anges, parce que, alors, les dmons n'auraient jamais t bons[535]. Donc la crature spirituelle n'a pas t mise en forme au premier instant de la cration.

q. 4 a. 1 s. c. 6 Praeterea, illud ex quo est aliquid, etiam tempore praecedit quod est ex eo. Sed Deus ex invisa materia, quae est materia informis secundum Augustinum, creavit orbem terrarum, ut dicitur sapientiae XI, 18. Ergo materia informis tempore praecessit orbem terrarum formatum. Probatio primae. Secundum philosophum, fieri rerum dupliciter exprimi potest. Uno modo ut dicatur : hoc fit hoc per se, quod convenit subiecto ; ut cum dicimus, homo fit albus ; per accidens autem, ut ex privatione et contrario, ut cum dicitur : non album, vel nigrum fit album. Alio modo, ut dicatur : ex hoc fit hoc ; quod quidem subiecto non competit nisi ratione privationis. Non enim dicimus quod ex homine fiat albus ; sed quod ex non albo vel nigro, fit album ; vel etiam ex homine nigro vel non albo. Id igitur ex quo est aliquid, vel est privatio sive contrarium, vel est materia privationi vel contrario subiecta. Utroque autem modo oportet tempore praecedere ex quo aliquid fit ; quia opposita non possunt esse simul, nec materia simul tempore potest subesse privationi et formae. Ergo id ex quo aliquid fit, tempore praecedit id quod fit ex eo.

6. Ce dont vient quelque chose prcde dans le temps ce qui en vient. Mais Dieu, de la matire invisible, qui est la matire sans forme, selon Augustin (La Gense au sens littral, I, XV, 30[536]) a cr l'univers, comme le dit la Sagesse, 11, 18. Donc la matire sans forme a prcd dans le temps l'univers en forme. Preuve de la premire [proposition] : Selon le philosophe (Physique 1, 6, 188 a 30 188 b 8) on peut exprimer le devenir des choses de deux manires : 1) D'abord pour dire : ceci devient cela par soi, ce qui convient au substrat, comme lorsquon dit : l'homme devient blanc ; par accident aussi comme d'une privation et d'un contraire, comme quand on dit le non blanc, ou le noir devient blanc. 2) D'une autre manire, pour dire ceci est fait de cela ; ce qui ne convient au substrat qu'en raison de la privation. Car nous ne disons pas quil devient blanc partir d'un homme[537] ; mais que de non blanc ou de noir, il devient blanc ; ou aussi d'un homme noir ou non blanc. Donc ce do vient quelque chose, est une privation ou son contraire, ou c'est une matire sujette la privation ou au contraire. Mais des deux manires, il faut que ce de quoi quelque chose est fait le prcde dans le temps, parce que les opposs ne peuvent pas tre ensemble, et la matire ne peut pas tre soumise la privation et la forme en mme temps. Donc ce de quoi une chose est faite, prcde dans le temps ce qui est fait de lui.

q. 4 a. 1 s. c. 7 Praeterea, operatio naturae imitatur in quantum potest operationem Dei, sicut operatio causae secundae operationem causae primae. Sed naturae processus in operando est de imperfecto ad perfectum. Ergo et Deus etiam prius tempore imperfectum produxit, et postea perfectum ; et sic informis materia formationem praecessit.

7. L'opration de la nature imite autant qu'elle le peut l'opration de Dieu, comme l'opration de la cause seconde imite celle de la cause premire. Mais le processus de la nature, en oprant, fait passer de l'imparfait au parfait. Donc Dieu aussi a produit, dans le temps, l'imparfait avant et le parfait ensuite et ainsi la matire sans forme a prcd sa mise ne forme.

q. 4 a. 1 s. c. 8 Praeterea, Augustinus dicit, quod ubi Scriptura in principio terram et aquam commemorat, cum dicitur Genes. I, 2 : terra erat inanis et vacua, et spiritus domini ferebatur super aquas ; non ideo nominatur terra et aqua quia iam talis erat, sed quia talis esse poterat. Ergo aliquando materia prima nondum habebat speciem aquae vel terrae, sed tantum habere poterat ; et sic materia informis formationem praecessit.

8. Augustin dit qu'au commencement, l o l'criture fait mention de la terre et de l'eau, comme il est dit dans Gn. 1, 2 : La terre tait vide et dserte et l'Esprit du Seigneur tait port sur les eaux, la terre et l'eau ne sont pas dsignes parce qu'elles taient dj telles, mais parce qu'elles pouvaient tre telles. Donc certains moments, la matire premire n'avait pas encore la forme de l'eau ou de la terre, mais elle pouvait seulement l'avoir. Et ainsi la matire sans forme a prcd sa mise ne forme.

 

Rponse :

q. 4 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut dicit Augustinus, circa hanc quaestionem potest esse duplex disceptatio : una de ipsa rerum veritate ; alia de sensu litterae, qua Moyses divinitus inspiratus principium mundi nobis exponit. Quoad primam disceptationem duo sunt vitanda ; quorum unum est ne in hac quaestione aliquid falsum asseratur, praecipue quod veritati fidei contradicat ; aliud est, ne quidquid verum aliquis esse crediderit, statim velit asserere, hoc ad veritatem fidei pertinere ; quia, ut Augustinus dicit: obest, si ad ipsam doctrinae pietatis formam pertinere arbitretur falsum, scilicet quod credit, et pertinacius affirmare audeat quod ignorat. Propter hoc autem obesse dicit, quia ab infidelibus veritas fidei irridetur, cum ab aliquo simplici et fideli tamquam ad fidem pertinens proponitur aliquid quod certissimis documentis falsum esse ostenditur, ut etiam dicit I super Genes. ad litteram. Circa secundam disceptationem duo etiam sunt vitanda. Quorum primum est, ne aliquis id quod patet esse falsum, dicat in verbis Scripturae, quae creationem rerum docet, debere intelligi ; Scripturae enim divinae a spiritu sancto traditae non potest falsum subesse, sicut nec fidei, quae per eam docetur. Aliud est, ne aliquis ita Scripturam ad unum sensum cogere velit, quod alios sensus qui in se veritatem continent, et possunt, salva circumstantia litterae, Scripturae aptari, penitus excludantur ; hoc enim ad dignitatem divinae Scripturae pertinet, ut sub una littera multos sensus contineat, ut sic et diversis intellectibus hominum conveniat, ut unusquisque miretur se in divina Scriptura posse invenire veritatem quam mente conceperit ; et per hoc etiam contra infideles facilius defendatur, dum si aliquid, quod quisque ex sacra Scriptura velit intelligere, falsum apparuerit, ad alium eius sensum possit haberi recursus. Unde non est incredibile, Moysi et aliis sacrae Scripturae auctoribus hoc divinitus esse concessum, ut diversa vera, quae homines possent intelligere, ipsi cognoscerent, et ea sub una serie litterae designarent, ut sic quilibet eorum sit sensus auctoris. Unde si etiam aliqua vera ab expositoribus sacrae Scripturae litterae aptentur, quae auctor non intelligit, non est dubium quin spiritus sanctus intellexerit, qui est principalis auctor divinae Scripturae. Unde omnis veritas quae, salva litterae circumstantia, potest divinae Scripturae aptari, est eius sensus. His ergo suppositis, sciendum est quod diversi expositores sacrae Scripturae diversos sensus ex principio Genesis acceperunt ; quorum nullus fidei veritati repugnat. Et quantum ad praesentem pertinet quaestionem, diversificati sunt in duas vias, dupliciter informitatem materiae accipientes, quae signatur in principio Genesis ubi dicit: terra autem erat inanis et vacua. Quidam namque intellexerunt, praedictis verbis talem informitatem materiae significari, secundum quod materia intelligitur absque omni forma, in potentia tamen existens ad omnes formas ; talis autem materia non potest in rerum natura existere, quin aliqua forma formetur. Quidquid enim in rerum natura invenitur, actu existit, quod quidem non habet materia nisi per formam, quae est actus eius ; unde non habet sine forma in rerum natura inveniri. Et iterum, cum nihil possit contineri in genere quod per aliquam generis differentiam ad speciem non determinetur, non potest materia esse ens, quin ad aliquem specialem modum essendi determinetur ; quod quidem non fit nisi per formam. Unde si sic materia informis intelligatur, impossibile est quod duratione formationem praecesserit, sed praecessit tantum ordine naturae, secundum quod illud ex quo fit aliquid, naturaliter est prius eo, sicut nox est prior creata. Et haec fuit opinio Augustini. Alii vero intellexerunt informitatem materiae non secundum quod materia omni forma caret, sed secundum quod dicitur aliquid informe quod nondum habet ultimum suae naturae complementum et decorem ; et secundum hoc potest poni, quod etiam duratione informitas rerum formationem praecesserit. Quod quidem si ponatur, ordini sapientiae artificis congruere videtur, qui res ex nihilo producens in esse, non statim post nihilum in ultima perfectione naturae eas instituit, sed primo fecit eas in quodam esse imperfecto ; et postea eas ad perfectum adduxit ; ut sic et eorum esse ostenderetur a Deo procedere, contra illos qui ponunt materiam increatam ; et nihilominus perfectionis rerum ipse etiam auctor appareret, contra eos qui rerum inferiorum formationem causis alii adscribunt. Et hoc intellexit magnus Basilius, Gregorius, et alii sequaces eorum. Quia ergo neutrum a veritate fidei discordat, et utrumque sensum circumstantia litterae patitur ; utrumque sustinentes ad utrasque rationes respondeamus.

Comme le dit Augustin (Confessions, XII) propos de cette question, il peut y avoir une double discussion : 1) sur la vrit, 2) sur le sens de la lettre, par laquelle Mose, divinement inspir, nous a expos le commencement du monde.

Quoad primam disceptationem duo sunt vitanda ; quorum unum est ne in hac quaestione aliquid falsum asseratur, praecipue quod veritati fidei contradicat ; aliud est, ne quidquid verum aliquis esse crediderit, statim velit asserere, hoc ad veritatem fidei pertinere ; quia, ut Augustinus dicit : obest, si ad ipsam doctrinae pietatis formam pertinere arbitretur falsum, scilicet quod credit, et pertinacius affirmare audeat quod ignorat. Propter hoc autem obesse dicit, quia ab infidelibus veritas fidei irridetur, cum ab aliquo simplici et fideli tamquam ad fidem pertinens proponitur aliquid quod certissimis documentis falsum esse ostenditur, ut etiam dicit I super Genes. ad litteram.

Pour la premire discussion, il faut viter deux cueils :1) Sur cette question quon naffirme rien de faux, surtout ce qui contredirait la vrit de la foi. 2) Ce que quelqu'un aura cru vrai, quil ne veuille pas affirmer aussitt que cela concerne la vrit de la foi ; parce, comme Augustin le dit (Confessions, X) : Il fait du tort, s'il considre comme faux ce qui se rapporte la forme mme de la doctrine de la pit ; savoir qu'il croit et qu'il ose affirmer avec opinitret ce qu'il ignore. Il dit quon fait du tort, parce la vrit de la foi est tourne en drision par les infidles[538], quand un simple fidle propose, comme appartenant la foi, ce qui peut tre dmontr comme faux par des preuves trs sres, comme il le dit La Gense au sens littral, I.

Circa secundam disceptationem duo etiam sunt vitanda. Quorum primum est, ne aliquis id quod patet esse falsum, dicat in verbis Scripturae, quae creationem rerum docet, debere intelligi ; Scripturae enim divinae a spiritu sancto traditae non potest falsum subesse, sicut nec fidei, quae per eam docetur. Aliud est, ne aliquis ita Scripturam ad unum sensum cogere velit, quod alios sensus qui in se veritatem continent, et possunt, salva circumstantia litterae, Scripturae aptari, penitus excludantur ; hoc enim ad dignitatem divinae Scripturae pertinet, ut sub una littera multos sensus contineat, ut sic et diversis intellectibus hominum conveniat, ut unusquisque miretur se in divina Scriptura posse invenire veritatem quam mente conceperit ; et per hoc etiam contra infideles facilius defendatur, dum si aliquid, quod quisque ex sacra Scriptura velit intelligere, falsum apparuerit, ad alium eius sensum possit haberi recursus. Unde non est incredibile, Moysi et aliis sacrae Scripturae auctoribus hoc divinitus esse concessum, ut diversa vera, quae homines possent intelligere, ipsi cognoscerent, et ea sub una serie litterae designarent, ut sic quilibet eorum sit sensus auctoris. Unde si etiam aliqua vera ab expositoribus sacrae Scripturae litterae aptentur, quae auctor non intelligit, non est dubium quin spiritus sanctus intellexerit, qui est principalis auctor divinae Scripturae. Unde omnis veritas quae, salva litterae circumstantia, potest divinae Scripturae aptari, est eius sensus.

Pour la seconde controverse, il faut viter deux cueils. 1) Que personne ne dise qu'on doit comprendre que ce qui parat faux, dans les paroles de lՃcriture qui enseigne la cration. Car dans l'criture divine rapporte par l'Esprit saint, on ne peut pas trouver d'erreur, ni non plus dans la foi, qu'elle enseigne.2) Que personne ne veuille rduire ainsi l'criture un seul sens, de sorte que seraient exclus compltement les autres sens qui contiennent en eux une vrit, et peuvent, si on tient compte du contexte, tre conformes l'criture. Car il appartient la dignit de l'criture divine que sous une lettre unique, elle contienne de nombreux sens, de sorte quelle convient ainsi aux diffrents esprits des hommes, pour que chacun puisse avec admiration trouver en elle la vrit qu'il aura conue dans son esprit ; et par cela aussi, elle est dfendue plus facilement contre les infidles, puisque, si un sens que chacun veut comprendre de l'criture aura paru faux, on peut recourir un autre. C'est pourquoi il n'est pas incroyable que cela ait t transmis de faon divine Mose et aux autres auteurs de l'criture sainte, pour que les hommes connaissent les diverses vrits quils pourraient comprendre et ce quelles rvlent sous un seul sens littral, de sorte que nimporte laquelle dentre d'elles soit le sens de l'auteur. C'est pourquoi, si aussi quelques vrits que l'auteur ne comprend pas sont adaptes par les commentateurs de la lettre de l'criture sainte, il n'est pas douteux que l'Esprit saint les aura comprises, lui qui en est l'auteur principal. C'est pourquoi toute vrit qui, quand on tient compte du contexte, peut tre adapte l'criture divine, est son sens[539].

His ergo suppositis, sciendum est quod diversi expositores sacrae Scripturae diversos sensus ex principio Genesis acceperunt ; quorum nullus fidei veritati repugnat. Et quantum ad praesentem pertinet quaestionem, diversificati sunt in duas vias, dupliciter informitatem materiae accipientes, quae signatur in principio Genesis ubi dicit : terra autem erat inanis et vacua.

Cela tant suppos, il faut savoir que les divers commentateurs de l'criture sainte ont accept diffrents sens pour le commencement de la Gense, dont aucun ne s'oppose la vrit de la foi. Sur la question prsente, ils se sont spars en deux voies, en admettant de deux manires la mise en forme de la matire, qui est signale au dbut de la Gense, l o il est dit : Mais la terre tait vide et dserte.

Quidam namque intellexerunt, praedictis verbis talem informitatem materiae significari, secundum quod materia intelligitur absque omni forma, in potentia tamen existens ad omnes formas ; talis autem materia non potest in rerum natura existere, quin aliqua forma formetur. Quidquid enim in rerum natura invenitur, actu existit, quod quidem non habet materia nisi per formam, quae est actus eius ; unde non habet sine forma in rerum natura inveniri.

A) Car certains ont compris qu'une telle absence de forme de la matire tait signifie par ces mots ci-dessus ; selon que la matire est comprise sans aucune forme, en puissance cependant toutes les formes, mais une telle matire ne peut pas exister dans la nature, sans que qu'elle ne soit mise en quelque forme. Car tout ce qu'on trouve dans la nature, existe en acte, ce que la matire n'a que par la forme, qui est son acte ; c'est pourquoi on n'a pas la trouver sans forme dans la nature.

Et iterum, cum nihil possit contineri in genere quod per aliquam generis differentiam ad speciem non determinetur, non potest materia esse ens, quin ad aliquem specialem modum essendi determinetur ; quod quidem non fit nisi per formam. Unde si sic materia informis intelligatur, impossibile est quod duratione formationem praecesserit, sed praecessit tantum ordine naturae, secundum quod illud ex quo fit aliquid, naturaliter est prius eo, sicut nox est prior creata. Et haec fuit opinio Augustini.

Et en plus, comme rien ne peut tre contenu dans un genre sans tre dtermin par une diffrence de genre pour lespce, la matire ne peut tre un tant sans tre dtermine un mode particulier d'tre ; ce qui ne se fait que par la forme. C'est pourquoi, si on comprend ainsi la matire sans forme, il est impossible qu'elle ait prcd en dure la mise en forme, mais elle l'a prcde seulement dans l'ordre de la nature, selon que, ce dont quelque chose est fait est naturellement avant lui, comme la nuit est cre la premire. Et telle fut l'opinion d'Augustin.

Alii vero intellexerunt informitatem materiae non secundum quod materia omni forma caret, sed secundum quod dicitur aliquid informe quod nondum habet ultimum suae naturae complementum et decorem ; et secundum hoc potest poni, quod etiam duratione informitas rerum formationem praecesserit. Quod quidem si ponatur, ordini sapientiae artificis congruere videtur, qui res ex nihilo producens in esse, non statim post nihilum in ultima perfectione naturae eas instituit, sed primo fecit eas in quodam esse imperfecto ; et postea eas ad perfectum adduxit ; ut sic et eorum esse ostenderetur a Deo procedere, contra illos qui ponunt materiam increatam ; et nihilominus perfectionis rerum ipse etiam auctor appareret, contra eos qui rerum inferiorum formationem causis alii adscribunt. Et hoc intellexit magnus Basilius, Gregorius, et alii sequaces eorum. Quia ergo neutrum a veritate fidei discordat, et utrumque sensum circumstantia litterae patitur ; utrumque sustinentes ad utrasque rationes respondeamus.

B) D'autres ont compris l'absence de forme de la matire, non parce qu'elle manque de toute forme ; mais selon qu'on la dsigne comme quelque chose sans forme, parce qu'elle n'a pas encore lachvement ultime de sa nature et sa beaut et, pour cela on peut penser que l'absence de forme a prcd en dure la mise en forme. Ainsi on pense que cela semble convenir l'ordre de la sagesse de l'artiste, qui, amenant les choses du nant l'tre, ne les a pas tablies aussitt aprs le nant, dans la perfection ultime de leur nature ; mais que d'abord il les fit dans un certain tre imparfait, et ensuite il les a amenes la perfection ; pour montrer quainsi leur tre procde de Dieu, contre ceux qui pensent que la matire est incre. Nanmoins il paratrait l'auteur mme de la perfection des choses contre ceux qui attribuent un autre la mise en forme des choses infrieures par les causes. Et cest cela que Basile [le Grand] et Grgoire [de Naziance] et leurs successeurs ont compris. Donc parce qu'aucun des deux n'est en discordance avec la vrit de la foi, et que le contexte supporte l'un et l'autre sens, rpondons en soutenant l'un et l'autre, pour ces deux raisons.

 

Solutions :

q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de materia informi, secundum quod intelligitur absque omni forma ; et sic necesse est dicere, quod informitas solo ordine naturae formationem praecedat. Qualiter autem circa formationis ordinem opinetur, in sequenti articulo ostendetur.

# 1. Augustin parle de la matire sans forme, selon qu'elle est comprise sans forme aucune, et ainsi il est ncessaire de dire que cette absence prcde la mise en forme seulement dans l'ordre de la nature. Et on montrera dans l'article suivant quelle opinion avoir sur l'ordre de la mise en forme.

q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circa hoc multipliciter aliqui sunt opinati. Plato enim Scripturam Genesis videns, sic intellexisse dicitur numerum elementorum et ordinem ibi significari, ut terra et aqua propriis nominibus exprimantur. Aqua autem super terram esse intelligitur, ex hoc quod ibi, scriptum est : congregentur aquae in locum unum ; et appareat arida. Supra quae duo, aerem intellexit in hoc quod dicitur : spiritus domini ferebatur super aquas, aerem nomine spiritus intelligens. Ignem vero in nomine caeli intellexit, quod omnibus supereminet.

# 2. A ce sujet quelques-uns ont pens de multiples faons. a) Car on dit que Platon, voyant le texte la Gense[540], a compris que le nombre des lments et leur ordre y tait signal de sorte que la terre et leau sont dsignes par leurs noms propres. Mais on comprend que l'eau a exist sur la terre du fait qu'il est crit (Gn. 1, 9) : Que les eaux se rassemblent dans un lieu unique, qu'apparaisse la terre sche. Au dessus de ces deux lments, il a compris l'air dans ce qui est dit : Le souffle du Seigneur tait port sur les eaux, comprenant l'air sous le nom de souffle. Et il a compris le feu sous le nom de ciel, qui est au-dessus de tout.

Sed quia, secundum Aristotelis probationes, caelum igneae naturae esse non potest, ut eius motus circularis demonstrat, Rabbi Moyses Aristotelis sententiam sequens, cum Platone in tribus primis concordans, ignem significatum esse dixit per tenebras, eo quod ignis in propria sphaera non luceat ; et situs eius declaratur in hoc quod dicitur : super faciem abyssi. Quintam vero essentiam nomine caeli significatam esse intelligit.

b) Mais parce que, selon les preuves donnes par Aristote (Le ciel, II, 2, 269 a 18 269 a 26), il ne peut pas exister un ciel de nature igne, comme son mouvement circulaire le montre[541], Rabbi Moyses suivant l'opinion d'Aristote, d'accord avec Platon sur les trois premiers points, a dit que le feu tait signifi par les tnbres parce que le feu ne brille pas dans sa propre sphre ; et son lieu est rvl dans ce qui est dit : sur la face de l'abme. Mais il comprend que le nom du ciel signifie la quinte essence.

Sed quia, ut dicit Basilius in Hexameron, non est consuetudo sacrae Scripturae, ut per spiritum domini aer intelligatur, per corpora extrema quae posuit, dedit intelligere media ; et praecipue quia aquam et terram sensui manifestum est corpora esse, aer vero et ignis non ita sunt simplicibus manifesta, quibus etiam instruendis Scriptura tradebatur.

c) Mais parce que, comme le dit Basile dans l'Hexaemeron (Homlie 2), ce n'est pas lhabitude de l'criture sainte de comprendre l'air comme le souffle du Seigneur, il donna comprendre les intermdiaires par les corps extrmes qu'il tablit. Et principalement parce qu'il est clair pour les sens, que l'eau et la terre sont des corps, mais que l'air et le feu n'apparaissent pas ainsi aux simples qui l'criture tait transmise pour les instruire.

Secundum vero Augustinum, per nomina terrae et aquae, quae commemorantur ante lucis formationem, non intelliguntur elementa suis formis formata, sed ipsa materia informis omni specie carens. Ideo autem potius per haec duo materiae informitas exprimitur quam per alia elementa, quia sunt propinquiora informitati, utpote plus de materia habentia, et minus de forma ; et quia etiam nobis magis sunt nota, et manifestius nobis materiam aliorum ostendunt. Ideo vero non per unum tantum, sed per duo eam significari voluit, ne si alterum tantum posuisset, veraciter crederetur hoc esse informis materia.

d) Selon Augustin (Les LXV questions[542], qu. 21) par les noms de terre et d'eau dont il est fait mention avant la formation de la lumire, on ne comprend pas les lments mis en forme mais la matire elle-mme, sans forme, sans aucune espce. Aussi c'est plutt par ces deux termes, que s'exprime l'absence de forme de la matire, plus que par les autres lments, parce quils sont plus proches de l'absence de forme comme ayant plus de matire, et moins de forme ; et ils nous sont mieux connus et ils nous montrent plus clairement la matire des autres. C'est pourquoi il n'a pas voulu qu'elle soit signifie par lun seulement, mais par les deux, pour que si seulement l'autre ne lavait pas pu, on crut vraiment que c'tait une matire sans forme.

q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in illo rerum principio informitate quadam in rebus existente secundum opinionem Basilii et aliorum sanctorum, non oportet ponere quod elementa suis qualitatibus naturalibus carerent. Sed utraque habebant formas, substantiales scilicet, et accidentales.

# 3. En ce commencement des cratures, selon l'opinion de Basile et des autres saints, il ne faut pas penser que par leur absence de forme les lment manquaient de leurs qualits naturelles. Mais l'une et l'autre avaient des formes, soit substantielles, soit accidentelles.

q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod situs elementorum dupliciter potest considerari. Uno modo quantum ad naturam propriam ; et sic naturaliter ignis aerem continet, aer aquam, et aqua terram. Alio modo quantum ad necessitatem generationis, quae est circa locum medium ; et sic necessarium est ut superficies terrae quantum ad aliquam partem sui sit aquis discooperta ; ut ibi conveniens generatio et conservatio mixtorum esse possit, et praecipue animalium perfectorum, quae aere indigent propter respirationem. Dicendum est ergo, quod illa informitas primi status attenditur non quantum ad situm qui naturalis est elementis secundum se (hunc enim situm omnia elementa habebant), sed quantum ad illum situm qui elementis competit secundum ordinem ad generationem mixtorum. Iste enim situs nondum erat perfectus, quia nec ipsa corpora mixta adhuc prodierant.

# 4. La situation des lments peut tre considre de deux manires : a) Quant sa nature propre. et ainsi le feu entoure naturellement l'air, l'air entoure l'eau et l'eau la terre. b) Pour la ncessit de la gnration, qui est par rapport un lieu intermdiaire. Ainsi il est ncessaire que la surface de la terre, pour l'une de ses parties ne soit pas recouverte par les eaux ; pour quune gnration convenable et la conservation des mixtes y soient possibles, et principalement celle des animaux parfaits qui ont besoin d'air pour respirer. Il faut donc dire que cette absence de forme du premier tat est atteinte non pas pour la situation, qui est naturelle aux lments en soi (car tous les lments ont cette situation), mais pour cette situation qui appartient aux lments en rapport avec la gnration des mixtes. Car cette situation nՎtait pas encore parfaite, parce que les corps mixtes n'avaient pas encore paru.

q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de aquis quae supra caelos sunt diversimode aliqui opinati sunt. Quidam namque dixerunt, aquas illas esse spirituales naturas, quod imponitur Origeni. Sed hoc quidem non videtur ad litteram posse intelligi, cum spiritualibus naturis situs non competat ; ut sic inter eas et inferiores aquas corporeas dividat firmamentum, ut Scriptura tradit.

# 5. Au sujet des eaux qui sont au-dessus des cieux, ils ont pens de diverses manires :Car certains ont dit que ces eaux taient des natures spirituelles, ce qui est attribu Origne. Mais cela ne semble pas pouvoir tre pris au sens littral, puisque la situation ne convient pas aux natures spirituelles ; de sorte que quil partage le firmament entre elles et les eaux corporelles infrieures, comme l'criture le rapporte.

Unde alii dicunt, quod nomine firmamenti intelligitur caelum areum nobis vicinum, supra quod elevantur per vaporum ascensionem aquae vaporabiles, quae sunt materia pluviarum : ut sic inter aquas superiores quae sunt in medio aeris interstitio vaporabiliter suspensae, et aquas corporeas quas videmus supra terram consistere, medium existat aereum caelum. Et huic etiam expositioni concordat Rabbi Moyses. Sed hanc non videtur pati litterae circumstantia. Nam postea subditur in littera, quod fecit Deus duo luminaria magna, et stellas ; et posuit eas in firmamento caeli.

C'est pourquoi d'autres disent que, sous le nom de firmament, on comprend le ciel arien qui nous est proche, au-dessus duquel s'lvent les eaux qui peuvent se sublimer par la monte des vapeurs, qui sont la matire des pluies ; pour qu'ainsi, entre les eaux suprieures qui sont suspendues sous forme de vapeur dans l'intervalle intermdiaire de l'air, et les eaux corporelles que nous voyons se tenir sur la terre, il existe un ciel arien intermdiaire. Et Rabbi Moyses (Doct. Perplex, part. II, c. 30) est d'accord avec cette expos. Mais le contexte de la lettre ne semble pas le permettre. Car ensuite il est ajout, dans la lettre, que Dieu fit deux grands luminaires et les toiles, et les plaa dans le firmament.

Et ideo alii dicunt, quod per firmamentum intelligitur caelum sidereum, et quod aquae super caelos existentes sunt de natura aquarum elementarium, et sunt ibi positae ex divina providentia ad temperandum ignis virtutem, ex quo totum caelum constare dicebant, ut Basilius tangit. Et ad hoc astruendum, duplex argumentum Augustinus dicit a quibusdam induci. Quorum unum est, quod si aqua, aliqua rarefactione facta, potest ascendere usque ad medium aeris interstitium ubi pluviae generantur, si amplius divisa rarescat (quia est in infinitum divisibilis, sicut et omne continuum) poterit sua subtilitate supra caelum sidereum conscendere, et ibi convenienter esse. Aliud argumentum est, quod stella Saturni, quae deberet esse calidissima propter velocissimum motum, in quantum eius circulus est maior, invenitur frigidi effectus, quod dicunt ex vicinitate illius aquae contingere praedictam stellam infrigidantis.

Et c'est pourquoi, d'autres disent que, par le firmament, on comprend le ciel toil et que les eaux qui existent au-dessus des cieux sont de la nature des lments aquatiques et ils y sont placs par la providence divine pour temprer le pouvoir du feu, dont ils disaient que tout le ciel se compose, comme Basile le rapporte. Et pour lՎtablir, Augustin dit que certains en ont tir un double argument (La Gense au sens littral, II, IV et V). L'un[543] est que si l'eau, faite par rarfaction peut monter jusqu' l'intervalle intermdiaire de l'air o sont engendres les pluies, si, en plus divise, elle se rarfie (parce quelle est divisible l'infini comme toute matire continue) elle pourra, par sa lgret, monter au-dessus du ciel toil et s'y trouver de manire convenable. L'autre argument (La Gense au sens littral, II, V, 9) est que la plante Saturne qui devrait tre la plus chaude cause de son mouvement trs rapide, dans la mesure o sa circonfrence est plus grande, trouve leffet du froid, ce qu'ils disent venir de la proximit de cette eau qui la refroidit.

Sed haec expositio in hoc videtur deficere, quod asserit quaedam per Scripturam sacram intelligi, quorum contraria satis evidentibus rationibus probantur.

Mais cette exposition semble avoir un dfaut du fait qu'elle affirme qu'on comprend certaines choses par l'criture sainte dont le contraire est prouv par des raisons assez videntes[544].

Primo quidem quantum ad ipsam positionem, quae videtur naturalem situm corporum pervertere. Cum enim unumquodque corpus tanto debeat esse superius quanto formalius, non videtur rerum naturae congruere ut aqua, quae inter omnia corpora est materialior praeter terram, etiam supra ipsum caelum sidereum collocetur ; et iterum ut ea quae sunt unius speciei, diversum locum naturalem sortiantur ; quod erit, si una pars elementi aquae erit immediate supra terram, alia vero supra caelum. Nec est sufficiens responsio, quod omnipotentia Dei aquas illas contra earum naturam supra caelum sustinet ; quia nunc quaeritur qualiter Deus instituerit naturas rerum, non quod ex eis aliquod miraculum potentiae suae velit operari, ut Augustinus in eodem libro dicit.

a) Quant la situation mme des corps qui parat inverser leur situation naturelle. En effet, comme chaque corps doit tre d'autant plus haut qu'il est plus formel[545], il ne semble pas convenir la nature des lments, que leau qui, parmi tous les corps, est plus matrielle, excepte la terre, soit place au-dessus du ciel toil, et en plus, que ce qui est d'une seule nature partage un lieu naturel diffrent, ce qui arrivera si une partie de l'lment eau est immdiatement sur la terre, l'autre au-dessus du ciel. Et, que la toute puissance de Dieu soutienne ces eaux contre leur nature au-dessous du ciel nest pas une rponse satisfaisante ; parce qu'alors on cherche comment Dieu a institu la nature, sans vouloir oprer pour elles un miracle de sa puissance, comme Augustin le dit dans le mme livre.

Secundo, quia ratio de rarefactione vel divisione aquarum videtur omnino vana. Etsi enim corpora mathematica possint in infinitum dividi, corpora tamen naturalia ad certum terminum dividuntur, cum unicuique formae determinetur quantitas secundum naturam, sicut et alia accidentalia. Unde nec rarefactio in infinitum esse potest ; sed usque ad terminum certum qui est in raritate ignis. Et praeterea aqua tantum rarefieri posset quod iam non esset aqua, sed aer vel ignis, si transcenderet modum raritatis aquae. Nec posset naturaliter excedere aeris et ignis spatia, nisi, natura aquae amissa, eorum vinceret raritatem. Nec iterum esset possibile ut corpus elementare, quod est corruptibile, formalius fieret caelo sidereo, quod est incorruptibile, et sic supra ipsum naturaliter collocaretur.

b) Parce que la raison de la rarfaction ou de la division des eaux parat tout fait vaine. Car mme si les objets mathmatiques pouvaient tre diviss l'infini, cependant les corps naturels sont diviss jusqu' un certain point, puisque la quantit est limite chaque forme selon sa nature et les autres accidents. Cest pourquoi la division l'infini n'est pas possible ; mais elle (va) jusqu' un terme dtermin qui est dans la faible densit du feu. Et en plus l'eau pourrait perdre sa densit au point quelle ne serait plus de l'eau, mais de l'air ou du feu, si elle dpassait la faible densit de l'eau. Et elle ne pourrait naturellement dpasser les espaces de l'air et du feu, moins quayant perdu sa nature, elle dpasse leur faible densit. Et nouveau il ne serait pas possible que le corps lmentaire, qui est corruptible, devienne plus formel que le ciel toil, qui est incorruptible et ainsi soit plac naturellement au-dessus de lui.

Tertio, quia secunda ratio omnino frivola apparet. Nam corpora caelestia non sunt susceptiva peregrinae impressionis ut a philosophis probatur. Nec esset possibile stellam Saturni ab illis aquis infrigidari, nisi etiam omnes stellae quae sunt in octava sphaera, infrigidarentur : quarum tamen plurimae inveniuntur esse calidae secundum effectum.

c) Parce que la seconde raison apparat comme tout fait frivole. Car les corps clestes ne sont pas susceptibles d'une imprgnation trangre, comme le Philosophe le prouve. Il ne serait possible que la plante Saturne soient refroidie par ces eaux, que si toutes les toiles qui sont dans la huitime sphre taient refroidies aussi ; cependant on trouve leurs effets que plusieurs d'entre elles sont chaudes.

Et ideo aliter videtur dicendum ad hoc quod Scripturae veritas ab omni calumnia defendatur ; ut dicamus, quod aquae illae non sint de natura harum aquarum elementarium, sed sint de natura quintae essentiae, habentes communem cum nostris aquis diaphaneitatem, sicut et caelum Empyreum cum nostro igne communem splendorem. Et has aquas quidam vocant caelum crystallinum ; non quia fit de aqua congelata in modum crystalli, quia, ut dicit Basilius in Hexameron, puerilis dementiae et insipientis mentis est, talem de caelestibus capere opinionem ; sed propter illius caeli soliditatem, sicut et de omnibus caelis dicitur Iob, XXXVII, 18, quod solidissimi quasi aere fusi sunt. Et hoc caelum etiam ab astrologis ponitur nona sphaera. Unde nec Augustinus aliquam de praemissis expositionibus asserit, sed sub dubitatione dimittit, dicens in eodem Lib. : quomodo libet, et quales aquae ibi sint, esse ibi eas, minime dubitemus. Maior est quippe Scripturae huius auctoritas quam omnis humani ingenii capacitas.

Et c'est pourquoi il semble qu'il faille en parler autrement pour que la vrit de l'criture soit dfendue contre toute calomnie, de sorte que nous disons que ces eaux ne sont pas de la nature des eaux lmentaires, mais sont de quinte essence, ayant une commune transparence avec nos eaux, comme le ciel empyre a une commune brillance avec notre feu. Et ils appellent ces eaux le ciel cristallin, non parce qu'il est fait d'eau congele la ressemblance du cristal, parce que, comme le dit Basile (Hex. 3), c'est le propre d'une dmence purile et d'un esprit insens, d'accepter une telle opinion sur les objets clestes ; mais c'est cause de la consistance de ce ciel, comme des autres cieux, comme le dit Job (37, 18[546]) que les plus consistants ont fondu comme l'air. Et ce ciel aussi est plac par les astronomes dans la neuvime sphre. C'est pourquoi Augustin soutient lun de ces exposs, mais il met un doute, disant dans le mme livre (La Gense au sens littral, II, V, 9) : De quelque manire, et quelles que soient ces eaux, ne doutons pas quelles y sont. Car l'autorit de cette criture est plus grande que la capacit de tout l'esprit humain.

q. 4 a. 1 ad 6 Sextum concedimus.

# 6. Nous le concdons.

q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si intelligatur secundum expositionem Basilii, et sequacium eius, per terram ipsum terrae elementum ; sic considerari potest et in quantum est principium quarumdam rerum, scilicet plantarum, quarum ipsa est ut mater, sicut dicitur in libro de Veget., et sic respectu eorum erat inanis antequam eas produceret ; inane enim vel vanum dicimus quod non pertingit ad proprium effectum vel finem. Et potest considerari in quantum est habitaculum quoddam et locus animalium, respectu quorum vacua fuisse dicitur.

# 7. Selon l'exposition de Basile (Hexameron, hom. 4) et de ses successeurs, si on comprend par le mot terre, l'lment terre, on peut la considrer ainsi dans la mesure o elle est le principe de certaines choses, savoir des plantes dont elle est mme la mre, comme on le dit au livre de la Vgtation et ainsi par rapport cela, elle tait vide avant de les produire ; car nous disons qu'est vide ou dsert ce qui ne parvient pas son effet ou sa fin propres. Et elle peut tre considre dans la mesure o elle est un habitacle et un lieu pour les animaux par rapport ce qu'on a appel dsert.

Vel secundum litteram Septuaginta, quae habet, invisibilis et incomposita, fuit quaedam terra invisibilis, in quantum erat aqua cooperta, etiam in quantum nondum erat lux producta, per quam posset videri ; incomposita vero in quantum carebat et plantarum et animalium ornatu, et situ conveniente ad eorum generationem et conservationem. Si vero per terram intelligatur prima materia secundum opinionem Augustini, sic dicitur inanis per comparationem eius ad compositum in quo subsistit ; nam inanitas firmitati et soliditati opponitur ; vacua vero per comparationem ad formas quibus eius potentia non replebatur. Unde et Plato, receptionem materiae comparavit loco, secundum quod in eo locatum recipitur. Vacuum autem et plenum proprie circa locum dicuntur. Dicitur etiam materia in sua informitate considerata invisibilis, secundum quod caret forma, quae est omnis cognitionis principium ; incomposita vero in quantum sine composito non subsistit.

Ou selon la lettre de la Septante, qui a "invisible et non compose", il y eut une terre invisible, dans la mesure o elle tait couverte d'eau, mme dans la mesure o la lumire par laquelle elle pouvait tre vue n'tait pas cre ; non compose, dans la mesure o elle manquait de l'ornement des plantes et des animaux, et d'un lieu convenable pour leur gnration et leur conservation. Mais si on comprend par la terre la matire, selon lopinion dAugustin (Dial. 65, qu. 21), on lappelle vide par comparaison au compos en lequel elle subsiste ; car la vacuit est oppose la fermet et la solidit ; mais dserte par comparaison aux formes qui ne comblaient pas sa puissance. C'est pour cela que Platon (Time), compara la rception de la matire un lieu, selon qu'elle est place en lui. Mais dsert ou plein se disent proprement du lieu. Car on dit que la matire dans son manque de forme est considre comme invisible, selon qu'elle manque de forme, qui est le principe de sa connaissance, non compose dans la mesure o elle ne subsiste pas sans compos.

q. 4 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ad liberalitatem dantis non solum pertinet quod cito det, sed etiam quod ordinate et quod convenienti tempore det unumquodque. Unde ubi dicitur : cum statim possis dare, non solum consideranda est potentia qua dare possumus aliquid absolute, sed etiam qua possumus convenientius dare. Unde ad ordinis convenientiam conservandam Deus in quadam imperfectione creaturas primo instituit, ut sic gradatim ex nihilo ad perfectum pervenirent.

# 8. Il convient la libralit du donateur de donner promptement, mais aussi de donner chaque chose avec ordre et au temps convenable. Cest pourquoi quand il est dit : Aussitt que tu pourrais donner, non seulement il faut considrer la puissance par laquelle on peut donner quelque chose absolument, mais encore par laquelle nous pouvons le donner plus convenablement. Cest pourquoi, pour garder la convenance de lordre, Dieu a institu d'abord des cratures dans une certaine imperfection, pour qu'elles parviennent graduellement du nant la perfection.

q. 4 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod situs qui pertinet ad naturam elementorum, in elementis erat, ut dictum est ; unde obiectio contra praedictam opinionem non procedit.

# 9. La situation qui convient la nature des lments, tait en eux, comme on la dit ; cest pourquoi lobjection ne vaut pas contre cette opinion[547].

q. 4 a. 1 ad 10 Et similiter dicendum ad decimum et undecimum.

# 10. 11. Il faut dire de mme pour la dixime et onzime objection.

q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod perfecto agenti competit perfectum effectum producere. Sed non oportet quod statim in principio sit perfectum simpliciter secundum suae naturae modum, sed sufficit quod sit secundum tempus illud ; quo modo puer mox natus perfectus dici potest.

# 12. Il convient lagent parfait de produire un effet parfait. Mais il ne faut pas que cet effet soit ds le commencement absolument parfait selon le mode de sa nature, mais il suffit quil le soit dans ce temps[548] ; de cette manire, on peut dire que lenfant sitt n est parfait.

q. 4 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod materia non dicitur fuisse informis, secundum sententiam quam sustinemus ad praesens, quia omni careret forma, vel quia haberet unam tantum formam, quae esset in potentia ad omnes formas, sicut posuerunt antiqui naturales ponentes unum principium ; vel sub qua continerentur plures formae virtute, sicut in mixtis accidit ; sed habebat in diversis partibus formas elementares diversas. Dicebatur tamen materia informis, quia nondum formae mixtorum corporum supervenerant materiae ; ad quas formae elementares sunt in potentia ; nec etiam erat situs elementorum adhuc conveniens eorum generationi sicut prius dictum est.

# 13. On ne dit pas que la matire a t sans forme, selon lopinion que nous soutenons prsent, parce qu'elle manquerait de toute forme ; ou bien parce qu'elle n'aurait qu'une seule forme, qui serait en puissance toutes les formes, comme lont pens les anciens Naturalistes, qui nadmettaient qu'un seul principe ; ou bien plusieurs formes seraient contenues en puissance, comme cela arrive dans les mixtes, mais la matire avait en diffrentes parties diffrentes formes lmentaires. Cependant on l'appelait matire sans forme, parce que nՎtaient pas encore parvenues la matire les formes des corps mixtes, pour lesquelles les formes lmentaires sont en puissance, et la situation des lments nՎtait pas encore apte leur gnration, comme on la dit dabord.

q. 4 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod nihil cogit nos dicere, nec Scripturae Genesis auctoritas, nec aliqua ratio, quod alio modo in illo rerum principio materia formis elementaribus subesset quam modo ; etsi possibile fuerit quod ex aquis vaporabiliter aliquid ascenderit in locum aeris, sicut et modo contingit, et forte tunc amplius, cum terra totaliter aquis cooperiretur.

# 14. Rien, ni lautorit de lՃcriture dans la Gense, ni une raison ne nous forcent dire, qu'en ce commencement des choses, la matire tait soumise des formes lmentaires d'une autre manire que maintenant, mme sil aura t possible que des eaux sՎlvent sous forme de vapeur dans le territoire de lair, comme cela arrive aussi maintenant, et peut-tre alors encore plus, puisque la terre tait entirement recouverte par les eaux.

q. 4 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod de firmamento, quod secundo die formatur, multiplex invenitur opinio. Quidam namque dicunt, hoc firmamentum non esse aliud a caelo, quod prima die legitur factum ; sed dicunt, quod Scriptura in principio summatim commemoravit facta, de quibus per senarium dierum explicavit quomodo sint facta. Et haec est opinio Basilii in Hexameron. Alii vero dicunt, aliud esse firmamentum quod secundo die est factum, et aliud caelum, quod primo dicitur creatum ; et hoc tribus modis.

# 15. Au sujet du firmament qui est form le second jour, on trouve de nombreuses opinions. Car certains disent quil nest pas autre que le ciel, on lit qu'il a t cr le premier jour, mais ils disent que lՃcriture au commencement a rappel sommairement ce qui a t fait, elle a expliqu comment cela a t fait en six jours. Et cette opinion vient de Basile dans l'Hexaemeron.Mais d'autres disent que cest un autre firmament qui a t cr le second jour, et un autre ciel qu'on dit avoir t cr d'abord, et cela de trois manires.

Quidam namque dixerunt, quod per caelum, quod prima die creatum legitur, intelligitur spiritualis creatura vel formata, vel adhuc informis ; per firmamentum vero quod secunda die legitur factum, intelligitur caelum corporeum quod videmus. Et haec est opinio Augustini, ut patet in Lib. super Genesim ad litteram, et XII Confess.

a) Car certains ont dit que par le ciel, qui, lit-on, a t cr le premier jour, on comprend la crature spirituelle, en forme, ou encore sans forme ; par le firmament qui, a t cr le second jour, on comprend le ciel corporel que nous voyons. Et cest lopinion dAugustin, comme cela apparat dans le La Gense au sens littral et au livre 12 des Confessions.

Alii vero dicunt, quod per caelum quod prima die creatum legitur, intelligitur caelum Empyreum ; per firmamentum vero quod secunda die legitur factum, intelligitur caelum sidereum quod videmus. Et haec est opinio Strabi, ut patet in Glossa Genes. I.

b) Dautres disent que par le ciel cr le premier jour, on comprend le ciel empyre, par le firmament qui a t fait le second jour, on comprend le ciel toil que nous voyons. Et cette opinion est celle de Strabon, comme on le voit dans la glose de Gense 1.

Alii vero dicunt, quod per caelum primo die factum, intelligitur caelum sidereum ; per firmamentum autem quod factum est secunda die, intelligitur istius aeris spatium terrae vicinum, quod dividit inter aquas et aquas, ut supra dictum est. Et hanc expositionem tangit Augustinus super Genes. ad litteram, et tenet eam Rabbi Moyses.

c) Dautres disent que, par le ciel cr le premier jour, on comprend le ciel toil, et par le firmament qui a t fait le second jour, lespace de cet air voisin de la terre, qui divise les eaux entre elles, comme on la dit plus haut. Et Augustin parle de cette exposition dans La Gense au sens littral et Rabbi Moses la soutient.

Secundum ergo hanc ultimam facile est solvere : quia firmamentum, quod secundo die est factum, non est de natura quintae essentiae ; unde nihil prohibet quantum ad ipsum fuisse processum de informitate ad formationem, vel quantum ad eius subtiliationem, vaporibus ab aquis elevatis diminutis per aquarum congregationem in unum, vel quantum ad situm, dum in locum aquae recedentis aer successit.

Selon cette dernire exposition, il est facile de rsoudre le problme ; parce que le firmament, qui a t cr le second jour, n'tait pas de quinte essence ; cest pourquoi, rien nempche, quant lui qu'il soit pass de l'absence de forme la mise en forme ; ou bien pour sa rarfaction, que les vapeurs qui sՎlevaient des eaux, ayant t rarfies par leur rassemblement en un seul lieu, ou bien pour sa situation pendant que lair arriva dans le lieu d'o leau se retirait.

Sed secundum tres opiniones primas, quae per firmamentum caelum sidereum intelligunt, non oportet dicere processum esse in caelo, de informitate ad formationem, quasi novam formam acquisierit, quia nec in elementis inferioribus hoc ponere cogit Scriptura ; sed ut intelligamus firmamento virtutem esse collatam ad mixtorum generationem, et quantum ad hoc formationem eius intelligi ; sicut inferiorum elementorum formatio intelligitur, ut dictum est, quantum ad mixtorum generationem. Nam sicut elementa inferiora sunt materia mixtorum, ita firmamentum est causa mixtorum activa.

Mais selon ces trois premires opinions, qui comprennent par le firmament le ciel toil, il ne faut pas dire quil y eut passage dans le ciel, de l'absence de forme la mise en forme, comme sil avait acquis une nouvelle forme, parce que lՃcriture ne force pas lՎtablir dans les lments infrieurs, mais comme nous comprenons qu'un pouvoir a t plac dans le firmament pour la gnration des lments mixtes, on peut y comprendre aussi sa mise en forme, comme on comprend celle des lments infrieurs, comme on la dit (solution des arguments 13 et 4), pour la gnration des mixtes. Car, de mme que les lments infrieurs sont la matire des mixtes, le firmament est leur cause active.

Unde divisio aquarum inferiorum a superioribus, intelligi potest per modum quo medium in confinio duorum extremorum existens, inter utrumque distinguit. Inferiores enim aquae variationi subiectae sunt, in quantum mixtionis materia fiunt per motum firmamenti, non autem superiores. Secundum tamen sententiam Augustini, si ponatur materia informis prius fuisse tempore, nihil grave occurrit ; quia oportet aliquo modo materia in corpore caelesti poni, in quo invenitur etiam motus. Unde nihil prohibet eam ordine naturae intelligi ante formam, licet ex tempore nihil formationis accesserit. Nec cogimur propter hoc dicere, unam esse communem naturam corpori caelesti et inferioribus elementis ; etsi aliquo uno nomine significetur, ut terrae vel aquae secundum sententiam Augustini ; quia unitas ista non intelligitur secundum substantiam, sed secundum proportionem prout quaelibet materia consideratur ut in potentia ad formam.

Cest pourquoi la sparation des eaux infrieures des eaux suprieures peut tre comprise au moyen dun intermdiaire situ aux confins des deux extrmes qui les distinguent lune de lautre. Car les eaux infrieures sont sujettes variation, dans la mesure o elles deviennent la matire du mixte par le mouvement du firmament, mais pas les eaux suprieures. Cependant selon lexpression dAugustin (La Gense au sens littral, II, XI, 24), si on pense que la matire informe a exist avant en temps, il nen ressort rien de grave, parce quil faut dune certaine manire placer la matire dans le corps cleste, dans lequel on trouve aussi le mouvement. C'est pourquoi, rien n'empche qu'on la comprenne dans l'ordre de la nature avant la forme, bien que rien de la formation ne soit arriv partir du temps. Et nous ne sommes pas forcs, pour cela, de dire quil y a une seule nature commune au corps cleste et aux lments infrieurs, mme si on dsigne par un seul nom les terres ou les eaux, selon l'expression d'Augustin ; parce que cette unit n'est pas comprise de la substance, mais de la proportion dans la mesure o on considre n'importe quelle matire comme en puissance pour la forme.

q. 4 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum patet solutio ex dictis. Non enim intelligitur informitas materiae quia omni forma caret, sed sicut dictum est.

# 16. La solution est claire par ce qui vient dՐtre dit. Car on ne comprend pas labsence de forme de la matire, parce qu'elle manque de toute forme, comme on la dit.

q. 4 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum quod secundum sententiam Augustini, qui ponit per terram et aquam prius commemoratas non elementa, sed materiam primam significatam fuisse, nihil inconveniens sequitur de aquarum congregatione. Nam, sicut ipse dicit, sicut cum dictum est : fiat firmamentum, in secunda die, significata est formatio caelestium corporum ; ita cum dicitur : congregentur aquae, in tertia die, significatur formatio elementorum inferiorum ; et per hoc quod dicitur : congregentur aquae, significetur quod aqua suam formam acceperit ; per hoc vero quod dicitur : appareat arida, significetur idem de terra. Ideo vero his verbis usus est in horum elementorum formatione, et non verbo factionis, sicut in caelo, ut diceret : fiat aqua et terra, sicut dixerat : fiat firmamentum, ut significaret imperfectionem harum formarum, et earum propinquitatem ad informem materiam. Verbo enim congregationis usus est ad aquam, ut significaret eius mobilitatem ; verbo apparentiae in terra, ut significetur eius stabilitas ; unde ipse dicit : ideo de aqua dictum est, congregetur ; de terra, appareat, quia aqua labiliter est fluxa, terra stabiliter fixa.

# 17. Selon l'expression dAugustin (Dialogue, LV, quest. 21) qui pense que par la terre et leau dont on a fait mention auparavant, ne sont pas des lments, mais qu'elles ont dsign la matire premire, il nen dcoule aucune inconvenance pour le rassemblement des eaux. Car, comme il le dit lui-mme, (La Gense au sens littral, II, ch. 7 et 8), de mme qu'il a t dit : Que soit fait le firmament, au second jour, cela signifie la formation des lments infrieurs, de mme quand il est dit : que les eaux se rassemblent, au troisime jour, cela signifie la mise en forme des lments infrieurs et par ce qui est dit : que les eaux se rassemblent est signifi que leau a reu sa forme propre est signifi que l'eau a reu sa forme ; par cette parole : que la terre sche apparaisse, cela signifie la mme chose pour la terre. Cest pourquoi, il s'est servi de ces mots, pour la formation de ces lments, et non du mot de faire, comme dans le ciel pour dire : que l'eau et la terre soient faites, comme il avait dit : Que le firmament soit fait., pour signifier l'imperfection de ces formes et leur proximit de la matire informe. Il s'est servi du mot de rassemblement, pour l'eau, pour signifier sa mobilit, et du mot apparence, dans la terre pour signifier sa stabilit. Aussi il dit lui-mme : Cest pourquoi on a dit de leau quelle se rassemble, de la terre quelle apparaisse, parce que leau s'est coule doucement, la terre ayant t tablie fermement.

Si vero secundum opinionem Basilii et aliorum sanctorum dicatur, quod eadem terra hic et ibi significatur, et similiter eadem aqua, sed alio modo disposita prius et postea, multipliciter respondetur. Quidam enim dixerunt, quod aliqua pars terrae erat quae aquis non erat cooperta ; in quam aqua quae terram habitabilem occupabat, Deo iubente, congregata est. Sed hoc reprobat Augustinus ex ipsa littera, dicens : si aliquid erat nudum terrae, ubi congregarentur aquae, iam prius arida apparebat, quod est contra circumstantiam litterae. Unde alii dixerunt, quod aqua rarior erat sicut nebula, et postea inspissata in minorem locum collocata est. Sed illud etiam non minorem generat difficultatem ; tum quia non vere erat aqua, si formam vaporis assumpserat ; tum etiam quia locum aeris occupasset, et similis difficultas relinqueretur de aere. Et ideo alii dicunt, quod terra quasdam cavernositates accepit in quibus potuit aquarum multitudinem accipere operatione Dei. Sed contra hoc videtur esse, quia hoc per accidens est quod aliqua pars terrae longius distet a centro quam alia. In illa autem rerum formatione, natura suum modum accepit, ut Augustinus in eodem Lib. dicit.

Mais si, selon lopinion de Basile et des autres saints, on disait quon signifie ici et l la mme terre, et de la mme manire, la mme eau, mais disposes dune autre manire avant et aprs, on trouve de nombreuses rponses : Car certains ont dit quune partie de la terre tait celle qui navait pas t recouverte par les eaux, dans laquelle leau qui occupait la terre habitable, avec laide de Dieu, a t rassemble. Mais Augustin le rprouve cause de la lettre mme du texte, (La Gense au sens littral, I, 12, 26) en disant : S'il y avait quelque lieu o la terre tait nue, o les eaux se rassembleraient, cest que dj avant mergeait la terre sche, ce qui est contre le contexte. Cest pourquoi dautres ont dit que leau tait moins dense, comme les nues, et ensuite en s'paississant, elle a t place dans un lieu plus petit. Mais cela mme ne diminue pas la difficult ; d'une part, parce que ce n'tait pas vraiment de leau, si elle avait pris la forme de la vapeur, d'autre part, mme parce si elle avait occup la place de lair, il resterait une difficult semblable pour l'air. Et cest pourquoi dautres disent que la terre a reu des cavits, dans lesquelles elle a pu recevoir un grande quantit des eaux par l'opration de Dieu. Mais cela semble tre contraire, parce que c'est par accident qu'une partie de la terre est plus loin du centre que l'autre. Mais en cette formation des choses, la nature a reu son mode, comme Augustin le dit dans le mme livre. (La Gense au sens littral, VI, 6).

Et ideo melius videtur dicendum, sicut Basilius dicit, quod aquae in multas divisiones erant dispersae, et postmodum in unum congregatae ; quod etiam ipse textus verbo congregationis utens, significare videtur. Etsi enim totam terram aqua tegebat, non oportet quod tanta profunditate tegeretur prius ubique, quanta nunc invenitur in aliquibus locis

Et cest pourquoi il semble quil vaut mieux dire, comme le fait Basile, que les eaux sՎtaient disperses en de nombreuses parties, et ensuite ont t rassembles en un tout, ce que le texte mme usant du mot de rassemblement semble signifier. Car mme si leau couvrait toute la terre, il ne faut pas qu'avant elle soit recouverte partout dune profondeur telle quon la trouve maintenant en certains lieux.

q. 4 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod quia corpora mineralia non habent aliquam evidentem perfectionis excellentiam supra elementa, sicut habent viventia, non seorsum ab elementis formata describuntur ; sed in ipsa elementorum institutione possunt intelligi esse producta. Unde nihil prohibet aliquas cavernositates fuisse ante congregationem aquarum ; ut postea terra compressa in sui superficie, aquae congregatae locum praeberet. Tamen verba Augustini hanc opinionem tangentis, videntur sonare magis quod huiusmodi concavitates non praeextiterint infra terram, sed magis in superficie terrae tunc factae fuerint, cum aquae sunt congregatae. Sic enim dicit : terra longe lateque subsidens potuit alias partes praebere concavas, quibus confluentes et corruentes aquae reciperentur, et appareret arida ex his partibus unde humor abscederet ; cui etiam consonant verba Basilii Hexameron, dicentis : quando praeceptio data est ut in unam congregationem aquae coirent, tunc et susceptionis earum causa praecessit ; et ita iussu Dei capacitas sufficiens parata est, unde aquarum ibi multitudo conflueret. Haec autem capacitas potest intelligi per quarumdam partium terrae depressionem ; cum videamus etiam in aliquibus maiorem elevationem accidentalem, ut patet in collibus et montibus.

# 18. Parce que les minraux ne dpassent pas de faon vidente les lments en perfection, comme les tres vivants, ils ne sont pas dcrits comme forms part des lments ; mais on peut comprendre qu'ils sont produits dans la constitution mme des lments. Cest pourquoi rien nempche quil y eut des cavits avant le rassemblement des eaux, pour que aprs, la terre comprime en sa surface offre une place leau rassemble. Cependant les paroles dAugustin propos de cette opinion (La Gense au sens littral, I, XII, 26) paraissent mieux convenir, parce que les cavits de ce genre, nauraient pas prexist sous la terre, mais elles auraient t faites plus sa surface, quand les eaux ont t rassembles. Car il parle ainsi : La terre qui sՎtend en long et en large a pu fournir d'autres dpressions dans lesquelles les confluents et les eaux courantes seraient reues, et la terre sche apparatrait de ces parties do le liquide serait parti. Les paroles de Basile sont en accord (Hexaemeron, homlie 4). Il dit : Quand lordre a t donn que les eaux se rassemblent en une seule masse, alors la cause de leur rception a prcd et ainsi par lordre de Dieu, un rceptacle suffisant a t prpar o les grandes quantits d'eaux se rassembleraient. Ce rceptacle peut tre comprit par l'enfoncement de certaines partie de la terre, quand nous voyons mme dans certaines une plus grande lvation accidentelle, comme cela se voit dans les collines et les montagnes.

q. 4 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod si cavernositates non praeexistebant in terra, secundum illud quod ultimo dictum est, obiectio praesens locum non habet. Si autem praeexistebant, tunc dicendum est, quod licet sit contra naturam aeris vel aquae subesse terrae sibi relictae, non tamen si terra sit a suo motu aliqualiter impedita. Sic enim videmus in cavernis quae fiunt sub terra, terram aliquibus sustentaculis suspensam aerem subingredi, eo quod natura non patitur vacuum. Si tamen dicatur, quod aquae quae erant in minori profunditate super totam terrae superficiem sparsae, sunt postmodum super aliquam partem terrae in maiorem altitudinem congregatae, ut supra dictum est, praedictae obiectiones cessabunt.

# 19. Si les cavits ne prexistaient pas dans la terre, selon ce qui a t dit en dernier, la prsente objection ne vaut pas. Mais si elles prexistaient, alors il faut dire que, bien que ce soit contre la nature de lair ou de leau d'tre sous la terre qui lui est laisse, cependant pas si la terre tait en quelque manire empche par son mouvement. Car ainsi nous voyons dans les cavernes qui se font sous terre, que la terre suspendue par certains supports laisse entrer l'air, parce que la nature ne supporte pas le vide. Cependant, si on dit que les eaux qui taient d'une moins grande profondeur, disperses sur toute la surface de la terre, ont t par la suite rassembles sur une partie de la terre avec une plus grande profondeur, comme on la dit ci-dessus, les objections prcdentes disparatront.

q. 4 a. 1 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod si consideretur naturalis elementorum situs, qui competit ipsis naturis elementorum absolute, sic naturale est aquae quod totam terram undique contineat, sicut et aer continet aquam. Si autem considerentur elementa in ordine ad mixtorum generationem, ad quam etiam caelestia corpora movent ; sic talis situs competit, qualis postea institutus est. Unde statim apparente arida in aliqua sui parte, subditur de productione plantarum. Quod autem in elementis ex impressione caelestium corporum accidit, non est contra naturam, ut dicit Commentator in III de caelo et mundo, ut patet in fluxu et refluxu maris ; qui licet non sit naturalis motus aquae, in quantum gravis est, eo quod non est ad medium, est tamen naturalis motus eius in quantum est a corpore caelesti mota, sicut eius instrumentum. Hoc autem multo magis competit dicere de his quae fiunt in elementis ex ordinatione divina, per quam tota elementorum natura subsistit. In praesenti autem utrumque concurrere videtur ad aquarum congregationem ; et divina virtutis principaliter, et secundario virtus caelestis. Unde statim post firmamenti institutionem subiungitur de aquarum congregatione. Potest tamen et ex ipsa natura aquae aliqua aptitudo inveniri. Cum enim in elementis continens sit formalius contento, ut patet per philosophum in VIII Physic., aqua in tantum deficit a perfecta terrae continentia, in quantum et ipsa non perfecte formalis est, sicut ignis et aer, plus accedens ad terrenam spissitudinem quam ad igneam raritatem.

# 20. Si on considre la situation naturelle des lments, qui appartient leur nature de faon absolue, il est naturel pour l'eau dentourer partout toute la terre, comme l'air entoure l'eau. Mais si on considre les lments dans leur rapport la gnration des mixtes, que les corps clestes mettent en action, alors une telle situation convient telle quelle a t mise en place aprs. Cest pourquoi aussitt que la terre sche est apparue dans l'une de ses parties, elle est assujettie la production des plantes. Mais, ce qui dans les lments vient de laction des corps clestes narrive pas contre la nature, comme le dit le Commentateur (Le ciel et le monde, 3, com. 20), comme cela parat dans le flux et le reflux de la mer[549], qui, bien que ce ne soit pas un mouvement naturel de leau, dans la mesure o elle est lourde, parce quelle nest pas pour un espace intermdiaire, cependant cest son mouvement naturel dans la mesure o elle est mue par le corps cleste, comme son instrument. Mais il convient beaucoup plus de le dire de ce qui se fait dans les lments par la mise en ordre de Dieu, par laquelle toute la nature des lments subsiste. prsent, lun et lautre semblent concourir au rassemblement des eaux, le pouvoir divin surtout, le pouvoir cleste en second. C'est pourquoi aussitt aprs la constitution du firmament, on ajoute le rassemblement des eaux. On peut cependant trouver une aptitude par la nature mme de leau. Car, comme le contenant dans les lments est plus formel que le contenu, comme l'expose le philosophe (Physique VIII), dans la mesure o leau sՎcarte du voisinage parfait de la terre, elle nest pas parfaitement forme comme le feu et lair, en parvenant plus la densit terrestre quՈ la lgret du feu.

q. 4 a. 1 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum quod confusio quae in mundo inchoato praecessisse dicitur, non attenditur secundum aliquam mixtionem elementorum, sed per oppositum ad illam distinctionem quae nunc est in partibus mundi, competens viventium generationi et conservationi.

# 21. La confusion, qui, a, dit-on, prcd, dans le monde en son commencement nest pas atteinte par le mlange des lments, mais par l'opposition cette distinction qui existe maintenant dans les parties du monde, en accord avec la gnration des vivants et leur conservation.

q. 4 a. 1 ad 22 Et per hoc patet responsio ad vicesimumsecundum et vicesimumtertium.

# 22. 23. Par l apparat le rponse la vingt-deuxime et vingt-troisime objection.

q. 4 a. 1 ad s. c. 1 Ad ea vero quae in contrarium obiiciuntur, secundum opinionem Augustini consequenter respondendum est. Ad primum dicendum est, quod Gregorius loquitur secundum opinionem quam prius sustinuimus. Non tamen sic sunt intelligenda verba Gregorii, quod in prima rerum creatione sit omnium rerum materia facta absque omni specie formae, sed absque formis quibusdam, scilicet rerum viventium, et ordinis ad eorum generationem, sicut supra est expositum.

Rponse : aux arguments de sens contraire :Selon lopinion dAugustin, il faut aussi rpondre.## 1. Grgoire [le Grand] parle selon lopinion que nous avons d'abord soutenue. Cependant il ne faut pas comprendre quil dit, que, dans la premire cration, la matire de toutes choses a t faite sans aucune espce de forme, mais sans certaines formes, savoir celle des cratures vivantes, et de leur rapport leur gnration, comme on la expos ci-dessus (solution aux arguments 4 et 13).

q. 4 a. 1 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod appetitus formae non est aliqua actio materiae, sed quaedam habitudo materiae ad formam, secundum quod est in potentia ad ipsam, sicut Commentator exponit in primo Physic.

## 2. L'apptit de la forme n'est pas une action de la matire, mais une relation de la matire la forme, selon qu'elle est en puissance pour elle, comme le Commentateur l'expose au 1er livre de la Physique (ch. 81).

q. 4 a. 1 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod si Deus faceret ens in potentia tantum, minus faceret quam natura, quae facit ens in actu. Actionis enim perfectio magis attenditur secundum terminum ad quem, quam secundum terminum a quo ; et tamen hoc ipsum quod dicitur, contradictionem implicat, ut scilicet aliquid fiat quod sit in potentia tantum : quia quod factum est, oporteret esse cum est, ut probatur in VI Phys. Quod autem est tantum in potentia, non simpliciter est.

## 3. Si Dieu crait un tant en puissance seulement, il ferait moins que la nature, qui le produit en acte. Car la perfection de l'action est mieux atteinte, selon le but, que selon l'origine et cependant ce qui est dit implique contradiction, quelque chose est fait, qui serait en puissance seulement ; parce quil faudrait que ce qui est fait existe, comme il est, comme on le prouve en Physique (VI). Mais ce qui est seulement en puissance n'existe absolument pas.

q. 4 a. 1 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod Scriptura dicit : terra erat inanis et vacua, si accipiatur de materia omnino informi, secundum Augustinum, non est intelligendum quod sic erat aliquando in actu, sed quia talis erat natura sua, si absque formis inhaerentibus consideretur.

## 4. Ce que l'criture dit : La terre tait vide et dserte, si on le conoit de la matire tout fait sans forme, selon Augustin, n'est pas comprendre qu'elle tait ainsi quelquefois en acte, mais parce que sa nature tait telle, si on la considrait sans formes inhrentes.

q. 4 a. 1 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod formatio spiritualis creaturae dupliciter potest intelligi : una per gratiae infusionem, et alia per gloriae consummationem. Prima quidem formatio, secundum sententiam Augustini, statim creaturae spirituali affuit in sui creationis principio ; et tunc per tenebras, a quibus lux distinguitur, non intelligitur peccatum malorum Angelorum ; sed informitas naturae, quae nondum erat formata, sed erat consequentibus operibus formanda, ut dicitur in I super Genes. ad litteram, vel, sicut dicitur quarto eiusdem libri, per diem significatur Dei cognitio, per noctem vero cognitio creaturae, quae quidem tenebra est respectu divinae cognitionis. Vel si per tenebras intelligamus Angelos peccantes, ista divisio non ad praesens peccatum refertur, sed ad futurum, quod erat in Dei praescientia : unde dicit in libro ad Orosium : quia ex Angelis quosdam per superbiam praesciebat casuros ; per incommutabilem praescientiae suae ordinem divisit inter bonos et malos, malos tenebras appellans, et bonos lucem. Secunda vero formatio non pertinet ad principium institutionis rerum, sed magis ad rerum decursum, quo per divinam providentiam gubernantur. Hoc enim ultimum verum est, secundum Augustinum, de omnibus in quibus operatio naturae requiritur, quod in hac formatione necesse est provenisse ; quia per motum liberi arbitrii aliqui sunt conversi ut starent ; aliqui aversi ut caderent.

## 5. La formation de la crature spirituelle peut tre comprise de deux manires : l'une par l'infusion de la grce et l'autre par l'achvement de la gloire. a) La premire formation, selon l'opinion d'Augustin, arrive aussitt la crature spirituelle, au commencement de la cration et alors par les tnbres, d'o la lumire est distingue, on ne comprend pas le pch des mauvais anges, mais le manque de forme de la nature, qui n'tait pas encore mise enforme, mais devait lՐtre par les uvres suivantes, comme il est dit (la Gense au sens littral, I), ou bien, comme il est dit au quatrime livre, la connaissance de Dieu est signifie par le jour, la connaissance de la crature, par la nuit, qui est tnbres par rapport la connaissance divine, (comme on le dit au mme livre). Ou si, par les tnbres, nous comprenons les anges pcheurs, cette division ne se rfre pas au pch prsent, mais au pch futur, qui tait dans la prescience de Dieu : c'est pourquoi il dit dans le livre A Orose, (Dialogue 65, qu. 24) : Parce quil savait l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que certains anges succomberaient par orgueil, il spara les bons des mchants, appelant les mchants tnbres, et les bons lumire.. b) La seconde formation n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plutt leur achvement, o elles sont gouvernes par la providence divine. Car cest la vrit ultime, selon Augustin, pour tout ce en quoi l'opration de la nature est requise, qu'il est ncessaire qu'elle parvienne cette formation, parce que, par le mouvement du libre arbitre, certains se sont tourns pour demeurer, certains dtourns pour tomber.

q. 4 a. 1 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod mundus dicitur factus ex invisa materia, non quia informis materia tempore praecesserit, sed ordine naturae. Et similiter privatio non fuit aliquo tempore in materia ante omnem formam, sed quia materia absque forma intellecta cum privatione etiam intelligitur.

## 6. On dit que le monde a t fait de la matire invisible, non parce que la matire sans forme a prcd dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Et semblablement la privation n'a pas exist un temps dans la matire avant toute forme, mais parce que la matire comprise sans forme est comprise aussi avec la privation.

q. 4 a. 1 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod hoc est ex imperfectione naturae operantis per motum quod ex imperfecto ad perfectum procedit ; motus enim est actus imperfecti. Sed Deus propter suae virtutis perfectionem potuit statim res perfectas in esse producere ; et ideo non est simile.

## 7. Cela vient de l'imperfection de la nature, qui opre par mouvement de procder de l'imparfait au parfait ; car le mouvement est d'un acte imparfait. Mais Dieu, cause de la perfection de son pouvoir, a pu aussitt produire les choses parfaites dans l'tre, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 4 a. 1 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod verba Augustini non sunt intelligenda sic quod materia aliquo tempore fuerit in potentia ad formas elementares nullam earum habens ; sed quia in sua essentia considerata, nullam formam actu includit ad omnes in potentia existens.

## 8. Les paroles d'Augustin ne sont pas comprendre de sorte que la matire a t un temps en puissance pour les formes lmentaires, sans en avoir une ; mais parce que, celle-ci considre en son essence, quand elle existe en puissance pour toutes les formes, n'inclut aucune forme en acte.

 

 

 

Article 2 La mise en forme de la matire a-t-elle eu lieu toute en mme temps ou successivement ?

q. 4 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum materiae formatio tota simul fuerit, an successive. Et videtur quod successive.

Il semble quelle fut successive[550].

 

Objections :

q. 4 a. 2Arg. 1 Dicitur enim Iudith, IX, 4 : tu fecisti priora, et illa post illa cogitasti. Excogitatio autem Dei est eius operatio, ut Damascenus dicit ; unde et in praedicta auctoritate subditur : et hoc factum est quod ipse voluisti. Ergo res quodam ordine, et non simul, sunt factae.

1. En Judith (9, 4) il est dit : Tu as fait ce qui est avant, et cela tu l'as pens aprs[551]. Mais la pense de Dieu est son opration, comme Jean Damascne le dit (II, 3). C'est pourquoi dans la prcdente autorit, il est ajout : Et cela a t fait parce que tu las voulu toi-mme. Donc les choses ont t cres selon un certain ordre et non en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 2 Praeterea, plures partes temporis non possunt esse simul : quia totum tempus sub quadam successione agitur. Sed rerum formatio in diversis partibus temporis facta commemoratur Genes. I. Ergo videtur quod rerum formatio facta sit successive, et non tota simul.

2. Plusieurs parties du temps ne peuvent pas coexister ; parce que tout le temps est soumis une certaine succession ; mais on rappelle, au ch. 1 de la Gense, que la mise en forme des cratures a t faite en diffrentes parties du temps. Donc il semble quelle a t accomplie successivement et non toute en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 3 Sed dicendum, quod per illos sex dies, secundum sententiam Augustini, non intelliguntur dies consueti nobis qui sunt temporis partes, sed secundum cognitionem angelicam sexies rebus cognoscendis praesentatam, secundum rerum sex genera.- Sed contra, dies ex praesentia lucis causatur ; unde dicitur Genes. I, 5, quod Deus vocavit lucem diem. Sed lux non proprie in spiritualibus invenitur, sed solum metaphorice. Ergo nec dies proprie potest intelligi Angelorum cognitio. Non videtur ergo esse litteralis expositio, quod per diem Angelorum cognitio intelligatur. Probatio mediae. Nullum per se sensibile potest in spiritualibus proprie accipi : ea enim quae sensibilibus et spiritualibus sunt communia, non sunt sensibilia nisi per accidens ; sicut substantia, potentia, virtus et huiusmodi. Lux autem est per se sensibilis visu. Ergo proprie non potest in spiritualibus accipi.

3. Mais il faut dire que, durant ces six jours, selon lopinion dAugustin (La Cit de Dieu, II, VIII, 18), on ne comprend pas des jours semblables aux ntres qui sont des partie du temps, mais daprs la connaissance anglique, reprsente six fois pour ce qu'il y avait connatre, selon six genres de choses. En sens contraire, le jour est caus par la prsence de la lumire. C'est pourquoi on dit en Gn. 1, 5, que Dieu a appel la lumire jour. Mais on ne trouve pas la lumire proprement parler dans les tres spirituels, mais seulement par mtaphore. Donc on ne peut pas comprendre le jour proprement parler comme la connaissance des anges. Donc il ne semble pas que comprendre la connaissance des anges comme le jour soit le sens littral. Preuve intermdiaire : Rien de sensible par soi ne peut tre reu dans les tres spirituels, car ce qui est commun au sensible et au spirituel n'est sensible que par accident, comme la substance, la puissance, le pouvoir etc.. Mais la lumire est sensible en soi pour la vue. Donc elle ne peut pas tre reue en propre par les tres spirituels.

q. 4 a. 2Arg. 4 Praeterea, cum Angelus dupliciter res cognoscat, scilicet in verbo et in propria natura ; oportet quod per alteram istarum cognitionum dies intelligatur. Non autem potest intelligi de cognitione qua cognoscit rem in verbo, quia haec cognitio est una tantum de omnibus ; simul enim in verbo cognoscit Angelus quaecumque cognoscit, et una cognitione, quia scilicet verbum videt. Non ergo esset nisi una dies. Si autem intelligitur de cognitione qua cognoscit res in propria natura, sequitur quod sint multo plures quam sex dies, cum sint plura genera et species creaturarum. Non ergo videtur quod dierum senarius ad cognitionem angelicam referri possit.

4. Comme lange connat de deux faons, savoir dans le Verbe et dans sa propre nature ; il faut que le jour soit compris par la deuxime de ces connaissances. Mais il n'est pas possible de le comprendre de la connaissance par laquelle il connat un objet dans le Verbe, parce que cette connaissance est seulement une pour toute chose ; car cest en mme temps que lange connat dans le Verbe tout ce quil connat et dune connaissance unique, parce qu'il voit le Verbe. Donc il n'y aurait quun seul jour. Mais s'il est compris de la connaissance par laquelle il connat les choses dans leur propre nature, il en dcoule quil y a bien plus de six jours, puisquil y a plus de genres et despces de cratures. Donc il ne semble pas quon puisse rapporter la connaissance anglique aux six jours.

q. 4 a. 2Arg. 5 Praeterea, Exod. XX, 9, dicitur : sex diebus operaberis, septimo autem die sabbatum domini Dei tui est : non facies omne opus ; et postea subditur ratio : sex enim diebus fecit Deus caelum et terram, mare, et omnia quae in eis sunt, et requievit in die septimo. Sed lex ad litteram de diebus materialibus loquitur in quorum sex permittit operari, in septimo prohibet. Ergo et hoc quod dicitur de Dei operatione ad dies materiales referendum est.

5. En Exode. 20, 9, il est dit : Tu travailleras six jours, mais le septime est le sabbat de ton Dieu ; tu ne feras aucune uvre, et la raison en est donne ensuite : Car en six jours Dieu a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, et il se reposa le septime jour. Mais, selon la lettre, la loi parle des jours matriels ; dans six de ceux-ci, elle permet de travailler, et elle linterdit le septime. Donc ce qui est dit de lopration de Dieu doit tre rapport aux jours matriels.

q. 4 a. 2Arg. 6 Praeterea, si per diem cognitio Angeli intelligitur ; facere ergo aliquid in die non est aliud quam facere in angelica cognitione. Per hoc autem quod aliquid fit in angelica cognitione non sequitur quod in sua natura existat, sed solum quod ab Angelo cognoscatur. Ergo per hoc non ostenderetur rerum in propriis naturis institutio ; quod est contra Scripturam.

6. Si on comprend par jour la connaissance de lange, donc faire quelque chose le jour nest pas diffrent que le faire dans la connaissance anglique. Mais du fait qu'une chose est faite dans la connaissance anglique, il nen dcoule pas quelle existe dans sa nature, mais seulement quelle est connue par lange. Donc ainsi l'arrangement des choses ne serait pas montr dans leur nature propre ; ce qui est contre lՃcriture.

q. 4 a. 2Arg. 7 Praeterea, cuiuslibet Angeli cognitio differt ab alterius cognitione. Si ergo per diem cognitio Angeli intelligitur, oportet tot dies ponere quot sunt Angeli, et non solum sex ut Scriptura tradit.

7. La connaissance de nimporte quel ange diffre de celle dun autre. Si donc on comprend par le mot jour la connaissance de lange, il faut poser autant de jours que danges, et pas seulement six, comme lՃcriture le rapporte.

q. 4 a. 2Arg. 8 Praeterea, Augustinus, II super Genes. ad litteram, dicit, quod per hoc quod dicitur : dixit Deus, fiat, intelligitur quod res fiendae praeextiterunt in verbo, per hoc quod dicitur : est ita factum, intelligimus factam rei cognitionem in creatura intellectuali : per hoc quod dicitur : fecit Deus, intelligitur in suo genere fieri creatura. Si ergo per diem cognitio Angeli intelligitur, postquam dixerat de aliquo opere : et factum est ita, in quo cognitio angelica intelligitur, superflue adderetur : factum est vespere et mane dies unus vel dies secundus.

8. Augustin (La Gense au sens littral, II, 7 et 8[552]) dit que, du fait quil est dit : Dieu dit, que cela soit fait, on comprend que les choses faire ont prexist dans le Verbe ; du fait quil est dit : Et ainsi fut fait, on comprend que la connaissance est ralise dans la crature intellectuelle ; du fait quon dit : Dieu le fit, on comprend que la crature est cre en son genre. Si donc par jour, on comprend la connaissance de lange, aprs quil ait parl dune uvre : Et ainsi cela fut fait, dans lequel on comprend la connaissance anglique, il serait superflu d'ajouter : Il y eut un soir et un matin ou un second jour.

q. 4 a. 2Arg. 9 Sed dicendum, quod hoc additur ad ostendendum duplicem modum cognitionis rerum in creatura spirituali. Unus est quo cognoscit res in verbo ; et secundum hoc dicitur mane, vel cognitio matutina : alius quo cognoscit res in propria natura ; et secundum hoc dicitur vespere, vel cognitio vespertina.- Sed contra, licet Angelus posset simul plura considerare in verbo, non tamen potest simul plura intelligere in propria natura, cum per diversas species diversa in suis naturis intelligat. Si ergo quilibet sex dierum non solum habet mane, sed etiam vespere ; oportebit in sex diebus aliquam successionem considerare ; et sic rerum formatio non tota simul fuit facta.

9. Il faut dire que cela est ajout pour montrer le double mode de connaissance de la ralit dans la crature spirituelle. Lun est ce par quoi elle connat dans le Verbe, et pour cela on parle du matin ou de connaissance matutinale ; lautre par laquelle elle connat les choses en leur nature propre, et pour cela on parle du soir ou de connaissance vesprale. En sens contraire : Bien que lange puisse considrer en mme temps plus de choses dans le Verbe, il ne peut pas cependant en comprendre (intelligere) plus dans leur nature propre, puisqu'il comprend les chose diffrentes dans leur nature par diffrentes formes. Si donc chacun des six jours a non seulement un matin mais encore un soir, il faudra considrer en eux une succession, et ainsi la formation des choses na pas eu lieu entirement en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 10 Praeterea, ab una potentia non possunt esse simul plures operationes, sicut nec una linea recta terminatur ex una parte nisi ad unum punctum : per operationem enim potentia terminatur. Sed considerare rem in verbo et in propria natura, non est una operatio, sed plures. Ergo non simul est matutina et vespertina cognitio ; et sic adhuc sequitur quod in illis sex diebus sit successio.

10. Il ne peut pas exister plusieurs oprations en mme temps partir d'une seule puissance ; ainsi une seule ligne droite ne se termine d'un ct qu' un seul point : la puissance en effet se termine par l'opration. Mais considrer une chose dans le Verbe et dans sa nature propre, ce n'est pas une seule opration, mais plusieurs. Donc la connaissance matutinale et la connaissance vesprale n'existent pas en mme temps et ainsi il en dcoule qu'il y a une succession dans ces six jours.

q. 4 a. 2Arg. 11 Praeterea, sicut supra dictum est, art. praeced., distinctio lucis a tenebris exponitur ab Augustino distinctio creaturae formatae, alia ab informitate materiae quae adhuc restabat formanda. Una ergo ex parte materiae formata, altera adhuc remanebat formanda : non ergo tota materia est simul formata.

11. Comme on l'a dit plus haut (article prcdant, 5, la distinction de la lumire et des tnbres est expose par Augustin comme celle de la crature mise en forme, diffrente de l'absence de forme de la matire qui restait encore former. Donc si une partie de la nature est en forme, l'autre restait encore former : donc toute la matire n'a pas t mise en forme en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 12 Praeterea, cognitio matutina secundum Augustinum, intelligitur cognitio verbi in quo Angelus accipit cognitionem creaturae fiendae. Hoc autem non esset si creaturae, quarum formatio diebus sequentibus deputatur, simul cum Angelo formatae essent. Ergo non omnes res sunt simul creatae.

12. La connaissance matutinale, selon Augustin, est comprise comme celle du Verbe en qui l'ange reoit la connaissance de la crature qui doit tre faite. Mais cela n'existerait pas si les cratures, dont la formation est destine aux jours suivants, avaient t formes en mme temps que l'ange. Donc tout n'a pas t cr en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 13 Praeterea, dies in spiritualibus dicuntur ad similitudinem sensibilium dierum. Sed in sensibilibus diebus mane praecedit vespere. Ergo in istis non debet vespere praeponi ad mane, cum dicitur : factum est vespere et mane dies unus.

13. On dsigne les jours dans les tres spirituels la ressemblance des jours sensibles[553]. Mais dans les jours sensibles, la matin prcde le soir. Donc, en eux, on ne doit pas placer le soir avant le matin, quand on dit : Il y eut un soir et un matin, un seul jour.

q. 4 a. 2Arg. 14 Praeterea, inter vespere et mane est nox, et inter mane et vespere est meridies. Ergo sicut fecit Scriptura de vespere et mane mentionem, ita debuit facere de meridie.

14. Entre le soir et le matin, il y a la nuit, et entre le matin et le soir le midi. Donc de mme que l'criture mentionne le soir et le matin, elle devrait le faire pour le midi.

q. 4 a. 2Arg. 15 Praeterea, omnes dies sensibiles habent et vespere et mane. Hoc autem non invenitur in istis septem diebus ; nam primus dies non habet mane, septimus non habet vespere. Ergo non convenienter dicuntur dies ad similitudinem horum dierum.

15. Tous les jours sensibles ont un soir et un matin. On ne trouve pas cela dans ces sept jours ; car le premier n'a pas de matin et le septime pas de soir. Donc il ne convient pas de dire que les jours sont la ressemblance de nos jours.

q. 4 a. 2Arg. 16 Sed dicendum, quod ideo primus dies non habet mane, quia per mane intelligitur cognitio creaturae fiendae, quam accepit Angelus in verbo : ipsa autem spiritualis creatura sui ipsius fiendae non potuit cognitionem in verbo accipere antequam esset.- Sed contra, secundum hoc habetur quod Angelus aliquando fuit, et aliae creaturae nondum erant factae, sed fiendae. Non ergo omnia sunt simul formata.

16. Mais il faut dire qu'ainsi le premier jour n'a pas de matin, parce que par matin, on comprend la connaissance de la crature qui doit tre faite, que l'ange a reu dans le Verbe ; la crature spirituelle n'a pas pu recevoir la connaissance d'elle-mme crer dans le Verbe avant d'exister.En sens contraire, on considre donc ainsi que l'ange exista en un temps o les autres cratures n'avaient pas encore t cres, mais o elles devaient l'tre. Donc tout n'a pas t mise en forme en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 17 Praeterea, creatura spiritualis non accipit rerum inferiorum cognitionem a rebus ipsis. Ergo non indiget rerum praesentia ad hoc quod eas cognoscat. Potuit ergo eas ut fiendas cognoscere in propria natura antequam fierent, et non solum in verbo ; et sic cognitio rei fiendae videtur pertinere ad vespertinam cognitionem, sicut ad matutinam ; et sic secundum rationem praedictam secundus dies nec mane nec vespere debuit habere.

17. La crature spirituelle ne reoit pas la connaissance des choses infrieures partir de celles-ci. Donc elle n'a pas besoin de leur prsence pour les connatre. Donc elle a pu les connatre comme devant tre faites dans leur nature propre, avant qu'elles soient faites et non seulement dans le Verbe, et ainsi la connaissance des choses qui devaient tre faites semble appartenir la connaissance vesprale, comme la connaissance matutinale et pour cette raison, le second jour naurait d avoir ni matin ni soir.

q. 4 a. 2Arg. 18 Praeterea, Angelo sunt prius nota ea quae sunt priora simpliciter ; quod enim ea quae sunt posteriora sint nobis prius nota, provenit ex hoc quod cognitionem a sensu accipimus. Sed rationes rerum in verbo priores sunt simpliciter ipsis rebus. Ergo per prius cognoscit Angelos res in verbo quam in propria natura ; et sic mane deberet praeordinari ad vespere, cuius contrarium in Scriptura apparet.

18. L'ange connat d'abord ce qui existe avant absolument, car le fait que nous connaissions avant ce qui aprs, provient de ce que nous recevons la connaissance par nos sens. Mais la nature des choses dans le Verbe est absolument avant elles. Donc l'ange connat les choses dans le Verbe avant que dans leur nature propre[554] et ainsi la matin devrait tre prordonn au soir, mais on voit le contraire dans l'criture.

q. 4 a. 2Arg. 19 Praeterea, ea quae non sunt unius rationis non possunt aliquod unum constituere. Sed cognitio rerum in verbo et in propria natura est alterius et alterius rationis, cum medium cognoscendi sit omnino diversum. Ergo ex mane et vespere, secundum praedictam expositionem, non posset unus dies perfici.

19. Ce qui n'est pas d'une seule nature ne peut pas constituer une unit. Mais la connaissance des choses dans le Verbe et dans leur nature propre est de nature diffrente, puisque le moyen de connatre est tout fait diffrent. Donc du matin et du soir, selon ce qui a dj t expos, il ne peut tre fait qu'un seul jour.

q. 4 a. 2Arg. 20 Praeterea, I ad Corinth. XIII, 8, dicit apostolus, quod in patria scientia destruetur : quod non potest intelligi nisi de scientia rerum in propriis naturis, quae est vespertina. In patria autem erimus similes Angelis, ut dicitur Matth. cap. XXII, 30. Ergo in Angelis non est cognitio vespertina.

20. En 1 Co 13, 8, lAptre dit que dans "la patrie", la science disparatra, ce qu'on ne peut comprendre que de la connaissance des cratures dans leur propre nature qui est vesprale. Mais dans "la patrie", nous serons semblables aux anges, comme le dit Matthieu (22, 30). Donc il n'y pas de connaissance vesprale dans les anges.

q. 4 a. 2Arg. 21 Praeterea, cognitio rerum in verbo plus excedit cognitionem rerum in propriis naturis quam claritas solis excedat lumen candelae. Sed lux solis offuscat lumen candelae. Ergo multo magis matutina cognitio vespertinam.

21. La connaissance des cratures dans le Verbe dpasse cette connaissance des choses dans leur propre nature plus que la clart du soleil dpasse la lumire de la chandelle. Mais la lumire du soleil obscurcit la lumire de la chandelle. Donc la connaissance matutinale obscurcit beaucoup plus la connaissance vesprale.

q. 4 a. 2Arg. 22 Praeterea, Augustinus movet quaestionem, utrum anima Adae cum Angelis facta fuerit extra corpus, an fuerit facta in corpore. Haec autem quaestio frustra moveretur si omnia simul fuissent formata ; quia sic etiam corpus humanum simul fuisset formatum quando Angeli sunt facti. Ergo videtur quod non omnia fuerunt formata simul, etiam secundum sententiam Augustini.

22. Augustin (La Gense au sens littral, VII, 24 et 25) soulve la question de savoir si l'me d'Adam a t faite avec les anges hors du corps, ou dans le corps. Cette question serait souleve en vain si tout avait t mis en forme en mme temps, parce que, ainsi, le corps humain aurait t mis en forme en mme temps que les anges taient cres. Donc, il semble que tout n'a pas t mis en forme en mme temps, selon l'affirmation d'Augustin aussi.

q. 4 a. 2Arg. 23 Praeterea, pars terrae de qua factum est corpus humanum, habuit aliquam formam secundum limitationem, quia de ea dicitur Genes. I, corpus hominis formatum. Nondum autem habebat formam humani corporis. Ergo non omnes formae simul sunt inditae materiae.

23. La partie de la terre dont a t fait le corps humain eut une forme dlimite, parce qu'il est dit dans Gense 1, que le corps de l'homme en a t form. Elle n'avait pas encore la forme du corps humain. Donc toutes les formes n'ont pas t induites en mme temps dans la matire.

q. 4 a. 2Arg. 24 Praeterea, cognitio rerum in propria natura in Angelis non potest intelligi nisi cognitio quae est per species eis naturaliter inditas ; non enim potest dici quod a rebus cognitis species aliquas accipiant, cum careant sensuum instrumentis. Species autem illae quae sunt Angelis inditae, a rebus corporalibus non dependent. Ergo antequam res essent, potuit eas Angelus etiam in propriis naturis cognoscere. Et ita per hoc quod Angelus dicitur res aliquas cognoscere in propria natura, non datur intelligi res illas in esse produci ; et sic praedicta expositio videtur inconveniens.

24. La connaissance des choses par les anges dans leur propre nature, ne peut tre comprise que comme une connaissance par les formes (species) induites naturellement en eux ; car on ne peut pas dire qu'ils les reoivent de ce quils connaissent, puisqu'ils n'ont pas d'organes des sens. Mais ces formes qui sont induites dans les anges, ne dpendent pas des ralits corporelles. Donc avant que les choses existent, l'ange a pu les connatre aussi dans leur propre nature. Et ainsi par le fait qu'on dit que l'ange connat certaines choses dans leur propre nature, il n'est pas donn de comprendre que ces choses ont t amenes l'tre, et ainsi l'exposition ci-dessus ne semble pas convenir.

q. 4 a. 2Arg. 25 Praeterea, cognitio matutina, qua res Angelus in verbo cognovit, oportet quod per aliquam speciem fuerit ; cum omnis cognitio huiusmodi sit. Non autem potuit esse per aliquam speciem a verbo effluxam, quia illa species creatura esset ; et sic illa cognitio magis esset vespertina quam matutina ; nam ad vespertinam cognitionem pertinet cognitio quae fit per creaturam. Nec etiam potest dici, quod praedicta cognitio fuerit per speciem quae est ipsum verbum, quia sic oportuisset quod Angelus ipsum verbum videret, quod non fuit antequam Angelus esset beatus ; verbi enim visio beatos facit. Non autem in primo instanti suae creationis Angeli beati fuerunt, sicut nec e contrario Daemones in primo instanti peccaverunt. Ergo, si per mane intelligatur cognitio rerum quam Angeli habuerunt in verbo, oportet dicere, quod non omnia simul fuerunt facta.

25. La connaissance matutinale, par laquelle l'ange a connu les choses dans le Verbe, doit venir d'une forme, puisque toute connaissance est de ce genre. Elle n'a pas pu venir du Verbe par une forme, parce que celle-ci tait une crature, et ainsi cette connaissance serait plus vesprale que matutinale ; car la connaissance vesprale convient la connaissance qui se fait par la crature. Et on ne peut pas dire que cette connaissance aurait t par une forme qui est le Verbe mme, parce qu'ainsi il aurait fallu que l'ange voit le Verbe, ce qui n'a pas exist avant qu'il soit bienheureux. Car la vision du Verbe rend bienheureux. Ce n'est pas au premier instant de leur cration que les anges ont t bienheureux. De mme en sens contraire, ce n'est pas dans le premier instant que les dmons ont pch. Donc, si par le matin, on comprend la connaissance que les anges ont eu dans le Verbe, il faut dire que tout n'a pas t fait en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 26 Sed dicendum, quod Angelus in statu illo videbat verbum, prout est ratio fiendorum, non autem prout est finis beatorum.- Sed contra, quod verbum dicitur finis et ratio, non differt nisi relatione quadam. Cognitio autem relationis Dei ad creaturam non facit beatos ; cum talis relatio secundum rem magis se teneat ex parte creaturae ; sed sola visio divinae essentiae beatos facit. Ergo quantum ad beatitudinem videntium, non differt utrum videatur ut finis beatitudinis vel ut ratio.

26. Mais il faut dire que l'ange dans cette situation voyait le Verbe dans la mesure o il est la raison des tres crer, mais non comme la fin des bienheureux. En sens contraire, dire que le Verbe est la fin et la raison ne diffre que par une relation. Mais la connaissance de la relation de Dieu la crature ne rend pas bienheureux, puisqu'une telle relation en ralit a lieu surtout du ct de la crature, et seule la vision de l'essence divine rend bienheureux. Donc, quant la batitude de ceux qui voient, il n'y a pas de diffrence s'il est vu comme fin de la batitude ou comme raison.

q. 4 a. 2Arg. 27 Praeterea, prophetae etiam dicuntur, in speculo aeternitatis futura vidisse, secundum quod ipsi viderunt divinum speculum, prout est ratio fiendorum. Secundum hoc ergo non esset differentia inter cognitionem Angeli matutinam et cognitionem prophetae.

27. On dit aussi que les prophtes ont vu le futur dans le miroir de l'ternit, selon qu'ils ont vu le miroir divin, dans la mesure o il est la raison des tres crer. Donc ainsi il n'y aurait pas de diffrence entre la connaissance matutinale de l'ange et celle du prophte.

q. 4 a. 2Arg. 28 Praeterea, Genes. II, 5, dicitur, quod Deus fecit omne virgultum agri antequam oriretur in terra, et omnem herbam regionis priusquam germinaret. Sed germinatio herbarum fuit in tertia die. Ergo aliqua fuerunt facta ante tertium diem ; et ita non omnia facta sunt simul.

28. En Gense 2, 5, il est dit que Dieu a fait toute verdure des champs, avant qu'elle se lve de la terre et toute herbe de la campagne, avant qu'elle ne germe. Mais la germination de lherbe date du troisime jour. Donc certaines choses furent faites avant le troisime jour, et ainsi tout ne fut pas fait en mme temps.

q. 4 a. 2Arg. 29 Praeterea, ut in Psalmo CIII, 24, dicitur, Deus omnia in sapientia fecit. Sed sapientis est ordinare, ut dicitur in principio Metaphys. Ergo videtur quo Deus non omnia simul fecerit, sed secundum ordinem temporis successive.

29. Dans le Psaume 103, 24, on dit que Dieu a tout fait avec sagesse. Mais le propre du sage c'est d'ordonner, comme on le dit au dbut de la Mtaphysique (I, 2, 982 a 17). Donc on voit comment Dieu n'a pas tout fait en mme temps, mais successivement dans l'ordre du temps.

q. 4 a. 2Arg. 30 Sed dicendum, quod in rerum productione etsi non fuerit servatus ordo temporis, fuit tamen servatus ordo naturae.- Sed contra, secundum ordinem naturae sol et luna et stellae priores sunt plantis, cum manifestae sint causae plantarum ; et tamen posterius commemorantur facta luminaria caeli quam plantae. Ergo non est observatus ordo naturae.

30. Mais il faut dire que dans la production des cratures, mme si l'ordre du temps n'a pas t conserv, cependant celui de la nature le fut. En sens contraire, selon l'ordre de la nature, le soleil, la lune et les toiles existrent avant les plantes, puisqu'elles ont t dsignes comme leurs causes, et cependant on mentionne que les luminaires du ciel ont t faits aprs les plantes. Donc l'ordre de la nature n'a pas t conserv.

q. 4 a. 2Arg. 31 Praeterea, firmamentum caeli naturaliter est prius terra et aqua ; tamen prius fit mentio in Scriptura de terra et aqua quam de firmamento, quod legitur secunda die factum.

31. Le firmament du ciel est par nature avant la terre et l'eau ; cependant on fait mention dans l'criture de la terre et de l'eau avant le firmament : on lit qu'il a t fait le second jour.

q. 4 a. 2Arg. 32 Praeterea, subiectum, naturaliter est prius accidente. Lux autem quoddam accidens est, cuius primum subiectum est firmamentum. Ergo non debuisset praemitti lucis productio factioni firmamenti.

32. Le substrat est naturellement avant l'accident ; mais la lumire est un accident dont le premier substrat est le firmament. Donc la production de la lumire n'aurait pas d tre signale avant la cration du firmament.

q. 4 a. 2Arg. 33 Praeterea, animalia gressibilia perfectiora sunt natatilibus et volatilibus, et praecipue propter similitudinem ad hominem ; et tamen prius agitur de productione piscium et avium quam animalium terrestrium. Ergo non est servatus debitus ordo naturae.

33. Les animaux qui marchent sont plus perfectionns que ceux qui nagent ou volent, et principalement cause de leur ressemblance avec l'homme, et cependant il s'agit de la production des poissons et des oiseaux avant celle des animaux terrestres. Donc l'ordre de la nature n'a pas t conserv.

q. 4 a. 2Arg. 34 Praeterea, pisces et aves non minus videntur differre secundum naturam ab invicem, quam a terrestribus animalibus, et tamen pisces et aves eodem die facta commemorantur. Ergo dies non sunt intelligendi secundum diversa rerum genera, sed magis secundum temporis successionem ; et sic non omnia facta sunt simul.

34. Les poissons et les oiseaux ne semblent entre eux, selon leur nature, pas moins diffrents que les animaux terrestres et cependant on mentionne que les poissons et les oiseaux ont t faits le mme jour. Donc les jours ne sont pas comprendre selon les diffrents genres dՐtres, mais plus selon la succession du temps, et ainsi tout n'a pas t cr en mme temps.

 

En sens contraire :

q. 4 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod habetur Genes. cap. II, 4 : istae sunt generationes caeli et terrae, quando creata sunt, in die quo fecit dominus Deus caelum et terram, et omne virgultum agri. Virgultum autem agri factum legitur tertia die ; caelum autem et terra facta sunt prima die, vel etiam ante omnem diem. Ergo ea quae sunt facta tertio die, sunt facta simul cum illis quae sunt facta primo die, vel etiam ante omnem diem ; et sic pari ratione omnia facta sunt simul.

1. Il y a ce qu'on lit dans la Gense (2, 4) : Ce sont les gnrations du ciel et de la terre, quand ils ont t crs, au jour o le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs. Mais on lit que la verdure a t faite le troisime jour ; et le ciel et la terre le premier jour, ou mme avant tout jour. Donc ce qui a t fait le troisime jour, l'a t en mme temps que ce qui a t fait le premier, ou mme avant tout jour ; et ainsi raison gale tout a t fait en mme temps.

q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Iob, 40, 10, dicitur : ecce Behemoth, quem feci tecum. Per Behemoth autem, secundum Gregorium, Diabolus intelligitur qui factus est prima die, vel ante omnem diem ; homo autem, ad quem dominus loquitur, factus est sexta die. Ergo ea quae sunt facta sexto die, sunt simul facta cum illis quae facta sunt primo die ; et sic idem quod prius.

2. Il est dit en Job (40, 10) : Voici Bhmot que j'ai fait avec toi. Par Bhmot, selon Grgoire [le grand] (Les Morales, XXXII, 9, dans les nouveaux exemplaires), on comprend le diable, qui a t fait le premier jour ou avant tout jour ; mais l'homme qui Dieu parle a t fait le sixime jour. Donc ce qui a t fait le sixime jour, a t fait en mme temps que ce qui a t fait le premier jour, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 4 a. 2 s. c. 3 Praeterea, partes universi dependent ab invicem, et maxime inferiores a superioribus. Non ergo potuerunt fieri quaedam partes ante alias, et praecipue inferiores ante superiores.

3. Les parties de l'univers dpendent les unes des autres, et surtout les parties infrieures dpendent des parties suprieures. Certaines n'ont pas pu tre faites avant les autres, et principalement les infrieures avant les suprieures.

q. 4 a. 2 s. c. 4 Praeterea, plus distat corporalis et spiritualis creatura quam corporales creaturae ad invicem. Sed spiritualis et corporalis creatura, ut in alia quaestione est habitum, simul factae fuerunt. Ergo multo amplius omnes spirituales creaturae.

4. La crature corporelle et la crature spirituelle sont plus distantes que les cratures corporelles entre elles. Mais la crature spirituelle et la crature corporelle, comme on l'a vu dans une autre question, ont t faites en mme temps. Donc beaucoup plus toutes les cratures spirituelles.

q. 4 a. 2 s. c. 5 Praeterea, Deus propter suae virtutis immensitatem subito operatur. Opus ergo cuiuslibet diei subito et in instanti est factum. Ergo pro nihilo poneretur quod Deus expectasset operari sequens opus usque in alium diem, ut sic toto die ab actione vacaret.

5. Dieu opre d'un seul coup cause de l'immensit de son pouvoir. Donc l'uvre de n'importe quel jour a t accomplie soudainement et dans l'instant. Donc c'est pour rien qu'on n'aurait pens que Dieu aurait attendu d'oprer l'uvre suivante jusqu' un autre jour, pour qu'ainsi pendant tout le jour il demeure sans action.

q. 4 a. 2 s. c. 6 Praeterea, si dies illi de quibus in rerum formatione fit mentio, dies materiales fuerunt, non videtur potuisse fieri ut totaliter nox a die distingueretur, et lux a tenebris. Nam si lux illa quae legitur primo die facta, undique terram circuibat, nusquam tenebrae erant, quae fiunt ex umbra terrae oppositae ad lumen, quod diem causat. Si autem lux illa suo motu terram circuibat, ut diem et noctem faceret, tunc semper ex una parte erat dies, et ex alia nox ; et ita non totaliter erat nox a die distincta ; quod est contra Genesis Scripturam.

6. Si ces jours dont on fait mention dans la mise en forme des choses, ont t des jours matriels, il ne semble pas qu'ils aient pu tre faits pour que la nuit soit totalement distingue du jour et la lumire des tnbres. Car si cette lumire qui a t faite le premier jour, comme on le lit, entourait la terre de tous cts, jamais il n'y avait de tnbres, qui sont faites de l'ombre de la terre oppose la lumire, qui cause le jour. Mais si cette lumire entourait la terre par son mouvement, pour faire le jour et la nuit, alors toujours il y avait le jour d'un ct, et la nuit de l'autre ; et ainsi la nuit n'tait pas totalement distingue du jour, ce qui est contre le texte de la Gense.

q. 4 a. 2 s. c. 7 Praeterea, distinctio diei et noctis fit per solem et alia caeli luminaria ; unde dicitur in opere quartae diei : fiant luminaria in firmamento caeli ; et postea subditur ; ut sint in signa, et tempora, et dies, et annos. Ergo cum effectus causam non praecedat, non potest esse quod dies illi tres primi essent eiusdem rationis cum diebus qui nunc sole aguntur ; et sic non oportet propter illos dies dicere quod omnia fuerunt facta successive.

7. La distinction du jour et de la nuit est faite par le soleil et les autres luminaires du ciel, c'est pourquoi on dit dans l'uvre du quatrime jour : Que soient faits les luminaires au firmament du ciel ; et ensuite, il est ajout ; pour qu'ils soient signes du temps, des jours et annes.. Donc comme l'effet ne prcde pas la cause, il n'est pas possible que ces trois premiers jours soient de la mme nature que les jours qui sont produits maintenant par le soleil ; et ainsi il ne faut pas cause d'eux dire que tout a t fait successivement.

q. 4 a. 2 s. c. 8 Praeterea, si erat aliqua alia lux quae suo motu tunc faceret diem et noctem, oportebat quod esset aliquid aliam lucem deferens circulariter motum ; ut undique terram successive illuminaret. Hoc autem deferens est firmamentum, quod legitur factum secunda die. Ergo ad minus prima dies non potuit esse eiusdem rationis cum diebus qui nunc aguntur ; et eadem ratione nec cum aliis.

8. S'il y avait une autre lumire, qui par son mouvement produise le jour et la nuit, il fallait qu'il y ait quelque chose dou d'un mouvement circulaire, qui apporte une autre lumire, pour clairer partout successivement la terre. Mais ce qui l'apporte, c'est le firmament, on lit qu'il a t fait le second jour. Donc au moins le premier jour n'a pu tre de la mme nature que les jours qui existent maintenant, et par la mme raison, que les autres non plus.

q. 4 a. 2 s. c. 9 Praeterea, si lux illa ad hoc facta fuit, ut faceret diem et noctem ; nunc etiam per eius motum dies et nox fieret ; non enim convenienter posset dici, quod ad hoc tantum instituta esset, ut per illud triduum ante solis factionem huiusmodi officium exerceret, et postmodum esse desineret. Sed nunc non videmus aliqua alia luce fieri diem et noctem, nisi per lucem solis. Ergo nec etiam in illo triduo per aliquam corporalem lucem potest intelligi diem et noctem distincta fuisse.

9. Si cette lumire a t faite pour produire le jour et la nuit, maintenant elle ferait le jour et la nuit par son mouvement, car on ne pourrait pas dire convenablement que cela a t institu pour seulement exercer cet office pour cette priode de trois jours, avant la cration du soleil, et cesser dՐtre ensuite. Mais maintenant, nous ne voyons pas que le jour et la nuit soient produits par une autre lumire que celle du soleil. Donc aussi dans ces trois jours, on ne peut pas comprendre, que le jour et la nuit aient t distingus par une lumire corporelle.

q. 4 a. 2 s. c. 10 Sed dicendum, quod ex illa luce formatum est postea corpus solis.- Sed contra, omne illud quod fit ex materia praeiacente, habet materiam talem in qua possibilis est formarum successio. Talis autem non est materia solis, nec alicuius caelestium corporum, eo quod in eis non est contrarietas, ut probatur in I Cael. et Mun. Ergo non potest esse quod ex illa luce postmodum formatum sit corpus solis.

10. Mais il faut dire que le corps du soleil a t mis en forme par cette lumire par la suite. En sens contraire, tout ce qui est fait de matire prexistante, a une matire telle qu'en elle la succession des formes y est possible. Mais telle n'est pas la matire du soleil, ni d'aucun des corps clestes, parce que, en eux, il n'y a pas de contraires, comme on le prouve (Le Ciel et le Monde, I, 3, 270 a 15[555]). Donc il n'est pas possible que le corps du soleil ait t form de cette lumire par la suite.

 

Rponse :

q. 4 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod, si ponatur quod informis materia rerum formationem tempore non praecessit, sed sola origine (quod necesse est dicere, si per materiam informem materia absque omni forma intelligatur), de necessitate sequitur quod rerum formatio tota facta sit simul : non enim potest esse ut aliqua pars materiae informis omnino vel ad momentum sit. Et praeterea, quantum ad illam partem, iam materia rerum formationem tempore praecederet. Unde secundum ea quae in praecedenti quaest. determinata sunt, secundum opinionem Augustini, haec secunda quaestio locum non habet, sed oportet omnino dicere, quod omnia sunt simul formata ; nisi pro tanto quod restat exponere qualiter sex dies quos Scriptura commemorat, intelligantur. Quia si intelligerentur sicut isti dies qui nunc aguntur, esset praedictae opinioni contrarium, quia tunc oporteret successione quadam dierum, rerum formationem facta intelligere.

Si on pense que la matire sans forme n'a pas prcd sa mise en forme dans le temps, mais par la seule origine, (parce qu'il est ncessaire de dire, que si on comprend par matire sans forme la matire sans aucune forme), ncessairement il en dcoule que toute la mise en forme des choses a t accomplie en mme temps ; car il n'est pas possible qu'une partie de la matire existe compltement sans forme mme pour un moment. Et ensuite, pour cette partie, la matire aurait prcd en temps la formation des choses. C'est pourquoi, selon ce qui a t dtermin dans la prcdente question[556] (article prcdent), selon l'opinion d'Augustin, cette seconde question n'a pas lieu d'tre traite, mais il faut absolument dire que tout a t form en mme temps, moins que pour autant il reste exposer comment comprendre les six jours dont l'criture fait mention. En effet, s'ils taient compris comme ces jours qui se droulent maintenant, ce serait le contraire de l'opinion prcdente, parce que, alors, il faudrait comprendre la formation des choses comme des uvres selon une certaine succession de jours.

Hos autem dies dupliciter exponit Augustinus. Nam in I super Genesim ad litteram, dicit intelligi per distinctionem lucis a tenebris, distinctionem materiae formatae ab informi, quae restat formanda non quidem tempore, sed naturae ordine. Ipsam vero ordinationem et formationis et informitatis, secundum quod a Deo omnia ordinantur, dicit insinuari per diem et noctem ; nam dies et nox dicunt quamdam ordinationem lucis et tenebrarum. Per vesperam vero dicit intelligi consummati operis terminum. Per mane vero futuram operationis inchoationem, ut tamen futurum non accipiatur secundum ordinem temporis, sed solum ordine naturae. In primo enim opere praeexistit quasi quaedam significatio futuri operis fiendi. Secundum hoc tamen oportet hos dies diversos intelligi, prout scilicet sunt diversae formationes, et per consequens informitates.

Augustin expose ces jours de deux manires. Car dans La Gense au sens littral. (I, 17), il dit qu'on comprend, par la distinction de la lumire des tnbres, la distinction de la matire en forme de celle sans forme qui reste former, non assurment dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Il dit que lordonnancement de la mise en forme, ou de son absence, est suggr par le jour et la nuit. Car ceux-ci signalent un certain ordre de la lumire et des tnbres. Il dit qu'on comprend par le soir le terme de l'opration accomplie. Mais par le matin le commencement futur de l'opration, de sorte cependant que le futur ne soit pas compris selon l'ordre du temps, mais selon celui de la nature. Car dans la premire uvre prexiste comme un signe de l'uvre future faire. Cependant, selon cela, il faut comprendre ces jours comme diffrents, savoir quils ont diffrentes mises en forme et par consquent des manques de forme.

Sed quia ex hoc sequitur quod etiam dies septimus sit alius a sex primis, si sex primi sunt alii ab invicem (ex quo videtur sequi quod vel Deus diem septimum non fecerit, vel quod aliquid fecerit post septem dies in quibus opera perfecit), ideo consequenter ponit quod per omnes illos septem dies unus dies intelligatur, ipsa scilicet Angelorum cognitio, et numerus ille ad rerum cognitarum distinctionem pertineat magis quam ad distinctionem dierum ; ut videlicet per sex dies intelligatur cognitio Angeli relata ad sex rerum genera divinitus producta, unus vero dies sit ipsa cognitio Angeli relata ad quietem artificis, prout in se ipso a rebus conditis requievit ; et tunc per vespere intelligitur cognitio rei in propria natura, per mane vero cognitio in verbo.

Mais parce qu'il dcoule de l que le septime jour est diffrent des six premiers, si ceux-ci sont diffrents l'un de l'autre (d'o il semble dcouler que, ou bien Dieu n'a pas fait le septime jour, ou bien qu'aprs le septime jour,il parfait son uvre), il pense en consquence que, par ces sept jours, on n'en comprend qu'un seul, savoir la connaissance des anges, et ce nombre convient la distinction des choses connues plus qu' la distinction des jours, pour qu'on comprenne, par les six jours, la connaissance de l'ange, lie aux six genres de choses cres par Dieu. [Il pense] qu'un seul jour est la connaissance de l'ange en relation avec le repos de l'artisan, dans la mesure o en lui-mme il se reposa des cratures et alors, par le soir, on comprend la connaissance des cratures dans leur propre nature et par le matin la connaissance dans le Verbe.

 

 

 

La suite est de Vincent de Castrono (XVe sicle). En voici la traduction (texte de lՎdition Marietti).

 

Mais selon d'autres saints, par ces jours est rvl l'ordre temporel et la succession de la production. Car, selon eux, dans l'uvre des six jours, on atteint non seulement l'ordre de la nature mais aussi celui du temps, et de la dure, car ils pensent que de mme que l'absence de forme de la matire a prcd dans le temps sa mise en forme, de mme une mise en forme a prcd aussi une autre forme dans la dure du temps. Mais ainsi que dans larticle prcdent on l'a dit, l'absence de forme de la matire, selon eux, nest pas comprise comme le manque et l'exclusion de toute forme ; parce qu'il y avait dj le ciel, l'eau et la terre, par lesquels on comprend les corps clestes, les substances spirituelles et les quatre lments qui subsistaient sous leurs formes propres ; mais ils comprennent l'absence de forme de la matire, selon qu'elle rvle seulement l'absence et l'exclusion de la distinction qui lui est due et d'une certaine beaut acheve : parce qu'elle n'avait pas cette beaut et ce charme qui apparat maintenant dans la crature corporelle.Et autant qu'on peut le comprendre de la Gense selon la lettre, une triple beaut manquait la nature corporelle, ce pourquoi on la disait sans forme. Car il manquait au ciel et tout corps diaphane le charme et la beaut de la lumire, dsignes par les tnbres. Il manquait aussi l'ordre ncessaire l'lment eau et la distinction ncessaire de l'lment terre, cette absence de forme est dsigne sous le nom d'abme ; parce que ce nom signifie une immensit sans ordre des eaux, comme Augustin le dit (Contre Fauste, XXII, 11). Mais la terre, il manquait une double beaut : l'une qu'elle possde du fait qu'elle a t dcouverte par les eaux et cette absence de forme est dsigne par ce qu'on dit : Mais la terre tait vide ou invisible, parce qu'elle ne pouvait s'ouvrir l'aspect corporel du fait que les eaux la recouvrait partout. Mais l'autre vient de ce qu'elle est orne de plantes et par l, on rejoint ce qui est dit qu'elle est dserte ou sans composition, c'est--dire sans ornements.Et ainsi, avant l'uvre de distinction, l'criture dcrit plusieurs distinctions qui prexistait dans les lments du monde au commencement de la cration. 1) Elle traite la distinction du ciel et de la terre selon que par ciel, on comprend tout corps transparent, sous lequel on inclut le feu et l'air cause de leur transparence, en laquelle ils s'accordent avec le ciel. 2) Elle rejoint la distinction des lments quant leurs formes substantielles du fait qu'elle dsigne l'eau et la terre qui sont plus apparentes pour les sens. Par l elle donne comprendre aussi que les deux autres lments le sont moins.3) Elle rejoint la distinction selon leur situation, parce que la terre tait sous les eaux, ce qui la rendait invisible, mais on signale que l'air, qui est le substrat des tnbres, avait t sur les eaux du fait qu'il est dit les tnbres, c'est--dire l'air tnbreux, taient sur la face de l'abme.Ainsi donc la mise en forme du premier corps qui est le ciel, a t accomplie le premier jour, par la production de la lumire, par laquelle la luminosit a t confre au soleil et aux corps clestes qui les avaient prcds selon leurs formes substantielles, par qui l'absence de formes des tnbres a t rejete. Et par une mise en forme de ce genre a t faite la distinction du mouvement et du temps, c'est--dire de la nuit et du jour ; car le temps suit le mouvement du ciel suprieur. C'est pourquoi il a distingu la lumire des tnbres, parce que la cause de la lumire tait dans la substance du soleil, et la cause des tnbres dans l'opacit de la terre ; et, dans un seul hmisphre, il y avait la lumire et dans l'autre les tnbres ; et c'est ce qu'il dit :Il appela la lumire jour et les tnbres nuit. Le second jour, le corps intermdiaire, c'est--dire l'eau, est form et distingu, recevant une distinction et un ordre, par la formation du firmament, de sorte que sous le nom d'eau, on comprend tous les corps transparents, et ainsi le firmament, c'est--dire le ciel toil, a t produit le second jour, non selon sa substance, mais selon une perfection accidentelle, il divisa les eaux qui sont au-dessus du firmament, c'est--dire le ciel transparent et sans toiles, qui est appel aqueux, ou cristallin, dont les philosophes disent qu'il est la neuvime sphre, et le premier mobile ; parce quil droule tout le ciel d'un mouvement diurne, pour oprer, par son mouvement la continuit de la gnration ; comme le ciel, en qui il y a les astres par mouvement, qui est selon le zodiaque, opre la diversit de la gnration et de la corruption par flux et reflux, pour nous, par les diffrents pouvoirs des toiles ; par le firmament, dis-je, le ciel cristallin, qui est au-dessus du firmament, se spare des eaux, c'est--dire par les autres corps transparents corruptibles qui sont sous le firmament ; et ainsi les corps transparents infrieurs, dsigns sous le nom d'eau reurent, par le firmament, une mise en ordre, et la distinction qui leur tait due. Le troisime jour, le corps ultime, c'est--dire la terre, a t mis en forme par le fait qu'elle a t dcouverte par les eaux, et la distinction de la mer et du sable a t faite au fond. Voil qui est assez convenable : de mme quil avait exprim la mise en forme de la terre, en disant que la terre tait invisible ou vide ; de mme il exprime ainsi la mise en forme par ce qu'il dit : Qu'apparaisse aussi la terre sche. Et les eaux ont t rassembles en un seul lieu, part de la terre sche. Et il appela mer le rassemblement des eaux et terre ce qui tait sec ; (parce qu'elle avait d'abord t sans forme et dserte) il la dcora de plantes et d'herbes.Le quatrime jour, la premire partie de la crature corporelle, qui le premier jour avait t spare, fut orne, savoir le ciel par la production des luminaires ; qui selon leur substance ont t crs au commencement : mais auparavant leur substance tait sans forme, mais elle est mise en forme le quatrime jour, non pas par une forme substantielle mais en recevant un pouvoir limit, selon que celui-ci a t attribu aux luminaires pour des effets dtermins, c'est ainsi que nous voyons que le rayon du soleil a d'autres effets, que celui de la lune et des toiles. Et c'est pour cette dtermination du pouvoir que Denys dit (Les Noms divins, IV, 6, 697 B) que la lumire du soleil qui d'abord tait sans forme a t mise en forme le quatrime jour. Mais il na pas t fait des luminaires eux-mmes, au commencement, comme le dit Jean Chrysostome ; mais seulement le quatrime jour, pour qu'ainsi l'criture loigne le peuple de l'idoltrie, en montrant que les luminaires ne sont pas des dieux, du fait qu'ils n'existaient pas au commencement. Le cinquime jour, la seconde partie de la nature corporelle qui a t spare le second jour, est orne par la production des oiseaux et des poissons, et c'est pourquoi, en ce cinquime jour, l'criture fait mention des eaux et du firmament du ciel, pour montrer quil rpond au second dans lequel lՃcriture en a fait mention. Donc en ce jour, partir de la matire lmentaire dabord cre par le verbe de Dieu, il y eut les oiseaux et les poissons, produits en acte, en leur propre nature, pour l'ornement de l'air et de l'eau ; dans lesquels ils sont destins se mouvoir convenablement d'un mouvement anim.Le sixime jour, est orne la troisime partie et le corps ultime, savoir la terre, par la production des animaux terrestres, qui sont destins se mouvoir sur terre d'un mouvement anim. C'est pourquoi, comme dans l'uvre de la cration, on dsigne trois parties de la crature corporelle ; la premire, celle qui est dsigne par le nom de ciel, l'intermdiaire par le nom d'eau, et la plus basse par le nom de terre ; et la premire partie, savoir le ciel, est spare le premier jour, et orne le quatrime, la partie intermdiaire savoir l'eau, est spare le second jour et orne le cinquime, comme on l'a dit, ainsi il convenait que la partie la plus basse, savoir la terre, qui a t spare le troisime jour, ait t orne le sixime par la cration des animaux terrestres, en acte, selon leurs espces propres.Par l apparat, que dans l'exposition des uvres des six jours, Augustin se spare les autres saints. 1) Premirement, parce que, par la terre et l'eau cres avant mme par l'opration de la cration, il comprend la matire premire totalement sans forme ; par la production du firmament, le rassemblement des eaux, et l'apparition de la terre sche, il comprend l'induction des formes substantielles dans la matire corporelle. D'autres saints comprennent par la terre et l'eau cres d'abord, les lments du monde existant sous leurs formes propres ; mais par les uvres suivantes, ils comprennent la distinction dans les corps qui existait avant par des pouvoirs et des proprits accidentelles qui leur ont t confres, comme on l'a dit ci-dessus.2) Deuximement leur point de vue est diffrent sur la production des plantes et des animaux, parce que les autres saints pensent qu'ils ont t produits en acte dans l'uvre des six jours, comme dans leur propre nature. Mais Augustin pense qu'ils ont t produits en puissance seulement.Mais du fait qu'Augustin pense (La Gense au sens littral, IV, 34) que toutes les uvres des six jours ont t accomplies en mme temps, elles ne semblent pas se diversifier des autres par leur mode de production. 1) Premirement, parce que selon lopinion des uns et les autres dans la premire production, la matire tait sous les formes substantielles des lments ; de sorte que la matire premire na pas prcd en dure les formes substantielles des lments du monde. 2) Deuximement parce que selon l'opinion des uns et des autres, dans l'institution premire des choses, par l'uvre de cration, il n'y eut ni plantes ni animaux en acte mais seulement en puissance, pour qu'ils puissent tre produits de leurs lments mme par le pouvoir du Verbe.Mais il reste encore une diffrence, entre eux quant au quatrime [jour] ; parce selon d'autres saints, aprs la premire production de la crature, par laquelle ont t produits les lments du monde et les corps clestes selon leurs formes substantielles, il y eut un temps pendant lequel il n'y avait pas de lumire : d'une part, en ce temps-l, il ny avait pas de firmament en forme, ni de corps transparent en ordre et spar ; d'autre part, en ce temps-l, il n'y avait pas de terre dcouverte par les eaux, et pas de luminaires du ciel en forme, ce qui est du quatrime [jour], ce quil ne faut pas admettre, selon l'exposition d'Augustin (loc. cit.) qui a pens que tout cela a t form en mme temps, et dans le mme instant. Que les uvres des six jours, pour d'autres saints, n'aient pas t produites en mme temps, mais successivement, cela ne vient pas de la dfaillance de la puissance du crateur, qui aurait pu tout produire en mme temps, mais c'tait pour dmontrer l'ordre de la sagesse divine dans l'institution des choses, qui en faisant venir l'tre partir du nant, ne les tablit pas, aussitt aprs le nant, dans l'ultime perfection de leur nature, mais d'abord il les fit exister dans une certaine imperfection et ensuite il les amena la perfection, pour que du nant, le monde parvienne graduellement du nant l'ultime perfection ; et ainsi par divers degrs de perfection, les diffrents jours ont servi montrer que leur tre procde de Dieu, contre ceux qui pensent que la matire est incre, et nanmoins Dieu lui-mme apparatrait comme crateur de la perfection des choses contre ceux qui dcrivent la formation des tres infrieurs par d'autres causes.Donc la premire de ces expositions, savoir celle d'Augustin, est plus subtile ; elle dfend davantage l'criture contre la drision des infidles, mais la seconde, savoir celle des autres saints, est plus facile et en accord avec la lettre du texte. Cependant, parce que ni l'une ni l'autre ne contredit la vrit de la foi et que le contexte supporte les deux sens, comme ni lune ni lautre n'apportent de prjudice, il faut rpondre en soutenant ces deux opinions par leurs raisons propres.Solutions :# 1. Il faut donc dire que dans la production des uvres divines, l'ordre de la nature et de l'origine a t conserv, mais pas celui de la dure. Car la nature spirituelle a t produite avant par nature et par origine et la nature corporelle sans forme a t forme aprs. Et, bien que l'une et l'autre nature aient t formes en mme temps, parce que cependant la nature spirituelle est plus digne que la nature corporelle, sa mise en forme a d prcder celle de la nature corporelle dans l'ordre de la nature. De nouveau, parce que la nature corporelle incorruptible est plus digne que la nature corruptible, elle a d tre forme avant dans l'ordre de la nature. Et ainsi, par le premier jour la mise en forme de la nature spirituelle est dsigne par la production de la lumire, par laquelle l'esprit de la crature spirituelle est clair en se tournant vers le Verbe, le second jour, la mise en forme de la nature corporelle cleste et incorruptible est dsigne par la production du firmament, par lequel nous comprenons que tous les corps clestes ont t crs et spars selon leurs formes ; le troisime jour, la mise en forme de la nature corporelle des quatre lments est dsigne par le rassemblement des eaux et l'apparition de la terre sche ; le quatrime jour, l'ornement du ciel est dsign par la production des luminaires, qui, dans l'ordre de la nature, doit prcder l'ornement de l'eau et de la terre qui a t fait les jours suivants. Et ainsi les uvres divines ont t faites dans un certain ordre, savoir celui de la nature et non celui de la dure.# 2. La mise en forme des choses n'a pas t faite successivement, ni en diffrentes parties du temps ; mais on lit que tous ces six jours, pendant lesquels Dieu a accompli ses uvres, sont une seul jour prsent avec six distinctions des choses, selon lesquelles on les compte ; de mme quil ny avait quun seul Verbe, savoir le Fils de Dieu, par lequel tout a t fait, quoiqu'on dise frquemment : Dieu a dit . Et de mme que ces uvres, qui partir d'elles sont propages par l'opration de nature, sont conserves dans les suivantes ; de mme ces six jours demeurent dans toute la succession du temps. Et on le montre ainsi : la nature anglique, en effet, est intellectuelle, et est appele proprement lumire, c'est pourquoi il faut que cette mise en lumire soit appele jour. Mais la nature anglique reoit la connaissance des choses au commencement de leur fondation, et ainsi d'une certaine manire la lumire de son intellect tait reprsente dans les cratures, en tant qu'elles taient connues par la lumire de son esprit ; c'est pourquoi la connaissance mme des choses apportant la reprsentation de la lumire de l'esprit anglique sur les choses connues est appel jour, et selon les divers genres de connaissances et leur ordre les jours sont distingus et ordonns, de sorte que le premier jour soit la connaissance de la premire uvre divine, en tant que mise en forme de la crature spirituelle, qui se tourne vers le Verbe, que le second jour soit la connaissance de la seconde uvre selon la crature corporelle suprieure a t mise en forme par la production du firmament, que le troisime jour soit la connaissance de la troisime uvre en tant que la mise en forme de la crature corporelle quant sa partie infrieure, savoir, la terre, l'eau et l'air voisin ; que le quatrime jour soit la connaissance de la quatrime uvre en tant que partie suprieure, c'est--dire le firmament orn par la production des luminaires ; que le cinquime jour soit la connaissance de la cinquime uvre divine, en tant que l'air et l'eau ont t orns par la production des oiseaux et des poissons ; que le sixime jour soit la connaissance de la sixime uvre, en tant que la terre est orne par la production des animaux terrestres ; que le septime jour soit la connaissance de l'ange relative au repos de l'artisan par lequel il se repose en lui des uvres nouvelles fonder. Mais comme Dieu est la pleine lumire, et qu'en lui il n'y a aucunes tnbres, sa connaissance mme en soi est la pleine lumire ; mais parce que la crature du fait qu'elle tire son origine du nant, a en soi les tnbres de la possibilit et de l'imperfection, il faut que la connaissance par laquelle la crature est connue, soit mle de tnbres. Mais elle peut tre connue de deux manires : a) Ou dans le Verbe, selon qu'elle sort de l'art divin ; et ainsi sa connaissance est appele matutinale ; parce que, de mme que le matin est la fin des tnbres et le commencement de la lumire, de mme la crature par la lumire du Verbe, aprs ne pas avoir exist, reoit le principe de la lumire. b) Elle est aussi connue dans la mesure o elle existe dans sa nature propre, et une telle connaissance est appele vesprale, du fait que, de mme que le soir est le terme de la lumire, et tend vers la nuit, la crature qui subsiste en soi, est le terme de l'opration de la lumire divine du Verbe, en tant que cre par lui, et de soi en tendant aux tnbres de la dfaillance, moins qu'elle ne soit porte par le Verbe.Et c'est pourquoi une telle connaissance distingue en matutinale et vesprale est appele jour ; parce que, de mme que par comparaison la connaissance du verbe, elle est tnbreuse, de mme, par comparaison l'ignorance qui est uniquement tnbres, on l'appelle lumire ; et ainsi on atteint le passage entre le matin et le soir, selon que l'ange se connaissant lui-mme, dans sa propre nature, rapporte cette connaissance, comme sa fin, la louange du Verbe, en qui il a reu la connaissance de l'opration suivante comme en son principe. Et de mme qu'un tel matin est la fin du jour prcdent, de mme, il est le commencement du jour suivant ; car le jour est une partie du temps et l'effet de la lumire. Mais la distinction des premiers jours, n'est pas prise selon la distinction du temps, mais du ct de la lumire spirituelle, selon que les diffrents genres distincts de cratures sont connus par la lumire de l'esprit anglique.# 3. On nie que la lumire ne soit pas proprement dans les tres spirituels. Car Augustin (La Gense au sens littral, IV, 24) dit que dans les tres spirituels la lumire est meilleure et plus assure, et que le Christ n'est pas appel lumire de la mme manire quil est appel rocher[557], un mot lui est propre, et l'autre figur. Car tout ce qui est manifest est lumire, comme il est dit (Ep. 5, 13). Mais la manifestation est plus proprement dans les tres spirituels que dans les tres corporels ; c'est pourquoi Denys, (Les noms divins, IV, 4) place la lumire parmi les noms intelligibles de Dieu, mais ces noms intelligibles ont une signification propre pour les tres spirituels. Et quand on prouve l'inverse, on dit que le nom de lumire fut d'abord impos pour signifier ce qui se manifeste par le sens de la vue, et de cette manire, la lumire est seulement une qualit sensible par soi, et n'est pas employe proprement pour les tres spirituels ; deuximement, il s'est tendu de l'usage commun, pour signifier tout ce qui se manifeste par une connaissance quelconque, et ainsi il est dans l'usage commun des locuteurs ; et de cette manire, on dit que la lumire est plus proprement signifie dans les tres spirituels.# 4. Ces jours sont distingus non selon la succession de la connaissance, mais selon l'ordre naturel des choses connues, comme on l'a dit ci-dessus, c'est pourquoi Augustin veut (La cit de Dieu, XI, 7 et 9) que ces sept jours soient un seul jour reprsent de sept manires. Et c'est pourquoi l'ordre des jours doit tre rapport l'ordre naturel des uvres, qui sont attribues aux jours, selon qu'elles sont connues en mme temps dans le Verbe par la lumire de l'esprit anglique.# 5. Par les six jours, pendant lesquels on dit que Dieu cra le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, on comprend non pas une succession temporelle, mais la connaissance anglique en rapport aux six genres de choses produites par Dieu ; mais le septime jour est la connaissance mme de l'ange en rapport avec le repos de l'artisan ; car on dit, selon Augustin, (La Gense au sens littral, IV, 15) que Dieu le septime jour se reposa, un repos particulier o il se repose en lui-mme des cratures, il demeure bienheureux sans avoir besoin d'elles, mais en se suffisant lui-mme, il le montra l'esprit anglique dont il appelle jour la connaissance. Et on dit qu'il cessa l'uvre le septime jour, parce que, ensuite, il ne fit rien de nouveau qui naurait pas exist prcdemment d'une certaine manire, dans les uvres des six jours, matriellement, causalement, ou selon une ressemblance de l'espce ou du genre.Et parce que, aprs toutes les uvres cres, Dieu, le septime jour se reposa en lui-mme, l'criture et la Loi ordonne de sanctifier le septime jour. Car la sanctification d'une chose consiste surtout en ce qu'elle repose en Dieu ; c'est pourquoi les objets consacrs Dieu (comme le tabernacle, les vases du prtre) sont appels saints. Mais on dit que le septime jour consacr au culte de Dieu est sanctifi ainsi, de mme que Dieu qui cra les six genres des cratures et les montra l'esprit anglique, ne se reposa pas dans les cratures, comme en sa fin, mais des cratures mmes en lui ; il demeura en lui-mme en quoi consiste sa batitude, (quoiqu'il ne soit pas bienheureux davoir fait les cratures, mais du fait que, ayant sa suffisance en lui, il n'a pas besoin delles) ; ainsi, nous aussi, apprenons nous reposer non pas dans ses uvres ou les ntres, comme dans une fin ; mais en Dieu mme, en qui consiste notre batitude, reposons-nous, car c'est pour cela qu'il a t institu que l'homme travaillant six jours ses propres uvres, se reposerait le septime, se consacrant au culte divin et au repos de la contemplation divine, dans laquelle consiste essentiellement la sanctification de l'homme.La nouveaut du monde aussi dmontre prcisment que Dieu existe, et qu'il n'a pas besoin des cratures, et c'est pourquoi il a t tabli dans la Loi qu'elles se reposeraient et qu'elles feraient fte le septime jour o le monde a t achev, pour que par la nouveaut du monde cr en mme temps, et par les six genres diffrents des choses, l'homme demeure toujours dans la connaissance de Dieu et qu'il lui rende grce du bienfait si utile et si important de la cration, et qu'en lui comme en sa fin, il place le repos de son esprit dans le prsent par grce et dans le futur par la gloire.# 6. On dit que n'importe quelle uvre nouvelle produite par Dieu en rapport avec la connaissance anglique est appel jour ; et parce qu'il y eut seulement six genres de choses produites primitivement par Dieu, et connus par l'esprit anglique, comme on l'a dit ci-dessus, il y a seulement six jours ; auxquels on ajoute un septime, savoir la connaissance mme de l'ange en soi en rapport avec le repos de Dieu en lui-mme. Car il n'a rien produit dans la nature des tres, dont il nest induit dans l'ordre de la nature dabord la connaissance dans l'esprit anglique.# 7. La solution est claire par ce qui a t dit ci-dessus, parce que ces jours ne sont pas distingus selon la distinction de la connaissance anglique, mais par celle des premires uvres en rapport avec la connaissance anglique, et ainsi cette distinction des uvres, et non pas celle des connaissances, apporte la distinction des premiers jours ; et ainsi ces six jours sont distingus selon que la lumire de l'esprit anglique est applique pour connatre les six genres de choses.# 8. Selon Augustin par ces trois expressions est signifi le triple tre des choses. a) Premirement l'tre des choses dans le Verbe, car les cratures ont l'tre dans l'art divin parce quil est le Verbe, avant de lavoir en elles-mmes, et il en est fait mention quand il est dit : Mais Dieu le dit, et ce fut fait ; c'est--dire le Verbe l'a engendr, en qui tait lՐtre crer. b) Deuximement, l'tre des choses dans l'esprit anglique, parce que Dieu n'a rien produit dans la nature qu'il ne l'ait reprsent dans l'esprit anglique, et il en est fait mention quand il dit : Ce fut fait, c'est--dire par induction du Verbe dans l'esprit anglique. c) Troisimement l'tre des choses dans leur propre nature, et il en est fait mention par ce qu'il dit : Il fit. Car de mme que lide par laquelle est cre la crature, est dans le Verbe avant qu'elle ne soit cre, de mme la connaissance de cette mme ide est par l'ordre de la nature dans l'esprit anglique, avant la production mme de la crature. Et ainsi l'ange a une triple connaissance des cratures, selon qu'elles sont dans le Verbe, dans son esprit ou dans leur propre nature ; la premire est appele connaissance matutinale, les deux autres sont comprises sous le nom de connaissance vesprale. Et pour montrer ce double mode de connaissance dans la crature spirituelle, il est dit : Il y eut un soir et un matin, un jour unique (Gn, 1, 5). Donc par les six jours pendant lesquels, on lit que Dieu cra tout, Augustin comprend (La cit de Dieu, XI, 9 [558] ) non pas ces jours ordinaires qui s'accomplissent par la course du soleil, puisqu'on lit que le soleil a t cr le quatrime jour, mais un seul jour, c'est--dire la connaissance anglique prsente par six genres de choses. C'est pourquoi, de mme que la reprsentation de la lumire corporelle sur ces choses infrieures compte pour un jour temporel, de mme la reprsentation de la lumire spirituelle de l'intellect anglique sur les cratures, compte pour un jour spirituel ; de sorte quainsi, ces six jours sont distingus selon que la lumire de l'intellect anglique est applique connatre les six genres de choses ; pour que le premier jour soit la connaissance de la premire uvre divine, le second la connaissance de la seconde, etc..Et ainsi, ces six jours sont distingus non selon l'ordre du temps ou la succession des tres, mais selon l'ordre naturel des choses connues, selon qu'une uvre a t connue avant l'autre, dans l'ordre de la nature. Et de mme que dans le jour ordinaire et matriel, le matin est le commencement du jour et le soir en est la fin ou le terme, de mme la connaissance de chaque uvre, selon son tre dorigine, selon qu'il a l'tre dans le Verbe, est appele matutinale, mais sa connaissance selon l'tre ultime, dans la mesure o elle subsiste dans sa nature propre, est appel vesprale. Car le principe de l'tre de nimporte quelle chose chose est dans sa cause d'o elle dcoule, mais son terme est dans ce en quoi elle est reue, et o l'action de la cause se termine. C'est pourquoi la connaissance premire d'une chose est selon qu'elle est considre dans sa cause d'o elle dcoule ; mais la connaissance ultime est selon ce qui est est considr en elle-mme.Donc comme l'tre des cratures dcoule du Verbe ternel, comme d'un principe primordial, et que cet coulement se termine lՐtre qu'elles ont dans leur propre nature, il s'ensuit que la connaissance dans le Verbe qui appartient leur tre premier et dorigine doit tre appel matutinale, par ressemblance au matin qui est le commencement du jour, mais la connaissance de la crature dans sa propre nature, qui appartient son tre ultime et achev, doit tre appele vesprale, parce que le soir est le terme du jour. C'est pourquoi de mme que six genres de choses, rapports la connaissance anglique, distinguent les jours, de mme l'unit de la chose connue qui peut tre connue de diverses manires, constitue l'unit du jour, et distingue le jour par le soir et le matin.# 9. L'ange ne peut pas dans sa propre nature comprendre plus au commencement, et originairement mais il peut bien comprendre plus en consquence du fait qu'il est en relation avec l'un intelligible. Et parce que toute chose produite par sa nature propre, a d'abord t dans lordre de la nature, selon ses ressemblances, induites dans l'esprit anglique, l'ange en se connaissant, connat en mme temps d'une certaine manire ces six genres de choses, qui ont un ordre naturel entre eux, car en se connaissant, il connat tout ce qui a l'tre en soi. # 10. Il peut y avoir deux oprations en mme temps, pour une mme puissance dont l'une se rapporte l'autre et lui est ordonne et il est clair que la volont veut en mme temps la fin et ce qui la concerne et l'esprit comprend en mme temps les principes et les conclusions par les principes, quand il en a cependant acquis la science. Mais la connaissance vesprale dans les anges se rapporte la connaissance matutinale, comme Augustin le dit (Dial. 65, qu. 26, Sur la Gense, II, ch., 3 et 8), de mme que la connaissance et l'amour naturels sont ordonns la connaissance et l'amour de gloire. C'est pour cela que rien n'empche que, dans l'ange, il y ait en mme temps une connaissance matutinale et vesprale, comme il y a en mme temps la connaissance naturelle et la connaissance de gloire. Car deux oprations d'une seule puissance, qui procdent de deux espces d'un mme genre, dont l'une n'a pas de rapport avec l'autre (telles sont toutes les espces cres inhrentes l'esprit) ne peuvent exister en mme temps ; c'est pourquoi l'ange ne peut pas produire en mme temps par diverses formes concrtes diverses intellections. Mais si ces deux oprations procdent des formes de genres et de raisons diffrents, et dont l'une est ordonne l'autre (telles sont la forme subsistante incre et la forme inhrente cre), elles peuvent coexister.Et parce que la connaissance par laquelle l'ange voit les choses dans leur nature propre, qui est appele vesprale, se fait pas une espce intelligible, cre et inhrente, et que la connaissance, par laquelle il voit les choses dans le Verbe, appele matutinale, se fait par l'essence du Verbe qui n'est pas inhrente, ce qui est d'un autre genre et d'une autre nature, et que l'une est ordonne l'autre, les deux connaissances pourront exister en mme temps. Car la forme concre inhrente l'esprit ne rpugne pas l'union de l'esprit l'essence du Verbe, qui n'actualise pas l'intellect quant son tre, mais seulement quant son intellection, puisqu'il n'est pas d'une seule nature, mais d'un ordre plus lev, et cette forme inhrente mme et tout ce qui est parfait dans l'intellect cr, est comme une disposition matrielle cette union et la vision bienheureuse par laquelle ils voient la cration dans le Verbe.Et c'est pourquoi, de mme que la disposition une forme et cette forme peuvent tre dans un acte parfait en mme temps, de mme la forme intelligible inhrente se trouve en mme temps dans l'acte parfait avec union l'essence du Verbe ; c'est pourquoi, en mme temps, de l'esprit de l'ange bienheureux procde une double opration : a) en raison de son union l'essence du Verbe, par laquelle il voit les tres dans le Verbe, ce qui est appel connaissance matutinale et b) l'autre en raison de la forme qui y est inhrente par laquelle il voit les choses dans leur propre nature, qui est appele connaissance vesprale. Et l'une de ces actions n'est pas affaiblie ou attnue par son attention l'autre, mais elle en est plutt renforce, puisque l'une des deux est la raison de l'autre, comme l'image dun objet vu est renforce quand il est vu en acte par l'il externe. Car l'action par laquelle les bienheureux voient le Verbe, et les cratures en lui, est la raison de n'importe quelle action trouve en eux. Mais deux actions dont l'une est la raison de l'autre, ou dont lune est ordonne l'autre, peuvent venir en mme temps d'une seule puissance.Et alors une seule puissance, selon les diverses formes ordonnes entre elles, se termine des actes divers, non pas dans l'identique mais dans la diversit. Car les espces des diffrents genres, ordres, dont les diverses natures peuvent tre unies ensemble dans un acte parfait ; comme on le voit pour la couleur, l'odeur et la saveur dans un fruit.Mais l'essence divine, par laquelle l'esprit anglique voit les cratures dans le Verbe, (puisquelle est incre et subsistante par soi) et l'essence de l'ange par laquelle il se voit toujours lui et les choses selon qu'elles ont l'tre en soi, (puisque cette essence a t cr, et quelle subsiste par soi dans un tre reu o subsiste son esprit), et l'espce infuse, ou concre, par laquelle il voit les choses dans leur propre nature (puisqu'elle est inhrente son esprit), sont dites de diffrents ordres, genres, et de diffrentes natures ; de sorte que la premire est comme la raison des autres, et la seconde comme la raison de la troisime, et c'est pourquoi l'esprit anglique pourra en mme temps, avoir trois oprations selon ces trois formes ; de mme que l'me du Christ comprend en mme temps les choses par l'espce du Verbe, par les formes infuses et les espces acquises. # 11. Selon Augustin (A Orose, question 21), de mme que l'absence de forme de la matire a prcd sa mise en forme, non dans le temps, mais dans l'ordre, comme le son et la voix prcde le chant ; de mme la mise en forme de la nature spirituelle qui est dsigne dans la production de la lumire, puisqu'elle est plus digne que la nature corporelle, elle a prcd la mise en forme de la crature corporelle, dans l'ordre de la nature et de l'origine, et non dans l'ordre du temps. Mais la mise en forme de la nature spirituelle vient du fait qu'elle est claire pour adhrer au Verbe, non par la gloire parfaite sans laquelle elle a t cre, mais par la grce parfaite avec laquelle elle a t cre. Donc par cette lumire est faite la distinction des tnbres, c'est--dire par ce manque de forme de la crature corporelle, pas encore mis en forme, mais dans l'ordre d'une nature mettre en forme par la suite.Car la mise en forme de la crature spirituelle peut tre comprise de deux manires : 1) par l'infusion de la grce, 2) par la conservation de la gloire.a) Selon Augustin, la premire grce est parvenue aussitt la crature spirituelle, au commencement de sa cration et alors, par les tnbres, qui se distinguent de la lumire, on ne comprend pas le pchs des mauvais anges, mais l'absence de forme de la nature, qui n'avait pas encore t forme, mais tait dans l'ordre de la nature, devant tre forme dans les oprations suivantes, comme il est dit dans La Gense au sens littral, (I, 5, VI et VII). Ou comme il est dit Sur la Gense, (livre IV ch. XXII et XXIII), par le jour est signifie la connaissance de Dieu, par la nuit la connaissance de la crature, qui est tnbres par rapport la connaissance divine, comme il est dit dans le mme livre. Ou si, par les tnbres nous comprenons les anges pcheurs, cette division ne se rapporte pas au pch prsent, mais au pch futur, qui tait dans la prescience de Dieu. C'est pourquoi dans le livre A Orose (question 24), il dit : Parce que Dieu savait l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que quelques anges tomberaient par orgueil, il les divisa en bons et mchants ; appelant les mchants tnbres et les bons lumire.b) La seconde mise en forme de la nature spirituelle n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plus leur volution o elles sont gouvernes par la providence divine. Donc la distinction de la lumire et des tnbres, selon que, par les tnbres, on comprend les pchs des dmons, doit tre entendue selon la prescience de Dieu. C'est pourquoi Augustin dit dans le livre XI de La Cit de Dieu, (ch. 20), que seul a pu discerner la lumire des tnbres celui qui a pu avant qu'ils ne tombent prvoir qu'ils tomberaient. Mais selon que, par les tnbres, on comprend l'absence de forme de la nature corporelle former, on signale l'ordre, non pas du temps, mais de la nature, entre la formation de l'une et l'autre nature. # 12. Une fois tabli que tout a t cr en mme temps dans la forme et la matire, il est dit que l'ange a eu connaissance de la crature corporelle faire, non pas parce qu'elle serait future dans le temps, mais parce qu'elle tait connue comme devant exister dans la mesure o elle tait considre dans sa cause, en qui elle tait pour pouvoir en procder. De mme on peut dire que celui qui connat un coffre par lart d'o il est fait, le connat comme devant exister. Car la connaissance des choses dans le Verbe est appele matutinale, que la chose soit dj faite, ou faire, et elle se comporte indiffremment pour le prsent et le futur, parce qu'elle est conforme la connaissance de Dieu, par laquelle il connat absolument tout avant que ce soit fait, comme aprs avoir t fait. Et cependant toute connaissance de la chose dans le Verbe, concerne ce qui est faire, dj fait, ou non, puisque le mot fiendum ( faire) n'indique pas le temps, mais la sortie de la crature du crateur ; il en est de mme la connaissance de l'uvre dans l'art, qui est selon son devenir, quoique l'uvre n'ait pas encore t ralise. C'est pourquoi, bien que la crature corporelle ait t faite en mme temps que la nature spirituelle, on dit cependant que l'ange a reu du Verbe une connaissance de ce qui devait tre fait, pour la raison dj dite.# 13. De mme que le matin prcde le soir, la connaissance matutinale prcde la connaissance vesprale dans l'ordre de la nature, non en rapport avec une seule et mme uvre, mais en rapport avec diffrentes uvres ; mais la connaissance vesprale de la premire opration est comprise dans l'ordre de la nature, la connaissance matutinale tant celle de l'uvre postrieure. Car l'uvre du premier jour est la production de la lumire par laquelle on comprend la formation de la nature anglique par l'illumination de la grce, mais la connaissance par laquelle la crature spirituelle se connat elle-mme naturellement suit son tre dans sa nature propre. Et ainsi la crature spirituelle dans l'ordre naturel se connat dans sa nature propre par une connaissance vesprale par laquelle elle se connat comme dj faite, avant de se connatre dans le Verbe en qui est connue l'uvre de Dieu, comme faire.Donc, dans cette connaissance par laquelle les bons anges se sont connus eux-mmes, ils ne sont pas demeurs comme jouissant d'eux mmes, et plaant leur fin en eux, parce quils seraient devenus nuit, comme les mauvais anges qui ont pch, mais ils ont rapport leur connaissance la louange de Dieu, et ainsi partir de sa connaissance, le bon ange s'est tourn vers la contemplation du Verbe en qui il y a le matin du jour suivant, selon qu'en lui, il a reu la connaissance de l'uvre suivante, savoir celle du firmament.Mais, de mme que nous voyons dans le temps continu, que, dans le mme instant, il y a deux temps, selon qu'il est la fin du pass et le commencement du futur, de mme la connaissance matutinale du second jour est le terme du premier, et le commencement du second, et ainsi de suite jusqu'au septime jour. Et c'est pourquoi au premier jour, on dsigne seulement le soir, parce que l'ange a eu d'abord la connaissance vesprale de lui-mme et de celle-ci il est pass la connaissance matutinale, selon que de la contemplation de lui-mme il s'est tourn vers celle du Verbe, en qui il y a le matin du jour suivant, dans la mesure o il reoit dans le Verbe la connaissance matutinale de l'uvre suivante. C'est pourquoi, la connaissance matutinale par rapport une seule et mme uvre aprs le premire prcde naturellement la connaissance vesprale de celle-ci, mais la connaissance vesprale de la premire uvre, prcde naturellement la connaissance matutinale de la suivante ; c'est pourquoi, de mme que le premier jour a seulement un soir, le septime jour qui signifie la contemplation de Dieu, a seulement un matin ; car ce jour nest clos par aucune limite![559].# 14. Augustin appelle la connaissance matutinale, celle qui est en pleine lumire ; c'est pourquoi elle contient en soi le midi. Car il appelle une telle connaissance quelquefois diurne, mais quelquefois matutinale. Ou on peut dire que toute connaissance de l'esprit anglique est mle de tnbres du ct de celui qui connat ; c'est pourquoi aucune connaissance d'un esprit anglique ne peut tre appele mridienne, car seule la connaissance par laquelle Dieu connat tout en lui-mme le peut. De plus, comme Dieu est pleine lumire, qu'il n'y a aucunes tnbres en lui, comme cette connaissance de Dieu en soi et parfaite est pleine lumire, elle peut tre appele mridienne, mais, parce que la crature du fait qu'elle vient du nant, a les tnbres de la potentialit et de l'imperfection, aussi, la connaissance mme de la crature est mle de tnbres ; ce mlange est signifi par le matin et le soir, selon que la crature elle-mme peut tre connue de deux manires ; ou dans le Verbe selon qu'elle sort de l'art divin, et ainsi sa connaissance est appele matutinale, parce que, de mme que le matin est la fin des tnbres, et le commencement de la lumire, de mme la crature aprs les tnbres, c'est--dire aprs quelle existe, prend du Verbe mme le principe de la lumire. Car existant par l'espce cre, elle peut tre connue dans sa propre nature, et une telle connaissance est appele vesprale, parce que, de mme que le soir est le terme de la lumire, et tend la nuit, de mme la crature qui subsiste en soi est le terme de l'opration du Verbe, qui est lumire, comme faite par le Verbe et en tant qu'elle est de soi, la dfaillance tend aux tnbres, moins qu'elle ne soit porte par le Verbe.Cependant cette connaissance est appele jour, parce que, en comparaison avec la connaissance du Verbe, elle est obscure, de mme par comparaison avec l'ignorance, qui est tout fait obscure, elle est appele lumire ; comme la vie des justes est appele obscure par comparaison la vie de gloire, elle est appele cependant lumire, par rapport la vie des pcheurs. De plus, comme le matin et le soir sont des parties du jours, le jour dans les anges est la connaissance claire par la lumire de la grce ; c'est pourquoi la connaissance matutinale et vesprale s'tend seulement la connaissance gratuite des biens ; c'est pourquoi la connaissance mme des uvres divines, par lange clair est appele jour, et les jours sont distingus selon les diffrents genres des uvres divines, et sont ordonns selon leur ordre. Mais chacune de ces uvres est connue de deux manires par l'ange clair : 1) dune premire manire, dans le Verbe, sous la forme du Verbe et ainsi une telle connaissance est appele matutinale ; 2) dune seconde manire, dans sa nature propre, ou par l'espce cre, et les bons ne demeurent pas dans cette connaissance en y trouvant comme une fin en elle, parce qu'ils deviendraient nuit, comme les mauvais anges ; mais ils la rapportent la louange du Verbe et la lumire de Dieu, en qui, comme dans un principe, ils connaissent tout ; aussi une telle connaissance de la crature, rapporte la louange de Dieu, n'est pas appele nocturne, ce qui serait en tout cas, s'ils demeuraient en elle, parce qu'alors ils deviendraient nuit, comme jouissant de la crature mme.Donc la connaissance matutinale et la connaissance vesprale distinguent le jour, c'est--dire la connaissance qu'ont les bons anges illumins des uvres cres. Mais la connaissance de la crature par les bons anges eux-mmes, par un intermdiaire soit cr, soit incr, est toujours mle d'obscurit ; c'est pourquoi on ne l'appelle pas mridienne, comme la connaissance que Dieu a de lui-mme ; ni nocturne, comme la connaissance de la crature qui n'est pas rapporte la lumire divine ; mais on l'appelle seulement matutinale et vesprale ; car le soir en tant que tel, se termine au matin. Et c'est pourquoi n'importe quelle connaissance des choses dans leur nature propre ne peut pas tre appele vesprale, mais seulement celle qui se rapporte la louange du Crateur. C'est pourquoi la connaissance qu'ont les dmons, n'est pas appele proprement matutinale ou vesprale. Car le matin et le soir ne sont pas pris dans la connaissance anglique selon toute ressemblance, mais seulement selon la ressemblance quant en raison du principe et du terme. # 15. Bien que l'ange ait t cr en l'tat de grce, cependant il n'a pas t bienheureux au commencement de sa cration, et il n'a pas vu le Verbe de Dieu dans son essence ; c'est pourquoi il n'eut pas la connaissance matutinale de lui-mme, qui dsigne la connaissance par la forme dans le Verbe, mais il eut d'abord une connaissance vesprale de lui-mme selon qu'il se connut lui-mme en lui de faon naturelle, parce que, en chacun, la connaissance naturelle prcde la connaissance surnaturelle, comme son fondement, et la connaissance de l'ange dcoule naturellement de son tre dans sa propre nature ; aussi il eut une connaissance matutinale de lui-mme, mais vesprale au commencement de sa cration. Il reporta cette connaissance la louange du Verbe et par cette relation il mrita de parvenir la connaissance matutinale. C'est pourquoi on dit, de manire significative, que le premier jour eut seulement un soir, et pas de matin, parce que le soir passa au matin ; parce que cette lumire spirituelle, qui, comme on le lit, a t cre le premier jour, aussitt cre se connut elle-mme, parce qu'elle fut d'une connaissance vesprale, et il reporta cette connaissance la louange du Verbe, par qui il mrita de recevoir la connaissance matutinale de l'uvre suivante. Car ce n'est pas n'importe quelle connaissance des choses dans leur propre nature qui peut tre appele vesprale, mais celle seulement qui se rapporte la louange du Crateur, car elle revient le soir et se termine au matin.C'est pourquoi la connaissance que les dmons ont des choses par eux-mmes, n'est ni matutinale, ni vesprale ; mais seulement la connaissance gratuite qui est dans les bons anges. Et ainsi la connaissance des choses dans leur nature propre, relie la louange du Verbe est toujours vesprale, et une telle relation ne la rend pas matutinale, mais la fait se terminer la connaissance matutinale, et par une telle relation il mrite de la recevoir. Et de mme que le premier jour, qui signifie la formation et la connaissance de la nature spirituelle dans sa propre nature, a seulement un soir, de mme le septime jour, qui signifie la contemplation de Dieu, qui ne contient aucune limite[560] et qui correspond la connaissance anglique en rapport avec le repos de Dieu en lui-mme, en quoi consiste l'illumination et la sanctification de tout, [ce septime jour] a seulement un matin. Car du fait que Dieu a cess de crer de nouvelles cratures, on dit qu'il a accompli son uvre et qu'il s'en repose en lui-mme. Et de mme que Dieu se repose en lui seul, et il est bienheureux en jouissant de lui, de mme nous, nous devenons bienheureux par sa seule fruition et ainsi mme il fait que nous nous reposons de ses uvres et des ntres en lui-mme. Donc le premier jour, qui correspond la connaissance que la nature spirituelle claire par la lumire de la grce sur elle-mme, a seulement un soir, mais le septime jour qui correspond la connaissance anglique en relation avec le repos et la fruition de Dieu en lui-mme, a seulement un matin ; parce qu'il n'y a aucunes tnbres en Dieu. Car on dit que Dieu se reposa le septime jour, en tant que repos propre, par lequel il se repose en lui-mme des uvres cres ; il le montra la nature anglique ; cette connaissance, Augustin l'appelle jour (Dialogue LXV, question 26) ; et parce que le repos de la crature, selon qu'elle est fermement tablie en Dieu, n'a pas de fin, de mme le repos de Dieu par lequel il se repose en lui-mme des cratures, n'ayant pas besoin d'elles, n'a pas de fin, parce qu'il n'en aura jamais besoin ; c'est pourquoi le septime jour qui correspond un tel repos n'a pas de soir, mais seulement un matin ; mais ces jours, qui correspondent la connaissance anglique en rapport avec les autres cratures, ont un matin et un soir, comme on l'a dit ci-dessus. # 16. De ce qui a t dit, il apparat qu'on peut avoir la connaissance dune chose dj faite comme devant tre faite, si on la considre dans les causes d'o elle procde ; et ainsi les anges ont reu la connaissance de ce qui tait faire dans le Verbe, qui est l'Art suprme des choses. Car toute connaissance en lui qui est appele matutinale, on dit quelle est comme une chose faire, que ce soit dj fait, ou pas, puisque le faire n'indique pas le temps, mais la sortie de la crature du Crateur, comme on la dit ci-dessus (sol. 14). Aussi, quoique la crature corporelle soit faite en mme temps que la nature spirituelle, on dit cependant que l'ange par la connaissance matutinale a reu dans le Verbe la connaissance de lui-mme comme faire. C'est pourquoi on a dclar dans la rponse ci-dessus que le premier jour n'a pas eu de matin, mais seulement un soir,.# 17. Ce nest pas de la ralit que la crature spirituelle reoit la connaissance, mais elle la saisit (intelligat) naturellement par les formes, innes ou concres ; mais ces formes qui sont dans l'esprit de l'ange, ne se comportent pas galement pour le prsent et le futur ; parce que celles qui sont prsentes sont assimiles aux formes en acte qui sont dans les anges, et ainsi par elles, elles peuvent tre connues ; mais celles qui sont futures ne sont pas encore semblables en acte ces formes ; c'est pourquoi par les formes susdites le futur n'est pas connu, puisque la connaissance se fait par l'assimilation actuelle du connaissant et du connu. Et ainsi, puisque l'ange ne connat pas le futur en tant que tel, il a besoin de la prsence des choses, pour les connatre dans leur propre nature par les formes induites en lui ; parce que, avant qu'elles soit faites, elles ne ressemblent pas aux formes. On a dit plus haut que la connaissance vesprale et la connaissance matutinale sont distingues non du ct de ce qui est connu, mais du ct de l'intermdiaire connatre. Car la connaissance matutinale se fait par un intermdiaire incr, surpassant la nature de celui qui connat et de ce qui est connu : c'est pourquoi la connaissance des choses par la forme dans le Verbe est appele matutinale, que la chose soit dj faite, ou faire, mais la connaissance vesprale se fait par un intermdiaire cr proportionn avec celui qui connat et ce qui est connu, dj fait, ou faire.# 18. Bien que l'ange ait l'tre dans le Verbe avant que dans sa propre nature, parce que, cependant, la connaissance prsuppose l'tre de celui qui connat, il n'a pas pu se connatre avant d'exister, mais la connaissance de lui-mme dans sa propre nature, lui est naturelle, et celle du Verbe est surnaturelle ; c'est pourquoi il a fallu qu'il se connt lui-mme dans sa propre nature avant que dans le Verbe ; puisque la connaissance naturelle prcde en chacun, par origine, la connaissance surnaturelle comme son fondement. Autrement il a connu les choses dans l'ordre de la nature dans le Verbe par la connaissance matutinale avant que par connaissance vesprale dans sa propre nature ; c'est pourquoi par rapport aux uvres suivantes le matin prcde le soir ; comme on l'a dit ci-dessus.# 19. De mme qu'une seule science totale comprend sous elle diverses sciences particulires, par lesquelles sont connues des conclusions diverses ; de mme la seule connaissance de l'ange qui est comme un tout, comprend sous elle la connaissance matutinale et la connaissance vesprale comme des parties, comme le matin et le soir sont des parties du jour, bien qu'ils soient de nature diffrente. Car les choses de nature diffrente, si elles sont ordonnes entre elles, peuvent constituer quelque chose d'unique ; c'est pourquoi la matire et la forme, qui sont de nature diffrente, constituent un compos ; et les chairs, les os et les nerfs sont les parties d'un seul compos. Car l'essence divine par laquelle les tres sont connus dans le Verbe d'une connaissance matutinale est la raison de toutes les formes concres dans l'esprit de l'ange ; de mme elles en drivent comme des images, par lesquelles les choses sont connues dans leur nature propre, par la connaissance vesprale, de mme l'essence de l'ange est pour lui la raison de comprendre l'tre qu'il connat, bien quelle ne soit pas parfaite, c'est pourquoi il a besoin des autres formes surajoutes.Et ainsi, quand l'ange voit Dieu par son essence, et lui-mme et les autres par les formes concres, d'une certaine manire, il n'en saisit (intelligit) qu'une ; de mme, parce que la lumire est la raison de voir la couleur, quand l'il voit la lumire et la couleur il y voit d'une certaine manire un seul objet. Et quoique ces oprations soient rellement distinctes, puisque l'opration par laquelle il voit Dieu, demeure toujours, et est mesure par une ternit participe ; l'opration par laquelle il se comprend, demeure toujours, et est mesure par l'vum ; et l'opration par laquelle il saisit (intelligit) les autres tres, par les espces innes ne demeure pas toujours mais succde une autre : cependant parce que l'une est ordonne l'autre, et que l'une est comme la raison formelle de l'autre, elles sont une d'une certaine manire ; parce que, l o il y a un objet prs de l'autre[561], il ny en a quun, comme il est dit en Topique, (III, 2, 117 a 5) et c'est pour cela que ces oprations dont l'une est ordonne l'autre, peuvent tre ensemble et constituer un seul tout.# 20. Comme l'esprit est le lieu des espces intelligibles, il faut dire que la connaissance, qui apporte la mise en ordre des espces intelligibles ou une facult et une habilitation de l'esprit lui-mme pour utiliser ces espces, demeure aprs la mort, comme l'esprit, qui est le substrat des espces de ce genre ; mais le mode par lequel il sen sert en acte dans le statut de la vie prsente, qui est par conversion aux images, qui sont dans les pouvoirs des sens, ne demeurera pas ; parce que, comme les puissances des sens se corrompent, l'me ne pourra pas par les espces qu'elle a acquises ici, ni par celles induites en elle dans la sparation mme, saisir en se tournant vers les images, mais par elles saisir par un mode qui lui convient la manire d'tre semblable aux anges qu'elle aura. Donc la connaissance est dtruite non quant la possession, ni quant la substance de l'acte de connatre, qui est spcifi par l'espce de l'objet, mais quant au mode de connatre, qui ne se fera pas en se tournant vers les images, et c'est ainsi que le comprend l'Aptre.# 21. La lumire cause par le soleil et celle cause par la chandelle dans l'air, sont de mme nature. Mais deux formes d'une seule nature ne peuvent tre en mme temps en acte parfait dans le mme substrat ; c'est pourquoi une seule dentre elles est cause dans l'air et non les deux. Mais l'essence divine, par laquelle sont connues les choses dans le Verbe, est d'une autre nature que les espces par lesquelles l'ange connat les choses dans leur nature propre ; c'est pourquoi ce n'est pas la mme raison. En effet, quand arrive ce qui est parfait, l'imparfait qui lui est oppos, est limin, de mme, quand arrive la vision de Dieu, la foi, qui concerne ce qui ne se voit pas, est limine. Mais l'imperfection de la connaissance vesprale n'est pas oppose la perfection de la connaissance matutinale ; car il n'y a pas opposition entre ce qui est connu en soi, et ce qui est connu dans sa cause : et de plus ce qui est connu par deux intermdiaires, dont l'un est plus parfait que l'autre n'a rien qui s'y oppose ; de mme pour une mme conclusion, nous pouvons avoir une raison dmonstrative et une raison dialectique.Et semblablement, l'ange peut connatre une chose par le Verbe incr, et par l'espce inne ; puisque l'une n'est pas oppose l'autre, mais elle se comporte plutt comme une disposition matrielle envers l'autre ; car la perfection qui arrive enlve l'imperfection qui lui est oppose. Mais l'imperfection de la nature n'est pas oppose la perfection de la batitude, mais lui est soumise, comme l'imperfection de la puissance est soumise la perfection de la forme, et la puissance n'est pas enleve par la forme, mais c'est la privation qui lui est oppose, qui est enleve ; semblablement aussi l'imperfection de la connaissance naturelle n'est pas oppose la perfection de la connaissance de gloire, mais elle lui est soumise comme une disposition matrielle. Et c'est pourquoi l'ange peut connatre en mme temps les choses par un intermdiaire cr et dans leur nature propre, ce qui appartient la connaissance vesprale et naturelle, et par l'essence du Verbe, qui appartient la connaissance de gloire et matutinale ; et l'une de ces oprations nempche pas lautre, puisque l'une est ordonne l'autre et est comme sa disposition matrielle.# 22. Augustin (Sur la Gense, livre V, ch. 12 et 14) veut qu'au commencement de la cration certaines choses distinctes, par leurs espces, aient t produites dans leur nature propre, comme les quatre lments, qui n'ont t produit de rien, les corps clestes et les substances spirituelles. Car une telle production ne prsuppose pas la matire d'o et en quoi elle viendrait. Mais il est dit que les autres ont t produites dans les raisons sminales seulement, comme les animaux, les plantes et les hommes ; qui tous par la suite ont t produits dans leur nature propre, par cette uvre o, aprs six de ces jours, Dieu administre la nature cre auparavant. De cette uvre, Jean a dit (5, 17) Mon Pre opre jusqu' ce jour.. Et dans la production et la distinction des choses, il ne veut pas atteindre l'ordre du temps mais celui de la nature. Car toutes les uvres des six jours ont t faites en mme temps dans le mme instant, en acte ou en puissance, selon les raisons causales, pour que, par exemple, elles puissent tre faites, par la suite, partir d'une matire prexistante ou par le Verbe ou par les puissances actives induites dans la cration mme de la crature.C'est pourquoi, en cherchant, mais sans lassurer, il dit que l'me du premier homme a t cre en mme temps que les anges, en acte ; il ne pense pas que cela a t fait avant le sixime jour, bien qu'il pense quen ce sixime jour mme, l'me du premier homme a t faite en acte ; ainsi que son corps selon les raisons causales ; parce que Dieu a induit un pouvoir passif la terre pour que par la puissance active du Crateur, le corps de l'homme en soit form. Et ainsi, en mme temps, l'me en acte et le corps en puissance passive ont t faits en rapport avec la puissance active de Dieu.Ou, si on pense, en vrit, que l'me n'a pas en soi d'espce complte, mais est unie au corps comme une forme, et est naturellement une partie de la nature humaine, comme le veut Aristote, il faut dire que l'me du premier homme n'a pas t produite en acte avant la mise en forme du corps ; mais elle a t cre et induite dans le corps en mme temps que la mise en forme du corps, comme Augustin le soutient expressment pour les autres mes, (La Gense au sens littral, X, 17 ss). Car Dieu a institu les choses premires dans un parfait tat de leur nature, selon que leurs espces l'exigeaient. Mais comme l'me raisonnable est partie de la nature humaine, elle n'a de perfection naturelle que selon qu'elle est unie un corps. C'est pourquoi naturellement elle a l'tre dans le corps, et tre hors du corps est au-del de sa nature ; aussi il n'aurait pas t convenable qu'une me soit cre sans corps.Donc en soutenant l'opinion d'Augustin sur les uvres des six jours, on peut dire que, de mme que, en ces six jours le corps du premier homme n'a pas t form et produit en acte, mais en puissance seulement selon les relations causales ; de mme son me n'a pas t produite alors en acte et en elle-mme, mais dans sa ressemblance, en genre : et ainsi elle a prcd dans ces six jours, non en acte et en elle-mme, mais selon une certaine ressemblance en genre, selon qu'elle s'accorde avec les anges dans la nature intellectuelle. Mais ensuite, par l'uvre par laquelle Dieu a administr la crature cre d'abord, l'me fut en mme temps produite en acte avec un corps mis en forme. # 23. La rponse est claire par ce qui a t dit : parce que le corps humain n'a pas t produit en acte dans ces six jours, les corps des autres animaux non plus, mais seulement selon les relations causales, parce que Dieu dans la cration mme a induit un pouvoir dans les lments, ou certaines raisons pour que les animaux puissent en tre produits, par les toiles ou la semence, par le pouvoir de Dieu. Donc ce qui a t produit en eux en acte pendant ces six jours, a t cr non pas successivement mais en mme temps, mais d'autres selon les raisons sminales ont t produites en mme temps en leur image.# 24. Il faut dire comme la solution 16, que la connaissance des choses par les espces induites ou proportionnes aux choses est appele vesprale dans leur nature propre ; que la chose soit faite ou faire, et quoique ces espces se comportent de la mme manire pour le prsent et le futur. Non cependant que les choses prsentes et futures se comportent galement vis--vis de leurs espces mmes ; parce que les choses prsentes en acte ressemblent leurs espces, elles peuvent tre connues en acte en elles-mmes. Mais les choses futures ne leur ressemblent pas en acte, c'est pourquoi il n'est pas ncessaire qu'elles soient connues par elle-mme. Mais on ne dit pas que la connaissance vesprale, celle des choses dans la nature propre, vient du fait que les anges saisissent les espces mmes, par lesquelles ils connaissent, mais parce que par celles qu'ils ont reues de la cration, ils les connaissent dans la mesure o elles subsistent dans leur propre nature. # 25. Selon Augustin (La Gense au sens littral, II, 8), les anges, au commencement, virent dans le Verbe les cratures qui devaient tre faites. Car on lit que celles qui ont t faites dans les oprations des six jours, ont t faites en mme temps ; c'est pourquoi aussitt ds le commencement de la cration, il y eut ces six jours, et par consquent il faut qu'au commencement le bon ange ait connu le Verbe et les cratures en lui. Car celles-ci ont un tre triple, comme on l'a dit ci-dessus. 1) Elles ont l'tre dans l'art divin, qui est le Verbe, et il est fait mention dun tel tre quand il est dit :Dieu dit, qu'il soit fait, c'est--dire il a engendr le Verbe, en qui il y avait ce quil fallait pour faire une telle uvre. 2) Elles ont l'tre dans l'intellect anglique, il en est fait mention par ce qui est dit : Il a t fait, savoir par leur induction partir du Verbe. 3) Elles ont l'tre en elle-mme dans leur propre nature. Ainsi, l'ange aussi a une triple connaissance des choses ; savoir selon qu'elles sont dans le Verbe, dans son esprit et dans leur propre nature. Mais l'ange a une double connaissance du Verbe, l'une naturelle par laquelle il le connat par sa ressemblance qui brille dans sa nature, en quoi consiste sa batitude naturelle, laquelle par son pouvoir il peut parvenir ; il a de lui une autre connaissance surnaturelle et de gloire par laquelle il le connat par son essence, en quoi consiste sa batitude surnaturelle, qui excde le pouvoir de sa nature. Et par l'un et l'autre, le bon ange connat les choses ou les cratures dans le verbe ; mais par sa connaissance naturelle il connat dans le Verbe imparfaitement ; mais par la connaissance de gloire, il connat mme dans le Verbe plus pleinement et plus parfaitement. 1) La premire connaissance dans le Verbe passe dans l'ange au commencement de sa cration, c'est pourquoi dans le livre des Dogmes ecclsiastiques, il est dit que les anges qui demeurrent, non par nature mais par grce, dans cette batitude dans laquelle ils ont t crs, possdent le bien qu'ils ont. De mme Augustin (Fulgence) La foi pour Pierre (ch. 3) dit : Les anges, des esprits, ont reu divinement le don d'ternit et de batitude dans la cration spirituelle de leur nature. Par celle-ci cependant, ils n'taient pas absolument bienheureux, puisqu'ils taient capables d'une perfection plus grande, mais relative, cest--dire selon ce temps, comme le philosophe (thique I, 10, 1098 a) le dit, il y a des bienheureux en cette vie, pas absolument mais comme des hommes.2) La seconde connaissance, savoir celle de gloire, n'est pas arrive l'ange au commencement de sa condition, parce qu'ils ne furent pas crs bienheureux dans une batitude parfaite ; mais elle leur arriva au commencement, au moment o ils sont devenus bienheureux par leur conversion parfaite au bien. Donc ces six genres de chose ont tous t crs en mme temps que l'ange, et dans le mme instant, il connut tout dans le Verbe d'une connaissance naturelle ce que, par la suite, il connut plus pleinement dans le Verbe d'une connaissance surnaturelle, que les anges reurent aussitt aprs qu'ils aient rapport leur connaissance naturelle la louange du Verbe ; comme cette connaissance naturelle est mesure par l'aevum, elle coexiste toujours avec la connaissance surnaturelle du Verbe mme, et avec la connaissance par laquelle il connat par les espces induites les cratures dans leur propre nature ; c'est pourquoi ces trois connaissances existent en mme temps, et l'une ne succde pas l'autre. Car la connaissance des choses dans le Verbe, de ce qui est fait ou faire, est appele matutinale ; et la connaissance des choses, qu'elle soit prsente ou future, par un intermdiaire cr, est appele vesprale.# 26. Il n'est pas possible que l'ange voit le Verbe, ou son essence divine en tant quide de ce qui est faire, et non dans la mesure o il est la fin des bienheureux et l'objet de la batitude, puisque l'essence divine en soi est objet de batitude, et fin des bienheureux. Mais il n'est pas possible que quelqu'un voit l'essence divine en tant que nature de choses faire et ne la voit pas en soi, et c'est pourquoi on concde la totalit de l'argument.# 27. Il faut dire que certains ont voulu distinguer la connaissance prophtique de la connaissance des bienheureux, ils ont dit que les prophtes voient l'essence divine elle-mme, qu'ils appellent le miroir de l'ternit ; non cependant selon qu'il est objet des bienheureux et la fin de la batitude ; mais selon qu'il est la raison de ce qui est faire, selon qu'il y a en elle les raisons des vnements futurs, comme on le dit dans l'objection. Mais cela est tout fait impossible ; car Dieu est l'objet de la batitude et la fin des bienheureux selon son essence mme. Pour cela Augustin, au livre V des Confessions (ch.4) dit : Bienheureux qui te connat mme si celles-l, c'est--dire les cratures, il ne les connat pas. Mais ce n'est pas possible que quelqu'un voit les raisons des cratures dans l'essence divine, sans voir lessence elle-mme ; d'une part parce quelle est la raison de tout ce qui est fait (car la raison idale, qui est la raison des choses faire, n'ajoute rien l'essence divine, sinon un rapport la crature). D'autre part, mme parce que c'est d'abord connatre quelque chose en soi (qui est connatre Dieu comme objet de batitude) que connatre ce qui par comparaison un autre (ce qui est connatre Dieu selon les raisons qui existent en lui) ; et c'est pourquoi il n'est pas possible que les prophtes voient Dieu selon les raisons des cratures et non selon qu'il est objet de batitude. Mais comme ils ne voient pas l'essence divine comme objet de batitude, (d'une part parce que la vision vacue la prophtie, comme il est dit I Cor. 13, 8[562], d'autre part parce que cette vision n'apporte pas la connaissance divine, comme lointaine, mais proche, puisquils le voient face face), il en dcoule donc que les Prophtes ne connaissent pas l'essence divine, en tant qu'elle est la raison de ce qui doit tre fait, ni les cratures dans le Verbe, comme les anges l'ont connu par connaissance matutinale. Car la vision prophtique n'est pas la vision de l'essence divine elle-mme, et les prophtes, dans l'essence divine, ne voient pas ce qu'ils voient, comme l'ont vu les anges, mais par des images, selon lՎclairage de la lumire divine, comme le dit Denys (La hirarchie cleste, IV) et les ressemblances de ce genre claires dans la lumire divine, ont plus la nature d'un miroir que l'essence de Dieu ; car le miroir est ce en quoi apparaissent les formes des autres choses, ce qu'on ne peut pas dire de Dieu, mais une telle illumination de l'esprit prophtique, peut tre appele miroir, dans la mesure o en rsulte l la ressemblance de la prescience divine de la vrit ; et cause de cela l'esprit du Prophte est appel miroir de l'ternit, comme reprsentant par ces espces la prescience divine, qui en son ternit voit tout de manire prsente. C'est pourquoi la connaissance du prophte a plus de ressemblance avec la connaissance vesprale de l'ange qu'avec la connaissance matutinale, puisque celle-ci est faite par un intermdiaire incr, mais la connaissance du prophte par un intermdiaire cr, savoir par les formes imprimes, ou claires par la lumire divine, comme on l'a dit.# 28. Selon Augustin, quand il est dit : Que la terre produise l'herbe verdoyante, on ne comprend pas que les plantes aient t alors produites en acte et dans leur propre nature, mais qu' ce moment-l il a t donn un pouvoir germinatif la terre, pour produire les plantes par l'uvre de propagation ; de sorte qu'on dit qu'alors la terre a produit totalement l'herbe verdoyante et le bois porteur de fruit, c'est--dire qu'elle a reu le pouvoir de produire. Et il le confirme par l'autorit de l'criture, Gn. 2, 4, o il est dit : Ce sont les gnrations du ciel et de la terre, quand elles ont t cres au jour o Dieu fit le ciel et la terre et toute verdure des champs avant qu'elle se lve sur la terre ; et toute l'herbe de la campagne avant qu'elle ne produise. On en tire deux consquences :1) Toute les uvres des six jours ont t cres le jour o Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs ; et ainsi les plantes que l'on dit avoir t cres le troisime jour, ont t produites en mme temps quand Dieu cra le ciel et la terre.2) Les plantes ont alors t produites, non en acte, mais dans leurs raisons causales seulement, parce que pouvoir a t donn la terre de les produire, et cela est expliqu quand il est dit qu'elle produisit toute verdure des champs avant qu'elle naisse en acte de la terre par l'uvre d'administration et toute herbe de la campagne, avant qu'elle ne pousse en acte. Donc avant qu'elles ne se naissent en acte sur la terre, elles ont t faites causalement dans la terre.C'est confirm par cette raison : dans ces premiers jours Dieu cra la crature causalement, originellement ou actuellement par une uvre dont il se reposa par la suite, qui cependant, selon la gestion des cratures, par l'uvre de propagation opre ensuite jusqu' maintenant. Mais produire des plantes en acte de la terre, convient l'uvre de la propagation, parce que, pour leur production, le pouvoir cleste suffit comme un pre et le pouvoir de la terre comme une mre ; c'est pourquoi il n'y eut pas de plantes produites le troisime jour en acte mais causalement seulement. Mais aprs les six jours, elles furent en acte selon leurs propres espces, et produites dans leur propre nature par l'uvre de gestion ; et ainsi avant que les plantes aient t produites causalement, rien n'a t produit, mais elles ont t produites en mme temps que le ciel et la terre, de mme les poissons, les oiseaux et les animaux ont t produits dans ces six jours causalement et non en acte.# 29. Pour la sagesse d'un artisan dont toutes les uvres sont parfaites, tel quest Dieu, il convient de ne pas produire le tout par la partie principale, ni les parties spares par le tout ; parce que ni le tout spar de la partie principale, ni les parties spares du tout ont un tre parfait. Donc comme les anges, selon leurs espces, et les corps clestes et les quatre lments sont les parties principales constituant un univers unique, puisquils sont ordonns l'un l'autre, et sՎpaulent l'une l'autre, il convient la sagesse de Dieu que tout l'univers soit produit en mme temps et non successivement avec les autres parties. Car, il doit y avoir une production unique d'un tout unique et de toutes ses parties et l'un n'est produit avant l'autre que par dfaillance de l'agent. Mais Dieu est d'une puissance infinie, sans aucune dfaillance, dont l'effet principal est tout l'univers. Donc Dieu cra tout l'univers avec toutes ses parties principales en mme temps par une production unique.Et quoique aucun ordre du temps n'ait t conserv dans la production de l'univers, cependant l'ordre de l'origine et de la nature fut conserv. Car, selon Augustin, l'uvre de cration a prcd celle de distinction, dans l'ordre de la nature et non du temps, de mme l'uvre de distinction a prcd l'uvre d'ornement dans l'ordre de la nature. A l'uvre de cration convient la cration du ciel et de la terre. Par le ciel, on comprend la production de la nature spirituelle sans forme ; par la terre, la matire sans la forme des corps ; qui toutes les deux, comme elles sont hors du temps, considres selon leur essence ne sont pas soumises aux alternances des temps, comme le dit Augustin, (Confessions, XII, 8) ; c'est pourquoi la cration de l'un et l'autre est place avant tout jour, non que cette absence de forme ait prcd la formation dans le temps, mais dans l'ordre de l'origine et de la nature seulement, comme le son prcde le chant.Et mme une seule formation, selon lui, ne prcde pas l'autre en dure, mais seulement dans l'ordre de la nature : selon cet ordre il est ncessaire de placer d'abord la formation de la nature spirituelle suprme, parce qu'on lit que la lumire a t faite le premier jour, parce que la nature spirituelle est plus digne et l'emporte sur la nature corporelle ; c'est pourquoi elle a d tre forme avant. Elle est forme du fait qu'elle est claire pour adhrer au Verbe de Dieu. Mais de mme que la lumire spirituelle et divine est plus digne que l'ordre naturel, et l'emporte sur la nature corporelle, de mme, les corps suprieurs l'emportent sur les infrieurs. C'est pourquoi, le second jour, on atteint la formation des corps suprieurs, quand il est dit : Que soit fait le firmament!, par lequel on comprend l'induction de la forme cleste dans la matire informe, qui n'existe pas d'abord dans le temps, mais dans l'origine seulement. En troisime lieu, on place l'induction des formes lmentaires dans la matire sans forme qui n'existait pas avant dans le temps, mais qui prcde dans l'origine et l'ordre de la nature. C'est pourquoi par ce qu'il dit : Que les eaux se rassemblent et que la terre sche apparaisse, on comprend que la forme substantielle de l'eau est induite dans la matire corporelle ; par cette forme, un tel mouvement lui convient, ainsi que la forme substantielle de la terre, par laquelle il lui convient d'tre vue ainsi : car l'eau s'est coule doucement, mais la terre a t fixe de faon stable, comme il le dit lui-mme (La Gense au sens littral, II, 11) ; car sous le nom d'eau, on comprend aussi, selon Augustin, les autres lments suprieurs qui ont t forms.Dans les trois jours suivants, on place l'ornement de la nature corporelle. Car il fallut que les parties du monde soit formes et distingues avant dans l'ordre de la nature, et que par la suite les parties singulires soient ornes, du fait qu'elles sont comme remplies de leurs habitants. Car le premier jour, comme on l'a dit, la nature spirituelle est mise en forme et spare, le second jour les corps clestes, et le quatrime ils sont orns, mais le troisime jour sont mis en forme et spars les corps infrieurs, c'est--dire l'air, l'eau et la terre, dont l'air et l'eau en tant que plus dignes sont orns le cinquime jour, mais la terre, qui est un corps le plus bas, est orne le sixime jour. Et ainsi la perfection des uvres divines rpond la perfection du nombre six[563], qui surgit de ses parties aliquotes, en mme temps et prises ensemble ; qui sont un, deux, trois. Car un jour est dvolu la formation et la distinction de la crature spirituelle, deux jours la formation et la distinction de la nature corporelle et trois l'ornement. Car un, deux et trois font six, et six fois un font six, et deux fois trois six et trois fois deux six. Donc parce que le nombre six est le premier nombre parfait, la perfection des choses et des uvres divines est dsigne par le nombre six. Donc l'ordre de la nature est conserv non pour la dure, dans la productions des uvres divines.# 30. Les luminaires ont t faits en acte et non en puissance seulement, comme les plantes, car le firmament n'a pas le pouvoir de produire les luminaires, comme la terre a le pouvoir de produire les plantes, c'est pourquoi l'criture ne dit pas que Que le firmament produise les luminaires, comme elle dit : Que la terre fasse pousser une herbe verdoyante,, c'est--dire qu'elle reoive le pouvoir de produire. Donc les luminaires ont t produits en acte, avant les plantes en acte ; bien que les plantes soient en puissance et produites causalement avant les luminaires en acte. De mme, il a t dit que l'uvre de distinction dans l'ordre de la nature prcde l'uvre d'ornement ; mais les luminaires conviennent l'ornement du ciel ; et les plantes, surtout selon leur tre virtuel, n'appartiennent pas l'ornement de la terre, mais plutt sa perfection. Car la perfection du ciel et de la terre, semble appartenir ce qui seulement est l'intrieur du ciel et de la terre. Mais l'ornement appartient ce qui est diffrent du ciel et de la terre ; ainsi l'homme est achev par ses parties et ses formes propres, mais il est orn par les vtements ou quelque chose de ce genre. Mais la distinction de certains est surtout manifeste par le mouvement local, par lequel ils se sparent les uns des autres. Et c'est pourquoi. la production de ce qui a le mouvement dans le ciel ou sur la terre convient l'uvre d'ornement.Mais les luminaires, selon Ptolme, ne sont pas fixs dans les sphres, mais ont un mouvement spar delles ; selon l'opinion d'Aristote, les toiles sont fixes dans les orbes, et ne sont mues en vrit que par leur mouvement ; cependant le mouvement des luminaires et des toiles est peru par les sens, mais pas celui des sphres. Mais Mose, se mettant porte d'un peuple rude, a suivi ce qui apparat aux sens, en disant que les luminaires appartiennent l'ornement du firmament. Les plantes n'appartiennent pas l'ornement de la terre, mais les animaux seulement. Car n'importe quoi appartient l'ornement de ce lieu en lequel il est m ou vraiment ou apparemment, et non en celui o il se repose. Mais les plantes s'enfoncent dans la terre jusqu' la racine, c'est pourquoi elles n'appartiennent pas son ornement, mais elles sont comptes avec elle et sa perfection. Mais les toiles, mme si elles sont mues dans ciel par soi, sont cependant mues par accident et en apparence. Par contre, les plantes ne sont mues en aucune manire. Et c'est pourquoi les plantes qui appartiennent la perfection intrinsque des parties de l'univers, savoir de la terre, durent tres produites dans l'ordre de la nature avant les luminaires qui appartiennent l'ornement du ciel.# 31. La terre et l'eau, dont il est fait mention au commencement, avant la production du firmament, ne sont pas reues, selon Augustin (La Gense contre les Manichens, VII et V), pour l'lment terre et eau mais sous le nom de la terre et de l'eau, dans le lieu susdit, on comprend la matire premire sans forme dnue de toute espce. Car Mose ne pouvait, parlant un peuple rude, exprimer la matire premire, que sous l'image de ce qu'ils connaissaient et qui est plus proches de l'absence de forme, savoir ayant plus de matire et moins de forme ; c'est pourquoi il l'exprime sous une image multiple, ne l'appelant pas seulement terre ou eau, mais terre et eau, pour que, s'il en exprimait seulement un autre, on croirait que c'est vritablement la matire premire. Cependant elle a une ressemblance avec la terre, en tant qu'elle est l'tat latent qu'elle demeure avec les formes, comme la terre avec les plantes etc.. Mais la terre parmi tous les lments a moins d'espce, puisquelle est un lment plus concret, ayant beaucoup de matire, et peu de forme. Mais elle ressemble l'eau, dans la mesure o elle est destine recevoir diverses formes. Car l'humide, qui convient l'eau, est bien susceptible d'tre reu et limit.Et selon cela, la terre est appel vide et dserte, ou invisible et non compose, parce que la matire est connue par la forme ; c'est pourquoi, considre en soi, on la dit invisible, c'est--dire inconnaissable, et vide, dans la mesure o la forme est la fin laquelle tend l'apptit de la matire ; car on appelle vide, ce qui est priv de sa fin ou on lappelle vide par comparaison au compos dans lequel elle subsiste ; car la vide est oppos la solidit et la consistance. On l'appelle non compose parce qu'elle ne subsiste pas sans compos, et elle n'a pas la beaut de ce qui est en acte. On l'appelle dserte, parce que la puissance de la matire est complte par la forme ; c'est pourquoi Platon (dans le Time) a dit que la matire tait un lieu, parce que sa rceptivit est d'une certaine manire semblable celle du lieu, dans la mesure o dans une matire qui demeure, se succdent diffrentes formes ; comme, dans un seul lieu, diffrents corps ; c'est pourquoi ce qui appartient au lieu, est appel matire par ressemblance ; et ainsi la matire est dite dserte, parce qu'elle manque de la forme, qui comble sa capacit et sa puissance. Donc la matire premire sans forme, par l'origine et la nature, est avant la formation du firmament, qui cependant par nature a t form, avant la terre et l'eau, dont on fait mention le troisime jour, comme on l'a dit ci-dessus.# 32. Augustin (La cit de Dieu, XI, 33) veut qu'il ne fut pas convenable que Mose ait omis la production de la crature spirituelle ; et pour cela quand il est dit :Au commencement Dieu cra le ciel et la terre, par ciel, il dit quon comprend la crature spirituelle, encore sans forme, et par terre, la matire corporelle encore sans forme. Et parce que la nature spirituelle est plus digne que la nature corporelle, elle a d tre forme avant. Donc la formation de la nature spirituelle est signifie par la production de la lumire, pour qu'on le comprenne de la lumire spirituelle ; car la formation de la nature spirituelle vient du fait qu'elle est claire pour adhrer au Verbe de Dieu, non par une gloire parfaite, avec laquelle elle n'a pas t cre, mais par la lumire de la grce, avec laquelle elle a t cre. Mais une telle lumire spirituelle prcde le firmament dans l'ordre de la nature. Mais selon d'autres docteurs, la lumire produite le premier jour fut corporelle ; laquelle est produite dans le ciel le premier jour, avec la substance du soleil selon la nature commune de la lumire ; mais le quatrime jour son pouvoir a t rgl pour des effets dtermins.# 33. Comme la production de ces animaux, appartient l'ornement des parties de l'univers, elle est ordonne selon l'ordre de ces parties qui sont ornes par elles, plus que selon leur propre dignit. Alors l'air et l'eau, l'ornement desquelles appartiennent les poissons et les oiseaux sont, par ordre de nature, avant et plus dignes que la terre, l'ornement de laquelle appartiennent les animaux qui marchent ; c'est pourquoi la production des volatiles et des poissons, ou des animaux qui nagent, dut tre dcrite avant celle de ceux qui marchent. On pourrait dire, que la voie de la gnration passe de limparfait imparfaites au parfait, et dans cet ordre, parce que ce qui est moins parfait est produit avant dans l'ordre de la nature. Car, dans la voie de la gnration, plus quelque chose est parfait, et plus il ressemble l'agent, plus il est tardif dans le temps, bien qu'il soit premier en nature et dignit. Et c'est pourquoi, parce que l'homme est le plus parfait des animaux, il a d tre cr en dernier parmi eux, et non immdiatement aprs les corps clestes, qui ne sont pas ordonns aux corps infrieurs selon la voie de la gnration, puisqu'ils ne communiquent pas dans la matire avec eux, mais ont une matire d'une autre nature[564]. # 34. Les oiseaux et les poissons s'accordent plus entre eux quant la matire do ils sont produits, qu'avec les animaux terrestres. Car on dit que les poissons et les oiseaux sont faits d'eau ; les poissons, dune eau plus paisse ; et les oiseaux dune eau plus subtile, parce qu'elle a t dcompose en vapeur comme intermdiaire entre l'air et l'eau ; et c'est pour cela que les oiseaux s'lvent dans l'air, et que les poissons sont laiss aux profondeurs de l'eau. Mais les animaux sont destins diffrents jours ou un seul, selon l'unit ou la diversit de la matire dont leur corps est compos. Donc comme on dit que les poissons et les oiseaux sont composs d'eau, parce que, alourdis par leur propre structure, par comparaison celle due au genre commun, ils ont, en leur composition, plus d'eau que les autres animaux ; mais on dit que les animaux terrestres sont composs de terre, c'est pour cela qu'on compte un jour pour la production des poissons et des oiseaux, et un autre pour la production des animaux terrestres. Dautre part la production des animaux est raconte seulement selon qu'ils sont dans l'ornement des parties du monde et c'est pourquoi les jours de production des animaux sont seulement distingus selon cette convenance ou cette diffrence par laquelle ils se ressemblent ou diffrent en ornant une partie du monde. Mais parce que le feu et l'eau ne sont pas distingus par le peuple parmi les parties du monde, ils ne sont pas nomms expressment par Mose, mais compts avec ce qui est lintermdiaire, c'est--dire l'eau, surtout pour la partie infrieur de l'air. C'est pourquoi pour les oiseaux et les poissons, qui appartiennent l'ornement de l'eau et de l'air, la partie infrieure de l'air, qui rejoint l'eau, un jour est rserv, mais pour tous les animaux terrestres, qui appartiennent l'ornement de la terre, cest un autre jour.Rponse aux arguments en sens contraire :Si quelqu'un veut soutenir l'opinion de Grgoire et des autres, qui pensent, qu'entre ces jours, il y eut une succession temporelle et que la productions des choses a t faite successivement (de sorte que quand le ciel et la terre ont t crs, il n'y avait pas encore de lumire ni de firmament form, et la terre n'tait pas dcouverte par les eaux, ni les luminaires du ciel forms), on peut rpondre ainsi :# 1. Au premier argument, on dit que le jour o Dieu cra le ciel et la terre, c'est--dire les corps clestes, et les quatre lments selon leurs formes substantielles, il cra aussi toute la verdure des champs, non en acte, avant qu'elle sorte sur la terre, mais en puissance, parce que, par la suite, le troisime jour, elle a t amene l'existence en acte.# 2. Selon Grgoire (Les Morales, livre 33, ch. 9), quand Dieu cra l'ange, il cra aussi l'homme, non en acte, ou en soi, mais en puissance, ou en sa ressemblance, dans la mesure o il saccorde avec les anges selon l'intellect, mais par la suite, le sixime jour, il a exist en acte et produit en lui-mme.# 3. Ce n'est pas la mme disposition pour une chose dj parfaite et pour celle qui est en devenir. Aussi quoique la nature du monde parfait et complet exige que toutes les parties essentielles de l'univers existent en mme temps, il a pu cependant en tre autrement au commencement du monde, ainsi dans l'homme parfait, le cur ne peut pas exister sans les autres parties, et cependant, dans la formation de l'embryon, le cur est engendr avant tous les membres. Ou on peut dire qu'en ce commencement, il y eut les corps clestes, et tous les lments selon leurs formes substantielles, produits en mme temps que les anges, qui sont les parties principales de l'univers, mais les jours suivants, il y eut dans la nature mme dj produite quelque chose de fait, concernant la perfection et la beaut de ces parties dj produites.# 4. Quoique les docteurs grecs aient tenu ce que la crature spirituelle ait t cre avant la crature corporelle, cependant les docteurs latins pensent que les anges ont t crs en mme temps que la nature corporelle, pour conserver le fait que l'univers, quant ses parties principales avait t produit en mme temps. En effet, comme les cratures corporelles sont un tout dans la matire cre, et que la matire corporelle de la crature a t cre en mme temps que les anges, d'une certaine manire on peut dire que tout a t cr en mme temps, en acte ou en puissance. Mais les anges ne se rencontrent pas dans la matire avec la crature corporelle, c'est pourquoi, les anges une fois crs, il n'y aurait pas eu en quelque manire une nature corporelle cre, ni par consquent pas d'univers mme ; aussi il est raisonnable qu'ils aient t produits en mme temps que la nature corporelle. Et ainsi tous les corps ont t crs ensemble, non en acte, mais quant la matire sans forme d'une certaine manire ; par la suite successivement par la distinction et l'ornement de la crature qui prexistaient dj en acte, ils ont t produits d'une certaine manire.# 5. De mme que la crature n'a pas l'tre d'elle-mme, elle n'a pas non plus sa perfection d'elle-mme, mais de Dieu ; c'est pourquoi, comme pour montrer que la crature reoit l'tre de Dieu et non d'elle-mme, il a voulu que dabord elle ne soit pas et quensuite elle soit ; de mme aussi pour montrer que la crature n'aurait pas sa perfection d'elle-mme, il a voulu d'abord qu'elle soit imparfaite, et quensuite successivement elle soit acheve par l'uvre de distinction et d'ornement. Ou il faut dire que, dans la cration non seulement on doit montrer le pouvoir de la puissance, mais aussi l'ordre de la sagesse divine, pour que, ce qui est avant par nature soit constitu avant aussi ; et ainsi ce n'est pas par l'impuissance de Dieu, comme sil manquait de temps pour oprer, que tout n'est pas produit en mme temps, distingu et orn, mais pour que l'ordre de la sagesse soit conserv dans la constitution des cratures. Et c'est pourquoi il a fallu que diffrents jours soient conservs pour les diffrentes situations du monde. Car aprs l'uvre de la cration, toujours par l'uvre suivante, une nouvelle situation de perfection a t ajoute au monde, et c'est pourquoi pour montrer cette perfection et cette nouveaut, Dieu a voulu qu' chaque distinction et chaque ornement rponde un jour et (montrer) que cela ne venait pas d'une impuissance ou d'une lassitude de l'agent.# 6. Cette lumire, qui lit-on, a t cre le premier jour, selon Grgoire et Denys, est la lumire du soleil ; qui, en mme temps avec la substance des luminaires, qui est son substrat, fut produite le premier jour selon la nature habituelle de la lumire. Mais le quatrime jour, un pouvoir dtermin a t attribu aux luminaires pour des effets dtermins, selon que nous voyons que le rayon du soleil a des effets diffrents du rayon de la lune et ainsi de suite. Et c'est pour cela que Denys (Les noms divins, ch. 4) dit que cette lumire fut celle du soleil, mais encore sans forme, du fait quelle tait dj substance du soleil, et avait en commun le pouvoir dՎclairer, mais aprs le quatrime jour, elle a t mise en forme, non dans la forme substantielle qu'elle eut le premier jour, mais selon les conditions accidentelles par la disposition d'un pouvoir dtermin du fait que par la suite un pouvoir spcial et dtermin lui a t donn pour des effets particuliers. Et ainsi dans sa production, la lumire a t distingue des tnbres de trois manires :1) Quant sa cause, selon que celle-ci tait dans la substance du soleil, mais la cause des tnbres tait dans l'opacit de la terre. 2) Elle a t distingue, quant au lieu, parce que, dans un hmisphre il y avait la lumire, et dans l'autre, les tnbres. 3) Quant au temps, parce que dans un mme hmisphre, il y avait la lumire une partie du temps et les tnbres dans l'autre. Et c'est ce qui est dit (Gn 1, 5) : Il appela lumire jour et les tnbres nuit. Ainsi cette lumire ne recouvrait pas la terre partout, parce que, dans un hmisphre, il y avait la lumire et dans l'autre les tnbres ; et ce n'tait pas toujours le jour d'un ct, et la nuit de l'autre, mais dans le mme hmisphre, selon une partie du temps c'tait le jour, et selon l'autre la nuit.# 7. Le mouvement dans le ciel est double. L'un est commun tout le ciel qui est appel diurne, et il produit le jour et la nuit ; et ce mouvement parat avoir t institu le premier jour o a t produite sans forme la substance du soleil et des autres luminaires, comme on l'a dit. Mais l'autre est le mouvement propre qui est diversifi selon les diffrents corps clestes ; selon lesquels le mouvement est devenu diversit des jours entre eux, des mois et des annes. Le premier jour, a t faite la distinction commune du temps en jour et nuit, selon le mouvement diurne, qui est commun tout le ciel, qui peut tre compris comme ayant commenc le premier jour, et c'est pourquoi, en ce premier jour, on fit mention de la seule distinction de le nuit et du jour, qui se fait par le mouvement diurne commun tous les cieux. Mais le quatrime jour a t faite la distinction quant aux distinctions spciales des jours et des temps, selon qu'un jour est plus chaud qu'un autre et un temps plus qu'un autre et une anne plus qu'une autre ; ce qui se fait selon les mouvements spcifiques et propres des toiles qui peuvent tre compris comme ayant commenc le quatrime jour. C'est pourquoi au quatrime jour, il est fait mention de la diversit des jours, des temps, et des annes, quand il est dit (ibid 14) : Et qu'il y ait dans les temps, des jours et des annes. Cette diversit se fait par des mouvements propres. Et ainsi ces trois premiers jours qui ont prcd la formation des luminaires ont t de la mme nature que les jours que le soleil fait maintenant quant la commune distinction du temps selon le jour et la nuit, qui se fait par le mouvement diurne commun tout le ciel, mais non quant aux distinctions spcifiques des jours qui se fait selon les mouvements propres.# 8. Certains disent que la lumire, celle qui lit-on, a t cre le premier jour, a t une nue brillante qui, ensuite, quand le soleil a t cr, retourna la matire prexistante. Mais cela ne convient pas, parce que l'criture au commencent de la Gense rappelle la constitution de la nature qui a demeur par la suite ; c'est pourquoi, on ne doit pas dire que quelque chose a t fait alors, qui aurait cess aprs un peu de temps. Et c'est pourquoi, d'autres disent que cette nue brillante demeure encore, et est jointe au soleil, de sorte qu'elle ne puisse pas en tre discerne. Mais ainsi, cette nue demeurerait superflue, mais rien n'est vain ou superflu dans les oprations de Dieu. Et c'est pourquoi d'autres disent, que de cette nue a t form le corps du soleil. Mais on ne peut pas le dire, si on pense que le corps du soleil n'est pas de la nature des quatre lments, mais est incorruptible par nature ; parce qualors sa matire ne peut pas exister sous une autre forme.Et c'est pourquoi il faut dire, comme Denys le dit, (Les noms divins, ch. 4), que cette lumire fut celle du soleil, mais encore sans forme, elle tait dj substance du soleil et avait le pouvoir de tout clairer, mais par la suite le quatrime jour lui a t donn un pouvoir spcifique et dtermin pour des effets propres et particuliers. Et ainsi le jour et la nuit devenaient par le mouvement circulaire de cette lumire o elle arrivait et do elle repartait. Et il n'est pas inconvenant que les substances des sphres, qui renvoyait cette lumire d'un mouvement commun et diurne, ait exist au dbut de la cration, auxquelles par la suite des pouvoirs ont t ajouts dans les uvres de distinction et d'ornement.# 9. Dans la production de la lumire, on comprend la qualit de luminosit et de transparence qui est ramene au genre de la lumire, a t alors place dans les corps lumineux et transparents. Et parce que le soleil est principe et source de la lumire, clairant les corps suprieurs et infrieurs, Denys comprend par elle la lumire sans forme du soleil, qui distinguait d'un mouvement commun et diurne, le jour et la nuit, comme il le fait maintenant.# 10. Et cela claire la rponse largument 10, parce que cette lumire ne fut pas vraiment une nue selon sa substance, qui par la suite aurait cess d'exister, mais elle pu tre appele nue selon la ressemblance de sa nature, parce que, de mme qu'une nue lumineuse reoit la lumire du soleil dans une clart moindre que celle qui est dans la source, de mme aussi la substance du soleil eut d'abord dans ces trois premiers jours une lumire imparfaite et comme sans forme, qui par la suite a t acheve le quatrime jour ; c'est pourquoi, cette substance lumineuse du soleil a exist, parce que, au commencement de la cration, elle eut une forme substantielle, mais on dit que le soleil a t fait d'elle le quatrime jour, non selon la substance, mais par addition d'un nouveau pouvoir, de mme quon dit que de l'homme non musicien, qu'il est devenu musicien, non en substance, mais par son pouvoir.

 

 

 

Question 5 La conservation des cratures dans l'tre par Dieu

 

 

q. 5 pr. 1 Et primo quaeritur utrum res conserventur in esse a Deo, an etiam circumscripta omni Dei actione, per se in esse remaneant.

1. Les cratures sont-elles conserves dans lՐtre par Dieu, ou encore si on restreint toute action de sa part, demeurent-elles en lՐtre par elles-mmes ?

q. 5 pr. 2 Secundo utrum Deus possit alicui creaturae communicare quod per se in esse c onservetur absque Deo.

2. Dieu peut-il communiquer une crature le pouvoir de se conserver dans lՐtre par soi et sans lui ?

q. 5 pr. 3 Tertio utrum Deus possit creaturam in nihilum redigere.

3. Dieu peut-il ramener les cratures au nant ?

q. 5 pr. 4 Quarto utrum aliqua creatura in nihilum sit redigenda, vel etiam in nihilum redigatur.

4. Une crature doit-elle retourner au nant, ou mme y retourne-t-elle ?

q. 5 pr. 5 Quinto utrum motus caeli quandoque deficiat.

5. Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour ?

q. 5 pr. 6 Sexto utrum sciri possit ab homine quando motus caeli finiatur.

6. L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrtera ?

q. 5 pr. 7 Septimo utrum cessante motu caeli elementa remaneant.

7. Quand cessera le mouvement du ciel, les lments demeureront-ils ?

q. 5 pr. 8 Octavo utrum cessante motu caeli remaneat actio et passio in elementis.

8. Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les lments ?

q. 5 pr. 9 Nono utrum plantae et animalia bruta et corpora mineralia remaneant post finem mundi.

9. Les plantes, les animaux et les minraux demeureront-ils aprs la fin du monde ?

q. 5 pr. 10 Decimo utrum corpora humana remaneant, motu caeli cessante.

10. Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel ?

 

 

 

Article 1 Les cratures sont-elles conserves lՐtre par Dieu ou mme si on restreint toute action de sa part, demeurent-elles en lՐtre par elles-mmes ?

q. 5 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum res conserventur in esse a Deo, an etiam circumscripta omni Dei actione, per se in esse remaneant. Et videtur quod sic.

Il semble que oui :

 

Objections :[565]

q. 5 a. 1Arg. 1 Dicitur enim Deut. XXXII, 4 : Dei perfecta sunt opera. Ex hoc sic arguitur. Perfectum est cui nihil deest, secundum philosophum. Ei autem aliquid deest ad suum esse quod non potest esse nisi aliquo exteriori agente. Ergo huiusmodi perfectum non est ; Dei ergo talia opera non sunt.

1. Car il est dit en Dt. 32,4 : Les uvres de Dieu sont parfaites. On argumente ainsi : Est parfait ce quoi rien ne manque, selon le Philosophe (Physique, III, 6, 207 a 10[566]). Il manque quelque chose lՐtre de celui qui ne peut pas exister sans un agent extrieur. Donc il nest pas parfait ; donc il ny a pas de telles uvres qui viennent de Dieu.

q. 5 a. 1Arg. 2 Sed dicebat, quod opera Dei non sunt perfecta simpliciter, sed secundum suam naturam.- Sed contra, perfectum secundum suam naturam est quod habet illud cuius sua natura est capax. Sed quidquid habet totum illud cuius sua natura est capax, potest remanere in esse, omni Dei conservatione exteriori cessante. Ergo si creaturae aliquae sunt perfectae secundum suam naturam, possunt remanere in esse, Deo non conservante. Probatio mediae. Deus conservando res, aliquid agit : propter quod dicitur Ioan. V, 17 : Pater meus usque modo operatur, et ego operor, ut dicit Augustinus [X super Gen. ad litteram]. Agente autem aliquid operante, effectus aliquid recipit. Ergo quamdiu Deus conservat res, semper res conservatae aliquid a Deo recipiunt : quamdiu ergo res conservatione indiget, nondum totum habet cuius est capax.

2. Mais on pourrait dire que les uvres de Dieu ne sont pas parfaites dans l'absolu, mais parfaites dans leur nature. En sens contraire [1[567]] est parfait en sa nature ce qui a ce dont elle est capable. [2] Mais tout ce qui a tout ce dont sa nature est capable peut demeurer dans lՐtre, si toute conservation extrieure de Dieu cesse. [3] Donc si des cratures sont parfaites en leur nature, elles peuvent demeurer dans lՐtre, sans que Dieu les y conserve. Preuve de largument intermdiaire : [2] Dieu en conservant fait quelque chose ; cest pour cela quil est dit en Jn 5,17 : Mon Pre opre jusquՈ maintenant et moi aussi jopre, comme le dit Augustin (La Gense au sens littral, V, XII, 22[568]). Si lagent fait quelque chose, leffet le reoit. Donc tant que Dieu les conserve, ces tres conservs reoivent toujours quelque chose de Dieu : donc tant que l'tre a besoin dՐtre conserv, il na pas encore tout ce dont il est capable.

q. 5 a. 1Arg. 3 Praeterea, unumquodque non est perfectum nisi perficiat hoc ad quod est. Sed principia ad hoc sunt, ut rem in esse conservent. Si ergo principia creata rerum non possunt rem in esse tenere, sequitur ea esse imperfecta, et ita non esse Dei opera : quod est absurdum.

3. Tout tre nest parfait que sil accomplit ce pour quoi il existe. Mais les principes sont pour conserver la crature dans lՐtre. Donc si les principes crs ne peuvent la conserver, il sensuit quils sont imparfaits et qu'ils ne sont pas les uvres de Dieu, ce qui est absurde.

q. 5 a. 1Arg. 4 Praeterea, Deus est causa rerum sicut efficiens. Sed cessante actione causae efficientis, remanet effectus ; sicut cessante actione aedificatoris, remanet domus, et cessante actione ignis generantis, adhuc remanet ignis generatus. Ergo et cessante omni Dei actione, adhuc possunt creaturae in esse remanere.

4. Dieu est en quelque sorte la cause efficiente des cratures. Mais si laction de la cause efficiente cesse, leffet demeure. Ainsi quand cesse laction du btisseur, la maison demeure et quand cesse laction du feu qui engendre, reste le feu qui en est engendr. Donc quand toute action de Dieu cesse, les cratures peuvent encore demeurer dans l'tre.

q. 5 a. 1Arg. 5 Sed dicebat, quod agentia inferiora sunt causa fiendi et non essendi ; unde esse effectuum remanet remota actione causarum fieri. Deus autem est causa rebus non solum fiendi, sed essendi. Unde esse rerum remanere non potest, divina actione cessante.- Sed contra, omnis res generata habet esse per suam formam. Si ergo causae inferiores generantes non sunt causae essendi, non erunt causae formarum ; et ita formae quae sunt in materia, non sunt a formis quae sunt in materia secundum sententiam philosophi [in VII Metaph., com. 28], qui dicit, forma quae est in his carnibus et ossibus, est a forma quae est in his carnibus et ossibus : sed sequitur quod formae in materia sint a formis sine materia, secundum sententiam Platonis, vel a datore formarum, secundum sententiam Avicennae [IX Metaph., cap. IV et V].

5. Mais on pourrait dire que les agents infrieurs sont causes du devenir et non de lՐtre ; cest pourquoi lՐtre des effets demeure, une fois retire laction des causes du devenir. Mais Dieu est la cause non seulement de leur devenir mais de leur tre. Cest pourquoi lՐtre des choses ne peut pas demeurer, si laction divine cesse. En sens contraire : tout ce qui est engendr possde lՐtre par sa forme. Si donc les causes infrieures qui engendrent ne sont pas causes de lՐtre, elles ne seront pas causes des formes, et ainsi les formes qui sont dans la matire ne viennent pas des formes qui sont en elle, comme laffirme le Philosophe, (Mtaphysique, VII, 8, 1034 a 5[569]), qui dit que la forme qui est dans ces chairs et ces os vient de celle qui est dans ces chairs et ces os. Mais il sensuit que les formes dans la matire viennent des formes sans matire, selon lopinion de Platon - ou du pourvoyeur de formes - selon lopinion dAvicenne (Mtaphysique, IX, ch. 5, 410-411 et surtout 413).

q. 5 a. 1Arg. 6 Praeterea, ea quorum esse est in fieri, non possunt remanere cessante actione agentis, ut patet de motu et de agone, et similibus ; illa vero quorum esse est in facto esse, possunt remanere etiam agentibus remotis. Unde Augustinus dicit [VIII super Genes. ad litteram, cap. XII] : Praesente lumine non factus est aer lucidus, sed fit ; quia si factus esset, non fieret ; sed absente lumine lucidus remaneret. Multae autem creaturae sunt quorum esse non est in fieri, sed in facto esse ; ut patet de Angelis, et de corporibus etiam omnibus. Ergo, cessante actione Dei agentis, creaturae possunt remanere in esse.

6. Ceux dont lՐtre est en devenir ne peuvent demeurer, quand cesse laction de lagent, comme cela est vident pour le mouvement et la lutte, etc.. Mais ce dont lՐtre est dans un tre produit peut demeurer, mme si les agents sont carts. Cest pourquoi Augustin (La Gense au sens littral, VIII, XII, 26[570]) dit : Quand la lumire est prsente, lair qui nՎtait pas devenu lumineux, le devient ; parce que, sil tait devenu lumineux, il ne le deviendrait pas ; mais en l'absence de lumire, il demeurerait lumineux. Mais il y a beaucoup de cratures dont lՐtre nest pas en devenir, mais dj produit ; comme cest vident pour les anges et mme pour tous les corps. Donc, si l'action de Dieu agent cesse, les cratures peuvent demeurer dans lՐtre.

q. 5 a. 1Arg. 7 Praeterea, causae inferiores generantes sunt rebus generatis causae essendi, ut supra probatum est ; non tamen sicut causae principales et primae, sed sicut causae secundae. Causa autem prima essendi, quae Deus est, rebus generatis non dat principium essendi, nisi mediantibus causis secundis praedictis. Ergo nec permanentiam in esse, quia eadem res per idem habet esse et in esse conservatur. Sed esse generatorum conservatur ex ipsis principiis essentialibus generatorum, cessantibus causis secundis agentibus. Ergo etiam cessante causa prima agente, quae Deus est.

7. Les causes infrieures qui engendrent sont causes dՐtre pour ce qui est engendr, comme on la prouv plus haut ; non cependant comme causes principales et premires, mais comme causes secondes. Mais la cause premire de lՐtre, qui est Dieu, ne donne le principe dՐtre aux choses engendres que par lintermdiaire des causes secondes, dont on a parl. Donc il ne donne pas non plus la permanence dans lՐtre, parce quune mme chose a lՐtre et est conserve dans lՐtre par le mme. Mais lՐtre de ce qui est engendr est conserv par les principes essentiels de ceux qui les engendrent, si cessent les causes secondes qui agissent. Donc aussi quand cesse la cause premire efficiente, qui est Dieu.

q. 5 a. 1Arg. 8 Praeterea, si res aliqua deficit esse, aut hoc est propter materiam, aut propter hoc quod est ex nihilo. Materia autem non est causa corruptionis nisi secundum quod est subiecta contrarietati ; non autem in omnibus creaturis est materia contrarietati subiecta. Ergo illa in quibus non est materia contrarietati subiecta, sicut sunt corpora caelestia et Angeli, non possunt deficere ratione materiae, nec iterum ratione eius quod sunt ex nihilo, quia ex nihilo nihil sequitur et nihilum nihil agit, et ita non corrumpit. Ergo cessante omni actione divina, huiusmodi res esse non deficerent.

8. Si une chose est dfaillante en son tre, cest cause de la matire ou parce quelle vient du nant. Mais la matire nest cause de corruption que selon quelle est soumise la contrarit. Ce nest pas dans toutes les cratures que la matire y est soumise. Donc celles en qui il n'y a pas de matire soumise la contrarit, comme les corps clestes et les anges, ne peuvent tre dfaillantes cause de la matire, ni non plus en raison de ce quils viennent du nant, parce que de rien, rien ne vient et rien ne fait rien et ainsi (le nant) ne corrompt pas. Donc, quand cesse toute action divine, de telles choses nabandonnent pas leur tre.

q. 5 a. 1Arg. 9 Praeterea, forma incipit esse in materia in istanti quod est ultimum factionis, in quo res non est in fieri, sed in facto esse. Sed secundum Avicennae sententiam [lib. IX Metaph., cap. IV et V], formae rerum generatarum infunduntur in materia ab intelligentia agente, quae est datrix formarum. Ergo illa intelligentia est causa essendi, non tantum fiendi ; et ita per actionem eius res possunt conservari in esse, etiam circumscripta Dei conservatione.

9. La forme commence dՐtre dans la matire linstant ultime de sa production, o la chose nest pas en devenir mais est dj produite. Mais selon l'opinion d'Avicenne (Mtaphysique, IX, 5, 410 etc.), les formes de ce qui est engendr sont introduites dans la matire par une Intelligence agente pourvoyeuse de formes. Donc cette intelligence est cause dՐtre et non seulement du devenir, et ainsi par son action, les choses peuvent tre conserves dans lՐtre, mme si on carte la conservation par Dieu.

q. 5 a. 1Arg. 10 Praeterea, etiam forma substantialis est causa essendi. Si ergo causae essendi sunt quae conservant res in esse, ipsa forma rei sufficit ad hoc quod res in esse conservetur.

10. La forme substantielle aussi est cause dՐtre. Si donc les causes d'tre sont celles qui conservent dans lՐtre, la forme suffit pour que la chose y soit conserve.

q. 5 a. 1Arg. 11 Praeterea, res conservantur in esse per materiam, in quantum sustinet formam. Sed materia, secundum philosophum, est ingenita et incorruptibilis, et ita non est causata ab aliqua causa ; et sic remanet, omni actione causae efficientis remota. Ergo adhuc res poterunt conservari in esse, cessante actione primae causae efficientis, scilicet Dei.

11. Les choses sont conserves dans lՐtre par la matire, dans la mesure o elle porte la forme. Mais la matire, selon le Philosophe, nest ni engendre, ni corruptible, et ainsi elle na pas de cause, et elle demeure quand toute action de la cause efficiente est carte. Donc les choses pourront encore tre conserves dans lՐtre, si cesse laction de la premire cause efficiente, savoir de Dieu.

q. 5 a. 1Arg. 12 Praeterea, Eccli. XXXIII, 15 : dicitur : Intuere in omnia opera altissimi : duo contra duo, unum contra unum. Sed inter opera altissimi invenitur aliquid quod indiget Dei conservatione. Ergo etiam invenitur inter opera Dei eius oppositum, scilicet quod non indiget Dei conservatione.

12. Il est dit dans lEcclsiaste (33, 15) : Regarde dans toutes les uvres du Trs Haut ; deux contre deux, une contre une[571]. Mais, parmi ses uvres, on trouve quelque chose qui a besoin dՐtre conserv par Dieu. Donc on trouve aussi parmi ses uvres l'oppos, savoir ce qui nen a pas besoin.

q. 5 a. 1Arg. 13 Praeterea, appetitus naturalis non potest esse cassus et vanus. Sed quaelibet res naturaliter conservationem sui esse appetit. Potest ergo res per se ipsam conservari in esse ; alias appetitus naturalis esset vanus.

13. Lapptit naturel ne peut pas tre vain et sans objet. Mais tout dsire par nature la conservation de son tre. Donc, une chose peut se conserver lՐtre par soi, autrement lapptit naturel serait vain.

q. 5 a. 1Arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit [in Enchir., cap. X], quod Deus fecit singula bona, simul autem omnia valde bona : propter quod dicitur Genes. I, 31 : Vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona. Ipsa ergo creaturarum universitas est valde bona et optima ; optimi enim est optima adducere, secundum Platonem in Timaeo. Sed melius est quod non indiget aliquo exteriori ad sui conservationem, eo quod indiget. Ergo universitas creaturarum non indiget aliquo exteriori conservante.

14. Augustin dit (Enchiridion, III, 10) que Dieu fit bonne chaque chose particulire, et, tout en mme temps trs bon ; cest pour cela quil est dit (Gn. 1, 31) : Dieu vit tout ce quil avait fait et cՎtait trs bon. Donc luniversalit des cratures est trs bonne et la meilleure. Car il appartient au meilleur de causer le meilleur, selon Platon dans le Time. Mais ce qui na pas besoin de quelque chose dextrieur pour sa conservation est meilleur que ce qui en a besoin. Donc luniversalit des cratures na besoin de rien dextrieur qui les conserve.

q. 5 a. 1Arg. 15 Praeterea, beatitudo est aliquid creatum in natura beatorum. Sed beatitudo est status omnium bonorum congregatione perfectus, ut Boetius dicit [in III de Consol., prosa 2] ; quod non esset, nisi in se includeret sui conservationem, quod est unum de maxime bonis. Ergo aliquid creatum est quod per se ipsum potest conservari in esse.

15. Le bonheur est quelque chose de cr dans la nature des bienheureux. Mais le bonheur est un tat parfait par la runion de tous les biens, comme le dit Boce (Consol. III, prose 2), ce qui ne serait, que sil incluait en lui sa conservation, qui est lun des biens au plus haut point. Donc il y a quelque chose de cr qui peut se conserver lՐtre par soi.

q. 5 a. 1Arg. 16 Praeterea, dicit Augustinus [VII de Civ. Dei, cap. XXX], quod Deus ita administrat res sua providentia, quod tamen sinit eas agere proprios motus. Sed proprius motus naturae ex nihilo existentis est ut in nihilum tendat. Ergo dominus permittit naturam quae est ex nihilo, in nihilum tendere. Non ergo conservat res in esse.

16. Augustin dit (La cit de Dieu, VII, 30) que Dieu administre ses uvres par sa Providence ; il leur permet cependant daccomplir leurs propres mouvements. Mais le mouvement le plus propre de la nature qui vient du nant est dy tendre. Donc Dieu permet la nature qui vient du nant de tendre au nant. Donc il ne conserve pas ses cratures dans lՐtre.

q. 5 a. 1Arg. 17 Praeterea, recipiens quod est contrarium recepto, non conservat receptum, sed magis ipsum destruit. Videmus enim quod quae recipiuntur ab agentibus naturalibus per violentiam in suis contrariis, remanent ad horam, cessante actione naturalium agentium ; sicut calor remanet in aqua calefacta, cessante actione ignis, ad horam. Effectus autem Dei non recipiuntur in aliquo contrario, sed in nihilo ; quia ipse est auctor totius substantiae rei. Ergo multo magis remanebunt divini effectus vel ad horam, divina actione cessante.

17. Celui qui reoit ce qui est contraire ce quil a reu, ne le conserve pas, mais plutt il le dtruit. Car nous voyons que ce que les agents naturels reoivent par violence dans leurs contraires demeure un instant, quand cesse laction des agents naturels ; ainsi la chaleur demeure dans leau chauffe quand cesse un instant laction du feu. Les effets de Dieu ne sont pas reus dans quelque chose de contraire mais en rien, parce quil est lauteur de toute la substance. Donc les effets divins demeureront beaucoup plus, mme un instant, si cesse laction de Dieu.

q. 5 a. 1Arg. 18 Praeterea, forma est principium cognoscendi, operandi et essendi. Sed forma absque exteriori adminiculo potest esse operandi principium et cognoscendi. Ergo et essendi ; et ita cessante omni Dei actione res per formam potest conservari in esse.

18. La forme est le principe pour connatre, oprer et tre. Mais la forme sans appui extrieur peut tre principe dopration et de connaissance. Donc dՐtre aussi et ainsi quand laction de Dieu cesse, la chose peut tre conserve lՐtre par la forme.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Hebr. I, 3 : Portans omnia verbo virtutis suae ; ubi dicit Glossa [ord. Ibi, et interlinearis] : sicut ab eo creata sunt, ita per eum immutabilia conservantur.

1. Il y a ce qui est dit en Hbr. 1, 3 : Soutenant tout par sa parole puissante[572]. o la glose dit : De mme quils ont t crs par lui, ils sont conserv par lui, immuables..

q. 5 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit [IV super Genes. ad litteram, cap. XII] : Creatoris potentia et omnipotentis virtus causa subsistendi est omni creaturae ; quae virtus ab eis quae creata sunt regendis si aliquando cessaret, simul et illorum cessaret species, omnisque natura concideret. Et infra. Mundus nec in ictu oculi stare poterit, si ei Deus regimen suum subtraxerit.

2. Augustin dit (La Gense au sens littral, IV, XII, 22) : La puissance du crateur et le pouvoir du tout Puissant sont la cause de la subsistance de toute crature. Si ce pouvoir cessait de sexercer un instant, sur les cratures, en mme temps leur forme cesserait et tout leur nature seffondrerait. Et plus bas : Le monde ne pourrait pas demeurer le temps dun clin dil si Dieu lui retirait son gouvernement.

q. 5 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit [lib. VI Mor., cap. XVIII], quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus Omnipotentis contineret.

3. Grgoire [le Grand] dit (Les Morales, VI, ch. 18) que Tout retournerait au nant, si la main du Tout Puissant ne le contenait.

q. 5 a. 1 s. c. 4 Praeterea, in Lib. de Causis [prop. 9], dicitur : omnis intelligentiae fixio, id est permanentia et essentia, est per bonitatem quae est causa prima. Multo ergo fortius aliae creaturae non figuntur in esse nisi per Deum.

4. Dans Le livre des Causes, (prop. 9), il est dit que Toute stabilit de lintelligence cest--dire la permanence et lessence vient du Bien qui est la cause premire. Donc beaucoup plus les autres cratures n'ont t modeles dans lՐtre que par Dieu.

 

Rponse :

q. 5 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod absque omni dubio concedendum est, quod res conservantur in esse a Deo, et quod in momento in nihilum redigerentur, cum a Deo desererentur. Cuius ratio hinc accipi potest. Effectum enim a sua causa dependere oportet. Hoc enim est de ratione effectus et causae : quod quidem in causis formalibus et materialibus manifeste apparet. Quocumque enim materiali vel formali principio subtracto, res statim esse desinit, cum huiusmodi principia intrent essentiam rei.

Cest sans doute aucun quil faut concder que les cratures sont conserves dans l'tre par Dieu, et qu'en un instant elles retourneraient au nant, si elles taient abandonnes par lui. On peut en trouver la raison ainsi : car l'effet doit dpendre de sa cause. Car c'est de la nature de l'effet et de la cause, ce qui apparat manifestement dans les causes formelles et matrielles. Car si on carte tout principe matriel ou formel, la chose cesse aussitt d'exister, puisque de tels principes en pntrent l'essence.

Idem autem iudicium oportet esse de causis efficientibus, et formalibus vel materialibus. Nam efficiens est causa rei secundum quod formam inducit, vel materiam disponit. Unde eadem dependentia rei est ad efficiens, et ad materiam et formam, cum per unum eorum ab altero dependeat. De finalibus autem causis oportet etiam idem esse iudicium quod de causa efficiente. Nam finis non est causa, nisi secundum quod movet efficientem ad agendum ; non enim est primum in esse, sed in intentione solum. Unde et ubi non est actio, non est causa finalis, ut patet in III Metaph [com. 20].

Il faut porter un mme jugement pour les causes efficientes, formelles ou matrielles. Car la cause efficiente est la cause qui induit une forme, ou dispose la matire. C'est pourquoi, il y a la mme dpendance de la chose la cause efficiente, qu' la matire et la forme, puisque par l'un d'eux, elle dpend de l'autre. Mais pour les causes finales, il faut aussi que le jugement soit le mme que pour la cause efficiente. Car la fin n'est une cause que selon qu'elle pousse l'efficience agir ; car elle n'est pas en premier dans l'tre mais dans l'intention seulement. C'est pourquoi l o il n'y a pas d'action, il n'y a pas de cause finale, comme on le voit en Mtaphysique (III, 2, 996 a 26[573]).

Secundum hoc ergo esse rei factae dependet a causa efficiente secundum quod dependet ab ipsa forma rei facta Est autem aliquod efficiens a quo forma rei factae non dependet per se et secundum rationem formae, sed solum per accidens : sicut forma ignis generati ab igne generante, per se quidem, et secundum rationem suae speciei non dependet, cum in ordine rerum eumdem gradum teneat, nec forma ignis aliter sit in generato quam in generante ; sed distinguitur ab ea solum divisione materiali, prout scilicet est in alia materia. Unde cum igni generato sua forma sit ab aliqua causa, oportet ipsam formam dependere ab altiori principio, quod sit causa ipsius formae per se et secundum propriam speciei rationem.

Donc, ce point de vue, l'tre de ce qui est produit dpend de la cause efficiente, selon qu'il dpend de sa forme produite mme. Mais il y a une efficience dont la forme du produit ne dpend pas, par soi, et par sa nature, mais seulement par accident ; de mme que la forme du feu engendr ne dpend pas de celui qui l'engendre, par soi et selon la nature de l'espce, puisque, dans l'ordre des choses elle occupe le mme degr, et la forme nest pas autrement dans ce qui est engendr que dans celui qui lengendre ; mais elle en est distingue seulement par division matrielle, savoir selon qu'elle est dans une autre matire. C'est pourquoi, comme la forme pour le feu engendr vient d'une cause, il faut quelle dpende d'un principe plus lev, qui serait la cause de la forme, par soi et selon la nature propre de l'espce

Cum autem esse formae in materia, per se loquendo, nullum motum vel mutationem implicet, nisi forte per accidens ; omne autem corpus non agat nisi motum, ut philosophus probat, necesse est quod principium ex quo per se dependet forma, sit aliquod principium incorporeum ; per actionem enim alicuius principii dependet effectus a causa agente. Et si aliquod principium corporeum est per aliquem modum causa formae, hoc habet in quantum agit virtute principii incorporei, quasi eius instrumentum ; quod quidem necessarium est ad hoc quod forma esse incipiat, in quantum forma non incipit esse nisi in materia ; non enim materia quocumque modo se habens potest subesse formae, quia proprium actum in propria materia oportet esse.

Mais comme l'tre de la forme dans la matire, proprement parler, n'implique nul mouvement ni changement, sinon par hasard, par accident ; que tout corps n'agit que m, comme le Philosophe le prouve (Cf. Physique, VIII, 259 b 32 260 a 19), il est ncessaire que le principe d'o dpend la forme par soi, soit un principe incorporel, car, par l'action d'un principe, l'effet dpend de la cause efficiente. Et si un principe corporel est en quelque manire cause de la forme, cela ne se peut que dans la mesure o il agit par le pouvoir d'un principe incorporel, en tant que son instrument ; ce qui est ncessaire pour que la forme commence exister, dans la mesure o elle ne commence exister que dans la matire ; car la matire de quelque manire qu'elle se comporte ne peut pas tre soumise la forme, parce que l'acte propre doit tre dans la matire qui lui convient.

Cum ergo est materia in dispositione quae non competit formae alicui, non potest a principio incorporeo, a quo forma dependet per se, eam consequi immediate ; unde oportet quod sit aliquid transmutans materiam ; et hoc est aliquod agens corporeum, cuius est agere movendo. Et hoc quidem agit in virtute principii incorporei, et eius actio determinatur ad hanc formam, secundum quod talis forma est in eo, actu (sicut in agentibus univocis) vel virtute (sicut in agentibus aequivocis).

Donc, quand la matire est dans une disposition qui ne convient pas la forme, elle ne peut pas l'acqurir immdiatement par un principe incorporel, dont la forme dpend par soi. C'est pourquoi il faut quil y ait quelque chose qui transforme la matire ; et c'est un agent corporel, dont le propre est dagir en mettant.en mouvement Et il agit dans le pouvoir du principe incorporel, et son action est limite cette forme, selon qu'elle est en lui, en acte (comme dans les agents univoques) ou en puissance (comme dans les agents quivoques).

Sic igitur huiusmodi inferiora agentia corporalia, non sunt formarum principia in rebus factis, nisi quantum potest se extendere causalitas transmutationis, cum non agant nisi transmutando, ut dictum est ; hoc autem est in quantum disponunt materiam, et educunt formam de potentia materiae. Quantum igitur ad hoc, formae generatorum dependent a generantibus naturaliter, quod educuntur de potentia materiae, non autem quantum ad esse absolutum.

Ainsi donc de tels agents corporels infrieurs ne sont les principes des formes dans ce qui a t fait, que dans la mesure o la causalit du changement peut s'tendre, puisqu'ils n'agissent qu'en changeant, comme on l'a dit (q. 3, a. 7 et 8). Cest aussi dans la mesure o ils disposent la matire et sortent la forme de la puissance de la matire. Donc pour cela, les formes de ce qui engendre dpendent naturellement de ce qui les engendre, parce qu'elles sortent de la puissance de la matire, mais non quant l'tre dans absolu.

Unde et remota actione generantis, cessat eductio de potentia in actum quod est fieri generatorum ; non autem cessant ipsae formae, secundum quas generata habent esse. Et inde est quod esse rerum generatarum manet, sed non fieri, cessante actione generantis. Si quae autem formae sunt non in materia, ut sunt substantiae intellectuales, vel in materia nullo modo indisposita ad formam, ut est in corporibus caelestibus, in quibus non sunt contrariae dispositiones ; harum principium esse non potest nisi agens incorporeum, quod non agit per motum ; nec dependent ab aliquo secundum fieri a quo non dependeant secundum esse.

C'est pourquoi, quand l'action de celui qui engendre est carte, cesse le passage de la puissance l'acte qui est le devenir de ce qui est engendr ; mais les formes elles-mmes, par lesquelles ce qui est engendr a l'tre ne cessent pas. Et de l vient que l'tre de ce qui est engendr demeure, mais non le devenir, si cesse l'action de celui qui engendre. Si ces formes ne sont pas dans la matire, comme les substances intellectuelles, ou bien si elles sont dans une matire en aucune manire mal ordonne la forme, comme dans les corps clestes, dans lesquels il n'y a pas de dispositions contraires, leur principe d'tre ne peut tre qu'un agent incorporel qui n'agit pas par mouvement ; et elles ne dpendent pas pour leur devenir de ce dont elles ne dpendent pas pour leur tre.

Sicut igitur cessante actione causae efficientis, quae agit per motum, in ipso instanti cessat fieri rerum generatarum, ita cessante actione agentis incorporei, cessat ipsum esse rerum ab eo creatarum. Hoc autem agens incorporeum, a quo omnia creantur, et corporalia et incorporalia, Deus est, sicut in alia quaestione [3, art. 5, 6 et 8] ostensum est, a quo non solum sunt formae rerum, sed etiam materiae. Et quantum ad propositum non differt utrum immediate, vel quodam ordine, ut quidam philosophi posuerunt. Unde sequitur quod divina operatione cessante, omnes res eodem momento in nihilum deciderent, sicut auctoritatibus est probatum in argumentis sed contra.

Donc, de mme que, quand cesse l'action de la cause efficiente, qui agit par mouvement, dans l'instant mme, le devenir de ce qui est engendr cesse, de mme quand l'action de l'agent incorporel cesse, l'tre mme des choses cres par lui cesse aussi. Mais cet agent incorporel, par qui tout est cr, les tres corporels et incorporels, est Dieu, comme on l'a montr dans une autre question (qu. 3, a. 5, 6, et 8), de qui viennent non seulement les formes des tres mais aussi de la matire. Et l'une et l'autre ce propos ne diffrent pas immdiatement en ordre, comme certains philosophes l'ont pens. C'est pourquoi, il en dcoule que si l'opration divine cessait, tout, dans un mme moment, retomberait dans le nant, comme on l'a prouv pour les autorits dans les arguments en sens contraire.

 

Solutions :

q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod creaturae Dei sunt perfectae in sua natura et in suo ordine ; sed inter alia quae ad earum perfectionem requiruntur, hoc etiam est quod a Deo contineantur in esse.

 1. Les cratures de Dieu sont parfaites dans leur nature et leur ordre, mais parmi les autres choses requises pour leur perfection, il y a ce fait aussi qu'elles sont maintenues dans l'tre par Dieu.

q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus non alia operatione producit res in esse et eas in esse conservat. Ipsum enim esse rerum permanentium non est divisibile nisi per accidens, prout alicui motui subiacet ; secundum se autem est in instanti. Unde operatio Dei quae est per se causa quod res sit, non est alia secundum quod facit principium essendi et essendi continuationem.

 2. Ce n'est pas par une autre opration que Dieu produit les cratures dans l'tre et les y conserve. Car l'tre mme de ce qui demeure n'est divisible que par accident, dans la mesure o il est soumis un mouvement, mais en soi il est dans l'instant. C'est pourquoi l'opration de Dieu qui est cause par soi de lexistence de la chose, n'est pas diffrente selon qu'il produit le principe d'tre et sa conservation.

q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, quamdiu principia essentialia rerum sunt, tamdiu res conservantur in esse ; sed et ipsa rerum principia esse desinerent, divina actione cessante.

 3. Les choses sont conserves dans l'tre, aussi longtemps que leurs principes essentiels existent, mais les principes mme cesseraient si l'action divine cessait.

q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod huiusmodi inferiora agentia sunt causa rerum quantum ad earum fieri, non quantum ad esse rerum per se loquendo. Deus autem per se est causa essendi : et ideo non est simile. Unde Augustinus dicit [lib. IV super Genes. ad litteram, cap. XII] Non enim sicut structuram cum fabricaverit quis abscedit, atque illo cessante et abscedente stat opus eius ; ita mundus vel in ictu oculi stare poterit, si ei Deus regimen suum subtraxerit.

 4. De tels agents infrieurs sont la cause du devenir des choses, et non de leur tre, proprement parler. Mais Dieu par soi est cause d'tre, et ainsi ce n'est pas pareil. C'est pourquoi Augustin dit (La Gense au sens littral, IV, 12) : Car ce n'est pas comme quelqu'un qui s'en va quand il a construit un btiment : mme s'il cesse et s'en va, son uvre demeure, au contraire le monde ne pourrait demeurer l'instant d'un clin d'il, si Dieu lui avait retir son concours[574].

q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum agentia corporalia non agant nisi transmutando,- nihil autem transmutetur nisi ratione materiae,- causalitas agentium corporalium non potest se extendere nisi ad ea quae aliquo modo sunt in materia. Et quia Platonici et Avicenna non ponebant formas de potentia materiae educi, ideo cogebantur dicere quod agentia naturalia disponebant tantum materiam ; inductio autem formae erat a principio separato. Si autem ponamus formas substantiales educi de potentia materiae, secundum sententiam Aristotelis, agentia naturalia non solum erunt causae dispositionum materiae, sed etiam formarum substantialium ; quantum ad hoc dumtaxat quod de potentia educuntur in actum, ut dictum est [quaest. 3, art. 9 et 11], et per consequens sunt essendi principia quantum ad inchoationem ad esse, et non quantum ad ipsum esse absolute.

 5. Comme les agents corporels n'agissent qu'en oprant des changements rien n'est chang qu'en raison de la matire la causalit des agents corporels ne peut s'tendre qu' ce qui est de quelque manire dans la matire. Et parce que les Platoniciens et Avicenne ne pensaient pas que les formes taient duites de la puissance de la matire, ils taient forcs de dire que les agents naturels disposaient seulement la matire ; et l'induction de la forme dpendait d'un principe spar. Mais si nous pensons que les formes substantielles sont duites de la puissance de la matire, selon l'opinion d'Aristote, les agents naturels, non seulement sont causes des dispositions de la matire, mais encore des formes substantielles ; pour seulement ce qui est amen de la puissance l'acte, comme on l'a dit (qu. 3, art. 9 et 11) et par consquent, ils sont les principes de lՐtre, quant son commencement mais pas quant lՐtre mme dans l'absolu.

q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod formarum quae incipiunt actu esse in materia per actionem corporalis agentis, quaedam producuntur secundum perfectam rationem speciei et secundum perfectum esse in materia, sicut et forma generantis, eo quod in materia non remanent contraria principia, et huiusmodi formae remanent post actionem generantis, usque ad tempus corruptionis. Quaedam vero formae producuntur quidem secundum perfectam rationem speciei, non autem secundum perfectum esse in materia, sicut calor qui est in aqua calefacta, habet perfectam speciem caloris, non tamen perfectum esse, quod est ex applicatione formae ad materiam, eo quod in materia remanet forma contraria tali qualitati. Et huiusmodi formae possunt ad modicum remanere post actionem agentis ; sed prohibentur diu permanere a contrario principio, quod est in materia.

 6. Parmi les formes qui commencent exister en acte dans la matire par l'action de l'agent corporel, certaines sont produites selon la nature parfaite de l'espce et selon l'tre parfait dans la matire, comme la forme de celui qui engendre, parce que les principes contraires ne demeurent pas dans la matire, et les formes de ce genre demeurent aprs l'action de celui qui engendre, jusqu'au temps de la corruption. Mais certaines formes sont produites selon la nature parfaite de l'espce, et non selon l'tre parfait dans la matire, comme la chaleur, qui est dans l'eau chaude, a une nature parfaite de chaleur, non cependant un tre parfait qui vient de l'application de la forme la matire, parce que la forme contraire une telle qualit demeure dans la matire. Et de telles formes peuvent demeurer un peu aprs l'action de l'agent, mais elles sont empches de demeurer longtemps par un principe contraire qui est dans la matire

Quaedam vero producuntur in materia et secundum imperfectam speciem et secundum imperfectum esse, sicut lumen in aere a corpore lucido. Non enim lumen est in aere sicut quaedam forma naturalis perfecta prout est in corpore lucido, sed magis per modum intentionis. Unde sicut similitudo hominis non manet in speculo nisi quamdiu est oppositum homini, ita nec lumen in aere, nisi apud praesentiam corporis lucidi : huiusmodi enim intentiones dependent a formis naturalibus corporum per se, et non solum per accidens ; et ideo esse eorum non manet cessante actione agentium. Huiusmodi ergo propter imperfectionem sui esse, dicuntur esse in fieri ; sed creaturae perfectae non dicuntur esse in fieri propter sui esse imperfectionem, quamvis actio Dei earum factionis indeficienter permaneat.

. Mais certaines sont produites dans la matire et selon une espce et un tre imparfaits, comme la lumire dans l'air par un corps lumineux. Car la lumire n'est pas dans l'air comme une forme naturelle parfaite selon qu'elle est dans un corps lumineux, mais plus par mode d'application. C'est pourquoi, de mme que la ressemblance de l'homme ne demeure dans le miroir qu'aussi longtemps qu'il est en face de lui, de mme la lumire n'est dans l'air que par la prsence du corps lumineux ; car de telles intentions dpendent des formes naturelles des corps par soi, et non seulement par accident, et c'est pourquoi leur tre ne demeure pas quand cesse l'action des agents. Ainsi donc cause de l'imperfection de leur tre, on les appelle des tres en devenir ; mais on ne dit pas que les cratures parfaites sont dans le devenir cause de l'imperfection de leur tre, quoique l'action de Dieu pour leur production demeure sans dfaillance.

q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod actio corporalis agentis non se extendit ultra motum, et ideo est instrumentum primi agentis in eductione formarum de potentia in actum, quae est per motum ; non autem in conservatione earum, nisi quatenus ex aliquo motu dispositiones in materia retinentur, quibus materia fit propria formae : sic enim per motum corporum caelestium inferiora conservantur in esse.

 7. L'action de l'agent corporel ne s'tend pas au-del du mouvement ; et c'est pourquoi il est l'instrument du premier agent dans le passage des formes de la puissance l'acte, qui se fait par mouvement, mais pas dans leur conservation, sinon dans la mesure o sont maintenues dans la matire par un mouvement les dispositions par lesquelles la matire devient propre la forme ; car ainsi, par le mouvement des corps clestes, les corps infrieurs sont conservs dans l'tre.

q. 5 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod creatura deficeret divina actione cessante, non propter contrarium quod sit in materia, quia ipsum etiam cum materia cessaret : sed propter hoc quod creatura est ex nihilo ; non propter hoc quod nihilum aliquid ageret ad corruptionem, sed non ageret ad conservationem.

 8. Que la crature disparaisse si l'action divine cesse, n'est pas cause du contraire qui serait dans la matire, parce que lui-mme cesserait en mme temps quelle, mais cest parce que la crature vient du nant, non pas parce que celui-ci la conduirait la corruption, mais il nagirait pas pour sa conservation.

q. 5 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ipse dator formarum si ponatur aliquid aliud praeter Deum, secundum sententiam Avicennae, oportet quod et ipsum deficeret cessante actione Dei, quae est sua causa.

 9. Si on pense que le pourvoyeur de formes est autre que Dieu, selon l'opinion d'Avicenne, il faut que lui-mme disparaisse quand cesse l'action de Dieu, qui est sa cause.

q. 5 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod etiam praedicta actione cessante, forma deficeret, unde non posset esse essendi principium.

 10. Si l'action susdite cessait, la forme disparatrait, c'est pourquoi elle ne pourrait pas tre le principe d'tre.

q. 5 a. 1 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod materia dicitur ingenita quia non procedit in esse per generationem : ex hoc tamen non removetur quin a Deo sit ; cum omne imperfectum oporteat a perfecto originem trahere.

 11. Il faut dire que la matire nest pas engendre parce qu'elle ne parvient pas l'tre par gnration ; cependant cela n'empche pas qu'elle vienne de Dieu, puisque tout ce qui est imparfait doit tirer son origine d'un [tre] parfait.

q. 5 a. 1 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod non oportet inter opera Dei, uno contradictorie oppositorum invento, aliud inveniri (sic enim esset inter ea aliquid increatum cum sit ibi aliquid creatum) quamvis hoc verum sit de aliis oppositis. Ea vero de quibus est obiectio, sunt contradictorie opposita ; unde ratio non sequitur.

 12. Il ne faut pas, parmi les uvres de Dieu, si on trouve lun des opposs en contradiction, en trouver un autre (car ainsi il y aurait entre eux quelque chose d'incr, puisqu'il y l quelque chose de cr[575]), quoique cela soit vrai des autres opposs. Mais ce qui concerne l'objection, ce sont des opposs en contradiction ; c'est pourquoi la raison nest pas valable.

q. 5 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet quaelibet res naturaliter appetat sui conservationem, non tamen quod a se conservetur, sed a sua causa.

 13. Bien que chaque chose dsire naturellement sa conservation, cependant ce nest pas pour tre conserve par soi mais par sa cause.

q. 5 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod universitas creaturarum non est optima simpliciter, sed in genere creatorum ; unde nihil prohibet ea aliquid melius esse.

 14. L'universalit des cratures n'est pas la meilleure dans l'absolu, mais la meilleur est dans le genre des crateurs ; c'est pourquoi rien n'empche que quelque chose soit meilleur quelle.

q. 5 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod inter bona quorum congregatione status beatitudinis perficitur, principium est coniunctio ad suam causam ; cum ipsa Dei fruitio sit creaturae rationalis beatitudo.

 15. Parmi les biens dont la runion achve lՎtat de batitude, le principe est lunion la cause ; puisque la jouissance de Dieu est la batitude de la crature rationnelle.

q. 5 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod tendere in nihilum non est proprie motus naturae, qui semper est in bonum, sed est ipsius defectus ; unde ratio falsum supponebat.

 16. Tendre au nant n'est pas proprement un mouvement de la nature, qui est toujours pour le bien, mais c'est sa dfaillance ; c'est pourquoi cette raison supposait une erreur.

q. 5 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod illius impressionis violentae agens violentum est causa secundum fieri, et non simpliciter secundum esse, ut ex dictis patet [in solut., ad VI arg.] : unde cessante actione agentis, potest ad tempus remanere, sed non diu propter eius imperfectionem.

 17. L'agent violent dans cette pression de la violence est la cause selon le devenir, mais absolument pas selon l'tre, comme cela se voit de ce qui a t dit (solution du 6e argument) ; c'est pourquoi quand l'action de l'agent cesse, elle peut demeurer pour un temps, mais pas longtemps cause de son imperfection.

q. 5 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod sicut forma non potest esse principium essendi, nisi aliquo priori principio praesupposito, ita nec operandi, cum Deus in qualibet re operetur, ut in alia quaestione [3,Arg. 6], ostensum est nec etiam cognoscendi, cum omnis cognitio a lumine increato derivetur.

 18. De mme que la forme ne peut tre principe d'tre que par quelque principe prcdant prsuppos, de mme elle ne peut pas tre principe pour l'opration, puisque Dieu opre en toutes choses, comme on l'a montr dans une autre question (qu. 3, argument 6) ;[elle ne peut pas tre] le principe de la connaissance, puisque tout connaissance drive de la lumire incre.

 

 

 

Article 2 Dieu peut-il communiquer une crature le pouvoir de se conserver dans lՐtre par soi et sans lui ?

q. 5 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum Deus possit alicui creaturae communicare quod per se in esse conservetur absque Deo. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

 

Objections :[576] 

q. 5 a. 2Arg. 1 Creare enim est maius quam per se in esse conservari. Sed creare potuit creaturae communicari, ut Magister dicit in V dist., IV Sentent. Ergo et per se in esse conservari.

1. Car crer est plus important que dՐtre conserv dans lՐtre par soi. Mais [le pouvoir de] crer a pu tre communiqu la crature, comme le dit le Matre des Sentences, (IV Sent. d. 5[577]). Et aussi le pouvoir d'tre conserv dans lՐtre par soi.

q. 5 a. 2Arg. 2 Praeterea, plus est in potestate rerum et Dei, quam in potestate intellectus nostri. Sed intellectus noster potest intelligere creaturam absque Deo. Ergo multo fortius Deus potest creaturae dare ut per se conservetur in esse.

2. Il y a plus dans le pouvoir des choses et celui de Dieu, que dans celui de notre intellect. Mais celui-ci peut comprendre la crature sans Dieu. Donc Dieu, beaucoup plus, peut donner la crature le pouvoir de se conserver dans lՐtre par soi.

q. 5 a. 2Arg. 3 Praeterea, aliqua creatura est ad imaginem Dei, ut patet Genesis I, 26. Sed secundum Hilarium [in lib. de Synodis] imago est rei ad rem coaequandam indiscreta et unita similitudo ; et sic imago adaequare potest id cuius est imago. Cum ergo Deus nullo exteriori conservante indigeat, videtur quod hoc potuit creaturae communicare.

3. Une crature est limage de Dieu, comme on le voit en Gn. 1, 26. Mais selon Hilaire (Le livre des Synodes) limage d'une chose est la ressemblance indivisible, et unie pour lՎgaler. Et ainsi limage peut galer ce dont elle est limage. Donc, comme Dieu na pas besoin de quelque chose dextrieur qui le conserve, il semble quil a pu communiquer ce pouvoir la crature.

q. 5 a. 2Arg. 4 Praeterea, quanto agens est perfectius, tanto potest perfectiorem effectum producere. Sed agentia naturalia possunt effectus facere qui conserventur in esse sine agentibus. Ergo multo fortius Deus potest hoc facere.

4. Plus l'agent est parfait, plus l'effet qu'il peut produire est parfait. Mais les agents naturels peuvent produire des effets qui sont conservs dans lՐtre sans leurs agents. Donc Dieu peut le faire beaucoup plus.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 2 s. c. Sed contra. Deus non potest aliquid facere in diminutionem suae auctoritatis. Hoc autem suo dominio praeiudicaret, si aliquid absque ipsius conservatione posset esse. Ergo Deus hoc facere non potest.

Dieu ne peut rien faire qui diminuerait son autorit. Cela porterait prjudice sa puissance, si un tre pouvait exister sans tre conserv par lui. Donc Dieu ne peut pas le faire.

 

Rponse :

q. 5 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod ad omnipotentiam Dei non pertinet quod possit facere duo contradictoria esse simul. In hoc autem quod dicitur quod Deus faciat aliquid quod eius conservatione non indigeat, contradictio implicatur. Iam enim ostensum est quod omnis effectus a sua causa dependet, secundum quod est eius causa. In hoc ergo quod dicitur, quod Dei conservatione non indigeat, ponitur non esse creatum a Deo ; in hoc quod dicitur, quod Deus faciat ipsum, ponitur esse creatum.

Il ne convient pas la toute puissance de Dieu de pouvoir faire que deux choses contradictoires existent en mme temps. Dire que Dieu fait quelque chose qui na pas besoin de sa conservation implique une contradiction. Car, dj on a montr que tout effet dpend de sa cause, en tant que tel. Quand on dit : Une chose na pas besoin de la conservation de Dieu, on pense quelle na pas t cre par lui, et quand on dit : Dieu la fasse, on pense quelle a t cre.

Sicut ergo contradictionem implicaret, Deum facere aliquid quod non esset creatum ab eo, ita si quis diceret Deum facere aliquid quod eius conservatione non indigeret. Unde utrumque pari ratione Deus non potest.

Donc que Dieu fasse que quelque chose qui ne soit pas cr par lui, impliquerait une contradiction, de la mme manire si on disait que Dieu fait une crature qui naurait pas besoin de son pouvoir de conservation. C'est pourquoi, raison gale, Dieu ne peut faire ni lun, ni lautre.

 

Solutions :

q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum creare sit aliquid causare ; non indigere autem alterius conservatione, non sit nisi eius quod causam non habet : manifestum est quod maius est non indigere conservari ab alio quam creare ; sicut maius est causam non habere quam causam esse ; licet et hoc non sit usquequaque verum, quod creare creaturae sit communicabile, secundum quod est actus primi agentis, ut in alia quaestione 3, dictum est.

 1. Comme crer cest causer quelque chose ; ne pas avoir besoin de la conservation dun autre nexisterait que pour ce qui n'a pas de cause : il est clair quil est plus grand de ne pas avoir besoin dՐtre conserv par un autre que crer ; de mme il est plus important de ne pas avoir de cause que dՐtre cause ; bien quil ne soit pas toujours vrai que crer soit communicable la crature, en tant qu'acte du premier agent, comme on l'a dit dans une autre question (qu. 3, a. 4).

q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis intellectus possit intelligere creaturam non intelligendo Deum, non tamen potest intelligere creaturam non conservari in esse a Deo ; hoc enim implicat contradictionem, sicut et creaturam non esse creatam a Deo, ut dictum est [quaesty. 3, art. 5].

 2. Quoique lesprit puisse comprendre (intelligere) la crature sans comprendre Dieu, cependant on ne peut pas comprendre que la crature ne soit pas conserve par Dieu ; car cela implique une contradiction, de mme que comprendre que la crature na pas t cre par Dieu, comme on la dit (qu. 3, a. 5).

q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non est de ratione imaginis absolute, sed perfectae ; qualis Dei imago non est creatura, sed filius ; unde ratio non sequitur.

 3. LՎgalit n'appartient pas dans l'absolu la dfinition de limage, mais celle de limage parfaite ; une telle image de Dieu nest pas une crature, mais le Fils. Cest pourquoi cette raison ne convient pas[578].

q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod responsio patet per ea quae dicta sunt in praecedenti.

 4. La rponse est claire par ce qui a t dit prcdemment.

 

 

 

Article 3 Dieu peut-il ramener la crature au nant ?

q. 5 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum Deus possit creaturam in nihilum redigere. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[579]

q. 5 a. 3Arg. 1 Dicit enim Augustinus in Lib. LXXXIII Quaestionum [quaet. 2], quod Deus non est causa tendendi in non esse. Hoc autem esset, si creaturam annihilaret. Ergo Deus non potest creaturam in nihilum redigere.

1. Car Augustin, dans le livre des 83 questions (qu. 21[580]), dit que Dieu nest pas la cause de la tendance au non-tre. Mais ce serait cela, sil ramenait la crature au nant. Donc Dieu ne peut pas ramener la crature au nant.

q. 5 a. 3Arg. 2 Praeterea, creaturae corruptibiles, quae inter ceteras sunt debilioris esse, non desinunt esse nisi per actionem alicuius causae agentis, sicut ignis corrumpitur aliquo contrario agente in ipsum. Multo minus igitur aliae creaturae possunt desinere nisi per aliquam actionem. Si ergo Deus aliquam creaturam annihilaret, hoc non fieret nisi per aliquam actionem. Per actionem autem hoc fieri est impossibile. Nam omnis actio sicut est ab ente actu, ita in ens actu terminatur, cum oporteat factum esse simile facienti. Actio autem qua aliquid ens actu constituitur, non omnino in nihilum redigit. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.

2. Les cratures corruptibles, qui, parmi les autres, ont un tre plus faible, ne cessent dexister que par laction dune cause efficiente ; ainsi le feu est corrompu par un agent contraire en lui. Donc les autres cratures beaucoup moins ne peuvent cesser que par quelque action. Si donc Dieu ramenait une crature au nant, cela ne se ferait que par une action. Mais cest impossible que cela soit fait par une action. Car toute action, de mme quelle vient d'un tant en acte, se termine de mme dans un tant en acte, puisquil faudrait que le produit soit la ressemblance de celui qui le fait. Mais laction par laquelle un tant est tabli en acte, ne ramne absolument pas au non tre. Donc Dieu ne peut rien ramener au nant.

q. 5 a. 3Arg. 3 Praeterea, omne quod est per accidens, reducitur ad id quod est per se. Sed a nulla causa agente est defectus et corruptio nisi per accidens, cum nihil operetur nisi intendens ad bonum, ut Dionysius dicit [IV cap. de divin. Nomin.] : unde et ignis corrumpens aquam, non intendit privationem formae aquae, sed formam propriam in materiam introducere. Ergo non potest ab aliquo agente causari aliquis defectus, quin simul aliqua perfectio constituatur. Ubi autem aliqua perfectio constituitur, ibi non est annihilatio. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.

3. Tout ce qui existe par accident est ramen ce qui est par soi. Mais la dfaillance et la corruption ne viennent daucune cause efficiente, sinon par accident, puisque rien nopre sinon quen tendant au bien, comme le dit Denys (Les noms divins, 4). Cest pourquoi, le feu qui dnature leau, ne tend pas la privation de la forme de leau, mais introduire une forme propre dans la matire. Donc une dfaillance ne peut tre cause par un agent quen constituant une perfection en mme temps. L o est tablie une perfection, il ny a pas de retour au nant. Donc Dieu ne peut rien ramener au nant.

q. 5 a. 3Arg. 4 Praeterea, nihil agit nisi propter finem. Finis enim est quod movet efficientem. Finis autem divinae actionis est eius bonitas : quod quidem esse potest in rerum productione, per quam res similitudines divinae bonitatis consequuntur : non autem in annihilatione, per quam annihilatum omnino a Dei similitudine recederet. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.

4. Rien nagit quen vue dune fin. Car la fin est ce qui met en mouvement [la cause] efficiente. La fin de laction divine est sa bont : ce qui peut exister dans la production des cratures, par laquelle elles obtiennent la ressemblance de la divine bont, mais pas dans leur annihilation, par laquelle ce qui est retourn au nant sՎloignerait tout fait de la ressemblance Dieu. Donc Dieu ne peut rien ramener au nant.

q. 5 a. 3Arg. 5 Praeterea, manente causa, necesse est permanere causatum. Si enim non est necesse, possibile erit causatum esse et non esse posita causa ; et sic indigebitur alio quo causatum ad esse determinetur ; et ita causa sufficiens non erit ad esse causati. Sed Deus est sufficiens causa rerum. Ergo Deo manente necesse est res in esse manere. Sed Deus non potest facere quin ipse in esse maneat. Ergo non potest creaturas reducere in non esse.

5. Tant que la cause demeure, il est ncessaire que leffet demeure. Car, si ce nest pas ncessaire, il sera possible que leffet existe et nexiste pas, une fois pose la cause ; et ainsi il aura besoin dun autre par lequel leffet est dtermin lՐtre ; et ainsi la cause ne sera pas suffisante pour lՐtre de leffet. Mais Dieu est la cause suffisante des tres. Donc, comme Dieu demeure, il est ncessaire que les choses demeurent dans lՐtre. Mais Dieu ne peut pas faire que lui-mme demeure dans lՐtre. Donc il ne peut pas ramener les cratures au non tre.

q. 5 a. 3Arg. 6 Sed dicebatur, quod Deus non erit causa in actu, cum creaturae erunt annihilatae.- Sed contra, divina actio est eius esse ; unde et Augustinus [lib. I de Doct. Christ., cap. XXXII], vult quod in quantum Deus est, nos simus. Suum autem esse nunquam ei advenit. Ergo nunquam desinit esse in sua actione ; et ita semper erit causa in actu.

6. Mais on pourrait dire que Dieu ne sera pas une cause en acte, lorsque les cratures retourneront au nant. En sens contraire, laction divine est celle de son tre ; cest pourquoi Augustin (La Doctrine chrtienne, I, 32[581]) veut que nous existions en tant que Dieu est. Mais son tre ne lui est jamais advenu. Donc jamais il ne cesse dՐtre en son action et ainsi il sera toujours une cause en acte.

q. 5 a. 3Arg. 7 Praeterea, Deus non potest facere contra communes animi conceptiones, sicut quod totum non sit maius sua parte. Communis autem animi conceptio est apud sapientes, animas rationales perpetuas esse. Ergo Deus non potest facere quod in nihilum redigantur.

7. Dieu ne peut agir contre les conceptions communes de lesprit, comme que le tout ne soit pas plus grand que sa partie[582]. Mais la conception commune de lesprit chez les sages est que les mes rationnelles sont ternelles. Donc Dieu ne peut pas faire quelles retournent au nant.

q. 5 a. 3Arg. 8 Praeterea, Commentator dicit in XI Metaph. [in lib. suo XI, qui est super XII Arist., com. 41] quod id quod est in se possibile esse et non esse, non potest necessitatem essendi ab alio acquirere. Quaecumque ergo creaturae habent necessitatem essendi, in eis non est possibilitas ad esse et non esse. Huiusmodi autem sunt omnia incorruptibilia, ut sunt substantiae incorporeae et corpora caelestia. Ergo omnibus his non est possibilitas ad non esse. Si ergo sibi relinquantur, divina actione subtracta, non deficient in non esse ; et sic Deus non videtur quod possit ea annihilare.

8. Le Commentateur dit (La mtaphysique XI propos de la Mtaphysique d'Aristote, XII, com. 41) que ce qui a possibilit dՐtre et ne pas tre, ne peut pas acqurir sa ncessit dՐtre dun autre. Donc toutes les cratures qui ont la ncessit dՐtre n'ont pas en elles la possibilit dՐtre et ne pas tre. Tout ce qui est incorruptible est de ce genre, comme les substances incorporelles et les corps clestes. Donc tous ceux-l nont pas de possibilit au non tre. En consquence, sils sont laisss eux-mmes une fois laction divine carte, ils ne tomberont pas dans le non tre et ainsi Dieu ne semble pas pouvoir les ramener au nant.

q. 5 a. 3Arg. 9 Praeterea, quod recipitur in aliquo, non tollit potentiam recipientis ; sed potest eam perficere. Si ergo aliquid sit possibilitatem habens ad non esse, nihil in eo receptum hanc possibilitatem ei auferre poterit. Ergo quod est in se possibile non esse, non poterit ab aliquo necessitatem essendi acquirere.

9. Ce qui est reu dans quelque chose, nenlve pas la puissance de ce qui reoit, mais il peut la parfaire. Donc si quelque chose se trouve avoir la possibilit au non tre, rien de ce qui est reu en lui ne pourra enlever cette possibilit. En consquence ce qui a possibilit en soi de ne pas tre, ne pourra pas acqurir la ncessit dՐtre dun autre.

q. 5 a. 3Arg. 10 Praeterea, ea secundum quae aliqua genere diversificantur, sunt de essentia rei ; nam genus pars definitionis est. Secundum autem corruptibile et incorruptibile aliqua genere differunt, ut patet in X Metaph. Ergo sempiternitas et incorruptibilitas est de essentia rei. Deus autem non potest alicui rei auferre quod est de essentia eius ; non enim potest facere quod homo existens homo, non sit animal. Ergo non potest rebus incorruptibilibus sempiternitatem auferre ; et ita non potest ea ad nihilum redigere.

10. Ce qui diffrentie les genres, appartient lessence, car le genre est une partie de la dfinition. Mais certaines choses diffrent en genre selon le corruptible et lincorruptible, comme on le voit en Mtaphysique (X, 10, 1059 a 27[583]). Donc la dure ternelle et lincorruptibilit appartiennent lessence de lՐtre. Dieu ne peut pas enlever un tre ce qui appartient son essence ; car il ne peut pas faire quun homme qui existe en tant qu'homme ne soit pas un animal[584]. Donc il ne peut enlever la dure ternelle aux tres incorruptibles, et ainsi il ne peut pas les ramener au nant.

q. 5 a. 3Arg. 11 Praeterea, corruptibile nunquam potest mutari ut fiat incorruptibile secundum suam naturam ; nam incorruptibilitas corporum resurgentium non est naturae sed gloriae ; et hoc ideo est, quia corruptibile et incorruptibile differunt genere, ut dictum est. Si autem quod est in se possibile non esse, ab aliquo necessitatem essendi posset acquirere, corruptibile posset in incorruptibilitatem mutari. Ergo impossibile est esse aliquid quod in se sit possibile non esse, et acquirat necessitatem ab alio ; et sic idem quod prius.

11. Le corruptible ne peut jamais tre chang pour devenir incorruptible par nature ; car lincorruptibilit des corps ressuscits ne vient pas de la nature mais de la gloire, et cest parce que le corruptible et lincorruptible diffrent en genre comme on la dit. Mais si ce qui a en soi possibilit de ne pas tre pouvait acqurir sa ncessit dՐtre de quelque chose, la corruptibilit pourrait tre change en incorruptibilit. Donc il est impossible qu'il y ait quelque chose qui a en soi la possibilit acquiert la ncessit dun autre et ainsi de mme que plus haut.

q. 5 a. 3Arg. 12 Praeterea, si creaturae non habent necessitatem nisi secundum quod dependent a Deo, a Deo autem dependent secundum quod Deus est earum causa ; non habebunt necessitatem nisi per modum qui competit causalitati qua Deus eorum causa est. Deus autem est rerum causa non per necessitatem, sed per voluntatem, ut est in alia quaestione, ostensum. Sic ergo erit necessitas in rebus sicut in his quae a voluntate causantur. Ea autem quae sunt a voluntate, non simpliciter et absolute sunt necessaria, sed solum necessitate conditionata, eo quod voluntas non necessario determinatur ad unum effectum. Ergo sequitur quod in rebus nihil est necessarium absolute, sed solum sub conditione ; sicut est necesse Socratem moveri, si currit ; vel ambulare, si vult, nullo impedimento existente. Ex quo videtur sequi quod nihil sit in creaturis simpliciter incorruptibile, sed omnia sint corruptibilia ; quod est inconveniens.

12. Si les cratures nont de ncessit qu'en tant quelle dpendent de Dieu, elles dpendent de lui selon quil est leur cause ; elles nauront de ncessit que par le mode qui convient la causalit par laquelle Dieu est leur cause. Mais il est la cause des tres non par ncessit, mais par volont, comme on la montr dans une autre question (Pot. 3, 15). Donc il y aura ncessit dans les choses comme dans ce qui est caus par la volont. Mais ce qui dpend de la volont, nest pas simplement et absolument ncessaire, mais seulement dune ncessit conditionnelle, parce que la volont nest pas dtermine ncessairement un seul effet. Donc il en dcoule que, dans les cratures, rien nest absolument ncessaire, mais seulement sous condition, de mme quil est ncessaire que Socrate soit en mouvement sil court, ou se promne, sil veut, sil nexiste aucun empchement. Il semble en dcouler que rien nest dans les cratures absolument incorruptible, mais que tout est corruptible, ce qui ne convient pas.

q. 5 a. 3Arg. 13 Praeterea, sicut Deus est summum bonum, ita est perfectissimum ens. Sed in quantum est summum bonum, ei convenit quod non possit esse causa mali culpae. Ergo in quantum est perfectissimum ens, non ei competit quod possit esse causa annihilationis rerum.

13. Dieu est le souverain bien, il est aussi lՎtant absolument parfait. Mais dans la mesure o il est le souverain bien, il lui appartient de ne pas pouvoir tre cause du mal de la faute. Donc en tant quՎtant absolument parfait, il ne lui revient pas de pouvoir tre cause du retour au nant des tres.

q. 5 a. 3Arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit [Enchirid. Cap. XI], quod Deus est adeo bonus quod nunquam permitteret aliquid mali fieri, nisi esset adeo potens quod de quolibet malo posset elicere aliquod bonum. Sed si creaturae annihilarentur, nullum bonum inde eliceretur. Ergo Deus non potest hoc permittere quod creaturae in nihilum decidant.

14. Augustin dit (Enchiridion, XI) que Dieu est si bon que jamais il ne permettrait que quelque chose de mal soit fait, moins quil ne soit assez puissant pour pouvoir tirer un bien de nimporte quel mal. Mais si les cratures retournaient au nant, il ne pourrait en tirer aucun bien. Donc Dieu ne peut pas permettre que les cratures retombent dans le nant.

q. 5 a. 3Arg. 15 Praeterea, non minor distantia est in nihilum de ente, quam de nihilo in esse. Sed reducere aliquid de nihilo in esse, est potentiae infinitae, propter distantiam infinitam. Ergo reducere de esse in nihil, non est nisi potentiae infinitae. Nulla autem creatura habet potentiam infinitam. Ergo subtracta actione creatoris, creatura non poterit in nihilum reduci. Quo quidem solo modo dicebatur Deus res posse annihilare, scilicet per suae actionis subtractionem. Nullo ergo modo Deus potest creaturas in nihilum redigere.

15. La distance nest pas plus petite de lՐtre au nant, que du nant lՐtre. Mais amener quelque chose du nant lՐtre demande une puissance infinie, cause de la distance infinie. Donc amener de lՐtre au nant, ne dpend que dune puissance infinie. Mais aucune crature na de puissance infinie. Donc, si on exclut laction du Crateur, la crature ne pourra pas retourner au nant. Cest de cette seule manire quon disait que Dieu pouvait ramener au nant, savoir en retirant son action. Donc Dieu ne peut pas ramener les cratures au nant.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod Origenes dicit in Periarchon : Quod datum est, auferri atque recedere potest. Sed esse, datum est creaturae a Deo. Ergo potest auferri ; et sic Deus potest creaturas in nihilum redigere.

1. Origne dit dans le Periarchon : Ce qui a t donn, peut tre enlev et se retirer. Mais lՐtre est donn par Dieu la crature. Donc il peut tre enlev, et ainsi Dieu peut ramener les cratures au nant.

q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod dependet ex simplici Dei voluntate, potest, etiam, Deo volente, cessare. Sed totum esse creaturae dependet ex simplici Dei voluntate ; cum Deus per suam voluntatem sit causa rerum, et non per naturae necessitatem. Ergo, Deo volente, possunt creaturae in nihilum redigi.

2. Ce qui dpend de la volont absolue de Dieu peut aussi cesser, sil le veut. Mais tout lՐtre de la crature dpend de la volont absolue de Dieu, puisqu'il est leur cause par sa volont, et non par ncessit de nature. Donc, si Dieu le veut, les cratures peuvent tre ramenes au nant.

q. 5 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Deus non est plus debitor creaturis postquam esse incoeperunt, quam antequam esse inciperent. Sed antequam creaturae inciperent, absque omni praeiudicio suae bonitatis poterat cessare ad hoc quod esse creaturis communicaret, quia sua bonitas in nullo a creaturis dependet. Ergo Deus potest absque praeiudicio suae bonitatis suam actionem a rebus creatis subtrahere ; quo posito in nihilum deciderent, ut in praecedenti articulo ostensum est. Potest ergo Deus res annihilare.

3. Dieu nest pas plus dbiteur envers les cratures, aprs quelles ont commenc tre quavant. Mais avant quelles aient commenc, sans aucun prjudice pour sa bont, il pouvait cesser de communiquer lՐtre aux cratures, parce que sa bont ne dpend d'elle en rien. Donc Dieu peut, sans prjudice pour sa bont, retirer son action des cratures ; cela tabli, elles retourneraient au nant, comme on la montr dans larticle prcdant. Dieu peut donc ramener les cratures au nant.

q. 5 a. 3 s. c. 4 Praeterea, eadem actione Deus res in esse produxit et eas in esse conservat, ut supra ostensum est. Sed Deus potuit res in esse non producere. Ergo eadem ratione potest eas annihilare.

4. Par la mme action, Dieu amne les choses lՐtre et les y conserve, comme on la montr plus haut. Mais il aurait pu ne pas les amener l'tre. Donc, pour la mme raison, il peut les ramener au nant.

 

Rponse :

q. 5 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod in rebus a Deo factis dicitur aliquid esse possibile dupliciter. Uno modo per potentiam agentis tantum ; sicut antequam mundus fieret, possibile fuit mundum fore, non per potentiam creaturae, quae nulla erat, sed solum per potentiam Dei, qui mundum in esse producere poterat. Alio modo per potentiam quae est in rebus factis ; sicut possibile est corpus compositum corrumpi.

Pour ce qui est produit par Dieu, on dit que quelque chose est possible de deux manires : a) D'une premire manire, par la puissance de lagent seulement : ainsi avant que le monde nait t fait, il tait possible quil soit fait, non par la puissance de la crature qui nexistait pas, mais seulement pas la puissance de Dieu, qui pouvait amener le monde lՐtre. b) D'une autre manire, par la puissance qui existe dans ce qui est produit ; de mme qu'il est possible quun corps compos soit corrompu

Si ergo loquamur de possibilitate ad non esse ex parte rerum factarum, dupliciter circa hoc aliqui opinati sunt.

Donc si nous parlons de possibilit au non tre du ct des cratures, certains ce sujet ont exprims deux opinions diffrentes :

Avicenna namque posuit [lib. VIII Metaph., c. VI], quod quaelibet res praeter Deum habebat in se possibilitatem ad esse et non esse. Cum enim esse sit praeter essentiam cuiuslibet rei creatae, ipsa natura rei creatae per se considerata, possibilis est ad esse ; necessitatem vero essendi non habet nisi ab alio, cuius natura est suum esse, et per consequens est per se necesse esse, et hoc Deus est.

a) Car Avicenne (Mtaphysique, VIII, c. 6[585]) a pens que chaque chose en dehors de Dieu avait en soi la possibilit dՐtre et ne pas tre. En effet, puisque lՐtre est au-del de lessence de nimporte quelle crature, sa nature de crature, considre en soi, a la possibilit d'tre ; mais elle na la ncessit dՐtre que par un autre, dont la nature est son tre et par consquent qui a par soi la ncessit dՐtre et cest Dieu.

Commentator vero [in XI Metaph., text. 41 et in libro de Substantia orbis] contrarium ponit, scilicet quod quaedam res creatae sunt in quarum natura non est possibilitas ad non esse, quia quod in sua natura habet possibilitatem ad non esse, non potest ab extrinseco acquirere sempiternitatem, ut scilicet sit per naturam suam sempiternum. Et haec quidem positio videtur rationabilior. Potentia enim ad esse et non esse non convenit alicui nisi ratione materiae, quae est pura potentia. Materia etiam, cum non possit esse sine forma, non potest esse in potentia ad non esse, nisi quatenus existens sub una forma, est in potentia ad aliam formam.

b) Mais le Commentateur (Mtaphysique, XI, texte 4 et Livre La Substance du monde) pense le contraire, savoir quil existe certaines cratures dans la nature desquelles il ny a pas possibilit au non tre, parce que, ce qui, dans leur nature a possibilit au non tre, ne peut pas acqurir lՎternit de lextrieur, pour tre ternel par nature. Et cette position parat plus rationnelle. Car la puissance tre et ne pas tre ne convient une chose que par la nature de sa matire, qui est pure puissance. Comme la matire aussi ne peut exister sans forme, elle ne peut tre en puissance au non tre que dans la mesure o existant sous une forme, elle est en puissance pour une autre.

Dupliciter ergo potest contingere quod in natura alicuius rei non sit possibilitas ad non esse. Uno modo per hoc quod res illa sit forma tantum subsistens in esse suo, sicut substantiae incorporeae, quae sunt penitus immateriales. Si enim forma ex hoc quod inest materiae, est principium essendi in rebus materialibus, nec res materialis potest non esse nisi per separationem formae ; ubi ipsa forma in esse suo subsistit nullo modo poterit non esse ; sicut nec esse potest a se ipso separari.

Donc il peut arriver de deux manires que, dans la nature dune chose, il ny ait pas de possibilit au non tre :1) Par la fait qu'elle est seulement une forme subsistante en son tre, comme les substances incorporelles, qui sont tout fait immatrielles. Car si la forme, du fait quelle est dans la matire, est principe dՐtre dans ce qui est matriel, cela ne peut pas ne pas exister, sinon par sparation de la forme ; l o la forme mme subsiste en son tre, elle ne pourra en aucune manire ne pas tre ; ainsi son tre ne peut pas en tre spar.

Alio modo per hoc quod in materia non sit potentia ad aliam formam, sed tota materiae possibilitas ad unam formam terminetur ; sicut est in corporibus caelestibus, in quibus non est formarum contrarietas.

2) Par le fait que, dans la matire, il ny a pas de puissance une autre forme, mais toute la possibilit de la matire se termine une seule forme, comme dans les corps clestes, dans lesquels il ny a pas de formes contraires.

Illae ergo solae res in sua natura possibilitatem habent ad non esse, in quibus est materia contrarietati subiecta. Aliis vero rebus secundum suam naturam competit necessitas essendi, possibilitate non essendi ab earum natura sublata. Nec tamen per hoc removetur quin necessitas essendi sit eis a Deo, quia unum necessarium alterius causa esse potest, ut dicitur in V Metaphysic. Com. 6]. Ipsius enim naturae creatae cui competit sempiternitas, causa est Deus. In illis etiam rebus in quibus est possibilitas ad non esse, materia permanet ; formae vero sicut ex potentia materiae educuntur in actum in rerum generatione, ita in corruptione de actu reducuntur in hoc quod sint in potentia. Unde relinquitur quod in tota natura creata non est aliqua potentia, per quam sit aliquid possibile tendere in nihilum.

Donc seules les choses en leur nature ont la possibilit ne pas tre sont celles en qui la matire est soumise la contrarit. Mais la ncessit dՐtre appartient dautres choses selon leur nature, une fois enleve de leur nature la possibilit de ne pas tre. Et cependant par cela il n'est pas exclu que la ncessit dՐtre leur vienne de Dieu, parce qu'une chose ncessaire peut tre cause dune autre, comme on le dit (Mtaphysique, V, 5, 1015 b 10[586]). Car la cause de la nature cre, qui appartient lՎternit, est Dieu. Dans ce en quoi il y a possibilit au non tre, la matire demeure, mais les formes sont comme duites de la puissance de la matire en acte dans la gnration, de mme dans la corruption, elles sont ramenes de l'acte la puissance. Cest pourquoi il reste que dans toute la nature cre, il ny a pas de puissance par laquelle quelque chose puisse tendre au nant.

Si autem recurramus ad potentiam Dei facientis, sic considerandum est, quod dupliciter dicitur aliquid Deo esse impossibile : Uno modo quod est secundum se impossibile, quod quia non natum est alicui potentiae subiici ; sicut sunt illa quae contradictionem implicant. Alio modo ex eo quod est necessitas ad oppositum ; quod quidem dupliciter contingit in aliquo agente.

Mais si nous recourons la puissance de Dieu crateur, il faut considrer alors quil y a deux manires de dire que quelque chose est impossible Dieu. 1) Dune premire manire, ce qui est impossible en soi, parce que ce n'est pas destin tre soumis une puissance : comme est ce qui implique une contradiction. 2) Dune autre manire, de ce qui est ncessit pour l'oppos ; ce qui arrive de deux manires dans un agent :

Uno modo ex parte potentiae activae naturalis, quae terminatur ad unum tantum sicut potentia calidi ad calefaciendum ; et hoc modo Deus pater necessario generat filium, et non potest non generare. Alio modo ex parte finis ultimi in quem quaelibet res de necessitate tendit ; sicut et homo de necessitate vult beatitudinem, et impossibile est eum velle miseriam ; et similiter Deus vult de necessitate suam bonitatem, et impossibile est eum velle illa cum quibus sua bonitas esse non potest ; sicut dicimus quod impossibile est Deum mentiri aut velle mentiri.

a) D'une premire manire du ct de la puissance active naturelle, qui se termine un effet seulement, comme la puissance du chaud pour rchauffer ; et de cette manire, Dieu le Pre engendre ncessairement le Fils et il ne peut pas ne pas l'engendrer.b) D'une autre manire, du ct de la fin dernire laquelle tout tend par ncessit ; ainsi l'homme veut ncessairement sa batitude, et il est impossible qu'il veuille le malheur, et de la mme manire Dieu veut ncessairement sa bont, et il est impossible qu'il veuille ce avec quoi sa bont ne peut pas exister, de mme que nous disons qu'il est impossible que Dieu mente ou veuille mentir.

Creaturas autem simpliciter non esse, non est in se impossibile quasi contradictionem implicans, alias ab aeterno fuissent. Et hoc ideo est, quia non sunt suum esse, ut sic cum dicitur, creatura non est omnino, oppositum praedicati includatur in definitione, ut si dicatur, homo non est animal rationale : huiusmodi enim contradictionem implicant, et sunt secundum se impossibilia. Similiter Deus non producit creaturas ex necessitate naturae ut sic potentia Dei determinetur ad esse creaturae, ut in alia quaestione [3, art. 15], est probatum. Similiter etiam nec bonitas Dei a creaturis dependet, ut sine creaturis esse non possit : quia per creaturas nihil bonitati divinae adiungitur

Mais que les cratures n'existent absolument pas n'est pas impossible en soi, comme si cela impliquait une contradiction, autrement elles auraient exister de toute ternit. Parce qu'elles ne sont pas leur tre, comme quand on dit que la crature n'existe absolument pas, l'oppos du prdicat est inclus dans la dfinition, comme si on disait que l'homme n'est pas un animal rationnel, car les propositions de ce genre impliquent une contradiction, et sont en soi impossibles. De la mme manire Dieu ne produit pas les cratures par ncessit de nature, de sorte que sa puissance soit ainsi limite l'tre de la crature, comme on l'a prouv dans une autre question (3 a. 15). De mme aussi la bont de Dieu ne dpend pas des cratures, de sorte qu'il ne puisse exister sans cratures, parce quelles najoutent rien sa bont.

. Relinquitur ergo quod non est impossibile Deum res ad non esse reducere ; cum non sit necessarium eum rebus esse praebere, nisi ex suppositione suae ordinationis et praescientiae, quia sic ordinavit et praescivit, ut res in perpetuum in esse teneret.

Il reste donc qu'il n'est pas impossible que Dieu ramne les cratures au non tre, puisqu'il n'est ncessaire qu'il leur fournisse lՐtre, que dans lhypothse de sa disposition et de sa prescience, parce qu'il a ordonn ainsi et prconu que les choses demeureraient en l'tre ternellement

 

Solutions :

q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si creaturas Deus in nihilum redigeret, non esset causa tendendi in non esse ; hoc enim non contingeret per hoc quod ipse causaret non esse in rebus, sed per hoc quod desineret rebus dare esse.

 1. Si Dieu ramenait les cratures au nant, il ne serait pas cause de la tendance au non-tre, car cela n'arriverait pas parce qu'il causerait le non tre dans les cratures, mais parce qu'il cesserait de leur donner lՐtre.

q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res corruptibiles desinunt esse per hoc quod earum materia aliam formam recipit, cum qua forma prior stare non potest ; et ideo ad earum corruptionem requiritur actio alicuius agentis, per quam forma nova educatur de potentia in actum. Sed si Deus res in nihilum redigeret, non esset ibi necessaria aliqua actio, sed solum hoc quod desisteret ab actione qua rebus tribuit esse ; sicut absentia actionis solis illuminantis causat lucis privationem in aere.

 2. Les choses corruptibles cessent d'exister du fait que leur matire reoit une autre forme, avec laquelle la premire ne peut pas demeurer, et c'est pourquoi pour leur corruption est requise l'action d'un agent par laquelle une forme nouvelle passe de la puissance l'acte. Mais si Dieu ramenait les choses au nant, aucune action ne serait ncessaire, mais il renoncerait seulement l'action par laquelle il leur a attribu l'tre ; ainsi l'absence d'action du soleil qui claire cause le manque de lumire dans l'air.

q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet, si Deus agendo, res annihilare posset ; quod quidem non est ; sed magis ab actione desistendo, ut dictum est.

 3. Cette raison conviendrait si Dieu en agissant, pouvait ramener les choses au nant ; ce qui n'est pas le cas, mais plutt en renonant son action, comme on l'a dit.

q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ubi non est actio, non est necessarium finem requirere. Sed quia ipsum desistere ab actione non potest esse in Deo, nisi per suam voluntatem, quae non est nisi finis, posset in ipsa annihilatione rerum finis aliquis inveniri ; ut sicut in productione rerum, finis est manifestatio copiae divinae bonitatis, ita in rerum annihilatione finis esse potest sufficientia suae bonitatis, quae in tantum est sibi sufficiens, ut nullo exteriori indigeat.

 4. L o il n'y a pas d'action, il n'est pas ncessaire de chercher la fin. Mais parce que renoncer l'action ne peut exister en Dieu que par sa volont, qui n'est que sa fin, on pourrait dans cet anantissement de la fin trouver une fin, de mme que dans la production des choses, la fin est la manifestation de l'abondance de la bont divine, de la mme manire dans leur annihilation, la fin peut tre la suffisance de sa bont, qui lui est suffisante en tant qu'il n'a besoin de rien d'extrieur.

q. 5 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod effectus a causa sequitur, et est secundum modum causae ; unde effectus voluntatem consequentes, tunc a voluntate procedunt quando voluntas statuit esse procedendum ; non autem de necessitate quando voluntas est. Et ideo, quia creaturae procedunt a Deo per voluntatem, tunc esse habent cum Deus vult eas esse ; non de necessitate, quandocumque Dei voluntas est ; alias ab aeterno fuissent.

 5. L'effet dcoule de la cause et existe selon son mode, c'est pourquoi les effets qui dcoulent de la volont, procdent delle quand elle a dcid qu'il fallait le produire ; mais non par ncessit, quand il y a volont. Et parce que les cratures procdent de Dieu par volont, elles ont l'tre quand il veut qu'elles existent ; non par ncessit, mais chaque fois que cest sa volont, autrement elles auraient exist de toute ternit.

q. 5 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in actione Dei qua res producit, duo est considerare : scilicet ipsam substantiam operationis, et ordinem ad effectum. Substantia quidem operationis, cum sit divina essentia, aeterna est, nec potest non esse ; ordo autem ad effectum, dependet ex voluntate divina : ex qualibet enim actione facientis non sequitur effectus nisi secundum exigentiam principii actionis ; secundum enim modum caloris ignis calefacit. Unde cum principium factorum a Deo sit voluntas, secundum hoc in actione divina est ordo ad effectum, prout voluntas determinat. Et ideo quamvis actio Dei cessare non possit secundum suam substantiam, ordo tamen ad effectum cessare posset, si Deus vellet.

 6. Dans l'action de Dieu, par laquelle il produit les cratures, il faut considrer deux points de vue : savoir la substance de l'opration et la relation l'effet. Comme la substance de l'opration est l'essence de Dieu, elle est ternelle et elle ne peut pas ne pas exister, mais la relation l'effet dpend de la volont divine, car de n'importe quelle action de celui qui produit, il ne dcoule un effet que selon l'exigence du principe d'action ; en effet, le feu rchauffe selon le mode de la chaleur. C'est pourquoi comme la volont est le principe de ce qui est produit par Dieu, dans son action, il y a un rapport l'effet, selon que la volont la dtermine. Et c'est pourquoi, bien que l'action ne puisse pas cesser selon sa substance, cependant la relation l'effet pourrait cesser, si Dieu le voulait.

q. 5 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod communis animi conceptio dicitur illa cuius oppositum contradictionem includit ; sicut, omne totum est maius sua parte ; quia non esse maius sua parte est contra rationem totius. Sic autem animam rationalem non esse, non est communis animi conceptio, ut ex dictis patet ; sed naturam animae rationalis non esse corruptibilem, haec est communis animi conceptio. Si autem Deus animam rationalem in nihilum redigeret, hoc non esset per aliquam potentiam ad non esse quae sit in natura animae rationalis, ut dictum est.

 7. On dit que la conception commune de l'esprit est celle dont l'oppos inclut une contradiction ; de mme que  le tout est plus grand que sa partie , parce que, ne pas tre plus grand que sa partie est contre la nature du tout. Mais que l'me rationnelle n'existe pas n'est pas la conception commune de l'esprit, comme cela parat de ce qui a t dit, mais que sa nature ne soit pas corruptible, cest cela la conception commune. Mais si Dieu la ramenait au nant, cela ne se ferait pas par un puissance au non tre, qui serait dans sa nature, comme on l'a dit.

q. 5 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illud in cuius natura est possibilitas ad non esse, non recipit necessitatem essendi ab alio, ita quod ei competat secundum naturam, quia hoc implicaret contradictionem, scilicet quod natura posset non esse et quod haberet necessitatem essendi ; sed quod habeat incorruptibilitatem ex gratia vel gloria, hoc non prohibetur. Sicut corpus Adae fuit quodammodo incorruptibile per gratiam innocentiae, et corpora resurgentium erunt incorruptibilia per gloriam, per virtutem animae suo principio adhaerentis. Non tamen removetur quin ipsa natura in qua non est possibilitas ad non esse habeat necessitatem essendi ab alio ; cum quidquid perfectionis habet, sit ei ab alio ; unde cessante actione suae causae, deficeret, non propter potentiam ad non esse quae in ipso sit, sed propter potestatem quae est in Deo ad non dandum esse.

 8. Ce en quoi la nature a la possibilit au non tre, ne reoit pas la ncessit d'tre d'un autre, de sorte que cela lui appartienne en nature, parce que cela impliquerait contradiction, savoir que la nature pourrait ne pas tre et qu'elle aurait la ncessit d'tre, mais ce qui aurait l'incorruptibilit par grce ou par la gloire, n'en serait pas empch. Ainsi le corps d'Adam a t d'une certaine manire incorruptible par la grce de l'innocence et les corps des ressuscits seront incorruptibles par la gloire, par le pouvoir de l'me adhrant son principe. Cependant il nest pas exclu que la nature mme dans laquelle il n'y a pas possibilit au non tre ait ncessit d'tre d'un autre ; puisque ce qu'il a de perfection lui vient d'un autre ; c'est pourquoi si l'action de sa cause cessait, elle disparatrait, non cause de la puissance au non tre qui serait en elle, mais cause du pouvoir de Dieu de ne pas lui donner l'tre.

q. 5 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod in illis quae sunt per naturam incorruptibilia, non praeintelligitur potentia ad non esse quae tollatur per aliquid a Deo receptum, secundum quod obiectio procedebat ; et hoc ex dictis patet. Sed in illis quae sunt incorruptibilia per gratiam, subest possibilitas ad non esse in ipsa natura ; quae tamen totaliter reprimitur per gratiam ex virtute Dei.

 9. Dans ce qui est par nature incorruptible, on ne prconoit pas la puissance au non tre qui serait enleve par quelque don reu de Dieu, selon ce que l'objection avanait, et cela parat de ce qui a t dit. Mais dans ce qui est incorruptible par grce, demeure la possibilit au non tre dans la nature mme ; qui cependant est totalement empche par la grce qui dpend du pouvoir de Dieu

q. 5 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod si Deus creaturas incorruptibiles in nihilum redigeret, ab earum conservatione cessando, non propter hoc sempiternitatem a natura separaret, quasi remaneret natura non sempiterna ; sed tota natura deficeret influxu causae cessante.

 10. Si Dieu ramenait les cratures incorruptibles au nant, en cessant de les conserver, ce nest pas cause de cela quil enlverait l'ternit de la nature, comme si elle ne demeurait pas ternelle ; mais elle disparatrait tout entire par la cessation de l'influx de la cause.

q. 5 a. 3 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod corruptibile per naturam non potest mutari ut fiat per naturam incorruptibile, nec e converso, quamvis illud quod est per naturam corruptibile, possit per gloriam supervenientem perpetuum fieri. Non tamen ex hoc oportet ponere aliqua corruptibilia fieri per naturam incorruptibilia, quia esse desinerent causa non cessante.

 11. Le corruptible par nature ne peut pas tre chang pour devenir incorruptible par nature, ni l'inverse, quoique ce qui est corruptible par nature, puisse devenir ternel par l'arrive de la grce. Cependant il ne faut pas penser que ce qui est corruptible par nature devient incorruptible par nature, parce qu'il cesserait d'tre sans que la cause cesse.

q. 5 a. 3 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod licet creaturae incorruptibiles ex Dei voluntate dependeant, quae potest eis esse praebere et non praebere ; consequuntur tamen ex divina voluntate absolutam necessitatem essendi, in quantum in tali natura causantur, in qua non sit possibilitas ad non esse ; talia enim sunt cuncta creata, qualia Deus esse ea voluit, ut Hilarius dicit in libro de Synodis.

 12. Bien que les cratures incorruptibles dpendent de la volont de Dieu, qui peut leur offrir lՐtre ou pas, elles en reoivent l'absolue ncessit d'tre, dans la mesure o elles sont causes en une nature o il n'y a pas possibilit au non tre ; car toutes les cratures sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient, comme Hilaire le dit dans le livre des Synodes.

q. 5 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus licet possit creaturas redigere in nihilum, non tamen potest facere quod eis manentibus, ipse non sit earum causa : est autem earum causa, et sicut efficiens, et sicut finis. Sicut ergo Deus non potest facere quod creatura in esse manens ab eo non sit, ita non potest facere quod ad eius bonitatem non ordinetur. Unde, cum malum culpae privet ordinem qui est in ipsum sicut in finem, eo quod est aversio ab incommutabili bono, Deus non potest esse causa mali culpae, quamvis potest esse causa annihilationis, omnino a conservatione cessando.

 13. Bien que Dieu puisse ramener les cratures au nant, cependant il ne peut pas faire que, si elles demeurent, lui-mme ne soit pas leur cause ; mais il est leur cause comme cause efficiente et comme cause finale. Donc de mme que Dieu ne peut pas faire que la crature qui demeure dans l'tre ne soit pas de lui, il ne peut pas faire qu'elle ne soit pas ordonne sa bont. C'est pourquoi, comme le mal de la faute prive l'ordre qui est en lui comme dans la fin, parce quil est dtournement du bien immuable, Dieu ne peut pas tre cause du mal de la faute, quoiqu'il puisse tre cause du retour au nant, en cessant tout fait la conservation.

q. 5 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Augustinus loquitur de malo culpae ; et si loqueretur etiam de malo poenae, annihilatio tamen rerum nullum malum est : quia omne malum fundatur in bono, cum sit privatio, ut Augustinus dicit [Enchirid., cap. XI]. Unde sicut ante rerum creationem malum non erat, ita nec malum esset, si omnia Deus annihilaret.

 14. Augustin parle du mal de la faute, et s'il parlait aussi du mal de la peine, le retour au nant des choses cependant n'est aucun mal ; parce que tout mal est fond dans le bien, puisqu'il en est la privation, comme il le dit (Enchiridion, 11). C'est pourquoi, comme avant la cration des choses, il n'y avait pas de mal, ainsi il n'y aurait pas de mal si Dieu ramenait tout au nant.

q. 5 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod in nulla creatura est virtus quae possit vel de nihilo aliquid facere vel aliquid in nihilum redigere. Quod autem creaturae in nihilum redigerentur divina conservatione cessante, hoc non esset per aliquam actionem creaturae, sed per eius defectum, ut ex praedictis patet.

 15. Dans aucune crature il n'y a un pouvoir qui puisse ou bien de rien faire quelque chose, ou bien ramener quelque chose au nant. Mais que les cratures soient ramenes au nant, si la conservation de Dieu cessait, cela ne viendrait pas par une action de la crature, mais de sa dfaillance, comme cela parat dans ce qui a t dit.

 

 

 

Article 4 Une crature doit-elle retourner au nant, ou mme y retournera-t-elle ?

q. 5 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum aliqua creatura in nihilum sit redigenda, vel etiam in nihilum redigatur.. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[587].

 

Objections :

q. 5 a. 4Arg. 1 Sicut enim potentia finita non potest movere tempore infinito, ita nec per potentiam finitam potest aliquid esse tempore infinito. Sed omnis potentia corporis est finita, ut probatur in VIII Phys. Ergo in nullo corpore est potentia, ut possit durare tempore infinito. Quaedam autem corpora sunt quae non possunt corrumpi, eo quod non habent contrarium, sicut corpora caelestia. Ergo necesse est quod quandoque in nihilum redigantur.

1. Car une puissance finie ne peut pas mouvoir pendant un temps infini, de mme rien ne peut exister par une puissance finie pendant un temps infini. Mais toute puissance d'un corps est finie, comme cest prouv (Phys. VIII, 10, 266 a 25- 266 b 5). Donc, dans aucun corps, il n'y a de la puissance pour durer un temps infini. Il existe certains corps qui ne peuvent pas tre corrompus, du fait qu'ils nont pas de contraire, comme les corps clestes. Donc il est ncessaire quun jour ils retournent au nant.

q. 5 a. 4Arg. 2 Praeterea, illud quod est propter aliquem finem adipiscendum, habito fine, ulterius eo non indigetur ; sicut patet de navi, quae necessaria est mare transeuntibus, non autem iam transito mari. Sed creatura corporalis creata est propter spiritualem, ut per eam iuvetur ad suum finem consequendum. Cum ergo creatura spiritualis erit in suo fine ultimo constituta, corporali ulterius non indigebit. Cum ergo nihil sit superfluum in operibus Dei, videtur quod in ultimo rerum fine omnis creatura corporalis deficiet.

2. Ce qui est en vue d'une fin, une fois celle-ci obtenue, n'en a plus besoin, comme on le voit pour le bateau, ncessaire pour ceux qui traversent la mer, mais non quand elle est dj traverse. Mais la crature corporelle est cre en vue de la crature spirituelle pour tre aide par elle parvenir sa fin. Donc quand la crature spirituelle sera installe en sa fin ultime, elle n'aura plus besoin de ce qui est corporel. Donc comme rien n'est superflu dans les uvres de Dieu, il semble quՈ la fin ultime du monde, toute crature corporelle cessera d'exister.

q. 5 a. 4Arg. 3 Praeterea, nihil quod est per accidens, est infinitum. Sed esse est cuilibet creaturae per accidens, ut Avicenna dicit [in lib. VIII Metaph., cap. IV] : unde et Hilarius [in lib. VII de Trin.] Deum a creatura distinguens, dicit : Esse non est accidens Deo. Ergo nulla creatura in infinitum durabit ; et sic omnes creaturae quandoque deficient.

3. Rien de ce qui existe par accident n'est infini. Mais n'importe quelle crature a l'tre par accident, comme le dit Avicenne (Mtaphysique VIII, 4) ; c'est pourquoi Hilaire (La Trinit, VII), distinguant Dieu de la crature, dit : L'tre n'est pas un accident pour Dieu. Donc aucune crature ne durera ternellement, et ainsi elles disparatront toutes un jour

q. 5 a. 4Arg. 4 Praeterea, finis debet respondere principio. Sed creaturae principium sumpserunt postquam nihil erat praeter Deum. Ergo adhuc creaturae reducentur in finem, quod omnino nihil erit.

4. Le fin doit rpondre au commencement. Mais les cratures ont reu un commencement, aprs quil ny eut rien, sauf Dieu. Donc l encore les cratures seront ramenes une fin ce qui sera tout fait le nant.

q. 5 a. 4Arg. 5 Praeterea, quod non habet virtutem ut sit semper, non potest in perpetuum durare. Sed illud quod non semper fuit, non habet virtutem ut sit semper. Ergo quod non semper fuit, non potest in perpetuum durare. Sed creaturae non semper fuerunt. Ergo non possunt in perpetuum durare ; et sic quandoque in nihilum redigentur.

5. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas durer ternellement. Mais ce qui n'a pas toujours exist, n'a pas ce pouvoir de toujours exister. Donc ce qui na pas toujours exist ne peut pas durer ternellement. Mais les cratures nont pas toujours exist. Donc elles ne peuvent durer ternellement, et ainsi un jour elles retourneront au nant.

q. 5 a. 4Arg. 6 Praeterea, iustitia requirit hoc, ut propter ingratitudinem aliquis beneficio accepto vel suscepto privetur. Sed per peccatum mortale homo ingratus est inventus. Ergo iustitia hoc exigit ut omnibus beneficiis Dei privetur, inter quae etiam est ipsum esse. Iudicium autem Dei de peccatoribus erit iustum, secundum apostolum, Rom. II, 2. Ergo in nihilum redigentur.

6. La justice requiert quՈ cause de son ingratitude, quelqu'un soit priv d'un bienfait reu ou concd. Mais par le pch mortel, l'homme se montre ingrat. Donc la justice exige qu'il soit priv de tous les bienfaits de Dieu, parmi lesquels lՐtre lui-mme. Mais le jugement de Dieu sera juste pour les pcheurs, selon l'Aptre (Rm. 2, 2). Donc ils retourneront au nant.

q. 5 a. 4Arg. 7 Praeterea, ad hoc est quod dicitur Ierem. X, 24 : Corripe me, domine ; verumtamen in iudicio, et non in furore tuo, ne forte ad nihilum redigas me.

7. Il y a ce qui est dit en Jrmie (10, 24) Corrige-moi, Seigneur, dans une juste mesure cependant, et sans fureur, pour ne pas me ramener au nant.

q. 5 a. 4Arg. 8 Sed diceretur, quod Deus semper punit citra condignum, propter misericordiam, quae in Dei iudicio iustitiae admiscetur ; et sic Deus non totaliter peccatores a participatione suorum beneficiorum excludet.- Sed contra, in hoc homini misericordia non praestatur quod sibi detur aliquid quod melius esset ei non habere. Sed damnato in Inferno melius esset non esse quam sic esse ; quod patet per id quod dicitur Matth. XXVI, 24 de Iuda : Melius erat ei si natus non fuisset homo ille. Ergo ad misericordiam Dei non pertinet quod damnatos conservet in esse.

8. Mais on pourrait dire, que Dieu punit toujours en de de ce qui est mrit, cause de sa misricorde, qui est mle la justice dans son jugement ; et ainsi il n'exclut pas totalement les pcheurs de la participation ses bienfaits. En sens contraire, la misricorde nest pas conserve cet homme pour lui donner quelque chose qu'il lui serait meilleur de ne pas avoir. Mais pour celui qui est condamn l'enfer, il eut mieux valu ne pas exister que d'tre ainsi, ce qui parat par ce qui est dit en Mt. 26, 24, au sujet de Juda : Il tait meilleur pour cet homme de n'tre pas n. Donc il ne convient pas la misricorde de Dieu de conserver les condamns dans l'tre.

q. 5 a. 4Arg. 9 Praeterea, illa quae non habent materiam partem sui, corrumpuntur omnino, idest totaliter, cum esse desinunt, [ut dicitur in III Metaph.] sicut sunt accidentia. Haec autem frequenter esse desinunt. Ergo aliqua in nihilum rediguntur.

9. Ce [tres] qui nont pas de matire en participation, sont corrompus tout fait, c'est--dire dire totalement, puisqu'ils cessent d'exister [comme il est dit en Mtaphysique, III], comme sont les accidents. car ceux-ci cessent frquemment d'exister. Donc certains retournent au nant.

q. 5 a. 4Arg. 10 Praeterea, philosophus in VI Physic.com. 6 argumentatur, quod si continuum est ex indivisibilibus, necesse est quod indivisibilia dividantur. Ex quo potest accipi quod unumquodque resolvitur in ea ex quibus est. Sed omnes creaturae sunt ex nihilo. Ergo omnes in nihilum quandoque redigentur.

10. Le philosophe (Physique VI, 1, 231 b 18) dmontre que, si le continu vient de lindivisible, il est ncessaire que l'indivisible soit divis. Cest pour cela quon peut accepter que chacun soit ramen en ce d'o il est. Mais toutes les cratures viennent du nant. Donc toutes, un jour, y retourneront.

q. 5 a. 4Arg. 11 Praeterea, II Petr. III, 10, dicitur : Caeli magno impetu transient. Sed non possunt transire per corruptionem in aliquod aliud corpus, cum non habeant contrarium. Ergo transibunt in nihilum.

11. En II Pier, III, 10, il est dit : Les cieux se dissiperont avec grand fracas Mais ils ne peuvent passer par corruption en quelque autre corps, puisqu'ils n'ont pas de contraire. Donc ils iront au nant.

q. 5 a. 4Arg. 12 Praeterea, ad idem est quod dicitur in Ps. CI, 26 : Opera manuum tuarum sunt caeli, ipsi peribunt ; et Luc. XXI, 33, dicitur : Caelum et terra transibunt.

12. Il est dit de mme au Ps. 101, 26 : Les cieux sont luvre de tes mains, ils priront. et en Lc 21, 33 on lit : La ciel et la terre passeront.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 4 s. c. Sed contra est quod dicitur Eccle. I, 4 : terra autem in aeternum stat. Praeterea, Eccle. III, 14, dicitur : didici quod omnia opera quae fecit Deus perseverent in aeternum. Ergo creaturae in nihilum non redigentur.

Il y a ce que dit l'Eccle 1, 4 : Mais la terre demeure ternellement. En outre Eccle. 3, 14 : J'ai appris que toutes les uvres faites par Dieu demeureront ternellement. Donc les cratures ne retourneront pas au nant.

 

Rponse :

q. 5 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod universitas creaturarum nunquam in nihilum redigetur. Et quamvis creaturae corruptibiles non semper fuerint, in perpetuum tamen secundum suam substantiam durabunt ; licet a quibusdam positum fuerit, quod omnes creaturae corruptibiles in ultima rerum consummatione deficient in non esse ; quod quidem Origeni ascribitur, qui tamen hoc non videtur dicere, nisi aliorum opinionem recitando.

La totalit des cratures ne retournera jamais au nant. Et quoique les cratures corruptibles n'aient pas toujours exist, elles dureront ternellement, cependant selon leur substance ; bien que quelques-uns aient pens que toutes les cratures corruptibles disparatront dans le non tre l'ultime consommation du monde, ce qui est rapport d'Origne, qui cependant ne semble en parler qu'en rapportant l'opinion des autres.

Huius tamen rationem sumere possumus ex duobus. Primo quidem ex divina voluntate, ex qua creaturarum esse dependet. Voluntas enim Dei, quamvis, absolute considerata, ad opposita se in creaturis habeat, eo quod non magis ad unum quam ad alterum obligatur ; ex suppositione tamen facta aliquam necessitatem habet. Sicut enim in creaturis aliquid quod se ad opposita habet, necessarium creditur positione aliqua facta, ut Socratem possibile est sedere et non sedere ; necessarium tamen est eum sedere, cum sedet ; ita voluntas divina, quae, quantum est de se, potest velle aliquid et eius oppositum, ut Petrum salvare, vel non, non potest velle Petrum non salvare, dum vult Petrum salvare. Et quia eius voluntas immutabilis est, si ponitur aliquando eum aliquid velle, necessarium est ex suppositione illud eum semper velle, licet non sit necessarium ut velit quod sit semper, quod vult esse aliquando.

Cependant nous pouvons en tirer la raison de deux points de vue : 1) Car quoique la volont de Dieu, considre dans l'absolu, se porte vers les opposs dans les cratures, parce quil n'est pas plus oblig envers l'une qu'envers l'autre, cependant, par hypothse, une fois faite, elle a une certaine ncessit. Ainsi, en effet,, on croit que dans les cratures, ce qui se porte vers les opposs est ncessaire, une fois la situation tablie. De mme quil est possible que Socrate s'assied, ou pas ; cependant il est ncessaire qu'il soit assis quand il s'assied ; de la mme manire la volont divine, qui, quant elle, peut vouloir quelque chose et son oppos, comme sauver Pierre, ou non, ne peut pas vouloir que Pierre ne soit pas sauv, pendant quelle veut le sauver. Et parce que sa volont est immuable, si on pense quil veut quelque chose quelquefois, il est ncessaire par hypothse qu'il le veuille toujours, bien quil ne soit pas ncessaire quil veuille qu'existe toujours ce qu'il veut exister quelquefois.

Quicumque autem vult aliquid propter se ipsum, vult ut illud sit semper, ex hoc ipso quod illud propter se vult. Quod enim aliquis vult quandoque esse et postmodum non esse, vult esse ut aliquid aliud perficiat ; quo perfecto, eo non indiget quod propter illud perficiendum volebat. Deus autem creaturarum universitatem vult propter se ipsam, licet et propter se ipsum eam vult esse ; haec enim duo non repugnant. Vult enim Deus ut creaturae sint propter eius bonitatem, ut eam scilicet suo modo imitentur et repraesentent ; quod quidem faciunt in quantum ab ea esse habent, et in suis naturis subsistunt. Unde idem est dictu, quod Deus omnia propter se ipsum fecit, [quod dicitur Proverb. XVI, 4 : Universa propter semetipsum operatus est Dominus d.Marietti]et quod creaturas fecerit propter earum esse, quod dicitur Sap. I, 14 : Creavit enim ut essent omnia. Unde ex hoc ipso quod Deus creaturas instituit, patet quod voluit eas semper durare ; cuius oppositum propter eius immobilitatem nunquam continget.

Mais quiconque veut quelque chose pour lui, veut que cela existe toujours, du fait qu'il le veut pour lui. Car si quelqu'un veut quune chose existe un temps, et quensuite elle nexiste plus, il veut quelle existe pour achever quelque chose d'autre ; cela accompli, il n'a plus besoin de ce qu'il voulait pour l'accomplir. Mais Dieu veut la totalit des cratures pour elle-mme, bien quil la veuille aussi pour lui ; car ces points de vue ne s'opposent pas. Car Dieu veut que les cratures existent pour sa bont, pour qu'elles l'imitent leur manire et le reprsentent ; ce qu'elles font dans la mesure o elles ont l'tre par sa bont, et qu'elles subsistent dans leur nature. C'est pourquoi c'est le mme chose de dire, que Dieu fit tout pour lui (ce qui est dit en Prov. 16, 4 : Le Seigneur a tout fait pour lui-mme), et qu'il ait fait les cratures pour leur tre, ce qui est dit en Sg. 1, 14, Car [Dieu] a cr pour que tout existe. C'est pourquoi du fait que Dieu a institu les cratures, il est clair qu'il a voulu qu'elle durent toujours ; et l'oppos narrivera jamais cause de son immutabilit.

Secundo ex ipsa rerum natura ; sic enim Deus unamquamque naturam instituit, ut ei non auferat suam proprietatem ; unde dicitur Rom. XI, 24, in Glossa [ordinaria ad illa verba : Contra naturam insertus est d. Marietti] quod Deus, qui est naturarum conditor, contra naturas non agit, etsi aliquando in argumentum fidei in rebus creatis aliquid supra naturam operetur. Rerum autem immaterialium, quae contrarietate carent, proprietas naturalis est earum sempiternitas ; quia in eis non est potentia ad non esse, ut supra ostensum est. Unde sicut igni non aufert naturalem inclinationem, qua sursum tendit, ita non aufert rebus praedictis sempiternitatem, ut eas in nihilum redigat.

2) [Nous pouvons laccepter] cause de la nature mme des choses ; car Dieu a institu chaque nature, de sorte qu'il ne lui enlve pas son caractre propre ; c'est pourquoi il est dit en Rm 11, 24, dans la Glose (ordinaire, pour cette parole : Greff contre nature) que Dieu qui est le crateur des natures n'agit pas contre elles, mme si quelquefois pour mettre la foi en lumire, il opre dans les cratures ce qui dpasse leur nature. Mais le caractre naturel des tres immatriels qui nont pas de contraire, est leur ternit ; parce que, en eux, il n'y a pas de puissance au non tre, comme on l'a montr ci-dessus. C'est pourquoi, de mme qu'il n'enlve pas le penchant naturel du feu, qui tend vers le haut, de mme il n'lve pas l'ternit aux choses dont on a parl, pour les ramener au nant.

 

Solutions :

q. 5 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, secundum Commentatorem XI Metaph., [com. 41] quod licet omnis potentia quae est in corpore, sit finita, non tamen oportet quod in quolibet corpore sit potentia finita ad esse, quia in corporibus corruptibilibus per naturam, non est potentia ad esse, nec finita nec infinita, sed ad moveri tantum. Sed haec solutio non videtur valere : quia potentia ad esse non solum accipitur secundum modum potentiae passivae, quae est ex parte materiae, sed etiam secundum modum potentiae activae, quae est ex parte formae, quae in rebus incorruptibilibus deesse non potest. Nam quantum unicuique inest de forma, tantum inest ei de virtute essendi ; unde et in I Caeli et mundi philosophus vult quod quaedam habeant virtutem et potentiam ut semper sint.

 1. Selon le Commentateur (Mtaphysique, 9, com. 41), bien que toute la puissance, qui est dans un corps, soit limite, il ne faut pas cependant que, dans quelque corps, il y ait une puissance limite l'tre, parce que dans les corps corruptibles par nature, il n'y a pas de puissance tre, ni finie, ni infinie, mais seulement puissance se mouvoir. Mais cette solution ne semble pas valable, parce que la puissance tre non seulement est reue selon le mode de la puissance passive, qui vient de la matire, mais aussi selon le mode de la puissance active, qui vient de la forme, qui ne peut pas manquer dans les choses incorruptibles. Car autant il y a de forme en chacun, autant il y a en lui de pouvoir tre ; c'est pourquoi aussi dans le Ciel et le monde, I, le philosophe veut que certaines [formes] aient un pouvoir et une puissance exister toujours.

Et ideo aliter dicendum, quod ex infinitate temporis non ostenditur habere infinitatem nisi illud quod tempore mensuratur vel per se, sicut motus, vel per accidens, sicut esse rerum quae motui subiacent, quae aliqua periodo motus durant, ultra quam durare non possunt. Esse autem corporis caelestis nullo modo attingitur nec a tempore nec a motu, cum sit omnino invariabile. Unde ex hoc quod caelum est tempore infinito, esse eius nullam infinitatem habet, sicut omnino extra continuitatem temporis existens ; propter quod a theologis dicitur mensurari aevo. Unde non requiritur in caelo aliqua virtus infinita ad hoc quod sit semper.

Et c'est pourquoi il faut dire autrement : l'infinit du temps ne montre qu'on a l'infini que sil est mesur par le temps ou par soi, comme le mouvement, ou par accident, comme l'tre des choses soumises au mouvement, dont certaines durent le temps du mouvement, au-del duquel elles ne peuvent plus durer. Mais l'tre du corps cleste n'est atteint en aucune manire, ni par le temps, ni par le mouvement, puisqu'il est tout fait invariable. C'est pourquoi de ce que le ciel soit dans un temps infini, son tre n'a aucune infinit, comme existant tout fait hors du droulement du temps ; cest pour cela que les thologiens disent qu'il est mesur par l'vum. C'est pourquoi aucun pouvoir infini n'est requis dans le ciel pour qu'il dure toujours.

q. 5 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut una pars exercitus ordinatur et ad aliam et ad ducem, ita corporalis creatura ordinatur et ad perfectionem spiritualis creaturae iuvandam, et ad divinam bonitatem repraesentandam ; quod semper faciet, licet primum cesset.

 2. De mme qu'une partie de l'arme est ordonne lautre et au gnral, de mme la crature corporelle est ordonne pour aider la perfection de la crature spirituelle, et pour reprsenter la bont divine, ce qui se fera toujours, bien que le premier cesse.

q. 5 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod esse non dicitur accidens quod sit in genere accidentis, si loquamur de esse substantiae (est enim actus essentiae), sed per quamdam similitudinem : quia non est pars essentiae, sicut nec accidens. Si tamen esset in genere accidentis, nihil prohiberet quin in infinitum duraret : per se enim accidentia ex necessitate suis substantiis insunt ; unde et nihil prohibet ea in perpetuum inesse. Sed accidentia quae per accidens insunt subiectis, nullo modo in perpetuum durant secundum naturam. Huiusmodi autem esse non potest ipsum esse rei substantiale, cum sit essentiae actus.

 3. L'tre n'est pas appel accident, parce qu'il serait dans le genre de l'accident, si nous parlons de l'tre de la substance (c'est en effet l'acte de l'essence), mais par une certaine ressemblance ; parce quil nest pas partie de lessence ni de laccident non plus. Si cependant il tait dans le genre de l'accident, rien n'empcherait qu'il dure l'infini ; car par soi les accidents sont par ncessit dans leurs substances ; c'est pourquoi rien n'empche quils y soient perptuit. Mais les accidents qui sont dans les substrats par accident, ne durent en aucune manire perptuellement selon leur nature. L'tre de ce genre ne peut tre lՐtre mme substantiel de la chose, puisqu'il est l'acte de lessence.

q. 5 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod antequam res essent, non erat aliqua natura cuius proprietas esset ipsa sempiternitas, sicut est aliqua natura rebus iam creatis. Et praeterea hoc ipsum potuit esse ad aliquam perfectionem creaturae spiritualis quod res non semper fuerint, quia per hoc Deus expresse rerum causa ostenditur. Nulla autem utilitas sequeretur si omnia in nihilum redigerentur. Et ideo non est simile de principio et fine.

 4. Avant que les choses existent, il n'y avait pas de nature, dont le caractre propre soit lՎternit, comme il y a une nature pour les choses dj cres. Et en outre, cela a pu tre en vue dun perfection de la crature spirituelle, que les choses n'ont pas toujours exist, parce quainsi Dieu se montre expressment comme leur cause. Mais aucune utilit nen dcoulerait si tout tait ramen au nant. Et c'est pourquoi ce n'est pas pareil pour le commencement et la fin.

q. 5 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa quae semper durabunt, habent virtutem ut sint semper : hanc tamen virtutem non semper habuerunt, et ideo non semper fuerunt.

 5. Ces tres qui dureront toujours ont pouvoir d'exister toujours ; cependant ils n'ont pas eu toujours ce pouvoir, et c'est pourquoi ils nont pas toujours exist.

q. 5 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod licet Deus, de iustitia, creaturae contra se peccanti posset esse subtrahere, et eam in nihilum redigere, tamen convenientior iustitia est ut eam in esse reservet ad poenam : et hoc propter duo.

 6. Bien que Dieu, par justice, puisse retirer l'tre la crature qui pche contre lui, et la ramener au nant, cependant c'est une justice plus conforme de la conserver dans l'tre pour le chtiment, et cela pour deux raisons.

Primo, quia illa iustitia non haberet aliquid misericordiae admixtum, cum nihil remaneret cui posset misericordia adhiberi : dicitur autem in Psal. XXIV, 10, quod universae viae domini misericordia et veritas.

a) Parce que cette justice ne serait en rien mle la misricorde, puisque rien ne demeurerait qui il pourrait laccorder ; il est dit au Ps. 24, 10 que toutes les voies du Seigneur sont misricorde et vrit.

Secundo, quia ista iustitia congruentius respondet culpae in duobus. In uno quidem, quia in culpa voluntas contra Deum agit, non autem natura quae ordinem sibi a Deo inditum servat ; et ideo talis debet esse poena quae voluntatem affligat, naturae nocendo, qua voluntas abutitur. Si autem creatura omnino in nihilum redigeretur, esset tantum nocumentum naturae, et non afflictio voluntatis.

b) Parce que cette justice rpond plus convenablement la faute pour deux raisons : i) Parce que, dans la faute, la volont agit contre Dieu, mais pas la nature qui conserve pour elle l'ordre inscrit par Dieu, et c'est pourquoi tel doit tre le chtiment qui chtie la volont, en blessant la nature dont la volont abuse. Mais si la crature tait ramene tout fait au nant, ce serait un aussi grand prjudice pour la nature et non un accablement de la volont.

In altero vero, quia cum in peccato duo sint, scilicet aversio ab incommutabili bono et conversio ad bonum commutabile, conversio post se aversionem trahit : nullus enim peccans intendit a Deo averti, sed quaerit frui temporali bono, cum quo simul Deo frui non potest. Unde cum poena damni aversioni culpae respondeat, conversioni vero eius poena sensus pro actuali culpa, conveniens est ut poena damni non sit sine poena sensus. Si autem in nihilum creatura redigeretur, esset quidem poena damni aeterna, sed non remaneret poena sensus.

ii) Parce que, comme dans le pch, il y a deux mouvements, savoir le dtournement du bien immuable, et l'adhsion au bien changeant, cette dernire adhsion entrane aprs elle le dtournement ; car aucun pcheur ne tend se dtourner de Dieu, mais cherche jouir du bien temporel, avec lequel il ne peut pas en mme temps jouir de Dieu. C'est pourquoi, comme la peine du chtiment rpond au dtournement de la faute, la peine du sens convient l'adhsion pour la faute actuelle, il est convenable que la peine du prjudice ne soit pas sans peine du sens. Mais si la crature retournait au nant, ce serait la peine ternelle du prjudice, mais la peine du sens ne demeurerait pas.

q. 5 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iudicium de quo propheta mentionem facit, praedictam consecutionem, congruentiam vel operationem poenae ad culpam importat. Furor enim a quo liberari petit, misericordiae temperamentum excludit.

 7. Le jugement dont le Prophte fait mention, apporte la consquence annonce ou lopration du chtiment pour la faute. Car le dlire prophtique dont il demande tre libr exclut la modration de la misricorde.

q. 5 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod aliquid dicitur melius vel propter praesentiam magis boni, et sic melius est damnato esse quam non esse ; vel propter absentiam mali : quia etiam carere malo, in rationem boni cadit, secundum philosophum [in V Ethic., cap. VIII]. Et secundum hoc intelligitur verbum domini inductum.

 8. On dit qu'une chose est meilleure, ou bien, cause de la prsence de plus de bien, et ainsi il est meilleur pour le condamn dexister que de ne pas exister, ou bien, cause de l'absence de mal ; parce que le manque de mal, appartient la dfinition du bien, selon le philosophe (th., V, 8). Et cest ainsi quon comprend la parole du Seigneur qui est rapporte.

q. 5 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod formae et accidentia etsi non habeant materiam partem sui ex qua sint, habent tamen materiam in qua sunt et de cuius potentia educuntur ; unde et cum esse desinunt, non omnino annihilantur, sed remanent in potentia materiae, sicut prius.

 9. Mme si les formes et les accidents ne contiennent pas de matire de ce dont ils viennent, ils ont cependant la matire dans laquelle ils sont et de la puissance dont ils sont duits, c'est pourquoi, quand ils cessent d'exister, ils ne sont pas tout fait ramens au nant, mais ils demeurent dans la puissance de la matire, comme [on la dit] plus haut.

q. 5 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod sicut creaturae sunt ex nihilo, ita in nihilum sunt redigibiles, si Deo placeret.

 10. Les cratures viennent du nant, de la mme manire, de mme elles sont aussi capables d'y retourner, si cela plaisait Dieu.

q. 5 a. 4 ad 11 Ad undecimum et duodecimum dicendum, quod auctoritates illae non sunt intelligendae hoc modo quod substantia mundi pereat, sed figura, ut apostolus dicit I ad Cor. VII, 31.

 11 et 12. Ces autorits ne sont pas comprendre comme si la substance du monde prissait, mais en figure, comme l'Aptre le dit (1 Co. 7, 31).           

 

 

 

Article 5 Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour ?

q. 5 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum motus caeli quandoque deficit. Et videtur quod non.

Il semble que non[588].

 

Objections :

q. 5 a. 5Arg. 1 Dicitur enim Gen. VIII, 22 : Cunctis diebus terrae, sementis et messis, frigus et aestus, aestas et hiems, nox et dies non requiescent. Haec autem omnia ex motu caeli proveniunt. Ergo motus caeli non requiescet quamdiu terra erit. Terra autem in aeternum stat, ut dicitur Eccle. I, 4. Ergo et motus caeli in aeternum erit.

1. Car il est dit en Gn 8, 22 : Pendant tous les jours de la terre, semence et moisson, froid et chaud, t et hiver, nuit et jour ne cesseront pas. Mais tout cela provient du mouvement du ciel. Donc son mouvement ne cessera pas tant que la terre existera. Mais la terre demeure ternellement, comme il est dit dans l'Eccle. 1, 4. Donc le mouvement du ciel sera ternel.

q. 5 a. 5Arg. 2 Sed diceretur quod intelligitur de terra prout servit homini secundum praesentem statum, quo per seminationem et messem homo fructus ex ea colligit ad sustentationem vitae animalis, non autem prout terra serviet homini iam glorificato, in aeternum durans ad maiorem bonorum iucunditatem.- Sed contra dicitur Ierem. XXXI, 35 : Haec dicit dominus qui dat solem in lumine diei, ordinem lunae et stellarum in lumine noctis ; qui turbat mare, et sonant fluctus eius : dominus exercituum nomen eius. Si defecerint leges istae coram me, tunc et semen Israel deficiet ut non sit coram me gens semper. Non autem intelligitur de Israel carnali, qui iam per sui dispersionem gens dici non potest. Unde oportet quod intelligatur de Israel spirituali, qui tunc maxime coram Deo gens erit, cum per essentiam Deum videbit. Ergo in statu beatitudinis leges praemissae, quae motum caeli sequuntur non cessabunt ; et sic neque per consequens motus caeli.

2. Mais on pourrait dire qu'on le comprend de la terre dans la mesure o elle sert l'homme selon lՎtat prsent ; par l'ensemencement et la moisson, il en tire des fruits pour la conservation de sa vie physique, mais non selon qu'elle servirait l'homme dj glorifi, demeurant ternellement pour une plus grande jouissance des biens En sens contraire, il est dit en Jr. (31, 35) : Le Seigneur parle, lui qui donne le soleil pour la lumire du jour, l'ordonnancement de la lune et des toiles pour la lumire de la nuit, qui agite la mer et fait gronder ses flots. Le Seigneur des armes, c'est son nom. Si ces lois cessaient devant moi, alors la descendance d'Isral cesserait dՐtre un peuple devant moi toujours. Mais on ne le comprend pas de l'Isral charnel, qui dj par sa diaspora ne peut plus tre appel un peuple. C'est pourquoi il faut le comprendre de l'Isral spirituel, qui, alors, sera surtout une peuple devant Dieu, quand il le verra par son essence. Donc dans lՎtat de batitude, les lois susdites, qui suivent le mouvement du ciel ne cesseront pas, ni par consquence le mouvement du ciel non plus.

q. 5 a. 5Arg. 3 Praeterea, quaecumque necessitatem ex priori necessario habent, sunt necessaria absolute, ut patet per philosophum in II Physic., sicut mors animalis, quae necessaria est propter materiae necessitatem. Operationes autem rerum incorruptibilium, inter quas motum caeli oportet ponere, sunt propter substantias eorum quorum sunt operationes, et sic necessitatem ex priori habere videntur ; cum e converso sit in corruptibilibus, quorum substantiae sunt propter earum operationes ; unde ex posteriori necessitatem habent, ut Commentator ibidem dicit. Ergo motus caeli necessitate absoluta necessarius est, et ita nunquam cessabit.

3. Tout ce qui tire sa ncessit d'un premier ncessaire, est absolument ncessaire, comme on le voit chez le philosophe (Physique II, 9, 199 b 33 ss[589]) ; comme la mort physique est ncessaire cause de la matire. Mais les oprations des tres incorruptibles, parmi lesquels il faut placer le mouvement du ciel, sont pour les substances de ceux d'o viennent les oprations et ainsi elles semblent avoir leur ncessit de ce qui les prcde[590] ; alors que, l'inverse, cette ncessit est dans les tres corruptibles dont les substances sont en vue de leurs oprations, c'est pourquoi ils tirent leur ncessit de ce qui suit, comme le Commentateur le dit l mme. Donc le mouvement du ciel est ncessaire d'une ncessit absolue, et il ne cessera jamais.

q. 5 a. 5Arg. 4 Praeterea, finis motus caeli est ut caelum per motum assimiletur Deo in quantum exit de potentia in actum per situum renovationem, quos successive actualiter acquirit ; unumquodque enim secundum hoc Deo, qui est purus actus, assimilatur, quod actu est. Iste autem finis cessaret cessante motu. Cum motus ergo non cesset nisi obtento fine propter quem est, nunquam motus caeli cessabit.

4. Le but du mouvement du ciel est qu'il ressemble Dieu par le mouvement en tant qu'il passe de la puissance l'acte par le renouvellement des lieux qu'il occupe successivement en acte ; car chaque chose ressemble Dieu qui est acte pur, parce qu'elle est en acte. Mais ce but cesserait si le mouvement cessait. Donc comme le mouvement ne cessait qu'en obtenant le but pour lequel il existe, jamais le mouvement du ciel ne cessera.

q. 5 a. 5Arg. 5 Sed dicebatur, quod motus caeli non est propter hunc finem, sed ad complendum numerum electorum, quo completo, motus caeli quiescet.- Sed contra, nihil est propter se vilius, eo quod finis est nobilior his quae sunt ad finem, cum finis sit causa bonitatis in his quae sunt ad finem. Sed caelum, cum sit incorruptibile, est nobilius quam generabilia et corruptibilia. Ergo non potest dici, quod motus caeli sit propter aliquam generationem in istis inferioribus, per quam tamen numerus electorum posset compleri.

5. Mais on pourrait dire, que le mouvement du ciel n'est pas pour ce but, mais pour complter le nombre des lus, et une fois celui-ci complet, il s'arrtera. En sens contraire, rien n'est plus vil par soi, parce que le but est plus noble que ce qui est pour lui, puisqu'il est la cause de la bont. Mais puisque le ciel est incorruptible, il est plus noble que ce qui peut tre engendr ou corrompu. Donc on ne peut pas dire que le mouvement du ciel soit pour une gnration dans ces tres infrieurs, par laquelle cependant le nombre des lus pourrait tre complt.

q. 5 a. 5Arg. 6 Sed dicebatur, quod motus caeli non est propter generationem electorum sicut propter generalem finem, sed sicut propter finem secundarium.- Sed contra, habito fine secundario, non quiescit quod propter finem motus movetur. Si ergo generatio, per quam completur numerus electorum est secundarius finis motus caeli, eo habito non quiescet adhuc caelum.

6. Mais on pourrait dire que le mouvement du ciel n'est pas pour la gnration des lus, comme pour une fin gnrale mais comme pour une fin secondaire. En sens contraire, une fois acquise une fin secondaire, quil soit m en vue du but du mouvement ne cesse. Si donc la gnration par laquelle est complt le nombre des lus est une fin secondaire du mouvement du ciel, une fois obtenue, le ciel ne cessera pas encore.

q. 5 a. 5Arg. 7 Praeterea, omne quod est in potentia, est imperfectum, nisi ad actum reducatur. Deus autem in mundi consummatione non dimittet aliquid imperfectum. Cum ergo potentia quae est in caelo ad ubi, non reducatur in actum nisi per motum, videtur quod motus caeli etiam in mundi consummatione non quiescet.

7. Tout ce qui est en puissance est imparfait, sauf s'il est ramen l'acte. Mais Dieu, la consommation du monde ne laissera rien d'imparfait. Comme donc la puissance, qui dans le ciel concerne le lieu, n'est ramene l'acte que par mouvement, il semble que le mouvement du ciel mme la consommation du monde ne sarrtera pas.

q. 5 a. 5Arg. 8 Praeterea, si causae alicuius effectus sunt incorruptibiles et semper eodem modo se habentes, et effectus ipse est sempiternus. Sed omnes causae motus caeli sunt incorruptibiles et semper eodem modo se habentes ; sive accipiamus causam moventem, sive ipsum mobile. Ergo motus caeli in sempiternum durabit.

8. Si les causes d'un effet sont incorruptibles, et se comportent toujours de la mme manire, l'effet lui-mme est ternel. Mais toutes les causes du mouvement du ciel sont incorruptibles, et se comportent toujours de la mme manire ; que nous considrions soit la cause moteur, soit le mobile lui-mme. Donc le mouvement du ciel durera ternellement.

q. 5 a. 5Arg. 9 Praeterea, illud quod est sempiternitatis susceptivum, nunquam a Deo sua sempiternitate privabitur, ut patet in Angelo, anima rationali, et substantia caeli. Sed motus caeli est susceptivus sempiternitatis (solum enim motum circularem contingit esse perpetuum), ut probatur in VIII Physic. ; ergo motus caeli in perpetuum durabit, sicut et alia quae nata sunt esse sempiterna.

9. Ce qui est susceptible d'ternit, nen sera jamais priv par Dieu, comme c'est clair pour l'ange, l'me rationnelle et la substance du ciel. Mais le mouvement du ciel est susceptible d'ternit (car seul le mouvement circulaire arrive tre perptuel), comme on le prouve en Physique (VIII, 8, 264 b 7 265 a 11). Donc le mouvement du ciel durera perptuellement, comme les autres choses destines tre ternelles.

q. 5 a. 5Arg. 10 Praeterea, si motus caeli quiescet, aut quiescet in instanti aut in tempore. Si in instanti, contingit simul idem quiescere et moveri : quia cum in toto tempore praecedenti moveretur, oportet dicere quod in quolibet ipsius temporis in quo natum est moveri caelum, moveretur. In instanti autem signato in quo datum est caelum quiescere, natum est caelum moveri, cum motus et quies circa idem sint : hoc autem instans est aliquid temporis praecedentis, cum sit terminus eius. Ergo in eo moveretur. Et datum erat quod in eo quiescebat. Ergo simul in eodem instanti quiescet et movebitur ; quod est impossibile. Si autem quiescit in tempore, ergo tempus erit post motum caeli. Sed tempus non est sine motu caeli, ergo motus caeli erit postquam esse desierit, quod est impossibile.

10. Si le mouvement du ciel s'arrtait, ou il s'arrterait dans l'instant ou dans le temps. Si c'est dans l'instant, il arrive que cest le mme qui s'arrte et se meut en mme temps ; parce que, comme en tout temps prcdant il serait m, il faut dire que dans n'importe quel moment du temps, dans lequel le ciel est destin tre m, il serait m. Mais dans l'instant dsign o il a t donn au ciel de sarrter, il est destin tre m puisque le mouvement et le repos concernent le mme sujet ; mais cet instant est quelque chose du temps prcdant puisqu'il est son terme. Donc il serait m en lui. Et il avait t donn de cesser en lui. Donc, en mme temps, dans le mme instant, il cessera et sera m ; ce qui est impossible. Mais sil sarrte dans le temps, donc celui-ci existera aprs le mouvement du ciel. Mais le temps n'existe pas sans lui, donc il existera aprs qu'il aura cess d'exister, ce qui est impossible.

q. 5 a. 5Arg. 11 Praeterea, si motus caeli aliquando deficiat, oportet quod tempus deficiat, quod est numerus eius, ut patet in IV Physic. Sed impossibile est tempus deficere, ergo impossibile est motum caeli deficere. Probatio mediae. Omne quod semper est in sui principio et sui fine, nunquam coepit esse, nec unquam deficiet, eo quod unumquodque est post suum principium et ante finem suum. Sed nihil est accipere temporis nisi instans, quod est principium futuri et finis praeteriti ; et sic tempus semper est in sui principio et fine. Ergo tempus nunquam deficiet.

11. Si le mouvement du ciel cessait un jour, il faut que le temps cesse, puisquil le mesure, comme on le voit en Physique (IV, 10, 219 a 30 219 b 1). Mais il est impossible que le temps cesse, donc il est impossible que le mouvement du ciel cesse. Preuve de la proposition intermdiaire : tout ce qui est toujours en son commencement et en sa fin, n'a jamais commenc exister, et ne cessera jamais, parce que chaque chose est aprs son commencement et avant sa fin. Mais rien du temps n'est recevoir sinon l'instant, qui est le commencement du futur et la fin du pass ; et ainsi le temps est toujours en son commencement et en sa fin. Donc le temps ne cessera jamais.

q. 5 a. 5Arg. 12 Praeterea, motus caeli est naturalis caelo, sicut et motus gravium et levium est eis naturalis, ut patet in I Caeli et Mundo [com 78 et seq.] Hoc autem differt, quod corpora elementaria non moventur naturaliter nisi cum sunt extra suum ubi, caelum autem movetur etiam in suo ubi existens ; ex quibus accidi potest quod sicut se habet corpus elementare ad motum suum naturalem, cum est extra suum ubi, ita se habet caelum ad motum suum naturalem, cum est in suo ubi. Corpus enim elementare, cum est extra suum ubi, non quiescit nisi per violentiam. Ergo et caelum non potest quiescere nisi quies sit violenta ; quod quidem est inconveniens. Cum enim nullum violentum possit esse perpetuum, sequeretur quod illa quies caeli non esset perpetua ; sed quandoque iterum caelum moveri inciperet ; quod est fabulosum. Ergo non est dicendum, quod motus caeli aliquando quiescat.

12. Le mouvement du ciel lui est naturel, de mme le mouvement des corps lourds et lgers est naturel aussi pour eux, comme on le voit dans Le ciel et le monde, (I, com. 78, ss.). Mais il y a cette diffrence que les corps lmentaires ne sont mus naturellement que quand il ne sont pas leur place, mais le ciel est m mme en son lieu ; c'est pour cela qu'il peut arriver que de mme que le corps lmentaire se comporte vis--vis de son mouvement naturel, quand il n'est pas sa place, de mme le ciel se comporte quant son mouvement naturel, quand il est sa place. Car le corps lmentaire, quand il n'est pas sa place, ny reste que par violence. Donc le ciel aussi ne peut sarrter sans que son arrt ne soit violent, ce qui ne convient pas. Car, comme nulle violence ne pourrait exister ternellement, il s'ensuivrait que ce repos du ciel ne serait pas perptuel, mais quelquefois il recommencerait se mouvoir, ce qui est pure imagination. Donc il ne faut pas dire que le mouvement du ciel s'arrtera un jour.

q. 5 a. 5Arg. 13 Praeterea, eorum quae sibi succedunt, oportet esse aliquem ordinem et proportionem. Finiti autem ad infinitum non est aliqua proportio. Ergo inconvenienter dicitur, quod caelum finito tempore sit motum, et postmodum infinito tempore quiescat : quod tamen oportet dicere, si motus caeli incepit et finietur, et nunquam reincipiat.

13. Dans tout ce qui se succde, il faut qu'il y ait un ordre et une proportion. Mais du fini l'infini il n'y a aucune proportion. Donc il ne convient pas de dire que le ciel, une fois le temps termin, est m, et quaprs un temps infini, il sarrtera, parce quil faut dire cependant que, si le mouvement du ciel commence et s'achve, jamais il ne recommencera.

q. 5 a. 5Arg. 14 Praeterea, quanto aliquid Deo assimilatur secundum nobiliorem actum, tanto nobilior est assimilatio ; sicut nobilior est assimilatio hominis ad Deum quae est secundum animam rationalem, quam animalis bruti, quae est secundum animam sensibilem. Actus autem secundus nobilior est quam actus primus, sicut consideratio quam scientia. Ergo assimilatio qua caelum assimilatur Deo secundum actum secundum, qui est causare inferiora, est nobilior quam assimilatio secundum claritatem, quae est actus primus. Si ergo in mundi consummatione partes principales mundi meliorabuntur, videtur quod caelum non desinet moveri, aliqua maiori claritate repletum.

14. Plus l'acte par lequel une chose ressemble Dieu est noble, plus sa ressemblance est noble. De mme quest plus noble la ressemblance de l'homme Dieu, avec son me rationnelle que celle de l'animal avec son me sensitive. Mais l'acte second est plus noble que l'acte premier, comme la considration[591] plus que la science. Donc la ressemblance, par laquelle le ciel ressemble Dieu selon l'acte second, qui est de causer les choses infrieures, est plus noble que la ressemblance selon la lumire qui est son acte premier. Si donc la consommation du monde, ses parties principales s'amliorent, il semble que le ciel ne cessera pas de se mouvoir, empli par une plus grande lumire.

q. 5 a. 5Arg. 15 Praeterea, magnitudo et motus et tempus se consequuntur quantum ad divisionem et finitatem vel infinitatem, ut probatur in VI Phys. [text. 18, 37, 38 et 39]. Sed in magnitudine circulari non est principium neque finis. Ergo nec in motu circulari poterit esse aliquis finis ; et sic, cum motus caeli sit circularis, videtur quod nunquam finietur.

15. La grandeur, le mouvement et le temps se suivent quant la division, la finitude ou l'infinit, comme on le prouve en Physique (IV, 2, 209 b 32 4, 211 b 19, 211 b 29 212 a 2). Mais dans une grandeur circulaire, il n'y a ni commencement ni fin. Donc il ne pourra pas y avoir de fin dans le mouvement circulaire, et ainsi puisque le mouvement du ciel est circulaire, il semble quil ne finira jamais.

q. 5 a. 5Arg. 16 Sed dicebat, quod licet motus circularis nunquam secundum suam naturam finiatur, tamen divina voluntate finietur.- Sed contra est quod Augustinus dicit [II Super Genesim ad litteram] : Cum de mundi institutione agitur, non quaeritur quid Deus possit facere, sed quod rerum natura patiatur ut fiat. Consummatio autem mundi, eius institutioni respondet, sicut finis principio. Ergo nec in his quae pertinent ad finem mundi, recurrendum est ad Dei voluntatem, sed ad rerum naturam.

16. Mais on pourrait dire, que bien que le mouvement circulaire ne finisse jamais par sa nature, cependant il finira par la volont de Dieu. En sens contraire, Il y a ce que dit Augustin (La Gense au sens littral, II) : Quand il s'agit de la constitution du monde, on ne cherche pas ce que Dieu pourrait faire, mais ce que la nature supporte quil fasse. Mais la consommation du monde correspond son constitution, comme la fin son commencement. Donc, en qui concerne la fin du monde, il ne faut pas recourir la volont de Dieu, mais la nature des choses.

q. 5 a. 5Arg. 17 Praeterea, sol per suam praesentiam lumen et diem in istis inferioribus causat, per absentiam vero tenebras et noctem. Sed non potest esse sol praesens utrique hemisphaerio, nisi per motum. Ergo si motus caeli quiescat, semper sua praesentia in una parte mundi causabit diem, et in alia noctem, cui sol semper erit absens ; et sic illa pars non erit meliorata, sed deteriorata, in mundi consummatione.

17. Le soleil, par sa prsence, cause la lumire et le jour dans ces choses infrieures[592], et par son absence les tnbres et la nuit. Mais le soleil ne peut tre prsent dans chaque hmisphre, que par mouvement. Donc si le mouvement du ciel s'arrte, sa prsence toujours causera le jour dans une partie du monde, et dans l'autre, pour laquelle le soleil sera toujours absent, la nuit ; et ainsi cette partie ne sera pas amliore ; mais dtriore, la consommation du monde.

q. 5 a. 5Arg. 18 Praeterea, illud quod aequaliter se habet ad duo, aut utrique adhaeret aut neutri. Sed sol aequaliter se habet quantum est de sua natura ad quodlibet ubi caeli. Ergo vel erit in quolibet, aut in nullo. Sed non potest esse in nullo, quia omne corpus sensibile alicubi est. Ergo oportet quod sit in quolibet. Sed hoc non potest esse, nisi per motus successionem. Ergo semper movebitur.

18. Ce qui se comporte de faon gale vis--vis de deux choses, adhre lune et lautre ou aucune. Mais le soleil se comporte de faon gale pour ce qui est de sa nature dans n'importe quel lieu du ciel. Donc, ou bien il sera en chacun ou en aucun. Mais il ne peut pas tre en aucun, parce que tout corps sensible est quelque part. Donc il faut qu'il soit quelque part. Mais cela nest possible que par succession de mouvement. Donc, il sera toujours en mouvement.

q. 5 a. 5Arg. 19 Praeterea, in mundi consummatione a nullo tolletur sua perfectio quod tunc remanebit, quia res quae remanebunt in illo statu non deteriorabuntur, sed meliorabuntur. Motus autem est perfectio ipsius caeli ; quod patet ex hoc quia motus est entelechia mobilis in quantum huiusmodi, ut dicitur in II Phys. [text. 16] : et iterum, ut dicitur in II Caeli et mundi [text. 56], caelum per motum perfectam bonitatem consequitur. Ergo in mundi consummatione caelum motu non carebit.

19. A la consommation du monde, sa perfection, qui restera alors, ne sera enleve par personne, parce que ce qui demeurera dans cet tat ne sera pas dtrior, mais amlior. Mais le mouvement est la perfection du ciel, ce qui apparat du fait que le mouvement est une entlchie mobile en tant que tel, comme il est dit en Physique, II, texte 16, et nouveau comme il est dit dans Le ciel et le monde, (II, 12, 292 b 20), le ciel par le mouvement atteindra une bont parfaite. Donc la consommation du monde, il ne manquera pas de mouvement.

q. 5 a. 5Arg. 20 Praeterea, corpus aliquod nunquam attinget ad gradum naturae spiritualis. Hoc autem ad naturam spiritualem pertinet quod bonitatem perfectam sine motu habeat, ut patet in II Caeli et mundi.[a text. 62 usque ad 66]. Nunquam ergo caelum, si moveri desinat, perfectam bonitatem habebit ; quod est contra rationem consummationis mundi.

20. Un corps n'atteint jamais le niveau de la nature spirituelle. Mais il convient cette dernire qu'elle possde la bont parfaite sans mouvement, comme cela parat dans Le ciel et le monde, (II, 12, 292 a 23 292 b 20). Donc jamais le ciel, s'il cesse de se mouvoir, n'aura la bont parfaite, ce qui est contre la nature de la consommation du monde.

q. 5 a. 5Arg. 21 Praeterea, nihil tollitur nisi per suum contrarium. Motui autem caeli nihil est contrarium, ut probatur in I Caeli et mundi [text. 10 et 15] Ergo motus caeli nunquam quiescet.

21. Rien n'est enlev que par son contraire. Rien n'est contraire au mouvement du ciel, comme on le prouve dans Le ciel et le monde (I, 2, 269 a 10 269 b 2). Donc le mouvement du monde ne cessera jamais.

 

En sens contraire :

 

 

q. 5 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. X, vers. 5 : Angelus quem vidi stantem super mare et super terram, levavit manum suam et iuravit per viventem in saecula saeculorum (...) : quia tempus amplius non erit. Tempus autem erit quamdiu motus caeli erit. Ergo motus caeli aliquando esse desinet.

1. Il y a ce qui est dit en Apoc., 10, 5 : L'ange que je vis debout sur la mer et sur la terre, leva sa main et jura par le vivant pour les sicles des sicles parce qu'il n'y aura plus de temps. Mais le temps durera aussi longtemps que le mouvement du ciel existera. Donc le mouvement du ciel cessera un jour d'exister.

q. 5 a. 5 s. c. 2 Praeterea, dicitur Iob XIV, 12 : Homo, cum dormierit, non resurget, donec atteratur caelum ; non evigilabit, nec consurget de somno suo. Caelum autem non potest intelligi quod atteratur secundum substantiam, quia semper remanebit, ut prius probatum est. Ergo quando resurrectio mortuorum erit, caelum atteretur quantum ad motum, qui cessabit.

2. Il est dit en Job, 14, 12 : Quand l'homme se sera endormi, il ne se relvera pas, jusqu' ce que le ciel soit us ; il ne se rveillera pas et ne se lvera pas de son sommeil. Mais on ne peut pas comprendre que le ciel sera us dans sa substance, parce qu'il demeurera toujours, comme on l'a prouv plus haut. Donc quand il y aura la rsurrection des morts, le ciel sera ananti quant son mouvement qui cessera.

q. 5 a. 5 s. c. 3 Praeterea, Rom. VIII, 22, super illud : Omnis creatura ingemiscit, et parturit usque adhuc, dicit Glossa Ambrosii [Albrosiastri] : Omnia elementa cum labore sua explent officia, sicut sol et luna non sine labore statuta sibi implent spatia ; quod est causa nostri : unde quiescent nobis assumptis. Ergo in resurrectione sanctorum motus corporum caelestium quiescent.

3. En Rm 8, 22, sur ce verset : Toute crature gmit et enfante jusqu' maintenant, la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) dit : Tous les lments rempliront leurs devoirs avec ardeur, de mme que le soleil et la lune, non sans ardeur, emplissent les espaces, qui leur sont assigns, parce quil est cause pour nous ; c'est pourquoi ils cesseront quand nous serons enlevs. Donc, la rsurrection des saints, le mouvement des corps cessera.

q. 5 a. 5 s. c. 4 Praeterea, Isidorus dicit [in lib. creaturarum] : post iudicium sol laboris sui mercedem recipiet, et non veniet ad occasum nec sol nec luna ; quod non potest esse, si caelum moveatur, ergo tunc caelum non movebitur.

4. Isidore dit (Le livre des cratures) : Aprs le jugement, le soleil recevra la rcompense de son labeur, et ni le soleil ni la lune nen arriveront leur destruction. Ce qui n'est pas possible si le ciel se meut, donc alors le ciel ne sera plus en mouvement.

 

Rponse :

q. 5 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod secundum documenta sanctorum ponimus motum caeli quandoque cessaturum ; quamvis hoc magis fide teneatur quam ratione demonstrari possit. Ut autem manifestum esse possit in quo huius quaestionis pendeat difficultas, attendendum est quod motus caeli non hoc modo est naturalis caelesti corpori sicut motus elementaris corporis est sibi naturalis ; habet enim huiusmodi motus in mobili principium, non solum materiale et receptivum, sed etiam formale et activum. Formam enim ipsius elementaris corporis sequitur talis motus, sicut et aliae naturales proprietates ex essentialibus principiis consequuntur ; unde in eis generans dicitur esse movens in quantum dat formam quam consequitur motus.

Il faut dire que, selon les enseignements des saints, nous pensons que le mouvement du ciel cessera un jour ; bien que cela soit assur plus par la foi que dmontr par la raison. Mais pour que cela puisse tre vident o se trouve la difficult de cette question, il faut faire attention que le mouvement du ciel n'est pas naturel pour le corps cleste de la mme manire quest naturel le mouvement du corps lmentaire pour lui-mme ; car dans ce qui peut tre m le mouvement de ce genre a un principe, non seulement matriel et rceptif, mais encore formel et actif. Un tel mouvement, en effet, suit la forme du corps lmentaire, de mme aussi que les autres proprits naturelles dcoulent des principes essentiels : c'est pourquoi ce qui engendre en eux est appel moteur, dans la mesure o il donne la forme quatteint le mouvement.

Sic autem in corpore caelesti dici non potest. Cum enim natura semper in unum tendat determinate, non se habens ad multa, impossibile est quod aliqua natura inclinet ad motum secundum se ipsum, eo quod in quolibet motu difformitas quaedam est, in quantum non eodem modo se habet quod movetur ; uniformitas vero mobilis est contra motus rationem.

Mais on ne peut pas parler ainsi pour le corps cleste. En effet, comme la nature tend toujours un [effet] de manire limite, mais pas plusieurs, il est impossible quune nature incline un mouvement selon elle-mme ; parce que, en n'importe quel mouvement, il y a une altration ; dans la mesure o ce qui est m ne se comporte pas de la mme manire ; mais l'uniformit du mobile est contre la nature du mouvement.

Unde natura nunquam inclinat ad motum propter movere, sed propter aliquid determinatum quod ex motu consequitur ; sicut natura gravis inclinat ad quietem in medio, et per consequens inclinat ad motum qui est deorsum, secundum quod tali motu in talem locum pervenitur. Caelum autem non pervenit suo motu in aliquod ubi, ad quod per suam naturam inclinetur, quia quodlibet ubi est principium et finis motus ; unde non potest esse suus motus naturalis quasi sequens aliquam inclinationem naturalis virtutis inhaerentis, sicut sursum ferri est motus naturalis ignis.

C'est pourquoi, la nature n'incline jamais au mouvement pour mouvoir, mais pour un but dtermin, qui dcoule de son mouvement, de mme que ce qui est lourd par nature incline au repos dans un milieu qui lui convient et par consquent incline un mouvement vers le bas, selon que, par un tel mouvement, il parvient en un tel lieu. Mais le ciel ne parvient pas par son mouvement quelque lieu, vers lequel il est pouss par sa nature, parce que n'importe quel lieu est le commencement et la fin de son mouvement ; c'est pourquoi son mouvement naturel ne peut pas exister, comme sil suivait une inclination de la puissance naturelle inhrente, de la mme manire que sՎlever est le mouvement naturel du feu.

 :Dicitur autem motus circularis esse naturalis caelo, in quantum in sua natura habet aptitudinem ad talem motum ; et sic in seipso habet principium talis motus passivum ; activum autem principium motus est aliqua substantia separata, ut Deus vel intelligentia vel anima, ut quidam ponunt ; quantum enim ad praesentem quaestionem nihil differt.

Mais on dit que le mouvement circulaire est naturel au ciel, dans la mesure o dans sa nature il a une aptitude une tel mouvement ; et ainsi en lui-mme, il a le principe passif d'un tel mouvement ; mais le principe actif est une substance spare, comme Dieu ou une intelligence ou une me, comme certains le pensent, car pour la prsente question, il ny a aucune diffrence[593].

Ratio ergo permanentiae motus non potest sumi ex natura aliqua caelestis corporis, ex qua tantum est aptitudo ad motum ; sed oportet eam sumere ex principio activo separato. Et quia agens omne propter finem agit, oportet considerare quis est finis motus caeli ; si namque fini eius congruat quod motus aliquando terminetur, caelum quandoque quiescet ; si autem fini eius non competat quies, motus eius erit sempiternus ; non enim potest esse quod motus deficiat ex mutatione causae moventis, cum voluntas Dei sit immutabilis sicut etiam natura ; et per eam immobilitatem consequantur, si quae sunt causae mediae moventes.

Donc la raison de la permanence du mouvement ne peut venir de la nature du corps cleste, par laquelle il possde seulement l'aptitude au mouvement, mais il faut la prendre d'un principe actif spar. Et parce que tout agent agit en vue d'une fin, il faut considrer quelle est la fin du mouvement du ciel ; si en effet il convient sa fin que le mouvement se termine un jour, le ciel sarrtera quelque jour ; mais si larrt ne convient pas sa fin, son mouvement sera ternel, car il nest pas possible que le mouvement sarrte cause du changement de la cause moteur, puisque la volont de Dieu est immuable, comme sa nature aussi, et par elle ils obtiendront limmobilit, sil y a des causes moteurs intermdiaires.

In hac autem consideratione tria oportet vitare : quorum primum est, ne dicamus caelum moveri propter ipsum motum ; sicut dicebatur caelum esse propter ipsum esse, in quo Deo assimilatur. Motus enim, ex ipsa sui ratione, repugnat ne possit poni finis, eo quod motus est in aliud tendens ; unde non habet rationem finis, sed magis eius quod est ad finem. Cui etiam attestatur quod est actus imperfectus, ut dicitur in III de Anima [com. 54 et III Phys., com. 15] Finis autem est ultima perfectio.

Mais dans cette considration, il faut viter trois erreurs :1) La premire : Ne disons pas que le ciel est m pour le mouvement en lui-mme, comme si on disait qu'il existe pour son tre mme, en quoi il ressemble Dieu. Car le mouvement, de sa propre nature, rpugne ce quil ne puisse pas y avoir une fin, parce qu'il tend un autre lieu ; c'est pourquoi il n'a pas la nature de fin, mais plutt de ce qui est en vue de la fin. Il est attest qu'il est un acte imparfait, comme on le dit dans L'me (III, 7, 431 a 5) et en Physique( III, 2 201 b 31[594]). Mais la fin est la perfection ultime.

Secundum est, ut non ponatur motus caeli esse propter aliquid vilius ; nam cum finis sit unde ratio sumitur, oportet finem praeeminere his quae sunt ad finem. Potest autem contingere quod vilior sit terminus operationis rei nobilioris ; non autem ut sit finis intentionis : sicut securitas rustici est terminus quidam, ad quem operatio regis gubernantis terminatur ; non tamen regimen regis est ordinatum ad huius rustici securitatem sicut in finem sed in aliquid melius, scilicet in bonum commune. Unde non potest dici, quod generatio istorum inferiorum sit finis motus caeli, etsi sit effectus vel terminus, quia et caelum his inferioribus praeeminet, et motus eius motibus et mutationibus horum.

2) La seconde : quon ne pense pas que le mouvement du ciel est pour quelque chose de plus vil ; en effet, comme c'est sa fin, do on tire sa raison, il faut que celle-ci soit prminente sur ce qui est en vue de la fin. Mais il peut arriver que le terme d'une opration d'une chose plus noble soit plus vil ; mais non pour qu'elle soit la fin de l'intention : ainsi la scurit du paysan est le terme o s'achve l'opration du roi qui gouverne ; cependant l'administration du roi nest pas ordonne la scurit de ce paysan, comme sa fin, mais quelque chose de meilleur, savoir le bien commun. C'est pourquoi on ne peut pas dire que la gnration des tres infrieurs soit la fin du mouvement du ciel, mme si elle en est l'effet ou le terme, parce que dune part le ciel l'emporte sur ces tres infrieurs, et dautre part son mouvement [lemporet] sur leurs mouvements et leurs changements.

Tertium est, ut non ponatur finis motus caeli aliquid infinitum, quia, ut dicitur in II Metaphys., qui ponit infinitum in causa finali destruit finem et naturam boni. Pertingere enim quod infinitum est, impossibile est. Nihil autem movetur ad id quod impossibile est ipsum consequi, ut dicitur in I Caeli et mundi. Unde non potest dici, quod finis motus caeli sit ut consequatur in actu ubi ad quod est in potentia, licet hoc Avicenna dicere videatur. Hoc enim impossibile est consequi, cum infinitum sit ; quia dum in uno ubi fit in actu, erit in potentia ad aliud ubi, in quo prius actu existebat.

3) La troisime : qu'on ne pense pas que la fin du mouvement du ciel soit quelque chose d'infini, parce que, comme il est dit en Mtaphysique (II, 2, 994 b 13[595]), celui qui place l'infini dans la cause finale dtruit la fin et la nature du bien. Car il est impossible d'atteindre ce qui est infini. Mais rien ne se meut vers ce qu'il est impossible d'atteindre, comme on le dit dans Le ciel et le monde, I. C'est pourquoi on ne peut pas dire que la fin du mouvement du ciel soit d'atteindre en acte un lieu pour ce est en puissance, bien quAvicenne semble le dire. Car il est impossible de l'atteindre, puisqu'il est infini, parce que, pendant qu'il est en acte dans un lieu, il sera en puissance un autre, dans lequel il existait avant en acte.

Oportet ergo finem motus caeli ponere aliquid quod caelum per motum consequi possit, quod sit aliud a motu, et eo nobilius. Hoc autem dupliciter potest poni.

Il faut donc penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose que le ciel pourrait atteindre par mouvement, ce qui est diffrent du mouvement et plus noble que lui. Mais cela on peut le penser de deux manires :

Uno modo ut ponatur finis motus caeli aliquid in ipso caelo, quod simul cum motu existit ; et secundum hoc a quibusdam philosophis ponitur, quod similitudo ad Deum in causando est finis motus caeli ; quod quidem fit ipso motu durante ; unde secundum hoc non convenit quod motus caeli deficiat, quia deficiente motu, finis ex motu proveniens cessaret.

1) Penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose dans le ciel mme, qui existe en mme temps que le mouvement, et cause de cela certains philosophes pensent, que la ressemblance Dieu, en tant que cause, est la fin du mouvement du ciel ; ce qui se fait tant que dure le mouvement ; c'est pourquoi, il ne convient pas que le mouvement du ciel cesse, parce que sil cessait, la fin qui provient du mouvement disparaitrait.

Alio modo potest poni finis motus caeli aliquid extra caelum, ad quod pervenitur per motum caeli ; quo cessante illud potest remanere : et haec est nostra positio.

2) On peut penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose hors de lui, auquel il parvient par son mouvement, et quand il cesse, cela peut demeurer ; et telle est notre position.

Ponimus enim quod motus caeli est propter implendum numerum electorum. Anima namque rationalis quolibet corpore nobilior est, et ipso caelo. Unde nullum est inconveniens, si ponatur finis motus caeli multiplicatio rationalium animarum : non autem in infinitum, quia hoc per motum caeli provenire non posset ; et sic moveretur ad aliquid quod consequi non potest ; unde relinquitur quod determinata multitudo animarum rationalium sit finis motus caeli. Unde ea habita motus caeli cessabit.

Car nous pensons que le mouvement du ciel est pour complter le nombre des lus. L'me rationnelle, en effet, est plus noble que n'importe quel corps et que le ciel mme. C'est pourquoi il nest nullement inconvenant de penser que la fin du mouvement du ciel est la multiplication des mes rationnelles, mais pas l'infini, parce que cela ne pourrait pas provenir du mouvement du ciel ; et alors il serait m vers quelque chose qu'il ne peut pas atteindre ; c'est pourquoi il reste que la multitude limite des mes rationnelles est la fin du mouvement du ciel. C'est pourquoi une fois cela atteint, le mouvement du ciel cessera.

Licet autem utraque positionum praedictarum possit rationabiliter sustineri, tamen secunda, quae fidei est, videtur esse probabilior propter tres rationes.

Bien que l'une et l'autre des positions annonces puissent tre soutenues raisonnablement, cependant la seconde, qui est de foi, parat plus probable, pour trois raisons :

Primo quidem, quia nihil differt dicere finem alicuius esse assimilationem ad Deum secundum aliquid, et illud secundum quod assimilatio attenditur ; sicut supra dictum est, quod finis rerum posset dici vel ipsa assimilatio divinae bonitatis, vel esse rerum, secundum quod res Deo assimilantur. Idem ergo est dictu, finem motus caeli esse assimilari Deo in causando et causare. Causare autem non potest esse finis, cum sit operatio habens operatum et tendens in aliud : huiusmodi enim operationibus meliora sunt operata, ut dicitur in principio Ethic. ; unde huiusmodi factiones non possunt esse fines agentium, cum non sint perfectiones facientium, sed magis factorum ; unde et ipsa facta sunt magis fines, ut patet IX Metaph. [text. 16], et in I Ethic.[cap. I] Ipsa autem operata non sunt fines, cum sint viliora caelo, ut supra dictum est. Unde relinquitur non convenienter dici, quod finis motus caeli sit assimilari ad Deum in causando.

1) Parce qu'il ny a pas de diffrence entre dire que la fin d'un tre est une ressemblance relative Dieu, et dire en quoi la ressemblance est atteinte, comme on a affirm ci-dessus qu'il est possible de dire que la fin des choses est ou bien la ressemblance mme la bont divine, ou bien leur tre selon qu'elles ressemblent Dieu. Donc c'est la mme chose de dire que la fin du mouvement du ciel est de ressembler Dieu en causant et tre cause. Mais tre cause ne peut tre une fin, puisque c'est une opration qui a un rsultat et tend autre chose ; car pour de telles oprations les rsultats sont meilleurs, comme il est dit au dbut de l'thique (I, 1, 1094 a 5) ; c'est pourquoi de telles productions ne peuvent pas tre le but des agents, puisqu'ils ne sont pas la perfection de ceux qui les font, mais plutt de ce qui est fait ; c'est pourquoi ce qui est produit est davantage la fin, comme on le voit en Mtaphysique, (IX, 8, 1050 a 30), et en thique, (I, 1, 1094 a 3). Les rsultats des oprations ne sont pas des fins, puisqu'ils sont plus vils que le ciel, comme on la dit ci-dessus. C'est pourquoi, il reste qu'il ne convient pas de dire que la fin du mouvement du ciel est de ressembler Dieu en tant cause.

Secundo vero, quia cum caelum moveatur in ipso existente sola aptitudine ad motum, principio vero activo existente extra, ut dictum est ; movetur et agit sicut instrumentum haec est enim dispositio instrumenti, ut patet in artificialibus, nam in securi est sola aptitudo ad talem motum ; principium autem motus in artifice est. Unde et secundum philosophos, quod movet motum, movet ut instrumentum. In actione autem quae est per instrumentum, non potest esse finis aliquis in ipso instrumento nisi per accidens, in quantum instrumentum accipitur ut artificiatum et non ut instrumentum ; unde non est probabile quod finis motus caeli sit aliqua perfectio ipsius, sed magis aliquid extra ipsum.

2) Parce que, comme le ciel se meut tout en existant lui-mme par sa seule aptitude au mouvement, alors que son principe actif existe l'extrieur, comme on l'a dit, il se meut et agit comme instrument, car c'est la manire dagir de l'instrument, comme on le voit dans les uvres artificielles, ainsi la hache a seulement laptitude un tel mouvement, mais le principe du mouvement est dans l'artisan. C'est pourquoi selon les philosophes, ce qui meut ce qui est m, le meut comme instrument. Mais dans l'action, accomplie par un instrument, il ne peut y avoir une fin dans l'instrument lui-mme que par accident, dans la mesure o il est pris comme uvre et non comme instrument ; c'est pourquoi il n'est pas probable que la fin du mouvement du ciel soit sa propre perfection, mais plutt un objet hors de lui.

Tertio, quia si similitudo ad Deum in causando est finis motus caeli, praecipue attenditur haec similitudo secundum causalitatem eius quod a Deo immediate causatur, scilicet animae rationalis, ad cuius causalitatem concurrit caelum et per motum suum materiam disponendo. Et ideo probabilius est quod finis motus caeli sit numerus electorum quam assimilatio ad Deum in causalitate generationis et corruptionis, secundum quod philosophi ponunt. Et ideo concedimus quod motus caeli completo numero electorum finietur.

3) Parce que si la ressemblance Dieu dans le fait quil est cause, est la fin du mouvement du ciel, cette ressemblance est principalement atteinte selon la causalit de ce qui est cause immdiatement par Dieu, savoir celle de l'me rationnelle : sa causalit concourt le ciel en disposant la matire par son mouvement. Et c'est pourquoi il est plus probable que la fin du mouvement du ciel est le nombre des lus que la ressemblance Dieu lorsqu'il cause la gnration et corruption, selon ce que pensent les philosophes. Et c'est pourquoi nous concdons que le mouvement du ciel se terminera quand le nombre des lus sera complet.

 

Solutions :

q. 5 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod loquitur de duratione terrae secundum quod est transmutationi subiecta ; sic enim in ea seminatur et metitur. Tali autem statu terrae durante motus caeli non cessabit.

 1. [La Gense] parle de la dure de la terre selon qu'elle est soumise au changement ; car ainsi on sme et on moissonne sur elle. Mais tant que dure un tel tat de la terre, le mouvement du ciel ne cessera pas.

q. 5 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod auctoritas illa non est intelligenda de Israel carnali, sed de Israel spirituali ; non tamen secundum quod est in patria coram Deo, contemplando ipsum per speciem, sed secundum quod est in via coram Deo per fidem ; ut sic idem sit quod dicitur hic, et quod dominus discipulis loquens ait, Matth. XXVIII, 20 : Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi.

 2. Cette autorit n'est pas comprendre de l'Isral charnel, mais de l'Isral spirituel ; cependant non selon qu'il est dans la patrie devant Dieu, en le contemplant par sa forme (per speciem), mais selon qu'il est en chemin devant lui par la foi, pour que ce soit une mme chose ce qui est dit ici et que le Seigneur parlant ses disciples leur dit (Mt. 18, 20) : Voici, je suis avec vous jusqu' la consommation des sicles.

q. 5 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec praepositio propter denotat causam ; unde quandoque denotat causam finalem, quae est posterior in esse ; quandoque autem materialem vel efficientem, quae sunt prior. Cum autem dicitur in rebus incorruptibilibus, actus sunt propter agentia, ly propter non denotat causam finalem, sed causam efficientem, ex qua est necessitas ibi, et non ex fine. Motus ergo caeli si comparetur ad ipsum mobile, non habet ex eo necessitatem sicut ex causa efficiente, ut ostensum est ; habet autem hanc necessitatem ex movente. Quod, quia est voluntarie movens, secundum hoc necessitatem in motu inducit secundum quod determinatum est per ordinem sapientiae divinae, et non ad moveri semper.

 3. Cette prposition propter (pour) signale une cause ; c'est pourquoi quelquefois elle signifie la cause finale, qui est postrieure dans l'tre, quelquefois la cause matrielle, ou la cause efficiente qui sont avant. Quand on dit que dans ce qui est incorruptible, les actes sont pour les agents, le propter [pour] ne signifie pas la cause finale, mais la cause efficiente, do elle tire sa ncessit et non de la fin. Donc, si le mouvement du ciel est compar un mobile mme, il n'en a pas ncessit comme dune cause efficiente, comme on l'a montr ; mais il tient cette ncessit du moteur. Parce qu'il est moteur volontairement, il introduit la ncessit dans le mouvement selon quil est dtermin par l'ordre de la sagesse divine, et non pour se mouvoir toujours.

q. 5 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod assimilari Deo secundum hoc quod actu acquirit successive diversos situs ad quos prius erat in potentia, non potest esse finis motus caeli : tum quia hoc infinitum est, ut supra ostensum est ; tum quia sicut ex una parte per motum acceditur ad divinam similitudinem, per hoc quod situs qui erant in potentia, fiunt actu ; ita ab alia parte receditur a divina similitudine per hoc quod situs qui erant in actu, fiunt in potentia.

 4. Ressembler Dieu selon qu'il acquiert en acte successivement les divers lieux, pour lesquels il tait avant en puissance, ne peut pas tre la fin du mouvement du ciel ; dune part, parce que cela est infini, comme on la montr ci-dessus, dautre part, parce que, de mme que dun ct il atteint par mouvement la ressemblance divine, du fait que les lieux qui taient en puissance, deviennent en acte ; de mme d'un autre ct, il s'loigne de la ressemblance divine par le fait que les lieux qui taient en acte deviennent en puissance.

q. 5 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet generabilia et corruptibilia sint viliora caelo, tamen animae rationales sunt corpore caeli nobiliores, quae tamen a Deo producuntur ad esse in materia disposita per motum caeli.

 5. Bien que ce qui peut tre engendr ou corrompu soit plus vil que le ciel, cependant les mes rationnelles sont plus nobles que le corps du ciel ; cependant elles sont amenes l'tre par Dieu dans la matire dispose par le mouvement du ciel.

q. 5 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod completio numeri electorum, secundum doctrinam fidei non ponitur secundarius finis motus caeli, sed principalis, licet non ultimus, quia finis ultimus uniuscuiusque rei est bonitas divina, in quantum creaturae quoquomodo ad eam pertingunt vel per similitudinem vel per debitum famulatum.

 6. On ne pense pas que, selon la doctrine de la foi, l'achvement du nombre des lus est la fin seconde du mouvement du ciel, mais sa fin principale, bien quelle ne soit pas la dernire, puisque la fin ultime de chaque chose est la bont divine, dans la mesure o les cratures d'une certaine manire y parviennent ou par ressemblance ou par le service qui lui est d.

q. 5 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod res non dicitur esse imperfecta, quacumque potentia in ipsa non reducta ad actum, sed solum quando per reductionem in actum res suum consequitur complementum. Non enim homo qui est in potentia ut sit in India, imperfectus erit, si ibi non fuerit ; sed imperfectus dicitur, si scientia vel virtute careat, qua natus est perfici. Caelum autem non perficitur per locum, sicut corpora inferiora, quae in proprio ubi conservantur. Unde licet potentia qua potest esse in aliquo ubi, nunquam reducatur ad actum, non tamen sequitur quod sit imperfectum. Nam si secundum se consideretur, non maior est sibi perfectio quod sit in uno situ quam in alio, sed indifferenter se habet ad omnia ubi, cum ad quodlibet moveatur naturaliter. Ipsa autem indifferentia magis inducit ad quietem quam ad perpetuitatem motus, nisi consideretur voluntas moventis et intendentis finem ; sicut etiam quidam philosophi assignaverunt causam quietis terrae in medio, propter indifferentiam eius, respectu cuiuslibet partis circumferentiae caeli.

 7. On ne dit pas qu'une chose est imparfaite, par quelque puissance en elle qui nest pas ramene l'acte, mais seulement, tant ramene lacte, elle reoit son achvement. Car l'homme, qui est en puissance pour tre en Inde, ne sera pas imparfait, sil n'y est pas all, mais on le dit imparfait, sil manque de la science ou du pouvoir, qui sont destins le parfaire. Mais le ciel n'est pas achev par le lieu comme les corps infrieurs, qui se conservent en leur lieu propre. C'est pourquoi, bien que la puissance, par laquelle il peut tre dans un lieu, ne soit jamais ramene l'acte, il n'en dcoule pas cependant qu'il soit imparfait. Car considr en soi, il n'a pas une perfection plus grande qu'il soit dans un lieu ou un autre, mais il se comporte indiffremment pour tout lieu, puisqu'il est m naturellement vers n'importe lequel. Mais l'indiffrence elle-mme conduit plus au repos quՈ la perptuit du mouvement, moins de considrer la volont du moteur et de celui qui cherche la fin. Ainsi certains philosophes ont assign la cause du repos de la terre, dans un juste milieu cause de son indiffrence par rapport nimporte quelle partie de la circonfrence du ciel.

q. 5 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet causae motus caeli omnes sint sempiternae, tamen movens, ex quo necessitas eius dependet, movet per voluntatem et non est necessarium quod semper moveat, sed secundum quod exigit ratio finis.

 8. Bien que les causes du mouvement du ciel ne soient pas toutes ternelles, cependant le moteur d'o dpend sa ncessit, meut par volont, et il n'est pas ncessaire qu'il meuve toujours, mais selon ce qu'exige la raison de la fin.

q. 5 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod alio modo caelum est secundum suam naturam capax sempiternitatis motus et sui esse. Nam suum esse dependet ex principiis suae naturae, ex quibus consequitur necessitas essendi, cum non sit in eis possibilitas ad non esse, ut prius ostensum est ; suus autem motus in natura eius non habet nisi aptitudinem ; necessitatem vero habet ex movente. Unde etiam secundum Commentatorem [in II Metaph., et in lib. de Susbstantia orbis], sempiternitas essendi in caelo est ex principiis suae naturae, non autem sempiternitas motus, sed ab extrinseco. Unde etiam secundum eos qui dicunt motum nunquam deficere, causa durationis motus caeli et eius sempiternitatis, est voluntas divina ; quamvis eius immobilitas non de necessitate concludere possit sempiternitatem motus caeli, ut ipsi volunt. Non enim est mobilis voluntas, si velit quod diversa sibi invicem succedant secundum quod exigit finis quem immobiliter vult. Et ideo potius est inquirenda ratio sempiternitatis motus ex fine quam ex immobilitate moventis.

 9. Cest d'une autre manire que le ciel est selon sa nature capable de l'ternit du mouvement, et de celle de son tre. Car son tre dpend des principes de sa nature do il tire sa ncessit dՐtre, puisqu'il n'y a pas en lui de possibilit au non tre, comme on l'a montr plus haut ; son mouvement dans sa nature n'a qu'une aptitude, mais tire sa ncessit du moteur. C'est pourquoi, selon le Commentateur (Mtaphysique II, et dans le livre La Substance du monde), l'ternit de l'tre dans le ciel vient des principes de sa nature, mais pas lՎternit du mouvement, qui vient de l'extrieur. C'est pourquoi, mme selon ceux qui disent que le mouvement ne cesse jamais, la cause de la dure du mouvement du ciel et de son ternit, c'est la volont divine, quoique son immobilit ne puisse enclore ncessairement l'ternit du mouvement du ciel, comme ceux-ci le veulent. Car sa volont ne change pas, s'il veut que diverses choses se succdent entre elles, selon ce qu'exige la fin qu'il veut immuablement. Et c'est pourquoi il faut chercher plutt la raison de l'ternit du mouvement dans la fin que dans l'immobilit du moteur.

q. 5 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod motus caeli terminabitur in instanti, in quo quidem neque erit motus neque quies, sed terminus motus et principium quietis. Quies autem sequens non erit in tempore ; nam quies non mensuratur a tempore primo, sed secundario, ut dicitur in IV Phys. [com. 110] ; unde si sit quies alicuius corporis, quae nulli motui subiiciatur, non mensurabitur tempore. Quamvis, si in hoc fiat vis, possit dici, quod erit post motum in caelo immobilitas quaedam, etsi non quies.

 10. Le mouvement du ciel se terminera dans l'instant, o il n'y aura ni mouvement, ni arrt, mais le terme du mouvement, et le commencement de larrt. Mais larrt suivant ne sera pas dans le temps, car il n'est pas mesur par le temps premier, mais second, comme on dit en Physique (IV, 12, 221 b 20-22[596]) ; c'est pourquoi s'il y a arrt d'un corps, qui ne serait plus soumis aucun mouvement, il ne sera pas mesur par le temps. Cependant, si en cela il y a violence, on pourrait dire qu'il y aura dans le ciel aprs le mouvement, l'immobilit, mme si ce n'est pas larrt.

q. 5 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod sicut motus caeli deficiet, ita et tempus deficiet, ut per auctoritatem Apocalypsis [8, 6] inductam apparet. Ultimum autem nunc totius temporis erit quidem finis praeteriti non autem principium futuri. Quod enim nunc simul sit et finis praeteriti et principium futuri, habet in quantum sequitur motum circularem continuum, cuius quodlibet signum indivisibile est principium et finis respectu diversorum. Unde si motus cesset, sicut erit aliquod ultimum indivisibile in motu, ita et in tempore.

 11. Le mouvement du ciel sarrtera, le temps aussi, comme le montre l'autorit tire de l'Apocalypse (8, 6). Mais le dernier moment de tout le temps sera la fin du pass mais pas le commencement du futur, Car, que ce temps soit en mme temps la fin du pass et le commencement du futur, il la dans la mesure o il suit un mouvement circulaire continu, dont le signe indivisible est le commencement et la fin par rapport diffrents [temps]. C'est pourquoi si le mouvement cesse, il y aura une chose ultime indivisible dans le mouvement, et dans le temps aussi.

q. 5 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod motus caeli, ut dictum est, non est naturalis propter activam inclinationem formalis principii in corpore caelesti ad talem motum, sicut est in elementis ; unde non sequitur, si caelum quiescit, quod eius quies sit violenta.

 12. Le mouvement du ciel, comme on l'a dit, n'est pas naturel cause de linclination active d'un principe formel dans le corps cleste pour un tel mouvement, comme il lest dans les lments ; c'est pourquoi il n'en dcoule pas que si le ciel sarrte, son arrt soit violent.

q. 5 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod si motus caeli non esset propter aliquid aliud tunc oporteret attendere proportionem eius ad quietem sequentem, si non sempiternus poneretur ; sed quia est ordinatus ad alium finem ; eius proportio attenditur in ordine ad finem, et non in ordine ad quietem sequentem : ut intelligamus quod Deus ex nihilo universas creaturas in esse producens, primam universi perfectionem, quae consistit in partibus essentialibus universi, et diversis speciebus, per seipsum instituit. Ad ultimam vero perfectionem, quae erit ex consummatione ordinis beatorum, ordinavit diversos motus et operationes creaturarum : quosdam quidem naturales, sicut motum caeli et operationes elementorum, per quas materia praeparatur ad susceptionem animae rationalis ; quosdam vero voluntarios, sicut Angelorum ministeria, qui mittuntur propter eos qui haereditatem capiunt salutis. Unde hac consummatione habita, et immutabiliter permanente, quae ad eam ordinabuntur, in perpetuum cessabunt.

 13. Si le mouvement du ciel n'tait pas en vue de quelque chose d'autre, il lui faudrait alors atteindre sa limite l'arrt suivant, si on ne le pensait pas ternel, mais parce qu'il est ordonn une autre fin ; sa limite est atteinte par rapport sa fin et non par rapport larrt suivant ; pour que nous comprenions que Dieu a amen du nant lՐtre l'ensemble des cratures, en instituant lui-mme la premire perfection de l'univers qui consiste dans ses parties essentielles et en diverses espces. Pour l'ultime perfection, qui viendra de l'accomplissement de l'ordre des bienheureux, il a ordonn diffrents mouvements et oprations des cratures : certains naturels, comme le mouvement du ciel et les oprations des lments, par lesquelles la matire est prpare recevoir l'me raisonnable ; certains volontaires comme le ministre des anges, qui sont envoys pour ceux qui reoivent l'hritage du salut. C'est pourquoi, une fois cet accomplissement ralis et, en demeurant immuablement, ce qui lui sera ordonn cessera ternellement.

q. 5 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod obiectio illa procedit de actu secundo, qui est operatio manens in operante, quae est finis operantis, et per consequens excellentior quam forma operantis. Actus autem secundus, qui est actio tendens in aliquod factum, non est finis agentis, nec nobilior quam eius forma ; nisi ipsa facta sint nobiliora facientibus, sicut artificiata sunt nobiliora artificialibus instrumentis, ut eorum fines.

 14. Cette objection procde de l'acte second, qui est l'opration qui demeure dans celui qui opre, qui est sa fin, et par consquent meilleure que sa forme. Mais l'acte second, qui est une action qui tend un produit, n'est pas la fin de l'agent, et nest pas plus noble que sa forme, moins que ce qui est produit soit plus noble que ceux qui le produisent, comme les uvres artisanales sont plus nobles que les instruments de l'artisan, en tant que leurs fins.

q. 5 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod licet in circulari magnitudine non sit principium vel finis in actu, potest tamen designari principium vel finis in ea per inclinationem vel terminationem motus alicuius.

 15. Bien que dans une grandeur circulaire, il n'y ait ni commencement, ni fin en acte, on peut cependant y dsigner un commencement ou une fin par l'inclination ou la limite d'un mouvement.

q. 5 a. 5 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in mundi principio natura instituebatur : et ideo in his quae ad principium spectant, non oportet naturae proprietatem praetermittere ; in mundi autem fine naturae operatio consequitur finem a Deo sibi institutum : unde oportet ibi recurrere ad voluntatem Dei, quae talem finem instituit.

 16. Au commencement du monde, la nature tait institue, et c'est pourquoi dans ce qui regarde au principe, il ne faut pas oublier la proprit de la nature, mais la fin du monde, l'opration de la nature suit la fin institue pour elle par Dieu ; c'est pourquoi il faut ici recourir la volont de Dieu qui a dcid une telle fin.

q. 5 a. 5 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet caelo quiescente semper sit futurus sol ex una parte terrae non tamen ex alia parte terrae erunt omnino tenebrae et obscuritas, propter claritatem quae a Deo elementis tradetur. Unde habetur Apoc. XXI, 23, quod Civitas non eget sole neque luna nam claritas Dei illuminavit eam. Si tamen sit amplior claritas ex illa parte terrae quae fuit inhabitata a sanctis, nullum inconveniens sequitur.

 17. Mme si le ciel sarrte, il y aura toujours le soleil d'un ct de la terre, cependant de lautre, il ny aura pas tout fait les tnbres, ni l'obscurit, cause de la lumire accorde aux lments par Dieu. C'est pourquoi il est dit dans Apocalypse, 21, 23, que La cit n'aura pas besoin de soleil, ni de lune, car la lumire de Dieu l'clairera. Si cependant la lumire est plus forte de ce ct de la terre qui a t inhabite par les saints, il n'en dcoule aucun inconvnient.

q. 5 a. 5 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod quamvis caelum aequaliter se habeat ad quemlibet situm sibi possibilem, non tamen motus est propter acquisitionem situs, sed propter aliquid aliud : unde in quocumque situ remaneat, impleto eo ad quod erat, nihil differt.

 18. Quoique le ciel se comporte de la mme manire pour n'importe quel lieu possible pour lui, cependant le mouvement n'est pas pour acqurir un lieu, mais pour quelque chose d'autre : c'est pourquoi, en quelque lieu qu'il demeure, il ny a pas de diffrence une fois accomplie ce pourquoi il existait.

q. 5 a. 5 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod motus etsi sit actus mobilis, est tamen actus imperfectus. Unde per hoc quod motus aufertur, non potest concludi quod simpliciter perfectio auferatur, et praecipue si per motum mobili nihil acquiratur. Quod autem philosophus dicit, quod acquirit perfectam bonitatem per motum, loquitur secundum primam dictarum opinionum de fine motus caeli, qui competit ad sempiternitatem motus.

 19. Mme si le mouvement est un acte du mobile, il est cependant un acte imparfait. C'est pourquoi, du fait que le mouvement est enlev, on ne peut pas conclure que la perfection est absolument enleve, et principalement, si rien n'est acquis pour le mobile par le mouvement. Quand le philosophe dit qu'il acquiert la bont parfaite par le mouvement, il parle selon la premire des opinions rapportes propos de la fin du mouvement du ciel, qui appartient lՎternit du mouvement.

q. 5 a. 5 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod perfectio spiritualis naturae est ut possit esse causa aliorum sine suo motu ; quod caelum nunquam acquiret. Nec tamen propter hoc deteriorabitur, cum finis suus non sit in causando alia, ut dictum est.

 20. La perfection de la nature spirituelle est de pouvoir tre cause des autres sans son mouvement, ce que le ciel n'acquerra jamais. Et cependant il ne sera pas dtrior, cause de cela, puisque sa fin n'est pas de causer d'autres choses, comme on l'a dit.

q. 5 a. 5 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod motus caeli non quiescet propter aliquod contrarium, sed propter voluntatem moventis tantum.`

 21. Le mouvement du ciel ne cessera pas cause d'un contraire, mais par la volont du moteur seulement.

 

 

 

Article 6 L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrtera ?

q. 5 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum possit sciri ab homine quando motus caeli finiatur. Et videtur quod sic.

Et il semble que oui

 

Objections : [597]

q. 5 a. 6Arg. 1 Quia, secundum Augustinum in fine de Civit. Dei, sexta aetas currit ab adventu Christi usque ad finem mundi. Sed scitur quantum praecedentes aetates duraverunt. Ergo sciri potest quantum ista aetas durare debet per comparationem ad alias ; et ita potest sciri quando motus caeli finietur.

1. Parce que, selon Augustin, la fin de la Cit de Dieu, le sixime ge court de la venue du Christ jusqu' la fin du monde[598]. Mais on sait combien de temps ont dur les ges prcdents. Donc on peut savoir combien cet ge doit durer par comparaison aux autres et ainsi quand le mouvement du ciel s'arrtera.

q. 5 a. 6Arg. 2 Praeterea, finis uniuscuiusque rei respondet suo principio. Sed principium mundi scitum est per revelationem, ex qua Moyses dixit [Gen. I] : In principio creavit Deus caelum et terram. Ergo et finis mundi sciri potest per revelationem in Scripturis traditam.

2. La fin de chaque chose correspond son commencement, mais celui du monde est connu par la rvlation : Mose a dit (Gn 1, 1) : Au commencement Dieu cra le ciel et la terre. Donc la fin du monde peut tre connue par la rvlation rapporte dans les critures.

q. 5 a. 6Arg. 3 Praeterea, causa incertitudinis mundi ponitur esse, ut homo semper sit in sollecitudinem de suo statu. Sed ad hanc sollecitudinem habendam sufficit mortis incertitudo. Ergo non fuit necessarium, incertum esse defectum mundi ; nisi forte propter illos quorum temporibus finis mundi erit.

3. On pense que la cause de l'incertitude du monde est que l'homme soit toujours dans l'inquitude au sujet de sa situation. Mais pour avoir cette inquitude, l'incertitude de la mort suffit. Donc il n'a t pas ncessaire que la fin du monde soit incertaine sauf par hasard pour ceux qui vivront dans les temps o elle aura lieu.

q. 5 a. 6Arg. 4 Praeterea, dicitur aliquibus propria mors esse revelata, sicut patet de beato Martino. Dicit autem Augustinus in Epistola ad Orosium, quod talis unusquisque in iudicio comparebit, qualis fuit in morte : et sic eadem ratio est occultandi mortem et occultandi diem iudicii. Ergo et dies iudicii, qua ad omnes pertinet, debuit in Scriptura sacra, quae omnes instruit, revelatus fuisse.

4. On dit que leur propre mort a t rvle certains, comme on le voit pour le bienheureux Martin. Augustin dit dans La lettre Orose, que chacun comparatra au jugement tel qu'il a t dans sa mort, et ainsi c'est pour la mme raison que la mort et le jour du jugement sont cachs. Donc mme le jour du jugement, qui concerne tous les hommes, a d tre rvl dans la sainte criture qui les a tous instruits.

q. 5 a. 6Arg. 5 Praeterea, signum ordinatur ad aliquid cognoscendum. In Evangeliis autem ponuntur aliqua signa adventus domini, qui erit in fine mundi, ut patet Matth. XXIV, 24 sq. et Luc. XXI, 9 sq. et similiter ab apostolis, ut patet I ad Tim. IV, 1, sq. et II ad Tim. III, 2 sq., et II ad Thess. II, 3 sq. Ergo videtur quod possit sciri tempus adventus domini, et finis mundi.

5. Un signe est en vue de faire connatre quelque chose. Mais certains signes de la venue du Seigneur sont placs, dans les vangiles, qui aura lieu la fin du monde, comme on le voit en Mt. 24, 24 ss. et Lc 21, 9 ss. et de mme par l'Aptre en 1 Tm 4, 1 ss., 2 Tm 3, 2 ss. et 2 Thess.2, 3. Donc il semble que le temps de la venue du Seigneur et la fin du monde puissent tre connus.

q. 5 a. 6Arg. 6 Praeterea, nullus hic reprehenditur vel punitur pro eo quod non est in sua potestate. Sed aliqui reprehenduntur in Scriptura et puniuntur pro eo quod tempora non cognoscunt ; unde dominus, Matth. XVI, 4, ad Pharisaeos : Faciem caeli diiudicare nostis, signum autem istud non potestis scire ? Et Lucae XIX, 44 : Non relinquent in te lapidem super lapidem, eo quod non cognoveris tempus visitationis tuae ; et Ierem. VIII, 7 : Milvus in caelo cognovit tempus suum ; turtur et hirundo et ciconia custodierunt tempus adventus sui ; populus autem meus non cognovit iudicium domini. Ergo possibile est sciri diem iudicii, vel tempus finis mundi.

6. Personne ici n'est rprimand ou puni pour ce qui n'est pas en son pouvoir. Mais certains sont rprimands dans l'criture et punis parce qu'ils ne connaissent pas "les temps". C'est pourquoi le Seigneur (Mt. 16, 4) dit aux Pharisiens : Vous savez juger l'tat du ciel, mais ce signe, ne pouvez-vous pas le connatre ? et Lc 19, 44 : Ils ne laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps o tu fus visit. et Jr. 8, 7 : Le milan dans le ciel a connu son temps, la tourterelle, l'hirondelle et la cigogne ont conserv mmoire du temps de leur arrive, mais mon peuple n'a pas connu le jugement de Dieu. Donc il est possible de connatre le jour du jugement, ou le temps de la fin du monde.

q. 5 a. 6Arg. 7 Praeterea, in secundo adventu, Christus magis manifeste veniet quam in primo ; tunc enim videbit eum omnis populus, et qui eum pupugerunt, ut habetur Apoc. I, 7. Sed primus adventus praenuntiatus fuit in Scriptura futurus etiam quantum ad determinatum tempus, ut patet Dan. IX, 24-27. Ergo videtur quod et secundus adventus debuerit in Scripturis praenuntiari quantum ad certum tempus.

7. A sa seconde venue, le Christ viendra plus ouvertement qu' sa premire : car tout le peuple le verra, mme ceux qui l'ont frapp, comme il est dit (Apoc. 1, 7[599]). Mais le premire venue fut annonce dans l'criture, comme devant arriver un moment dtermin, comme on le lit en Dan. 9, 24-27. Donc il semble que la seconde venue a d tre annonce dans les critures pour le temps fix.

q. 5 a. 6Arg. 8 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia in se maioris mundi similitudinem gerit. Sed finis vitae humanae potest praesciri determinate. Ergo et finis mundi potest praesciri.

8. L'homme est appel un microcosme, parce qu'il porte en lui la ressemblance d'un monde plus grand. Mais la fin de la vie humaine peut tre connue l'avance de manire prcise. Donc la fin du monde aussi.

q. 5 a. 6Arg. 9 Praeterea, magnum et parvum, diuturnum et breve, relative dicuntur de uno per comparationem ad aliud. Sed tempus illud quod est ab adventu Christi usque ad finem mundi, dicitur esse breve, ut patet I Corinth. VII, 29 : Tempus breve est ; et eiusdem X, 11 : [nos sumus] in quos fines saeculorum devenerunt ; et I Ioan. II, 18 : novissima hora est. Ergo hoc dicitur per comparationem ad tempus praecedens. Ergo saltem hoc videtur sciri posse, quod multo brevius est tempus ab adventu Christi usque ad finem mundi quam a principio mundi usque ad Christum.

9. On parle du grand et du petit, du long et du bref, relativement en comparaison de l'un avec l'autre. Mais le temps, qui existe depuis la venue du Christ jusqu' la fin du monde, est qualifi de bref, comme on le voit en I Co 7, 29 : Le temps est bref ; et du mme (10, 11) (Nous sommes la fin des sicles[600] et I Jn, 2, 18 : C'est la dernire heure. Donc cela est dit par comparaison au temps prcdant. Donc du moins cela parat pouvoir tre connu, parce que le temps est beaucoup plus bref depuis la venue du Christ jusqu' la fin du monde que depuis son commencement jusqu'au Christ.

q. 5 a. 6Arg. 10 Praeterea, Augustinus dicit in libro de Civitate Dei [lib. XX, cap. XVI], quod ignis ille qui exuret faciem terrae in fine mundi, erit ex conflagratione omnium ignium mundanorum. Sed potest sciri a considerantibus motum caeli, usque ad quantum tempus ipsa corpora caelestia, quae sunt nata generare calorem in istis inferioribus, erunt in situ efficacissimo ad hoc implendum ; ut sic per concursum actionis caelestium corporum et inferiorum ignium, universalis illa conflagratio fiat. Ergo potest sciri quando erit finis mundi.

10. Augustin dit (La cit de Dieu, XX, 16) que ce feu qui brlera la face de la terre la fin monde, viendra de la conflagration de tous les feux de lunivers. Mais ceux qui considrent le mouvement du ciel peuvent savoir jusqu' quel temps les corps clestes eux-mmes, qui sont destins engendrer la chaleur dans les choses infrieures seront dans le lieu le plus efficace pour l'accomplir, pour qu'avec de l'action des corps clestes et des feux infrieurs, cette conflagration universelle se fasse. Donc on peut savoir quand aura lieu la fin du monde.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Matth. cap. XXIV, 36 : De die illa et hora nemo scit, neque Angeli caelorum.

1. Il est dit Mt. 24, 36 :Personne ne connat ce jour et cette heure, les anges des cieux non plus.

q. 5 a. 6 s. c. 2 Praeterea, si aliquid deberet aliquibus hominibus revelari, praecipue revelatum fuisset quaerentibus apostolis, qui doctores totius mundi instituebantur. Eis autem de finali adventu domini quaerentibus responsum est, Act. I, 7 : Non est vestrum nosse tempora vel momenta, quae pater posuit in sua potestate. Ergo multo minus est aliis revelatum.

2. Si une chose devait tre rvle des hommes, elle aurait t rvle surtout aux aptres qui le demandaient, eux qui taient tablis docteurs du monde entier. Mais ceux qui s'enqueraient de la dernire venue du Seigneur, il a t rpondu : (Act. I, 7) Ce n'est pas vous de connatre ni le temps ni le moment, que Dieu a dcids dans sa puissance. Donc cela a encore beaucoup moins t rvl aux autres.

q. 5 a. 6 s. c. 3 Praeterea, credere veritati et revelationi acceptae in Scriptura non prohibemur. Sed apostolus, II ad Thess. II, 2, prohibet credere quocumque modo annuntiantibus, quasi instet dominus. Ergo illi qui nituntur tempus diei domini denuntiare, sunt tamquam seductores cavendi. Nam et ibidem subditur : Nemo vos seducat ullo modo.

3. Nous ne sommes pas empchs de croire la vrit et la rvlation reue de l'criture. Mais l'Aptre (Thess. 2, 2) interdit de croire ceux qui lannoncent de quelque manire, comme si le Seigneur tait l. Donc ceux qui s'efforcent d'annoncer le temps du jour du Seigneur, sont comme des sducteurs viter. Car l mme il est ajout : Que personne ne vous sduise en aucune manire.

q. 5 a. 6 s. c. 4 Praeterea, Augustinus dicit in epistola ad Hesychium [epist ; 80] : Quaero utrum sic saltem possit definiri tempus adventus, ut eum adventurum esse dicamus intra istos, verbi gratia, vel centum annos, vel quodlibet seu maioris numeri, seu minoris annorum. Hoc autem omnino ignorantes sumus. Ergo non potest sciri quocumque numero annorum dato, vel decem millium, vel viginti millium, vel duorum, vel trium, utrum infra illud tempus finis mundi futurus sit.

4. Augustin dit dans la lettre Hsichius (lettre 80) : Je cherche si du moins on peut dfinir le temps de la venue, de manire dire qu'il viendra, parmi ces nombres : par exemple dans cent ans, ou dans un nombre plus ou moins grand d'annes. Mais nous en sommes totalement ignorants. Donc on ne peut savoir dans quel nombre d'annes donnes, ou dix mille, vingt mille, deux ou trois, ou moins, la fin du monde aura lieu.

 

Rponse :

q. 5 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod tempus determinatum finis mundi omnino nescitur, nisi a solo Deo et ab homine Christo. Cuius ratio est, quia duplex est modus quo possumus praescire futura : scilicet, per cognitionem naturalem, et per revelationem.

Le temps de la fin du monde est tout fait inconnu, sinon de Dieu seul, et d'un homme, le Christ. La raison en est que la manire de connatre lavance le futur est double ; savoir par la connaissance naturelle, et par la rvlation.

Naturali quidem cognitione aliqua futura praenoscimus per causas quas praesentes videmus, ex quibus futuros expectamus effectus : vel per certitudinem scientiae, si sint causae quas de necessitate sequitur effectus, vel per coniecturam, si sint causae ad quas sequitur effectus ut in pluribus, sicut astrologus praescit eclypsim futuram, et medicus mortem futuram. Hoc autem modo non potest praecognosci tempus determinate finis mundi, quia causa motus caeli et cessationis eius non est alia quam divina voluntas, ut prius ostensum est ; quam quidem causam naturaliter cognoscere non possumus. Alia vero quorum causa est motus caeli vel quaecumque alia causa sensibilis, possunt naturali cognitione praecognosci, sicut particularis destructio alicuius partis terrae, quae prius fuit habitabilis, et postea fit inhabitabilis.

1) Par la connaissance naturelle, nous connaissons lavance des vnements futurs par les causes que nous voyons devant nous, dont nous attendons des effets futurs : ou par la certitude de la science, si ce sont des causes dont leffet dcoule ncessairement, ou par la conjecture, si ce sont des causes dont l'effet dcoule gnralement, de mme que l'astrologue connat lavance une clipse future, et le mdecin une mort future. Mais de cette manire, on ne peut pas connatre l'avance de manire prcise le temps de la fin du monde, parce que la cause du mouvement du ciel et de sa cessation n'est autre que la volont divine, comme on l'a montr plus haut. Cette cause, nous ne pouvons pas la connatre de faon naturelle. D'autres (vnements) dont la cause est le mouvement du ciel ou quelque autre cause accessible, peuvent tre connues l'avance d'une connaissance naturelle, comme la destruction particulire d'une partie de la terre, qui d'abord a t habite, et ensuite inhabite.

Per revelationem vero licet sciri possit, si Deus vellet revelare, non tamen congruum esset quod revelaretur nisi homini Christo. Et hoc propter tres rationes.

2) Mais, bien qu'on puisse le savoir par la rvlation, si Dieu voulait le rvler, ce ne serait pas cependant convenable que ce soit rvl sinon au Christ homme. Et cela pour trois raisons :

Primo quidem, quia finis mundi non erit nisi completo numero electorum ; cuius completio est quasi quaedam executio totius divinae praedestinationis ; unde non competit revelationem fieri de fine mundi nisi ei cui fit revelatio de tota praedestinatione divina, scilicet homini Christo, per quem tota divina praedestinatio humani generis quodammodo adimpletur. Unde dicitur Ioan. V, 20 : Pater diligit filium, et omnia demonstrat ei quae ipse facit.

a) Parce que la fin du monde n'existera que lorsque le nombre des lus sera complet ; sa plnitude est comme l'excution de toute la prdestination divine ; c'est pourquoi il convient que la rvlation ne soit faite sur la fin du monde qu' celui qui en est faite toute la rvlation, savoir le Christ homme[601], par lequel toute la prdestination divine du genre humain est accomplie d'une certaine manire. C'est pourquoi il est dit en Jn 5, 20 : La Pre aime le fils, et il lui montre tout ce qu'il fait.

Secundo, quia per hoc quod ignoratur quamdiu iste status mundi durare debeat, utrum ad modicum vel ad magnum tempus, habentur res huius mundi quasi statim transiturae ; unde dicitur I Cor. VII, 31 : qui utuntur hoc mundo, sint tamquam non utantur ; praeterit enim figura huius mundi.

b) Parce que du fait qu'on ignore combien de temps cet tat du monde doit durer, un peu ou beaucoup, les choses de ce monde se comportent comme devant passer sur le champ pour ainsi dire ; c'est pourquoi il est dit en I Co. 7, 31 : Que ceux qui se servent de ce monde soient comme ne s'en servant pas ; car elle passe la figure de ce monde.

Tertio, ut homines semper sint parati ad Dei iudicium expectandum, dum omnino determinatum tempus nescitur ; unde dicitur Matth. XXIV, 42 : Vigilate, quia nescitis qua hora dominus vester venturus sit. Et ideo, ut dicit Augustinus [in epistola LXXX as Hesychium], ille qui dicit se ignorare quando dominus sit venturus, utrum ad breve tempus vel ad magnum evangelicae sententiae concordat. Inter duos autem qui scire se dicunt, periculosius errat qui dicit in proxime Christum venturum, vel finem mundi instare, quia haec potest esse occasio ut omnino desperaretur esse futurum, si tunc non erit quando futurum esse praedicitur.

c) Pour que les hommes soient toujours prts attendre le jugement de Dieu, pendant que le temps fix est tout fait inconnu ; c'est pourquoi, il est dit en Mt. 24, 42 : Veillez, parce que vous ne connaissez pas l'heure laquelle votre Seigneur doit venir. Et c'est ainsi, comme le dit Augustin (Lettre 80, Hsychius) celui qui dit qu'il ignore quand le Seigneur doit venir, dans un temps bref ou long, est en accord avec les textes vangliques. Parmi deux personnes qui se disent savoir, il se trompe de faon plus dangereuse celui qui dit que le Christ doit venir prochainement, ou que la fin du monde est toute proche, parce que cela peut tre l'occasion de dsesprer tout fait[602], si l'vnement n'arrive pas alors que son arrive est annonce.

 

Solutions :

q. 5 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit Augustinus [in lib. LXXXIII Questionum], ultima aetas mundi comparatur ultimae aetati hominis, quae determinato numero annorum non definitur, sicut aliae aetates definiuntur ; sed quandoque tantum durat quantum omnes aliae, vel etiam amplius ; unde et ista aetas ultima mundi non potest determinato annorum vel generationum numero definiri.

 1. Comme le dit Augustin, (Les 83 questions, question 58), le dernier ge du monde est compar au dernier ge[603] de l'homme, qui n'est pas dfini par un nombre fixe d'annes, comme les autres ges, mais quelquefois il dure autant que tous les autres, et mme plus, c'est pourquoi ce dernier ge du monde ne peut tre dfini par un nombre fixe d'annes ou de gnrations.

q. 5 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod revelatio principii mundi utilis erat ad manifestandum Deum esse omnium causam ; sed sciri tempus determinatum finis mundi, ad nihil esset utile, sed magis nocivum ; et ideo non est simile.

 2. La rvlation du commencement du monde tait utile pour manifester que Dieu est la cause de tout ; mais connatre le temps fix pour la fin du monde n'est utile en rien, mais plutt nocif, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 5 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homo naturaliter non solum de se ipso sollicitatur, sed etiam de statu communitatis cuius est pars, sicut vel domus vel civitatis, aut etiam totius orbis ; et ideo utrumque fuit necessarium ad hominis cautelam occultari, et finem propriae vitae, et finem totius mundi.

 3. L'homme naturellement est inquiet de lui mme, mais aussi au sujet de la situation de la communaut laquelle il appartient, ainsi sa famille ou sa cit, ou mme le monde entier, et c'est pourquoi il a t ncessaire pour la dfense de lhomme que soit cache la fin de sa propre vie, et la fin du monde entier.

q. 5 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod revelatio finis vitae propriae, est quaedam particularis revelatio ; revelatio vero finis totius mundi dependet ex revelatione totius divinae praedestinationis ; et ideo non est simile.

 4. La rvlation de la propre fin de la vie est une rvlation particulire ; mais celle du monde entier dpend de la rvlation de toute la prdestination divine et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 5 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa signa posita sunt ad manifestandum quod quandoque mundus finietur ; non autem ad manifestandum determinatum tempus quando finietur, ponuntur enim inter illa signa, aliqua quae quasi a mundi exordio fuerunt, sicut quod surget gens contra gentem, et quod terraemotus erit per loca ; sed instante mundi fine haec abundantius evenient. Quae autem sit ista mensura horum signorum quae circa finem mundi erit, manifestum nobis esse non potest.

 5. Ces signes sont placs pour manifester qu'un jour le monde finira ; mais non pour rvler le temps prcis, o il finira ; en effet parmi ces signes, certains ont t mis l depuis le commencement du monde : ainsi les nations s'opposeront entre elles et des tremblements de terre auront lieu ; mais quand la fin du monde arrivera, ces vnements se produiront avec plus dabondance. Mais le sens de ces signes qui arrivera autour de la fin du monde, ne peut tre connu par nous.

q. 5 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa reprehensio domini pertinet ad eos qui determinatum tempus primi adventus non cognoverunt ; non autem ad eos qui ignorant tempus determinatum secundi adventus.

 6. Ce reproche du Seigneur convient ceux qui n'ont pas connu le temps fix pour sa premire venue ; mais non ceux qui ignorent le temps fix pour la seconde venue.

q. 5 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod primus adventus Christi nobis viam ad merendum parabat per fidem et alias virtutes ; et ideo ex parte nostra requirebatur primi adventus notitia, ut credendo in eum qui venerat, per eius gratiam mereri possemus. In secundo autem adventu praemia redduntur pro meritis ; et sic ex parte nostra non requiretur quid agamus aut quid cognoscamus, sed quid recipiamus ; unde non oportet praecognoscere determinate tempus illius adventus. Dicitur autem ille adventus manifestus : non quia manifeste praecognoscatur, sed quia manifestus erit cum fuerit praesens.

 7. La premire venue du Christ prparait le chemin pour mriter par la foi et les autres vertus ; et c'est pourquoi la connaissance de la premire venue tait requise de notre part pour quen croyant en celui qui tait venu, nous puissions mriter par sa grce. Dans la seconde venue les rcompenses sont rendues pour les mrites, et ainsi il ne nous est pas demand ce que nous ferons et ce que nous connatrons, mais ce que nous recevrons ; c'est pourquoi il ne faut pas connatre l'avance de manire prcise le temps de cette venue. Mais on dit qu'elle est vidente, non parce qu'elle est manifestement connue l'avance, mais parce quelle sera vidente quand elle sera l.

q. 5 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod corporalis hominis vita ex aliquibus prioribus et corporalibus causis dependet, ex quibus circa finem eius aliquid prognosticari potest ; non autem ita est de toto mundo ; et ideo quantum ad hoc non est simile, licet in aliquibus homo, qui dicitur minor mundus, similitudinem maioris mundi obtineat.

 8. La vie corporelle de l'homme dpend de quelques causes suprieures et corporelles, par lesquelles il peut faire des pronostics propos de sa fin ; mais il n'en est pas ainsi du monde entier, c'est pourquoi ce n'est pas pareil, bien que, chez certains, l'homme qui est appel un microcosme, obtienne la ressemblance du macrocosme.

q. 5 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod verba illa quae videntur in Scripturis ad brevitatem temporis pertinere, vel etiam ad finis propinquitatem, non tam sunt ad quantitatem temporis referenda quam ad status mundi dispositionem. Non enim legi evangelicae alius status succedit, quae ad perfectum adduxit ; sicut ipsa successit legi veteri, et lex vetus legi naturae.

 9. Ces paroles qui paraissent dans les critures concerner la brivet du temps, ou mme l'approche de la fin, ne sont pas tant pour tre rapporte la quantit du temps, que pour la disposition de la situation du monde. Car une autre situation ne succdera pas la loi vanglique, qui a men la perfection ; comme elle-mme a succd la loi ancienne, et la loi ancienne la loi de nature.

q. 5 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod illa conflagratio ignium mundanorum non creditur esse futura ex aliqua naturali causa, ut sic per considerationem caelestis motus, eius tempus possit praesciri ; sed proveniet ex imperio divinae voluntatis.

 10. On ne croit pas que cette conflagration des feux de lunivers arrivera par une cause naturelle, de sorte qu'ainsi par la considration du mouvement cleste, son temps pourrait tre connu l'avance ; mais elle proviendra du pouvoir de la volont divine.

 

 

 

Article 7 Quand cessera le mouvement du ciel, les lments demeureront-ils ?

q. 5 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum cessante motu caeli, elementa remaneant. Et videtur quod non.

Il semble que non

 

Objections :[604]

q. 5 a. 7Arg. 1 Dicitur enim II Petri, cap. III, 7, quod in fine mundi elementa calore solventur. Quod autem dissolvitur, non manet. Ergo elementa non manebunt.

1. Car il est dit (2 P. 3, 7) qu' la fin du monde, les lments seront dtruits par la chaleur. Ce qui est dtruit, ne demeure pas. Donc les lments ne demeureront pas.

q. 5 a. 7Arg. 2 Sed dicebat, quod manebunt secundum substantiam ; sed non manebunt secundum qualitates activas et passivas.- Sed contra, manente causa, remanet effectus. Sed principia essentialia sunt causa propriorum accidentium. Cum ergo qualitates activae et passivae sint propria elementorum accidentia, videtur quod principiis essentialibus manentibus, sine quibus substantia esse non potest, etiam qualitates activae maneant.

2. Mais on pourrait dire qu'ils demeureront selon leur substance, mais non selon les puissances actives et passives. En sens contraire, si la cause demeure, l'effet demeure aussi. Mais les principes essentiels sont les causes des accidents les plus spcifiques. Donc comme les puissances actives et passives sont les accidents propres des lments, il semble que, si les principes essentiels demeurent, sans lesquels la substance ne peut pas exister, les puissances actives demeurent aussi.

q. 5 a. 7Arg. 3 Praeterea, accidens inseparabile nunquam actu a subiecto separatur. Sed calidum est accidens inseparabile ignis. Ergo non potest ignis remanere quin in eo calor remaneat ; et eadem ratione de aliis elementis.

3. L'accident insparable n'est jamais spar en acte de son substrat. Mais le chaud est un accident insparable du feu. Donc le feu ne peut demeurer que si la chaleur demeure en lui ; et c'est la mme raison pour les autres lments.

q. 5 a. 7Arg. 4 Sed dicebat, quod divina virtute hoc fiet, quod elementa sine qualitatibus activis et passivis remanebunt, licet hoc per naturam esse non possit.- Sed contra, sicut in mundi principio fuit naturae institutio, ita in mundi fine erit naturae consummatio. Sed in principio mundi, ut Augustinus dicit [II super Gen. ad litteram], non sufficit dicere quid Deus possit facere, sed quid habeat rerum natura. Ergo et hoc etiam in fine mundi attendendum est.

4. Mais on pourrait dire que cest par le pouvoir divin que les lments demeureront sans les puissances actives et passives, bien que cela ne puisse exister par la nature. En sens contraire, de mme qu'au commencement du monde il y eut l'institution de la nature, de mme sa fin il y aura sa consommation. Mais au commencement du monde, comme le dit Augustin (La Gense au sens littral, II), il ne suffit pas de dire ce que Dieu pourrait faire, mais ce que possderait la nature. Donc cela aussi doit tre atteint la fin du monde.

q. 5 a. 7Arg. 5 Praeterea, qualitates activae et passivae sunt in omnibus elementis. Dicit autem Glossa [ordinaria] Bedae super auctoritate Petri, superius inducta, quod ignis ille qui erit in fine mundi, duo elementa ex toto assumet, duo autem alia in meliorem speciem commutabit. Non ergo potest intelligi elementorum solutio quantum ad qualitates activas et passivas, quia sic non tantum duo dicerentur assumenda.

5. Les puissances actives et passives sont dans tous les lments. La glose (ordinaire) de Bde, en s'appuyant sur l'autorit de Pierre rapporte plus haut (obj. 1), dit que ce feu qui existera la fin du monde emploiera deux des lments et changera les deux autres en une espce meilleure. Donc on ne peut pas comprendre la dissolution des lments quant aux puissances actives et passives, parce qu'on ne dirait pas ainsi que ce sont seulement deux (lments) qui doivent tre employs.

q. 5 a. 7Arg. 6 Sed dicebat, quod in duobus elementis, scilicet igne et aqua, praecipue vigent qualitates activae, sicut calidum et frigidum ; et ideo haec duo prae aliis assumenda dicuntur.- Sed contra, in fine mundi elementa meliorabuntur. Sed, secundum Augustinum [lib. XII super gen. ad litteram, cap. XVI], agens honorabilius est patiente. Ergo magis deberent remanere elementa in quibus vigent qualitates activae quam in quibus vigent qualitates passivae.

6. Mais on pourrait dire que dans deux lments, savoir le feu et l'eau, les qualits actives sont trs importantes, comme le chaud et le froid, et c'est pourquoi ces deux-l, dit-on, doivent tre employs avant les autres. En sens contraire, la fin du monde, les lments seront amliors. Mais selon Augustin (La Gense au sens littral XII, 16[605]), l'agent est plus honorable que le patient. Donc les lments en lesquels dominent les puissances actives devraient demeurer plus que ceux dans lesquelles dominent les puissances passives.

q. 5 a. 7Arg. 7 Praeterea, Augustinus dicit, quod ad patiendum humor et humus, ad faciendum aer et ignis aptitudinem praebent. Ergo si propter virtutem activam aliqua elementa assumenda dicuntur, videtur quod hoc non debeat intelligi de igne et aqua, sed magis de igne et aere.

7. Augustin (Sur le Gense, III, 10) dit que le liquide et la terre ont une aptitude supporter, l'air et le feu une aptitude agir. Donc, si cause d'un pouvoir actif, on dit que quelques lments doivent tre choisis, il semble qu'on ne doit pas le comprendre du feu et de l'eau, mais plus du feu et de l'air.

q. 5 a. 7Arg. 8 Praeterea, sicut naturales qualitates elementorum sunt calidum et frigidum, humidum et siccum, ita grave et leve. Si ergo qualitates illae non remanent in elementis, nec gravitas et levitas remanebit in eis. Per naturam autem gravitatis et levitatis, elementa loca sua naturalia sortiuntur. Si ergo qualitates elementorum non remanent post finem mundi, non remanebit in eis situs distinctus, ut terra sit deorsum, et ignis sursum.

8. Les puissances naturelles des lments sont le chaud et le froid, l'humide et le sec, et le lourd et le lger aussi. Si donc ces puissances ne demeurent pas dans les lments, ni la lourdeur, ni la lgret ne demeureront en eux, Mais par leur gravit, et leur lgret, les lments s'tablissent d'eux-mmes dans leurs sites naturels. Si donc les puissances des lments ne demeurent pas aprs la fin du monde, il ne leur restera pas de site distinct, pour la terre soit en bas et le feu en haut.

q. 5 a. 7Arg. 9 Praeterea, elementa facta sunt propter hominem, in beatitudinem tendentem. Sed habito fine, cessant ea quae ad finem sunt. Ergo homine totaliter iam in beatitudine collocato (quod erit in fine mundi), elementa cessabunt.

9. Les lments ont t faits pour l'homme qui tend la batitude. Mais quand il possde sa fin, ce qui est en vue de la fin cesse. Donc une fois l'homme tabli totalement dans la batitude (ce qui arrivera la fin du monde) les lments cesseront.

q. 5 a. 7Arg. 10 Praeterea, materia est propter formam, quam per generationem acquirit. Elementa autem comparantur ad omnia alia corpora mixta sicut materia. Ergo cum generatio mixtorum post finem mundi cesset, videtur quod elementa non maneant.

10. La matire est en vue de la forme qu'elle acquiert par gnration. Mais les lments sont compars tous les autres corps mixtes comme la matire. Donc comme la gnration des mixtes cessera aprs la fin du monde, il semble que les lments ne demeureront pas.

q. 5 a. 7Arg. 11 Praeterea, Luc. XXI, 33, super illud : caelum et terra transibunt, dicit Glossa : deposita priori forma. Cum ergo esse sit a forma, videtur quod elementa in fine mundi esse desinant.

11. A propos de cette parole de Luc (21, 33) : Le ciel et la terre passeront, la glose (interlinaire) dit : Aprs avoir abandonn leur premire forme.. Donc comme l'tre vient de la forme, il semble que les lments cesseront d'exister la fin du monde.

q. 5 a. 7Arg. 12 Praeterea, secundum philosophum [in X Metaph., com. 26] corruptibile et incorruptibile non sunt unius generis ; et eadem ratione mutabile et immutabile. Si ergo aliquid de mutabilitate in immutabilitatem mutetur, videtur quod in genere suae naturae non remaneat. Elementa autem mutabuntur de mutabilitate in immutabilitatem, ut patet per Glossam quae super illud Matth. cap. V, 18 : Donec transeat caelum et terra, etc., dicit : Donec transeat a mutabilitate ad immutabilitatem. Ergo ista natura elementorum non remanebit.

12. Selon le philosophe (Mtaphysique, X, 10, 1058 b 27[606]), le corruptible et l'incorruptible nappartiennent pas un mme genre. et pour la mme raison, le muable et l'immuable. Si, donc, quelque chose passe de la mutabilit l'immutabilit, il semble quil ne demeure pas dans son genre naturel. Mais les lments seront changs de mutabilit en immutabilit, comme cela parat dans la glose (interlinaire) sur cette parole de Mt 5, 18 : Jusqu' ce que passent le ciel et la terre, etc, elle dit : Jusqu' ce qu'il passe de la mutabilit l'immutabilit. Donc cette nature des lments ne demeurera pas.

q. 5 a. 7Arg. 13 Praeterea, haec dispositio, quam modo habent elementa, est naturalis. Si ergo ista remota aliam accipient, illa erit eis innaturalis. Sed quod est innaturale et violentum, non potest esse perpetuum, ut patet per philosophum in Lib. Caeli et mundi [lib. II, com. 15 et lib. III com. 18] Ergo illa dispositio non posset in perpetuum remanere in elementis ; sed iterum ad hanc dispositionem reverterentur : quod videtur esse inconveniens. Ergo ipsa elementa secundum substantiam cessabunt, non autem eorum dispositio, substantia manente.

13. Cette disposition qu'ont maintenant les lments, est naturelle. Si donc, celle-ci une fois retire, ils en reoivent une autre, elle ne leur sera pas naturelle. Mais ce qui est contre nature, et violent, ne peut pas durer toujours, comme on le voit chez le philosophe, dans Le Ciel et le monde, (II, 1, 248 a 27 et 3, 285 b 17[607]). Donc cette disposition ne pourrait pas demeurer ternellement dans les lments ; mais en plus ils y retournerait ; ce qui ne parat pas convenir. Donc les lments eux-mmes cesseront selon la substance, mais pas leur disposition, si la substance demeure.

q. 5 a. 7Arg. 14 Praeterea, illud solum potest esse incorruptibile et ingenerabile quod totam materiam suam sub forma habet ad quam est in potentia, sicut patet de corporibus caelestibus. Hoc autem elementis non competit : quia materia quae est sub forma unius elementi, est in potentia ad formam alterius. Ergo elementa non possunt esse incorruptibilia, et ita non possunt in perpetuum manere.

14. Seul ne peut pas tre corruptible et engendr ce qui a toute sa matire sous la forme laquelle il est en puissance, comme c'est le cas pour les corps clestes. Mais cela ne convient pas aux lments ; parce que la matire qui est sous la forme d'un des lments, est en puissance pour la forme d'un autre. Donc les lments ne peuvent pas tre incorruptibles, et ainsi ils ne peuvent demeurer toujours.

q. 5 a. 7Arg. 15 Praeterea, illud quod non habet virtutem ut sit semper, non potest in perpetuum manere. Sed elementa, cum sint corruptibilia, non habent virtutem ut sint semper. Ergo non possunt in perpetuum remanere, motu caeli cessante.

15. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas demeurer toujours. Mais comme les lments sont corruptibles, ils n'ont pas le pouvoir d'exister toujours. Donc ils ne peuvent demeurer toujours, quand le mouvement du ciel cessera.

q. 5 a. 7Arg. 16 Sed dicebat, quod elementa sunt incorruptibilia secundum totum, licet sint corruptibilia secundum partem.- Sed contra, hoc competit elementis per motum caeli, in quantum una pars elementi corrumpitur, et alia generatur ; sic enim ipsius elementi totalitas conservatur. Motu ergo caeli cessante, non poterit assignari causa incorruptionis in toto elemento.

16. Mais on pourrait dire que les lments sont incorruptibles en totalit, bien qu'ils soient corruptibles en partie. En sens contraire, cela convient aux lments par le mouvement du ciel dans la mesure o une partie de l'lment est corrompue et lautre engendre ; car ainsi la totalit de l'lment mme est conserve. Donc quand cessera le mouvement du ciel, on ne pourra pas attribuer la cause de son incorruption l'lment entier.

q. 5 a. 7Arg. 17 Praeterea, philosophus [in VIII Phys., com. 1] dicit quod motus caeli est ut vita quaedam natura existentibus omnibus ; et Rabbi Moyses dicit, quod motus caeli in universo est sicut motus cordis in animali, a quo dependet vita totius animalis. Cessante autem motu cordis, omnes partes animalis dissolvuntur. Ergo cessante motu caeli omnes partes universi peribunt ; et ita elementa non remanebunt.

17. Le philosophe dit (Physique, VIII,1, 250 b 14) que le mouvement du ciel est comme une vie qui existe en tous par nature ; et Rabbi Moyses dit que le mouvement du ciel dans l'univers est comme le mouvement du cur dans l'animal dont dpend la vie de tout l'animal. Mais quand cesse le mouvement du cur, toutes ses parties se dissolvent Donc quand cessera le mouvement du ciel, toutes les parties de l'univers priront, et ainsi les lments ne demeureront pas.

q. 5 a. 7Arg. 18 Praeterea, esse cuiuslibet est a sua forma. Sed motus caeli est causa formarum in istis inferioribus : quod patet ex hoc quod nihil in inferioribus agit ad speciem nisi ex virtute motus caeli, ut philosophi dicunt ; ergo cessante motu caeli, elementa esse desinent formis eorum destructis.

18. Tout tre existe par sa forme. Mais le mouvement du ciel est la cause des formes dans les (tres) infrieurs, ce qui parat du fait que rien en eux n'agit pour l'espce sinon par le pouvoir du mouvement du ciel, comme le disent les philosophes, donc quand cessera le mouvement du ciel, les lments disparatront, une fois leurs formes dtruites.

q. 5 a. 7Arg. 19 Praeterea, apud praesentiam solis elementa superiora vincunt semper inferiora, sicut accidit in aestate propter caloris fortificationem ; sed apud solis absentiam e converso. Motu autem caeli cessante, sol semper ex una parte praesens erit, et ex alia parte absens. Ergo ex una parte totaliter destruentur elementa frigida, et ex alia elementa calida, et sic elementa non remanebunt motu caeli cessante.

19. En prsence du soleil, les lments suprieurs gagneront toujours les infrieurs, comme cela arrive en t cause de l'intensification de la chaleur, mais en l'absence du soleil, cest l'inverse. Mais quand cessera le mouvement du ciel, le soleil sera toujours prsent d'un ct, et absent de lautre. Donc d'un ct les lments froids seront totalement dtruits et de l'autre les lments chauds, et ainsi les lments ne demeureront pas quand cessera le mouvement du ciel.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Est quod ad Rom. VIII, 20 super illud : Vanitati creatura etc. dicit Glossa Ambrosii [Ambrosiastri] : Omnia elementa, sua cum labore explent officia : unde quiescent nobis assumptis. Quiescere autem non est nisi existentis. Ergo elementa in fine mundi remanebunt.

1. A propos de Rm 8, 20 sur cette parole : Crature assujettie la vanit, la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) dit : Tous les lments remplissent leurs devoirs avec ardeur : c'est pourquoi ils s'arrteront quand nous serons enlevs. S'arrter nest possible que pour ce qui existe. Donc les lments demeureront la fin du monde.

q. 5 a. 7 s. c. 2 Praeterea, elementa facta sunt ad divinam bonitatem manifestandam. Sed tunc maxime oportebit divinam bonitatem manifestari, quando res ultimam consummationem accipient. Ergo in fine mundi elementa remanebunt.

2. Les lments ont t faits pour manifester la bont de Dieu. Mais alors il faudra que sa bont se manifeste, quand les choses recevront l'ultime consommation. Donc la fin du monde, les lments demeureront.

 

Rponse :

q. 5 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod apud omnes communiter dicitur, quod elementa quodammodo manebunt et quodammodo transibunt. Sed in modo manendi et transeundi est diversa opinio.

Tout le monde dit communment que les lments demeureront d'une certaine manire, et passeront d'une autre. Mais les opinions sont diverses sur la manire de demeurer ou de passer.

A. - Quidam enim dixerunt quod omnia elementa manebunt quantum ad materiam, sed quaedam nobiliorem formam accipient, scilicet aqua et ignis, quae accipient formam caeli ; ut sic tria elementa possint dici caelum, aer scilicet (qui ex sua natura habet ut caelum quandoque in Scripturis dicatur) et aqua et ignis, quae formam caeli assument : ut sic intelligatur verificari quod dicitur Apoc. XXI, vers. 1 : Vidi caelum novum et terram novam, sub caeli nomine tribus comprehensis, scilicet igne, aere et aqua.

A) Certains, en effet, ont dit que tous les lments demeureront quant la matire, mais ils revtiront une forme plus noble, par exemple l'eau et le feu, qui revtiront la forme du ciel ; de sorte qu'ainsi les trois lments puissent tre appels ciel, savoir l'air (qui par sa nature est quelquefois appel ciel dans l'criture), l'eau et le feu, qui prendront la forme du ciel ; pour qu'on comprenne ainsi qu'est vrifi ce qui est dit dans Apoc. 21, 1 : J'ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, sous le nom de ciel sont comprises trois choses : le feu, l'air et l'eau.

Sed ista positio est impossibilis. Elementa enim non sunt in potentia ad formam caeli, eo quod forma caeli contrarium non habet, et sub forma caeli sit tota materia quae est in potentia ad ipsam. Sic enim caelum esset generabile et corruptibile ; quod philosophus ostendit esse falsum [in I Caeli et mundi]. Ratio etiam, qua hoc asseritur, frivola est : quia in Scriptura, sicut Basilius in Hexameron dicit, per extrema, media intelliguntur, ut Genes. I, 1, cum dicitur : In principio creavit Deus caelum et terram. Nam per creationem caeli et terrae etiam elementa media intelliguntur. Quandoque etiam sub terrae nomine omnia inferiora comprehenduntur, ut patet in Psalm. CXLVIII, 7 : Laudate dominum de terra ; et postea subditur : Ignis, grando, et cetera. Unde nihil prohibet dicere, quod per innovationem caeli et terrae Scriptura innovationem etiam mediorum elementorum intellexit, vel quod sub nomine terrae omnia elementa comprehendat.

Mais cette position est impossible. Car les lments ne sont pas en puissance pour la forme du ciel, parce que celle-ci n'a pas de contraire, et que sous cette forme il y aurait toute la matire, qui est en puissance pour elle. Car ainsi le ciel pourrait tre engendr et corrompu : le philosophe montre que c'est faux (Le ciel et le monde, I, 3, 269 b 13). Et la raison pour laquelle on la soutient est frivole ; parce que dans l'criture, comme Basile le dit dans l'Hexameron, par les extrmes, on comprend les intermdiaires, comme en Gn. 1, 1, quand il est dit : Au commencement Dieu cra le ciel et la terre. Car par la cration du ciel et de la terre, on comprend aussi les lments intermdiaires. Quelquefois aussi sous le nom de terre, on comprend tous les tres infrieurs, comme on le voit dans le Ps. 148, 7 : Louez le Seigneur depuis la terre et ensuite il est ajout : Le feu, la grle, etc. C'est pourquoi, rien n'empche de dire que par le renouvellement du ciel et de la terre, l'criture a compris le renouvellement des lments intermdiaires, ou que sous le nom de terre, elle comprend tous les lments.

B. - Et ideo alii dicunt, quod omnia elementa manebunt secundum substantiam non solum quantum ad materiam, sed etiam quantum ad formas substantiales. Sicut enim, secundum opinionem Avicennae, remanent formae substantiales elementorum in mixto, qualitatibus activis et passivis non remanentibus in suis excellentiis, sed ad medium redactis, ita possibile erit quod in ultimo statu mundi absque praedictis qualitatibus remaneant elementa ; cui videtur consonare quod Augustinus dicit [XX de Civ. Dei, cap. XVI] : In illa conflagratione mundana, elementorum corruptibilium qualitates, quae corporibus nostris congruebant, ardendo penitus interibunt, atque ipsa substantia eas qualitates habebit quae corporibus immortalibus mirabili mutatione convenient.

B) Et c'est pourquoi d'autres disent, que tous les lments demeureront selon la substance non seulement quant la matire, mais aussi quant aux formes substantielles.De mme que, en effet, selon l'opinion d'Avicenne, les formes substantielles des lments demeureront dans le mixte, les qualits actives et passives ne demeurant pas dans leur meilleur tat, mais ramenes un tat intermdiaire, de mme il sera ainsi possible que dans lՎtat ultime du monde, les lments demeurent sans ces puissances, ce qui semble en d'accord avec que ce dit Augustin (La cit de Dieu, 20, 16) : En cette conflagration de lunivers, les qualits[608] des lments corruptibles, qui saccordaient avec nos corps, priront tout fait en brlant et la substance mme aura ces puissances qui, par un changement admirable, conviennent aux corps immortels.

Sed hoc non videtur rationabiliter dictum.

Mais cela ne parat pas dit selon la raison :

Primo quidem, quia cum qualitates activae et passivae sint per se elementorum accidentia, oportet quod a principiis essentialibus causentur ; unde non potest esse quod principiis essentialibus manentibus in elementis praedictis, qualitates deficiant, nisi per violentiam ; quod non potest esse diuturnum. Et ideo nec opinio Avicennae videtur esse probabilis, quod formae elementorum actu maneant in mixto ; sed solum virtute, ut philosophus dicit ; quia oporteret quod diversorum elementorum formae, in diversis partibus materiae conservarentur ; quod non esset, nisi essent etiam situ distinctae ; et sic non esset vera commixtio, sed solum secundum sensum ; et tamen in mixto impediuntur qualitates unius elementi per qualitates alterius ; quod non potest dici in mundi consummatione ubi omnino cessabit violentia.

1) Parce que, comme les puissances actives et passives sont en soi des accidents des lments, il faut qu'elles soient causes par des principes essentiels ; c'est pourquoi il n'est pas possible que s'ils demeurent dans ces lments, les qualits cessent sinon par violence, ce qui ne peut pas durer longtemps. Et c'est pourquoi, l'opinion d'Avicenne ne semble pas probable : savoir que les formes des lments en acte demeurent dans le mixte ; mais seulement en puissance, comme le Philosophe le dit ; parce qu'il faudrait que les formes des diffrents lments soient conserves dans les diffrentes parties de la matire, ce qui ne serait possible que si elles taient dans un lieu diffrent ; et ainsi ce ne serait pas un vrai mlange, mais seulement pour les sens, et cependant dans le mixte les puissances d'un lments sont empches par les qualits d'un autre ; ce qu'on ne peut pas dire de la consommation du monde, o cessera tout fait la violence.

Secundo autem, quia cum qualitates activae et passivae sint de integritate naturae elementorum, sequeretur quod elementa imperfecta remanerent ; unde auctoritas Augustini inducta non loquitur de qualitatibus activis et passivis, sed de dispositionibus eorum quae generantur et corrumpuntur et alterantur.

2) Parce que, comme les puissances actives et passives appartiennent l'intgrit de la nature des lments, il s'ensuivrait que les lments demeureraient imparfaits ; c'est pourquoi le texte cit d'Augustin ne parle pas des qualits actives et passives mais des dispositions de ce qui est engendr, corrompu et altr.

C. - Et ideo videtur dicendum, quod elementa in sua substantia remanebunt, et etiam in suis qualitatibus naturalibus ; sed mutuae generationes et corruptiones et alterationes cessabunt ; per huiusmodi enim elementa ordinantur ad completionem numeri electorum, sicut et caelum per motum suum ; sed substantiae elementorum manebunt, sicut et substantia caeli. Cum enim universum in perpetuum remaneat, ut supra ostensum est, oportet quod ea quae sunt de perfectione universi, primo et per se remaneant

C) Et c'est pourquoi il semble qu'il faut dire, que les lments demeureront dans leur substance, et aussi dans leurs qualits naturelles, mais les gnrations mutuelles, les corruptions et les changements cesseront ; car ils sont ordonns par les lments de ce genre la plnitude du nombre des lus, comme le ciel par son mouvement, mais les substances des lments demeureront, comme la substance du ciel ; en effet comme l'univers demeure toujours, comme on l'a montr plus haut, il faut que ce qui appartient sa perfection demeure d'abord et par soi.

Hoc autem competit elementis, cum sint essentiales partes universi ipsius, ut philosophus probat[in II Caeli et mundi, com. 34, 35 et seq.].. Si enim est corpus circulare, oportet esse centrum ipsius, quod est terra. Posita autem terra, quae est simpliciter gravis, utpote in medio constituta, oportet ponere contrarium eius, scilicet ignem, qui sit simpliciter levis ; quia si unum contrariorum est in una natura, et reliquum. Suppositis autem extremis, necesse est poni et media ; unde oportet ponere aerem et aquam, quae sunt ad ignem quidem levia, ad terram autem gravia, quorum unum est propinquius terrae.

Mais cela convient aux lments puisqu'ils sont les parties essentielles de l'univers, comme le philosophe le prouve (Du ciel et du monde, II, com. 34, 35, ss.). Car si celui-ci est un corps circulaire, il faut qu'il soit le centre de lui-mme qui est la terre. Mais la terre, qui est tout fait lourde, une fois place, tablie pour ainsi dire au milieu, il faut placer son contraire, savoir le feu, qui est tout fait lger, parce que, si un des contraires est dans une nature, etc.. Mais si on suppose les extrmes, il est ncessaire de placer aussi les intermdiaires, c'est pourquoi il faut placer l'air et l'eau qui sont lgers pour le feu, lourds pour la terre, dont l'un est plus proche de la terre.

Unde ex ipso situ universi patet quod elementa sunt essentiales partes universi. Quod patet esse manifestum, ordine causarum et effectuum considerato. Nam sicut caelum est universale activum eorum quae generantur, ita elementa sunt eorumdem universalis materia. Unde ad perfectionem universi requiritur quod elementa secundum suam substantiam maneant ; et ad hoc etiam habent ex sui natura aptitudinem. Corruptio autem aliter accidit in corporibus mixtis et elementis ; in corporibus enim mixtis inest corruptionis activum principium, propter hoc quod sunt ex contrariis composita ; in elementis vero, quae contrarium exterius habent, ipsa autem non sunt ex contrariis composita, non inest principium corruptionis activum, sed passivum tantum, in quantum habent materiam cui inest aptitudo ad aliam formam qua privantur. Et ab hoc principio generatio et corruptio in elementis sunt motus vel mutationes naturales ; et non propter principium activum ut dicit Commentator [in II Phys.].

C'est pourquoi par la situation mme de l'univers, il apparat que les lments en sont les parties essentielles. Ce qui est vident, si on considre l'ordre des causes et des effets. Car le ciel est universellement actif pour ce qui est engendr, de mme les lments en sont la matire universelle. C'est pourquoi il est requis, pour la perfection de l'univers que les lments demeurent selon leur substance et pour cela aussi ils ont l'aptitude de leur nature. Mais la corruption arrive autrement dans les corps mixtes et les lments, car dans les corps mixtes, il y a un principe actif de corruption, parce quils sont composes de contraires ; mais dans les lments, qui ont leur contraire l'extrieur, eux-mmes n'tant pas composs de contraires, il n'y a pas de principe de corruption actif, mais passif seulement dans la mesure o ils ont la matire en laquelle se trouve l'aptitude une autre forme dont ils sont privs. Et par ce principe, la gnration et la corruption dans les lments sont des mouvements ou des changements naturels, mais pas cause du principe actif, comme le dit le Commentateur (Physique, II).

Sicut ergo quia corpus caeleste principium sui motus activum habet extra, potest esse quod eius motus cesset ipso manente, absque violentia, ut supra dictum est ; ita potest esse ut corruptio elementorum cesset eorum substantiis manentibus, exteriori corruptivo cessante, quod oportet reducere in motum caeli sicut in primum generationis et corruptionis principium.

Donc, parce que le corps cleste a le principe actif de son mouvement de lextrieur, il peut arriver que son mouvement cesse alors que lui demeure, sans violence, comme on l'a dit ci-dessus ; de mme il est possible que la corruption des lments cesse, mme si leurs substances demeurent, si cesse ce qui corrompt de l'extrieur, qu'il faut ramener au mouvement du ciel, comme au premier principe de la gnration et de la corruption.

 

Solutions :

q. 5 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa elementorum solutio non est referenda ad destructionem substantiae elementorum, sed ad elementorum purgationem, quae erit per ignem, qui faciem iudicis praecedet. Post illam autem purgationem remanebunt elementa secundum substantiam et naturales qualitates, ut dictum est.

 1. Cette destruction des lments n'est pas rapprocher de la destruction de la substance des lments, mais leur purification, qui se fera par le feu qui prcdera la face du Juge[609]. Aprs cette purification les lments demeureront selon leur substance et leurs qualits naturelles, comme on l'a dit.

q. 5 a. 7 ad 2 Unde secundum et tertium concedimus.

 2. 3. C'est pourquoi nous concdons les objections deux et trois.

q. 5 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in mundi principio instituta est natura corporum secundum quod ordinatur ad generationem et corruptionem, per quam numerus electorum completur. In mundi autem consummatione remanebit substantia elementorum secundum quod est ad perfectionem universi. Unde non oportet omnia inesse elementis in illo finali statu quae oportuit habere in mundi principio.

 4. Au commencement du monde la nature des corps a t constitue en rapport la gnration et la corruption, qui complte le nombre des lus. Mais, la consommation du monde la substance des lments demeurera selon quelle est pour la perfection de l'univers. C'est pourquoi il ne faut pas que tout ce qu'il fallait avoir au commencement du monde soit dans les lments dans cet tat final

q. 5 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Glossa Bedae non est intelligenda quod hoc modo duo elementa secundum substantiam destruantur ; sed secundum statum mutationis, quae praecipue in duobus elementis apparet : scilicet in aere et aqua, de quibus quidam praedictam Glossam intelligunt ; quamvis secundum alios intelligatur de igne et aqua in quibus vigent qualitates activae.

 5. La Glose de Bde n'est pas comprendre de manire que deux lments seront dtruits en substance, mais [elle est comprendre] selon l'tat de changement, qui apparat surtout dans deux lments ; savoir dans l'air et dans l'eau, comme certains comprennent cette glose ; quoique d'autres la comprennent du feu et de l'eau dans lesquels les puissances actives sont fortes.

q. 5 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod actio magis dependet ab agente quam a patiente, ex hoc ipso quod agens est honorabilius patiente ; unde destructio mutationis in elementis et mutuae actionis, convenientius exprimitur per subtractionem activorum quam per subtractionem passivorum.

 6. L'action dpend plus de l'agent que du patient, du fait que l'agent est plus honorable que le patient ; c'est pourquoi une destruction par changement dans les lments ou par celle dune action mutuelle est plus convenablement exprime par la soustraction des puissances actives que par celle des puissances passives.

q. 5 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si consideretur actio et passio in elementis secundum principia substantialia, sic verum est quod Augustinus dicit loc. cit. quod ad patiendum humor et humus aptitudinem praebent, ad agendum ignis et aer ; quia ignis et aer habent plus de forma, quae est actionis principium ; de materia vero terra et aqua, quae est principium patiendi. Si vero consideretur secundum qualitates activas et passivas, quae sunt immediata principia actionis, sic ignis et aqua sunt magis activa, aer et terra magis passiva.

 7. Si on considre l'action et la passion dans les lments selon les principes substantiels, alors est vrai ce que dit Augustin dit (loc. cit.) que le liquide et le sol fournissent une aptitude supporter, le feu et l'air une aptitude agir ; parce que le feu et l'air ont plus de forme qui est le principe de l'action ; mais la terre et l'eau [plus] de matire, qui est le principe de passion. Mais si on les considrait selon les qualits actives ou passives, qui sont les principes immdiats de l'action, le feu et l'eau sont plus actifs, l'air et la terre plus passifs.

q. 5 a. 7 ad 8 Octavum concedimus.

 8. Nous concdons la huitime objection.

q. 5 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod elementa, quantum ad sui mutationem, facta sunt propter hominem in beatitudinem tendentem ; sed quantum ad suam substantiam, sunt facta et propter perfectionem universi et propter substantiam ipsius hominis, quae ex elementis constituitur.

 9. Les lments, quant leur changement, ont t faits pour l'homme la recherche de sa batitude ; mais quant leur substance, ils ont t faits en vue de la perfection de l'univers et de la substance de l'homme lui-mme, qui est constitu dՎlments.

q. 5 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in mundi consummatione non cessabunt omnia mixta, quia corpora humana remanebunt. Unde decens est, si partes eorum remanent in corpore hominis qui est minor mundus, quod ipsa tota remaneant in mundo maiori.

 10. A la consommation du monde, tous les mixtes ne cesseront pas, parce que les corps humains demeureront. C'est pourquoi il convient, si leurs parties demeurent dans le corps de l'homme qui est un microcosme, que tout demeure dans le macrocosme.

q. 5 a. 7 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod forma, quam elementa deponent, est ipsa mutabilitas, non forma quae sit principium essendi.

 11. La forme que les lments dposent est le principe du changement, mais pas la forme principe de l'tre.

q. 5 a. 7 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod mutabilis dispositio tolletur ab elementis, quia mutatio in eis non erit ; non quod naturam mutabilem amittant.

 12. Laptitude au changement est enleve par les lments ; parce qu'il n'y aura pas de changement en eux, [mais] non parce qu'ils perdront leur nature changeante.

q. 5 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod dispositio istorum elementorum, secundum quam generantur et corrumpuntur et mutantur, est eis naturalis, motu caeli manente : non autem postquam motus caeli cessaverit.

 13. La disposition de ces lments selon laquelle ils sont engendrs, corrompus et changs, leur est naturelle, tant que le mouvement du ciel demeure ; mais non aprs qu'il aura cess.

q. 5 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ratio illa probat quod in elementis est principium corruptionis materiale, non autem activum ; unde non sequitur mutatio, motu caeli subtracto, qui est principium mutationis.

 14 Cette raison prouve que dans les lments il y a un principe matriel de corruption, mais non actif, c'est pourquoi il n'en dcoule pas un changement, si on enlve le mouvement du ciel qui en est le principe.

q. 5 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod elementum sicut non habet virtutem ut sit semper, propter hoc quod potest ab exteriori corrumpi, ita non habet virtutem ut quandoque deficiat, nisi materialem, ut dictum est.

 15. L'lment n'a pas le pouvoir dexister toujours, du fait qu'il peut tre corrompu par l'extrieur, de mme il na pas de pouvoir de cesser un jour, sinon un pouvoir matriel, comme on l'a dit.

q. 5 a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod elementa sunt incorruptibilia secundum totum, partibus generatis et corruptis, quamdiu motus caeli durat ; sed motu caeli cessante, erit in eis alia incorruptionis causa, quia scilicet non possunt corrumpi nisi ab extrinseco ; corruptivum autem extrinsecum, deficiente motu caeli, cessabit.

 16. Les lments sont incorruptibles selon le tout, les parties tant engendres et corrompues, tant que dure le mouvement du ciel ; mais s'il cesse, il y aura en eux une autre cause d'incorruptibilit, parce quils ne peuvent tre corrompus que de l'extrieur ; ce qui corrompt l'extrieur, l'arrt du mouvement du ciel, cessera.

q. 5 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod motus caeli est ut vita quaedam omnibus rebus naturalibus secundum statum mutationis, qui in consummatione mundi tolletur.

 17. Le mouvement du ciel est comme une vie pour toutes les choses naturelles, selon leur situation de changement, qui [leur] sera enleve la consommation du monde.

q. 5 a. 7 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet eductio formarum de potentia in actum dependeat ex motu caeli, tamen eorum conservatio dependet a principiis altioribus, ut dictum est.

 18. Bien que le passage des formes de la puissance l'acte dpende du mouvement du ciel, cependant leur conservation dpend de principes plus levs, comme on l'a dit.

q. 5 a. 7 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod sol est causa caliditatis per motum, ut philosophus dicit [lib. II de Caelo, com. 56 et 58] : unde cessante motu tollitur corruptionis causa in elementis, quae est per superexcedentiam caloris.

 19. Le soleil est la cause de la chaleur par son mouvement, comme le Philosophe le dit (Le ciel,. II, 7, 289 a 20) : c'est pourquoi quand cesse le mouvement, la cause de la corruption est enleve dans les lments, qui se fait par un excs de chaleur.

 

 

 

Article 8 Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les lments ?

q. 5 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum cessante motu caeli, remaneat actio et passio in elementis. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

 

Objections :[610]

q. 5 a. 8Arg. 1 Potentiae enim naturales sunt determinatae ad unum ; unde virtus ignis, cum sit naturalis potentia, se habet tantum ad calefaciendum, non autem ad non calefaciendum. Sed in illa mundi consummatione remanebit virtus ignis et aliorum elementorum, ut prius dictum est, art. praec. Ergo impossibile est quin ignis et alia elementa agant.

1. Car les puissances naturelles sont limites un seul objet ; ainsi, le pouvoir du feu tant une puissance naturelle, nagit que pour chauffer, mais pas pour le contraire. Mais la consommation du monde le pouvoir du feu et celui des autres lments demeureront comme on l'a dit dans art. prcd. Donc il est impossible que le feu et les autres lments n'agissent pas.

q. 5 a. 8Arg. 2 Praeterea, sicut dicit philosophus, ad hoc quod fiat mutua actio et passio, requiritur quod agens et patiens sint similia secundum materiam, et dissimilia secundum formam. Hoc autem erit in elementis cessante motu caeli, quia eorum substantiae manebunt, principiis essentialibus non mutatis. Ergo erit actio et passio in elementis, motu caeli cessante.

2. Comme le dit le Philosophe, (La gnration, I, 6, 322 b 13 25 7, 324 a 5) pour que l'action et la passion deviennent rciproques, il est requis que l'agent et le patient soient semblables par la matire et diffrents par la forme. Mais cela existera dans les lments, quand cessera le mouvement du ciel ; parce que leurs substances demeureront, sans que les principes essentiels ne soient changs. Donc il y aura l'action et la passion dans les lments, quand cessera le mouvement du ciel.

q. 5 a. 8Arg. 3 Praeterea, causa actionis et passionis in elementis est ex hoc quod in materia elementi semper est appetitus ad aliam formam, licet materia per unam formam sit perfecta. Sed iste appetitus in materia remanebit, etiam motu caeli cessante, non enim una forma elementi poterit totam potentiam materiae implere. Ergo in illa mundi consummatione remanebit actio et passio in elementis.

3. La cause de l'action et de la passion dans les lments vient de ce que dans leur matire il y a toujours l'apptit d'une autre forme, bien qu'elle soit acheve par une seule forme. Mais cet apptit demeurera dans la matire, mme quand le mouvement du ciel cessera, car une seule forme de l'lment ne pourra pas complter toute la puissance de la matire. Donc, en cette consommation du monde, l'action et la passion demeureront dans les lments.

q. 5 a. 8Arg. 4 Praeterea, illud quod est de perfectione elementi non aufertur ei. Hoc autem est de perfectione uniuscuiusque entis, quod agat sibi simile : diffusio enim ipsius esse derivatur a primo bono in omnia entia. Ergo videtur quod elementa in illa consummatione agent sibi simile ; et sic erit in eis actio et passio.

4. Ce qui concerne la perfection de l'lment ne lui est pas enlev. Mais il appartient la perfection de chaque tre qu'il fasse du semblable soi : car sa diffusion est drive du premier bien dans tous les tres. Donc il semble que dans cette consommation les lments feront du semblable eux, et ainsi il y aura en eux l'action et la passion.

q. 5 a. 8Arg. 5 Praeterea, sicut proprium est ignis esse calidum, ita etiam proprium eius est calefacere ; sicut enim calor derivatur a principiis essentialibus ignis, ita calefactio derivatur a calore. Si ergo in illa rerum consummatione ignis et eius calor remanebit, videtur quod etiam calefactio remanebit.

5. Le propre du feu c'est d'tre chaud, et aussi de chauffer : car de mme que la chaleur est drive des principes essentiels du feu, l'chauffement est driv de la chaleur. Si donc dans cette consommation du monde, le feu et la chaleur demeurent, il semble que l'chauffement demeurera aussi.

q. 5 a. 8Arg. 6 Praeterea, omnia corpora naturalia se tangentia aliquo modo se alterant, ut patet in I de Generat [com. 53]. Sed elementa in illo statu mundi se tangent. Ergo se invicem alterabunt, et ita erit ibi actio et passio.

6. Tous les corps naturels qui se touchent s'altrent d'une certaine manire, comme cela parat dans La Gnration (I, 9, 327 a 13). Mais les lments dans cet tat du monde se touchent. Donc ils s'altreront l'un l'autre, et ainsi il aura l l'action et la passion.

q. 5 a. 8Arg. 7 Praeterea, in illa mundi consummatione erit lux lunae sicut lux solis, et lux solis erit septempliciter (Is. XXX, 26). Sed modo sol et luna sua luce illuminant corpora inferiora. Ergo multo fortius tunc illuminabunt ; et ita remanebit aliqua actio et passio in istis inferioribus, nam medium illuminatum illuminabit ultimum.

7. A la consommation du monde, la lumire de la lune sera comme celle du soleil, et la lumire du soleil sera sept fois plus fort (Is. 30, 26). Mais le soleil et la lune clairent seulement les corps infrieurs de leur lumire. Donc alors ils claireront beaucoup plus ; et ainsi l'action et la passion demeureront dans ces tres infrieurs, car l'intermdiaire clair clairera le dernier.

q. 5 a. 8Arg. 8 Praeterea, sancti videbunt visu corporeo res huius mundi. Sed visio non potest esse sine actione et passione, quia visus patitur a visibili. Ergo erit actio et passio etiam motu caeli cessante.

. Les saints verront de leurs yeux de chair les choses de ce monde. Mais la vision ne peut exister sans l'action et la passion, parce que la vue subit le visible. Donc il y aura l'action et la passion mme quand le mouvement du ciel cessera.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Remota causa, removetur effectus. Sed motus caeli est causa actionis et passionis in istis inferioribus, secundum doctrinam philosophi [I Metero., et II de caelo, com. 56]. Ergo remoto motu caeli, removebitur actio et passio in istis inferioribus.

1. Si on carte la cause, l'effet est cart. Mais le mouvement du ciel est la cause de l'action et de la passion, dans les choses infrieures selon la doctrine du Philosophe (Mtor, I, Du ciel, II, 11, 338 b). Donc une fois le mouvement du ciel cart, l'action et la passion seront cartes dans les choses infrieures.

q. 5 a. 8 s. c. 2 Praeterea, actio et passio in rebus corporalibus sine motu esse non potest. Remoto autem primo motu, qui est motus caeli, ut probatur in VIII Physic. [com. 75 et seq.], oportet posteriores motus cessare. Remoto ergo motu caeli, non erit actio et passio in istis inferioribus.

2. L'action et la passion ne peuvent pas exister sans mouvement dans les choses corporelles. Si on enlve le premier mouvement, qui est celui du ciel, comme on le prouve (Physique, VIII, 9, 265 a 26 ss.), il faut que les mouvements suivants cessent. Donc une fois cart le mouvement du ciel, il n'y aura pas d'action et de passion dans les choses infrieures.

 

Rponse :

q. 5 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut habetur in libro de Causis, quando causa prima retrahit actionem suam a causato, oportet etiam quod causa secunda retrahat actionem suam ab eodem, eo quod causa secunda habet hoc ipsum quod agit, per actionem causae primae, in cuius virtute agit. Cum autem omne agens agat secundum quod est in actu, oportet secundum hoc accipere ordinem causarum agentium, secundum quod est ordo earum in actualitate.

Comme on le lit dans le livre des Causes, quand la cause premire retire son action de l'effet, il faut aussi que la cause seconde la lui retire, parce qu'elle possde ce qui agit par l'action de la cause premire, dans le pouvoir de laquelle elle agit. Mais comme tout agent agit selon qu'il est en acte, il faut qu'il reoive l'ordonnancement des causes efficientes, selon que celui-ci est en acte.

Corpora autem inferiora minus habent de actualitate quam corpora caelestia, nam in corporibus inferioribus non est tota potentialitas completa per actum, eo quod materia substans uni formae remanet in potentia ad formam aliam ; quod non est in corporibus caelestibus, nam materia corporis caelestis non est in potentia ad aliam formam ; unde sua potentialitas tota est terminata per formam quam habet.

Mais les corps infrieurs ont moins d' "actualit" que les corps clestes, car en eux il n'y a pas toute la potentialit complte par l'acte, parce que la matire qui est le substrat d'une forme demeure en puissance pour une autre forme ; ce qui n'existe pas pour les corps clestes, car la matire du corps cleste n'est pas en puissance pour une autre forme. C'est pourquoi toute sa potentialit se termine la forme qu'il possde.

Substantiae vero separatae sunt perfectiores in actualitate quam etiam corpora caelestia, quia non sunt compositae ex materia et forma, sed sunt formae quaedam subsistentes ; quae tamen deficiunt ab actualitate Dei, qui est suum esse, quod de aliis substantiis separatis non contingit ; sicut etiam videmus quod elementa etiam se superant invicem secundum gradum actualitatis, eo quod aqua habet plus de specie quam terra, aer quam aqua, et ignis quam aer ; ita etiam est in corporibus caelestibus, et in substantiis separatis.

Mais les substances spares sont plus parfaites dans leur "actualit" que mme les corps clestes, parce qu'elles ne sont pas composes de matire et de forme, mais sont des formes subsistantes, qui cependant sont diffrentes de lՎtat dacte de Dieu qui est son tre propre, ce qui n'arrive pas pour les autres substances spares ; de mme nous voyons que les lments l'emportent l'un sur l'autre selon le degr de leur "actualit", parce que l'eau a plus de forme (species) que la terre, l'air que l'eau, et le feu que l'air, de mme il en est ainsi pour les corps clestes et les substances spares.

Elementa ergo agunt in virtute corporum caelestium et corpora caelestia agunt in virtute substantiarum separatarum ; unde cessante actione substantiae separatae, oportet quod cesset actio corporis caelestis ; et ea cessante oportet quod cesset actio corporis elementaris.

Donc les lments agissent dans le pouvoir des corps clestes et ceux-ci dans le pouvoir des substances spares, c'est pourquoi si l'action de la substance spare cesse, il faut que cesse celle du corps cleste, et si elle cesse, il faut que cesse celle du corps lmentaire.

Sed sciendum quod corpus habet duplicem actionem :

Mais il faut savoir que le corps a une double action :

unam quidem secundum proprietatem corporis, ut scilicet agat per motum (hoc enim proprium est corporis, ut motum moveat et agat) ;

1) L'une selon sa proprit, ainsi il agit par le mouvement (car c'est le propre du corps de mouvoir le m et d'agir) ;

aliam autem actionem habet, secundum quod attingit ad ordinem substantiarum separatarum, et participat aliquid de modo ipsarum ; sicut naturae inferiores consueverunt aliquid participare de proprietate naturae superioris, ut apparet in quibusdam animalibus, quae participant aliquam similitudinem prudentiae, quae propria est hominum. Haec autem est actio corporis, quae non est ad transmutationem materiae, sed ad quamdam diffusionem similitudinis formae in medio secundum similitudinem spiritualis intentionis quae recipitur de re in sensu vel intellectu, et hoc modo sol illuminat aerem, et color speciem suam multiplicat in medio.

2) Le corps a aussi une autre action, en tant qu'il confine la nature des substances spares, et participe en quelque point de leur mode ; ainsi les natures infrieures participent d'habitude en quelque chose de la proprit de la nature suprieure[611], comme on le voit chez certains animaux, qui ont un semblant de prudence, (vertu) qui est propre l'homme[612]. Mais cela c'est l'action du corps, non pour transformer la matire, mais pour diffuser la ressemblance de la forme dans l'intermdiaire selon la ressemblance de l'intention spirituelle qui est reue dans les sens ou l'intellect, et de cette manire, le soleil illumine l'air et la couleur multiplie son image (speciem) dans l'intermdiaire.

Uterque autem modus actionis in istis inferioribus causatur ex corporibus caelestibus. Nam et ignis suo calore transmutat materiam, ex virtute corporis caelestis ; et corpora visibilia multiplicant suas species in medio, virtute luminis, cuius fons est in caelesti corpore. Unde si actio utraque corporis caelestis cessaret, nulla actio in istis inferioribus remaneret. Sed cessante motu caeli, cessabit prima actio, sed non secunda ; et ideo cessante motu caeli, erit quidem actio in istis inferioribus illuminationis et immutationis medii a sensibilibus ; non autem erit actio per quam transmutatur materia, quam sequitur generatio et corruptio.

Mais les deux modes d'action dans les choses infrieures sont causs par les corps clestes. Car le feu par sa chaleur change la matire par le pouvoir du corps cleste, et les corps visibles multiplient leurs images (species) dans l'intermdiaire, par le pouvoir de la lumire, dont la source est dans le corps cleste. C'est pourquoi si l'une et l'autre action de chaque corps cleste cessait, aucune action ne demeurerait dans ces corps infrieurs. Mais si le mouvement du ciel cesse, la premire action cessera, mais pas la seconde, et c'est pourquoi si le mouvement du ciel cesse, il y aura dans ces corps infrieurs l'action de l'clairage et du manque de changement intermdiaire par ce qui est sensible, mais il n'y aura pas d'action par laquelle sera transforme la matire, qui accompagne la gnration et de la corruption.

 

Solutions :

q. 5 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus ignis semper est determinata ad calefaciendum, praesuppositis tamen causis prioribus quae ad actionem ignis requiruntur.

 1. La pouvoir du feu est toujours limit au rchauffement, si cependant on prsuppose les causes suprieures requises pour son action.

q. 5 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo secundum materiam et contrarietas formae non sufficit in istis inferioribus ad passionem et actionem, nisi motu caeli praesupposito, in cuius virtute agunt omnes inferiores activae potentiae.

 2. La ressemblance selon la matire et la contrarit de la forme ne suffisent pas dans les tres infrieurs pour la passion et l'action, sauf si on suppose le mouvement du ciel au pouvoir en qui toutes les puissances actives infrieures agissent.

q. 5 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod materia non sufficit ad actionem, nisi principium activum ponatur. Unde appetitus materiae non sufficienter probat actionem in elementis, motu caeli subtracto, a quo est primum principium actionis.

 3. La matire ne suffit l'action que si on place un principe actif. C'est pourquoi l'apptit de la matire ne suffit pas prouver l'action dans les lments, si on retire le mouvement du ciel d'o vient le premier principe de l'action.

q. 5 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod inferiora nunquam attingunt ad gradum perfectionis superiorum. Hoc autem est de ratione perfectionis supremi agentis, quod sua perfectio sibi sufficiat ad agendum alio agente remoto ; unde hoc inferioribus agentibus attribui non potest.

 4. Les corps infrieurs n'atteignent jamais le degr de perfections des tres suprieurs. Mais c'est de la nature de la perfection de l'agent suprme que sa perfection lui suffise pour agir, quand un autre agent est cart ; c'est pourquoi on ne peut l'attribuer aux agents infrieurs.

q. 5 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ignis est proprium calefacere, supposito quod habeat aliquam actionem ; sed eius actio dependet ab alio, ut dictum est.

 5. Le feu est propre chauffer, si on suppose quil a une action ; mais celle-ci dpend dun autre, comme on la dit.

q. 5 a. 8 ad 6 Et similiter ad sextum dicendum, quod tactus non sufficit in elementis ad agendum, nisi motu caeli supposito.

 6. Il faut dire de mme que le toucher ne suffit pour agir dans les lments que si on suppose le mouvement du ciel.

q. 5 a. 8 ad 7 Alia duo concedimus : nam procedunt de actionibus quibus materia non transmutatur, sed species quodammodo multiplicatur per modum intentionis spiritualis.

 7. 8. Nous concdons les deux autres objections ; car elles procdent des actions par lesquelles la matire n'est pas change mais l'espce d'une certaine manire est multiplie par le mode de l'intention spirituelle.

 

 

 

Article 9 Les plantes, les animaux et les minraux demeureront-ils aprs la fin du monde ?

q. 5 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum plantae et bruta animalia et corpora mineralia remaneant post finem mundi. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[613].

 

Objections :

q. 5 a. 9Arg. 1 Habetur enim Eccle. III, 14 : Didici quod omnia opera Dei perseverent in aeternum. Sed corpora mineralia, plantae et bruta sunt opera Dei. Ergo in aeternum manebunt.

1. Car on lit en Eccl. 3, 14 : J'ai appris que toutes les uvres de Dieu demeureront ternellement. Mais les minraux, les plantes et les animaux sont des uvres de Dieu. Donc ils demeureront ternellement.

q. 5 a. 9Arg. 2 Sed dicebat, quod hoc intelligitur de istis operibus Dei quae aliquo modo habent ordinem ad incorruptionem, sicut elementa quae sunt incorruptibilia secundum totum, licet secundum partem corrumpantur.- Sed contra, sicut elementa sunt incorruptibilia secundum totum, licet secundum partem corrumpantur, ita praedictae res sunt incorruptibiles secundum speciem, licet secundum individua corrumpantur. Ergo videtur quod praedictae etiam res in aeternum remaneant.

2. Mais on pourrait dire, qu'on le comprend de ces uvres de Dieu qui ont rapport d'une certaine manire avec l'incorruptibilit, comme les lments qui sont incorruptibles en leur totalit, bien qu'ils se corrompent en partie. En sens contraire, de mme que les lments sont incorruptibles en totalit, bien qu'ils se corrompent en partie, de mme ce dont on a parl[614] est incorruptible selon l'espce, bien qu'il secorrompe quant l'individu. Donc il semble que ces choses aussi demeurent ternellement.

q. 5 a. 9Arg. 3 Praeterea, impossibile est quod intentio naturae frustretur, cum naturae intentio sit ex hoc quod natura a Deo in finem dirigitur. Sed natura intendit per generationem et corruptionem perpetuitatem speciei servare. Ergo nisi praedicta secundum speciem conserventur, frustrabitur naturae intentio ; quod est impossibile, ut dictum est..

3. Il est impossible que lobjectif de la nature soit vain ; puisquil vient du fait qu'elle est dirige par Dieu vers sa fin. Mais la nature tend par la gnration et la corruption conserver la perptuit de l'espce. Donc si [les plantes, les animaux et les minraux] ne sont pas conservs en l'espce, lobjectif de la nature sera vain, ce qui est impossible comme on l'a dit.

q. 5 a. 9Arg. 4 Praeterea, decor universi pertinebit ad gloriam beatorum ; unde dicitur a sanctis, quod in maiorem beatorum gloriam elementa mundi in statum meliorem reformabuntur. Sed plantae, mineralia et bruta animalia pertinent ad decorem universi. Ergo non subtrahentur in illa ultima consummatione beatorum.

4. La beaut de l'univers sappliquera la gloire des bienheureux ; c'est pourquoi les saints disent que pour la plus grande gloire des bienheureux, les lments du monde seront reforms dans un tat meilleur. Mais les plantes, les minraux et les animaux font partie de la beaut de l'univers. Donc ils ne seront pas retranchs dans cette ultime consommation des bienheureux.

q. 5 a. 9Arg. 5 Praeterea, Rom. I, 20, dicitur quod invisibilia Dei per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur inter quae etiam facta, plantae et animalia numerari possunt. Sed in illo statu perfectae beatitudinis necessarium est homini invisibilia Dei cognoscere. Ergo indecens erit quod praedicta Dei opera de medio subtrahantur.

5. En Rm 1, 20, on dit que ce qui est invisible en Dieu, se laisse voir l'intelligence par ses uvres[615]. Parmi ce qui a t cr, on peut compter les plantes et les animaux. Mais dans cet tat de batitude parfaite, il est ncessaire pour l'homme de connatre ce qui est invisible en Dieu. Donc il ne conviendra pas que ces uvres de Dieu soient retires.

q. 5 a. 9Arg. 6 Praeterea, Apoc. XXII, 2, dicitur : Ex utraque parte fluminis lignum afferens fructus duodecim. Ergo cum ibi loquatur de ultima consummatione beatitudinis sanctorum, videtur quod in illo statu plantae remaneant.

6.On dit en Apoc. 22, 2 : De chaque ct du fleuve des arbres qui fructifient douze fois. Donc, comme on y parle de l'ultime consommation de la batitude des saints, il semble que les plantes demeureront dans cet tat.

q. 5 a. 9Arg. 7 Praeterea, ab esse divino omnibus entibus inest desiderium perpetuitatis, in quantum assimilantur primo enti, quod est perpetuum. Quod autem inest rebus ex similitudine divini esse, non auferetur ab eis in ultima consummatione. Ergo remanebunt plantae et animalia perpetua, saltem secundum speciem.

7. Par l'tre de Dieu, le dsir d'ternit est dans tous les tants, dans la mesure o ils ressemblent l'tant premier, qui est ternel. Mais ce qui est dans les choses par ressemblance de l'tre divin ne leur sera pas enlev l'ultime consommation. Donc les plantes et les animaux demeureront ternellement, au moins selon l'espce.

q. 5 a. 9Arg. 8 Praeterea, in ultimo statu consummationis rerum non auferetur a rebus id quod ad rerum perfectionem pertinet. Sed opus ornatus est consummatio quaedam creationis. Cum ergo animalia ad opus ornatus pertineant, videtur quod non desinant esse in illo mundi ultimo statu.

8. Dans le dernier tat de lachvement des choses, ce qui concerne la perfection ne leur sera pas enlev. Mais l'uvre d'ornement est l'accomplissement de la cration. Donc comme les animaux appartiennent cette uvre dornement, il semble qu'ils ne cesseront pas d'exister dans le dernier tat du monde.

q. 5 a. 9Arg. 9 Praeterea, sicut elementa servierunt homini in statu viae, ita et animalia et plantae. Sed elementa remanebunt. Ergo et animalia et plantae ; et sic non videtur quod cessent.

9. Les lments ont servi l'homme dans l'tat de vie, de mme les animaux et les plantes. Mais les lments demeureront. Donc les animaux et les plantes aussi, et ainsi il ne semble pas qu'ils cesseront d'exister.

q. 5 a. 9Arg. 10 Praeterea, quanto aliquid magis participat de proprietate primi perpetui, quod est Deus, tanto magis videtur esse perpetuum. Sed animalia et plantae plus participant de proprietatibus Dei quam elementa, quia elementa sunt tantum existentia, plantae autem etiam vivunt, animalia vero etiam super haec cognoscunt. Ergo magis debent in perpetuum remanere animalia et plantae quam elementa.

10. Plus une chose participe de la nature du premier ternel, qui est Dieu, plus elle semble ternelle. Mais les animaux et les plantes participent plus des proprits de Dieu que les lments, parce que ces derniers ont lexistence seulement, mais les plantes ont la vie, et les animaux la connaissance en plus. Donc les animaux et les plantes doivent demeurer ternellement plus que les lments.

q. 5 a. 9Arg. 11 Praeterea, effectus divinae sapientiae est, ut Dionysius dicit [VII cap. de div. Nom.], quod supremum inferioris naturae coniungatur infimo naturae superioris. Hoc autem non erit si animalia et plantae desinant esse, quia elementa in nullo attingunt ad perfectionem humanam, ad quam attingunt quodammodo quaedam animalia ; ad animalia vero appropinquant plantae ; ad plantas vero corpora mineralia, quae immediate post elementa sequuntur. Ergo in illo mundi fine, cum non debeat illud amoveri quod pertinet ad ostensionem divinae sapientiae, videtur quod animalia et plantae cessare non debeant.

11. L'effet de la divine sagesse est, comme le dit Denys (Les noms divins, VII, 3 872 A[616][617]) que le degr le plus haut dune nature infrieure rejoint le plus bas de la nature suprieure. Mais cela nexistera pas si les animaux et les plantes cessent d'exister, parce que les lments n'atteignent en rien la perfection humaine, qu'atteignent de quelque manire certains animaux ; mais les plantes sont proches des animaux, et les plantes des minraux, qui suivent immdiatement aprs les lments. Donc en cette fin du monde, comme ce qui sert montrer la sagesse divine ne doit pas tre cart, il semble que les animaux et les plantes ne doivent pas cesser d'exister.

q. 5 a. 9Arg. 12 Praeterea, si in creatione mundi animalia et plantae non fuissent productae, non fuisset mundus perfectus. Sed maior erit perfectio mundi ultima quam prima. Ergo videtur quod omnino animalia et plantae remaneant.

12. Si dans la cration du monde, les animaux et les plantes n'avaient pas t produits, le monde n'aurait pas t parfait. Mais la perfection ultime du monde sera plus grande que la premire. Donc il semble que les animaux et les plantes dureront sans exception.

q. 5 a. 9Arg. 13 Praeterea, quaedam corpora mineralia et quaedam animalia bruta in poenam damnatorum deputantur, sicut in Psal. X, 7 : Ignis, sulphur et spiritus procellarum pars calicis eorum ; et Isa. LXIV, 24 : Vermis eorum non morietur, et ignis non extinguetur. Poenae autem damnatorum erunt perpetuae. Ergo videtur quod animalia et corpora mineralia in aeternum remaneant.

13. Certains minraux et certains animaux ont t destins punir les damns, comme il est dit dans le Ps. 10, 7 : Le feu, le soufre, les vents des temptes sont une part de leur destin ; et Is. 64, 24 : Leur ver ne mourra pas, et le feu ne s'teindra pas. Mais les peines des damns seront ternelles. Donc il semble que les animaux et les minraux demeureront ternellement.

q. 5 a. 9Arg. 14 Praeterea, in ipsis elementis sunt rationes seminales corporum mixtorum et animalium et plantarum, ut Augustinus dicit. Hae autem rationes frustra essent, nisi praedicta ex eis orirentur. Cum ergo in illa mundi consummatione elementa remaneant et per consequens rationes seminales in eis, nec aliquid in operibus Dei sit frustra, videtur quod animalia et plantae in illa mundi novitate remaneant.

14. Dans les lments mme, il y a les raisons sminales des corps mixtes, des animaux et des plantes, comme le dit Augustin (La Trinit, III, 8 et 9). Mais elles seraient inutiles, moins que [les plantes, les animaux et les minraux] ne proviennent d'elles. Donc comme la consommation du monde, les lments demeurent, et par consquence les raisons sminales en eux, et rien ne parat inutile dans les uvres de Dieu, il semble que les animaux et les plantes demeurent dans cette renovation du monde.

q. 5 a. 9Arg. 15 Praeterea, ultima mundi purgatio erit per actionem ignis. Sed quaedam mineralia sunt ita fortis compositionis, quod nec ab igne consumuntur, sicut patet de auro. Ergo videtur quod ad minus illa post illum ignem remaneant.

15. La purification ultime du monde se fera par l'action du feu. Mais certains minraux sont d'une composition si rsistante qu'ils ne seront pas consums par le feu, comme on le voit pour l'or. Donc il semble quau moins ceux-l demeurent aprs ce feu.

q. 5 a. 9Arg. 16 Praeterea, universale est semper. Sed universale non est nisi in singularibus. Ergo videtur quod cuiuslibet universalis singularia semper erunt ; ergo et bruta animalia et plantae et corpora mineralia semper erunt.

16. L'universel existe toujours. Mais il n'existe que dans le singulier. Donc il semble que le particulier de nimporte quel universel existera toujours ; donc les animaux, les plantes et les minraux existeront toujours.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod Origenes dicit : Non est opinandum venire ad finem illum animalia, vel pecora, vel bestias terrae, sed nec ligna, nec lapides.

1. Il y a ce que dit Origne : Il ne faut pas penser que les animaux, les troupeaux ou les btes de la terre parviendront cette fin, ni le bois, ni les pierres.

q. 5 a. 9 s. c. 2 Praeterea, animalia et plantae ad vitam animalem hominis ordinantur : unde dicitur Genes. IX, 3 : Quasi olera virentia dedi vobis omnem carnem. Sed vita animalis hominis cessabit. Ergo et animalia et plantae cessabunt.

2. Les animaux et les plantes sont ordonns la vie charnelle de l'homme : c'est pourquoi il est dit en Gn. 9, 3 : Je vous ai donn toute chair, au mme titre[618] que les lgumes verts.. Mais la vie des hommes cessera. Donc les animaux et les plantes aussi.

 

Rponse :

q. 5 a. 9 co. Respondeo. Dicendum, quod in illa mundi innovatione nullum corpus mixtum remanebit praeter corpus humanum. Ad huius autem rationem sumendam, procedendum est ordine quem docet philosophus [II Phys., com. 88 et seq], ut scilicet prius consideretur causa finalis, et postmodum principia materialia et formalia et causae moventes. Finis autem mineralium corporum et plantarum et animalium duplex potest considerari :

Dans cette rnovation du monde, aucun corps mixte ne demeurera sauf le corps humain. Pour en comprendre la raison, il faut procder dans l'ordre qu'enseigne le Philosophe (Physique, II, 9, 200 a 7), savoir qu'on considre la cause finale d'abord, ensuite les principes matriels et formels et les causes moteurs. Mais la fin des minraux, des plantes et des animaux peut tre considre de deux faons :

Primus quidem completio universi, ad quam omnes partes universi ordinantur sicut in finem ; ad quem quidem finem res praedictae non ordinantur sicut per se et essentialiter de perfectione universi existentes, cum nihil in eis existat quod non inveniatur in principalibus partibus mundi (quae sunt corpora caelestia et elementa) sicut in principiis activis et materialibus. Unde res praedictae sunt quidam particulares effectus causarum universalium, quae sunt essentiales partes universi ; et ideo de perfectione sunt universi secundum hoc tantum quod a suis causis progrediuntur, quod quidem fit per motum. Unde pertinent ad perfectionem universi sub motu existentis, non autem ad perfectionem universi simpliciter. Et ideo cessante mutabilitate universi, oportet quod praedicta cessent.

1) D'abord, la plnitude de l'univers, laquelle toutes ses parties sont ordonnes, comme leur fin : les plantes, les animaux et les minraux ne sont pas ordonns cette fin comme par soi et en existant essentiellement pour la perfection de l'univers, puisque rien n'existe en elles qu'on ne retrouve dans les principales parties du monde (que sont les corps clestes et les lments) comme dans les principes actifs et matriels. C'est pourquoi de telles choses sont les effets particuliers des causes universelles, qui sont les parties essentielles de l'univers, et c'est pourquoi elles concernent la perfection de lunivers en cela seulement quelles sortent de leurs causes, ce qui se fait par mouvement. C'est pourquoi elles conviennent la perfection d'un univers soumis au mouvement, mais non celle de l'univers dans l'absolu. Et c'est pourquoi si le changement cesse dans lunivers, il faut quelles cessent.

Alius autem [cap. V] finis est homo ; quia, ut philosophus in sua Politica, dicit, ea quae sunt imperfecta in natura, ordinantur ad perfecta sicut ad finem : unde, sicut ibidem dicit, cum animalia habeant vitam imperfectam respectu vitae humanae, quae simpliciter perfecta est, et plantae respectu animalium ; plantae sunt propter animalia, praeparatae eis in cibum a natura ; animalia vero propter hominem, necessaria ei ad cibum et ad alia auxilia. Ista autem necessitas est, vita animalis hominis durante ; quae quidem in illa rerum innovatione tolletur, quia corpus resurget non animale, sed spirituale, ut dicitur I Corinth. XV, 44 ; et ideo tunc etiam animalia et plantae cessabunt.

2) Mais la fin de l'homme est autre, parce que, comme le Philosophe le dit dans sa Politique (ch. 5), ce qui est imparfait en nature, est ordonne ce qui est parfait, comme sa fin ; c'est pourquoi, comme il le dit l mme, comme les animaux ont une vie imparfaite par rapport la vie humaine, qui est absolument parfaite, et les plantes par rapport aux animaux ; les plantes sont pour les animaux, prpares en nourriture pour eux par la nature, les animaux pour l'homme, ncessaires pour sa nourriture et autres aides. Mais cette ncessit existe tant que dure la vie physique de l'homme ; elle est enleve dans cette rnovation des choses, parce que le corps ressuscitera, non animal, mais spirituel, comme il est dit en I Co. 15, 44 ; et c'est pourquoi alors mme les animaux et les plantes cesseront.

Et ad hoc idem habent aptitudinem praedictarum rerum materia et forma. Cum enim sint ex contrariis composita, habent in se ipsis principium activum corruptionis. Unde si a corruptione prohiberentur ab exteriori principio tantum, hoc esset quodammodo violentum et non conveniens perpetuitati, quia quae sunt violenta non possunt esse semper, ut patet per philosophum in libris Caeli et mundi.[lib. I, com. 18]. Interius autem principium non habent quod possit a corruptione prohibere, quia eorum formae sunt per naturam corruptibiles, utpote nec per se subsistentes, sed esse habentes a materia dependens : unde non possunt in perpetuum remanere eadem numero, nec eadem specie, generatione et corruptione cessante.

Et pour cette mme raison, la matire et la forme ont l'aptitude des choses ci-dessus. Car, comme elles sont composes de contraires, elles ont en elles-mmes un principe actif de corruption. C'est pourquoi si elles taient empches de se corrompre par un principe extrieur seulement, cela serait d'une certaine manire violent et ne conviendrait pas pour une dure illimite, parce que ce qui est violent ne peut pas exister toujours, comme le Philosophe le montre dans le livre Le ciel et du monde (II, 1, 248 a 27[619]). Mais elles n'ont pas un principe plus intrieur, qui puisse empcher la corruption, parce que leurs formes sont corruptibles par nature, de sorte quelles ne sont pas subsistantes par soi, mais elles ont un tre qui dpend de la matire : c'est pourquoi elles ne peuvent demeurer toujours les mmes ni en nombre, ni en espce, si la gnration et la corruption cessent.

Hoc autem idem invenitur ex consideratione causae moventis ; esse enim plantarum et animalium quoddam vivere est, quod in rebus corporalibus sine motu non existit ; unde animalia deficiunt cessante motu cordis, et plantae cessante nutrimento. In his autem rebus non est aliquod motus principium non dependens a primo mobili, quia ipsae animae animalium et plantarum totaliter subiiciuntur impressionibus caelestium corporum. Unde motu caeli cessante, non poterit in eis motus remanere, nec vita. Et sic patet quod in illa mundi innovatione res praedictae non poterunt remanere.

On trouve le mme rsultat si on considre la cause moteur ; car l'tre des plantes et des animaux c'est une certaine manire de vivre, qui n'existe pas dans les corps sans mouvement ; c'est pourquoi les animaux prissent lorsque cesse le mouvement du cur, et les plantes quand cesse leur nourriture. Mais il n'y a pas en elles un principe de mouvement indpendant d'un premier mobile, parce que les mes mme des animaux et des plantes sont soumises totalement aux pressions des corps clestes. C'est pourquoi, si le mouvement du ciel cesse, le mouvement ne pourra pas demeurer en elles, ni la vie non plus. Et ainsi il est clair que dans cette rnovation du monde, les plantes, les animaux et les minraux ne pourront pas demeurer.

 

Solutions :

q. 5 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnia opera Dei in aeternum perseverant vel secundum se, vel in suis causis : sic enim et animalia et plantae remanebunt manentibus caelestibus corporibus et elementis.

 1. Toutes les uvres de Dieu demeureront ternellement en soi, ou dans leurs causes, car ainsi les animaux et les plantes demeureront tant que les corps clestes et les lments demeureront.

q. 5 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perpetuitas quae est secundum speciem et non secundum numerum, est per generationem ; quae, cessante motu caeli, non erit.

 2. La perptuit selon l'espce, et non selon le nombre existe par gnration, si le mouvement du ciel cesse, elle n'existera plus.

q. 5 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intentio naturae est ad perpetuitatem in specie conservandam, durante motu caeli, per quem huiusmodi perpetuitas conservari potest.

 3. L'intention de la nature est de toujours conserver l'espce, tant que dure le mouvement du ciel, par lequel une telle perptuit peut tre conserve.

q. 5 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedictae res faciunt ad decorem universi secundum statum mutabilitatis in mundo et animalis vitae in homine, et non aliter, ut dictum est.

 4. Les choses susdites participent la beaut de l'univers, selon l'tat de mutabilit dans le monde et de la vie physique dans l'homme, mais pas autrement, comme on l'a dit.

q. 5 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum quod in illa beatitudine sancti non indigebunt invisibilia Dei per creaturas conspicere, sicut in hoc statu, pro quo loquitur apostolus ; sed tunc invisibilia Dei per se ipsa videbunt.

 5. Dans cette batitude, les saints n'auront pas besoin de voir par les cratures ce qui est invisible en Dieu, comme dans cet tat (de vie), dont parle l'Aptre ; mais alors ils verront par eux-mmes ce qui est invisible en Dieu.

q. 5 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod lignum vitae accipitur ibi metaphorice pro Christo, vel pro sapientia, de qua Proverb. cap. III, 18 : Lignum vitae est his qui apprehenderint eam.

 6. La bois de la vie est pris mtaphoriquement pour le Christ, ou pour la Sagesse, dont parle les Proverbes (3, 18) : Le bois de vie est pour ceux qui l'auront saisie.

q. 5 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod desiderium perpetuitatis est in rebus creatis ex assimilatione ad Deum ; unicuique tamen secundum suum modum.

 7. Le dsir d'ternit est dans les cratures par ressemblance Dieu ; chacun sa manire cependant.

q. 5 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod opus creationis per ornatum animalium et plantarum consummatur quantum ad primam mundi consummationem, quae attenditur secundum statum mutabilitatis mundi, in ordine ad complendum numerum electorum ; non autem ad consummationem mundi simpliciter, ut dictum est.

 8. L'uvre de cration est acheve par l'ornement des animaux et des plantes, quant la premire consommation du monde, qui est atteinte selon le statut de sa mobilit, dans l'ordre pour complter le nombre des lus, mais non pour la consommation absolue du monde, comme on l'a dit.

q. 5 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod elementa non dicuntur remunerari secundum se, quia non secundum se aliquid meruerunt ; sed dicuntur remunerari in quantum homines in eis remunerabuntur, prout scilicet eorum claritas in gloriam electorum cedet. Animalibus autem et plantis homines non indigebunt, sicut elementis, quae erunt locus quasi gloriae ipsorum ; et ideo non est simile.

 9. On ne dit pas que les lments sont rcompenss en soi, parce qu'en soi, ils n'ont rien mrit ; mais on dit qu'ils sont rcompenss en tant que les hommes seront rcompenss en eux, selon que leur clart se changera en la gloire des lus. Mais les hommes n'auront pas besoin des animaux et des plantes, comme des lments, qui seront, pour ainsi dire, le lieu de leur gloire ; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 5 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet quantum ad vitam et cognitionem, plantae et animalia sint meliora quam elementa, tamen quantum ad simplicitatem, quae facit ad incorruptionem, sunt elementa Deo similiora.

 10. Bien que, en ce qui concerne la vie et la connaissance, les plantes et les animaux soient meilleurs que les lments, cependant, par leur simplicit, qui les rend incorruptibles, les lments sont plus semblables Dieu.

q. 5 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in ipso homine continuatio quaedam naturarum apparebit, in quantum in eo congregatur et natura corporis mixti et natura vegetabilium et animalium.

 11. Dans l'homme mme, la continuation des natures apparatra, en tant qu'en lui se rassemblent la nature du corps mixte, et celle des vgtaux et des animaux.

q. 5 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod alia fuit perfectio mundi creati et mundi consummati, ut supra dictum est ; et ideo non oportet ut sit de secunda perfectione quod fuit de prima.

 12. La perfection du monde cre a t autre que celle du monde consum, comme on la dit ci-dessus, et c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui est de la seconde perfection soit ce qui a t de la premire.

q. 5 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod vermis ille qui ad poenam impiorum deputatur, non est intelligendus corporaliter, sed spiritualiter ; ut per vermem stimulus suae conscientiae intelligatur, ut Augustinus dicit [in XX de Civ. Dei] ; et secundum eumdem modum possunt exponi si qua similia inveniantur.

 13. Ce vers qui est destin la peine des impies, n'est pas comprendre corporellement, mais spirituellement, pour que par lui on comprenne laiguillon de la conscience, comme Augustin le dit (La Cit de Dieu, XX), et si on trouve d'autres expressions semblables, on peut les expliquer de la mme manire

q. 5 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod rationes seminales quae sunt in elementis, ad effectum producendum non sufficiunt nisi motu caeli coadiuvante ; et ideo motu caeli cessante non sequitur quod oporteat animalia vel plantas esse ; nec tamen sequitur quod rationes seminales sint frustra, quia sunt de perfectione ipsorum elementorum.

 14. Les raisons sminales, qui sont dans les lments, ne suffisent pour produire un effet que si le mouvement du ciel vient leur aide ; et c'est pourquoi s'il cesse, il n'en dcoule pas qu'il faille que les animaux ou les plantes existent, et cependant il n'en dcoule pas que les raisons sminales soient vaines, parce qu'elles concernent la perfection des lments eux-mmes.

q. 5 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod licet aliqua sint quae ad horam ab igne non consumantur, nihil tamen est quod finaliter ab igne non consumatur, si diu in igne remaneat, ut Galenus dicit ; et tamen ille ignis conflagrationis mundi erit multo violentior quam iste ignis quo utimur. Nec iterum ex sola ignis actione corpora mixta in illo igne destruentur, sed etiam ex cessatione motus caeli.

 15. Bien que certaines choses existent qui ne sont pas consumes sur lheure par le feu, il n'y a rien cependant qui ne soit consum finalement par le feu, s'il lui demeure longtemps, comme Galien le dit ; et cependant ce feu de la conflagration du monde sera beaucoup plus violent que celui dont nous nous servons. Et nouveau de sa seule action les corps mixtes seront dtruits en lui, mais aussi par la cessation du mouvement du ciel.

q. 5 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod universale tripliciter considerari potest ; et secundum quemlibet modum considerationis aliquo modo verum est quod universale est semper.

 16. On peut considrer l'universel de trois manires ; et sous quelque mode qu'on le considre il est vrai d'une certaine manire qu'il existe toujours.

Potest enim uno modo considerari natura universalis secundum quod abstrahit a quolibet esse : et sic verum est quod universale est semper, magis per remotionem causae determinantis ad aliquod tempus, quam per positionem causae perpetuitatis ; de ratione enim naturae universalis non est quod sit magis hoc tempore quam illo ; per quem etiam modum materia prima dicitur esse una.

a) Car on peut d'une manire considrer la nature universelle selon qu'elle est spare de n'importe quel tre ; et ainsi il est vrai que l'universel existe toujours plus par loignement de la cause dterminante pour un temps, que par la position de la cause de la perptuit, car il n'est pas de la dfinition de la nature universelle qu'elle existe plus dans un temps que dans un autre ; de cette manire on dit que la matire premire est une.

Alio modo potest considerari secundum esse quod habet in singularibus : et sic verum est quod est semper, quia est quandocumque est suum singulare ; sicut etiam dicitur esse ubique, quia est ubicumque est suum singulare, cum tamen multa loca sint ubi sua singularia non sunt ; unde nec ibi est universale.

b) D'une autre manire, elle peut tre considre selon son tre dans les choses particulires, et ainsi il est vrai qu'elle existe toujours parce qu'elle existe toutes les fois qu'existe son tre particulier. De mme on dit aussi qu'elle est partout, n 'importe o existe un tre particulier qui la reprsente, alors que cependant il y a de nombreux endroits o ses tres particuliers ne sont pas : c'est pourquoi ici non plus ce n'est pas universel.

Tertio modo potest considerari secundum esse quod habet in intellectu : et sic etiam verum est quod universale est semper, praecipue in intellectu divino.

c) D'une troisime manire, on peut la considrer selon l'tre qu'elle a dans l'intellect et ainsi il est vrai que l'universel existe toujours, principalement dans l'intellect divin.

 

 

 

Article 10 Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel ?

q. 5 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum corpora humana remaneant, motu caeli cessante. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[620]

q. 5 a. 10Arg. 1 Quia dicitur I Cor. cap. XV, 50 : Caro et sanguis regnum Dei non possidebunt. Sed corpus hominis est ex carne et sanguine. Ergo in illo rerum fine humana corpora non remanebunt.

1. Parce qu'il est dit en I Cor. 15, 50 : La chair et le sang ne possderont pas le Royaume de Dieu. Mais le corps de l'homme est de la chair et du sang. Donc en cette fin du monde, les corps humains ne demeureront pas.

q. 5 a. 10Arg. 2 Praeterea, omnis mixtio elementorum ex motu caeli causatur, cum ad mixtionem alteratio requiratur. Sed corpus humanum est corpus mixtum ex elementis. Ergo motu caeli cessante, remanere non potest.

2. Tout mlange des lments est caus par le mouvement du ciel, puisque le changement est ncessaire pour la mlange. Mais le corps humain est un corps mixte d'lments. Donc, si le mouvement du ciel cesse, il ne peut pas demeurer.

q. 5 a. 10Arg. 3 Praeterea, necessitas quae est ex materia, est necessitas absoluta, ut patet in II Physic.[com. 87 et 88]. Sed in corpore composito ex contrariis est necessitas ad corruptionem ex ipsa materia. Ergo impossibile est quin talia corpora corrumpantur ; et ita impossibile est quod remaneant post statum generationis et corruptionis. Corpora autem humana sunt huiusmodi. Ergo impossibile est quod in illo rerum fine remaneant.

3. La ncessit qui vient de la matire est une ncessit absolue, comme cela est expos en Physique (II, 9, 200 a 1 200 a 14). Mais dans un corps compos de contraires, il y a ncessairement la corruption qui vient de la matire mme. Donc il est impossible que de tels corps ne soient pas corrompus et quainsi ils demeurent aprs un tat de gnration et de corruption. Mais les corps humains sont de ce genre. Donc il est impossible qu'ils demeurent en cette fin du monde.

q. 5 a. 10Arg. 4 Praeterea, homo cum brutis convenit in hoc quod habet corpus sensibile. Sed corpora sensibilia brutorum non remanebunt in illo mundi fine. Ergo nec corpora humana.

4. L'homme se rencontre avec les animaux du fait qu'il a un corps sensible. Mais les corps sensibles des animaux ne demeureront pas en cette fin du monde. Donc les corps humains non plus.

q. 5 a. 10Arg. 5 Praeterea, finis hominis est perfecta assimilatio ad Deum. Sed Deo, qui incorporeus est, magis assimilatur anima corpore absoluta, quam corpori unita. Ergo in illo statu finalis beatitudinis, animae absque corporibus erunt.

5. La fin de l'homme est la ressemblance parfaite Dieu. Mais l'me spare du corps ressemble plus Dieu, qui est incorporel quunie au corps. Donc en cet tat de batitude finale, les mes seront sans corps.

q. 5 a. 10Arg. 6 Praeterea, ad perfectam hominis beatitudinem requiritur perfecta operatio intellectus. Sed operatio animae intellectivae a corpore absolutae est perfectior quam animae corpori unitae, quia, ut dicitur in Lib. de Causis, omnis virtus unita plus est infinita quam multiplicata. Formae autem separatae in se unitae sunt : materiae vero coniunctae, quodammodo ad plura diffunduntur. Ergo in illa perfecta beatitudine animae non erunt corpori unitae.

6. Pour la parfaite batitude de l'homme, une parfaite opration de l'intellect est requise. Mais l'opration de l'me intellectuelle est plus parfaite spare du corps quunie au corps, comme on le dit dans le Livre des Causes ( prop. 17), toute puissance unie est plus infinie qu'une puissance multiplie. Les formes spares sont unies en soi, mais les matires jointes, sont rpandues d'une certaine manire en plusieurs. Donc dans cette parfaite batitude, les mes ne seront pas unies au corps.

q. 5 a. 10Arg. 7 Praeterea, elementa quae sunt in mixto, appetunt naturali appetitu propria ubi. Appetitus autem naturalis non potest esse vanus ; unde quod est contra naturam, non potest esse perpetuum. Non potest ergo esse quin elementa in corpore mixto existentia quandoque ad sua loca tendant, et sic corpus mixtum corrumpatur ; ergo post corruptionis statum non remanebunt humana corpora, quae sunt mixta.

7. Les lments qui sont dans le mixte recherchent d'un apptit naturel leur propre site. Mais cet apptit naturel ne peut pas tre vain. Cest pourquoi ce qui est contre la nature ne peut pas tre perptuel. Il nest donc pas possible que les lments qui existent dans le corps mixte parfois ne tendent pas leur site, et ainsi le corps mixte est corrompu ; donc aprs l'tat de corruption, les corps humains qui sont des mixtes ne demeureront pas.

q. 5 a. 10Arg. 8 Praeterea, omnis motus naturalis cuiuscumque corporis a motu caeli dependet. Sed motus cordis, sine quo non potest esse humani corporis vita, est motus naturalis. Ergo cessante motu caeli remanere non poterit, et per consequens nec humani corporis vita.

8. Tout mouvement naturel d'un corps quelconque dpend du mouvement du ciel. Mais le mouvement du cur, sans quoi la vie du corps humain ne peut pas exister, est un mouvement naturel. Donc quand cessera le mouvement du ciel, il ne pourra pas demeurer, et par consquent, la vie du corps humain non plus.

q. 5 a. 10Arg. 9 Praeterea, membra humani corporis, pro maiori parte sunt ordinata ad usus competentes vitae animalis, sicut patet de venis et stomacho et huiusmodi, quae ordinatur ad nutrimentum. Animalis autem vita in homine non remanebit in illa beatitudine. Ergo nec membra corporis (alias enim frustra essent) ; et sic nec corpus humanum remanebit.

9. Les membres du corps humain, pour une majeure partie sont ordonns l'usage appropri de la vie physique, comme on le voit pour les veines, l'estomac, etc., qui sont ordonns la nutrition ; mais la vie physique dans l'homme ne demeurera pas dans cette batitude. Donc les membres du corps non plus (car autrement ils seraient inutiles) et ainsi le corps humain ne demeurera pas.

 

En sens contraire :

q. 5 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I ad Cor. cap. XV, 53 : Oportet corruptibile hoc induere incorruptionem. Hoc autem corruptibile, corpus est. Ergo corpus remanebit incorruptione indutum.

1. Il y a ce qui est dit en I Co., 15, 53 : Il faut que cet tre corruptible revte l'incorruptibilit. Ce qui est corruptible, c'est le corps. Donc le corps demeurera revtu d'incorruptibilit.

q. 5 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Philip. III, 21, dicitur : reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae. Sed Christus corpus quod semel in resurrectione resumpsit, nunquam deposuit nec deponet : Rom. VI, 9 : Christus resurgens ex mortuis iam non moritur. Ergo et sancti in perpetuum vivent cum corporibus cum quibus resurgent ; et sic humana corpora post finem mundi manebunt.

2. En Phil. 3, 21, il est dit : Il transfigurera notre corps d'humilit pour le conformer son corps de gloire[621] Mais le Christ na jamais abandonn et nabandonnera pas le corps quil a repris une fois ressuscit. Rm 6, 9 : Le Christ ressuscit des morts ne meurt plus. Donc les saints vivront ternellement dans les corps avec lesquels ils ressusciteront, et ainsi les corps humains demeureront aprs la fin du monde.

 

Rponse :

q. 5 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod sicut Augustinus dicit [XXII de Civ. Dei, c. XXVI], Porphyrius ponebat, ad perfectam beatitudinem humanae animae, omne corpus fugiendum esse ; et sic, secundum eum, anima in perfecta beatitudine existens, corpori unita esse non potest. Quam opinionem tangit Origenes in suo periarchon dicens : quosdam opinatos fuisse, sanctos corpora in resurrectione resumpta quandoque deposituros, ut sic ad Dei similitudinem in perfecta beatitudine vivant.

Comme le dit Augustin (La cit de Dieu, XXII, 26), Porphyre pensait que, pour la parfaite batitude de l'me humaine, il fallait fuir tout corps, et ainsi selon lui, l'me dans la parfaite batitude, ne peut pas tre unie un corps. Origne parle de cette opinion dans son Periarchon, en disant que certains ont pens quun jour les saints abandonneront les corps quils auront repris la rsurrection, pour vivre ainsi dans une batitude parfaite l'image de Dieu.

Sed haec positio praeter hoc quod est fidei contraria, ut ex auctoritatibus inductis et pluribus aliis patere potest, etiam a ratione discordat. Non enim perfectio beatitudinis esse poterit ubi deest naturae perfectio. Cum autem animae et corporis naturalis sit unio, et substantialis, non accidentalis, non potest esse quod natura animae sit perfecta, nisi sit corpori coniuncta ; et ideo anima separata a corpore, non potest ultimam perfectionem beatitudinis obtinere. Propter quod etiam dicit Augustinus in fine super Genes. ad Litt. [lib. XIII, cap. XXXV], quod animae sanctorum, ante resurrectionem, non ita perfecte fruuntur divina visione sicut postea ; unde in ultima perfectione beatitudinis oportebit corpora humana esse animabus unita.

Mais cette opinion, pour cela qu'elle est contraire la foi, comme on peut le voir des autorits d'o elle est tire et de plusieurs autres, est aussi contraire la raison. Car la perfection de la batitude ne pourra pas exister l o manque la perfection de la nature. Mais comme l'union du corps et de l'me est naturelle, substantielle, et non accidentelle, il n'est pas possible que la nature de l'me soit parfaite, si elle n'est pas unie un corps, et c'est pourquoi l'me spare du corps ne peut pas obtenir la perfection suprme de la batitude. Pour cette raison, Augustin dit la fin de La Gense au sens littral, (XII, 35), que les mes des saints ne jouiront pas avant la rsurrection, de manire aussi parfaite de la vision de Dieu, comme aprs ; c'est pourquoi dans la suprme perfection de la batitude, il faudra que les corps humains soit unis aux mes.

Positio autem praemissa procedit secundum opinionem illorum qui dicunt : animam accidentaliter uniri corpori, sicut nautam navi, aut hominem indumento. Unde et Plato dixit quod homo est anima corpore induta, ut Gregorius Nyssenus narrat De Anima, cap. X]

Mais la position ci-dessus procde de l'opinion de ceux qui disent que l'me est unie accidentellement au corps, comme la marin son navire, comme l'homme son vtement. C'est pourquoi Platon aussi a dit que l'homme est une me revtue d'un corps, comme Grgoire de Nysse le raconte (De l'me, X).

Sed hoc stare non potest, quia sic homo non esset ens per se, sed per accidens ; nec esset in genere substantiae, sed in genere accidentis, sicut hoc quod dico vestitum, et calceatum. Patet etiam quod rationes supra inductae de corporibus mixtis, non habent locum in homine, nam homo ordinatur ad perfectionem universi ut essentialis pars ipsius, cum in homine sit aliquid quod non continetur virtute nec in elementis nec in caelestibus corporibus, scilicet anima rationalis. Corpus etiam hominis ordinatur ad hominem, non secundum animalem vitam tantum, sed ad perfectionem naturae ipsius. Et quamvis corpus hominis sit ex contrariis compositum, inerit tamen principium incorruptibile, quod poterit praeservare a corruptione absque violentia, cum sit intrinsecum. Et hoc poterit esse sufficiens principium motus, motu caeli cessante, cum a motu caeli non dependeat.

Mais cela n'est pas possible parce que, ainsi, l'homme ne serait pas un tre par soi, mais par accident, et il ne serait pas dans le genre de la substance mais dans celui de l'accident, comme ce qu'on dit vtu, ou chauss. Car il est clair que les raisons prsentes plus haut au sujet des corps mixtes, n'ont pas de place dans l'homme, car il est ordonn la perfection de l'univers, comme sa partie essentielle, puisquen lui, il y a quelque chose qui n'est pas contenu par le pouvoir, ni dans les lments, ni dans les corps clestes, savoir l'me rationnelle. Mais le corps de l'homme lui est ordonn, pas seulement pour la vie physique, mais pour la perfection de sa nature. Et quoique son corps soit compos de contraires, il y a en lui cependant un principe incorruptible, qui pourra le prserver de la corruption sans violence, puisqu'il est intrinsque. Et cela pourra tre un principe suffisant de mouvement, si le mouvement du ciel cesse, puisqu'il n'en dpend pas.

 

Solutions :

q. 5 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per carnem et sanguinem intelligitur corruptio carnis et sanguinis ; unde in eadem auctoritate subditur : Neque corruptio incorruptelam possidebit.

 1. Par la chair et le sang on comprend leur corruption ; c'est pourquoi dans la mme autorit il est ajout :La corruption ne possdera pas lincorruptibilit.

q. 5 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus est causa mixtionis secundum fieri ; sed conservatio eius est per formam substantialem, et ulterius per principia caelo altiora, ut in superioribus quaestionibus patet.

 2. Le mouvement est la cause du mixte en son devenir ; mais sa conservation vient par la forme substantielle et plus tard par des principes plus levs que le ciel, comme cela parat dans les questions prcdentes.

q. 5 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima rationalis ex perfecta unione ad Deum, omnino super materiam victoriam habebit ; et sic licet materia sibi relicta corruptibilis sit, tamen ex virtute animae incorruptionem sortiretur.

 3. L'me rationnelle, par son union parfaite Dieu, aura tout fait la victoire sur la matire ; et ainsi, bien que la matire laisse elle-mme soit corruptible, elle obtiendra l'incorruptibilit par le pouvoir de l'me.

q. 5 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sensibilitas in homine est a principio incorruptibili, scilicet ab anima rationali ; in brutis autem est a principio corruptibili ; et ideo corpus sensibile hominis in perpetuum potest remanere, non autem corpus sensibile bruti.

 4. La sensibilit dans l'homme vient d'un principe incorruptible, c'est--dire de l'me rationnelle ; mais dans les animaux elle vient d'un principe corruptible ; et c'est pourquoi le corps physique de l'homme peut demeurer ternellement, mais pas celui de l'animal.

q. 5 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod anima corpori unita plus assimilatur Deo quam a corpore separata, quia perfectius habet suam naturam. Intantum enim unumquodque Deo simile est, in quantum perfectum est, licet non sit unius modi perfectio Dei et perfectio creaturae.

 5. L'me unie au corps ressemble plus Dieu que spare du corps, parce quelle possde plus parfaitement sa nature. Car chaque tre est parfait, en tant qu'il est semblable Dieu, bien que la perfection de Dieu et celle de la crature ne relve pas d'un seul mode.

q. 5 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod anima corpori unita non multiplicatur per modum formarum materialium quae sunt divisibiles divisione subiecti, sed in se remanet simplex et una ; unde eius operatio non impedietur ex corporis unione, quando corpus omnino erit subiectum animae ; nunc autem impeditur ex corporis unione, propter hoc quod anima non perfecte dominatur in corpus.

 6. L'me unie au corps n'est pas multiplie la manire des formes matrielles qui sont divisibles par la division du sujet, mais elle demeure en soi une et simple ; c'est pourquoi son opration ne sera pas empche par l'union au corps, quand celui-ci sera tout fait assujetti l'me ; mais maintenant elle en est empche du fait qu'elle n'en est pas parfaitement matresse.

q. 5 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod appetitus naturalis elementorum tendendi in propria loca, per dominium animae in corpus retinebitur, ne dissolutio elementorum fiat, quia elementa perfectius esse habebunt in corpore hominis quam in suis locis haberent.

 7. L'apptit naturel des lments qui tendent leurs sites propres, est retenu par la domination de l'me sur le corps, pour que la dissolution des lments ne se fasse pas, parce qu'ils auront un tre plus parfait dans le corps de l'homme qu'ils ne l'auraient dans leurs sites propres.

q. 5 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod motus cordis in homine causabitur ex natura animae rationalis, quae a motu caeli non dependet ; et ideo motus ille non cessabit, motu caeli cessante.

 8. Le mouvement du cur dans l'homme sera caus par la nature de l'me rationnelle, qui ne dpend pas du mouvement du ciel, et c'est pourquoi ce mouvement ne cessera pas, quand le mouvement du ciel cessera.

q. 5 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod omnia membra corporis remanebunt, non propter usus animalis vitae, sed propter perfectionem naturae hominis.

 9. Tous les membres du corps demeureront, non cause de l'usage de la vie physique, mais de la perfection de la nature de l'homme.

 

 

 

Question 6 Les miracles

q. 6 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit in rebus creatis aliquid operari praeter causas naturales, vel contra naturam, vel contra cursum naturae.

1. Dieu peut-il oprer dans les cratures au-del des causes naturelles, contre la nature ou contre son cours ?

q. 6 pr. 2 Secundo utrum omnia quae Deus facit contra cursum naturae, possint dici miracula.

2. Peut-on appeler miracle tout ce que Dieu fait contre le cours de la nature ?

q. 6 pr. 3 Tertio utrum creaturae spirituales sua naturali virtute possint miracula facere.

3. Les cratures spirituelles peuvent-elles faire des miracles par leur pouvoir naturel ?.

q. 6 pr. 4 Quarto utrum boni Angeli et homines per aliquod donum gratiae miracula facere possint.

4. Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grce ?

q. 6 pr. 5 Quinto utrum Daemones cooperentur ad miracula facienda.

5. Les dmons cooprent-ils aux miracles ?

q. 6 pr. 6 Sexto utrum Daemones vel Angeli habeant corpora sibi naturaliter unita.

6. Les dmons ou les anges ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement ?

q. 6 pr. 7 Septimo utrum Angeli vel Daemones possint corpora assumere.

7. Les anges ou les dmons peuvent-ils assumer un corps ?

q. 6 pr. 8 Octavo utrum Angelus vel Daemon, vel corpus assumptum possit operationes viventis corporis exercere.

8. Lange ou le dmon, en assumant un corps peut-il pratiquer les opration dun corps vivant

q. 6 pr. 9 Nono utrum operatio miraculi sit attribuenda fidei.

9. Oprer un miracle doit-il tre attribu la foi ?

q. 6 pr. 10 Decimo utrum Daemones cogantur aliquibus sensibilibus et corporalibus rebus, factis aut verbis ad miracula facienda, quae per magicas artes fieri videntur.

10. Les dmons sont-ils forcs, par des objets sensibles et corporels, des vnements ou des paroles, daccomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques ?

 

 

 

Article 1 Dieu peut-il oprer dans les cratures au-del des causes naturelles, ou contre la nature ou contre son cours ?[622]

 

Objections :

q. 6 a.1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit in rebus creatis aliquid operari praeter causas naturales, vel contra naturam, vel contra cursum naturae. Et videtur quod non.

Il semble que non[623].

q. 6 a.1Arg. 1 Quia in Glossa Rom. XI, 24 [ordinaria ibi : Contra naturam insertus est], dicitur : Deus omnium naturarum conditor, nihil contra naturam facit.

1. La glose de Rm. 11, 24 (glose ordinaire) : Il a t greff contre nature] dit : Dieu, crateur de toutes les natures, ne fait rien contre la nature[624].

q. 6 a.1Arg. 2 Praeterea, alia Glossa dicit ibidem : Contra legem naturae tam Deus facere non potest quam contra se ipsum. Contra se ipsum autem nullo modo facere potest : quia se ipsum negare non potest, ut dicitur II Tim. cap. II, 13. Ergo nec contra naturae ordinem, qui est lex naturae, Deus facere potest.

2. Une autre glose dit au mme endroit : Dieu ne peut pas agir contre la loi de la nature, pas plus que contre lui-mme. Il ne peut agir en aucune manire contre lui-mme, parce quil ne peut se nier lui-mme, comme il est dit 2 Tm, 2, 13. Donc Dieu ne peut agir contre lordre de la nature qui en est la loi.

q. 6 a.1Arg. 3 Praeterea, sicut ordo humanae iustitiae derivatur a divina iustitia, ita ordo naturae derivatur a divina sapientia ; ipsa enim est quae disponit omnia suaviter, ut dicitur Sap. cap. VIII, 1. Sed contra ordinem humanae iustitiae Deus facere non potest : sic enim esset causa peccati, quod solum ordini iustitiae repugnat. Cum ergo non minor sit Dei sapientia, quam eius iustitia, videtur quod nec contra ordinem naturae facere possit.

3. De mme que lordre de la justice humaine est driv de la justice de Dieu, celui de la nature est driv de la sagesse de Dieu[625] ; car c'est elle qui dispose tout avec bienfaisance comme il est dit en Sg. 8, 1. Mais Dieu ne peut pas agir contre lordre de la justice humaine ; car ainsi il serait cause du pch, qui seul soppose lordre de la justice. Donc comme la sagesse de Dieu nest pas infrieure sa justice, il semble quil ne peut pas agir contre lordre de la nature.

q. 6 a.1Arg. 4 Praeterea, quandocumque Deus operatur in creaturis per rationes seminales, non fit aliquid contra naturae cursum. Sed non potest Deus aliquid convenienter operari in natura praeter rationes seminales naturae inditas. Ergo Deus non potest convenienter contra cursum naturae facere. Probatio mediae. Augustinus enim dicit [in III de Trin., cap. X1 et XII], quod visibiles apparitiones patribus exhibitae sunt mediante ministerio Angelorum, ex hoc quod Deus corpora regit per spiritus. Sed similiter corpora inferiora regit per superiora, ut ipse dicit [in eodem lib., cap IV], et similiter potest dici, quod effectus quoslibet regit per causas. Cum ergo in causis naturalibus rationes seminales sint inditae, videtur quod Deus convenienter non possit operari in effectibus naturalibus, nisi rationibus seminalibus mediantibus : et sic nihil fiet ab eo contra cursum naturae.

4. [1[626]]Toutes les fois que Dieu opre dans les cratures par les raisons sminales[627], rien nest fait contre le cours de la nature. [2] Mais il ne peut pas oprer convenablement dans la nature en dehors de celles de la nature qui y sont induites. [3] Donc, il ne peut pas agir avec convenance contre le cours de la nature. Preuve de la proposition intermdiaire [2] : En effet, Augustin dit (La Trinit, III, XI et XII) que les apparitions qui ont t vues par les patriarches ont t accomplies par lintermdiaire du ministre des anges, du fait que Dieu gouverne les corps par les esprits. Mais de la mme manire, il gouverne les corps infrieurs par les corps suprieurs, comme il le dit lui-mme, (dans le mme livre, ch. IV), et, de la mme manire, on peut dire quil gouverne tous les effets par les causes. Donc comme les raisons sminales sont induites dans les causes naturelles, il semble que Dieu ne puisse agir convenablement dans les effets naturels que par lintermdiaire des raisonss sminales et ainsi il ne fera rien contre le cours de la nature.

q. 6 a.1Arg. 5 Praeterea, Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, quia cum hoc sit contra rationem entis in quantum est ens, est etiam contra rationem creaturae ; prima namque rerum creaturarum est esse, ut dicitur in libro de causis [prop. 4]. Praedictum autem principium, cum sit primum inter omnia principia, in quod omnia alia resolvuntur, ut probatur in IV Metaph., oportet quod in qualibet necessaria propositione includatur, et quod eius oppositum includatur in quolibet impossibili. Cum ergo ea quae sunt contra cursum naturae sint impossibilia in natura,- sicut caecum fieri videntem, et mortuum fieri viventem,- in huiusmodi oppositum dicti principii includetur. Ergo ea quae sunt contra cursum naturae, Deus facere non potest.

5. Dieu ne peut faire que laffirmation et la ngation soient vraies en mme temps[628], parce que, comme c'est contre la nature de l'tant en tant que tel, c'est aussi contre celle de la crature ; car la premire des choses cres est lՐtre, comme il est dit dans le livre Des causes (prop. IV). Il faut que ce principe, puisquil est le premier de tous les principes en qui tous les autres sont rsolus, comme on le prouve (Mtaphysique IV, 3, 1005 b 19[629]), soit inclus en nimporte quelle proposition ncessaire et que son oppos soit inclus en tout ce qui est impossible. Donc, comme ce qui est contre le cours de la nature est impossible en elle, ainsi qu'un aveugle voit et qu'un mort revive cela est inclus dans un tel contraire ce principe. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est contre le cours de la nature.

q. 6 a.1Arg. 6 Praeterea, quaedam Glossa dicit, Ephes. cap. III, 7 sq. quod Deus contra causas quas voluntate instituit, mutabili voluntate, nihil facit. Sed causas naturales Deus voluntate sua instituit. Ergo contra eas nihil facit nec facere potest, sicut non potest esse mutabilis ; mutabilitas enim voluntatis videtur cum aliquis facit contra id quod prius voluntate instituit.

6. Une glose dit (Eph. 3, 7) que Dieu ne fait rien contre les causes quil a tabli par sa volont, sil change de volont. Mais Dieu a tabli les causes naturelles par sa volont. Donc il ne fait rien et il ne peut rien faire contre elles, de mme quil ne peut pas changer ; car le changement de volont apparat quand quelquun agit contre ce quil a dcid dabord par elle.

q. 6 a.1Arg. 7 Praeterea, bonum universi est bonum ordinis, ad quem pertinet cursus naturalium rerum. Sed Deus non potest facere contra bonum universi, quia ex sua bonitate summa provenit quod omnia sint valde bona secundum ordinem universi. Ergo Deus non potest facere contra cursum naturalium rerum.

7. Le bien de lunivers est celui de lordre auquel se rattache le cours des choses naturelles. Mais Dieu ne peut pas agir contre le bien de lunivers, parce que de sa bont suprme provient que tout est tout fait bon, dans lordre de lunivers. Donc, il ne peut agir contre le cours des choses naturelles.

q. 6 a.1Arg. 8 Praeterea, Deus non potest esse causa mali. Malum autem, secundum Augustinum [de nat. boni, cap. IV], est privatio modi, speciei et ordinis. Ergo Deus non potest facere, contra cursum naturae, qui pertinet ad ordinem universi.

8. Dieu ne peut pas tre la cause du mal. Mais selon Augustin (La nature du bien, IV), le mal est la privation du mode, de lespce et de lordre. Donc Dieu ne peut pas agir contre le cours de la nature qui appartient lordre de lunivers.

q. 6 a.1Arg. 9 Praeterea, Genes. II, 2, dicitur, quod [Deus] die septimo cessavit ab omni opere quod patrarat ; et hoc ideo secundum Glossam ordinariam, quia cessavit a novis operibus condendis. Sed in operibus sex dierum non fecit aliquid contra cursum naturae. Unde Augustinus dicit, quod in operibus sex dierum non quaeritur quid Deus miraculose facere possit, sed quid rerum natura patiatur, quam tunc Deus instituit. Ergo nec postea Deus aliquid fecit contra naturae cursum.

9. Il est dit en Gn. 2, 2, : (Dieu) acheva[630] le septime jour toute luvre quil avait accomplie ; et selon la glose ordinaire, parce quil cessa de crer des uvres nouvelles. Mais dans les uvres des six jours, il ne fit rien contre le cours de la nature. Cest pourquoi Augustin (La Gense au sens littral, II) dit que, dans les uvres des six jours, on ne cherche pas ce que Dieu pourrait faire miraculeusement, mais ce que supporte la nature que Dieu institua alors. Donc par la suite Dieu ne fit rien contre le cours de la nature.

q. 6 a.1Arg. 10 Praeterea, secundum philosophum [in VII Metaph.] natura est causa ordinationis in omnibus. Sed Deus non potest facere aliquid nisi ordinatum, quia, ut dicitur Rom. cap. XIII, 1 : quae a Deo sunt, ordinata sunt. Ergo non potest facere aliquid contra naturam.

10. Selon les philosophes (Mtaphysique, VII, 3, 1029 a 20[631]), la nature est la cause de la mise en ordre en tout. Mais Dieu ne peut rien faire quordonn, parce que, comme il est dit en Rm. 13, 1[632] : Ce qui vient de Dieu a t mis en ordre. Donc il ne peut rien faire contre la nature.

q. 6 a.1Arg. 11 Praeterea, sicuti ratio humana a Deo est, ita et natura. Sed contra principia rationis Deus facere non potest, sicut quod genus de specie non praedicetur, vel quod latus quadrati sit commensurabile diametro. Ergo nec contra principia naturae Deus facere potest.

11. La raison de l'homme vient de Dieu, la nature aussi. Mais Dieu ne peut pas agir contre les principes de la raison : par exemple faire en sorte que le genre ne soit pas attribu lespce ou que le ct du carr soit commensurable la diagonale. Donc Dieu ne peut pas agir non plus contre le principe de la nature.

q. 6 a.1Arg. 12 Praeterea, totus naturae cursus a divina sapientia progreditur, sicut artificiata ab arte humana, ut Augustinus dicit super illud Ioan., cap. I, 3-4 : Quod factum est in ipso vita erat. Sed artifex non facit aliquod contra artem suam nisi per errorem, qui in Deo esse non potest. Ergo nec Deus facit aliquid contra cursum naturae.

12. Tout le cours de la nature vient de la sagesse divine, de mme que les uvres artisanales de lart humain, comme Augustin le dit (Commentaire sur saint Jean, 1, 3-4) propos de ce verset : Ce qui a t fait tait la vie en lui . Mais lartisan ne fait rien contre son art sinon par erreur, erreur impossible Dieu. Donc Dieu ne fait rien contre le cours de la nature.

q. 6 a.1Arg. 13 Praeterea, philosophus [in II Phys., texte 78] dicit, quod sicut agitur unumquodque, ita natum est agi. Sed quod ita natum est agi sicut agitur, non fit contra cursum naturae. Ergo nihil fit contra naturae cursum.

13. Le philosophe dit (Physique, II, 8, 199 a 8 ss[633].) : chaque chose est faite, comme elle est destine tre faite. Mais ce qui est destin tre fait, comme il est fait, nest pas fait contre le cours de la nature. Donc rien nest fait contre le cours de la nature.

q. 6 a.1Arg. 14 Praeterea, Anselmus dicit, Lib. I : Cur Deus homo [capit. XX] quod minimum inconveniens Deo est impossibile. Inconveniens autem est quod cursus naturae mutetur, conveniens est autem quod servetur. Ergo impossibile est quod Deus contra cursum naturae faceret.

14. Anselme (Cur Deus homo, I, 20, PL 158, 392 A) dit que la plus petite inconvenance est impossible Dieu. Il est inconvenant de changer le cours de la nature, il convient de le conserver. Donc il est impossible que Dieu agisse contre le cours de la nature[634].

q. 6 a.1Arg. 15 Praeterea, sicut se habet scientia ad falsum, ita se habet potentia ad impossibile. Sed Deus non potest scire id quod est falsum in natura. Ergo Deus non potest facere id quod est contra cursum naturae, quia hoc est impossibile in natura.

15. Le rapport de la science lerreur est le mme que celui de la puissance limpossible. Mais Dieu ne peut pas connatre ce qui est faux dans la nature[635]. Donc il ne peut pas faire ce qui est contre son cours, parce que cela y est impossible.

q. 6 a.1Arg. 16 Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se quam quod est impossibile per accidens, quia quod per se est tale, magis est tale. Sed id quod fuit non fuisse est impossibile per accidens ; quod tamen Deus facere non potest, ut Hieronymus dicit et etiam philosophus [in VI Ethic., capit. II]. Ergo nec quae sunt contra cursum naturae, quae sunt impossibilia per se, ut caecum videre, facere Deus non potest.

16. Est plus impossible ce qui est impossible par soi que ce qui est impossible par accident, parce que ce qui est tel par soi, lest davantage. Mais il est impossible par accident que ce qui a exist ne lait pas t ; ce que cependant Dieu ne peut pas faire, comme Jrme[636] le dit et aussi le Philosophe (Eth. VI, 2, 1139 b 10[637]). Donc ce qui est contre le cours de la nature, qui est impossible en soi, comme que laveugle voit, Dieu ne peut pas le faire.

q. 6 a.1Arg. 17 Praeterea, secundum philosophum [in III Ethic.] violentum est cuius principium est extra, nil conferente vim passo. Sed ad ea quae sunt contra cursum naturae, res naturales conferre non possunt. Ergo si a Deo fiant, erunt violenta : et sic non erunt permanentia ; quod videtur inconveniens, nam caecis illuminatis divinitus permanet visum.

17. Selon le Philosophe, (Eth. III, 1109 b 35[638]), est violent ce dont le principe est extrieur, sans que celui qui supporte napporte rien. Mais ce qui est naturel ne peut pas apporter ce qui est contre le cours de la nature. Donc si elles sont faites par Dieu, ce sera par violence et ainsi elles ne demeureront pas, ce qui ne parat pas convenir, car la vue demeure de manire divine pour les aveugles qui la vue a t rendue.

q. 6 a.1Arg. 18 Praeterea, cum omne genus per potentiam et actum dividatur, ut patet in III Physic.[com. 34], ad potentiam autem potentia passiva pertineat, ad actum autem activa ; oportet quod illa sola potentia passiva inveniatur in natura ad quae invenitur potentia activa naturalis, hoc enim est eiusdem generis ; et hoc etiam dicit Commentator in IX Metaph. [text. 11 et 17] Sed ad ea quae sunt contra cursum naturae non invenitur aliqua potentia activa naturalis ; ergo nec potentia passiva. Sed illa respectu quorum non est potentia passiva in creatura, dicimus non posse fieri, quamvis Deus per suam omnipotentiam omnia facere possit. Ergo ea quae sunt contra cursum naturae, fieri non possunt propter defectum creaturae, etsi non propter defectum divinae potentiae.

18. Comme tout genre est divis par la puissance et par lacte, comme on le voit en Physique, (III, 1, 201 a 9), la puissance passive appartient la puissance, la puissance active lacte : il faut qu'on trouve cette seule puissance passive dans la nature pour laquelle on trouve une puissance active naturelle, car c'est du mme genre et cela le Commentateur le dit (Mtaphysique IX, 8, 1050 b 8). Mais pour ce qui est contre le cours de la nature, on ne trouve pas de puissance active naturelle, donc de puissance passive non plus. Mais celles en considration desquelles il ny a pas de puissance passive dans la crature, nous disons quelle ne peut pas tre faite, quoique Dieu par sa toute puissance puisse tout faire. Donc ce qui est contre le cours de la nature ne peut pas tre fait cause de la dfaillance de la crature, mme si ne nest pas cause de celle de la puissance divine.

q. 6 a.1Arg. 19 Praeterea, quidquid Deus aliquando facit non esset inconveniens, etiam si semper faceret. Esset autem inconveniens, si Deus omnes effectus naturales crearet non mediantibus causis naturalibus, quia tunc res naturales suis operationibus destituerentur. Ergo inconveniens est quod aliquem effectum in istis inferioribus faciat aliquando non mediantibus causis naturalibus. Eis autem mediantibus non facit aliquid contra cursum naturae. Ergo Deus nihil facit contra cursum naturae.

19. Ce que Dieu fait quelquefois ne serait pas inconvenant, mme sil le faisait toujours. Mais il serait inconvenant que Dieu cre tous les effets naturels sans lintermdiaire des causes naturelles, parce que les tres naturels seraient privs de leurs oprations. Donc il ne convient pas quil produise quelquefois un effet dans ces tres infrieurs sans lintermdiaire des causes naturelles. Par leur intermdiaire, il ne fait rien contre le cours de la nature. Donc il ne fait rien contre lui.

q. 6 a.1Arg. 20 Praeterea, causa per se essentialem ordinem habet ad suum effectum, et e converso. Sed Deus non potest alicui rei auferre quod est sibi essentiale, ea manente, sicut quod sit homo et non sit animal. Ergo non potest effectum aliquem producere sine causa naturali quae ad huiusmodi effectum habet essentialem ordinem, sicut quod faciat visum sine causis naturalibus ex quibus visus natus est causari.

20. La cause en soi a un rapport essentiel son effet et inversement. Mais Dieu ne peut enlever une chose ce qui lui est essentiel, tant quelle demeure ; par exemple qu'il soit un homme, sans tre un animal. Donc il ne peut produire un effet sans la cause naturelle qui a un rapport essentiel un tel effet ; ainsi rendre la vue sans les causes naturelles partir desquelles elle est destine tre cause.

q. 6 a.1Arg. 21 Praeterea, inconveniens est ut maius bonum dimittatur pro minori bono. Sed bonum universi est maius quam aliquod bonum particulare cuiuscumque, unde Augustinus [Enchirid., cap. X] dicit, quod Deus facit bona etiam singula, simul autem omnia valde bona propter ordinem universi. Ergo inconveniens est quod propter salutem alicuius hominis vel alicuius gentis, Deus mutet cursum naturae, qui pertinet ad ordinem universi, in quo bonum eius consistit. Numquam ergo Deus facit contra cursum naturae.

21. Il ne convient pas que lhomme, en tant qu'il est un bien plus grand, soit abandonn pour un bien plus petit. Mais le bien de lunivers est plus grand que le bien particulier de nimporte quoi. Cest pourquoi Augustin dit (Enchiridion II, 10) que Dieu a produit des biens particuliers, mais en mme temps tous les biens en vue de l'ordre de l'univers. Donc il ne convient pas quՈ cause du salut dun homme ou dun peuple, Dieu change le cours de la nature, qui appartient lordre de lunivers, en quoi consiste son bien. Donc jamais Dieu nagit contre le cours de la nature.

 

En sens contraire :

q. 6 a.1 s. c. 1 Sed contra. A privatione in habitum non potest fieri regressus secundum naturam ; fit autem operatione divina ; unde dicitur Matth., XI, 5 : Caeci vident (...), surdi audiunt et cetera. Ergo Deus facit aliquid contra cursum naturae.

1. Aprs avoir t prive de ce qu'elle a, la nature ne peut faire un retour en arrire, mais il est fait par lopration divine ; cest pour cela quil est dit en Mt. 11, 5 :Les aveugles voient les sourds entendent etc. Donc Dieu agit contre le cours de la nature.

q. 6 a.1 s. c. 2 Praeterea, potestas superioris non dependet a potestate inferioris, nec secundum eam limitatur. Sed Deus est superior quam natura. Ergo non limitatur eius potentia secundum potentiam naturae ; et sic nihil prohibet ipsum operari aliquid contra cursum naturae.

2. Le pouvoir du suprieur ne dpend pas du pouvoir de l'infrieur, et nest pas limit par lui. Mais Dieu est suprieur la nature. Donc sa puissance nest pas limite par la puissance de la nature ; et ainsi rien ne lempche doprer contre le cours de la nature.

Rponse :

 

q. 6 a.1 co. Respondeo. Dicendum quod absque omni dubio Deus in rebus creatis potest operari praeter causas creatas, sicut et ipse operatur in omnibus causis creatis, ut alibi ostensum est ; et operando praeter causas creatas potest operari eosdem effectus quos eisdem mediantibus operatur, et eodem ordine, vel etiam alios, et alio ordine ; et sic potest aliquid facere contra communem et solitum cursum naturae. Cuius veritatis manifestabitur ratio, si ea consideremus quae huic veritati adversari videntur : quae quidem sunt tria.

Il faut dire, sans doute aucun que Dieu peut oprer dans les cratures, en dehors des causes cres, de mme que lui-mme opre en toutes les causes, comme on la montr ailleurs[639] ; et en oprant au del des causes cres, il peut oprer les mmes effets que ceux quil produit par leur intermdiaire et dans le mme ordre, ou dautres aussi dans un ordre diffrent ; et ainsi il peut agir contre le cours commun et habituel de la nature. La raison de cette vrit deviendra manifeste, si nous considrons ce qui parat sopposer la vrit ; les objections sont au nombre de trois :

Primum est quorumdam antiquorum philosophorum opinio, qui posuerunt istas res corporeas non habere aliam causam superiorem quae sit eis causa essendi ; et sic posuerunt eorum aliqui, ut Anaxagoras, intellectum causam alicuius motus in eis, ut segregationis. Secundum autem hanc positionem, a nulla causa supernaturali naturales formae, quae sunt naturalium actionum principia, possunt immutari, nec earum operationes impediri ; et sic nihil potest fieri contra cursum naturae qui ex necessitate harum causarum corporalium ordinatur. Sed haec positio est falsa, quia oportet illud quod est principium in entibus, esse causam essendi omnibus aliis, sicut summe calidum est causa caliditatis omnibus aliis, ut dicitur in II Metaphys. Et de hoc plenius alibi tractatum est, ubi ostensum est quod nihil potest esse nisi a Deo.

1) La premire objection est lopinion de quelques philosophes anciens qui pensrent que les corps navaient pas une autre cause suprieure qui soit pour eux cause dՐtre ; et ainsi quelques-uns dentre eux, comme Anaxagore, ont pens que lintellect tait la cause du mouvement en eux, comme la sparation. Selon cette opinion, les formes naturelles, qui sont principes des actions naturelles, ne peuvent tre modifies par aucune cause surnaturelle ni leurs oprations empches ; et ainsi rien ne peut tre fait contre le cours de la nature qui est ordonn par la ncessit de ces causes corporelles. Mais cette position est fausse, parce quil faut que ce qui est le principe dans les tres soit la cause dՐtre de tous les autres, de mme que ce qui est suprmement chaud est cause de la chaleur de toutes les autres objets, comme il est dit en Mtaphysique (II, 1, 993 b 25[640]). Et on a trait cela plus abondamment ailleurs (Ia, qu. 44, a. 1), o on a montr que rien ne peut exister sinon par Dieu.

Secundum autem quod praedictam veritatem impedire potest, est opinio aliorum philosophorum, qui dixerunt, Deum esse causam omnium entium per eius intellectum. Sed dixerunt quod Deus de entibus habet universalem quamdam cognitionem in quantum cognoscit seipsum, et quod ipse est principium essendi omnibus entibus, non autem propriam de unoquoque. A scientia autem communi et universali non sequuntur particulares effectus, nisi mediantibus particularibus conceptionibus. Si enim sciam quod omnis fornicatio est fugienda, non fugiam hunc actum nisi accipiam hunc actum esse fornicationem. Et secundum hoc dicunt quidam, quod a Deo non progrediuntur effectus particulares nisi mediantibus causis aliis per ordinem, quarum superiores sunt magis universales, inferiores vero magis particulares ; et secundum hoc Deus nihil poterit facere contra cursum naturae. Sed ista positio est falsa, nam cum Deus seipsum perfecte cognoscat, oportet quod cognoscat quidquid in ipso quocumque modo est. In eo autem est similitudo cuiuslibet causati, in quantum nihil esse potest quod eum non imitetur ; unde oportet quod de omnibus propriam cognitionem habeat, sicut alibi plenius ostensum est.

2) La seconde objection qui peut s'opposer cette vrit, cest lopinion dautres philosophes qui ont dit que Dieu est cause de tous les tres par son intelligence. Mais ils ont dit que Dieu a une connaissance universelle des tres dans la mesure o il se connat lui-mme et quil est principe dՐtre pour tous, mais quil na pas une connaissance particulire de chacun. De la science commune et universelle ne dcoulent des effets particuliers, que par lintermdiaire de conceptions particulires. Car si on savait quil faut fuir toute fornication, on ne la fuirait que si on sait que cet acte en est une. Et c'est pourquoi, ils disent que les effets particuliers ne viennent de Dieu que par lintermdiaire d'autres causes dont les suprieures sont plus universelles et les infrieures plus particulires, et ainsi Dieu ne pourra rien faire contre le cours de la nature. Mais cette position est fausse, car, puisque Dieu se connat parfaitement, il faut quil connaisse ce qui est en lui de quelque manire. En lui, il y a limage de tout ce qui est caus dans la mesure o rien ne peut exister sans limiter. Cest pourquoi il faut quil ait une connaissance propre de tout, comme on la montr plus largement ailleurs ( Ia, qu. 14, per totum).

Tertium quod posset praedictam veritatem impedire, est positio quorumdam philosophorum, qui dixerunt, Deum ex necessitate naturae res agere ; et sic oportet quod eius operatio determinetur ad istum cursum rerum qui est secundum naturam ordinatus ; unde contra eum facere non poterit. Sed hoc etiam patet esse falsum, nam supra omne quod ex necessitate naturae agit, oportet aliquid esse quod naturam ad unum determinet, sicut alibi, ostensum est ; unde impossibile est quod Deus, qui est primum agens, ex necessitate naturae agat ; quod etiam in alia quaestione multipliciter ostensum est.

3) La troisime objection : qui pourrait aller contre cette vrit, est la position de certains philosophes[641] qui ont dit que Dieu cre par ncessit de nature ; et ainsi il faut que son opration soit limite ce cours des choses qui est ordonn selon la nature, cest pourquoi il ne pourrait pas agir contre lui. Mais il est clair que cest faux, car au-dessus de tout ce qui agit par ncessit de nature, il faut quil existe quelque chose qui dtermine la nature un seul objet, comme on la montr ailleurs (Ia, qu. 19, a. 4) ; cest pourquoi il est impossible que Dieu, qui est le premier agent, agisse par ncessit de nature, ce qui a t montr de multiples manires dans une autre question (qu.3, a.15).

His ergo tribus habitis, scilicet quod Deus sit rebus naturalibus causa essendi, et quod propriam cognitionem et providentiam habeat de unoquoque, et quod non agat ex necessitate naturae, sequitur quod potest praeter cursum naturae aliquid agere in particularibus effectibus, vel quantum ad esse, in quantum aliquam novam formam inducit rebus naturalibus quam natura inducere non potest, sicut formam gloriae ; aut huic materiae, sicut visum in caeco ; vel quantum ad operationem : in quantum retinet operationes rerum naturalium ne agant quod natae sunt agere, sicut quod ignis non comburat, ut patet Daniel. III, 24, vel quod aqua non fluat, ut patet de aqua Iordanis [Iosue III, 16].

De ces trois objections 1) savoir que Dieu est cause dՐtre dans les tres naturels, 2) quil a une connaissance propre et une providence pour chacun, et 3) quil nagit pas par ncessit de nature, il dcoule quil peut, en dehors du cours de la nature, agir dans des effets particuliers, ou quant lՐtre dans la mesure o il peut induire une nouvelle forme dans les choses naturelles que la nature ne peut pas induire, comme la forme de gloire ; ou cette matire, comme la vue dans laveugle ; ou quant lopration, dans la mesure o il empche les oprations des choses naturelles de faire ce quelles sont destines faire, ainsi que le feu ne brle pas, comme on le voit dans le livre de Daniel (3, 24) ou que leau ne coule pas, comme on le voit pour les eaux du Jourdain (Jos. 3, 16).

 

Solutions :

q. 6 a.1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contra naturam particularem et Deus facit et etiam res naturales ; quod enim ignis corrumpatur contra naturam particularem huius ignis est. Unde philosophus dicit [in II Caeli et mundi, comm.. 37], quod corruptio et senium et defectus omnis contra naturam est. Contra naturam vero universalem nulla res naturalis agit ; dicitur enim natura particularis secundum ordinem particularis causae ad particularem effectum ; natura vero universalis secundum ordinem primi agentis in natura, quod est caelum ad omnia inferiora agentia. Cum autem nullum inferiorum corporum agat nisi per virtutem caelestis corporis, impossibile est quod aliquod corpus naturale agat contra naturam universalem. Sed hoc ipsum quod aliquid agit contra naturam particularem, est secundum naturam universalem.

 1. Dieu contre la nature particulire fait aussi des choses naturelles, car que le feu soit corrompu est contre sa nature particulire. Cest pourquoi Aristote dit (Le ciel et le monde, II, 6, 288 b 15[642]) que la corruption, la vieillesse et toute dfaillance sont contre la nature. Rien de naturel nagit contre la nature universelle, car on appelle particulire la nature selon le rapport d'une cause particulire un effet particulier ; mais on appelle universelle la nature selon le rapport du premier agent dans la nature qui est le ciel pour tous les agents infrieurs. Comme aucun des corps infrieurs nagit que par la puissance du corps cleste, il est impossible quun corps naturel agisse contre la nature universelle. Mais agir contre la nature particulire dpend de la nature universelle.

Sicut autem caelum est causa universalis respectu inferiorum corporum, ita Deus est causa universalis respectu omnium entium, respectu cuius etiam ipsum caelum est causa particularis. Nihil enim prohibet unam et eamdem causam esse universalem respectu inferiorum et particularem respectu superiorum, sicut et in praedicabilibus accidit ; nam animal, quod est universale respectu hominis, est particulare respectu substantiae. Sicut ergo per virtutem caeli potest aliquid fieri contra hanc naturam particularem, nec tamen est hoc contra naturam simpliciter, quia hoc est secundum naturam universalem, ita virtute Dei potest aliquid fieri contra naturam universalem, quae est ex virtute caeli ; non tamen erit contra naturam simpliciter, quia erit secundum naturam universalissimam, quae consideratur ex ordine Dei ad omnes creaturas. Et ex hoc intellectu Augustinus dicit in Glossa inducta, quod Deus nihil contra naturam facit. Unde subiungitur, quia hoc est unicuique natura quod Deus facit.

Le ciel est cause universelle par rapport aux corps infrieurs, de mme Dieu est cause universelle par rapport tous les tres, rapport dont le ciel mme est la cause particulire. Car rien nempche quune seule et mme cause soit universelle par rapport aux tres infrieurs et particulire par rapport aux tres suprieurs, comme cela arrive dans les prdicables[643], car lanimal qui est universel par rapport lhomme, est particulier par rapport la substance. Donc de mme que quelque chose peut tre fait par le pouvoir du ciel contre cette nature particulire et cependant ce nest pas simplement contre la nature, parce que c'est selon la nature universelle, de mme par le pouvoir de Dieu quelque chose peut tre fait contre la nature universelle qui vient du pouvoir du ciel : cependant ce ne sera pas absolument contre la nature, parce que ce sera selon la nature la plus universelle qui est considre par rapport de Dieu toutes les cratures. Et pour l'avoir compris, Augustin dit, dans la glose cite, que Dieu ne fait rien contre la nature. Cest pourquoi il est ajout parce que C'est la nature que Dieu fait pour chacun.

q. 6 a.1 ad 2 Et ex hoc etiam patet responsio ad secundum ; nam in illa Glossa loquitur Augustinus de summa lege naturae quae attenditur secundum ordinem Dei ad omnes creaturas.

 2. Et par l parat la rponse la seconde objection, car, dans cette glose, Augustin parle de la loi suprme de la nature qui sՎtend selon lordre de Dieu toutes les cratures.

q. 6 a.1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut ex dictis patet, licet Deus possit facere contra ordinem qui est unius creaturae ad aliam, quod est quasi naturae particularis respectu ipsius, non tamen potest facere contra ordinem creaturae ad se ipsum. Iustitia autem hominis consistit principaliter in debito ordine hominis ad Deum ; unde contra ordinem iustitiae Deus facere non potest. Cursus autem naturae est secundum ordinem unius creaturae ad aliam, et ideo contra cursum naturae Deus facere potest.

 3. Comme le montre ce qui a t dit, bien que Dieu puisse agir contre le rapport dune seule crature une autre, ce qui est pour ainsi dire d'une nature particulire par rapport lui, cependant il ne peut agir contre le rapport de la crature lui-mme. La justice de lhomme consiste principalement dans le rapport que lhomme doit Dieu, cest pourquoi Dieu ne peut pas agir contre lordre de la justice. Mais le cours de la nature dpend du rapport dune crature une autre, et cest pourquoi Dieu peut agir contre le cours de la nature.

q. 6 a.1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Deus potest facere praeter causas naturales effectus in rebus corporalibus, ita potest facere praeter ministerium Angelorum ; non tamen est eadem ratio faciendi praeter utrumque. Nam praeter causas naturales facit ut homo effectum, quem causis visibilibus attribuere non potest, in aliquam superiorem causam reducere cogatur, ut si ex visibili miraculo divina potentia manifestetur. Operationes autem Angelorum non sunt visibiles ; unde eorum ministerium non impedit quin homo in divinae potentiae considerationem adducatur. Et propter hoc Augustinus non dicit quod praeter ministerium Angelorum non possit operari, sed quod non operatur.

 4. Dieu peut produire en dehors des causes naturelles des effets dans ce qui est corporel, de mme il peut agir en dehors du ministre des anges ; cependant ce nest pas la mme raison dagir au-del de lun et lautre. Car, au-del des causes naturelles, il fait que lhomme est forc de ramener leffet quil ne peut pas attribuer des causes visibles une cause suprieure, comme si la puissance divine se manifestait par un miracle visible. Mais les oprations des anges ne sont pas visibles ; cest pourquoi leur ministre nempche pas que lhomme soit amen considrer la puissance divine ; et cause de cela, Augustin ne dit pas quil ne pourrait pas oprer au-del du ministre des anges mais quil nopre pas.

q. 6 a.1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, ita non potest facere ea quae sunt impossibilia in natura, in quantum praedictum impossibile in se claudunt sicut patet quod mortuum vivificare, claudit in se contradictionem, si ponatur a principio intrinseco naturaliter mortuus ad vitam redire, nam de ratione mortui est quod sit privatus principio vitae : unde Deus hoc non facit, sed facit quod mortuus ab exteriori principio vitam iterato acquirat ; quod contradictionem non includit. Et eadem ratio est de aliis quae sunt impossibilia naturae, quae facere potest.

 5. Dieu ne peut pas faire que laffirmation et la ngation soient vraies simultanment, de mme il ne peut pas faire ce qui est impossible dans la nature, en tant que cela enferme en soi une chose quon affirme impossible, de mme qu'il est clair que redonner vie un mort, renferme en soi une contradiction, si on pense que le mort retourne la vie naturellement par un principe intrinsque, car il est de la nature du mort dՐtre priv du principe de vie. Cest pourquoi Dieu ne le fait pas, mais il fait que le mort acquiert la vie une seconde fois, partir d'un principe extrieur ; ce qui ninclut pas de contradiction. Et cest la mme raison pour les autres impossibilits de la nature quil peut accomplir.

q. 6 a.1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus non facit contra rationes naturales mutabili voluntate, nam Deus ab aeterno praevidit et voluit se facturum quod in tempore facit. Sic ergo instituit naturae cursum, ut tamen praeordinaretur in aeterna sua voluntate quod praeter cursum istum quandoque facturus erat.

 6. Dieu nagit pas contre les raisons naturelles en changeant de volont, car il a prvu de toute ternit et il a voulu que soit fait ce quil fait dans le temps. Ainsi donc il a institu le cours de la nature, de sorte cependant quil soit prordonn dans sa volont ternelle quil agirait quelquefois en dehors de ce cours.

q. 6 a.1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus faciendo praeter cursum naturae, non removet totum ordinem universi, in quo consistit bonum ipsius, sed ordinem alicuius particularis causae ad suum effectum.

 7. Dieu, en agissant en dehors du cours de la nature, ne dtourne pas tout le cours de lunivers, en quoi consiste son bien, mais le rapport dune cause particulire son effet.

q. 6 a.1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod malum poenae est contra ordinem unius partis universi ad aliam partem, et similiter malum cuiuslibet defectus naturalis ; sed malum culpae est contra ordinem totius universi ad finem ultimum, eo quod voluntas, in qua est malum culpae, ab ipso ultimo fine universi deordinatur per culpam ; et ideo huiusmodi mali Deus causa esse non potest ; contra hunc enim ordinem agere non potest, licet posset agere contra ordinem primum.

 8. Le mal du chtiment est contre lordre dune partie de lunivers pour une autre et de mme le mal dune dfaillance naturelle, mais le mal de la faute est contre lordre de tout lunivers quant la fin dernire, parce que la volont, en qui se trouve le mal de la faute est dtourne de sa fin ultime de l'univers par la faute, et cest pourquoi Dieu ne peut pas tre cause dun mal de ce genre. Car il ne peut pas agir contre cet ordre, bien quil le puisse contre lordre premier.

q. 6 a.1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod miraculum non fit a Deo nisi in creaturis praeexistentibus, quae alio modo in operibus sex dierum praeextiterunt. Unde opera miraculosa materialiter in operibus sex dierum praecesserunt, licet tunc non oportuerit aliquid miraculose fieri contra cursum naturae, quando natura instituebatur.

 9. Dieu ne fait un miracle que dans les cratures prexistantes, qui ont prexist dune autre manire dans les oprations des six jours. Cest pourquoi les oprations miraculeuses ont prcd matriellement dans les oprations des six jours, bien qualors il naurait pas fallu que quelque chose soit fait miraculeusement contre le cours de la nature, quand elle tait institue.

q. 6 a.1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod natura est causa ordinationis in omnibus naturalibus, non autem in omnibus simpliciter.

 10. La nature est la cause de la mise en ordre dans tout ce qui est naturel, mais pas absolument dans tout.

q. 6 a.1 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod logicus et mathematicus considerant tantum res secundum principia formalia ; unde nihil est impossibile in logicis vel mathematicis, nisi quod est contra rei formalem rationem. Et huiusmodi impossibile in se contradictionem claudit, et sic est per se impossibile. Talia autem impossibilia Deus facere non potest. Naturalis autem applicat ad determinatam materiam : unde reputat impossibile etiam id quod est huic impossibile. Nihil autem prohibet Deum posse facere quae sunt inferioribus agentibus impossibilia.

 11. Le logicien et le mathmaticien considrent les objets seulement selon les principes formels ; c'est pourquoi rien nest impossible en logique ou en mathmatiques, sinon ce qui est contre la raison formelle de lobjet. Et une telle impossibilit enferme en soi une contradiction et ainsi elle est impossible par soi. Des telles impossibilits, Dieu ne peut pas les faire. Le naturel ajoute une matire limite, cest pourquoi il value comme impossible ce qui est impossible pour cela. Mais rien nempche Dieu de pouvoir faire ce qui est impossible aux agents infrieurs.

q. 6 a.1 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod ars divina non totam seipsam explicat in creaturarum productione ; et ideo secundum artem suam potest alio modo aliquid operari quam habeat cursus naturae ; unde non sequitur quod si potest facere contra cursum naturae, possit facere contra suam artem : nam et homo artifex potest aliud artificiatum facere per suam artem contrario modo quam prius fecit.

 12. Lart divin ne se dploie pas tout lui-mme dans la production des cratures, et ainsi selon son art, il peut oprer dune autre manire que celle du cours de la nature ; c'est pourquoi il n'en dcoule pas que, sil peut agir contre le cours de la nature, il puisse le faire contre son art, car lartisan peut faire un autre ouvrage par son art, dune manire contraire ce quil a fait dabord.

q. 6 a.1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod philosophus loquitur de his quae in natura aguntur : ea enim aguntur sicut apta nata sunt agi.

 13. Le philosophe parle de ce qui est fait dans la nature ; car ces choses sont faites comme elles sont destines tre faites

q. 6 a.1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod cursum naturae servari est conveniens, secundum quod est a divina providentia ordinatus ; unde si ordo divinae providentiae habet quod aliquid secus agatur, non est inconveniens.

 14. Il convient de conserver le cours de la nature, selon quil est ordonn par la providence divine, cest pourquoi si lordre de la providence divine a quelque chose faire autrement, cela ne prsente pas dinconvnient.

q. 6 a.1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod non dicitur aliquid esse falsum simpliciter et alicui, sicut aliquid dicitur esse impossibile simpliciter et alicui, sed esse falsum simpliciter ; unde Deus non potest scire aliquod falsum, sicut non potest facere aliquid impossibile : quod simpliciter est impossibile ; et tamen sicut potest facere aliquid impossibile alicui, ita potest facere aliquid ignotum alicui.

 15. On ne dit pas que quelque chose est faux absolument et pour quelqu'un ; de mme qu'on ne dit pas quune chose est impossible absolument et pour quelqu'un, mais est absolument fausse ; cest pourquoi, Dieu ne peut pas connatre ce qui est faux, de mme quil ne peut pas faire ce qui est impossible ; parce que c'est absolument impossible et cependant de mme qu'il peut faire quelque chose dimpossible quelquun, de mme il peut faire quelque chose ignor de quelquun.

q. 6 a.1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod omne per accidens reducitur ad aliquid quod est per se : unde nihil prohibet aliquid quod est per accidens, ad id quod est per se reductum, esse magis tale : sicut nix sua albedine disgregat visum magis quam albedo parietis, eo quod albedo nivis est maior albedine parietis : similiter remotio cursus Socratis est impossibilis per hoc quod reducitur ad hoc impossibile per se, praeteritum non fuisse, quod contradictionem implicat : unde nihil prohibet hoc esse magis impossibile quam id quod est impossibile alicui, quamvis non sit impossibile per accidens.

 16. Tout ce qui est par accident est ramen ce qui est par soi ; cest pourquoi rien nempche que ce qui est par accident, ramen ramen ce qui est par soi, soit plus de telle nature. Ainsi la neige abme la vue par sa blancheur plus que celle du mur, parce que sa blancheur de la neuge est plus grande que la blancheur du mur. De mme supprimer la marche de Socrate est impossible, parce que cest ramen cet impossible par soi que le pass nait pas exist, ce qui implique contradiction ; cest pourquoi rien nempche que cela soit plus impossible par soi, que ce qui est impossible quelquun, quoiquil ne soit pas impossible par accident.

q. 6 a.1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in re qualibet naturali est naturalis ordo et habitudo ad causas omnes superiores : et inde est quod illa quae fiunt in corporibus inferioribus ex impressione caelestium corporum, non sunt violenta, licet videantur esse contraria naturalibus motibus inferiorum corporum, ut patet in fluxu et refluxu maris, qui sequitur motum lunae. Et multo minus est violentum quod a Deo fit in istis inferioribus.

 17. Dans nimporte quelle chose naturelle, il y a un ordre naturel[644] et une relation toutes les causes suprieures, et de l vient que ce qui est fait dans les corps infrieurs par linduction des corps clestes nest pas violent, bien que cela paraisse tre contraire aux mouvements naturels des corps infrieurs, comme on le voit dans le flux et le reflux de la mer qui suit le mouvement de la lune. Et ce qui est fait par Dieu dans ces (corps) infrieurs est beaucoup moins violent.

q. 6 a.1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod quanto aliqua virtus activa est altior, tanto eamdem rem potest perducere in altiorem effectum : unde natura potest ex terra facere aurum aliis elementis commixtis, quod ars facere non potest ; et inde est quod res aliqua est in potentia ad diversa secundum habitudinem ad diversos agentes. Unde nihil prohibet quin natura creata sit in potentia ad aliqua fienda per divinam potentiam, quae inferior potentia facere non potest : et ista vocatur potentia obedientiae, secundum quod quaelibet creatura creatori obedit.

 18. Plus un pouvoir actif est lev, plus il peut mener une mme chose un effet plus lev : cest pourquoi la nature peut faire de lor avec de la terre et dautres lments mlangs, ce que lart ne peut pas faire et de l vient quune chose est en puissance diffrents objets selon la relation des agents diffrents. Cest pourquoi rien nempche que la nature cre ait la puissance de faire quelque chose par la puissance divine, ce quune puissance infrieure ne peut pas faire ; et on lappelle puissance dobdience[645], selon que nimporte quelle crature obit au crateur.

q. 6 a.1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod ordinatio cuiuslibet rei creatae ad suam operationem est a Deo ; unde si ex divina providentia praeter rerum naturalium operationem producitur aliquis effectus, non est inconveniens.

 19. La mise en rapport de nimporte quelle crature son opration vient de Dieu ; cest pourquoi si la providence divine produit un effet au-del de laction de lopration des choses naturelles, cela na pas dinconvnient.

q. 6 a.1 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod licet Deus faciat aliquem effectum praeter actionem causae naturalis, non tamen tollit ordinem causae ad suum effectum ; unde et in igne fornacis remanebat ordo ad comburendum, licet non combureret tres pueros in camino.

 20. Bien que Dieu produise un effet au-del de laction de la cause naturelle, il nenlve cependant pas le rapport de la cause son effet. Cest pourquoi dans le feu de la fournaise demeurait le pouvoir de brler, bien quil ny brlt pas les trois enfants.

q. 6 a.1 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod quando Deus agit aliquid contra cursum naturae, non tollitur totus ordo universi, sed cursus qui est ex ordine unius particularis rei ad aliam. Unde non est inconveniens, si aliquando contra cursum naturae aliquid fiat ad salutem hominis, quae consistit in ordinatione ipsius ad ultimum finem universi.

 21. Quand Dieu agit contre le cours de la nature, il nenlve pas tout lordre de lunivers, mais il change le cours du rapport d'une chose particulire une autre. Cest pourquoi il ny a aucune inconvenance si quelquefois il agit contre le cours de la nature pour le salut de l'homme, ce qui consiste lordonner la fin ultime de lunivers.

 

 

 

Article 2 Peut-on appeler miracles tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles ou contre le cours de la nature ?

q. 6 a.2  tit. 1 Secundo quaeritur utrum omnia quae Deus facit praeter causas naturales vel contra cursum naturae, possint dici miracula.Et videtur quod non.

Il semble que non[646].

 

Objections :

q. 6 a.2 Arg. 1 Quia sicut ex verbis Augustini haberi potest [tract. VIII in Ioan., et III de Trinit., cap. 5] miraculum est aliquid arduum et insolitum, supra facultatem naturae et praeter spem admirantis apparens. Aliquando autem Deus operatur contra cursum naturae etiam in minimis rebus, sicut cum ex aqua fecit vinum, Ioan. II ; quae tamen operatio praeter operationem causarum naturalium fuit. Ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, miracula dici possunt.

1. Parce que, comme on peut le conclure des paroles d'Augustin (Sur l'vangile de Jean, 8 et Trin. III, 5) le miracle est quelque chose dardu et dinsolite qui dpasse les possibilits de la nature et apparat au-del de l'esprance de celui qui le voit avec tonnement. Quelquefois Dieu opre contre le cours de la nature, mme dans les plus petites choses : par exemple, quand il fit du vin avec de l'eau (Jn 2) : cette opration fut cependant au-del de celle des causes naturelles. Donc ce nest pas tout ce que Dieu fait au-del des causes naturelles qui peut tre appel miracle.

q. 6 a.2 Arg. 2 Praeterea, quod frequenter accidit, non potest insolitum dici. Sed huiusmodi operationes divinae praeter causas naturales apostolorum tempore frequenter fiebant : unde dicitur Act. V, 15, quod in plateis ponebantur infirmi, et cetera. Ergo huiusmodi non erant insolita, et ita non erant miracula.

2. On ne peut pas dire que ce qui arrive frquemment soit inhabituel. Mais de telles oprations divines au-del des causes naturelles arrivaient frquemment du temps des Aptres. C'est pourquoi il est dit (Act 5, 15) qu'on mettait les malades sur les places, etc.. Donc les vnements de ce genre n'taient pas inhabituels et ainsi ce n'taient pas des miracles.

q. 6 a.2 Arg. 3 Praeterea, illud quod natura potest operari non est supra facultatem naturae. Sed quandoque divinitus fiunt praeter naturales causas quae etiam natura facere posset, sicut patet cum dominus curavit socrum Petri a febribus quibus tenebatur, ut dicitur Luc IV, 38-39. Ergo non fuit supra facultatem naturae, et ita non fuit miraculum.

3. Ce que la nature peut oprer n'est pas au-dessus de ses possibilits. Mais quelquefois ce que la nature pourrait faire aussi se fait de manire divine au-del des causes naturelles, comme on le voit quand le Seigneur a guri la belle-mre de Pierre des fivres qui la tenaient, comme il est dit en Lc 4, 38 s.. Donc ce ne fut pas au-dessus des possibilits de la nature et ainsi ce ne fut pas un miracle.

q. 6 a.2 Arg. 4 Praeterea, mortuum reviviscere, non potest contingere per operationem naturalis causae. Sed resuscitatio mortuorum, qua Deus in fine omnes mortuos vivificabit, est a sanctis expectata ; unde in Symbolo dicitur : Expecto resurrectionem mortuorum. Ergo non omne illud quod Deus operatur praeter causas naturales, est praeter spem humanam, et ita non est miraculum.

4. Faire revenir la vie un mort ne peut pas arriver par l'opration d'une cause naturelle. Mais la rsurrection des morts par laquelle Dieu ramnera la vie tous les morts la fin, est attendue par les saints ; c'est pourquoi il est dit dans le "symbole" (des Aptres) : J'attends la rsurrection des morts. Donc ce nest pas tout ce que Dieu opre au-del des causes naturelles qui dpasse lesprance des hommes. Et ainsi ce nest pas un miracle.

q. 6 a.2 Arg. 5 Praeterea, creatio caeli et terrae, et etiam creatio animarum rationalium est a Deo praeter alias causas agentes : solus enim Deus creare potest, ut in alia quaestione [art. I et Iv], est habitum. Sed tamen haec non possunt dici miracula : quia haec non fiunt ad gratiae ostensionem, propter quam solam fiunt miracula, ut Augustinus dicit, sed ad naturae institutionem. Ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, possunt dici miracula.

5. La cration du ciel et de la terre et mme celle des mes doues de raison vient de Dieu au-del des autres causes efficientes ; car seul il peut crer, comme on l'a vu dans une autre question (qu. 3 a. 1 et 4). Mais cependant on ne peut pas appeler cela des miracles ; parce que ce n'est pas fait pour montrer la grce, ce pourquoi seul sont faits les miracles, comme Augustin le dit, mais c'est pour la constitution de la nature. Donc tout ce que Dieu fait au-del des causes naturelles ne peut pas tre appel miracle.

q. 6 a.2 Arg. 6 Praeterea, iustificatio impii fit a solo Deo praeter causas naturales ; nec est miraculum, sed magis finis miraculi : ad hoc enim miracula fiunt, ut homines convertantur ad Deum. Ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, sunt miracula.

6. La justification de l'impie est accomplie par Dieu seul au-del des causes naturelles ; ce n'est pas un miracle, mais plutt le but du miracle. Car les miracles sont faits pour convertir les hommes Dieu. Donc tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles n'est pas miracle.

q. 6 a.2 Arg. 7 Praeterea, magis est mirum quod aliquid fiat a minus potente quam a magis potente. Sed Deus est potentior quam natura : cum autem natura aliquid operatur, non dicitur esse miraculum, sicut cum operatur sanationem infirmi, vel aliquid huiusmodi. Ergo multo minus potest dici miraculum, quando Deus illud operatur.

7. Plus tonnant est ce qui est fait par quelquun de moins puissant que par un plus puissant. Mais Dieu est plus puissant que la nature ; or quand la nature fait quelque chose, on ne lappelle pas miracle, comme quand elle opre la gurison dun malade, ou autres choses de ce genre. Donc on peut beaucoup moins lappeler miracle quand Dieu le fait.

q. 6 a.2 Arg. 8 Praeterea, monstra fiunt contra naturam, nec tamen dicuntur miracula. Ergo non omnia quae contra naturam fiunt, miracula dici possunt.

8. Les prodiges se font contre la nature et cependant on ne les appelle pas miracles. Donc tout ce qui est fait contre la nature ne peut tre appel miracle.

q. 6 a.2 Arg. 9 Praeterea, miracula fiunt ad fidei confirmationem. Sed incarnatio verbi non est ad confirmationem fidei tamquam fidei argumentum, sed magis est sicut fidei obiectum. Ergo non est miraculum : et tamen hoc solus Deus facit nulla alia causa agente : ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, sunt miracula.

9. Les miracles sont faits pour affermir la foi. Mais lIncarnation du Verbe nest pas pour l'affermir en tant quargument de foi, mais plutt en tant qu'objet de foi. Donc ce nest pas un miracle et cependant Dieu seul le fait sans aucune autre cause efficiente ; donc ce nest pas tout ce que Dieu fait au-del des causes naturelles qui est un miracle

 

En sens contraire :

q. 6 a.2  s. c. 1 Sed contra. Augustinus [Anselme, in lib. de peccato originale, cap. II] dicit, quod triplex est rerum cursus : naturalis, voluntarius et mirabilis. Ea autem quae solus Deus operatur praeter causas naturales, non pertinent ad cursum rerum naturalium, nec ad voluntarium, quia nec natura, nec voluntas creata in eis operatur. Ergo pertinet ad cursum mirabilem, et ita sunt miracula.

1. Augustin (Anselme, Le pch originel, ch. 2) dit que le cours des choses est triple : naturel, volontaire et merveilleux. Ce que Dieu seul opre au-del des causes naturelles n'appartient pas un concours de ce qui est naturel, ni ce qui est volontaire, parce que, ni la nature, ni la volont cre n'oprent en eux. Donc il appartient un concours admirable et ainsi c'est un miracle.

q. 6 a.2  s. c. 2 Praeterea, Richardus de s. Victore dicit, quod miraculum est opus creatoris, manifestativum divinae virtutis. Huiusmodi autem sunt quae a Deo praeter causas naturales fiunt. Ergo sunt miracula.

2. Richard de Saint Victor dit que le miracle est l'uvre du Crateur, qui manifeste sa puissance divine. Ce qui est fait par Dieu au-del des causes naturelles est de ce genre. Donc ce sont des miracles.

 

Rponse :

q. 6 a.2  co. Respondeo. Dicendum, quod miraculi nomen a mirando est sumptum. Ad admirationem autem duo concurrunt, ut potest accipi ex verbis philosophi in principio Metaphysicorum [libro I, cap. II] : quorum unum est, quod causa illius quod admiramur, sit occulta ; secundum est quod in eo quod miramur, appareat aliquid per quod videatur contrarium eius debere esse quod miramur, sicut aliquis posset mirari si videret ferrum ascendere ad calamitam, ignorans calamitae virtutem, cum videatur quod ferrum naturali motu debeat tendere deorsum.

Le nom miracle vient de "admirer" (s'tonner). Deux aspects concourent l'admiration, comme on peut le tirer des paroles du philosophe au dbut de la Mtaphysique (I, 2, 982 b 11-21.[647]). 1) Dont lune est que la cause de ce qui tonne est cache.2) La seconde est que dans ce qui nous tonne apparat ce par quoi il semble que c'est son contraire dont on devrait s'tonner ; par exemple quelqu'un pourrait sՎtonner s'il voyait le fer monter vers un aimant, ignorant son pouvoir[648]. Puisqu'il semble que le fer par un mouvement naturel doit tendre vers le bas.

Hoc autem contingit dupliciter : uno modo secundum se ; alio modo quo ad nos. Quo ad nos quidem, quando causa effectus quem miramur, non est occulta simpliciter, sed occulta huic vel illi ; nec in re quam miramur est dispositio repugnans effectui quem miramur, secundum rei veritatem, sed solum secundum opinionem admirantis : et ex hoc contingit quod id quod est uni mirum vel admirabile, non est mirum vel admirabile alteri, sicut sciens virtutem calamitae per doctrinam vel per experimentum, non miratur praedictum effectum ; ignorans autem miratur.

Cela arrive de deux manires : en soi, et selon nous. 1) Selon nous, quand la cause de l'effet qui nous tonne n'est pas absolument cache, mais cache celui-ci ou celui-l. Et dans ce qui nous tonne, il n'y a pas de disposition qui s'oppose l'effet dont nous nous tonnons, selon la vrit de la chose, mais selon l'opinion de celui qui s'tonne, et de l vient que ce qui est tonnant ou admirable pour l'un, ne l'est pas pour un autre, de mme que celui qui connat le pouvoir de l'aimant par science ou exprience, ne s'tonne pas de cet effet, mais l'ignorant s'en tonne.

Secundum se autem aliquid est mirum vel admirabile, cuius causa simpliciter est occulta, et quando in re est contraria dispositio secundum naturam effectui qui apparet, et ista non solum possunt dici mira in actu, vel mira in potentia, sed etiam miracula, quasi habentia in se admirationis causam. Causa autem occultissima et remotissima a nostris sensibus est divina, quae in rebus omnibus secretissime operatur : et ideo illa quae sola virtute divina fiunt in rebus illis in quibus est naturalis ordo ad contrarium effectum vel ad contrarium modum faciendi, dicuntur proprie miracula ; ea vero quae natura facit, nobis tamen vel alicui nostrum occulta, vel etiam quae Deus facit, nec aliter nata sunt fieri nisi a Deo, miracula dici non possunt, sed solum mira vel mirabilia.

2) En soi est tonnant ou admirable ce dont la cause est simplement cache et quand il y a dans la chose selon la nature une disposition contraire l'effet qui apparat, et on peut non seulement appeler cela tonnant en acte ou en puissance, mais encore lappeler miracle, comme ayant en soi une cause d'tonnement. Mais la cause la plus cache et la plus loigne de nos sens est divine, celle qui agit trs secrtement en tout ; et c'est pourquoi ce qui est fait par le seul pouvoir divin l o il y a un ordre naturel pour un effet contraire ou pour une manire contraire de le produire, est appel proprement miracle ; ce que la nature fait, cependant cach pour nous ou pour l'un des ntres, ou mme ce que Dieu fait, et qui n'est destin tre produit autrement que par Dieu, ne peut pas tre appel miracle, mais seulement tonnant ou merveilleux[649].

Et ideo in definitione miraculi ponitur aliquid quod excedit naturae ordinem, in hoc quod dicitur, supra facultatem naturae, cui ex parte rei mirabilis respondet quod dicitur arduum. Et ponitur etiam aliquid quod excedit nostram cognitionem, in hoc quod dicitur praeter spem admirantis apparens ; cui ex parte rei mirabilis respondet quod dicitur insolitum. Nam per consuetudinem aliquid in nostram notitiam familiarius venit.

C'est pourquoi dans la dfinition du miracle, on place quelque chose qui excde l'ordre de la nature, en disant (qu'il est) au-dessus des possibilits de la nature, qui du ct de ce qui est tonnant correspond ce qui est appel ardu. Et on pense quelque chose qui dpasse notre connaissance, en disant que ce qui apparat est au-del de l'esprance de celui qui le voit avec tonnement, qui du ct de ce qui est tonnant correspond ce qu'on appelle inhabituel. Car par l'habitude quelque chose devient plus familier notre connaissance.

 

Solutions :

q. 6 a.2  ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod arduum quod ponitur in definitione miraculi, non pertinet ad rei magnitudinem secundum se consideratam, sed per comparationem ad facultatem naturae. Unde quod in quacumque parva re Deus operatur quod natura operari non potest, hoc arduum reputatur.

 1. Ardu qui appartient la dfinition du miracle, ne convient pas la grandeur de lՎvnement considre en soi, mais par comparaison aux possibilits de la nature. C'est pourquoi ce que fait Dieu en chaque petite chose, que la nature ne peut pas faire, est considr comme "ardu".

q. 6 a.2  ad 2 Ad secundum dicendum, quod insolitum dicitur miraculum, quia est contra consuetum cursum naturae, etiam si quotidie iteraretur, sicut transubstantiatio panis in corpus Christi frequentatur quotidie, nec tamen desinit esse miraculum : magis enim debet dici solitum quod in toto ordine universi communiter accidit quam quod in una sola re contingit.

 2. On dit que le miracle est inhabituel, parce qu'il est contre le cours habituel de la nature, mme s'il se renouvelle chaque jour, comme la transsubstantiation du pain en corps du Christ est ritre frquemment chaque jour, et cependant elle ne cesse pas d'tre un miracle ; car on doit appeler habituel que ce qui arrive communment dans tout l'ordre de l'univers plus que ce qui arrive dans une seule chose.

q. 6 a.2  ad 3 Ad tertium dicendum, quod circa ea quae Deus miraculose facit, talis solet adhiberi distinctio, quod quaedam dicantur fieri supra naturam, quaedam contra naturam, quaedam praeter naturam.

 3. A propos de ce que Dieu accomplit miraculeusement, on a l'habitude d'appliquer une distinction telle que certaines actions sont dites au-dessus de la nature, certaines contre, et d'autres au-del.

Supra naturam quidem, in quantum in illum effectum quem Deus facit, natura nullo modo potest ; quod quidem contingit dupliciter :

A) Au-dessus de la nature dans la mesure o dans cet effet que Dieu produit, la nature ne peut rien faire en aucune manire, ce qui arrive de deux faons :

vel quia ipsa forma inducta a Deo, omnino a natura induci non potest, sicut forma gloriae, quam inducet Deus corporibus electorum, et sicut etiam incarnatio verbi ;

a) Ou bien parce que la forme mme, induite par Dieu, ne peut absolument pas l'tre par la nature, comme la forme de gloire que Dieu induit dans le corps des lus, et aussi l'Incarnation du Verbe.

vel quia etsi talem formam possit in aliquam materiam inducere, non tamen in istam : sicut ad causandum vitam natura potens est ; sed quod in hoc mortuo natura vitam causet, hoc facere non potest.

b) Ou parce que, mme si elle pouvait induire une telle forme dans la matire, ce n'est cependant pas dans celle-ci : ainsi la nature a pouvoir de causer la vie ; mais la nature ne peut pas la causer dans ce mort.

Contra naturam esse dicitur, quando in natura remanet contraria dispositio ad effectum quem Deus facit, sicut quando conservavit pueros illaesos in camino, remanente virtute comburendi in igne, et quando aqua Iordanis stetit, remanente gravitate in ea, et simile est quod virgo peperit.

B) On dit que c'est contre la nature quand en elle demeure une disposition contraire l'effet que Dieu produit, comme quand il a conserv sans blessure les enfants dans la fournaise, alors que le pouvoir de brler demeurait dans le feu et comme quand l'eau du Jourdain s'arrta, tout en conservant sa gravit, et il en est de mme pour l'enfantement de la Vierge.

Praeter naturam autem dicitur Deus facere, quando producit effectum quem natura producere potest, illo tamen modo quo natura producere non potest, vel quia deficiunt instrumenta quibus natura operatur (sicut cum Christus convertit aquam in vinum, Ioan. II, 3-11, quod tamen natura aliquo modo facere potest, dum aqua in nutrimentum vitis assumpta, suo tempore in succum uvae per digestionem producitur), vel quia est in divino opere maior multitudo quam natura facere consuevit, sicut patet de ranis quae sunt productae in Aegypto ; vel quantum ad tempus, sicut cum statim ad invocationem alicuius sancti aliquis curatur, quem natura non statim, sed successive, et alio tempore, non in isto curare posset : et sic accidit in miraculo inducto de socru Petri. Unde patet quod omnia huiusmodi, si accipiatur et modus et factum, facultatem naturae excedunt.

C) On dit que Dieu agit au del de la nature, quand est produit un effet que la nature peut produire, cependant dune manire dont la nature ne peut pas le produire, ou parce que les instruments par lesquels la nature opre sont dfaillants (ainsi quand le Christ change l'eau en vin (Jn 2, 3-11), ce que cependant la nature peut faire d'une autre manire, quand l'eau est prise en nourriture par la vigne, en son temps, et devient le suc du raisin par absorption), ou bien parce que dans l'uvre divine il y a une plus grande multitude que la nature n'a pas coutume de produire, comme on le voit pour les grenouilles produites en gypte ; ou quant au temps, comme quand l'invocation d'un saint quelquun est aussitt guri, ce que la nature ne (peut faire) aussitt mais successivement, et dans un autre temps, [mais] elle ne pourrait le gurir en ce temps ; et cela arriva ainsi dans le miracle rapport propos de la belle-mre de Pierre. C'est pourquoi il apparat que tous les vnements de ce genre, si on prend la manire et le rsultat, dpassent le pouvoir de la nature.

q. 6 a.2  ad 4 Ad quartum dicendum, quod resurrectio mortuorum futura est praeter spem naturae, licet non sit praeter spem gratiae : de qua duplici spe habetur Rom. IV, 18 : In spem contra spem credidit.

 4. La rsurrection future des morts est au-del de l'esprance de la nature, bien qu'elle ne soit pas au-del de l'esprance de la grce. De cette double esprance, il est question en Rm 4, 18 : Il crut contre toute esprance.

q. 6 a.2  ad 5 Ad quintum dicendum, quod caelum et terra et etiam animae rationales non sunt secundum ordinem naturalem nata creari ab alia causa quam a Deo : et ideo huiusmodi rerum creationes non sunt miracula.

 5. Le ciel et la terre et aussi les mes rationnelles dans l'ordre de la nature ne sont pas destins tre crs par une autre cause que Dieu. Et cest pourquoi de telles crations ne sont pas des miracles.

q. 6 a.2  ad 6 Et similiter dicendum ad sextum de iustificatione impii.

 6. On doit en dire autant de la justification de l'impie.

q. 6 a.2  ad 7 Ad septimum dicendum, quod ea quae fiunt a natura, fiunt etiam a Deo ; sed ea quae Deus miraculose facit, non fiunt a natura, et ideo ratio non procedit. Et praeterea, natura operans est causa manifesta nobis. Deus autem est causa occulta ; et propter hoc magis miramur opera Dei quam opera naturae.

 7. Ce qui est fait par la nature, est aussi fait par Dieu ; mais ce que Dieu accomplit miraculeusement n'est pas fait par la nature et c'est pourquoi cette raison ne convient pas. Et en outre la nature qui opre est une cause vidente pour nous. Mais Dieu est une cause cache ; et c'est pour cela que nous admirons plus les uvres de Dieu que les uvres de la nature.

q. 6 a.2  ad 8 Ad octavum dicendum, quod monstra licet fiant contra naturam particularem, non tamen fiunt contra naturam universalem.

 8. Bien que les prodiges soient faits contre une nature particulire, ils ne sont pas faits contre la nature universelle.

q. 6 a.2  ad 9 Ad nonum dicendum, quod incarnatio verbi est miraculum miraculorum, ut sancti dicunt, quia est maius omnibus miraculis, et ad istud miraculum omnia alia ordinantur : et propter hoc non solum est inducens ad alia credendum, sed etiam alia miracula inducunt ad hoc quod ipsum credatur. Nihil enim prohibet unum miraculum inducere ad fidem alterius, sicut resuscitatio Lazari inducit ad futuram resurrectionem credendam.

 9. L'Incarnation du Verbe est le miracle des miracles, comme le disent les saints, parce qu'il est plus grand que tous les miracles et tous les autres lui sont ordonns et c'est pour cela qu'il n'incite pas seulement croire d'autres choses mais aussi les autres miracles amnent croire en lui. Car rien n'empche un miracle de conduire la foi pour un autre, comme la rsurrection de Lazare amne croire la rsurrection future.

 

 

 

Article 3 Les cratures spirituelles peuvent-elles accomplir des miracles par leur pouvoir naturel ?

q. 6 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum creaturae spirituales sua naturali virtute possint miracula facere. Et videtur quod sic.

Il semble oui.

 

Objections :[650]

q. 6 a. 3Arg. 1 Quod enim potest virtus inferior, multo magis potest virtus superior. Sed virtus creaturae spiritualis est supra virtutem naturae corporalis : unde dicitur Iob XLI, 24 : Non est potestas super terram quae ei possit comparari. Ergo creatura spiritualis potest facere illos effectus quos natura facit. Quando autem effectus naturalis fit non a causa naturali, sed occulta, est miraculum. Ergo creatura spiritualis potest facere miracula.

1. Car ce que peut un pouvoir infrieur, un pouvoir suprieur le peut beaucoup plus. Mais le pouvoir de la crature spirituelle est au-dessus de celui de la nature corporelle : cest pourquoi il est dit en Job, 41, 24 : Il ny a pas de pouvoir sur terre qui puisse lui tre compar[651].. Donc la crature spirituelle peut produire les effets que produit la nature. Mais quand leffet naturel se produit non par une cause naturelle, mais par une cause cache, cest un miracle. Donc la crature spirituelle peut faire des miracles.

q. 6 a. 3Arg. 2 Praeterea, quanto aliquid est magis actu, tanto est magis activum, eo quod unumquodque agit in quantum actu est. Sed formae quae sunt creaturae rationales, sunt magis actuales quam formae quae sunt in creatura corporali, eo quod sunt magis immateriales. Ergo sunt magis activae. Sed formae quae sunt in natura corporali, producunt sui similes in natura. Ergo multo magis possunt hoc facere formae quae sunt in mente creaturae spiritualis ; et sic poterit creatura rationalis facere effectus naturales praeter causas naturales : quod est miraculosum.

2. Plus une chose est en acte, plus elle peut agir, parce que chacun agit en tant qu'il est en acte. Mais les formes que sont les cratures raisonnables, sont plus en acte que celles qui sont dans la crature corporelle, parce quelles sont plus immatrielles. Donc elles sont plus actives. Mais les formes qui sont dans une nature corporelle, produisent du semblable elles en nature. Donc les formes qui sont dans lesprit de la crature spirituelle peuvent beaucoup plus le faire et ainsi la crature raisonnable pourra produire des effets naturels au-del des causes naturelles ; ce qui est miraculeux.

q. 6 a. 3Arg. 3 Praeterea, intellectus Angeli est propinquior divino intellectui quam intellectus humanus. Sed in intellectu humano sunt aliquae formae activae, quae scilicet sunt in intellectu practico, ut formae artis. Ergo multo fortius in intellectu Angeli sunt formae activae : nam ideas intellectus divini constat esse maxime activas.

3. Lesprit de lange est plus proche de lesprit divin que lesprit humain. Mais en ce dernier il y a des formes actives, qui sont naturellement dans lesprit pratique, comme les formes de l'art. Donc ces formes actives sont beaucoup plus importantes dans lesprit de lange : car il est clair que les ides de lesprit divin sont trs actives.

q. 6 a. 3Arg. 4 Sed dices, quod formae activae quae sunt in intellectu Angeli, applicantur ad effectum mediante corporali agente, sicut etiam formae intellectus humani. - Sed contra, omnis virtus quae non potest exire in actum nisi mediante instrumento corporali, frustra datur alicui, nisi detur ei organum corporale : frustra enim potentia motiva esset data animali, nisi darentur ei instrumenta motus. Sed Angelo non est naturaliter corpus unitum. Ergo virtus sua non requirit ad sui operis executionem corporeum activum.

4. Mais on pourrait dire que les formes actives qui sont dans lesprit de lange sont appliques l'effet par lintermdiaire dun agent corporel, comme les formes de lesprit humain. En sens contraire, tout pouvoir, qui ne peut devenir en acte que par lintermdiaire dun instrument corporel, est donn en vain quelqu'un, moins quil lui soit donn un organe corporel : car cest en vain que la puissance motrice serait donne lanimal si les organes du mouvement ne lui taient pas donns. Mais l'ange n'a pas de corps naturellement uni lui. Donc c'est que son pouvoir ne demande pas un corps actif pour lexcution de son uvre.

q. 6 a. 3Arg. 5 Praeterea, omnis virtus quae excedit proportionem sui organi, potest habere aliquam actionem praeter illud organum : quia enim oculus non adaequat virtutem totius animae, efficit anima multas operationes non per oculum. Sed corpus non potest esse proportionatum ad totam virtutem Angeli. Ergo potest Angelus effectus aliquod facere non mediantibus corporibus ; et sic videtur quod virtute naturae suae possit miracula facere.

5. Tout pouvoir qui dpasse les limites de son organe, peut avoir une action au-del de celui-ci ; parce qu'en effet, lil nՎgale pas le pouvoir de toute lՉme, celle-ci effectue de nombreuses oprations mais pas par lui. Mais un corps ne peut pas tre proportionn tout le pouvoir de lange. Donc celui-ci peut causer des effets sans lintermdiaire des corps ; et ainsi il semble quil puisse faire des miracles par le pouvoir de sa nature.

q. 6 a. 3Arg. 6 Praeterea, plus excedit virtus Angeli omnem virtutem corpoream quam corpus caeli excedat elementaria corpora. Sed ex virtute caelestis corporis fiunt aliqui effectus in istis inferioribus absque actionibus qualitatum activarum et passivarum, quae sunt propriae virtutes elementorum. Ergo multo fortius ex virtute Angeli possunt aliqui effectus in rebus naturalibus produci, non mediantibus virtutibus corporum naturalium.

6. Le pouvoir de lange dpasse tout pouvoir corporel plus que le corps du ciel dpasse les corps lmentaires. Mais des effets sont produits par le pouvoir du corps cleste dans les choses infrieures, sans les actions des puissances actives et passives, qui sont les pouvoirs propres des lments. Donc le pouvoir de lange peut produire des effets beaucoup plus intensment dans les choses naturelles, sans lintermdiaire des pouvoirs des corps naturels.

q. 6 a. 3Arg. 7 Praeterea, secundum Augustinum [in III de Trinitate, cap.IV] Omnia corpora a Deo per spiritum vitae rationalem reguntur : et hoc idem dicit Gregorius [in IV lib. Dialogorum] : et sic videtur quod motus caeli et totius naturae sit ab Angelis, sicut motus humani corporis est ab anima. Sed ab anima imprimuntur formae in corpus praeter virtutes naturales corporis activas : ex sola enim imaginatione aliquis calescit et infrigidatur, et incurrit quandoque febrem vel etiam lepram, ut medici dicunt. Ergo multo fortius ex sola conceptione Angeli moventis caelum, praeter actionem causarum naturalium, possunt sequi aliqui effectus in istis inferioribus ; et sic potest Angelus facere miraculum.

7. Selon Augustin (La Trinit, III, IV, 9[652]) Tous les corps sont rgis par Dieu par un esprit de vie dou de raison ; et Grgoire [le Grand] dit la mme chose (Dialogues, IV[653]) : et ainsi il semble que le mouvement du ciel et de toute la nature vient des anges, comme le mouvement du corps humain dpend de lՉme. Mais les formes sont induites par l'me dans le corps au-del des pouvoirs naturels actifs du corps : car par la seule imagination quelquun s'chauffe ou se refroidit, et attrape quelquefois la fivre ou mme la lpre, comme le disent les mdecins[654]. Donc beaucoup plus intensment de la seule conception de lange qui meut le ciel, au-del de laction des causes naturelles, des effets peuvent s'couler dans les tres infrieurs et ainsi lange peut faire des miracles.

q. 6 a. 3Arg. 8 Sed dices, quod hoc accidit ex eo quod anima est forma corporis : non autem Angelus est forma corporalis creaturae. - Sed contra, quidquid provenit ex anima per eius operationem, provenit ex ea in quantum est motor, non in quantum est forma : non enim per operationem anima est forma corporis, sed motor. Praedictae autem impressiones quae fiunt in corpus ab anima, sequuntur impressionem animae aliquid imaginantis. Ergo non sunt ab anima in quantum est forma, sed in quantum est motor.

8. Mais on pourrait dire, que cela vient du fait que lՉme est la forme du corps. Or lange nest pas la forme d'une crature corporelle. En sens contraire, tout ce qui provient de lՉme par son opration, provient delle en tant que moteur, non en tant que forme ; car par son opration lՉme n'est pas la forme du corps, mais elle en est moteur. Mais ces impressions qui se font dans le corps par lՉme, dcoulent de limpression de lՉme quand elle imagine. Donc elles ne viennent pas de lՉme en tant que forme mais en tant que moteur.

q. 6 a. 3Arg. 9 Praeterea, ex hoc Deus mirabilia facere potest, quia eius virtus est infinita. Sed in libro de Causis [prop. 16], dicitur quod virtus intelligentiae est infinita, praecipue ad inferius ; quod etiam probari potest ex hoc quod movet motum caeli, ut ostensum est, qui natus est esse sempiternus : sempiternum enim motum movere non potest nisi virtus infinita, ut probatur in VII Phys.[com. 80 Ergo videtur quod Angeli possint miracula facere etiam naturali virtute.

9. Dieu peut faire des miracles, parce sa puissance est infinie. Mais dans le livre Des Causes (prop.16), il est dit que la puissance de lintelligence est infinie, surtout pour ce qui est infrieur, ce qui peut aussi tre prouv, comme on la montr, du fait quelle provoque le mouvement du ciel destin tre ternel ; car il n'y a qu'un pouvoir infini qui peut produire un mouvement ternel, comme on le prouve en Physique, (VIII, 10, 266 a 12[655]). Donc il semble que les anges puissent faire des miracles mme par un pouvoir naturel.

q. 6 a. 3Arg. 10 Praeterea, in Lib. de Causis [prop. 17]dicitur, quod virtus omnis unita plus est infinita quam virtus multiplicata ; et ibidem Commentator dicit, quod quanto virtus intelligentiae magis aggregatur et unitur, magnificatur et vehementior fit et efficit operationes mirabiles. Loquitur autem ibi Commentator de naturali virtute intelligentiae : nam virtutem gratiae non cognovit. Ergo Angelus sua virtute naturali mirabilia facere potest.

10. Dans le livres des Causes, (prop. 17), il est dit que toute puissance unie est plus infinie quune puissance multiplie ; et sur ce mme sujet, le Commentateur dit que plus la puissance de lintelligence est rassemble et unie, plus elle crot, se fortifie et plus elle accomplit d'oprations admirables. Mais le Commentateur y parle de la puissance naturelle de lintelligence : car il n'a pas connu le pouvoir de la grce. Donc lange peut faire des miracles par sa puissance naturelle.

q. 6 a. 3Arg. 11 Sed dicendum, quod Angelus potest mirabilia facere non virtute propria, sed virtute naturalibus rebus a Deo indita, applicando huiusmodi res ad effectum quem intendit. - Sed contra, applicatio huiusmodi seminum naturalium, in quibus existunt activae virtutes naturae, ad effectum aliquem, esse non potest nisi per motum localem. Sed eiusdem rationis esse videtur quod corpora obediant vel non obediant substantiae spirituali ad motum localem et alios motus, nam quilibet motus naturalis habet proprium et determinatum motorem. Ergo si possunt Angeli suo imperio applicare huiusmodi semina ad effectum naturae per motum localem, poterunt etiam per motum alterationis vel generationis formam aliquam in materia inducere ex solo imperio : quod est mirabilia facere.

11. Mais il faut dire que lange peut faire des miracles, non par sa puissance propre, mais par celle induite par Dieu dans les choses naturelles, en les appliquant leffet auquel il tend. En sens contraire, lapplication des semences naturelles[656] de ce genre, en qui existent les puissances actives de la nature, pour un effet, ne peut exister que par mouvement local. Mais il semble que c'est pour une mme raison que les corps obissent ou non la substance spirituelle pour le mouvement local, et pour les autres mouvements, car nimporte quel mouvement naturel a un moteur propre et dtermin. Donc, si les anges peuvent par leur pouvoir appliquer des semences de ce genre un effet de nature, par mouvement local, ils ont pu aussi par mouvement de changement ou de gnration induire une forme dans la matire de leur seul pouvoir ; ce qui est faire des miracles.

q. 6 a. 3Arg. 12 Praeterea, eiusdem virtutis secundum genus est imprimere formam in materia et impedire ne imprimatur : sicut enim virtute corporis forma ignis inducitur in materia, ita virtute alicuius corporis talis formae inductio impeditur. Sed virtute spiritualis creaturae impeditur ne ab agente naturali forma in materia imprimatur : dicitur enim esse expertum quod virtute alicuius scripti aliquis, in igne positus, non fuit combustus : quod planum est non fuisse operationis divinae, quae pro meritis, sine aliquibus scriptis, poenas a sanctis suis repellit : et sic remanet quod fuerit factum Daemonis virtute. Ergo videtur quod pari ratione fieri possit quod spiritualis creatura ex solo imperio formam in materia inducere possit absque corporali agente. Et nihilominus hoc ipsum miraculosum videtur quod homo in igne positus non comburatur, sicut patet in miraculo trium puerorum.

12. Il appartient une mme puissance en genre, dinduire une forme dans la matire et de l'en empcher : en effet, de mme que la forme du feu est introduite dans la matire par la puissance dun corps, de la mme manire linduction dune telle forme est empche par le pouvoir d'un corps. Mais la puissance de la crature spirituelle empche que la forme soit imprime dans la matire par un agent naturel : car on dit qu'il s'est trouv que quelqu'un, par le pouvoir d'un crit, plac dans le feu, na pas t brl ; il est clair que ce n'est pas arriv par lopration divine qui, pour les mrites, repousse sans crits les chtiments de ses saints. Et ainsi il reste que cela a t fait par la puissance du dmon. Donc il semble que, raison gale, la crature spirituelle puisse de son seul pouvoir induire une forme dans la matire, sans agent corporel. Et cependant il parat miraculeux que lhomme, plac dans le feu, ne brle pas, comme on le voit dans le miracle des trois enfants.

q. 6 a. 3Arg. 13 Praeterea, nobilior est forma quae est in imaginatione et in sensu, quam forma quae est in materia corporali, quanto est magis immaterialis. Sed spiritualis creatura in phantasiam et sensum potest imprimere aliquam formam, ut videatur aliquid aliter quam sit : unde dicit Augustinus [in XVIII lib. de Civ. Dei, cap. XVIII] : Nec sane Daemones naturas creant ; sed specie tenus quae a Deo vero sunt creata, commutant ; et postea subiungit, quod hoc fit per immutationem phantasiae. Ergo multo fortius potest imprimere formam in materiam corporalem ; et sic idem quod prius.

13. La forme, dans limagination et les sens, est plus noble que celle qui est dans la matire corporelle ; dautant quelle est plus immatrielle. Mais la crature spirituelle peut introduire une forme dans l'imagination et les sens pour qu'une chose paraisse autre quelle nest : cest pourquoi Augustin dit (La cit de Dieu, XVIII, 18[657]) : Ce nest pas rellement que les dmons crent des natures ; mais ils changent seulement d'apparence ce qui a t cr par Dieu, et ensuite il ajoute que cela se fait par un changement dans l'imagination. Donc il peut beaucoup plus induire une forme dans la matire corporelle, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 6 a. 3Arg. 14 Sed dicendum, quod immutatio phantasiae a Daemone non fit per hoc quod novae formae imprimantur, sed per compositionem et divisionem formarum praeexistentium. - Sed contra, anima est nobilior quam natura corporalis. Si ergo Daemon per suam virtutem potest facere illud quod est propria operatio animae sensitivae, scilicet componere et dividere imagines, videtur quod multo fortius possit facere sua virtute operationes naturae corporeae ; et sic idem quod prius.

14. Mais il faut dire que le changement dans l'imagination par le dmon ne se fait pas en imprimant de nouvelles formes, mais par composition et division des formes qui existent dj. En sens contraire, lՉme est plus noble que la nature corporelle. Si donc le dmon par sa puissance peut faire ce qui est lopration propre de lՉme sensitive, savoir composer et diviser les images, il semble qu'il puisse beaucoup plus accomplir par sa puissance les oprations de la nature corporelle, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 6 a. 3Arg. 15 Praeterea, sicut se habet virtus ad virtutem, ita se habet operatio ad operationem. Sed virtus Angeli non dependet a virtute creaturae corporalis. Ergo nec eius operatio ab operatione creaturae corporalis ; et sic praeter naturales causas potest miraculose operari.

15. De la mme manire que se comporte la puissance vis--vis d'elle-mme, lopration se comporte vis--vis d'elle-mme. Mais le pouvoir de lange ne dpend pas de la puissance de la crature corporelle. Donc son opration non plus, et ainsi il peut oprer miraculeusement au-del des causes naturelles.

De potentia, q. 6 a. 3Arg. 16 Praeterea, sicut facere aliquid ex nihilo est infinitae virtutis propter infinitam distantiam entis ad nihil, ita reducere aliquid in actum de potentia, subest virtuti finitae. Inter virtutes autem finitas maxima est virtus Angeli. Ergo Angelus sua virtute potest educere in actum omnes formas quae sunt in potentia materiae, absque actione alicuius causae naturalis ; et sic idem quod prius.

16. De mme que faire quelque chose de rien demande une puissance infinie, cause de la distance infinie de lՎtant au nant, de mme ramener quelque chose de la puissance l'acte, est soumis une puissance finie. Parmi les puissances finies, la plus grande est celle de lange. Donc lange par son pouvoir peut amener lacte toutes les formes qui sont dans la puissance de la matire, sans laction dune cause naturelle, et ainsi de mme que ci-dessus.

De potentia, q. 6 a. 3Arg. 17 Praeterea, omne agens non impeditum agit et patitur. Sed Angelus agens in ista corporalia nullo modo patitur ab eis. Ergo non impeditur quin sua actione possit miracula facere praeter causas naturales agendo.

17. Tout agent sil nest pas empch agit et supporte. Mais l'ange qui agit dans ce qui est corporel n'en supporte rien. Donc rien n'empche son action de pouvoir faire des miracles, en agissant au-del des causes naturelles.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Ex hoc Deus miracula facit quod natura est ei subiecta. Non est autem subiecta Angelis : non enim Angelis subiecit Deus orbem terrae, ut dicitur ad Hebr. II. Ergo Angeli sua naturali virtute miracula facere non possunt.

1. Dieu fait des miracles parce que la nature lui est soumise ; mais elle nest pas soumise lange : car Dieu na pas soumis la terre aux anges, comme il est dit en Hbr. 2, 5[658]. Donc les anges ne peuvent pas faire de miracles par leur pouvoir naturel.

59828] De potentia, q. 6 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit [in III lib. de Trin. Cap. VIII], quod non est putandum Angelis transgressoribus ad nutum servire corporalium rerum materiam. Serviret autem eis, si ex virtute suae naturae creatura spiritualis miracula facere posset. Ergo miracula facere non possunt.

2. Augustin dit (la Trinit, III, VIII, 13[659]), quil ne faut pas penser que la matire des choses corporelles se soumet aux anges transgresseurs sur un signe de leur part. Elle leur serait soumise, si par le pouvoir de sa nature, la crature spirituelle pouvait faire des miracles. Donc ils ne peuvent pas faire de miracles.

 

Rponse :

q. 6 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod Augustinus in II Lib. de Trinitate [cap. X], postquam quaestionem istam pertractaverat diligenter, concludit in fine : Mihi omnino utile est ut meminerim virium mearum, fratresque meos admoneam ut meminerint suarum, ne ultra quam tutum est humana progrediatur infirmitas ; quemadmodum enim hoc faciant Angeli, vel potius quemadmodum Deus hoc faciat per Angelos suos, nec oculorum acie penetrare, nec fiducia rationis enucleare, nec provectu mentis comprehendere valeo ; ut tam certus loquar ad omnia quae requiri de his rebus possunt, quam si essem Angelus aut propheta aut apostolus. Unde et hac moderatione adhibita, absque assertione et sententiae melioris praeiudicio, procedendum est, quantum ratio et auctoritas poterit adiuvare.

Il faut dire quAugustin (La Trinit, III, X, 21), aprs avoir trait attentivement cette question, conclut la fin : Pour moi il est tout fait utile de me souvenir de mes forces, et d'avertir mes frres, quils se souviennent des leurs, pour que la faiblesse humaine ne progresse pas au del de la prudence ; car de quelque manire que les anges le fassent, ou plutt de quelque manire que Dieu le fasse par les anges, je ne peux pas le discerner par l'acuit de ma vue, ni le comprendre par la perspicacit de mon esprit, de sorte que je puisse parler avec autant d'assurance de tout ce qu'on peut en rechercher que si j'tais un ange, un prophte ou un aptre. Cest pourquoi une fois cette modration acquise, il faut avancer, sans assertion ni prjudice dune expression meilleure, autant que la raison et lautorit peuvent nous aider.

A. - Sciendum est ergo, quod circa hanc quaestionem inveniuntur philosophi dissensisse :

A. - Il faut donc savoir quՈ propos de cette question, on constate que les philosophes ne sont pas daccord :

Avicenna namque posuit, quod substantia spiritualis quae caelos movet, non solum mediante caelesti motu effectus in inferioribus corporibus causat, sed etiam praeter omnem corporis actionem, volens quod materia corporalis multo magis obediat conceptioni et imperio praedicto spiritualis substantiae quam contrariis agentibus in natura, vel cuicumque corpori agenti. Et ex hac causa provenire dicit, quod quandoque inusitatae permutationes fiunt aeris, et infirmitatum curationes, quae nos miracula appellamus. Et ponit exemplum de anima quae corpus movet ; ad cuius imaginationem, absque omni alio corporali agente, transmutatur corpus et ad calorem et ad frigus, et quandoque ad febrem vel lepram.

Car Avicenne a pens que la substance spirituelle[660] qui met en mouvement les cieux, cause des effets dans les corps infrieurs, non seulement par lintermdiaire du mouvement du ciel, mais aussi au-del de toute action du corps, il voulait que la matire corporelle obisse beaucoup plus la conception et au pouvoir dj signal de la substance spirituelle quaux agents contraires dans la nature ou quelque agent corporel. Et il dit que par cette cause quelquefois se produisent des changements inhabituels de lair, et des gurisons de maladies que nous, nous appelons miracles. Et il propose lexemple de lՉme qui meut le corps, par l'imagination de laquelle, sans aucun autre agent corporel, le corps subit la chaleur et le froid et quelquefois (attrape) la fivre et la lpre.

Haec autem positio satis convenit principiis ab eo suppositis ; ponit enim quod agentia naturalia solummodo disponunt materiam ; formae autem substantiales sunt a substantia spirituali, quam appellat datorem formarum ; unde materia ex naturali ordine obedit spirituali substantiae ad recipiendum ab ea formam ; et ideo non est mirum, si etiam praeter ordinem corporalium agentium, aliquas formas solo imperio in materiam imprimat. Si enim materia obedit substantiae separatae ad receptionem formae substantialis, non erit inconveniens si obediat ad recipiendum etiam dispositiones ad formam ; hoc enim patet esse minoris virtutis.

Mais cette opinion[661] convient assez aux principes qu'il suppose, car il pense que les agents naturels disposent seulement la matire ; mais les formes substantielles viennent d'une substance spirituelle quil appelle le donneur de formes ; cest pourquoi la matire par ordre naturel obit la substance spirituelle, pour en recevoir la forme ; et ce nest pas tonnant non plus, si, en dehors de lordre des corps agents, il imprime quelques formes dans la matire par son seul pouvoir. Car si la matire obit la substance spare, pour recevoir la forme substantielle, il ne sera pas inconvenant qu'elle obisse pour recevoir aussi les dispositions la forme ; car il est clair que cela dpend dune puissance moindre.

B. - Sed secundum opinionem Aristotelis et sequentium eum, hoc non potest stare ; probat enim Aristoteles duplici ratione, quod formae non imprimuntur in materiam ab aliqua substantia separata, sed reducuntur in actum de potentia materiae per actionem formae in materia existentis.

 B. - Mais selon lopinion dAristote et ses successeurs, cela n'est pas possible, car il prouve, par deux raisons, que les formes ne sont pas imprimes dans la matire par quelque substance spare, mais sont amenes de la puissance de la matire l'acte par laction de la forme qui est dans la matire.

Quorum primam ponit in VII Metaph., [com. 25, 27, 32] quia secundum quod ibi probatur, id quod fit proprie est compositum, non forma vel materia ; compositum enim est quod proprie habet esse. Omne autem agens agit sibi simile ; unde oportet quod id quod est faciens res naturales actu existere per generationem, sit compositum, non forma sine materia, hoc est substantia separata.

1) La premire raison, il la donne en Mtaphysique (VII, 8, 1033 b 16, 1033 b 23 et 1034 a 5), parce que, selon ce qui y est prouv, ce qui est fait, c'est proprement le compos, non la forme, ni la matire ; car le compos est ce qui a lՐtre en propre. Mais tout agent fait du semblable lui ; cest pourquoi il faut que ce qui fait exister les choses naturelles en acte par gnration, soit un compos et non une forme sans matire, (car) cela cest la substance spare.

Alia probatio ponitur in VIII Phys. : quia cum idem semper natum sit idem facere ; quod autem generatur vel corrumpitur vel alteratur, aut augetur vel diminuitur, non semper eodem modo se habet,- oportet quod illud quod est generans et movens secundum huiusmodi motus, non sit semper eodem modo se habens, sed aliter et aliter. Hoc autem non potest esse substantia separata, quia omnis talis substantia est immobilis : omne enim quod movetur, corpus est, ut in VI Physic. [a cvom. 86 usque ad 90], probatur. Unde id quod est immediata causa reducens formam de potentia in actum, per generationem et alterationem, est corpus aliter et aliter se habens, secundum quod accedit et recedit per motum localem.

2) Lautre preuve se trouve en Physique, VIII : parce que, comme le mme est destin toujours faire le mme, ce qui est engendr, corrompu, chang, augment ou diminu ne se comporte pas toujours de la mme manire, il faut que ce qui engendre ou meut, selon de tels mouvements, ne se comporte pas toujours de la mme manire, mais diffremment. Mais cela ne peut pas tre une substance spare, parce que toute substance de ce genre est immobile ; car tout ce qui est m est un corps, comme on le prouve en Physique, (VI, 10, de 240 b 8 241 a 25). C'est pourquoi, ce qui est la cause immdiate qui ramne la forme de la puissance lacte, par gnration et changement, est un corps qui se comporte diffremment, selon qu'il sapproche ou sՎloigne par mouvement local.

Et inde est quod substantia separata suo imperio in corpore causat immediate motum localem, et eo mediante causat alios motus, quibus mobile acquirit aliquam formam. Et hoc rationabiliter accidit : nam motus localis est primus et perfectissimus motuum, utpote qui non variat rem quantum ad rei intrinseca, sed solum quantum ad exteriorem locum ; et ideo per primum motum suum, scilicet localem, corporalis natura a spirituali movetur. Secundum hoc ergo corporalis creatura obedit imperio spiritualis secundum naturalem ordinem ad motum localem, non autem ad alicuius formae receptionem ; quod quidem intelligendum est de natura spirituali creata cuius virtus et essentia est limitata secundum determinatum genus, non de substantia spirituali increata, cuius virtus est infinita, non limitata ad aliquod genus secundum regulam alicuius generis.

De l vient que la substance spare, par son pouvoir, cause immdiatement dans le corps un mouvement local, et par son intermdiaire, elle cause d'autres mouvements, par lesquels le mobile acquiert une forme. Et cela arrive conformment la raison. Car le mouvement local est le premier et le plus parfait des mouvements, savoir qu'il ne change pas la chose de l'intrieur, mais seulement sa situation locale extrieure. Et cest pourquoi par son premier mouvement, savoir le mouvement local, la nature corporelle est mue par la nature spirituelle. Ainsi donc, la crature corporelle obit au pouvoir de la crature spirituelle selon lordre naturel pour le mouvement local, mais pas pour recevoir une forme, ce quil faut comprendre de la nature spirituelle cre dont le pouvoir et lessence sont limits un genre dtermin, (mais) non de la substance spirituelle incre, dont le pouvoir est infini, non limit un genre selon la rgle du genre.

Et huic opinioni quantum ad hoc consentit fides ; unde Augustinus dicit [in III de Trin.,cap. VIII et IX], quod Angelis non servit ad nutum materia corporalis. In hoc tamen differt sententia fidei a positione philosophorum ; philosophi enim praedicti ponunt substantias separatas movere suo imperio caelestia corpora motu locali ; motum autem localem in istis inferioribus non causari immediate a substantia separata, sed ab aliis moventibus naturaliter aut voluntarie aut violenter.

La foi est en accord avec cette opinion ; cest pourquoi Augustin dit (La Trinit, III, ch. 8 et 9), que la matire des corps nest pas soumise la volont des anges. Cependant en cela la rgle de foi diffre de la position des philosophes ; car ceux-ci pensent que les substances spares meuvent par leur pouvoir les corps clestes dun mouvement local ; mais le mouvement local dans les tres infrieurs nest pas caus immdiatement par une substance spare, mais par d'autres moteurs, de faon naturelle, volontaire ou violente.

C. - Unde et Alexander, Commentator, omnes effectus qui attribuuntur a nobis Angelis vel Daemonibus in istis inferioribus, attribuit impressioni corporum caelestium ; quod non videtur sufficienter esse dictum. Nam huiusmodi effectus non fiunt aliquo determinato cursu, sicuti ea quae fiunt per actionem naturalem superiorum vel inferiorum corporum. Et praeterea aliqui effectus inveniuntur in quos nullo modo corpora caelestia possent, sicut quod virgae converterentur statim in serpentes, et multa huiusmodi.

C. - Cest pourquoi, Alexandre[662], le commentateur, attribue tous les effets que nous attribuons aux anges ou aux dmons dans les choses infrieures limpression des corps clestes, ce qui ne semble pas avoir t assez dit. Car les effets de ce genre ne se font pas par un cours dtermin, comme ce qui se fait par laction naturelle des corps suprieurs ou infrieurs. Et en plus on trouve des effets en qui les corps clestes ne peuvent rien, comme les btons transforms aussitt en serpent, et beaucoup d'autres choses de ce genre.

Fidei autem sententia est, quod non solum corpora caelestia suo imperio moveant localiter, sed etiam alia corpora, Deo ordinante et permittente. Movent ergo localiter suo imperio corpora in quibus est vis activa naturalis ad aliquem effectum producendum, quae Augustinus [lib. IX sup gen., cap. XVIII], appellat naturae semina ; et sic operatio eorum non erit per modum miraculi, sed per modum artis. In miraculis enim producuntur effectus absque actionibus naturalibus, a causa supernaturali. Producere autem aliquem effectum quem vel natura producere non potest, vel non ita convenienter, mediante actione principiorum naturalium, artis est. Unde philosophus dicit in II Phys., [com. 22 et 79] quod ars imitatur naturam, et quaedam perficit quae natura facere non potest, in quibusdam etiam naturam iuvat ; sicut medicus iuvat naturam ad sanandum, alterando et digerendo per appositionem eorum quae ad hoc naturalem virtutem habent.

D. Mais la formule de la foi est que non seulement les corps clestes mais encore les autres corps, meuvent localement par leur pouvoir, si Dieu lordonne et le permet. Donc ils meuvent localement par leur pouvoir les corps dans lesquels il y a un pouvoir actif naturel pour produire un effet ; Augustin (Sur la Gense, IX, 18) appelle ce pouvoir les semences de la nature[663] ; et ainsi leur opration ne se fera pas par un miracle, mais par lart. Car, dans les miracles, les effets sont produits sans actions naturelles, par une cause surnaturelle. Mais produire un effet que ou bien la nature ne peut pas produire, ou bien pas convenablement, par lintermdiaire de laction des principes naturels, cest de lart. Cest pourquoi le philosophe dit (Physique, II, 2, 193 b 21 et II, 8, 198 b 15) que lart imite la nature, et parvient des effets que la nature ne peut pas faire, mais o elle lui vient en aide ; comme le mdecin aide la nature gurir, en changeant, en liminant, par opposition ce qui a un pouvoir naturel pour cela.

In effectibus autem huiusmodi producendis ars Angeli boni vel mali efficacior est et meliores effectus facit quam ars humana ; et hoc propter duo :

Pour produire des effets de ce genre, lart de lange, bon ou mauvais, est plus efficace et il produit de meilleurs effets que lart des hommes, et cela pour deux raisons :

Primo quia cum effectus corporales in inferioribus maxime dependeant a caelestibus corporibus tunc praecipue ars potest sortiri effectum, quando virtus caelestis corporis ad hoc cooperatur. Unde in operibus agriculturae et medicinae valet consideratio motus et situs solis et lunae et aliarum stellarum, quarum virtutes, situs et motus multo certius cognoscunt Angeli naturali cognitione quam homines. Unde horas eligere possunt melius, in quibus virtus caelestis corporis ad effectus intentos magis cooperetur. Et haec videtur esse ratio quare nigromantici in invocationibus Daemonum situs stellarum observant.

1) La premire, parce que, comme les effets corporels dans les tres infrieurs dpendent surtout des corps clestes, alors lart peut surtout obtenir un effet, quand le pouvoir du corps cleste y coopre. Cest pourquoi dans les oprations de lagriculture et de la mdecine, la considration du mouvement et de la situation du soleil, de la lune et des autres toiles est efficace ; les anges en connaissent les pouvoirs, les lieux et les mouvements avec plus de certitude que les hommes. Cest pourquoi ils peuvent mieux choisir les heures, o le pouvoir du corps cleste participe davantage aux effets recherchs. Et cela semble tre la raison pour laquelle les ncromanciens dans leurs invocations aux dmons observent la situation des toiles.

Secunda ratio est, quia virtutes activas et passivas in corporibus inferioribus melius noverunt quam homines, et facilius et celerius applicare possunt ad effectum, utpote qui imperio suo corpora localiter movent ; unde etiam medici mirabiliores effectus in sanando faciunt, quia plura de virtutibus rerum naturalium sciunt.

2) Seconde raison, parce qu'ils connaissent mieux que les hommes, les puissances actives et passives dans les corps infrieurs, et ils peuvent les appliquer plus facilement et plus rapidement pour un effet, en tant quils meuvent les corps localement par leur pouvoir ; cest pourquoi, mme les mdecins provoquent des effets plus admirables en soignant parce qu'ils connaissent mieux les pouvoirs des choses naturelles.

Tertia ratio potest esse, quia cum instrumentum agat non solum in virtute sua, sed in virtute moventis,- (inde etiam corpus caeleste aliquem effectum habet ex virtute substantiae spiritualis moventis, sicut quod est causa vitae, ut patet in animalibus ex putrefactione generatis, et calor naturalis, in quantum est instrumentum animae vegetabilis, agit ad speciem carnis),- non est inconveniens ponere quod ipsa corpora naturalia, in quantum sunt mota a spirituali substantia, sortiantur maiorem effectum ; quod videri potest ex hoc quod Gen. VI, 4, dicitur : Gigantes erant super terram in diebus illis ; postquam enim ingressi sunt filii Dei ad filias hominum, illaeque genuerunt, isti sunt potentes a saeculo viri famosi ; et Glossa quaedam ibidem dicit, quod non est incredibile, a quibusdam Daemonibus, qui mulieribus sunt incubi, huiusmodi homines, scilicet gigantes, esse procreatos.

3) Il peut exister une troisime raison, parce que, comme linstrument agit non seulement dans son pouvoir, mais dans celui du moteur, (c'est de l mme que le corps cleste a un effet par le pouvoir de la substance spirituelle motrice, comme ce qui est la cause de la vie, comme on le voit dans les animaux engendrs de la putrfaction. La chaleur naturelle, dans la mesure o elle est linstrument de lՉme vgtative, agit pour la forme de la chair), il nest pas inconvenant de penser que les corps naturels eux-mmes, dans la mesure o ils sont mus par la substance spirituelle, obtiennent un effet plus grand ; ce qu'on peut voir de ce qui est dit en Gn. 6, 4 : Les gants taient sur la terre en ces jours-l ; car aprs que les fils de Dieu sont entrs chez les filles des hommes, elles engendrrent, ce sont les hros, hommes fameux de cette poque ; et une glose (ordinaire) dit quil nest pas incroyable que par certains dmons, qui ont couch avec les femmes, aient t procrs de tels hommes, savoir les gants.

Sic ergo patet quod Angeli boni vel mali virtute naturali miracula facere non possunt ; sed quosdam mirabiles effectus, in quibus eorum operatio est per modum artis.

Ainsi donc il est clair que les anges, bons ou mauvais, ne peuvent pas faire de miracles par un pouvoir naturel, mais ils produisent des effets tonnants dans lesquels leur opration vient de lart.

 

Solutions :

q. 6 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet naturalis potestas Angeli vel Daemonis sit maior quam naturalis potestas corporis, non tamen est ad hoc quod immediate formam in materia inducat, sed mediante corpore ; unde hoc facit nobilius quam corpus, quia primum movens principalius est in agendo quam secundum.

 1. Bien que la puissance naturelle de lange ou du dmon soit plus grande que celle du corps, cependant elle nest pas pour induire une forme dans la matire immdiatement, mais par lintermdiaire dun corps ; cest pourquoi elle le fait plus noblement que le corps, parce que le premier moteur est plus important en agissant que le second.

q. 6 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae rerum naturalium in mente angelica existentes sunt magis actuales quam formae quae sunt in materia ; et propter hoc sunt immediatum principium perfectioris operationis, quae est intelligere ; operationis vero quae est actio materiam transmutans, non sunt immediatum principium ; sed mediante voluntate, et voluntas mediante virtute, et virtus immediate movet motum localem ; quo motu mediante, est causa aliorum motuum, et est causa aliqua inductionis formae in materia.

 2. Les formes des choses naturelles qui existent dans lesprit de lange sont plus en acte que celles qui sont dans la matire ; et pour cela, elles sont le principe immdiat d'une opration plus parfaite, qui est l'intellection (intelligere) : mais elles ne sont pas le principe immdiat de lopration qui transforme la matire ; mais par lintermdiaire de la volont, et la volont par lintermdiaire du pouvoir, et le pouvoir immdiatement provoque le mouvement local ; par ce mouvement, intermdiaire, il est la cause des autres mouvements, et une cause dinduction de la forme dans la matire.

q. 6 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod formae etiam quae sunt in intellectu humano, non sunt activae rerum artificialium, nisi mediante voluntate et virtute motiva et organis naturalibus et instrumentis artificialibus.

 3. Les formes qui sont dans lesprit humain, n'agissent sur ce qui est artificiel, que par lintermdiaire de la volont, d'un pouvoir moteur, des organes naturels et des instruments artificiels.

q. 6 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus cui potest aliquod organum adhiberi, quod sibi respondeat quantum ad omnem operationem, debet habere organum coniunctum, sicut virtus visiva oculum. Nullum autem corpus poterat hoc modo Angelo respondere, quod eius virtutem adaequaret ; et ideo non habuit Angelus corporeum organum naturaliter coniunctum. Unde et philosophi qui posuerunt substantias separatas non habere effectus in istis inferioribus nisi mediante caelo, posuerunt aliquam substantiam spiritualem uniri caelo ut proprio instrumento, quam animam caeli dicebant. Aliam vero non unitam dicebant intelligentiam, a qua movetur anima caeli, sicut desiderans a desiderato.

 4. Le pouvoir auquel un organe peut adhrer, qui lui correspond quant toute opration, doit avoir un organe joint, comme le pouvoir de la vue a lil. Mais aucun corps ne pourrait de cette manire convenir lange qui galerait son pouvoir ; aussi il na pas eu dorgane corporel uni naturellement. Cest pourquoi les philosophes qui ont pens que les substances spares navaient deffet dans les choses infrieures que par lintermdiaire du ciel, ont pens quune substance spirituelle tait unie au ciel comme son instrument propre, quils appelaient lՉme du ciel. Mais ils ne parlaient pas d'une autre intelligence non unie, par laquelle lՉme du ciel tait mue, comme celui qui dsire par ce qui est dsir.

q. 6 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus etsi caelum moveat, potest tamen habere actionem in haec inferiora absque motu caeli movendo alia corpora, et absque omni corpore intelligendo ; licet forma in materia absque corporali agente imprimere non possit.

 5. Mme si lange meut le ciel, il peut cependant avoir une action dans les choses infrieures sans le mouvement du ciel, en mettant en mouvement d'autres corps, et sans comprendre tout corps, bien que par la forme il ne puisse induire dans la matire sans agent corporel.

q. 6 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caelum cum sit agens corporeum, potest esse immediatum alterans et movens ad formam ; non est autem simile de Angelis.

 6. Comme le ciel est un agent corporel, il peut changer sans intermdiaire et amener la forme ; ce nest pas pareil pour les anges.

q. 6 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod anima, naturali ordine suo imperio, movet corpus localiter, nam vis eius appetitiva est imperans motum, et corpus obedit ad nutum ; quod etiam est per virtutes motivas quae sunt organis affixae et fluunt ab anima in corpus, quod est ab anima formatum. Aliae vero alterationes, ut calefactionis, infrigidationis, et similium, sequuntur ab anima mediante motu locali. Patet etiam quod ex ipsa imaginatione sequitur passio per quam aliquo modo variatur motus cordis et spirituum ; ex quibus vel retractis ad cor vel diffusis in membra, sequitur aliqua alteratio in corpore ; quae etiam potest esse infirmitatis causa, praecipue si sit materia disposita.

 7. LՉme dans lordre naturel, par son pouvoir, meut localement le corps, car sa force apptitive commande le mouvement, et le corps obit son ordre ; ce qui se fait aussi par les pouvoirs moteurs qui sont lis aux organes, et passent de lՉme dans le corps, qui est mis en forme par lՉme. Mais les autres changements, comme le rchauffement, le refroidissement etc., dcoulent de lՉme par lintermdiaire du mouvement local. Il est clair aussi que par limagination mme dcoule la passion par laquelle dune certaine manire le mouvement du cur et des esprits est modifi ; de ceux-ci rtracts au cur ou diffuss dans les membres, dcoule un changement dans le corps qui aussi peut tre cause de maladie surtout si la matire y est dispose.

q. 6 a. 3 ad 8 Et per hoc patet solutio ad octavum.

 8. Et par l apparat la solution 8.

q. 6 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod virtus Angeli dicitur infinita inferius, in quantum non est virtus in materia recepta, et per hoc non limitatur ab inferiori recipiente ; non tamen est infinita superius, ut supra dicitur, quia a Deo recipitur in Angelo esse finitum ; et ideo eius substantia determinatur ad aliquod genus, et per consequens eius virtus determinatur ad aliquem modum agendi ; quod de Deo dici non potest.

 9. On dit que le pouvoir de lange est dun infini infrieur dans la mesure o ce nest pas un pouvoir reu dans la matire et par cela il nest pas limit par un recepteur infrieur ; son pouvoir nest cependant pas dun infini suprieur, comme on la dit ci-dessus, parce qu'un tre fini est reu dans l'ange et cest pourquoi sa substance est limite un genre, et par consquent, son pouvoir est dtermin un mode daction, qu'on ne peut pas dire de Dieu.

q. 6 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet Angelus faciat res mirabiles per modum artis, ut supra dictum est, non tamen facit miracula.

 10. Bien que lange fasse des uvres admirables par son art, comme on la dit ci-dessus, il ne fait cependant pas de miracles.

q. 6 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet motus locales inferiorum corporum sint a determinatis motoribus naturalibus, sicut et alii motus, tamen corporalis creatura naturali ordine obedit spirituali ad motum localem, non ad alios motus, ratione supradicta ; et praecipue si virtus eius non est determinata ad aliquod corpus sicut est virtus animae ad corpus sibi coniunctum.

 11. Bien que les mouvements locaux des corps infrieurs viennent de moteurs naturels limits, comme les autres mouvements aussi, cependant la crature corporelle obit par l'ordre naturel la crature spirituelle pour le mouvement local, non pour les autres mouvements, pour la raison donne plus haut ; et surtout si son pouvoir nest pas limit un corps comme le pouvoir de lՉme un corps qui lui est uni.

q. 6 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod sicut substantia spiritualis creata non potest suo imperio imprimere formam in materia, ita non potest suo imperio impedire quin imprimatur ab agente naturali ; et si hoc aliquando faciat, facit per appositionem alicuius impedimenti naturalis, quamvis sensus humanos lateat ; et praecipue cum possit flammam ignis localiter movere, ut combustibili non tantum appropinquet.

 12. La substance spirituelle cre ne peut pas induire par son pouvoir une forme dans la matire ; de la mme manire, elle ne peut pas par son pouvoir l'empcher quelle soit introduite par lagent naturel, et si elle le fait quelquefois, elle le fait en opposant un empchement naturel, quoiqu'il soit cach aux sens humains, et surtout puisquil peut mouvoir localement la flamme du feu, pour quelle n'approche pas autant du combustible.

q. 6 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod creatura spiritualis separata potest immutare phantasiam naturali virtute, non per imperium inducendo formas in organo phantasiae, sed per aliquam commotionem spirituum et humorum ; patet enim quod aliqua transmutatione in his facta, phantasmata apparent, ut in phreneticis et dormientibus. Et ad hanc phantasiae immutationem etiam quaedam res naturales dicuntur efficaciam habere, quibus nigromantici uti dicuntur ad visus illudendos

 13. La crature spirituelle spare peut changer limagination par un pouvoir naturel, non en induisant par pouvoir des formes dans l'organe de limagination, mais par un branlement des esprits et des humeurs ; car il est clair que par la transformation qui y est opre, il y a des apparitions comme chez les malades mentaux et les dormeurs. Et pour ce changement de limagination on dit que certaines choses naturelles ont une puissance efficace ; dont les ncromanciens, dit-on, se servent pour tromper la vue.

q. 6 a. 3 ad 14 Et per hoc patet responsio ad decimumquartum.

 14. Et par l la rponse la quatorzime solution est claire.

q. 6 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sicut virtus Angeli est supra virtutem corporis caelestis, ita et operatio, ut dictum est ; non tamen ad hoc quod immediate formam in materia solo imperio inducat.

 15. De mme que le pouvoir des anges est au-dessus de celui du corps cleste, leur opration aussi comme on la dit, non cependant pour pouvoir induire immdiatement une forme dans la matire par leur seul pouvoir.

59845] De potentia, q. 6 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod finita virtus potest de potentia in actum aliquid adducere, non tamen quaelibet finita, nec quolibet modo ; quaelibet enim virtus finita habet determinatum modum agendi

16. Un pouvoir fini peut faire passer quelque chose de la puissance lacte, mais pas cependant n'importe quel pouvoir fini, ni de nimporte quelle manire, car un pouvoir fini a une manire limite dagir.

q. 6 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod etsi nihil impediat agens aliquod, non potest id ad quod virtus sua non se extendit ; sicut ignis non potest infrigidare, etiam si nihil exterius impediat. Unde non sequitur, quod si Angeli non possunt imperio suo formam in materia inducere, quod ab extrinseco impediantur, sed quia ad hoc virtus eorum naturalis non se extendit.

17. Mme si rien ne fait obstacle l'agent, il ne peut pas ce quoi son pouvoir ne sՎtend pas ; ainsi le feu ne peut pas refroidir, mme si rien dextrieur ne lempche. Aussi il nen dcoule pas qu'ainsi les anges ne peuvent pas par leur pouvoir induire une forme dans la matire, parce quils sont empchs de lextrieur, mais parce que leur pouvoir naturel ne sՎtend pas jusquՈ l.

 

 

 

Article 4 Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grce ?

q. 6 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum boni Angeli et homines per aliquod donum gratiae miracula facere possint. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[664].

 

Objections :

q. 6 a. 4Arg. 1 Ordines enim Angelorum non sunt constituti nisi ad ea quae Angeli faciunt. Sed ordo aliquis Angelorum institutus est ad miracula faciendum. Dicit enim Gregorius in homilia quadam, quod virtutes sunt per quas signa et miracula frequentius fiunt. Ergo Angeli per gratiam miracula facere possunt.

1. Car les hirarchies des anges ne sont constitues que par les uvres qu'ils accomplissent. Mais une hirarchie d'anges a t institue pour faire des miracles. En effet Grgoire [Le Grand] dit dans une homlie (Hom. 34, sur l'vangile) que les Vertus sont ce par quoi les signes et les miracles se font le plus souvent. Donc les anges peuvent faire des miracles par grce.

q. 6 a. 4Arg. 2 Praeterea, Act. VI, 8, dicitur : Stephanus plenus gratia et fortitudine, faciebat prodigia et signa magna in populo. Non autem praemitteretur Dei gratia, nisi actus sequens ex gratia procederet. Ergo per virtutem gratiae etiam homines miracula facere possunt.

2. En Act. 6, 8, il est dit : tienne, plein de grce et de force, faisait des prodiges et de grands signes parmi le peuple. Mais la grce de Dieu ne serait envoye pralablement que si lacte suivant procdait d'une grce. Donc par le pouvoir de la grce, les hommes aussi peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 4Arg. 3 Praeterea, donum gratiae non datur nisi ad id quod per habentem gratiam fieri potest. Sed aliquibus datur donum gratiae gratis datae ad miracula facienda ; unde dicitur I ad Cor. XII, 9 : Alii datur gratia sanitatum in uno spiritu, alii operatio virtutum. Ergo sancti per gratiam miracula facere possunt.

3. Le don de la grce nest donn que pour ce qui peut tre fait par celui qui la possde. Mais certains le don de la grce est donn gratuitement pour faire des miracles : ainsi il est dit en I Co. 12, 9-10[665] : A l'un est donne la grce de gurison dans l'unique Esprit, l'autre lopration des miracles. Donc les saints peuvent faire des miracles par grce.

q. 6 a. 4Arg. 4 Sed dicebatur, quod sancti dicuntur miracula facere non agendo, sed impetrando a Deo ut fiant.- Sed contra, impetratio orationis fit per ea quae reddunt orationem Deo acceptam. Hoc autem fit per fidem, caritatem et alias virtutes pertinentes ad gratiam gratum facientem. Non ergo oportet ad signa facienda dari sanctis aliquod donum gratiae gratis datae.

4. Mais on pourrait dire que les saints font des miracles non pas en agissant, mais en obtenant de Dieu de le faire. En sens contraire, que la prire soit exauce arrive par ce qui fait que la prire est accepte par Dieu. Cela se fait par la foi, la charit et les autres vertus qui conviennent la grce qui rend agrable Dieu. Il ne faut donc pas, pour faire des signes, que soit donn aux saints un don de la grce gratuitement donne.

q. 6 a. 4Arg. 5 Praeterea, in II dialogorum, Gregorius dicit, quod Qui devota mente Deo adhaerent, cum rerum necessitas exposcit, exhibere signa modo utroque solent, ut mira quaeque aliquando ex prece faciant, aliquando ex potestate. Quod autem aliquis ex potestate facit, operando facit, non solum impetrando. Ergo Angeli et sancti homines etiam agendo miracula faciunt.

5. Dans le livre II des Dialogues, ch. 30, Grgoire [le Grand] dit que Ceux qui s'attachent Dieu avec un esprit dvot, lorsque la ncessit le demande, ont coutume de causer les signes de deux manires, de sorte qu'ils les accomplissent quelquefois par la prire, quelquefois par leur pouvoir. Ce que quelquun fait par son pouvoir, il le fait en oprant, [et] non seulement en lobtenant. Donc les anges et les saints aussi, en agissant font des miracles.

q. 6 a. 4Arg. 6 Praeterea, triplex est rerum cursus secundum Anselmum, naturalis, voluntarius et mirabilis. Sed in cursu rerum naturali, Angeli tamquam medii inter Deum et corpora naturalia aliquid agunt, ut dicit Augustinus [in III lib. de Trin., cap. IV] :Omnia corpora a Deo reguntur per spiritum vitae rationalem ; et Gregorius [in IV Dial., ap. V] dicit : Nihil in hoc mundo visibili, nisi per creaturam invisibilem disponi potest. Similiter etiam cursum rerum voluntarium, nam ipsi Angeli sunt medii inter nos et Deum, illuminationes a Deo acceptas in nos deferentes. Ergo etiam in cursu rerum mirabilium Angeli sunt medii, ita quod eis agentibus miracula fiant.

6. Le cours des vnements est triple selon Anselme (Le livre du Pch originel ch. 11) : naturel, volontaire et merveilleux[666]. Mais dans le cours naturel des choses, les anges en tant qu'intermdiaires entre Dieu et les corps naturels agissent, comme le dit Augustin (La Trinit, III, IV, 9[667]). Tous les corps sont dirigs par Dieu, par un esprit de vie dou de raison, et Grgoire (Dialogues, IV, 5) dit : Rien en ce monde visible ne peut tre tabli que par la crature invisible. Il en est de mme pour le cours volontaire des choses, car les anges eux-mmes sont intermdiaires entre nous et Dieu, nous apportant les lumires reues de Dieu. Donc, mme dans le cours tonnant des choses, les anges sont intermdiaires, de sorte que les miracles sont faits avec eux en tant quagents.

q. 6 a. 4Arg. 7 Sed dicendum, quod Angeli sunt medii non sicut agentes virtute propria, sed virtute divina.- Sed contra, quicumque operatur in virtute alterius, aliquo modo agit id quod fit per illam virtutem. Si ergo Angeli in virtute divina operantur ad miracula facienda, ipsi aliquo modo agunt.

7. Mais il faut dire que les anges sont des intermdiaires, non pas comme des agents, par leur propre pouvoir, mais par le pouvoir divin. En sens contraire, quiconque opre dans le pouvoir dun autre, accomplit en quelque manire ce qui est fait par ce pouvoir. Donc si les anges oprent dans le pouvoir divin pour faire des miracles, ce sont eux qui agissent d'une certaine manire.

q. 6 a. 4Arg. 8 Praeterea, lex vetus miraculose a Deo est tradita ; unde habetur Exod. XIX, quod coeperunt audiri tonitrua ac micare fulgura, et nubes densissimas operire montem. Sed lex data est per Angelos, sicut habetur Galat. III. Ergo per Angelos miracula fiunt.

8. La Loi ancienne a t transmise miraculeusement par Dieu, cest pourquoi il est dit en Ex. 19, quils commencrent entendre le tonnerre et voir briller des clairs, et des nuages pais couvrirent la montagne. Mais la loi a t donne par les anges, comme il est dit en Gal. 3, 19. Donc les miracles sont faits par les anges.

q. 6 a. 4Arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit [in lib. de Doctrina christiana] : Omnis res quae habetur et non datur, si in dando deficit, nondum habetur quomodo habenda est. Sed potestas faciendi miracula est in Deo ; et si alteri daret in eo non deficeret. Ergo si non dedit aliis hanc potestatem, videtur quod non habeat eam qualiter habenda est ; et ita videtur quod Angelis et hominibus Deus dederit potentiam miracula faciendi.

9. Augustin dit la fin du livre I de La doctrine chrtienne : Tout ce qu'on a et qui n'est pas donn, s'il manque quand on le donne, nest pas encore possd comme il doit l'tre. Mais le pouvoir de faire des miracles est en Dieu ; et sil le donnait un autre, il ne lui manquerait pas. Donc sil n'a pas donn ce pouvoir dautres, il semble quil ne l'a pas comme il devrait l'avoir et ainsi il semble que Dieu a donn la puissance de faire des miracles aux anges et aux hommes.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 4 s. c. Sed contra, est quod dicitur in Psal. LXXI, 18 : Qui facit miracula magna solus.

1. Il y a ce qui est dit au Ps. 71, 18 : Lui seul fait de grands miracles.

Praeterea, sicut dicit Bernardus [in lib. de Dispensatione et praeceptis], ille solus potest legem immutare vel dispensare in lege, qui legem condidit ; sicut patet in legibus humanis, quod solus imperator potest legem immutare qui legem condidit. Sed solus Deus legem naturalis cursus instituit. Ergo ipse solus potest miracula facere, praeter cursum naturalem agendo.

2. En outre, comme le dit Bernard[668] (La dispense et les prceptes), seul peut changer la loi ou en dispenser celui qui la tablie ; comme on le voit dans les lois humaines : seul lempereur peut changer la loi qu'il a tablie. Mais Dieu seul a institu la loi de la nature. Donc seul il peut faire des miracles en agissant au-del de son cours.

 

Rponse :

q. 6 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod Angeli supra naturalem potestatem quam habent agendi, possunt aliquid per donum gratiae, in quantum sunt divinae virtutis ministri. Et potest dici, quod ad miracula facienda Angeli tripliciter operantur.

Les anges, en plus de leur puissance naturelle d'action, peuvent quelque chose par le don de la grce, dans la mesure o ils sont les ministres du pouvoir divin. Et on peut dire que pour faire des miracles ils agissent de trois manires :

Uno modo precibus impetrando ; qui modus et hominibus et Angelis potest esse communis. Alius modus est secundum quod Angeli materiam disponunt sua naturali virtute ad hoc quod miraculum fiat ; sicut dicitur quod in resurrectione colligent pulveres mortuorum, qui divina virtute reducentur ad vitam. Sed hic modus proprius est Angelorum, nam humani spiritus, cum sint corporibus uniti, in exteriora operari non possunt nisi corpore mediante, ad quod sunt quodammodo naturaliter alligati.

1) En l'obtenant par des prires ; ce mode peut tre commun aux hommes et aux anges.2) Selon que les anges disposent la matire par leur pouvoir naturel pour que le miracle s'accomplisse ; ainsi on dit qu' la rsurrection, ils rassembleront les cendres des morts, qui seront ramens la vie par le pouvoir divin. Mais cette manire est propre aux anges car les esprits humains, tant unis des corps, ne peuvent agir lextrieur que par lintermdiaire du corps, auquel ils sont en quelque manire lis naturellement.

Tertius modus est quod operentur etiam aliquid coagendo ; quem quidem modum Augustinus sub dubio relinquit [in XXII lib. de Civ. Dei], sic dicens : Sive enim Deus ipse per se ipsum miro modo, sive per suos ministros etiam faciat, sive etiam per martyrum spiritus, sive per homines adhuc in corpore constitutos, sive omnia ista per Angelos, quibus invisibiliter imperat, operetur (ut quae per martyres fieri dicuntur, eis orantibus tantum et impetrantibus, non etiam operantibus fiant), sive aliis modis, qui nullo modo comprehendi a mortalibus possunt ; tamen attestantur haec miracula fidei, in qua carnis in aeternum resurrectio praedicatur.

3) Ils opreraient mme en cooprant. A ce sujet, Augustin laisse un doute dans le livre 22 de la Cit de Dieu, disant : Car, soit Dieu le fait par lui-mme dune manire tonnante, soit par ses ministres, soit aussi par lesprit des martyrs, soit par les hommes encore tablis dans leur corps, soit tout cela par des anges auxquels il commande invisiblement, il opre (pour que ce qu'on dit fait par les martyrs, soit fait seulement pour ceux qui prient et sont exaucs, mais non par ceux qui oprent), soit de quelques autres manires, tout fait incomprhensibles par les mortels ; cependant ces miracles rendent tmoignage de la foi qui annonce la rsurrection de la chair pour l'ternit.

Sed Gregorius [in II Dial. Cap. XXX], hanc quaestionem determinare videtur, dicens, quod sancti homines etiam in carne viventes non solum orando et impetrando, sed etiam potestative, ac per hoc, cooperando miracula faciunt ; quod probat et ratione et exemplis.

Mais Grgoire (Dialogues, II, 30) semble limiter ce problme en disant que les saints, mme vivants en leur corps, non seulement en priant et exaucs, mais aussi de plein droit et par cela en cooprant, font des miracles, ce quil prouve par la raison et des exemples.

Primo ratione quidem : quia si hominibus data est potestas filios Dei fieri, non est mirum, si ex potestate mira facere possunt.

a) D'abord par la raison : parce que, si le pouvoir de devenir enfants de Dieu a t donn aux hommes, il nest pas tonnant quils puissent faire des miracles par ce pouvoir.

Exemplis autem : quia Petrus Ananiam et Saphiram mentientes morti increpando tradidit, nulla oratione praemissa, ut habetur Act. V, 1-11. Beatus etiam Benedictus dum ad brachia cuiusdam ligati rustici oculos deflexisset, tanta se celeritate coeperunt illigata brachiis lora dissolvere, ut dissolvi tam concite nulla hominum festinatione potuissent. Unde concludit, quod sancti quandoque faciunt miracula orando, quandoque ex potestate.

b) Par des exemples : parce que Pierre, en les rprimandant livra la mort Ananie et Saphire qui mentaient, sans avoir pri auparavant, comme on le constate en Act. 5, 1-11. Le bienheureux Benot aussi ayant dtourn son regard sur les bras dune chef paysan, que les lanires qui y taient attaches commencrent se dtacher si vite qu'aucun homme, mme rapide, n'aurait pu le faire. Cest pourquoi il conclut que les saints quelquefois font des miracles par leurs prires, quelquefois par leur pouvoir.

Qualiter autem hoc esse possit, considerandum est. Constat autem quod Deus solo imperio miracula operatur. Videmus autem quod imperium divinum ad inferiores rationales spiritus, scilicet humanos, mediantibus superioribus, scilicet Angelis, pervenit, ut in legis veteris latione apparet ; et per hunc modum per spiritus angelicos vel humanos, imperium divinum ad corporales creaturas pervenire potest, ut per eas quodammodo naturae praesentetur divinum praeceptum ; et sic agant quodammodo spiritus humani vel angelici ut instrumentum divinae virtutis ad miraculi perfectionem ; non quasi aliqua virtute habitualiter in eos manente, vel gratuita vel naturali, in actum miraculi possunt quia sic quandocumque vellent, miracula facere possent : quod tamen Gregorius [in II Dial., ubi sup.] non esse verum testatur ; et probat per exemplum Pauli, qui stimulum a se removeri petiit, nec impetravit ; et per exemplum Benedicti, qui detentus fuit contra suam voluntatem per pluviam, sororis precibus, impetratam ; sed virtus ad cooperandum Deo in miraculis in sanctis intelligi potest ad modum formarum imperfectarum, quae intentiones vocantur, quae non permanent nisi per praesentiam agentis principalis, sicut lumen in aere et motus in instrumento.

Il faut considrer comment cela est possible. Il est clair que Dieu par son seul pouvoir opre des miracles. Mais nous voyons que le pouvoir divin parvient des esprits rationnels infrieurs, c'est--dire des hommes, par lintermdiaire des esprits suprieurs, c'est--dire des anges, comme cela apparat dans la transmission de la Loi ancienne[669], et par ce moyen, le pouvoir divin peut parvenir par les esprits angliques ou humains des cratures corporelles, de sorte que, par elles, dune certaine manire, le commandement divin soit rendu prsent la nature ; et ainsi dune certaine manire les esprits humains ou angliques agissent comme des instruments du pouvoir divin pour accomplir des miracles ; ils peuvent parfaire un miracle, non comme par quelque pouvoir qui demeure habituellement en eux, ou gratuit ou naturel, parce quainsi, chaque fois quils le voudraient, ils pourraient faire des miracles ; ce que cependant Grgoire (Dialogue II, Homlies sur zchiel, I) assure ne pas tre vrai ; et il le prouve par lexemple de Paul, qui demanda que laiguillon sՎloigne de lui et il ne lobtint pas. et par celui de Benot qui fut retenu contre sa volont par la pluie, obtenue par les prires de sa sur, mais le pouvoir pour cooprer Dieu dans les miracles peut tre compris chez les saints la manire des formes imparfaites qui sont appeles intentions, qui ne demeurent que par la prsence de lagent principal comme la lumire dans lair et le mouvement dans linstrument.

Et talis virtus potest intelligi donum gratiae gratis datae, quae est gratia virtutum vel curationum ; ut sic haec gratia quae datur ad operandum supernaturaliter, sit similis gratiae prophetiae, quae datur ad supernaturaliter cognoscendum, per quam propheta non potest quandocumque vult prophetare, sed solum cum spiritus prophetiae cor eius tangit, ut Gregorius probat [in I hom. Super Ezech.] Nec est mirum, si per hunc modum spirituali creatura Deus instrumentaliter utitur ad faciendum mirabiles effectus in natura corporali, cum etiam corporali creatura utatur instrumentaliter ad spirituum iustificationem, ut in sacramentis patet.

Et un tel pouvoir peut tre compris comme le don dune grce donne gratuitement, qui est la grce des pouvoirs et des gurisons, pour quainsi cette grce qui est donne pour oprer surnaturellement, soit semblable la grce de prophtie, qui est donne pour connatre surnaturellement, par laquelle le prophte ne peut pas chaque fois quil le veut prophtiser, mais seulement quand lesprit prophtique touche son cur, comme le prouve Grgoire (Homlie I sur Ezchiel). Et ce nest pas tonnant, si, par ce moyen, Dieu se sert de la crature spirituelle comme d'un instrument pour produire des effets admirables, dans la nature corporelle, puisquil se sert de la crature corporelle comme instrument pour la justification des esprits comme cela parat dans les sacrements.

 

Solutions :

q. 6 a. 4 adArg. Et per hoc patet responsio ad obiecta. Nam verum est quod solus Deus miracula facit per auctoritatem ; verum est etiam quod potestatem miracula faciendi creaturae communicat secundum capacitatem creaturae, et divinae sapientiae ordinem ; ita quod creatura per gratiam miracula ministerio operetur.

 Et ainsi sՎclaire la rponse aux objections. Car il est vrai que Dieu seul fait des miracles par son autorit, il est vrai aussi quil communique la crature le pouvoir d'en faire, selon sa capacit, et lordre de la sagesse divine, de sorte que, par la grce, la crature opre des miracles par son ministre.

 

 

 

Article 5 Les dmons aussi travaillent-ils faire des miracles ?

q. 6 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum etiam Daemones operentur ad miracula facienda. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[670].

 

Objections :

q. 6 a. 5Arg. 1 Dicitur enim Matth. cap. XXIV, 24 : Surgent pseudochristi et pseudoprophetae, et dabunt signa magna et prodigia. Sed haec non operabuntur nisi per virtutem Daemonum. Ergo Daemones operantur ad miracula facienda.

1. Car il est dit en Mt. 24, 24 : De faux christs et de faux prophtes se lveront, et ils feront de grands signes et des prodiges. Mais ils nopreront que par le pouvoir des dmons. Donc les dmons travaillent faire des miracles.

q. 6 a. 5Arg. 2 Praeterea, subito sanare infirmum, miraculum est, sicut miraculum fuisse dicitur quod Christus socrum Petri sanavit, ut habetur Luc. IV, 38-40. Hoc autem etiam Daemones possunt facere : nam medicinae adhibitae infirmo sanitatem accelerant ; possunt autem Daemones agilitate suae naturae medicinas efficaces ad sanandum, quas bene cognoscunt, adhibere ad sanandum, et sic, ut videtur, possunt subito sanare. Ergo possunt subito miracula facere.

2. Gurir tout dun coup un malade cest un miracle ; on dit que c'est ainsi que fut le miracle par lequel le Christ gurit la belle-mre de Pierre, comme on le lit en Lc 4, 38-40. Mais cela aussi les dmons peuvent le faire, car les remdes employs pour un malade acclrent sa gurison ; ils peuvent aussi par lagilit de leur nature employer des remdes efficaces pour gurir quils connaissent bien, et ainsi, ce qu'il semble, ils peuvent gurir tout coup. Donc ils peuvent faire tout coup des miracles.

q. 6 a. 5Arg. 3 Praeterea, facere mutos loqui est miraculum. Maius autem miraculum videtur esse quod canis loquatur vel cantet ; quod Simon magus faciebat, ut legitur, virtute daemonis. Ergo potest facere miraculum.

3. Faire parler les muets est un miracle. Mais quun chien parle ou chante semble un plus grand miracle, ce que Simon le magicien[671] faisait, comme on le lit, par le pouvoir du dmon. Donc il peut faire un miracle.

q. 6 a. 5Arg. 4 Praeterea, Valerius Maximus narrat quod fortunae simulacrum, quod Romae erat via Latina, non semel sed bis ita locutum est his verbis : Rite me matronae vidistis, riteque dedicastis. Quod autem lapides loquantur, maius est miraculum quam quod muti loquantur ; quod tamen est miraculosum. Ergo videtur quod Daemones miracula facere possunt.

4. Valre-Maxime[672] raconte (Les livres des Faits et Dits mmorables, livre XI, ch. 8) que la statue de la Fortune, qui tait Rome sur la Via Latina, non pas une mais deux fois, a parl en ces termes : Selon le rite, vous mavez vue matrones, selon le rite, vous mavez consacre. Que les pierres parlent est un miracle plus grand que faire parler les muets, ce qui cependant est miraculeux. Donc il semble que les dmons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5Arg. 5 Praeterea, legitur in historiis [id refert Augustinus X lib. de Civ. Dei, cap. 26], quod quaedam virgo Vestalis in signum pudicitiae conservatae, aquam in vase perforato de Tiberi portavit, nec tamen aqua effusa est : quod fieri non potuit nisi per hoc quod retinebatur aqua ne flueret, aliqua non naturali virtute ; quod patet esse miraculum in Iordanis divisione et eius statione. Ergo Daemones possunt facere miracula.

5. On lit dans les histoires, (rapportes par Augustin dans La cit de Dieu, X, 26) quune vestale vierge pour montrer qu'elle avait conserv sa pudeur, porta de leau du Tibre dans un vase perc, et cependant leau ne s'coula pas ; ce qui na pu se faire que parce que leau taient empche de couler par un pouvoir qui nՎtait pas naturel ; ce qui est clairement un miracle dans la division des eaux du Jourdain et son arrt. Donc il semble que les dmons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5Arg. 6 Praeterea, multo difficilius est hominem transformari in aliquod animal brutum quam aquam transformari in vinum. Sed aquam transformari in vinum, est miraculum, ut patet Ioan. II, 9. Ergo multo fortius hominem transformari in aliquod animal brutum. Sed daemonis virtute homines transformantur in bruta, sicut Varro narrat [id refert Augustinus XVIII de Civ. Dei, cap. XVI, XVII et XVIII], socios Diomedis a Troia revertentes in aves fuisse conversos, quae longo tempore post circa templum Diomedis volabant ; narrat etiam quod Cyrces famosissima maga socios Ulyssis mutavit in bestias, et quod Arcades, quodam stagno transito, convertebantur in lupos. Ergo Daemones possunt miracula facere.

6. Il est beaucoup plus difficile de transformer un homme en animal que de transformer de leau en vin. Mais transformer leau en vin est un miracle, comme on le voit en Jn 2, 9. Donc c'est beaucoup plus fort de transformer un homme en animal. Mais par le pouvoir du dmon des hommes ont t transforms en animaux, comme Varron[673] le raconte (Augustin le rapporte dans La cit de Dieu, XVIII, ch. 16, 17, 18), les compagnons de Diomde revenant de Troie, ont t transforms en oiseaux, qui volaient longtemps aprs autour du temple de Diomde ; il raconte aussi que Circ, la fameuse magicienne, a transform les compagnons dUlysse en animaux, que les Arcadiens, ayant travers un tang, se transformrent en loups. Donc les dmons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5Arg. 7 Praeterea, adversitates Iob, Daemone agente, procuratae sunt : quod patet ex hoc quod dominus dedit ei potestatem in omnia quae erant Iob. [cf. II, 6] Sed huiusmodi adversitates non sine miraculo contigerunt, ut patet in igne de caelo descendente, et de vento domum ad interitionem filiorum eius evertente [I, 19]. Ergo Daemones miracula facere possunt.

7. Les adversits ont t procures Job par laction du dmon ; ce qui apparat du fait que le Seigneur lui donna pouvoir sur tous ses biens (Jb 2, 6). Mais les adversits de ce genre narrivrent pas sans miracles, comme c'est vident pour le feu descendu du ciel, et le vent qui renversa la maison pour faire mourir ses fils (I, 19). Donc les dmons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5Arg. 8 Praeterea, quod Moyses virgam in serpentes mutavit, miraculum fuit. Sed hoc similiter fecerunt magi Pharaonis, virtute Daemonum, ut habetur Exod. VII, 8-13. Ergo videtur quod Daemones miracula facere possunt.

8. Le fait que Mose transforma son bton en serpent fut un miracle. Mais les magiciens du Pharaon firent de mme, par le pouvoir des dmons, comme on le lit en Ex. 7, 8-13. Donc il semble que les dmons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5Arg. 9 Praeterea, operatio miraculorum magis est remota a virtute humana quam a virtute angelica. Sed per malos homines interdum miracula fiunt ; unde ex persona reproborum dicitur Matth. cap. VII, 22 : In nomine tuo prophetavimus, (...) et virtutes multas fecimus. Ergo et per daemones vera miracula fieri possunt.

9. Oprer des miracles est plus loign du pouvoir de l'homme que de celui de lange. Mais quelquefois des miracles arrivent par des mchants ; cest pourquoi, il est dit de la personne des rprouvs (Mt. 7, 22) :En ton nom, nous avons prophtis et nous avons fait de nombreuses miracles. Donc les dmons peuvent faire de vrais miracles.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 5 s. c. Sed contra, tempore Antichristi daemon maximam virtutem habebit ad operandum, quia, ut dicitur Apoc. XX, 3, oportebit eum solvi modico tempore, quod intelligitur tempus Antichristi. Sed tunc non operabitur vera miracula : quod patet per hoc quod dicitur II ad Thess. II, 9, quod adventus Antichristi erit in omni virtute et signis et prodigiis mendacibus. Ergo Daemones vera miracula facere non possunt.

Au temps de lAntchrist, le dmon aura un trs grand pouvoir pour agir, parce que, comme le dit l'Apoc. (20, 3), il faudra quil soit libr un peu de temps, ce qui est interprt comme le temps de lAntchrist. Mais alors il noprera pas de vrais miracles, ce qui est montr par ce qui est dit Thess. II, 2, 9, que la venue de l'antchrist sera dans tout pouvoir, signes et prodiges mensongers. Donc les dmons ne peuvent faire de vrais miracles.

 

Rponse :

q. 6 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut Angeli boni per gratiam aliquid possunt ultra naturalem virtutem, ita Angeli mali minus possunt, ex divina providentia eos reprimente, quam possint secundum naturalem virtutem : quia, ut Augustinus dicit [in III lib. de trin., cap. IV], quaedam quae Angeli mali possent facere si permitterentur, ideo facere non possunt quia non permittuntur (unde secundum hoc ligari dicuntur, quod impediuntur ab illis agendis ad quae eorum naturalis virtus se extendere posset ; solvi autem, cum permittuntur agere divino iudicio quae secundum naturam possunt). Quaedam vero non possunt etiam si permittantur, ut ibidem dicitur, quia naturae modus eis a Deo praestitus hoc non permittit.

De mme que les bons anges peuvent faire par grce quelque chose au-del de leur pouvoir naturel, de mme les mauvais anges peuvent cause de la providence divine qui les arrte, moins quils ne le peuvent par leur pouvoir naturel, parce que, comme le dit Augustin (La Trinit, III, 9) ils ne peuvent pas faire certaines choses qu'ils pourraient faire, si cela leur tait permis, parce cela ne leur est pas permis (aussi on dit quils sont lis, parce quils sont empchs de faire ce jusqu'o peut sՎtendre leur pouvoir naturel ; mais ils en sont dlivrs quand il leur est permis par le jugement divin de faire ce qui est possible leur nature). Mais certains ne le peuvent pas mme s'ils en ont la permission, comme on le dit au mme endroit, parce que le pouvoir de leur nature, fourni par Dieu, ne le permet pas.

Ad huiusmodi autem quae sunt supra facultatem naturae ipsorum, eis a Deo nulla datur potestas, quia,- cum operatio miraculosa sit quoddam divinum testimonium indicativum divinae virtutis et veritatis,- si Daemonibus, quod quorum est tota voluntas ad malum, aliqua potestas daretur faciendi miracula, Deus falsitatis eorum testis existeret ; quod divinam bonitatem non decet. Unde ea tantum interdum opera faciunt quae miracula hominibus videntur, quando permittuntur a Deo, ad quae eorum naturalis virtus se potest extendere.

Pour ce qui est au-dessus de la facult de leur nature, Dieu ne leur a donn aucune puissance, parce que comme le miracle est un tmoignage divin, qui montre le pouvoir et la vrit divines si aux dmons, dont toute la volont est tourne vers la mal, une puissance tait donne pour faire des miracles, Dieu se montrerait garant de leur mensonge, ce qui ne convient pas sa bont. C'est pourquoi ces uvres qu'ils font parfois, qui paraissent des miracles aux hommes, quand ils sont autoriss par Dieu, sont celles auxquelles leur pouvoir naturel peut parvenir.

Sicut etiam ex supra dictis [art. praec.], patet, naturali virtute hos solos effectus producere possunt per modum artis ad quos inveniuntur virtutes aliquae naturales in corporibus, quae eis ad motum localem obediunt, ut sic ea possint ad aliquem effectum celeriter applicare. Huiusmodi autem virtutibus verae transmutationes corporum fieri possunt, sicut secundum naturalem cursum rerum videmus unum ex alio generari. Possunt nihilominus, aliqua mutatione corporali facta, quaedam quae non sunt in rerum natura, in imaginatione facere apparere per commotionem organi phantasiae, secundum diversitatem spirituum et humorum : ad quod etiam aliqua corpora exteriora efficaciam habent, ut eis aliquo modo adhibitis, videatur esse aliquid alterius formae quam sit, sicut patet in phreneticis et mente captis.

Comme aussi il est clair, d'aprs ce qu'on a dit ci-dessus (art. prcdent), qu'ils peuvent produire, par le pouvoir naturel, ces seuls effets par mode d'art pour lesquels se trouvent des pouvoir naturels dans les corps, qui leur obissent pour le mouvement local, de sorte qu'ils peuvent ainsi les appliquer rapidement un effet. Mais par les pouvoirs de ce genre, de vrais changements peuvent tre oprs ; ainsi selon le cours naturel des choses, nous voyons l'un engendr par l'autre. Nanmoins ils peuvent, en effectuant un changement naturel, faire apparatre dans l'imagination certaines choses qui ne sont pas dans la nature, en agissant sur l'imaginaire, selon la diversit des esprits et des humeurs. A quoi aussi quelques corps extrieurs apportent leur efficacit, de sorte que ceux-ci ayant t employ de quelque manire, il semble qu'il y a quelque chose d'une forme autre que ce qu'elle est, comme c'est vident chez les agits et les malades mentaux

Possunt ergo daemones mirabiliter in nobis operari dupliciter : uno modo per veram corporis transmutationem ; alio modo per quamdam illusionem sensuum ex aliqua immutatione imaginationis. Neutra tamen operatio est miraculosa, sed est per modum artis, ut supra diximus ; et ideo simpliciter dicitur, quod per Daemones vera miracula fieri non possunt.

Les dmons peuvent donc oprer tonnamment en nous de deux manires : 1) par un vrai changement du corps ; 2) par une illusion des sens qui vient du changement de l'imagination. Cependant ni l'une ni l'autre des oprations est miraculeuse, mais elles viennent de l'art, comme on l'a dit ci-dessus (art. 4), et c'est pourquoi on dit absolument que les dmons ne peuvent pas faire de vrais miracles.

 

Solutions :

q. 6 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod signa et prodigia dicuntur aliqua quae virtute naturali fieri possunt, hominibus tamen mira ; vel etiam per sensum illusionem, ut dictum est.

 1. On appelle signes et prodiges certaines choses qui peuvent tre faites par un pouvoir naturel, cependant tonnantes pour les hommes, ou aussi par l'illusion des sens, comme on l'a dit.

q. 6 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet, Daemonum arte, velocius aliquem posse sanari quam per naturam si sibi relinquatur, quia hoc etiam videmus per artem hominis fieri ; non tamen videtur quod possint subito sanare (licet aliquos alios effectus possint facere quasi subito), quia medicinae corpori humano exhibitae operantur ad sanitatem quasi instrumenta ; natura autem est sicut agens principale ; unde debent talia adhiberi quae possint a natura moveri ; et si plura adhiberentur, non conferrent ad sanitatem, sed magis impedirent. Unde etiam illae infirmitates ad quarum sanitatem naturae virtus nullo modo potest, operatione Daemonum sanari non possunt. Secus autem est de illis effectibus qui dependent ab exteriori agente, sicut a causa principali. Sciendum autem est, quod etiam si subito sanitatem Daemones perficerent, non esset miraculum, ex quo id agerent mediante naturali virtute, si id agerent.

 2. Rien n'empche que par l'art des dmons, quelqu'un puisse tre guri plus vite que par la nature, si elle est laisse elle-mme, parce que nous le voyons faire par l'art de l'homme ; il ne semble pas cependant qu'ils puissent gurir tout coup (bien qu'ils puissent faire quelques autres effets comme soudainement) parce que les remdes apports au corps oprent pour la sant comme des instruments ; mais la nature est vrai dire l'agent principal ; c'est pourquoi de telles choses doivent tre employes ce qui peut tre m par la nature, et si plusieurs taient employes, elles n'apporteraient pas la sant, mais elles l'empcheraient plutt. C'est pourquoi mme ces maladies pour la gurison desquelles le pouvoir de la nature ne peut rien, ne peuvent pas tre soignes par l'action des dmons. Mais il en est autrement de ces effets qui dpendent d'un agent extrieur, comme d'une cause principale. Mais il faut savoir que mme si les dmons achevaient soudain la gurison, ce ne serait pas un miracle, parce qu'ils agiraient par l'intermdiaire d'un pouvoir naturel, s'ils le faisaient.

q. 6 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod locutio canum, et alia huiusmodi quae Simon magus faciebat, potuerunt fieri per illusionem, et non per effectus veritatem. Si tamen per effectus veritatem hoc fieret, nullum sequitur inconveniens, quia non dabat cani daemon virtutem loquendi, sicut datur mutis per miraculum, sed ipsemet per aliquem motum localem sonum formabat, litteratae et articulatae vocis similitudinem et modum habentem ; per hunc enim modum etiam asina Balaam intelligitur fuisse locuta Angelo tamen bono operante.

 3. Faire parler des chiens, et autres choses de ce genre que Simon le magicien faisait, a pu tre fait par illusion, et non par un effet rel. Si cependant il l'avait fait par un effet rel, il n'en dcoule aucun inconvnient, parce que le dmon ne donnait pas un chien le pouvoir de parler, comme il est donn aux muets par miracle, mais lui-mme formait le son par mouvement local, ayant la ressemblance et le mode d'une voix qui parle et articule. Car par ce moyen, on comprend que l'ne de Balaam[674] aussi a parl par l'action d'un bon ange.

q. 6 a. 5 ad 4 Et similiter dicendum ad quartum de locutione simulacri ; hoc enim factum fuit Daemone, per motum aeris, sonum formante, similem humanae locutioni.

 4. Il faut dire de mme pour l'objection 4, propos de la parole de la statue, car cela a t fait par le dmon, par mouvement de l'air, en formant un son semblable la parole humaine.

q. 6 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est remotum quin sit in commendationem castitatis, quod Deus verus per suos Angelos bonos huiusmodi miraculum per retentionem aquae fecisset, quia si qua bona in gentilibus fuerunt, a Deo fuerunt. Si autem per daemones factum est, nec hoc repugnat praedictis. Nam quiescere et moveri localiter, ab eodem principio secundum genus sunt, quia per quam naturam aliquid movetur ad locum, quiescit in loco. Unde sicut Daemones possunt movere corpora localiter, ita possunt et a motu retinere. Nec tamen est miraculum, sicut quando fit divinitus, quia hoc secundum naturalem virtutem Daemonis contingit ad huiusmodi effectum determinatum.

 5. Il n'est pas exclus que ce soit pour recommander la chastet que le vrai Dieu ait fait par ses bons anges un miracle de ce genre, en retenant l'eau, parce que, s'il y eut quelques biens chez les paens, ils vinrent de Dieu. Mais si cela a t fait par les dmons, cela ne s'oppose pas ce qui a t dit. Car arrter ou tre m localement, dpend d'un mme principe en genre, parce que ce qui est m vers un lieu par cette nature s'arrte en lui. C'est pourquoi, de mme que les dmons peuvent mouvoir les corps localement, de mme ils peuvent les retenir par mouvement. Et cependant ce n'est pas un miracle, comme quand il a t fait divinement, parce que cela selon le pouvoir naturel du dmon arrive un tel effet dtermin.

q. 6 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illae transformationes, de quibus Varro loquitur, non fuerunt secundum veritatem, sed secundum apparentiam, per operationem Daemonis, phantastico hominis secundum aliquam corporalem speciem immutato, sicut dicit Augustinus [XVIII de Civ. Dei, cap. XVIII]

 6. Les transformations dont parle Varron, ne furent pas relles, mais en apparence, par l'opration du dmon ; l'imagination de l'homme ayant t change par une image corporelle, comme le dit Augustin (La cit de Dieu, XVIII, 18).

q. 6 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod per aliquem motum aeris, Daemones, Deo permittente, possunt aliquas tentationes concitare, cum etiam per ventorum motum naturaliter fieri videamus ; et per hunc modum fuerunt adversitates Iob, operantibus Daemonibus, procuratae.

 7. Par un mouvement de l'air, les dmons, avec la permission de Dieu, peuvent susciter certaines preuves, quand nous voyons aussi que c'est fait naturellement par le mouvement du vent, et de cette manire, les dmons par leur action ont provoqu les malheurs de Job.

q. 6 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod de operatione magorum Pharaonis duplex opinio in Glossa tangitur : una est quod non fuerit vera conversio virgarum in serpentes, sed hoc fuerit secundum apparentiam tantum per aliquam praestigiosam illusionem. Augustinus autem in Glossa, ibidem posita, dicit quod fuit conversio vera virgarum in serpentes ; quod ex hoc verisimiliter probat, quia Scriptura eodem vocabulo nominat et virgas magorum et virgam Moysi ; quam constat vere in serpentem esse conversam. Quod autem operatione daemonum virgae in serpentes sint conversae, miraculum non fuit ; hoc enim fecerunt Daemones per aliqua semina collecta, quae habebant vim putrefaciendi virgas, et in serpentes convertendi. Sed quod Moyses fecit, miraculum fuit, quia, divina virtute, absque omnis naturalis virtutis operatione, hoc effectum est.

 8. Au sujet des oprations des magiciens du Pharaon, on rapporte une double opinion dans la Glose (ordinaire) :1) Il n'y a pas eu un vrai changement des btons en serpents mais cela fut fait en apparence seulement par un illusion de prestidigitation. Mais Augustin dans la glose, place l mme, dit que ce fut un vrai changement des btons en serpents. Ce qu'il prouve de faon vraisemblable par le fait que l'criture nomme avec le mme mot les btons des magiciens et celui de Mose ; ce qui montre, qu'il a t vraiment chang en serpent. Mais que par l'opration des dmons, les btons aient t changs en serpents ne fut pas un miracle, car les dmons le firent avec des semences ramasses, qui avaient le pouvoir de faire pourrir les btons, et de les changer en serpents. Mais que Mose le fit, c'est un miracle, parce que cela a t fait par le pouvoir divin, sans l'intervention de tout pouvoir naturel.

q. 6 a. 5Arg. 9 Praeterea, operatio miraculorum magis est remota a virtute humana quam a virtute angelica. Sed per malos homines interdum miracula fiunt ; unde ex persona reproborum dicitur Matth. cap. VII, 22 : In nomine tuo prophetavimus, (...) et virtutes multas fecimus. Ergo et per Daemones vera miracula fieri possunt.

 9. Oprer des miracles est plus loign du pouvoir de l'homme que de celui de lange. Mais quelquefois des miracles arrivent par des mchants ; cest pourquoi, il est dit de la personne des rprouvs (Mt. 7, 22) :En ton nom, nous avons prophtis et nous avons fait de nombreuses miracles. Donc les dmons peuvent faire de vrais miracles.

 

Pour le dernier argument en sens contraire

q. 6 a. 5 ad s. c. Ad ultimum, quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod tempore Antichristi Diaboli potestas solvenda dicitur, in quantum ei multa facere permittentur, quae modo non permittuntur ; unde et operabitur multa ad eorum seductionem qui hoc meruerunt non acquiescendo veritati. Operabitur autem quaedam praestigiose, in quibus nec erit verus effectus nec miracula. Operabitur etiam quaedam per veram corporum immutationem, in quibus si erunt veri effectus, non tamen vera miracula, quia erunt per causas naturales operata. Quae etiam mendacia dicuntur quantum ad intentionem facientis, qui per huiusmodi mirabilia opera inducit homines ad credendum mendaciis.

 Il faut dire qu'on annonce que la puissance du diable sera libre au temps de l'Antchrist, dans la mesure o il lui sera permis de faire de nombreuses uvres, c'est pourquoi il fera beaucoup pour la sduction de ceux qui l'ont mrit en n'acquiesant pas la vrit ; mais il fera certaines choses par prestidigitation, dans lesquels il n'y aura ni vrais effets ni vrais miracles. Il fera aussi certaines choses par un vrai changement des corps dans lesquels si les effets sont vrais, il n'y aura pas cependant de miracles, parce qu'ils auront t oprs par les causes naturelles. On dit que ce sont des mensonges dans l'intention de celui qui les opre qui par des miracles de ce genre, incite les hommes croire ses mensonges.

 

 

 

Article 6 Les anges et les dmons ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement ?

q. 6 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum Angeli et daemones habeant corpora naturaliter sibi unita. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[675].

 

Objections :

q. 6 a. 6Arg. 1 In quolibet enim animali est corpus naturaliter spiritui unitum. Sed Angeli et daemones sunt animalia : dicit enim Gregorius in homilia Epiphaniae [homeli in Evangelia] quod Iudaeis, tamquam ratione utentibus, rationale animal, id est Angelus annuntiare debuit. De daemonibus vero dicit Augustinus [in lib. III Super Genesim ad litteram,cap. X] : daemones aerea sunt animalia, quia corporum aereorum natura vigent. Ergo Angeli et daemones habent corpora naturaliter sibi unita.

1. Car n'importe quel tre anim a un corps naturellement uni l'esprit. Mais les anges et les dmons sont des tres anims ; en effet, Grgoire [le Grand] dit dans une homlie sur l'piphanie (Hom. X, sur l'vangile), qu'un tre anim raisonnable[676], c'est--dire l'ange, comme sil se sert de raison, a d l'annoncer aux Juifs.. Augustin dit des dmons (La Gense au sens littral, III, X, 14 : Les dmons sont des tres anims ariens, parce que par nature ils sont dous de corps ariens[677]. Donc, les anges et les dmons ont des corps qui leur sont unis naturellement.

q. 6 a. 6Arg. 2 Praeterea, Origenes dicit in Periarchon [lib. I, cap. VI], quod nulla substantia spiritualis sine corpore esse potest, nisi solus Deus. Cum ergo Angeli et daemones sint substantiae creatae, videtur quod habeant corpora naturaliter sibi unita.

2. Origne dit dans le Peri Archn (Livre I, ch. 6[678]) qu'aucune substance spirituelle ne peut exister sans corps, sinon Dieu seul[679]. Donc, comme les anges et les dmons sont des substances cres, il semble qu'ils ont des corps qui leur sont unis naturellement.

q. 6 a. 6Arg. 3 Praeterea, phantasia et irascibilis et concupiscibilis sunt vires organis utentes. Haec autem sunt in daemonibus, et eadem ratione in Angelis : dicit enim Dionysius [IV cap. De divin. Nom.], quod malum daemonis est furor irascibilis, concupiscentia amoris, phantasia proterva. Ergo habent corpora naturaliter sibi unita.

3. L'imagination, l'irascible et le concupiscible sont des forces qui se servent d'organes. Mais ils sont dans les dmons, et pour la mme raison dans les anges. Car Denys dit (Les Noms divins, IV, 23, 725 B.[680]) que le mal chez le dmon est une fureur irascible, une convoitise de l'amour, une imagination effronte[681]. Donc ils ont des corps qui leur sont unis naturellement.

q. 6 a. 6Arg. 4 Praeterea, aut Angeli sunt compositi ex materia et forma, aut non. Si sunt compositi ex materia et forma, oportet eos esse corpora ; cum enim materia in se considerata sit una, quia non diversificatur nisi per formas, oportet quod omnium diversorum materiam habentium intelligantur diversae formae, in diversis partibus materiae receptae, nam secundum idem materia diversas formas recipere non potest. Diversitas autem partium intelligi non potest in materia sine eius divisione, nec divisio sine dimensione, quia sine quantitate substantia indivisibilis est, ut dicitur in Lib. I Phys. [com. 15].

4. Ou bien les anges sont composs de matire et de forme, ou non. S'ils le sont, il faut qu'ils soient des corps, puisque en effet la matire considre en soi est une, parce qu'elle n'est diffrencie que par les formes, il faut qu'on comprenne que les diffrentes formes de tous les diffrents tres pourvus de matire, soient reues dans les diffrentes parties de la matire, car la matire ne peut pas recevoir diffrentes formes selon le mme. Mais on ne peut comprendre la diversit des parties dans la matire sans sa division, ni sa division sans dimension, parce que, sans quantit la substance est indivisible, comme il est dit, en Physique (I, 2, 185 b 1 ss.).

Ergo oportet quod omnia habentia materiam habeant dimensionem, et per consequens corpora. Si autem non sunt compositi ex materia et forma, aut sunt formae per se stantes, aut formae corporibus unitae. Si sunt formae per se stantes, oportet, quod non habeant esse ab alio causatum ; cum enim forma sit essendi principium in quantum huiusmodi, illud quod est forma tantum, non habet esse causatum, sed solum est aliis causa essendi. Si autem sunt formae corporibus unitae, oportet quod habeant corpora naturaliter sibi unita : unio enim formae et materiae est naturalis. Relinquitur ergo quod oportet unum istorum trium ponere, scilicet quod Angeli vel sint corpora, vel sint substantiae increatae, vel habeant corpora naturaliter unita. Sed prima duo sunt impossibilia. Ergo tertium est ponendum.

Donc il faut que tout ce qui a de la matire ait une dimension et par consquent un corps. Mais s'ils ne sont pas composs de matire et de forme, ce sont des formes subsistantes par soi, ou des formes unies des corps. Si ce sont des formes subsistantes par soi, il faut qu'elles naient pas un tre caus par un autre ; car, comme la forme est le principe d'tre, en tant que tel, ce qui est forme seulement n'a pas un tre caus, mais est seulement cause d'tre pour d'autres. Mais si ce sont des formes unies des corps, il faut qu'elles aient un corps qui leur soit naturellement uni, car l'union de la forme et de la matire est naturelle. Il reste donc qu'il faut admettre l'une de ces trois hypothses, savoir que les anges sont des corps, ou des substances incres, ou ils ont un corps qui leur est naturellement uni. Mais les deux premires solutions sont impossibles. Donc il faut prendre la troisime.

q. 6 a. 6Arg. 5 Praeterea, forma, in quantum huiusmodi, est secundum quam aliquid formatur. Id ergo quod est forma tantum, est formans nullo modo formatum ; quod est solius Dei, qui est species prima, a qua omnia sunt speciosa, ut dicit Augustinus, VIII de Civit. Dei. Ergo Angeli non sunt formae tantum, et ita sunt corporibus unitae.

5. La forme, en tant que telle, est selon ce quoi une chose est forme. Donc ce qui est forme seulement donne la forme, sans tre mis en forme en aucune manire ; ce qui appartient Dieu seul qui est une forme (species) premire par laquelle toutes choses sont spcifies, comme le dit Augustin (La Cit de Dieu, VIII). Donc les anges ne sont pas des formes seulement mais des formes unies des corps.

q. 6 a. 6Arg. 6 Praeterea, sicut anima non potest operari aliquem effectum in exterioribus corporibus nisi mediantibus corporeis instrumentis, ita nec Angelus nisi corporalibus aliquibus virtutibus, quibus utitur velut instrumentis. Sed anima ad exercendas suas operationes habet corporea organa naturaliter sibi unita. Ergo et Angeli.

6. De mme que l'me ne peut produire un effet dans les corps extrieurs que par l'intermdiaire d'organes corporels, de mme l'ange ne le peut que par des pouvoirs corporels qu'il utilise comme instruments. Mais l'me pour exercer ses oprations a des organes corporels qui lui sont unis naturellement. Donc l'ange aussi.

q. 6 a. 6Arg. 7 Praeterea, primus motus in corporibus est quo movetur corpus a substantia incorporea. Primus autem motus est moventis se ipsum, ut habetur in VIII Physic. : quia quod per se est, prius est eo quod per aliud est. Ergo quod immediate movetur a substantia incorporea, movetur sicut motum ex se. Sed hoc non potest esse, nisi substantia incorporea movens sit corpori naturaliter unita. Cum ergo Angeli et daemones moveant immediate corpora, ut supra dictum est [art. 2 huius quaest.], videtur quod habeant corpora naturaliter sibi unita.

7. Le premier mouvement dans les corps est celui par lequel le corps est m par une substance incorporelle. Mais le premier mouvement vient de celui qui se meut lui-mme, comme on le dit en Physique VIII ; parce que ce qui est par soi, est avant ce qui est par un autre. Donc ce qui est m sans intermdiaire par une substance incorporelle est m comme par lui-mme. Mais cela n'est possible que si la substance incorporelle qui meut est naturellement unie un corps. Donc, comme les anges et les dmons meuvent immdiatement les corps, comme on l'a dit ci-dessus (art. 2 de cette question), il semble qu'ils ont un corps qui leur est uni naturellement.

q. 6 a. 6Arg. 8 Praeterea, nobilius habet vitam quod vivit et vivificat, quam quod vivit tantum, sicut perfectius est lux in eo quod lucet et illuminat, quam in eo quod tantum lucet. Sed anima humana vivit, et vivificat corpus naturaliter sibi unitum. Ergo et Angelus non minus nobiliter vivit quam anima.

8. Plus noble est ce qui vit et vivifie que ce qui vit seulement, de mme plus parfaite est la lumire l o elle claire et prend source, que l o elle claire seulement. Mais l'me humaine vit, et donne la vie au corps qui lui est naturellement uni. Donc l'ange ne vit pas moins noblement que l'me.

q. 6 a. 6Arg. 9 Praeterea, omnis motus corporis diversimode moti, est motus moventis se ipsum, quia quod movetur uno motu tantum, non videtur esse movens se ipsum, ut dicitur in VIII Phys. [com. 29]. Sed corpus caeleste movetur diversis motibus ; unde planetae ab astrologis quandoque dicuntur recti, quandoque retrogradi, quandoque stationarii. Ergo motus superiorum corporum est mobilium moventium seipsa ; et sic corpora illa sunt composita ex substantia corporali et spirituali. Sed illa spiritualis substantia non est anima humana, nec est Deus. Ergo est Angelus. Angelus ergo habet corpus naturaliter sibi unitum.

9. Tout mouvement d'un corps m de diffrentes manires, est le mouvement de celui qui se meut lui-mme, parce que ce qui est m par un seul mouvement ne semble pas tre moteur lui-mme, comme on le dit en Physique (VIII, 4, 255 a 5). Mais le corps cleste est m par diffrents mouvements ; c'est pourquoi les astronomes disent que quelquefois les plantes avancent droit, quelquefois reculent, quelquefois sont stationnaires. Donc le mouvement des corps suprieurs est celui des mobiles qui se meuvent eux-mmes, et ainsi ces corps sont composs de substance corporelle et spirituelle. Mais cette substance spirituelle n'est pas une me humaine, ni Dieu. Donc c'est un ange. Donc il a un corps qui lui est naturellement uni.

q. 6 a. 6Arg. 10 Praeterea, nihil agit ultra suam speciem. Sed corpora caelestia causant vitam in istis inferioribus, ut patet in animalibus ex putrefactione generatis per virtutem caelestium corporum. Cum ergo substantia vivens sit nobilior non vivente, ut dicit Augustinus [in liB. de vera relig ;, cap. XXIX et LX] videtur quod corpora caelestia habeant vitam et ita habeant substantias spirituales sibi naturaliter unitas ; et sic idem quod prius.

10. Rien n'agit au-del de son espce ; mais les corps clestes causent la vie dans les corps infrieurs, comme on le voit dans les animaux engendrs de la putrfaction par leur pouvoir. Donc comme la substance vivante est plus noble que celle sans vie, comme le dit Augustin (La vraie religion, XXIX et XL), il semble que les corps clestes ont une vie et qu'ainsi ils ont des substances spirituelles qui leur sont unies naturellement, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 6 a. 6Arg. 11 Praeterea, primum mobile est corpus caeleste. Sed philosophus probat [in VIII Phys., com. 17], quod omnia mota reducuntur ad primum mobile, quod ex se movetur. Ergo caelum est ex se motum. Ergo est compositum ex corpore moto et movente immobili, quod est substantia spiritualis ; et sic idem quod prius.

11. Le premier mobile est le corps cleste. Mais le Philosophe prouve (Physique, VIII, 2, 252 b 12 ss.) que tous les mouvements sont ramens au premier mobile qui se meut de lui-mme. Donc le ciel se meut de lui-mme. Donc il est compos d'un corps m et d'un moteur immobile, qui est une substance spirituelle, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 6 a. 6Arg. 12 Praeterea, secundum Dionysium [cap. VII de div. Nom.], supremum inferioris naturae semper attingit ad infimum naturae superioris, divina sapientia res taliter ordinante. Sed supremum in natura corporali est corpus caeleste, cum sit nobilissimum corporum. Ergo attingit ad naturam spiritualem et ei unitur ; et sic idem quod prius.

12. Selon Denys (Les noms divins, VII, 3, 872 A[682]), le plus haut de la nature infrieure touche toujours au plus bas de la nature suprieure, la divine sagesse ayant organis les choses ainsi. Mais le suprieur dans la nature corporelle est le corps cleste, puisqu'il est le plus noble des corps. Donc il touche la nature spirituelle et lui est uni, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 6 a. 6Arg. 13 Praeterea, corpus caeli est nobilius corpore humano, sicut perpetuum corruptibili. Sed corpus humanum est unitum naturaliter substantiae spirituali. Ergo multo magis corpus caeleste, cum nobilioris corporis sit nobilior forma ; et sic idem quod prius.

13. Le corps du ciel est plus noble que le corps humain, comme l'ternel est plus noble que le corruptible. Mais le corps humain est uni naturellement une substance spirituelle. Donc beaucoup plus le corps cleste, puisqu'il est la forme plus noble d'un corps plus noble, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 6 a. 6Arg. 14 Praeterea, invenimus quaedam animalia ex terra formata, sicut homines et bestias ; quaedam ex aquis, ut pisces et volatilia, ut patet Gen. I. Ergo et quaedam erunt aerea, quaedam ignea, et caelestia. Haec autem non sunt alia quam Angeli et daemones, quia cum illa sint nobiliora corpora, oportet in eis esse nobiliora animalia. Ergo Angeli et daemones sunt animalia, et ita habent corpora naturaliter unita.

14. Nous trouvons des tres anims, forms de la terre comme les hommes et les animaux ; certains de l'eau comme les poissons et les volatiles, comme on le voit en Gn. 1. Donc aussi certains seront ariens, certains igns et clestes. Mais ils ne sont pas autres que les anges et les dmons, parce que ce sont des corps plus nobles, il faut qu'il y ait en eux des tres anims plus nobles. Donc les anges et les dmons sont des tres anims, et ainsi ils ont un corps qui leur est naturellement. uni

q. 6 a. 6Arg. 15 Praeterea, hoc idem videtur per Platonem, qui in Timaeo ponit esse quoddam animal terrena soliditate firmatum, quoddam vero liquoribus accommodatum, quoddam autem aeri vagum, aliud divinitate plenum ; quod non potest intelligi nisi Angelus. Ergo Angelus est animal ; et sic idem quod prius.

15. Platon semble dire la mme chose dans le Time ; il considre quil y a un tre anim, fortifi dune solidit terrestre, adapt aux liquides, flottant dans l'air, un autre plein de divinit, ce qui ne peut tre compris que de lange. Donc lange est un tre anim et ainsi cest la mme chose que ci-dessus.

q. 6 a. 6Arg. 16 Praeterea, nihil movetur nisi corpus, ut probatur in VI Physic.[de com. 86 ad 90]. Sed Angelus movetur. Ergo vel est corpus, vel habet corpus naturaliter sibi unitum.

16. Rien n'est m que ce qui est corps, comme on le prouve en Physique (VI, 10, 240 a 24 241 a 14). Mais lange est m. Donc ou bien il est un corps ou il a un corps qui lui est uni naturellement.

q. 6 a. 6Arg. 17 Praeterea, verbum Dei est nobilius quolibet Angelo. Sed verbum Dei est corpori unitum. Ergo non est contra dignitatem Angeli, si ponatur corpori naturaliter unitus.

17. Le Verbe de Dieu est plus noble que nimporte quel ange ; mais il est uni un corps. Donc il nest pas contraire la dignit de lange de penser quil est naturellement uni un corps.

q. 6 a. 6Arg. 18 Praeterea, Porphyrius dicit in praedicabilibus [in cap. de differentia], quod mortale additum in definitione hominis, separat nos a diis per quod non possunt nisi Angeli intelligi. Ergo Angeli sunt animalia, et sic habent corpora naturaliter unita.

18. Porphyre[683] dit (Les prdicables, chapitre de la diffrence) que "mortel" ajoute la dfinition de lhomme nous spare des dieux, terme par lesquels on ne peut comprendre que les anges. Donc ce sont des tres anims, et ainsi ils ont des corps naturellement unis a eux.

q. 6 a. 9Arg. 19 Praeterea, posita causa, ponitur effectus. Si ergo fides est causa faciendi miracula, omnes qui fidem habent miracula facerent ; quod patet esse falsum. Non ergo fidei est facere miracula.

19. Une fois la cause done, on a leffet. Si donc la foi est la cause pour faire des miracles, tous ceux qui ont la foi, en feraient, qui parat faux. Donc faire des miracles ne dpend pas de la foi.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Damascenus dicit [lib. II Fidei orth., cap. III], quod Angelus est substantia intellectualis, semper mobilis, arbitrio libera, incorporea.

1. Jean Damascne dit (La Foi orthodoxe, livre II, ch. 3) que lange est une substance intellectuelle, toujours en mouvement, doue du libre arbitre, incorporelle.

q. 6 a. 6 s. c. 2 Praeterea, in libro de Causis [prop. 7], dicitur, quod intelligentia est substantia quae non dividitur ; et dicit ibi Commentator, quod neque est magnitudo neque super magnitudinem delata. Sed Angelus est intelligentia ; quod patet per Dionysium [cap. VII de div. Nom.], qui vocat Angelos divinas mentes et divinos intellectus. Ergo Angelus nec est corpus, nec corpori unitus.

2. Dans le livre des Causes, (prop. 7), il est dit que lintelligence est une substance indivisible ; et le Commentateur dit ce sujet qu'elle est pas une grandeur, et ni au-del de la grandeur. Mais lange est une intelligence, ce que montre Denys (Les noms divins, ch. 7) qui appelle les anges des esprits et des intellects divins. Donc lange nest pas un corps et il nest pas uni un corps.

q. 6 a. 6 s. c. 3 Praeterea, differentiae dividentes Angelum ab anima, sunt unibile et non unibile corpori. Si ergo Angelus esset unitus corpori, in nullo ab anima differret ; quod est inconveniens.

3. Les diffrences qui sparent lange de lՉme, sont la possibilit ou non de s'unir un corps. Donc si lange tait uni un corps, il ne diffrerait en rien de lՉme, ce qui ne convient pas.

q. 6 a. 6 s. c. 4 Praeterea, invenitur quaedam substantia spiritualis quae dependet a corpore quantum ad principium et quantum ad finem, sicut anima vegetabilis et sensibilis ; quaedam autem quae dependet a corpore quantum ad principium et non quantum ad finem, sicut anima humana. Ergo erit quaedam quae non indiget corpore neque quantum ad principium neque quantum ad finem ; et huiusmodi non potest esse alia quam Angelus vel daemon. Quod autem sit aliqua quae indigeat corpore quantum ad finem et non quantum ad principium, non est possibile.

4. On trouve une substance spirituelle qui dpend du corps, pour son principe et sa fin[684], comme l'me vgtative et l'me sensitive ; mais une qui dpend du corps pour le principe et non pour la fin, comme l'me humaine. Donc il y en aura une qui n'a pas besoin de corps ni pour le principe ni pour la fin ; et de ce genre, il n'est pas possible qu'il y en ait d'autres que l'ange ou le dmon. Mais il est impossible qu'il y en ait une qui ait besoin du corps, pour la fin et non pour son principe.

q. 6 a. 6 s. c. 5 Praeterea, quaedam forma est quae nec est anima nec spiritus, sicut forma lapidis ; quaedam etiam est quae est anima, sed non spiritus, sicut forma bruti ; quaedam quae est anima et spiritus, sicut forma hominis. Quaedam ergo erit quae erit spiritus et non anima : et huiusmodi est Angelus ; et sic non est corpori unitus naturaliter, quod est de ratione animae.

5. Il y a une forme qui n'est ni me ni esprit, comme la forme de la pierre, une aussi qui est me et non esprit comme la forme de l'animal ; une qui est me et esprit, comme la forme de l'homme. Donc il y en aura une qui sera esprit et non me, et l'ange est de ce genre ; et ainsi il n'est pas uni naturellement un corps, ce qui est de la nature de l'me.

 

Rponse :

q. 6 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod circa substantias incorporeas ponendas, antiqui diversimode processerunt.

A propos des substances incorporelles, les anciens philosophes ont procd de diffrentes manires.

A. - Quidam namque antiqui philosophi dixerunt, nullam substantiam incorpoream esse, sed omnes substantias esse corpora ; in quo etiam errore se quandoque fuisse Augustinus confitetur [lib. Confess.].

A. Car certains philosophes anciens ont dit qu'il n'existe aucune substance incorporelle, mais que toutes sont corporelles, Augustin confesse tre tomb quelquefois dans cette erreur (les Confessions).

Haec autem positio est etiam per philosophos improbata : Aristoteles autem [in VIII Phys. ] hac via improbavit eam, quod oportet esse aliquam virtutem moventem infinitam ; alias motum perpetuum movere non posset. Ostendit iterum quod omnis virtus in magnitudine est virtus finita. Unde relinquitur quod oporteat esse aliquam virtutem penitus incorpoream, quae continuitatem motus causet.

Cette position est dsapprouve par les philosophes ; Aristote (Physique, VIII) la rprouve de cette manire : il faut qu'il y ait un pouvoir moteur infini, autrement il ne pourrait pas produire un mouvement ternel. Il montre de plus que tout pouvoir est fini en grandeur. C'est pourquoi il reste qu'il faut qu'il y ait un pouvoir tout fait incorporel, qui cause la continuit du mouvement.

Iterum hoc probavit alio modo [XIII metaph.,], quia actus est prius potentia, et natura et tempore, simpliciter loquendo ; quamvis in uno aliquo quod de potentia exit in actum, potentia tempore praecedat : sed quia oportet quod in actum reducatur per aliquod ens actu, oportet quod actus sit simpliciter prior potentia etiam tempore. Unde cum omne corpus sit in potentia, quod ipsius mobilitas ostendit, oportet ante omnia corpora esse substantiam immobilem sempiternam.

En plus il le prouve dune autre manire (Mtaphysique XIII) ; parce que l'acte[685] est avant le puissance, par nature et en temps, absolument parlant, quoique dans ce qui passe de la puissance l'acte, la puissance prcde en temps ; mais parce qu'il faut qu'elle soit ramene l'acte par un tant en acte, il faut que l'acte soit absolument avant la puissance mme dans le temps. C'est pourquoi comme tout corps est en puissance, ce que montre sa mobilit, il faut qu'avant tous les corps, il y ait une substance immobile ternelle.

Tertia autem ratio potest sumi ad hoc ex sententiis Platonicorum : oportet enim ante esse determinatum et particulatum, praeexistere aliquid non particulatum, sicut si ignis natura particulariter, et quodammodo participative, invenitur in ferro, oportet prius inveniri igneam naturam in eo quod est per essentiam ignis ; unde, cum esse et reliquae perfectiones et formae inveniantur in corporibus quasi particulariter, per hoc quod sunt in materia receptae, oportet praeexistere aliquam substantiam incorpoream, quae non particulariter, sed cum quadam universali plenitudine perfectionem essendi in se habeat. Quod autem posuerunt sola corpora esse substantias, ex hoc decepti fuerunt quod imaginationem transcendere intellectu non valentes (quae solum est corporum) ad substantias incorporeas cognoscendas (quae solo intellectu capiuntur) pertingere non valuerunt.

On peut tirer une troisime raison des opinions des Platoniciens ; car, avant qu'existe une chose dtermine et particularise, il faut qu'il en prexiste une non particularise, ainsi si la nature du feu particulirement et d'une certaine manire par participation, se trouve dans le fer, il faut trouver avant une nature igne en ce qui est feu par essence ; c'est pourquoi, comme l'tre, les autres perfections et les formes se trouvent dans des corps de faon pour ainsi dire particulire, du fait qu'ils sont reus dans la matire, il faut que prexiste une substance incorporelle, non particularise, mais qui, avec une plnitude universelle, ait la perfection de l'tre en soi. Mais ayant pens que seuls les corps taient des substances, ils se sont tromps, parce qu'ils n'taient pas capables de dpasser en esprit l'imagination (qui concerne seulement les corps), ils n'ont pas pu parvenir connatre les substances incorporelles, qui sont saisies seulement par l'esprit.

B. - Alii vero fuerunt substantiam incorpoream ponentes ; sed eam dixerunt esse corpori unitam, nec aliquam substantiam incorpoream inveniri quae non sit corporis forma. Unde ponebant ipsum Deum esse animam mundi, sicut de Varrone dicit Augustinum in VII libro de Civitate Dei [lib. IV, cap. XXXI], quod Deus est anima, motu et ratione mundum gubernans. Unde dicebat, quod totus mundus est Deus propter animam et non propter corpus, sicut et homo dicitur propter animam sapiens, et non propter corpus. Et propter hoc gentiles toti mundo et omnibus partibus eius divinitatis cultum exibebant.

B) Il y en a d'autres qui ont pens que la substance incorporelle existait, mais ils dirent qu'elle tait unie un corps, et qu'on ne trouvait pas de substance incorporelle qui ne soit la forme d'un corps. C'est pourquoi ils pensaient que Dieu tait l'me du monde, comme dit Augustin propos de Varron, (La cit de Dieu, IV, 31) parce que Dieu est une me qui gouverne le monde par mouvement et raison. C'est pourquoi il disait que le monde tout entier est Dieu en raison de l'me et non du corps, comme on dit que l'homme est appel sage en raison de son me, et non en raison de son corps. Et c'est pour cela que les paens rendaient un culte divin au monde entier et toutes ses parties.

. Sed haec etiam positio per ipsos philosophos est improbata multipliciter

Mais cette opinion est dsapprouve de multiples manires par les philosophes eux-mmes.

Primo quidem, quia virtus unita alicui corpori ut forma, habet determinatam actionem, ex eo quod tali corpori unitur ; unde, cum oporteat esse aliquod agens universale influentiam habens per omnia corpora, eo quod primum movens non potest esse corpus, ut supra ostensum est, relinquitur quod oportet esse aliquod incorporeum, quod nulli corpori est unitum ; unde Anaxagoras posuit intellectum immixtum, ut imperet, sicut dicitur in VIII Physic. [com. 37] : imperium enim est alicuius praeeminentis his quibus imperat, et eis non subditi nec ad ea obligati.

1) Parce qu'un pouvoir uni un corps comme forme a une action limite, du fait qu'il est uni tel corps ; c'est pourquoi, puisqu'il faut qu'il y ait un agent universel qui a de l'influence par tous les corps, parce que le premier moteur ne peut pas tre un corps, comme on l'a montr ci-dessus, il reste qu'il faut qu'il y ait un tre incorporel, qui ne soit uni aucun corps ; c'est pourquoi Anaxagore a pens un l'intellect sans mlange, pour commander, comme il est dit en Physique (VIIII, 5, 256 b 24-26[686]) ; car le pouvoir appartient quelqu'un qui domine sur ce quoi il commande, sans lui tre ni soumis ni oblig cela..

Secundo, quia si quaelibet substantia incorporea est corpori unita ut forma, oportet primum quod movetur, movere seipsum ad modum animalis, quasi compositum ex substantia corporali et spirituali. Movens autem seipsum, movet se per voluntatem, in quantum aliquid appetit : appetitus enim est movens motum, appetibile autem est movens non motum. Oportet ergo supra substantiam corpoream coniunctam corpori, esse aliquid aliud superius quod moveat eam, sicut appetibile movet appetitum ; et hoc oportet esse intellectuale bonum, quia hoc est appetibile, quia est simpliciter bonum ; sensibile autem appetibile appetitur, quia est hic et nunc bonum.

2) Parce que, si quelque substance incorporelle est unie un corps comme une forme, il faut d'abord que ce qui est m se meuve lui-mme la manire de l'animal ; comme compos de substance corporelle et spirituelle. Mais celui qui se meut lui-mme se meut par volont, dans la mesure o il a un dsir, car l'apptit est un moteur m, mais l'apptible un moteur non m. Il faut donc qu'au-dessus d'une substance corporelle jointe un corps il y ait quelque chose de suprieur qui la mette en mouvement, comme l'apptible meut l'apptit et il faut que ce soit un bien intellectuel, parce qu'il est l'apptible, parce que c'est simplement un bien, mais l'apptible sensible est dsir, parce que c'est un bien d'ici et maintenant.

Intellectuale autem bonum oportet esse incorporeum, quia nisi esset absque materia, non intelligeretur ; et ex hoc ipso oportet ipsum esse intelligens : substantia enim quaelibet est intelligens ex hoc quod est a materia immunis. Oportet ergo supra substantiam coniunctam corpori, esse aliam substantiam superiorem incorpoream vel intellectualem corpori non unitam. Et haec est probatio Aristotelis in XI Metaph. : non enim potest dici, quod movens seipsum, nihil desideret extra se, quia nunquam moveretur : motus enim est ad acquirendum aliquid extrinsecum aliquo modo.

Mais le bien de l'esprit doit tre incorporel, parce que, s'il n'tait pas sans matire, il ne serait pas compris, et de ce fait, il faut qu'il soit dou d'esprit, car une substance est intellige du fait qu'elle est exempte de matire. Donc il faut qu'au-dessus de la substance jointe au corps, il y en ait une autre suprieure, incorporelle ou intellectuelle, non unie un corps. Et c'est la dmonstration d'Aristote en Mtaphysique XI ; car on ne peut pas dire que ce qui se meut soi-mme ne dsirerait rien hors de lui, parce qu'il ne se mettrait jamais en mouvement : car le mouvement est d'une certaine manire pour acqurir quelque chose d'extrieur.

Tertio, quia cum movens seipsum possit moveri et non moveri, ut dicitur in VII Phys. [com. 29], si aliquid motum ex se continue movetur, oportet quod stabiliatur in movendo ab aliquo exteriori, quod est omnino immobile. Caelum autem, cuius animam dicebant Deum, videmus continue moveri ; unde oportet supra illam substantiam quae est anima mundi, si qua est, esse aliam superiorem substantiam, quae nulli corpori est coniuncta, quae est per seipsam subsistens.

3) Parce que celui qui se meut lui-mme peut se mouvoir ou pas, comme on le dit en Physique (VII, 4, 249 a 8) ; si un moteur est m continuellement par lui-mme, il faut qu'il soit maintenu en mouvement par quelque chose d'extrieur, qui est tout fait immobile. Mais nous voyons le ciel, dont ils disaient que Dieu tait l'me, se mouvoir continuellement, c'est pourquoi il faut, au-dessus de cette substance qui est l'me du monde, s'il y en a une, une autre substance suprieure, jointe aucun corps, et subsistante par soi.

Illi autem qui posuerunt omnem substantiam corpori unitam, ex hoc videntur fuisse decepti quod materiam credebant causam subsistentiae et individuationis in omnibus entibus, sicut est in rebus corporalibus ; unde substantias incorporeas non credebant posse subsistere nisi in corpore, sicut etiam per modum obiectionis tangitur in Comment. Lib. de causis.

Mais ceux qui ont pens que toute substance tait unie un corps, semblent de ce fait s'tre tromps, parce qu'ils croyaient que la matire tait la cause de la subsistance et de l'individuation dans tous les tres, comme c'est le cas dans les corps, c'est pourquoi ils croyaient que les substances incorporelles ne pouvaient subsister que dans un corps, comme on en parle par manire d'objection dans le commentaire du livre Des Causes.

C. - His opinionibus abiectis, Plato et Aristoteles posuerunt aliquas substantias esse incorporeas ; et earum quasdam esse corpori coniunctas, quasdam vero nulli corpori coniunctas. Plato namque posuit duas substantias separatas, scilicet Deum patrem totius universitatis in supremo gradu ; et postmodum mentem ipsius, quam vocabat paternum intellectum, in qua erant rerum omnium rationes vel ideae, ut Macrobius narrat [lib. 1 super Somnium Scipionis]. Substantias autem incorporeas corporibus unitas ponebat multiplices : quasdam quidem coniunctas caelestibus corporibus, quas Platonici deos appellabant ; quasdam autem coniunctas corporibus aeris, quas dicebant esse daemones. Unde Augustinus in VIII de civitate Dei [cap. XVI], introducit hanc definitionem daemonum ab Apuleio datam : daemones sunt animalia mente rationalia, animo passiva, corpore aerea, tempore aeterna. Et omnibus praedictis substantiis incorporeis, ratione suae sempiternitatis, gentiles Platonici dicebant cultum divinitatis exhibendum. Ponebant etiam ulterius substantias incorporeas grossioribus terrae corporibus unitas, terrenis scilicet et aqueis, quae sunt animae hominum et aliorum animalium.

C. Ces opinions une fois rejetes, Platon et Aristote ont pens qu'il y avait des substances incorporelles, et que certaines d'entre elles taient unies un corps, certaines non. Platon, en effet, a pos deux substances spares, savoir Dieu, le pre de tout l'univers, au degr suprme, et ensuite son esprit, qu'il appelait l'intellect paternel, en qui il y a avait toutes les raisons ou ides des choses, comme Macrobe[687] le raconte dans Le songe de Scipion (1). Mais il pensait que les substances incorporelles unies ces corps taient multiples, certaines unies aux corps clestes, que les Platoniciens appelaient des dieux ; certaines unies des corps ariens, qu'ils appelaient des dmons. C'est pourquoi Augustin (La cit de Dieu VIII, 16) rapporte cette dfinition des dmons donne par Apule[688] : Les dmons sont des tres anims l'esprit dou de raison, passifs par l'me, ariens par le corps, ternels dans le temps. Et pour toutes ces substances incorporelles, en raison de leur ternit, les Platoniciens paens disaient qu'il fallait leur rendre un culte divin. Mais ils plaaient plus loin des substances incorporelles unies des corps de terre plus grossiers, savoir terreux ou aqueux, que sont les mes des hommes et des autres tres anims.

Aristoteles autem in duobus cum Platone concordat, et in duobus differt. Concordat quidem in ponendo supremam substantiam nec corpoream nec corpori unitam ; et iterum in ponendo caelestia corpora esse animata. Differt autem in hoc quod ponebat plures substantias incorporeas corpori non unitas, scilicet secundum numerum caelestium motuum ; et iterum in hoc quod non ponit esse aliqua animalia aerea ; quod rationabilius posuit.

Aristote est en accord sur deux points avec Platon, et en dsaccord sur deux autres. Il est d'accord quand il pense que la substance suprme n'est ni corporelle, ni unie un corps, et nouveau quand il pense que les corps clestes sont anims. Il est en dsaccord sur le fait qu'il pensait qu'il y avait plusieurs substances incorporelles non unies un corps, savoir selon le nombre des mouvements clestes ; et nouveau dans le fait qu'il ne pense pas qu'il y ait des tres anims ariens ; sa pense est plus raisonnable.

Quod patet ex tribus. Primo quidem, quia corpus mixtum nobilius est corpore elementari, et maxime quantum ad formam : quia elementa mixtorum corporum materia sunt. Unde oportet quod substantiae incorporeae, quae sunt nobilissimae formae, corporibus mixtis uniantur, et non puris elementis. Nullum autem corpus mixtum esse potest, in quo terra et aqua non magis abundent secundum materiae quantitatem, cum etiam superiora elementa magis habeant de virtute activa, utpote magis formalia. Si autem haec in quantitate excederent, non servaretur aliqua proportio debita mixtionis, quia superiora omnino vincerent inferiora. Et ideo non potest esse quod substantiae incorporeae uniantur ut formae corporibus aereis, sed corporibus mixtis, in quibus materialiter superabundet terra et aqua.

Ce qui apparat par trois raisons :1) Parce que le corps mixte est plus noble que le corps lmentaire, surtout pour la forme, parce que les lments sont la matire des corps mixtes. C'est pourquoi il faut que les substances incorporelles qui sont les formes les plus nobles soient unies des corps mixtes et non de purs lments. Car il ne peut y avoir aucun corps mixte, en qui la terre et l'eau n'abondent pas plus selon la quantit de matire, puisque les lments suprieurs ont davantage de puissance active, en tant que plus formels. Mais s'ils dpassaient en quantit, la proportion due aux mixtes ne serait pas conserve, parce que les suprieurs craseraient compltement les infrieurs. Et c'est pourquoi il n'est pas possible que les substances incorporelles soient unies comme formes des corps ariens, mais des corps mixtes, dans lesquels la terre et l'eau sont matriellement en abondance.

Secundo, quia corpus homogeneum et uniforme oportet quod habeat eamdem formam in toto et in partibus. Totum autem aeris corpus videmus esse unius naturae ; unde oportet, si substantiae aliquae spirituales aliquibus partibus aeris sunt unitae, quod etiam toti aeri uniantur : et sic totus aer erit animal, quod irrationabiliter dici videtur ; quamvis et hoc quidam antiqui ponerent, ut dicitur in I de Anima [com. 20], qui dicebant aerem totum esse plenum diis.

2) Parce qu'un corps homogne et uniforme doit avoir une mme forme en son tout et en ses parties. Mais nous voyons que tout le corps de l'air est d'une seule nature ; c'est pourquoi il faut si certaines substances spirituelles sont unies aux parties de l'air, qu'elles soient unies aussi la totalit de l'air, et ainsi tout l'air sera un tre anim, ce qui semble nonc contre la raison ; quoique aussi cela certains anciens l'aient pens, comme il est dit dans l'me (I, 411 a 8[689]) : ils disaient que tout l'air tait plein de dieux.

Tertio, quia si substantia spiritualis non habet in se aliam potentiam quam intellectum et voluntatem, frustra corpori unitur, cum hae operationes absque corpore compleantur : omnis enim forma corporis corporaliter aliquam actionem efficit. Si autem habent alias potentias, quod videntur Platonici sensisse de daemonibus, dicentes eos esse animo passivos,- cum autem passio non sit nisi in parte animae sensitiva, ut probatur in VII Phys.,- oportet quod tales substantiae corporibus organicis uniantur, ut actiones talium potentiarum per determinata organa exequantur. Tale autem non potest esse corpus aereum, eo quod non est figurabile. Unde patet quod substantiae spirituales non possunt aereis corporibus naturaliter esse unitae.

3) Parce que si la substance spirituelle n'a pas en soi une autre puissance que l'intellect et la volont, elle est unie en vain un corps, puisque ces oprations sont accomplies sans corps ; car toute forme du corps accomplit une action corporellement. Mais s'ils ont d'autres puissances (ce que semblent penser les Platoniciens des dmons, disant qu'ils ont l'me passive, puisque la passion n'est que dans une partie de l'me sensitive, comme on le prouve en Physique, (VII, 3, 248 a 6), il faut que de telles substances soient unies des corps organiques, pour que les actions de telles puissances soient excutes par les organes dtermins. Mais tel ne peut pas tre le corps arien, puisqu'on ne peut pas le figurer. C'est pourquoi il est clair que les substances spirituelles ne peuvent pas tre unies naturellement des corps ariens.

Utrum autem aliquae substantiae incorporeae sint caelestibus corporibus unitae ut formae, Augustinus sub dubio relinquit [in II super Gen. ad litteram, cap. ult]. Hieronymus autem asserere videtur (super illud Eccle. I : Lustrans universa per circuitum spiritus), et etiam Origenes [I Periarch., cap. VII]. Quod tamen a pluribus modernorum reprobatum videtur, propter hoc quod cum numerus beatorum ex solis hominibus et Angelis secundum Scripturam divinam constituatur, non possent illae substantiae spirituales nec inter hominum animas computari, nec inter Angelos, qui sunt incorporei. Sed tamen Augustinus [in Enchir., cap. LVIII] hoc etiam sub dubio relinquit sic dicens : Nec illud quidem certum habetur, utrum ad eamdem societatem, scilicet Angelorum, pertineat sol, luna et cuncta sidera ; quamvis nonnullis lucida esse corpora non cum sensu vel intelligentia videantur. Sed in hoc certissime, a doctrina tam Platonis quam Aristotelis, doctrina fidei discordat, quod ponimus multas substantias penitus corporibus non unitas, plures quam aliquis eorum ponat.

D. Des substances incorporelles sont-elles unies aux corps clestes en tant que formes, Augustin en doute (La Gense au sens littral, II, dernier chapitre[690]). Jrme semble l'affirmer (sur cette parole de l'Eccl., 1 : Illuminant toutes choses par le cercle de l'esprit et Origne aussi (Peri archn, I, ch. 7). Ce qui cependant est dsapprouv par plusieurs modernes, parce que, comme le nombre des bienheureux est constitu selon l'criture sainte seulement des hommes et des anges, ces substances spirituelles ne peuvent tre comptes ni parmi les mes humaines, ni parmi les anges qui sont sans corps. Mais cependant Augustin (Enchiridion, 58[691]), garde un doute, en disant : On ne considre pas comme certain, que le soleil, la lune et les autres astres appartiennent une mme socit (c'est--dire celle des anges). Quoique pour certains les corps paraissent lumineux, non dpourvus de sens ni d'intelligence. Mais en cela, trs certainement, la doctrine de la foi est en dsaccord avec celle tant de Platon que d'Aristote, parce que nous pensons que les nombreuses substances qui ne sont pas totalement unies des corps, sont plus nombreuses que chacun d'eux le pense.

Quae quidem positio etiam rationabilior videtur propter tria. Primo quidem, quia sicut corpora superiora digniora sunt inferioribus, ita substantiae incorporeae corporibus sunt etiam digniores ; corpora autem superiora in tantum inferiora excedunt, quod terra habet comparationem ad caelum sicut punctum ad sphaeram, ut astrologi probant. Unde et substantiae incorporeae sicut Dionysius dicit [cap. XIV caelst. Hier.], omnem multitudinem materialium specierum transcendunt ; quod significatur Daniel. VII, 10, cum dicitur : Millia millium ministrabant ei, et decies millies centena millia assistebant ei. Quod quidem affluentiae divinae bonitatis concordat, ut scilicet ea quae nobiliora sunt illa copiosius in esse producat. Et cum superiora ab inferioribus non dependeant, nec ad ea limitentur eorum virtutes, non oportet illa solum in superioribus ponere quae per inferiores effectus manifestantur.

Cette opinion aussi semble plus rationnelle pour trois raisons. 1) Parce que, de mme que les corps suprieurs sont plus dignes que les corps infrieurs, de mme les substances incorporelles sont aussi plus dignes que les corps mais les corps suprieurs dpassent les infrieurs, tellement que la terre est compare au ciel, comme le point la sphre, comme les astrologues le prouvent. C'est pourquoi, les substances incorporelles, comme Denys le dit (La hirarchie cleste, 14) dpassent toute la multitude des espces matrielles ; ce que montre Daniel (Daniel, 7, 10) quand il est dit : Mille milliers le servaient, et des dizaines de centaines de milliers taient devant lui[692]. Cela concorde avec la profusion de la bont divine : il amne l'tre plus abondamment ce qui est plus noble. Et comme les suprieurs ne dpendent pas des infrieurs, et que leurs pouvoirs ne se limitent pas eux ; il ne faut pas placer seulement parmi les suprieurs ce qui se manifeste par des effets infrieurs.

Secundo autem quia rerum naturalium ordine, inter naturas distantes multi gradus medii inveniuntur, sicut inter animalia et plantas inveniuntur quaedam animalia imperfecta, quae et cum plantis communicant quantum ad fixionem, et cum animalibus quantum ad sensum. Cum ergo substantia suprema, quae Deus est, a corporum natura maxime distet, rationabile videtur quod multi gradus naturarum inter utraque inveniantur, et non solum illae substantiae quae sunt principia motuum.

2) Parce que dans l'ordre des choses naturelles, parmi les natures diffrentes, on trouve de nombreux degrs intermdiaires. Ainsi entre les animaux et les plantes, on trouve certains animaux imparfaits qui ressemblent aux plantes du fait qu'ils sont fixes, et aux animaux du fait qu'ils prouvent des sensations. Donc comme la substance suprme, qui est Dieu, est extrmement diffrente de la nature des corps, il semble conforme la raison qu'on trouve beaucoup de degrs entre chacune des natures et non seulement ces substances qui sont les principes des mouvements.

Tertio, quia cum Deus non solum universalem providentiam de rebus corporalibus habeat, sed etiam ad res singulas eius providentia se extendat, in quibus interdum, ut dictum est, praeter ordinem causarum universalium operatur,- non solum oportet ponere substantias incorporeas Deo deservientes in universalibus causis naturae, quae sunt motus corporum caelestium, sed etiam in aliis quae Deus particulariter in singulis operatur, et praecipue quantum ad homines, quorum mentes caelestibus motibus non subiiciuntur. Sic ergo, fidei veritatem sequendo, dicimus Angelos et daemones non habere corpora naturaliter unita, sed omnino incorporeos, sicut dicit Dionysius.

3) Parce que, comme Dieu non seulement a une providence universelle, sur les corps, mais encore qu'elle s'tend aussi aux tres particuliers, en qui, parfois, comme on l'a dit, il opre en dehors de l'ordre des causes universelles, non seulement il faut placer des substances incorporelles qui le servent dans les causes universelles de la nature, que sont les mouvements des corps clestes, mais aussi dans d'autres choses o Dieu opre particulirement dans les choses particulires et surtout pour les hommes dont les esprits ne sont pas soumis aux mouvements clestes. Ainsi donc, en suivant la vrit de la foi, nous disons que les anges et les dmons n'ont pas de corps unis naturellement, mais ils sont tout fait incorporels, comme le dit Denys.

 

Solutions :

q. 6 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in pluribus locis suorum librorum, quantum ad corpora Angelorum et daemonum, absque assertione utitur Platonicorum sententia. Unde et XXI de Civit. Dei [cap ; X], utramque opinionem prosequitur de poena daemonum tractans, et eorum scilicet qui dicebant daemones aerea corpora habere, et eorum qui dicebant eos esse penitus incorporeos. Gregorius vero Angelum animal appellat, large sumpto animalis vocabulo pro quolibet vivente.

 1. Augustin en plusieurs endroits de ses ouvrages, au sujet du corps des anges et des dmons, se sert, sans l'affirmer, de la formule des Platoniciens. C'est pourquoi au livre XXI de La Cit de Dieu, (ch. 10), il suit deux opinions en traitant du chtiment des dmons, celle de ceux qui disaient que les dmons ont des corps ariens, et celle de ceux qui disaient qu'ils taient tout fait incorporels. Mais Grgoire appelle l'ange un animal, ce mot tant pris au sens large pour un tre vivant.

q. 6 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Origenes in pluribus Platonicorum opinionem sectatur ; unde huius opinionis fuisse videtur quod omnes substantiae creatae incorporeae sint corporibus unitae, quamvis etiam hoc non asserat, sed sub dubitatione proponat, aliam etiam opinionem tangens.

 2. Origne suit en plusieurs points l'opinion des Platoniciens ; c'est pourquoi il semble qu'il a t de cette opinion que toutes les substances incorporelles cres sont unies des corps, bien qu'il ne l'affirme pas, mais il la met en doute, en rapportant aussi une autre opinion.

q. 6 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Dionysius absque dubio Angelos et daemones incorporeos esse voluit. Utitur autem metaphorice nomine furoris et concupiscentiae pro voluntate inordinata, et nomine phantasiae pro intellectu errante in eligendo, secundum quod malus omnis est ignorans, ut philosophus dicit in III Ethicorum, [cap. I] et Proverb. XIV, 22, dicitur : Errant qui operantur malum.

 3. Denys a voulu que les anges et les dmons soient sans aucun doute incorporels. Mais il se sert mtaphoriquement des noms de fureur et de concupiscence la place d'une volont sans ordre et du nom d'imagination pour un intellect errant dans ses choix, selon que tout mchant est ignorant, comme le Philosophe le dit (Ethique, III, 2, 1110 b 28[693]) et en Proverbes 14, 22, il est dit : Ils se trompent ceux qui font le mal.

q. 6 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si Angeli ponantur ex materia et forma compositi, non propter hoc oportet quod sint corporei ex ratione praedicta, nisi ponatur quod sit eadem materia Angelorum et corporum. Posset autem dici, quod esset alia materia corporum divisa, non quidem dimensionis divisione, sed per ordinem ad alterius generis formam, nam potentia actui proportionatur. Magis tamen credimus, quod non sint Angeli ex materia et forma compositi, sed sint formae tantum per se stantes. Nec oportet quod propter hoc non sint creati : forma enim est principium essendi ut quo aliquid est, cum tamen et esse formae et esse materiae in composito sit ab uno agente. Si ergo sit aliqua substantia creata quae sit forma tantum, potest habere principium essendi efficiens, non formale.

 4. Si les anges sont considrs comme composs de matire et de forme, ce n'est pas pour cette raison qu'il faut qu'ils soient corporels, sauf si on pense que c'est la mme matire pour les anges et les corps. Mais on pourrait dire qu'il y aurait une autre matire spare des corps, non par division de la dimension, mais par rapport une forme d'un autre genre, car la puissance est proportionne l'acte. Cependant nous croyons davantage que les anges ne sont pas composs de matire et de forme, mais qu'ils sont seulement des formes subsistantes par soi. Et il ne faut pas qu' cause de cela, ils n'aient pas t crs : car la forme est le principe d'tre, comme par quoi quelque chose existe, alors que cependant l'tre de la forme et celui de la matire est dans le compos par un seul agent. Si donc il y avait quelque substance cre qui soit seulement forme, elle peut avoir un principe d'tre efficient, non formel.

q. 6 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum philosophum [in II Phys.], etiam in causis formalibus prius et posterius invenitur ; unde nihil prohibet unam formam per alterius formae participationem formari ; et sic ipse Deus, qui est esse tantum, est quodammodo species omnium formarum subsistentium quae esse participant et non sunt suum esse.

 5. Selon le Philosophe (Physique, II), mme dans les causes formelles, on trouve un avant et un aprs : c'est pourquoi rien n'empche qu'une forme soit forme par la participation d'une autre forme ; et ainsi Dieu lui-mme qui est tre seulement, est d'une certaine manire la forme (species) de toutes les formes subsistantes qui participent de l'tre et ne sont pas son tre.

q. 6 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virtus Angeli, secundum naturae ordinem, est superior, et per consequens universalior quam virtus animae humanae : unde non poterat habere corporeum organum sibi sufficienter respondens ad actiones quibus in exteriora corpora agit ; ideo non debuit aliquibus corporeis organis alligari, sicut anima per unionem ligatur.

 6. La pouvoir de l'ange, dans l'ordre de la nature, est suprieur et par consquent plus universel que le pouvoir de l'me humaine ; c'est pourquoi il ne pouvait pas avoir un organe corporel qui rponde suffisamment ses actions par lesquelles il agit sur les corps extrieurs. Aussi il ne dut pas tre li quelques organes corporels, comme l'me est lie par union.

q. 6 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod movens seipsum est primum inter mota, ratione moventis immobilis ; unde si movens immobile moveat sive corpus sibi naturaliter unitum, sive non, eadem prioritatis ratio manet.

 7. Ce qui se meut soi-mme est premier parmi ce qui est m en tant que moteur immobile ; c'est pourquoi si le moteur immobile meut le corps naturellement uni lui ou s'il ne le meut pas, la mme raison de priorit demeure.

q. 6 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod anima unita corpori vivificat corpus non solum effective, sed formaliter : sic autem corpus vivificare minus est quam per se vivere tantum, simpliciter loquendo. Nam anima hoc modo corpus vivificare potest, in quantum habet esse infimum, quod sibi et corpori potest esse commune in composito ex utroque. Esse autem Angeli cum sit altius, non potest hoc modo communicari corpori. Unde vivit tantum, et non vivificat formaliter.

 8. L'me unie un corps le vivifie, non seulement effectivement, mais formellement, mais vivifier ainsi un corps est moins que vivre par soi seulement, proprement parler. Car l'me peut de cette manire vivifier le corps, dans la mesure o il a un tre faible, qui peut tre commun elle et au corps, dans le compos des deux. Mais comme l'tre de l'ange est plus lev, il ne peut pas tre communiqu de cette manire un corps. C'est pourquoi il vit seulement et il ne le vivifie pas formellement.

q. 6 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod retrogradatio quae videtur in planetis, et statio et directio non provenit ex difformitate motus unius et eiusdem mobilis, sed ex diversis motibus diversorum mobilium, vel ponendo eccentricos et epicyclos secundum Ptolomaeum vel ponendo diversitatem motuum secundum diversitates polorum, sicut alii posuerunt. Et tamen si etiam difformiter moverentur caelestia corpora, per hoc non magis ostenderetur quod moverentur a motore voluntario coniuncto quam quod a separato.

 9. La recul, l'immobilit et le mouvement rectiligne qu'on voit dans les plantes, ne proviennent pas de la difformit d'un seul mouvement et d'un mme mobile, mais de diffrents mouvements, de diffrents mobiles, ou en posant des excentriques et des picycles selon Ptolme[694] ou la diversit des mouvements selon la diversit des ples, comme d'autres l'ont pens. Et cependant si les corps clestes taient mus aussi d'une faon diffrente, on ne montrerait pas plus par l qu'ils sont mus par un moteur volontaire joint que par un moteur spar.

q. 6 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod corpora caelestia etiamsi non sint animata, moventur a substantia vivente separata, cuius virtute agunt, sicut instrumentum virtute principalis agentis ; et ex hoc causant in inferioribus vitam.

 10. Mme si les corps clestes ne sont pas anims, ils sont mus par une substance vivante spare, par son pouvoir ils agissent comme instrument pour le pouvoir de l'agent principal ; et c'est par cela qu'ils causent la vie dans les tres infrieurs.

q. 6 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod philosophus demonstrationes suas ad duas conclusiones sub disiunctione terminat, scilicet : quod mobilia vel reducuntur statim ad movens immobile, vel ad movens seipsum, cuius una pars est movens immobile ; quamvis ipse magis secundam partem praeeligere videatur. Si quis tamen primam partem eligat, nullum inconveniens ex suis demonstrationibus sequetur.

 11. Le Philosophe termine ses dmonstrations par deux conclusions spares, savoir que les mobiles sont ramens aussitt ou bien un moteur immobile, ou ce qui se meut soi-mme, dont une partie est un moteur immobile ; quoique lui-mme semble prfrer la seconde solution. Cependant si quelqu'un choisit la premire, rien d'inconvenant ne dcoule de ses dmonstrations.

q. 6 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod id quod est supremum in corporibus, attingit ad infimum spiritualis naturae per aliquam participationem proprietatum eius sicut per hoc quod est incorruptibile, non autem per hoc quod ei uniatur.

 12. Ce qui est le plus haut dans les corps touche au plus bas de la nature spirituelle, par une participation de ses proprits, par le fait qu'il est incorruptible mais non par le fait qu'il lui est uni.

q. 6 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod corpus humanum quantum ad materiam ignobilius est caelesti corpore, sed corpus humanum formam habet nobiliorem, si corpora caelestia sunt inanimata. Nobiliorem tamen dico secundum se, non tamen secundum quod corpus format. Perfectiori enim modo forma caeli perficit materiam, cui praebet esse incorruptibile, quam anima rationalis corpus. Hoc autem ideo est, quia substantia spiritualis quae movet caelum, est altioris dignitatis quam ut corpori uniatur.

 13. Le corps humain, quant sa matire, est moins noble que le corps cleste, mais il a une forme plus noble, si les corps clestes sont inanims. Je la dis cependant plus noble en soi, non cependant selon qu'elle met en forme le corps. Car la forme du ciel achve la matire, qui elle fournit un tre incorruptible par un mode plus parfait que l'me rationnelle achve le corps. C'est pour cela, que la substance spirituelle qui meut le ciel, est d'une plus grande dignit que d'tre unie un corps.

q. 6 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod aerea corpora esse non possunt, rationibus praedictis.

 14. Les corps ariens ne peuvent pas exister pour les raisons qu'on a dj donnes.

q. 6 a. 6 ad 15 Et per hoc patet responsio ad decimumquintum quod procedit de opinione Platonis.

 15. Et par l apparat la rponse la quinzime objection qui procde de l'opinion de Platon.

q. 6 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Angelus non movetur commensurando se spatio, sicut corpora moventur, sed aequivoce motus dicitur de motu Angelorum et de motu corporum.

 16. L'ange n'est pas m en se mesurant l'espace, comme les corps, mais le mouvement des anges et celui des corps est appel mouvement de manire quivoque.

q. 6 a. 6 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod verbum Dei non unitur corpori ut forma, quia sic fieret una natura ex verbo et carne : quod est haereticum.

 17. Le Verbe de Dieu n'est pas uni un corps comme une forme, parce qu'ainsi le Verbe et la chair deviendraient une seule nature, ce qui est hrtique.

q. 6 a. 6 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Porphyrius in hoc opinionem Platonis sequitur, quod deos nominat daemones, quos ponebant animalia, et etiam corpora caelestia.

 18. Porphyre suit sur ce point l'opinion de Platon : il appelle les dmons des dieux, qu'ils pensaient tre des tres anims et les corps clestes aussi.

 

 

 

Article 7 Les anges ou les dmons peuvent-ils assumer un corps ?

q. 6 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum Angeli vel daemones possint corpus assumere. Et videtur quod non.

Il semble que non[695].

 

Objections :

q. 6 a. 7Arg. 1 Corpus enim substantiae incorporeae unitum esse non potest, nisi vel quantum ad esse, vel quantum ad motum. Sed Angeli non possunt habere unita sibi corpora quantum ad esse, quia sic essent eis naturaliter unita : quod est contra praedicta [art. 6]. Ergo relinquitur quod non possint corporibus uniri, nisi in quantum movent ea. Sed hoc non sufficit ad rationem assumptionis ; quia sic Angelus et daemon assumeret omne corpus quod movet, quod patet esse falsum ; movit enim Angelus linguam asinae Balaam, nec tamen dicitur eam assumpsisse. Ergo non potest dici, quod Angelus vel daemon corpus assumat.

1. Car un corps ne peut tre uni une substance incorporelle que pour l'tre ou le mouvement. Mais les anges ne peuvent avoir des corps qui leur seraient unis pour l'tre, puisque ainsi, ils leur seraient unis naturellement, ce qui est contre ce qui a t dit (article 6). Donc il reste qu'ils ne pourraient tre unis des corps, que dans la mesure o ils les meuvent. Mais cela ne suffit pas pour les assumer, parce qu'ainsi l'ange et le dmon assumerait tout corps qu'il meut, ce qui parait faux, car un ange a mis en mouvement la langue de l'ne de Balaam, et cependant on ne dit pas qu'il l'ait assume. Donc on ne peut pas dire que l'ange ou le dmon assume un corps.

q. 6 a. 7Arg. 2 Praeterea, si Angeli vel daemones corpora assumant, hoc non est propter eorum necessitatem, sed vel propter nos instruendos quantum ad bonos, vel decipiendos quantum ad malos. Sed ad utrumque sufficit sola imaginaria visio. Ergo non videtur quod corpora assumant.

2. Si les anges ou les dmons assument des corps, ce n'est pas par ncessit pour eux, mais pour que les bons anges nous instruisent ou que les mchants nous trompent. Mais dans l'un et l'autre cas, il suffit d'une vision imaginaire. Donc il ne semble pas qu'ils assument des corps.

q. 6 a. 7Arg. 3 Praeterea, Deus in veteri testamento patribus apparuit, sicut et Angeli apparuisse leguntur, ut Augustinus probat [in III de Trin., cap. XI et XII]. Sed non est dicendum quod Deus corpus assumpserit, nisi per mysterium incarnationis. Ergo nec Angeli apparentes corpora assumunt.

3. Dans l'Ancien Testament, Dieu apparut aux Pres, de mme on lit que les anges apparurent, comme Augustin le prouve (La Trinit, III, 11 et 12). Mais il ne faut pas dire que Dieu a assum un corps, sinon par le mystre de l'Incarnation. Donc les anges qui apparaissent n'assument pas de corps.

q. 6 a. 7Arg. 4 Praeterea, sicut uniri corpori naturaliter convenit animae, ita non esse unitum naturaliter convenit Angelo. Sed anima non potest a corpore separari cum vult. Ergo nec Angelus potest corpus assumere.

4. tre uni naturellement un corps convient l'me, de mme ne pas tre uni naturellement convient l'ange ; mais l'me ne peut pas tre spare du corps quand elle veut. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.

q. 6 a. 7Arg. 5 Praeterea, nulla substantia finita potest simul in plures operationes. Angelus est quaedam substantia finita. Non potest ergo simul et nobis ministrare et corpus assumere.

5. Aucune substance finie ne peut tre en mme temps dans plusieurs oprations. Mais l'ange est une substance finie. Donc il ne peut pas en mme temps s'occuper de nous et assumer un corps.

q. 6 a. 7Arg. 6 Praeterea, inter assumens et assumptum debet esse aliqua proportio. Sed inter Angelum et corpus non est aliqua proportio, cum sint omnino generum diversorum, et per consequens incompossibilia. Ergo Angelus non potest assumere corpus.

6. Entre ce qui assume et ce qui est assum, il doit y avoir un rapport. Mais entre l'ange et le corps, il n'y en a aucun, puisqu'ils sont de genres tout fait diffrents, et par consquent incompatibles entre eux. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.

q. 6 a. 7Arg. 7 Praeterea, si Angelus assumit corpus : aut corpus caeleste, aut aliquod de natura quatuor elementorum. Non quidem corpus caeleste, cum corpus caeli dividi non possit, nec a loco suo divelli ; similiter nec corpus igneum, quia sic consumeret alia corpora quibus adhaereret ; nec aereum, quia aer non est figurabilis ; nec aqueum, aqua enim figuram non retinet ; similiter autem nec terrenum, cum subito dispareant, ut patet de Angelo Tobiae. Ergo nullo modo corpus assumunt.

7. Si l'ange assume un corps : ou c'est un corps cleste, ou quelque chose de la nature des quatre lments. Ce n'est certes pas un corps cleste, puisque celui-ci ne pourrait pas tre divis, ni enlev de son lieu ; ni non plus de la mme manire un corps ign, parce qu'ainsi il consumerait les autres corps auxquels il s'attacherait ; ni arien, parce l'air n'est pas susceptible de recevoir une figure ; ni aqueux, car l'eau ne retient pas de figure, ni terrestre non plus, puisqu'il disparat aussitt, comme on le voit pour l'ange de Tobie (XII, 21). Donc ils n'assument en aucune manire un corps.

q. 6 a. 7Arg. 8 Praeterea, omnis assumptio ad aliquam unionem terminatur. Sed ex Angelo et corpore non potest fieri unum aliquo illorum trium modorum unitatis quos ponit philosophus in I Physic. : non enim possunt fieri unum continuatione, neque indivisibilitate, neque ratione. Ergo Angelus non potest corpus assumere.

8. Toute assomption se termine une union. Mais l'ange et le corps ne peuvent devenir un par l'un de ces trois modes d'unit, que signale le Philosophe en Physique, (I, 2, 185 b 5[696]) ; car ils ne peuvent devenir un ni par continuit, ni par indivisibilit, ni logiquement. Donc l'ange ne peut assumer un corps.

q. 6 a. 7Arg. 9 Praeterea, si Angeli corpus assumunt, aut corpora ab eis assumpta habent veras species quae videntur aut non. Si quidem habent veras species, cum ergo quandoque videantur in specie hominis, corpus ab eis assumptum erit verum corpus humanum : quod est impossibile, nisi dicatur quod Angelus assumit hominem ; quod videtur inconveniens. Si autem non sunt verae species, hoc etiam inconveniens videtur ; non enim decet aliqua fictio Angelos veritatis. Nullo ergo modo Angelus corpus assumit.

9. Si les anges assument un corps, les corps qu'ils assument ont des formes qui paraissent relles ou pas. Dans le premier cas, comme donc quelquefois on les voit sous la forme d'un homme, le corps assum par eux sera un vrai corps d'homme, ce qui est impossible, moins qu'on dise que l'ange assume un homme, ce qui ne semble pas convenir. Mais si ce ne sont pas des formes vritables, cela semble ne pas convenir non plus, car feindre la vrit ne convient pas aux anges. Donc en aucune manire l'ange ne peut prendre un corps.

q. 6 a. 7Arg. 10 Praeterea, sicut supra habitum est.[art. 3, 4, et 5 huius quaest.] Angeli et daemones virtute suae naturae non possunt facere in istis corporibus effectus aliquos, nisi mediantibus virtutibus naturalibus. Sed virtutes naturales non insunt rebus corporalibus ad formandum speciem humani corporis, nisi per determinatum modum generationis, et nisi ex determinato semine : qualiter constat quod Angeli corpus non assumunt ; et eadem ratio est de aliis formis corporum in quibus Angeli aliquando apparent. Ergo non potest esse hoc, per hoc quod Angeli assumant corpora.

10. Comme on l'a vu plus haut (art. 3, 4 et 5 de cette question) les anges et les dmons ne peuvent, par le pouvoir de leur nature, produire des effets dans ces corps que par l'intermdiaire des pouvoirs naturels. Mais ceux-ci ne sont dans les corps pour former l'aspect du corps humain, que par un mode dtermin de gnration, et que par une semence dtermine. De cette manire il est bien certain que les anges n'assument pas un corps ; et c'est la mme raison pour les autres formes des corps dans lesquels les anges apparaissent quelquefois. Donc, ainsi il n'est pas possible que les anges assument un corps.

q. 6 a. 7Arg. 11 Praeterea, oportet quod movens aliquid influat corpori moto. Non potest autem influere, nisi aliquo modo contingat. Cum ergo non possit esse contactus Angelorum ad corpora, videtur quod non possit movere, et per consequens nec assumere.

11. Il faut que le moteur insinue quelque chose dans le corps m. Mais il ne le peut que s'il y arrive par quelque moyen. Donc, comme il ne serait pas possible qu'il y ait un contact des anges avec les corps, il semble qu'il ne puisse ni mouvoir, ni par consquent assumer.

q. 6 a. 7Arg. 12 Sed dicendum quod Angeli imperio solo movent corpus motu locali.- Sed contra, movens et motum oportet esse simul, ut probatur in VII Phys. [com. 10 usque ad 13]. Sed ex hoc quod Angelus aliquid imperat voluntate sua, non est simul cum corpore quod per ipsum moveri dicitur. Ergo solo imperio movere non potest.

12. Mais il faut dire que les anges par leur seul pouvoir meuvent les corps d'un mouvement local. En sens contraire, le moteur et le m doivent tre ensemble, comme c'est prouv en Physique (VII, 2, 242 b 6 245 b 15). Mais du fait que l'ange commande quelque chose par sa volont, il n'est pas en mme temps avec le corps qu'on dit qu'il meut. Donc par son seul commandement il ne peut pas mouvoir.

q. 6 a. 7Arg. 13 Praeterea, motus corporalis non obedit Angelis ad nutum quantum ad sui formationem, sicut supra habitum est. Figura autem quaedam forma est. Ergo non potest, solo imperio Angeli, corpus aliquod figurari ut habeat effigiem hominis aut alicuius huiusmodi, in quo Angelus appareat.

13. Le mouvement corporel n'obit pas au commandement des anges pour tre form, comme on l'a dit plus haut (art. 3, 4 et 5 de cette question). Mais la figure est une forme. Donc, par le seul pouvoir de l'ange, un corps ne peut pas tre model pour avoir une forme humaine ou quelque chose de ce genre, en qui l'ange apparat.

q. 6 a. 7Arg. 14 Praeterea, super illud Ps. X, 4 : dominus in templo sancto suo, dicit Glossa [interlinearis], quod etsi daemones exterius simulacris praesideant, intus tamen esse non possunt ; et eadem ratione nec in aliis corporibus. Sed si corpora assumunt, oportet eos in corporibus assumptis esse. Ergo non est dicendum, quod corpora assumant.

14. Sur le Ps. 10, 4 : Le Seigneur dans son temple saint, la glose interlinaire dit que, mme si les dmons commandaient aux statues l'extrieur, cependant ils ne le peuvent pas l'intrieur ; et pour la mme raison dans les autres corps non plus. Mais s'ils assument un corps, il faut qu'ils soient en lui. Donc on ne doit pas dire qu'ils l'assument.

q. 6 a. 7Arg. 15 Praeterea, si assumunt aliquod corpus, aut toti corpori uniuntur, aut alicui parti eius : si solum alicui parti, non poterunt totum corpus movere, nisi unam partem moveant altera mediante ; quod non videtur posse contingere, nisi corpus assumptum habeat partes organicas determinatas ad motum, quod est solum corporum animatorum. Si autem toti corpori uniuntur immediate, oportet quod sit in qualibet parte corporis assumpti Angelus ; et constat quod totus, cum sit impartibilis. Ergo erit in pluribus locis simul : quod est solius Dei. Non ergo Angelus potest corpus assumere.

15. S'ils assument un corps, ou bien ils sont unis tout le corps ou bien une de ses parties. Si c'est seulement une partie, ils n'ont pu mouvoir tout le corps, qu'en mettant en mouvement une partie par l'intermdiaire d'une autre ; ce qui ne semble pas pouvoir arriver, moins que le corps assum ait des parties organiques dtermines au mouvement, ce qui appartient seulement des corps qui donnent vie. Mais s'ils sont unis tout le corps sans intermdiaire, il faut qu'il soit dans une quelconque partie du corps assum, et il est vident que c'est le tout, puisqu'il n'est pas divisible en parties. Donc il sera dans plusieurs endroits en mme temps ; ce qui n'appartient qu' Dieu seul. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 7 s. c. Sed contra est quod legitur de Angelis apparentibus Abrahae, ut habetur in Gen. XVIII, v. 2, qui in corporibus assumptis apparuerunt ; et similiter de Angelo qui Tobiae apparuit.

On lit au sujet des anges apparus Abraham, comme on le voit en Gn. 18, 2, qu'ils apparurent dans des corps qu'ils avaient assums. Et de mme pour l'ange qui apparut Tobie (Tob. 3, 25).

 

Rponse :

q. 6 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod quidam eorum qui sacrae Scripturae credunt, in qua apparitiones Angelorum leguntur, dixerunt quod Angeli nunquam corpora assumunt, sicut patet de Rabbi Moyse, qui hanc opinionem ponit ; unde dicit, quod omnia quaecumque in sacra Scriptura leguntur de apparitione Angelorum, contingunt in visione prophetiae, secundum scilicet imaginariam visionem, quandoque quidem in vigilando, quandoque vero in dormiendo.

Certains de ceux qui croient l'criture sainte, o on lit qu'il y eut des apparitions d'anges, ont dit que les anges n'assument jamais un corps, comme c'est clair chez Rabbi Moyses, qui a mis cette opinion : c'est pourquoi il dit que tout ce qu'on lit dans l'criture sainte sur l'apparition des anges arrive en vision prophtique, selon une vision apparemment imaginaire, le prophte tant quelquefois veill, mais quelquefois endormi.

Et haec positio veritatem Scripturae non salvat. Ex ipso enim modo loquendi quo Scriptura utitur, datur intelligi quid significetur ut res gesta, et quid per modum propheticae visionis. Cum enim aliqua apparitio per modum visionis debeat intelligi, ponuntur aliqua verba ad visionem pertinentia : sicut quod dicitur Ezech. cap. VIII, 3 : Elevavit me spiritus inter caelum et terram, et adduxit me in Ierusalem in visionibus Domini. Unde patet quod illa quae fieri simpliciter narrantur simpliciter etiam intelligi debent esse gesta. Sic autem legitur de pluribus apparitionibus in veteri testamento.

Et cette opinion ne garde pas la vrit de l'criture. Car par la manire mme de parler dont elle use, il est donn comprendre ce qu'elle signale comme rcit et [dautre part] ce qui dpend d'une vision prophtique. Car lorsqu'une apparition doit tre comprise comme une vision, il y a des mots qui s'y rapportent : comme ce qui est dit (Ez. 8, 3) : L'esprit m'a lev entre ciel et terre, et m'a conduit Jrusalem dans des visions divines. C'est pourquoi il est clair que ce qui est fait simplement est racont simplement et doit tre compris simplement comme une histoire. C'est ce qu'on le lit pour plusieurs apparitions dans l'Ancien Testament.

Unde simpliciter concedendum est quod Angeli quandoque corpus assumunt, formando corpus sensibile, exteriori sive corporali visioni subiectum ; sicut et quandoque aliquas species in imaginatione formando apparent secundum imaginariam visionem. Hoc autem conveniens est propter tres rationes :

C'est pourquoi il faut simplement concder que quelquefois les anges assument un corps, donnant forme un corps sensible, susceptible d'tre vu dans une vision extrieure ou corporelle, comme aussi quelquefois ils apparaissent en formant des images dans l'imagination selon une vision imaginaire. Cela convient pour trois raisons :

Primo quidem et principaliter, quia omnes illae apparitiones veteris testamenti ad illam apparitionem ordinantur in qua filius Dei visibilis mundo apparuit, ut Augustinus dicit [in III de Trin., cap. XI et XII. Unde cum filius Dei verum corpus assumpserit, et non phantasticum ut Manichaei fabulantur, conveniens fuit ut etiam vera corpora assumendo, Angeli hominibus apparerent.

1) Principalement parce que toutes ces apparitions de l'Ancien Testament sont ordonnes cette apparition en laquelle le Fils de Dieu apparut visiblement dans le monde, comme Augustin le dit (La Trinit, III, ch. 11 et 12). C'est pourquoi, quand le Fils de Dieu a pris un vrai corps, et non un corps imaginaire, comme les Manichens le racontent, il a t convenable que les anges aussi, en prenant de vrais corps, apparaissent aux hommes.

Secunda ratio potest sumi ex verbis Dionysii in epistola quam scribit ad Titum ; dicit enim quod ideo in divina Scriptura res divinae nobis sub sensibilibus traduntur, inter alias rationes, ut totus homo, quantum possibile est, ex participatione divinorum perficiatur, non solum intellectu capiendo intelligibilem veritatem, sed etiam in natura sensibili per sensibiles formas, quae sunt velut quaedam imagines divinorum. Unde similiter cum Angeli hominibus appareant ad eos perficiendos, conveniens est ut non solum intellectum illuminent per intellectualem visionem, sed quod etiam imaginationi provideant et exteriori sensui per imaginariam visionem, corporum scilicet assumptorum. Unde et haec triplex visio assignatur ab Augustino [XI super Genes. ad littral, cap. VII et XXIV

2) La seconde raison peut tre tire des paroles de Denys dans la lettre qu'il crivit Tite ; car il dit qu'ainsi, dans l'criture sainte, ce qui est divin nous est transmis sous des formes sensibles, parmi d'autres raisons, pour que tout l'homme, autant que c'est possible, soit achev par la participation du divin, non seulement en captant, par l'esprit, la vrit intelligible, mais aussi dans la nature sensible par les formes sensibles qui sont comme des images du divin. C'est pourquoi, de la mme manire, comme les anges apparaissent aux hommes pour les perfectionner, il convient que, non seulement ils clairent l'esprit, par une vision intellectuelle, mais encore pourvoient l'imagination, et la sensation extrieure par une vision imaginaire, savoir celles des corps assums. C'est pourquoi cette triple vision est concde par Augustin (La Gense au sens littral, XI, ch. 7 et 24).

Tertia ratio potest esse, quia etsi Angeli natura sint nobis superiores, per gratiam tamen adipiscimur eorum aequalitatem et societatem, sicut habetur Matth. XXII, 30 : Erunt sicut Angeli in caelo. Et ideo, ut suam familiaritatem et affinitatem ad nos ostendant, nobis suo modo per corporum assumptionem conformantur, ut quod nostrum est accipientes, nostrum intellectum in illud assurgere faciant quod proprium est ipsorum, sicut et filius Dei, dum ad nos descendit, ad sua nos elevavit. Daemones autem quando in Angelos lucis se transfigurant, quod boni Angeli ad nostrum profectum faciunt, ipsi ad deceptionem facere moliuntur.

3) Il peut y avoir une troisime raison, parce que, mme si les anges nous sont suprieurs en nature, nous obtenons cependant par grce l'galit et la communion avec eux, comme on le voit en Mt. 22, 30 : Ils seront comme les anges dans le ciel. Et c'est pourquoi pour nous montrer leur familiarit et leur affinit, ils se conforment nous leur manire en assumant un corps, pour que recevant ce qui est de nous, ils lvent notre esprit ce qui leur est propre, comme le Fils de Dieu, en descendant vers nous, nous lve ce qui lui est propre. Mais les dmons, quelquefois se transforment en anges de lumire, ce que les bons anges font pour notre progrs, eux travaillent le faire pour nous tromper.

 

Solutions :

q. 6 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non omne corpus quod movet Angelus assumit. Assumere enim dicitur quasi ad se sumere. Assumit ergo Angelus corpus non ut suae naturae uniat, sicut homo assumit cibum ; neque ut uniat suae personae, sicut filius Dei assumpsit humanam naturam ; sed ad suam repraesentationem, illo modo quo intelligibilia per sensibilia repraesentari possunt. Tunc ergo Angelus corpus assumere dicitur quando corpus aliquod hoc modo format quod ad repraesentationem suam est aptum ; sicut patet per Dionysium in fine Caelestis hierarchiae, [cap. V], ubi ostendit quod per corporales formas, Angelorum proprietates intelliguntur.

 1. L'ange n'assume pas tout corps qu'il meut. Car on dit assumer comme prendre pour soi. Donc l'ange assume le corps non pour s'unir sa nature, comme l'homme assume la nourriture, ni pour s'unir sa personne, comme le Fils de Dieu a assum la nature humaine ; mais pour sa reprsentation de cette manire par laquelle les intelligibles peuvent tre reprsents par les sensibles. Alors donc on dit que l'ange assume un corps quand il forme de cette manire un corps susceptible de le reprsenter ; comme cela est vident chez Denys la fin de la Hirarchie cleste (ch. 5), o il montre que par les formes corporelles, on comprend les proprits des anges.

q. 6 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non solum imaginaria visio est utilis ad nostram instructionem, sed etiam corporalis, ut dictum est.

 2. Non seulement la vision imaginaire est utile notre instruction, mais aussi la vision corporelle, comme on l'a dit.

q. 6 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut dicit Augustinus [in III de Trin.,cap. XI et XII], omnes Dei apparitiones quae in veteri testamento leguntur, factae sunt ministerio Angelorum, qui aliquas species vel imaginarias vel corporeas formant, per quas animum hominis videntis in Deum reducerent ; sicut et sensibilibus figuris possibile est hominem in Deum reduci. Corpora ergo apparentia, in apparitionibus praedictis Angeli assumpserunt ; sed in eis Deus apparuisse dicitur quia ipse Deus erat finis in quem, per repraesentationem huiusmodi corporum, Angeli mentem hominis elevare intendebant. Et ideo in illis apparitionibus Scriptura quandoque commemorat Deum apparuisse, quandoque Angelum.

 3. Comme le dit Augustin (La Trinit, III, ch. 11 et 12) toutes les apparitions de Dieu qu'on lit dans l'Ancien Testament, ont t ralises par le ministre des anges, qui forment des espces, imaginaires ou corporelles, par lesquelles ils ramnent Dieu l'me de l'homme qui les voit ; de mme il est possible que l'homme soit ramen Dieu par des figures sensibles. Donc les anges assument les corps apparents dans les apparitions dont on a parl, mais on dit que c'est Dieu qui est apparu parce qu'il tait lui-mme la fin pour laquelle, par la reprsentation des corps de ce genre, les anges tendaient lever l'esprit de l'homme. Et c'est pourquoi dans ces apparitions, l'Ecriture rappelle que quelquefois c'est Dieu qui est apparu, quelquefois c'est un ange.

q. 6 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nulla res habet potestatem supra suum esse : omnis enim rei virtus ab essentia eius fluit, vel essentiam praesupponit. Et quia anima per suum esse unitur corpori ut forma, non est in potestate eius ut ab unione corporis se absolvat ; et similiter non est in potestate Angeli quod se uniat corpori secundum esse ut formam ; sed potest corpus assumere modo praedicto, cui unitur ut motor, et ut figuratum figurae.

 4. Rien n'a de pouvoir au-dessus de son tre ; car tout pouvoir d'un tre dcoule de son essence, ou la prsuppose. Et parce que l'me par son tre est unie un corps comme une forme, il n'est pas en son pouvoir de se sparer du corps ; et semblablement il n'est pas au pouvoir de l'ange de s'unir un corps selon l'tre en tant que forme ; mais selon le mode dj dit, il peut assumer un corps, qui il est uni comme moteur, et comme le figur la figure.

q. 6 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod istae duae operationes, assumere corpus et ministrare, sunt ad invicem ordinatae ; et ideo nihil prohibet quin ea Angelus simul exequatur.

 5. Ces deux oprations : assumer un corps et servir sont ordonnes l'une l'autre ; et c'est pourquoi rien n'empche que l'ange les accomplissent en mme temps.

q. 6 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod si proportio secundum commensurationem accipiatur, non potest esse Angeli ad corpus proportio, cum eorum magnitudines non sint unius generis, nec rationis eiusdem : nihil tamen prohibet quin sit aliqua habitudo Angeli ad corpus, ut motoris ad motum et figurati ad figuram ; quae proportio potest dici.

 6. Si on accepte une proportion selon la mesure, il ne peut pas y en avoir de l'ange au corps, puisque leurs grandeurs ne sont pas d'un seul et mme genre ni d'une mme nature. Cependant rien n'empche qu'il y ait un rapport de l'ange au corps comme du celui du moteur au m et du figur la figure, rapport qu'on peut appeler proportion.

q. 6 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ex quolibet elemento potest Angelus corpus assumere, vel etiam ex pluribus elementis commixtis. Magis tamen competit quod ex aere corpus assumat, qui potest inspissari faciliter, et sic figuram recipere et retinere et per alicuius lucidi corporis oppositionem diversimode colorari, sicut in nubibus patet ; ut quantum ad praesens non sit differentia inter purum aerem et vaporem seu fumum, qui in aeris naturam tendunt.

 7. Avec n'importe quel lment, l'ange peut assumer un corps ou mme avec plusieurs lments mls. Cependant il convient plus qu'il prenne un corps de l'air, qui peut facilement s'paissir et ainsi recevoir une figure et la retenir, et par opposition un corps lumineux tre color de diverses manires, comme on le voit dans les nuages, pour qu' ce moment-l il n'y ait pas de diffrence entre l'air pur, la vapeur ou la fume, qui dploient leur nature dans les airs.

q. 6 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illa divisione dividitur unum simpliciter. Sic autem Angelus corpori non unitur, sed secundum quid, sicut motor mobili et ut figuratum figurae, sicut supra dictum est.

 8. L'unit est simplement divise par cette division. Ainsi l'ange n'est uni un corps que relativement, comme le moteur au mobile, le figur la figure, comme on l'a dit ci-dessus.

q. 6 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod corpora illa quae Angeli assumunt, habent quidem veras formas quantum ad id quod sensus percipere potest, quae sunt sensibilia per se, sicut color et figura ; non autem quantum ad naturam speciei, quae est sensibile per accidens. Nec propter hoc oportet quod sit ibi aliqua fictio, quia formas humanas non obiiciunt oculis Angeli, ut homines esse credantur, sed ut per humanas proprietates, Angelorum virtutes cognoscantur ; sicut nec etiam metaphoricae locutiones sunt falsae, in quibus ex aliorum similitudinibus res aliae significantur.

 9. Ces corps que les anges assument ont de vraies formes, quant ce qui peut tre peru par les sens ; ils sont sensibles par soi, comme la couleur et la figure ; mais non quant la nature de la forme, qui est sensible par accident. Et ce n'est pas pour a qu'il faut qu'il y ait un subterfuge, parce que les anges n'offrent pas aux yeux des formes humaines, pour qu'on croit que ce sont des hommes ; mais pour que, par des caractres humains, leurs pouvoirs soient connus, de mme que les expressions mtaphoriques, qui signifient certaines choses par des images d'autres choses ne sont pas fausses.

q. 6 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet virtutes naturales corporum non sufficiant ad inducendum veram speciem humani corporis nisi per debitum modum generationis, sufficiunt tamen ad inducendum similitudinem humanorum corporum quantum ad colorem et figuram et ad huiusmodi accidentia exteriora, et praecipue cum ad plura horum sufficere videatur motus localis aliquorum corporum, per quem et vapores condensantur, et rarefiunt, et nubes diversimode figurantur.

 10. Bien que les vertus naturelles des corps ne suffisent pas pour induire la forme relle d'un corps humain sinon par le mode ncessaire la gnration, elles suffisent cependant pour induire une ressemblance des corps humains pour la couleur, la figure et les accidents extrieurs de ce genre ; et surtout comme le mouvement local des corps parait suffire plusieurs de ceux-ci par lequel les vapeurs sont condenses et rarfies et les nuages figures de diverses manires.

q. 6 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Angelus movens corpus assumptum influit ei motum, et tangit non tactu corporali sed spirituali, per suam virtutem.

 11. L'ange qui met en mouvement un corps quil assume lui communique le mouvement et le touche par son pouvoir non d'un toucher corporel mais spirituel.

q. 6 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod imperium Angeli requirit executionem virtutis ; unde oportet quod sit quidam tactus spiritualis ad corpus quod movet.

 12. Le pouvoir de l'ange requiert l'accomplissement d'un pouvoir ; c'est pourquoi il faut que ce soit un toucher spirituel pour le corps qu'il meut.

q. 6 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod figura est quaedam forma quae, per abscissionem materiae et condensationem vel rarefactionem, vel ductionem aut aliquem motum huiusmodi, potest fieri in materia. Unde non est eadem ratio de hac forma et aliis.

 13. La figure est une forme qui par paississement de la matire et condensation ou rarfaction, ou induction ou un mouvement de ce genre, peut tre produite dans la matire. C'est pourquoi cette forme n'a pas la mme nature que les autres.

q. 6 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod esse in aliquo corpore potest intelligi dupliciter : Uno modo ut sit infra terminos quantitatis : et sic nihil prohibet Diabolum in aliquo corpore esse ; Alio modo ut sit intra rei essentiam ut dans esse rei et operans in re, quod est solius Dei proprium, quamvis Deus non sit pars essentiae alicuius rei. Potest autem et secundum Glossam intelligi daemon in simulacro non esse sicut idololatrae putabant, ut scilicet ex simulacro et spiritu habitante fieret unum.

 14. Etre dans un corps peut tre compris de deux manires :1) Il est en dessous des termes de quantit ; et ainsi rien n'empche le diable d'tre dans un corps.2) Il est dans l'essence de la chose, comme lui donnant l'tre et oprant en elle ; ce qui est le propre de Dieu seul, quoique Dieu ne soit pas une partie de l'essence d'une chose. Mais on peut et selon la glose, comprendre que le dmon n'est pas dans une statue comme les idoltres le pensaient, au point que la statue et l'esprit qui l'habite deviennent un.

q. 6 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod Angelus est totus in toto corpore assumpto et in qualibet parte eius, eadem ratione qua et anima : licet enim non sit forma corporis assumpti ut anima, est tamen motor. Movens autem et motum oportet esse simul. Et tamen non sequitur ut sit in pluribus locis simul, comparatur enim totum corpus assumptum ad Angelum sicut unus locus.

 15. L'ange est tout entier dans tout le corps assum, et en chacune de ses partie, pour la mme raison que l'me, car bien qu'il ne soit pas la forme du corps assum, en tant qu'me, il en est cependant le moteur. Mais le moteur et le m doivent tre ensemble. Et cependant il n'en dcoule pas qu'il soit en plusieurs endroits en mme temps, car tout corps assum par l'ange quivaut pour ainsi dire un seul lieu.

 

 

 

Article 8 L'ange ou le dmon, par le corps qu'il assume, peut-il exercer les oprations d'un corps vivant ?

q. 6 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum Angelus vel daemon per corpus assumptum possit operationes viventis corporis exercere. Et videtur quod non.

Il semble que non[697].

 

Objections :

q. 6 a. 8Arg. 1 Cuicumque enim competit habere virtutem ad aliquod opus, competit ei habere ea sine quibus illud opus haberi non potest ; alias talis virtus frustra ei adesset. Sed huiusmodi opera viventium corporum sine corporeis organis exerceri non possunt. Cum ergo Angelus non habeat corporea organa naturaliter sibi unita, videtur quod non possit praedicta opera exercere.

1. Car quiconque il convient d'avoir le pouvoir d'accomplir une uvre, il convient d'avoir ce sans quoi cette uvre ne peut tre accomplie ; autrement un tel pouvoir serait en vain en lui. Mais de telles uvres des corps vivants ne peuvent pas tre exerces sans les organes corporels. Donc comme l'ange n'a pas d'organe corporel naturellement uni lui, il semble qu'il ne peut pas accomplir ces uvres.

q. 6 a. 8Arg. 2 Praeterea, anima est nobilior quam natura. Sed Angelus non potest opus naturae facere nisi mediante virtute naturali. Ergo multo minus potest facere opera animae per corpus assumptum quod anima caret.

2. L'me est plus noble que la nature. Mais l'ange ne peut accomplir l'uvre de la nature que par l'intermdiaire d'un pouvoir naturel. Donc il peut beaucoup moins accomplir les uvres de l'me par le corps sans me qu'il assume.

q. 6 a. 8Arg. 3 Praeterea, inter omnes operationes animae, quae per organa complentur, actus sensuum sunt propinquiores intellectuali operationi, quae est propria Angeli. Sed Angelus per corpus assumptum non potest sentire vel imaginari. Ergo multo minus potest opera alia animae facere.

3. Parmi toutes les oprations de l'me, qui sont accomplies par les organes, les actions des sens sont plus proches de l'opration intellectuelle qui est le propre de l'ange. Mais il ne peut ni sentir ni imaginer par le corps qu'il assume. Donc il peut beaucoup moins accomplir les autres uvres de l'me.

q. 6 a. 8Arg. 4 Praeterea, locutio non fit sine voce. Vox autem est sonus ab ore animalis prolatus. Cum ergo Angelus utens corpore assumpto non sit animal, videtur quod loqui non possit per corpus assumptum, et multo minus alia facere : nam locutio propinquissima sibi videtur, cum sit intellectus signum.

4. La parole ne se fait pas sans la voix. Mais celle-ci est le son profr par la gueule de l'animal[698]. Donc comme l'ange, qui se sert d'une corps assum, n'est pas un animal, il semble qu'il ne puisse pas parler par ce corps quil assume, et beaucoup moins faire d'autres choses : car la parole lui semble trs proche puisqu'elle est le signe de l'esprit.

q. 6 a. 8Arg. 5 Praeterea, ultima operatio animae vegetabilis in uno et eodem individuo est generatio : prius enim nutritur et augetur animal quam generet. Sed non potest dici quod Angelus, vel corpus assumptum ab ipso, nutriatur vel motu augmenti moveatur. Ergo non potest esse quod corpus assumptum generet.

5. La dernire opration de l'me vgtative dans un seul et mme individu est la gnration ; car l'animal se nourrit, et grandit avant d'engendrer. Mais on ne peut pas dire que l'ange ou le corps qu'il assume est nourri ou m par un mouvement de croissance. Dons il n'est pas possible qu'un corps assum engendre.

q. 6 a. 8Arg. 6 Sed dicendum, quod Angelus vel daemon per corpus assumptum generare potest, non quidem semine ex corpore assumpto deciso, sed semine hominis in muliere transfuso, sicut et adhibendo alia propria semina quosdam veros effectus naturales causat.- Sed contra : semen animalis praecipue ad generationem operatur per calorem naturalem. Si autem daemon semen portaret per aliquam magnam distantiam, impossibile videtur quin calor naturalis evaporaret. Ergo non posset fieri generatio hominis per modum praedictum.

6. Mais il faut dire que l'ange ou le dmon peut engendrer par le corps qu'il assume, cependant pas par sparation de la semence d'avec le corps assum ; mais par la semence d'un homme transfuse dans la femme, et de mme en employant d'autres semences propres, il cause de vrais effets naturels. En sens contraire : la semence de l'tre anim opre surtout pour la gnration par la chaleur naturelle. Mais si le dmon portait la semence sur une grand distance, il semble impossible que la chaleur naturelle ne soit pas dtruite. Donc il ne serait pas possible que la gnration de l'homme se fasse de cette manire.

q. 6 a. 8Arg. 7 Praeterea, secundum hoc, ex tali semine homo non generaretur nisi secundum virtutem humani seminis. Ergo illi qui dicuntur a daemonibus generari, non essent maioris staturae et robustiores aliis qui communiter per semen humanum generantur ; cum tamen dicatur Genes. VI, 4, quod Cum ingressi essent filii Dei ad filias hominum illaeque genuerunt, nati sunt gigantes, potentes a saeculo, viri famosi.

7. Ainsi, l'homme n'est engendr d'une telle semence que selon le pouvoir de la semence humaine. Donc ceux qu'on dit engendrs par les dmons, ne seraient pas d'une plus grande stature, ni plus robustes que les autres, qui sont engendrs communment par la semence humaine, alors que cependant, on dit en Gense VI, 4, que, comme ils s'etaient introduits chez les filles des hommes, et elles engendrrent, des gants naquirent, les puissants de cette poque, hommes fameux.

q. 6 a. 8Arg. 8 Praeterea, comestio ad nutrimentum ordinatur. Si ergo Angeli in corporibus assumptis non nutriuntur, videtur quod nec etiam comedant.

8. Manger est ordonn la nutrition. Si donc les anges dans les corps qu'ils assument ne sont pas nourris, il semble qu'ils ne mangent pas non plus.

q. 6 a. 8Arg. 9 Praeterea, ad ostendendum veritatem corporis humani resurgentis, Christus post resurrectionem comedere voluit. Si autem Angeli vel daemones in corporibus assumptis comedere possent, non esset comestio efficax argumentum resurrectionis, quod patet esse falsum. Non ergo Angeli vel daemones per corpus assumptum comedere possunt.

9. Pour montrer la vrit de son corps humain ressuscit, le Christ, aprs sa rsurrection, a voulu manger. Mais si les anges et les dmons dans les corps assums pouvaient manger, cette action de manger ne serait pas efficace comme l'argument de la rsurrection, ce qui parat faux. Donc les anges ou les dmons ne peuvent pas manger par le corps qu'ils assument.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Gen. capit. XVIII, 9, de Angelis qui apparuerunt Abrahae : Cum comedissent, dixerunt ad eum : ubi est Sara uxor tua ? Ergo et comedunt et loquuntur Angeli in corporibus assumptis.

1. Il y a ce qui est dit en Gn. 18, 9 au sujet des anges qui apparurent Abraham : Comme ils avaient mang, ils lui dirent : O est Sara ton pouse ? Donc les anges mangent et parlent dans les corps qu'ils avaient assums.

q. 6 a. 8 s. c. 2 Praeterea, Genes. VI, 2, super illud : Videntes filii Dei, etc., dicit Glossa Hieron. : Verbum Hebraicum Eloim utriusque numeri est : Deum enim et deos significat. Ideo Aquila filios deorum dicere ausus est Deos, Sanctos vel Angelos intelligens. Ergo videtur quod Angeli generent.

2. En Gn. 6, 2 sur cette parole : Les fils de Dieu voyant, la glose de Jrme dit : Le mot hbreux Elohim est de deux nombres : Car il signifie Dieu et des dieux. C'est pourquoi Aquila a os appel les fils des dieux des dieux, comprenant les saints et les anges. Donc il semble que les anges engendrent.

q. 6 a. 8 s. c. 3 Praeterea, sicut per artem hominis nihil fit frustra, ita nec per artem Angeli. Frustra autem assumerent corpora disposita ad modum organici corporis, nisi illis organis uterentur. Ergo videtur quod exerceant in corporibus assumptis opera organis convenientia, sicut quod videant per oculos, et audiant per aures, et sic de aliis.

3. Rien n'est fait en vain par l'art de l'homme, ni non plus par l'art de l'ange. C'est en vain qu'ils assumeraient des corps disposs la manire d'un corps organique, s'ils n'en utilisaient pas les organes. Donc il semble qu'ils exercent dans les corps assums des uvres qui conviennent ces organes, comme voir de leurs yeux, entendre avec leurs oreilles, etc..

 

Rponse :

q. 6 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod actio aliqua ex duobus naturalem speciem accipere videtur : scilicet ex agente et termino. Calefactio enim ab infrigidatione differt, quia una earum ex calore procedit et ad calorem terminatur ; alia vero a frigore et ad frigus. Proprie tamen actio, sicut et motus, a termino speciem habet ; a principio autem habet proprie quod sit naturalis. Motus enim et actiones naturales dicuntur quae sunt a principio intrinseco.

Il faut dire qu'une action semble recevoir sa forme naturelle de deux manires : savoir de l'agent et du terme[699]. Car l'chauffement est diffrent du refroidissement, parce que l'un des deux procde de la chaleur et s'y termine, l'autre du froid et s'y termine. Cependant l'action, comme le mouvement, reoit proprement sa forme de son terme ; mais du principe, elle a en propre ce qui lui est naturel. Car on appelle mouvement et actions naturelles ce qui vient d'un principe intrinsque.

Considerandum est ergo, quod in operationibus animae, quaedam sunt quae non sunt solum ab anima sicut a principio, sed etiam terminantur ad animam et ad corpus animatum ; et huiusmodi actiones Angelis in corporibus assumptis attribui non possunt neque secundum similitudinem speciei neque secundum naturalitatem actionis sicut sentire, augeri, nutrire et similia. Sensus enim est secundum motum a rebus ad animam ; similiter nutrimentum et augmentum est per hoc quod aliquid generatur et additur corpori viventi.

Donc il faut considrer que dans les oprations de l'me, il y en a certaines qui ne viennent pas seulement de l'me comme de leur principe, mais se terminent aussi l'me et au corps anims et les actions de ce genre ne peuvent tre attribues aux anges dans les corps qu'ils assument, ni selon la ressemblance de la forme (species), ni selon le caractre naturel de l'action : exemple prouver des sensations, grandir, se nourrir etc.. Car la sensation dpend du mouvement des objets vers l'me ; de mme la nourriture et la croissance viennent de quelque chose qui est engendr et ajout au corps vivant.

Quaedam vero actiones sunt animae quae quidem sunt ab anima sicut a principio, terminantur tamen ad aliquem exteriorem effectum ; et si quidem talis effectus per solam corporis divisionem vel motum localem produci possit, talis actio attribuetur Angelo per corpus assumptum quantum ad similitudinem speciei in effectu, non tamen erit vere naturalis actio, sed similitudo talis actionis ; sicut patet in locutione, quae formatur per motum organorum et aeris, et comestione, quae perficitur per divisionem cibi et traiectionem in partes interiores.

Mais il y a certaines actions de l'me qui viennent d'elle comme d'un principe, cependant elles se terminent un effet extrieur ; et mme si un tel effet pouvait se produire par la seule division du corps, ou un mouvement local ; une telle action serait attribue l'ange par le corps qu'il assume quant la ressemblance de la forme dans l'effet, cependant ce ne sera pas vraiment une action naturelle, mais une imitation, comme cela apparat dans la parole qui est forme par le mouvement des organes et de l'air, et le fait de manger qui s'achve par la division de la nourriture et son passage dans les organes intrieurs.

Unde locutio quae attribuitur Angelis in corporibus assumptis, non est vere naturalis locutio, sed quaedam similitudinaria per similitudinem effectus ; et similiter dicendum est de comestione. Unde et Tobiae XII, 18, dicit Angelus : Cum essem vobiscum (...) videbar quidem vobiscum manducare et bibere ; sed ego cibo invisibili et potu (...) utor. Si autem talis effectus requirat transmutationem secundum formam, tunc non poterit fieri per Angelum ; nisi forte mediante naturali actu, sicut patet de generatione.

C'est pourquoi la parole qui est attribue aux anges dans les corps quils assument, n'est pas vraiment une parole naturelle, mais quelque chose de similaire par imitation de l'effet ; et il faut en dire autant de la nutrition. C'est pourquoi en Tobie, 12, 18, l'ange dit : Quand j'tais avec vous vous m'avez vu manger, et boire ; mais je me nourris d'une nourriture invisible et je me sers d'un breuvage invisible. Si un tel effet demandait un changement de forme, alors il ne pourrait pas tre fait par lui, moins par hasard d'un acte naturel intermdiaire comme cela se voit dans la gnration.

 

Solutions :

q. 6 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi operationes non naturaliter Angelus exercet, et ideo non oportet quod habeat naturaliter organa unita.

 1. L'ange n'exerce pas naturellement des actions de ce genre et c'est pourquoi il ne faut pas qu'il ait des organes qui lui soient unis naturellement.

q. 6 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veras operationes animae Angelus non facit, sed similitudinarias, ut dictum est.

 2. L'ange ne fait pas de vraies oprations de l'me, mais ce sont des imitations, comme on l'a dit.

q. 6 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod iam dictum est [in corp.], quare sensus non potest Angelis in corporibus assumptis attribui.

 3. On a dj dit (dans le corps de l'article), pourquoi on ne peut pas attribuer la sensation aux anges dans le corps qu'ils assument.

q. 6 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod vera locutio attribui non potest Angelo in corpore assumpto, sed solum similitudinaria, ut dictum est, ubi supra.

 4. Une vraie parole ne peut pas tre attribue l'ange dans le corps qu'il assume, mais seulement des imitations de la parole, comme on l'a dit ci-dessus.

q. 6 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelis bonis generare nunquam attribuitur ; sed de daemonibus est duplex opinio : Quidam enim dicunt, quod daemones etiam nullo modo generare possunt in corporibus assumptis, propter rationes in obiiciendo inductas.

 5. Engendrer n'est jamais attribu aux anges ; pour les dmons il y a deux opinions :1) Certains en effet disent que les dmons ne peuvent en aucune manire engendrer dans les corps qu'ils assument, cause des raisons donnes dans l'objection.

Quibusdam vero videtur quod generare possunt, non quidem per semen a corpore assumpto decisum, vel per virtutem suae naturae, sed per semen hominis adhibitum ad generationem, per hoc quod unus et idem daemon sit ad virum succubus, et semen ab eo receptum in mulierem transfundit, ad quam fit incubus. Et hoc satis rationabiliter sustineri potest, cum etiam alias res naturales causent, propria semina adhibendo, ut Augustinus dicit [in III de Trin., cap. VIII et IX].

2) Il semble certains qu'ils peuvent engendrer, non par une semence qui vient du corps qu'ils assument, ni par le pouvoir de sa nature, mais par la semence d'un homme employe pour la gnration, par le fait qu'un seul et mme dmon est un succube pour l'homme et la semence reue par lui est introduite dans la femme, pour laquelle il devient l'incube. Et cela peut tre soutenu assez raisonnablement, puisqu'ils sont causes mme d'autres choses naturelles, en employant des semences particulires[700], comme Augustin le dit (La Trinit, III, 8 et 9).

q. 6 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod circa evaporationem seminis potest daemon remedium adhibere, tum per velocitatem motus, tum adhibendo aliqua fomenta, per quae calor naturalis conservetur in semine.

 6. Le dmon peut apporter remde l'vaporation de la semence, tant par la rapidit du mouvement, qu'en recevant quelque combustible, par lequel il conserve la chaleur naturelle dans la semence.

q. 6 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod procul dubio generatio, praedicto modo facta, virtute humani seminis fit. Unde homo sic genitus, non esset filius daemonis, sed viri cuius fuit semen. Et tamen possibile est quod per talem modum homines fortiores generentur et maiores, quia daemones volentes in suis effectibus mirabiles videri, observando determinatum situm stellarum, et viri et mulieris dispositionem, possunt ad hoc cooperari. Et praecipue si semina, quibus utuntur sicut instrumentis, per talem usum aliquod augmentum virtutis consequantur.

 7. Sans doute la gnration, accomplie d'une telle manire, est faite par le pouvoir de la semence humaine. C'est pourquoi l'homme ainsi engendr ne serait pas fils du dmon, mais de l'homme dont vient la semence. Et cependant il est possible que par un tel mode les hommes engendrs soient plus forts et plus grands, parce que les dmons voulant paratre admirables dans leurs effets, en observant la position dtermine des toiles, et la disposition de l'homme et de la femme, peuvent y participer. Et surtout si les semences qu'il utilisent comme instrument, par tel usage obtiennent une augmentation de la puissance.

q. 6 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod comestio attribuitur Angelis in corporis assumptis, non quantum ad finem, qui est nutritio, sed simpliciter quantum ad comestionis actum ; et similiter etiam Christo post resurrectionem cuius, corpori non erat tunc aliquid addibile. In hoc tamen differt, quod comestio Christi fuit vere naturalis comestio, utpote eius existens qui animam vegetabilem habebat ; et sic potuit esse argumentum veritatis naturae. In utraque tamen comestione cibus non est conversus in carnem et sanguinem, sed resolutus in materiam praeiacentem.

 8. Le fait de manger est attribu aux anges dans les corps qu'ils assument, non quant son but, qui est la nutrition, mais simplement pour l'action de manger, et il en est de mme aussi pour le Christ, aprs la rsurrection : rien ne pouvait tre ajout son corps. Cependant il y a une diffrence du fait que manger pour le Christ fut vraiment naturel ; en tant qu'ayant exist auparavant, il avait une me vgtative, et ainsi il a pu dmontrer la vrit de sa nature. Dans l'un et l'autre repas, la nourriture n'a pas t change en chair et sang, mais dissoute dans la matire qui existait auparavant.

q. 6 a. 8 ad 9 Et per hoc patet responsio ad nonum.

 9. Et cela donne rponse l'objection 9.

 

Arguments en sens contraire

q. 6 a. 8 ad s. c. 1 Ad primum vero quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod comestio et locutio qualiter Angelis sit attribuenda, dictum est, in corp. art.

 1. Il faut dire qu'on a parl dans le corps de l'article de la nutrition et de la parole telles qu'elles sont attribues aux anges.

q. 6 a. 8 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod per filios Dei intelligit quidem filios Seth, qui erant Dei filii per gratiam, et Angelorum per imitationem. Filii autem hominum dicebantur filii Cain, qui a Deo recesserant, carnaliter viventes.

 2. Par les fils de Dieu, on comprend les fils de Seth, qui taient fils de Dieu par grce ; et des anges par imitation. Mais les fils des hommes, qui se sont loigns de Dieu en vivant charnellement, sont appels fils de Can.

q. 6 a. 8 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod instrumenta sensuum assumunt Angeli, non ad utendum, sed ad signandum. Unde etsi per ea non sentiant, non tamen frustra assumunt.

 3. Les anges assument les organes des sens, non pour s'en servir, mais comme un signe. C'est pourquoi, mme s'ils n'prouvent pas de sensations, ils ne l'assument pas en vain.

 

 

 

Article 9 Faut-il attribuer le miracle la foi ?

q. 6 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum operatio miraculi sit attribuenda fidei. Et videtur quod non.

Il semble que non[701].

 

Objections :

q. 6 a. 9Arg. 1 Gratiae enim gratis datae a virtutibus differunt, eo quod virtutes sanctis omnibus sunt communes, gratiae vero gratis datae diversis distribuuntur, secundum illud I ad Cor. XII, 4 : Divisiones gratiarum sunt. Sed facere miracula est gratiae gratis datae ; unde in eodem capitulo dicitur : Alii operatio virtutum, et cetera. Ergo facere miracula non est attribuendum fidei.

1. Car les grces donnes gratuitement diffrent des vertus, parce que celles-ci sont communes tous les saints, mais les grce donnes gratuitement, sont distribues diverses personnes selon ce mot de I Co. 12, 4 : Il y a diversit des grces[702]. Mais faire des miracles vient de la grce donne gratuitement. Cest pourquoi dans le mme chapitre il est dit (verset 10) : A un autre lopration des miracles, etc.. Donc faire des miracles ne doit pas tre attribu la foi.

q. 6 a. 9Arg. 2 Sed dicendum, quod attribuitur fidei tamquam merenti, gratiae gratis datae tamquam exequenti.- Sed contra, est quod dicit Glossa ordinaria super illud Matth. VII, 22 : Domine, nonne in nomine tuo prophetavimus ? etc. : Prophetare, virtutes facere, daemones eiicere, interdum non est meriti illius qui operatur, sed invocatio nominis Christi. Ergo videtur quod non sit fidei attribuendum.

2. Mais il faut dire qu'on l'attribue la foi, en tant que mritoire, et la grce donne gratuitement en tant qu'elle l'accompagne. En sens contraire, il y a ce que dit la Glose ordinaire sur cette parole de Mt. 7, 12 : Seigneur, navons-nous pas prophtis en ton nom , etc. Prophtiser, faire des miracles, chasser les dmons, parfois ne dpend pas du mrite de celui qui opre, mais de linvocation du nom du Christ. Donc il semble quil ne faut pas lattribuer la foi.

q. 6 a. 9Arg. 3 Praeterea, caritas est principium et radix merendi, sine qua fides informis mereri non potest. Si ergo fidei propter meritum attribuitur operatio miraculorum, magis est attribuenda caritati.

3. La charit est le principe et la racine du mrite sans laquelle la foi informelle ne peut pas mriter. Si donc cause du mrite, on attribue la foi laccomplissement des miracles, il est mieux de lattribuer la charit.

q. 6 a. 9Arg. 4 Praeterea, cum sancti orando miracula faciant, illi virtuti praecipue debet miraculorum operatio attribui quae facit ut oratio exaudiatur. Hoc autem facit caritas ; unde dicitur Matth. XVIII, 19 : Si duo ex vobis consenserint super terram de omni re, quamcumque petierint, fiet illis a patre meo, ut in Psal. XXXVI, 4, dicitur : Delectare in domino, et dabit tibi petitiones cordis tui ; caritas enim est quae facit homines delectari in Deo per amorem Dei, et consentire hominibus per amorem proximi. Ergo caritati debet attribui miraculorum operatio.

4. Comme les saints font des miracles en priant, laccomplissement des miracles doit tre attribu ce qui fait que la prire est exauce. C'est la charit qui le fait ; cest pourquoi il est dit en Mt. 18, 19[703] : Si deux dentre vous se sont mis d'accord sur la terre sur tout ce quils demanderont, mon Pre les exaucera. Comme il est dit dans le Ps. 36, 4 : Rjouis-toi dans le Seigneur et il te donnera tout ce que ton cur demande. ; car c'est la charit qui fait que les hommes se rjouissent en Dieu par son amour, et sont en sympathie avec les hommes par lamour du prochain. Donc on doit attribuer laccomplissement des miracles la charit.

q. 6 a. 9Arg. 5 Praeterea, dicitur Ioan. IX, 31 : Scimus quia peccatores Deus non audit. Caritas autem est quae sola peccata removet, quia, ut dicitur Prov. X, 12, Universa delicta operit caritas. Ergo caritati et non fidei debet attribui miraculorum operatio.

5. Il est dit en Jn 9, 31 : Nous savons que Dieu nՎcoute pas les pcheurs[704]. Mais la charit est la seule qui loigne les pchs, parce que, comme on le dit en Prov. 10, 12 : La charit couvre tous les pchs. Donc on doit attribuer laccomplissement des miracles la charit et non la foi.

q. 6 a. 9Arg. 6 Praeterea, sancti homines non solum orando impetrant miracula fieri, sed etiam miracula faciunt ex potestate, ut Gregorius dicit [in II Dialog., cap. XXX]. Hoc autem est inquantum homo Deo unitur, ut sic divina virtus homini coassistat : quam quidem unionem caritas facit, quia qui adhaeret Deo, scilicet per caritatem, unus spiritus est, ut dicitur I Cor. VI, 17. Ergo caritati debet attribui miracula facere.

.6. Les saints obtiennent de faire des miracles, non seulement en priant, mais aussi ils en font par puissance, comme le dit Grgoire [le grand] (Dialogues, II, ch. 30). Mais cest dans la mesure o lhomme est uni Dieu, que le pouvoir divin l'assiste : cette union, cest la charit qui laccomplit, parce que celui qui s'unit a Dieu, savoir par charit, est un seul esprit [avec lui], comme il est dit en 1 Co. 6, 17[705]. Donc on doit attribuer laccomplissement des miracles la charit.

q. 6 a. 9Arg. 7 Praeterea, caritati praecipue opponitur invidia, nam caritas congaudet bonis, de quibus invidia tristatur. Sed immutatio in malum per fascinationem attribuitur invidiae, ut dicitur in Glossa Gal. III, 1 [ordinaria super illud : quis fascinavit ?]. Ergo et miraculorum operatio est attribuenda caritati.

7. On oppose surtout lenvie la charit, car celle-ci se rjouit avec les bons, lenvie sen attriste. Mais le changement en mal est attribu lenvie par l'ensorcellement, comme on le dit dans la glose de Gal. 3, 1, glose ordinaire sur cette parole : Qui vous a ensorcels ?. Donc laccomplissement des miracles doit tre attribu la charit.

q. 6 a. 9Arg. 8 Praeterea, intellectus non est principium operationis nisi mediante voluntate. Fides autem est in intellectu, caritas autem in voluntate. Ergo nec fides operatur nisi per caritatem ; unde dicitur Galat. V, 6 : Fides quae per dilectionem operatur. Sicut ergo operatio actuum virtutis magis attribuitur caritati quam fidei, ita et operatio miraculorum.

8. Lintellect nest le principe de lopration que par lintermdiaire de la volont. Mais la foi est dans lesprit, et la charit dans la volont. Donc la foi nopre que par la charit ; cest pourquoi en Gal. 5, 6[706], il est parl de : la foi qui opre par l'amour. Donc laccomplissement des actes de vertu est attribu la charit plus quՈ la foi, et laccomplissement du miracle aussi.

q. 6 a. 9Arg. 9 Praeterea, omnia alia miracula ad incarnationem Christi ordinantur, quae est miraculum miraculorum. Sed incarnatio Christi attribuitur caritati ; unde dicitur Ioan. III, 16 : Sic Deus dilexit mundum ut filium suum unigenitum daret. Ergo et alia miracula sunt caritati attribuenda, et non fidei.

9. Tous les autres miracles sont ordonns l'Incarnation du Christ, qui est le miracle des miracles. Mais celle-ci est attribue la charit ; c'est pourquoi il est dit en Jn 3, 16 : Le Seigneur a tant aim le monde qu'il lui a donn son Fils unique. Donc il faut attribuer les autres miracles la charit et non la foi.

q. 6 a. 9Arg. 10 Praeterea, quod Sara anus et sterilis de vetulo concepit filium, miraculosum fuit. Hoc autem attribuitur spei, ut dicitur Rom. IV, 18 : Qui contra spem in spem credidit. Ergo operari miracula attribuendum est spei, non fidei.

10. Que Sara, vieille femme strile, conut un fils d'un vieillard, a t miraculeux. Mais on l'attribue l'esprance, comme il est dit en Rm 4, 18 : (Abraham) a cru contre tout esprance. Donc oprer des miracles est attribu l'esprance, non la foi.

q. 6 a. 9Arg. 11 Praeterea, miraculum est aliquod arduum et insolitum, ut Augustinus dicit [tract. VIII in Ioan., et III de Trin., cap. V]. Arduum autem est obiectum spei. Ergo spei debet attribui operatio miraculorum.

11. Le miracle est quelque chose d'ardu et d'insolite[707], comme Augustin le dit, (Sur l'Evangile de Jean 8, et La Trinit, II, ch. 4). Mais l'objet de l'esprance est ardu. Donc l'accomplissement des miracles doit tre attribu l'esprance.

q. 6 a. 9Arg. 12 Praeterea, miraculum est manifestativum divinae potentiae. Sed sicut bonitati, quae appropriatur spiritui sancto, respondet caritas ; et veritati, quae appropriatur filio, respondet fides ; ita potestati, quae appropriatur patri, respondet spes. Ergo facere miracula est attribuendum spei, et non fidei.

12. Le miracle manifeste la puissance de Dieu. Mais comme la bont qui est approprie l'Esprit saint, rpond la charit, et la vrit, qui est approprie au Fils, rpond la foi, ainsi la puissance qui est approprie au Pre, rpond l'esprance. Donc faire des miracles doit tre attribu l'esprance, non la foi.

q. 6 a. 9Arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit [in lb. LXXXIII quaest., q. 79], quod mali homines interdum faciunt miracula per publicam iustitiam. Ergo operatio miraculorum est attribuenda iustitiae, et non fidei.

13. Augustin dit (Les 83 Questions, qu. 79) que les mchants font quelquefois des miracles par justice publique. Donc laccomplissement des miracles est attribu la justice, non la foi.

q. 6 a. 9Arg. 14 Praeterea, Act. VI, 8, dicitur, quod Stephanus plenus gratia et fortitudine faciebat prodigia et signa magna in populo. Ergo videtur quod sit attribuendum fortitudini.

14. Il est dit en Act. 6, 8, qu' tienne, plein de grce et de force, faisait des prodiges et des signes importants dans le peuple. Donc il semble qu'il faille l'attribuer la (vertu de) force.

q. 6 a. 9Arg. 15 Praeterea, Matth. XVII, 20, dicit dominus discipulis, qui daemoniacum sanare non poterant : Hoc genus daemoniorum non eiicitur nisi oratione et ieiunio. Sed eiicere daemonia inter miracula computatur : ieiunium autem est actus virtutis abstinentiae. Ergo ad abstinentiam pertinet miracula facere.

15. En Mt. 17, 20, le Seigneur dit aux disciples qui ne pouvaient pas gurir le dmoniaque : Ce genre de dmon n'est chass que par la prire et le jene. Mais chasser les dmons est compt parmi les miracles. Et le jene est l'acte de la vertu d'abstinence. Donc c'est par elle qu'il convient de faire des miracles.

q. 6 a. 9Arg. 16 Praeterea, Bernardus dicit quod cum muliere semper esse et feminam non cognoscere, maius est quam mortuum suscitare. Hoc autem facit castitas. Ergo castitatis est miracula facere, et non fidei.

16. [Saint] Bernard dit qu'tre toujours avec une femme sans la connatre est plus grand que ressusciter un mort. Mais c'est la chastet qui le fait. Donc faire des miracles est le propre de la chastet et non de la foi.

q. 6 a. 9Arg. 17 Praeterea, illud quod est in derogationem fidei, non est fidei attribuendum. Sed miracula sunt in derogationem fidei, quia infideles imputabant ea magicae arti. Ergo fidei non debet attribui facere miracula.

17. Il ne faut pas attribuer la foi ce qui y droge. Mais les miracles sont dans la drogation de la foi, parce que les infidles les imputent l'art magique. Donc faire des miracles ne doit pas tre attribu a la foi.

q. 6 a. 9Arg. 18 Praeterea, fides Petri et Andreae commendatur a Gregorio [ Homil. V in Evang.] de hoc quod, nullis miraculis visis, crediderunt. Ergo operatio miraculorum derogat fidei ; et sic idem quod prius.

18. La foi de Pierre et d'Andr est loue par Grgoire le grand (Hom. 5, sur l'Evangile), du fait que, sans avoir vu les miracles, ils ont cru. Donc l'opration des miracles droge la foi, et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 6 a. 9Arg. 19 Praeterea, posita causa, ponitur effectus. Si ergo fides est causa faciendi miracula, omnes qui fidem habent miracula facerent ; quod patet esse falsum. Non ergo fidei est facere miracula.

19. Une fois la cause pose, leffet est pos. Donc si la foi est la cause qui [permet] de faire des miracles, tous ceux qui ont la foi en feraient, ce qui videmment faux. Donc faire des miracles ne dpend pas de la foi.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Marci XVI, 17 : Signa autem eos qui crediderint, haec sequentur : in nomine meo daemonia eiicient, et cetera.

1. Il y a ce qui est dit en Mc 16,17 : Mais voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les dmons en mon noms, etc.

q. 6 a. 9 s. c. 2 Praeterea, Matth. XVII, 19. Dominus dicit : Si habueritis fidem sicut granum sinapis, dicetis monti huic : transi hinc illuc, et transibit ; et nihil impossibile erit vobis.

2. En Mt. 17, 19, le Seigneur dit : Si vous aviez eu la foi comme un grain de moutarde, nous diriez cette montagne : Pars d'ici, et elle partira, et rien ne vous sera impossible.

q. 6 a. 9 s. c. 3 Praeterea, si unum oppositum est causa oppositi, et reliquum oppositum est causa reliqui. Sed incredulitas est causa impediens miraculorum operationem : unde dicitur Marc. VI, 5, de Christo : Non poterat ibi, hoc est in patria sua, facere miracula, nisi paucos infirmos impositis manibus curavit : et mirabatur propter incredulitatem illorum : et Matth. XVII, 18, dicitur, dominum respondisse discipulis quaerentibus : Quare non potuimus eiicere daemonium ? Propter incredulitatem, inquit, vestram. Ergo et fides est causa faciendi miracula.

3. Si l'oppos est la cause de l'oppos, l'oppos restant est la cause du reste. Mais l'incrdulit est la cause qui empche l'opration des miracles ; c'est pourquoi il est dit en Mc 6, 5, propos du Christ : Il ne pouvait pas faire de miracle l (c'est--dire dans sa patrie) sinon qu'il gurit peu de malades en leur imposant les mains, et il s'tonnait de leur incrdulit. Et en Mt 17, 18, il est dit que le Seigneur rpondit ses disciples qui le questionnaient : Pourquoi n'avons-nous pas pu chasser, les dmons ?- A cause de votre incrdulit, dit-il. Donc la foi est la cause (qui permet de) faire des miracles.

 

Rponse :

q. 6 a. 9 co. Respondeo Dicendum quod homines sancti miracula faciunt dupliciter, secundum Gregorium in II Dialog. [cap. XXX] : scilicet, oratione impetrando ut miracula divinitus fiant, et per potestatem. Utroque autem modo fides idoneum reddit hominem ad miracula facienda, ipsa enim meretur proprie ut oratio exaudiatur de miraculis faciendis.

Les saints font des miracles de deux manires, selon Grgoire le Grand (Dialogue, II, 30) : savoir : en obtenant par la prire, de les faire avec l'aide de Dieu, et par pouvoir. Mais de l'une et l'autre manire, la foi rend l'homme capable de faire des miracles, car il mrite en propre pour que sa prire soit exauce pour faire des miracles.

Quod hac ratione videri potest : sicut enim in rebus naturalibus videmus quod a causa universali omnes particulares causae sumunt efficaciam agendi,- tamen effectus determinatus et proprius attribuitur causae particulari, sicut patet de virtutibus activis inferiorum corporum respectu virtutis caelestis corporis, et de ordinibus inferioribus (qui etsi sequantur motum primi orbis, habent tamen singuli proprios motus),- ita etiam est de virtutibus quibus meremur : nam omnes habent efficaciam merendi a caritate, quae nos unit Deo a quo meremur et voluntatem perficit per quam meremur, singulae tamen virtutes merentur singularia quaedam praemia eis proportionaliter respondentia ; sicut humilitas meretur exaltationem, et paupertas regnum.

Ce qui peut-tre montr par cette raison : car de mme que nous voyons dans les choses naturelles que par la cause universelle toutes les causes particulires tirent lefficacit de leur action, cependant l'effet dtermin et plus propre est attribu une cause particulire, comme on le voit dans les pouvoirs actifs des corps infrieurs, par rapport la puissance du corps cleste, et des ordres infrieurs, (qui, mme s'ils suivent le mouvement du premier ciel ont cependant chacun des mouvements propres), de mme aussi il y a des vertus par lesquelless nous mritons : car toutes ont un mrite efficace par la charit, qui nous unit Dieu, par lequel nous mritons et il parfait la volont par laquelle nous mritons, cependant les puissance particulires mritent des rcompenses particulires qui leur correspondent proportionnellement ; ainsi l'humilit mrite l'lvation et la pauvret le Royaume.

Unde quandoque caritate cessante, per actum aliarum virtutum, etsi aliquis nihil mereatur ex condigno, ex quadam tamen divina liberalitate aliqua congrua beneficia retribuit pro huiusmodi actibus, saltem in hoc mundo : unde dicitur, quod per ea quae sunt ex genere bona, extra caritatem facta, merentur aliqui ex congruo interdum bonorum temporalium multiplicationem.

C'est pourquoi, si quelquefois la charit cesse, par l'action des autres vertus, mme si quelqu'un ne mrite rien d'une manire convenable, cependant de par sa libralit, Dieu accorde des bienfaits convenables pour des actions de ce genre, du moins en ce monde ; c'est pourquoi on dit que par ce qui est bon en son genre, produit sans charit, certains mritent parfois d'une manire adquate la multiplication des biens temporels.

Per hunc autem modum fides meretur miraculorum operationem, licet radix merendi sit ex caritate. Cuius ratio potest triplex assignari :

Par ce moyen la foi mrite d'oprer des miracles bien que la racine du mrite vienne de la charit. On peut lui en assigner trois raisons.

Primo quidem, quia miracula sunt quaedam argumenta fidei, dum per ea facta quae naturam excedunt, illorum veritas comprobatur quae naturalem transcendunt rationem ; unde Marc. ult., vers. 20, dicitur. Illi profecti praedicaverunt ubique, domino cooperante, et sermonem confirmante sequentibus signis.

1) Premire raison, parce que les miracles sont des arguments de foi, tant que les faits, qui dpassent la nature, confirme la vrit de ce qui dpasse la raison naturelle ; c'est pourquoi en Mc, (16, 20) il est dit : Une fois partis, ils prchrent partout avec l'aide du Seigneur, et en confirmant leurs paroles par les signes qui les accompagnaient.

Secunda ratio est, quia fides potissime divinae potentiae innititur, quam accipit ut rationem vel medium ad assentiendum his quae supra naturam esse videntur : et ideo divina potentia in operatione miraculorum praecipue fidei coassistit.

2) La seconde raison : parce que la foi s'appuie trs fortement sur la puissance divine, qu'elle reoit comme raison ou intermdiaire pour approuver ce qui semble tre au-dessus de la nature ; et c'est pourquoi la puissance divine vient en aide la foi surtout en accomplissant des miracles.

Tertia ratio est, quia miracula praeter naturales causas fiunt ; fides autem est quae non ex rationibus naturalibus et sensibilibus argumenta assumit, sed ex rebus divinis.

3) La troisime raison : parce que les miracles se font au-del des causes naturelles ; mais la foi tire argument non pas des raisons naturelles et sensibles, mais de ce qui est divin.

Unde sicut paupertas temporalium rerum meretur divitias spirituales, et humilitas meretur caelestem dignitatem, ita fides, quasi contemnendo ea quae naturaliter fiunt, quodammodo miraculorum operationem meretur, quae praeter naturalem virtutem fit.

C'est pourquoi, de mme que la pauvret en biens temporels mrite les richesses spirituelles, et que l'humilit mrite la possession du ciel, de mme la foi, comme mprisant ce qui arrive naturellement, d'une certaine manire mrite d'oprer des miracles, ce qui se fait au-del du pouvoir naturel.

Similiter autem et per fidem homo maxime disponitur ut ex potestate miracula faciat. Quod etiam ex tribus rationibus patet :

Mais de la mme manire, et par la foi l'homme est parfaitement mis en tat de faire des miracles par son pouvoir. Ce qui apparat pour trois raisons :

Primo quidem, quia sicut supra dictum est, sancti ex potestate miracula dicuntur facere, non quasi miraculorum principales auctores, sed sicut divina instrumenta, imperium divinum, cui natura obedit in miraculis, quodammodo ipsis rebus naturalibus praesentantes. Quod autem divinum verbum in nobis habitet, est per fidem, quae est quaedam participatio in nobis divinae veritatis ; unde per ipsam fidem homo disponitur ad miracula facienda.

1) Parce que, comme on l'a dit ci-dessus (art. 4 de cette question), les saints font des miracles par leur pouvoir, non comme leurs auteurs principaux, mais comme des instruments divins, rvlant d'une certaine manire dans les choses naturelles le gouvernement divin, qui la nature obit dans les miracles. Mais, c'est par la foi qui est une participation en nous la vrit divine que la parole divine habite en nous ; c'est pourquoi par la foi mme, l'homme a possibilit de faire des miracles.

Secundo, quia sancti, qui ex potestate miracula faciunt, operantur in virtute Dei agentis in natura. Actio enim Dei ad totam naturam comparatur, sicut actio animae ad corpus ; corpus autem ab anima transmutatur praeter ordinem principiorum naturalium praecipue per aliquam imaginationem fixam, ex qua corpus calefacit per concupiscentiam vel iram, aut etiam immutatur ad febrem vel lepram. Illud ergo facit hominem dispositum ad miracula facienda quod dat eius apprehensioni quamdam fixionem et firmitatem. Hoc autem facit fides firma : unde firmitas fidei praecipue operatur ad miracula facienda. Quod patet ex hoc quod dicitur Matth. XXI, 21 : Si habueritis fidem et non haesitaveritis, non solum de ficulnea facietis, sed et si monti huic dixeritis : tolle, et iacta te in mare, fiet ; et Iacob. I, 6 : postulet autem in fide, nihil haesitans.

2) Parce que les saints, qui font des miracles par leur pouvoir, oprent dans la puissance de Dieu qui agit dans la nature. Car son action est compare la nature toute entire, comme l'action de l'me sur le corps, mais le corps est chang par l'me, au-del de l'ordre des principes naturels, surtout, par une imagination assujettie par laquelle le corps s'chauffe par concupiscence ou colre, et mme subit la fivre ou la lpre. Donc cela dispose l'homme faire des miracles, qui donne sa connaissance fixit et fermet. Cela affermit aussi la foi ; c'est pourquoi la fermet de la foi travaille surtout faire des miracles. Ce qui apparat de ce qui est dit en Mt. 21, 21 : Si vous aviez eu la foi et si vous n'aviez pas hsit, non seulement vous l'auriez fait ce figuier et si vous aviez dit cette montagne : Lve-toi et jte-toi dans la mer, cela se ferait et en Jc. 1, 6 : Qu'il demande avec foi sans aucune hsitation.

Tertio, quia cum miracula ex potestate per modum cuiusdam imperii fiant, illud praecipue facit idoneum ad miracula facienda ex potestate quod reddit aptum ad imperandum. Hoc autem est per quamdam separationem et abstractionem ab illis quibus debet imperare. Unde et Anaxagoras dicit quod intellectus erat immixtus, ad hoc quod imperet. Fides autem animum abstrahit a rebus naturalibus et sensibilibus, et eum in rebus intelligibilibus fundat. Unde per fidem redditur homo aptus ad hoc quod per potestatem miracula faciat. Et inde est etiam quod illae virtutes ad facienda miracula praecipue cooperantur, quae animum hominis a rebus maxime corporalibus abstrahunt : sicut continentia et abstinentia quae retrahunt ab electionibus quibus homo sensibilibus rebus immergitur. Aliae vero virtutes quae ad disponenda temporalia ordinant, non ita ad facienda miracula disponunt.

3) Parce que comme les miracles sont faits par la puissance la manire du commandement, cela surtout rend capable de faire des miracles par la puissance qui rend apte commander. Mais c'est par une sparation et une abstraction de ce par quoi il doit commander. C'est pourquoi Anaxagore dit aussi que l'intelligence tait sans mlange pour commander. Mais la foi abstrait l'esprit des choses naturelles et sensibles, et le fonde dans l'intelligible. C'est pourquoi par la foi l'homme est rendu apte faire des miracles par sa puissance. Et de l vient que ces vertus pour faire des miracles aident surtout tirer lesprit de lhomme de ce qui est tout fait corporel ; de mme que la continence et labstinence qui dtourne des choix par lesquel lhomme simmerge dans le sensible. Mais les autres vertus qui disposent mettre en ordre ce qui est temporel ne disposent pas faire des miracles.

 

Solutions :

q. 6 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod facere miracula attribuitur gratiae gratis datae, sicut principio proximo fidei, autem sicut disponenti ad huiusmodi gratiam consequendam.

1. Faire des miracles est attribu la grce donne gratuitement, comme au plus proche principe de la foi ou comme ce qui dispose acqurir une grce de ce genre.

q. 6 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet interdum aliquis peccator miracula faciat, non est hoc ex merito eius,- ex merito dico condigno - sed est ex quadam congruitate, in quantum fidem constanter confitetur, in cuius protestationem Deus miracula facit.

2. Bien que quelquefois un pcheur fasse des miracles, ce n'est pas par son mrite, je parle du mrite convenable mais c'est par une certaine conformit, en tant qu'il confesse fermement la foi, dans le pouvoir de laquelle Dieu fait des miracles.

q. 6 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod caritas est maior virtus fide, largitur ipsi fidei efficaciam merendi ; fides tamen magis congruit ad particulariter merendum miraculorum operationes : fides enim est perfectio intellectus, cuius operatio consistit in hoc quod res intellectae aliquo modo sunt in ipso ; caritas autem est perfectio voluntatis, cuius operatio consistit in hoc quod voluntas in ipsam rem tendit. Unde per caritatem homo in Deo ponitur, et cum eo unum efficitur : per fidem autem ipsa divina ponuntur in nobis : unde dicitur Hebr. XI, 1, quod est, sperandarum substantia rerum. Et praeterea, miracula fiunt ad confirmationem fidei, non autem ad confirmationem caritatis.

 3. Du fait que la charit est une plus grande vertu que la foi, elle accorde la foi l'efficacit du mrite ; cependant la foi correspond plus aux oprations pour mriter particulirement des miracles, car elle est la perfection de l'intellect, son opration consiste en ce que les choses comprises sont en lui d'une certaine manire, mais la charit est la perfection de la volont, dont l'opration consiste en ce que la volont tend la chose mme. C'est pourquoi, par la charit, l'homme est plac en Dieu, et devient un avec lui, mais par la foi ce qui est divin est plac en nous ; c'est pourquoi il est dit en H. 11, 1[708], que c'est la ralit des biens esprs. Et en outre les miracles sont faits pour confirmer la foi mais pas la charit.

q. 6 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas meretur, ut dictum est, petitionum exauditionem, sicut universale principium merendi ; sed specialiter exaudiri in miraculis faciendis meretur fides, ut dictum est.

 4. La charit mrite, comme on l'a dit, l'coute des demandes, comme principe universel de mrite, mais spcialement la foi mrite d'tre exauce pour faire des miracles, comme on l'a dit.

q. 6 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut Glossa [Augustinus in tract. XLIV in Ioan.]ibidem dicit, verbum illud est caeci, qui nondum erat totaliter sapientia illuminatus ; unde sententiam falsam continet, nam interdum Deus peccatores audit ex sua liberalitate, licet non ex eorum merito. Et sic oratio eorum impetrat, licet non sit meritoria ; sicut et aliquando iusti oratio meretur sed non impetrat : nam impetratio pertinet ad id quod petitur, et innititur soli gratiae ; meritum autem pertinet ad finem quem quis meretur, et innititur iustitiae.

 5. Comme la glose ici mme le dit (Augustin, Sur saint Jean, tract. 44), ce mot est de l'aveugle, qui n'est pas encore clair par la sagesse, c'est pourquoi il contient une phrase fausse, car parfois Dieu coute les pcheurs par sa libralit, bien que ce ne soit pas pour leur mrite. Et ainsi il exauce leur prire, bien qu'elle ne soit pas mritoire, comme quelquefois la prire du juste mrite mais n'est pas exauce ; car tre exauc appartient ce qui est demand, et s'appuie sur la grce seule, mais la mrite appartient la foi par laquelle quelqu'un mrite, et s'appuie sur la justice.

q. 6 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas unit Deo sicut hominem in Deum trahens : per fidem vero divina ad nos trahuntur, ut dictum est prius.

 6. La charit unit Dieu, comme si elle attirait l'homme vers lui, mais par la foi, le divin est tir nous, comme on l'a dit plus haut.

q. 6 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod invidia in fascinatione effectum habere non posset, nisi imaginatio fixa ad hoc cooperaretur.

 7. L'envie dans l'ensorcellement ne pourrait avoir d'effet si une image assujettie n'y contribuait.

q. 6 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa probat quod fides per caritatem meretur ; et hoc supra concessum est. Et praeterea, obiectio tenet in illis quae propria virtute homo facit, in quibus intellectus voluntatem dirigit, quae potentiae imperat exequenti. In his autem in quibus virtus divina est exequens, sola fides, quae divinae potentiae innititur, sufficit ad operandum.

 8. Cette raison prouve que la foi mrite par la charit, et cela on l'a concd ci-dessus. Et ensuite, l'objection tient en ce que l'homme fait par son propre pouvoir, en qui l'intelligence dirige la volont qui commande la puissance qui en dcoule. Mais pour ce en quoi le pouvoir divin est excut, la foi seule, qui s'appuie sur la puissance divine, suffit pour oprer.

q. 6 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod obiectio illa procedit de operatione miraculi secundum quod est a Deo, qui ad omnia quae in creaturis operatur, ex amore movetur. Nam divinus amor non permisit eum sine germine esse, ut dicit Dionysius [cap. IV de div. Nom.]. Nos autem loquimur de operatione miraculi secundum quod est ab homine. Unde ratio non est ad propositum.

 9. Cette objection procde de l'opration du miracle selon qu'il vient de Dieu, qui est pouss par amour pour tout ce qu'il opre dans les cratures. Car l'amour divin ne permet pas que ce soit sans rsultat, comme le dit Denys (Les noms divins, IV). Mais nous, nous parlons de l'accomplissement du miracle selon qu'il vient de l'homme. C'est pourquoi cette raison ne convient pas ce sujet.

q. 6 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod spei non proprie attribuitur miracula facere ; spes enim ordinatur ad aliquid consequendum, unde est solum de aeternis. Fides autem est de aeternis et temporalibus ; unde potest se extendere ad facienda. Et propter hoc in auctoritate inducta principalius fit mentio de spe quam de fide, cum dicitur, quod in spem credidit.

 10. Faire des miracles n'est pas proprement attribu l'esprance, car elle est ordonne acqurir quelque chose, c'est pourquoi elle concerne seulement l'ternit. Mais la foi concerne l'ternit et le temps ; c'est pourquoi elle peut parvenir agir. Et pour cela, dans l'autorit rapporte, il est fait plus mention de l'esprance que de la foi, quand on dit qu'il a cru contre toute esprance.

q. 6 a. 9 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod obiectum spei est arduum consequendum, non autem arduum faciendum.

 11. L'objet de l'esprance est d'obtenir ce qui est ardu, non de le faire.

q. 6 a. 9 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod spei respondet divina potentia secundum sublimitatem suae maiestatis, in cuius consecutionem spes tendit ; sed ipsi potentiae, secundum quod est mirabilium effectiva, praecipue innititur fides.

 12. A l'esprance rpond la puissance divine, selon la sublimit de sa majest, que l'esprance tend obtenir. Mais la foi s'appuie surtout sur la puissance mme selon qu'elle fait de miracles.

q. 6 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod publica iustitia est ex fide, per quam tota Ecclesia iustificatur, secundum illud Rom. III, 22 : Iustitia autem Dei per fidem Iesu Christi.

 13. La justice publique vient de la foi, par laquelle toute l'glise est justifie, selon cette parole de Rm. 3, 22 : La justice de Dieu par la foi en Jsus Christ.

q. 6 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod fortitudo in passionibus tolerandis, et constantia confessionis erat in martyribus propter fidei firmitatem.

 14. Les martyrs possdaient la force pour supporter les passions, et la fermet de la confession cause de la fermet de leur foi.

q. 6 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod etiam abstinentia ad miracula facienda cooperatur, non tamen ita principaliter sicut fides.

 15. Mme l'abstinence coopre pour faire des miracles, non cependant de faon aussi importance que la foi.

q. 6 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet feminam non cognoscere et semper cum femina commorari, sit difficile, non tamen est miraculum, proprie miraculo sumpto ; cum ex virtute creata dependeat, scilicet libero arbitrio.

 16. Bien que ne pas connatre une femme et demeurer toujours avec elle soit difficile, ce n'est cependant pas un miracle, en prenant le miracle au sens propre, puisqu'il dpend de la vertu cre, c'est--dire du libre arbitre.

q. 6 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod abusus miraculorum in his qui miraculis detrahebant non aufert eorum efficaciam ad fidem confirmandam, quantum ad illos qui erant bene dispositi.

 17. Le mauvais usage des miracles en ceux qui les dnigraient, n'enlve pas leur efficacit pour confirmer la foi, pour ceux qui taient bien disposs.

q. 6 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod fides Petri et Andreae commendatur propter promptitudinem credendi, quae tanto maior fuit, quanto minoribus adminiculis indiguit ad credendum : inter quae adminicula per se sunt miracula.

 18. La foi de Pierre et d'Andr est recommande cause de leur promptitude croire, qui est d'autant plus grande qu'elle a eu besoin de plus petites aides pour croire. Parmi ces aides en soi, il y a les miracles.

q. 6 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod fides non est sufficiens causa ad miracula facienda, sed dispositio quaedam. Fiunt autem miracula secundum ordinem divinae providentiae, quae hominibus congrua remedia pro variis causis diversimode dispensat.

 19. La foi n'est pas une cause suffisante pour faire des miracles, il y faut une certaine disposition. Mais les miracles sont faits selon l'ordre de la providence divine, qui dispense aux hommes de diverses manires des remdes convenables pour des causes varies.

 

 

 

Article 10 Les dmons sont-ils forcs par des objets sensibles et corporels, des vnements ou des paroles, d'accomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques ?

q. 6 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum daemones cogantur aliquibus sensibilibus et corporalibus rebus, factis aut verbis, ad miracula facienda, quae per magicas artes fieri videntur. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[709].

 

Objections :

q. 6 a. 10Arg. 1 Dicit enim Augustinus [X lib. de Civ. Dei, cap. IX], introducens verba Porphyrii, quod quidam in Chaldaea tactus invidia, adiuratas spirituales potentias precibus alligavit, ne ab alio postulata concederent. Et in 21 eiusdem Lib. dicit : Non potuit primum nisi, daemonibus dicentibus, disci : quid quisque illorum appetat, quid exhorreat, quo invitetur nomine, quo cogatur. Ergo daemones a magis coguntur ad magica facienda.

1. Car Augustin dit (La cit de Dieu, X, 9[710]), rapportant les paroles de Porphyre, que quelqu'un, en Chalde, touch par l'envie, lia des puissances spirituelles conjures par des prires, pour qu'elles n'accordent pas ce qui tait demand par un autre. Et au chapitre 21 du mme livre, il dit : Il ne put apprendre que par des dmons qui parlaient, ce que chacun d'eux demande, ce qu'il dteste, par quel nom il est invit, par qui il est contraint. Donc les dmons sont forcs par des magiciens faire des choses magiques.

q. 6 a. 10Arg. 2 Praeterea, quicumque facit aliquid contra suam voluntatem, aliquo modo cogitur. Sed daemones aliquando faciunt aliquid contra suam voluntatem per magos adiurati. Est enim voluntas daemonis semper ad inducendum homines in peccatum, et tamen aliquis magica arte, ad turpem amorem incitatus, eadem arte a violentia incitationis solvitur. Ergo daemones coguntur a magis.

2. Quiconque agit contre sa volont, est forc en quelque manire. Mais les dmons quelquefois agissent contre leur volont, adjurs par des magiciens. Car c'est la volont du dmon de toujours pousser les hommes au pch, et cependant quelqu'un, par un art magique, incit un amour honteux, est affranchi, par le mme art, de la violence de l'incitation. Donc les dmons sont contraints par les magiciens.

q. 6 a. 10Arg. 3 Praeterea, de Salomone legitur, quod quosdam exorcismos fecit quibus daemones cogebantur ut ex obsessis corporibus recederent. Ergo per adiurationes daemones cogi possunt.

3. On lit propos de Salomon, qu'il fit quelques exorcismes par lesquels les dmons taient forcs de partir des corps possds. Donc les dmons peuvent tre forcs par des adjurations

q. 6 a. 10Arg. 4 Praeterea, si daemones advocati a mago veniunt, aut hoc est quia alliciuntur, aut quia coguntur. Sed non semper advocati alliciuntur : advocantur enim per quaedam quae daemones odiunt, sicut per virginitatem imprecantis, cum tamen ipsi ad incestos concubitus homines deducere non morentur. Ergo videtur quod aliquando cogantur.

4. Si les dmons, appels par un magicien viennent, ou c'est parce qu'ils sont attirs ou parce qu'ils sont forcs, mais appels, ils ne sont pas toujours attirs, car ils sont appels par certaines choses qu'ils hassent, comme la virginit de celui qui prie, alors que cependant eux-mmes n'hsitent pas amener les hommes des enlacements incestueux. Donc il semble que quelquefois ils sont contraints.

q. 6 a. 10Arg. 5 Praeterea, studium daemonum est ut homines a Deo avertant. Sed ipsi advocati per aliqua quae reverentiam Dei sonant, sicut per invocationem divinae maiestatis, adveniunt. Ergo non propria voluntate hoc faciunt, sed coacti.

5. Les dmons ont du zle pour dtourner les hommes de Dieu. Mais appels par ce qui concerne la rvrence Dieu, comme par l'invocation de sa majest divine, ils viennent. Donc ils ne font pas cela par leur propre volont, mais contraints.

q. 6 a. 10Arg. 6 Praeterea, si alliciantur aliquibus sensibilibus, non alliciuntur eis sicut animalia cibis, sed sicut spiritus signis, quaecumque delectationi congruunt, per varia genera lapidum, herbarum, lignorum, animalium, carminum, rituum, ut Augustinus dicit [XXI lib. de Civ. Dei, cap. VI]. Sed signis allici non videntur : eius enim allici signis est cuius est signis uti, quod quidem est solum habentis sensum, nam signum est quod praeter speciem quam ingerit sensibus facit aliquid aliud in agnitionem venire. Ergo daemones nullo modo alliciuntur, sed magis coguntur.

6. S'ils sont attirs par ce qui est sensible, ils ne le sont pas comme les animaux par la nourriture, mais comme les esprit par les signes, quelque plaisir qu'ils s'accordent par les diffrents espces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux, de chants, de rites comme Augustin le dit (La cit de Dieu, XX1, 6[711]). Mais ils ne semblent pas tre attirs par les signes, car tre attir par les signes (convient) celui qui s'en sert, ce qui n'appartient seulement qu' celui qui a des sens, car le signe au-del de l'image, qu'il insre dans les sens, fait venir quelque chose d'autre la connaissance. Donc les dmons ne sont attirs en aucune manire, mais ils sont plutt contraints.

q. 6 a. 10Arg. 7 Praeterea, Matth. XVII, 14, dixit quidam ad Iesum : Domine, miserere filio meo, quia lunaticus est et male patitur. In Marco autem, cap. IX, 16, dicitur : Attuli filium meum ad te habentem spiritum mutum. Dicit autem Glossa [ordinaria] super verbo praedicto Matth. : Hunc Marcus surdum et mutum dicit quem Matthaeus nominat lunaticum, non quod luna daemonibus serviat, sed daemon lunae cursum observans homines corrumpit. Videtur ergo quod per observationem caelestium corporum et aliorum corporalium, daemones ad aliquid faciendum cogantur.

7. En Mt. 17, 14, quelqu'un dit Jsus : Seigneur, aie piti de mon fils, parce qu'il est lunatique et il souffre beaucoup. En Mc 9, 16, il est dit : Je t'ai amen mon fils ; il a un esprit muet. La glose (ordinaire) dit sur le mot de Mt. : Marc appelle sourd et muet, celui que Matthieu appelle lunatique, non que la lune soit soumise aux dmons, mais le dmon en observant le cours de la lune, corrompt les hommes. Donc il semble que par l'observation des corps clestes, et d'autres choses corporelles, les dmons soient forcs faire quelque chose.

q. 6 a. 10Arg. 8 Praeterea, cum daemones ex superbia peccaverint, non est probabile quod alliciantur illis quae eorum excellentiae derogare videntur. Advocantur autem per convocationes virtutis ipsorum, et per mendacia incredibilia quae derogant scientiae ipsorum. Unde Augustinus dicit in X Lib. de Civitate Dei [cap. X1], introducens verba Porphyrii, sic dicentis : Quid enim homo vitio cuilibet obnoxius intendit minas, eosque territat falso ut eis extorqueat veritatem, nam et caelum se collidere minatur et cetera similia, homini impossibilia, ut illi dii, tamquam insipientissimi pueri, falsis et ridiculosis comminationibus territi quae imperantur efficiant ? Ergo daemones non alliciuntur sed coguntur advocati.

8. Comme les dmons ont pch par orgueil, il n'est pas probable qu'ils soient attirs par ce qui semble droger leur excellence. Mais on les fait venir par un appel leur pouvoir, et par les mensonges incroyables qui drogent leur science. C'est pourquoi Augustin (La cit de Dieu, X, 11[712]) rapporte les paroles de Porphyre, qui parle ainsi, Car en quoi l'homme attach n'importe quel vice les menace, et les frappe d'pouvante par un mensonge, pour leur extorquer la vrit, car il menace le ciel de se dtruire et autres choses semblables, impossibles l'homme, pour que ces dieux, comme des enfants tout fait stupides, terrifis par des menaces fausses et ridicules, accomplissent ce qui est command ? Donc les dmons ne sont pas attirs mais une fois appels, ils sont contraints.

q. 6 a. 10Arg. 9 Praeterea voluntas daemonis ad hoc tendit, ut homines in culturam idolorum deiiciat ; quod quidem praecipue fit per hoc quod spiritus daemonum imaginibus adsunt. Si autem propria sponte advocati venirent, semper ad talia venirent. Non autem veniunt, nisi certis temporibus observatis, et determinatis carminibus et ritibus, imaginibus consecratis, vel potius execratis. Non ergo daemones advocantur quasi allecti, sed quasi coacti.

9. La volont du dmon tend faire tomber les hommes dans le culte des idoles, ce qui se fait surtout parce que les esprits des dmons sont prsents dans les images. Mais si appels, ils venaient toujours de leur propre mouvement, ils viendrait toujours de tels appels. Mais ils ne viennent qu' certaines poques qu'ils ont observes, et par des chants et des rites prcis, par les images consacres, ou plutt maudites. Donc les dmons sont appels non pas comme attirs, mais comme contraints.

q. 6 a. 10Arg. 10 Praeterea aliquando daemones magicis artibus advocantur, ut homines ad turpem amorem inclinent. Hoc autem daemones propria voluntate facere intendunt. Non ergo esset opus ut allicerentur si semper hoc facerent advocati. Non semper autem hoc faciunt. Ergo quando faciunt, advocantur non ut allecti, sed quasi coacti.

10. Quelquefois les dmons sont appels par les arts magiques, pour pousser les hommes un amour honteux. Mais cela les dmons tendent le faire de leur propre volont. Donc ce ne serait pas la peine de les attirer si toujours ils le faisaient une fois appels. Mais ils ne le font pas toujours. Donc quand ils le font, ils sont appels, non comme attirs mais comme contraints.

 

En sens contraire :

q. 6 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Iob XLI, 24 : Non est potestas super terram quae ei possit comparari scilicet Diabolo. Maior autem potestas non cogitur a minori. Ergo per nihil terrenum daemones cogi possunt.

1. En Job, (41, 24) il est dit : Il n'y a pas sur terre de puissance qui puisse lui tre compare[713], savoir celle du diable. Mais un plus grande puissance n'est pas contrainte par une plus petite. Donc les dmons ne peuvent tre contraints par rien de terrestre.

q. 6 a. 10 s. c. 2 Praeterea, non est eiusdem invocari et cogi. Invocantur enim maiores, ut Porphyrius dicit, sed peioribus imperatur. daemones autem veniunt advocati. Ergo non coguntur.

2. Ce n'est pas la mme chose d'tre appel et d'tre forc. Car on appelle les plus grands, comme Porphyre le dit, mais on commande aux plus mauvais ; mais des dmons viennent (s'ils sont) appels. Donc ils ne sont pas contraints.

q. 6 a. 10 s. c. 3 Sed dicendum, quod coguntur virtute divina.- Sed contra, cogere daemones ex virtute divina est per donum gratiae, quo perficitur ordo caelestium potestatum. Hoc autem donum gratiae non adest infidelibus, et hominibus sceleratis quales sunt magi. Ergo nec etiam virtute divina daemones cogere possunt.

3. Mais il faut dire qu'ils sont contraints par le pouvoir divin. En sens contraire contraindre les dmons par le pouvoir divin vient par un don de la grce, par lequel l'ordre des puissances clestes est achev. Mais ce don de la grce n'est pas pour les infidles, ni pour les sclrats, tels que les magiciens. Donc les dmons ne peuvent pas non plus contraindre par la puissance divine.

q. 6 a. 10 s. c. 4 Praeterea, facere ea quae divina virtute principaliter fiunt, non est peccatum, sicut facere miracula. Si ergo magi virtute divina daemones cogerent, utendo magicis artibus non peccarent, quod patet esse falsum. Non ergo daemones aliquo modo magicis artibus coguntur.

4. Faire ce qui est fait principalement par la puissance divine n'est pas un pch, comme faire des miracles. Donc si les magiciens contraignaient les dmons par la puissance divine, en se servant d'arts magiques, ils ne pcheraient pas, ce qui videmment faux. Donc les dmons ne sont pas contraints de quelque manire par les arts magiques.

 

Rponse :

q. 6 a. 10 co. Respondeo. Dicendum quod circa effectus magicarum artium multiplex fuit opinio. A. - Quidam enim dixerunt, sicut Alexander, quod effectus magicarum artium fit per aliquas potentias et virtutes in rebus inferioribus generatas ex virtutibus quorumdam inferiorum corporum, cum observatione caelestium motuum. Unde Augustinus dicit [X lib. de Civ. Dei, ap. I], quod Porphyrio videtur, herbis et lapidibus et animantibus et sonis certis quibusdam ac vocibus et figurationibus atque figmentis quibusdam, etiam observatis in caeli conversione motibus sidereis, fabricari in terra ab hominibus potestates idoneas siderum variis effectibus exequendis.

A propos des effets des arts magiques, il y eut de nombreuses opinions.A. - Certains ont dit, comme Alexandre[714], que l'effet des arts magiques se fait par des puissances et des pouvoirs engendrs dans les choses infrieures, par les pouvoirs de certains corps infrieurs, et en observant les mouvements du ciel. C'est pourquoi Augustin dit (La Cit de Dieu, X, 1) qu'il semble Porphyre, que par des herbes, des pierres, des tres anims, certains sons, des voix, des images, et aussi certaines reprsentations observes dans le ciel par les mouvements des toiles, des pouvoir capables d'accompagner diffrents effets des astres sont fabriqus sur terre par des hommes.

Haec autem positio insufficiens videtur. Licet enim ad aliqua quae magicis artibus fieri videntur, naturalium corporum superiorum et inferiorum vires sufficere possint,- sicut ad quasdam corporum transmutationes,- quaedam tamen fiunt magicis artibus ad quae nulla vis corporalis se extendere potest. Constat vero quod locutio non est nisi ab intellectu. Per magicas autem artes aliquae locutiones aliquorum respondentium audiuntur ; unde et oportet quod hoc fiat per aliquem intellectum, et praecipue cum de aliquibus occultis per huiusmodi responsa homines doceantur.

Mais cette opinion semble insuffisante. Car, bien que pour certaines choses qui semblent faites par les arts magiques, les forces des corps naturels suprieurs et infrieurs puissent suffire, comme pour certaines transformations des corps, certaines, cependant sont faites par les arts magiques, auxquels nulle puissance corporelle ne peut s'tendre. Mais il est clair que l'expression ne vient que de l'esprit. Mais par les arts magiques, on entend certaines paroles de personnes qui rpondent ; c'est pourquoi il faut que cela soit fait par un esprit et surtout quand les hommes apprennent de telles rponses de manire occulte sur des choses caches.

Nec potest dici, quod hoc fiat per immutationem imaginationis solius per modum praestigii : quia tunc istae voces non ab omnibus circumstantibus audirentur, nec a vigilantibus et habentibus sensus solutos istae voces audiri possent.

Et on ne peut pas dire que cela se fait par le changement de la seule imagination par imposture, parce que, alors, ces voix ne seraient pas entendues par tous ceux qui sont autour, ni par des personnes veilles et qui ont des sens sans entraves.

Unde relinquitur quod fiant vel ex virtute animae hominis magicis artibus utentis, aut fiant ab aliquo exteriori intellectum habente. Primum autem esse non potest : quod patet ex duobus : Primo quidem, quia anima hominis ex sua virtute non potest venire ad cognitionem ignotorum nisi per aliqua sibi nota ; unde ex voluntate animae hominis non potest fieri revelatio occultorum quae fit per magicas artes, cum ad huiusmodi occulta facienda non sufficiant principia rationis.

C'est pourquoi il reste que c'est fait par le pouvoir de l'me d'un hommes qui se servent des arts magiques, ou c'est fait par quelqu'un d'extrieur qui a un esprit.1) Premirement cela est impossible, ce qui parat pour deux raisons :a) Parce que l'me de l'homme par son pouvoir ne peut en venir connatre ce qu'il ignore que par l'intermdiaire du connu ; c'est pourquoi la rvlation de ce qui est cach qui se fait par les arts magiques ne peut pas se faire par la volont de l'me humaine, puisque pour faire des choses caches de ce genre, les principes de la raison ne suffisent pas.

Secundo, quia si sua virtute huiusmodi effectus anima magi faceret, non indigeret uti invocationibus aut aliquibus huiusmodi exterioribus rebus. Constat autem quod huiusmodi effectus magicarum artium per aliquos exteriores spiritus fiunt, non autem per spiritus iustos et bonos : quod quidem ex duobus patet : primo, quia boni spiritus familiaritatem suam sceleratis hominibus non exhiberent, quales plerumque sunt magicarum artium executores ; secundo, quia non cooperarentur hominibus ad illicita perpetranda, quod plerumque fit per magicas artes. Restat ergo hoc fieri per malos spiritus quos daemones dicimus.

b) Parce que, si par son pouvoir, l'me du magicien provoquait un effet de ce genre, il ne manquerait pas d'utiliser des invocations ou des choses extrieures de ce genre.2) Il est clair que de tels effets des arts magiques sont faits par des esprits extrieurs, mais pas par des esprits justes et bons, ce qui parat de deux manires :a) Parce que les bons esprits ne montreraient pas leur familiarit aux sclrats, tels que sont la plupart de ceux qui exercent les arts magiques.b) Parce qu'ils ne collaboreraient pas avec les hommes pour perptrer des actes illicites, ce qui se fait la plupart du temps par les arts magiques. Donc il reste que cela est fait par des esprits mauvais que nous appelons dmons.

Huiusmodi autem daemones possunt intelligi cogi dupliciter : Uno modo per aliquam superiorem virtutem, quae eis necessitatem faciendi inducat ; alio modo per modum allectionis, sicut homines dicuntur ad aliquid cogi cuius concupiscentia alliciuntur.

Mais on comprend que de tels dmons peuvent tre contraints de deux manires :1) Par un pouvoir suprieur, qui les conduit la ncessit de le faire ;2) au moyen d'un enrlement, de mme que pour les hommes on dit qu'ils sont forcs de faire ce qui les attire par concupiscence.

Neutro autem modo rebus corporalibus, per se loquendo, daemones cogi possunt nisi supponantur habere corpora aerea naturaliter sibi unita et per consequens habere sensibiles affectiones ad modum aliorum animalium, sicut et Apuleius posuit daemones esse animalia corpore aerea, anima passiva [ex Augustinus, VIII de Civ. Dei, cap. XVI]. Sic enim cogi possent, utroque modo, corporali virtute et corporum caelestium (ex quorum impressionibus in aliquas passiones inducerentur) et etiam inferioribus corporibus in quibus delectarentur, sicut Apuleius dicit : Et delectantur in fumis sacrificiorum et in aliquibus talibus. Sed huius opinionis falsitas ostensa est in praecedentibus quaestionibus.

En aucune manire les dmons ne peuvent tre contraints par des corps, proprement parler, moins qu'on suppose qu'ils ont des corps ariens naturellement unis eux et par consquent qu'ils ont des affections sensibles, la manire des autres tres anims. Ainsi Apule a pens que les dmons taient des tres anims, au corps arien, l'me passive (tir d'Augustin la Cit de Dieu, VIII, 16). Car ainsi ils peuvent tre contraints de deux manires, par le pouvoir corporel et celui des corps clestes (par les pressions desquels ils sont amens certaines passions) et mme par les corps infrieurs dont ils se dlectent, comme Apule le dit : Et ils se dlectaient dans la fume des sacrifices et autres choses de ce genre. Mais l'erreur de cette opinion a t dmontre dans les prcdentes questions.

Restat ergo quod daemones, per quos magicae artes complementum habent, et coguntur et alliciuntur. Coguntur quidem a superiori ; quandoque quidem ab ipso Deo, quandoque vero a sanctis et Angelis et hominibus virtute Dei. Nam ad ordinem potestatum pertinere dicitur daemones arcere. Sancti autem homines sicut dono virtutum participant, in quantum miracula faciunt, ita dono potestatum, in quantum eiiciunt daemones. Coguntur etiam interdum ab ipsis superioribus daemonibus ; quae quidem sola coactio per magicas artes fieri potest. Coguntur etiam quasi allecti per artes magicas, non quidem rebus corporalibus propter seipsas, sed propter aliquid aliud.

B) Il reste donc que les dmons, qui apportent un complment aux arts magiques, sont contraints et attirs. Ils sont contraints par un suprieur, quelquefois par Dieu lui-mme, quelquefois par les saints, les anges et les hommes, avec le pouvoir de Dieu. Car on dit qu'il convient l'ordre des Puissances d'carter les dmons. Mais de mme que les saints participent au don des vertus, dans la mesures o ils font des miracles, de mme ils participent au don des pouvoirs, dans la mesure o ils rejettent les dmons. Des dmons sont forcs aussi quelquefois par les dmons suprieurs, eux-mmes, seule cette contrainte peut tre faite par les arts magiques. Ils sont contraints aussi comme attirs par les arts magiques, non par ce qui est corporel en lui-mme, mais quelque chose d'autre.

Primo quidem, quia per huiusmodi res corporales sciunt facilius posse compleri effectum ad quem invocantur ; et hoc ipsi appetunt, ut scilicet eorum virtus admirabilis habeatur ; et propter hoc sub certa constellatione advocati magis adveniunt.

1) Parce que, par les corps de ce genre, ils savent qu'ils peuvent plus facilement accomplir un effet auquel ils sont appels et ils le dsirent pour que leur pouvoir passe pour admirable, et pour cela ils arrivent plutt appels sous certaines positions des astres.

Secundo, inquantum huiusmodi corporalia sunt signa aliquorum spiritualium quibus delectantur. Unde Augustinus dicit [XXI lib. De Civ. Dei, cap. VI], quod alliciuntur daemones in his rebus, non tamquam animalia cibis, sed quasi spiritus signis. Quia enim homines in signum subiectionis Deo sacrificium offerunt et prostrationes faciunt, gaudent huiusmodi reverentiae signa sibi exhiberi. Alliciuntur autem diversi daemones diversis signis, secundum quod diversis vitiis ipsorum magis conveniunt.

2) Dans la mesure o les corps de ce genre sont des signes de certaines choses spirituelles, dont ils se dlectent. C'est pourquoi Augustin dit (La cit de Dieu XXI, 6) que les dmons sont attirs dans ces choses, non comme les animaux par la nourriture, mais comme l'esprit par des signes. Car, parce que les hommes en signe de soumission offrent un sacrifice Dieu et font des prosternations, ils se rjouissent qu'on leur montre des signes de rvrences de ce genre. Mais diffrents dmons sont attirs par des signes diffrents, ce qui convient leurs diffrents vices.

Tertio alliciuntur his corporalibus rebus, inquantum homines per eas in peccatum adducuntur ; et inde est quod alliciuntur mendaciis, et his quae homines in errorem vel peccatum inducere possunt.

3) Ils sont attirs par les corps, dans la mesure o les hommes sont conduits par eux au pch et de l vient qu'ils sont attirs par les mensonges et par ce qui peut conduire les pcheurs dans l'erreur et le pch.

 

Solutions :

q. 6 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod daemones dicuntur cogi per magicas artes modis praedictis.

 1. On dit que les dmons sont contraints par les arts magiques selon les manires dont on a parl.

q. 6 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ipso daemoni satisfit, si per hoc quod aliquod malum impedit et ad aliquod bonum cooperatur, facilius in sui familiaritatem et admirationem homines trahit. Nam et ipsi se transfigurant in Angelos lucis, sicut habetur II Cor. XI, 14.

 2. Cela satisfait le dmon, si par ce qui empche un mal et coopre un bien, il entrane les hommes plus facilement tre familiers avec lui et l'admirer. Car eux-mmes se transforment en anges de lumire, comme il est dit en II Co. 11, 14.

q. 6 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si Salomon exorcismos suos eo tempore fecit quando erat in statu salutis, potuit esse in illis exorcismis vis cogendi daemones ex virtute divina. Si autem tempore illo fecit quo idola adoravit, ut intelligatur eum per magicas artes fecisse, non fuit in illis exorcismis vis cogendi daemones, nisi modo praedicto.

 3. Si Salomon a pratiqu des exorcismes au temps o il tait dans l'tat de salut, il a pu avoir pour cela une force pour contraindre les dmons par le pouvoir divin. Mais s'il l'a fait au temps o il a ador les idoles, pour comprendre alors qu'il l'a fait par les arts magiques, cest quil n'y eutpas en ces exorcismes la force de contraindre les dmons, que par la manire dont on a parl.

q. 6 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod a virginibus advocati adveniunt, ut ex hoc in suae divinitatis opinionem homines adducant, quasi munditiam ament.

 4. Appels par les vierges, ils arrivent pour conduire par cela les hommes l'opinion de leur divinit, comme s'ils aimaient la puret.

q. 6 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in hoc etiam quod ad invocationem divinae virtutis adveniunt, volunt intelligi quod non sint a divina iustitia omnino exclusi ; non enim sic divinitatem appetunt ut summo Deo velint aequari omnino, sed sub eo, divinitatis cultum sibi ab hominibus exhiberi gaudent.

 5. En cela aussi qu'ils arrivent l'appel du pouvoir divin, ils veulent qu'on comprenne qu'ils ne sont pas exclus tout fait de la justice divine, car ils ne dsirent pas la divinit pour vouloir tout fait galer le Dieu Trs Haut, mais sous lui, ils se rjouissent du culte de la divinit que les hommes leur montrent.

q. 6 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod daemones non dicuntur allici signis quasi ipsi signis utantur, sed quia homines signis uti consueverunt, delectantur in signis quibus homines utuntur propter signatum.

 6. On ne dit pas que les dmons sont attirs par des signes comme s'ils s'en servaient, mais parce que les hommes ont l'habitude de s'en servir, ils se dlectent dans les signes dont usent les hommes, en vue de ce qui est signifi.

q. 6 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut Glossa ordinaria ibidem dicit, daemones certis periodis lunae homines magis affligunt, ut creaturas Dei infament, in hoc scilicet quod credantur daemonibus servire, et per hoc homines in errorem mittant.

 7. Comme la glose ordinaire le dit ici, les dmons affligent plus les hommes pendant certaines priodes de lune, pour dshonorer les cratures de Dieu, en cela qu'on croit qu'ils sont asservis aux dmons et par l ils font tomber les hommes dans l'erreur.

q. 6 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet praedicta mendacia in derogationem virtutis daemonum esse videantur, tamen hoc ipsum eis est delectabile, quod homines in mendaciis confidant : quia ipse est mendax et pater eius.

 8. Bien que les mensonges rapports paraissent tre dans une drogation du pouvoir des dmons, cependant il leur est agrable que les hommes aient confiance dans leur mensonge, parce que le dmon est lui-mme menteur et le pre du mensonge.

q. 6 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ad imagines advocati adveniunt certis horis et certis signis, rationibus praedictis.

 9. Appels se manifester, ils viennent des heures et des signes dtermins, pour les raisons dj dites.

q. 6 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet semper daemones homines desiderent pertrahere in peccata, tunc tamen magis adhuc nituntur quando magis ad hoc inclinantur, et quando plures possunt inducere in peccatum.

 10 Bien que les dmons dsirent toujours faire tomber les hommes dans les pchs, ils s'y efforcent plus quand ils y sont forcs et quand ils peuvent en pousser plusieurs au pch.

 

 

 

Question 7 La simplicit de lessence divine

q. 7 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus sit simplex.

1. Dieu est-il simple ?

q. 7 pr. 2 Secundo utrum in Deo sit substantia vel essentia idem quod esse.

2. La substance ou l'essence en Dieu sont-elles la mme chose que son tre ?

q. 7 pr. 3 Tertio utrum Deus sit in aliquo genere.

3. Dieu est-il dans un genre ?

q. 7 pr. 4 Quarto utrum bonum, iustum, sapiens et huiusmodi praedicent in Deo accidens.

4. Bon, juste, sage, etc., attribuent-ils un accident Dieu ?

q. 7 pr. 5 Quinto utrum nomina praedicta significent divinam substantiam.

5. Ces noms attribus Dieu signifient-ils sa substance ?

q. 7 pr. 6 Sexto utrum ista nomina sint synonyma.

6. Ces noms sont-ils synonymes ?

q. 7 pr. 7 Septimo utrum huiusmodi nomina dicantur de Deo et creaturis univoce, vel aequivoce.

7. Les noms sont-ils utiliss pour Dieu et les cratures de manire univoque ou quivoque ?

q. 7 pr. 8 Octavo utrum sit aliqua relatio inter Deum et creaturam.

8. Y a-t-il une relation entre Dieu et la crature ?

q. 7 pr. 9 Nono utrum relationes quae sunt inter Deum et creaturas, sint relativae in ipsis creaturis.

9. Les relations entre Dieu et les cratures sont-elles relatives dans les cratures mme ?

q. 7 pr. 10 Decimo utrum Deus realiter referatur ad creaturam, ita quod relatio ipsa sit res aliqua in Deo.

10. Dieu est-il rellement en relation avec la crature, de sorte que la relation mme soit une ralit en Dieu ?

q. 7 pr. 11 Undecimo utrum istae relationes temporales sint in Deo secundum rationem.

11. Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison ?

 

 

 

Article 1 Dieu est-il simple ?  

q. 7 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus sit simplex. Et videtur quod non.

 Il semble que non[715].

 

Objections :

q. 7 a. 1Arg. 1 Ab uno enim simplici non est natum esse nisi unum : idem enim semper facit idem, secundum philosophum [lib. II de Gener.]. Sed a Deo procedit multitudo. Ergo ipse non est simplex.

1. Car d'un tre simple et unique, ne peut venir qu'un seul tre[716]. Car le mme fait toujours le mme, selon le Philosophe (La gnration II.) Mais la multiplicit procde de Dieu. Donc il n'est pas simple.

q. 7 a. 1Arg. 2 Praeterea, simplex si attingitur, totum attingitur. Sed Deus a beatis attingitur : quia, ut dicit Augustinus [in lib. De videndo Deum], attingere mente Deum magna est beatitudo. Si ergo sit simplex, totus attingitur a beatis. Sed quod totum attingitur, comprehenditur. Ergo Deus a beatis comprehenditur, quod est impossibile. Ergo Deus non est simplex.

2. Si ce qui est simple est atteint, il est atteint tout entier. Mais Dieu est atteint par les bienheureux, parce que, comme le dit Augustin (De videndo Deo), c'est une grande batitude d'atteindre Dieu par l'esprit. Si donc il est simple, il est atteint tout entier par les bienheureux. Mais ce qui est atteint tout entier, est apprhend. Donc Dieu est apprhend par les bienheureux, ce qui est impossible. Donc Dieu n'est pas simple.

q. 7 a. 1Arg. 3 Praeterea, idem non se habet in ratione diversarum causarum. Sed Deus se habet in ratione diversarum causarum, ut patet XI Metaph. Ergo in eo oportet esse diversa ; ergo oportet eum esse compositum.

3. Le mme ne se comprte pas en raison de causes diverses Mais Dieu oui, comme on le voit en Mtaphysique (Q) XI. Donc en lui, il faut qu'il y ait la diversit. Donc il faut qu'il soit compos.

q. 7 a. 1Arg. 4 Praeterea, ubicumque est aliquid et aliquid, est compositio. Sed in Deo est aliquid et aliquid, scilicet proprietas et essentia. Ergo in Deo est compositio.

4. L o il y a une chose et une autre, il y a composition, mais en Dieu il y a une chose et une autre, savoir la proprit[717] et l'essence. Donc en lui il y a composition.

q. 7 a. 1Arg. 5 Sed dicendum, quod proprietas est idem quod essentia.- Sed contra : affirmatio et negatio non verificantur de eodem. Sed essentia divina est communicabilis tribus personis, proprietas autem est incommunicabilis. Ergo proprietas et essentia non sunt idem.

5. Mais il faut dire que la proprit est la mme chose que l'essence En sens contraire : l'affirmation et la ngation ne se vrifient pas d'un mme objet[718]. Mais l'essence divine est communicable aux trois personnes, mais la proprit est incommunicable. Donc la proprit et l'essence ne sont pas une mme chose.

q. 7 a. 1Arg. 6 Praeterea, de quocumque praedicantur diversa praedicamenta, illud est compositum. Sed in divina praedicatione venit substantia et relatio, ut dicit Botius [in lib ; de rinit.]. Ergo Deus est compositus.

6. Celui qui on attribue diverses catgories est compos ; mais dans l'attribution divine[719], on trouve la substance et la relation, comme le dit Boce (La Trinit). Donc Dieu est compos.

q. 7 a. 1Arg. 7 Praeterea, in qualibet re est substantia, virtus et operatio, ut dicit Dionysius ; ex quo videtur quod operatio sequitur virtutem et substantiam. Sed in operationibus divinis est pluralitas. Ergo in substantia eius invenitur multitudo et compositio.

7. En toutes choses il y a la substance, la puissance et l'opration, comme le dit Denys (La hirarchie cleste, XI, 2, 284 D[720]). A partir de cela, il semble que l'opration dcoule de la puissance et de la substance. Mais il y a pluralit dans les oprations divines. Donc dans sa substance on trouve la pluralit et la composition.

q. 7 a. 1Arg. 8 Praeterea, ubicumque invenitur multitudo formarum, ibi oportet esse compositionem. Sed in Deo invenitur multitudo formarum ; quia, sicut dicit Commentator [ lib. XI Metaph., com. XVIII], omnes formae sunt actu in primo motore, sicut sunt in potentia in prima materia. Ergo in Deo est compositio.

8. Partout o l'on trouve la pluralit de formes, il faut qu'il y ait composition. Mais en Dieu on trouve la pluralit des formes, parce que, comme le dit le Commentateur (Mtaphysique XI, com. 18), toutes les formes sont en acte dans le premier moteur, comme elles sont en puissance dans la matire premire. Donc en Dieu il y a composition.

q. 7 a. 1Arg. 9 Praeterea, quidquid advenit alicui rei post esse completum, inest ei accidentaliter. Sed quaedam dicuntur de Deo ex tempore, sicut quod sit creator et dominus. Ergo insunt ei accidentaliter. Accidentis autem ad subiectum est aliqua compositio. Ergo in Deo est compositio.

9. Tout ce qui arrive une chose aprs son tre complet, est en elle de manire accidentelle. Mais certains ont parl de Dieu chronologiquement, comme Crateur et Seigneur. Donc ces attributs sont en lui de manire accidentelle. Mais il y a composition de l'accident avec le substrat. Donc en Dieu il y a composition.

q. 7 a. 1Arg. 10 Praeterea, ubicumque sunt multae res, ibi est compositio. Sed in Deo sunt tres personae, quae sunt tres res, ut dicit Augustinus [in lib. De Doct. Christ., lib. I, cap. 5]. Ergo in Deo est compositio.

10. Partout o les lments sont nombreux[721], il y a composition, mais en Dieu il y a trois Personnes, qui sont trois "choses", comme le dit Augustin (La doctrine chrtienne, I, 5). Donc en Dieu il y a composition.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius [VIII de Trinitate] dicit : Non humano modo ex compositis est Deus, ut in eo aliud sit quod habet, et aliud sit ipse qui habet.

1. Il y a ce quHilaire dit au livre 8 de La Trinit : Dieu n'est pas par ses composs la manire humaine, de sorte qu'en lui, ce qu'il a et celui qui l'a soint diffrents[722].

q. 7 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Boetius dicit : Hoc vere unum est in quo nullus est numerus. Ubicumque autem est compositio, est aliquis numerus. Ergo Deus est absque compositione omnino simplex.

2. Boce dit (La Trinit ) Est vraiment un ce en quoi il ny a aucun nombre[723]. Partout o il y a composition, il y a un nombre. Donc Dieu est sans composition et tout fait simple.

 

Rponse :

q. 7 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod Deum esse simplicem modis omnibus tenendum est. Quod quidem ad praesens tribus rationibus potest probari,

Il faut tenir pour assur que Dieu est simple de toutes les manires. Ce qui peut prsent tre prouv par trois raisons, :

quarum prima talis est : ostensum est enim in alia disputatione, omnia entia ab uno primo ente esse, quod quidem primum ens Deum dicimus. Quamvis autem in uno et eodem quod quandoque invenitur in actu, quandoque in potentia, potentia tempore prius sit actu, natura autem posterius, simpliciter tamen oportet actum esse priorem potentia, non solum natura sed tempore, eo quod omne ens in potentia reducitur in actum ab aliquo ente actu. Illud ergo ens quod omnia entia fecit esse actu, et ipsum a nullo alio est, oportet esse primum in actu, absque aliqua potentiae permixtione. Nam si esset aliquo modo in potentia, oporteret aliud ens prius esse per quod fieret actu. In omni autem composito qualicumque compositione, oportet potentiam actui commisceri. In compositis enim vel unum eorum ex quibus est compositio est in potentia ad alterum, ut materia ad formam, subiectum ad accidens, genus ad differentiam ; vel saltem omnes partes sunt in potentia ad totum. Nam partes ad materiam reducuntur, totum vero ad formam, ut patet in II Physic. [com. 31], et sic nullum compositum potest esse actus primus. Ens autem primum, quod Deus est, oportet esse actum purum, ut ostensum est. Impossibile est ergo Deum compositum esse ; unde oportet quod sit omnino simplex.

1) dont la premire est la suivante : On a montr, en effet, dans une autre discussion (Pot. 3, 5) que tous les tants venaient d'un premier tant, que nous appelons Dieu. Mais quoique dans un seul et mme tant, que l'on trouve quelquefois en acte, quelquefois en puissance, la puissance soit chronologiquement avant l'acte, et selon la nature aprs, dans l'absolu, il faut que l'acte soit avant la puissance, non seulement en nature mais chronologiquement, parce que tout tant en puissance est ramen l'acte par un tant en acte. Donc cet tant qui a fait que tous les tants sont en acte, et qui lui-mme ne dpend d'aucun autre, doit tre l'tre premier en acte sans aucun mlange de puissance. Car s'il tait en quelque manire en puissance, il faudrait qu'un autre tant existe avant par lequel il deviendrait en acte[724]. Dans tout compos, quelle que soit la composition, il faut que la puissance soit mle l'acte. Car dans les composs, ou bien l'un d'eux d'o vient la composition est en puissance pour l'autre, comme la matire pour la forme, le sujet pour l'accident, le genre pour la diffrence, ou bien au moins toutes les parties sont en puissance pour le tout. Car les parties sont ramenes la matire, le tout la forme, comme on le montre en Physique (III, 3, 195 a 15 ss[725]), et ainsi aucun compos ne peut tre acte premier. Mais l'tant premier, qui est Dieu, doit tre acte pur, comme on l'a montr. Donc il est impossible qu'il soit compos ; c'est pourquoi il faut qu'il soit tout fait simple.

Secunda ratio est quia cum compositio non sit nisi ex diversis, ipsa diversa indigent aliquo agente ad hoc quod uniantur. Non enim diversa, inquantum huiusmodi, unita sunt. Omne autem compositum habet esse, secundum quod ea, ex quibus componitur, uniuntur. Oportet ergo quod omne compositum dependeat ab aliquo priore agente. Primum ergo ens, quod Deus est, a quo sunt omnia, non potest esse compositum.

2) Seconde raison, parce que, comme la composition ne vient que de parties diverses, celles-ci ont besoin d'un agent pour les unir. Car en tant que tel, ce qui est divers n'est pas uni. Mais tout compos a l'tre selon que ses composants sont unis. Donc il faut que tout compos dpende d'un agent premier. Donc l'tant premier, qui est Dieu, d'ou vient tout, ne peut pas tre compos.

Tertia ratio est, quia oportet primum ens, quod Deus est, esse perfectissimum, et per consequens optimum ; non enim rerum principia imperfecta sunt, ut Pythagoras et Leucippus aestimaverunt. Optimum autem est in quo nihil est quod careat bonitate, sicut albissimum est in quo nihil nigredinis admiscetur. Hoc autem in nullo composito est possibile. Nam bonum quod resultat ex compositione partium, per quod totum est bonum, non inest alicui partium. Unde partes non sunt bonae illa bonitate quae est totius propria. Oportet ergo id quod est optimum, esse simplicissimum, et omni compositione carere. Et hanc rationem ponit philosophus [XI Metaphysicorum et Hilarius [in libro de Trinitate, cap. VII] ubi dicit, quod Deus, quia lux est, non ex obscuris coarctatur, neque quia virtus est, ex infirmis continetur.

3) Troisime raison : il faut que le premier tant, qui est Dieu, soit absolument parfait, et par consquent le meilleur, car les principes des choses ne sont pas imparfaits, comme Pythagore et Leucippe l'ont pens. Mais le meilleur est celui en qui il n'y a rien qui manque de bont, comme le blanc suprme est ce en quoi rien de noir n'est ml. Mais cela n'est possible dans aucun compos. Car le bien qui rsulte de la composition des parties, par lequel le tout est bon, n'est dans aucune partie. C'est pourquoi les parties ne sont pas bonnes de cette bont qui est le propre du tout. Il faut donc que le meilleur soit absolument simple et ne comporte aucune composition. Et le Philosophe donne cette raison (Mtaphysique XI) et Hilaire, (La Trinit, VII, 27, PL. 10, 223 AB[726]) o il dit que Parce que Dieu est lumire, il n'est pas contraint par l'obscurit, et parce qu'il est puissance il n'est pas contenu par ce qui est faible.

 

Solutions :

q. 7 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intentio Aristotelis non est quod ab uno non possit procedere multitudo. Cum enim agens agat sibi simile, et effectus deficiant a repraesentatione suae causae, oportet quod illud quod in causa est unitum, in effectibus multiplicetur ; sicut in virtute solis sunt quasi unum omnes formae generabilium corporum, et tamen in effectibus distinguuntur. Et exinde contingit quod per unam suam virtutem res aliqua potest inducere diversos effectus, sicut ignis per suum calorem liquefacit et coagulat, et mollificat et indurat, et comburit et denigrat. Et homo per virtutem rationis acquirit diversas scientias, et operatur diversarum artium opera ; unde et multo amplius Deus per unam suam simplicem virtutem potest multa creare. Sed philosophus intendit, quod aliquid manens idem non facit diversa in diversis temporibus, si sit agens per necessitatem naturae ; nisi forte per accidens hoc contingat ex diversitate materiae, vel alicuius alterius accidentis. Hoc tamen non est ad propositum.

 1. La pense d'Aristote n'est pas que la pluralit ne puisse pas procder de l'unit. En effet, comme l'agent fait du semblable lui et que les effets sont dficients par rapport la reprsentation de leur cause, il faut que ce qui est uni dans une cause, devienne multiple dans les effets ; ainsi dans le pouvoir du soleil, il y a toutes les formes des corps qui peuvent tre engendrs comme une unit, et cependant elles sont distingues dans les effets. Et de l vient que par une seule puissance, une chose peut induire diffrents effets, comme le feu par sa chaleur liqufie, coagule, ramollit, durcit, brle et noircit. Et l'homme par le pouvoir de sa raison acquiert diverses sciences, et produit les oprations de diffrents arts. C'est pourquoi, et beaucoup plus, Dieu par sa puissance une et simple peut crer beaucoup d'tres. Mais le philosophe soutient que ce qui demeure le mme ne fait pas de choses diverses dans des temps diffrents, s'il est agent par ncessit de nature ; moins que par hasard cela arrive par accident par la diversit de la matire ou de quelque autre accident. Mais cela n'est pas dans notre propos.

q. 7 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus a beatis mente attingitur totus, non tamen totaliter, quia modus cognoscibilitatis divinae excedit modum intellectus creati in infinitum ; et ita intellectus creatus non potest Deum ita perfecte intelligere sicut intelligibilis est, et propter hoc non potest ipsum comprehendere.

 2. Dieu tout entier est atteint par l'esprit des bienheureux, non totalement cependant, parce que le mode par lequel Dieu peut tre connu excde l'infini l'intellect cr ; et ainsi celui-ci ne peut pas comprendre Dieu aussi parfaitement qu'il est intelligible, et c'est pour cela qu'il ne peut pas lapprhender.

q. 7 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per unum et idem Deus in ratione diversarum causarum se habet : quia, per hoc quod est actus primus, est agens, et est exemplar omnium formarum, et est bonitas pura, et per consequens omnium finis.

 3. Dieu ne se comporte pas d'une seule et mme manire, en raison de diffrentes causes ; parce qu'il est lacte premier, il est l'agent et l'exemplaire de toutes les formes, il est bont pure et par consquent fin de tout.

q. 7 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietas et essentia in divinis non differunt re, sed ratione tantum : ipsa enim paternitas est divina essentia, ut post [ quaest ; seq. Art. 5] patebit.

 4. La proprit et l'essence ne diffrent pas rellement en Dieu[727], mais en raison seulement ; car la paternit elle-mme est l'essence divine, comme on le montrera (qu. 8, a. 1).

q. 7 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de eo quod est idem re et differens ratione, nihil prohibet contradictoria praedicari, ut dicit philosophus [III Phys., text. Com. 21], sicut patet quod idem punctum re, differens ratione, est principium et finis ; et secundum quod est principium, non est finis, et e contrario. Unde cum essentia et proprietas sint idem re et differant ratione, nihil prohibet quin unum sit communicabile et aliud incommunicabile.

 5. Pour ce qui est le mme en ralit et diffrent en raison, rien n'empche d'attribuer des termes contradictoires, comme le dit le philosophe (Physique, III, 3, 202 b 8[728]), ainsi il apparat que le point, le mme en ralit, diffrent en raison, est principe et fin ; et selon qu'il est principe, il n'est pas la fin, et inversement. C'est pourquoi comme l'essence et la proprit sont une mme chose en ralit et diffrente en raison, rien n'empche que l'une soit communicable et l'autre incommunicable.

q. 7 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod absoluta et relativa in divinis non differunt secundum rem, sed solum secundum rationem, ut dictum est ; et ideo ex hoc nulla compositio relinquitur.

 6. L'absolu et le relatif[729] en Dieu ne diffrent pas en ralit, mais seulement en raison, comme on l'a dit, et c'est pourquoi partir de cela il ne reste nulle composition.

q. 7 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod operatio Dei potest considerari vel ex parte operantis vel ex parte operati. Si ex parte operantis, sic in Deo non est nisi una operatio, quae est sua essentia : non enim agit res per actionem aliquam quae sit media inter Deum et suum velle, quae sunt ipsius esse. Si vero ex parte operati, sic sunt diversae operationes, ipsum factum, sed per suum intelligere et diversi effectus divinae operationis. Hoc autem compositionem in ipso non inducit.

 7. L'opration de Dieu peut tre considre du ct de celui qui opre ou du ct de ce qui est produit. Si c'est du ct de celui qui opre, il n'y a qu'une opration en Dieu, qui est son essence ; car il ne fait rien par une action qui serait intermdiaire entre lui et son vouloir, qui sont son tre propre. Mais si c'est du ct de ce qui est produit, il y a diffrentes oprations, ce qui est produit mais aussi par son intellection, les diffrents effets de l'opration divine. Mais cela n'entrane pas de composition en lui.

q. 7 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod forma effectus invenitur aliter in agente naturali, et aliter in agente per artem. In agente namque per naturam, invenitur forma effectus secundum quod agens in sua natura assimilat sibi effectum, eo quod omne agens agit sibi simile. Quod quidem contingit dupliciter :

 8. La forme de l'effet se trouve autrement dans l'agent naturel que dans l'agent par art. Dans l'agent par nature, on trouve la forme de l'effet selon que l'agent rend son effet semblable lui dans sa propre nature, parce que tout agent fait du semblable lui. Cela arrive de deux faons :

quando enim effectus perfecte assimilatur agenti, utpote adaequans agentis virtutem, tunc forma effectus est in agente secundum eamdem rationem, ut patet in agentibus univocis, ut cum ignis generat ignem ;

a) en effet, lorsque l'effet ressemble parfaitement l'agent, en tant qu'il gale sa puissance, alors la forme de l'effet est dans l'agent selon la mme nature, comme cela apparat dans les agents univoques, comme quand le feu engendre le feu ;

quando vero effectus non perfecte assimilatur agenti, utpote non adaequans agentis virtutem, tunc forma effectus est in agente non secundum eamdem rationem, sed sublimiori modo ; ut patet in agentibus aequivocis, ut cum sol generat ignem.

b) mais quand l'effet n'est pas parfaitement semblable l'agent, savoir qu'il n'gale pas la puissance de l'agent, alors la forme de l'effet n'est pas dans l'agent selon une mme nature, mais sur un mode plus sublime ; comme cela apparat dans les agents quivoques, comme quand le soleil engendre le feu.

In agentibus autem per artem, formae effectuum praeexistunt secundum eamdem rationem, non autem eodem modo essendi, nam in effectibus habent esse materiale, in mente vero artificis habent esse intelligibile. Cum autem in intellectu dicatur esse aliquid sicut id quod intelligitur, et sicut species qua intelligitur, formae artis sunt in mente artificis sicut id quo intelligitur. Nam ex hoc quod artifex concipit formam artificiati, producit eam in materia.

Mais dans les agents qui agissent par art, les formes des effets prexistent selon une mme raison, mais non selon la mme manire d'tre, car ils ont un tre matriel dans les effets, et l'tre intelligible dans l'esprit de l'artisan. Mais comme on dit qu'il y a une chose dans l'intellect comme ce qui est pens[730], et comme la forme par laquelle on la pense, les formes de l'art sont dans l'esprit de l'artisan comme ce qui est pens. Car du fait que l'artisan conoit la forme de l'uvre, il la produit dans la matire.

Utroque autem modo formae rerum sunt in Deo : cum enim ipse agit res per intellectum, non est sine actione naturae. In inferioribus autem artificibus ars agit virtute extraneae naturae, qua utitur ut instrumento, sicut figulus igne ad coquendum laterem. Sed ars divina non utitur exteriori natura ad agendum, sed virtute propriae naturae facit suum effectum. Formae ergo rerum sunt in natura divina ut in virtute operativa, non secundum eamdem rationem, cum nullus effectus virtutem illam adaequet. Unde sunt ibi ut unum omnes formae quae in effectibus multiplicantur ; et sic nulla provenit inde compositio. Similiter in intellectu eius sunt multa intellecta per unum et idem, quod est sua essentia. Quod autem per unum intelligantur multa, non inducit compositionem intelligentis ; unde nec ex hac parte sequitur compositio in Deo.

Les formes des choses sont en Dieu de l'une et l'autre manire. Quand, en effet, lui-mme fait les choses par son intellect, ce n'est pas sans l'action de la nature. Mais dans les uvres d'art infrieures, l'art agit avec le pouvoir de la nature extrieure, dont il se sert comme d'un instrument, comme le briquetier pour cuire l'argile par le feu. Mais l'art divin ne se sert pas de la nature extrieure pour agir, mais il produit son effet par la puissance de sa propre nature. Donc les formes sont dans la nature divine comme dans un pouvoir opratif, non selon la mme nature, puisque aucun effet n'gale son pouvoir. C'est pourquoi, il y a l en tant qu'unit toutes les formes qui sont multiplies dans les effets et ainsi il n'en provient aucune composition. De la mme manire, dans son intellect, il y a beaucoup de choses saisies par l'un et le mme, qui est son essence. Le fait que beaucoup de choses soient penses par l'unit, n'entrane pas la composition de celui qui les pense, c'est pourquoi de ce ct il ne dcoule pas de composition en Dieu.

q. 7 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod relationes quae dicuntur de Deo ex tempore, non sunt in ipso realiter, sed solum secundum rationem. Ibi enim est realis relatio ubi realiter aliquid dependet ab altero, vel simpliciter vel secundum quid. Et propter hoc scientiae est realis relatio ad scibile, non autem e converso, sed secundum rationem tantum, ut patet per philosophum [V Metaph., text. Com. 20]. Et ideo cum Deus ab altero nullo dependeat, sed e converso omnia ab ipso dependeant, in rebus aliis sunt relationes ad Deum reales, in ipso autem ad res secundum rationem tantum, prout intellectus non potest intelligere relationem huius ad illud, nisi e converso intelligat relationem illius ad hoc.

 9. Les relations[731] qui sont dites de Dieu dans le temps, ne sont pas rellement en lui, mais seulement en raison[732]. Car il y a relation relle l o une chose dpend rellement d'une autre, ou absolument ou relativement. Et c'est pour cela que la relation de la science au connaissable est relle, pas inversement ; mais en raison seulement, comme le montre le Philosophe (Mtaphysique V, 5, 1021 a 26 ss[733]). Et c'est pourquoi, comme Dieu ne dpend d'aucun autre, mais qu'inversement tout dpend de lui, dans les autres choses les relations Dieu sont relles, mais en lui la relation aux cratures est en raison seulement, dans la mesure o l'esprit ne peut comprendre la relation de celui-ci celui-l, qu'en ne comprenant inversement la relation de celui-l celui-ci[734].

q. 7 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod pluralitas personarum nullam compositionem in Deo inducit. Personae enim dupliciter possunt considerari.

 10. La pluralit des personnes n'amne aucune composition en Dieu. Car les personnes peuvent tre considres de deux manires :

Uno modo secundum quod comparantur ad essentiam, cum qua sunt idem re ; et sic patet quod non relinquitur aliqua compositio.

a) Selon qu'on les compare l'essence, avec laquelle elles sont rellement identiques, et ainsi il apparat qu'il ne reste aucune composition.

Alio vero modo secundum quod comparantur ad invicem ; et sic comparantur ut distinctae, non adunatae. Et propter hoc nec ex hac parte potest esse compositio, nam omnis compositio est unio.

b) Selon qu'on les compare entre elles ; et ainsi on les compare comme distinctes, sans tre unies. Et c'est pour cela quil ne peut pas y avoir de composition de ce ct car toute composition est union[735].

 

 

 

Article 2 La substance ou lessence en Dieu sont-elles la mme chose que son tre ?

q. 7 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non[736].

 

Objections :

q. 7 a. 2Arg. 1 Dicit enim Damascenus, in I Lib. Orth. fidei : [cap. 1 et III] Quoniam quidem Deus est, manifestum est nobis ; quid vero sit secundum substantiam et naturam, incomprehensibile est omnino et ignotum. Non autem potest esse idem notum et ignotum. Ergo non est idem esse Dei et substantia vel essentia eius.

1. Car Jean Damascne dit (La foi orthodoxe, I, ch. 1 et 3) : Que Dieu existe est vident pour nous ; mais ce qui concerne sa substance et sa nature, est tout fait incomprhensible et ignor. Le connu et l'inconnu ne peuvent pas tre une mme chose. Donc l'tre de Dieu, et sa substance ou son essence ne sont pas une mme chose.

q. 7 a. 2Arg. 2 Sed diceretur, quod etiam ipsum esse Dei ignotum est nobis quid sit, sicut et eius substantia.- Sed contra : duae quaestiones diversae sunt, an est, et quid est ; ad quarum unam respondere scimus, ad aliam vero non, ut etiam ex praedicta auctoritate patet. Ergo id quod respondet ad an est de Deo, et quod respondet ad quid est, non est idem ; sed ad an est respondet esse ; ad quid est, substantia vel natura.

2. Mais on pourrait dire, que nous ignorons ce qu'est l'tre de Dieu, comme aussi sa substance[737]. En sens contraire, il y a deux questions diffrentes : est-il, et qu'est-il ; l'une nous savons rpondre, mais l'autre non, comme on le voit par l'autorit ci-dessus[738]. Donc ce qui rpond "est-il ?" au sujet de Dieu, et ce qui rpond "qu'est-il" ne sont pas une mme chose, mais au "est-il ?" rpond l'existence, au "quel est-il ?", la substance ou la nature.

q. 7 a. 2Arg. 3 Sed dicendum, quod esse Dei cognoscitur non per se ipsum, sed per similitudinem creaturae.- Sed contra : in creatura est esse et substantia vel natura ; et cum utrumque habeat a Deo, secundum utrumque Deo assimilatur, eo quod agens agit sibi simile. Si ergo esse Dei cognoscitur per similitudinem esse creati, oportet quod eius substantia cognoscatur per similitudinem substantiae creatae : et sic de Deo sciremus non solum quoniam est, sed quid est.

3. Mais il faut dire que l'tre de Dieu est connu, non en soi, mais par la ressemblance de la crature. En sens contraire : dans la crature, il y a l'tre et la substance ou la nature, et comme elle possde l'un et l'autre par Dieu, elle lui ressemble selon l'un et l'autre, parce que l'agent fait du semblable soi. Si donc l'tre de Dieu est connu par sa ressemblance avec l'tre cr, il faut que sa substance soit connue par la ressemblance de la substance cre, et ainsi nous saurions de Dieu non seulement qu'il est, mais ce qu'il est.

q. 7 a. 2Arg. 4 Praeterea, unumquodque dicitur differre ab altero per suam substantiam. Per id autem quod est omnibus commune, nihil ab altero differt ; unde et philosophus dicit [III Metaph., com. 10 et 11], quod ens non debet poni in definitione, quia per hoc, definitum a nullo distingueretur. Ergo nullius rei ab aliis distinctae substantia est ipsum esse, cum sit omnibus commune. Sed Deus est res ab omnibus aliis rebus distincta. Ergo suum esse non est sua substantia.

4. On dit que chaque chose est diffrente d'une autre par sa substance. Rien ne diffre d'un autre par ce qui est commun tous ; c'est pourquoi le philosophe dit (Mtaphysique III, 3, 998 b 22[739]), que l'tant ne doit pas tre plac dans une dfinition, parce que par l ce qui est dfini ne serait distingu de rien. Donc, la substance de rien de ce qui est distingu des autres n'est l'tre mme, puisque l'tre est commun tout. Mais Dieu est diffrent de toutes les autres choses. Donc son tre n'est pas sa substance.

q. 7 a. 2Arg. 5 Praeterea, non sunt diversae res nisi quarum est diversum esse. Sed esse huius rei non est diversum ab esse alterius in quantum est esse, sed in quantum est in tali vel in tali natura. Si ergo aliquod esse sit, quod non sit in aliqua natura, quae differat ab ipso esse, hoc non erit diversum ab aliquo alio esse. Et ita sequitur, si divina substantia est eius esse, quod ipse sit esse cuilibet commune.

5. Les choses ne sont diffrentes que dans la mesure o leur tre est diffrent. Mais l'tre d'une chose n'est pas diffrent de celui d'une autre en tant qu'tre, mais en tant qu'il est en telle ou telle nature. Donc s'il y avait un tre tel qu'il ne soit pas dans une nature diffrente de l'tre mme, il ne serait pas diffrent d'un autre tre. Et ainsi il en dcoule que si la substance de Dieu est son tre, lui-mme serait un tre commun n'importe quel autre.

q. 7 a. 2Arg. 6 Praeterea, ens cui non fit additio, est ens omnibus commune. Sed si Deus sit ipsum suum esse, erit ens cui non fit additio. Ergo erit commune ; et ita praedicabitur de unoquoque, et erit Deus mixtus rebus omnibus ; quod est haereticum, et contra philosophum dicentem in Lib. de Causis [prop. 20], quod causa prima regit omnes res praeterquam quod commisceatur cum eis.

6. Un tant qui n'est pas fait d'addition, est lՎtant commun tous[740]. Mais si Dieu est son tre mme, il sera un tant sans addition. Donc il sera commun, et ainsi il sera attribu n'importe quoi, et il sera un Dieu ml toutes choses ; ce qui est hrtique, et contre le philosophe qui dit dans le Liber de causis, prop. XX, que la cause premire rgit toutes choses sans leur tre mle.

q. 7 a. 2Arg. 7 Praeterea, ei quod est omnino simplex, non convenit aliquid in concretione dictum. Esse autem huiusmodi est : sic enim videtur se habere esse ad essentiam sicut album ad albedinem. Ergo inconvenienter dicitur quod divina substantia sit esse.

7. Rien de ce qui est dit dans le concret ne convient ce qui est tout fait simple. Mais l'tre est de ce genre ; car il semble se comporter vis--vis de l'essence comme le blanc vis--vis de la blancheur. Donc il ne convient pas de dire que la substance de Dieu est son tre.

q. 7 a. 2Arg. 8 Praeterea, Botius dicit [in lib. De hebdom. ] : Omne quod est participat eo quod est esse, ut sit ; alio vero participat ut aliquid sit. Sed Deus est. Ergo praeter esse suum est in eo aliquid aliud quo habet ut aliquid sit.

8. Boce dit (De Hebdom. n 16, PL 1311 B[741]) : Tout ce qui est participe l'tre, pour tre ; et participe autre chose pour tre quelque chose. Mais Dieu existe. Donc au-del de son tre il y a en lui quelque chose par laquelle il a d'tre quelque chose[742].

q. 7 a. 2Arg. 9 Praeterea, Deo, qui est perfectissimus, id quod est imperfectissimum non est attribuendum. Sed esse est imperfectissimum, sicut prima materia : sicut enim materia prima determinatur per omnes formas, ita esse, cum sit imperfectissimum, determinari habet per omnia propria praedicamenta. Ergo sicut materia prima non est in Deo, ita nec esse debet divinae substantiae attribui.

9. On ne doit pas attribuer Dieu, qui est trs parfait, ce qui est trs imparfait[743]. Mais l'tre est trs imparfait, comme la matire premire ; car de mme qu'elle est limite par toutes les formes, il en est de mme pour l'tre ; tant trs imparfait, il doit tre limit par toutes les catgories particulires. Donc de mme quil ny a pas de matire premire en Dieu, de mme, on ne doit pas attribuer l'tre la substance divine.

q. 7 a. 2Arg. 10 Praeterea, id quod significatur per modum effectus, non convenit substantiae primae, quae non habet principium. Sed esse est huiusmodi : nam omne ens per principia suae essentiae habet esse. Ergo substantia Dei inconvenienter dicitur quod sit ipsum esse.

10. Ce qui est signifi la manire de l'effet ne convient pas la substance premire qui n'a pas de principe. Mais l'tre est de ce genre ; car tout tant a l'tre par les principes de son essence. Donc il ne convient pas de dire que la substance de Dieu est l'tre mme.

q. 7 a. 2Arg. 11 Praeterea, omnis propositio est per se nota, in qua idem de ipso praedicatur. Sed si substantia Dei sit ipsum suum esse, idem erit in subiecto et praedicato, cum dicitur, Deus est. Ergo erit propositio per se nota : quod videtur esse falsum, cum sit demonstrabilis. Non ergo ipsum esse Dei est substantia.

11. Est connue par soi toute proposition dans laquelle le mme est attribu lui-mme. Mais si la substance de Dieu est son tre propre, il y aura la mme chose dans le sujet et le prdicat, quand on dit : Dieu est. Donc la proposition sera connue par soi ; ce qui parat faux, puisqu'elle peut tre dmontre. Donc l'tre de Dieu n'est pas sa substance.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit in Lib. de Trinit. : Esse non est accidens Deo, sed subsistens veritas. Id autem quod est subsistens, est rei substantia. Ergo esse Dei est eius substantia.

1. Hilaire dit au livre de la Trinit (VII, PL. 10, 208 B) : L'tre n'est pas un accident en Dieu, mais vrit subsistante. Mais ce qui est subsistant est la substance. Donc l'tre de Dieu est sa substance.

q. 7 a. 2 s. c. 2. Praeterea, Rabbi Moyses dicit, quod Deus est ens non in essentia, et vivens non in vita, et est potens non in potentia, et sapiens non in sapientia. Ergo in Deo non est aliud essentia quam suum esse.

2. Rabbi Moyses[744] dit que Dieu est l'tant sans essence, le vivant sans vie, le puissant sans puissance, et le sage sans sagesse[745]. Donc en Dieu l'essence n'est pas autre que son tre.

q. 7 a. 2 s. c. 3 Praeterea, unaquaeque res proprie denominatur a sua quidditate : nomen enim proprie significat substantiam et quidditatem, ut habetur IV Metaphys. Sed hoc nomen quid est, est inter cetera magis proprium nomen Dei, ut patet Exod. IV. Cum ergo hoc nomen imponatur ab hoc quod est esse, videtur quod ipsum esse Dei sit sua substantia.

3. Toute chose est dnomme en propre par sa quiddit ; car le nom signifie proprement la substance et la quiddit, comme on le lit en Mtaphysique, (D) V, 8, 1017 b 23[746]. Mais ce nom "qui est" est parmi tous les autres le nom le plus propre de Dieu, comme on le voit en Ex. 3, 14. Comme ce nom est impos du fait qu'il est l'tre, il semble que l'tre mme de Dieu est sa substance.

 

Rponse :

q. 7 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod in Deo non est aliud esse et sua substantia. Ad cuius evidentiam considerandum est quod, cum aliquae causae effectus diversos producentes communicant in uno effectu, praeter diversos effectus, oportet quod illud commune producant ex virtute alicuius superioris causae cuius illud est proprius effectus. Et hoc ideo quia, cum proprius effectus producatur ab aliqua causa secundum suam propriam naturam vel formam, diversae causae habentes diversas naturas et formas oportet quod habeant proprios effectus diversos.

En Dieu, lՐtre et la substance ne sont pas diffrents. Pour le mettre en vidence il faut considrer que, quand des causes qui produisent divers effets se rencontrent dans un seul effet, au-del des effets diffrents, il faut qu'elles produisent ce qui est commun par le pouvoir dune cause suprieure dont c'est leffet propre. Et cela, parce que, quand le proper effet est produit par une cause selon sa propre nature ou sa propre forme, il faut que les causes diffrentes ayant des natures et des formes diffrentes, aient diffrents effets qui leur sont propres.

Unde si in aliquo uno effectu conveniunt, ille non est proprius alicuius earum, sed alicuius superioris, in cuius virtute agunt ; sicut patet quod diversa complexionata conveniunt in calefaciendo, ut piper, et zinziber, et similia, quamvis unumquodque eorum habeat suum proprium effectum diversum ab effectu alterius. Unde effectum communem oportet reducere in priorem causam cuius sit proprius, scilicet in ignem. Similiter in motibus caelestibus, sphaerae planetarum singulae habent proprios motus, et cum hoc habent unum communem, quem oportet esse proprium alicuius sphaerae superioris omnes revolventis secundum motum diurnum.

C'est pourquoi, si elles se rassemblent en un seul effet, celui-l n'est pas propre l'une d'elle, mais une cause suprieure, dans le pouvoir de qui elles agissent ; ainsi il est clair que diffrents ingrdients mlangs s'unissent en chauffant, comme le poivre et le gingembre, et autres pices semblables, quoique chacun d'eux ait son propre effet, diffrent de celui de l'autre. C'est pourquoi il faut ramener l'effet commun une cause premire dont elle serait la cause propre, savoir le feu. De la mme manire, dans les mouvements clestes, chacune des sphres des plantes a ses propres mouvements, et comme elles en ont un en commun, il faut qu'il soit propre une sphre suprieure qui les met toutes en mouvement selon le mouvement diurne.

Omnes autem causae creatae communicant in uno effectu qui est esse, licet singulae proprios effectus habeant, in quibus distinguuntur. Calor enim facit calidum esse, et aedificator facit domum esse. Conveniunt ergo in hoc quod causant esse, sed differunt in hoc quod ignis causat ignem, et aedificator causat domum. Oportet ergo esse aliquam causam superiorem omnibus cuius virtute omnia causent esse, et eius esse sit proprius effectus. Et haec causa est Deus.

Mais toutes les causes cres ont part en commun dans un seul effet qui est l'tre[747], bien qu'elles aient chacune des effets propres, par lesquels on les distingue. Car la chaleur chauffe, et l'architecte fait exister une maison. Donc ils se rassemblent en cela qu'ils causent l'tre, mais ils sont diffrents en cela que le feu cause le feu et l'architecte cause la maison. Il faut donc qu'il y ait une cause suprieure toutes, que par sa puissance toutes causent l'tre, et que son tre soit l'effet le plus propre. Et cette cause c'est Dieu.

Proprius autem effectus cuiuslibet causae procedit ab ipsa secundum similitudinem suae naturae. Oportet ergo quod hoc quod est esse, sit substantia vel natura Dei. Et propter hoc dicitur in Lib. de Causis [prop. 9], quod intelligentia non dat esse nisi in quantum est divina, et quod primus effectus est esse, et non est ante ipsum creatum aliquid.

Mais l'effet le plus propre de n'importe quelle cause procde d'elle selon la ressemblance de sa nature. Il faut donc que ce qui est l'tre, soit substance ou nature de Dieu. Et c'est pourquoi on dit au livre des Causes (prop. 9) que l'intelligence ne donne l'tre que dans la mesure o elle est divine, et que le premier effet est l'tre, et avant lui, il n'y a rien de cr.

 

Solutions :

q. 7 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ens et esse dicitur dupliciter, ut patet V Metaph. [lib. X, text. 13 et 14]. Quandoque enim significat essentiam rei, sive actum essendi ; quandoque vero significat veritatem propositionis, etiam in his quae esse non habent : sicut dicimus quod caecitas est, quia verum est hominem esse caecum. Cum ergo dicat Damascenus, quod esse Dei est nobis manifestum, accipitur esse Dei secundo modo, et non primo. Primo enim modo est idem esse Dei quod est substantia : et sicut eius substantia est ignota, ita et esse. Secundo autem modo scimus quoniam Deus est, quoniam hanc propositionem in intellectu nostro concipimus ex effectibus ipsius.

 1. L'tant et l'tre se disent de deux manires, comme on le voit en Mtaphysique (V, 7, 1017 a 7 1017 a 31). Car quelquefois il signifie l'essence de la chose, ou l'acte d'tre, mais quelquefois la vrit de la proposition, mme en ce qui n'a pas l'tre, ainsi nous disons que la ccit[748] existe parce qu'il est vrai qu'un homme est aveugle. Donc, comme Jean Damascne dit que l'tre de Dieu est pour nous vident, c'est prendre l'tre au second sens, et non au premier. Car, pour le premier, l'tre de Dieu est le mme que sa substance ; et de mme que sa substance est inconnue, son tre aussi. De la seconde manire, nous savons que Dieu existe, puisque nous concevons cette proposition dans notre esprit, partir de ses effets.

q. 7 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum et tertium.

 2. 3. Et cela donne la solution la deuxime et la troisime objection.

q. 7 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod esse divinum, quod est eius substantia, non est esse commune, sed est esse distinctum a quolibet alio esse. Unde per ipsum suum esse Deus differt a quolibet alio ente.

 4. L'tre de Dieu qui est sa substance, n'est pas un tre commun, mais un tre diffrent de n'importe quel autre. C'est pourquoi par son tre propre Dieu diffre de n'importe quel autre tant[749].

q. 7 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut dicitur in libro de Causis, ipsum esse Dei distinguitur et individuatur a quolibet alio esse, per hoc ipsum quod est esse per se subsistens, et non adveniens alicui naturae quae sit aliud ab ipso esse. Omne autem aliud esse quod non est subsistens, oportet quod individuetur per naturam et substantiam quae in tali esse subsistit. Et in eis verum est quod esse huius est aliud ab esse illius, per hoc quod est alterius naturae ; sicut si esset unus calor per se existens sine materia vel subiecto, ex hoc ipso ab omni alio calore distingueretur : licet calores in subiecto existentes non distinguantur nisi per subiecta.

 5. Comme on le dit au Liber De causis (prop. IV), l'tre mme de Dieu est distingu et spar de n'importe quel autre tre, par le fait qu'il est l'tre subsistant par soi et qu'il ne s'ajoute aucune nature qui serait autre que l'tre mme. Mais tout autre tre qui n'est pas subsistant, doit tre individu par la nature et la substance qui subsiste dans un tel tre. Et en eux, il est vrai que l'tre de l'un est diffrent de l'tre de l'autre, par le fait qu'il est d'une autre nature, comme s'il y avait une seule chaleur subsistante par soi sans matire ou sujet, du fait qu'elle serait distingue de toute autre chaleur ; bien que les chaleurs qui existent dans un substrat ne soient distingues que par les sujets (eux-mmes).

q. 7 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ens commune est cui non fit additio, de cuius tamen ratione non est ut ei additio fieri non possit ; sed esse divinum est esse cui non fit additio, et de eius ratione est ut ei additio fieri non possit ; unde divinum esse non est esse commune. Sicut et animali communi non fit additio, in sua ratione, rationalis differentiae ; non tamen est de ratione eius quod ei additio fieri non possit ; hoc enim est de ratione animalis irrationalis, quae est species animalis.

 6. L'tant commun est celui qui n'est pas fait d'addition. Il n'est pas cependant de sa nature qu'une addition ne puisse pas lui tre faite, mais l'tre divin est un tre qui ne se fait pas d'addition et il est de sa nature qu'elle ne puisse pas lui en tre fait. C'est pourquoi l'tre divin n'est pas un tre commun. De mme l'addition d'une diffrence rationnelle n'est pas faite l'animal commun dans sa nature, cependant il n'est pas de sa nature que l'addition ne puisse pas lui tre faite ; car c'est de la nature de l'animal sans raison, qui est l'espce animale.

q. 7 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod modus significandi in dictionibus quae a nobis rebus imponuntur sequitur modum intelligendi ; dictiones enim significant intellectuum conceptiones, ut dicitur in principio Periher. Intellectus autem noster hoc modo intelligit esse quo modo invenitur in rebus inferioribus a quibus scientiam capit, in quibus esse non est subsistens, sed inhaerens. Ratio autem invenit quod aliquod esse subsistens sit : et ideo licet hoc quod dicunt esse, significetur per modum concreationis, tamen intellectus attribuens esse Deo transcendit modum significandi, attribuens Deo id quod significatur, non autem modum significandi.

 7. La manire de s'exprimer dans des paroles dont nous nous servons pour les choses, dcoule de la manire de les comprendre ; les paroles, en effet, signifient les conceptions de l'esprit, comme on le dit au commencement du Periher. (I, 16 a 10 ss.). Mais notre esprit comprend l'tre par la manire dont il se trouve dans les choses infrieures d'o il tire sa science, en qui l'tre n'est pas subsistant, mais inhrent. Mais la raison dcouvre qu'il y a un tre subsistant ; et c'est pourquoi, bien que ce qu'ils appellent l'tre soit signifi par manire de concration[750], cependant l'intellect attribuant l'tre Dieu transcende le mode de signifier, attribuant Dieu ce qui est signifi, mais non le mode de le signifier.

q. 7 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dictum Boetii intelligitur de illis quibus esse competit per participationem, non per essentiam ; quod enim per essentiam suam est, si vim locutionis attendamus, magis debet dici quod est ipsum esse, quam sit id quod est.

 8. La parole de Boce est comprise de ce quoi l'tre convient par participation, non par essence, car ce qui est par son essence, si on tient compte de la force de lexpression, doit tre appel ce qui est lՐtre mme plus que dՐtre ce quil est.

q. 7 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hoc quod dico esse est inter omnia perfectissimum : quod ex hoc patet quia actus est semper perfectio potentia. Quaelibet autem forma signata non intelligitur in actu nisi per hoc quod esse ponitur. Nam humanitas vel igneitas potest considerari ut in potentia materiae existens, vel ut in virtute agentis, aut etiam ut in intellectu : sed hoc quod habet esse, efficitur actu existens. Unde patet quod hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum, et propter hoc est perfectio omnium perfectionum. Nec intelligendum est, quod ei quod dico esse, aliquid addatur quod sit eo formalius, ipsum determinans, sicut actus potentiam : esse enim quod huiusmodi est, est aliud secundum essentiam ab eo cui additur determinandum. Nihil autem potest addi ad esse quod sit extraneum ab ipso, cum ab eo nihil sit extraneum nisi non-ens, quod non potest esse nec forma nec materia.

9. Ce que j'appelle tre est entre tout le plus parfait, ce qui le montre c'est que l'acte est toujours perfection en puissance. N'importe quelle forme dsigne[751] n'est comprise en acte que par le fait qu'on lui donne lՐtre. Car l'humanit ou l''ignit' peuvent tre considres comme existant dans la puissance de la matire, ou comme dans le pouvoir de l'agent, ou aussi comme dans l'intellect ; mais ce qui a l'tre devient un existant en acte. C'est pourquoi il est clair que ce que j'appelle l'tre est l'actualit de tous les actes et c'est pour cela qu'il est la perfection de toutes les perfections. Et il ne faut pas comprendre qu' ce que j'appelle tre on ajoute quelque chose de plus formel que lui, qui le dtermine, comme l'acte (dtermine) la puissance ; car un tre qui est de ce genre est diffrent selon l'essence de ce quoi il faut ajouter pour le particulariser. Mais rien ne peut tre ajout l'tre qui lui soit extrieur, puisque rien en lui n'est extrieur sinon le non tre[752], qui ne peut tre ni forme ni matire.

Unde non sic determinatur esse per aliud sicut potentia per actum, sed magis sicut actus per potentiam. Nam et in definitione formarum ponuntur propriae materiae loco differentiae, sicut cum dicitur quod anima est actus corporis physici organici. Et per hunc modum, hoc esse ab illo esse distinguitur, in quantum est talis vel talis naturae. Et per hoc dicit Dionysius [cap. V de divin. Nomin.] quod licet viventia sint nobiliora quam existentia, tamen esse est nobilius quam vivere : viventia enim non tantum habent vitam, sed cum vita simul habent et esse.

C'est pourquoi, l'tre n'est pas ainsi particularis par autre chose comme la puissance par l'acte, mais plutt comme l'acte par la puissance. Car dans la dfinition des formes, on place les matires propres par la diffrence du lieu, comme quand on dit que l'me est l'acte du corps organique. Et de cette manire, cet tre est distingu de cet autre dans la mesure o il est de telle ou telle nature. Et par cela Denys dit (Les noms divins, V, 1, 5, 820 B[753]) que, bien que ce qui vit soit plus noble que ce qui existe, cependant l'tre est plus noble que la vie, car ce qui vit n'a pas seulement la vie, mais avec elle, en mme temps, a aussi l'tre[754].

q. 7 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod secundum ordinem agentium est ordo finium, ita quod primo agenti respondet finis ultimus, et proportionaliter per ordinem alii fines aliis agentibus. Si enim considerentur rector civitatis et dux exercitus et unus singularis miles, constat quod rector civitatis est prior in ordine agentium, ad cuius imperium dux exercitus ad bellum procedit ; et sub eo est miles, qui secundum ordinationem ducis exercitus manibus pugnat. Finis autem militis est prosternere hostem ; quod ulterius ordinatur ad victoriam exercitus, quod est finis ducis ; et hoc ulterius ordinatur ad bonum statum civitatis vel regni, quod est finis rectoris et regis. Esse ergo quod est proprius effectus et finis in operatione primi agentis oportet quod teneat locum ultimi finis. Finis autem licet sit primum in intentione, est tamen postremum in operatione, et est effectus aliarum causarum. Et ideo ipsum esse creatum, quod est proprius effectus respondens primo agenti, causatur ex aliis principiis, quamvis esse primum causans sit primum principium.

 10. L'ordre des fins dpend de celui des agents, de sorte que, la fin ultime rpond au premier agent, et les autres fins par ordre aux autres agents[755]. Car si on considre le dirigeant de la cit, le gnral de l'arme et un soldat particulier, il est clair que le dirigeant est premier dans l'ordre des agents ; par son pouvoir le gnral de larme procde la guerre ; et sous lui il y a le soldat, qui selon l'ordonnancement de larme du gnral combat de ses mains. Mais le but du soldat est d'abattre l'ennemi, ce qui est ordonn ensuite la victoire de l'arme, qui est le but poursuivi par le gnral, et cela est ensuite ordonn au bien tre de la cit ou du royaume, qui est le but du gouverneur et du roi. Donc il faut que l'tre qui est l'effet proche et la fin de l'opration du premier agent, tienne lieu de fin ultime. Mais bien que le but soit premier dans l'intention, il est cependant dernier dans l'opration, et elle est l'effet des autres causes. Et c'est pourquoi l'tre mme, cr, qui est leffet propre qui correspond au premier agent, est caus par d'autres principes, quoique l'tre premier qui cause soit le premier principe.

q. 7 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod aliqua propositio est per se nota de se, quae tamen huic vel illi non est per se nota ; quando scilicet praedicatum est de ratione subiecti, et tamen ratio subiecti est alicui ignota ; sicut si aliquis nesciret quid est totum, non esset ei nota ista propositio per se, omne totum est maius sua parte ; huiusmodi enim propositiones fiunt notae cognitis terminis, ut dicitur I Posteriorum. Haec autem propositio, Deus est, quantum est de se, est per se nota, quia idem est in subiecto et praedicato ; sed quantum ad nos non est per se nota, quia quid est Deus nescimus : unde apud nos demonstratione indiget, non autem apud illos qui Dei essentiam vident.

 11. Une proposition est vidente de soi qui cependant n'est pas connue par soi par celui-ci ou celui-l[756] ; quand le prdicat concerne la notion du sujet, et que cependant celle-ci est inconnue de quelqu'un ; comme si quelqu'un ignorait ce qu'est le tout, cette proposition le tout est plus grand que sa partie ne lui serait connue par soi ; car les propositions de ce genre deviennent connues quand on connat les termes, comme il est dit (Les analytiques postrieurs, I, 6, 74 b 26). Mais cette proposition : Dieu est, quant elle, est connue par soi, parce que c'est la mme notion qui est dans le sujet et le prdicat ; mais quant nous, elle n'est pas connue par soi, parce que nous ignorons ce que Dieu est. C'est pourquoi nous avons besoin d'une dmonstration, mais pas ceux qui voient l'essence de Dieu.

 

 

 

Article 3 Dieu est-il dans un genre ?

q. 7 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum Deus sit in aliquo genere. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[757].

 

Objections :

q. 7 a. 3Arg. 1 Dicit enim Damascenus [libro III, caput IV] : Substantia in divinis significat communem speciem similium specie personarum ; hypostasis autem demonstrat individuum, scilicet patrem et filium et spiritum sanctum, Petrum et Paulum. Comparatur ergo Deus ad patrem et filium et spiritum sanctum sicut species ad individua. Sed ubicumque est invenire speciem et individuum, ibi est invenire genus : quia species constituitur ex genere et differentia. Ergo videtur quod Deus sit in aliquo genere.

1. Car Jean Damascne dit (La foi orthodoxe III, 4) : La substance en Dieu signifie la forme commune des personnes de mme espce ; mais l'hypostase dsigne l'individu savoir le Pre, le Fils et l'Esprit saint, Pierre et Paul[758]. Donc Dieu est compar au Pre, au Fils, l'Esprit saint, comme l'espce l'individu. Mais partout o on doit trouver l'espce et l'individu, on doit trouver le genre : parce que l'espce est constitue du genre et de la diffrence. Donc il semble que Dieu est dans un genre[759].

q. 7 a. 3Arg. 2 Praeterea, quaecumque sunt et nullo modo differunt, sunt penitus eadem. Sed Deus non est idem rebus aliis. Ergo aliquo modo differt ab eis. Omne autem quod ab alio differt, aliqua differentia ab eo differt. Ergo in Deo est aliqua differentia, qua differt a rebus aliis. Non autem accidentalis, cum in Deo nullum sit accidens, ut Boetius dicit in Lib. de Trin. Omnis autem substantialis differentia est alicuius generis divisiva. Ergo Deus est in aliquo genere.

2. Tout ce qui est et ne diffre en aucune manire, est tout fait le mme. Mais Dieu n'est pas le mme que les autres choses. Donc d'une certaine manire il est diffrent d'elles. Mais tout ce qui est diffrent d'un autre en diffre par une certaine diffrence. Donc en Dieu il y a une diffrence par laquelle il diffre des autres choses. Mais elle n'est pas accidentelle, puisqu'en Dieu il n'y a aucun accident, comme Boce le dit (La Trinit, II). Mais toute diffrence substantielle partage le genre. Donc Dieu est dans un genre.

q. 7 a. 3Arg. 3 Praeterea, idem dicitur genere et specie et numero, ut habetur I Topic., cap. VI. Ergo et diversum similiter : nam si multipliciter dicitur unum oppositorum, et reliquum. Aut ergo Deus est diversus a creatura numero tantum vel numero et specie tantum ; et sic, sequitur quod, cum creatura in genere conveniat, et sic erit in genere. Si autem genere a creatura differat, oportebit etiam quod sit in aliquo alio genere quam creatura : nam diversitas ex multitudine causatur, et sic diversitas generis multitudinem generum requirit. Ergo quolibet modo dicatur, oportet quod Deus sit in genere.

3. On dit la mme chose du genre, de l'espce et du nombre, comme on le voit en Topique (I, 6 102 b 27[760]). Donc il en est de mme pour ce qui est diffrent, car on parle ainsi de multiples manires de l'un des opposs, et du reste. Donc ou Dieu est diffrent de la crature en nombre[761] seulement, ou en nombre et en espce seulement et si c'est ainsi, il en dcoule que puisque la crature se trouve dans un genre, lui sera aussi dans un genre. Mais s'il diffre en genre de la crature, il faudra aussi qu'il soit dans un autre genre que la crature ; car la diversit est cause par la pluralit, et ainsi la diversit en genre requiert la pluralit des genres. Donc on dirait de chaque manire qu'il faut que Dieu soit dans un genre.

q. 7 a. 3Arg. 4 Praeterea, cuicumque convenit ratio generis substantiae, est in genere. Sed ratio substantiae est per se existere, quod maxime convenit Deo. Ergo Deus est in genere substantiae.

4. Quiconque qui convient la notion du genre de la substance[762] est dans un genre. Mais la nature de la substance est d'exister par soi[763], ce qui convient au plus haut degr Dieu. Donc Dieu est dans le genre de la substance.

q. 7 a. 3Arg. 5 Praeterea, omne quod definitur, oportet quod sit in genere. Sed Deus definitur : dicitur enim quod est actus purus. Ergo Deus est in aliquo genere.

5. Tout ce qui reoit une dfinition[764] doit tre dans un genre. Mais on donne une dfinition de Dieu, car on dit qu'il est acte pur. Donc Dieu est dans un genre.

q. 7 a. 3Arg. 6 Praeterea, omne quod praedicatur de alio in eo quod quid, et est in plus, vel se habet ad ipsum sicut species, vel sicut genus. Sed omnia quae praedicantur de Deo, praedicantur in eo quod quid : nam omnia praedicamenta, cum in divinam praedicationem venerint, in substantiam vertuntur, ut dicit Botius [in libro de Trinitate] : patet etiam quod non soli Deo conveniunt, sed etiam aliis ; et ita sunt in plus. Ergo vel comparantur ad Deum sicut species ad individuum vel sicut genus ad speciem ; et utrolibet modo oportet Deum esse in genere.

6. Tout ce qui est attribu autre chose en ce qui est essence et est en plus, ou bien se comporte vis--vis d'elle comme une espce, ou comme un genre. Mais tout ce qui est attribu Dieu est attribu l'essence. En effet, comme toutes les catgories, sont venues dans l'attribution Dieu, elles se changent en substance, comme le dit Boce (La Trinit IV) ; il est clair aussi qu'elles ne conviennent pas Dieu seul, mais aussi aux autres ; et ainsi elles sont en plus. Donc elles sont associes Dieu ou bien comme l'espce l'individu, ou bien comme le genre l'espce ; et des deux manires, il faut que Dieu soit dans un genre.

q. 7 a. 3Arg. 7 Praeterea, unumquodque mensuratur minimo sui generis, ut dicitur X Metaph.[comment. 4] Sed, sicut dicit Commentator ibidem, id quo mensurantur omnes substantiae, est Deus. Ergo Deus est in eodem genere cum aliis substantiis.

7. Chaque chose est mesure au plus prs de son genre, comme il est dit (Mtaphysique X, 1, 1053 a 25[765]). Mais, comme le dit le Commentateur en ce mme endroit (Mtaphysique, X, com. 4), ce par quoi sont mesures toutes les substances, c'est Dieu. Donc il est dans le mme genre que les autres substances.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Omne quod est in genere, addit aliquid supra genus, et per consequens est compositum. Sed Deus est omnino simplex. Ergo non est in genere.

1. Tout ce qui est dans un genre lui ajoute quelque chose et par consquent est compos. Mais Dieu est tout fait simple. Donc il n'est pas dans un genre.

q. 7 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omne quod est in genere, potest definiri, vel sub aliquo definito comprehendi. Sed Deus cum sit infinitus, non est huiusmodi. Ergo non est in genere.

2. Tout ce qui est dans un genre, peut tre dfini ou compris sous une certaine dfinition. Mais comme Dieu est infini, il n'est pas dun tel genre. Donc il n'est pas dans un genre.

 

Rponse :

q. 7 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod Deus non est in genere : quod quidem ad praesens tribus rationibus ostendi potest :

Dieu n'est pas dans un genre, ce qui prsent peut tre montr par trois raisons :

primo quidem, quia nihil ponitur in genere secundum esse suum, sed ratione quidditatis suae ; quod ex hoc patet, quia esse uniuscuiusque est ei proprium, et distinctum ab esse cuiuslibet alterius rei ; sed ratio substantiae potest esse communis : propter hoc etiam philosophus dicit [III Metaph., com, 10] quod ens non est genus. Deus autem est ipsum suum esse : unde non potest esse in genere.

a) Rien n'est plac dans un genre selon son tre propre, mais en raison de sa quiddit[766] ; ce qui parat du fait que l'tre de n'importe quelle chose lui est propre, et diffrent de l'tre de n'importe quelle autre, mais la nature de la substance peut tre commune ; c'est pourquoi le philosophe aussi dit (Mtaphysique (B) III, 3, 998 b 22[767]), que l'tre n'est pas un genre. Mais Dieu est son tre propre, c'est pourquoi il ne peut pas tre dans un genre.

Secunda ratio est, quia quamvis materia non sit genus, nec forma sit differentia, tamen ratio generis sumitur ex materia, et ratio differentiae sumitur ex forma : sicut patet quod in homine natura sensibilis ex qua sumitur ratio animalis, est materialis respectu rationis, ex qua sumitur differentia rationalis. Nam animal est quod habet naturam sensitivam ; rationale autem quod rationem habet. Unde in omni eo quod est in genere, oportet esse compositionem materiae et formae, vel actus et potentiae ; quod quidem in Deo esse non potest, qui est actus purus, ut ostensum est [art. 1]. Unde relinquitur quod non potest esse in genere.

b) Quoique la matire ne soit pas un genre, et que la forme ne soit pas une diffrence, cependant la notion de genre est tire de la matire, et celle de la diffrence de la forme ; ainsi il apparat que dans l'homme, la nature sensible d'o est prise la notion d'animal est matrielle par rapport la notion d'o est prise la diffrence rationnelle. Car l'animal est ce qui a une nature sensible ; mais l[animal] raisonnable celui qui a la raison. C'est pourquoi dans tout ce qui est dans un genre, il faut qu'il y ait composition de matire et de forme, ou d'acte et de puissance ; ce qui ne peut pas exister en Dieu, qui est acte pur, comme on l'a montr (a. 1). C'est pourquoi il en dcoule qu'il ne peut pas tre dans un genre[768].

Tertia ratio est, quia, cum Deus sit simpliciter perfectus, comprehendit in se perfectionem omnium generum : haec enim est ratio simpliciter perfecti, ut dicitur V Metaph. [com. 21] Quod autem est in aliquo genere, determinatur ad ea quae sunt illius generis ; et ita Deus non potest esse in aliquo genere : sic enim non esset infinitae essentiae, nec absolutae perfectionis, sed eius essentia et perfectio limitaretur sub ratione alicuius generis determinati. Ex hoc ulterius patet quod Deus non est species, nec individuum, nec habet differentiam, nec definitionem : nam omnis definitio est ex genere et specie ; unde nec de ipso demonstratio fieri potest nisi per effectum, cum demonstrationis propter quid medium sit definitio.

c) Comme Dieu est absolument parfait, il comprend en lui la perfection de tous les genres : car c'est l la notion de ce qui est absolument parfait, comme il est dit en Mtaphysique (V, 16, 1021 b 30[769]). Mais ce qui est dans un genre, est limit a ce qui est ce genre, et de cette manire, Dieu ne peut pas tre dans un genre ; car ainsi il ne serait pas d'essence infinie, ni dune perfection absolue, mais son essence et sa perfection seraient limites par la nature d'un genre limit. Cela montre en plus que Dieu n'est pas une espce, ni un individu, il n'a ni diffrence ni dfinition ; car toute dfinition vient du genre et de l'espce ; c'est pourquoi on ne peut pas faire de dmonstration son sujet que par l'effet, puisque la dfinition est l'intermdiaire de la dmonstration par la cause.

 

Solutions :

q. 7 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur similitudinarie, et non secundum proprietatem : habet enim nomen Dei, quod est Deus, similitudinem ad speciem in hoc quod de pluribus numero distinctis substantialiter praedicatur ; non tamen species proprie dici potest, quia species non est aliquid unum numero pluribus commune, sed ratione solum ; substantia vero divina una numero, est communis tribus personis : unde Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt unus Deus, non autem Petrus et Paulus et Marcus sunt unus homo.

 1. Jean Damascne parle de faon approximative et non au sens propre : car le nom de Dieu parce qu'il est Dieu, ressemble l'espce du fait qu'il est attribu substantiellement plusieurs choses distinctes[770] en nombre ; cependant on ne peut pas parler d'espce au sens propre, parce que l'espce est une chose unique, commune plusieurs, non pas en nombre, mais en raison seulement ; mais la substance divine, une en nombre est commune aux trois personnes, c'est pourquoi le Pre, le Fils et l'Esprit saint sont un seul Dieu, mais Pierre, Paul et Marc ne sont pas un seul homme.

q. 7 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod differens et diversum differunt, ut philosophus dicit [X Metph., com. 10 et 12]. Nam diversum absolute dicitur quod non est idem ; differens vero dicitur ad aliquid : nam omne differens aliquo differt. Si ergo proprie accipiamus hoc nomen differens, sic propositio ista est falsa : Quaecumque sunt et nullo modo differunt, sunt eadem. Si autem hoc nomen differens large sumatur, sic est vera ; et sic ista est concedenda, quod Deus a rebus aliis differat. Non tamen sequitur quod aliqua differentia differat, sed quod differat ab aliis per suam substantiam : hoc enim necesse est in primis et simplicibus dici. Homo enim differt ab asino, rationali differentia ; rationale autem ulterius non differt ab asino aliqua differentia (quia sic esset abire in infinitum), sed se ipso.

 2. Diffrent et divers[771] ont un sens diffrent comme le philosophe le dit (Mtaphysique X, 3, 1054 b 23[772]). Car est appel divers absolument ce qui n'est pas le mme, mais on parle de diffrent en rapport quelque chose, car tout ce qui est diffrent diffre par quelque chose. Donc si nous acceptons au sens propre ce nom diffrent, la proposition suivante est fausse : Tout ce qui est et ne diffre en aucune manire, est le mme. Mais si ce nom diffrent est pris au sens large, elle est vraie, et ainsi cette phrase doit tre concde : Dieu diffre de toutes choses. Cependant il n'en dcoule pas qu'il diffre par une diffrence, mais qu'il diffre des autres par sa substance ; car il est ncessaire de le dire dans ce qui est premier et simple. Car l'homme diffre de l'ne, par une diffrence de raison, mais le rationnel ensuite ne diffre pas de l'ne par une diffrence (parce qu'ainsi ce serait aller l'infini), mais en soi[773].

q. 7 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus dicitur diversus genere ab aliis creaturis, non quasi in alio genere existens, sed omnino existens extra genus.

 3. On dit que Dieu est diffrent en genre des autres cratures, non pas comme s'il existait dans un autre genre, mais comme tout fait en dehors du genre.

q. 7 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ens per se non est definitio substantiae, ut Avicenna dicit [III Mepahysicorum capi. VIII] Ens enim non potest esse alicuius genus, ut probat philosophus [III Metaph., com. 10], cum nihil possit addi ad ens quod non participet ipsum ; differentia vero non debet participare genus. Sed si substantia possit habere definitionem, non obstante quod est genus generalissimum, erit eius definitio : quod substantia est res cuius quidditati debetur esse non in aliquo. Et sic non conveniet definitio substantiae Deo, qui non habet quidditatem suam praeter suum esse. Unde Deus non est in genere substantiae, sed est supra omnem substantiam.

 4. L'tant par soi n'est pas une dfinition de la substance, comme Avicenne le dit (Mtaphysique III, ch. 8). Car l'tant ne peut pas tre le genre de quelque chose, comme le prouve le philosophe (Mtaphysique III, 3, 998 b 22[774]), puisque rien ne peut tre ajout l'tant qui ne participe pas de lui ; mais la diffrence ne doit pas participer au genre. Mais si la substance pouvait avoir une dfinition, malgr le genre qui est le plus gnral, sa dfinition sera : La substance est une chose la quiddit de laquelle il est d de ne pas tre dans quelque chose. Et ainsi cette dfinition de la substance ne conviendra pas Dieu qui n'a pas sa quiddit en plus de son tre. C'est pourquoi Dieu n'est pas dans le genre de la substance, mais est au dessus de toute substance.

q. 7 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus definiri non potest. Omne enim quod definitur, in intellectu definientis comprehenditur ; Deus autem est incomprehensibilis ab intellectu ; unde cum dicitur quod Deus est actus purus, haec non est definitio eius.

 5. On ne peut pas donner de dfinition de Dieu. Car tout ce qui est dfini, est saisi dans l'esprit de celui qui dfinit. Mais Dieu est insaisissable par l'esprit ; c'est pourquoi, quand on dit que Dieu est acte pur, on ne donne pas sa dfinition.

q. 7 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ad rationem generis requiritur quod univoce praedicetur. Nihil autem de Deo potest et creaturis univoce praedicari, ut infra [art. 7] patebit. Unde licet ea quae de Deo dicuntur, praedicentur de ipso substantialiter, nihilominus tamen non praedicantur de ipso ut genus.

 6. Il est ncessaire la notion du genre d'tre attribue de manire univoque. Mais rien ne peut tre attribu de manire univoque Dieu et la crature, comme plus bas (art. 7) on le verra. C'est pourquoi, bien que ce qui est dit de Dieu lui soit attribu substantiellement, nanmoins ce ne lui est pas attribu comme genre.

q. 7 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet Deus non pertineat ad genus substantiae quasi in genere contentum,- sicut species vel individuum sub genere continentur,- potest tamen dici quod sit in genere substantiae per reductionem, sicut principium, et sicut punctum est in genere quantitatis continuae, et unitas in genere numeri ; et per hunc modum est mensura substantiarum omnium, sicut unitas numerorum.

 7. Bien que Dieu n'appartienne pas au genre de la substance, en tant que contenu en un genre, comme l'espce ou l'individu est contenu sous le genre, cependant on peut dire qu'il est dans le genre de la substance par rduction[775], comme principe, et, comme le point dont le genre de la quantit continue et l'unit dans celui du nombre ; et de cette manire il est la mesure de toutes substance[776], comme l'unit pour les nombres.

 

 

 

Article 4 'Bon', 'sage', 'juste' etc. attribuent-ils un accident Dieu ?

q. 7 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum bonum, sapiens, iustum et huiusmodi, praedicent de Deo accidens. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[777] :

 

Objections :

q. 7 a. 4Arg. 1 Quod enim praedicatur de aliquo non significans substantiam, sed illud quod naturam assequitur, praedicat accidens. Sed Damascenus dicit [in I libro], quod bonum et iustum et sanctum, dicta de Deo, assequuntur naturam, non autem ipsam substantiam significant. Praedicant ergo de Deo accidens.

1. Car ce qui est attribu une chose sans signifier sa substance, mais reflte sa nature, attribue un accident. Mais Jean Damascne dit (la foi orthodoxe, I, 9[778]), que bon, juste, saint, employs pour Dieu, reflte la nature, mais ils ne signifient pas la substance mme. Donc ils attribuent un accident Dieu.

q. 7 a. 4Arg. 2 Sed dicebatur, quod Damascenus loquitur quantum ad modum significandi.- Sed contra, modus significandi qui sequitur rationem generis, oportet quod ad rem referatur : genus enim praedicatum significat substantiam subiecti, cum praedicetur in eo quod quid. Sed praedictis nominibus competit significare per modum assequentis naturam ratione generis : sunt enim in genere qualitatis, quae secundum propriam rationem ad subiectum respectum habet, nam qualitas est secundum quam quales dicimur. Ergo oportet quod iste modus significandi referatur ad rem, ut scilicet ea quae per praedicta nomina significantur, sint assequentia naturam eius de quo praedicantur, et per consequens accidentia.

2. Mais on pourrait dire que Jean Damascne parle [selon une manire de signifier]. En sens contraire, la manire de signifier sur ce qui accompagne la nature du genre doit faire rfrence la ralit ; car le genre attribu signifie la substance du sujet, puisqu'il est attribu ce qui est essence. Mais il convient ces noms attribus, de signifier la manire de ce qui reflte la nature en raison du genre ; car ils sont dans le genre de la qualit, qui selon leur raison propre a rapport au sujet, car la qualit c'est ce selon quoi on les dit telles. Donc il faut que ce mode de signifier se rfre la ralit, pour que ce que ces noms signifient reflte la nature de ce quoi ils sont attribus, et par consquent les accidents.

q. 7 a. 4Arg. 3 Sed dicendum, quod ista nomina non praedicantur de Deo quantum ad genus suum, quod est qualitas ; non enim proprie dicuntur de Deo nomina a nobis imposita.- Sed contra, a quocumque removetur genus, falso praedicatur de eo species : quod enim non est animal, falso dicitur homo. Si ergo genus praedictorum, quod est qualitas, non praedicatur de Deo, praedicta nomina non solum praedicabuntur improprie, sed falso de Deo, et ita erit falsum quod dicitur, quod Deus est iustus, vel quod Deus est sanctus ; quod est inconveniens. Ergo oportet dicere, quod praedicta nomina in Deo praedicent accidens.

3. Mais il faut dire que ces noms ne sont pas attribus Dieu quant leur genre, qui est la qualit, car ce n'est pas au sens propre qu'on donne Dieu les noms dont nous nous servons. En sens contraire, pour quelque raison que le genre soit exclu, l'espce lui est attribue faussement, car cest une erreur de dire que lhomme nest pas un animal. Si donc le genre des prdicats qui est la qualit, n'est pas attribu Dieu, ces noms non seulement seront attribus improprement, mais faussement Dieu, et ainsi il sera faux de dire qu'il est juste ou qu'il est saint ; ce qui ne convient pas. Donc il faut dire que ces noms attribuent un accident en Dieu.

q. 7 a. 4Arg. 4 Praeterea. Philosophus dicit [I Phys., com. 27], quod id quod vere est, id est substantia, nulli accidit. Ergo eadem ratione, quod secundum se est accidens, ubique est accidens. Sed iustitia et sapientia et huiusmodi sunt per se accidentia. Ergo et in Deo sunt accidentia.

4. Le philosophe dit (Physique, I, 3, 186 b 4[779]) que ce qui existe vraiment, c'est--dire la substance, n'est accident pour rien. Donc pour la mme raison, ce qui est un accident en soi est partout accident. Mais la justice, la sagesse, etc.. sont en soi des accidents. Donc il y a aussi des accidents en Dieu.

q. 7 a. 4Arg. 5 Praeterea, omnia quae sunt in rebus creatis, exemplantur a Deo, qui est forma exemplaris omnium. Sed sapientia, iustitia et huiusmodi, in rebus creatis sunt accidentia. Ergo et in Deo sunt accidentia.

5. Tout ce qui est dans les cratures ressemble Dieu, qui est la forme exemplaire de tout[780]. Mais la sagesse, la justice, etc., sont des accidents. Donc il y a des accidents en Dieu.

q. 7 a. 4Arg. 6 Praeterea, ubicumque est quantitas et qualitas, ibi est accidens. Sed in Deo videtur esse quantitas et qualitas : est enim in Deo similitudo et aequalitas ; dicimus enim filium similem patri et aequalem. Similitudo autem causatur ex uno in qualitate, aequalitas ex uno in quantitate. Ergo in Deo est accidens.

6. Partout o il y a quantit et qualit[781], il y a un accident. Mais en Dieu il semble qu'il y a quantit et qualit ; car il y a en lui la ressemblance et l'galit ; nous disons en effet que le Fils est semblable et gal au Pre. Mais la ressemblance est cause d'une part dans la qualit et l'galit, d'autre part dans la quantit. Donc en Dieu il y a un accident.

q. 7 a. 4Arg. 7 Praeterea, unumquodque mensuratur primo sui generis. Sed Deus non solum est mensura substantiarum, sed omnium accidentium, quia ipse est creator et substantiae et accidentis. Ergo in Deo non tantum est substantia, sed accidens.

7. Chaque chose est mesure par le premier de son genre. Mais Dieu non seulement est la mesure des substances, mais de tous les accidents, parce qu'il est lui-mme crateur de la substance et aussi de l'accident. Donc en Dieu il y a non seulement la substance mais aussi l'accident.

q. 7 a. 4Arg. 8 Praeterea, illud sine quo potest aliquid intelligi, accidentaliter de eo praedicatur. Ex hoc enim probat Porphyrius [in pradicalibus, capit. de accidente] separabilia quaedam accidentia esse, quia potest intelligi corvus albus, et Aethiops nitens candore. Sed Deus potest intelligi sine bono, ut patet per Botium [in libro de Hebd.]. Ergo bonum significat accidens in Deo, et eadem ratione alia.

8. Ce sans quoi on peut comprendre quelque chose, lui est attribu accidentellement. Porphyre en effet (dans Les prdicables, ch. l'accident) prouve ainsi quil y a des accidents sparables, parce quon peut envisager le corbeau comme blanc et l'thiopien comme brillant de blancheur. Mais Dieu ne peut tre envisag sans le bien, comme on le voit chez Boce (De hebdomadibus 36, PL. 64, 1312 B[782]). Donc le bien et d'autres choses encore pour la mme raison signifient un accident en Dieu.

q. 7 a. 4Arg. 9 Praeterea, in significatione nominis duo est considerare : scilicet id a quo imponitur, et id cui imponitur. Quantum ad utrumque autem hoc nomen sapientia videtur accidens significare ; imponitur enim ab eo quod est facere sapientem, quod videtur actio esse sapientiae ; id autem a quo imponitur, est qualitas quaedam. Ergo omnibus modis hoc nomen et alia similia significant accidens in eo de quo praedicantur ; et ita in Deo est aliquod accidens.

9. Il faut considrer deux aspects dans la signification du mot : savoir ce par quoi et ce quoi il est imput et quoi. Sous ces deux aspects ce nom de sagesse semble signifier un accident ; car il est imput par ce qui est rendre sage, ce qui semble laction de la sagesse, mais ce par quoi il est imput est une qualit. Donc de toutes les manires ce nom et d'autres semblables signifient un accident en ce quoi ils sont attribus ; et ainsi en Dieu il y a un accident.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod Botius dicit [in libro de Trinitate], quod Deus, cum sit forma simplex, subiectum esse non potest. Omne autem accidens est in subiecto. Ergo in Deo non potest esse aliquod accidens.

1. Il y a ce que Boce dit (La Trinit, 2, PL., 64, 1250[783]) : comme Dieu est une forme simple, il ne peut pas tre substrat. Or tout accident est dans un substrat. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir d'accident.

q. 7 a. 4 s. c. 2 Praeterea, omne accidens habet dependentiam ab alio. Sed nihil tale potest esse in Deo, quia quod dependet ab alio, oportet esse causatum ; Deus autem est causa prima nullo modo causata. Ergo in Deo accidens esse non potest.

2. Tout accident dpend d'une autre chose. Mais rien de tel ne peut exister en Dieu, parce que, ce qui dpend d'un autre doit avoir une cause ; mais Dieu est la cause premire en aucune manire cause. Donc en Dieu il ne peut y avoir d'accident.

q. 7 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Rabbi Moyses dicit, quod huiusmodi nomina non significant in Deo intentiones additas supra eius substantiam. Omne enim accidens significat intentionem additam supra substantiam sui subiecti. Ergo praedicta nomina non significant accidens in Deo.

3. Rabbi Moyses dit que de tels noms ne signifient pas en Dieu des concepts ajouts sa substance. Car tout accident signifient un concept ajout la substance de son substrat. Donc ces prdicats ne signifient pas un accident en Dieu.

q. 7 a. 4 s. c. 4 Praeterea, accidens est quod adest et abest praeter subiecti corruptionem. Sed hoc in Deo esse non potest, cum ipse sit immutabilis ut probatur a philosopho [in VII Phys., com. 52 et 53]. Ergo in Deo accidens esse non potest.

4. L'accident est ce qui est prsent ou absent au-del de la corruption du substrat. Mais cela nest pas possible en Dieu, puisqu'il est immuable, comme le philosophe le prouve (Physique, VIII, 6, 259 b 23 259 b 32[784]). Donc en Dieu il ne peut pas y avoir d'accident.

 

Rponse :

q. 7 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, absque omni dubitatione, tenendum est quod in Deo nullum sit accidens ; quod quidem ad praesens potest ostendi tribus rationibus.

Sans doute aucun, il faut affirmer qu'en Dieu il n'y a aucun accident, ce qui prsent peut tre montr par trois raisons :

Prima ratio est, quia nulli naturae vel essentiae vel formae aliquid extraneum adiungitur, licet id quod habet naturam vel formam vel essentiam, possit aliquid extraneum in se habere ; humanitas enim non recipit in se nisi quod est de ratione humanitatis. Quod ex hoc patet, quia in definitionibus quae essentiam rerum significant quodlibet additum vel subtractum variat speciem, sicut etiam in numeris, ut dicit philosophus [VIII Metaph., com. 10].

a) Premire raison : parce que rien d'tranger n'est ajout aucune nature, essence ou forme, bien que ce qui a une nature, une forme ou une essence puisse avoir en soi quelque chose d'tranger ; car l'humanit ne reoit en soi que ce qui est de la nature de l'humanit. Ce qui apparat parce que dans les dfinitions qui signifient l'essence, quoi que ce soit d'ajout ou de soustrait fait varier l'essence, comme dans les nombres, comme le dit le philosophe (Mtaphysique, VIII, 3, 1044 a 1[785]).

Homo autem qui habet humanitatem, potest aliquid aliud habere quod non sit de ratione humanitatis, sicut albedinem et huiusmodi, quae non insunt humanitati, sed homini. In qualibet autem creatura invenitur differentia habentis et habiti. In creaturis namque compositis invenitur duplex differentia, quia ipsum suppositum sive individuum habet naturam speciei, sicut homo humanitatem, et habet ulterius esse : homo enim nec est humanitas nec esse suum ; unde homini potest inesse aliquod accidens, non autem ipsi humanitati vel eius esse.

Mais l'homme qui a l'humanit peut avoir autre chose qui ne la concerne pas, comme la blancheur et autres choses identiques, qui ne sont pas dans l'humanit, mais dans l'homme. En n'importe quelle crature on trouve la diffrence de celui qui a et de ce quil a. Car dans les cratures composes, on trouve une double diffrence, parce que le suppt lui-mme ou l'individu a la nature de l'espce[786], comme l'homme a l'humanit au-del de l'tre ; car l'homme n'est pas l'humanit, ni son tre ; c'est pourquoi il peut y avoir dans l'homme un accident, mais non dans l'humanit, ni dans son l'tre[787].

In substantiis vero simplicibus est una tantum differentia, scilicet essentiae et esse. In Angelis enim quodlibet suppositum est sua natura : quidditas enim simplicis est ipsum simplex, ut dicit Avicenna [lib. V Metaph.] ; non est autem suum esse ; unde ipsa quidditas est in suo esse subsistens. Unde in huiusmodi substantiis potest inveniri aliquod accidens intelligibile, non autem materiale.

Dans les substances simples il y a une seule diffrence savoir celle de l'essence et de l'tre. Car dans les anges n'importe quel suppt est sa nature, car la quiddit de ce qui est simple est simple elle-mme, comme le dit Avicenne (Mtaphysique, V ch. 5), mais ce n'est pas son tre ; aussi la quiddit mme subsiste en son tre. C'est pourquoi dans de telles substances, on peut trouver un accident intelligible, mais pas matriel.

In Deo autem nulla est differentia habentis et habiti, vel participantis et participati ; immo ipse est et sua natura et suum esse ; et ideo nihil alienum vel accidentale potest ei inesse. Et hanc rationem videtur tangere Botius [in libro Hebdom. ], dicens : id quod est, habere potest aliquod praeterquam quod ipsum est ; ipsum vero esse, nihil aliud praeter se habet admixtum.

Mais en Dieu il n'y a nulle diffrence entre celui qui a et ce qu'il a, ou entre participant et de ce qui est particip ; mais au contraire il est lui-mme sa nature et son tre[788], et c'est pourquoi rien d'tranger ou d'accidentel ne peut tre en lui. Et Boce semble traiter de cette question (De hebdom., rgle 4, n 13, PL. 64, 1311 B) quand il dit : "Ce qui est" peut avoir quelque chose en sus de lui-mme ; mais l'tre en soi ne peut avoir rien d'ajout en dehors de lui.

Secunda ratio est quod, cum accidens sit extrinsecum ab essentia subiecti, et diversa non coniungantur nisi per aliquam causam, oportet, si accidens Deo adveniat, quod hoc sit ab aliqua causa. Non autem potest esse ex aliqua causa extrinseca, quia sequeretur quod illa causa extrinseca ageret in Deum, et esset prior eo, sicut movens moto, et faciens facto. Sic enim causatur accidens in aliquo subiecto ab extrinseco in quantum exterius agens agit in subiectum in quo causatur accidens.

b) Seconde raison : comme l'accident est extrieur l'essence du sujet, et que les diffrentes parties ne sont jointes que par une cause, il faut, si un accident advenait en Dieu, que cela dpende d'une cause. Mais cela ne peut pas venir d'une cause extrieure, parce qu'il s'ensuivrait que cette cause extrieure agirait en Dieu, et serait avant lui, comme le moteur avant le m, et le producteur avant le produit. Car l'accident est caus dans un sujet par l'extrieur, en tant qu'un agent extrieur agit dans le substrat en qui l'accident est caus.

Similiter etiam non potest esse ex causa intrinseca, sicut est per se in accidentibus, quae habent causam in subiecto. Subiectum enim non potest esse causa accidentis ex eodem ex quo suscipit accidens, quia nulla potentia movet se ad actum. Unde oportet quod ex alio sit susceptivum accidentis, et ex alio sit causa accidentis, et sic est compositum ; sicut ista quae recipiunt accidens per naturam materiae, et causant accidens per naturam formae. Ostensum autem est supra [art. 1], Deum non esse compositum. Unde impossibile est quod sit in eo accidens.

De la mme manire aussi, il ne peut pas venir d'une cause intrieure[789], comme elle est en soi dans les accidents qui ont une cause dans le sujet. Car le sujet ne peut pas tre cause de l'accident par cela mme par quoi il reoit l'accident, parce que nulle puissance ne se mne l'acte. C'est pourquoi il faut qu'il soit susceptible de recevoir l'accident d'un autre et qu'il en soit cause par un autre, et ainsi il est compos, de mme que ce qui reoit l'accident par la nature de la matire et cause l'accident par la nature de la forme. Mais on a montr plus haut (a. 1) que Dieu n'est pas compos. C'est pourquoi il est impossible qu'il y ait en lui un accident.

Tertia ratio est, quia accidens comparatur ad subiectum sicut actus ad potentiam, cum sit quaedam forma ipsius. Unde cum Deus sit actus purus absque alicuius potentiae permixtione, non potest esse accidentis subiectum. Sic ergo patet ex praehabitis quod in Deo non est compositio materiae et formae, et quarumcumque partium substantialium, nec generis et differentiae, nec subiecti et accidentis ; patet etiam quod praedicta nomina in Deo non praedicant accidens.

c) Troisime raison[790] : parce que l'accident est compar au substrat comme l'acte la puissance, puisqu'il en est la forme. C'est pourquoi comme Dieu est acte pur, sans mlange de puissance, il ne peut pas tre le substrat d'un accident. Donc ainsi il est clair par ce qui a t dit, qu'en Dieu, il n'y a pas de composition de matire et de forme, et de toutes parties substantielles ni de genre et de diffrence, ni de sujet et d'accident ; ainsi il est clair que ces noms n' attribuent pas un accident Dieu.

 

Solutions :

q. 7 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur de istis nominibus non quantum ad id quod praedicant de Deo, sed quantum ad id a quo imponuntur ad significandum. Imponuntur enim a nobis ad significandum ex formis accidentalibus quibusdam, in creaturis repertis. Vult enim ex hoc probare quod per nomina dicta de Deo non notificatur nobis eius substantia.

 1. Jean Damascne parle de ces noms, non pour ce qu'ils attribuent Dieu, mais pour ce quoi ils sont imputs pour signifier. Car nous les imputons pour signifier partir de certaines formes accidentelles trouves dans les cratures. Ill veut, en effet, prouver que la substance de Dieu n'est pas signifies par les noms qu'on lui donne.

q. 7 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet bonitatis humanae et sapientiae et iustitiae, qualitas sit genus ; non tamen est genus eorum secundum quod de Deo praedicantur, eo quod qualitas, in quantum huiusmodi, dicitur ens eo quod inhaeret aliqualiter subiecto. Sapientia autem et iustitia non ex hoc nominantur, sed magis ex aliqua perfectione vel ex aliquo actu ; unde talia veniunt in divinam praedicationem secundum rationem differentiae et non secundum rationem generis. Et propter hoc Augustinus dicit [V libro de Trinitate, capit. 1] : intelligamus quantum possumus sine qualitate bonum, sine quantitate magnum. Unde non oportet quod modus iste qui est assequi naturam, inveniatur in Deo.

 2. Bien que les qualits de bont, de sagesse et de justice chez l'homme soient un genre, ce n'est cependant pas leur genre qui est attribu Dieu, parce que la qualit, en tant que telle, est appele tant, parce qu'elle adhre d'une certaine manire un substrat. Mais la sagesse et la justice ne tirent pas leur nom de cela, mais plutt d'une perfection ou d'un acte ; c'est pourquoi de tels prdicats viennent dans lattribution Dieu en raison de la diffrence et non du genre. Et c'est pour cela qu'Augustin dit (La Trinit, V, I, 2) : Nous comprenons bon autant que nous pouvons sans la qualit, grand sans la quantit. C'est pourquoi il ne faut pas que ce mode qui suit la nature se trouve en Dieu.

q. 7 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si bonum et iustum univoce de Deo praedicarentur, sequeretur quod falsa esset praedicatio, remoto genere. Nihil autem de Deo creatura univoce praedicatur, ut infra ostendetur [art. 7] ; unde ratio non sequitur.

 3. Si bon et juste taient attribus de manire univoque Dieu, il s'ensuivrait que l'attribution serait fausse, si on excluait le genre. Mais rien n'est attribu Dieu de manire univoque avec la crature, comme on le montrera plus loin (art. 7) : C'est pourquoi la raison ne vaut pas.

q. 7 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapientia, quae est accidens, in Deo non est ; sed sapientia alia non univoce dicta ; et propter hoc ratio non sequitur.

 4. La sagesse, [celle]qui est un accident, n'est pas en Dieu, mais c'est une autre sagesse dsigne de manire non univoque, et c'est pour cela que cette raison ne vaut pas.

q. 7 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum quod exemplata non semper repraesentant perfecte exemplar ; unde quandoque quod est in exemplari deficienter et imperfecte invenitur in exemplato ; et praecipue in his quae exemplantur a Deo, qui est exemplar omnem creaturae proportionem excedens.

 5. Les images ne reprsentent pas toujours parfaitement l'exemplaire ; c'est pourquoi quelquefois on trouve ce qui est dans l'exemplaire de manire dficiente et imparfaite dans l'image et surtout dans ce qui est image de Dieu qui est l'exemplaire qui dpasse toute proportion avec la crature.

q. 7 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod similitudo et aequalitas in Deo dicuntur non quia sit ibi qualitas vel quantitas, sed quia de eo dicimus quaedam quae apud nos significant qualitatem vel quantitatem, cum dicimus Deum magnum et sapientem et huiusmodi, et cetera.

 6. On parle de la ressemblance et de l'galit en Dieu non pas parce qu'il y a qualit et quantit, mais parce que nous disons certaines choses qui signifient pour nous la qualit ou la quantit, quand nous disons que Dieu est grand et sage etc..

q. 7 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod accidentia non dicuntur entia nisi per relationem ad substantiam tamquam ad primum ens ; unde non oportet quod accidentia mensurentur uno primo quod est accidens, sed uno primo quod est substantia.

 7. Les accidents ne sont appels tants que par relation la substance en tant que premier tant ; c'est pourquoi il ne faut pas que les accidents soient mesurs par un premier qui est accident, mais par un premier qui est la substance.

q. 7 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omne illud sine quo res aliqua potest intelligi secundum suam substantiam intellecta, habet rationem accidentis : non enim potest esse quod non intelligatur id quod est de substantia rei, re secundum suam substantiam intellecta ; sicut quod intelligatur quid est homo, et non intelligatur quid est animal. Deum autem nos non videmus hic per essentiam, sed consideramus eum ex eius effectibus. Unde nihil prohibet considerare ipsum ex effectu essendi, et non considerare ex effectu bonitatis ; sic enim loquitur Boetius. Sciendum tamen quod licet nos intelligamus aliqualiter Deum, non intelligendo eius bonitatem, non tamen possumus intelligere Deum intelligendo eum non esse bonum, sicut nec hominem intelligendo eum non esse animal : hoc enim removeret substantiam Dei, quae est bonitas. Sancti vero in patria qui vident Deum per essentiam, videndo Deum, vident eius bonitatem.

 8. Tout ce sans quoi on peut comprendre une chose envisage selon sa substance, a natured'accident ; car il n'est pas possible que ne soit pas compris ce qui est de sa substance, une fois qu'elle est comprise selon sa substance ; de mme qu'on comprendrait ce qu'est un homme, et qu'on ne comprendrait pas ce qu'est un animal. Mais nous ne voyons pas ici Dieu par son essence mais nous le considrons partir de ses effets. C'est pourquoi rien n'empche de le considrer par l'effet d'tre, et ne pas le considrer par celui de sa bont, car Boce en parle ainsi. Cependant il faut savoir que, bien que nous comprenions galement Dieu, sans comprendre sa bont, nous ne pouvons cependant pas comprendre Dieu sans comprendre qu'il nest pas bon ; de mme qu'on ne comprend pas que c'est un homme en comprenant qu'il n'est pas un animal : car cela exclurait la substance de Dieu qui est sa bont. Mais les saints, dans la patrie, qui voient Dieu par son essence, en le voyant, voient sa bont.

q. 7 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hoc nomen sapientia verificatur de Deo quantum ad illud a quo imponitur nomen. Non autem imponitur nomen ab hoc quod est sapientem facere, sed ab hoc quod est sapientialia intellectualiter habere. Scientia enim, in quantum scientia, refertur ad scibile ; sed in quantum est accidens vel forma, refertur ad scientem. Hoc autem quod est sapientialia habere, est accidentale homini, non autem Deo.

 9. Ce nom de sagesse est vrifi au sujet de Dieu quant ce par quoi on impute ce nom. Mais il nest pas imput par ce qui rend sage, mais par ce que c'est avoir de manire intelligible ce qui concerne la sagesse. Car la science, en tant que telle, a rapport au connaissable. Mais en tant qu'accident ou forme, elle se rapporte au savant. Mais le fait d'avoir ce qui concerne la sagesse est accidentel pour l'homme, mais pas pour Dieu.

 

 

 

Article 5 Ces noms attribus Dieu signifient-ils sa substance ?

 q. 7 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum praedicta nomina significent divinam substantiam. Et videtur quod non.

Il semble que non[791].

 

Objections :

q. 7 a. 5Arg. 1 Dicit enim Damascenus IV libro [libro I, capit. IV] : Oportet singulum eorum quae in Deo dicuntur, non quid est secundum substantiam significare existimare ; sed quod non est ostendere, aut habitudinem quamdam, aut aliquid eorum a quibus separatur, aut aliquid eorum quae assequuntur naturam aut operationem. Esse autem quod substantialiter de aliquo praedicatur significat quid est substantia eius. Praedicta ergo nomina non praedicantur substantialiter de Deo, tamquam eius substantiam significantia.

1. En effet, Jean Damascne dit (La Foi orthodoxe, IV, ch. 4, PL. 94, 836 A) : Il faut penser que de chaque chose qui est dite de Dieu ne signifie pas ce qu'il est selon sa substance, mais montre ce qu'il n'est pas, soit une relation, soit quelque chose dont il est dpar, soit quelque chose de ce qui touche sa nature ou son opration. Mais l'tre attribu selon la substance signifie ce qu'elle est. Donc ces noms ne sont pas attribus selon la substance Dieu comme la signifiant.

q. 7 a. 5Arg. 2 Praeterea, nullum nomen quod significat substantiam alicuius rei, vere potest de eo negari. Dicit enim Dionysius [cap. II, cael Hierach.], quod in divinis negationes sunt verae, affirmationes vero incompactae. Ergo talia nomina non significant substantiam divinam.

2. Aucun nom qui signifie la substance d'une chose ne peut vraiment tre ni de lui. Car Denys dit (Les hirarchie cleste, II, 3, 141 A[792]) qu'en Dieu les ngations sont vraies mais les affirmations inadquates. Donc de tels noms ne signifient pas la substance divine.

q. 7 a. 5Arg. 3 Praeterea, haec nomina significant processus divinae bonitatis in res, sicut dicit Dionysius [cap. III de divin. Nomin.]. Sed bonitates a Deo procedentes non sunt ipsa divina substantia. Ergo huiusmodi nomina non significant divinam substantiam.

3. Ces noms signifient ce qui procde de la divine bont dans les tres, comme le dit Denys (De div. Nomin., I, 2, 591 D[793]). Mais les bonts qui procdent de Dieu ne sont pas sa substance. Donc les noms de ce genre ne signifient pas la substance de Dieu.

q. 7 a. 5Arg. 4 Praeterea, Origenes dicit quod Deus dicitur sapiens quia sapientia nos implet. Hoc autem non significat divinam substantiam, sed effectum. Ergo praedicta nomina non significant divinam substantiam.

4. Origne dit que Dieu est appel sage parce qu'il nous comble de sagesse. Mais cela ne signifie pas la substance de Dieu, mais son effet. Donc ces noms ne signifient pas la substance divine.

q. 7 a. 5Arg. 5 Praeterea, in Lib. de causis [propositio 17] dicitur quod causa prima non nominatur nisi nomine causati primi, quod est intelligentia. Cum autem causa nominatur nomine sui causati, non est praedicatio per essentiam, sed per causam. Ergo nomina quae de Deo dicuntur, non praedicantur de Deo substantialiter, sed causaliter tantum.

5. Dans le Liber De Causis (prop. VI n 63), il est dit que la cause premire n'est appele que par le nom du premier effet, qui est l'intelligence. Mais comme la cause est appele par le nom de son effet, ce n'est pas une attribution par l'essence, mais par la cause. Donc les noms dont on se sert pour Dieu ne lui sont pas attribus selon la substance, mais selon la cause seulement.

q. 7 a. 5Arg. 6 Praeterea, nomina significant conceptiones intellectuum, ut patet per philosophum [ in principio Periher.]. Sed nos divinam substantiam intelligere non possumus : non enim scimus de eo quid est, sed quoniam est, ut dicit Damascenus [cap. IV de div. Nomin, part. I]. Ergo non possumus eum nominare aliquo nomine, nec significare eius substantiam.

6. Les noms signifient les conceptions de l'esprit, comme le montre le philosophe (au dbut du Periher. 16 a 10 ss). Mais nous ne pouvons pas saisir (intelligere) la substance divine ; car nous ne savons pas ce qu'il est, mais nous savons qu'il est, comme le dit Jean Damascne (liv. I, ch. 4[794]). Donc nous ne pouvons pas lui donner un nom, ni signifier sa substance[795].

q. 7 a. 5Arg. 7 Praeterea, omnia divinam bonitatem participant, ut patet per Dionysium. Sed non omnia participant eius substantiam, quae est solum in tribus personis. Ergo divina bonitas non significat eius substantiam.

7. Tout participe de la bont de Dieu, comme le montre Denys (Les noms divins, IV, 1, 693 B[796]). Mais tout ne participe pas de sa substance, qui est seulement dans les trois personnes. Donc la bont de Dieu ne signifie pas sa substance.

q. 7 a. 5Arg. 8 Praeterea, Deum cognoscere non possumus nisi ex similitudine creaturae, quia, ut dicit apostolus, Rom. I, 20, invisibilia Dei a creatura mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Sed secundum quod ipsum cognoscimus, ita ipsum nominamus. Ergo non nominamus ipsum nisi ex similitudine creaturarum. Sed quando aliquid nominatur ex similitudine alterius, nomen illud non praedicatur de ipso substantialiter, sed metaphorice : quod per hoc patet quod per posterius de Deo dicitur, et per prius de eo a quo sumitur similitudo ; cum tamen quod significat substantiam alicuius primo de eo praedicetur.

8. Nous ne pouvons connatre Dieu que par la ressemblance de la crature, parce que, comme le dit l'Aptre (Rm 1, 20) Ce qu'il y a d'invisible en Dieu depuis la cration du monde, se laisse voir pour l'intelligence par ses uvres. Mais nous lui donnons un nom selon que nous le connaissons. Donc nous ne le nommons que par la ressemblance des cratures. Mais quand nous nommons une chose selon la ressemblance d'une autre, ce nom ne lui est pas attribu lui-mme selon la substance, mais par mtaphore : par l i lest clair que ce quont de Dieu est apers, et ce dont on tire la ressemablance est avant ; puisque cependant nous attribuons d'abord une chose ce que signifie sa substance.

q. 7 a. 5Arg. 9 Praeterea, secundum philosophum [VIII Metaph.], significare substantiam est significare hoc, et nihil aliud. Si ergo hoc nomen bonum significat substantiam divinam, nihil erit in substantia divina quod non hoc nomine significetur, sicut etiam nihil est in substantia humana quod non significetur hoc nomine homo. Sed hoc nomen bonum non significat sapientiam. Ergo sapientia non erit substantia divina, et pari ratione nec omnia alia ; ergo non potest esse quod huiusmodi omnia nomina significent divinam substantiam.

9. Selon le philosophe (Mtaphysique, VIII), signifier une substance c'est la signifier elle et rien d'autre. Si donc ce mot bon signifie la substance divine, rien ne sera dans sa substance qui ne soit pas signifi par ce nom, de mme que rien n'est dans la substance humaine qui ne soit signifi par ce nom homme. Mais ce mot bon ne signifie pas la sagesse. Donc la sagesse ne sera pas la substance divine, raison gale, tous les autres attributs non plus ; donc il n'est pas possible que tous les noms de ce genre signifient la substance divine.

q. 7 a. 5Arg. 10 Praeterea, sicut quantitas est causa aequalitatis, et similitudinis qualitas, ita et substantia identitatis. Si ergo omnia huiusmodi nomina significent substantiam Dei, secundum ea non attenderetur vel aequalitas vel similitudo, sed magis identitas ; et ita creatura dicetur idem Deo, ex hoc quod eius sapientiam vel bonitatem imitatur, vel aliquid huiusmodi ; quod est inconveniens.

10. De mme que la quantit est la cause de l'galit, et la qualit celle de ressemblance, de mme la substance est celle de l'identit. Si donc tous les noms de ce genre signifiaient la substance de Dieu, selon eux on n'atteindrait ni l'galit, ni la ressemblance, mais plutt l'identit, et ainsi on dirait que la crature serait identique Dieu du fait qu'elle imite sa sagesse et sa bont, etc., ce qui ne convient pas.

q. 7 a. 5Arg. 11 Praeterea, in Deo, qui est principium totius naturae, nihil potest esse contra naturam ; nec ipse etiam aliquid contra naturam facit, sicut habetur in Glossa Rom. XI (ord. super illud : Contra naturam insertus es). Hoc autem est contra naturam quod accidens sit substantia. Cum ergo sapientia, iustitia et huiusmodi secundum se sint accidentia, non potest esse quod in Deo sint substantia.

11. En Dieu, qui est le principe de toute la nature, rien ne peut tre contre elle ; et il ne fait rien contre elle, comme le dit la Glose (ordinaire, Rm. 11, 24, sur ce passage : Greff contre nature[797]). Mais c'est contre la nature qu'un accident soit une substance. Donc, comme la sagesse, la justice, etc, sont en soi des accidents, il n'est pas possible qu'ils soient substance en Dieu.

q. 7 a. 5Arg. 12 Praeterea, cum dicitur Deus bonus, iste terminus est complexus. Nulla autem esset complexio, si bonitas Dei esset ipsa eius substantia. Ergo non videtur quod bonum significet divinam substantiam ; et eadem ratione nec alia similia nomina.

12. Quand on appelle Dieu bon, ce terme est complexe. Mais il n'y aurait pas de complexit si la bont de Dieu tait sa substance mme. Donc il ne semble pas que bon signifie la substance de Dieu, et pour une mme raison les autres noms semblables non plus.

q. 7 a. 5Arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit quod Deus omnem formam nostri intellectus subterfugit, et ideo intellectui permixtus esse non potest. Hoc autem non esset, si ista nomina significarent divinam substantiam, quia Deus corresponderet formae nostri intellectus. Ergo huiusmodi nomina non significant divinam substantiam.

13. Augustin dit que Dieu se drobe toute forme de notre esprit, et c'est pourquoi il ne peut pas lui tre uni. Mais cela n'existerait pas, si ces noms signifiaient la substance divine, parce que Dieu correspondrait la forme de notre esprit. Donc les noms de ce genre ne signifient pas la substance de Dieu.

q. 7 a. 5Arg. 14 Praeterea, Dionysius [cap. 1 mysticae Theologiae] dicit quod optime homo Deo unitur in cognoscendo quod cognoscens de ipso nihil cognoscit. Hoc autem non esset, si ista quae concipit et significat, essent divina substantia. Ergo idem quod prius.

14. Denys (La thologie mystique,1 1 997 B) dit que l'homme est tout fait bien uni Dieu en reconnaissant que celui qui connat ne connat rien de lui. Mais cela ne serait pas possible si ce qu'il conoit et signifie tait la substance divine. Donc de mme que plus haut.

 

En sens contraire

q. 7 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit [VII de Trin., cap. VII] : Deo est hoc esse quod est fortem esse, vel sapientem esse ; et si quid de illa simplicitate dixeris quae eius substantiam significat. Ergo omnia huiusmodi significant divinam substantiam.

1. Il y a cette parole d'Augustin (la Trinit, VI, 4, 6[798]) : Pour Dieu c'est tre que d'tre fort, ou sage ; et ainsi on dit quelque chose de cette simplicit qui signifie sa substance. Donc tous les mots de ce genre signifient la substance divine.

q. 7 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Botius dicit [in libris de Trinitate], quod cum quis alia praedicamenta praeter relationem in divinam vertit praedicationem, cuncta mutantur in substantiam ; sicut iustus, etsi qualitatem significare videatur, significat tamen substantiam, et similiter magnus, et huiusmodi alia.

2. Boce dit (La Trinit VI[799]) que lorsque quelqu'un change les autres catgories sauf la relation dans lattribution divine, tout est chang en sa substance ; comme juste, mme s'il semble signifier une qualit, signifie cependant la substance, et de la mme manire grand, etc..

q. 7 a. 5 s. c. 3 Praeterea, omne quod dicitur per participationem, reducitur ad aliquid per se et essentialiter dictum. Sed praedicta nomina de creaturis dicuntur per participationem. Ergo cum reducantur in Deum sicut in causam primam, oportet quod de Deo dicantur essentialiter ; et ita sequitur quod significent eius substantiam.

3. Tout ce qui est dit par participation est ramen quelque chose par soi et dit selon l'essence. Mais ces noms attribus sont dits des cratures par participation. Donc comme ils sont ramens Dieu comme la cause premire, il faut quon en parle en Dieu selon l'essence, et ainsi il en dcoule qu'ils signifient sa substance.

 

Rponse :

q. 7 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod :

Il faut dire que :

A. Quidam posuerunt, quod ista nomina dicta de Deo, non significant divinam substantiam, quod maxime expresse dicit Rabbi Moyses. Dicit autem, huiusmodi nomina de Deo dupliciter esse intelligenda :

A Certains ont pens que ces noms donns Dieu, ne signifient pas la substance divine, ce que dit de faon trs expresse Rabbi Moyses[800].. Mais il dit que de tels noms sur Dieu doivent tre interprts de deux manires :

Uno modo per similitudinem effectus, ut dicatur Deus sapiens non quia sapientia aliquid sit in ipso, sed quia ad modum sapientis in suis effectibus operatur, ordinando scilicet unumquodque ad debitum finem ; et similiter dicitur vivens in quantum ad modum viventis operatur, quasi ex se ipso agens.

1) Par la ressemblance de l'effet, ainsi on dit que Dieu est sage, non parce que la sagesse est quelque chose en lui, mais parce qu'il opre la manire du sage dans ses effets, c'est--dire en ordonnant chaque chose la fin qui lui est due, et de mme on le dit vivant en tant qu'il opre la manire d'un vivant, comme agissant par lui-mme.

Alio modo per modum negationis ; ut per hoc quod dicimus Deum esse viventem, non significemus vitam in eo aliquid esse, sed removeamus a Deo illum modum essendi quo res inanimatae existunt. Similiter cum dicimus Deum intelligentem, non intelligimus significare intellectum aliquid in ipso esse, sed removemus a Deo illum modum essendi quo bruta existunt ; et sic de aliis.

2) Par mode de ngation ; ainsi en disant que Dieu est vivant, nous ne signifions pas que la vie est quelque chose en lui, mais que nous excluons de lui cette manire d'tre par laquelle des tres existent sans vie. De mme quand nous disons que Dieu est intelligent, nous n'entendons pas signifier quelque intellection en lui, mais nous excluons de lui cette manire d'tre par laquelle les btes existent, et ainsi de suite...

Uterque autem modus videtur esse insufficiens et inconveniens.

L'une et l'autre manire semble insuffisante et ne pas convenir.

Primus quidem duplici ratione : quarum prima est, quia secundum expositionem nulla differentia esset inter hoc quod dicitur, Deus est sapiens et Deus est iratus, vel Deus ignis est. Dicitur enim iratus quia operatur ad modum irati dum punit : hoc enim homines irati facere consueverunt. Dicitur etiam ignis, quia operatur ad modum ignis dum purgat, quod ignis suo modo facit. Hoc autem est contra positionem sanctorum et prophetarum loquentium de Deo, qui quaedam de Deo probant, et quaedam ab eo removent ; probant enim eum esse vivum, sapientem et huiusmodi, et non esse corpus, neque passionibus subiectum. Secundum autem praedictam opinionem omnia de Deo pari ratione possent dici et removeri, non magis haec quam illa.

1) La premire manire[801] d'abord pour une double raison : a) Dont la premire est parce que, selon l'expos, il n'y a aucune diffrence entre ce qui est dit, que Dieu est sage et Dieu est en colre ou Dieu est feu. Car on le dit irrit parce qu'il opre la manire de quelqu'un en colre quand il punit. Cela en effet les hommes en colre ont l'habitude de le faire. On l'appelle aussi feu ; parce qu'il agit la manire du feu quand il purifie, ce que le feu fait sa manire. Mais cela est contre l'opinion des saints et des prophtes qui parlent de Dieu, qui prouvent certaines choses son sujet et en excluent d'autres ; car ils prouvent qu'il est vivant, sage, etc., et qu'il n'est pas un corps, ni qu'il est soumis aux passions. Selon cette opinion tout pourrait tre dit ou exclu de Dieu raison gale, pas plus ceci que cela

Secunda ratio, quia cum secundum fidem nostram ponamus creaturam non semper fuisse, quod et ipse concedit, sequeretur quod non possemus dicere fuisse sapientem vel bonum antequam creaturae essent. Constat enim quod antequam creaturae essent, nihil in effectibus operabatur, nec ad modum boni nec ad modum sapientis. Hoc autem omnino sanae fidei repugnat : nisi forte dicere velit quod ante creaturas sapiens dici poterat, non quia operaretur ut sapiens, sed quia poterat ut sapiens operari. Et sic sequeretur quod aliquid existens in Deo per hoc significetur, et sit per consequens substantia, cum quidquid est in Deo sit sua substantia.

b) Seconde raison : parce que, comme nous pensons selon notre foi que la crature n'a pas toujours exist, ce que lui-mme concde, il en dcoulerait que nous ne pourrions pas dire qu'il a t sage ou bon avant que les cratures existent. Car il est vident qu'avant qu'elles existent, il n'oprait rien dans les effets, ni selon sa bont, ni selon sa sagesse. Mais cela s'oppose la vraie foi, moins que par hasard, il veuille dire qu'avant les cratures, il pouvait tre appel sage, non parce qu'il oprait en tant que sage, mais parce qu'il pouvait le faire. Et ainsi il en dcoulerait que par l serait signifi quelque chose qui existe en Dieu, et est par consquent sa substance, puisque tout ce qui est en Dieu est sa substance.

Secundus autem modus eadem ratione videtur esse inconveniens. Non enim est aliquod nomen alicuius speciei per quod non removeatur aliquis modus qui Deo non competit. In nomine enim cuiuslibet speciei includitur significatio differentiae, per quam excluditur alia species quae contra eam dividitur : sicut in nomine leonis includitur haec differentia quae est quadrupes, per quam leo differt ab ave. Si ergo praedicationes de Deo non essent introductae nisi ad removendum, sicut dicimus Deum esse viventem,- quia non habet esse ad modum inanimatorum, ut ipse dicit - ita possemus dicere Deum esse leonem, quia non habet esse ad modum avis. Et praeterea intellectus negationis semper fundatur in aliqua affirmatione : quod ex hoc patet quia omnis negativa per affirmativam probatur ; unde nisi intellectus humanus aliquid de Deo affirmative cognosceret, nihil de Deo posset negare. Non autem cognosceret, si nihil quod de Deo dicit, de eo verificaretur affirmative.

2) La seconde manire[802] ne semble pas convenir pour la mme raison. Car il n'y a pas de nom dune espce par lequel ne serait pas exclu un mode qui ne convient pas Dieu. Car dans le nom de n'importe quelle espce, est inclue une signification de diffrence, par laquelle est exclue une autre espce, qui s'oppose elle, comme dans le nom de lion est incluse cette diffrence qu'il est quadrupde, par laquelle il est diffrent de l'oiseau. Donc ainsi les attributions Dieu n'auraient t introduites que pour exclure, comme nous disons que Dieu est vivant parce qu'il n'a pas un tre la manire des objets inanims, comme il le dit lui-mme de sorte que nous puissions dire que Dieu est un lion, parce qu'il n'a pas d'tre la manire de l'oiseau. Et en plus le concept de ngation est toujours fond sur une affirmation : ce qui parait du fait que toute ngation est prouve par une affirmation ; c'est pourquoi moins que l'intellect humain ne connaisse de faon affirmative quelque chose de Dieu, il ne peut rien nier de lui. Mais il ne connatrait pas si rien de ce qu'il dit de Dieu n'tait vrifi affirmativement.

B. Et ideo, secundum sententiam Dionysii [capit. XII de divinis Nominibus], dicendum est, quod huiusmodi nomina significant divinam substantiam, quamvis deficienter et imperfecte : quod sic patet. Cum omne agens agat in quantum actu est, et per consequens agat aliqualiter simile, oportet formam facti aliquo modo esse in agente : diversimode tamen : quia quando effectus adaequat virtutem agentis, oportet quod secundum eamdem rationem sit illa forma in faciente et in facto ; tunc enim faciens et factum coincidunt in idem specie, quod contingit in omnibus univocis : homo enim generat hominem, et ignis ignem. Quando vero effectus non adaequat virtutem agentis, forma non est secundum eamdem rationem in agente et facto, sed in agente eminentius ; secundum enim quod est in agente habet agens virtutem ad producendum effectum. Unde si tota virtus agentis non exprimitur in facto, relinquitur quod modus quo forma est in agente excedit modum quo est in facto. Et hoc videmus in omnibus agentibus aequivocis, sicut cum sol generat ignem.

B. Et c'est pourquoi, selon l'expression de Denys (Les Noms divins, XII), il faut dire que les noms de ce genre signifient la substance divine, quoique de manire dficiente et imparfaite ; ce qui parat ainsi : puisque tout agent agit en tant qu'il est en acte, et par consquent fait en quelque manire du semblable, il faut que la forme de ce qui est produit soit en quelque manire dans l'agent ; de manire diffrente cependant ; parce que, quand l'effet gale le pouvoir de l'agent, il faut que cette forme soit selon une mme raison dans ce qui produit et ce qui est produit ; car alors celui qui produit et ce qui est produit se retrouve dans l'identique en espce, ce qui arrive dans tout ce qui est univoque ; l'homme, en effet, engendre un homme et le feu le feu. Mais quand l'effet n'gale pas le pouvoir de l'agent, la forme n'est pas selon la mme raison dans l'agent et dans ce qui est produit, mais de manire plus minente dans l'agent, car l'agent a le pouvoir de produire l'effet selon quil est en lui. C'est pourquoi si tout le pouvoir de l'agent n'est pas exprim dans ce qu'il produit, il reste que le mode par lequel la forme est dans l'agent dpasse le mode par lequel elle est dans ce qui est produit. Et nous voyons cela dans tous les agents quivoques, comme quand le soleil engendre le feu.

Constat autem quod nullus effectus adaequat virtutem primi agentis, quod Deus est ; alias ab una virtute ipsius non procederet nisi unus effectus. Sed cum ex eius una virtute inveniamus multos et varios effectus procedere, ostenditur nobis quod quilibet eius effectus deficit a virtute agentis. Nulla ergo forma alicuius effectus divini est per eamdem rationem, qua est in effectu in Deo : nihilominus oportet quod sit ibi per quemdam modum altiorem ; et inde est quod omnes formae quae sunt in diversis effectibus distinctae et divisae ad invicem, in eo uniuntur sicut in una virtute communi, sicut etiam omnes formae per virtutem solis in istis inferioribus productae, sunt in sole secundum unicam eius virtutem, cui omnia generata per actionem solis secundum suas formas similantur.

Mais il est clair qu'aucun effet n'gale la puissance du premier agent qui est Dieu ; autrement il ne proviendrait qu'un seul effet de son pouvoir unique. Mais comme nous trouvons que de son seul pouvoir procdent des effets nombreux et varis, cela nous montre que n'importe quel effet est dficient par rapport la puissance de l'agent. Donc aucune forme d'un effet divin n'est d'une mme nature que dans l'effet en Dieu : il faut nanmoins qu'il y soit par quelque mode plus lev et de l vient que toutes les formes qui sont distinctes et divises entre elles dans les divers effets, y sont unies, comme dans un pouvoir commun, comme aussi toutes les formes produites par le pouvoir du soleil dans les choses infrieures sont dans le soleil selon son unique pouvoir, qui tout ce qui est engendr par l'action du soleil ressemble selon les formes.

Et similiter perfectiones rerum creatarum assimilantur Deo secundum unicam et simplicem essentiam eius. Intellectus autem noster cum a rebus creatis cognitionem accipiat, informatur similitudinibus perfectionum in creaturis inventarum, sicut sapientiae, virtutis, bonitatis et huiusmodi. Unde sicut res creatae per suas perfectiones aliqualiter,- licet deficienter,- Deo assimilantur, ita et intellectus noster harum perfectionum speciebus informatur. .

Et de mme, les perfections des cratures ont une ressemblance avec Dieu quant son essence unique et simple. Mais comme notre esprit reoit la connaissance par les cratures, il est mis en forme par les ressemblances des perfections trouves dans les cratures comme celle de la sagesse, de la vertu, de la bont, etc.. C'est pourquoi, de mme que les cratures ressemblent Dieu de quelque manire par leurs perfections bien que de manire dficiente, de mme notre esprit reoit les formes de ces perfections.

Quandocumque autem intellectus per suam formam intelligibilem alicui rei assimilatur, tunc illud quod concipit et enuntiat secundum illam intelligibilem speciem verificatur de re illa cui per suam speciem similatur : nam scientia est assimilatio intellectus ad rem scitam. Unde oportet quod illa quae intellectus, harum specierum perfectionibus informatus, de Deo cogitat vel enuntiat, in Deo vero existant, qui unicuique praedictarum specierum respondet sicut illud cui omnes similes sunt. Si autem huiusmodi intelligibilis species nostri intellectus divinam essentiam adaequaret in assimilando, ipsam comprehenderet, et ipsa conceptio intellectus esset perfecta Dei ratio, sicut animal gressibile bipes est perfecta ratio hominis.

Quelquefois l'esprit par sa forme intelligible ressemble une chose, alors ce qu'il conoit et nonce selon cette forme intelligible est vrifi de cette chose laquelle elle ressemble par sa forme ; car la science est la ressemblance de l'esprit la chose connue. C'est pourquoi, il faut que ce que l'esprit, inform par les perfections de ces formes, pense ou nonce de Dieu, existe rellement en lui, qui correspond chacune de ces formes, comme ce quoi toutes sont semblables. Mais si une telle espce intelligible de notre esprit galait l'essence divine en lui ressemblant, il l'apprhenderait et la conception mme de l'esprit serait la dfinition parfaite de Dieu, comme "animal marcheur deux pieds" est une parfaite dfinition de l'homme.

Non autem perfecte divinam essentiam assimilat species praedicta, ut dictum est ; et ideo licet huiusmodi nomina, quae intellectus ex talibus conceptionibus Deo attribuit, significent id quod est divina substantia, non tamen perfecte ipsam significant secundum quod est, sed secundum quod a nobis intelligitur.

Mais la forme dont on a parl n'imite pas parfaitement l'essence divine, comme on l'a dit, et c'est pourquoi, bien que les noms de ce genre, que l'esprit a attribue Dieu par de telles conceptions, signifient ce qu'est la substance divine, ils ne la signifient cependant pas parfaitement selon ce qu'elle est mais selon ce que nous en comprenons.

Sic ergo dicendum est, quod quodlibet istorum nominum significat divinam substantiam, non tamen quasi comprehendens ipsam, sed imperfecte : et propter hoc, nomen qui est, maxime Deo competit, quia non determinat aliquam formam Deo, sed significat esse indeterminate. Et hoc est quod dicit Damascenus [lib. I orthod Fidei, cap. XII], quod hoc nomen qui est, significat substantiae pelagus infinitum.

Ainsi donc il faut dire que n'importe lequel de ces noms signifie la substance divine, non cependant comme si elle l'apprhendait, mais imparfaitement, et c'est pour cela que Qui est est le nom qui convient le plus parfaitement Dieu, parce qu'il ne dtermine pas une forme en Dieu, mais signifie l'tre sans dtermination. Et c'est ce que dit Jean Damascne (La foi orthodoxe, I, 12, PG. 94, 833) que ce nom Qui est signifie une mer infinie de substance[803].

Haec autem solutio confirmatur per verba Dionysii [cap. I de divin. Nominibus] qui dicit, quod quia divinitas omnia simpliciter et incircumfinite in seipsa existentia praeaccipit, ex diversis convenienter laudatur et nominatur. Simpliciter dicit, quia perfectiones quae in creaturis sunt secundum diversas formas, Deo attribuuntur secundum simplicem eius essentiam : incircumfinite dicit, ad ostendendum quod nulla perfectio in creaturis inventa divinam essentiam comprehendit, ut sic intellectus sub ratione illius perfectionis in seipso Deum definiat. Confirmatur etiam per hoc quod habetur V Metaph., quod simpliciter perfectum est quod habet in se perfectiones omnium generum ; quod Commentator ibidem de Deo exponit.

Cette solution est confirme par les paroles de Denys, qui dit (les Noms divins, I, 7, 597 A) que parce que la Divinit contient par avance tout ce qui existe en elle de faon simple et indfinissable, elle est convenablement loue et nomme par diffrents termes[804]. De faon simple, dit-il, parce que les perfections qui sont dans les cratures en diffrentes formes, lui sont attribues selon son essence simple ; il le dit d'une faon indfinissable, pour montrer qu'aucune perfection trouve dans les cratures ne saisit l'essence divine, de sorte qu'ainsi l'esprit dfinisse Dieu en raison de cette perfection en lui. C'est confirm aussi par ce qui est dit en Mtaphysique (V, 16, 1021 b 14) qu'est absolument parfait ce qui a en soi les perfections de tous les genres, ce que le Commentateur expose ce mme endroit au sujet de Dieu Solutions :.

 

 

q. 7 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus intelligit, quod huiusmodi nomina non significant quid est Deus, quasi eius substantiam definiendo et comprehendendo ; unde et subiungit quod hoc nomen qui est, quod indefinite significat Dei substantiam, propriissime Deo attribuitur.

 1. Jean Damascne comprend que les noms de ce genre ne signifient pas ce qu'est Dieu comme dfinissant et saisissant sa substance ; c'est pourquoi il ajoute que ce nom Qui est, qui signifie de manire indfinie la substance de Dieu, est attribu Dieu dune manire trs approprie.

q. 7 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ita Dionysius dicit negationes horum nominum esse veras de Deo quod tamen non asserit affirmationes esse falsas et incompactas : quantum enim ad rem significatam, Deo vere attribuuntur, quae in eo aliquo modo est, ut iam ostensum est ; sed quantum ad modum quem significant de Deo negari possunt : quodlibet enim istorum nominum significat aliquam formam definitam, et sic Deo non attribuuntur, ut dictum est. Et ideo absolute de Deo possunt negari, quia ei non conveniunt per modum qui significatur : modus enim significatus est secundum quod sunt in intellectu nostro, ut dictum est ; Deo autem conveniunt sublimiori modo ; unde affirmatio incompacta dicitur quasi non omnino convenienter coniuncta propter diversum modum. Et ideo, secundum doctrinam Dionysii [cap. I myst. Theol., et cap. Caelest. Hierar., et cap. II et III de divin Nomin.] tripliciter ista de Deo dicuntur.

 2. Ainsi Denys (La hirarchie cleste, PG. 3, 141 A[805]) dit, que les ngations de ces noms sont vraies de Dieu, il ne prtend pas cependant que les affirmations soient fausses et inadquates, dans ce quelles signifient ; on attribue rellement Dieu ce qui est en lui dune certaine manire, comme on l'a montr, mais quant au mode quelles signifient en Dieu, elles peuvent tre nies de Dieu, car n'importe lequel de ces noms signifie une forme dfinie et ainsi elles ne sont pas attribues Dieu, comme on l'a dit. Et c'est pourquoi elles ne peuvent absolument pas tre nies en lui, parce qu'elles ne lui conviennent pas par le mode qui est signifi. Car celui-ci est signifi selon ce qu'elles sont dans notre esprit, comme on l'a dit, mais elles conviennent Dieu d'une manire plus sublime ; c'est pourquoi on dit que l'affirmation est inadquate[806] comme si elle nՎtait pas attribue convenablement en raison dun mode diffrent. Et ainsi, selon la doctrine de Denys (La thologie mystique, I, la Hirarchie cleste, II, et Les noms divins, II et III) on emploie de trois manires ces affirmations propos de Dieu.

Primo quidem affirmative, ut dicamus, Deus est sapiens ; quod quidem de eo oportet dicere propter hoc quod est in eo similitudo sapientiae ab ipso fluentis : quia tamen non est in Deo sapientia qualem nos intelligimus et nominamus, potest vere negari, ut dicatur, Deus non est sapiens. Rursum quia sapientia non negatur de Deo quia ipse deficiat a sapientia, sed quia supereminentius est in ipso quam dicatur aut intelligatur, ideo oportet dicere quod Deus sit supersapiens.

a) Affirmativement : pour dire que Dieu est sage ; ce qu'il faut dire de lui, parce qu'il y a en cela une ressemblance de la sagesse qui dcoule de lui ; b) parce que cependant il n'y a pas en Dieu une sagesse telle que nous la comprenons et la nommons, elle peut tre rellement nie, pour dire : Dieu n'est pas sage. c) A nouveau parce que la sagesse n'est pas nie de Dieu parce que lui-mme manquerait de sagesse, mais parce qu'elle est en lui de manire superminente qu'on le dit et le comprend, c'est pourquoi il faut dire que Dieu est super sage.

Et sic per istum triplicem modum loquendi secundum quem dicitur Deus sapiens, perfecte Dionysius dat intelligere qualiter ista Deo attribuantur.

Et ainsi par cette triple manire de parler, selon laquelle on dit qu'il est sage, Denys donne comprendre parfaitement de quelle manire on donne ces attributs Dieu.

q. 7 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ista nomina dicuntur significare divinos processus, quia primo sunt imposita ad significandum istas processiones secundum quod sunt in creaturis et ab earum similitudine intellectus noster manuducitur ut huiusmodi Deo eminentiori modo attribuat.

 3. On dit que ces noms signifient ce qui procde de Dieu, parce qu'ils sont d'abord imposs pour signifier ces processions telles qu'elles sont dans les cratures et par cette ressemblance notre esprit est conduit l'attribuer Dieu de manire plus minente.

q. 7 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum Origenis non est intelligendum quod hoc intendimus significare cum dicimus, Deus est sapiens, quod Deus est causa sapientiae, sed quia ex sapientia quam causat, intellectus noster manuducitur ut sibi sapientiam supereminenter attribuat, ut dictum est.

 4. Le mot d'Origne n'est pas comprendre que nous entendons signifier, quand nous disons Dieu est sage, que Dieu est la cause de la sagesse mais, parce que par la sagesse qu'il cause, notre esprit est conduit lui attribuer la sagesse de manire surminente, comme on l'a dit.

q. 7 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum quod, cum dicitur Deus intelligens, nominatur nomine sui causati : quia nomen quod sui causati substantiam significat, sibi non definite attribui potest, secundum quem modum nomen significat ; et sic hoc nomen quamvis ei aliquo modo conveniat, non tamen convenit ei ut nomen eius, quia id quod significat nomen, est definitio ; causato vero convenit ut nomen eius.

 5. Quand on dit que Dieu est intelligent, on le dsigne du nom de son effet ; parce que le nom qui signifie la substance de son effet, ne peut pas lui tre attribu de manire dfinie, selon le mode que ce nom signifie ; et ainsi quoique ce nom lui convienne de quelque manire, il ne lui convient cependant pas comme son nom, parce que ce que signifie le nom est une dfinition, il convient comme nom l'effet.

q. 7 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa probat quod Deus non potest nominari nomine substantiam ipsius definiente vel comprehendente vel adaequante : sic enim de Deo ignoramus quid est.

 6. Cette raison prouve que Dieu ne peut pas tre dsign d'un nom qui signifie, saisit ou gale sa substance ; car nous ignorons ce qu'il est.

q. 7 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum quod, sicut omnia participant Dei bonitatem,- non eamdem numero, sed per similitudinem - ita participant per similitudinem esse Dei. Sed in hoc differt : nam bonitas importat habitudinem alicuius causae, est enim bonum diffusivum sui ; essentia autem significatur in eo in quo est, ut quiescens.

 7. De mme que tout participe de la bont de Dieu non la mme en nombre, mais par ressemblance de mme tout participe par ressemblance l'tre de Dieu. Mais il y a une diffrence : car la bont apporte la relation d'une cause, car le bien se donne ; mais l'essence est signifie en ce en quoi elle est, comme s'y reposant.

q. 7 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in effectu invenitur aliquid per quod assimilatur suae causae, et aliquid per quod a sua causa differt : quod quidem convenit ei vel ex materia vel ex aliquo huiusmodi, sicut patet in latere indurato per ignem. Nam in hoc quod lutum calefiat ab igne, igni similatur ; in hoc vero quod calefactum ingrossetur et induretur differt ab igne ; sed habet hoc ex materiae conditione. Si ergo id in quo later igni similatur, de igne dicatur, proprie dicetur de eo, et eminentius et per prius. Ignis enim est calidior quam later, et iterum eminentius : nam later est calidus quasi calefactus, ignis autem naturaliter. Si vero id in quo later ab igne differt, dicamus de igne, falsum erit ; et nomen huiusmodi conditionem in suo intellectu habens, de igne non poterit dici nisi metaphorice. Falsum est enim ignem, qui est subtilissimum corporum, grossum dici. Durus autem dici potest propter violentiam actionis, et non facilem potentiam passionis.

 8. On trouve dans l'effet une chose par laquelle il ressemble sa cause, et une autre par laquelle il en diffre : ce qui lui arrive par la matire ou quelque chose de ce genre, comme on le voit dans la brique durcie par le feu. Car du fait que l'argile est chauffe par le feu, elle lui ressemble et alors en tant qu'elle est chauffe, elle s'paissit et se durcit, elle devient diffrente du feu ; mais elle le tient de la condition de sa matire. Si donc ce en quoi la brique ressemble au feu est appel du feu, on le dit de lui au sens propre, et de manire plus minente et auparavant. Car le feu est plus chaud que la brique et aussi plus minemment ; car la brique est chaude en tant que chauffe, mais le feu l'est naturellement. Si donc ce en quoi la brique diffre du feu, nous l'appelons du feu, ce sera faux ; et le nom qui a un tel sens dans son concept, ne pourra tre employ pour le feu que mtaphoriquement. Car il est faux dappeler pais le feu qui est le plus subtil des corps. Mais on peut l'appeler dur cause de la violence de son action, mais non cause de sa facilit subir.

Similiter consideranda sunt in creaturis quaedam secundum quae Deo similantur, quae quantum ad rem significatam, nullam imperfectionem important, sicut esse, vivere et intelligere et huiusmodi ; et ista proprie dicuntur de Deo, immo per prius de ipso et eminentius quam de creaturis. Quaedam vero sunt secundum quae creatura differt a Deo, consequentia ipsam prout est ex nihilo, sicut potentialitas, privatio, motus et alia huiusmodi : et ista sunt falsa de Deo. Et quaecumque nomina in sui intellectu conditiones huiusmodi claudunt, de Deo dici non possunt nisi metaphorice, sicut leo, lapis et huiusmodi, propter hoc quod in sui definitione habent materiam. Dicuntur autem huiusmodi metaphorice de Deo propter similitudinem effectus.

De mme il faut considrer dans les cratures certains attributs selon qu'elles ressemblent Dieu, qui n'entranent quant ce qui est signifi aucune imperfection, comme tre, vivre, comprendre, etc. et ceux-ci sont dits proprement de Dieu, bien plus d'abord de lui, et plus minemment que des cratures. Mais il y a certains attributs en quoi la crature est diffrente de Dieu, consquence de ce qu'elle vient du nant, comme la potentialit, la privation, le mouvement, etc. et ceux-ci sont faux pour Dieu. Et tous ces noms qui enferment des extensions de sens de ce genre en leur concepts ne peuvent tre dits de Dieu que mtaphoriquement, comme lion, pierre, etc., parce que la matire fait partie de leur dfinition. Mais on parle des effets de ce genre par mtaphore au sujet de Dieu cause de la ressemblance.

q. 7 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ratio illa procedit de eo quod significat substantiam definitive vel circumscriptive. Sic autem nullum istorum nominum substantiam Dei significat, ut dictum est [in corp. Art.].

 9. Cette raison procde de ce qui signifie la substance d'une manire dtermine ou indfinissable. Mais ainsi aucun de ces noms ne signifient la substance de Dieu, comme on l'a dit (dans le corps de l'article).

q. 7 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod quamvis huiusmodi perfectiones in Deo sint ipsa divina substantia, tamen in creatura non sunt substantiales praedictae divinae perfectiones, ideo secundum eas creaturae non dicuntur Deo eadem, sed similes.

 10. Quoique les perfections de ce genre soient en Dieu la substance divine elle-mme, cependant dans la crature, il n'y a pas ces perfections substantielles attribues Dieu, c'est pourquoi cause d'elles, on ne dit pas que les cratures sont identiques a Dieu, mais lui sont semblables.

q. 7 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod hoc esset contra naturam, si sapientia eiusdem rationis cum ea quae est accidens, in Deo esset : hoc autem non est verum, ut ex praedictis patet. Nec tamen auctoritas inducta est ad propositum : nihil enim contra naturam Deus facit in se ipso, quia in se ipso nihil facit.

 11. Ce serait contre la nature si la sagesse tait en Dieu de la mme nature que celle qui est un accident. Mais cela n'est pas vrai, comme on l'a vu dans ce qui a t dit. Cependant l'autorit[807] n'a pas t introduite pour cela. Car Dieu ne fait rien contre la nature en lui-mme, parce qu'il ne fait rien en lui-mme.

q. 7 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod complexio huius termini, cum dicitur Deus bonus, non refertur ad aliquam compositionem quae sit in Deo, sed ad compositionem quae est in intellectu nostro.

 12. La complexit de ce terme, quand on dit Dieu est bon, ne se rfre pas une composition qui serait en Dieu, mais celle de notre esprit.

q. 7 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus subterfugit formam intellectus nostri quasi omnem formam intellectus nostri excedens ; non autem ita quod intellectus noster secundum nullam formam intelligibilem Deo assimiletur.

 13. Dieu se drobe la forme de notre esprit en tant qu'il en excde toute forme, mais pas de telle manire que notre esprit ne ressemble Dieu selon aucune forme intelligible.

q. 7 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ex quo intellectus noster divinam substantiam non adaequat, hoc ipsum quod est Dei substantia remanet, nostrum intellectum excedens, et ita a nobis ignoratur : et propter hoc illud est ultimum cognitionis humanae de Deo quod sciat se Deum nescire, in quantum cognoscit, illud quod Deus est, omne ipsum quod de eo intelligimus, excedere.

 14. Du fait que notre esprit natteint pas la substance divine, cela mme qui est la substance de Dieu demeure, dpassant notre esprit et ainsi nous lignorons et cause de cela cest le sommet de la connaissance de Dieu par l'homme de savoir quil ne connat pas Dieu, autant quil connat, ce que Dieu est, dpasse tout ce nous comprendons de lui.

 

 

 

Article 6 Ces noms sont-ils synonymes ?

q. 7 a.  tit. 1 Sexto quaeritur utrum ista nomina sint synonyma. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[808].

 

Objections :

q. 7 a. Arg. 1 Synonyma enim nomina dicuntur quae omnino idem significant. Sed omnia ista nomina de Deo dicta significant idem : quia significant divinam substantiam, quae est omnino simplex et una, ut ostensum est. Ergo omnia ista nomina sunt synonyma.

1. Car on appelle synonymes les noms qui ont tout fait mme signification. Mais tous ces noms donns Dieu signifient la mme chose ; parce qu'ils signifient sa substance, qui est tout fait simple et une, comme on l'a montr. Donc tous ces noms sont synonymes.

q. 7 a. Arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit [lib. I, c XI] quod in divinis omnia sunt unum, praeter ingenerationem, generationem et processionem. Sed nomina significantia unum sunt synonyma. Ergo omnia nomina dicta de Deo, praeter ea quae significant proprietates personales, sunt synonyma.

2. Jean Damascne (I, 11) dit qu'en Dieu tout est un[809], sauf la non-gnration, la gnration et la procession[810]. Mais les noms qui signifient une seule chose sont synonymes. Donc tous les noms dont on se sert pour Dieu, en dehors de ceux qui signifient des proprits personnelles sont synonymes.

q. 7 a. Arg. 3 Praeterea, quaecumque uni et eidem sunt eadem, sibi invicem sunt eadem. Sed sapientia in Deo est idem quod sua substantia ; similiter voluntas et potentia. Ergo sapientia, potentia et voluntas in Deo omnino sunt idem, et sic sequitur quod ista nomina sunt synonyma.

3. Toutes les choses qui sont les mmes pour l'un et le mme, sont les mmes entre elles. Mais la sagesse en Dieu est la mme chose que sa substance ; de mme sa volont et sa puissance. Donc la sagesse, la puissance et la volont sont en Dieu tout fait identique, et ainsi il en dcoule que ces noms sont synonymes.

q. 7 a. Arg. 4 Sed dicendum, quod ista nomina significant unum secundum rem, significant tamen rationes diversas, et ideo non sunt synonyma.- Sed contra : ratio cui non respondet aliquid in re, falsa est et vana. Sed si rationes horum nominum sint multae, et res est una, videtur quod rationes istae sint vanae et falsae.

4. Mais il faut dire que ces noms signifient une seule chose en ralit, ils signifient cependant des notions diverses, et ainsi ils ne sont pas synonymes. Mais en sens contraire, la notion quoi rien ne rpond dans la ralit, est fausse et vaine. Mais si les notions de ces noms sont nombreuses, et la chose relle une, il semble que ces notions sont vaines et fausses.

q. 7 a. Arg. 5 Sed dicendum, quod rationes istae non sunt vanae, cum eis aliquid respondeat quod est in Deo.- Sed contra, secundum hoc res creatae Deo assimilantur secundum quod ab ipso processerunt per similitudinem idealem. Sed pluralitas idearum vel rationum idealium non attenditur secundum respectus ad creaturas : nam ipse Deus secundum unam suam essentiam est idea omnium. Ergo nec rationes nominum quae de Deo dicimus, ex similitudine creaturarum, habent aliquid respondens ex parte divinae substantiae.

5. Mais il faut dire que ces notions ne sont pas vaines, puisque quelque chose leur rpond, qui est en Dieu. Mais en sens contraire, les cratures ressemblent Dieu selon qu'elles procdent de lui par ressemblance idale[811]. Mais on ne parvient pas la pluralit des ides ou des notions idales en rapport avec les cratures ; car Dieu lui-mme avec une seule essence est l'ide de toutes choses. Donc les notions des noms dont nous nous servons propos de Dieu, partir de la ressemblance des cratures, n'ont rien qui corresponde du ct de la substance divine.

q. 7 a. Arg. 6 Praeterea, illud quod est maxime unum non potest esse radix et fundamentum multitudinis. Sed divina essentia est maxime una. Ergo rationes praedictorum nominum non possunt in divina substantia fundari vel radicari.

6. Ce qui est tout fait un ne peut pas tre la racine et le fondement de la pluralit. Mais l'essence divine est tout fait une. Donc les notions des noms attribus ne peuvent tre fondes ni enracines dans la substance divine.

q. 7 a. Arg. 7 Praeterea, distinctio relationum quae realiter sunt in Deo, facit pluralitatem personarum. Si ergo istis rationibus communibus attributorum aliquid responderet in Deo, etiam secundum multitudinem attributorum esset in Deo multitudo personarum ; et sic essent in Deo plures personae quam tres ; quod est haereticum : et ita videtur quod penitus ista nomina sint synonyma.

7. La distinction des relations qui sont rellement en Dieu, produit la pluralit des personnes. Si donc par ces notions communes quelque chose des attributs correspondait en Dieu, selon la multitude des attributs, il y aurait en lui une multitude de personnes ; et ainsi il y aurait en Dieu plus de trois personnes ; ce qui est hrtique ; et ainsi il semble que ces noms sont tout fait synonymes.

 

En sens contraire :

q. 7 a.  s. c. 1 Sed contra. Nomina synonyma sibi invicem adiuncta nugationem inducunt sicut si diceretur, vestis et indumentum. Si ergo ista nomina sint synonyma, erit nugatio, cum Deus dicitur bonus, Deus sapiens : quod est falsum.

1. Des noms synonymes ajouts l'un l'autre reviennent une plaisanterie, comme si on parlait de vtement et d'habit[812]. Si donc ces noms sont synonymes, ce sera une plaisanterie quand on dit que Dieu est bon, Dieu est sage, ce qui est faux.

q. 7 a.  s. c. 2 Praeterea, quicumque negat unum synonymorum de aliquo, negat et reliquum. Sed aliqui negaverunt eius potentiam qui non negaverunt eius scientiam vel bonitatem. Ergo ista nomina non sunt synonyma.

2. Quiconque nie un des synonymes propos d'une chose, nie les autres. Mais certains ont ni sa puissance qui n'ont pas ni sa science ou sa bont. Donc ces noms ne sont pas synonymes.

q. 7 a.  s. c. 3 Praeterea, hoc patet per Commentatorem XI Metaph. [com. 39], qui dicit, quod haec nomina dicta de Deo non sunt synonyma.

3. Cela est clair par le commentateur (IX Mtaphysique, comm. 39) qui dit que ces noms donns Dieu ne sont pas synonymes.

 

Rponse :

q. 7 a.  co. Respondeo. Dicendum quod ab omnibus intelligentibus communiter dicitur, quod haec nomina non sunt synonyma. Quod quidem facile esset sustinere secundum illos qui dicebant haec nomina non significare divinam substantiam, sed intentiones quasdam additas essentiales, aut modos operandi in effectibus, vel etiam creaturarum negationes.

Tous les connaisseurs disent en commun que ces noms ne sont pas synonymes. Ce qui serait facile soutenir pour ceux qui disaient que ces noms ne signifient pas la substance divine, mais des concepts essentiels ajouts, ou des manires d'oprer dans les effets ou mme les ngations dans les cratures.

Sed supposito quod haec nomina significent divinam substantiam, sicut supra ostensum est [art. praeced.], quaestio videtur maiorem difficultatem continere : quia sic invenitur unum et idem simplex significatum per omnia ista nomina, quod est divina substantia.

Mais suppos que ces noms signifient la substance divine, comme ci-dessus (article prcdant) on la montr, la question parat contenir une plus grand difficult ; parce quainsi par ces noms se trouve signifier une seul et mme chose simple qui est la substance divine.

Sed sciendum quod significatio nominis non immediate refertur ad rem, sed mediante intellectu : sunt enim voces notae earum quae sunt in anima passionum, et ipsae intellectus conceptiones sunt rerum similitudines, ut patet per philosophum in principio Periherm.

Mais il faut savoir que la signification d'un nom ne se rfre pas immdiatement l'objet mais par l'intermdiaire de l'esprit : car il y a des mots connus de ces passions qui sont dans lՉme[813] dans l'me et ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances de la ralit comme le montre le philosophe, au commencement du Periherm. (1, 16 a 4[814]).

Quod ergo aliqua nomina non sint synonyma, potest impediri vel ex parte rerum significatarum, vel ex parte rationum intellectarum per nomina, ad quas significandas nomina imponuntur. Horum ergo nominum quae de Deo dicuntur, synonyma impediri non possunt per diversitatem rerum significatarum secundum praehabita, sed solum per rationes nominum quae sequuntur conceptiones intellectuum.

Donc on peut empcher que des noms ne soient pas synonymes ou bien du ct de ce qui est signifi ou bien de celui des notions comprises par les noms, dont on se sert pour les signifier. Donc, les synonymes de ces noms qui s'emploient propos de Dieu ne peuvent pas tre empchs par la diversit des choses signifies en tant qu'tablies d'avance, mais seulement par les notions des noms qui suivent les conceptions de l'esprit.

Et ideo dicit Commentator XI Metaphysicorum, [text. 39] quod multiplicitas in Deo est solum secundum differentiam in intellectu, et non in esse, quod nos dicimus unum secundum rem, et multa secundum rationem. Istae autem diversae rationes in intellectu nostro existentes, non possunt tales rationes esse quibus nihil respondeat ex parte rei : ea enim quorum sunt istae rationes, intellectus noster Deo attribuit. Unde si nihil esset in Deo vel secundum ipsum vel secundum eius effectum, quod his rationibus responderet, intellectus esset falsus in attribuendo, et omnes propositiones huiusmodi attributiones significantes ; quod est inconveniens.

Et c'est pourquoi le Commentateur (Mtaphysique XI, texte 39) dit que la multiplicit en Dieu dpend de la diffrence dans l'intellect, et non dans l'tre, parce que nous parlons de l'un en ralit, et du multiple en raison. Mais ces diverses notions qui existent dans notre esprit ne peuvent tre des notions telles que rien ne corresponde du ct de la ralit ; car notre esprit a attribu Dieu ce dont elles sont les notions. C'est pourquoi s'il n'y avait rien en Dieu qui corresponde ces notions, quant lui ou ses effets, l'esprit se tromperait en les attribuant, ainsi qu'en attribuant toutes les propositions qui signifient de tels attributs ; ce qui ne convient pas.

A. Sunt autem quaedam rationes quibus in re intellecta nihil respondet ; sed ea quorum sunt huiusmodi rationes, intellectus non attribuit rebus prout in se ipsis sunt, sed solum prout intellectae sunt ; sicut patet in ratione generis et speciei, et aliarum intentionum intellectualium : nam nihil est in rebus quae sunt extra animam, cuius similitudo sit ratio generis vel speciei. Nec tamen intellectus est falsus : quia ea quorum sunt istae rationes, scilicet genus et species, non attribuit rebus secundum quod sunt extra animam, sed solum secundum quod sunt in intellectu. Ex hoc enim quod intellectus in se ipsum reflectitur, sicut intelligit res existentes extra animam, ita intelligit eas esse intellectas : et sic, sicut est quaedam conceptio intellectus vel ratio,- cui respondet res ipsa quae est extra animam,- ita est quaedam conceptio vel ratio, cui respondet res intellecta secundum quod huiusmodi ; sicut rationi hominis vel conceptioni hominis respondet res extra animam ; rationi vero vel conceptioni generis aut speciei, respondet solum res intellecta.

A) Mais il y a des notions auxquelles rien ne correspond en ralit ; mais ce de quoi sont de telles notions, l'esprit ne la pas attribu au choses en soi, mais seulement en tant qu'elles sont saisies par l'esprit. Comme cela se voit dans la notion de genre et d'espce et des autres concepts intellectuels, car rien n'est dans ce qui est hors de l'me dont la ressemblance soit une notion de genre ou d'espce[815]. Et cependant l'esprit n'est pas faux : parce que ce dont viennent ces notions, savoir le genre et l'espce, il ne l'attribua pas la ralit en tant qu'elle est hors de l'me, mais seulement selon qu'elle est dans l'esprit. Car du fait que lesprit rflchit sur lui, de mme qu'il saisit les choses hors de l'me, il comprend ainsi qu'elles sont saisies : et ainsi, de mme qu'il y a un concept de l'esprit ou une notion quoi correspond ce qui est hors l'me, de mme il y a une conception ou notion quoi correspond ce qui est compris en tant que tel ; ainsi la raison ou au concept d'homme, correspond une ralit hors de l'me, mais la notion ou au concept de genre ou d'espce, correspond seulement ce qui est saisi par l' esprit.

Non autem est possibile huiusmodi esse rationes horum nominum quae de Deo dicuntur : quia sic intellectus non attribueret ea Deo secundum quod in se est, sed secundum quod intelligitur ; quod patet esse falsum : esset enim sensus, cum dicitur Deus est bonus, quod Deus sic intelligitur non autem quod sit.

Mais il n'est pas possible qu'il y ait des notions de ce genre pour ces noms dont on se sert pour Dieu ; parce qu'ainsi l'esprit ne les attribuerait pas Dieu selon ce qui est en lui, mais selon ce qui en est compris ; ce qui parat faux : car le sens, quand on dit que Dieu est bon, serait qu'il est compris mais non pas qu'il est.

Et ideo dicunt quidam, quod istis diversis rationibus nominum respondent diversa connotata, quae sunt diversi Dei effectus : volunt enim quod cum dicitur, Deus est bonus, significetur eius essentia cum aliquo effectu connotato, ut sit sensus, Deus est et bonitatem causat : sicut diversitas harum rationum causatur ex diversitate effectuum.

B. Et c'est pourquoi certains disent qu' ces diverses notions des noms correspondent divers connotations que sont les divers effets de Dieu ; car ils veulent que quand on dit : Dieu est bon, son essence soit signifie avec un effet connot, de sorte que le sens serait Dieu est et il cause la bont ; ainsi la diversit de ces notions est cause par la diversit des effets.

Sed hoc non videtur conveniens : quia cum effectus a causa secundum similitudinem procedat, prius oportet intelligere causam aliqualem quam effectus tales. Non ergo sapiens dicitur Deus quoniam sapientiam causet, sed quia est sapiens, ideo sapientiam causat. Unde Augustinus dicit [lib. II de Doctr. Christ., cap. XXXII], quod quia Deus est bonus, sumus ; et in quantum sumus, boni sumus.

Mais cela semble ne pas convenir ; parce que, comme l'effet procde de la cause selon la ressemblance, il faut comprendre une cause quelconque avant de tels effets. Donc on ne dit pas que Dieu est sage parce qu'il causerait la sagesse, mais parce qu'il est sage, de sorte quil cause la sagesse. C'est pourquoi Augustin dit (La doctrine chrtienne, 32) que, parce que Dieu est bon, nous existons, et en tant que nous existons, nous sommes bons.

Et praeterea secundum hoc sequeretur quod huiusmodi nomina per prius dicerentur de creatura quam de creatore ; sicut sanitas prius dicitur de sano quam de sanativo, quod sanum dicitur ea ratione, quia sanitatem causat. Item si nihil aliud intelligitur, cum dicitur  Deus est bonus  nisi Deus est et est bonitatis causator : sequeretur quod eadem ratione omnia nomina effectuum divinorum de eo possent praedicari, ut diceretur, Deus est caelum, quia caelum causat.

Et en plus il en dcoulerait que de tels noms aurait t employs pour la crature avant que pour le Crateur ; ainsi on parle de la sant propos de ce qui est sain avant que de ce qui soigne, parce que ce qui est sain est appel ainsi pour cette raison qu'il cause la sant. De mme si on ne comprend rien d'autre, quand on dit que Dieu est bon, sinon que "Dieu est et est celui qui cause la bont" : il en dcoulerait que pour la mme raison tous les noms des effets divins pourraient lui tre attribus, de sorte qu'on dirait qu'il est le ciel, parce qu'il en est la cause.

Et iterum si hoc dicatur de causalitate in actu, patet esse falsum : quia secundum hoc non possumus dicere quod Deus ab aeterno fuerit bonus vel sapiens vel aliquid huiusmodi : non enim ab aeterno fuit causa in actu.

Et nouveau si on disait cela de la causalit en acte, il est clair que c'est faux ; parce que nous ne pouvons pas dire que Dieu a t ternellement bon ou sage, et autres qualits de ce genre. Car il n'a pas t ternellement cause en acte.

Si autem hoc intelligatur de causalitate secundum virtutem,- ut dicatur bonus quia est et habet virtutem bonitatem infundendi,- tunc oportebit dicere, quod hoc nomen bonum significat illam virtutem. Sed illa virtus est quaedam supereminens similitudo sui effectus, sicut et quaelibet virtus agentis aequivoci. Unde sequeretur quod intellectus concipiens bonitatem, assimilaretur ad id quod est in Deo et quod est Deus. Et sic rationi vel conceptioni bonitatis respondet aliquid quod est in Deo et quod est Deus.

Mais si on le comprend de la causalit selon sa vertu, comme on le dirait bon parce qu'il existe et a le pouvoir de diffuser la bont, alors il faudra dire que ce mot bon signifie cette vertu. Mais celle-ci est une ressemblance surminente de son effet, de mme que n'importe quelle vertu d'un agent quivoque. C'est pourquoi il en dcoulerait que l'esprit qui conoit la bont ressemblerait ce qui est en Dieu et qui est Dieu. Et ainsi la notion ou au concept de bont correspond quelque chose qui est en Dieu et qui est Dieu.

C. Et ideo dicendum est quod omnes istae multae rationes et diversae habent aliquid respondens in ipso Deo, cuius omnes istae conceptiones intellectus sunt similitudines. Constat enim quod unius formae non potest esse nisi una similitudo secundum speciem, quae sit eiusdem rationis cum ea ; possunt tamen esse diversae similitudines imperfectae, quarum quaelibet a perfecta formae repraesentatione deficiat. Cum ergo, ut ex superioribus patet, conceptiones perfectionum in creaturis inventarum, sint imperfectae similitudines et non eiusdem rationis cum ipsa divina essentia, nihil prohibet quin ipsa una essentia omnibus praedictis conceptionibus respondeat, quasi per eas imperfecte repraesentata. Et sic omnes rationes sunt quidem in intellectu nostro sicut in subiecto : sed in Deo sunt ut in radice verificante has conceptiones. Nam non essent verae conceptiones intellectus quas habet de re aliqua, nisi per viam similitudinis illis conceptionibus res illa responderet.

C. Et c'est pourquoi il faut dire que toutes ces notions diverses et nombreuses ont quelque chose qui correspond en Dieu mme, dont toutes ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances. Car il est clair que d'une seule forme, il ne peut y avoir qu'une ressemblance unique en espce, qui soit de la mme nature qu'elle. Il peut cependant y avoir diverses ressemblances imparfaites, dont certaines sont dfaillantes par rapport la reprsentation parfaite de la forme. Comme, donc, ainsi qu'on le voit plus haut, les conceptions des perfections trouves dans les cratures, sont des ressemblances imparfaites, et non d'une mme nature que l'essence mme de Dieu, rien n'empche qu'une seule essence corresponde aux conceptions susdites, comme reprsente imparfaitement par elles. Et ainsi toutes les notions sont dans notre esprit comme dans un sujet, mais en Dieu, elles sont comme dans la racine qui assure la vrit de ces conceptions. Car ce ne serait pas les vraies conceptions que l'esprit a d'une chose moins que par voie de ressemblance cette ralit corresponde ces conceptions.

Diversitatis ergo vel multiplicitatis nominum causa est ex parte intellectus nostri, qui non potest pertingere ad illam Dei essentiam videndam secundum quod est, sed videt eam per multas similitudines eius deficientes, in creaturis quasi in speculo resultantes. Unde si ipsam essentiam videret, non indigeret pluribus nominibus, nec indigeret pluribus conceptionibus. Et propter hoc, Dei Verbum, quod est perfecta conceptio ipsius, non est nisi unum ; propter hoc dicitur Zach. XIV, 9 : In die illa erit Dominus unus et erit nomen eius unum, quando ipsa Dei essentia videbitur et non colligetur Dei cognitio ex creaturis.

La cause de la diversit ou de la multiplicit des noms vient de notre esprit, qui ne peut parvenir atteindre cette essence de Dieu telle qu'elle est, mais la voit travers de nombreuses ressemblances dficientes, qui apparaissent dans les cratures comme dans un miroir. C'est pourquoi s'il voyait l'essence mme, il n'aurait pas besoin de plusieurs noms, ni de plusieurs concepts. Et pour cela, le Verbe de Dieu, qui est sa conception parfaite n'est qu'un ; pour cela Zacharie (14, 9) dit : En ce jour-l, le Seigneur sera un et son nom sera unique, quand l'essence mme de Dieu sera vue et que la connaissance de Dieu ne sera pas acquise partir des cratures.

 

Solutions :

q. 7 a.  ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet ista nomina significent unam rem, multis tamen rationibus, ut dictum est ; et propter hoc non sunt synonyma.

 1. Bien que ces noms signifient une chose unique, il le font cependant selon de nombreuses notions, comme on l'a dit ; et c'est pour cela qu'ils ne sont pas synonymes.

q. 7 a.  ad 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus intelligit quod in divinis omnia sunt unum secundum rem, praeter proprietates personales quae realem personarum distinctionem constituunt ; tamen non excludit quin ea quae de Deo dicuntur, ratione differant.

 2. Jean Damascne comprend qu'en Dieu tout est un en ralit, au del des proprits personnelles qui constituent la distinction relle des personnes ; cependant il n'exclut pas que ce qu'on dit de Dieu diffre en raison.

q. 7 a.  ad 3 Ad tertium per hoc patet responsio : quia sicut bonitas et sapientia sunt unum secundum rem cum divina essentia, ita et ad invicem ; cum tamen rationes horum nominum differant, ut dictum est.

 3. Par l la rponse la troisime objection est claire, parce que de mme que la bont et la sagesse sont une en ralit avec l'essence divine, il en est de mme l'inverse ; puisque cependant les notions de ces noms diffrent, comme on l'a dit.

q. 7 a.  ad 4 Ad quartum dicendum, quod iam patet ex praedictis quod licet Deus sit omnino unus, tamen istae multae conceptiones vel rationes non sunt falsae, quia omnibus eis respondet una et eadem res imperfecte per eas repraesentata. Essent autem falsae, si nihil eis responderet.

 4. Il apparat dsormais de ce qui vient d'tre dit, que quoique Dieu soit tout fait un, cependant ces multiples conceptions ou notions ne sont pas fausses, parce qu'une seule et mme chose reprsente de faon imparfaite leur correspond. Mais elles seraient fausses, si rien ne leur correspondait.

q. 7 a.  ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum omnimoda unitas sit ex parte Dei, et multiplicitas ex parte creaturarum, sicut oportet quod in Deo intelligente plures creaturas sit una forma intelligibilis per essentiam, et multi respectus ad diversas creaturas ; ita in intellectu nostro ex multiplicitate creaturarum in Deum ascendente, oportet quod sint multae species habentes relationes ad unum Deum.

 5. L'unit, quelle qu'elle soit, est du ct de Dieu et la multiplicit est du ct des cratures, de mme il faut qu'en Dieu qui pense de nombreuses cratures, il y ait une seule forme intelligible par lessence, et beaucoup de rapports aux diverses cratures ; ainsi dans notre esprit, par la multiplicit qui s'lve des cratures en Dieu, il faut qu'il y ait de nombreuses formes qui ont des relations un seul Dieu.

q. 7 a.  ad 6 Ad sextum dicendum, quod istae rationes non fundantur in divina essentia sicut in subiecto, sed sicut in causa veritatis, vel sicut in repraesentato per omnes ; quod eius simplicitati non derogat.

 6. Ces notions ne sont pas fondes dans l'essence divine comme dans un substrat, mais comme dans la cause de la vrit ou comme dans ce qui est reprsent par tous, ce qui ne droge pas sa simplicit.

q. 7 a.  ad 7 Ad septimum dicendum, quod paternitas et filiatio habent oppositionem ad invicem ; et ideo exigunt realem distinctionem suppositorum : non autem bonitas et sapientia.

7. La paternit et la filiation s'opposent entre elles ; c'est pourquoi elles exigent une distinction relle des suppts, mais pas la bont, ni la sagesse.

 

 

 

Article 7 .De tels noms sont-ils utiliss pour Dieu et les cratures de manire univoque ou quivoque ?

q. 7 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum huiusmodi nomina dicantur de Deo et creaturis univoce vel aequivoce. Et videtur quod univoce.

Il semble que c'est de manire univoque[816].

 

Objections :

q. 7 a. 7Arg. 1 Mensura enim et mensuratum sunt unius rationis. Sed divina bonitas est mensura omnis bonitatis creaturae, et eius sapientia omnis sapientiae. Ergo univoce dicuntur de Deo et creatura.

1. Car la mesure et ce qui est mesur sont sous une seule notion. Mais la bont divine est la mesure de toute bont de la crature et sa sagesse celle de toute sagesse. Donc on parle de faon univoque de Dieu et de la crature.

q. 7 a. 7Arg. 2 Praeterea, similia sunt quae communicant in forma. Sed creatura potest Deo similari ; quod patet Genes. I, 26 : Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Ergo creaturae ad Deum est aliqua communicatio in forma. De omnibus autem communicantibus in forma potest aliquid univoce praedicari. Ergo de Deo et creatura potest aliquid praedicari univoce.

2. Tout ce qui participe une [mme] forme est semblable. Mais la crature peut ressembler Dieu, ce que montre Gn. 1, 26. Faisons lhomme notre image et notre ressemblance. Donc de la crature Dieu, il y a une certaine communaut de forme. A tout ce o il y a communaut de forme, on peut attribuer quelque chose de manire univoque. Donc on peut dire quon attribue quelque chose de manire univoque Dieu et la crature.

q. 7 a. 7Arg. 3 Praeterea, maius et minus non diversificant speciem. Sed cum creatura dicatur bona et Deus bonus, in hoc videtur differre quod Deus est melior omni creatura. Ergo bonitas Dei et creaturae non diversificatur secundum speciem ; et sic univoce bonum praedicatur de Deo et creatura.

3. Le plus et le moins napportent pas de changement lespce. Mais, comme on dit que la crature est bonne et que Dieu est bon, il semble y avoir une diffrence, parce que Dieu est meilleur que toute crature. Donc la bont de Dieu et celle de la crature ne sont pas diffrentes en espce et ainsi on attribue le bien de manire univoque Dieu et la crature.

q. 7 a. 7Arg. 4 Praeterea, inter ea quae sunt diversorum generum non potest esse comparatio, sicut philosophus probat [in VII Phys., com. 30, 31 et 32] : non enim comparabilis est velocitas alterationis velocitati motus localis. Sed inter Deum et creaturam attenditur aliqua comparatio : dicitur enim quod Deus est summe bonus, et creatura est bona. Ergo Deus et creatura sunt unius generis, et ita aliquid de eis potest univoce praedicari.

4. Il ne peut y avoir de point de comparaison entre ce qui est de genres diffrents, comme le philosophe le prouve (Physique, VII, 4, 249 a 12 249 a 21) ; car la vitesse du changement nest pas comparable celle du mouvement local. Mais entre Dieu et la crature, on rencontre un point commun ; car on dit que Dieu est suprmement bon et que la crature est bonne. Donc Dieu et la crature sont dun seul genre et ainsi on peut leur attribuer quelque chose de manire univoque.

q. 7 a. 7Arg. 5 Praeterea, nihil cognoscitur nisi per speciem unius rationis ; non enim albedo quae est in pariete per speciem quae est in oculo cognosceretur, nisi esset unius rationis. Sed Deus per suam bonitatem cognoscit omnia entia, et sic de aliis. Ergo bonitas Dei et creaturae sunt unius rationis, et sic univoce bonum de Deo et creatura praedicatur.

5. Rien nest connu que par la forme dune seule nature, car la blancheur qui est sur le mur ne serait connue par la forme qui est dans l'il que si elle tait dune seule nature. Mais Dieu par sa bont connat tout ce qui existe, et il en est de mme pour ses autres attributs. Donc sa bont et celle de la crature sont dune seule nature, et ainsi on attribue de manire univoque le bien Dieu et la crature.

q. 7 a. 7Arg. 6 Praeterea, domus quae est in mente artificis et domus quae est in materia, sunt unius rationis. Sed omnes creaturae processerunt a Deo sicut artificiata ab artifice. Ergo bonitas quae est in Deo, est unius rationis cum bonitate quae est in creatura ; et sic idem quod prius.

6. La maison qui est dans lesprit de larchitecte et celle qui est dans la matire sont d'une mme nature. Mais toutes les cratures ont procd de Dieu comme les uvres procdent de larchitecte. Donc la bont qui est en Dieu est dune seule nature avec la bont qui est dans la crature et ainsi de mme que plus haut.

q. 7 a. 7Arg. 7 Praeterea, omne agens aequivocum reducitur ad aliquid univocum. Ergo primum agens, quod Deus est, oportet esse univocum. Sed de agente univoco et effectu eius proprio aliquid univoce praedicatur. Ergo de Deo et creatura praedicatur aliquid univoce.

7. Tout agent quivoque est ramen un agent univoque. Donc il faut que le premier agent qui est Dieu soit univoque. Mais on attribue de manire univoque quelque chose lagent univoque et son effet propre. Donc on attribue quelque chose de manire univoque Dieu et la crature.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Est quod philosophus dicit [X metaph., lib. VII, com ; 30], quod aeterno et temporali nihil est commune nisi nomen. Sed Deus est aeternus, et creaturae temporales. Ergo Deo et creaturis nihil potest esse commune nisi nomen ; et sic praedicantur aequivoce pure nomina de Deo et creaturis.

1. Le philosophe dit (Mtaphysique X, 10, 1050 b 27) que, entre lՎternel et le temporel, il ny a rien de commun sinon le nom. Mais Dieu est ternel et les cratures temporelles. Donc entre Dieu et les cratures, il ne peut y avoir rien de commun que le nom et ainsi les noms sont attribus Dieu et aux cratures de manire purement quivoque

q. 7 a. 7 s. c. 2 Praeterea, cum genus sit prima pars definitionis, ablato genere removetur significata ratio per nomen ; unde si aliquod nomen imponatur ad significandum id quod est in alio, erit nomen aequivocum. Sed sapientia dicta de creatura est in genere qualitatis. Cum ergo sapientia dicta de Deo non sit qualitas, ut supra ostensum est, videtur quod hoc nomen sapientia aequivoce praedicetur de Deo et creaturis.

2. Comme le genre est la premire partie de la dfinition, si on l'exclut, on enlve la nature signifie par le nom ; c'est pourquoi si on emploie un nom pour signifier ce qui est dans un autre, le nom sera quivoque. Mais la sagesse, attribue aux cratures, est dans le genre de la qualit. Comme donc la sagesse, quand on parle de Dieu, nest pas une qualit, comme on la montr plus haut, il semble que ce nom de sagesse est attribu de manire quivoque Dieu et aux cratures.

q. 7 a. 7 s. c. 3 Praeterea, ubi nulla est similitudo, ibi non potest aliquid communiter praedicari, nisi aequivoce. Sed inter creaturam et Deum nulla est similitudo ; dicitur enim Is., XL, 18 : Cui ergo similem fecistis Deum ? Ergo videtur quod nihil possit praedicari univoce de Deo et creaturis.

3. L o il ny a pas de ressemblance, on ne peut rien attribuer de commun, sinon de manire quivoque. Mais entre la crature et Dieu il ny a aucune ressemblance ; car il est dit (Is. 40,18) : A qui donc as-tu fait Dieu semblable ?. Donc il semble quon ne peut rien attribuer de manire univoque Dieu et aux cratures.

q. 7 a. 7 s. c. 4 Sed dicendum, quod licet Deus non possit dici similis creaturae, creatura tamen potest dici similis Deo.- Sed contra est quod dicitur Psal. LXXXII, 2 : Deus, quis similis erit tibi ? Quasi dicat, nullus.

4. Mais il faut dire que, bien quon ne puisse pas dire que Dieu est semblable la crature, on peut cependant dire que la crature est semblable Dieu. En sens contraire, il y a ce que dit le Ps. 87, 2 : Dieu, qui sera semblable toi ?, comme si on disait personne.

q. 7 a. 7 s. c. 5 Praeterea, secundum accidens non potest esse aliquid simile substantiae. Sed sapientia in creatura est accidens, in Deo autem est substantia. Ergo homo non potest divinae sapientiae similari per suam sapientiam.

5. En outre, pour l'accident, il ne peut y avoir rien de semblable la substance. Mais la sagesse est un accident dans la crature, mais elle est en Dieu la substance. Donc lhomme par sa sagesse ne peut ressembler la sagesse divine.

q. 7 a. 7 s. c. 6 Praeterea, cum in creatura aliud sit esse, et aliud sit forma vel natura, per formam vel naturam nihil similatur ei quod est esse. Sed ista nomina praedicata de creaturis significant aliquam naturam vel formam : Deus autem est hoc ipsum quod est suum esse. Ergo per huiusmodi quae dicuntur de creatura, non potest creatura Deo similari ; et sic idem quod prius.

6. Comme dans la crature, lՐtre est diffrent de la forme ou nature, rien ne ressemble ce qu'est l'tre par la forme ou la nature. Mais ces noms attribus aux cratures signifient une nature ou une forme. Or Dieu est ce qu'est son tre propre. Donc par ce qu'on dit de tel de la crature, elle ne peut pas ressembler Dieu, et ainsi de mme que plus haut.

q. 7 a. 7 s. c. 7 Praeterea, magis differt Deus a creatura quam numerus ab albedine. Sed stultum est dicere numerum similari albedini, aut e converso. Ergo stultius est dici, quod aliqua creatura sit similis Deo ; et sic idem quod prius.

7. Dieu diffre plus de la crature que le nombre de la blancheur. Mais il est sot de dire que le nombre est semblable la blancheur, ou le contraire. Donc il est plus sot de dire qu'une crature est semblable Dieu, et ainsi de mme que plus haut.

q. 7 a. 7 s. c. 8 Praeterea, quaecumque similantur ad invicem, in aliquo uno conveniunt ; quae vero in uno conveniunt, sunt transmutabilia invicem. Deus autem est omnino intransmutabilis. Ergo non potest esse aliqua similitudo inter Deum et creaturam.

8. Tout ce qui se ressemble se rencontre en un seul genre ; mais ces choses qui se rencontre sont ainsi interchangeables entre elles. Or Dieu est tout fait immuable. Donc il ne peut y avoir une ressemblance entre Dieu et la crature.

Rponse :

 

q. 7 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod impossibile est aliquid univoce praedicari de Deo et creatura ; quod ex hoc patet : nam omnis effectus agentis univoci adaequat virtutem agentis. Nulla autem creatura, cum sit finita, potest adaequare virtutem primi agentis, cum sit infinita. Unde impossibile est quod similitudo Dei univoce in creatura recipiatur.

Il faut dire qu'il est impossible d'attribuer quelque chose d'univoque Dieu et la crature, ce qui se dmontre ainsi : car tout effet d'un agent univoque gale son pouvoir. Mais aucune crature, puisqu'elle est finie, ne peut galer le pouvoir du premier agent puisquil est infini. Donc il est impossible que la ressemblance de Dieu soit reue de manire univoque dans la crature.

Item patet quod, etsi una sit ratio formae existentis in agente et in effectu, diversus tamen modus existendi impedit univocam praedicationem ; licet enim eadem sit ratio domus quae sit in materia et domus quae est in mente artificis,- quia unum est ratio alterius,- non tamen domus univoce de utraque praedicatur, propter hoc quod species domus in materia habet esse materiale, in mente vero artificis immateriale.

D'autre part, il est clair que mme si est unique la nature de la forme qui existe dans lagent et dans leffet, cependant une manire diffrente dexister empche l'attribution univoque, car bien que l'ide de la maison qui est dans la matire soit la mme que celle qui est dans lesprit de larchitecte, parce que l'une est l'ide de lautre, cependant la maison n'est pas attribue de manire univoque l'une et l'autre ; parce que la forme (species) de la maison dans la matire a une existence matrielle, mais dans lesprit de lartisan un existence immatrielle.

Dato ergo per impossibile quod eiusdem rationis sit bonitas in Deo et creatura, non tamen bonum univoce de Deo praedicaretur ; cum quod in Deo est immaterialiter et simpliciter, in creatura sit materialiter et multipliciter. Et praeterea ens non dicitur univoce de substantia et accidente, propter hoc quod substantia est ens tamquam per se habens esse, accidens vero tamquam cuius esse est inesse. Ex quo patet quod diversa habitudo ad esse impedit univocam praedicationem entis. Deus autem alio modo se habet ad esse quam aliqua alia creatura ; nam ipse est suum esse, quod nulli alii creaturae competit. Unde nullo modo univoce de Deo creatura dicitur ; et per consequens nec aliquid aliorum praedicabilium inter quae est ipsum primum ens. Existente enim diversitate in primo, oportet in aliis diversitatem inveniri ; unde de substantia et accidente nihil univoce praedicatur.

S'il tait donne par impossible que la bont soit de la mme nature en Dieu et dans la crature, on n'attribuerait pas le bien de manire univoque Dieu, puisque ce qui est en lui y est nature immatrielle et simple, et dans la crature de nature matrielle et plurielle. Et en plus lՎtant n'est pas dfini de manire univoque pour la substance et laccident, parce que la substance est un tant comme ayant l'tre par soi, et laccident comme inhrent un autre. Cela montre qu'une relation diffrente lՐtre empche une attribution univoque de l'tant. Mais Dieu se comporte vis--vis de l'tre dune autre manire que n'importe quelle crature ; car il est son tre propre, ce qui nappartient aucune autre crature. C'est pourquoi en aucune manire on ne parle d'univocit de la crature Dieu et ni par consquent d'aucun des autres prdicables[817] parmi lesquels est lՎtant premier lui-mme. Car si la diversit existe dans le premier, il faut la trouver dans les autres, c'est pourquoi on n'attribue rien d'univoque la substance et laccident.

Quidam autem aliter dixerunt, quod de Deo et creatura nihil praedicatur analogice, sed aequivoce pure. Et huius opinionis est Rabbi Moyses, ut ex suis dictis patet.

Dautres ont parl autrement, disant qu'on n'attribuait rien de manire analogique Dieu et la crature, mais de manire quivoque seulement. Et Rabbi Moyses est de cette opinion comme cela apparat dans ce qu'il a dit.

Ista autem opinio non potest esse vera : quia in pure aequivocis, quae philosophus nominat a casu aequivoca, non dicitur aliquid de uno per respectum ad alterum. Omnia autem quae dicuntur de Deo et creaturis, dicuntur de Deo secundum aliquem respectum ad creaturas, vel e contrario, sicut patet per omnes opiniones positas de expositione divinorum nominum. Unde impossibile est quod sit pura aequivocatio.

Mais cette opinion ne peut pas tre vraie, parce que, dans ce qui est purement quivoque, ce que le philosophe appelle quivoque par hasard, on ne dit rien dune chose par rapport une autre ; mais tout ce qui est dit de Dieu et des cratures, est dit de lui selon un rapport aux cratures ou le contraire, comme cela apparat par toutes les opinions sur lexpos des noms divins. C'est pourquoi il est impossible quil y ait une quivocation pure.

Item, cum omnis cognitio nostra de Deo ex creaturis sumatur, si non erit convenientia nisi in nomine tantum, nihil de Deo sciremus nisi nomina tantum vana, quibus res non subesset.

D'autre part, comme toute notre connaissance de Dieu est tire des cratures, sil ny avait un certain accord que dans le nom seulement, on ne connatrait rien de Dieu, sinon des noms inutiles, sans que la ralit y corresponde.

Sequeretur etiam quod omnes demonstrationes a philosophis datae de Deo, essent sophisticae ; verbi gratia, si dicatur, quod omne quod est in potentia, reducitur ad actum per ens actu,- et ex hoc concluderetur quod Deus esset ens actu, cum per ipsum omnia in esse educantur,- erit fallacia aequivocationis ; et sic de omnibus aliis. Et praeterea oportet causatum esse aliqualiter simile causae ; unde oportet de causato et causa nihil pure aequivoce praedicari, sicut sanum de medicina et animali.

Il s'ensuivrait que toutes les dmonstrations faites par les philosophes sur Dieu, seraient fausses ; par exemple, si on disait que tout ce qui est en puissance est ramen lacte par lՎtant en acte, et que de cela on conclurait que Dieu serait un tre en acte, puisque par lui tout vient lՐtre ce serait une erreur de l'quivocation et ainsi pour toutes les autres choses. Et ensuite il faut que l'effet soit dune certaine manire semblable la cause, c'est pourquoi il ne faut attribuer rien de purement quivoque l'effet et la cause, comme ce qui est sain au sujet de la mdecine et de lanimal.

Et ideo aliter dicendum est, quod de Deo et creatura nihil praedicetur univoce ; non tamen ea quae communiter praedicantur, pure aequivoce praedicantur, sed analogice. Huius autem praedicationis duplex est modus. Unus quo aliquid praedicatur de duobus per respectum ad aliquod tertium, sicut ens de qualitate et quantitate per respectum ad substantiam. Alius modus est quo aliquid praedicatur de duobus per respectum unius ad alterum, sicut ens de substantia et quantitate.

Et cest pourquoi il faut dire autrement : on n'attribue rien Dieu ni la crature de manire univoque ; cependant ce qui est attribu communment ne l'est pas de manire purement quivoque, mais analogique. Et de cette attribution le mode est double :a) Lun par lequel un attribut est donn deux sujets par rapport un troisime, comme lՎtant la qualit et la quantit par rapport la substance. b) Lautre mode est celui par lequel un attribut est donn deux sujets par rapport de lun lautre, comme lՎtant la substance et la quantit.

In primo autem modo praedicationis oportet esse aliquid prius duobus, ad quod ambo respectum habent, sicut substantia ad quantitatem et qualitatem ; in secundo autem non, sed necesse est unum esse prius altero. Et ideo cum Deo nihil sit prius, sed ipse sit prior creatura, competit in divina praedicatione secundus modus analogiae, et non primus.

Au premier mode d'attribution, il faut quil y ait quelque chose avant les deux, quoi les deux ont rapport comme la substance la quantit et la qualit ; mais dans le second, non, mais il est ncessaire que lun soit avant lautre. Et cest pour cela, comme rien nexiste avant Dieu, mais quil est lui-mme avant la crature, le second mode de lanalogie convient l'attribution divine et non le premier.

 

Solutions :

q. 7 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de mensura cui mensuratum potest coaequari vel commensurari ; talis autem mensura non est Deus, cum in infinitum omnia excedat per ipsum mensurata.

 1. Il faut dire que cette raison procde de la mesure laquelle le mesur peut tre gal ou proportionn, mais Dieu nest pas une mesure de ce genre, puisquil excde par lui-mme l'infini tout ce qui est mesur.

q. 7 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo creaturae ad Deum deficit a similitudine univocorum in duobus. Primo, quia non est per participationem unius formae, sicut duo calida secundum participationem unius caloris ; hoc enim quod de Deo et creaturis dicitur, praedicatur de Deo per essentiam, de creatura vero per participationem ; ut sic talis similitudo creaturae ad Deum intelligatur, qualis est calidi ad calorem, non qualis calidi ad calidius. Secundo, quia ipsa forma in creatura participata deficit a ratione eius quod Deus est, sicut calor ignis deficit a ratione virtutis solaris, per quam calorem generat.

 2. La ressemblance de la crature Dieu est dfaillante par rapport la ressemblance de ce qui est univoque en deux points. a) Premirement, parce que ce nest pas par participation dune seule forme, comme deux corps chauds qui participent une seule chaleur, car ce qui est dit de Dieu et des cratures est attribu Dieu par essence, mais la crature par participation ; de sorte quon comprend ainsi la ressemblance de la crature Dieu, telle que celle du chaud la chaleur, non telle que celle du chaud plus chaud. b) Deuximement, parce que la forme elle-mme participe dans la crature est infrieure la nature de Dieu, comme la chaleur du feu est dfaillante par rapport la nature du pouvoir du soleil par lequel il engendre la chaleur.

q. 7 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod magis et minus tripliciter potest considerari, et sic praedicari. Uno modo secundum solam quantitatem participati ; sicut nix dicitur albior pariete, quia perfectior est albedo in nive quam in pariete, sed tamen unius rationis ; unde talis diversitas secundum magis et minus non diversificat speciem. Alio modo secundum quod unum participatur, et aliud per essentiam dicitur ; sicut diceremus, quod bonitas est melior quam bonum. Tertio modo secundum quod modo eminentiori competit idem aliquid uni quam alteri, sicut calor soli quam igni ; et hi duo modi impediunt unitatem speciei et univocam praedicationem ; et secundum hoc aliquid praedicatur magis et minus de Deo et creatura, ut ex dictis patet.

 3. On peut considrer le plus et le moins de trois manires et l'attribuer ainsi : a) Selon la seule quantit du particip ; ainsi on dit que la neige est plus blanche que le mur, parce que la blancheur est plus parfaite dans la neige que sur le mur, mais cependant elle est dune mme nature. C'est pourquoi une telle diffrence selon le plus et le moins ne diversifie pas lespce.b) Selon que lun est particip et que lautre est dsign par essence ; comme si on disait que la bont est meilleure que le bien. c) Selon quune mme chose appartient un mode plus minent quՈ un autre, comme la chaleur au soleil plus qu'au feu et ces deux modes empchent lunit de lespce et une attribution univoque et ainsi quelque chose est attribu en plus ou en moins Dieu et la crature, comme le montre ce quon a dit.

q. 7 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus non comparatur creaturis in hoc quod dicitur melior, vel summum bonum, quasi participans naturam eiusdem generis cum creaturis, sicut species generis alicuius, sed quasi principium generis.

 4. Dieu nest pas compar aux cratures, parce qu'on le dit meilleur ou bien suprme, comme s'il participait dune nature d'un mme genre avec les cratures, comme lespce dun genre, mais comme principe d'un genre.

q. 7 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quanto species intelligibilis eminentior est in aliquo, tanto ex ea relinquitur perfectior cognitio ; sicut ex specie lapidis in intellectu quam in sensu. Unde per hoc Deus perfectissime potest cognoscere res per suam essentiam, inquantum sua essentia est supereminens similitudo rerum, et non adaequata.

 5. Plus la forme intelligible est minente dans une chose, plus sa connaissance demeure parfaite, ainsi la forme de la pierre est plus parfait dans lesprit que dans les sens. C'est pourquoi Dieu peut connatre ainsi trs parfaitement les choses par son essence, dans la mesure o celle-ci est ressemblance des choses, surminente et ingale.

q. 7 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter creaturam et Deum est duplex similitudo. Una creaturae ad intellectum divinum : et sic forma intellecta per Deum est unius rationis cum re intellecta, licet non habeat eumdem modum essendi ; quia forma intellecta est tantum in intellectu, forma autem creaturae est etiam in re. Alio modo secundum quod ipsa divina essentia est omnium rerum similitudo superexcellens, et non unius rationis. Et ex hoc modo similitudinis contingit quod bonum et huiusmodi praedicantur communiter de Deo et creaturis, non autem ex primo. Non enim haec est ratio Dei cum dicitur, Deus est bonus, quia bonitatem creaturae intelligit ; cum iam ex dictis pateat quod nec etiam domus quae est in mente artificis cum domo quae est in materia univoce dicatur domus.

 6. Entre la crature et Dieu, il y a une double ressemblance. a) Une de la crature lesprit divin, et ainsi la forme pense par Dieu est dune mme nature que ce qui est pens, bien qu'elle nait pas la mme manire d'tre ; parce que la forme pense est seulement dans lesprit, mais la forme de la crature est aussi dans la ralit. b) Dune autre manire selon que lessence divine mme est ressemblance surminente de toutes choses et non dune seule nature. Et par ce mode de ressemblance, il arrive que le bien, etc. est attribu en commun Dieu et aux cratures, mais pas de la premire manire. En effet, quand on dit que Dieu est bon, ce nest pas sa nature parce qu'elle comprend la bont de la crature, comme ce qui a t dit le montre clairement, la maison non plus qui est dans lesprit de larchitecte nest pas signifie non plus de manire univoque de la maison qui est dans la matire.

q. 7 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod agens aequivocum oportet esse prius quam agens univocum, quia agens univocum non habet causalitatem super totam speciem, alias esset causa sui ipsius, sed solum super aliquod individuum speciei ; agens autem aequivocum habet causalitatem super totam speciem ; unde oportet primum agens esse aequivocum.

 7. Il faut que lagent quivoque soit avant lagent univoque, parce que ce dernier na pas de causalit sur toute lespce, autrement il serait sa propre cause, mais seulement sur un individu de lespce ; mais lagent quivoque a causalit sur toute lespce ; donc il faut que le premier agent soit quivoque.

q. 7 a. 7 ad s. c. 1 Ad primum ergo dicendum, quod in contrarium obiicitur, dicendum,

En sens contraire :, sur ce qui a t object, il faut dire :

quod philosophus loquitur de communitate naturaliter et non logice. Ea vero quae habent diversum modum essendi, non communicant in aliquo secundum esse quod considerat naturalis ; possunt tamen communicare in aliqua intentione quam considerat logicus. Et praeterea etiam secundum naturalem corpus elementare et caeleste non sunt unius generis ; sed secundum logicum sunt. Nihilominus tamen philosophus non intendit excludere analogicam communitatem, sed solum univocam. Vult enim ostendere quod corruptibile et incorruptibile non communicant in genere.

 1. Le philosophe parle de communaut selon la nature et non logique. Ce qui a un mode diffrent dՐtre ne communique en rien selon lՐtre que le naturaliste considre. Cependant cela peut tre commun dans un concept que le logicien considre. Et en outre aussi selon le naturaliste le corps lmentaire et le corps cleste ne sont pas d'un mme genre. Mais ils le sont selon le logicien. Cependant le Philosophe nentend pas exclure la communaut analogique mais seulement celle qui est univoque. Car il veut montrer que le corruptible et l'incorruptible ne communique pas dans un genre commun. (Mtaphysique, X, 10, 1050 b 27)

q. 7 a. 7 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod licet diversitas generis tollat univocationem, non tamen tollit analogiam. Quod sic patet. Sanum enim, secundum quod dicitur de urina, est in genere signi ; secundum vero quod dicitur de medicina, est in genere causae.

 2. Bien que la diffrence de genre exclut l'univocit, elle nexclut cependant pas lanalogie. Ce qui apparat ainsi : en effet ce qui est sain, selon qu'on parle d'urine, est dans le genre du signe, mais si on parle de mdecine, il est dans le genre de la cause.

q. 7 a. 7 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod Deus nullo modo dicitur esse similis creaturae, sed e contrario, quia, ut dicit Dionysius [cap. IX de div. Nomin.], in causa et causatis non recipimus similitudinis conversionem, sed solum in coordinatis ; homo enim non dicitur similis suae imagini, sed e contrario, propter hoc quod forma illa secundum quam attenditur similitudo, per prius est in homine quam in imagine. Et ideo Deum creaturis similem non dicimus, sed e contrario.

 3. On ne dit en aucune manire que Dieu est semblable la crature, mais le contraire, parce que, comme le dit Denys (Les Noms divins, 9) dans la cause et l'effet nous ne recevons pas la rciprocit de la ressemblance, mais seulement en ce qui est coordonn ; car on ne dit pas que lhomme est semblable son image, mais on dit le contraire, parce que cette forme selon que la ressemblance l'atteint, est dans lhomme avant que dans limage. Et cest pourquoi nous ne disons pas que Dieu est semblable aux cratures, mais nous disons le contraire.

q. 7 a. 7 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, nulla creatura est similis Deo, ut eodem cap. dicit Dionysius, hoc intelligendum est secundum quod causata minus habent a sua causa, ab ipsa incomparabiliter deficientia. Quod non est intelligendum secundum quantitatem participati, sed aliis duobus modis, sicut supra dictum est.

 4. Quand on dit qu'aucune crature nest semblable Dieu, comme Denys le dit dans le mme chapitre (9), il faut le comprendre selon que l'effet reoit moins de sa cause, incomparablement par sa dficience mme. Ce quil ne faut pas comprendre selon la quantit de ce qui participe, mais par les deux autres modes, comme on la dit ci-dessus.

q. 7 a. 7 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod secundum accidens non potest esse aliquid simile substantiae, similitudine quae attenditur secundum formam unius rationis, sed secundum similitudinem quae est inter causatum et causam, nihil prohibet. Nam primam substantiam oportet esse causam omnium accidentium.

 5. Pour laccident, il ne peut y avoir rien de semblable la substance, par une ressemblance qui est atteinte selon la forme d'une nature, mais rien ne l'empche selon la ressemblance qui est entre l'effet et la cause. Car il faut que la substance premire soit cause de tous les accidents.

q. 7 a. 7 ad s. c. 6 Et similiter dicendum ad sextum.

 6. Et il faut dire de mme pour le sixime.

q. 7 a. 7 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod albedo nec est in genere numeri, nec est principium generis ; et ideo nulla similitudo unius ad alterum attenditur. Deus autem est principium omnis generis ; et ideo ei omnia aliqualiter similantur.

 7. La blancheur nest pas dans le genre du nombre et nest pas le principe du genre, et cest pourquoi on n'atteint aucune ressemblance de l'une lautre. Mais Dieu est le principe de tout genre, et cest pourquoi tout est semblable lui de manire gale.

q. 7 a. 7 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa procedit de his quae communicant in genere vel in materia ; qualis conditio non est Dei ad creaturas.

 8. Cette raison procde de ce qui communique dans le genre ou dans la matire, une telle condition nexiste pas entre Dieu et les cratures.

 

 

 

Article 8 Y a-t-il une relation entre Dieu et la crature ?

q. 7 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum sit aliqua relatio inter Deum et creaturam. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :[818] :

q. 7 a. 8Arg. 1 Relativa enim sunt simul, secundum philosophum [in praedicament. Ad aliquid]. Sed creatura non potest simul esse cum Deo : Deus enim omnibus modis est prior creatura. Ergo nulla relatio potest esse inter creaturam et Deum.

1. Car ce qui est relatif est en mme temps, selon le philosophe (les catgories, les relations, 7, 7 b 15[819]). Mais la crature ne peut pas tre en mme temps que Dieu, car il est tous les points de vue antrieur la crature. Donc aucune relation ne peut exister entre la crature et Dieu.

q. 7 a. 8Arg. 2 Praeterea, inter quaecumque est aliqua relatio, est etiam eorum aliqua ad invicem comparatio. Sed inter Deum et creaturam non est comparatio ; ea enim quae non sunt unius generis, non sunt comparabilia, sicut numerus et linea. Ergo non est aliqua relatio inter Deum et creaturam.

2. Entre chaque chose o il y a une relation, il y a aussi un certain rapport de lune lautre. Mais entre Dieu et la crature il ny en a pas, car ce qui nest pas dun seul et mme genre, nest pas comparable, comme le nombre et la ligne. Donc il ny a pas de relation entre Dieu et la crature.

q. 7 a. 8Arg. 3 Praeterea, in quocumque genere est unum relativorum, est etiam aliud. Sed Deus non est in eodem genere cum creatura. Ergo non possunt relative ad invicem dici.

3. En quelque genre o il y a l'un des relatifs, l'autre y est aussi. Mais Dieu nest pas dans le mme genre que la crature. Donc on ne peut les dire relatifs entre eux.

q. 7 a. 8Arg. 4 Praeterea, creatura non potest esse opposita creatori : quia oppositum non est causa sui oppositi. Sed relativa ad invicem opponuntur. Ergo non potest esse relatio inter creaturam et Deum.

4. La crature ne peut tre oppose au Crateur, parce que loppos nest pas la cause de son oppos. Mais les choses relatives sopposent lune lautre. Donc on ne peut pas parler de relation entre la crature et Dieu

q. 7 a. 8Arg. 5 Praeterea, de quocumque aliquid de novo incipit dici, aliquo modo potest dici factum. Ergo sequitur, si aliquid relative ad creaturam de Deo dicitur, quod Deus aliquo modo sit factus ; quod est impossibile, cum ipse sit immutabilis.  

5. De tout ce dont on commence parler nouvellement, on peut dire, dune certaine manire, que cela a t fait [cr]. Donc il en dcoule, si on parle de quelque chose de relatif qui va de Dieu la crature, que Dieu dune certaine manire a t fait ; ce qui est impossible, puisquil est immuable.

q. 7 a. 8Arg. 6 Praeterea, omne quod praedicatur de aliquo, praedicatur de eo aut per se aut per accidens. Sed ea quae important relationem ad creaturam, non praedicantur de Deo per se, quia huiusmodi praedicata ex necessitate et semper praedicantur ; nec iterum per accidens. Ergo nullo modo aliqua talia relativa de Deo praedicari possunt.

6. Tout ce qui est attribu, l'est soi ou par accident. Mais ce qui apporte une relation la crature, nest pas attribu Dieu par soi, parce que les attributs de ce genre sont attribus par ncessit et le sont toujours, et de plus pas par accident. Donc en aucune manire de telles relations ne peuvent tre attribues Dieu.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 8 s. c. Sed contra, est quod Augustinus dicit [V] vel [IX kib. De Trinit., lib. V, cap. XIII, XIV et XV] quod Creator relative dicitur ad creaturam, sicut dominus ad servum.

Augustin dit (La Trinit, V, XIII, 14[820]) quon parle du Crateur en relation la crature, comme du matre son serviteur.

 

Rponse :

q. 7 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod relatio in hoc differt a quantitate et qualitate : quia quantitas et qualitas sunt quaedam accidentia in subiecto remanentia ; relatio autem non significat, ut Boetius dicit [in libro de Trinitate], ut in subiecto manens, sed ut in transitu quodam ad aliud ; unde et Porretani dixerunt, relationes non esse inhaerentes, sed assistentes, quod aliqualiter verum est, ut posterius ostendetur.

La relation diffre de la quantit et de qualit[821], parce que celles-ci sont des accidents qui demeurent dans un sujet[822]. Mais la relation ne signifie pas, comme Boce le dit (La Trinit, V) comme demeurant dans le sujet mais c'est comme passant vers un autre. C'est pourquoi les disciples de G. de la Porre[823] ont dit que les relations ne sont pas inhrentes, mais assistantes[824], ce qui est vrai dune certaine manire, comme on le montrera plus tard (qu. 8, a. 2, c).

Quod autem attribuitur alicui ut ab eo in aliud procedens non facit compositionem cum eo, sicut nec actio cum agente. Et propter hoc etiam probat philosophus V Phys. [comment. 18], quod in ad aliquid non potest esse motus : quia, sine aliqua mutatione eius quod ad aliud refertur, potest relatio desinere ex sola mutatione alterius, sicut etiam de actione patet, quod non est motus secundum actionem nisi metaphorice et improprie ; sicut exiens de otio in actum mutari dicimus, quod non esset si relatio vel actio significaret aliquid in subiecto manens.

Ce qui est attribu une chose comme procdant d'elle dans une autre, ne fait pas composition avec elle, de mme que l'action ne fait pas composition avec lagent[825]. Et cest pour cela que le philosophe prouve (Physique, V, 2, 226 a 23[826]) que dans la relation il ne peut pas y avoir de mouvement ; parce que, sans le changement de ce qui se rfre l'autre, la relation peut cesser par le seul changement de lautre[827], comme on le voit aussi pour laction, parce que ce nest un mouvement selon laction que mtaphoriquement et improprement. Ainsi nous disons que passer du repos laction cest changer, ce qui ne serait pas si la relation ou laction signifiait quelque chose qui demeure dans le sujet.

Ex hoc autem apparet quod non est contra rationem simplicitatis alicuius multitudo relationum quae est inter ipsum et alia ; immo quanto simplicius est tanto concomitantur ipsum plures relationes. Quanto enim aliquid est simplicius, tanto virtus (eius) est minus limitata, unde ad plura se extendit sua causalitas. Et ideo in libro de Causis [prop. 17] dicitur, quod Omnis virtus unita plus est infinita quam virtus multiplicata.       

Cela montre que la pluralit des relations qui est entre lui et les autres, nest pas contre le concept d'une certaine simplicit ; bien plus il est dautant plus simple que les relations qui l'accompagnent sont plus nombreuses. Car plus une chose est simple, moins sa puissance est limite, c'est pourquoi sa causalit sՎtend davantage deffets. Et cest pour cela que dans le livre Des Causes (prop. 17) il est dit que Toute puissance unie est infinie plus quune puissance multiplie [828].

Oportet autem intelligi aliquam relationem inter principium et ea quae a principio sunt, non solum quidem relationem originis, secundum quod principiata oriuntur a principio, sed etiam relationem diversitatis : quia oportet effectum a causa distingui, cum nihil sit causa sui ipsius          

Mais il faut comprendre une relation entre le principe et ce qui en dcoule[829], non seulement comme relation dorigine, selon que ce qui dpend du principe en dcoule, mais encore comme relation de diversit ; parce quil faut que leffet soit distingu de la cause, puisque rien nest sa propre cause.

Et ideo ad summam Dei simplicitatem consequitur quod infinitae habitudines sive relationes existant inter creaturas et ipsum, secundum quod ipse creaturas producit a seipso diversas, aliqualiter tamen sibi assimilatas.  

Et cest pourquoi pour la simplicit suprme de Dieu, il dcoule que les rapports infinis ou les relations qui existent entre les cratures et lui, selon quil les cre diffrentes de lui, lui ressemblent cependant dune certaine manire.

 

Solutions :

q. 7 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa relativa sunt simul natura quae pari ratione mutuo referuntur, sicut pater ad filium, dominus ad servum, duplum ad dimidium. Illa vero relativa in quibus non est eadem ratio referendi ex utraque parte, non sunt simul natura, sed alterum est prius naturaliter, sicut etiam philosophus dicit [in praedicament. Ad aliquid], de sensu et sensibili, scientia et scibili. Et sic patet quod non oportet quod Deus et creatura sint simul natura, cum non sit eadem ratio referendi ex utraque parte. Nihilominus autem non est necesse in illis etiam relativis quae sunt simul natura, quod subiecta sint naturaliter simul sed relationes solae.

 1. Ces relatifs qui sont en rapport raison gale[830] entre eux sont ensemble par nature, comme le pre avec fils, le matre avec serviteur, le double la moiti. Les relatifs dans lesquels il ny a pas la mme nature de rfrence de chaque ct, ne sont pas ensemble par nature, mais lun est naturellement avant, comme le philosophe le dit (Les catgories, les relations, 7, 7 b 23-25 ) de la sensation et du sensible, de la connaissance et du connaissable. Et ainsi il apparat quil ne faut pas que Dieu et la crature soient simultanment par nature, puisque ce n'est pas la mme nature de rfrence des deux cts. Cependant il nest pas ncessaire pour ces relatifs, qui sont ensemble par nature, que les sujets soient ensemble, mais que les relations seules le soient.

q. 7 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non omnium est comparatio quorum est relatio ad invicem, sed solum illorum quorum est relatio secundum unam quantitatem vel qualitatem, ut ex hoc possit unum altero dici maius aut melius, vel albius vel aliquid huiusmodi. Relationum autem diversitates possunt ad invicem referri etiam quae diversorum generum sunt : ea enim quae diversorum generum sunt, sunt ad invicem diversa. Nihilominus tamen quamvis Deus in eodem genere non sit cum creatura sicut contentum sub genere, est tamen in omnibus generibus sicut principium generis : et ex hoc potest esse aliqua relatio inter creaturam et Deum sicut inter principiata et principium.    

 2. La comparaison nest pas pour tout ce en quoi il y a une relation rciproque, mais seulement pour ceux dont la relation est selon une quantit ou une qualit ; pour que par l lun puisse tre dit plus grand ou meilleur que lautre, ou plus blanc, ou quelque chose de ce genre. Mais les relations en leur diversit peuvent se rfrer l'une l'autre, mme celles qui sont de genres diffrents ; car celles-ci sont diffrentes l'une de l'autre. Cependant, quoique Dieu ne soit pas dans le mme genre que la crature, en tant que limite un genre, il est cependant dans tous les genres, en tant que principe du genre, et par l il peut y avoir une relation entre la crature et Dieu comme entre ce qui dpend d'un principe et le principe [mme].

q. 7 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non oportet subiecta relationum esse unius generis, sed solum relationes ipsas ; ut patet in hoc quod quantitas a quidditate diversa dicitur. Et tamen, ut dictum est, non est eadem ratio de Deo et creaturis, sicut de his quae sunt in diversis generibus ad invicem nullo modo coordinata.      

 3. Il n'est pas ncessaire que les substrats des relations soit dun seul genre, mais seulement les relations elles-mmes, comme cela apparat dans le fait qu'on dit que la quantit est diffrente de la quiddit. Et cependant, comme on la dit, ce nest pas la mme raison pour Dieu et les cratures, comme de celles qui sont dans diffrents genres, en aucune manire coordonnes entre elles.

q. 7 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod oppositio relationis in duobus differt ab aliis oppositionibus : quorum primum est quod in aliis oppositis unum dicitur alteri opponi, in quantum ipsum removet : negatio enim removet affirmationem, et secundum hoc ei opponitur ; oppositio vero privationis et habitus et contrarietatis includit oppositionem contradictionis, ut IV Metaph. dicitur. Non autem est hoc in relativis. Non enim per hoc opponitur filius patri quod ipsum removeat, sed propter rationem habitudinis ad ipsum.

 4. Lopposition de la relation est diffrente des autres oppositions en deux points a) Dans les autres opposs, lun est dit oppos lautre, dans la mesure o il l'exclut lui-mme, car la ngation exclut laffirmation et c'est en cela qu'elle lui est oppose, mais lopposition de privation, de possession et de contrarit inclut celle de contradiction, comme il est dit en Mtaphysique (IV, 3, 1005 b 25). Mais cela nest pas dans les relatifs. Car le fils nest pas oppos au pre, parce quil lexclut lui-mme, mais cause de la nature de sa relation avec lui :

Et ex hoc causatur secunda differentia, quia in aliis oppositis semper alterum est imperfectum ; quod accidit ratione negationis quae includitur in privatione et altero contrariorum. Hoc autem in relativis non oportet, immo utrumque considerari potest ut perfectum, sicut patet maxime in relativis aequiparantiae, et in relativis originis, ut aequale, simile, pater et filius. Et ideo relatio magis potest attribui Deo quam aliae oppositiones. Ratione quidem primae differentiae potest attendi oppositio relationis inter creaturam et Deum, non autem alia oppositio,- cum ex Deo sit magis creaturarum positio quam earum remotio ; est tamen aliqua habitudo, creaturarum ad Deum. Ratione vero secundae differentiae est in ipsis divinis personis (in quibus nihil imperfectum esse potest) oppositio relationi, et non alia, ut posterius [quaest. 8], apparebit.

b) Et cela cause une seconde diffrence, parce que, dans les autres opposs, lautre est toujours imparfait, ce qui arrive par la nature de la ngation qui est incluse dans la privation et dans lautre des contraires. Mais il ne faut pas dans les relatifs, que lun et lautre puissent tre considrs comme parfaits, comme cela parat au plus haut point dans les relatifs dՎquivalence et dans ceux d'origine, en tant qu'gal, semblable, Pre et Fils. Et cest pourquoi la relation peut davantage tre attribue Dieu que les autres oppositions. Par la nature de la premire diffrence, on peut atteindre lopposition de relation entre la crature et Dieu, mais non une autre opposition puisque la situation des cratures vient plus de Dieu que leur loignement ; cependant il y a une relation des cratures Dieu. Mais par la nature de la seconde diffrence, il y a dans les personnes divines mmes (en qui rien ne peut tre imparfait) une opposition la relation et non une autre opposition comme cela apparatra plus loin (question 8).

q. 7 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum fieri sit proprie mutari, non est secundum relationem nisi per accidens, scilicet mutato eo ad quod consequitur relatio : ita nec fieri. Corpus enim mutatum secundum quantitatem fit aequale, non quod mutatio per se aequalitatem respiciat, sed per accidens se habet ad ipsam. Et tamen non oportet, ad hoc quod de aliquo relatio aliqua de novo dicatur, quod aliqua mutatio in ipso fiat, sed sufficit quod fiat mutatio in aliquo extremorum : causa enim habitudinis inter duos est aliquid inhaerens utrique. Unde ex quacumque parte fiat mutatio illius quod habitudinem causabat, tollitur habitudo quae est inter utrumque. Et secundum hoc, per hoc quod in creatura aliqua mutatio fit, aliqua relatio de Deo incipit dici. Unde ipse non potest dici factus,- nisi metaphorice,- quia se habet ad similitudinem facti, in quantum de Deo aliquid novum dicitur. Et sic dicimus : Domine, refugium factus es nobis [Ps. LXXXIX]

 5. Comme tre fait cest proprement parler subir un changement, ce nest selon la relation que par accident, savoir une fois chang ce quatteint la relation. Ainsi il en est de mme pour ne pas tre fait. Car un corps chang en quantit devient gal, non parce que le changement atteint en soi lՎgalit, mais il se comporte vis--vis d'elle par accident. Et cependant il ne faut pas parler de relation nouvelle si un changement se fait en quelque chose, mais il suffit que le changement se fasse dans lun des extrmes ; car la cause de la relation entre deux choses est quelque chose dinhrent lun et lautre. C'est pourquoi le changement se fait de chaque ct de ce qui causait la relation ; celle qui tait entre lun et lautre est exclue. Et par le fait que dans la crature un changement se produit, on peut commencer parler dune relation Dieu. C'est pourquoi on ne peut pas dire quil est lui-mme fait sinon mtaphoriquement parce quil se comporte la ressemblance de ce qui est fait dans la mesure o on parle de quelque chose de nouveau pour lui. Et ainsi nous disons : Seigneur, tu es devenu un refuge pour nous (Ps. 89, 1).

q. 7 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod huiusmodi relationes cum Deo dici incipiant propter mutationem in creatura factam, patet quod causa quare de Deo dicantur, est ex parte creaturae, et per accidens de Deo dicuntur. Non quidem accidens quod in Deo sit, ut Augustinus dicit, sed secundum aliquid extra ipsum existens, quod ad ipsum accidentaliter comparatur. Non enim esse Dei a creatura dependet, sicut nec esse aedificatoris a domo. Unde sicut accidit aedificatori quod domus sit, ita Deo quod creatura. Omne enim dicimus per accidens se habere ad aliquid, sine quo illud esse potest.

 6. Si on commence parler des relations de ce genre avec Dieu cause du changement opr dans la crature, il est clair que la cause pour laquelle on parle de Dieu vient du ct de la crature et on en parle pour Dieu par accident. Ce n'est pas un accident qui serait en Dieu, comme le dit Augustin, mais qui existe selon la relation hors de lui ; parce qu'il lui est accoupl accidentellement. Car lՐtre de Dieu ne dpend pas de la crature, comme celui du btisseur ne dpend pas de la maison non plus. C'est pourquoi c'est comme un accident pour lui que la maison existe, de mme pour Dieu que la crature existe. Car nous appelons accidentel tout ce qui se comporte vis--vis de ce sans quoi il ne pourrait tre autre.

 

 

 

Article 9 De telles relations entre les cratures et Dieu sont-elles rellement en elles ?

q. 7 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum huiusmodi relationes, quae sunt inter creaturas et Deum, sint realiter in ipsis creaturis. Et videtur quod non.

Il semble que non[831].

 

Objections :

q. 7 a. 9Arg. 1 Aliquae enim relationes inveniuntur in quibus ex nulla parte relatio aliquid realiter ponit, sicut Avicenna dicit [lib. IV Metaphysicorum, cap. X] de relatione quae est inter ens et non ens. Sed nulla extrema relationis magis ad invicem distant quam Deus et creatura. Ergo ista relatio non ponit aliquid realiter ex parte neutra.

1. Car on trouve des relations dans lesquelles la relation nՎtablit rien de rel daucun ct., comme Avicenne le dit (Mtaphysique, IV, ch. 10[832] ) de la relation entre lՎtant et le non tant. Mais aucune des extrmits rciproques de la relation nest plus distante que Dieu et la crature. Donc cette relation nՎtablit rellement rien d'aucun ct.

q. 7 a. 9Arg. 2 Praeterea, omne illud negandum est ad quod sequitur processus in infinitum. Sed si in creatura relatio ad Deum sit res aliqua, erit procedere in infinitum : relatio enim illa aliquid creatum erit, si est res quaedam ; et ita erit alia relatio ipsius ad Deum pari ratione, et sic in infinitum. Non ergo ponendum est quod in creatura ad Deum relatio sit res aliqua.

2. Il faut nier tout ce pour quoi dcoule une progression linfini. Mais si dans la crature la relation Dieu est une ralit, il faudra aller jusqu' linfini : car cette relation sera quelque chose de cr, si elle est relle et ainsi ce sera une autre relation d'elle-mme Dieu raison gale, et ainsi linfini. Il ne faut donc pas penser que la relation Dieu est relle dans la crature.

q. 7 a. 9Arg. 3 Praeterea, nihil refertur nisi ad determinatum et unum [ut dicitur IV metaph., com. 26] ; unde duplum non refertur ad quodlibet, sed ad dimidium, et pater ad filium, et sic de aliis. Oportet ergo secundum differentiam eorum quae referuntur, esse differentias eorum ad quae fit relatio. Sed Deus est unum ens simpliciter. Ergo non potest ad ipsum fieri relatio omnium creaturarum, aliqua relatione reali.

3. Rien nest en rapport quavec quelque chose de dtermin et dunique (comme il est dit en Mtaphysique, IV, 15, 1020 b 32 ss.) ; ainsi le double ne se rfre pas nimporte quoi, mais la moiti, le pre au fils et ainsi de suite. Donc il faut donc que selon la diffrence de ce qui se rfre, il y ait les diffrences de ce pour quoi se fait la relation. Mais Dieu est un tre absolument un. Donc la relation de toutes les cratures ne peut pas tre tablie pour lui par une relation relle.

q. 7 a. 9Arg. 4 Praeterea, secundum hoc, creatura refertur ad Deum secundum quod ab ipso procedit. Sed creatura procedit a Deo secundum ipsam substantiam. Ergo secundum suam substantiam refertur ad Deum, et non secundum aliquam relationem supervenientem.

4. La crature se rfre Dieu selon qu'elle procde de lui. Mais la crature procde de Dieu selon la substance mme. Donc c'est par elle qu'elle se rfre Dieu et non par une relation ajoute.

q. 7 a. 9Arg. 5 Praeterea, relatio est aliquid medium inter extrema relationis. Sed nihil potest esse realiter medium inter Deum et creaturam immediate a Deo creatam. Ergo relatio ad Deum non est aliqua res in creatura.

5. La relation est quelque chose d'intermdiaire entre les extrmes de la relation. Mais rien ne peut tre rellement intermdiaire entre Dieu et la crature qu'il a cre sans intermdiaire. Donc la relation Dieu n'est pas une ralit dans la crature.

q. 7 a. 9Arg. 6 Praeterea, philosophus [in IV Metaph., com.19 et seqq.] dicit, quod si omnia apparentia essent vera, res sequeretur opinionem nostram et sensum. Sed constat quod omnes creaturae sequuntur aestimationem, sive scientiam, sui creatoris. Ergo creaturae omnes substantialiter referuntur ad Deum, et non per aliquam relationem inhaerentem.

6. Le philosophe (Mtaphysique IV, 5, 1010 a 7[833]) dit que, si tout ce qui apparat tait vrai, la ralit dcoulerait de notre opinion et nos sens. Mais il est vident que toutes les cratures dcoulent de l'valuation ou de la science de leur crateur. Donc toutes se rfrent substantiellement Dieu et non par une relation inhrente.

q. 7 a. 9Arg. 7 Praeterea, inter quae est maior distantia, minus videtur esse relatio. Sed est maior distantia creaturae ad Deum quam unius creaturae ad aliam. Non est autem relatio creaturae ad creaturam res aliqua, ut videtur, nam cum non sit substantia, oportet quod sit accidens ; et ita, quod subiecto insit, et quod ab eo removeri non possit sine mutatione subiecti : cuius contrarium supra de relatione est dictum. Ergo nec relatio creaturae ad Deum est res aliqua.

7. La relation parat plus petite entre ce en quoi la distance est plus grande. Mais la distance de la crature Dieu est plus grande que celle d'une crature une autre. Et la relation d'une crature une autre n'est pas relle, ce qu'il semble, car, comme la relation n'est pas substance, il faut qu'elle soit accident ; et ainsi, qu'elle soit dans un substrat, et qu'elle ne puisse en tre exclue sans changement de substrat ; on a dit ci-dessus le contraire pour la relation. Donc celle de la crature Dieu n'est pas relle.

q. 7 a. 9Arg. 8 Praeterea, sicut ens creatum distat a non ente in infinitum, ita etiam a Deo in infinitum distat. Sed inter ens creatum et non ens purum, non est aliqua relatio, ut Avicenna dicit. Ergo nec inter ens creatum et ens increatum.

8. L'tant cr est loign du non tant l'infini, de mme il est loign de Dieu l'infini. Mais entre l'tant cr et le pur nant, il n'y a aucune relation, comme Avicenne le dit (Mtaphysique, IV, 11). Donc ni entre l'tant cr, et l'tant incr.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit [V de Trinit., cap. XVI] : quod temporaliter dici incipit Deus quod antea non dicebatur, manifestum est relative dici, non tamen secundum accidens Dei, quod ei aliquid acciderit ; sed plane secundum accidens eius ad quod Deus incipit dici relative. Sed accidens res aliqua in subiecto est. Ergo relatio ad Deum est res aliqua in creatura.

1. Augustin dit (La Trinit, V, 16[834]) Le fait qu'on commence dire de Dieu temporairement ce qu'on ne disait pas auparavant manifeste qu'on parle de relation, non cependant selon un accident en Dieu, parce que quelque chose lui serait arriv, mais absolument, selon l'accident de ce en quoi Dieu commence tre appel de faon relative. Mais l'accident est une ralit dans le sujet. Donc la relation Dieu est quelque chose dans la crature.

q. 7 a. 9 s. c. 2 Praeterea, omne quod refertur ad aliquid per sui mutationem realiter refertur ad ipsum. Sed creatura refertur ad Deum per sui mutationem. Ergo realiter refertur ad Deum.

2. Tout ce qui se rapporte quelque chose par son changement se rfre rellement lui-mme. Mais la crature se rfre Dieu par son changement. Donc elle se rfre rellement lui.

 

Rponse :

q. 7 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod relatio ad Deum est aliqua res in creatura. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut dicit Commentator in XI Metaph., [text. 19] quia relatio est debilioris esse inter omnia praedicamenta, ideo putaverunt quidam eam esse ex secundis intellectibus. Prima enim intellecta sunt res extra animam, in quae primo intellectus intelligenda fertur. Secunda autem intellecta dicuntur intentiones consequentes modum intelligendi : hoc enim secundo intellectus intelligit in quantum reflectitur supra se ipsum, intelligens se intelligere et modum quo intelligit.

Il faut dire que la relation Dieu est une ralit dans la crature. Pour claircir cette question, il faut savoir que, comme le dit le Commentateur en Mtaphysique, XI, (texte 19), parce que la relation est dun tre plus faible parmi toutes les catgories, certains[835] ont pens quelle venait des intellections secondes[836]. Car ce qui est compris en premier, c'est ce qui est hors de lՉme[837] que l'intellect est d'abord port saisir. Mais on appelle ce qui est compris en second les concepts qui dcoulent du mode d'intellection ; car cela lesprit le comprend en second dans la mesure o il rflchit en comprenant qu'il se comprend et le mode par lequel il comprend.

Secundum ergo hanc positionem sequeretur quod relatio non sit in rebus extra animam, sed in solo intellectu, sicut intentio generis et speciei, et secundarum substantiarum.

Il dcoulerait de cette opinion que la relation ne serait pas dans la ralit [qui est] hors de l'me, mais dans l'esprit seulement, comme le concept de genre, despce et de substances secondes.

Hoc autem esse non potest. In nullo enim praedicamento ponitur aliquid nisi res extra animam existens. Nam ens rationis dividitur contra ens divisum per decem praedicamenta ut patet V Metaph. [com. 13 et 14] Si autem relatio non esset in rebus extra animam non poneretur ad aliquid unum genus praedicamenti. Et praeterea perfectio et bonum quae sunt in rebus extra animam, non solum attenditur secundum aliquid absolute inhaerens rebus, sed etiam secundum ordinem unius rei ad aliam, sicut etiam in ordine partium exercitus, bonum exercitus consistit : huic enim ordini comparat philosophus ordinem universi [X Metaph., com. 52 et seqq.]

Mais cela n'est pas possible. Car, on ne place en aucune catgorie ce qui existe hors de l'me. Car l'tant de raison est spar de l'tant qui se divise en dix catgories, comme cela apparat en Mtaphysique (V, 7, 1017 a 23[838]). Mais, si la relation n'tait pas dans la ralit hors de l'me, on ne la placerait pas comme un genre de catgorie. Et en outre, la perfection et le bien qui sont dans la ralit hors de l'me, non seulement sont atteints selon une relation absolument inhrente aux choses, mais selon un rapport de l'un l'autre, de mme le bien de l'arme consiste dans l'ordre de ses parties : car c'est lui que le philosophe compare l'ordre de l'univers. (Mtaphysique XII, 1075 a 11).

Oportet ergo in ipsis rebus ordinem quemdam esse ; hic autem ordo relatio quaedam est. Unde oportet in rebus ipsis relationes quasdam esse, secundum quas unum ad alterum ordinatur. Ordinatur autem una res ad aliam vel secundum quantitatem, vel secundum virtutem activam seu passivam. Ex his enim solum duobus attenditur aliquid in uno, respectu extrinseci. Mensuratur enim aliquid non solum a quantitate intrinseca, sed etiam ab extrinseca. Per virtutem etiam activam unumquodque agit in alterum et per passivam patitur ab altero ; per substantiam autem et qualitatem ordinatur aliquid ad seipsum tantum, non ad alterum, nisi per accidens ; scilicet secundum quod qualitas,- vel forma substantialis aut materia,- habet rationem virtutis activae vel passivae, et secundum quod in eis consideratur aliqua ratio quantitatis, prout unum in substantia facit idem, et unum in qualitate simile, et numerus, sive multitudo, dissimile et diversum in eisdem, et dissimile secundum quod aliquid magis vel minus altero consideratur : sic enim albius aliquid altero dicitur. Et propter hoc philosophus in V Metaph. [com. 20] species assignans relationis, quasdam ponit ex quantitate causatas, quasdam vero ex actione et passione.

Il faut donc quil y ait un rapport dans les choses mmes, et ce rapport est une relation. C'est pourquoi, il faut quil y ait des relations dans les choses, selon lesquelles lune est ordonne lautre. Mais une chose est ordonne une autre, selon la quantit ou selon la puissance active ou passive[839]. Car c'est seulement par ces deux relations qu'une chose est atteinte dans une autre par un rapport extrieur. Car une chose est mesure non seulement par une quantit intrieure mais aussi extrieure. Mais par la puissance active chacun agit sur lautre et par la puissance passive supporte de l'autre. Par sa substance et sa qualit une chose est ordonne elle-mme seulement, non une autre, sinon par accident, cest--dire selon que la qualit ou la forme substantielle ou la matire a raison de puissance active ou passive, et selon qu'on considre une notion de quantit en elles, selon que lun devient le mme dans la substance, et l'autre semblable en qualit et le nombre ou la pluralit, diffrent et divers dans les mmes, et dissemblable selon que quelque chose est considr en plus ou en moins dans lautre ; en effet on dit ainsi qu'une chose est plus blanche quune autre. Et cest pour cela que le Philosophe (Mtaphysique V, 1021 a 15 ss.) en attribuant lespce de relation pense que quelques-unes sont causes par la quantit, mais quelques autres par laction et la passion.

Sic ergo oportet quod res habentes ordinem ad aliquid, realiter referantur ad ipsum, et quod in eis aliqua res sit relatio. Omnes autem creaturae ordinantur ad Deum et sicut ad principium et sicut ad finem, nam ordo qui est partium universi ad invicem, est per ordinem qui est totius universi ad Deum ; sicut ordo qui est inter partes exercitus, est propter ordinem exercitus ad ducem, ut patet XII Metaph [com. 52 et sq.]. Unde oportet quod creaturae realiter referantur ad Deum, et quod ipsa relatio sit res quaedam in creatura.

Ainsi donc il faut que ce qui a un rapport une chose, se rfre rellement elle et qu'en elle quelque chose soit la relation. Mais toutes les cratures sont ordonnes Dieu comme leur principe et leur fin ; car lordre qui concerne ces parties de lunivers entre elles, dpend de celui de tout lunivers Dieu, comme lordre qui est entre les parties de larme est en raison de lordre de larme au gnral, comme on le voit en Mtaphysique (XII, 10, 1075 a 12). C'est pourquoi il faut que les cratures se rfrent rellement Dieu et que cette relation soit une ralit dans la crature.

 

Solutions :

q. 7 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod aliqua relatio est inter creaturas ad invicem quae in neutro extremorum aliquid ponat, non est propter creaturarum distantiam, sed propter hoc quod aliqua relatio non attenditur secundum ordinem aliquem qui sit in rebus, sed secundum ordinem qui est in intellectu tantum ; quod non potest dici de ordine creaturarum ad Deum.

 1. S'il existe une relation des cratures entre elles, qui ne place rien dans aucun des deux extrmes, ce n'est pas en raison de la distance des cratures, mais parce qu'une relation n'est pas atteinte selon un ordre qui serait dans la ralit, mais dans l'esprit seulement ; ce qu'on ne peut pas dire du rapport des cratures Dieu.

q. 7 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relationes ipsae non referuntur ad aliud per aliam relationem sed per se ipsas, quia essentialiter relationes sunt. Non autem est simile de his quae habent substantiam absolutam ; unde non sequitur processus in infinitum.

 2. Les relations elles-mmes ne se rfrent pas autre chose par une autre relation mais par elles-mmes, parce qu'elles sont essentiellement relations. Mais ce n'est pas pareil pour ce qui a une substance absolue ; c'est pourquoi le processus ne va pas l'infini.

q. 7 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophus ibidem concludit, quod si omnia referantur ad optimum, oportet infinitum specie esse optimum. Et sic ad id quod est infinitum specie, nihil prohibet infinita referri. Tale autem est Deus, cum perfectio suae substantiae ad nullum genus determinetur, ut supra habitum est. Et propter hoc nihil prohibet infinitas creaturas ad Deum referri.

 3. Le philosophe conclut l mme (Mtaphysique, IV, 15, 1020 b 32 ss.) que si tout est rfr au meilleur, il faut que l'infini en espce soit le meilleur. Et ainsi pour ce qui est de l'infini en espce, rien n'empche ce qui est infini de s'y rfrer. Mais tel est Dieu, puisque la perfection de sa substance n'est limite aucun genre, comme on l'a vu plus haut. Et cause de cela rien n'empche des cratures infinies de se rfrer Dieu.

q. 7 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod creatura refertur ad Deum secundum suam substantiam, sicut secundum causam relationis ; secundum vero relationem ipsam formaliter ; sicut aliquid dicitur simile secundum qualitatem causaliter, secundum similitudinem formaliter : ex hoc enim creatura similis denominatur.

 4. La crature se rfre Dieu selon sa substance, de mme que selon la cause de la relation, mais formellement selon la relation mme ; de mme on dit que quelque chose est semblable selon la cause, quant la qualit et formellement quant la ressemblance, car c'est cause de cela que l'on dfinit la crature comme semblable.

q. 7 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur creatura immediate a Deo procedere, excluditur causa media creans, non tamen excluditur mediata realis habitudo, quae naturaliter sequitur ad productionem creaturae ; sicut aequalitas sequitur productionem quantitatis indeterminate, ita habitudo realis naturaliter sequitur ad productionem substantiae creatae.

 5. Quand on dit que la crature procde de Dieu sans intermdiaire, on exclut la cause cratrice intermdiaire, cependant on n'exclut pas la relation relle intermdiaire, qui naturellement se rattache la production de la crature ; de mme que l'galit dcoule de faon indtermine du changement de la quantit ; de mme la relation relle dcoule naturellement pour la production de la substance cre.

q. 7 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creaturae sequuntur Dei scientiam sicut effectus causam, non sicut propriam rationem essendi, ut sic nihil aliud sit creaturam esse quam a Deo sciri. Hoc autem modo ponebant, dicentes omnia apparentia esse vera, et rem sequi opinionem et sensum, ut scilicet unicuique hoc esset esse quod ab alio sentiri vel opinari.

 6. Les cratures dcoulent de la science de Dieu[840], comme l'effet de sa cause, non comme propre raison d'tre, de sorte qu'ainsi tre crature n'est rien d'autre que d'tre connu par Dieu. C'est ainsi qu'ils[841] le pensaient, disant que tout ce qui est apparence est vrai et que l'opinion et les sens suivent la ralit, de sorte que pour chacun ce serait tre ce qui est senti et pens par un autre.

q. 7 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ipsa relatio quae nihil est aliud quam ordo unius creaturae ad aliam, aliud habet in quantum est accidens et aliud in quantum est relatio vel ordo. In quantum enim accidens est, habet quod sit in subiecto, non autem in quantum est relatio vel ordo ; sed solum quod ad aliud sit quasi in aliud transiens, et quodammodo rei relatae assistens. Et ita relatio est aliquid inhaerens, licet non ex hoc ipso quod est relatio ; sicut et actio ex hoc quod est actio, consideratur ut ab agente ; in quantum vero est accidens, consideratur ut in subiecto agente. Et ideo nihil prohibet quod esse desinat huiusmodi accidens sine mutatione eius in quo est, quia sua ratio non perficitur prout est in ipso subiecto, sed prout transit in aliud ; quo sublato, ratio huius accidentis tollitur quidem quantum ad actum, sed manet quantum ad causam ; sicut et subtracta materia, tollitur calefactio, licet maneat calefactionis causa.

 7. La relation elle-mme, qui n'est rien d'autre que le rapport d'une crature une autre, a quelque chose de diffrent en tant qu'accident et en tant que relation ou rapport. Car en tant qu'elle est accident, elle est dans un substrat, mais pas en tant que relation ou ordre, mais elle est seulement relation pour un autre en tant que passant en lui, et d'une certaine manire assistante pour ce qui est[842]. Et de mme cette relation est quelque chose d'inhrent, bien que ce ne soit pas du fait qu'elle est relation : et de mme l'action, en tant que telle, est considre comme venant d'un agent, mais en tant qu'accident, elle est considre comme dans le substrat agent. Et ainsi rien n'empche qu'elle cesse d'tre un accident de ce genre sans changement de ce en quoi elle est, parce que sa nature n'est pas acheve du fait qu'elle est dans le substrat mme, mais du fait qu'elle passe dans un autre ; si on l'exclut, la nature de cet accident est enlev, quant l'acte mais elle demeure quant la cause, comme une fois la matire soustraite, le rchauffement est enlev, bien que sa cause demeure.

q. 7 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ens creatum non habet ordinem ad non ens, habet autem ordinem ad ens increatum ; et ideo non est simile.

 8. L'tant cr n'a pas de relation au non tant, mais il en a une l'tant incr, et ainsi ce n'est pas pareil.

 

 

 

Article 10 Dieu se rfre-t-il la crature, de telle sorte que cette relation soit une ralit en lui ?

q. 7 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum Deus realiter referatur ad creaturam, ita quod ipsa relatio sit res aliqua in Deo. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[843].

 

Objections :

q. 7 a. 10Arg. 1 Movens enim realiter refertur ad motum ; unde philosophus, V Metaph. [com. 10], ponit relationem moventis et moti ut species praedicamenti relationis. Sed Deus comparatur ad creaturam ut movens ad motum. Ergo refertur realiter ad creaturam.

1. Car le moteur est rellement en relation avec le m ; c'est pourquoi le philosophe (Physique, V, 2, 225 b 10) place la relation du moteur et du m comme une espce de catgorie de relation. Mais Dieu est compar[844] la crature comme le moteur au m. Donc il se rfre rellement la crature.

q. 7 a. 10Arg. 2 Sed diceretur, quod movet creaturas sine sui mutatione ; et ideo non realiter refertur ad rem motam.- Sed contra, unum, relative oppositorum, non est causa quod alterum dicatur de eodem : non enim propter hoc aliquid est duplum, quia est dimidium ; nec ideo Deus est Pater, quia est Filius. Si ergo movens et motum relative dicuntur, non ideo relatio moventis est in aliquo, quia est in eo relatio moti. Quod ergo Deus non movetur non impedit quin realiter referatur ut movens ad motum.

2. Mais on pourrait dire qu'il meut les cratures sans changement pour lui et c'est pourquoi il ne se rfre pas rellement ce qui est m. En sens contraire, l'un, relativement aux opposs, n'est pas une raison pour parler d'une mme chose propos d'un autre. Car une chose n'est pas double, parce qu'elle est moiti ; et ainsi Dieu n'est pas Pre, parce qu'il y a le Fils. Si donc on parle relativement du moteur et du m, ce n'est pas parce que la relation du moteur est dans une chose, parce quil y a en lui une relation de m. Donc que Dieu ne soit pas m, n'empche pas qu'il soit rellement en relation comme le moteur ce qui est m.

q. 7 a. 10Arg. 3 Praeterea, sicut Pater dat esse Filio, ita Creator dat esse creaturae. Sed Pater realiter refertur ad Filium. Ergo et Creator ad creaturam.

3. De mme que le Pre donne l'tre au Fils, le Crateur donne l'tre la crature. Mais le Pre se rfre rellement aux Fils. Donc le Crateur la crature aussi.

q. 7 a. 10Arg. 4 Praeterea, ea quae proprie dicuntur de Deo et non metaphorice, rem significatam ponunt in Deo. Sed inter ista nomina commemorat Dionysius hoc nomen Dominus [cap. I de div. Nom.]. Ergo res significata per hoc nomen dominus, realiter est in Deo. Haec autem est relatio ad creaturam. Ergo, et cetera.

4. Ce qui est dit proprement de Dieu, sans mtaphore, place ce qui est signifi en Dieu. Mais Denys rappelle, parmi ces noms, celui de Seigneur (Les Noms divins, 1). Donc ce qui est signifi par ce nom Seigneur est rellement en Dieu. Mais c'est une relation la crature. Donc, etc.

q. 7 a. 10Arg. 5 Praeterea, scientia realiter refertur ad scibile, ut patet V Metaph. [com. 20]. Sed Deus comparatur ad res creatas ut sciens ad scitum. Ergo in Deo est aliqua relatio ad creaturam.

5. La connaissance se rfre rellement au connaissable, comme on le voit en Mtaphysique (V, 15, 1021 a 26-31[845]). Mais Dieu est compar aux cratures comme celui qui connat au connu. Donc en Dieu il y a une relation la crature.

q. 7 a. 10Arg. 6 Praeterea, illud quod movetur, semper habet realem relationem ad movens. Sed voluntas comparatur ad volitum ut ad movens motum : nam appetibile est movens non motum ; appetitus, movens motum, ut dicitur XII Metaph.[com. 26]. Cum ergo Deus velit res esse, [omnia enim quaecumque voluit fecit : Ps. CXIII, 31] videtur quod realiter referatur ad creaturam.

6. Ce qui est m a toujours une relation relle avec le moteur. Mais la volont est compare ce qui est voulu, comme le m au moteur ; car l'apptible est moteur non m, l'apptit un moteur m, comme il est dit en Mtaphysique, ( XII, 7, 1072 a 26). Donc comme Dieu veut que les choses existent (Car tout ce qu'il a voulu, il l'a fait. Ps. 113, 31[846]), il semble qu'il est rellement en relation avec les cratures.

q. 7 a. 10Arg. 7 Praeterea, si Deus ad creaturas non referatur, non videtur esse alia ratio, nisi quia a creaturis non dependet, et quia creaturas excedit. Sed similiter corpora caelestia a corporibus elementaribus non dependent, et ea quasi improportionaliter excedunt. Ergo secundum hoc sequeretur quod nulla esset realis relatio corporum superiorum ad inferiora.

7. Si Dieu ne se rfre pas aux cratures, il n'y a pas d'autre raison, semble-t-il, sinon qu'il ne dpend pas des cratures, et parce qu'il les dpasse. Mais de la mme manire les corps clestes ne dpendent pas des corps lmentaires et les dpassent pour ainsi dire sans aucune proportion. Donc il en dcoulerait qu'il n'y aurait aucune relation relle des corps suprieurs aux corps infrieurs.

q. 7 a. 10Arg. 8 Praeterea, omnis denominatio est a forma. Forma autem est aliquid inhaerens ei cuius est. Cum ergo Deus nominetur a relationibus ad creaturam, videtur quod ipsae relationes aliquid sint in Deo.

8. Toute dnomination vient de la forme. Mais elle est quelque chose d'inhrent ce dont elle est. Donc comme Dieu est nomm par les relations aux cratures, il semble que celles-ci soient relles en Dieu.

q. 7 a. 10Arg. 9 Praeterea, proportio, quaedam relatio realis est, sicut duplum ad dimidium ; sed aliqua proportio videtur esse Dei ad creaturam, cum inter movens et motum oporteat esse proportionem. Ergo videtur quod Deus ad creaturam realiter referatur.

9. La proportion est une relation relle, comme le double la moiti ; mais il semble qu'il y ait une proportion de Dieu la crature, puisque, entre le moteur et le m, il faut qu'il y ait une proportion. Donc il semble que Dieu se rfre rellement la crature.

q. 7 a. 10Arg. 10 Praeterea, cum intellectus sit rerum similitudines, et voces sint signa rerum, ut dicit philosophus [I Perihermeias], aliter ordinantur ista apud discipulum, et aliter apud doctorem. Doctor enim incipit a rebus in quibus scientiam accipit in suo intellectu, cuius conceptiones voces signant ; discipulus autem incipit a vocibus per quas in conceptiones intellectus magistri pervenit ; et ab eis in rerum cognitionem. Oportet autem quod huiusmodi quae de relationibus praedictis dicuntur, ab aliquo doctore sint prius accepta. Ergo apud eum huiusmodi nomina relativa consequuntur conceptiones intellectus sui, quae consequuntur rem ; et ita videtur quod huiusmodi relationes sint reales.

10. Comme l'esprit est l'image des choses et les mots en sont les signes, comme le dit le philosophe (De l'Interprtation, I, 16 a 3-5), ils sont dans un ordre diffrent dans le disciple et le matre. Car celui-ci part de la ralit d'o il reoit la connaissance dans son esprit, dont les conceptions dfinissent les mots, mais le disciple commence par les mots par lesquelles il parvient aux concepts de l'esprit du matre et d'elles la connaissance de la ralit. Mais il faut que ce qui est dit de tel pour ces relations soit d'abord reu par le matre. Donc chez lui de tels noms relatifs dcoulent des conceptions de son esprit qui dcoulent de la ralit et ainsi il semble que de telles relations sont relles.

q. 7 a. 10Arg. 11 Praeterea, huiusmodi relativa quae de Deo dicuntur ex tempore, aut sunt relativa secundum esse, aut secundum dici. Si sunt relativa secundum dici, in neutro extremorum aliquid ponunt realiter. Hoc autem est falsum, secundum praedicta : nam in creatura relata ad Deum realiter existunt. Relinquitur ergo quod sunt relativa secundum esse ; et ita videtur quod in utroque extremorum aliquid ponant realiter.

11. De tels relatifs signifis temporellement pour Dieu, sont des relatifs quant l'tre, ou en parole[847]. Si elles sont transcendantales, elles ne placent rellement rien dans aucune des extrmits. Mais cela est faux d'aprs ce qui a t dit : car, dans les cratures, les relations Dieu existent rellement. Il reste donc qu'elles sont des relations prdicamentales et ainsi il semble qu'elles placent rellement quelque chose l'une et l'autre des extrmits.

q. 7 a. 10Arg. 12 Praeterea, haec est natura relativorum, quod posito uno ponitur aliud, et uno interempto aliud interimitur. Si igitur in creatura est aliqua realis relatio, oportet quod in Deo relatio ad creaturam sit realis.

12. Il est de la nature des relatifs que, si on en place un, on place l'autre et si on enlve l'un, on enlve l'autre aussi. Si donc dans la crature il y a une relation relle, il faut qu'en Dieu la relation la crature soit relle.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, V de Trin. [cap. XVI] : Manifestum est Deum relative dici secundum accidens eius ad quod dici Deus aliquid incipit relative. Ergo videtur quod istae relationes dicantur de Deo, non secundum aliquid quod in ipso sit, sed secundum aliquid quod extra ipsum est ; et ita nihil realiter in ipso ponunt.

1. Il y a ce que dit Augustin (La Trinit V, XVI, 17) : Il est vident qu'on parle relativemen de Dieu t la suite de laccident pour lequel Dieu commence tre appel dun nom relatif[848]. Donc il semble qu'on parle de ces relations en Dieu, non selon ce qui est en lui, mais hors de lui, et ainsi on ne place rellement rien en lui.

q. 7 a. 10 s. c. 2 Praeterea, sicut scibile est mensura scientiae, ita Deus est mensura omnium rerum, ut Commentator dicit, X Metaph. Sed scibile non refertur ad scientiam per relationem quae in ipso realiter sit, sed potius per relationem scientiae ad ipsum, ut patet per philosophum, V Metaph.[com. 20]. Ergo videtur quod nec Deus dicatur relative ad creaturam propter aliquam relationem quae sit realiter in eo.

2. Le connaissable est la mesure de la connaissance, de mme Dieu est la mesure de toutes choses, comme le dit le Commentateur (Mtaphysique, X). Mais le connaissable ne se rfre pas la connaissance par une relation qui est rellement en lui, mais plutt par une relation de la connaissance en lui, comme on le voit chez le philosophe (Mtaphysique, V, 15, 1021 a 28[849]). Donc il semble qu'on ne parle pas de Dieu relativement la crature cause d'une relation qui est rellement en lui.

q. 7 a. 10 s. c. 3 Praeterea, Dionysius dicit [IX capit. de div. Nom.] : In causis et causatis non recipimus conversionem similitudinis : nam effectus dicitur similis causae, non autem e contrario. Eadem autem ratio videtur de relatione similitudinis et de aliis relationibus. Ergo videtur quod nec quantum ad alias relationes fiat conversio a Deo ad creaturam : ut quia creatura realiter refertur ad Deum, Deus realiter referatur ad creaturam.

3. Denys dit (les Noms divins, IX 913D[850]) : Dans les causes et les effets, nous ne prenons pas en compte la rciprocit de la ressemblance ; car l'effet est dit semblable la cause, mais pas le contraire. C'est la mme raison qui semble exister pour la relation de ressemblance et les autres relations. Donc il semble que pour les autres relations non plus, il n'y a pas retour de Dieu la crature, de sorte que, parce que la crature se rfre rellement Dieu, Dieu se rfre rellement elle.

 

Rponse :

q. 7 a. 10 co. Respondeo. Dicendum quod relationes, quae dicuntur de Deo ad creaturam, non sunt realiter in ipso. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum relatio realis consistat in ordine unius rei ad rem aliam, ut dictum est ; in illis tantum mutua realis relatio invenitur in quibus ex utraque parte est eadem ratio ordinis unius ad alterum : quod quidem invenitur in omnibus relationibus consequentibus quantitatem. Nam cum quantitatis ratio sit ab omni sensibili abstracta, eiusdem rationis est quantitas in omnibus naturalibus corporibus. Et pari ratione qua unum habentium quantitatem realiter refertur ad alterum, et aliud ad ipsum.

Il faut dire que les relations de Dieu la crature ne sont pas rellement en lui. Pour claircir la question, il faut savoir que, comme la relation relle consiste dans le rapport dune chose une autre, comme on la dit, on trouve seulement une relation mutuelle relle dans celles o de chaque ct il y a la mme nature de rapport de l'une lautre : ce quon trouve dans toutes les relations qui dpendent de la quantit. En effet, comme la nature de la quantit est abstraite de tout ce qui est sensible, elle est de mme nature que la quantit dans tous les corps naturels. Et raison gale, c'est pourquoi lun de ceux qui a la quantit se rfre rellement lautre et lautre lui.

Habet autem una quantitas absolute considerata ad aliam ordinem secundum rationem mensurae et mensurati, et secundum nomen totius et partis, et aliorum huiusmodi quae quantitatem consequuntur. In relationibus autem quae consequuntur actionem et passionem, sive virtutem activam et passivam, non est semper motus ordo ex utraque parte. Oportet namque id quod semper habet rationem patientis et moti, sive causati, ordinem habere ad agens vel movens, cum semper effectus a causa perficiatur, et ab ea dependeat : unde ordinatur ad ipsam sicut ad suum perfectivum.

Une quantit considre dans labsolu a un rapport une autre en raison de la mesure et du mesur, et selon le nom du tout et de la partie et dautres choses de ce genre qui dcoulent de la quantit. Mais dans les relations qui dcoulent de laction et de la passion, soit de la puissance active et passive, le mouvement n'est pas toujours le rapport de l'une l'autre. Car il faut que ce qui a toujours un rapport de patient, de m, ou de caus, ait rapport lagent ou au moteur, puisque toujours leffet est achev par la cause, et en dpend. C'est pourquoi, il est en rapport avec elle comme ce qui le rend parfait.

Agentia autem, sive moventia, vel etiam causae, aliquando habent ordinem ad patientia vel mota vel causata, in quantum scilicet in ipso effectu vel passione vel motu inductis, attenditur quoddam bonum et perfectio moventis vel agentis ; sicut maxime patet in agentibus univocis quae per actionem suae speciei similitudinem inducunt, et per consequens esse perpetuum quod est possibile, conservant.

Les agents ou les moteurs ou mme les causes ont quelquefois rapport ce qui subit, est m ou est caus, dans la mesure o une fois induits dans l'effet lui-mme, dans ce qui supporte ce qui est m, sont atteintes une certain bien et la perfection du moteur ou de l'agent, comme c'est tout fait manifeste dans les agents univoques qui par leur action induisent une ressemblance de leur espce, et par consquent conservent lՐtre perptuel qui est possible.

Patet hoc etiam idem in omnibus aliis quae mota movent vel agunt vel causant ; nam ex ipso suo motu ordinantur ad effectus producendos ; et similiter in omnibus in quibus quodcumque bonum causae provenit ex effectu. Quaedam vero sunt ad quae quidem alia ordinantur, et non e converso, quia sunt omnino extrinseca ab illo genere actionum vel virtutum quas consequitur talis ordo ; sicut patet quod scientia refertur ad scibile, quia sciens, per actum intelligibilem, ordinem habet ad rem scitam quae est extra animam. Ipsa vero res quae est extra animam, omnino non attingitur a tali actu, cum actus intellectus non sit transiens in exteriorem materiam mutandam ; unde et ipsa res quae est extra animam, omnino est extra genus intelligibile. Et propter hoc relatio quae consequitur actum intellectus, non potest esse in ea.

On voit la mme chose dans tous les autres qui meuvent, agissent ou causent ; car par leur mouvement mme ils sont ordonns produire des effets et de la mme manire dans tout ce en quoi tout bien provient de la cause par leffet. Mais il y en a certains qui les autres sont ordonns, et non le contraire, parce qu'ils sont tout fait en dehors de ce genre daction ou de pouvoir d'o dcoule un tel rapport ; ainsi il est clair que la connaissance est en rapport avec le connaissable, parce que celui qui connat, par un acte intelligible, a rapport la chose connue qui est hors de l'me. Mais ce qui est hors de l'me n'est absolument pas atteint par un tel acte, puisque l'acte de l'esprit ne transite pas pour changer la matire extrieure, c'est pourquoi ce qui est hors de l'me est tout fait hors du genre intelligible. Et pour cela la relation qui suit l'acte de l'esprit ne peut tre en elle.

Et similis ratio est de sensu et sensibili : licet enim sensibile immutet organum sensus in sua actione, et propter hoc habeat relationem ad ipsum,- sicut et alia agentia naturalia ad ea quae patiuntur ab eis,- alteratio tamen organi non perficit sensum in actu, sed perficitur per actum virtutis sensitivae : cuius sensibile quod est extra animam, omnino est expers. Similiter homo comparatur ad columnam ut dexter, ratione virtutis motivae quae est in homine, secundum quam competit ei dextrum et sinistrum, ante et retro, sursum et deorsum. Et ideo huiusmodi relationes in homine vel animali reales sunt, non autem in re quae tali virtute caret. Similiter nummus est extra genus illius actionis per quam fit pretium ; quae est conventio inter aliquos homines facta : homo etiam est extra genus artificialium actionum, per quas sibi imago constituitur.

C'est la mme raison pour la sensation et le sensible. Car, bien que le sensible modifie l'organe des sens dans son action, et cause de cela, il a une relation lui-mme. comme les autres agents naturels ce qui est support par eux, cependant la modification de l'organe n'atteint pas le sens en acte, mais il l'achve par l'acte du pouvoir sensitif ; dont le sensible hors de l'me, est tout fait dpourvu. De mme l'homme est compar la colonne, comme droite, parce qu'il peut se mouvoir, selon que lui conviennent la droite et la gauche, l'avant et l'aprs, le dessus et le dessous. Et c'est pourquoi les relations de ce genre dans l'homme ou l'animal sont relles, mais pas dans ce qui manque d'un tel pouvoir. De mme la pice de monnaie est hors du genre de l'action par laquelle elle devient une valeur ; celle-ci tant une convention tablie entre des hommes[851] ; l'homme aussi est hors du genre des actions artificielles, qui constitue une image pour lui.

Et ideo nec homo habet relationem realem ad suam imaginem, nec nummus ad pretium, sed e contrario. Deus autem non agit per actionem mediam, quae intelligatur a Deo procedens, et in creaturam terminata : sed sua actio est sua substantia, et quidquid in ea est, est omnino extra genus esse creati, per quod creatura refertur ad Deum. Nec iterum aliquod bonum accrescit creatori ex creaturae productione, unde sua actio est maxime liberalis, ut Avicenna dicit [VII Metaphysicorum, c. VII]. Patet etiam quod non movetur ad hoc quod agat, sed absque omni sua mutatione mutabilia facit.

Et c'est pourquoi l'homme n'a pas de relation relle son image, ni la pice de monnaie sa valeur, mais c'est le contraire. Mais Dieu n'agit pas par une action intermdiaire qui est comprise comme procdant de lui et termine la crature ; mais son action est sa substance et tout ce qui est en lui est tout fait en dehors du genre de l'tre cr, par lequel la crature se rfre Dieu. Et en plus aucun bien ne s'ajoute au Crateur par la production de la crature. C'est pourquoi son action est tout fait libre, comme Avicenne le dit (Mtaphysique, VII, 7). Il est clair aussi qu'il n'est pas pouss agir mais il fait ce qui change sans aucun changement de sa part.

Unde relinquitur quod in eo non est aliqua relatio realis ad creaturam, licet sit relatio creaturae ad ipsum, sicut effectus ad causam.

C'est pourquoi il reste qu'en lui il n'y a pas de relation relle la crature, bien qu'elle existe de la crature Dieu, comme l'effet la cause.

In hoc autem deficit multipliciter Rabbi, qui voluit probare quod non esset relatio inter Deum et creaturam, quia cum Deus non sit corpus, non habet relationem ad tempus nec ad locum. Consideravit enim solam relationem quae consequitur quantitatem, non eam quae consequitur actionem et passionem.

Rabi Moyses[852] se trompe en cela de multiples faons, lui qui a voulu prouver qu'il n'y avait pas de relation entre Dieu et la crature parce que, comme Dieu n'est pas un corps, il n'a de relation ni avec le temps, ni avec le lieu. Car il a considr la seule relation qui dcoule de la quantit, non celle qui dcoule de l'action et la passion.

 

Solutions :

q. 7 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod movens et agens naturale movet et agit actione vel motu medio, qui est inter movens et motum, agens et passum. Unde oportet quod saltem in hoc medio conveniant agens et patiens, movens et motum. Et sic agens, in quantum est agens, non est extraneum a genere patientis in quantum est patiens. Unde utriusque est realis ordo unius ad alterum, et praecipue cum ipsa actio media sit quaedam perfectio propria agentis ; et per consequens id ad quod terminatur actio, est bonum eius. Hoc autem in Deo non contingit, ut dictum est ; et ideo non est simile.

 1. Le moteur et l'agent naturel meuvent et agissent par une action ou par un mouvement intermdiaire, entre le moteur et le m, l'agent et le patient. C'est pourquoi il faut au moins que l'agent et le patient, le moteur et le m se rencontrent dans cet intermdiaire. Et ainsi, l'agent, en tant que tel, n'est pas tranger au genre du patient en tant que tel. C'est pourquoi le rapport de l'un l'autre est rel et surtout puisque l'action intermdiaire mme est une perfection propre de l'agent ; et par consquent ce quoi se termine l'action est son bien. Mais cela n'arrive pas en Dieu, comme on l'a dit, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 7 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod movens movetur, non est causa quare relatio moventis in eo sit realiter, sed signum quoddam. Ex hoc enim apparet quod aliquo modo coincidit in genus moti, ex quo et ipsum movet motum ; et iterum apparet quod ipsum ad quod movetur, sit quoddam bonum eius, ex quo ad hoc per suum motum ordinatur.

 2. Le fait que le moteur soit m n'est pas la raison pour laquelle la relation du moteur est rellement en lui, mais c'est un signe. Car il apparat de l que, d'une certaine manire, il tombe dans le genre de ce qui est m, par lequel lui-mme le meut, et nouveau il apparat que ce pourquoi il est m, est son bien par lequel il lui est ordonn par son mouvement.

q. 7 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pater dat esse filio sui generis, cum sit agens univocum ; non autem tale esse dat Deus creaturae ; et ideo non est simile.

 3. Le pre donne l'tre un fils de son genre, puisqu'il est agent univoque ; mais ce n'est pas un tel tre que Dieu donne la crature, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 7 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen, dominus, tria in suo intellectu includit : scilicet, potentiam coercendi subditos, et ordinem ad subditos qui consequitur talem potestatem, et terminationem ordinis subditorum ad dominum ; in uno enim relativo est intellectus alterius relativi. Salvatur ergo huius significatio nominis in Deo quantum ad primum et tertium, non autem quantum ad secundum. Unde Ambrosius dicit [lib. I de Fide, capit. 1], quod hoc nomen, dominus, nomen est potestatis ; et Boetius dicit, quod dominium est potestas quaedam qua servus coercetur.

 4. Ce nom, Seigneur, inclut trois sens en son concept, savoir la puissance de contraindre ceux qui lui sont soumis, le rapport ceux qui sont soumis qui dcoule d'un tel pouvoir et la limite du rapport de ceux qui sont soumis au Seigneur ; car dans ce qui est relatif, il y a le concept d'un autre relatif. Donc la signification de ce nom est conserv en Dieu, quand au premier et au troisime sens, mais non quant au second. C'est pourquoi, Ambroise dit (La foi, I, 7[853]) que ce nom, Seigneur, est celui de la puissance et Boce dit que la domination du Seigneur est un pouvoir auquel le serviteur est soumis.

q. 7 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod scientia Dei aliter comparatur ad res quam scientia nostra ; comparatur enim ad eas sicut et causa et mensura. Tales enim res sunt secundum veritatem, quales Deus sua scientia eas ordinavit. Ipsae autem res sunt causa et mensura scientiae nostrae. Unde sicut et scientia nostra refertur ad res realiter, et non e contrario : ita res referuntur realiter ad scientiam Dei, et non e contrario. Vel dicendum, quod Deus intelligit res alias intelligendo se ; unde relatio divinae scientiae non est ad res directe, sed ad ipsam divinam essentiam.

 5. La science de Dieu est dans un rapport aux choses diffrent de celui de notre science ; car elle est en rapport avec elles comme cause et mesure. Car les choses sont en vrit telles que Dieu par sa science les a ordonnes. Mais elles sont la cause et la mesure de notre science. C'est pourquoi de mme que notre science se rfre rellement la ralit et non le contraire, de mme les choses se rfrent rellement la science de Dieu et non le contraire. Ou bien, il faut dire que Dieu comprend les autres choses en se comprenant lui-mme, c'est pourquoi la relation de la connaissance en Dieu la ralit n'est pas directe mais elle est relation l'essence divine elle-mme.

q. 7 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod appetibile quod movet appetitum, est finis ; ea vero quae sunt ad finem non movent appetitum nisi ratione finis. Finis autem divinae voluntatis non est aliquid aliud quam divina bonitas. Unde non sequitur quod res aliae comparentur ad divinam voluntatem sicut movens ad motum.

 6. L'apptible qui meut l'apptit est une fin. Ce qui concerne la fin ne meut l'apptit qu'en raison de la fin. Mais la fin de la volont divine n'est pas quelque chose d'autre que sa bont. C'est pourquoi il n'en dcoule pas que les autres choses sont en rapport avec la volont divine, comme le moteur au m.

q. 7 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod corpora caelestia referuntur realiter ad inferiora secundum relationes consequentes quantitatem, propter hoc quod est eadem ratio quantitatis in utrisque ; et iterum quantum ad relationes consequentes virtutem activam et passivam, quia movent mota per actionem mediam quae non est eorum substantia, cum aliquod bonum ipsorum attendatur in hoc quod sunt inferiorum causa.

 7. Les corps clestes sont rellement en rapport avec choses infrieures selon des relation qui dcoulent de la quantit, parce que la mme nature de quantit est dans chacune et nouveau quant aux relation qui dcoulent de la puissance active et passive, parce qu'ils meuvent ce qui est m par une action intermdiaire qui n'est pas leur substance, puisque l'un de leurs biens est atteint du fait qu'ils sont la cause des choses infrieures.

q. 7 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod illud a quo aliquid denominatur, non oportet quod sit semper forma secundum rei naturam, sed sufficit quod significetur per modum formae, grammatice loquendo. Denominatur enim homo ab actione et ab indumento, et ab aliis huiusmodi, quae realiter non sunt formae.

 8. Ce par quoi on dsigne une chose ne doit pas tre toujours la forme selon sa nature, mais il suffit qu'elle soit signifie la manire d'une forme, grammaticalement parlant. Car l'homme est dsign par l'action et le vtement, et autres choses, qui ne sont pas rellement des formes.

q. 7 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod si proportio intelligatur aliquis determinatus excessus, nulla est Dei ad creaturam proportio. Si autem per proportionem intelligatur habitudo sola, sic patet quod est inter creatorem et creaturam ; in creatura quidem realiter, non autem in creatore.

 9. Si on comprend une proportion comme un cart dtermin, il n'y en a aucune de Dieu la crature. Mais si par la proportion on comprend la relation seule, alors il est clair qu'elle existe entre le Crateur et la crature ; rellement dans la crature, mais pas dans le Crateur.

q. 7 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet doctor incipiat a rebus, tamen alio modo recipiuntur rerum conceptiones in mente doctoris quam sint in natura rei, quia unumquodque recipitur in altero per modum recipientis : patet enim quod conceptiones in mente doctoris sunt immaterialiter, et materialiter in natura.

 10. Bien que le matre commence par la ralit, cependant les conceptions des choses sont reues d'une autre manire dans son esprit qu'elles le sont dans la nature, parce que chaque chose est reue dans l'autre par le mode de ce qui reoit. Car il est clair que les conceptions sont immatriellement dans l'esprit du matre, et matriellement dans la nature.

q. 7 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod distinctio ista relativorum secundum esse et secundum dici, nihil facit ad hoc quod sit relatio realis. Quaedam enim sunt relativa secundum esse quae non sunt realia, sicut dextrum et sinistrum in columna ; et quaedam sunt relativa secundum dici, quae tamen important relationes reales, sicut patet de scientia et sensu. Dicuntur enim relativa secundum esse, quando nomina sunt imposita ad significandas ipsas relationes ; relativa vero secundum dici, quando nomina sunt imposita ad significandas qualitates vel aliquid huiusmodi principaliter, ad quae tamen consequuntur relationes. Nec quantum ad hoc differt, utrum sint relationes reales vel rationis tantum.

 11. Cette distinction des choses relatives selon l'tre et la parole, ne fait rien pour qu'elle soit une relation relle. Car certaines sont relatives quant l'tre, qui ne sont pas relles comme la droite et la gauche dans une colonne, et certaines sont relatives en parole qui apportent cependant des relations relles, comme c'est vident pour la connaissance et la sensation. Car on parle des relations selon l'tre, quand ces noms sont imposs pour les signifier, mais de relatifs en parole, quand les noms sont imposs pour signifier des qualits ou principalement quelque chose de ce genre, pour lesquelles cependant dcoulent des relations. Et ce sujet, il n'y a pas de diffrence si les relations sont relles ou de raison seulement.

q. 7 a. 10 ad 12 Ad ultimum dicendum, quod licet posito uno relativorum ponatur aliud, non tamen oportet quod eodem modo ponatur utrumque, sed sufficit quod unum ponatur secundum rem, et aliud secundum rationem.

 12. Bien que, si on pose l'un des relatifs, on pose l'autre, il ne faut pas cependant que l'un et l'autre soient tablis de la mme manire, mais il suffit que l'un soit tabli en ralit et l'autre en raison.

 

 

 

Article 11 Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison ?

q. 7 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum istae relationes temporales sint in Deo secundum rationem. Et videtur quod non.

Il semble que non.

 

Objections :

q. 7 a. 11Arg. 1 Ratio enim cui non respondet res, est cassa et vana, sicut Boetius dicit [sup. proem. Porphyri in praedicabilia]. Sed istae relationes non sunt in Deo secundum rem ut ex praedictis patet. Esset ergo ratio cassa et vana, si essent in Deo secundum rationem.

1. Car une notion (ratio[854]) quoi rien ne correspond est vide et vaine, comme Boce le dit (Prambule de Porphyre dans les Prdicables). Mais ces relations ne sont pas rellement en Dieu, comme cela apparat de ce qui a t dit. Donc la notion (ratio) serait vide et vaine, si en Dieu elles taient de raison.

q. 7 a. 11Arg. 2 Praeterea, quae sunt secundum rationem tantum, non attribuuntur rebus nisi secundum quod sunt in intellectu, sicut genus et species et ordo. Sed huiusmodi relationes temporales non attribuuntur Deo secundum quod est in intellectu nostro tantum : sic enim nihil esset dictu, Deus est dominus, quoniam Deus intelligitur creaturis praeesse ; quod patet esse falsum. Ergo huiusmodi relationes non sunt secundum rationem in Deo.

2. Ce qui est de raison seulement, n'est attribu aux choses que selon qu'elles sont dans l'esprit, comme le genre, l'espce et l'ordre[855]. Mais des relations temporelles de ce genre ne sont pas attribues Dieu selon ce qui est dans notre esprit seulement, car ainsi ce ne serait rien dire. Dieu est Seigneur, puisqu'on comprend qu'il a exist avant les cratures ; ce qui parat faux. Donc de telles relations ne sont pas de raison en Dieu.

q. 7 a. 11Arg. 3 Praeterea, hoc nomen, Dominus, relationem significat, cum sit relativum secundum esse. Sed Deus est Dominus non secundum rationem tantum. Ergo nec huiusmodi relationes sunt in Deo secundum rationem tantum.

3. Ce nom, Seigneur, signifie une relation, puisqu'il est relatif selon l'tre. Mais Dieu est Seigneur, mais pas en raison seulement. Donc de telles relations en Dieu ne sont pas en raison seulement.

q. 7 a. 11 arg. 4 Praeterea, nullo intellectu creato existente, Deus adhuc esset Dominus et Creator. Non autem essent res rationis nullo intellectu creato existente. Ergo dominus et creator et huiusmodi non important relationes rationis tantum.

4. Si aucun esprit cr nexistait, Dieu serait encore Seigneur et crateur. Mais ce ne serait pas des tres de raison, si aucun esprit cr n'existait. Donc les termes Seigneur et Crateur, etc. n'apportent pas des relations de raison seulement.

q. 7 a. 11Arg. 5 Praeterea, id quod est secundum rationem nostram tantum, non fuit ab aeterno. Sed aliquae relationes Dei ad creaturam fuerunt ab aeterno, sicut relationes importatae in nomine scientiae et praedestinationis. Ergo huiusmodi relationes non sunt in Deo secundum rationem tantum.

5. Ce qui est selon notre raison seulement n'a pas exist ternellement. Mais certaines relations de Dieu la crature ont t ternelles, comme les relations apportes au nom de connaissance[856] et de prdestination. Donc de telles relations ne sont pas en Dieu selon la raison seulement.

 

En sens contraire :

q. 7 a. 11 s. c. Sed contra, est quod nomina significant rationes, sive intellectus, ut dicitur in principio Periher. Constat autem ista nomina relative dici. Ergo oportet huiusmodi relationes secundum rationem esse.

Les noms signifient des notions (ratio) ou des concepts, comme il est dit au dbut de l'Interprtation. (2, 16 a 18). Il est clair que ces noms sont dits de faon relative. Donc il faut que de telles relations soient de raison[857].

 

Rponse :

q. 7 a. 11 co. Respondeo. Dicendum quod sicut realis relatio consistit in ordine rei ad rem, ita relatio rationis consistit in ordine intellectuum ; quod quidem dupliciter potest contingere :

Il faut dire que de mme que la relation relle consiste dans le rapport d'une chose une autre, de mme la relation de raison consiste dans le rapport des significations, ce qui peut arriver de deux manires :

Uno modo secundum quod iste ordo est adinventus per intellectum, et attributus ei quod relative dicitur ; et huiusmodi sunt relationes quae attribuuntur ab intellectu rebus intellectis, prout sunt intellectae, sicut relatio generis et speciei : has enim relationes ratio adinvenit considerando ordinem eius quod est in intellectu ad res quae sunt extra, vel etiam ordinem intellectuum ad invicem.

1) Premire manire, selon que cet ordre est dcouvert par l'esprit et attribu ce dont on parle relativement, et telles sont les relations attribues par l'esprit ce qui est pens, dans la mesure o elles sont comprises comme relation de genre et d'espce[858] ; car la raison dcouvre ces relations en considrant l'ordre ce qui est dans l'esprit ce qui est l'extrieur ou mme l'ordre des concepts entre eux.

Alio modo secundum quod huiusmodi relationes consequuntur modum intelligendi, videlicet quod intellectus intelligit aliquid in ordine ad aliud ; licet illum ordinem intellectus non adinveniat, sed magis ex quadam necessitate consequatur modum intelligendi. Et huiusmodi relationes intellectus non attribuit ei quod est in intellectu, sed ei quod est in re.

2) Seconde manire : les relations de ce genre rsultent du mode de penser, savoir que l'esprit pense une chose en rapport une autre, bien qu'il ne parvienne pas ce rapport, mais plutt rsulte du mode de penser par une certaine ncessit. Et l'esprit n'attribue pas de telles relations ce qui est en lui mais ce qui est en ralit.

Et hoc quidem contingit secundum quod aliqua non habentia secundum se ordinem, ordinate intelliguntur ; licet intellectus non intelligat ea habere ordinem, quia sic esset falsus. Ad hoc autem quod aliqua habeant ordinem, oportet quod utrumque sit ens, et utrumque distinctum (quia eiusdem ad seipsum non est ordo) et utrumque ordinabile ad aliud.

Et cela arrive selon que certaines choses n'ayant pas de rapport en soi, sont comprises avec rapport, bien que l'esprit ne comprenne pas qu'elles en ont un, parce qu'ainsi ce serait faux. Mais du fait que certaines choses ont un rapport, il faut que l'une et l'autre soient un tant et l'une et l'autre soient distinctes (parce qu'il n'y a pas de rapport d'un mme lui-mme et l'une et l'autre en rapport possible avec l'autre.

Quandoque autem intellectus accipit aliqua duo ut entia, quorum alterum tantum vel neutrum est ens : sicut cum accipit duo futura, vel unum praesens et aliud futurum, et intelligit unum cum ordine ad aliud, dicens alterum esse prius altero ; unde istae relationes sunt rationis tantum, utpote modum intelligendi consequentes.

Quelquefois l'esprit reoit les deux comme des tants dont l'un seulement un tant ou ni l'un, ni l'autre ; comme quand il reoit deux tants futurs, ou l'un prsent et l'autre futur, il comprend l'un en rapport avec l'autre, en disant que l'un est avant l'autre ; c'est pourquoi ces relations sont de raison seulement ; en tant qu'elles rsultent du mode de penser.

Quandoque vero accipit unum ut duo, et intelligit ea cum quodam ordine : sicut cum dicitur aliquid esse idem sibi ; et sic talis relatio est rationis tantum.

Quelquefois il reoit l'une comme deux et il les comprend avec un certain rapport. Comme quand on dit que quelque chose est identique lui-mme, et ainsi une telle relation est de raison seulement[859].

Quandoque vero accipit aliqua duo ut ordinabilia ad invicem, inter quae non est ordo medius, immo alterum ipsorum essentialiter est ordo : sicut cum dicit relationem accidere subiecto ; unde talis relatio relationis ad quodcumque aliud rationis est tantum.

Quelquefois il reoit les deux comme pouvant tre en rapport l'un avec l'autre, entre lesquels il n'y a pas de rapport intermdiaire. Bien plus l'un d'eux est essentiellement rapport : comme quand il signifie que la relation arrive au substrat ; c'est pourquoi une telle relation de relation quelque chose d'autre est de raison seulement.

Quandoque vero accipit aliquid cum ordine ad aliud, in quantum est terminus ordinis alterius ad ipsum, licet ipsum non ordinetur ad aliud : sicut accipiendo scibile ut terminum ordinis scientiae ad ipsum ; et sic cum quodam ordine ad scientiam, nomen scibilis relative significat ; et est relatio rationis tantum. Et similiter aliqua nomina relativa Deo attribuit intellectus noster, in quantum accipit Deum ut terminum relationum creaturarum ad ipsum ; unde huiusmodi relationes sunt rationis tantum.

Quelquefois il reoit une chose avec rapport une autre, en tant qu'elle est le terme d'un autre rapport lui, bien qu'il ne soit pas ordonne l'autre ; comme en recevant le connaissable, comme terme du rapport de la connaissance lui, et ainsi avec un rapport la connaissance, le nom connaissable signifie relativement et c'est une relation de raison seulement. Et de mme notre esprit attribue des noms relatifs Dieu en tant qu'il le reoit comme terme des relations des cratures lui ; c'est pourquoi les relations de ce genre sont de raison seulement.

 

Solutions :

q. 7 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in huiusmodi relationibus aliquid respondet ex parte rei, scilicet relatio creaturae ad Deum. Sicut enim scibile dicitur relative, non quia ipsum referatur ad scientiam, sed quia scientia referatur ad ipsum, ut habetur V Metaph., [com. 20] ita Deus dicitur relative, quia creaturae referuntur ad ipsum.

 1. Il faut donc dire que dans les relations de ce genre, quelque chose rpond du ct de la chose, savoir la relation de la crature Dieu. Car de mme qu'on parle du connaissable relativement, non parce qu'il se rfre la connaissance, mais parce que la connaissance se rfre lui, comme on le trouve en Mtaphysique (V, 15, 1020 b 31[860]), de mme on parle de Dieu relativement, parce que les cratures se rfrent lui.

q. 7 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de illis relationibus rationis quae sunt per rationem inventae, et rebus in intellectu existentibus attributae. Tales autem non sunt relationes istae, sed consequentes modum intelligendi.

 2. Cette raison procde de ces relations de raison, trouves par raison et attribues ce qui existe dans l'esprit. Mais ces relations ne sont pas telles, mais elles suivent le mode de penser.

q. 7 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut aliquis est idem sibi realiter, et non solum secundum rationem, licet relatio sit secundum rationem tantum, propter hoc quod relationis causa est realis, scilicet unitas substantiae quam intellectus sub relatione intelligit : ita potestas coercendi subditos est in Deo realiter, quam intellectus intelligit in ordine ad subditos propter ordinem subditorum ad ipsum ; et propter hoc dicitur dominus realiter, licet relatio sit rationis tantum. Et eodem modo apparet quod dominus esset, nullo existente intellectu.

 3. De mme que quelqu'un est rellement identique lui-mme et non seulement en raison, bien que la relation soit en raison seulement, du fait que sa cause est relle, savoir l'unit de la substance que l'esprit comprend sous la relation, de mme la puissance de contraindre ceux qui lui sont soumis est rellement en Dieu. L'esprit la comprend en rapport ceux qui sont soumis cause du rapport de ceux qui sont soumis lui[861] et c'est pour cela qu'on l'appelle Seigneur, rellement, bien que la relation soit de raison seulement. Et de la mme manire, il apparat qu'il serait le Seigneur mme s'il n'existait aucun esprit.

q. 7 a. 11 ad 4 Unde patet solutio ad quartum.

 4. Par la apparat la solution l'objection 4.

q. 7 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod relatio scientiae Dei ad creaturam non est primo et per se, ut dictum est prius, sed ad essentiam creatoris, per quam Deus omnia scit.

 5. La relation de la science de Dieu la crature n'est pas en premier et par soi, comme on l'a dit d'abord (dans le corps de l'article) mais c'est la relation l'essence du crateur, par laquelle Dieu connat tout.

 

 

 

Question 8 Ce quon appelle relations ternelles en Dieu

 

 

q. 8 pr. 1 Et primo quaeritur utrum relationes dictae de Deo ab aeterno, quae importantur his nominibus pater et filius, sint relationes reales vel rationis tantum.

1. Les relations appeles ternelles en Dieu, rapportes sous les noms de "Pre" et de "Fils", sont-elles relles ou de raison seulement ?

q. 8 pr. 2 Secundo utrum relatio in Deo sit eius substantia.

2. La relation en Dieu est-elle sa substance ?

q. 8 pr. 3 Tertio utrum relationes constituant et distinguant personas et hypostases.

3. Les relations constituent-elles et distinguent-elles les personnes et les hypostases ?

q. 8 pr. 4 Quarto utrum remota relatione secundum intellectum, remaneat hypostasis in divinis.

4. Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle enDieu ?

 

 

 

Article 1 Les relations appeles ternelles en Dieu, rapportes par les noms de  Pre  et  Fils , sont-elles relles ou de raison seulement ?

q. 8 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum relationes dictae de Deo ab aeterno, quae importantur his nominibus Pater et Filius, sint relationes reales, vel rationis tantum. Et videtur quod non sint reales.

Il semble qu'elles ne soient pas relles[862].

 

Objections :

q. 8 a. 1 arg. 1 Quia, ut dicit Damascenus [in 1 lib. Orth. Fidei, cap. XI], in substantiali Trinitate commune quidem et unum re consideratur, cognitione vero et intellectu est quod diversum vel distinctum est. Sed distinctio personarum fit per relationes. Ergo relationes in divinis sunt rationis tantum.

1 Parce que, comme le dit Jean Damascne (La Foi orthodoxe I, 11) : Dans la Trinit substantielle, on considre comme rel ce qui est commun et un, et comme object de connaissance et dintellection ce qui est divers et distinct 

[863]
.  Mais la distinction des personnes se fait par les relations. Donc[864] les relations en Dieu sont de raison seulement.

q. 8 a. 1 arg. 2 Praeterea, Botius dicit [in libro de Trinitate) : Similis est relatio Patris ad Filium in Trinitate, et utriusque adSspiritum sanctum, ut eius quod est idem ad id quod idem est. Sed relatio identitatis est rationis tantum. Ergo et relatio paternitatis et filiationis.

2. Boce dit (La Trinit, VI[865]) : Semblable est la relation du Pre au Fils dans le Trinit et de l'un et l'autre l'Esprit saint, comme ce qui


est du mme au mme[866]. Mais la relation d'identit est de raison seulement. Donc celle de paternit et de filiation aussi.

q. 8 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Deo ad creaturam non est relatio realis, propter hoc quod Deus sine sui mutatione creaturas producit, ut Augustinus dicit [in V de Trin., cap. XVI] Sed multo magis sine mutatione producit Pater Filium, et Filius procedit a Patre. Ergo non est aliqua realis relatio Patris ad Filium in divinis, vel e contrario.

3. En Dieu il n'y a pas de relation relle la crature, du fait qu'il les produit sans changement de sa part, comme Augustin le dit (La Trinit. V, XVI, 17). Mais c'est encore avec beaucoup moins de changement que le Pre produit le Fils, et que le Fils procde du Pre. Donc il n'y a pas de relation relle du Pre au Fils ou inversement.

q. 8 a. 1 arg. 4 Praeterea, ea quae non sunt perfecta, Deo non attribuuntur, sicut privatio, materia et motus. Sed relatio inter omnia entia habet debilius esse intantum quod eam quidam aestimaverunt de secundis intellectis, ut patet per Commentatorem [XI Metaph., com. 19]. Ergo in Deo esse non potest.

4. Ce qui n'est pas parfait n'est pas attribu Dieu, comme la privation, la matire et le mouvement. Mais la relation entre tous les tants a lՐtre le plus faible au point que certains les ont considres comme des intellections secondes[867], comme on le voit chez le Commentateur (Mtaphysique XI, 19). Donc elle ne peut pas exister en Dieu.

q. 8 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis relatio in creaturis compositionem facit cum eo cuius est relatio : non enim potest una res alteri inesse sine compositione. Sed in Deo nulla compositio esse potest. Ergo in eo non potest esse realis relatio.

5. Toute relation dans les cratures amne une composition avec ce dont elle est relation : car une chose ne peut tre en une autre sans composition. Mais en Dieu il ne peut y avoir aucune composition. Donc il ne peut pas y avoir en lui de relation relle.

q. 8 a. 1 arg. 6 Praeterea, simplicissima seipsis differunt. Sed divinae personae sunt simplicissimae. Ergo seipsis differunt, et non per relationes aliquas ; ergo non oportet relationes in Deo ponere, cum ad nihil aliud ponantur nisi ad distinguendas personas.

6. Les choses les plus simples diffrent par elles-mmes. Mais les personnes divines sont extrmement simples. Donc elles diffrent par elles-mmes, et non par des relations[868] ; donc il ne faut pas en placer en Dieu, puisqu'on les placerait pour rien d'autre que de distinguer les personnes.

q. 8 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut relationes sunt proprietates personarum divinarum, ita attributa absoluta sunt proprietates essentiae. Sed attributa absoluta sunt in Deo secundum rationem tantum. Ergo relationes sunt in Deo secundum rationem et non reales.

7. Les relations sont les proprits des personnes divines, de mme les attributs absolus sont les proprits de l'essence. Mais en Dieu ces attributs sont en raison seulement. Donc les relations en Dieu sont en raison et non relles.

q. 8 a. 1 arg. 8 Praeterea, perfectum est cui nihil deest, ut dicitur III Phys. [com. 63 et 64] Sed substantia divina est perfectissima. Ergo nihil quod ad perfectionem pertineat, ei deest. Superfluum est ergo ponere relationes in Deo.

8. Est parfait ce quoi rien ne manque, comme il est dit en Physique (III, 6, 207 a 8 207 a 13[869]). Mais la substance divine est absolument parfaite. Donc rien qui concerne la perfection ne lui manque. Donc il est superflu de poser des relations en Dieu.

q. 8 a. 1 arg. 9 Praeterea, cum Deus sit summum rerum principium et ultimus finis, ea quae oportet in alia priora reduci, in Deo esse non possunt, sed solum ea ad quae alia reducuntur : sicut esse mobile reducitur ad immobile, et per accidens ad per se ; et propter hoc Deus non movetur, nec est in eo aliquod accidens. Sed omne quod dicitur ad aliud, reducitur ad absolutum quod ad se est. Ergo nihil est in Deo ad aliud, sed solum ad se tantum dictum.

9. Comme Dieu est le principe suprme des choses et leur fin ultime, ce qui doit tre ramen d'autres choses antrieures, ne peut pas exister en lui, mais seulement ce quoi les autres choses sont ramenes ; ainsi l'tre mobile est ramen l'immobile et ce qui est par accident au par soi, et cest pour cela que Dieu n'est pas m, et quil n'y a en lui aucun accident. Mais tout ce qu'on appelle relatif est ramen l'absolu qui est pour soi. Donc rien n'est en Dieu qui est relatif mais seulement ce qui est dit pour soi.

q. 8 a. 1 arg. 10 Praeterea, Deum esse per se necesse est. Sed omne quod est per se necesse esse, est absolutum : relativum enim non potest esse sine correlativo. Quod autem est per se necesse esse, etiam alio remoto esse potest. Ergo in Deo non est aliqua relatio realis.

10. Il est ncessaire que Dieu soit par soi. Mais tout ce qui est ncessaire par soi est absolu ; le relatif en effet ne peut pas exister sans corrlatif. Mais ce qui est par soi a ncessit d'tre, mme si l'autre est exclu, il peut exister. Donc en Dieu il n'y a pas de relation relle.

q. 8 a. 1 arg. 11 Praeterea, omnis relatio realis, ut in praecedenti quaestione [art. 9], est habitum, consequitur aliquam quantitatem vel actionem vel passionem. Sed quantitas in Deo non est : dicimus enim Deum sine quantitate magnum, ut Augustinus dici [in libro de Trinitate, libro V, capit. 1]. Numerus etiam in eo non est, ut dicit Boetius, quem relatio consequi posset, etsi ponatur numerus quem relatio facit. Oportet ergo, si est relatio realis in Deo, quod competat Deo secundum aliquam eius actionem. Non autem potest secundum actionem qua creaturas producit, quia in quaestione praecedenti, est habitum quod in Deo non est realis relatio ad creaturam. Nec iterum secundum actionem personalem quae ponitur in divinis, sicut est generare : nam cum generare in divinis non sit nisi suppositi distincti, distinctionem autem sola relatio facit in divinis, oportet praeintelligere relationem tali actioni ; et sic relatio talem actionem consequi non potest. Restat ergo, si aliquam actionem consequatur relatio realiter in Deo existens quod consequatur actionem eius aeternam vel essentialem quae est intelligere et velle. Sed etiam hoc esse non potest : huiusmodi enim actionem consequitur relatio intelligentis ad intellectum, quae in Deo reales non sunt,- alias oporteret quod intelligens et intellectum realiter in divinis distinguerentur,- quod patet esse falsum, quia utrumque de singulis personis praedicatur : non solum enim Pater est intelligens, sed et Filius et Spiritus sanctus ; similiter et quilibet eorum est in intellectu. Nulla ergo relatio realis in Deo esse potest, ut videtur.

11. Toute relation relle, comme on l'a vu dans la prcdente question (qu. 7, a. 9), dcoule de la quantit, de l'action ou de la passion. Mais il n'y a pas de quantit en Dieu ; car nous disons que Dieu est grand sans quantit, comme Augustin le dit (La Trinit, V, 1, 2[870]). Mais il n'y a pas non plus de nombre en lui, comme le dit Boce (La Trinit, V) dont puisse dcouler une relation, mme si on place le nombre que la relation tablit. Il faut donc, si la relation est relle en Dieu, qu'elle lui convienne selon une de ses actions. Mais il ne le peut pas avec l'action par laquelle il produit les cratures, parce que dans la question prcdente (qu. 7, a. 10) on a vu qu'en Dieu il n'y a pas de relation relle avec la crature. Ni nouveau avec une action personnelle place en lui, comme la gnration, car engendrer en Dieu ne venant que d'un suppt distinct, seule la relation apporte en lui la distinction, il faut la concevoir avant une telle action. Et ainsi la relation ne peut pas en dcouler. Donc il reste, si la relation qui existe rellement en Dieu dcoule d'une action, elle dcoulerait de son action ternelle ou essentielle qui est l'intellection et le vouloir. Mais cela non plus n'est pas possible ; car la relation de celui qui pense ce qui est pens, qui en Dieu ne sont pas des relations relles, dcoule d'une action de ce genre autrement il faudrait que celui qui pense et ce qui est pens soient rellement distingus en Dieu ce qui parat faux, parce que lun et lautre sont attribus chaque personne en particulier ; car non seulement la Pre pense mais le Fils et l'Esprit saint pensent aussi ; il en est de mme pour nimporte lequel dentre eux qui est dans l'intellect. Donc aucune relation relle ne peut exister en Dieu, ce qu'il semble.

q. 8 a. 1 arg. 12 Praeterea, ratio naturalis humana potest pervenire ad cognitionem divini intellectus ; probatum est enim demonstrative a philosophis quod Deus est intelligentia. Si ergo actionem intellectus consequantur relationes reales, quae in divinis personas distinguere dicuntur, videtur quod per rationem humanam Trinitas personarum inveniri posset, et sic non esset articulus fidei : nam Fides est sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium Heb ; XI, 1].

12. La raison humaine naturelle peut parvenir la connaissance de l'esprit divin, car il a t prouv dmonstrativement par les philosophes que Dieu est une intelligence. Donc si les relations relles, qui, dit-on distinguent les personnes en Dieu, dcoulent de l'action de l'intellect, il semble que la Trinit des personnes pourrait tre dcouverte par le raison humaine, et ainsi ce ne serait pas un article de foi : Car la foi est la substance de ce quon espre, ralit de ce quon ne voit pas. (H. 11, 1).

q. 8 a. 1 arg. 13 Praeterea, relativa opposita contra alia opposita dividuntur. In Deo autem alia genera oppositionis poni non possunt. Ergo nec relatio.

13. Les opposs relatifs sont spars des autres opposs. Mais en Dieu on ne peut pas placer d'autres genres d'opposition. Donc pas de relation non plus.

 

En sens contraire :

q. 8 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Boetius dicit [in lib. De Trinitate], quod sola relatio multiplicat Trinitatem. Haec autem multiplicatio non est secundum rationem tantum, sed secundum rem, ut patet per Augustinum, qui dicit [lib. 1 De Trin., cap.III], quod Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt tres res. Ergo oportet quod relatio sit in divinis non solum rationis, sed etiam rei.

1. Boce dit (La Trinit, V, 1[871]) que seule la relation multiplie la Trinit. Cette multiplication n'est pas en raison seulement, mais relle, comme on le voit chez Augustin qui dit (La Trinit I, IV, 7) que le Pre, le Fils et l'Esprit saint sont trois ralits (res). Donc il faut que la relation existe en Dieu non seulement en raison, mais en ralit.

q. 8 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nulla res constituitur nisi per rem. Sed relationes in divinis sunt proprietates constituentes personas ; persona autem est nomen rei. Ergo oportet et relationes in divinis res esse.

2. Rien n'est constitu qu'en ralit. Mais les relations en Dieu sont les proprits qui constituent les personnes, or la personne est le nom de la ralit. Donc il faut que les relations soit relles en Dieu.

q. 8 a. 1 s. c. 3 Praeterea, perfectior est generatio in divinis quam in creaturis. Sed ad generationem in creaturis sequitur relatio realis, scilicet patris et filii. Ergo multo fortius in divinis sunt relationes reales.

3. La gnration est plus parfaite en Dieu que dans les cratures. Mais pour la gnration dans les cratures dcoule une relation relle, savoir celle du pre et du fils. Donc plus forte raison les relations sont relles en Dieu.

 

Rponse :

q. 8 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod, sententiam fidei Catholicae sequentes, oportet dicere in divinis relationes reales esse. Ponit enim fides Catholica tres personas in Deo unius essentiae. Numerus autem omnis aliquam distinctionem consequitur : unde oportet quod in Deo sit aliqua distinctio non solum respectu creaturarum, quae a Deo per essentiam differunt, sed etiam respectu alicuius in divina essentia subsistentis.

Ceux qui suivent la doctrine de la foi catholique doivent dire que les relations sont relles en Dieu. Car la foi tablit qu'il y a trois personnes d'une seule essence. Mais tout nombre dcoule d'une distinction : c'est pourquoi il faut qu'il y ait en Dieu une distinction non seulement par rapport aux cratures, qui diffrent de lui par l'essence, mais aussi par rapport ce qui subsiste dans l'essence divine.

Haec autem distinctio non potest esse secundum aliquod absolutum : quia quidquid absolute in divinis praedicatur, Dei essentiam significat ; unde sequeretur quod personae divinae per essentiam distinguerentur, quod est haeresis Arii. Relinquitur ergo quod per sola relativa distinctio in divinis personis attenditur.

Cette distinction ne peut pas tre un absolu : parce que ce qui est attribu Dieu dans labsolu signifie son essence. Aussi il en dcoulerait que les personnes divines seraient distingues par l'essence, ce qui est l'hrsie d'Arius[872]. Donc il reste que la distinction dans les personnes divines est atteinte par les seules relations.

Haec tamen distinctio non potest esse rationis tantum : quia ea quae sunt sola ratione distincta, nihil prohibet de se invicem praedicari, sicut dicimus principium esse finem, quia punctum unum secundum rem est principium et finis, licet ratione differat ; et ita sequeretur quod Pater est Filius et Filius Pater, quia, cum nomina imponantur ad significandum rationes nominum, sequeretur quod personae in divinis non distinguerentur nisi secundum nomina : quod est haeresis Sabelliana.

Cette distinction ne peut pas tre que de raison seulement : car rien nempche que ce qui est distingu en raison seulement ne soit attribu rciproquement soi. Ainsi nous disons que le principe est la fin, parce qu'un seul point est en ralit principe et fin, bien qu'ils diffrent en raison, et ainsi il en dcoulerait que le Pre est le Fils et le Fils est le Pre, parce que, comme les noms sont employs pour signifier leurs natures, il en dcoulerait que les personnes ne seraient distingues que par les noms. Ce qui est l'hrsie de Sabellius[873].

Relinquitur ergo quod oportet dicere, relationes in Deo quasdam res esse : quod qualiter sit, sequendo sanctorum dicta, investigari oportet, licet ad plenum ad hoc ratio pervenire non possit. Sciendum est ergo, quod cum realis relatio intelligi non possit, nisi consequens quantitatem vel actionem seu passionem, oportet quod aliquo istorum modorum ponamus in Deo relationem esse.

Donc il reste qu'il faut dire que les relations en Dieu sont des ralits ; de quelque manire que ce soit, en suivant les paroles des saints, il faut faire des recherches, bien que la raison ne puisse y parvenir parfaitement. Donc il faut savoir que, comme la relation relle ne pourrait tre comprise que si elle dcoulait de la quantit, de l'action ou de la passion, il faut que par l'une de ces manires nous tablissions qu'il y a en Dieu une relation.

In Deo autem quantitas esse non potest, neque continua neque discreta, nec aliquid cum quantitate similitudinem habens, nisi multitudo quam relatio facit, cui oportet relationem praeintelligere, et unitas quae essentiae competit, ad quam relatio consequens non est realis, sed rationis tantum ; sicut relatio quam importat hoc nomen idem, ut supra [art. ult. quaest. praeced.]dictum est.

Or en Dieu la quantit ne peut pas exister, ni continue, ni discrte[874] ni rien qui ressemble la quantit, sinon une pluralit que la relation tablit ; il faut y comprendre cette relation avant, et l'unit qui appartient l'essence, pour laquelle la relation qui en dcoule n'est pas relle, mais de raison seulement ; comme la relation qu'apporte le mot identique, comme on l'a dit ci-dessus (qu. 7, 10, c. 5).

Relinquitur ergo quod oportet in eo ponere relationem actionem consequentem. Actionem dico non quae in aliquod patiens transeat : quia in Deo nihil potest esse patiens, cum non sit ibi materia ; ad id autem quod est extra Deum, non est in Deo realis relatio, ut ostensum est. [quaest. praec., art. 10]

Il reste donc qu'il faut placer en lui une relation qui dcoule de l'action. Je dis action, mais pas celle qui passe dans un patient, car en Dieu rien ne peut tre un patient, puisqu'il n'y a pas de matire, car il n'y a pas de relation relle avec ce qui est hors de lui, comme on l'a montr (qu. 7, a. 10).

Relinquitur ergo quod consequatur relatio realis in Deo actionem manentem in agente : cuiusmodi actiones sunt intelligere et velle in Deo. Sentire enim, cum organo corporeo compleatur, Deo non potest competere, qui est omnino incorporeus. Et propter hoc dicit Dionysius [XI cap de div. Nomin. ] quod in Deo est paternitas perfecta, idest non corporaliter nec materialiter, sed intelligibiliter. Intelligens autem in intelligendo ad quatuor potest habere ordinem : scilicet ad rem quae intelligitur, ad speciem intelligibilem, qua fit intellectus in actu, ad suum intelligere, et ad conceptionem intellectus.

Il reste donc que la relation relle en Dieu dcoule de l'action immanente dans l'agent : les actions de ce genre sont l'intellection et le vouloir en Dieu. En effet, la sensation tant effectue par un organe corporel, ne peut convenir Dieu qui est tout fait incorporel. Et c'est pour cela que Denys (Les noms divins, XI) dit qu'en Dieu la paternit est parfaite, c'est--dire ni corporelle, ni matrielle, mais intellectuelle. Dans lintellection celui qui pense peut avoir rapport quatre choses : savoir a) ce qui est pens, b) l'espce [ou forme] intelligible, qui le constitue en acte, c) son intellection et d) au concept de l'esprit[875].

Quae quidem conceptio a tribus praedictis differt. A re quidem intellecta, quia res intellecta est interdum extra intellectum, conceptio autem intellectus non est nisi in intellectu ; et iterum conceptio intellectus ordinatur ad rem intellectam sicut ad finem : propter hoc enim intellectus conceptionem rei in se format ut rem intellectam cognoscat.Differt autem a specie intelligibili : nam species intelligibilis, qua fit intellectus in actu, consideratur ut principium actionis intellectus, cum omne agens agat secundum quod est in actu ; actu autem fit per aliquam formam, quam oportet esse actionis principium.

Ce dernier concept diffre des trois autres :a) De ce qui est pens, parce quelle est parfois hors de l'intellect, mais la conception de l'intellect n'est qu'en lui, et en plus cette conception est ordonne ce qui est pens, comme sa fin. Car c'est pour la connatre que l'intellect forme en lui la conception de la chose. b) Il diffre aussi de lespce (species) intelligible : car celle-ci, par laquelle l'intellect devient en acte, est considre comme le principe de son action, puisque tout agent agit selon qu'il est en acte, mais il devient en acte par une forme qui doit tre le principe de l'action.

Differt autem ab actione intellectus : quia praedicta conceptio consideratur ut terminus actionis, et quasi quoddam per ipsam constitutum. Intellectus enim sua actione format rei definitionem, vel etiam propositionem affirmativam seu negativam. Haec autem conceptio intellectus in nobis proprie verbum dicitur : hoc enim est quod verbo exteriori significatur : vox enim exterior neque significat ipsum intellectum, neque speciem intelligibilem, neque actum intellectus, sed intellectus conceptionem qua mediante refertur ad rem.

c) Il diffre de laction de lintellect, parce que cette conception en est considre comme le terme, et comme quelque chose de constitu par elle. Car l'intellect, par son action, forme la dfinition ou aussi la proposition affirmative ou ngative. Cette conception de l'esprit en nous est proprement appele verbe. Car c'est lui qui est signifi par le verbe extrieur, car la voix extrieure ne signifie pas le concept mme, ni l'espce intelligible, ni l'acte de l'intellect, mais sa conception par l'intermdiaire de laquelle elle a rapport la ralit.

Huiusmodi ergo conceptio, sive verbum, qua intellectus noster intelligit rem aliam a se, ab alio exoritur, et aliud repraesentat. Oritur quidem ab intellectu per suum actum ; est vero similitudo rei intellectae. Cum vero intellectus seipsum intelligit, verbum praedictum, sive conceptio, eiusdem est propago et similitudo, scilicet intellectus seipsum intelligentis. Et hoc ideo contingit, quia effectus similatur causae secundum suam formam : forma autem intellectus est res intellecta. Et ideo verbum quod oritur ab intellectu, est similitudo rei intellectae, sive sit idem quod intellectus, sive aliud.

Donc un tel concept, ou verbe, par lequel notre intellect comprend ce qui est autre que lui, vient d'un autre et reprsente un autre. Il prend naissance de l'intellect par son acte, il est limage de ce qui est pens. Mais quand l'intellect se pense lui-mme, ce verbe dont on parle, ou son concept est son rejeton et son image, celle de l'esprit qui se pense lui-mme. Et cela arrive, parce que l'effet ressemble sa cause quant la forme ; mais la forme de l'intellect est ce qui est pens. Et c'est pourquoi le verbe qui prend naissance de l'intellect est limage de ce qui est pens, quil soit identique l'esprit ou autre[876].

Huiusmodi autem verbum nostri intellectus, est quidem extrinsecum ab esse ipsius intellectus (non enim est de essentia, sed est quasi passio ipsius), non tamen est extrinsecum ab ipso intelligere intellectus, cum ipsum intelligere compleri non possit sine verbo praedicto.

Un tel verbe de notre intellect est extrieur l'tre de l'intellect lui-mme (car il ne vient pas de l'essence, mais est pour ainsi dire sa passion), son intellection n'est cependant pas extrieure lui, puisquelle ne peut pas tre complte sans ce verbe.

Si ergo aliquis intellectus sit cuius intelligere sit suum esse, oportebit quod illud verbum non sit extrinsecum ab esse ipsius intellectus, sicut nec ab intelligere. Huiusmodi autem est intellectus divinus : in Deo enim idem est esse et intelligere. Oportet ergo quod eius verbum non sit extra essentiam eius, sed ei coessentiale.

Si donc il y a un intellect dont l'intellection soit son tre propre, il faudra que ce verbe ne soit pas hors de lՐtre de lintellect, ni non plus de son intellection. Mais l'esprit divin est tel. Car en Dieu lՐtre et lintellection sont identiques. Il faut donc que son verbe ne soit pas hors de son essence, mais lui soit coessentiel.

Sic ergo in Deo potest inveniri origo alicuius ex aliquo, scilicet verbi et proferentis verbum, unitate essentiae servata. Ubicumque enim est origo alicuius ab aliquo, ibi oportet ponere realem relationem vel tantum ex parte eius quod oritur, quando non accipit eamdem naturam quam habet suum principium, sicut patet in exortu creaturae a Deo ; vel ex parte utriusque, quando scilicet oriens attingit ad naturam sui principii, sicut patet in hominum generatione, ubi relatio realis est et in patre et in filio. Verbum autem in divinis est coessentiale suo principio, ut ostensum est. Relinquitur ergo quod in divinis sit realis relatio et ex parte verbi et ex parte proferentis verbum.

Ainsi donc en Dieu on peut trouver l'origine de l'un partir de l'autre, savoir celle du Verbe profr, tout en conservant l'unit de l'essence. Car partout o il y a origine d'une chose partir d'un autre, il faut placer une relation relle surtout du ct de ce dont elle est issue, quand elle ne reoit pas la mme nature qua son principe, comme cela apparat dans la sortie de la crature de Dieu, ou du ct de l'un et l'autre, quand par exemple ce qui en est issu atteint la nature de son principe, comme cela apparat dans la gnration de l'homme o la relation est relle dans le pre et le fils. Mais le Verbe en Dieu est coessentiel son principe, comme on l'a montr. Il reste donc qu'en Dieu il y a une relation relle, du ct du Verbe et de celui qui le profre

 

Solutions :

q. 8 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in divinis personis re quidem essentiali est unitas ; distinctio vero ratione, id est relatione, quae non differt ab essentia re, sed sola ratione, ut infra patebit.

 1. Dans les personnes divines l'unit est de lessence, et la distinction est de raison, c'est--dire par une relation qui ne diffre pas rellement de lessence, mais seulement en raison, comme cela apparatra plus bas.

q. 8 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relatio quae est in divinis personis habet quidem similitudinem cum relatione identitatis, si unitas essentiae consideretur ; sed si consideretur origo unius ab alio in eadem natura, ex hoc relationes praedictas oportet esse reales.

 2. La relation, dans les personnes divines, ressemble la relation d'identit, si on considre l'unit de l'essence, mais si on considre l'origine de l'un partir de l'autre dans une mme nature, alors il faut que ces relations soient relles.

q. 8 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut Deus non mutatur in productione suae creaturae, ita non mutatur in productione sui verbi : sed tamen creatura non attingit ad essentiam et naturam divinam ; unde essentia divina non communicatur creaturae. Et propter hoc relatio Dei ad creaturam non fit propter aliquid quod sit in Deo, sed solum secundum id quod fit ex parte creaturae. Sed verbum producitur ut coessentiale ipsi Deo ; et ideo secundum id quod in Deo est, refertur Deus ad suum verbum, non solum secundum id quod ex parte verbi est. Tunc enim est relatio realis ex parte unius et non ex parte alterius, quando relatio consequitur per id quod est ex uno, et non per id quod ex alio, sicut patet in scibili et scientia : huiusmodi enim relationes causantur per actum scientis, non per aliquid scibile.

 3. Dieu ne subit pas de changement dans la production de sa crature, de mme il nen subit pas non plus dans le production de son Verbe, mais cependant la crature narrive pas l'essence et la nature divine ; c'est pourquoi l'essence divine n'est pas communique la crature. Et cause de celala relation de Dieu la crature ne se fait pas cause de quelque chose qui serait en Dieu, mais seulement selon ce qui se fait du ct de la crature. Mais le Verbe est produit comme coessentiel Dieu mme ; et c'est pourquoi Dieu, selon ce qui est en lui, est en relation avec son Verbe, et pas seulement selon ce qui est du ct du verbe. Car alors c'est une relation relle du ct de l'un et non du ct de l'autre, quand la relation dcoule de ce qui vient de l'un et non de ce qui vient de l'autre, comme on le voit pour le connaissable et la connaissance, car les relations de ce genre sont causes par l'acte de celui qui connat, non par quelque chose de connaissable.

q. 8 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relatio habet esse debilissimum quod est eius tantum ; sic tamen non est in Deo : non enim habet aliud esse quam esse substantiae, ut infra [art. sequent.] patebit ; unde ratio non sequitur.

 4. La relation possde un tre trs faible, parce qu'elle ne vient que d'elle seulement, cependant il nen est pas ainsi en Dieu, car elle n'a pas d'autre tre que celui de la substance, comme on le verra plus loin (8, 2) ; c'est pourquoi celle raison ne vaut pas.

q. 8 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio illa procedit de relatione reali, quae habet aliud esse ab esse substantiae cui inest ; sic autem non est in proposito, ut infra [art. 4] patebit.

 5. Cette raison procde de la relation relle, qui a un tre diffrent de celui de la substance en qui elle est ; mais ainsi elle ne concerne pas notre propos, comme on le verra plus loin.

q. 8 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum personae divinae relationibus distinguantur, non alio differunt quam seipsis, quia relationes sunt ipsae personae subsistentes, ut infra, patebit.

 6. Comme les personnes divines sont distingues par des relations, elles ne diffrent de l'autre que par elles-mmes, parce que les relations sont les personnes subsistantes elles-mmes, comme cela apparatra plus bas (article 4).

q. 8 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod attributa essentialia quae sunt proprietates essentiae, sunt in Deo realiter, et non secundum rationem. Bonitas enim Dei est res quaedam, et similiter eius sapientia, et ita de aliis, licet ab essentia non differant nisi ratione ; sic etiam est de relationibus, ut infra patebit.

 7. Les attributs essentiels, qui sont les proprit de l'essence sont en Dieu rellement et non en raison. Car la bont de Dieu est une ralit et sa sagesse aussi, de mme pour les autres attributs, bien qu'ils ne diffrent de l'essence qu'en raison et il en est ainsi des relations, comme cela paratra plus loin.

q. 8 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod substantia Dei esset imperfecta si aliquid ei inesset quod non esset ipsa. Relatio autem in Deo est substantia eius, ut infra patebit ; unde ratio non sequitur.

 8. La substance de Dieu serait imparfaite, s'il y avait quelque chose en lui qui ne soit pas sa substance. Or la relation en Dieu est sa substance, comme on le verra plus loin, c'est pourquoi cette raison ne convient pas.

q. 8 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod mobile et accidens reducuntur ad aliquid prius sicut imperfectum ad perfectum. Nam accidens imperfectum est, et similiter motus est imperfecti actus. Sed hoc quod dicitur ad aliud, quandoque sequitur perfectionem rei, sicut patet in intellectu : nam consequitur eius operationem quae est eius perfectio ; et ideo perfectio divina non prohibet relationem in Deo ponere sicut prohibet ibi ponere motum et accidens.

 9. Le mobile et l'accident sont ramens ce qui est avant comme l'imparfait au parfait. Car l'accident est imparfait, et semblablement le mouvement est d'un acte imparfait. Mais ce qui est appel relation, quelquefois dcoule de la perfection, comme on le voit dans l'intellect ; car il poursuit son opration qui est sa perfection, et c'est pourquoi la perfection divine n'empche pas de poser une relation en Dieu, comme elle empche d'y poser le mouvement et l'accident.

q. 8 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod id quod necesse est per se esse, non refertur ad aliquid quod sit extraneum ab ipso : nihil tamen prohibet quin referatur ad aliquid intra ipsum. Unde cum non dicatur esse necesse per aliud, dicitur esse necesse per se ipsum.

 10. Ce qui est ncessairement tre par soi na de rapport quelque chose d'extrieur lui ; cependant rien n'empche qu'il ait rapport quelque chose en lui. C'est pourquoi, comme on ne dit pas qu'il est ncessaire par un autre, on dit qu'il est ncessaire par soi.

q. 8 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod relatio realis in Deo consequitur actionem intellectus, non quidem ita quod relatio realis intelligatur intelligentis ad intellectum, sed ad verbum : quia intellectum non oritur ab intelligente, sed verbum.

 11. La relation relle en Dieu dcoule de l'action de l'intellect, non de sorte quon comprenne la relation relle de celui qui pense la pense, mais au verbe ; parce que la pense ne prend pas son origine dans celui qui pense, mais c'est le verbe.

q. 8 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet ratio naturalis possit pervenire ad ostendendum quod Deus sit intellectus, modum tamen intelligendi non potest invenire sufficienter. Sicut enim de Deo scire possumus quod est, sed non quid est ; ita de Deo scire possumus quod intelligit, sed non quo modo intelligit. Habere autem conceptionem verbi in intelligendo, pertinet ad modum intelligendi : unde ratio haec sufficienter probare non potest ; sed ex eo quod est in nobis aliqualiter per simile coniecturare.

 12. Bien que la raison naturelle puisse parvenir montrer que Dieu est un intellect, cependant on ne peut pas arriver le comprendre suffisamment. En effet, de mme que nous pouvons savoir que Dieu existe, mais non ce qu'il est, de mme nous pouvons savoir qu'il pense mais non de quelle manire il le fait. Avoir la conception du verbe en pensant convient au mode de penser, c'est pourquoi cette raison ne peut pas prouver suffisamment, mais elle peut le conjecturer en nous en quelque manire par ce qui lui ressemble.

q. 8 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in aliis oppositionibus semper alterum est ut imperfectum, vel non ens vel ut habens aliquid de non ente : negatio enim est non ens, et privatio est quaedam negatio, et duorum contrariorum alterum semper habet aliquid privationis ; unde aliae oppositiones in Deo esse non possunt sicut oppositio relationis, quae ex neutra parte importat imperfectionem.

 13. Dans les autres oppositions, toujours l'un est comme imparfait ou comme non tant ou comme ayant quelque chose du non tant : car la ngation n'est pas le non tant, et la privation est une certaine ngation et l'un des deux contraires a toujours quelque chose d'une privation : c'est pourquoi les autres oppositions en Dieu ne peuvent pas exister comme une opposition de relation, qui n'apporte d'imperfection ni d'un ct ni de l'autre.

 

 

 

Article 2 La relation en Dieu est-elle sa substance ?

q. 8 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum relatio in Deo sit eius substantia. Et videtur quod non.

 Il semble que non[877] :

 

Objections :

q. 8 a. 2Arg. 1 Nulla enim substantia est relatio : haec est quaedam propositio immediata, sicut et haec : Nulla substantia est quantitas. Ergo nec divina substantia est relatio.

1. Car aucune substance n'est une relation : proposition vidente, de mme que celle-ci : Aucune substance n'est une quantit[878]. Donc la substance divine n'est pas une relation.

q. 8 a. 2Arg. 2 Sed dicendum, quod divina substantia est relatio secundum rem, non tamen secundum rationem.- Sed contra, ratio cui nihil respondet in re, est cassa et vana. Sed nihil vane in Deo debet poni. Ergo non potest esse quod relatio differat ab essentia ratione existente.

2. Mais il faut dire que la substance divine est une relation en ralit, mais non en raison En sens contraire, le concept quoi rien ne correspond en ralit est vide et vain. Mais on ne doit rien placer de vain en Dieu. Donc il n'est pas possible que la relation diffre de l'essence si elle existe en raison.

q. 8 a. 2Arg. 3 Praeterea, personae divinae distinguuntur relationibus, sola enim relatio multiplicat Trinitatem, ut dicit Botius [in libro de Trinitate]. Si ergo personae divinae secundum substantiam non distinguuntur,- relatio autem nihil addit supra substantiam secundum rem, sed solum secundum rationem,- sequetur quod personae divinae distinguantur solum secundum rationem, quod est haeresis Sabellianae.

3. Les personnes divines se distinguent par les relations, car seule la relation multiplie la Trinit, comme le dit Boce (La Trinit VI[879]). Si donc les personnes divines ne se distinguent pas par la substance la relation n'ajoute rien la substance en ralit, mais seulement en raison il en dcoule que les personnes divines se distinguent seulement en raison, ce qui est l'hrsie de Sabellius[880].

q. 8 a. 2Arg. 4 Praeterea, personae divinae non distinguuntur secundum aliquid absolutum, quia sequeretur quod distinguerentur secundum essentiam, ex hoc quod ea quae de Deo dicuntur absolute significant eius essentiam, ut bonitas, sapientia, et huiusmodi. Si ergo relationes sunt idem quod divina substantia, oportebit quod vel personae non distinguantur secundum relationes, vel quod distinctio personarum sit secundum essentiam.

4. Les personnes divines ne se distinguent pas dans labsolu, parce qu'il en dcoulerait qu'elles se distingueraient selon l'essence, du fait que ce qui est dit dans l'absolu de Dieu signifie son essence, comme la bont, la sagesse[881], etc.. Donc si les relations sont identiques la substance divine, il faudra que, ou bien les personnes ne se distinguent pas par les relations ou bien que la distinction des personnes vienne de l'essence.

q. 8 a. 2Arg. 5 Praeterea, si relatio est ipsa substantia Dei, sequeretur quod sicut Deus et sua magnitudo pertinet ad praedicamentum substantiae in divinis,- ex hoc quod Deus est sua magnitudo - ita pari ratione paternitas pertinebit ad praedicamentum substantiae ; et sic omne quod de Deo dicitur, dicetur secundum substantiam ; quod est contra Augustinum qui dicit, quod non omne quod de Deo dicitur [in V libro De trin., cap. IV et V], dicitur secundum suam substantiam : dicitur enim Deus ad aliquid, sicut Pater ad Filium.

5. Si la relation est la substance mme de Dieu, il en dcoulera que, de mme que Dieu et sa grandeur conviennent la catgorie de la substance du fait qu'il est sa propre grandeur de mme, raison gale, la paternit conviendra la catgorie de la substance et ainsi tout ce qu'on dit de Dieu, sera dit de la substance ; ce qui est contre Augustin (La Trinit V, 4 et 5) qui dit que ce n'est pas tout ce qu'on dit de Dieu qui est appel sa substance ; car on parle de Dieu comme relation, en tant que Pre vis--vis du Fils.

q. 8 a. 2Arg. 6 Praeterea, quidquid praedicatur de praedicato, praedicatur de subiecto. Sed si relatio est ipsa essentia divina, haec praedicatio erit vera : Essentia divina est paternitas ; et pari ratione ista : Filiatio est divina essentia. Ergo sequetur quod filiatio est paternitas.

6. Tout ce qui est attribu un prdicat, est attribu au sujet. Mais si la relation est l'essence divine elle-mme, l'attribution suivante est vraie : L'essence divine est la paternit ; et raison gale : La filiation est l'essence divine. Donc il en dcoulera que la filiation est la paternit.

q. 8 a. 2Arg. 7 Praeterea, quaecumque sunt idem, ita se habent, quod quidquid praedicatur de uno, praedicetur de alio, quia, secundum philosophum [I Top.] quantamcumque differentiam assignaverimus, ostendentes erimus quod non idem. Sed de essentia divina praedicatur quod sit sapiens, quod creet mundum, et huiusmodi ; quae non videntur praedicari posse de paternitate vel filiatione. Ergo relatio in divinis non est essentia divina.

7. Tout ce qui est identique se comporte de sorte que tout ce qui est attribu l'un, est attribu l'autre, parce que, selon le philosophe (Topiques, I, 18, 108 b 2[882]) si petite que soit la diffrence que nous aurons attribue, nous aurons montr que ce n'est pas la mme chose. Mais on attribue l'essence divine la sagesse, la cration du monde, etc. ; ces deux notions qui ne semblent pas pouvoir tre attribues la paternit et ni la filiation. Donc la relation en Dieu n'est pas l'essence divine.

q. 8 a. 2Arg. 8 Praeterea, id quod facit distinctionem in divinis personis, non est idem cum eo quod non distinguit nec distinguitur. Sed relatio in divinis distinguit ; essentia autem non distinguit neque distinguitur. Ergo non sunt idem.

8. Ce qui apporte une distinction dans les personnes divines n'est pas identique ce qui n'a apport ni subit de distinction. Mais la relation a apport une distinction en Dieu ; et l'essence n'apporte ni ne subit de distinction. Donc elles ne sont pas identiques.

q. 8 a. 2Arg. 9 Praeterea, idem per suam essentiam non potest esse principium contrariorum, nisi per accidens. Sed distinctio, cuius est principium relatio in divinis, opponitur unitati, cuius est principium essentia. Ergo relatio et essentia non sunt idem.

9. Ce qui est identique par essence ne peut tre le principe des contraires que par accident. Mais la distinction, dont la relation en Dieu est le principe, s'oppose l'unit, dont le principe est l'essence. Donc la relation et l'essence ne sont pas identiques.

q. 8 a. 2Arg. 10 Praeterea, eorum quae sunt idem, in quocumque est unum et aliud. Si ergo essentia divina et paternitas est idem, in quocumque est essentia divina, erit et paternitas. Sed essentia divina est in filio. Ergo et paternitas ; quod patet esse falsum.

10. Parmi chacune de ces choses qui sont identiques, il y en a une et une autre. Donc si l'essence divine et la paternit sont identiques, partout o il y a l'essence divine, il y aura la paternit aussi. Mais l'essence divine est dans le Fils. Donc la paternit sera aussi en lui, ce qui parat faux.

q. 8 a. 2Arg. 11 Praeterea, relatio et essentia differunt saltem ratione in divinis. Sed ubi est diversa ratio, sive definitio, est diversorum esse : quia definitio est oratio indicans quid est esse. Ergo aliud erit esse relationis in divinis, et aliud substantiae. Ergo relatio et substantia differunt secundum esse, et ita realiter.

11. La relation et l'essence diffrent au moins en raison en Dieu. Mais l o il y a une nature (ratio) ou une dfinition diffrentes, cela vient d'tres diffrents, parce que la dfinition est une proposition qui indique ce qu'est l'tre. Donc l'tre de la relation en Dieu sera diffrent de celui de la substance. Donc la relation et la substance diffrent selon l'tre et donc rellement.

q. 8 a. 2Arg. 12 Praeterea, ad aliquid dicuntur quorum esse est ad aliud se habere, ut dicitur in Praedicamentis [in praed. ad aliquid ] Esse ergo relationis est in respectu ad aliud, non autem esse substantiae. Ergo relatio et substantia non sunt idem secundum esse ; et sic idem quod prius.

12. On appelle relation ce dont l'tre a rapport avec autre chose, comme on le dit dans Les Catgories, (les relations 7, 6 a 36[883]). Donc l'tre de la relation est en rapport autre chose, mais pas l'tre de la substance. Donc la relation et la substance ne sont pas identiques selon l'tre et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 8 a. 2Arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit [lib. V de Trinitate cap. V, cap IV et V] quod aliquid dicitur in Deo non substantive sed relative. Quod autem substantiam divinam significat, dicitur substantialiter. Ergo relatio in divinis non significat substantiam divinam ; et sic idem quod prius.

13. Augustin dclare (la Trinit, V, 4, 5 et 6[884]) qu'on dit quil y a quelque chose en Dieu qui nest pas substance mais relation. On parle substantiellement de ce que la substance divine signifie. Donc la relation ne signifie pas la substance, et ainsi de mme que plus haut.

q. 8 a. 2Arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit [lib. VII de Trin., cap. VI], quod Deus non eo Deus est quo pater est. Sed essentia divina est Deus ; paternitate autem est Pater. Ergo essentia non est paternitas ; et sic relationes in Deo non sunt divina substantia.

14. Augustin dit (La Trinit, VII, 6) que Dieu n'est pas tant Dieu que Pre. Mais l'essence divine est Dieu, et par la paternit il est Pre. Donc l'essence n'est pas la paternit, et ainsi les relations en Dieu ne sont pas la substance divine.

 

En sens contraire :

q. 8 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Quidquid est in Deo, Deus est, ut Augustinus dicit. Sed relatio est in Deo, sicut paternitas in patre. Ergo relatio est ipse Deus, et divina substantia.

1. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, comme Augustin le dit (La Trinit V, 5 et sq.). Mais la relation est en Dieu, comme la paternit dans le Pre. Donc la relation est Dieu lui-mme, et la substance divine.

q. 8 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne suppositum in quo sunt diversae res, est compositum. Sed in persona Patris est paternitas et essentia. Si igitur paternitas et essentia divina sunt duae res, sequeretur quod persona Patris sit composita ; quod patet esse falsum. Oportet ergo quod relatio in divinis sit ipsa substantia.

2. Tout suppt en qui il y a diverses parties est compos. Mais dans la personne du Pre, il y a la paternit et l'essence. Si donc la paternit et l'essence divine sont deux ralits, il en dcoulera que la personne du Pre est compose ; il est clair que cest faux. Il faut donc que la relation en Dieu soit sa propre substance.

 

Rponse :

q. 8 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod, supposito quod relationes in divinis sint, de necessitate oportet dicere quod sint essentia divina : alias oporteret ponere compositionem in Deo, et quod relationes in divinis essent accidentia, quia omnis res inhaerens alicui praeter suam substantiam est accidens. Oporteret etiam quod aliqua res esset aeterna, quae non erit substantia divina ; quae omnia sunt haeretica.

Si on suppose quil y a des relations en Dieu, il faut ncessairement dire qu'elles sont l'essence divine, autrement il faudrait placer une composition en Dieu et les relations seraient des accidents, parce que tout ce qui est inhrent quelque chose au-del de sa substance est un accident. Il faudrait aussi qu'une chose qui ne serait pas la substance divine, soit ternelle, toutes opinions qui sont hrtiques.

Ad huius ergo evidentiam sciendum est, quod inter novem genera quae continentur sub accidente, quaedam significantur secundum rationem accidentis : ratio enim accidentis est inesse ; et ideo illa dico significari per modum accidentis quae significantur ut inhaerentia alteri, sicut quantitas et qualitas ; quantitas enim significatur ut alicuius in quo est, et similiter qualitas. Ad aliquid vero non significatur secundum rationem accidentis : non enim significatur ut aliquid eius in quo est, sed ut ad id quod extra est. Et propter hoc etiam dicit philosophu [V Metaph., com. 20], quod scientia, in quantum est relatio, non est scientis, sed scibilis.

Donc pour claircir cette question, il faut savoir que parmi les neuf genres qui sont contenus sous l'accident, certains sont signifis en tant que tel ; car la nature de l'accident est d'tre inhrent et c'est pourquoi je dis qu'est signifi la manire de l'accident ce qui est signifi comme inhrent autre chose, comme la quantit et la qualit, car la quantit est signifie comme de ce en quoi elle est, et de mme la qualit. Mais la relation n'est pas signifie comme ayant nature d'accident, car on ne la dfinit pas comme quelque chose de ce en quoi elle est, mais comme dirige vers ce qui est l'extrieur. Et c'est pour cela aussi que le Philosophe dit (Mtaphysique, V, 15, 1021 a 25[885]) que la connaissance, en tant que relation, ne vient pas de celui qui connat mais du connaissable[886].

Unde quidam attendentes modum significandi in relativis, dixerunt, ea non esse inhaerentia substantiis, scilicet quasi eis assistentia : quia significantur ad quoddam medium inter substantiam quae refertur, et id ad quod refertur. Et ex Et ex hoc sequebatur quod in rebus creatis relationes non sunt accidentia, quia accidentis esse est inesse. hoc sequebatur quod in rebus creatis

C'est pourquoi certains attentifs la manire dont on s'exprime dans les relatifs, ont dit qu'ils ne sont pas inhrents aux substances, c'est--dire comme une assistance pour elles, parce qu'ils sont signifis pour quelque chose d'intermdiaire entre la substance qui est rfre et ce quoi elle est rfre. Et de l il dcoulait que dans les cratures, les relations ne sont pas des accidents, parce que le propre de l'accident est d'tre inhrent. Cela en dcoulait dans les cratures.

Unde etiam quidam theologi, scilicet Porretani, huiusmodi opinionem usque ad divinam relationem extenderunt, dicentes, relationes non esse in personis, sed eis quasi assistere. Et quia essentia divina est in personis, sequebatur quod relationes non sunt essentia divina ; et quia omne accidens inhaeret, sequebatur quod non essent accidentia. Et secundum hoc solvebant verbum Augustini inductum, quod scilicet relationes non praedicantur de Deo secundum substantiam, nec secundum accidens. Sed ad hanc opinionem sequitur quod relatio non sit res aliqua, sed solum secundum rationem : omnis enim res vel est substantia vel accidens.

C'est pourquoi aussi, des thologiens, savoir les Porrtains, ont tendu une telle opinion la relations en Dieu, disant qu'elle n'tait pas dans les personnes, mais c'est comme si elles les assistaient[887]. Et parce que l'essence divine est dans les personnes, il en dcoulait que les relations ne sont pas l'essence divine, et parce que tout accident est inhrent, il en dcoulait qu'elles n'taient pas des accidents. Et ils rejetaient ainsi la parole cite d'Augustin, disant que les relations ne sont pas attribues Dieu selon la substance, ni selon l'accident. Mais il dcoule de cette opinion que la relation n'est pas une ralit, mais elle est seulement de raison, car tout est substance ou accident.

Unde etiam quidam antiqui[888] posuerunt relationes esse de secundis intellectis, ut Commentator dicit XI Metaph. [com. 19]. Et ideo oportet hoc etiam Porretanos dicere, quod relationes divinae non sunt nisi secundum rationem. Et sic sequetur quod distinctio personarum non erit realis ; quod est haereticum.

C'est pourquoi certains anciens ont pens que les relations venaient des intellections secondes, comme le dit le Commentateur (Mtaphysique, XI, com. 19). Et c'est pourquoi les Porrtains sont obligs de dire que les relations divines n'existent qu'en raison. Et ainsi il en dcoulera que la distinction des personnes ne sera pas relle, ce qui est hrtique.

Unde dicendum est, quod nihil prohibet aliquid esse inhaerens, quod tamen non significatur ut inhaerens, sicut etiam actio non significatur ut in agente, sed ut ab agente, et tamen constat actionem esse in agente. Et similiter, licet ad aliquid non significetur ut inhaerens, tamen oportet ut sit inhaerens. Et hoc quando relatio est res aliqua ; quando vero est secundum rationem tantum, tunc non est inhaerens. Et sicut in rebus creatis oportet quod sit accidens, ita oportet quod sit in Deo substantia, quia quidquid est in Deo, est eius substantia. Oportet ergo relationes secundum rem, esse divinam substantiam ; quae tamen non habent modum substantiae, sed habent alium modum praedicandi ab his quae substantialiter praedicantur in Deo.

C'est pour cela qu'il faut dire que rien n'empche quelque chose d'tre inhrent, qui n'est pas cependant signifi en tant que tel, ainsi l'action n'est pas signifie comme tant dans l'agent, mais comme venant de lui et cependant il est clair quelle est en lui. Et de mme, bien que la relation ne soient pas signifie comme inhrente, il faut cependant qu'elle le soit. Et cela quand la relation est relle, mais quand elle est de raison seulement, alors elle n'est pas inhrente. Et de mme que dans les cratures, il faut qu'elle soit un accident, de mme il faut qu'elle soit en Dieu la substance, parce que tout ce qui est en Dieu est sa substance. Donc il faut que les relations relles soient la substance divine ; elles n'ont pas cependant le mode de la substance, mais un autre mode d'attribution que ce qui attribu substantiellement Dieu

 

Solutions :

q. 8 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nulla substantia quae est in genere, potest esse relatio, quia est definita ad unum genus ; et per consequens excluditur ab alio genere. Sed essentia divina non est in genere substantiae, sed est supra omne genus, comprehendens in se omnium generum perfectiones. Unde nihil prohibet id quod est relationis, in ea inveniri.

 1. Aucune substance, qui est dans un genre, ne peut tre relation, parce qu'elle est limite un seul genre, par consquent elle est exclue d'un autre. Mais l'essence divine n'est pas dans le genre de la substance, mais est au-dessus de tout genre, comprenant en soi les perfections de tous les genres. C'est pourquoi rien n'empche qu'on trouve en elle ce qui est une relation.

q. 8 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod alia est ratio substantiae et relationis, et utrique respondet aliquid in re, quae Deus est ; non tamen aliqua res diversa, sed una et eadem. Et hoc praecipue convenit quod duabus rationibus respondet una res, quando natura perfecte comprehendit ipsam rem ; et sic est in proposito.

 2. La nature de la substance est autre que celle de la relation, et chacune correspond quelque chose dans la ralit, qui est Dieu. Cependant ce n'est pas une chose diffrente, mais une seule et mme ralit. Et surtout il convient qu'une seule ralit corresponde aux deux natures, quand la nature exprime parfaitement la ralit mme ; et ainsi cela concerne notre sujet.

q. 8 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet relatio non addat supra essentiam aliquam rem, sed solum rationem, tamen relatio est aliqua res, sicut etiam bonitas est aliqua res in Deo, licet non differat ab essentia nisi ratione ; et similiter est de sapientia. Et ideo sicut ea quae pertinent ad bonitatem vel sapientiam, realiter Deo conveniunt, ut intelligere et alia huiusmodi, ita etiam id quod est proprium realis relationis, scilicet opponi et distingui, realiter in divinis invenitur.

 3. Bien que la relation n'ajoute rien l'essence, sinon seulement un rapport (ratio), elle est appelle relle, comme la bont aussi est une ralit en Dieu, bien qu'elle ne diffre de l'essence qu'en raison ; et il en est de mme de la sagesse. Et ainsi de mme que ce qui concerne la bont et la sagesse convient rellement Dieu, comme l'intellection, etc. ; de mme aussi ce qui est le propre de la relation relle, savoir l'opposition et la distinction, se trouvent rellement en Dieu.

q. 8 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod attributa essentialia non solum significant id quod est essentia divina, sed etiam significant per talem modum, quia significant aliquid ut in Deo existens ; et propter hoc differentia, quae esset secundum absoluta, redundaret in diversitatem essentiae. Relationes autem divinae, licet significent id quod est divina essentia, non tamen per modum essentiae, quia non per modum inexistentis, sed per modum se habentis ad aliud. Unde distinctio quae attenditur secundum relationes in divina, non designat distinctionem in essentia, sed solum in hoc quod est ad aliud se habere per modum originis, ut supra expositum est.

 4. Les attributs essentiels signifient non seulement ce qu'est l'essence divine, mais ils la signifient aussi dune certaine manire, parce qu'ils signifient quelque chose comme existant en Dieu et cause de cela une diffrence selon l'absolu, apporterait quelque chose en trop dans la diversit de l'essence. Mais bien que les relations en Dieu signifient ce qu'est son essence, ce n'est pas cependant la manire de l'essence, parce que ce n'est pas par la manire de ce qui n'existe pas mais celle de ce qui a rapport autre chose. C'est pourquoi la distinction qui est atteinte selon les relations en Dieu, ne dsigne pas une distinction dans l'essence, mais seulement dans ce qui se comportent dans ce qui est par un autre comme relation par mode d'origine, comme on l'a expos ci-dessus.

q. 8 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet relatio sit substantia divina, non tamen significat per modum substantiae, ut supra expositum est ; et ideo non dicitur secundum substantiam, quia dici secundum substantiam pertinet ad modum significandi.

 5. Bien que la relation soit la substance divine, elle n'a cependant pas de signification la manire de la substance, comme on l'a expos ci-dessus et ainsi on n'en parle pas selon la substance, parce qu'en parler ainsi convient la manire de la signifier.

q. 8 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa tenet in praedicabilibus per se. Per se autem praedicatur aliquid de aliquo, quod praedicatur de eo secundum propriam rationem ; quod vero non secundum propriam rationem praedicatur, sed propter rei identitatem, non etiam praedicatur per se. Cum ergo dicitur : essentia divina est paternitas, non praedicatur paternitas de essentia divina propter identitatem rationis, sed propter identitatem rei ; et similiter nec essentia de paternitate, ut iam dictum est, quia alia est ratio essentiae et relationis. Et ideo in praedicto processu incidit fallacia accidentis : licet enim in Deo nullum sit accidens, est tamen quaedam similitudo accidentis, in quantum ea quae de se invicem praedicantur secundum accidens et differunt ratione, sunt unum subiecto.

 6. Cette raison tient aux prdicables par soi[889]. Mais quelque chose est attribu par soi quelque chose qui lui est attribu selon sa nature propre. Mais ce qui est attribu non pas selon sa nature propre mais cause de son identit[890] n'est pas attribu par soi. Donc quand on dit que la paternit est l'essence divine, on n'attribue pas la paternit l'essence divine cause d'une identit de raison, mais d'une identit relle. Et de la mme manire on n'attribue pas l'essence la paternit, comme on l'a dj dit, parce que la nature de l'essence est autre que celle de la relation. Et c'est pourquoi dans le dveloppement dj signal[891] on en arrive une erreur propos de l'accident ; car bien qu'en Dieu il n'y ait nul accident, il y a cependant quelque chose qui y ressemble, dans la mesure o ce qui est attribu soi rciproquement selon l'accident et qui diffre en raison, est un dans le substrat.

q. 8 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut philosophus dicit in III Phys. [com. 21], non oportet quod omnia eadem praedicentur quolibet modo de eisdem, sed solum de eisdem secundum rationem. Essentia autem divina et paternitas, etsi sint idem re, non sunt idem ratione ; et ideo non oportet quod quidquid praedicatur de aliquo uno, praedicetur de alio. Sciendum tamen, quod quaedam sunt quae consequuntur proprias rationes essentiae et relationis : sicut quod esse commune sequitur ad essentiam, distinguere sequitur ad relationem. Unde unum horum ab alio removetur, neque enim essentia distinguit, neque relatio est communis. Quaedam vero non quantum ad principale significatum, sed quantum ad modum significandi, habent aliquam differentiam a ratione essentiae vel relationis ; et ista praedicantur quidem de essentia vel relatione, licet non proprie ; et huiusmodi sunt adiectiva, et verba substantialia, ut bonus, sapiens, intelligere, et velle : huiusmodi enim quantum ad rem significatam, significant ipsam essentiam ; sed tamen significant eam per modum suppositi, et non in abstracto. Et ideo propriissime dicuntur de personis, et de nominibus essentialibus concretis, ut Deus, vel Pater bonus, sapiens, creans, et alia huiusmodi ; de essentia autem in abstracto significata, et non per modum suppositi, sed improprie. Adhuc autem minus proprie de relationibus, quia huiusmodi conveniunt supposito secundum essentiam, non autem secundum relationem : Deus enim est bonus, vel creans, ex eo quod habet essentiam, non ex eo quod habet relationem.

 7. Comme le philosophe le dit (Physique, III, 3, 202 b 15[892]), il ne faut pas attribuer tout ce qui est identique d'une certaine manire l'identique mais, seulement ce qui est identique en raison. Mais mme si l'essence divine et la paternit sont identiques en ralit, elles ne le sont pas en raison ; c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui est attribu l'un le soit l'autre. Il faut savoir cependant qu'il y a certaines choses qui suivent leur propre nature d'essence et de relation : ainsi l'tre commun se rattache l'essence, et la distinction se rattache la relation. C'est pourquoi l'une de ces choses est exclue par l'autre, car l'essence n'a pas distingu, et la relation n'est pas commune. Mais certaines, non pas pour le signifi principal, mais quant au mode de signifier, ont une diffrence par la nature de l'essence ou de la relation, et ces choses sont attribues l'essence ou la relation, bien que non au sens propre. Les adjectifs sont de ce genre et les mots substantiels comme bon, sage, intellection, vouloir. Car de cette manire, pour ce qui est signifi, ils signifient l'essence, mais cependant il la signifie par le mode de suppt, et non dans l'abstrait. Et c'est pourquoi on les dit les plus propres pour les personnes et les noms essentiels concrets, comme Dieu ou Pre bon, sage, crateur, etc., pour l'essence signifie dans l'abstrait aussi et non par mode de suppt, mais improprement. Mais encore moins proprement des relations, parce qu'elles conviennent en tant que telles au suppt selon l'essence mais non selon la relation : car Dieu est bon ou crateur du fait qu'il a l'essence, mais non du fait qu'il a la relation.

q. 8 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illud quod facit distinctionem, potest esse cum eo quod nec distinguit nec distinguitur, idem re, sed non ratione.

 8. Ce qui fait la distinction peut tre avec ce qui ne l'apporte, ni ne la subit ; identique en ralit, mais pas en raison.

q. 8 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod unitas essentiae non opponitur distinctioni relationum : unde non sequitur quod relatio et essentia sint causae oppositorum.

 9. L'unit de l'essence n'est pas oppose la distinction des relations. C'est pourquoi il n'en dcoule pas que la relation et l'essence sont les causes des opposs.

q. 8 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod quaecumque sunt eadem re et ratione oportet quod in quocumque est unum, sit aliud. Non autem hoc oportet de his quae sunt eadem re, sed non ratione ; sicut instans est idem quod est principium futuri et finis praeteriti, non tamen principium futuri dicitur esse in praeterito, sed id quod est futuri principium ; et similiter non dicitur quod paternitas est in Filio, sed id quod est, scilicet essentia.

 10. Tout ce qui est identique en ralit et en raison doit tre autre en chaque chose o il est en tant quunit. Mais il ne le faut pas pour ce qui est identique en ralit, mais non en raison, comme l'instant, qui est le commencement du futur et la fin du pass est le mme, on ne dit pas cependant que le commencement du futur est dans le pass, mais on dit que cest ce qui est le commencement du futur, et de mme on ne dit pas que la paternit est dans le Fils, mais ce que cest, savoir l'essence.

q. 8 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis nullo modo est esse nisi essentiae, sicut nec intelligere nisi intellectus ; et propter hoc, sicut in Deo est tantum unum intelligere, ita etiam unum esse. Et ideo nullo modo concedendum est, quod aliud sit esse relationis in divinis, et aliud essentiae. Ratio autem non significat esse, sed esse quid, id est quid aliquid est. Unde duae rationes unius rei non demonstrant duplex esse eius sed demonstrant quod dupliciter de illa re potest dici quid est ; sicut de puncto potest dici quid est sicut principium et ut finis, propter diversam rationem principii et finis.

 11. En Dieu, il n'y a en aucune manire dՐtre que celle de l'essence, de mme qu'il n'y a d'intellection sinon de l'esprit, et ainsi, de mme qu'en Dieu, il n'y a quune seule intellection, il n'y a aussi qu'un seul tre. Et c'est pourquoi en aucune manire il ne faut concder que l'tre de la relation en Dieu est autre que celui de l'essence. Mais la nature ne signifie pas l'tre mais tre quelque chose, c'est--dire ce qui est quelque chose. C'est pourquoi deux natures d'une mme chose unique ne rvlent pas que son tre est double ; mais rvlent qu'on peut parler de deux manires de ce qu'elle est ; comme d'un point, on peut dire qu'il est aussi bien le commencement que la fin, cause de la nature diffrente du commencement et de la fin.

q. 8 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod, cum relatio sit accidens in creaturis, esse suum est inesse ; unde esse suum non est ad aliud se habere ; sed esse huius secundum quod ad aliquid, est ad aliud se habere.

 12. Comme la relation est un accident dans les cratures, son tre est d'tre inhrente. C'est pourquoi son tre na pas rapport un autre mais l'tre de ce selon quoi il y a relation apporte un comportement pour lautre.

q. 8 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod dicuntur relativa de Deo praedicari non substantialiter, quia non praedicantur per modum existentis in substantia, sed per modum ad aliud se habentis, non ideo quin illud quod significant, sit substantia.

 13. On dit que les relatifs ne sont pas attribus Dieu substantiellement, parce qu'ils ne sont pas attribus par mode d'existence dans la substance mais la manire de ce qui est en relation un autre, non de telle sorte que ce qu'ils signifient soit la substance.

q. 8 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Deus dicitur non eo Deus quo Pater, propter diversum modum significandi divinitatis et paternitatis, ut expositum est [in corp. art.]

14. On dit que Dieu n'est pas tant Dieu que Pre cause de la manire diffrente de signifier sa divinit et sa paternit, comme on l'a expos (dans le corps de l'article).

 

 

 

Article 3 Les relations constituent-elles et distinguent-elles les personnes ou les hypostases ?

q. 8 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum relationes constituant et distinguant personas sive hypostases. Et videtur quod non.

Il semble que non[893].

 

Objections :

q. 8 a. 3Arg. 1 Dicit enim Augustinus [VII de Trinitate, cap. 1] Omnis res quae relative dicitur est etiam aliquid excepto relativo ; sicut homo dominus, et homo servus. Sed personae in divinis dicuntur relative. Ergo sunt aliquid excepto relativo. Non ergo constituuntur per relationes : nihil enim potest esse aliquid remoto suo constitutivo.

1. Car Augustin dit (La Trinit, VII,1, 2) : Tout ce qui est dit en sens relatif est encore une ralit si on exclut le relatif, comme l'homme en tant que seigneur et l'homme en tant qu'esclave[894] . Mais on parle en Dieu des personnes en un sens relatif. Donc il y a une ralit indpendamment du relatif. Donc elles ne sont pas constitues par les relations, car rien ne peut tre une ralit si on exclut ce qui le constitue.

q. 8 a. 3Arg. 2 Sed dicendum, quod praeter intellectum paternitatis in divinis, intelligitur Pater. Sed contra, constat quod Pater etiam relative dicitur. Si ergo praeter paternitatem oportet aliquid esse in persona, quia paternitas est ad aliquid, eadem ratione praeter hoc quod dicitur pater, oportet aliquid in persona ponere quod relative dicatur.

2. Mais il faut dire que, au-del du concept de paternit en Dieu, on comprend le Pre. En sens contraire, il est clair que le Pre est ainsi dsign de faon relative. Donc, si au-del de la paternit, il faut quune ralit soit dans la personne, parce que la paternit est une relation, pour la mme raison, au-del de ce qui est dsign comme Pre, il faut placer une ralit dans la personne qui est dsigne de faon relative.

q. 8 a. 3Arg. 3 Praeterea, Augustinus ibidem dicit, quod nullo modo putandum est, Patrem dici ad seipsum ; sed quidquid dicitur, ad filium dicitur. Ergo idem quod prius.

3. Au mme endroit, Augustin dit (ibidem), qu'en aucune manire, il ne faut penser qu'on parle du Pre pour lui-mme, mais tout ce qui en est dit est dit pour le Fils. Donc de mme que ci-dessus[895].

q. 8 a. 3Arg. 4 Sed dicendum, quod illud quod pater est, relatione excepta, est essentia,- sed contra, illud quod est in relativo relatione excepta, per relationem ad aliquid refertur, sicut patet in exemplis ab ipso positis : homo enim per relationem domini refertur ad servum. Sed essentia non refertur in divinis : neque enim generat neque generatur. Ergo non potest hoc intelligi de essentia, sed de relationis supposito, cui conveniat generare vel generari.

4. Mais il faut dire, que ce qui est le Pre, si on exclut la relation, cest l'essence. En sens contraire, ce qui est dans le relatif, si on exclut la relation, se rfre quelque chose par relation, comme on le voit dans les exemples quil nous donne. Car l'homme par relation au matre est rfr au serviteur. Mais l'essence n'est pas rfre en Dieu ; car elle n'engendre ni n'est engendre. Donc cela ne peut pas tre compris de l'essence, mais du suppt de la relation, qui il convient d'engendrer ou d'tre engendr.

q. 8 a. 3Arg. 5 Praeterea, prius est unumquodque in se consideratum, quam ad aliud referatur. Nihil autem constituitur per id quod est eo posterius secundum intellectum. Ergo hypostasis Patris non constituitur per relationem qua ad aliud refertur.

5. Tout est considr en soi avant d'tre rfr un autre. Mais rien n'est constitu par ce qui lui est postrieur en l'esprit. Donc l'hypostase du Pre n'est pas constitue par la relation par laquelle il se rfre autre chose.

q. 8 a. 3Arg. 6 Praeterea, hypostases in divinis perfectiores sunt quam in rebus humanis. Sed apud nos proprietates non constituunt neque distinguunt hypostases, sed sunt signa distinctionis hypostasum constitutarum. Ergo nec in divinis relationes, quae sunt proprietates, constituunt hypostases nec distinguunt.

6. Les hypostases en Dieu sont plus parfaites que chez les hommes. Mais pour nous les proprits ne constituent ni ne distinguent les hypostases, mais elles sont les signes de la distinction des hypostases constitues. Donc les relations en Dieu, qui sont des proprits, ne constituent pas ni ne distinguent les hypostases.

q. 8 a. 3Arg. 7 Praeterea, prius est intelligere hypostasim generantem quam ipsam generationem, cum generans intelligatur ut generationis principium, prius autem est intelligere generationem quam paternitatem : relationes enim ad actiones vel passiones sequuntur, ut in V Metaph. [com. 20] dicitur. Ergo prius est intelligere hypostasim patris quam paternitatem : ergo non constituitur paternitate ; et eadem ratione nec hypostasis filii filiatione.

7. Il faut concevoir l'hypostase qui engendre avant la gnration mme, puisque celui qui engendre est compris comme le principe de la gnration, mais il faut concevoir la gnration avant la paternit ; car les relations dcoulent des actes et des passions, comme on le dit en Mtaphysique (() V, 15, 1021 a 15[896]). Donc il faut concevoir l'hypostase du Pre avant la paternit, donc, elle n'est pas constitue par elle et pour la mme raison l'hypostase du Fils non plus par la filiation.

q. 8 a. 3Arg. 8 Praeterea, nulla forma constituit et distinguit nisi in genere suo, sicut albedo constituit et distinguit secundum qualitatem album a nigro : et similiter longitudo constituit aliquid et distinguit in genere quantitatis. Ergo et relatio nec constituit nec distinguit nisi in genere ad aliquid. Hypostasis autem significatur in genere substantiae. Relatio ergo nec distinguit nec constituit hypostasim.

8. Nulle forme n'a apport de constitution et de distinction sinon dans son genre[897], comme la blancheur a constitu le blanc et la distingue du noir selon la qualit et de mme la longueur a apport constitution et distinction dans le genre de la quantit. Donc la relation ne l'a distingue que dans le genre de la relation. Mais on classe l'hypostase dans le genre de la substance. Donc la relation n'a pas distingu, ni constitu lhypostase.

q. 8 a. 3Arg. 9 Praeterea, relatio in divinis est divina essentia. Si ergo constituit et distinguit hypostasim, aut hoc est in quantum est substantia divina, aut in quantum est relatio. Non in quantum est essentia divina : quia essentia divina, cum sit communis tribus personis, non potest esse distinctionis principium. Similiter etiam nec in quantum est relatio : quia secundum relationem non significatur aliquid per se existens, quod significat nomen hypostasis, sed solum ut ad aliquid dictum. Ergo relatio nullo modo distinguit vel constituit hypostasim.

9. La relation en Dieu est l'essence divine. Si donc elle a constitu et distingu l'hypostase, ou bien c'est en tant que substance divine, ou bien en tant que relation. Ce n'est pas en tant qu'essence, parce que celle-ci, tant commune aux trois Personnes, ne peut pas tre principe de distinction. De mme non plus, ce n'est pas en tant que relation, parce que rien nest signifi par elle comme existant par soi, ce qui signifie le nom d'hypostase, mais seulement en tant qu'appel relation. Donc la relation na distingu ni constitu l'hypostase en aucune manire.

q. 8 a. 3Arg. 10 Praeterea, nihil constituit et distinguit seipsum in divinis. Relationes autem sunt ipsae hypostases : sicut enim non differunt divinitas et Deus, ita nec paternitas et Pater. Ergo relationes non constituunt nec distinguunt hypostases.

10. Rien ne s'est constitu ni distingu soi-mme en Dieu. Mais les relations sont les hypostases mmes, car, la divinit et Dieu ne sont pas diffrents, ni la paternit et le Pre non plus. Donc les relations ne constituent pas et ne distinguent pas les hypostases.

q. 8 a. 3Arg. 11 Praeterea, non est quaerendum de aliquibus duobus quo distinguantur nisi in aliquo conveniant, quo, aliquo superveniente, distinguantur in utroque, sicut animal commune est homini et equo ; distinguitur autem animal rationali et irrationali differentiis additis : et ideo quaerere possumus quomodo homo ab equo distinguatur. Quae autem in nullo conveniunt, quo possint modo praedicto distingui, seipsis distinguuntur, et non aliquo distinguente. Sed duae hypostases in divinis non conveniunt nisi in essentia, quae nullo modo relatione distinguitur. Ergo non est dicendum, quod hypostases relationibus distinguantur, sed quod distinguantur seipsis.

11. Il ne faut pas chercher ce qui distingue deux choses, moins qu'elles naient quelque chose de commun, par quoi avec un complment, elles se distinguent l'une de l'autre, ainsi l'animal est commun l'homme et au cheval, mais il est distingu par ces diffrences ajoutes "avec" ou "sans" raison. Et c'est pour cela que nous pouvons chercher comment l'homme se distingue du cheval. Ces choses n'ont rien de commun, qui puisse les distinguer de cette manire se distinguent par eux-mmes et non par quelque chose qui les distingue. Mais deux hypostases en Dieu ne se rencontrent que dans l'essence, qui n'est distingue en aucune manire par une relation. Donc il ne faut pas dire que les hypostases se distinguent par des relations, mais qu'elles se distinguent d'elles-mmes.

q. 8 a. 3Arg. 12 Praeterea, nihil causat quod praesupponit. Sed relatio praesupponit distinctionem : relatione enim ad aliud res refertur ; alietas autem distinctionem importat. Ergo relatio non potest esse distinctionis principium.

12. Rien ne cause ce qu'il prsuppose. Mais la relation prsuppose une distinction ; car par la relation une chose se rfre une autre. La diffrence apporte une distinction. Donc la relation ne peut pas tre le principe de la distinction.

q. 8 a. 3Arg. 13 Praeterea, Richardus de sancto Victore dicit [IV lib. De Trinitate, cap. XV], quod hypostases in Angelis distinguuntur sola qualitate, in divinis autem sola origine. Origo autem secundum intellectum differt a relatione, sicut generatio a paternitate. Ergo hypostases divinae non distinguuntur relatione sed origine.

13. Richard de saint Victor dit (la Trinit, IV, 15) que les hypostases dans les anges, se distinguent par la seule qualit, mais en Dieu, elles se distinguent par la seule origine. Mais l'origine selon lesprit diffre de la relation comme la gnration de la paternit. Donc les hypostases divines ne se distinguent pas par une relation mais par lorigine.

q. 8 a. 3Arg. 14 Praeterea, sicut dicit Damascenus [lib. III orth. Fidei, cap. VI et VII], hypostases divinae suis proprietatibus distinguuntur. Sed proprietas Patris est genuisse Filium, ut Augustinus ; et proprietas Filii est quod nascatur a patre. Ergo generatione et nativitate Pater et Filius distinguuntur. Haec autem significant originem. Ergo Pater et Filius distinguuntur origine et non relatione.

14. Comme le dit Jean Damascne (la Foi orthodoxe, III, 6 et 7), les hypostases divines se distinguent par leurs proprits. Mais celle du Pre est d'avoir engendr le Fils, comme Augustin (Fulgence, La foi Pierre, II) le dit ; et la proprit du Fils est qu'il est n du Pre. Donc le Pre et le Fils se distinguent par la gnration et la naissance mais cela signifie l'origine. Donc le Pre et le Fils se distinguent par l'origine et non par la relation.

q. 8 a. 3Arg. 15 Praeterea, quaedam relationes sunt in divinis quae nec hypostases constituunt nec distinguunt, ut aequalitas et similitudo. Ergo nec aliae relationes, ut paternitas et filiatio, distinguunt et constituunt hypostasim.

15. Il y a en Dieu certaines relations, qui ne constituent pas des hypostases et ne les distinguent pas, comme l'galit et la ressemblance. Donc, les autres relations, comme la paternit et la filiation ne distinguent pas et ne constituent pas l'hypostase.

 

En sens contraire :

q. 8 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod Botius dicit [in libro de Trinitate], quod sola relatio in divinis multiplicat Trinitatem. Multitudo autem Trinitatis constituitur per hypostases constitutas et distinctas. Ergo sola relatio constituit et distinguit personas et hypostases.

1. Boce (La Trinit, VI) dit que seule la relation en Dieu multiplie la Trinit. Mais la pluralit dans la Trinit est constitue par des hypostases constitues et distinctes. Donc seule la relation a constitu et distingu les personnes et les hypostases.

q. 8 a. 3 s. c. 2 Praeterea, illis solis aliqua distinguuntur quae non communiter de eis praedicantur. Sed sola relativa singillatim praedicantur de personis divinis et non communiter ut Augustinus dicit [lib. V de trinit., cap. VII]. Ergo solum relationibus personae et hypostases in divinis distinguuntur.

2. Certaines choses sont distingues par ces seuls attributs qui ne leur sont pas attribus en commun. Mais seules les relations sont attribues aux personnes divines une une et non en commun, comme Augustin le dit (La Trinit V, VII[898]). Donc en Dieu, les personnes et les hypostases ne se distinguent que par les relations.

 

Rponse : 

q. 8 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod circa hoc sunt duae opiniones :Quarum prima est, quod relationes in divinis non constituunt hypostases, nec distinguunt, sed distinctas et constitutas ostendunt. Ad cuius evidentiam sciendum, quod hoc nomen hypostasis significat substantiam individuam, id est quae non potest de pluribus praedicari. Unde genera et species in praedicamento substantiae, ut homo et animal, non possunt dici hypostases, quia de pluribus praedicantur ; Socrates vero et Plato dicuntur hypostases, quia praedicantur de uno solo. Si ergo in divinis Trinitas personarum non supponeretur, ut ponunt Iudaei et Pagani, non oporteret in divinis aliquid aliud constitutivum et distinctivum hypostasis inquirere, nisi solam essentiam divinam. Deus enim per essentiam suam est aliquid in se indivisum, et ab omnibus quae non sunt Deus, distinctum.

ce sujet, il y a deux opinions : I.) La premire est que les relations en Dieu ne constituent pas les hypostases et ne les distinguent pas, mais elles les montrent distinctes et constitues. Pour clairer cette question, il faut savoir que ce nom d'hypostase signifie la substance individuelle, c'est--dire qu'elle ne peut pas tre attribue plusieurs. C'est pourquoi les genres et les espces, dans la catgorie de la substance, comme l'homme et l'animal, ne peuvent pas tre appels hypostases parce qu'ils sont attribus plusieurs. Mais Socrate et Platon sont appels des hypostases parce qu'elles sont attribues un seul. Si donc on ne supposait pas en Dieu la Trinit des personnes, comme le pensent les Juifs et les Paens, il ne faudrait rechercher en lui quelque chose d'autre, de constitutif et de distinct de l'hypostase que la seule substance divine. Car Dieu par son essence, est indivisible en soi et distinct de tout ce qui n'est pas lui.

Sed quia fides Catholica ponit unam essentiam in tribus personis, non potest intelligi divina essentia ut distinctiva et constitutiva hypostasis in divinis. Divinitate enim intelligitur constitui Deus quod est commune tribus personis et ita significatur ut dictum de pluribus, et non ut hypostasis incommunicabilis. Et eadem ratione nihil quod dicitur absolute de Deo, potest intelligi ut distinctivum et constitutivum hypostasis in personis, cum ea quae absolute dicuntur de Deo, significentur per modum essentiae.

Mais parce que la foi catholique attribue une seule essence dans les trois personnes, l'essence divine ne peut pas tre comprise comme apportant distinction et constitution de l'hypostase. Car on comprend que Dieu est constitu par la divinit, parce quelle est commune aux trois personnes et ainsi elle est signifie, comme on la dit, comme attribue plusieurs et non comme une hypostase incommunicable. Et pour la mme raison, rien de ce qui est dit d'absolu au sujet de Dieu ne peut tre compris comme apportant distinction et constitution de l'hypostase dans les personnes, puisque ce qui est dit absolu en Dieu est signifi par le mode de l'essence.

Oportet ergo ponere distinctivum et constitutivum hypostasis in divinis id quod primo invenitur non de pluribus dici, sed uni soli convenire. Talia autem sunt duo, relatio et origo, et generatio et paternitas, sive nativitas et filiatio, quae licet in Deo idem sint secundum rem, differunt tamen ratione et modo significandi. Primum autem horum est origo secundum intellectum, nam relatio ad originem sequi videtur.

Il faut donc placer comme apportant distinction et constitution l'hypostase, ce qu'on trouve d'abord qui nest pas dit de plusieurs, mais qui convient un seul. Mais les attributs de cette sorte sont deux, la relation et l'origine, la gnration et la paternit, ou la naissance et la filiation, qui, bien qu'elles soient identiques en Dieu, en ralit, diffrent cependant en raison et par la manire dont elles sont signifies. Le premier de ceux-ci est l'origine selon l'esprit, car la relation semble dcouler de l'origine.

Et ideo ponit haec opinio, quod hypostases in divinis constituantur et distinguantur origine, secundum quod significatur cum dicitur, qui est ab alio, et a quo alius ; et quod relatio paternitatis et filiationis secundum intellectum consequatur ad constitutionem et distinctionem personarum, et quod per eas distinctio et constitutio hypostasum ostendatur. Ex hoc enim quod dicitur Pater, ostenditur quod sit a quo alius : per hoc vero quod dicitur Filius, ostenditur quod sit ab alio. Nec tamen oportet secundum hanc opinionem dicere, quod hypostases divinae, si non distinguuntur relationibus, distinguantur per aliqua absoluta : quia ipsae origines relationem important ; sicut enim Pater dicitur ad Filium, ita generans ad generatum.

Et ainsi cette opinion tablit que les hypostases en Dieu sont constitues et distingues par l'origine, selon ce qui est signifi, comme quand on parle de ce qui vient d'un autre et par qui il est autre ; et que la relation de paternit et de filiation, selon lesprit, sert la constitution et la distinction des personnes, et qu'elles montrent la distinction et la constitution des hypostases. Car le fait qu'il est appel Pre montre qu'il est celui do vient un autre, et le fait qu'il est appel Fils, qu'il vient d'un autre. Et cependant il ne faut pas dire selon cette opinion que, si les hypostases divines ne se distinguent pas par des relations, elles le feraient par l'absolu, parce que les origines mmes apportent une relation[899] ; en effet, on parle du Pre par rapport au Fils, de mme on parle de celui qui engendre en rapport celui qui est engendr.

Sed haec opinio non videtur convenienter posse stare. Distinctivum enim et constitutivum hypostasis potest intelligi dupliciter.

Mais il ne semble pas quon peut soutenir cette opinion convenablement. Car ce qui distingue et constitue l'hypostase peut tre compris de deux manires :

Uno modo quo distinguitur et constituitur formaliter, sicut homo humanitate, et Socrates Socrateitate.

a) D'une premire manire, par laquelle elle est distingue et constitue formellement, comme l'homme par l'humanit et Socrate par la socrat.

Alio modo quo distinguitur et constituitur quasi via ad distinctionem et constitutionem ; sicut si diceremus quod Socrates est homo sua generatione, quae est via ad formam, qua formaliter constituitur. Patet ergo quod origo alicuius non potest intelligi ut constitutiva et distinctiva eius, nisi propter hoc quod formaliter constituit et distinguit. Si enim generatione non induceretur humanitas, nunquam generatione constitueretur homo. Impossibile est ergo dici, quod hypostasis Filii constituatur sua nativitate, nisi in quantum intelligitur quod nativitas eius terminatur ad aliquid quod formaliter constituit. Ipsa autem relatio ad quam terminatur nativitas, est filiatio.

b) D'une autre manire, par laquelle elle est distingue et constitue comme passage la distinction et la constitution, comme si nous disions que Socrate est un homme du fait de sa gnration, qui est un passage pour la forme, qui le constitue formellement. Donc il est clair que l'origine d'une chose ne peut tre comprise comme lui apportant sa constitution et sa distinction, sinon cause de ce qui l'a constitue et l'a distingue formellement. Car si l'humanit n'tait pas induite par gnration, jamais l'homme ne serait constitu par elle. Donc il est impossible de dire que l'hypostase du Fils est constitue par sa naissance, sinon dans la mesure o on comprend que celle-ci se termine quelque chose qui l'a constitu formellement. Mais la relation mme laquelle elle se termine est la filiation.

Oportet ergo quod filiatio sit formaliter constituens et distinguens hypostasim Filii, non autem origo, neque relatio intellecta in origine : quia relatio intellecta in origine, sicut et ipsa origo, non significat aliquid adhuc subsistens in natura, sed in naturam tendens. Et quia omnium hypostasum eiusdem naturae est eadem ratio constitutionis et distinctionis, ideo similiter oportet ex parte patris intelligere quod hypostasis patris constituatur et distinguatur ipsa paternitate ; non autem generatione activa, neque relatione inclusa.

Il faut donc que du fait que la filiation constitue et distingue formellement l'hypostase du Fils, elle ne soit pas l'origine, ni la relation comprise dans l'origine ; parce que cette relation comprise dans l'origine comme l'origine[900] mme, ne signifie rien qui subsiste encore dans la nature mais quelque chose qui y tend. Et parce que c'est la mme nature de constitution et de distinction, pour toutes les hypostases de mme nature, semblablement, il faut comprendre du ct du Pre que son hypostase est constitue et distingue par sa paternit, mais non par la gnration active ni une relation incluse.

Et haec est secunda opinio, quod relationes constituunt et distinguunt personas et hypostases. Quod hoc modo potest intelligi : paternitas enim est ipsa divina essentia ut probatum est ; et pari ratione Pater est idem quod Deus. Paternitas ergo constituendo patrem, constituit Deum. Et sicut paternitas, licet sit essentia divina, tamen non est communis sicut essentia, ita pater licet sit idipsum quod Deus, non tamen est commune ut Deus, sed proprium. Pater ergo, Deus in quantum est Deus, est commune habens naturam divinam, et in quantum est pater, est proprium ab aliis distinctum. Unde est hypostasis, quae significat subsistens in natura aliqua, distincta ab aliis. Et per hunc modum paternitas constituendo patrem, constituit hypostasim.

II.) Et la seconde opinion est que les relations constituent et distinguent les personnes et les hypostases. Ce qui peut se comprendre de cette manire ; la paternit en effet est l'essence divine, comme on l'a prouv, et raison gale, le Pre est identique Dieu. Car la paternit, en constituant le Pre, a constitu Dieu. Et de mme que, bien que la paternit soit l'essence divine, elle n'est cependant pas commune comme l'essence, de mme le Pre, bien qu'il soit le mme que Dieu, n'est cependant pas commun comme Dieu, mais propre ( lui). Donc le Pre, Dieu, en tant que tel, a en commun la nature divine et en tant que Pre, (quelque chose) de propre distinct des autres. C'est pourquoi il est ce quest une hypostase qui signifie qu'il subsiste en une nature distincte des autres. Et de cette manire la paternit en constituant le Pre, constitue une hypostase.

 

Solutions : 

q. 8 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod personae divinae sunt aliquid, excepto relativo ; et hoc aliquid est essentia, quae relative non dicitur. Sic enim intelligit Augustinus, ut verba eius diligenter inspicienti ostendunt.

 1. Les personnes divines sont une ralit, si on exclut le relatif ; et cette ralit c'est l'essence signifie sans la relation. En effet Augustin le comprend ainsi, comme ses paroles le montrent celui qui les examine attentivement.

q. 8 a. 3 ad 2 Unde concedimus secundum et tertium.

 2, 3. Et ainsi nous concdons les objections deux et trois.

q. 8 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relatio etsi de essentia divina non dicatur per modum informationis, dicitur tamen per modum identitatis : si enim non dicamus, quod essentia sit generans vel relata, dicimus tamen, quod ipsa est generatio et relatio. Sed tamen de nominibus essentialibus in concreto significatis relativa dicuntur, etiam per modum informationis : dicimus enim quod Deus generat Deum et quod Deus refertur ad Deum, eo quod idem suppositum intelligitur et relationis et essentiae,- ut ostensum est,- quamvis ipsa essentialia non distinguantur. Et ita remotis relativis, intelliguntur nomina essentialia concreta, non distincta, quae per relationes relative dicuntur.

 4. Mme si on ne parle pas de la relation pour lessence divine la manire dune mise en forme ; on la signifie la manire de l'identit. Car, mme si nous ne disions pas que l'essence engendre et est rfre, nous disons cependant qu'elle est gnration et relation. Mais cependant propos des noms essentiels signifis dans le concret, on parle des relatifs par mode de mise en forme aussi ; car nous disons que Dieu engendre Dieu et que Dieu se rfre Dieu, parce que le mme est compris comme suppt de la relation et celui de l'essence, comme on l'a montr. quoique ce qui appartient l'essence ne soit pas distingu. Et ainsi si on exclut ce qui est relatif, on comprend les noms essentiels concrets, non distincts, qui sont exprims relativement par les relations.

q. 8 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in qualibet hypostasi divina est id quod absolute dicitur, quod ad essentiam pertinet ; et hoc secundum modum intelligendi prius est eo quod ad aliquid dicitur in divinis. Id tamen quod absolute dicitur, cum sit commune, ad hypostasum distinctionem non pertinet ; unde non sequitur quod prius sit intelligere hypostasim distinctam quam relationem eius.

 5. En n'importe quelle hypostase divine, il y a ce qui est considr comme absolu, qui concerne l'essence ; et selon la manire de comprendre, cela est avant ce qui est dfini comme relation en Dieu. Cependant comme ce qui est dfini comme absolu est en commun, cela ne concerne pas la distinction des hypostases. C'est pourquoi il n'en dcoule pas que c'est comprendre l'hypostase distincte avant sa relation.

q. 8 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in rebus inferioribus hypostases per essentiam distinguuntur ; et ideo proprietates quae essentiam consequuntur, non possunt esse distinctionis principium, sed magis distinctionis signum. Hypostases autem divinae nullo modo distinguuntur secundum essentiam ; unde oportet quod proprietates sint principium distinctionis in eis.

 6. Dans les choses infrieures, les hypostases se distinguent par l'essence et c'est pourquoi les proprits qui dcoulent de l'essence ne peuvent pas tre le principe de la distinction mais elles en sont plutt le signe. Mais les hypostases divines ne sont distingues en aucune manire par l'essence ; c'est pourquoi il faut que les proprits soient le principe de leur distinction.

q. 8 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod de ratione hypostasis duo necesse est esse : quorum primum est quod sit per se subsistens et in se indivisa ;

 7. Pour la nature de l'hypostase, deux conditions sont ncessaires :a) La premire est qu'elle soit subsistante par soi et sans division,

secundum est quod sit distincta ab aliis hypostasibus eiusdem naturae. Si tamen contingat in eadem natura alias hypostases non esse, nihilominus hypostasis erit, sicut Adam, quando non erant aliae hypostases in humana natura. Semper ergo necessarium est intelligere hypostasim generantem ante generationem, quantum ad id quod hypostasis subsistit in se una existens, non tamen in quantum est ab aliis hypostasibus eiusdem naturae distincta, si per solam huiusmodi generationem aliae hypostases eiusdem naturae originentur ; sicut Adam non fuit distinctus ab aliis hypostasibus eiusdem naturae priusquam mulier ex eius costa formaretur et eius filii ab eo propagarentur. In divinis autem non multiplicantur hypostases nisi per processionem aliarum personarum ab una. Prius ergo est intelligere hypostasim Patris, in quantum est subsistens, quam generationem ; non tamen in quantum est distincta ab aliis hypostasibus eiusdem naturae, quae non procedunt nisi hac generatione supposita. Relationes autem in divinis etsi constituant hypostases, et sic faciant eas subsistentes, hoc tamen faciunt in quantum sunt essentia divina : relatio enim, in quantum est relatio, non habet quod subsistat vel subsistere faciat ; hoc enim solius substantiae est. Distinguunt vero relationes, in quantum relationes sunt : sic enim oppositionem habent. Relinquitur ergo quod ipsa paternitatis relatio, in quantum est constituens hypostasim Patris, quod habet in quantum est idem substantiae divinae, praeintelligatur generationi ; secundum vero quod distinguit, sic generatio paternitati praeintelligitur. Ex parte vero Filii nulla remanet difficultas, nam nativitas secundum intellectum praecedit hypostasim nati, cum intelligatur ut via ad ipsam : est enim generatio via in substantiam.

b) La seconde qu'elle soit distincte des autres hypostases de mme nature. Si cependant il arrivait dans une mme nature, qu'il n'y ait pas d'autres hypostases, l'hypostase existerait nanmoins comme Adam, quand il n'y avait pas d'autres hypostases dans la nature humaine. Donc il est toujours ncessaire de comprendre l'hypostase qui engendre avant la gnration, du fait quelle subsiste en soi en existant seule, non cependant en tant qu'elle est distincte des autres hypostases de mme nature, si les autres hypostases de mme nature prennent leur origine par une seule gnration de ce genre. Ainsi Adam n'a pas t distinct des autres hypostases de mme nature avant que la femme soit forme de sa cte et qu'il ne donne naissance ses enfants. Mais en Dieu les hypostases ne sont multiplies que par la procession des autres personnes partir dune seule. Donc il faut comprendre l'hypostase du Pre, en tant que subsistante, avant la gnration, non cependant en tant qu'elle est distincte des autres hypostases de mme nature, qui ne procdent que par cette gnration suppose. Mais mme si les relations en Dieu constituent des hypostases et les rendent ainsi subsistantes, elles ne le font cependant qu'en tant qu'elles sont l'essence divine. Car la relation, en tant que telle, ne possde pas ce qui subsiste ou fait subsister, car cela vient de la substance seule. Mais les relations, en tant que telles, apportent une distinction, car ainsi elles ont une opposition. Il reste donc que la relation de paternit, en tant qu'elle constitue l'hypostase du Pre, parce qu'il la possde en tant qu'elle est la mme que la substance divine, est comprise avant la gnration. Mais selon ce qui a distingu, la gnration est comprise avant la paternit. Mais du ct du Fils aucune difficult ne demeure, car la naissance selon l'esprit prcde l'hypostase de celui qui est n, puisqu'elle est comprise comme passage vers elle ; car la gnration est un passage dans la substance.

q. 8 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod, sicut iam dictum est, relatio in divinis non solum est relatio, sed est secundum rem ipsamet divina substantia ; et ideo potest constituere aliquid subsistens, et non solum aliquid relativum.

 8. Comme on l'a dj dit, la relation en Dieu est non seulement une relation, mais c'est en ralit la substance divine elle-mme et c'est pourquoi elle peut constituer une ralit subsistante et non seulement relative.

q. 8 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod relatio, ut dictum est, distinguit in quantum est relatio ; constituit autem hypostasim in quantum est divina essentia, et utrumque facit in quantum est divina essentia et relatio.

 9. La relation, comme on l'a dit, a apport une distinction en tant que relation, mais elle a constitu l'hypostase en tant qu'essence divine, et elle fait l'un et l'autre en tant qu'elle est essence divine et relation.

q. 8 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod abstractum et concretum in divinis non differunt secundum rem, cum in Deo non sit accidens neque materia, sed solum secundum modum significandi ; ex quo modo procedit quod intelligimus divinitatem ut constituentem Deum, et Deum ut habentem deitatem ; et similiter est de paternitate et Patre : nam licet sint idem secundum rem, differunt tamen secundum modum significandi.

 10. L'abstrait et le concret ne diffrent pas rellement en Dieu[901], puisqu'en lui il n'y a pas d'accident ni de matire, mais ils diffrent seulement selon la manire de les signifier ; de cette manire il dcoule que nous comprenons la divinit comme constituant Dieu et Dieu comme ayant la divinit ; il en est de mme de la paternit et du Pre, car, bien qu'ils soient identiques en ralit, ils diffrent cependant selon la manire de les signifier.

q. 8 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet in divinis convenientia secundum rem sit in sola unitate essentiae, tamen convenientia secundum rationem attenditur in divinis personis in hoc ipso quod est essentiae supponi. Quae quidem communitas significatur in omnibus essentialibus concretis, quae important suppositum esse in communi : sicut Deus est habens divinitatem. Hoc ergo ipsum quod est esse suppositum divinae naturae, commune est tribus personis communitate rationis, licet tres personae non sint unum suppositum, sed tria ; sicut Socrates et Plato sunt duo homines licet esse hominem sit eis commune secundum rationem. Differentia autem quaeritur non solum in illis in quibus est aliquid commune secundum rem, sed in quibus est aliquid commune secundum rationem.

 11. Bien qu'en Dieu laccord (sur ce qui est commun) soit en ralit dans la seule unit de l'essence, cependant en raison il est atteint dans les personnes du fait de ce qui est subordonn l'essence. Ce caractre commun est signifi dans toutes les qualits essentielles concrtes qui impliquent que le suppt est dans ce qui est commun ; ainsi Dieu possde la divinit. Le fait d'tre un suppt de nature divine est commun aux trois personnes, par communaut de raison, bien que les trois ne soient pas un seul suppt mais trois, comme Socrate et Platon sont deux hommes, bien qu'tre homme leur soit commun en raison. Mais la diffrence est cherche non seulement dans ce en quoi il y a quelque chose de commun en ralit, mais dans ce en quoi il y a quelque chose de commun en raison.

q. 8 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod relatio praesupponit distinctionem aliorum generum, utpote substantiae et quantitatis,- quandoque etiam actionis et passionis,- sed distinctionem, quae est secundum ad aliquid, relatio non supponit, sed facit ; sicut relatio dupli praesupponit diversitatem magni et parvi ; hanc autem differentiam quae est secundum duplum et dimidium, non praesupponit, sed facit. In divinis autem non est alia distinctio nisi secundum relationem.

 12. La relation prsuppose la distinction des autres genres, savoir de la substance et de la quantit quelquefois aussi de l'action et de la passion mais elle ne suppose pas la distinction qui est selon le relation, mais elle l'accomplit ; comme la relation du double prsuppose la diversit du grand et du petit ; mais elle ne prsuppose pas cette diffrence du double et de la moiti mais elle l'accomplit. Mais en Dieu, il n'y a pas d'autre distinction que selon la relation.

q. 8 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod origine dicit Richardus distingui personas, in quantum distinguuntur per relationes originis.

 13. Richard dit que les personnes se distinguent par l'origine, en tant qu'elles se distinguent par les relations d'origine.

q. 8 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Augustinus pro eodem accipit genuisse Filium et esse Patrem ; et ideo utitur quandoque origine pro relatione.

 14. Augustin prend pour synonyme : il a engendr le Fils et il est Pre et c'est pourquoi il se sert quelquefois de l'origine pour la relation.

q. 8 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod relatio similitudinis et aequalitatis non possunt distinctionem personarum causare, sed magis ipsam praesupponunt. Est autem similitudo rerum differentium eadem qualitas, et similiter aequalitas est rerum distinctarum eadem quantitas. Et sic patet quod distinctio suppositorum praesupponitur et similitudini et aequalitati.

 15. Ces relations de ressemblance et d'galit ne peuvent pas causer la distinction des personnes, mais elles la prsupposent plutt. Mais la ressemblance dans des choses diffrentes, cest la mme qualit et de mme l'galit est une mme quantit dans des choses distinctes. Et ainsi il est clair que la distinction des suppts est prsuppose par la ressemblance et par lՎgalit.

 

 

 

Article 4 Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu ?

q. 8 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum remota relatione secundum intellectum, remaneat hypostasis in divinis. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[902].

 

Objections :

q. 8 a. 4Arg. 1 Ea enim quae sunt in creaturis, sunt exemplata ab his quae sunt in Deo. Sed in humanis, remotis relationibus et proprietatibus hypostasis, adhuc remanent hypostases. Ergo et similiter in divinis.

1. Car ce qui est dans les cratures est l'image (exemplata) de ce qui est en Dieu. Mais chez les hommes, si on exclut leurs relations et leurs proprits, les hypostases demeurent encore. Et il en est donc de mme en Dieu.

q. 8 a. 4Arg. 2 Praeterea, Pater non habet ab eodem quod sit quis et quod sit pater, cum etiam Filius sit quis et non sit Pater. Remoto ergo a Patre quod sit Pater, remanet quod sit quis. Est autem quis in quantum est hypostasis. Remota ergo paternitate per intellectum, adhuc remanet hypostasis Patris.

2. Le Pre ne tient pas d'une mme [nature] d'tre ce qu'il est et d'tre Pre, puisque le Fils aussi est ce qu'il est et n'est pas le Pre. Donc si on exclut du Pre qu'il est Pre, il demeure qu'il est ce qu'il est. Mais il est ce quil est en tant qu'hypostase. Donc si on exclut en esprit la paternit, l'hypostase du Pre demeure encore.

q. 8 a. 4Arg. 3 Praeterea, cum quaelibet res intelligatur per suam definitionem, potest unaquaeque res intelligi remoto eo quod in eius definitione non ponitur. Sed relatio non ponitur in definitione hypostasis. Ergo remota relatione adhuc intelligitur hypostasis.

3. Comme chaque chose est comprise par sa dfinition, elle peut tre comprise si on exclut ce qui n'est pas plac dans sa dfinition. Mais la relation n'est pas place dans la dfinition de l'hypostase. Donc si on exclut la relation, on comprend encore l'hypostase.

q. 8 a. 4Arg. 4 Praeterea, Iudaei et Gentiles intelligunt in Deo hypostasim : intelligunt enim Deum esse rem quamdam per se subsistentem, nec tamen intelligunt in eo paternitatem et filiationem, et huiusmodi relationes. Ergo remotis huiusmodi relationibus per intellectum, remanent adhuc hypostases in divinis.

4. Les Juifs et les Paens comprennent une hypostase en Dieu. Car ils comprennent que Dieu est un tre qui subsiste par soi et cependant ils ne comprennent pas en lui la paternit, la filiation et les relations de ce genre. Donc si on exclut en esprit ces relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

q. 8 a. 4Arg. 5 Praeterea, omne quod se habet ex additione, remota additione, remanet id cui fit additio ; sicut homo addit supra animal rationale : est enim homo animal rationale ; unde remoto rationale, remanet animal. Sed persona addit proprietatem supra hypostasim : est enim persona hypostasis proprietate distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo remota proprietate a persona secundum intellectum, remanet hypostasis.

5. Pour tout ce qui comporte un ajout, si on l'enlve, demeure ce quoi est fait cet ajout ; ainsi homme ajoute le raisonnable animal, car il est un animal raisonnable ; c'est pourquoi, si on enlve le raisonnable, l'animal demeure. Mais la personne ajoute une proprit l'hypostase. Car elle est hypostase par une proprit distincte, qui se rattache sa dignit. Donc si on exclut en esprit cette proprit de la personne, l'hypostase demeure.

q. 8 a. 4Arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit [in lib.VII de Trin., cap. II], quod Verbum est sapientia genita. Sapientia vero hypostasim supponit, genitum autem proprietatem. Remoto ergo a verbo quod sit genitum, remanet hypostasis Verbi, et eadem ratione in aliis personis.

6. Augustin dit (la Trinit VII, 2) que le Verbe est la Sagesse engendre. Mais la Sagesse suppose une hypostase, et le fait d'tre engendr une proprit. Donc si on exclut du Verbe qu'il est engendr, son hypostase demeure et pour la mme raison, elle demeure dans les autres personnes.

q. 8 a. 4Arg. 7 Praeterea, remota paternitate et filiatione secundum intellectum, adhuc remanet in divinis qui ab alio, et a quo alius. Haec autem hypostases designant. Ergo remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.

7. Si on exclut en esprit la paternit, la filiation, il demeure encore dans la divinit ce qui vient dun autre, et par quoi il est autre. Mais cela les hypostases le dsignent. Donc si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

q. 8 a. 4Arg. 8 Praeterea, remota differentia constitutiva, adhuc remanet genus. Sed proprietates personales, cum constituant personas, sunt in divinis sicut differentiae constitutivae. Ergo remotis proprietatibus, remanet genus personae, quod est hypostasis.

8. Si on exclut la diffrence constitutive, le genre demeure encore, mais comme les proprits personnelles constituent les personnes, elles sont en Dieu comme des diffrences constitutives. Donc si on les exclut, le genre de la personne, qui est l'hypostase, demeure.

q. 8 a. 4Arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit [lib. V de Trin., cap. VI], quod remoto hoc quod est Pater, adhuc remanet ingenitus. Sed ingenitus est quaedam proprietas cuius suppositum esse non potest nisi hypostasis. Ergo remota paternitate, adhuc remanet hypostasis patris.

9. Augustin dit (La Trinit, V, 6), que si on exclut ce qui est le Pre, demeure encore l'inengendr. Mais tre inengendr est une proprit dont le suppt ne peut tre que l'hypostase. Donc si on exclut la paternit, l'hypostase du Pre demeure encore.

q. 8 a. 4Arg. 10 Praeterea, sicut relationes sunt proprietates hypostasum, ita attributa sunt proprietates essentiae. Sed remoto per intellectum attributo essentiali, adhuc remanet intellectus divinae substantiae. Botius enim dicit [in libro de Hebdomadibus] quod remota bonitate a Deo per intellectum, adhuc remanet quod sit Deus. Ergo similiter remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.

10. Les relations sont les proprits des hypostases ; de mme les attributs sont les proprits de l'essence. Mais si on exclut en esprit un attribut essentiel, le concept de la substance divine demeure encore. Car Boce dit (De hebdomadibus) que si on exclut en esprit la bont de Dieu, ce qui est Dieu demeure encore. Donc de la mme manire, si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

q. 8 a. 4Arg. 11 Praeterea, secundum Botium [super Proem. Porphyri in praedicabilia] proprium est intellectus, coniuncta secundum naturam dividere. Proprietas autem et hypostasis sunt realiter coniuncta in Deo. Ergo intellectus potest ea ab invicem separare.

11. Selon Boce (Sur le Prambule de Porphyre, dans les prdicables) le propre de l'intellect, c'est de diviser ce qui est joint en nature. Mais la proprit et l'hypostase sont rellement jointes en Dieu. Donc l'esprit peut les sparer l'une de l'autre.

q. 8 a. 4Arg. 12 Praeterea, remoto eo quod est in aliquo, potest intelligi id in quo est ; sicut remoto accidente potest intelligi subiectum. Sed relationes ponuntur in divinis hypostasibus esse. Ergo remotis relationibus secundum intellectum, adhuc remanent hypostases.

12. Si on exclut ce qui est dans une chose, on peut connatre ce en quoi elle est ; ainsi si on exclut l'accident, on peut connatre le sujet. Mais les relations sont places pour tre dans les hypostases divines. Donc, si on les exclut en esprit, restent encore les hypostases.

 

En sens contraire :

q. 8 a. 4 s. c. Sed contra. In divinis distinctio non potest esse nisi secundum relationes. Sed hypostasis dicit aliquid distinctum. Ergo remotis relationibus non remanet hypostasis. Cum enim in divinis non ponantur nisi duo modi praedicandi, scilicet secundum substantiam, et ad aliquid, remotis relationibus non remanent nisi ea quae ponuntur secundum substantiam. Haec autem sunt quae pertinent ad essentiam ; et sic non remanent hypostases distinctae.

En Dieu la distinction ne peut exister que selon les relations. Mais l'hypostase dsigne ce qui est distinct. Donc, si on exclut les relations, l'hypostase ne demeure pas. En effet, comme en Dieu, on ne place que deux modes d'attribution, savoir selon la substance et selon la relation, si on exclut les relations, il ne demeure que ce qui est plac selon la substance, mais c'est ce qui concerne l'essence et ainsi les hypostases ne demeurent pas distinctes.

 

Rponse :

q. 8 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut supra dictum est, quidam posuerunt hypostases in divinis non constitui nec distingui relationibus, sed per solam originem. Relationes autem dicebant consequi ipsam originem personarum, sicut originis terminos, quibus complementum originis designatur, et sic ad quamdam dignitatem pertinent. Unde cum persona videatur esse nomen dignitatis, intellectis huiusmodi relationibus supra hypostases, dicebant constitui personas ; et sic huiusmodi relationes dicebant esse constitutivas personarum, sed non hypostasum.

Comme ci-dessus (article prcdant[903]) on l'a dit, certains ont pens que les hypostases en Dieu ne sont pas constitues ni distingues par les relations, mais par leur seule origine, Mais ils disaient que les relations dcoulaient de l'origine mme des personnes, comme les limites de lorigine, par lesquelles est dsign ce qui la complte et ainsi elles se rattachent une certaine dignit. C'est pourquoi, comme la personne semble tre un nom de dignit, si de telles relations sont comprises en plus des hypostases, ils disaient que les personnes taient constitues et ainsi ils disaient que de telles relations taient constitutives des personnes mais pas des hypostases.

Et pro tanto apud quosdam huiusmodi relationes personalitates dicuntur ; et ideo sicut apud nos, remotis ab aliquo homine his quae ad dignitatem pertinent, quae faciunt eum esse personam, remanet eius hypostasis, ita in divinis, remotis per intellectum huiusmodi relationibus personalibus a personis, dicunt, quod remanebant hypostases, non tamen personae.

Et pour autant chez certains, les relations de ce genre sont appeles les personnalits : et c'est pourquoi, de mme que pour nous, si on exclut de lhomme ce qui concerne sa dignit, qui en fait une personne, son hypostase demeure, de mme en Dieu, si une fois exclues en esprit de telles relations des personnes, ils disent que les hypostases demeuraient, mais cependant pas les personnes.

Sed quia iam supra [loc. cit.] ostensum est quod relationes praedictae et hypostases constituunt et distinguunt, ideo secundum alios dicendum est, quod remotis per intellectum huiusmodi relationibus, sicut non remanent personae, ita non remanent hypostases. Remoto enim eo quod est constitutivum alicuius, non potest remanere id quod per ipsum constituitur.

Mais parce que dj ci-dessus, on a montr que ces relations constituent et distinguent les hypostases, il faut en consquence dire selon d'autres, que, si on exclut en esprit de telles relations, les personnes ne demeurent pas, et les hypostases non plus. Car si on exclut ce qui est constitutif, ce qui en est constitu par soi ne peut pas demeurer.

 

Solutions :

q. 8 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hominibus hypostases non constituuntur neque per relationes neque per proprietates, sicut constituuntur in divinis, ut ostensum est ; et ideo non est simile.

 1. Chez les hommes les hypostases ne sont constitues ni par les relations, ni par les proprits, comme elles le sont en Dieu, comme on l'a montr, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 8 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Pater ab eodem habet quod sit quis et quod sit pater : ab eodem, inquam, secundum rem, et non secundum rationem, sed differenti secundum rationem, vel sicut differt generale a speciali, vel commune a proprio : sicut patet quod homo ab eadem forma substantiali habet quod sit animal et quod sit homo ; non enim sunt unius rei plures formae substantiales secundum rem diversae : et tamen ab anima, inquantum est anima sensibilis, tantum habet quod sit animal ; inquantum vero est anima sensibilis et rationalis, habet ab ea quod sit homo. Et propter hoc et equus est animal, sed non est homo, quia non habet animam sensibilem eamdem numero quam habet homo : et pro tanto etiam non est idem animal numero. Similiter dico in proposito, quod Pater habet quod sit quis et quod sit pater a relatione ; sed quod sit quis, habet a relatione communiter sumpta ; quod autem sit hic quis, habet ab hac relatione quae est paternitas ; et propter hoc etiam Filius, in quo est relatio, sed non haec relatio quae est paternitas, est quis, sed non est hic quis qui est Pater.

 2. Par une mme [nature], le Pre est ce quil est et est Pre ; par un mme [nature], dis-je, en ralit, et non en raison, mais diffrente en raison ; comme le gnral diffre du particulier, ou ce qui est commun de ce qui est propre ; ainsi il est clair que l'homme par la mme forme substantielle est animal et homme ; car il n'existe pas plusieurs formes substantielles d'une seule chose diffrentes en ralit. Et cependant par l'me en tant qu'elle est sensitive, il est seulement animal, mais par lՉme, en tant que sensitive et raisonnable, il est un homme. Et c'est pourquoi le cheval est un animal, et pas un homme, parce qu'il a une me sensitive la mme en nombre que celle de l'homme, et pour autant il n'est pas le mme animal en nombre. Je dis qu'il en est de mme pour notre propos, parce que le Pre est quelquun et est Pre par relation, mais qu'il soit tel vient d'une relation assume en commun, mais qu'il soit ce quil est, il l'a par cette relation qui est la paternit et cause de cela le Fils aussi, en qui est la relation, mais cette relation qui est la paternit n'est pas ce quil est et ce nest pas ce quil est qui est Pre.

q. 8 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid in relatione alicuius potest poni dupliciter : scilicet explicite, sive in actu, et implicite sive in potentia. In ratione enim animalis non ponitur anima rationalis explicite et in actu, quia sic omne animal haberet animam rationalem ; sed implicite et in potentia, quia animal est substantia animata sensibilis. Sicut autem sub anima in potentia continetur anima rationalis, ita sub animato rationale : et ideo quando definitio animalis actu attribuitur homini, oportet quod rationale sit de definitione animalis explicite, secundum quod animal est idem homini. Et similiter est in proposito ; hypostasis enim, communiter sumpta, est substantia distincta : unde cum in divinis non possit esse distinctio nisi per relationem, cum dico hypostasim divinam, oportet quod intelligatur relatione distincta. Et ita relatio, quamvis non cadat in definitione hypostasis quod est homo, cadit tamen in definitione hypostasis divinae.

 3. On peut placer quelque chose en relation de deux manires : savoir explicitement, ou en acte, et implicitement, ou en puissance. Car dans la nature de l'animal on ne place pas l'me raisonnable explicitement et en acte, parce qu'ainsi tout animal aurait une me raisonnable, mais implicitement et en puissance, parce que l'animal est une substance anime, doue de sensibilit. De mme que l'me raisonnable est contenue en puissance sous l'me ; de mme le raisonnable sous l'anim ; et ainsi quand la dfinition de l'animal en acte est attribue l'homme, il faut que le raisonnable soit de la dfinition de l'animal explicitement selon que lanimal est identique l'homme. Et il en est de mme pour notre propos : car l'hypostase prise communment est une substance distincte : c'est pourquoi, comme en Dieu, il ne peut y avoir de distinction que par la relation, quand je parle de l'hypostase divine, il faut comprendre qu'elle est distincte par une relation. Et ainsi, quoique la relation ne soit pas comprise dans la dfinition de l'hypostase, parce qu'il est l'homme, elle sapplique cependant la dfinition de l'hypostases divine.

q. 8 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Iudaei et Gentiles non intelligunt essentiam distinctam nisi ab his quae sunt alterius naturae, quae quidem distinctio fit per ipsam divinam essentiam. Sed apud nos hypostasis intelligitur ut distincta ab eo quod est eiusdem naturae, a quo non potest distingui nisi per relationem tantum : et ideo ratio non procedit.

 4. Les Juifs et les Paens ne comprennent une essence distincte que par ce qui est dune autre nature. Cette distinction se fait par l'essence divine elle-mme. Mais pour nous, l'hypostase est comprise comme distincte de ce qui est dune mme nature[904], elle ne peut en tre distingue que par relation seulement ; et c'est pourquoi cette raison ne vaut pas.

q. 8 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod alius est modus quo definiuntur accidentia, et quo definiuntur substantiae. Substantiae enim non definiuntur per aliquid quod sit extra essentiam eorum : unde id quod primo ponitur in definitione substantiae est genus, quod praedicatur in eo quod quid de definito. Accidens vero definitur per aliquid quod est extra essentiam eius, scilicet per subiectum, a quo secundum suum esse dependet. Unde id quod ponitur in definitione eius, loco generis, est subiectum ; sicut cum dicitur : simum est nasus curvus. Sicut ergo in definitionibus substantiarum, remotis differentiis, remanet genus ; ita in definitione accidentium, remoto accidente, quod ponitur loco differentiae, remanet subiectum ; aliter tamen et aliter. Remota enim differentia remanet genus, sed non idem numero : remoto enim rationali, non remanet idem numero animal, quod est animal rationale ; sed remoto eo quod ponitur loco differentiae in definitionibus accidentium, remanet idem subiectum numero : remoto enim curvo vel concavo, remanet idem nasus numero. Et hoc est, quia accidens non complet essentiam subiecti sicut differentia complet essentiam generis. Cum ergo dicitur : persona est hypostasis, proprietate distincta ad dignitatem pertinente, non ponitur hypostasis in definitione personae ut subiectum, sed ut genus. Unde remota proprietate ad dignitatem pertinente, non remanet hypostasis eadem, scilicet numero vel specie, sed solum secundum genus, prout salvatur in substantiis non rationalibus.

 5. La manire dont on dfinit les accidents est diffrente de celle dont on dfinit les substances. Car ces dernires ne sont pas dfinies par quelque chose qui est en dehors de leur essence ; c'est pourquoi ce qui est d'abord plac dans la dfinition de la substance est le genre, qui est attribu en ce qui est l'essence de ce qui est dfini. Mais l'accident est dfini par quelque chose qui est hors de son essence, savoir par le substrat, de qui il dpend selon son tre. C'est pourquoi ce qui est plac dans sa dfinition, la place du genre, cest le substrat ; ainsi quand on parle de camus[905] cest le nez concave. Donc, de mme que dans les dfinitions des substances, si on exclut les diffrences, le genre demeure, de mme dans celle des accidents, si on exclut l'accident qui est mis la place de la diffrence, le substrat demeure ; de faon diffrente cependant. Car si on exclut la diffrence, le genre demeure, mais non le mme en nombre ; qui est lanimal raisonnable ce qui est la place de la diffrence ; car si on exclut le courbe ou le concave, le mme nez demeure en nombre. Et c'est parce que l'accident n'achve pas l'essence du substrat comme la diffrence achve l'essence du genre. Donc quand on dit : la personne est une hypostase par une proprit distincte, qui convient sa dignit, on ne place pas une hypostase dans la dfinition de la personne comme sujet, mais comme genre. C'est pourquoi, si on exclut la proprit qui concerne la dignit, l'hypostase ne demeure pas la mme, savoir en nombre ou en espce, mais seulement en genre dans la mesure o elle est conserve dans les substances sans raison.

q. 8 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur : Verbum est sapientia genita, ly sapientia supponit pro hypostasi, non tamen significat hypostasim ; et ideo in significatione eius non clauditur proprietas, sed oportet quod addatur ; sicut si dicam, quod Deus est filius genitus.

 6. Quand on dit : le Verbe est la sagesse engendre, la "sagesse" remplace l'hypostase mais ne la signifie cependant pas ; et c'est pourquoi sa proprit n'est pas enferme dans sa signification, mais il faut lajouter : comme si je disais que Dieu est le Fils engendr.

q. 8 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qui ab alio et a quo alius, non differunt a paternitate et a filiatione, nisi sicut commune a proprio, quia Filius significat eum qui est ab alio per generationem ; et Pater significat eum a quo alius per generationem ; nisi forte dicamus, quod a quo alius et qui ab alio, importent originem, et Pater et Filius relationes originis consequentes. Sed ex supradictis iam patet quod per origines non constituuntur hypostases, sed per relationes.

 7. Celui qui vient d'un autre et celui par lequel il est autre ne diffrent de la paternit et de la filiation que comme le commun du propre[906], parce que le Fils signifie celui qui dpend d'un autre par gnration ; et le Pre signifie celui d'o (vient) un autre par gnration ; moins que, par hasard, on dise que celui par qui il est autre et celui qui vient dun autre rvlent l'origine et Pre et Fils apportent les relations qui en dpendent. Mais on a montr djci-dessus que les hypostases ne sont pas constitues par les origines, mais par les relations.

q. 8 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum quod, remota differentia constitutiva, remanet genus in communi, non in eodem secundum speciem vel numerum.

 8. Si on exclut la diffrence constitutive, le genre demeure dans ce qui est commun, non dans le mme selon l'espce et le nombre.

q. 8 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod intentio Augustini non fuit dicere : quod Deus Pater remaneat ingenitus, remota paternitate, nisi forte prout ingenitus tunc importaret conditionem naturae, et non proprietatem personae. Fuit autem eius intentio ostendere quod, remota paternitate, potest remanere ingenitum in communi. Non enim oportet quod quidquid est ingenitum, sit Pater.

 9. L'intention d'Augustin n'a pas t de dire que Dieu le Pre demeure inengendr, si on exclut la paternit, moins que par hasard inengendr apporte une condition de nature et non une proprit de la personne. Son intention a t de montrer que, si on exclut la paternit, il peut demeurer linengendr en commun. Car il ne faut pas que tout ce qui est inengendr soit le Pre.

q. 8 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio bonitatis non constituit rationem essentiae, immo intelligitur bonum ut informativum entis ; sed proprietas constituit hypostasim ; et ideo non est simile.

 10. La nature de la bont ne constitue pas celle de l'essence, bien plus on comprend le bien comme ce qui peut informer lՐtre de l'tre, mais la proprit a constitu l'hypostase et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 8 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet intellectus possit aliqua coniuncta dividere, non tamen omnia : non enim potest dividere illa quorum unum est de ratione alterius ; non enim potest dividere animal ab homine. Proprietas autem est de ratione hypostasis, et ideo ratio non sequitur.

 11. Bien que l'intellect puisse sparer[907] certaines choses jointes, il ne le peut pas pour tout ; car il ne peut pas sparer ce dont l'un est de la nature de l'autre, car, il ne peut pas, en effet, sparer l'animal de l'homme. Mais la proprit dpend de la nature de l'hypostase et c'est pourquoi cette raison ne convient pas.

q. 8 a. 4 ad 12 Ad ultimum dicendum, quod remoto eo quod est in aliquo sicut in subiecto, vel sicut in loco, remanet id in quo est ; non autem remoto eo quod est in aliquo sicut pars essentiae eius. Non enim remoto rationali, remanet homo ; et similiter nec remota proprietate, remanet hypostasis.

 12. Si on exclut ce qui est en quelque chose, comme dans un substrat, ou comme dans un lieu, demeure ce en quoi il est ; mais pas si on exclut ce qui est dans quelque chose comme une partie de son essence. Car si le raisonnable nest pas exclu, l'homme demeure, et de mme si la proprit nest pas exclue, l'hypostase demeure.

 

 

 

Question 9  Les personnes divines

q. 9 pr. 1 Et primo quaeritur utrum quomodo se habeat persona ad essentiam, subsistentiam et hypostasim.

1. Quel est le rapport de la personne vis--vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase ?

q. 9 pr. 2 Secundo quid sit persona.

2. Qu'est-ce que la personne ?

q. 9 pr. 3 Tertio utrum in Deo possit esse persona.

3. Le nom de personne peut-il tre en Dieu ?

q. 9 pr. 4 Quarto utrum hoc nomen persona in divinis significet aliquid relativum vel absolutum.

4. Ce nom personne signifie-t-il, en Dieu, le relatif ou l'absolu ?

q. 9 pr. 5 Quinto utrum numerus personarum sit in divinis.

5. Le nombre des personnes est-il en Dieu ?

q. 9 pr. 6 Sexto utrum nomen personae convenienter possit pluraliter praedicari in divinis.

6. Le nom de personne peut-il tre convenablement attribu Dieu au pluriel ?

q. 9 pr. 7 Septimo quomodo termini numerales praedicentur in divinis, utrum scilicet positive, vel remotive tantum.

7. Comment les termes numraux sont-ils attribus aux personnes divines, positivement ou ngativement ?

q. 9 pr. 8 Octavo utrum in Deo sit aliqua diversitas.

8. Y a-t-il une certaine diversit en Dieu ?

q. 9 pr. 9 Nono utrum in divinis sint tres personae tantum, an plures vel pauciores.

9. Y a-t-il trois Personnes seulement en Dieu, ou plus, ou moins ?

 

 

 

Article 1 Quel est le rapport de la personne vis--vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase ?

q. 9 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur quomodo se habeat persona ad essentiam, subsistentiam et hypostasim. Et videtur quod omnino sint idem.

Il semble que ces termes sont tout fait tout fait synonymes[908].

 

Objections :

q. 9 a. 1Arg. 1 Dicit enim Augustinus in VII de Trin., quod idem intelligunt Graeci cum confitentur in Deo tres hypostases, et Latini cum confitentur tres personas. Ergo hypostasis et persona significant idem.

1. Car Augustin dit (la Trinit, VII, 3) que les grecs comprennent quelque chose didentique quand ils confessent en Dieu trois hypostases et les latins trois personnes. Donc hypostase et personne sont synonymes.

q. 9 a. 1Arg. 2 Sed dicendum, quod persona differt ab hypostasi in hoc quod hypostasis significat individuum cuiuscumque naturae in genere substantiae, persona vero solum individuum rationalis naturae.- Sed contra est quod Boetius dicit, quod Graeci utuntur hoc nomine hypostasis solum pro individuo rationalis naturae. Si ergo persona significat individuum rationalis naturae, omnino sunt idem hypostasis et persona.

2. Mais il faut dire que la personne diffre de l'hypostase du fait que celle-ci signifie un individu de quelque nature dans le genre de la substance, mais la personne signifie un seul individu de nature raisonnable. En sens contraire, Boce dit (Les deux natures, III, PL. 64, 1344[909]) que les Grecs se servent de ce nom hypostase, seulement pour un individu de nature raisonnable. Si donc la personne signifie la mme chose, hypostase et personne sont tout fait synonymes.

q. 9 a. 1Arg. 3 Praeterea, nomina imponuntur a rationibus rerum quas significant. Sed eadem ratio individuationis est in his quae sunt rationalis naturae, et in aliis substantiis. Ergo individuum rationalis naturae non debet habere speciale nomen prae aliis individuis in genere substantiae, ut per hoc sit differentia inter hypostasim et personam.

3. Les noms simposent par la nature de ce qu'ils signifient, mais on trouve la mme nature d'individuation dans ce qui est d'une nature raisonnable que dans les autres substances. Donc l'individu de nature raisonnable ne doit pas avoir un nom spcial en comparaison d'autres tres individuels dans le genre de la substance, pour quil y ait une diffrence entre l'hypostase et la personne.

q. 9 a. 1Arg. 4 Praeterea, nomen subsistentiae a subsistendo sumitur. Nihil autem subsistit nisi individua in genere substantiae, in quibus sunt et accidentia et secundae substantiae, quae sunt genera et species, ut dicitur in praedicamentis. Sola ergo individua in genere substantiae sunt subsistentiae. Individuum autem in genere substantiae est hypostasis vel persona. Ergo idem est subsistentia quod hypostasis et persona.

4. Le nom de subsistance est pris de subsister. Mais rien ne subsiste que l'individu dans le genre de la substance, en qui il y a les accidents et les substances secondes[910], que sont les genres et les espces, comme il est dit dans Les Catgories (5, 2 a 11 ss.). Donc seuls les individus dans le genre de la substance sont des subsistances, mais un tel individu est lhypostase ou la personne. Donc la subsistance est identique lhypostase et la personne.

q. 9 a. 1Arg. 5 Sed dicendum, quod genera et species in genere substantiae subsistunt, eo quod eorum est subsistere, ut Boetius dicit, in Lib. de duabus naturis.- Sed contra, subsistere nihil aliud est quam per se existere. Quod ergo existit solum in alio, non subsistit. Sed genera et species sunt solum in alio : sunt enim solum in primis substantiis, quibus interemptis, impossibile est aliquid aliorum remanere, ut dicitur in praedicamentis. Non est ergo subsistere, generum et specierum, sed solum individuorum in genere substantiae ; et sic remanet quod subsistentia sit idem quod hypostasis.

5. Mais il faut dire que les genres et les espces subsistent dans le genre de la substance, parce que cest leur nature de subsister, comme Boce le dit (Les deux Natures, 3, PL. 64, 1342). Mais en sens contraire, subsister nest rien d'autre qu'exister par soi[911]. Donc ce qui existe seulement dans un autre, ne subsiste pas[912]. Mais les genres et les espces sont seulement dans un autre : car ils sont seulement dans les substances premires, lesquelles une fois enleves, il est impossible que quelque chose d'autre demeure, comme on le dit dans les Catgories (5, Les substances). Donc ce n'est pas le propre des genres et des espces de subsister, mais seulement des individus dans le genre de la substance, et ainsi il reste que la subsistance est synonyme d'hypostase.

q. 9 a. 1Arg. 6 Praeterea, Boetius dicit, quod ousia id est essentia, significat compositum ex materia et forma. Hoc autem oportet esse individuum : nam materia est individuationis principium. Ergo essentia significat individuum ; et sic idem est persona, hypostasis, essentia, et subsistentia.

6. Boce dit (dans le commentaire des Catgories) que l'ousia, c'est--dire l'essence, signifie le compos de matire et de forme. Mais il faut que ce soit l'individu ; car la matire est principe dindividuation. Donc l'essence signifie l'individu, et ainsi la personne, l'hypostase, l'essence et la subsistance sont synonymes.

q. 9 a. 1Arg. 7 Praeterea, essentia est quam significat definitio, cum per definitionem sciatur quid est res. Definitio autem rei naturalis, quae est ex materia et forma composita, non solum continet formam, sed etiam materiam, ut patet per philosophum. Ergo essentia est aliquid compositum ex materia et forma.

7. L'essence est ce que signifie la dfinition, puisque cest par elle quon sait ce que cest. Mais la dfinition dune chose naturelle, compose de matire et de forme, non seulement contient la forme, mais aussi la matire, comme le montre le philosophe (Mtaphysique, VI et VII, com. 33 ss.). Donc l'essence est un compos de matire et de forme.

q. 9 a. 1Arg. 8 Sed dicendum, quod essentia significat naturam communem, alia vero tria, scilicet subsistentia, hypostasis et persona, significant individuum in genere substantiae.- Sed contra universale et particulare inveniuntur in quolibet genere. In aliis autem generibus non distinguitur nomen particularis et universalis : eodem enim nomine nominatur qualitas aut quantitas, sive sit universalis sive sit particularis. Ergo nec in genere substantiae debent esse distincta nomina ad significandum substantiam universalem et particularem : et sic videtur quod praedicta nomina non differant.

8. Mais il faut dire que l'essence signifie la nature commune, et les trois autres, savoir la subsistance, l'hypostase et la personne signifient l'individu dans le genre de la substance. Mais en sens contraire, l'universel et le particulier se trouve en n'importe quel genre. Mais dans les autres genres, on ne fait pas la distinction entre le nom particulier et le nom universel ; car on dsigne par un mme nom la qualit ou la quantit, qu'elles soient universelles et particulires. Donc les noms, dans le genre de la substance, ne doivent pas tre diffrents pour signifier la substance universelle et la substance particulire et de fait il semble que ces noms ne le soient pas.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Boetius dicit in commento praedicamentorum quod ousia id est essentia, significat compositum ex materia et forma ; ousiosis id est subsistentia, significat formam ; hypostasis vero materiam. Ergo praedicta differunt.

1. Boce dit dans le commentaire des Catgories que l'ousia, c'est--dire l'essence, signifie le compos de matire et de forme, ousisis, c'est--dire la subsistance, signifie la forme ; et l'hypostase signifie la matire. Donc ces noms sont diffrents.

q. 9 a. 1 s. c. 2 Praeterea, idem videtur ex hoc quod idem auctor assignat praedictorum nominum differentiam in Lib. de duobus naturis.

2. En plus on voit la mme chose du fait que le mme auteur assigne une diffrence ces noms dans le livre des deux Natures (3).

 

Rponse :

q. 9 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod philosophus ponit substantiam dupliciter dici :

Le philosophe (Mtaphysique, V, 8, 1017 b 13[913] ) pense qu'on peut parler de la substance en deux sens.

dicitur enim uno modo substantia ipsum subiectum ultimum, quod non praedicatur de alio : et hoc est particulare in genere substantiae ;

a) Car on dit dans un premier sens que la substance est le sujet ultime qui n'est pas attribu un autre et cela est particulier au genre de la substance[914].

alio modo dicitur substantia forma vel natura subiecti.

b) Dans un autre sens, on dit qu'elle est la forme ou la nature du sujet.

Huius autem distinctionis ratio est, quia inveniuntur plura subiecta in una natura convenire, sicut plures homines in una natura hominis. Unde oportuit distingui quod est unum, ab eo quod multiplicatur : natura enim communis est quam significat definitio indicans quid est res ; unde ipsa natura communis, essentia vel quidditas dicitur.

La raison de cette distinction est qu'on trouve que plusieurs sujets se rencontrent dans une seule nature, ainsi un grand nombre dhommes dans la seule nature humaine. C'est pourquoi il a fallu distinguer ce qui est un de ce qui est multipli ; car la nature commune est ce que signifie la dfinition, qui indique ce qu'est la chose ; c'est pourquoi la nature commune mme est appele essence ou quiddit.

Quidquid ergo est in re ad naturam communem pertinens, sub significatione essentiae continetur, non autem quidquid est in substantia particulari, est huiusmodi. Si enim quidquid est in substantia particulari ad naturam communem pertineret, non posset esse distinctio inter substantias particulares eiusdem naturae. Hoc autem quod est in substantia particulari praeter naturam communem, est materia individualis quae est singularitatis principium, et per consequens accidentia individualia quae materiam praedictam determinant.

Donc tout ce qui dans une chose se rattache la nature commune est contenu sous la signification d'essence, mais tout ce qui est dans une substance particulire n'est pas de ce genre. Car si tout ce qui est dans la substance particulire se rattachait la nature commune, il ne pourrait pas y avoir de distinction entre les substances particulires de nature identique. Mais ce qui est dans la substance particulire au-del de la nature commune, cest la matire individuelle qui est le principe de lindividuation, et par consquence les accidents individuels qui la dterminent.

Comparatur ergo essentia ad substantiam particularem ut pars formalis ipsius, ut humanitas ad Socratem. Et ideo in rebus, ex materia et forma compositis, essentia non est omnino idem quod subiectum ; unde non praedicatur de subiecto : non enim dicitur quod Socrates sit una humanitas.

Donc on compare l'essence la substance particulire, comme sa part formelle, comme l'humanit Socrate. Et c'est pourquoi, dans ce qui est compos de matire et de forme, l'essence n'est pas tout fait identique au sujet ; aussi on ne l'attribue pas au sujet ; car on ne dit pas que Socrate est une [seule] humanit.

In substantiis vero simplicibus, nulla est differentia essentiae et subiecti, cum non sit in eis materia individualis naturam communem individuans, sed ipsa essentia in eis est subsistentia. Et hoc patet per philosophum et per Avicennam, qui dicit, in sua metaphysica, quod quidditas simplicis est ipsum simplex.

Mais, dans les substances simples, il n'y a pas de diffrence entre l'essence et la sujet, puisqu'il n'y a pas en elles de matire individuelle qui individualise la nature commune, mais l'essence elle-mme est en eux subsistance. Et cela, le philosophe le montre (Mtaphysique, VII 6, passim) et aussi Avicenne, qui dit, en sa Mtaphysique, que la quiddit de ce qui est simple est simple elle-mme.

Substantia vero quae est subiectum, duo habet propria :

Mais la substance qui est le sujet, a deux proprits :

quorum primum est quod non indiget extrinseco fundamento in quo sustentetur, sed sustentatur in seipso ; et ideo dicitur subsistere, quasi per se et non in alio existens.

a) La premire est qu'elle n'a pas besoin d'un fondement extrinsque en qui elle serait soutenue, mais elles se soutient d'elle-mme ; et c'est pourquoi, on la dit subsister, comme par soi et sans exister dans un autre.

Aliud vero est quod est fundamentum accidentibus substentans ipsa ; et pro tanto dicitur substare.

b) L'autre est qu'elle est, elle-mme fondement subsistant pour les accidents. Et pour autant, on dit quelle est sujet[915].

Sic ergo substantia quae est subiectum, in quantum subsistit, dicitur ousiosis vel subsistentia ; in quantum vero substat, dicitur hypostasis secundum Graecos, vel substantia prima secundum Latinos. Patet ergo quod hypostasis et substantia differunt ratione, sed sunt idem re.

Donc ainsi la substance, qui est le sujet, en tant qu'elle subsiste, est appel ousisis ou subsistance, en tant quelle est sujet, elle est appele hypostase chez les Grecs, ou substance premire chez les latins. Il est donc clair que l'hypostase et la substance diffrent en raison, mais sont identiques en ralit.

Essentia vero in substantiis quidem materialibus non est idem cum eis secundum rem, neque penitus diversum, cum se habeat ut pars formalis ; in substantiis vero immaterialibus est omnino idem secundum rem, sed differens ratione. Persona vero addit supra hypostasim determinatam naturam : nihil enim est aliud quam hypostasis rationalis naturae

Mais l'essence dans les substances matrielles n'est pas identique elles en ralit, ni tout fait diffrente, puisqu'elle se comporte comme une partie formelle, mais dans les substances immatrielles, elle est tout fait identique en ralit, mais diffrente en raison. Et la personne ajoute l'hypostase une nature dtermine, car elle n'est rien dautre que l'hypostase de nature raisonnable.

 

Solutions :

q. 9 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod, ex quo persona non addit supra hypostasim nisi rationalem naturam, oportet quod hypostasis et persona in rationali natura sint penitus idem ; sicut cum homo addat supra animal, rationale, oportet quod animal rationale sit homo ; et ideo verum est quod Augustinus dicit, quod idem significant Graeci cum confitentur in Deo tres hypostases, et Latini cum confitentur tres personas.

 1. Donc il faut dire que, du fait que la personne n'ajoute l'hypostase que la nature raisonnable, il faut que l'hypostase et la personne soient tout fait identiques dans cette nature raisonnable ; ainsi quand homme ajoute raisonnable animal, il faut que l'animal raisonnable soit un homme, et c'est pour cela que ce que dit Augustin est vrai (La Trinit VII, 4) : lorsque les Grecs confessent qu'en Dieu il y a trois hypostases et les Latins trois personnes, ils signifient la mme chose.

q. 9 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc nomen hypostasis, in Graeco ex proprietate significationis habet quod significet individuam substantiam cuiuscumque naturae ; sed ex usu loquentium habet quod significet individuum rationalis naturae tantum.

 2. Ce nom hypostase, en grec, au sens propre, signifie une substance individuelle de nimporte quelle nature ; mais par l'usage des locuteurs, il signifie l'individu d'une nature raisonnable seulement.

q. 9 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut substantia individua proprium habet quod per se existat, ita proprium habet quod per se agat : nihil enim agit nisi ens actu ; et propter hoc calor sicut non per se est, ita non per se agit ; sed calidum per calorem calefacit. Hoc autem quod est per se agere, excellentiori modo convenit substantiis rationalis naturae quam aliis. Nam solae substantiae rationales habent dominium sui actus, ita quod in eis est agere et non agere ; aliae vero substantiae magis aguntur quam agant. Et ideo conveniens fuit ut substantia individua rationalis naturae, speciale nomen haberet.

 3. La substance individuelle a en propre dexister par soi ; de la mme manire elle a en propre dagir par soi ; car rien n'agit qu'un tant en acte, et c'est pourquoi de mme que cette chaleur n'est pas par soi, de mme elle n'agit pas par soi, mais elle chauffe par la chaleur. Mais agir par soi convient aux substances de nature raisonnable d'une manire plus excellente qu'aux autres. Car seules elles ont pouvoir sur leurs actes, de sorte que cest leur nature d'agir et ne pas agir, mais les autres substances sont  agies  plus qu'elles n'agissent. Et c'est pourquoi il a t convenable que la substance individuelle de nature raisonnable porte un nom spcial.

q. 9 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis nihil subsistat nisi individua substantia, quae hypostasis dicitur, tamen non eadem ratione dicitur subsistere et substare : sed subsistere in quantum non est in alio ; substare vero in quantum alia insunt ei. Unde si aliqua substantia esset quae per se existeret, non tamen esset alicuius accidentis subiectum, posset proprie dici subsistentia, sed non substantia.

 4. Quoique rien ne subsiste sinon la substance individuelle, qui est appele hypostase, cependant on ne dit pas subsistere (subsister) et substare (tre sujet) pour la mme raison. Subsister cest en tant quelle nest pas dans un autre. Etre sujet cest en tant que les autres[916] sont en elle. C'est pourquoi, si quelque substance existait par soi, sans tre cependant le substrat d'un accident, elle pourrait tre proprement appel subsistance, mais pas substance.

q. 9 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Boetius loquitur secundum opinionem Platonis, qui posuit genera et species esse quasdam formas separatas subsistentes, ab accidentibus denudatas ; et secundum hoc poterant dici subsistentiae, sed non hypostases. Vel dicendum, quod subsistere attribuitur generibus et speciebus, non quia subsistant, sed quia individua in eorum naturis subsistunt, etiam omnibus accidentibus remotis.

 5. Boce parle selon l'opinion de Platon[917] qui a pens que les genres et les espces taient des formes spares subsistantes, sans accident, et ainsi, on pouvait les appeler subsistances et non hypostases. Ou bien il faut dire que subsister est attribu aux genres et aux espces, non pas parce qu'ils subsistent, mais parce que les individus subsistent dans leur nature, mme si on exclut tous les accidents.

q. 9 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod essentia in substantiis materialibus significat compositum ex materia et forma, non tamen ex materia individuali, sed ex materia communi : definitio enim hominis quae significat eius essentiam, continet quidem carnes et ossa, sed non has carnes vel haec ossa. Sed materia individualis comprehenditur in significatione hypostasis et subsistentiae in rebus materialibus.

 6. L'essence dans les substances matrielles signifie le compos de matire et de forme ; cependant pas de la matire individuelle, mais de la matire commune. Car la dfinition de l'homme qui signifie son essence, contient les chairs et les os, mais non ces chairs et ces os[918]. Mais la matire individuelle est comprise dans la signification de l'hypostase et de la subsistance dans ce qui est matriel.

q. 9 a. 1 ad 7 Et per hoc patet solutio ad septimum.

 7. Cela claire la septime objection.

q. 9 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod accidentia non individuantur nisi ex suis subiectis. Sola autem substantia per seipsam individuatur, et per propria principia ; et ideo convenienter in solo genere substantiae particulare habet proprium nomen.

 8. Les accidents ne sont individualiss que par leurs substrats, mais seule la substance est individualise par elle-mme et par ses propres principes, et c'est pourquoi il est convenable quelle ait, dans le seul genre particulier de la substance, un nom qui lui est propre

q. 9 a. 1 ad s. c. Rationes quae sunt in oppositum, concedimus ; tamen sciendum, quod Boetius aliter accipit ista nomina in commento praedicamentorum, quam sit communis usus eorum, prout exponit ea in Lib. de duabus naturis. Attribuit enim nomen hypostasis materiae quasi primo principio substandi, ex qua habet substantia prima quod substet accidenti : nam forma simplex subiectum esse non potest, ut dicit idem Boetius in Lib. de Trinit. Nomen autem ousiosis vel subsistentiae attribuit formae quasi essendi principio, per ipsam enim est res in actu ; nomen autem ousia vel essentiae attribuit composito. Unde ostendit quod in substantiis materialibus tam forma quam materia sunt essentialia principia.

Les raisons qui sont en sens contraire, nous les concdons. Cependant, il faut savoir que Boce prend ces noms, dans le commentaire des Catgories d'une autre manire que leur usage commun, tel quil les expose dans le livre des deux Natures. Car il a attribu le nom d'hypostase la matire comme au premier principe du sujet, par laquelle la substance premire est sujet d'un accident. Car la forme simple ne peut pas tre substrat, comme le dit le mme Boce dans La Trinit. Mais le nom ousisis, ou subsistance, il l'a attribu la forme comme principe d'tre, car par elle la chose est en acte, mais le nom d'ousia ou d'essence, il l'a attribu au compos. C'est pourquoi il montre que dans les substances matrielles, tant la forme que la matire sont des principes essentiels.

 

 

 

Article 2 Qu'est-ce que la personne ?

q. 9 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur quid sit persona. Videtur quod inconvenienter definiat eam Boetius in Lib. de duabus naturis dicens quod persona est : rationalis naturae individua substantia.

Il semble que Boce dans le livre Des deux Natures, donne une dfinition qui ne convient pas, en disant que la personne est une substance individuelle de nature raisonnable.

 

Objections :[919] 

q. 9 a. 2Arg. 1 Nullum enim singulare definitur, ut patet per philosophum. Sed persona significat singulare in genere substantiae, ut dictum est. Ergo non potest definiri.

1. Car on ne dfinit rien de singulier, comme le montre le philosophe (Mtaphysique, VII, 15, 1039 b 27[920]). Mais la personne signifie quelque chose de singulier dans le genre de la substance, comme on l'a dit. Donc elle ne peut pas tre dfinie.

q. 9 a. 2Arg. 2 Sed dicendum, quod licet id quod est persona sit quoddam singulare, tamen ratio personae communis est, et pro tanto persona in communi definiri potest.- Sed contra, id quod est commune omnibus substantiis individuis rationalis naturae, est intentio singularitatis, quae quidem non est in genere substantiae. Ergo non debet in definitione personae poni substantia quasi genus.

2. Mais il faut dire que, bien que ce quest une personne soit quelque chose de singulier, cependant sa notion est commune, et pour autant la personne peut avoir une dfinition commune. En sens contraire, ce qui est commun toutes les substances individuelles de nature raisonnable est le concept de singularit[921], qui n'est pas dans le genre de la substance. Donc la substance ne doit pas tre place dans la dfinition de la personne en tant que genre.

q. 9 a. 2Arg. 3 Sed dicendum, quod hoc nomen persona non significat tantum intentionem, sed intentionem simul cum subiecto intentionis.- Sed contra est quod philosophus probat, quod compositum ex subiecto et ex accidente, non potest definiri,- sequeretur enim nugatio in definitione,- cum enim in definitione accidentis ponatur subiectum, sicut nasus in definitione simi, oportebit quod in definitione compositi ex subiecto et accidente, ponatur bis subiectum : semel pro se, et semel pro accidente. Si ergo persona significat intentionem et subiectum, inconveniens est quod definiatur.

3. Mais il faut dire que ce nom de personne ne signifie pas seulement le concept, mais un concept en mme temps que son sujet. En sens contraire, il y a ce que le philosophe prouve (Mtaphysique, VII, 5, 1031 a 4[922].) qu'on ne peut pas dfinir ce qui est compos dun sujet et d'un accident en effet, il en dcoulerait une niaiserie dans la dfinition car comme on place le substrat dans la dfinition de laccident, comme le nez dans la dfinition du camus, il faudra que, dans ce qui est compos dun sujet et dun l'accident, on place deux fois le sujet : une fois pour lui et une fois pour l'accident. Si donc la personne signifie le concept et le substrat, il ne convient pas de la dfinir.

q. 9 a. 2Arg. 4 Praeterea, subiectum huius intentionis communis est aliquod singulare. Si ergo persona significat simul intentionem et subiectum intentionis, adhuc sequeretur quod, definita persona, definiatur singulare ; quod est inconveniens.

4. Le sujet de ce concept commun est quelque chose de singulier. Donc si la personne signifiait en mme temps le concept et le substrat du concept, il en dcoulerait alors, quune fois dfinie la personne, on aurait dfini ce qui est singulier, ce qui ne convient pas.

q. 9 a. 2Arg. 5 Praeterea, intentio non ponitur in definitione rei, nec accidens in definitione substantiae. Persona autem est nomen rei et substantiae. Inconvenienter igitur in definitione personae ponitur individuum, quod est nomen intentionis et accidentis.

5. Le concept n'est pas plac dans la dfinition de la chose, ni l'accident dans la dfinition de la substance. Mais la personne est le nom de la chose et de la substance. Donc il ne convient pas de placer dans la dfinition de la personne lindividu qui est le nom du concept et de laccident

q. 9 a. 2Arg. 6 Praeterea, illud in cuius definitione ponitur substantia pro genere, oportet quod sit species substantiae. Sed persona non est species substantiae, quia condivideretur contra alias substantiae species. Ergo inconvenienter ponitur substantia in definitione personae quasi genus.

6. Si la substance est mise la place du genre, cela doity tre lespce de la usbstance. Mais la personne nest pas lespce de la substance, parce quelle serait spare des autres espces de substances. Donc il ne convient pas de placer la substance dans la dfinition de la personne comme genre.

q. 9 a. 2Arg. 7 Praeterea, substantia dividitur per primam et secundam. Sed substantia secunda non potest poni in definitione personae : esset enim oppositio in adiecto,- cum dicitur substantia individua,- nam substantia secunda est substantia universalis. Similiter autem neque substantia prima, nam substantia prima est substantia individua ; et sic esset nugatio cum additur individuum supra substantiam in definitione personae. Inconvenienter ergo substantia ponitur in definitione personae.

7. La substance est divise en premire et en seconde[923], mais la substance seconde ne peut tre place dans la dfinition de la personne, car il y aurait une opposition dans ce qui serait ajout quand on parle de la substance individuelle car la substance seconde est la substance universelle. De mme la substance premire non plus, car elle est substance individuelle, et ainsi ce serait une niaiserie dajouter lindividu une substance dans la dfinition de la personne. Donc il ne convient pas de placer la substance dans la dfinition de la personne.

q. 9 a. 2Arg. 8 Praeterea, nomen subsistentiae propinquius esse videtur personae quam substantia : dicimus enim in Deo tres subsistentias, sicut et tres personas ; non autem dicimus tres substantias, sed unam. Magis ergo debuit persona per subsistentiam quam per substantiam definiri.

8. Le noms de subsistance parat plus proche de la personne que la substance ; car nous disons qu'il y a trois subsistances en Dieu comme aussi trois personnes ; nous ne disons pas trois substances, mais une. Donc la personne aurait d tre dfinie plutt par la subsistance que par la substance.

q. 9 a. 2Arg. 9 Praeterea, quod ponitur in definitione tamquam genus, multiplicato definito multiplicatur, plures enim homines sunt plura animalia. Sed in Deo sunt tres personae, non autem tres substantiae. Ergo substantia non debet poni in definitione personae quasi genus.

9. Ce qui est plac dans la dfinition en tant que genre, est multipli si on multiplie ce qui est dfini, car plus il y a d'hommes plus il y a d'animaux, mais en Dieu il y a trois personnes, mais pas trois substances. Donc la substance ne doit pas tre place dans la dfinition de la personne en tant que genre.

q. 9 a. 2Arg. 10 Praeterea, rationale est differentia animalis. Sed persona invenitur in his quae non sunt animalia, scilicet in Angelis et in Deo. Ergo rationale non debuit poni in definitione personae.

10 Le rationnel est la diffrence avec l'animal ; mais on trouve la personne dans ces (tres) qui ne sont pas des animaux, savoir les anges et Dieu. Donc le raisonnable ne doit pas tre plac dans la dfinition de la personne.

q. 9 a. 2Arg. 11 Praeterea, natura est tantum in rebus mobilibus : est enim principium motus, ut dicitur in II Phys. Sed essentia est tam in rebus mobilibus quam in immobilibus. Ergo convenientius fuit in definitione personae ponere essentiam quam naturam, cum etiam persona inveniatur tam in rebus mobilibus quam in immobilibus : est enim in hominibus, in Angelis et in Deo.

11. La nature nest que dans ce qui est mobile ; car elle est le principe du mouvement, comme on le dit (Physique, II, 1, 192 b 20[924]). Mais l'essence est autant dans ce qui est mobile que dans ce qui est immobile. Donc, dans la dfinition de la personne, il a t plus convenable de placer l'essence que la nature, puisque la personne se trouve autant dans ce qui est mobile que dans ce qui est immobile, car elle est dans les hommes, les anges et Dieu.

q. 9 a. 2Arg. 12 Praeterea, definitio debet converti cum definito. Non autem omne quod est rationalis naturae individua substantia, est persona. Essentia enim divina, secundum quod est essentia, non est persona, alioquin esset in Deo una persona, sicut est una essentia. Ergo inconvenienter definitur persona definitione praedicta.

12. La dfinition doit tre convertible avec ce quelle dfinit. Mais tout ce qui est substance individuelle de nature rationnelle est une personne. L'essence divine, en effet, en tant que telle, n'est pas une personne, autrement il n'y aurait qu'une seule personne en Dieu, comme il ny a quune seule essence. Donc la personne est mal caractrise par la dfinition.

q. 9 a. 2Arg. 13 Praeterea, humana natura in Christo est rationalis naturae individua substantia : neque enim est accidens, neque universalis substantia, neque irrationalis naturae ; non tamen humana natura in Christo est persona : sequeretur enim quod persona divina quae assumpsit humanam naturam, assumpsisset humanam personam ; et sic essent in Christo duae personae, scilicet divina assumens, et humana assumpta ; quod est haeresis Nestorianae. Non ergo omnis individua substantia rationalis naturae est persona.

13. La nature humaine dans le Christ est une substance individuelle de nature rationnelle : car elle n'est ni un accident, ni une substance universelle, ni d'une nature sans raison : cependant la nature humaine dans le Christ n'est pas une personne, car il en dcoulerait que la personne divine qui a assum la nature humaine, aurait assum une personne humaine ; et ainsi il y aurait dans le Christ deux personnes, savoir la personne divine, qui assume et la personne humaine, qui est assume ; ce qui est l'hrsie nestorienne. Donc toute substance individuelle de nature rationnelle n'est pas une personne.

q. 9 a. 2Arg. 14 Praeterea, anima separata a corpore per mortem, non dicitur esse persona ; et tamen est rationalis naturae individua substantia. Non ergo haec est conveniens definitio personae.

14. L'me spare du corps par la mort n'est pas appele personne, et cependant c'est une substance individuelle d'une nature raisonnable. Donc ce ne n'est pas une dfinition convenable de la personne.

 

Rponse :

q. 9 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod rationabiliter, individuum in genere substantiae speciale nomen sortitur : quia substantia ex propriis principiis individuatur,- et non ex alio extraneo,- sicut accidens ex subiecto. Inter individua etiam substantiarum rationabiliter individuum in rationali natura, speciali nomine nominatur, quia ipsius est proprie et vere per se agere, sicut supra dictum est.

Selon la raison (comme cela se voit dans ce qui a t dit[925]) l'individu reoit un nom spcial dans le genre de la substance, parce que celle-ci est individue par ses propres principes[926] et non par quelque autre chose extrieure, comme l'accident lest par son substrat. Parmi les individus des substances individuelles, raisonnable dans une nature raisonnable, elle est nomme par un nom spcial, parce qu'il lui appartient rellement et vraiment dagir par soi, comme on l'a dit ci-dessus.

Sicut ergo hoc nomen hypostasis, secundum Graecos, vel substantia prima secundum Latinos, est speciale nomen individui in genere substantiae ; ita hoc nomen persona, est speciale nomen individui rationalis naturae. Utraque ergo specialitas sub nomine personae continetur.

Donc de mme que ce nom d'hypostase, selon les grecs, ou de substance premire, selon les Latins, est le nom spcial d'un individu dans le genre de la substance, de mme ce nom de personne est le nom spcial d'un individu de nature raisonnable. Donc lune et lautre particularits sont contenues sous le nom de personne.

Et ideo ad ostendendum quod est specialiter individuum in genere substantiae, dicitur quod est substantia individua ; ad ostendendum vero quod est specialiter in rationali natura, additur rationalis naturae. Per hoc ergo quod dicitur substantia, excluduntur a ratione personae accidentia quorum nullum potest dici persona. Per hoc vero quod dicitur individua, excluduntur genera et species in genere substantiae quae etiam personae dici non possunt ; per hoc vero quod additur rationalis naturae, excluduntur inanimata corpora, plantae et bruta quae personae non sunt.

Et c'est pourquoi, pour montrer que l'individu est spcialement dans le genre de la substance, on dit que c'est une substance individuelle ; mais pour montrer quil est spcialement dans la nature raisonnable, on ajoute de nature raisonnable. Donc du fait quil est appel substance, les accidents sont exclus de la nature de la personne, dont aucun ne peut tre appel personne. Par le fait quon parle dindividus sont exclus les genres et les espces dans le genre de la substance qui ne peuvent pas tre appels non plus des personne ; du fait qu'on ajoute de nature raisonnable, sont exclus les corps inanims, les plantes, les animaux qui ne sont pas des personnes.

 

Solutions :

q. 9 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in substantia particulari, est tria considerare : quorum unum est natura generis et speciei in singularibus existens ; secundum est modus existendi talis naturae, quia in singulari substantia existit natura generis et speciei, ut propria huic individuo, et non ut multis communis ;

 1. Dans la substance particulire, il faut considrer trois aspects :a) L'un est la nature du genre et de l'espce, qui existe dans les objets particuliersb) Le mode d'existence d'une telle nature, parce que la nature du genre et de l'espce existe dans la substance particulire, comme propre cet individu et non comme commun beaucoup. objets particuliers.

tertium est principium ex quo causatur talis modus existendi.

c) Le troisime est le principe qui cause un tel mode d'existence.

Sicut autem natura in se considerata communis est, ita et modus existendi naturae ; non enim invenitur natura hominis existens in rebus nisi aliquo singulari individuata : non enim est homo qui non sit aliquis homo, nisi secundum opinionem Platonis, qui ponebat universalia separata. Sed principium talis modi existendi quod est principium individuationis, non est commune ; sed aliud est in isto, et aliud in illo ; hoc enim singulare individuatur per hanc materiam, et illud per illam. Sicut ergo nomen quod significat naturam, est commune et definibile,- ut homo vel animal,- ita nomen quod significat naturam cum tali modo existendi, ut hypostasis vel persona. Illud vero nomen quod in sua significatione includit determinatum individuationis principium, non est commune nec definibile, ut Socrates et Plato.

Mais de mme que la nature, considre en soi, est commune, son mode d'existence aussi, car on ne trouve la nature d'un homme qui existe en ralit qu'individualise par quelque chose de particulier, car il n'y a pas d'homme qui ne soit pas un certain homme, sinon selon l'opinion de Platon qui plaait des universels spars. Mais le principe d'un tel mode d'existence qui est un principe d'individuation n'est pas commun ; mais il est diffrent dans l'un et dans l'autre ; car cet tre singulier est individu par cette matire et cet autre par celle-l. De mme donc que le nom qui signifie la nature est commun et dfinissable, comme homme ou animal de mme le nom qui signifie la nature avec un tel mode d'existence, comme hypostase, ou personne. Mais ce nom qui inclut dans sa signification un principe dtermin d'individuation, n'est ni commun, ni dfinissable, comme Socrate et Platon.

q. 9 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non solum intentio singularitatis est communis omnibus individuis substantiis, sed etiam natura generis cum tali modo existendi ; et hoc modo significat hoc nomen hypostasis naturam generis substantiae ut individuatam ; hoc autem nomen persona solum naturam rationalem sub tali modo existendi. Et propter hoc neque hypostasis neque persona est nomen intentionis, sicut singulare vel individuum, sed nomen rei tantum ; non autem rei et intentionis simul.

 2. Non seulement le concept de singularit est commun toutes les substances individuelles, mais la nature du genre aussi avec un tel mode d'existence ; et de cette manire le nom d'hypostase signifie la nature du genre de la substance en tant quindividualise ; mais ce nom de personne signifie seulement la nature raisonnable qui existe sous un tel mode dexistence. Et c'est pour cela que ni hypostase, ni personne, ne sont le nom du concept en tant que singulier ou individuel ; mais le nom de la chose seulement ; mais pas celui de la chose et du concept en mme temps.

q. 9 a. 2 ad 3 Unde patet solutio ad tertium et quartum.

 3. 4. Ainsi sՎclaire la solution la troisime et quatrime objection.

q. 9 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum quod, quia essentiales rerum differentiae sunt ignotae frequenter et innominatae, oportet interdum uti accidentalibus differentiis ad substantiales differentias designandas, sicut docet philosophus, et hoc modo individuum ponitur in definitione personae, ad designandum individualem modum essendi.

 5. Parce que les diffrences essentielles sont frquemment ignores et sans nom, il faut parfois se servir des diffrences accidentelles, pour dsigner des diffrences substantielles, comme le montre le philosophe (Mtaphysique, VIII, 2, 1043 a 5) et de cette manire on place lindividu dans la dfinition de la personne pour dsigner le mode individuel d'tre.

q. 9 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum quod, cum dividitur substantia in primam et secundam, non est divisio generis in species,- cum nihil contineatur sub secunda substantia quod non sit in prima,- sed est divisio generis secundum diversos modos essendi. Nam secunda substantia significat naturam generis secundum se absolutam ; prima vero substantia significat eam ut individualiter subsistentem. Unde magis est divisio analogi quam generis. Sic ergo persona continetur quidem in genere substantiae, licet non ut species, sed ut specialem modum existendi determinans.

 6. Quand la substance est divise en premire et seconde, ce n'est pas une division du genre en espce puisque rien n'est contenu sous la substance seconde qui ne soit dans la substance premire mais c'est une division du genre selon les diverses manires d'tre. Car la substance seconde signifie la nature absolue du genre en soi ; mais la substance premire signifie celle en tant quelle subsiste individuellement. C'est pourquoi c'est plus une division de lanalogue que du genre. Ainsi donc la personne est contenue dans le genre de la substance, bien qu'elle ny soit pas comme espce, mais comme ce qui dtermine un mode spcial d'existence.

q. 9 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quidam dicunt, quod substantia ponitur in definitione personae prout significat hypostasim, sed cum de ratione hypostasis sit individuum, secundum quod opponitur communitati universalis vel parti,- quia nullum universale, nec aliqua pars, ut manus vel pes, potest dici hypostasis,- ulterius de ratione personae est individuum, secundum quod opponitur communitati assumptibilis. Dicunt enim, quod humana natura in Christo est hypostasis, sed non persona. Et ideo ad excludendum assumptibilitatem additur individuum in definitione personae.

 7. Certains disent que la substance est place dans la dfinition de la personne dans la mesure o elle signifie l'hypostase, mais comme lindividu concerne le concept d'hypostase, selon qu'il est oppos au caractre commun de l'universel ou la partie parce que rien d'universel, ni une partie, comme la main ou le pied ne peut tre appel hypostase l'individu concerne en plus le concept de personne selon quil est oppos lՎtat commun de ce qui ne peut tre assum. Car ils disent que la nature humaine dans le Christ est une hypostase, mais non une personne. Et c'est pourquoi pour exclure quelle puisse tre assume, on ajoute individu dans la dfinition de la personne.

Sed hoc videtur esse contra intentionem Boetii, qui in Lib. de duabus naturis, per hoc quod dicitur individuum, excludit universalia a ratione personae. Et ideo melius est ut dicatur, quod substantia non ponitur in definitione personae pro hypostasi, sed pro eo quod est commune ad substantiam primam, quae est hypostasis, et substantiam secundam, et dividitur in utraque. Et sic illud commune, per hoc quod additur individuum, contrahitur ad hypostasim, ut idem sit dicere : substantia individua rationalis naturae, ac si diceretur hypostasis rationalis naturae.

Mais cela parat oppos la pense de Boce, qui dans le livre Des deux natures, du fait qu'on parle dindividu, est exclu ce qui est universel de la nature de la personne. Et c'est pourquoi il est meilleur de dire que la substance n'est pas place dans la dfinition de la personne la place de lhypostase, mais pour ce qui est commun la substance premire, qui est l'hypostase, et la substance seconde et elle est divise en l'une et l'autre. Et ainsi ce qui est commun, par le fait qu'on ajoute individu, est runie l'hypostase pour que ce soit la mme chose de dire : substance individuelle de nature raisonnable comme si on parlait dune hypostase de nature raisonnable.

q. 9 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum quod, secundum praedicta, ratio non procedit : quia substantia accipitur non pro hypostasi, sed pro eo quod est commune ad omnem substantiae acceptionem. Si tamen acciperetur substantia pro hypostasi, adhuc ratio non sequeretur : substantia enim quae est hypostasis, propinquius se habet ad personam quam subsistentia ; cum tamen persona dicat aliquid subiectum, sicut substantia prima, et non solum sicut subsistens ut subsistentia. Sed quia nomen substantiae refertur etiam apud Latinos ad significationem essentiae, ideo ad vitandum errorem non dicimus tres substantias, sicut tres subsistentias. Graeci vero apud quos est distinctum nomen hypostasis a nomine ousias indubitanter in Deo tres hypostases confitentur.

 8. Selon ce qui a t dit, cette raison ne vaut pas, parce que la substance est prise non pour une hypostase mais pour ce qui est commun toute l'acception de la substance. Si cependant la substance tait prise la place de l'hypostase, la raison ne vaudrait pas non plus, car la substance qui est lhypostase se montre plus proche de la personne que la subsistance ; tant donn que la personne dsigne un substrat, de mme que la substance premire et non seulement en tant que subsistant comme subsistance. Mais parce que le nom de substance est rapport aussi chez les Latins la signification de l'essence, pour viter une erreur, nous parlons de trois substances, comme de trois subsistances. Mais les Grecs, chez qui le nom hypostase est distingu de ousia, confessent, sans doute aucun, trois hypostases en Dieu.

q. 9 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum quod, sicut dicimus in Deo tres personas, ita possumus dicere tres substantias individuas ; unam tamen substantiam quae est essentia.

 9. De mme que nous disons qu'il y a trois personnes en Dieu, de mme nous pouvons parler de trois substances individuelles, cependant dune seule substance qui est l'essence.

q. 9 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod rationale est differentia animalis, secundum quod ratio, a qua sumitur, significat cognitionem discursivam, qualis est in hominibus, non autem in Angelis nec in Deo. Boetius autem sumit rationale communiter pro intellectuali, quod dicimus convenire Deo et Angelis et hominibus.

 10. Raisonnable dsigne la diffrence de l'animal selon que la notion, d'o il est pris, signifie la connaissance discursive telle qu'elle est dans l'homme, mais non dans les anges[927], ni en Dieu. Mais Boce prend raisonnable communment pour intellectuel, que nous disons convenir Dieu, aux anges et aux hommes.

q. 9 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum quod natura in definitione personae non accipitur prout est principium motus, sicut definitur a philosopho, sed sicut definitur a Boetio : quod natura est unumquodque informans specifica differentia. Et quia differentia complet definitionem et determinat definitum ad speciem, ideo nomen naturae magis competit in definitione personae,- quae specialiter in quibusdam substantiis invenitur,- quam nomen essentiae, quod est communissimum.

 11. La nature, dans la dfinition de la personne n'est pas prise selon qu'elle est le principe du mouvement comme le philosophe la dfinit (Physique, II, 193 a 30[928]), mais comme elle est dfinie par Boce (dans Les deux natures, III) parce que la nature est une diffrence spcifique qui donne forme chaque chose. Et parce que la diffrence complte la dfinition et dtermine le dfini l'espce, le nom de nature appartient plus la dfinition de la personne qui se trouve spcialement en certaines substances que le nom essence qui est trs commun.

q. 9 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod individuum, in definitione personae, sumitur pro eo quod non praedicatur de pluribus ; et secundum hoc essentia divina non est individua substantia secundum praedicationem,- cum praedicetur de pluribus personis,- licet sit individua secundum rem. Richardus tamen de sancto Victore, corrigens definitionem Boetii, secundum quod persona in divinis accipitur, dixit : quod persona est divinae naturae incommunicabilis existentia, ut per hoc quod dicitur incommunicabilis, essentia divina, persona non esse, ostenderetur.

 12. Lindividu, dans la dfinition de la personne, est pris pour ce qui est attribu plusieurs, et ainsi l'essence divine n'est pas une substance individuelle selon l'attribution puisqu'elle est attribue plusieurs personnes bien qu'elle soit individuelle en ralit ; cependant Richard de saint Victor (La Trinit, IV, 18 et 23), corrigeant la dfinition de Boce, selon que la personne est reue en Dieu, a dit que : La personne est une existence incommunicable de nature divine. pour montrer que parce quon la dit incommunicable, l'essence divine nest pas une personne.

q. 9 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod cum substantia individua sit quoddam completum per se existens, humana natura in Christo, cum sit assumpta in personam divinam, non potest dici substantia individua,- quae est hypostasis,- sicut nec manus nec pes nec aliquid eorum quae non subsistunt per se ab aliis separata ; et propter hoc non sequitur quod sit persona.

 13. Comme la substance individuelle est quelque chose de complet existant par soi, comme la nature humaine dans le Christ a t assume dans la personne divine, elle ne peut pas tre appele substance individuelle qui est une hypostase, de mme que ni la main ni le pied, ni quelque chose de ce qui ne subsiste pas par soi spar des autres ; et pour cela il n'en dcoule pas quelle soit une personne.

q. 9 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum quod anima separata est pars rationalis naturae, scilicet humanae, et non tota natura rationalis humana, et ideo non est persona.

 14. L'me spare est une partie de la nature raisonnable, savoir de la nature humaine, et non toute la nature raisonnable humaine et c'est pour cela que ce n'est pas une personne.

 

 

 

Article 3 Peut-il y avoir une personne en Dieu ?

q. 9 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum in Deo possit esse persona. Et videtur quod non.

Il semble que non[929].

 

Objections :

q. 9 a. 3Arg. 1 Sicut enim dicit Boetius nomen personae sumitur a personando, quia homines larvati personae dicebantur, quia in comoediis vel tragoediis aliquid personabant. Sed esse larvatum non competit Deo, nisi forte metaphorice. Ergo nomen personae non potest dici de Deo, nisi forte metaphorice.

1. Car, comme le dit Boce (Les deux Natures, III, PL. 64, 1344 A), le nom de personne vient de personare (c'est--dire rsonner) : les hommes qui portaient un masque taient appels des personnes, parce que, dans les comdies et les tragdies, leurs voix rsonnaient. Mais porter un masque ne convient pas Dieu sinon par mtaphore. Donc le nom de personne ne peut tre employ pour Dieu, sinon ventuellement par mtaphore.

q. 9 a. 3Arg. 2 Praeterea, sicut dicit Damascenus, de nullo eorum quae dicuntur de Deo, possumus scire quid est, prout ei conveniunt. Sed de persona scimus quid est, per definitionem praemissam. Ergo persona non competit Deo, ad minus secundum definitionem praedictam.

2. Comme le dit Jean Damascne (La foi orthodoxe I, 1, 2 et 4), de tout ce qu'on dit propos de Dieu, nous ne pouvons savoir ce quil est, dans la mesure o cela lui convient. Mais pour la personne, nous savons ce quelle est, par la dfinition rapporte ci-dessus (a. 2). Donc le nom de personne ne convient pas Dieu, au moins selon la dfinition quon en a donne.

q. 9 a. 3Arg. 3 Praeterea, Deus non est in aliquo genere ; cum enim sit infinitus, sub nullius generis terminis comprehendi potest. Persona autem significat aliquid quod est in genere substantiae. Ergo persona Deo non convenit.

3. Dieu n'est pas dans un genre, car comme il est infini, il ne peut tre compris sous les termes d'aucun genre. Mais la personne signifie quelque chose qui est dans le genre de la substance. Donc la personne ne convient pas Dieu.

q. 9 a. 3Arg. 4 Praeterea, in Deo nulla est compositio. Sed persona significat aliquid compositum ; singulare enim humanae naturae, quod est persona, est maximae compositionis ; partes etiam definitionis personae demonstrant personam esse compositam. Non est ergo in Deo persona.

4. Il n'y a nulle composition en Dieu. Mais la personne signifie quelque chose de compos ; car l'individu particulier de nature humaine, qui est une personne est dune trs grande composition ; les parties de la dfinition de la personne montrent aussi qu'elle est compose. Donc il n'y a pas de personne en Dieu.

q. 9 a. 3Arg. 5 Praeterea, in Deo nulla est materia. Principium autem individuationis materia est. Cum ergo persona sit substantia individua, non potest Deo convenire.

5. En Dieu il n'y a pas de matire. Mais le principe d'individuation est la matire. Comme la personne est une substance individuelle, elle ne peut convenir Dieu.

q. 9 a. 3Arg. 6 Praeterea, omnis persona est subsistentia. Sed Deus non potest dici subsistentia, quia non existit sub aliquo. Ergo non est persona.

6. Toute personne est une subsistance. Mais Dieu ne peut pas tre appel subsistance, parce qu'il n'est plac sous rien[930]. Donc il n'est pas une personne.

q. 9 a. 3Arg. 7 Praeterea, persona sub hypostasi continetur. Sed in Deo non potest esse hypostasis, quia non est in eo aliquod accidens, cum hypostasis dicat subiectum accidentis, ut supra dictum est. Ergo in Deo non est persona.

7. La personne est contenue sous l'hypostase. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir d'hypostase, parce qu'en lui, il n'y a pas d'accident, puisquon dit que lhypostase est le substrat de laccident, comme ci-dessus (art. 1[931]) on l'a dit. Donc en Dieu il n'y a pas de personne.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 3 s. c. Sed contrarium, apparet per Athanasium in symbolo quicumque vult, etc., et per Augustinum in VII de Trinit., et per communem Ecclesiae usum, quae a spiritu sancto edocta non potest errare.

Le contraire apparat dans le Symbole d'Athanase[932] :Quiconque veut etc. et chez Augustin (La Trinit, VII, 6) et par l'usage commun de l'glise, qui, instruite par l'Esprit saint, ne peut pas se tromper.

 

Rponse :

q. 9 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod persona, sicut dictum est, significat quamdam naturam cum quodam modo existendi. Natura autem, quam persona in sua significatione includit, est omnium naturarum dignissima, scilicet natura intellectualis secundum genus suum. Similiter etiam modus existendi quem importat persona est dignissimus, ut scilicet aliquid sit per se existens

La personne, comme il a t dit, signifie une nature avec un certain mode d'existence. Mais la nature, que  personne  inclut dans sa signification est la plus digne de toutes les natures, savoir, selon son genre, la nature intellectuelle. De mme aussi le mode d'existence qu'apporte la personne est le plus digne, en tant que ralit qui existe en soi.

Cum ergo omne quod est dignissimum in creaturis, Deo sit attribuendum, convenienter nomen personae Deo attribui potest, sicut et alia nomina quae proprie dicuntur de Deo.

Donc, comme tout ce qui est le plus digne dans les cratures doit tre attribu Dieu, il convient que le nom de personne puisse lui tre attribu, comme les autres noms qui lui sont attribus en propre.

 

Solutions :

q. 9 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod in nomine aliquo est duo considerare : scilicet, illud ad quod significandum nomen imponitur, et illud a quo imponitur ad significandum. Frequenter enim imponitur nomen aliquod ad significandum rem aliquam, ab aliquo accidente aut actu aut effectu illius rei ; quae tamen non sunt principaliter significata per illud nomen, sed potius ipsa rei substantia, vel natura sicut hoc nomen lapis sumitur a laesione pedis, quam tamen non significat, sed potius corpus quoddam in quo tale accidens frequenter invenitur. Unde laesio pedis magis pertinet ad etymologiam huius nominis lapis, quam ad eius significationem.

# 1. Dans un nom il y a deux aspects considrer : lun simpose pour signifier pour quoi ? et lautre par quoi ? Car frquemment le nom sert pour signifier quelque chose par un accident, un acte ou un de ses effets ; cependant cela n'est pas signifi principalement par ce nom, mais plutt par la substance de la chose, ou sa nature ; ainsi le nom pierre est pris de  qui blesse le pied[933] . Ce que cependant il ne signifie pas, mais il signifie plutt un corps dans lequel se trouve frquemment un tel accident. C'est pourquoi la blessure du pied appartient son tymologie plus qu' sa signification.

Quando ergo illud ad quod significandum nomen imponitur, Deo non competit,- sed aliqua proprietas eius secundum similitudinem quamdam,- tunc illud nomen de Deo metaphorice dicitur : sicut Deus nominatur leo, non quia natura illius animalis Deo conveniat, sed propter fortitudinem quae in leone invenitur. Quando vero res significata per nomen Deo convenit, tunc illud nomen proprie de Deo dicitur, sicut bonum, sapiens et huiusmodi ; licet etiam quandoque illud a quo tale nomen imponitur, non conveniat Deo. Sic ergo licet personare ad modum larvati hominis a quo impositum fuit nomen personae, Deo non conveniat, tamen illud quod significatur per nomen, scilicet subsistens in natura intellectuali, competit Deo ; et propter hoc nomen personae proprie sumitur in divinis.

Donc quand ce quoi sert le nom pour signifier quelque chose ne lui convient pas mais une de ses proprits selon une ressemblance quelconque alors ce nom est employ pour Dieu mtaphoriquement ; ainsi Dieu est appel lion, non pas parce que la nature animale lui convient, mais cause de la force qui est dans le lion. Mais quand une chose signifie par le nom lui convient, alors il est employ au sens propre, comme bon, sage, etc. ; bien que quelquefois aussi ce par quoi on se sert d'un tel nom ne lui convienne pas. Ainsi donc, bien que crier voix forte la manire dun homme masqu, par qui a t impos le nom de personne, ne convienne pas Dieu, cependant ce quil signifie, savoir qui subsiste dans une nature intellectuelle, lui convient, et cause de cela le nom de personne est pris en lui au sens propre.

q. 9 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum quod tam nomen personae quam definitio de persona data, si recte intelligatur, convenit Deo : non tamen ita quod sit definitio eius, quia plus est in Deo quam significetur per nomen. Unde id quod Dei est, per rationem nominis non definitur.

# 2. Tant le nom de personne que la dfinition quon lui donne, si on les comprend bien, conviennent Dieu, non cependant de sorte que ce soit sa dfinition, parce qu'il y a plus en Dieu que ce qui est signifi par le nom. C'est pourquoi ce qui appartient Dieu n'est pas dfini par la signification de ce nom.

q. 9 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet Deus non sit in genere substantiae tamquam species, pertinet tamen ad genus substantiae sicut generis principium.

# 3. Bien que Dieu ne soit pas dans le genre de la substance, comme espce, il se rapporte cependant au genre de la substance comme principe du genre.

q. 9 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum quod accidit personae, in quantum huiusmodi, quod sit composita, ex hoc quod complementum vel perfectio, quae requiritur ad rationem personae, non invenitur statim in uno simplici, sed requirit adunationem multorum, sicut in hominibus patet. In Deo autem, cum summa simplicitate est summa perfectio ; et ideo est ibi persona absque compositione. Partes vero positae in definitione personae non ostendunt aliquam compositionem personae, nisi in substantiis materialibus : individuum autem cum sit negatio, per hoc quod substantiae additur, nulla compositio importatur. Unde remanet ibi sola compositio individuae substantiae, id est hypostasis ad naturam : quae duo, in substantiis immaterialibus, secundum rem, sunt idem omnino.

# 4. Il arrive la personne en tant que telle, dՐtre compose, du fait que ce qui l'achve ou la parfait, requis pour sa nature, ne se trouve pas constamment dans ce qui est un et simple, mais requiert l'union de beaucoup de parties, comme on le voit pour l'homme. Mais en Dieu, comme la perfection surpme vient de sa suprme simplicit, il y a une personne sans composition. Aussi les parties places dans la dfinition de la personne ne montrent une composition de la personne que dans les substances matrielles ; mais comme lindividu est une ngation, du fait qu'il est ajout la substance, il napporte aucune composition. C'est pourquoi la seule composition de la substance individuelle y demeure, c'est--dire l'hypostase pour la nature ; les deux, dans les substances immatrielles, sont tout fait identiques en ralit.

q. 9 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum quod rebus materialibus, in quibus formae non sunt per se subsistentes, sed materiae inhaerentes, oportet quod principium individuationis sit ex materia : formae vero immateriales, cum sint per se subsistentes, ex seipsis individuantur ; ex hoc enim quod aliquid est subsistens, habet quod de pluribus praedicari non potest : et ideo nihil prohibet in rebus immaterialibus substantiam individuam et personam inveniri.

# 5. Pour les choses matrielles, en qui les formes ne sont pas subsistantes par soi, mais inhrentes la matire, il faut que le principe d'individuation vienne de la matire : mais comme les formes immatrielles sont subsistantes par soi, elles sont individues par elles-mmes ; car du fait que quelque chose est subsistant, il a ce qui ne peut pas tre attribu plusieurs ; et c'est pourquoi rien n'empche de trouver dans les choses immatrielles, une substance individuelle et une personne.

q. 9 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum quod, licet in Deo non sit compositio, ut in eo aliquid sub alio intelligi possit, tamen secundum intellectum nostrum, seorsum accipimus esse eius et substantiam ipsius sub esse eius existentem, ut huic subsistens dicatur. Vel dicendum, quod licet subesse,- a quo imponitur vocabulum subsistendi,- Deo non conveniat, tamen per se esse,- ad quod significandum imponitur,- competit ei.

# 6. Bien qu'en Dieu, il n'y ait pas de composition, qui puisse faire penser qu'une chose en lui est soumise une autre, cependant, selon notre esprit, nous avons admis ci-dessus que son tre et sa substance existent sous son tre, pour le dire subsistant. Ou bien il faut dire, que bien qu' "tre sujet" notion quimpose le terme de subsister, ne convienne pas Dieu cependant tre par soi, ce quoi il sert le signifier lui convient.

q. 9 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum quod, licet in Deo non sint accidentia, sunt tamen in eo proprietates personales, quibus hypostases substant.

# 7. Bien qu'en Dieu il n'y ait pas d'accidents, il y a cependant des proprits personnelles[934] dont les hypostases sont le substrat.

 

 

 

Article 4 Ce nom "personne" signifie-t-il en Dieu, le relatif ou l'absolu[935] ?

q. 9 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum hoc nomen persona in divinis significet relativum, vel aliquid absolutum. Et videtur quod significet aliquid absolutum.

Il semble qu'il signifie l'absolu[936].

 

Objections :

q. 9 a. 4Arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod cum Ioannes dicit : tres sunt qui testimonium dant in caelo, pater, verbum et spiritus sanctus ; et quaereretur quid tres essent, responsum est quod sunt tres personae. Sed quid quaerit de essentia. Ergo hoc nomen persona in divinis significat essentiam.

1. Car Augustin rapporte (La Trinit, VII, IV, 7[937]) que Jean dit : Il y en a trois qui donnent leur tmoignage dans le ciel, le Pre, le Fils et l'Esprit saint., et si on cherche ce quils sont, on rpond : ce sont trois personnes. Mais quid interroge sur l'essence. Donc ce nom de personne signifie l'essence en Dieu.

q. 9 a. 4Arg. 2 Praeterea, in eodem Lib. Augustinus dicit, quod idem est Deo esse quod personam esse. Sed esse in divinis significat essentiam, et non relationem. Ergo et persona.

2. Dans le mme livre (La Trinit, VII, VI, 11[938]), Augustin dit que cest pareil pour Dieu dՐtre et dՐtre une personne. Mais l'tre en Dieu signifie l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.

q. 9 a. 4Arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit ibidem : ad se proprie dicitur persona, non ad filium vel spiritum sanctum, sicut ad se dicitur Deus, et magnus et bonus et iustus. Sed haec omnia essentiam significant, et non relationem. Ergo et persona.

3. Augustin dit au mme endroit[939] : On parle de personne absolument au sens propre, mais pas en rapport au Fils ou l'Esprit saint, comme on dit absolument Dieu, grand, bon et juste. Mais tous ces noms signifient l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.

q. 9 a. 4Arg. 4 Praeterea, Augustinus ibidem dicit quod, quamvis commune est illis, scilicet patri et filio et spiritui sancto, nomen essentiae, ita ut singulus quisque dicatur essentia, tamen illis commune est personae vocabulum. Sed relatio in divinis non est commune, sed distinctivum. Ergo persona in divinis non significat relationem.

4. Augustin au mme endroit (ch. 4) dit que, quoique le nom dessence leur soit commun, savoir au Pre, au Fils et l'Esprit saint, de sorte que chacun en particulier est appel essence, cependant, le nom de personne leur est commun. Mais la relation en Dieu n'est pas commune mais distinctive. Donc la personne n'y signifie pas la relation.

q. 9 a. 4Arg. 5 Sed dicendum, quod persona est commune ratione et non re in divinis.- Sed contra, in divinis non est universale ; unde Augustinus in eodem libro improbat opinionem illorum qui dicebant quod essentia in divinis est sicut genus vel sicut species ; persona vero sicut species vel individua. Quod autem est commune ratione et non re, est commune per modum universalis. Ergo persona non est commune in divinis ratione tantum, sed etiam re ; et ita non potest significare relationem.

5. Mais il faut dire que le nom personne est commun en Dieu en raison, mais pas en ralit. En sens contraire, en Dieu l'universel nexiste pas. C'est pourquoi, Augustin dans le mme livre (Trinit, VII, VI, 11) rprouve l'opinion de ceux qui disaient que l'essence lui est comme un genre ou une espce et la personne comme une espce ou un individu. Mais ce qui est commun en raison et non en ralit est commun la manire de l'universel. Donc la personne n'est pas commune en lui, en raison seulement, mais aussi en ralit, et ainsi elle ne peut pas signifier une relation.

q. 9 a. 4Arg. 6 Praeterea, nullum nomen significat res diversorum generum, nisi aequivoce : acutum enim aequivoce dicitur in saporibus et magnitudinibus. Manifestum est autem quod persona in Angelis et hominibus non significat relationem, sed aliquid absolutum. Si ergo in Deo significet relationem, erit aequivoce dictum.

6. Aucun nom ne signifie des choses de genres diffrents sinon de manire quivoque. Important, en effet, se dit de manire quivoque dans les saveurs et les grandeurs[940]. Mais il est clair que la personne dans les anges et dans les hommes ne signifie pas une relation, mais quelque chose d'absolu. Si donc en Dieu, elle signifie la relation, on en parlera de manire quivoque.

q. 9 a. 4Arg. 7 Praeterea, quod accidit rei significatae per nomen, est extra significationem nominis ; sicut extra significationem hominis est album, quod accidit homini. Res autem significata per hoc nomen persona est substantia individua rationalis naturae ; quia ratio quam significat nomen, est definitio, secundum philosophum, in IV Metaph. : substantiae autem tali accidit ad aliud referri. Relatio ergo est extra significationem huius nominis persona.

7. Ce qui sajoute ce qui est signifi par le nom est hors de sa signification ; comme le blanc, accident dans l'homme, est hors de sa signification ; mais ce qui est signifi par le nom de personne est la substance individuelle de nature raisonnable ; parce que la notion que signifie le nom est la dfinition, selon le philosophe (Mtaphysique, IV, 7, 1012 a 23[941]), mais, il arrive une telle substance de se rfrer autre chose. Donc la relation est hors de la signification de ce nom de personne.

q. 9 a. 4Arg. 8 Praeterea, nullum nomen potest intelligi de aliquo vere praedicari, cui non intelligitur convenire res significata per nomen ; sicut non potest intelligi esse homo quod intelligitur non esse animal rationale mortale. Iudaei autem et Pagani confitentur Deum esse personam ; non tamen confitentur in eo relationes, quas nos ponimus secundum fidem. Ergo hoc nomen persona in divinis non significat huiusmodi relationes.

8. On peut comprendre quaucun nom ne soit vraiment attribu une chose, si on ne comprend pas que ce quil signifie lui convient ; ainsi il est impossible de comprendre "tre homme" sans comprendre tre un animal raisonnable mortel Mais les Juifs et les Paens confessent que Dieu est une personne ; mais ils ne confessent cependant pas en lui les relations que nous, nous posons selon notre foi. Donc ce nom de personne en Dieu ne signifie pas des relations de ce genre.

q. 9 a. 4Arg. 9 Sed dicendum, quod Iudaei et Pagani erroneam habent opinionem de Deo ; unde ex eorum opinione non potest accipi argumentum.- Sed contra, error opinionis non variat nominis significationem, nec etiam veritas. Si ergo apud errantes de Deo nomen persona non significat relationem, nec etiam significabit apud recte sentientes de Deo.

9. Mais il faut dire que les Juifs et les Paens ont une opinion errone sur Dieu. C'est pourquoi, on ne peut pas tirer argument de leur opinion. En sens contraire, l'erreur dans l'opinion ne change pas la signification du nom, la vrit non plus du reste. Si donc parmi ceux qui se trompent sur Dieu, le om de personne ne signifie pas la relation, il ne le signifiera pas non plus chez ceux qui pensent sur Dieu avec rectitude.

q. 9 a. 4Arg. 10 Praeterea, voces, secundum philosophum, sunt signa intellectuum : intellectus enim qui concipitur ex hoc nomine persona est in intellectu substantiae primae. Ergo hoc nomen persona significat substantiam primam, qua nihil est magis absolutum, cum sit per se existens ; ergo hoc nomen persona non significat relationem, sed aliquid absolutum.

10. Les mots, selon le philosophe (Perih. I) sont les signes du concept, car celui-ci qui est conu par ce nom de personne est dans le concept de substance premire. Donc ce nom de personne signifie la substance premire, dont rien n'est plus absolu, puisqu'elle existe par soi ; donc ce nom de personne ne signifie pas une relation mais l'absolu.

q. 9 a. 4Arg. 11 Sed dicendum, quod hoc nomen persona significat relationem per modum substantiae.- Sed contra, haec propositio est immediata : nulla relatio est substantia, sicut et haec : nulla quantitas est substantia, sicut patet per philosophum. Si ergo hoc nomen persona significat substantiam, ut probatum est, impossibile est quod significatum eius sit relatio.

11. Mais il faut dire que ce nom personne signifie une relation la manire de la substance. En sens contraire, cette proposition est vidente : Aucune relation n'est une substance, de la mme manire que : Aucune quantit n'est une substance[942], comme le montre le philosophe (Posteriorum, I, 34) Si donc ce nom personne signifie la substance, comme cela a t prouv, il est impossible que ce qui est signifi soit sa relation.

q. 9 a. 4Arg. 12 Praeterea, opposita non possunt verificari de eodem. Sed esse per se et esse ad aliud, sunt opposita. Si ergo quod significatur nomine personae est substantia, quae est ens per se, impossibile est quod sit ad aliquid.

12. Les opposs ne peuvent pas se prsenter comme vrais sous un mme rapport. Mais tre par soi et tre pour un autre sont des opposs[943]. Si donc ce qui est signifi par le nom de personne est une substance, qui est un tant par soi, il est impossible que ce soit une relation.

q. 9 a. 4Arg. 13 Praeterea, omne nomen significans relationem, refertur ad aliquid quod consignificat, sicut dominus et servus. Sed patet quod hoc nomen persona non refertur ad aliud. Ergo non significat relationem, sed aliquid absolutum.

13. Tout nom qui signifie une relation se rfre une ralit dont il rvle la relation, comme matre et serviteur. Mais il est clair que ce nom personne ne se rfre pas autre chose. Donc il ne signifie pas une relation, mais l'absolu.

q. 9 a. 4Arg. 14 Praeterea, persona dicitur quasi per se una. Unitas autem in divinis pertinet ad essentiam. Ergo hoc nomen persona significat essentiam, et non relationem.

14. On dit que la personne est pour ainsi dire unique par soi. Mais l'unit en Dieu appartient l'essence. Donc ce nom personne signifie l'essence et non la relation.

q. 9 a. 4Arg. 15 Sed dicendum, quod hoc nomen significat unum distinctum, et quia distinctio in divinis est per relationem, ideo significat relationem.- Sed contra, filius et spiritus sanctus dicuntur distingui in divinis secundum modum originis : nam filius procedit per modum intellectus, ut verbum, sed spiritus sanctus per modum voluntatis, ut amor. Non ergo per solas relationes est distinctio in divinis ; et sic non oportet quod persona relationem significet.

15. Mais il faut dire que ce nom signifie une ralit distincte et parce que la distinction en Dieu se fait par relation, elle la signifie. En sens contraire, on dit que le Fils et l'Esprit saint sont distingus en Dieu par le mode d'origine ; car le Fils procde par mode d'intellect, comme Verbe, mais l'Esprit saint par mode de volont comme amour. Donc la distinction en Dieu n'est pas par les relations seules et ainsi il ne faut que la personne signifie une relation.

q. 9 a. 4Arg. 16 Praeterea, si relatio in divinis est distinguens ; persona autem est quid distinctum, non distinguens ; non significabit relationem nomen personae.

16. Si la relation en Dieu apporte une distinction, (mais la personne est ce qui est distingu et qui ne distingue pas), le nom de personne ne signifiera pas une relation.

q. 9 a. 4Arg. 17 Praeterea, relationes in divinis dicuntur esse proprietates. Persona autem significat aliquid substans proprietati. Non ergo significat relationem.

17. On dit que les relations en Dieu sont des proprits. Mais la personne signifie quelque chose qui est le substant de la proprit. Donc elle ne signifie pas la relation.

q. 9 a. 4Arg. 18 Praeterea, quatuor sunt relationes in divinis : scilicet paternitas, filiatio, processio, communis spiratio : innascibilitas enim, quae est quinta notio, non est relatio. Sed hoc nomen persona nullam harum significat. Si enim significaret paternitatem, non diceretur de filio ; si filiationem, non diceretur de patre ; si autem processione spiritus sancti, non diceretur neque de patre neque de filio ; si vero communem spirationem, non diceretur de spiritu sancto. Non ergo significat relationem hoc nomen persona.

18. Les relations en Dieu sont quatre : la paternit, la filiation, la procession, la spiration commune ; car l'innascibilit qui est la cinquime notion n'est pas une relation. Mais ce nom de personne ne signifie aucune d'entre elles. Car si elle signifiait la paternit, on ne lemploierait pas pour le Fils, si elle signifiait la filiation, on ne lemploierait pas pour Pre, et si elle signifiait la procession de lEsprit saint, on ne lemploierait ni pour le Pre ni pour le Fils ; si elle signifiait la spiration commune, on ne lemploierait pas pour l'Esprit saint. Donc ce nom de personne ne signifie pas une relation.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Boetius dicit, quod omne nomen, ad personas pertinens, relationem significat. Sed nullum nomen magis pertinet ad personas quam hoc nomen persona. Ergo hoc nomen persona relationem significat.

1. Boce dit (La Trinit, VI) que tout nom en rapport avec les personnes, signifie une relation. Mais aucun nom ne se rapporte plus aux personnes que celui de personne. Donc il signifie une relation.

q. 9 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sub persona in divinis continentur pater et filius et spiritus sanctus. Sed haec nomina relationem significant. Ergo et nomen personae.

2. En Dieu le Pre, le Fils et l'Esprit saint sont contenus sous le nom de personne. Mais ces noms signifient une relation. Donc le nom de personne aussi.

q. 9 a. 4 s. c. 3 Praeterea, nullum absolutum distinguitur in divinis. Sed persona distinguitur. Ergo non est absolutum, sed relativum.

3. Rien de ce qui est absolu nest distingu en Dieu. Mais on distingue la personne. Donc elle n'est pas absolue, mais relative.

 

Rponse :

q. 9 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod hoc nomen persona habet commune cum nominibus absolutis in divinis quod de qualibet persona praedicatur, nec secundum nomen ad aliud defertur ; cum nominibus vero relationem significantibus, quod distinguitur, et pluraliter praedicatur. Et ideo videtur quod utraque significatio et relativi et absoluti pertineat ad personam. Qualiter autem utraque significatio ad nomen personae pertineat est diversimode a diversis assignatum.

Ce nom de personne a en commun avec les noms absolus dՐtre attribu nimporte quelle personne et il nest pas dfr nominativement autre chose ; mais avec les noms qui signifient une relation, il distingue et est attribu au pluriel. Et c'est pourquoi il semble que l'une et l'autre signification, du relatif et de l'absolu, se rapporte la personne. Mais de quelque manire que l'une et l'autre signification se rapporte au nom de personne, cela est confr de diverses manires par diverses choses.

Dicunt enim quidam quod persona significat utrumque, sed per modum aequivocationis. Dicunt enim quod hoc nomen persona, quantum est de se, absolute significat essentiam, tam in singulari quam in plurali, sicut hoc nomen Deus, aut bonus, aut magnus : sed propter insufficientiam nominum ad loquendum de Deo, accommodatum est hoc nomen persona a sanctis patribus in Nicaeno Concilio, ut quandoque possit sumi pro relativo, et praecipue in plurali, cum dicimus quod pater et filius et spiritus sanctus sunt tres personae, vel cum termino partitivo adiuncto, ut cum dicitur : alia est persona patris, alia filii ; vel cum dicitur : filius est alius a patre in persona. In singulari autem cum absolute praedicatur, potest indifferenter significare essentiam vel personam, ut cum dicitur : pater est persona, vel filius est persona.- Et haec videtur esse opinio Magistri in I sententiarum.

A. Car certains disent que la personne signifie l'un et l'autre[944], mais de manire quivoque. Ils disent en effet que ce nom de personne, quant lui, signifie l'essence dans l'absolu, tant au singulier qu'au pluriel, comme ce nom Dieu, ou bon, ou grand ; mais cause de l'insuffisance des noms pour parler de Dieu, celui-ci a t adopt par les saints Pres au Concile de Nice, pour que, quelquefois il puisse tre pris pour relation, et surtout au pluriel, quand nous disons que le Pre, le Fils et l'Esprit saint sont trois personnes, ou avec un terme partitif joint, comme quand on dit : Autre est la personne du Pre ; autre celle du Fils ; ou quand on dit : Le Fils est autre que le Pre en personne. Au singulier, quand il est attribu dans l'absolu, il peut indiffremment signifier l'essence ou la personne, comme quand on dit : Le Pre est une personne, ou Le Fils est une personne. Et cela parat tre l'opinion du Matre dans le livre I des Sentences (D. 25).

Sed non videtur sufficienter dici : non enim absque ratione ex propria significatione nominis sumpta, sancti patres divinitus inspirati, hoc nomen invenerunt ad confessionem verae fidei exprimendam ; et praecipue quia dedissent occasionem erroris dicendo tres personas, si hoc nomen persona significat essentiam absolute.

Mais on voit bien que ce nest pas suffisant. Car ce n'est pas sans une raison tire de la propre signification du nom, que les saints Pres, divinement inspirs, ont trouv ce nom pour exprimer la confession de la vraie foi ; et surtout parce qu'ils auraient donn une occasion d'erreur en parlant de trois personnes, si ce nom personne signifiait l'essence dans labsolu.

Et ideo alii dixerunt quod simul significat essentiam, et relationem, sed non aequaliter ; sed unum in recto, et aliud in obliquo. Quorum quidam dixerunt, quod significat essentiam in recto, et relationem in obliquo ; quidam e converso.

B. Et c'est pourquoi d'autres ont dit qu'il signifie l'essence et la relation en mme temps, mais pas galit : l'une directement, l'autre indirectement. Certains d'entre eux ont dit qu'il signifie l'essence directement et la relation indirectement, certains ont dit le contraire.

Sed neutri dubitationem solvunt : quia si essentiam in recto significant, non deberet pluraliter praedicari ; si vero relationem, non deberet ad se dici, nec de singulis praedicari. Et ideo alii dixerunt quod significat utrumque in recto.

Mais aucune des deux opinions ne supprime lincertitude ; parce que, s'ils signifient l'essence directement, on ne devrait pas lattribuer au pluriel, mais si cest la relation, on ne devait pas en parler dans labsolu, ni lattribuer chaque personne

Quorum quidam dixerunt, quod significat essentiam et relationem ex aequo, et neutrum circa aliud ponitur.

C. Certains d'entre eux ont dit qu'il signifie l'essence et la relation galit et aucune des deux n'est place en rapport avec autre chose.

Sed hoc non est intelligibile : quia quod non significat unum nihil significat. Unde omne nomen significat unum in una acceptione, ut dicit philosophus in IV Metaph.

Mais cela n'est pas comprhensible ; parce que ce qui ne signifie pas l'unit ne signifie rien. C'est pourquoi tout nom signifie lunit dans une seule acception, comme le dit le philosophe (Mtaphysique, IV, 2, 1003 b 25 ss.[945])

Et ideo alii dixerunt quod relatio ponitur circa absolutum. Quod quidem difficile est videre, cum relationes non determinent essentiam in divinis.

D. Et c'est pourquoi, d'autres ont dit que la relation est en rapport avec l'absolu. Ce qui est difficile voir, puisque les relations ne dterminent pas l'essence en Dieu.

Sed sciendum, quod aliquid significat dupliciter : uno modo formaliter, et alio modo materialiter.

Mais il faut savoir quune chose signifie de deux manires ; formellement et matriellement

Formaliter quidem significatur per nomen ad id quod significandum nomen est principaliter impositum, quod est ratio nominis ; sicut hoc nomen homo significat aliquid compositum ex corpore et anima rationali.

a) Est signifi formellement par ce nom dont on se sert principalement pour le signifier, et qui en est la notion, comme ce nom homme signifie quelque chose de compos d'un corps et d'une me raisonnable.

Materialiter vero significatur per nomen, illud in quo talis ratio salvatur ; sicut hoc nomen homo significat aliquid habens cor et cerebrum et huiusmodi partes, sine quibus non potest esse corpus animatum anima rationali

b) Est signifi matriellement par ce nom ce en quoi une telle notion est conserve, comme ce nom homme signifie un tre qui a un corps, un cerveau et des organes de ce genre, sans lesquels il ne peut pas tre un corps anim par une me raisonnable.

. Secundum hoc ergo dicendum est, quod hoc nomen persona communiter sumpta nihil aliud significat quam substantiam individuam rationalis naturae. Et quia sub substantia individua rationalis naturae continetur substantia individua,- id est incommunicabilis et ab aliis distincta, tam Dei quam hominis quam etiam Angeli,- oportet quod persona divina significet subsistens distinctum in natura divina, sicut persona humana significat subsistens distinctum in natura humana ; et haec est formalis significatio tam personae divinae quam personae humanae.

Selon cela, il faut donc dire que ce nom personne, pris communment ne signifie rien d'autre que la substance individuelle de nature raisonnable. Et parce que sous la substance individuelle de nature raisonnable est contenue la substance individuelle, c'est--dire incommunicable et distincte des autres, tant de Dieu que de l'homme, et de l'ange aussi il faut que la personne divine signifie le subsistant distinct dans la nature divine, comme la personne humaine signifie un subsistant distinct dans la nature humaine et c'est la signification formelle tant de la personne divine que de la personne humaine.

Sed quia distinctum subsistens in natura humana non est nisi aliquid per individualem materiam individuatum et ab aliis diversum, ideo oportet quod hoc sit materialiter significatum, cum dicitur persona humana.

Mais parce que le subsistant distinct dans la nature humaine nest que quelque chose d'individu par la matire individuelle, et diffrente des autres choses, il faut que cela soit signifi matriellement, quand on parle de la personne humaine.

Distinctum vero incommunicabile in natura divina non potest esse nisi relatio, quia omne absolutum est commune et indistinctum in divinis. Relatio autem in Deo est idem secundum rem quod eius essentia. Et sicut essentia in Deo idem est et habens esse essentiam, ut deitas et Deus : ita idem est relatio et quod per relationem refertur. Unde sequitur quod idem sit relatio et distinctum in natura divina subsistens.

Mais ce qui est distinct et incommunicable dans la nature divine ne peut tre quune relation, parce que tout ce qui est absolu est commun et indistinct en Dieu. Mais en lui la relation est en ralit identique son essence. Et de mme que l'essence est identique ce qui possde lessence, comme la Divinit et Dieu, de mme la relation et ce qui est rfr par relation est identique. C'est pourquoi il en dcoule que la relation et ce qui subsiste de distinct dans la nature divine est identique.

Patet ergo quod persona, communiter sumpta, significat substantiam individuam rationalis naturae ; persona vero divina, formali significatione, significat distinctum subsistens in natura divina. Et quia hoc non potest esse nisi relatio vel relativum, ideo materiali significatione significat relationem vel relativum. Et propter hoc potest dici, quod significat relationem per modum substantiae, non quae est essentia, sed quae est hypostasis ; sicut et relationem significat non ut relationem, sed ut relativum, idest ut significatur hoc nomine pater, non ut significatur hoc nomine paternitas. Sic enim relatio significata includitur oblique in significatione personae divinae, quae nihil aliud est quam distinctum relatione subsistens in essentia divina.

Il est donc clair que la personne, prise communment, signifie la substance individuelle de nature raisonnable, mais la personne divine, par sa signification formelle, signifie un subsistant distinct dans la nature divine. Et parce que cela ne peut tre que relation ou relatif, elle signifie par signification matrielle la relation ou le relatif. Et ainsi on peut dire qu'il signifie la relation par mode de substance, qui nest pas l'essence, mais l'hypostase ; de mme elle signifie aussi la relation, non comme telle, mais comme relatif, c'est--dire quelle est signifi par ce nom Pre et non par ce nom paternit. Car ainsi la relation signifie est incluse indirectement dans la signification de la personne divine, qui n'est rien d'autre quun subsistant, distinct par relation dans l'essence divine.

 

Solutions :

q. 9 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quid non solum quaerit de essentia sed quandoque etiam de supposito, ut : quid natat in mari ? Piscis. Et sic, ad quid respondendum est per nomen persona.

# 1. Quid non seulement interroge sur l'essence, mais quelquefois aussi sur le suppt ; comme Qui nage dans la mer ?" "un poisson". Et ainsi quid il faut rpondre par le nom de personne.

q. 9 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum quod, propter modum significandi huius nominis persona, dicit Augustinus : idem est Deo esse quod persona esse. Non enim significat per modum relationis, sicut pater et filius.

#2. A cause de la manire de signifier de ce nom personne, Augustin dit (La Trinit, VII, 6) : C'est la mme chose d'tre pour Dieu que d'tre une personne.. Car il ne signifie pas par mode de relation, comme Pre et Fils.

q. 9 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum quod hoc provenit ex formali significatione personae quod ad se dicitur et ad aliud non refertur.

# 3. Ce qui est dit pour soi et ne se rfre pas un autre provient de la signification formelle de la personne.

q. 9 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum quod essentia est communis re in divinis, sed persona secundum rationem tantum, sicut et hoc nomen relatio.

# 4. En Dieu, lessence est commune en ralit, mais la personne en raison seulement, en tant que nom de relation.

q. 9 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum quod in divinis nihil est diversificatum secundum esse, cum ibi sit tantum unum esse. Hoc autem est contra rationem universalis ; et ideo non est ibi universale, licet sit ibi unum secundum rationem, et non secundum rem.

# 5. En Dieu rien n'est diffrenci selon l'tre, puisqu'il n'y en a qu'un seul. Or c'est contre la notion de l'universel, et c'est pourquoi il ny en a pas, bien qu'il y ait lunit en raison et non en ralit.

q. 9 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum quod, hoc quod persona aliud significat in Deo et homine, pertinet ad diversitatem suppositionis magis quam ad diversam significationem huius communis, quod est persona. Diversa autem suppositio non facit aequivocationem, sed diversa significatio.

# 6. Que le nom de personne signifie autre chose en Dieu et dans l'homme appartient la diversit de la supposition[946] plus qu' la signification diffrente de ce qui est commun, qui est la personne. Mais tre suppt de manire diffrente napporte pas d'quivoque mais une signification diffrente.

q. 9 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet relatio accidat ei quod significatur communiter per hoc nomen persona, non tamen accidit personae divinae, sicut ostensum est.

# 7. Bien que la relation arrive ce qui est signifi communment par ce nom de personne, elle n'arrive cependant pas la personne divine, comme on l'a montr.

q. 9 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod obiectio illa procedit de formali significatione nominis, et non de materiali.

# 8. Cette objection procde de la signification formelle du nom et non de sa signification matrielle.

q. 9 a. 4 ad 9 Et similiter dicendum ad nonum.

# 9. Et il faut dire de mme pour cette objection.

q. 9 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod substantia prima dicitur absoluta, quasi ab alio non dependens. Relativum autem in divinis non excludit absolutum quod est ab alio dependens ; sed excludit absolutum quod ad aliud non refertur.

# 10. La substance premire est dite absolue, comme ne dpendant pas d'un autre. Mais le relatif en Dieu n'exclut pas l'absolu, qui dpend d'un autre, mais il exclut celui qui ne se rfre pas un autre.

q. 9 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ista propositio, nulla relatio est substantia, est immediata, si accipiatur relatio et substantia quae sunt in genere. Sed Deus non limitatur terminis alicuius generis, sed habet in se perfectiones omnium generum. Unde non distinguitur in eo secundum rem relatio et substantia.

# 11. Cette proposition : Aucune relation n'est une substance est vidente, si on prend la relation et la substance qui sont dans le genre. Mais Dieu n'est pas limit par les termes d'un genre : il a en lui les perfections de tous les genres. C'est pourquoi on ne distingue pas rellement en lui la relation et la substance.

q. 9 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod per se existens opponitur ad non per se existens, non autem ei quod est ad aliquid.

# 12. Ce qui existe par soi est oppos ce qui n'existe pas par soi, mais pas ce qui est relation.

q. 9 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod persona secundum nomen ad aliud non refertur, propter modum quem significat.

# 13. La personne par son nom ne se rfre pas autre chose, cause de la manire dՐtre qu'elle signifie.

q. 9 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod unum in divinis se habet communiter ad essentiam et relationem ; dicimus enim quod essentia est una, et quod pater est unus.

# 14. Lunit en Dieu est se comporte de manire commune vis--vis de l'essence et de la relation ; car nous disons que l'essence est une, et que le Pre est un.

q. 9 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod forte modus ille processionis diversus,- quo dicitur filius procedere per modum intellectus, spiritus sanctus vero per modum voluntatis,- non sufficit ad distinguendum personaliter spiritum sanctum a filio, cum voluntas et intellectus non distinguantur personaliter in divinis. Si tamen concedatur quod hoc ad eorum distinctionem sufficiat, manifestum est quod uterque a patre per relationem distinguitur, prout unus eorum procedit a patre ut genitus, alius ut spiratus ; et hae relationes constituunt eorum personas.

# 15. Cest par hasard que ce mode diffrent de procession par lequel on dit que le Fils procde par mode d'intellection et l'Esprit saint par mode de volont ne suffit pas distinguer personnellement l'Esprit saint du Fils, puisque la volont et l'intellect ne sont pas distingus pour chaque personne en Dieu. Cependant si on concde que cela suffit leur distinction, il est clair que l'un et l'autre sont distingus du Pre par relation, dans la mesure o l'un d'eux procde du Pre comme engendr, l'autre comme spir ; et ces relations constituent leurs personnes.

q. 9 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod sicut relatio significat ut distinguens in divinis, ita relatum significatur ut distinctum. In Deo autem non est aliud relatio et relatum, sicut nec essentia et quod est ; et ideo nec distinguens et distinctum in Deo differunt.

# 16. De la mme manire que la relation apporte une signification en tant quelle apporte une distinction en Dieu, le relatif est signifi comme distinct. Mais en Dieu, la relation et le relat ne sont pas diffrents, de mme que l'essence et ce qui est, non plus ; et c'est pourquoi ce qui apporte la distinction et ce qui la subit nest pas diffrent en Dieu.

q. 9 a. 4 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod proprietas in divinis non est accidentalis, sed est idem secundum rem ei cuius est proprietas ; sed differt secundum modum intelligendi. Persona ergo non significat relationem prout est proprietas, sed prout est proprietati et essentiae subsistens.

# 17. La proprit en Dieu n'est pas accidentelle, mais elle est identique en ralit ce dont elle est la proprit ; mais elle diffre selon la manire de la comprendre. Donc la personne ne signifie pas la relation en tant que proprit, mais selon qu'elle subsiste la proprit et l'essence.

q. 9 a. 4 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet universale non possit esse praeter singularia, potest tamen intelligi, et per consequens significari. Et propter hoc sequitur, si non est aliquod singularium, quod non sit universale. Non tamen sequitur, si non intelligitur aut significatur aliquod singularium, quod non intelligatur vel significetur universale : hoc enim nomen homo non significat aliquem singularium hominum, sed solum hominem in communi ; et similiter hoc nomen persona, etsi non significet paternitatem neque filiationem neque communem spirationem aut processionem, tamen significat relationem in communi, per modum iam dictum, sicut et hoc nomen relatio suo modo.

# 18. Bien que l'universel ne puisse pas exister en dehors du singulier, on peut cependant le comprendre, et par consquent le signifier. Cest pour cela quil en dcoule, sil ny a pas de singulier, qu'il ny a pas duniversel. Il n'en dcoule pas cependant, si quelque chose de particulier n'est pas compris, ni signifi, que luniversel n'est pas compris ni signifi ; car ce nom d'homme ne signifie pas lun des hommes particuliers, mais seulement l'homme en commun, et semblablement ce nom de personne, mme s'il ne signifie pas la paternit ou la filiation, ni la spiration commune ou la procession, signifie cependant la relation en commun par la manire dj dite (dans le corps de l'article) comme ce nom relation le fait aussi sa manire.

 

 

 

Article 5 Le nombre des personnes est-il en Dieu ?

q. 9 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum numerus personarum sit in divinis. Et videtur quod non.

Il semble que non[947].

 

Objections :

q. 9 a. 5Arg. 1 Dicit enim Boetius : hoc vere unum est in quo nullus est numerus. Sed Deus est verissime unus. Ergo in eo nullus est numerus.

1. Car Boce dit (La Trinit, 3, PL. 64, 1251 A) : Est vraiment un ce en quoi il n'y a aucun nombre. Mais Dieu est absolument un. Donc il n'y a aucun nombre en lui[948].

q. 9 a. 5Arg. 2 Sed dicendum, quod in Deo non est numerus simpliciter, sed numerus personarum.- Sed contra, semper ad secundum quid sequitur simpliciter, quando determinatio non est diminuens ; sequitur enim : est homo albus ; ergo est homo ; sed non sequitur : est homo mortuus ; ergo est homo. Sed hoc quod dicitur numerus personarum, non est determinatio diminuens, cum persona sit quoddam completissimum. Ergo sequitur, si est in divinis numerus personarum, quod sit ibi numerus simpliciter.

2. Mais il faut dire qu'en Dieu il n'y a absolument pas de nombre, mais le nombre des personnes. En sens contraire, toujours pour ce qui en dcoule dans labsolu, quand la dfintion partielle ne saffaiblit pas, car il en dcoule : L'homme est blanc, donc c'est un homme, mais il n'en dcoule pas : L'homme est mort, donc c'est un homme. Mais ce qui est dit du nombre des personnes n'est pas une dfinition partielle qui limite, puisque la personne est quelque chose de trs complet. Donc il en dcoule, s'il y a en Dieu le nombre des personnes, qu'il y aurait un nombre dans l'absolu.

q. 9 a. 5Arg. 3 Praeterea, uni opponitur multitudo, secundum philosophum. Sed opposita non insunt eidem. Cum ergo in Deo sit summa unitas, non potest in eo esse aliquis numerus vel aliqua pluralitas.

3. La pluralit s'oppose l'unit, selon le philosophe (Mtaphysique, X, 6, 1056 b 32[949]). Mais les opposs ne sont pas dans une mme ralit. Donc comme en Dieu, il y a unit suprme, il ne peut pas y avoir en lui de nombre ou de pluralit.

q. 9 a. 5Arg. 4 Praeterea, ubicumque est numerus, ibi est pluralitas unitatum. Ubi autem sunt plures unitates, ibi est multiplex esse : aliud enim est esse huius unitatis, et aliud illius. Si ergo in Deo est numerus, oportet quod sit in eo multiplex essentia ; quod patet esse falsum.

4. Partout o il y a un nombre, il y a pluralit d'units. Mais l o il y a plusieurs units, l'tre est multiple : car l'tre de cette unit est diffrent de celui de cette autre. Si donc il y a un nombre en Dieu, il faut qu'il y ait en lui une essence multiple ; il est vident que cest faux.

q. 9 a. 5Arg. 5 Sicut unum est indivisum, ita multitudo non est sine divisione. Sed in Deo non potest esse aliqua divisio, cum non sit ibi aliqua compositio. Ergo non potest esse in divinis aliquis numerus.

5. De mme que l'un est indivisible, de mme la pluralit n'est pas sans division. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir de division, puisqu'il n'y a aucune composition. Donc il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

q. 9 a. 5Arg. 6 Praeterea, omnis numerus habet partes : componitur enim ex unitatibus. Sed in Deo non sunt aliquae partes, cum non sit ibi compositio. Ergo in Deo non est numerus.

6. Tout nombre a des parties ; car il est compos d'units, mais en Dieu, il n'y a pas de parties, puisqu'il n'y a pas de composition. Donc il n'y a pas de nombre en lui.

q. 9 a. 5Arg. 7 Praeterea, illud per quod creatura differt a Deo, non debet Deo attribui. Creatura autem differt a Deo per hoc quod in numero quodam constituta est, secundum illud Sap. cap. XI, 21 : omnia in numero, pondere et mensura constituisti. Numerus ergo non debet poni in divinis.

7. Ce par quoi la crature diffre de Dieu ne doit pas tre attribu Dieu. Car elle diffre de lui par le fait qu'elle a t constitue dans un nombre, selon cette parole de la Sagesse (11, 21) : Tu as tout constitu en nombre, poids et mesure. Donc on ne doit pas placer de nombre en Dieu.

q. 9 a. 5Arg. 8 Praeterea, numerus est species quantitatis. In Deo autem non est aliqua quantitas ; propter quod si aliquid quantitatem significans in divinam praedicationem venerit, mutatur in substantiam, ut dicit Boetius. Aut ergo numerus nullo modo est in divinis, aut ad substantiam pertinet, quod est contra fidem.

8. Le nombre est une espce de la quantit. Mais en Dieu il n'y a pas de quantit, parce que, si un lment signifiant la quantit est venu dans l'attribution divine, il est chang en sa substance, comme le dit Boce (La Trinit). Ou bien donc le nombre n'est en aucune manire en Dieu, ou il convient sa substance, ce qui est contre la foi.

q. 9 a. 5Arg. 9 Praeterea, ubicumque est numerus, ibi sunt numeri passiones, ut perfectum et diminutum, multiplicatio et divisio, et alia huiusmodi quae consequuntur numerum. Haec autem in Deo esse non possunt. Ergo in Deo non potest esse numerus.

9. Partout o il y a un nombre, il y a ce qui supporte le nombre, comme ce qui est parfait et ce qui est limit, la multiplication et la division, et autres choses, qui dcoule du nombre. Mais cela n'est pas possible en Dieu. Donc, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

q. 9 a. 5Arg. 10 Praeterea, omnis numerus finitus est. Quod ergo infinitum, non est numerabile. Ergo cum Deus sit infinitus, in eo non potest esse numerus.

10. Tout nombre est fini. Donc ce qui est infini n'est pas mesurable. Donc, comme Dieu est infini, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

q. 9 a. 5Arg. 11 Sed dicendum, quod Deus etsi est infinitus nobis, est tamen finitus sibi.- Sed contra, verius competit Deo quod competit ei secundum seipsum quam quod competit ei secundum nos. Si ergo Deus est finitus sibi, infinitus autem nobis, verius est finitus, quam infinitus ; quod patet esse falsum.

11. Mais il faut dire que, mme si Dieu est infini pour nous, il est cependant fini pour lui. En sens contraire, ce qui appartient Dieu daprs lui-mme, lui appartient vraiment plus que ce qui lui appartient daprs nous. Si donc Dieu est fini pour lui, mais infini pour nous, il est plus vraiment fini qu'infini ; il est clair que cest faux.

q. 9 a. 5Arg. 12 Praeterea, secundum philosophum, numerus est multitudo mensurata per unum. Deus est mensura non mensurata. Ergo in Deo non est numerus.

12. Selon le philosophe (Mtaphysique, X, 6, 1057 a 3[950]), le nombre est la pluralit mesure par l'un. Dieu est la mesure non mesure. Donc en Dieu il n'y a pas de nombre.

q. 9 a. 5Arg. 13 Praeterea, in omni natura quae non differt a suo supposito, impossibile est multiplicari supposita illius naturae : propter hoc enim possibile est esse plures homines in una natura humana, quia hic homo non est sua humanitas ; et ideo multiplicatio individuorum in una natura humana, consequitur diversitatem principiorum individualium, quae non sunt de ratione naturae communis. In substantiis autem immaterialibus in quibus ipsa natura speciei est suppositum subsistens, non est possibile esse plura individua unius speciei. Sed in Deo est idem natura et suppositum, quia ipsum esse divinum,- quod est natura divina,- est subsistens. Impossibile est ergo quod in natura divina sint plura supposita vel plures personae.

13. Dans toute nature qui nest pas diffrente de son suppt, il est impossible de multiplier les suppts de cette nature, car, c'est pour cela qu'il est possible qu'il y ait plusieurs hommes dans la nature humaine, parce que cet homme n'est pas son humanit ; et c'est pourquoi la multiplication des individus dans une seule nature humaine, suppose la diversit des principes individuels, qui ne sont pas du concept de la nature commune. Mais dans les substances immatrielles, en qui la nature de l'espce est un suppt subsistant, il n'est pas possible qu'il y ait plusieurs individus d'une seule espce. Mais en Dieu, la nature et le suppt sont identiques, parce que lՐtre divin qui est la nature divine est subsistant. Donc il est impossible que dans la nature divine il y ait plusieurs suppts ou plusieurs personnes.

q. 9 a. 5Arg. 14 Praeterea, persona est nomen rei. Ergo ubi non est numerus rerum, non est numerus personarum. Sed in Deo non est numerus rerum ; dicit enim Damascenus, quod in divinis pater et filius et spiritus sanctus re quidem sunt unum, ratione autem et cogitatione differunt. Ergo in Deo non est numerus personarum.

14. La personne est le nom dune ralit. Donc l o il n'y a pas le nombre des ralits, il n'y a pas le nombre des personnes. Mais en Dieu il n'y a pas le nombre des ralits, car Jean Damascne dit (la foi orthodoxe, I, 11) que le Pre, le Fils et l'Esprit saint sont un en ralit, mais ils diffrent en raison et en pense. Donc en Dieu il n'y a pas le nombre des personnes.

q. 9 a. 5Arg. 15 Praeterea, impossibile est in aliquo uno esse rerum pluralitatem absque rerum compositione : Deus autem unus est. Si ergo in Deo sunt plures personae, quod est esse plures res, sequitur quod in eo sit compositio ; quod simplicitati divinae repugnat.

15. Il est impossible que dans un tre unique, il y ait pluralit sans composition. Mais Dieu est un. Si donc en lui il y a plusieurs personnes, ce qui correspond plusieurs ralits, il en dcoule qu'il y a en lui composition, ce qui s'oppose la simplicit divine.

q. 9 a. 5Arg. 16 Praeterea, absolutum perfectius est quam relatum. Sed proprietates absolutae, idest attributa essentialia, ut sapientia, iustitia et huiusmodi, non constituunt in Deo plures personas. Ergo nec proprietates relativae, ut paternitas et filiatio.

16. L'absolu est plus parfait que le relatif. Mais les proprits absolues, c'est--dire les attributs essentiels, comme la sagesse la justice, etc., ne constituent pas plusieurs personnes en Dieu. Donc, les proprits relatives, comme la paternit et la filiation non plus.

q. 9 a. 5Arg. 17 Praeterea, ea quibus aliqua ab invicem distinguuntur, comparantur ad ipsa sicut differentiae constitutivae ipsorum. Si ergo personae in divinis relationibus distinguuntur, oportet quod relationes sint quasi differentiae constitutivae personarum ; et ita in personis divinis erit aliqua compositio, cum differentia adveniens generi constituat speciem.

17. Ce par quoi certaines choses se distinguent les unes des autres est assimil elles, comme leurs diffrences constitutives. Si donc les personnes en Dieu se distinguent par des relations, il faut qu'elles soient comme les diffrences constitutives des personnes et ainsi en elles, il y aura une composition, puisquune diffrence qui sajoute un genre constitue une espce.

q. 9 a. 5Arg. 18 Praeterea, ea quae distinguuntur per formas specie differentes, necesse est specie differre ; sicut homo et equus differunt specie sicut rationale et irrationale. Paternitas autem et filiatio sunt relationes specie differentes. Ergo si personae divinae solis relationibus distinguuntur, necesse est quod specie differant ; et ita non erunt unius naturae, quod est contra fidem.

18. Ce qui est distingu par des formes diffrentes en espces, diffre ncessairement en espce ; comme l'homme et le cheval diffrent en espce, en tant que raisonnable et non raisonnable. Mais la paternit et la filiation sont des relations diffrentes en espce. Donc si les personnes divines se distinguent par les seules relations, il est ncessaire qu'elles diffrent en espce, et ainsi elles ne seront pas d'une seule nature, ce qui est contre la foi.

q. 9 a. 5Arg. 19 Praeterea, non est intelligibile quod aliqua sint supposita diversa, quorum est unum esse. Sed in divinis non est nisi unum esse. Ergo impossibile est quod sint ibi plura supposita vel plures personae.

19. Il n'est pas pensable qu'il y ait des suppts diffrents dont l'tre soit unique. Mais en Dieu il n'y a qu'un seul tre. Donc il est impossible qu'il y ait plusieurs suppts ou plusieurs personnes.

q. 9 a. 5Arg. 20 Praeterea, cum creatio sit proprie actio Dei, oportet quod procedat a quolibet supposito divinae naturae. Impossibile est autem quod haec actio, cum sit una, proveniat a pluribus suppositis, quia una actio non est nisi ab uno agente. Ergo impossibile est quod divinae naturae sint plura supposita sive plures personae.

20. Comme la cration est proprement l'action de Dieu, il faut qu'elle procde d'un suppt de nature divine. Mais il est impossible que cette action, puisqu'elle est unique, provienne de plusieurs suppts, parce qu'une action unique ne vient que d'un seul agent. Donc il est impossible quil y ait plusieurs suppts ou plusieurs personnes de nature divine.

q. 9 a. 5Arg. 21 Praeterea, diversitas proprietatum non facit diversa supposita in istis inferioribus : non enim per hoc quod hic est albus et ille niger, est hoc suppositum humanae naturae aliud ab illo. Sed per diversitatem materiae individualis, quae est substantia individuorum, hoc suppositum est aliud ab illo. Si ergo in divinis non est distinctio nisi per proprietates relativas, impossibile est quod sit ibi pluralitas suppositorum vel personarum.

21. La diversit des proprits ne rend pas diffrents les suppts dans les choses infrieures ; car ce n'est pas par cela que celui-ci est blanc et celui-l noir, et ce suppt de nature humaine diffrent de celui-l. Mais par la diversit de la matire individuelle qui est la substance des individus, ce suppt est diffrent de celui-l. Donc si en Dieu il n'y a de distinction que par les proprits relatives, il est impossible qu'il y ait pluralit de suppts ou de personnes.

q. 9 a. 5Arg. 22 Praeterea, supremae creaturae sunt Deo similiores quam infimae. In infimis autem creaturis sunt plura supposita in una natura, non autem in supremis sicut in corporibus caelestibus. Ergo nec in Deo sunt plures personae in una natura.

22. Les cratures les plus hautes sont plus semblables Dieu que les plus petites. Mais dans ces dernires, il y a plusieurs suppts dans une seule nature ; mais pas dans les plus hautes, comme dans les corps clestes. Donc il n'y a pas plusieurs personnes en Dieu dans une seule nature.

q. 9 a. 5Arg. 23 Praeterea, quando tota perfectio speciei invenitur in uno supposito, non sunt plura supposita illius naturae, sicut philosophus probat, quod est unus tantum mundus, quia constat ex tota sua materia. Tota autem perfectio divinae naturae invenitur in uno supposito. Non ergo sunt plura supposita vel personae in una natura.

23. Quand toute la perfection de l'espce se trouve dans un seul suppt, il n'y en a pas plusieurs de cette nature ; ainsi le philosophe prouve (Le ciel et le monde I, 1, 268 b 6[951]), qu'il ny a quun seul monde, parce qu'il est compos de toute sa matire. Mais toute la perfection de la nature divine se trouve en un suppt. Donc il n'y a pas plusieurs suppts ou personnes dans une seule nature.

q. 9 a. 5Arg. 24 Sed dicendum, quod ad plenitudinem gaudii requiritur quod sit consortium plurium in divina natura, quia nullius rei sine consortio potest esse iucunda possessio, ut dicit Boetius. Oportet etiam ad perfectionem amoris ut unus diligat alterum quantum seipsum.- Sed contra, plenitudinem gaudii et amoris habere in alio, est eius qui non habet bonitatis sufficientiam in seipso. Unde philosophus dicit, quod mali, qui non habent delectabile in seipsis, quaerunt cum aliis conversari ; boni autem quaerunt conversari secum, quasi in seipsis causam iucunditatis habentes. Divina autem natura non potest esse absque omni sufficientia bonitatis. Ergo cum unum suppositum divinae naturae habeat in se omnem plenitudinem gaudii et amoris, non propter hoc oportet ponere in divinis plura supposita vel plures personas.

24. Mais il faut dire qu'il est requis pour la plnitude de la joie qu'il y ait une association de plusieurs dans la nature divine, parce que rien, sans association il ne peut pas y avoir une joyeuse possession, comme le dit Boce. Il faut aussi pour la perfection de l'amour que l'un aime l'autre autant que lui-mme. En sens contraire, possder la plnitude de la joie et de lamour dans un autre appartient celui qui na pas en lui suffisamment de bont. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique, IX, 4, 1166 b 20[952]) que les mchants qui n'ont rien de dlectable en eux-mmes cherchent tre avec les autres ; mais les bons cherchent demeurer avec eux-mmes, comme possdant la cause de leur joie. Mais la nature divine ne peut pas exister sans toute la suffisance de la bont. Donc comme un suppt de nature divine a en lui toute la plnitude de la joie et de l'amour, ce n'est pas pour cela quil faut placer en Dieu plusieurs suppts ou plusieurs personnes.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I Ioan. cap. V, 7 : tres sunt qui testimonium dant in caelo : pater, verbum et spiritus sanctus.

1. Il y a ce que dit Jean (I Jn V, 7) : Ils sont trois donner leur tmoignage au ciel, le Pre, le Verbe et l'Esprit saint[953].

q. 9 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Athanasius dicit in symbolo : totae tres personae aeternae sibi sunt et coaequales. Ergo est in divinis numerus personarum.

2. Athanase dit dans son symbole : Toutes les trois personnes coternelles sont aussi cogales entre elles[954]. Donc le nombre des personnes est en Dieu.

 

Rponse :

q. 9 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod pluralitas personarum in divinis est de his quae fidei subiacent, et naturali ratione humana nec investigari nec sufficienter intelligi potest ; sed in patria intelligendum expectatur, cum Deus per essentiam videbitur visione fidei succedente. Sed tamen sancti patres propter instantiam eorum qui fidei contradicunt, coacti sunt et de hoc disserere, et de aliis quae spectant ad fidem, modeste tamen et reverenter absque comprehendendi praesumptione. Nec talis inquisitio est inutilis, cum per eam elevetur animus ad aliquid veritatis capiendum quod sufficiat ad excludendos errores. Unde Hilarius dicit : hoc credendo, scilicet pluralitatem personarum in divinis, incipe, percurre, persiste ; et si non perventurum me sciam, tamen gratulabor profecturum. Qui enim pie infinita prosequitur, etsi non contingat aliquando, tamen proficiet prodeundo.

Il faut dire que la pluralit des personnes en Dieu fait partie des notions qui dpendent de la foi et qui ne peuvent tre examines ni comprises suffisamment par la raison naturelle de l'homme ; mais on espre le comprendre dans la patrie, puisque Dieu sera vu par son essence dans une vision qui succdera la foi. Mais cependant les saints Pres, cause de lacharnement de ceux qui contredisent la foi, ont t forcs de disserter sur ce sujet, et sur dautres qui regardent la foi, avec modestie cependant et rvrence, sans la prtention de comprendre. Et une telle recherche n'est pas inutile, puisquelle lve l'esprit comprendre une part de la vrit qui suffit exclure les erreurs. C'est pourquoi Hilaire dit (La Trinit, II) : En croyant cela, savoir la pluralit des personnes en Dieu, entreprends, parcours, persiste, et si je savais ne pas y parvenir, cependant je me satisferais d'avancer. Car qui recherche ce quest l'infini avec pit, mme sil n'y arrive pas quelquefois, cependant fera des progrs en avanant.

Ad manifestationem ergo aliqualem huius quaestionis, et praecipue secundum quod Augustinus eam manifestat, considerandum est quod omne quod est perfectum in creaturis oportet Deo attribui, secundum id quod est de ratione illius perfectionis absolute ; non secundum modum quo est in hoc vel in illo. Non enim bonitas est in Deo vel sapientia secundum aliquod accidens sicut in nobis, quamvis in eo sit summa bonitas et sapientia perfecta.

Donc pour une relle dcouverte sur cette question et surtout selon ce qu'Augustin en rvle, il faut considrer que tout ce qui est parfait dans les cratures doit tre attribu Dieu, selon la nature de cette perfection dans labsolu ; non selon le mode par lequel il est en ceci ou en cela. Car la bont n'est pas en Dieu, ni la sagesse, comme un accident, comme en nous, quoique en lui la bont soit suprme et la sagesse parfaite.

Nihil autem nobilius et perfectius in creaturis invenitur quam intelligere ; cuius signum est quod inter ceteras creaturas, intellectuales substantiae sunt nobiliores, et secundum intellectum ad Dei imaginem factae dicuntur. Oportet ergo quod intelligere Deo conveniat et omnia quae sunt de ratione eius, licet alio modo conveniat sibi quam creaturis.

Mais on ne trouve rien de plus noble et de plus parfait dans les cratures que lintellection : le signe en est que, parmi les autres cratures, les substances intellectuelles sont plus nobles et, on les dit faites l'image de Dieu selon lesprit. Il faut donc que lintellection et tout ce qui la concerne convienne Dieu, bien qu'elle lui convienne d'une autre manire qu'aux cratures.

De ratione autem eius quod est intelligere, est quod sit intelligens et intellectum. Id autem quod est per se intellectum non est res illa cuius notitia per intellectum habetur, cum illa quandoque sit intellecta in potentia tantum, et sit extra intelligentem, sicut cum homo intelligit res materiales, ut lapidem vel animal aut aliud huiusmodi : cum tamen oporteat quod intellectum sit in intelligente, et unum cum ipso. Neque etiam intellectum per se est similitudo rei intellectae, per quam informatur intellectus ad intelligendum : intellectus enim non potest intelligere nisi secundum quod fit in actu per hanc similitudinem, sicut nihil aliud potest operari secundum quod est in potentia, sed secundum quod fit actu per aliquam formam. Haec ergo similitudo se habet in intelligendo sicut intelligendi principium, ut calor est principium calefactionis, non sicut intelligendi terminus.

Mais en raison de ce quest lintellection, il faut quil y ait celui qui pense et ce qui est pens. Car ce qui est pens par soi n'est pas cette chose dont on a la connaissance par l'esprit, puisque quelquefois celle-ci est pense en puissance seulement et est hors de celui qui pense ; ainsi quand lhomme pense les choses matrielles, comme la pierre ou l'animal et autres de ce genre ; alors que cependant il faut que ce qui est pens soit dans celui qui pense, et soit un avec lui. Et aussi ce qui est pens par soi est la ressemblance de la ralit pense ; par laquelle l'esprit est mis en forme pour penser. Car l'esprit ne peut penser que selon qu'il devient en acte par cette ressemblance, puisque rien d'autre ne peut oprer selon qu'il est en puissance, mais selon qu'il devient en acte par la forme. Donc cette ressemblance se comporte dans l'intellection comme son principe, comme la chaleur est le principe de lՎchauffement, non comme son terme de lintellection.

Hoc ergo est primo et per se intellectum, quod intellectus in seipso concipit de re intellecta, sive illud sit definitio, sive enuntiatio, secundum quod ponuntur duae operationes intellectus, in III de anima. Hoc autem sic ab intellectu conceptum dicitur verbum interius, hoc enim est quod significatur per vocem ; non enim vox exterior significat ipsum intellectum, aut formam ipsius intelligibilem, aut ipsum intelligere, sed conceptum intellectus quo mediante significat rem : ut cum dico, homo vel homo est animal. Et quantum ad hoc non differt utrum intellectus intelligat se, vel intelligat aliud a se. Sicut enim cum intelligit aliud a se, format conceptum illius rei quae voce significatur, ita cum intelligit se ipsum, format conceptum sui, quod voce etiam potest exprimere.

Donc est compris dabord par soi ce que lesprit comprend en lui-mme de la ralit comprise, que ce soit ou bien une dfinition ou bien un nonc, selon que sont places les deux oprations de l'esprit, (L'me, III, VI, 43 b 27[955]). Ce qui est ainsi conu par l'esprit est appel verbe intrieur[956], car c'est ce qui est signifi par le mot ; le mot extrieur ne signifie pas, en effet, ce qui est pens ou sa forme intelligible ou son intellection, mais le concept de l'esprit par l'intermdiaire duquel il signifie la ralit, comme, lorsque je dis "homme", ou "l'homme est un animal". Et ce sujet, il n'y a pas de diffrence si l'esprit se comprend, ou comprend autre chose que lui. Car, de mme que, lorsquil comprend quelque chose d'autre que lui, il forme le concept de cette ralit qui est signifie par le mot, de mme, quand il se comprend lui-mme, il en forme un concept, qu'il peut aussi exprimer par un mot.

Cum ergo in Deo sit intelligere, et intelligendo seipsum intelligat omnia alia, oportet quod ponatur in ipso esse conceptio intellectus, quae est absolute de ratione eius quod est intelligere. Si autem possemus comprehendere intelligere divinum quid et quomodo est sicut comprehendimus intelligere nostrum, non esset supra rationem conceptio verbi divini, sicut neque conceptio verbi humani.

Donc comme en Dieu il y a l'intellection et qu'en se pensant lui-mme, il pense toutes les autres choses, il faut placer en lui une conception de l'intellect, qui est dans labsolu la nature de ce quest intellection. Mais si nous pouvions comprendre l'intellection divine, ce quelle est et comment elle est, comme nous apprhendons notre intellection, la conception du verbe divin, ni la conception du verbe humain ne seraient pas au-dessus de la raison.

Possumus tamen scire quid non sit et quomodo non sit illud intelligere ; per quod possumus scire differentiam verbi concepti a Deo, et verbi concepti ab intellectu nostro. Scimus enim primo quod in Deo est tantum unum intelligere, non multiplex sicut in nobis : aliud enim est intelligere nostrum quo intelligimus lapidem et quo intelligimus plantam ; sed unum est Dei intelligere, quo Deus intelligit et se et omnia alia. Et ideo intellectus noster concipit multa verba, sed verbum conceptum a Deo est unum tantum.

Cependant nous pouvons savoir ce que cela n'est pas et comment cette intellection nest pas ; ainsi nous pouvons connatre la diffrence du verbe conu par Dieu et de celui qui est conu par notre esprit. Car nous savons d'abord qu'en Dieu il ny a quune seule intellection, non pas une intellection multiple comme en nous. Car notre intellection est diffrente pour concevoir la pierre et la plante ; mais en Dieu il y en a une seule, par laquelle il se pense, lui et toutes les autres choses. Et c'est pourquoi notre esprit conoit de nombreuses paroles, mais le verbe conu par Dieu est seulement un.

Iterum intellectus noster imperfecte plerumque intelligit et seipsum et alia ; intelligere autem divinum non potest esse imperfectum. Unde verbum divinum est perfectum, perfecte omnia repraesentans : verbum autem nostrum frequenter est imperfectum.

Par contre, la plupart du temps, notre esprit se conoit imparfaitement, lui-mme et les autres choses ; mais l'intellection de Dieu ne peut pas tre imparfaite. C'est pourquoi le Verbe divin est parfait et reprsente tout parfaitement ; mais notre verbe est frquemment imparfait.

Iterum in intellectu nostro aliud est intelligere et aliud est esse ; et ideo verbum conceptum in intellectu nostro, cum procedat ab intellectu in quantum est intellectus, non unitur ei in natura, sed solum in intelligere. Intelligere autem Dei est esse eius ; unde verbum quod procedit a Deo in quantum est intelligens, procedit ab eo in quantum est existens ; et propter hoc verbum conceptum habet eamdem essentiam et naturam quam intellectus concipiens. Et quia quod recipit naturam in rebus viventibus dicitur genitum et filius, verbum divinum dicitur genitus et filius. Verbum autem nostrum non potest dici genitum ab intellectu nostro nec filius eius, nisi metaphorice.

A nouveau, dans notre esprit, intellection et tre sont diffrents et c'est pourquoi comme le verbe conu dans notre esprit en procde en tant que concept, il ne nous est pas uni en nature, mais il est seulement dans l'intellection. Mais l'intellection de Dieu est son tre ; c'est pourquoi le verbe qui procde de lui en tant qu'il pense, procde de lui en tant qu'il existe ; et c'est pour cela que le verbe conu a la mme essence et la mme nature que l'intellect qui le conoit. Et parce que ce qui reoit la nature dans le vivant est appel engendr et fils, le verbe divin est appel engendr et Fils. Mais le ntre ne peut pas tre dit engendr par notre esprit, ni appel son fils, sinon par mtaphore.

Sic ergo relinquitur quod cum verbum intellectus nostri ab intellectu differat in duobus, in hoc scilicet et quod est ab eo, et est alterius naturae, subtracta a divino verbo naturae differentia, ut ostensum est, relinquitur quod sit differentia secundum hoc solum quod est ab alio. Cum ergo differentia causet numerum, relinquitur quod in Deo sit solum numerus relationum. Relationes autem in divinis non sunt accidentia, sed unaquaeque earum est realiter divina essentia. Unde et unaquaeque earum est subsistens, sicut divina essentia ; et sicut divinitas est idem quod Deus, ita paternitas est idem quod pater, et per hoc pater idem quod Deus. Numerus ergo relationum est numerus rerum subsistentium in divina natura. Res autem subsistentes in divina natura sunt divinae personae, ut ex praecedenti articulo patet. Et propter hoc ponimus personarum numerum in divinis.

Ainsi donc il reste que, comme le verbe de notre esprit diffre de lui en deux points, savoir ce qui est de lui, et ce qui est d'une autre nature, si on exclut la diffrence de nature du verbe divin, comme on l'a montr, (qu. 8, a. 1), il reste qu'il y a une diffrence seulement selon qu'il vient d'un autre. Donc comme la diffrence cause le nombre, il reste qu'en Dieu il y a seulement le nombre des relations. Elles ne sont pas des accidents, mais chacune d'elles est rellement l'essence divine. C'est pourquoi chacune est subsistante, comme l'essence divine ; et de mme que ce quest la divinit est identique Dieu, la paternit est identique au pre, et par l le Pre est identique Dieu. Donc le nombre des relations est celui des ralits subsistantes dans la nature divine. Mais ce qui est subsistant, ce sont les personnes divines, comme on le montre dans l'article prcdant. Et c'est pour cela que nous plaons le nombre des personnes en Dieu.

 

Solutions :

q. 9 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Boetius per verba illa intendit excludere numerum a divina essentia ; de hoc enim agit.

# 1. Boce, par ces paroles, tend exclure le nombre de l'essence divine, car c'est de cela qu'il s'agit.

q. 9 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet personae, in quantum sunt subsistentes, non habeant quod diminuant de ratione numeri, habent hoc tamen in quantum sunt relationes ; nam distinctio secundum relationes est minima, sicut et relatio minimum habent de ente inter omnia genera.

# 2. Bien que les personnes, en tant que subsistantes, ne puissent apporter de limite en raison du nombre, elles le peuvent cependant en tant que relations ; car la distinction dans les relations est minimale, comme la relation aussi, elles sont ce qui a le moins dՐtre parmi tous les genres.

q. 9 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unitas et pluralitas attribuuntur Deo non secundum idem, sed unitas secundum essentiam, pluralitas secundum personas ; vel unitas secundum absoluta, pluralitas secundum relationes.

# 3. L'unit et la pluralit sont attribues Dieu, non lidentique, mais l'unit selon l'essence, la pluralit selon les personnes, ou l'unit selon l'absolu, la pluralit selon les relations.

q. 9 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum pluralitas unitatum ex aliqua distinctione causetur, ubi est distinctio secundum esse, oportet quod unitates secundum esse differant ; ubi autem est distinctio secundum relationes, oportet quod unitates ex quibus consistit pluralitas, solum relationibus ab invicem distinguantur.

# 4. La pluralit des units tant cause par une distinction, l o elle est selon l'tre, il faut que les units diffrent selon l'tre. Mais l o elle est selon les relations, il faut que les units, en quoi consiste la pluralit, soient distingues seulement par les relations entre elles.

q. 9 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quaelibet distinctio sufficit ad pluralitatem similem constituendam. Unde, sicut in Deo non est divisio secundum absoluta,- quae sine compositione esse non potest,- sed solum distinctio relationum ; ita non est in Deo pluralitas quantum ad absoluta, sed solum quantum ad relationes, ut iam dictum est.

# 5. N'importe quelle distinction suffit pour constituer une pluralit semblable. C'est pourquoi, de mme qu'en Dieu, il n'y a pas de divisions dans l'absolu[957] celle-ci ne peut pas exister sans composition mais seulement une distinction des relations, de mme il n'y a pas en Dieu de pluralit quant l'absolu, mais seulement quant aux relations ; comme on l'a dj dit (dans le corps de l'article).

q. 9 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod unitates semper sunt partes numeri, si loquamur de numero absoluto quo numeramus ; si autem loquamur de numero qui est in rebus, tunc non est ratio totius et partis in numero, nisi sicut invenitur totum et pars in rebus numeratis. Diversae autem relationes in divinis non sunt partes, sicut paternitas et filiatio non sunt partes Socratis, quamvis sit pater et filius diversorum. Unde nec unitates relationum comparantur ad numerum relationum ut partes.

# 6. Les units sont toujours les parties du nombre, si nous parlons de nombre absolu par lequel nous comptons, mais si nous parlons du nombre qui est dans la ralit, alors il ny a pas la raison du tout et de la partie dans le nombre, moins que ce soit comme on trouve le tout et la partie dans les choses dnombres[958]. Mais diffrentes relations en Dieu ne sont pas des parties, de mme que la paternit et la filiation ne sont pas des parties de Socrate, bien qu'il soit pre et fils dՐtres diffrents. C'est pourquoi les units des relations ne sont pas associes au nombre des relations comme des parties.

q. 9 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod creatura differt a Deo in hoc quod producitur in numero essentialium principiorum. Talis autem non est numerus personarum.

# 7. La crature est diffrente de Dieu du fait qu'elle est produite dans le nombre des principes essentiels. Mais tel n'est pas le nombre des personnes.

q. 9 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod numerus qui est species quantitatis, causatur ex divisione continui ; unde sicut quantitas continua est quid mathematicum,- quia est separata a materia sensibili secundum rationem, et non secundum esse,- ita et numerus qui est species quantitatis, qui est etiam subiectum arithmeticae, cuius principium est unum quod est prima mensura quantitatis. Unde patet quod hic numerus non potest esse in rebus immaterialibus, sed est in eis multitudo, quae opponitur uni quod convertitur cum ente ; quae quidem causatur ex divisione formali, quae est per quasdam formas oppositas, vel absolutas vel relativas. Et talis numerus est in divinis.

# 8. Le nombre qui est une espce de quantit est caus par la division du continu ; cest pourquoi, de mme que la quantit continue est un concept mathmatique, parce quelle est spare de la matire sensible en raison et non selon lՐtre de mme le nombre aussi qui est lespce de la quantit, lui-mme sujet de larithmtique ; son principe est lunit qui est la premire mesure de la quantit. Cest pourquoi il est clair que ce nombre ne peut pas tre dans les ralits immatrielles, mais il y a en elles une pluralit, oppose lun qui est convertible avec lՎtant ; elle est cause par la division formelle, qui est par des formes opposes, ou absolues ou relatives ; et un tel nombre est en Dieu.

q. 9 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod illae passiones consequuntur numerum qui est species quantitatis, qui non competit in divinis, ut dictum est.

# 9. Ces passions supposent le nombre, qui est de lespce de la quantit, ce qui ne convient pas Dieu, comme on la dit.

q. 9 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Deus est infinitus secundum perfectionem magnitudinis et sapientiae et huiusmodi : unde in Ps. CXLVI, 5, dicitur, quod sapientiae eius non est numerus ; sed processio in divinis, secundum quam multiplicantur personae divinae, non est in infinitum ; non enim est immoderata divina generatio, ut Augustinus dicit in Lib. de Trinit. ; et ideo nec personarum numerus est infinitus.

# 10. Dieu est infini selon la perfection de la grandeur, de la sagesse, etc.. Cest pourquoi au Ps. 146, 5, il est dit : Il n'y a pas de nombre pour sa sagesse. mais la procession en Dieu selon laquelle les personnes divines sont multiplies, nest pas dans linfini : car la gnration en Dieu nest pas sans limite, comme Augustin le dit, (La Trinit) et cest pourquoi le nombre des personnes nest pas infini.

q. 9 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Deus dicitur esse finitus sibi, non quia cognoscat se esse finitum, sed quia ita comparatur ad se sicut ad nos comparantur finita, in quantum comprehendit seipsum.

# 11. On dit que Dieu est fini pour lui, non pas parce quil se connat comme tel, mais parce quil est compar lui comme le fini est compar nous, en tant quil se comprend lui-mme.

q. 9 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod illa definitio datur de numero secundum quod est in genere quantitatis, ad quod pertinet ratio mensurae.

# 12. On donne cette dfinition du nombre en tant quil est dans le genre de la quantit, quoi se rattache la notion de mesure.

q. 9 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in rebus creatis principia individuantia duo habent : quorum unum est quod sunt principium subsistendi (natura enim communis de se non subsistit nisi in singularibus) ;

13. Dans les cratures il y a deux prinicipes qui individualisent :a) Lun est quils sont le principe de subsistance (car la nature commune ne subsiste de soi que dans les tres particuliers).

aliud est quod per principia individuantia supposita naturae communis ab invicem distinguuntur. In divinis autem proprietates personales hoc solum habent quod supposita divinae naturae ab invicem distinguuntur, non autem sunt principium subsistendi divinae essentiae : ipsa enim divina essentia est secundum se subsistens ; sed e converso proprietates personales habent quod subsistant ab essentia : ex eo enim paternitas habet quod sit res subsistens, quia essentia divina, cui est idem secundum rem, est res subsistens ; ut inde sequatur quod sicut essentia divina est Deus, ita paternitas est pater. Et ex hoc est etiam quod essentia divina non multiplicatur secundum numerum ex pluralitate suorum suppositorum, sicut accidit in istis inferioribus. Nam ex eo aliquid secundum numerum multiplicatur, ex quo subsistentiam habet. Licet autem divina essentia secundum seipsam, ut ita dicam, individuetur, quantum ad hoc quod est per se subsistere, tamen, ipsa una existente secundum numerum, sunt in divinis plura supposita ab invicem distincta per relationes subsistentes.

b) Lautre est quils se distinguent entre eux par des principes qui individualisent les suppts de nature commune. Mais en Dieu, les proprits personnelles sont telles seulement que les suppts de nature divine se distinguent entre eux, mais elles ne sont pas le principe de subsistance de lessence divine ; car celle-ci est subsistante par soi, mais linverse, les proprits personnelles sont telles quelles subsistent par lessence ; car ainsi la paternit est telle quelle est une ralit subsistante, parce que lessence divine, laquelle elle est identique en ralit est ce qui subsiste ; de sorte quainsi il en dcoule que de mme que lessence divine est Dieu, la paternit est le Pre. Et de l vient aussi que lessence divine nest pas multiplie en nombre par la pluralit de ses suppts, comme cela arrive dans les tres infrieurs. Car une chose est multiplie en nombre, par le fait quelle a sa subsistance. Mais bien quen soi lessence divine, soit pour ainsi dire individue, pour ce qui est subsister par soi, cependant comme cette unit existe selon le nombre, il y a plusieurs suppts en Dieu distingus entre eux, par les relations subsistantes.

q. 9 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod si pater et filius et spiritus sanctus non re, sed solum ratione differunt, nihil prohibet unum de altero praedicari : sicut vestis et tunica de se invicem praedicantur ; et similiter pater esset filius, et e converso ; quod est haeresis Sabellianae. Unde dicendum est, quod pater et filius et spiritus sanctus sunt tres res, ut Augustinus dicit in Lib. I de Doctr. Christ., si tamen res pro re relativa accipiatur ; si enim sumatur pro absoluto, sic sunt una res, ut idem Augustinus dicit. Et hoc modo sumendum est quod Damascenus dicit, quod sunt unum re. Quod autem dicit, quod ratione tantum distinguuntur, communiter exponitur, id est relatione. Nam relatio etsi per comparationem ad relationem oppositam, distinctionem realem faciat in divinis, tamen ab essentia divina non differt nisi ratione ; cum hoc etiam relatio inter omnia genera debiliori modo res est.

# 14. Si le Pre, le Fils et lEsprit saint diffrent non pas en ralit mais seulement en raison, rien nempche dattribuer lun lautre ; comme le vtement et la tunique sattribuent de lun lautre[959] ; et de la mme manire, le Pre serait le Fils et linverse ; ce qui est lhrsie de Sabellius[960]. Cest pourquoi il faut dire que le Pre, le Fils et lEsprit saint sont trois ralits, comme Augustin le dit au livre I de La doctrine chrtienne (ch. V[961]), si cependant la ralit est reue comme chose relative, car si elle est prise pour labsolu, ils sont une seule ralit, comme le mme Augustin le dit. Et de cette manire, il faut prendre ce que Jean Damascne dit quils sont un en ralit. Mais ce quil dit quils sont distingus en raison, cest ce quon expose communment, cest--dire par la relation. Car mme si la relation apporte une distinction relle par comparaison la relation oppose, en Dieu, lessence divine ne diffre quen raison ; avec cela aussi la relation est dun mode plus faible parmi tous les genres.

q. 9 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod pluralitas rerum in divinis est pluralitas relationum subsistentium oppositarum, ex quo non sequitur compositio in divinis. Nam relatio, comparata ad essentiam divinam, non differt re, sed ratione solum ; unde non facit compositionem cum ipsa, sicut nec bonitas nec aliud essentialium attributorum ; sed per comparationem ad oppositam relationem est pluralitas rerum, non tamen compositio ; quia relationes oppositae, in quantum huiusmodi, ab invicem distinguuntur. Compositio vero non est ex aliquibus distinctis in quantum distincta sunt.

# 15. La pluralits des ralits en Dieu est une pluralit de relations subsistantes opposes, do ne dcoule pas de la composition. Car la relation, compare lessence divine nen diffre pas en ralit, mais en raison seulement ; cest pourquoi elle ne fait pas composition avec elle ; la bont non plus, ni aucun autre des attributs essentiels ; mais par comparaison la relation oppose, il y a la pluralit des ralits, mais cependant pas composition, parce que les relations opposes, en tant que telles, se distinguent entre elles. Mais la composition ne vient pas de certaines choses distinctes en tant que telles.

q. 9 a. 5 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod attributa essentialia nullam ad invicem habent oppositionem sicut relationes ; et ideo licet subsistant sicut relationes, non tamen constituunt pluralitatem suppositorum ab invicem distinctorum, cum pluralitas distinctionem sequatur ; distinctio vero formalis fit ex aliqua oppositione.

# 16. Les attributs essentiels nont aucune opposition entre eux, comme les relations ; et cest pourquoi, bien quils subsistent comme les relations, ils ne constituent pas une pluralit de suppts distincts les uns des autres, puisque la pluralit ne dcoule pas de la distinction ; mais la distinction formelle se fait par une opposition.

q. 9 a. 5 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in divinis non differt quod significatur per modum formae et quod significatur per modum suppositi : ut divinitas et Deus, paternitas et pater ; et ideo non oportet quod, licet proprietates relativae sint quasi differentiae constituentes personas, faciant compositionem aliquam cum personis constitutis.

# 17. En Dieu, il ny a pas de diffrence entre ce qui est signifi par la forme et par le suppt ; comme la divinit et Dieu, la paternit et le Pre ; et cest pourquoi il ne faut pas que, bien que les proprits relatives soient comme des diffrences qui constituent les personnes, elles apportent une composition avec les personnes constitues.

q. 9 a. 5 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet pater et filius non distinguantur ab invicem nisi paternitate et filiatione, non tamen oportet quod pater et filius quasi specie differant in divinis : quia paternitas et filiatio sunt relationes secundum speciem diversae. Non enim istae relationes se habent ad divinas personas ut speciem dantes, sed magis ut supposita distinguentes et constituentes. Illud autem quod se habet ad personas divinas ut speciem dans, est natura divina, in qua filius est similis patri : nam generans generat sibi similem secundum speciem, non secundum individuales proprietates. Sicut ergo Socrates et Plato licet non distinguerentur ad invicem individualiter nisi albedine et nigredine, quae sunt diversae qualitates secundum speciem, non tamen specie differrent : quia id quod est species albo et nigro, non est species Socrati et Platoni ; ita nec sequitur quod pater et filius specie differant propter differentiam paternitatis et filiationis secundum speciem : licet in divinis non possit proprie dici aliquid differre secundum speciem, cum non sit ibi species et genus.

# 18. Bien que le Pre et le Fils ne se distinguent lun de lautre que par la paternit et la filiation, il ne faut cependant pas quils diffrent comme en espce ; parce que la paternit et la filiation sont des relations diffrentes en espce. Car elles ne se comportent pas vis--vis des personnes divines comme donnant une espce, mais plutt comme distinguant les suppts et les constituant. Mais ce qui se comporte vis--vis des personnes divines, comme donnant lespce, cest la nature divine, en laquelle le Fils est semblable au Pre. Car celui qui engendre engendre du semblable lui en espce, mais pas selon les proprits individuelles. Donc ainsi, bien que Socrate et Platon ne soient distingus lun de lautre individuellement que par la blancheur et la noirceur, qui sont des qualits diverses en espce, ils ne diffrent cependant pas en espce, parce que ce qui est lespce, pour le blanc et le noir, nest pas une espce pour Socrate et Platon ; ainsi il nen dcoule pas que le Pre et le Fils soient diffrents en espce cause dune diffrence de paternit et de filiation en espce ; bien quen Dieu on ne puisse proprement parler dune diffrence en espce, puisquil ny a en lui ni espce, ni genre.

q. 9 a. 5 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod omnino concedendum est quod in divinis non sit nisi unum esse : cum esse semper ad essentiam pertineat, et praecipue in Deo, cuius esse est sua essentia. Relationes autem quae distinguunt supposita in divinis, non addunt aliud esse super esse essentiae, quia non faciunt compositionem cum essentia, ut dictum est. Omnis autem forma addens aliquod esse super esse substantiale, facit compositionem cum substantia, et ipsum esse est accidentale, sicut esse albi et nigri. Diversitas ergo secundum esse sequitur pluralitatem suppositorum, sicut et diversitas essentiae, in rebus creatis. Neutrum autem in divinis.

# 19. Il faut absolument concder quen Dieu il ny a quun seul tre, puisque lՐtre se rapporte toujours lessence, et surtout en Dieu, dont lՐtre est lessence. Mais les relations qui distinguent les suppts najoutent pas un autre tre celui de lessence ; parce quils ne font pas composition avec elle, comme on la dit. Mais toute forme qui ajoute quelque chose lՐtre substantiel, apporte une composition avec la substance et lՐtre mme est accidentel, comme lՐtre du blanc et du noir. Donc la diversit selon lՐtre dcoule de la pluralit des suppts, comme la diversit de lessence, dans les cratures. Mais ni lun ni lautre nest en Dieu.

q. 9 a. 5 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod operatio egreditur ab agente ratione formae vel virtutis, quae est principium operationis ; et ideo nihil prohibet a tribus personis, quae sunt unius naturae et virtutis, unam creationem procedere : sicut si trium calidorum esset unus numero calor, una numero ab eis calefactio proveniret.

# 20. Lopration sort de lagent en raison de la forme ou du pouvoir, qui est le principe de lopration ; et cest pourquoi rien nempche quune seule cration procde des trois personnes qui sont dune seule nature et dun seul pouvoir, comme si de trois chaleurs il ny en avait quune seule en nombre, des trois proviendrait un seul rchauffement en nombre.

q. 9 a. 5 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod formae individuantes in rebus creatis non sunt subsistentes sicut in divinis ; et ideo non est simile.

# 21. Les formes qui individualisent dans les cratures ne sont pas subsistantes comme en Dieu, et cest pourquoi ce nest pas pareil.

q. 9 a. 5 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod in rebus creatis ad multitudinem suppositorum sequitur multiplicatio essentiae, quod non accidit in divinis ; unde ratio non sequitur.

# 22. Dans les cratures, la pluralit de lessence amne la pluralit des suppts, ce qui narrive pas en Dieu. Cest pourquoi la raison ne vaut pas.

q. 9 a. 5 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum quod, licet tota et perfecta divinitas sit in qualibet trium personarum secundum proprium modum existendi, tamen ad perfectionem divinitatis pertinet ut sint plures modi existendi in divinis ut scilicet sit ibi a quo alius et ipse a nullo, et aliquis qui est ab alio. Non enim esset omnimoda perfectio in divinis, nisi esset ibi processio verbi et amoris.

# 23. Bien que la divinit parfaite soit toute entire en chacune des trois personnes selon leur propre mode dexistence, cependant il convient la perfection de la divinit quil y ait plusieurs modes dexistence en Dieu, savoir quil y en a un par lequel il est autre, et lui-mme qui ne dpend de personne et un qui est par un autre[962]. Car il ny aurait de toute manire de perfection en Dieu, que sil y avait la procession du verbe et de lamour.

q. 9 a. 5 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod ratio illa procedit ac si divinae personae per essentiam distinguerentur. Sic enim plenitudo gaudii quam habet pater in filio, esset in aliquo extrinseco, et non haberet pater hoc in seipso ; sed quia filius est in patre ut verbum ipsius, non posset esse patri plenum gaudium de seipso nisi in filio ; sicut nec homo de seipso gaudet nisi per conceptionem quam de seipso habet.

# 24. Cet argument est avanc, comme si les personnes divines se distinguaient par lessence. Car ainsi la plnitude de joie que le Pre a dans le Fils dpendrait de quelquun dextrieur et le Pre ne laurait pas en lui ; mais parce que le Fils est dans le Pre comme son verbe, il ne pourrait y avoir la pleine joie pour le Pre de lui-mme, que dans le Fils ; ainsi lhomme ne se rjouit lui-mme que par la conception quil se fait de lui-mme.

 

 

 

Article 6 Le nom de personne peut-il tre convenablement attribu Dieu au pluriel ?

q. 9 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum nomen personae convenienter possit praedicari pluraliter in divinis. Et videtur quod non.

Il semble que non[963].

 

Objections :

q. 9 a. 6Arg. 1 Persona enim est substantia, ut ex definitione Boetii patet. Sed substantia non praedicatur pluraliter in divinis. Ergo nec persona.

1. Car la personne est une substance, comme le montre la dfinition de Boce. Mais la substance nest pas attribue au pluriel Dieu. Donc la personne non plus.

q. 9 a. 6Arg. 2 Praeterea, alia nomina absoluta praedicantur tantum singulariter in divinis, ut sapiens, bonus et huiusmodi. Sed hoc nomen persona est nomen absolutum. Ergo non debet praedicari pluraliter in divinis.

2. Tous les noms absolus sont attribus Dieu seulement au singulier, comme sage, bon, etc.. Mais ce nom personne est un nom absolu. Donc il ne doit pas tre attribu au pluriel.

q. 9 a. 6Arg. 3 Item, nomen personae a subsistendo sumi videtur, cum significet individuum in genere substantiae, et persona dicatur quasi per se una. Subsistere autem ad essentiam pertinere videtur, quae non multiplicatur in divinis. Ergo nec nomen personae pluraliter potest praedicari.

3. Le nom de personne semble pris de subsister puisquil signifie lindividu dans le genre de la substance et on parle de la personne comme unique par soi. Mais subsister semble appartenir lessence qui nest pas multiplie en Dieu. Donc le nom de personne ne peut pas tre attribu au pluriel.

q. 9 a. 6Arg. 4 Sed dicendum, quod licet subsistere sumatur ab essentia, tamen dicere possumus quod in divinis sunt tres subsistentes, et similiter quod tres personae.- Sed contra, ea quae significant essentiam in divinis, non possunt praedicari pluraliter, nisi sint adiectiva, quae non trahunt numerum a forma significata, sed a suppositis, cum e converso sit in substantivis. Unde dicimus, quod in Deo sunt tres aeterni, si ly aeterni adiective sumatur ; si vero substantive, tunc verum est quod Athanasius dicit in Symb. quod non sunt tres aeterni, sed unus aeternus. Hoc autem nomen persona est substantivum, non adiectivum. Ergo non debet praedicari in plurali.

4. Mais il faut dire, que bien que subsister soit pris de lessence, nous pouvons cependant dire quen Dieu il y a trois (tres) subsistants et de mme quil y a trois personnes Mais en sens contraire, ce qui signifie lessence en Dieu ne peut tre attribu au pluriel moins que ce soient des adjectifs qui nentranent pas un nombre par la forme quils signifient mais par les suppts[964], alors que cest linverse dans les substantifs. Cest pourquoi nous disons quen Dieu il y a trois ternels, si  ternel  est pris comme adjectif ; mais sil est pris substantivement, alors est vrai ce quAthanase dit dans le symbole quil ny a pas trois ternels, mais un seul. Mais ce nom de personne est un substantif, non un adjectif. Donc il ne doit pas tre attribu au pluriel.

q. 9 a. 6Arg. 5 Praeterea, licet adiectiva essentialia praedicentur pluraliter in divinis, tamen formae significatae non praedicantur pluraliter, sed singulariter tantum. Etsi enim aliquo modo dicamus pluraliter tres aeternos in divinis, nullo tamen modo dicimus tres aeternitates. Etsi ergo aliquo modo possit dici quod sint tres personae in divinis, nullo tamen modo poterit dici quod sint tres personalitates.

5. Bien que les adjectifs essentiels soient attribus Dieu au pluriel, cependant les formes signifies ne le sont pas au pluriel, mais au singulier seulement. Car mme si, de quelque manire, nous parlons au pluriel de trois ternels en Dieu, cependant nous ne disons en aucune manire trois ternits. Donc, mme si dune certaine manire, on pourrait dire quil y a trois personnes en Dieu, en aucune manire, on ne pourrait dire quil y a trois personnalits.

q. 9 a. 6Arg. 6 Praeterea, sicut Deus significat divinitatem habentem, ita persona divina significat subsistentem in divinitate. Sed sicut dicimus in divinis tres subsistentes in divinitate, ita tres habentes divinitatem. Si ergo hac ratione potest dici quod in divinis sint tres personae, similiter poterit dici quod sint ibi tres dii, quod est haereticum.

6. De mme que Dieu signifie celui qui a la divinit, la personne divine signifie ce qui subsiste dans la divinit. Mais de mme que nous disons quil y en a trois qui subsistent, de mme nous disons quil y en a trois qui ont la divinit. Donc si pour cette raison, on peut dire quil y a trois personnes, de la mme manire, on pourra dire quil y a trois dieux, ce qui est hrtique.

q. 9 a. 6Arg. 7 Praeterea, Boetius dicit, quod ideo non sunt tres dii, quia Deus non differt a Deo in divinitate. Sed similiter persona divina non differt a persona divina aliqua personalitatis differentia, ut videtur, cum commune sit eis hoc quod est esse personam. Ergo persona non potest pluraliter praedicari in divinis.

7. Boce dit (La Trinit, III) quil ny a pas trois dieux, parce que Dieu nest pas diffrent de Dieu dans la divinit. Mais de la mme manire la personne divine ne diffre pas de la personne divine par une diffrence de personnalit, ce quil semble puisque le fait dՐtre une personne leur est commun. Donc la personne ne peut pas tre attribue Dieu au pluriel.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, quod quaerentibus quid tres essent pater et filius et spiritus sanctus, responsum est, quod sunt tres personae. Ergo persona pluraliter in divinis praedicatur.

1. Augustin dit (La Trinit, VIII, 4) que ceux qui cherchent qui sont les trois, le Pre, le Fils et lEsprit saint, il faut rpondre que ce sont trois personnes. Donc on attribue le nom de personne au pluriel en Dieu.

q. 9 a. 6 s. c. 2 Praeterea, Athanasius dicit, ubi Sup., quod alia est persona patris, alia filii, alia spiritus sancti. Distinctio autem est causa numeri. Ergo persona pluraliter debet praedicari in divinis.

2. Athanase, la suite de ce qui est crit ci-dessus (obj. 4) dit quAutre est la personne du Pre, celle du Fil,s celle de lEsprit saint. Mais la distinction est cause du nombre. Donc le nom de personne doit tre attribu au pluriel en Dieu.

 

Rponse :

q. 9 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod nomina substantiva, sicut iam supra dictum est, trahunt numerum a forma significata, adiectiva vero a suppositis. Cuius ratio est, quia nomina substantiva significant per modum substantiae, adiectiva vero per modum accidentis quod individuatur et multiplicatur per subiectum, substantia vero per seipsam.

Il faut dire que les substantifs, comme on la dit ci-dessus, entranent un nombre par la forme quils signifient, et les adjectifs par les suppts. La raison en est que les substantifs signifient en tant que substance, et les adjectifs en tant quaccident ; celui-ci est individualis et multipli par le sujet, mais la substance lest par elle-mme.

Cum ergo hoc nomen persona sit substantivum, oportet ex forma significata ipsius considerare, utrum possit pluraliter praedicari. Forma autem significata nomine personae non est natura absolute : quia sic idem significaretur nomine hominis et nomine personae humanae, quod patet esse falsum ; sed nomine personae significatur formaliter incommunicabilitas, sive individualitas subsistentis in natura, sicut ex praemissis patet.

Donc, comme ce nom personne est un substantif, il faut considrer par la forme quil signifie sil est possible de lattribuer au pluriel. Mais la forme signifie par le nom de personne n'est pas absolument la nature, parce quainsi ce qui serait signifi par le nom dhomme et celui de personne humaine serait identique ; ce qui parat faux. Mais par le nom de personne est signifi formellement lincommunicabilit ou lindividualit de ce qui subsiste dans la nature, comme on le voit par ce qui a t dit plus haut.

Cum ergo proprietates facientes esse distinctum et incommunicabile in divinis sint plures, oportet quod nomen personae pluraliter praedicetur in divinis ; sicut etiam in humanis pluraliter praedicatur nomen personae propter pluralitatem principiorum individuantium.

Donc comme les proprits qui rendent lՐtre distinct et incommunicable en Dieu sont plusieurs, il faut que le nom de personne soit attribu au pluriel ; comme aussi pour les homme le nom de personne est attribu au pluriel cause de la pluralit des principes qui les individualisent.

 

Solutions :

q. 9 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod persona est substantia individua, quae est hypostasis ; et hoc pluraliter praedicatur, sicut patet ex usu Graecorum.

# 1. La personne est la substance individuelle, qui est une hypostase ; et cela est attribu au pluriel, comme on le voit par lusage des Grecs.

q. 9 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen personae est absolutum ex modo significandi ; significat tamen relationem, sicut ex praemissis patet.

# 2. Le nom de personne est absolu par la manire de signifier ; cependant il signifie la relation comme on le voit de ce qui a t dit.

q. 9 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nomen personae non designat hoc solum quod est subsistere, quod videtur ad essentiam pertinere, sed etiam hoc quod est distinctum esse et incommunicabile, quod est propter proprietates relativas in divinis.

# 3. Le nom de personne ne dsigne pas seulement ce qui subsiste, qui semble convenir lessence, mais aussi le fait dՐtre diffrent et incommunicable, qui est cause des proprits relatives en Dieu.

q. 9 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod forma significata per nomen personae non est essentia absolute, sed illud quod est principium incommunicabilitatis sive individuationis ; et ideo pluraliter praedicatur, licet sit nomen substantivum : et propter hoc etiam, quia sunt plures proprietates distinguentes in divinis, dicuntur esse plures personalitates.

# 4. La forme signifie par le nom de personne nest pas lessence dans labsolu, mais ce qui est le principe dincommunicabilit ou dindividuation ; et cest pourquoi il est attribu au pluriel, bien quil soit un substantif ; et aussi, parce quil y a plusieurs proprits, qui apportent la distinction en Dieu, on dit quil y a plusieurs personnalits.

q. 9 a. 6 ad 5 Unde patet solutio ad quintum.

# 5. Et ainsi la solution 5 est claire.

q. 9 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hoc nomen persona significat subsistentem in natura divina, cum distinctione et incommunicabilitate ; hoc autem nomen Deus significat habentem divinam naturam nihil importans de distinctione vel incommunicabilitate ; ideo non est simile.

# 6. Ce nom de personne signifie ce qui subsiste dans la nature divine, avec distinction et incommunicabilit ; mais ce nom de Dieu signifie celui qui a la nature divine sans rien apporter dans la distinction et lincommunicabilit ; et cest pourquoi ce nest pas pareil.

q. 9 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet Deus a Deo non differat aliqua differentia divinitatis,- quia non est nisi una divinitas numero,- persona tamen divina differt a persona divina differentia personalitatis, quia ad personalitatem pertinet in divinis etiam proprietas distinguens personas.

# 7. Bien que Dieu ne diffre pas de Dieu par une diffrence de divinit, parce quil ny a quune seule divinit en nombre cependant la personne divine diffre de la personne divine par une diffrence de personnalit, parce quen Dieu aussi la proprit qui distingue les personnes convient cette personnalit.

 

 

 

Article 7 Comment les termes numriques sont-ils attribus aux personne divines, est-ce positivement ou ngativement seulement ?

q. 9 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur quomodo termini numerales praedicentur de divinis personis, utrum scilicet positive vel remotive tantum. Et videtur quod positive.

Et il semble que cest positivement[965].

 

Objections :

q. 9 a. 7Arg. 1 Si enim nihil ponunt in divinis, tunc qui dicit tres personas, nihil dicit quod sit in Deo. Ergo et qui negat tres personas, nihil negat de Deo quod sit in ipso. Non ergo contra veritatem loquitur, et ita non est haereticus.

1. Car si on ne place rien en Dieu, alors celui qui parle de trois personnes, ne dit rien de ce qui est en lui. Donc celui qui nie les trois personnes, ne nie rien de ce qui est en lui. Donc il ne parle pas contre la vrit, et ainsi il nest pas hrtique.

q. 9 a. 7Arg. 2 Praeterea, secundum Dionysium in Lib. de Divin. Nom., tribus modis dicitur aliquid de Deo : scilicet per negationem, per eminentiam et per causam. Quocumque autem istorum modorum termini numerales praedicentur in divinis, oportet quod aliquid ponant. Quod quidem manifestum est, si quidem praedicentur per eminentiam vel per causam similiter autem et si praedicentur negative. Non enim sic aliqua negantur de Deo, ut idem Dionysius dicit, quasi omnino ei desint, sed quia non eodem modo ei conveniunt sicut et nobis. Oportet ergo omnibus modis quod termini numerales aliquid ponant.

2. Selon Denys (les Noms divins, Thologie mystique, I), on parle de quelque chose en Dieu de trois manires ; savoir par ngation, par minence, et par la cause. De nimporte quelle de ces manires que les termes numriques sont attribus Dieu, il faut quils y tablissent quelque chose. Ce qui est clair, sils sont attribus par minence ou par cause, de la mme manire aussi sils sont attribus ngativement. Car ce nest pas ainsi que certaines choses sont nies de Dieu, comme le mme Denys le dit (La Hirarchie cleste, II, Les Noms divin, IV et XI), comme si elles lui manquaient tout fait, mais parce quelles ne se rencontrent pas en lui de la mme manire quen nous. Il faut donc que de toutes les manires, les termes numriques placent quelque chose.

q. 9 a. 7Arg. 3 Praeterea, quidquid praedicatur de Deo et creaturis, nobiliori modo de Deo quam de creaturis praedicatur. Termini autem numerales de creaturis praedicantur positive. Ergo multo magis de Deo.

3. Tout ce qui est attribu Dieu et aux cratures, est attribu dune manire plus noble Dieu quaux cratures. Mais les termes numriques sont attribus positivement aux cratures. Donc beaucoup plus Dieu.

q. 9 a. 7Arg. 4 Praeterea, multitudo et unitas importata per terminos numerales, secundum quod praedicatur de Deo, non sunt in intellectu tantum : quia sic non essent tres personae in Deo nisi secundum intellectum ; quod pertinet ad haeresim Sabellianam. Ergo oportet quod sint aliquid in ipso Deo secundum rem ; et ita positive de Deo dicuntur.

4. La pluralit et lunit apportes par les termes numriques, selon ce qui est attribu Dieu, ne sont pas dans lesprit seulement : parce quainsi il ny aurait trois personnes en Dieu que selon lesprit ; ce qui appartient lhrsie sabellienne[966]. Donc il faut quelles soient quelque chose en Dieu mme, en ralit, et ainsi on en parle positivement en Dieu.

q. 9 a. 7Arg. 5 Praeterea, sicut unum est in genere quantitatis, ita bonum est in genere qualitatis ; in Deo autem nec est quantitas nec qualitas nec aliquod accidens ; et tamen bonum non praedicatur de Deo remotive sed positive. Ergo similiter unum, et per consequens multitudo, quam constituit unum.

5. Le un est dans le genre de la quantit, de mme le bien est dans le genre de la qualit ; mais en Dieu, il ny a ni quantit, ni qualit, ni accident ; et cependant le bien nest pas attribu Dieu ngativement, mais positivement. Donc de la mme manire le un et par consquent la pluralit que constitue lunit.

q. 9 a. 7Arg. 6 Praeterea, quatuor prima entia dicuntur, scilicet ens, unum, verum et bonum. Sed tria eorum, scilicet ens, verum et bonum, dicuntur de Deo positive. Ergo et unum, et per consequens multitudo.

6. On dit quil y a quatre tres premiers[967] savoir lՎtant, lun, le vrai et le bien. Mais on parle positivement pour Dieu de trois dentre eux, savoir lՎtant, le vrai et le bien. Donc lun aussi et par consquent la pluralit.

q. 9 a. 7Arg. 7 Praeterea, multitudo et magnitudo pertinent ad duas species quantitatis, quae sunt discreta quantitas et continua. Sed magnitudo praedicatur de Deo positive, cum dicitur Ps. CXLVI, 5 : magnus dominus et magna virtus eius. Ergo et multitudo et unum.

7. La pluralit et la grandeur appartiennent deux espces de quantit, la quantit discrte et la quantit continue. Mais la grandeur est attribue positivement Dieu quand il est dit (Ps. 146, 5) : Le Seigneur est grand et grande est sa puissance. Donc la pluralit et lunit aussi.

q. 9 a. 7Arg. 8 Praeterea, creaturae Dei similitudinem praeferunt, secundum quod in eis vestigium divinitatis apparet. Sed secundum Augustinum, quaelibet creatura vestigium quoddam divinae Trinitatis in se habet, in quantum est aliquid unum et specie formatur et ordinem aliquem habet. Ergo creatura est una ad similitudinem Dei. Sed unum praedicatur de creatura positive : ergo et de Deo.

8. Les cratures de Dieu manifestent la ressemblance selon quapparat en elles un vestige de la divinit. Mais selon Augustin (La Trinit, X, 11), nimporte quelle crature porte en elle un vestige de la divine Trinit, en tant quelle est une et est mise en forme en lespce et a un ordre. Donc la crature est une la ressemblance Dieu. Mais lunit est attribue positivement la crature. Donc Dieu aussi.

q. 9 a. 7Arg. 9 Praeterea, si unum praedicatur de Deo privative, oportet quod aliquid removeat, et non nisi multitudinem. Multitudinem autem non removet ; non enim sequitur, si est una persona, quod non sint plures. Unum ergo non dicitur remotive de Deo, et per consequens nec multitudo.

9. Si on attribue ngativement lunit Dieu, il faut quelle exclut quelque chose et pas seulement la pluralit. Mais elle ne lexclut pas ; car il nen dcoule pas, sil y a une personne quil y en ait pas plusieurs. Donc on ne parle pas de lunit ngativement en Dieu et par consquent de la pluralit non plus.

q. 9 a. 7Arg. 10 Praeterea, privatio nihil constituit. Unum autem constituit multitudinem. Non ergo dicitur privative.

10. La privation na rien constitu. Mais lunit a constitu la pluralit. Donc on nen parle pas ngativement.

q. 9 a. 7Arg. 11 Praeterea, nulla privatio est in Deo, quia privatio omnis pertinet ad defectum. Unum autem praedicatur de Deo. Ergo non significat privationem.

11. Il ny aucune privation en Dieu, parce que toute privation concerne une dfaillance. Mais lunit est attribue Dieu. Donc elle ne signifie pas une privation.

q. 9 a. 7Arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit, quod quidquid praedicatur de Deo, praedicatur secundum substantiam, vel secundum relationem. Et Boetius etiam dicit, quod omnia quae veniunt in divinam praedicationem, mutantur in substantiam praeter ad aliquid. Si ergo termini numerales praedicantur de Deo, oportet quod significent substantiam vel relationem ; et ita oportet quod positive de Deo praedicentur.

12. Augustin dit (la Trinit, V, 5) que tout ce qui est attribu Dieu lest selon la substance ou selon la relation. Et Boce dit aussi (dans son livre sur La Trinit) que tout ce qui vient dans lattribution divine est chang en substance hormis la relation. Donc si les termes numriques sont attribus Dieu, il faut quils signifient la substance ou la relation ; et ainsi il faut quils soient attribus positivement Dieu.

q. 9 a. 7Arg. 13 Praeterea, unum et ens convertuntur et videntur esse synonyma. Sed ens praedicatur de Deo positive. Ergo et unum, et per consequens multitudo.

13. Lunit et lՎtant sont convertibles et semblent synonymes. Mais lՎtant est attribu positivement Dieu. Donc lunit aussi et par consquent la pluralit.

q. 9 a. 7Arg. 14 Praeterea, si unum praedicatur de Deo remotive, oportet quod removeat multitudinem tamquam sibi oppositam. Hoc autem non potest esse, cum multitudo constituatur ex unitatibus ; unum autem oppositorum non constituitur ex alio. Ergo unum non praedicatur de Deo remotive.

14. Si lunit est attribue Dieu ngativement, il faut exclure la pluralit, comme sopposant elle. Mais cela nest pas possible, puisque la pluralit est constitue dunits ; mais lun des opposs nest pas constitu par un autre. Donc lunit nest pas attribue Dieu ngativement.

q. 9 a. 7Arg. 15 Praeterea, si unum dicitur per remotionem multitudinis, oportet quod unum opponatur multitudini, sicut privatio habitui. Habitus autem est naturaliter prior privatione, et etiam secundum rationem, quia privatio non potest definiri nisi per habitum. Ergo multitudo erit prior uno secundum naturam et secundum rationem ; quod videtur inconveniens.

15. Si lunit est dfinie par lexclusion de la pluralit, il faut que lunit soit oppose la pluralit, comme la privation la possession. Mais la possession est naturellement avant la privation et aussi en raison, parce quelle ne peut tre dfinie que par une possession. Donc la pluralit sera avant lunit en nature et en raison, ce qui ne parat pas convenir.

q. 9 a. 7Arg. 16 Praeterea, si unum et multa in divinis praedicantur remotive, oportet quod unum removeat multitudinem et multitudo removeat unitatem. Hoc autem est inconveniens, quia sequeretur circulus unius et multi, ut dicatur, quod unum est quod non est multa, et multa sunt quae non sunt unum ; et sic per ista nihil fieret notum. Non est ergo dicendum, quod unum et multa in Deo dicantur privative.

16. Si lun et le multiple sont attribus ngativement Dieu, il faut que lunit exclut la pluralit et que celle-ci exclut lunit. Mais cela ne convient pas, parce quil en dcoulerait un cercle entre lunit et le multiple, de sorte quon dirait que lun est ce qui nest pas multiple et le multiple est ce qui nest pas un ; et ainsi on ne connatrait rien. Donc il ne faut pas dire quon parle ngativement de lun et du multiple en Dieu.

q. 9 a. 7Arg. 17 Praeterea, unum et multa cum se habeant ut mensura et mensuratum, videntur opponi ad invicem relative. In relative autem oppositis utrumque dicitur positive. Ergo tam unum quam multa positive praedicantur de Deo.

17. Comme lun et le multiple ne se comportent pas comme la mesure et le mesur, ils semblent opposs relativement entre eux. Mais dans ce qui est oppos relativement, on parle de lun et de lautre positivement. Donc on attribue positivement Dieu autant lun que le multiple.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Dionysius dicit, IV de Divin. nominibus : unitas laudata et Trinitas, quae est super omnia divinitas, non est neque unitas neque Trinitas quae a nobis aut alio quodam existentium sit cognita. Videtur ergo quod termini numerales per remotionem dicantur de Deo.

1. Denys dit (les Noms divins, IV, 13) : Lunit est loue et la Trinit qui est la divinit au-dessus de tout, nest ni unit, ni Trinit, pour quelle soit connue par nous ou par quelquun dautre parmi ceux qui existent. Il semble donc quon parle par loignement des termes numraux en Dieu.

q. 9 a. 7 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit : quaesivit humana inopia quid tria diceret, et dixit substantias sive personas. Quibus nominibus non diversitatem intelligi voluit sed singularitatem noluit. Sunt ergo huiusmodi termini numerales introducti in divinis magis ad removendum quam ad ponendum.

2. Augustin dit (La Trinit, VII, 4, 9) : La pauvret humaine a cherch ce que trois voulait dire et elle a dit : les substances ou les personnes. Par ces noms elle a voulu ne pas comprendre la diversit, mais elle na pas voulu comprendre la singularit. Donc il y a des termes numraux de ce genre qui sont introduits en Dieu, plus pour exclure que pour poser.

q. 9 a. 7 s. c. 3 Praeterea, unum et multitudo, sive numerus, sunt in genere quantitatis. In Deo autem non potest esse aliqua quantitas, cum quantitas sit accidens et dispositio materiae. Termini ergo numerales in Deo nihil ponunt.

3. Lun et la pluralit ou le nombre sont dans le genre de la quantit. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir de quantit, puisquelle est un accident et une disposition de la matire. Donc les termes numraux ne placent rien en Dieu.

q. 9 a. 7 s. c. 4 Sed dicendum, quod licet quantitas secundum rationem sui generis, vel secundum rationem accidentis, non possit esse in Deo, tamen secundum rationem speciei aliqua quantitas potest praedicari de Deo, sicut aliqua qualitas, ut scientia vel iustitia.- Sed contra, illae solae species qualitatis in divinam praedicationem assumuntur quae secundum rationem suae speciei nullam imperfectionem important, sicut scientia, iustitia et aequitas ; non autem ignorantia nec albedo. Omnis autem quantitas secundum rationem suae speciei imperfectionem importat : cum enim quantum sit quod est indivisibile, species quantitatis distinguuntur secundum diversos modos divisionis ; sicut pluralitas est quae divisibilis est in non continua, linea autem quae est divisibilis secundum unam dimensionem, superficies autem secundum duas, corpus vero secundum tres. Divisio autem perfectioni divinae simplicitatis repugnat. Nulla ergo quantitas secundum rationem suae speciei potest praedicari de Deo.

4. Mais il faut dire que, bien que la quantit en raison de son genre, ou en raison de laccident, ne puisse pas exister en Dieu, cependant en raison de lespce, on peut attribuer certaine quantit Dieu, de mme que certaine qualit, comme la science et la justice. En sens contraire, on admet dans lattribution divine ces seules espces de qualit qui napportent aucune imperfection en raison de leur espce, comme la science, la justice et lՎquit ; mais pas lignorance ni la blancheur. Mais toute quantit en raison de son espce apporte une imperfection ; comme, en effet, quant ce qui est indivisible, les espces de quantit sont distingues selon divers modes de division, ainsi la pluralit est ce qui est divisible dans ce qui nest pas continu, la ligne ce qui est divisible selon une dimension, la superficie selon deux, le corps selon trois[968], mais la division soppose la perfection de la simplicit divine. Donc aucune quantit en raison de son espce ne peut tre attribue Dieu.

q. 9 a. 7 s. c. 5 Sed dicendum, quod distinctio per relationes quae facit numerum personarum in divinis, non importat imperfectionem in Deo.- Sed contra, omnis divisio vel distinctio aliquam multitudinem causat. Non autem omnis multitudo est numerus qui est species quantitatis : cum multitudo et unum circumeant omnia genera. Non ergo omnis divisio vel distinctio sufficit ad constituendum numerum qui est species quantitatis, sed sola illa divisio quae est secundum quantitatem, qualis non est distinctio relationum.

5. Mais il faut dire que la distinction par les relations qui apportent le nombre des personnes en Dieu, ne lui apporte pas dimperfection. En sens contraire, toute division ou distinction cause une pluralit, mais toute pluralit nest pas un nombre qui est une espce de quantit, puisque la pluralit et lunit enferment tous les genres. Donc toute division ou distinction ne suffit pas constituer un nombre, qui est une espce de quantit, mais cette seule division qui est selon la quantit ; telle nest pas la distinction des relations.

q. 9 a. 7 s. c. 6 Sed dicendum, quod omnis multitudo est species quantitatis, et omnis divisio sufficit ad constituendam speciem quantitatis.- Sed contra, ad positionem substantiae non sequitur positio quantitatis, cum substantia possit esse sine accidente. Sed positis solis formis substantialibus, sequitur distinctio in substantiis. Ergo non quaelibet distinctio constituit multitudinem quae est accidens et species quantitatis.

6. Mais il faut dire que toute pluralit est une espce de quantit, et toute division suffit constituer une espce de quantit. En sens contraire, placer la quantit ne revient pas placer la substance, puisque celle-ci peut exister sans accident. Mais si on place les seules formes substantielles, il en dcoule une distinction dans les substances. Donc ce nest pas nimporte quelle distinction qui constitue la pluralit qui est accident et espce de quantit.

q. 9 a. 7 s. c. 7 Praeterea, discretio quae constituit numerum, quae est species quantitatis, opponitur continuo. Discretio autem continuo opposita est, quae consistit in divisione continui. Ergo sola divisio continui, quae non competit Deo, causat numerum qui est species quantitatis ; et ita non potest praedicari de Deo numerus qui est species quantitatis.

7. Ce qui constitue le nombre discret qui est espce de quantit, soppose ce qui constitue le nombre continu. Mais  cette discrtion  est oppose au continu qui consiste dans la division du contenu. Donc la seule division du contenu, qui ne convient pas Dieu, cause le nombre qui est lespce de quantit, et ainsi on ne peut pas attribuer Dieu un nombre qui est une espce de quantit.

q. 9 a. 7 s. c. 8 Praeterea, quaelibet substantia dicitur una. Aut ergo est una per essentiam suam, aut per aliquid aliud. Si per aliquid aliud, cum et illud oporteat esse unum, necesse est quod et illud per se sit unum, vel per aliquid aliud, et illud iterum per aliud. Impossibile est autem quod hoc procedat in infinitum. Ergo statur alicubi. Melius est ergo quod stetur in primo, ut scilicet substantia per seipsam sit una. Non ergo unum est aliquid additum substantiae ; et ita non videtur significare aliquid positive.

8. On dit que nimporte quelle substance est une. Ou bien donc elle est une par son essence, ou bien par quelque chose dautre. Si cest par quelque chose dautre, puisque aussi cela doit tre un, il est ncessaire que cela soit un par soi, ou par quelque chose dautre et celui-ci nouveau par quelque chose dautre. Mais il est impossible que cela procde linfini. Donc on sarrte quelque part. Donc il est meilleur de sarrter au premier stade, pour que la substance soit une par elle-mme[969]. Donc lun nest pas quelque chose dajout la substance, et ainsi il ne semble pas avoir une signification positive.

q. 9 a. 7 s. c. 9 Sed dicendum, quod substantia non est una per seipsam, sed per unitatem ei accidentem ; unitas autem est per se una ; prima enim denominant seipsa, sicut bonitas est bona, veritas est vera, et similiter unitas est una.- Sed contra, huiusmodi seipsa denominant propter hoc quod sunt primae formae, nam secundae formae non denominant seipsas, sicut albedo non est alba. Quae autem se habent ex additione ad aliud, non sunt prima. Ergo unitas et bonitas non se habent ex additione ad substantiam.

9. Mais il faut dire que la substance nest pas une par elle-mme, mais par une unit qui lui est accidentelle ; mais lunit est une par soi ; car les transcendantaux se nomment eux-mmes, ainsi la bont est bonne, la vrit vraie et de la mme manire lunit une. En sens contraire, ceux de ce genre se nomment eux-mmes parce quils sont des formes premires ; car les formes secondes ne se nomment pas elles-mmes, ainsi la blancheur nest pas blanche. Ce qui se comporte par addition autre chose nest pas premier (transcendantal). Donc lunit et la bont ne se comportent pas par addition la substance.

q. 9 a. 7 s. c. 10 Praeterea, secundum philosophum, omnia dicuntur unum in quantum non dividuntur. Hoc autem quod est non dividi, non ponit aliquid, sed solum removet. Ergo unum non praedicatur positive sed remotive in divinis ; et per consequens multitudo, quae constituitur ex unis.

10. Selon le philosophe (Mtaphysique V, 6, 1018 a 18 passim), on appelle un tout ce qui nest pas divis. Mais ce qui nest pas divis ne place rien, mais exclut seulement. Donc lun nest pas attribu positivement Dieu, mais ngativement ; et par consquent la pluralit qui est constitue par des units aussi.

 

Rponse :

q. 9 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod de uno et multo diversa inveniuntur, quae etiam apud philosophos fuerunt occasio diversa sentiendi. Invenitur enim de uno, quod est principium numeri, et quod convertitur cum ente ; similiter invenitur de multo, quod pertinet ad quamdam speciem quantitatis, quae dicitur numerus, et iterum quod circuit omne genus, sicut et unum, cui videtur multitudo opponi.

Pour lun et le multiple, on trouve diffrentes questions qui ont t loccasion pour les philosophes dopinions diffrentes. Car on trouve lun, qui est le principe du nombre, et qui est convertible avec lՎtant ; de mme on trouve le multiple qui se rapporte une certaine espce de quantit qui est appele le nombre, et nouveau ce qui comprend tout genre, comme lun qui semble oppose la pluralit.

Fuerunt ergo aliqui inter philosophos qui non distinxerunt inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri, aestimantes quod neutro modo dictum unum aliquid super substantiam adderet ; sed unum quolibet modo dictum significaret substantiam rei. Ex quo sequebatur quod numerus, qui ex unis componitur, sit substantia omnium rerum secundum opinionem Pythagorae et Platonis.

A. Donc il y en eut certains parmi les philosophes qui nont pas distingu entre lun qui est convertible avec lՎtant, et lun qui est le principe du nombre, pensant que daucune des deux manires ce qui est appel un ajouterait quelque chose la substance, mais lun qui est employ de nimporte quelle manire signifierait la substance. Et il en dcoulait que le nombre qui serait compos dunits, serait la substance de toutes les choses selon lopinion de Pythagore et de Platon[970].

Quidam vero non distinguentes inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri, crediderunt e contrario, quod utrolibet modo dictum unum, adderet aliquod esse accidentale supra substantiam ; et per consequens omnis multitudo oportet quod sit aliquod accidens pertinens ad genus quantitatis. Et haec fuit positio Avicennae, quam quidem videntur secuti fuisse omnes antiqui doctores. Non enim intellexerunt per unum et multa nisi aliquod pertinens ad genus quantitatis discretae.

B. Mais certains qui ne distinguent pas entre lun qui est convertible avec lՎtant, et lun principe du nombre, ont cru au contraire que de lune et lautre manire, ce qui est appel un ajouterait un tre accidentel la substance et par consquence il faut que toute pluralit soit un accident qui concerne le genre de la quantit. Et ce fut la position dAvicenne[971] quassurment toutes les docteurs anciens semblent avoir suivi. Car ils nont compris par un et beaucoup que quelque chose qui appartenait au genre de la quantit discrte.

Quidam vero fuerunt qui attendentes quod in Deo nulla quantitas esse potest, posuerunt quod termini significantes unum vel multa de Deo non ponunt aliquid, sed removeant tantum. Non enim possunt ponere nisi quod significant, scilicet quantitatem discretam, quae nullo modo potest esse in Deo. Sic ergo secundum eos unum dicitur de Deo ad removendum multitudinem quantitatis discretae ; termini vero significantes pluralitatem, dicuntur de Deo ad removendum unitatem, quae est principium quantitatis discretae.

C. Mais certains, qui ont t attentifs ce quen Dieu il ne peut y avoir aucune quantit, ont pens que les termes qui signifiaient lun ou beaucoup ne placent rien en Dieu, mais excluent seulement. Car ils ne peuvent placer que ce quils signifient, savoir la quantit discrte, qui ne peut en aucune manire tre en Dieu. Donc ainsi selon eux, on parle de lun en Dieu pour exclure la multiplicit de la quantit discrte ; mais les termes que signifient la pluralit en Dieu, pour exclure lunit, qui est le principe de la quantit discrte.

Et haec videtur fuisse opinio Magistri, quae ponitur in 24 dist. I sententiarum. Quae quidem, supposita suae opinionis radice, scilicet quod omnis multitudo significaret quantitatem discretam, et omne unum esset eiusdem quantitatis principium, inter omnes rationabilior invenitur. Nam et Dionysius dicit, quod negationes sunt maxime verae in Deo ; affirmationes vero sunt incompactae. Non enim scimus de Deo quid est, sed magis quid non est, ut Damascenus dicit.

Et cela semble avoir t lopinion du Matre quon trouve expos dans la I Sent. d24. Si on suppose lorigine de son opinion, savoir que toute pluralit signifierait une quantit discrte, et toute unit serait le principe dune mme quantit, cette opinion est trouve plus rationnelle parmi toutes. Car Denys aussi (La Hirarchie cleste, II) dit que les ngations sont tout fait vraies en Dieu, mais les affirmations sont inadquates. Car nous ne savons pas de Dieu ce quil est, mais plutt ce quil nest pas, comme Jean Damascne le dit (I, 4).

Unde et Rabbi Moyses omnia quae affirmative videntur dici de Deo, dicit magis esse introducta ad removendum quam ad aliquid ponendum. Dicimus enim Deum esse vivum ad removendum ab eo illum modum essendi quem habent res quae apud nos non vivunt, non ad ponendum vitam in ipso, cum vita et omnia huiusmodi nomina sint imposita ad significandum quasdam formas et perfectiones creaturarum quae longe absunt a Deo ; quamvis hoc non sit usquequaque verum, nam, sicut dicit Dionysius, sapientia et vita et alia huiusmodi non removentur a Deo quasi ei desint, sed quia excellentius habet ea quam intellectus humanus capere, vel sermo significare possit ; et ex illa perfectione divina descendunt perfectiones creatae, secundum quamdam similitudinem imperfectam. Et ideo de Deo, secundum Dionysium, non solum dicitur aliquid per modum negationis et per modum causae, sed etiam per modum eminentiae.

Cest pourquoi Rabbi Moyses dit que tout ce qui parat tre dit affirmativement de Dieu est plus introduit plus pour exclure que pour poser quelque chose. Car nous disons que Dieu est vivant pour loigner de lui ce mode dՐtre quont les choses qui chez nous ne vivent pas, mais pas pour placer la vie en eux, puisque la vie et tous les noms de ce genre sont imposs pour signifier des formes et les perfections des cratures, qui sont trs loin de Dieu ; quoique cela ne soit pas toujours vrai, car, comme le dit Denys (Les Noms divins, 12), la sagesse et la vie, etc., ne sont pas exclues de Dieu, comme si elles lui manquaient, mais parce quil les possde plus excellemment que ce que lesprit humain peut en saisir ou la parole signifier ; et de cette perfection divine descendent les perfections cres selon une ressemblance imparfaite. Et cest pourquoi au sujet de Dieu, selon Denys (La Thologie mystique I et La Hirarchie cleste, I, et Les Noms divins, II) non seulement on parle par mode de ngation et de cause, mais aussi par mode dՎminence.

Sed quidquid sit de spiritualibus perfectionibus, certum est quod materiales dispositiones removentur omnino a Deo. Unde cum quantitas sit dispositio materiae, si termini numerales non significant nisi quod est in genere quantitatis, necesse est quod de Deo non dicatur nisi ad removendum quae significant, sicut Magister posuit, loc. cit. Nec sequitur ex eius positione circulus,- dum unitas removet multitudinem, multitudo unitatem,- quia removentur a Deo unitas et multitudo, quae sunt in genere quantitatis, quorum neutrum de Deo dicitur. Et sic unitas dicta de Deo, quae removet multitudinem, non removetur, sed alia unitas, quae de Deo dici non potest.

Mais quoi quil en soit des perfections spirituelles, il est certain que les dispositions matrielles sont tout fait exclues de Dieu. Cest pourquoi, puisque la quantit est une disposition de la matire, si les termes numraux ne signifient que ce qui est dans le genre de la quantit, il est ncessaire quon nen parle au sujet de Dieu que pour exclure ce quils signifient, comme le Matre la pens (loc. cit.). Et il ne dcoule pas que cette disposition est circulaire en tant que lunit exclut la pluralit, et la pluralit lunit parce que lunit et la pluralit, qui sont dans le genre de la quantit sont exclues de Dieu. On ne parle daucun des deux propos de lui. Et ainsi lunit dont on parle en lui, qui exclut la pluralit, nest pas exclue, mais cest lautre unit dont on ne peut parler en Dieu.

Quidam vero, non intelligentes quod nomina affirmativa ad removendum possint in praedicationem divinam induci, nec iterum ponentes unum et multa,- nisi quod est in genere quantitatis discretae, quam in Deo ponere non audebant,- dixerunt quod termini numerales non praedicantur de Deo quasi dictiones significantes aliquam rem conceptam sed quasi dictiones officiales, exercentes aliquid in divinis, scilicet distinctionem ad modum syncategorematicae distinctionis. Quod quidem fatuum apparet, cum nihil tale ex horum terminorum significatione possit haberi.

D. Certains, ne comprenant pas que des noms affirmatifs puissent tre introduits dans lattribution divine pour exclure, et en plus ny plaant lun et le multiple qui est dans le genre de la quantit discrte quils nosaient pas placer en Dieu certains, donc, ont dit que les termes numraux ne sont pas attribus Dieu comme des expressions qui signifient une espce de concept, mais comme des expressions officielles qui ont quelque pouvoir en Dieu, savoir une distinction pour un mode de distinction catgorique. Ce qui parat insens, puisque rien de tel ne peut tre possd par la signification de ces termes.

Et ideo alii dixerunt, quod praedicti termini aliquid positive ponunt in Deo, licet supponant quod unum et multa sunt solum in genere quantitatis ; dicunt enim quod non est inconveniens aliquam speciem quantitatis Deo attribui, licet genus removeatur a Deo ; sicut et aliquae species qualitatis, ut sapientia et iustitia, dicuntur de Deo positive, licet in Deo qualitas esse non possit.

E. Et cest pourquoi, dautres, ont dit que les termes en question placent positivement quelque chose en Dieu, bien quils supposent que ni lun et ni multiple sont seulement dans le genre de la quantit : car ils disent quil ny a pas dinconvnient attribuer une espce de quantit Dieu, bien que le genre soit exclu de lui ; comme on parle positivement de certaines espces de qualits comme la sagesse, et la justice, bien quil ne puisse y avoir en lui de qualit.

Sed illud non est simile, ut in obiiciendo est tactum, nam omnes species quantitatis ex ratione suae speciei habent imperfectionem, non autem omnes species qualitatis. Et praeterea quantitas proprie est dispositio materiae ; unde omnes species quantitatis sunt mathematica quaedam, quae secundum esse non possunt a materia sensibili separari, nisi tempus et locus quae sunt naturalia, et magis materiae sensibili annexa. Unde patet quod nulla species quantitatis potest in rebus spiritualibus convenire, nisi secundum metaphoram. Qualitas autem sequitur formam, unde quaedam qualitates sunt omnino immateriales, quae attribui possunt rebus spiritualibus.

Mais cela nest pas pareil que ce quon en dit dans lobjection, car toutes les espces de quantit ont une imperfection en raison de leur espce, mais pas toutes les espces de qualit. Et ensuite la quantit est en propre une disposition de la matire ; cest pourquoi toutes les espces de quantit sont mathmatiques qui, selon lՐtre, ne peuvent pas tre spars de la matire sensible sauf le temps et le lieu, qui sont naturels, et plus attachs la matire sensible. Cest pourquoi il est clair quaucune espce de quantit ne peut convenir aux tres spirituels, sinon par mtaphore. Mais la qualit suit la forme, cest pourquoi il y a certaines qualits tout fait immatrielles, qui peuvent tre attribues aux choses spirituelles.

Hae igitur opiniones processerunt, supposito quod idem sit unum quod convertitur cum ente et quod est principium numeri, et quod non sit aliqua multitudo nisi numerus qui est species quantitatis. Quod quidem patet esse falsum : nam cum divisio multitudinem causet, indivisio vero unitatem, oportet secundum rationem divisionis de uno et multo iudicium sumi.

F. Donc ces opinions ont progress, en supposant que soient identiques lun qui est convertible avec lՎtant et celui qui est le principe du nombre, et quil ny ait pas dautre pluralit que le nombre qui est une espce de la quantit. Ce qui parat faux. Comme la division, en effet, cause la pluralit, et lindivision lunit, il faut juger de lun et du multiple en raison de la division.

Est autem quaedam divisio quae omnino genus quantitatis excedit, quae scilicet est per aliquam oppositionem formalem, quae nullam quantitatem concernit. Unde oportet quod multitudo hanc divisionem consequens, et unum quod hanc divisionem privat, sint maioris communitatis et ambitus quam genus quantitatis.

Il y a une division qui transcende tout fait le genre de la quantit, celle qui vient par une opposition formelle qui ne concerne aucune quantit. Cest pourquoi il faut que la pluralit qui dcoule de cette division, et lun qui en prive, soient plus communs et dune plus grande amplitude que le genre de la quantit.

Est autem et alia divisio secundum quantitatem quae genus quantitatis non transcendit. Unde et multitudo consequens hanc divisionem, et unitas eam privans, sunt in genere quantitatis. Quod quidem unum, aliquid accidentale addit supra id de quo dicitur, quod habet rationem mensurae ; alias numerus ex unitate constitutus, non esset aliquod accidens, nec alicuius generis species. Unum vero quod convertitur cum ente, non addit supra ens nisi negationem divisionis, non quod significet ipsam indivisionem tantum, sed substantiam eius cum ipsa : est enim unum idem quod ens indivisum. Et similiter multitudo correspondens uni nihil addit supra res multas nisi distinctionem, quae in hoc attenditur quod una earum non est alia ; quod quidem non habent ex aliquo superaddito, sed ex propriis formis.

Mais il y a aussi une autre division, relative la quantit, qui nen dpasse pas le genre. Cest pourquoi la pluralit qui suit cette division et lunit qui en prive, sont dans le genre de la quantit. Lun ajoute quelque chose daccidentel ce dont on parle, ayant raison de mesure, autrement le nombre constitu par lunit ne serait pas un accident, ni lespce dun genre. Mais lun qui est convertible avec lՎtant, ny ajoute que la ngation de la division, non quil signifie seulement lindivision elle-mme, mais il signifie sa substance avec elle, car il y a une unit identique lՎtant indivis. Et de la mme manire la pluralit qui correspond lun najoute rien la multiplicit des choses, sinon la distinction qui consiste en ce que lune delle nest pas lautre ; ce qui ne vient pas de quelque chose ajout, mais de leurs propres formes.

Patet ergo quod unum quod convertitur cum ente, ponit quidem ipsum ens, sed nihil superaddit nisi negationem divisionis. Multitudo autem ei correspondens addit supra res, quae dicuntur multae, quod unaquaeque earum sit una, et quod una earum non sit altera, in quo consistit ratio distinctionis. Et sic, cum unum addat supra ens unam negationem,- secundum quod aliquid est indivisum in se,- multitudo addit duas negationes, prout scilicet aliquid est in se indivisum, et prout est ab alio divisum. Quod quidem dividi est unum eorum non esse alterum.

Il est vident que lun qui est convertible avec lՎtant pose lՎtant lui-mme, mais il najoute que la ngation de la division. Mais la pluralit qui lui correspond ajoute ce qui est dit multiple, que chacune delles est une et que lune delle nest pas lautre, en quoi consiste la raison de la distinction. Et ainsi, comme lunit ajoute une ngation lՎtant selon que quelque chose est indivis en soi, la pluralit ajoute deux ngations, dans la mesure o une chose est indivise en soi, et dans la mesure o elle est divise par un autre. tre divis est lunit de ceux qui ne sont pas autres.

Dico ergo, quod in divinis non praedicantur unum et multa quae pertinent ad genus quantitatis, sed unum quod convertitur cum ente, et multitudo ei correspondens. Unde unum et multa ponunt quidem in divinis ea de quibus dicuntur ; sed non superaddunt nisi distinctionem et indistinctionem, quod est superaddere negationes, ut supra expositum est. Unde concedimus, quod quantum ad id quod superaddunt eis de quibus praedicantur, remotive in Deo accipiuntur ; in quantum autem includunt in sua significatione ea de quibus dicuntur, positive accipiuntur. Unde ad utrasque rationes respondendum est.

G. Je dis donc quen Dieu ne sont attribus ni lun et ni le multiple qui se rapportent au genre de la quantit, mais lun qui est convertible avec lՎtant et la pluralit qui lui correspond. Cest pourquoi lun et le multiple placent en Dieu ce dont on parle ; mais ils ne surajoutent que la distinction et la non distinction, ce qui est ajouter des ngations, comme on la expos plus haut. Cest pourquoi, nous concdons que pour ce quils ajoutent ce quoi ils sont attribus, il sont reus en Dieu ngativement ; en tant quils incluent dans leur signification ce dont nous parlons, ils sont reus positivement. Cest pourquoi il faut rpondre aux deux raisons.

 

Solutions :

q. 9 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod qui dicit tres personas, aliquid in Deo dicit, scilicet distinctionem personarum ; quam qui negat, haereticus est. Ista autem distinctio non addit aliquid supra personas distinctas.

# 1. Qui dit trois personnes dit une ralit en Dieu, savoir la distinction des personnes ; qui la nie est hrtique, mais cette distinction najoute rien aux personnes distinctes.

q. 9 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet in remotione quorumdam a Deo, sit cointelligenda praedicatio eorumdem de Deo per eminentiam et per causam, tamen quaedam solummodo negantur de Deo et nullo modo praedicantur ; sicut cum dicitur : Deus non est corpus. Et hoc modo posset dici secundum opinionem Magistri, quod omnino negatur a Deo quantitas numeralis ; et similiter secundum id quod ponimus, omnino negatur ab eo essentiae divisio, cum dicitur : essentia divina est una.

# 2. Bien quen excluant certaines choses de Dieu, il faille comprendre leur attribution par minence, et par cause, cependant, certaines sont seulement nies et ne lui sont attribues en aucune manire, comme quand on dit : Dieu nest pas un corps. Et de cette manire on pourrait dire selon lopinion du Matre, que la quantit numrale est tout fait nie pour Dieu ; et de la mme manire selon ce que nous y plaons, cela nie tout fait la division de lessence, quand on dit : lessence divine est une.

q. 9 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in rebus creatis termini numerales non ponunt aliquid superadditum rebus de quibus dicuntur, nisi prout significant id quod est in genere quantitatis discretae, secundum quem modum non praedicantur de Deo ; et hoc pertinet ad perfectionem ipsius.

# 3. Dans les cratures, les termes numraux ne placent rien de surajout ce dont on parle, sinon dans la mesure o ils signifient ce qui est dans le genre de la quantit discrte ; sous ce mode, elles ne sont pas attribues Dieu ; et cela convient sa perfection.

q. 9 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unitas et multitudo quae significantur per terminos numerales dictos de Deo, non sunt solum in intellectu nostro, sed sunt in Deo secundum rem ; non tamen propter hoc significatur aliquid positive praeter intellectum eorum quibus ista attribuuntur.

# 4. Lunit et la pluralit qui sont signifies par les termes numraux employs pour Dieu, ne sont pas seulement dans notre esprit, mais ils sont en Dieu en ralit ; ce nest pas cependant cause de cela que quelque chose est signifi positivement au-del du concept de ceux qui ils sont attribus.

q. 9 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum quod bonum quod est in genere qualitatis, non est bonum quod convertitur cum ente, quod nullam rem supra ens addit ; bonum autem quod est in genere qualitatis, addit aliquam qualitatem qua homo dicitur bonus ; et simile est de uno, sicut ex dictis patet. Sed in hoc differt quod bonum utroque modo acceptum potest venire in divinam praedicationem, non autem unum : non enim est eadem ratio de quantitate et qualitate, sicut ex dictis patet.

# 5. Le bien qui est dans le genre de la qualit, nest pas le bien qui est convertible avec lՎtant, parce quil najoute rien lՎtant ; mais le bien qui est dans le genre de la qualit ajoute une qualit par laquelle on dit que lhomme est bon ; et cest pareil pour lunit, comme on le voit daprs ce qui a t dit. Mais il y a une diffrence : le bien reu de lune et lautre manire peut venir dans lattribution divine, mais pas lunit ; car la quantit et la qualit nont pas une nature identique, comme on le voit de ce qui a t dit.

q. 9 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter ista quatuor prima, maxime primum est ens : et ideo oportet quod positive praedicetur ; negatio enim vel privatio non potest esse primum quod intellectu concipitur, cum semper quod negatur vel privatur sit de intellectu negationis vel privationis. Oportet autem quod alia tria super ens addant aliquid quod ens non contrahat ; si enim contraherent ens, iam non essent prima. Hoc autem esse non potest nisi addant aliquid secundum rationem tantum ; hoc autem est vel negatio, quam addit unum (ut dictum est), vel relatio ad aliquid quod natum sit referri universaliter ad ens ; et hoc est vel intellectus, ad quem importat relationem verum, aut appetitus, ad quem importat relationem bonum ; nam bonum est quod omnia appetunt, ut dicitur in I Ethic.

# 6. Parmi les quatre transcendantaux, celui qui est absolument le premier est lՎtant et cest pourquoi il faut quil soit attribu positivement ; car la ngation ou la privation ne peuvent tre ce qui est conu en premier par lesprit, puisque toujours ce qui est ni ou priv est du concept de ngation ou de privation. Mais il faut que les trois autres ajoutent lՎtant quelque chose qui ne le limite pas ; car sils le limitaient, ils ne seraient plus des transcendantaux. Mais cela nest pas possible moins quils ajoutent quelque chose en raison seulement. Mais cest ou bien la ngation qui ajoute lunit (comme on la dit) ou bien une relation ou ce qui est destin tre rfr lՎtant selon luniversel : et cest ou bien le concept, qui le vrai apporte une relation ou bien lapptit, laquelle le bien apporte la relation ; car le bien est ce que tous recherchent, comme on le dit dans lՃthique (I, 1, 1094 a 2).

q. 9 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod secundum philosophum, multum dicitur dupliciter :

# Selon le philosophe (Mtaphysique X, 6, 1056 b 17 ss.), on parle de beaucoup en plusieurs sens :

`uno modo absolute, et sic dicitur per oppositum ad unum ;

a) Dune premire manire, selon labsolu et ainsi on lemploie par opposition lunit :

alio modo dicitur comparative, prout importat excessum quemdam respectu minoris numeri, et sic multum opponitur pauco.

b) Dune autre manire, on en parle comparativement dans la mesure o il apporte un surplus par rapport un nombre plus petit, et ainsi beaucoup est oppos peu.

Similiter autem et magnum potest dupliciter dici :

De la mme manire on parle de grand de deux manires :

uno modo absolute, prout importat quantitatem continuam quae dicitur magnitudo ;

a) Dune premire manire selon labsolu, dans la mesure o le terme apporte une quantit continue qui est appele grandeur.

alio modo comparative, rout importat excessum respectu minoris quantitatis..

b) Dune autre manire, comparativement, dans la mesure o il apporte un surplus par rapport une quantit plus petite.

Primo ergo modo magnum non praedicatur de Deo ; sed secundo, ut importetur eius eminentia super omnem creaturam

Donc de la premire manire, grand nest pas attribu Dieu, mais de la seconde, il est attribu pour apporter son minence au-dessus de tout crature.

q. 9 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod unum quod pertinet ad vestigium Dei in creaturis, est unum quod convertitur cum ente, quod quidem ponit aliquid, in quantum ponit ipsum ens, cui solam negationem superaddit, ut dictum est.

# 8. Lunit qui appartient au vestige de Dieu dans les cratures est lun qui est convertible avec lՎtant, qui place quelque chose en tant quil place lՎtant qui il ajoute seulement une ngation, comme on la dit.

q. 9 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod unum oppositorum non excludit aliud, nisi ab eo de quo praedicatur. Non enim sequitur, si Socrates est albus, quod nihil sit nigrum : sed quod ipse non est niger. Sic ergo sequitur quod si patris persona est una, patris personae non sunt plures ; non autem sequitur quod non sint plures personae in divinis.

# 9. Lun des opposs nexclut lautre que par ce qui lui est attribu. Car il nen dcoule pas, si Socrate est blanc, que rien ne soit noir ; mais que lui-mme nest pas noir. Ainsi donc il en dcoule que si la personne du Pre est une, les personnes du Pre ne sont pas plusieurs, mais il nen dcoule pas quil ny ait pas plusieurs personnes en Dieu.

q. 9 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod unum non constituit multitudinem ex parte privationis, sed ex parte illa qua ponit ens.

# 10. Lun na pas constitu la pluralit du ct de la privation mais de ce ct o il place lՎtant.

q. 9 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod sicut dicitur in V Metaph., privatio tribus modis dicitur : uno modo proprie, quando removetur ab aliquo quod natum est habere, et in quo tempore natum est habere ; sicut carere visu est privatio visus in homine. Alio modo communiter, quando removetur ab aliquo quod ipsum quidem non est natum habere, sed genus eius ; sicut si non habere visum dicatur esse privatio visus in talpa.

# 11. Comme il est dit en Mtaphysique, (V, 22, 1022 b 21 ss.), on parle de la privation de trois manires :a) Au sens propre, quand est exclu de quelque chose ce quil est destin avoir et, en quel temps, il est destin lavoir, comme ne pas avoir la vue est la privation de la vue dans lhomme.b) Dune autre manire, communment, quand est exclu dune chose ce quelle nest pas destine avoir, mais que son genre est destin ne pas avoir ; ainsi, si ne pas avoir la vision tait appel privation de la vue pour la taupe.

Tertio modo communissime, quando removetur ab aliquo id quod a quocumque alio natum est haberi, non tamen ab ipso, nec ab alio sui generis : sicut si non habere visum, dicatur esse privatio visus in planta. Et haec privatio medium est inter privationem veram et simplicem negationem, habens commune aliquid cum utroque ; cum privatione quidem vera, in hoc quod est negatio in aliquo subiecto, unde non competit simpliciter non enti ; cum negatione vero simplici, in hoc quod non requirit aptitudinem in subiecto. Per hunc autem modum unum privative dicitur, et potest simili modo praedicari in divinis, sicut et alia quae simili modo praedicantur in divinis, ut invisibilis et immensus et huiusmodi.

c) De manire trs commune, quand est exclu dune chose ce quelle est destine avoir par nimporte quel autre, cependant pas par elle-mme, ni par un autre de son genre ; comme si on disait que ne pas avoir la vue, cest la privation de la vue dans la plante. Et cette privation est intermdiaire entre la vraie privation et la ngation simple, ayant quelque chose de commun avec lune et lautre ; avec une vraie privation, du fait que cest une ngation dans un sujet ; cest pourquoi il nappartient pas simplement au non-tre ; avec une ngation simple du fait quil ne requiert pas daptitude dans le sujet. Par ce moyen lun est dit ngativement et peut tre attribu Dieu dune manire semblable, comme les autres qui sont attribus Dieu dune manire semblable, comme invisible, immense, etc.

q. 9 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod termini numerales non addunt aliquid in divinis supra id de quo praedicantur ; et ideo quando praedicantur de essentialibus, significant essentiam ; quando vero de personalibus, significant relationem.

# 12. Les termes numraux najoutent rien en Dieu, au-dessus de ce quoi ils sont attribus ; et cest pourquoi quand ils sont attribus ce qui est lessence, ils la signifient, mais sils sont attribus ce qui est personnel, ils signifient la relation.

q. 9 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod unum et ens convertuntur secundum supposita ; sed tamen unum addit secundum rationem, privationem divisionis ; et propter hoc non sunt synonyma, quia synonyma sunt quae significant idem secundum rationem eamdem.

#13. Lun et lՐtre sont convertibles selon les suppts ; mais cependant lun ajoute en raison la privation de division, et cest pour cela quils ne sont pas synonymes, parce que les synonymes signifient une chose identique sous le mme rapport.

q. 9 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod unum potest considerari dupliciter : uno modo quantum ad illud quod ponit, et sic constituit multitudinem ;alio modo quantum ad negationem quam superaddit, et sic opponitur unum multitudini privative.

# 14. Lun peut tre considr de deux manires ;a) Quant ce quil pose ; et ainsi il a constitu une pluralit.b) Dune autre manire quant la ngation quil ajoute et ainsi lun est oppos ngativement la pluralit.

q. 9 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod secundum philosophum, multitudo est prior uno secundum sensum, sicut totum partibus et compositum simplici ; sed unum est prius multitudine naturaliter et secundum rationem. Hoc autem non videtur sufficere ad hoc quod unum opponatur multitudini privative. Nam privatio est posterior secundum rationem, cum in intellectu privationis sit eius oppositum, per quod definitur : nisi forte hoc referatur solum ad nominis rationem, prout hoc nomen unum significat privative, nomen vero multitudinis positive ; nomina enim imponuntur a nobis secundum quod cognoscimus res. Unde ad hoc quod aliquid significetur per nomen ut privatio, sufficit qualitercumque sit posterius in nostra cognitione ; quamvis hoc non sufficiat ad hoc quod res ipsa sit privativa, nisi sit posterius secundum rationem.

# 15. Selon le philosophe (Mtaphysique, X, 3, 1054 a 28[972]), la pluralit est avant lunit, selon le sens, comme le tout avant les parties et le compos avant le simple. Mais lun est naturellement et en raison avant la pluralit. Mais cela ne parat pas suffire, pour que lun soit oppos ngativement la multitude, car la privation est aprs en raison, puisque dans le concept de privation il y a son oppos, par lequel il est dfini ; moins que par hasard cela se rapporte seulement la nature du nom, dans la mesure o il signifie ngativement lunit, mais positivement le nom de pluralit. Car les noms simposent nous selon que nous connaissons la ralit. Cest pourquoi, pour quune chose soit signifie par un nom comme privation, il suffit de quelque manire quil soit postrieur dans notre connaissance ; quoique cela ne suffise pas pour que la chose soit ngative, moins quelle soit postrieure en raison.

Et ideo potest melius dici, quod divisio est causa multitudinis, et est prior secundum intellectum quam multitudo ; unum autem dicitur privative respectu divisionis, cum sit ens indivisum, non autem respectu multitudinis. Unde divisio est prior, secundum rationem, quam unum ; sed multitudo posterius. Quod sic patet :

Et cest pourquoi on peut dire mieux : la division est la cause de la pluralit, et elle est avant elle en esprit ; mais on parle dunit ngativement par rapport la division, puisquelle est lՎtant non divis, sans rapport avec la pluralit. Cest pourquoi la division est en raison avant lunit ; mais la pluralit aprs. Ce qui parat ainsi :

primum enim quod in intellectum cadit, est ens ;

a) En premier ce qui arrive dans lesprit cest lՎtant ;

secundum vero est negatio entis ;

b) en second, la ngation de lՎtant ;

ex his autem duobus sequitur tertio intellectus divisionis (ex hoc enim quod aliquid intelligitur ens, et intelligitur non esse hoc ens, sequitur in intellectu quod sit divisum ab eo) ;

c) mais de ces deux dcoule en troisime le concept de division (car du fait que quelque chose est compris comme tant, et que cet tant est compris comme nՎtant pas celui-l, il dcoule en esprit, quil est spar de lui) ;

quarto autem sequitur in intellectu ratio unius, prout scilicet intelligitur hoc ens non esse in se divisum ;

d) quatrimement : la nature de lun dcoule dans lesprit, dans la mesure o cet tant est compris comme non divis en soi,

quinto autem sequitur intellectus multitudinis, prout scilicet hoc ens intelligitur divisum ab alio, et utrumque ipsorum esse in se unum. Quantumcumque enim aliqua intelligantur divisa, non intelligetur multitudo, nisi quodlibet divisorum intelligatur esse unum.

e) cinquimement, il en dcoule le concept de pluralit dans la mesure o cet tant est compris comme spar dun autre et lun et lautre dentre eux sont uniques en soi. Car chaque fois que quelque chose est compris comme spar dun autre, la pluralit nest pas comprise moins que lune des choses divises soit comprise comme un tre.

Et sic etiam patet quod non erit circulus in definitione unius et multitudinis.

Et ainsi il est clair quil ny aura pas de cercle vicieux dans la dfinition de lun et de la pluralit.

q. 9 a. 7 ad 16 Unde patet responsio ad decimumsextum.

# 16. Ainsi sՎclaire la rponse la 16me objection.

q. 9 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod unum quod est principium numeri, comparatur ad multitudinem ut mensura ad mensuratum ; quod quidem unum positive aliquid supra substantiam addit, ut dictum est.

# 17. Lun qui est le principe du nombre est compar la pluralit, comme la mesure au mesur ; cette unit ajoute positivement quelque chose la substance, comme on la dit (dans le corps de larticle).

q. 9 a. 7 ad s. c. Ad ea quae in oppositum obiiciuntur, secundum praemissa, facile est respondere considerantibus secundum quid veritatem concludant. Unum tamen quod in illis obiectionibus tangebatur considerandum est, quod huiusmodi prima, scilicet essentia, unitas, veritas et bonitas, denominant seipsa ea ratione, quia unum, verum et bonum consequuntur ad ens. Cum autem ens sit primum quod in intellectu concipitur oportet quod quidquid in intellectum cadit, intelligatur ut ens, et per consequens ut unum, verum et bonum. Unde cum intellectus apprehendat essentiam, unitatem, veritatem et bonitatem in abstracto, oportet quod de quolibet eorum praedicetur, ens, et alia tria concreta. Et inde est quod ista denominant seipsa, non autem alia quae non convertuntur cum ente.

Pour ce qui est object en sens contraire, selon ce qui a t dit, il est facile de rpondre ceux qui considrent en quoi ils limitent la vrit. Cependant il faut considrer que ce qui tait abord dans ces objections les transcendantaux de ce genre, savoir lessence, lunit, la vrit et la bont, signifient eux-mmes par cette raison que lun, le vrai et le bien supposent lՎtant. Mais comme lՎtant est le premier qui est conu par lesprit, il faut que quelque chose arrive dans lesprit et soit compris comme tant, et par consquent comme un, vrai et bon. Cest pourquoi, comme lesprit saisit lessence, lunit, la vrit et la bont dans labstrait, il faut que soit attribu chacun deux lՎtant et les trois autres concrets. Et de l vient quils se signifient eux-mmes, mais pas les autres qui ne se convertissent pas avec lՎtant.

 

 

 

Article 8 Y a-t-il de la diversit en Dieu ?

q. 9 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum in Deo sit aliqua diversitas. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[973].

 

Objections :

q. 9 a. 8Arg. 1 Quia, secundum philosophum, unum in substantia facit idem, multitudo autem in substantia facit diversum. In divinis autem est multitudo secundum substantiam, dicit enim Hilarius, quod pater et filius et spiritus sanctus sunt per substantiam tria, per consonantiam vero unum. Ergo in divinis est diversitas.

1. Parce que, selon le philosophe (Mtaphysique V, 6, 1015 b 18), lunit dans la substance fait lidentique, mais la pluralit apporte en elle la diversit. Mais en Dieu, il y a pluralit selon la substance, car Hilaire dit (Les Synodes) que le Pre, le Fils et lEsprit saint sont trois par la substance, mais un par accord. Donc en Dieu il y a de la diversit.

q. 9 a. 8Arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, diversum dicitur absolute, differens vero relative ; unde omne differens est diversum, non autem omne diversum est differens. Sed in divinis conceditur esse differentia ; dicit enim Damascenus : differentiam personarum in tribus proprietatibus, id est paternali et filiali et processibili recognoscimus. Ergo in divinis est diversitas.

2. Selon le philosophe (Mtaphysique X, 3, 1054 b 23 ss[974].) on parle de divers absolument, de diffrent relativement ; cest pourquoi tout ce qui est diffrent est divers, mais tout ce qui est divers nest pas diffrent. Mais en Dieu on concde quil y a des diffrences ; car Jean Damascne (La foi orthodoxe III) dit : Nous reconnaissons la diffrence des personnes en trois proprits, c'est--dire la paternit, la filiation et la procession. Donc il y a de la diversit en Dieu.

q. 9 a. 8Arg. 3 Praeterea, differentia accidentalis facit alterum solum ; differentia vero substantialis facit aliud, idest diversum. Cum ergo in divinis sit differentia, et non possit ibi esse accidentalis differentia,- et per consequens oportet quod sit differentia substantialis,- oportet quod sit ibi diversitas.

3. La diffrence accidentelle rend diffrent seulement, mais la diffrence substantielle fait que quelque chose est autre, c'est--dire divers. Donc comme en Dieu il y a une diffrence et quil ne peut pas y avoir l de diffrence accidentelle, par consquent il faut que ce soit une diffrence substantielle il faut quil y ait diversit.

q. 9 a. 8Arg. 4 Praeterea, multitudo causatur ex divisione, sicut iam dictum est. Ubi autem est divisio sequitur diversitas. Ergo in divinis cum sit multitudo, erit ibi diversitas.

4. La pluralit est cause par la division, comme on la dj dit (article prcdent, qu. 9, a. 7, sol. 15). Mais l o il y a division dcoule la diversit. Donc en Dieu, comme il y a pluralit, il y a diversit.

q. 9 a. 8Arg. 5 Praeterea, idem et diversum sufficienter dividunt ens. Sed pater non est idem filio : non enim conceditur quod pater generando filium, generet se Deum. Ergo filius est diversus a patre.

5. Le mme et le divers divisent suffisamment lՎtant. Mais le Pre nest pas le mme que le Fils, car il na pas t concd que le Pre en engendrant le Fils sengendrerait Dieu[975]. Donc le Fils est diffrent du Pre.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit : nihil in divinis novum, nihil diversum, nihil alienum, nihil separabile.

1. Il y a ce que dit Hilaire (La Trinit, VII) : Rien de nouveau en Dieu, rien de divers, rien dՎtranger, rien de sparable.

q. 9 a. 8 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit : pater et filius divinitate unum sunt, nec est ibi substantiae differentia, nec ulla diversitas.

2. Ambroise dit (La Trinit) : Le Pre et le Fils sont un par la divinit, et il ny a pas de diffrence de substance, ni aucune diversit.

 

Rponse :

q. 9 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut dicit Hieronymus, ex verbis inordinate prolatis, incurritur haeresis. Et ideo sic loquendum est de divinis ut nulla errori occasio praebeatur. Fuerunt autem circa divina duo errores, praecipue cavendi ab illis qui de unitate et Trinitate in divinis loquuntur : scilicet error Arii, qui unitatem essentiae negavit, ponens aliam essentiam esse patris et aliam filii. Alius error est Sabelli, qui negavit pluralitatem personarum dicens, eumdem esse patrem qui est filius.

Il faut dire, comme Jrme, que lhrsie provient des paroles profres sans mesure. Et cest pourquoi il faut parler de Dieu, de sorte quil ny ait aucune occasion donne lerreur. Mais il y a surtout deux erreurs propos de Dieu, qui doivent tre vites par ceux qui parlent dunit et de Trinit : savoir lerreur dArius qui a ni lunit de lessence, en tablissant que celle du Pre tait diffrente de celle du Fils. Lautre erreur est celle de Sabellius, qui a ni la pluralit des personnes, en disant que le Pre tait le mme que le Fils.

Ad evitandum ergo errorem Arii sunt nobis quatuor cavenda in fidei confessione : primo diversitas per quam tollitur unitas essentiae, quam confitemur dicendo esse unum Deum ; secundo divisio, quae obviat divinae simplicitati ;

Donc pour viter lerreur dArius, il faut faire attention dans la confession de la foi quatre sujets :a) La diversit par laquelle on enlve lunit de lessence que nous confessons en disant quil y a un seul Dieu.b) La division qui soppose la simplicit divine.

tertio disparitas, quae repugnat aequalitati divinarum personarum ; quarto ut non confiteamur filium esse alienum a patre, per quod tollitur similitudo.

c) La disparit qui soppose lՎgalit des personnes divines.d) Ne pas confesser que le Fils est tranger au Pre, ce qui supprime la ressemblance.

Similiter contra errorem Sabelli sunt quatuor cavenda. Primo singularitas, per quam tollitur naturae divinae communicabilitas ; secundo nomen unici, per quod tollitur realis distinctio personarum ;

De la mme manire contre lerreur de Sabellius, il faut faire attention quatre sujets :a) La singularit par laquelle est supprime la communicabilit de la nature divine b) Le nom dunique par lequel est supprime la relle distinction des personnes.

tertio confusio, per quam tollitur ordo qui est in divinis personis ;

c) La confusion, par laquelle est supprim lordre qui est dans les personnes divines.

quarto solitudo, per quam tollitur consociatio divinarum personarum.

d) La solitude par laquelle est supprime la communion des personnes divines.

Confitemur autem contra diversitatem, unitatem essentiae ; contra divisionem, simplicitatem ; contra disparitatem, aequalitatem ; contra alienum, similitudinem ; contra singularitatem personarum, pluralitatem ; contra unicum, distinctionem ; contra confusionem, discretionem ; contra solitarium, consonantiam et connexionem amoris.

Aussi nous confessons contre la diversit, lunit de lessence ; contre la division, la simplicit, contre la disparit, lՎgalit, contre la rupture la ressemblance, contre la singularit des personnes la pluralit, contre lunicit, la quantit discrte, contre la confusion, la distinction, contre la solitude, laccord et lunion de lamour.

 

Solutions :

q. 9 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod substantia accipitur ibi pro hypostasi, non pro essentia, cuius multitudo faceret diversitatem.

# 1. Donc il faut dire que la substance y est reue pour lhypostase, non pour lessence, dont la pluralit causerait la diversit.

q. 9 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet a quibusdam doctoribus Ecclesiae inveniatur nomen differentiae circa divina, non tamen est communiter utendum, nec ampliandum, quia differentia importat distinctionem aliquam secundum formam, quae non potest esse in divinis, cum forma Dei sit divina natura, ut Augustinus dicit. Sed exponenda est differentia, ut ponatur pro distinctione, quae minimum distinctionis importat ; cum etiam secundum relationes vel secundum solam rationem aliqua distingui dicantur. Sic etiam exponendum est, si inveniatur diversitas in divinis ; utpote si dicatur quod diversa est persona patris a persona filii, accipiendum est diversum pro distincto. Magis tamen cavendum est nomen diversitatis in divinis quam differentiae ; quia diversitas magis pertinet ad essentialem divisionem, nam qualiscumque formarum multitudo facit differentiam ; diversitas autem fit solum per formas substantiales.

# 2. Bien que certains docteurs de lՃglise emploient le nom de diffrence propos de Dieu, il ne faut cependant pas sen servir communment, ni largir son emploi, parce que la diffrence apporte une distinction selon la forme qui ne peut pas exister en Dieu, puisque la forme de Dieu est sa nature divine, comme Augustin le dit. Mais il faut exposer la diffrence pour poser comme distinction ce qui apporte un minimum de distinction, puisquon dit aussi que certaines choses sont distingues selon les relations par la seule raison. Mais il faut montrer aussi, si on trouve la diversit en Dieu, que, si on disait que la personne du Pre est diverse de celle du fils, il faut prendre diverse pour distinct. Cependant il faut faire attention plus au nom de diversit en Dieu quՈ celui de diffrence ; parce que la diversit convient plus la division essentielle, car nimporte quelle pluralit des formes fait la diffrence ; mais la diversit se fait seulement par les formes substantielles.

q. 9 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet in divinis non sit accidens, est tamen ibi relatio, cuius oppositio distinctionem facit in divinis, non autem diversitatem.

# 3. Bien quen Dieu il ny ait pas daccident, il y a cependant une relation, dont lopposition produit la distinction en lui mais pas la diversit.

q. 9 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum quod, licet in divinis non sit proprie loquendo divisio, est tamen ibi distinctio per relationes, quae sufficit ad numerum personarum.

# 4. Bien quen Dieu il ny ait pas proprement parler de division, il y a cependant une distinction par les relations qui suffit pour le nombre des personnes.

q. 9 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum quod filius est idem Deus cum patre ; non tamen potest dici quod pater se Deum genuerit, filium generando : quia ly se, cum sit reciprocum, refert idem suppositum : pater autem et filius sunt duo supposita in divinis.

# 5. Le Fils est un mme Dieu que le Pre ; on ne peut cependant pas dire que le Pre sest engendr comme Dieu, en engendrant le Fils, parce que, comme le pronom se est rciproque, il remplace le mme suppt ; mais le Pre et le Fils sont deux suppts en Dieu.

 

 

 

Article 9 En Dieu, y a-t-il trois personnes, ou plus, ou moins ?

q. 9 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum in divinis sint tres personae tantum, an plures vel pauciores. Et videtur quod plures.

Il semble quil y en a plus.

 

Objections :[976] :

q. 9 a. 9Arg. 1 Dicit enim Augustinus in libro contra Maximinum : filius non genuit creatorem ; neque enim non potuit, sed non oportuit. In divinis autem non differt esse et posse, quia nec in aliquibus sempiternis. Ergo filius genuit alium filium ; et sic sunt duo filii in divinis, et per consequens plures personae quam tres.

1. Augustin dit (Contre Maximinien, III, 11) : Le Fils na pas engendr le crateur, car ce nest pas quil ne la pas pu, mais il ne la pas fallu. Mais en Dieu tre et pouvoir ne diffrent pas, parce quils ne diffrent pas dans les tres ternels non plus (selon le philosophe, Physique III, 4 203 b 28[977]). Donc le Fils a engendr un autre Fils et ainsi il y a deux fils en Dieu et par consquent il y a plus de trois personnes.

q. 9 a. 9Arg. 2 Sed diceretur, quod hoc quod dicit : neque enim non potuit, exponendum est : idest, non ex impotentia fuit.- Sed contra, unicuique supposito alicuius naturae convenit actus naturae illius, nisi propter eius impotentiam. Generatio autem est actus ad perfectionem naturae divinae pertinens ; alioquin non conveniret patri, in quo non est nisi quod perfectionis est. Si ergo filius non generat alium filium, hoc erit ex impotentia eius.

2. Mais on pourrait dire que ce quil dit : Car cest quil ne la pas pu doit tre expos ainsi : cela ne vient pas de limpuissance En sens contraire, chaque suppt dune certaine nature convient lacte de cette nature, moins que ce soit cause de son impuissance. Mais la gnration est un acte qui convient la perfection de la nature divine, autrement elle ne conviendrait pas au Pre en qui il ny a que perfection. Si donc le Fils na pas engendr un autre fils, cela viendra de son impuissance.

q. 9 a. 9Arg. 3 Praeterea, si filius non potest generare, potest autem generari ; habet ergo potentiam ut generetur, non potentiam ut generet. Aliud autem est generare, et aliud generari. Cum ergo potentiae distinguantur penes obiecta, non erit eadem potentia patris et filii, quod est haereticum.

3. Si le Fils ne peut engendrer, il peut cependant tre engendr ; donc il a la puissance dՐtre engendr et pas celle dengendrer. Mais engendrer et tre engendr sont deux [puissances] diffrentes. Donc puisquelles sont distingues par leurs objets, il ny aura pas la mme puissance pour le Pre et le Fils, ce qui est hrtique.

q. 9 a. 9Arg. 4 Praeterea, actio et passio in his quae agunt et patiuntur, reducuntur ad diversa principia ; nam agit aliquid per rationem formae in rebus creatis, patitur vero ratione materiae. Generare autem et generari significantur per modum actionis et passionis. Ergo oportet quod ad diversa principia referantur ; et sic non potest esse una potentia qua pater generat, et qua filius generatur.

4. Laction et la passion, en ce qui agit ou subit, sont ramenes des principes diffrents ; car une chose agit en raison de la forme dans les cratures, et subit en raison de la matire. Mais engendrer et tre engendr sont signifis par laction et la passion. Donc il faut quils soient rfrs des principes diffrents et ainsi il ne peut pas ny avoir quune seule puissance par laquelle le Pre engendre et le Fils est engendr.

q. 9 a. 9Arg. 5 Sed diceretur, quod est eadem potentia, in quantum utraque radicatur in essentia divina, quae una est patris et filii.- Sed contra, potentia calefaciendi et desiccandi radicantur in uno subiecto, scilicet igne ; nec tamen est una et eadem potentia : alia enim qualitas est calor, qui est principium calefaciendi, et alia siccitas, quae est principium desiccandi. Ergo unitas divinae essentiae non sufficit ad hoc quod sit eadem potentia qua pater generat et filius generatur.

5. Mais on pourrait dire que cest la mme puissance, dans la mesure o lune et lautre prennent leur source dans lessence divine, qui est unique pour le Pre et le Fils. En sens contraire, la puissance de chauffer et celle de scher prennent leur source dans un seul sujet, savoir le feu ; et cependant ce nest pas une seule et mme puissance ; car la qualit de la chaleur qui est le principe de lՎchauffement est diffrente de lasschement qui est le principe du schage. Donc lunit de lessence divine ne suffit pas pour que la puissance par laquelle le Pre engendre et celle par laquelle le Fils est engendr soient identiques.

q. 9 a. 9Arg. 6 Praeterea, omnis sapiens et intelligens ex sua sapientia aliquam conceptionem habet. Sed filius est sapiens et intelligens, sicut et pater. Ergo habet aliquam conceptionem. Conceptio autem patris est verbum : quod est filius. Ergo filius etiam habet alium filium.

6. Tout tre sage et intelligent tire une conception par sa sagesse. Mais le Fils est sage et intelligent, comme le Pre. Donc il a une conception[978]. Mais celle du Pre est le Verbe, qui est le Fils. Donc le Fils aussi a un autre fils.

q. 9 a. 9Arg. 7 Sed diceretur, quod verbum dicitur in divinis non solum personaliter, sed essentialiter ; et sic verbum essentialiter dictum potest esse conceptio filii.- Sed contra, verbum dicit speciem conceptam ordinatam ad manifestationem, et ita importat originem. Quae autem important originem in divinis, dicuntur personaliter, et non essentialiter. Ergo verbum essentialiter dici non potest.

7. Mais on pourrait dire quon parle du verbe en Dieu, non seulement personnellement mais aussi selon lessence ; et ainsi le verbe, si on en parle selon lessence peut tre la conception du Fils. En sens contraire, le verbe annonce lespce conue ordonne une manifestation et ainsi il apporte lorigine. Mais on parle de ce qui apporte lorigine en Dieu selon la personne et non selon lessence. Donc on ne peut pas parler du verbe selon lessence.

q. 9 a. 9Arg. 8 Praeterea, Anselmus dicit in Monologio, quod sicut pater dicit se, ita et filius et spiritus sanctus. Idem autem est patrem dicere se, quod generare filium, ut ipse ibidem dicit. Ergo filius generat alium filium ; et sic idem quod prius.

8. Anselme dit dans le Monologium (62), que, de mme que le Pre se dit ; le Fils et lEsprit saint aussi. Cest la mme chose pour le Pre de se dire et dengendrer le Fils, comme Anselme lui mme le dit. Donc le Fils engendre un autre Fils et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 9 a. 9Arg. 9 Praeterea, ex hoc probatur quod Deus generat, quia generationem aliis tribuit, secundum illud Isai. LXVI, 9 : si ego qui generationem caeteris tribuo, sterilis ero ? Dicit dominus. Sicut autem pater dat generationem, ita et filius, quia indivisa sunt opera Trinitatis, et filius generat filium.

9. On prouve que Dieu engendre, du fait quil accorde la gnration dautres, selon cette parole dIsae (65, 9) : Ainsi moi, qui apporte la gnration aux autres, serai-je strile ? dit le Seigneur. De mme que le Pre donne la gnration, le Fils aussi parce que les uvres de la Trinit ne sont pas divises et le Fils engendre un fils.

q. 9 a. 9Arg. 10 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. ad Orosium, quod pater generat filium natura. Damascenus etiam dicit, quod generatio est opus naturae. Eadem autem est natura patris et filii. Ergo sicut pater generat, ita et filius ; sunt ergo plures filii in divinis, et ita plures personae quam tres.

10. Augustin dit (A Orose, Dialogue sur les 65 quest. ch. 7[979]) que le Pre engendre le Fils par nature ; Jean Damascne dit aussi que la gnration est luvre de la nature. La nature du Pre est identique celle du Fils. Donc de mme que le Pre engendre, le Fils aussi, donc il y a plusieurs fils en Dieu et ainsi plus de trois personnes.

q. 9 a. 9Arg. 11 Sed dicendum, quod ea ratione non possunt esse plures filii in divinis, quia non potest ibi esse nisi una filiatio ; forma enim unius speciei non multiplicatur nisi per divisionem materiae, quae nulla est in divinis.- Sed contra, omnis differentia nata est facere pluralitatem. Potest autem esse differentia inter duas filiationes, non solum ex materia, sed etiam ex hoc quod haec filiatio est talis, illa vero talis. Ergo nihil prohibet plures filiationes ponere in divinis, licet ibi non sit materia.

11. Mais il faut dire quil ne peut pas y avoir plusieurs fils en Dieu, parce quil ne peut y avoir quune seule filiation ; car la forme dune espce nest multiplie que par la division de la matire, qui nexiste pas en Dieu. En sens contraire, toute diffrence est destine provoquer la pluralit. Mais il peut y avoir une diffrence entre deux filiations, non seulement par la matire, mais aussi du fait que cette filiation est diffrente dune autre. Donc rien nempche de placer plusieurs filiations en Dieu, bien quil ny ait pas de matire.

q. 9 a. 9Arg. 12 Praeterea, filius procedit a patre sicut splendor a sole, secundum illud Hebr., I, 3 : cum sit splendor gloriae. Sed splendor etiam potest alium splendorem producere. Ergo et filius potest alium filium generare ; et sic sequitur quod in divinis sint plures filii, et personae plures tribus.

12. Le Fils procde du Pre comme la splendeur procde du soleil, selon ce mot de Hb. 1, 3 : Puisquil est la splendeur de gloire Mais la splendeur peut aussi produire une autre splendeur. Donc le Fils aussi peut engendrer un autre Fils et ainsi il en dcoule quen Dieu il y a plusieurs fils et plus de trois personnes.

q. 9 a. 9Arg. 13 Praeterea, spiritus sanctus est amor quo pater diligit filium. Sed etiam spiritum sanctum amat pater. Ergo oportet quod sit alius spiritus quo pater amat spiritum sanctum ; et sic quatuor sunt personae in divinis.

13. LEsprit saint est lamour par lequel le Pre aime le Fils. Mais il aime aussi lEsprit saint. Donc il faut quil y ait un autre esprit par lequel le Pre aime lEsprit et ainsi il y a quatre personnes en Dieu.

q. 9 a. 9Arg. 14 Praeterea, secundum Dionysium bonum est communicativum sui. Bonitas autem spiritui sancto appropriatur, sicut potentia patri et sapientia filio. Ergo propriissime ad spiritum sanctum pertinere videtur quod naturam divinam alii personae communicet ; et sic sunt plures tribus personis in divinis.

14. Selon Denys (Les Noms divins, 4[980]), le bien se communique. Mais la bont est approprie lEsprit saint, comme la puissance au Pre et la sagesse au Fils. Donc il semble convenir tout fait au sens propre que lEsprit saint communique la nature divine une autre personne et ainsi il y a plus de trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9Arg. 15 Praeterea, secundum philosophum in IV Meteororum, perfectum unumquodque est, quando potest sibi simile ex se producere. Spiritus autem sanctus est perfectus Deus. Ergo potest aliam divinam personam producere ; ergo, et cetera.

15. Selon le philosophe (Mtores IV, de lme II, 4, 415 a 25), chaque chose est parfaite quand elle peut produire du semblable elle. Mais lEsprit saint est un Dieu parfait. Donc il peut produire une autre personne divine, donc, etc..

q. 9 a. 9Arg. 16 Praeterea, filius a patre divinam naturam non recipit perfectius quam spiritus sanctus. Recipit autem filius a patre divinam naturam non solum passive (ut ita dixerim) quasi ab eo genitus, sed etiam active, quia potest eamdem naturam alii communicare. Ergo et spiritus sanctus divinam naturam potest alii personae communicare.

16. Le Fils na pas reu du Pre la nature divine plus parfaitement que lEsprit saint, mais il a reu du Pre la nature divine non seulement de faon passive (pour ainsi dire) comme engendr par lui, mais aussi de faon active, parce quil peut communiquer cette mme nature un autre. Donc lEsprit saint peut communiquer la nature divine une autre personne.

q. 9 a. 9Arg. 17 Praeterea, quod est perfectionis in rebus creatis, oportet Deo attribui. Communicare autem naturam ad perfectionem in rebus creatis pertinet, licet modus communicandi aliquam imperfectionem habeat, in quantum talem communicationem consequitur aliqua divisio, vel aliqua transmutatio generantis. Ergo communicare divinam naturam est perfectionis in Deo ; et ita spiritui sancto est attribuendum. Procedit ergo a spiritu sancto aliqua divina persona ; et sic sequitur quod in divinis sint personae plures tribus.

17. Ce qui concerne la perfection dans les cratures, doit tre attribu Dieu, mais communiquer la nature convient la perfection, bien que ce mode de communication ait quelque imperfection, dans la mesure o il en dcoule une division, ou quelque changement de celui qui engendre. Donc communiquer la nature divine appartient la perfection de Dieu ; et ainsi il faut lattribuer lEsprit saint. Donc une personne divine procde de lEsprit saint et il en dcoule quil y a plus de trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9Arg. 18 Praeterea, sicut divinitas est quoddam bonum in patre, ita et paternitas. Ex eo autem quod nullius boni sine consortio potest esse iucunda possessio, probatur a quibusdam quod sunt plures habentes divinam naturam. Ergo pari ratione sunt plures patres in divinis ; et similiter plures filii, et plures spiritus sancti ; et ita personae plures tribus.

18. De mme que la divinit est un bien dans le Pre, la paternit aussi. Du fait quune possession agrable[981] ne peut exister sans partage daucun bien, certains prouvent quil y a plus de personnes qui ont la nature divine. Donc raison gale, il y a plusieurs pres et de mme plusieurs fils et plusieurs esprits saints. Et ainsi les personnes sont plus de trois.

q. 9 a. 9Arg. 19 Praeterea, filius et spiritus videntur distingui ab invicem in hoc quod filius procedit a patre per modum intellectus ut verbum : spiritus sanctus per modum voluntatis ut amor. Sunt autem plura attributa essentialia quam voluntas et intellectus, ut bonitas, potentia et huiusmodi. Ergo plures personae procedunt a patre quam filius et spiritus sanctus.

19. Le Fils et lEsprit semblent se distinguer entre eux du fait que le Fils procde du Pre par mode dintellect comme Verbe, lEsprit saint par mode de volont comme amour. Mais il y a plus dattributs essentiels que la volont et lintellect, comme la bont, la puissance, etc.. Donc il y a plus de personnes qui procdent du Pre que le Fils et lEsprit saint.

q. 9 a. 9Arg. 20 Praeterea, processio naturae plus videtur differre a processione intellectus quam processio voluntatis. In rebus autem creatis processionem intellectus semper concomitatur processio voluntatis, quia quaecumque aliquid intelligunt, etiam aliquid volunt ; processionem autem naturae non semper concomitatur processio intellectus quia non in omnibus quae naturaliter generant, intellectus invenitur. Si ergo persona quae procedit per modum voluntatis ut amor, est alia in divinis a persona quae procedit per modum intellectus ut verbum, etiam erit persona quae procedit per modum intellectus ut verbum, alia a persona quae procedit per modum naturae ut filius. Sunt ergo tres personae procedentes in divinis, et una non procedens ; et sic sunt quatuor personae.

20. La procession de nature parat diffrer davantage de la procession de lesprit que de celle de la volont. Dans les cratures, la procession de la volont est toujours concomitante avec celle de lesprit, parce que tout ce qui comprend quelque chose le veut aussi ; mais la procession de lesprit nest pas toujours concomitante avec celle de la nature, parce que ce nest pas dans tout ce qui engendre naturellement quon trouve lesprit. Donc si la personne qui procde par mode de volont comme amour, est autre en Dieu que la personne qui procde par mode dintellect, comme verbe, la personne qui procde de l'esprit comme verbe sera autre que celle qui procde par nature comme fils. Donc il y a trois personnes qui procdent en Dieu et une qui ne procde pas et ainsi il y a quatre personnes.

q. 9 a. 9Arg. 21 Praeterea, personae multiplicantur in divinis propter relationes, quae subsistunt. Ponuntur autem in divinis quinque relativae notiones, scilicet paternitas, filiatio, processio, innascibilitas, et communis spiratio. Sunt ergo quinque personae in divinis.

21. Les personnes sont multiplies en Dieu en raison des relations qui subsistent. Mais on place en lui cinq notions relatives, savoir : la paternit, la filiation, la procession, linnascibilit et la spiration commune. Donc il y a cinq personnes.

q. 9 a. 9Arg. 22 Praeterea, relationes quae ab aeterno de Deo dicuntur, non sunt in creaturis, sed in Deo. Quidquid autem est in Deo, est subsistens, cum in Deo non sit aliquod accidens. Omnes ergo relationes quae ab aeterno Deo conveniunt, sunt subsistentes, et per consequens sunt personae. Tales autem sunt infinitae ; nam ideae rerum creatarum ab aeterno sunt in Deo, quae non distinguuntur ab invicem nisi per respectus ad creaturas. Sunt ergo infinitae personae in divinis.

22. Les relations quon dit ternelles en Dieu nexistent pas dans les cratures, mais en lui. Tout ce qui est en lui est subsistant puisquil ny a en lui aucun accident. Donc toutes les relations, qui conviennent ternellement Dieu, sont subsistantes et par consquent sont des personnes. De telles relations sont infinies, car les ides des cratures sont ternellement en Dieu ; elles ne sont distingues entre elles que par des rapports aux cratures. Donc les personnes sont en Dieu linfini.

q. 9 a. 9Arg. 23 Sed contra, videtur quod sint pauciores tribus.

23. En sens contraire : il semble quelles sont moins de trois.

In una enim natura non est nisi unus modus communicationis illius naturae ; unde, secundum Commentatorem, animalia quae generantur ex semine, non sunt unius speciei cum animalibus ex putrefactione generatis. Divina autem natura est maxime una. Ergo non potest communicare nisi uno modo. Sic ergo non possunt esse nisi duae personae, una divinitatem communicans per aliquem modum, et persona per illum modum divinitatem recipiens.

Car dans une seule nature il n'y a quun mode de communication ; cest pourquoi, selon le Commentateur (Physique VIII), les animaux qui sont engendrs par semence ne sont pas de la mme espce que les animaux engendrs par putrfaction. Mais la nature divine est tout fait une. Donc elle ne peut communiquer que dune seule manire. Donc ainsi il ne peut y avoir que deux personnes, une qui communique la divinit dune manire et la personne qui la reoit de cette manire.

q. 9 a. 9Arg. 24 Praeterea, Hilarius, ostendit filium naturaliter a patre procedere, quia talis existit qualis Deus est ; creaturas vero a Deo procedere voluntarie, quia tales sunt quales eas voluit Deus esse, non qualis est Deus. Sed spiritus sanctus, sicut et filius, talis est qualis est Deus pater. Ergo spiritus sanctus procedit naturaliter a patre, sicut et filius. Non ergo est distinctio inter spiritum sanctum et filium ex eo quod filius procedit per modum naturae non autem spiritus sanctus.

24. Hilaire (Les Synodes[982]) montre que le Fils procde naturellement du Pre, parce quil existe tel que Dieu est ; mais les cratures procdent de Dieu volontairement, parce quelles sont telles quil les a voulues, non telles que Dieu. Mais lEsprit saint comme le Fils aussi est tel que Dieu le Pre. Donc lEsprit saint procde naturellement du Pre comme le Fils. Il ny a donc pas de distinction entre lEsprit saint et le Fils du fait que celui-ci procde par mode de nature mais pas lEsprit saint.

q. 9 a. 9Arg. 25 Praeterea, natura voluntatis et intellectus non differunt in Deo nisi secundum rationem tantum. Ergo processio per modum naturae et intellectus et voluntatis non differunt in Deo nisi ratione tantum. Si ergo per hoc distinguuntur filius et spiritus sanctus, quod unus procedit per modum naturae vel intellectus, et alius per modum voluntatis, non erunt distincti nisi secundum rationem. Ergo non erunt duae personae, cum pluralitas personarum, rerum pluralitatem importet.

25. La nature de la volont et celle de lintellect en Dieu ne sont diffrentes quen raison seulement. Donc la procession par mode de nature, celle par mode dintellect et celle par mode de volont ne diffrent quen raison seulement. Si donc le Fils et lEsprit saint sont distingus, parce que lun procde par mode de nature ou dintellect, lautre par mode de volont, ils ne sont diffrents quen raison. Donc il ny aura que deux personnes, puisque la pluralit des personnes apporte la pluralit des ralits.

q. 9 a. 9Arg. 26 Praeterea, personae in divinis distinguuntur solum secundum relationes originis. Ad designandam autem originem sufficiunt duae relationes, scilicet a quo alius, et qui ab alio. Ergo in divinis non sunt nisi duae personae.

26. Les personnes en Dieu se distinguent seulement selon les relations dorigine. Pour dsigner lorigine, il suffit de deux relations, savoir  celui par qui il est autre  et celui qui est dun autre[983]. Donc en Dieu il ny a que deux personnes.

q. 9 a. 9Arg. 27 Praeterea, omnis relatio exigit duo extrema. Sicut ergo in divinis personae non distinguuntur nisi secundum relationem : ita oportet quod sint in divinis vel duae relationes, et sic erunt quatuor personae ; vel una relatio tantum, et sic erunt solum duae personae.

27. Toute relation exige deux extrmes. Donc de mme quen Dieu les personnes ne sont distingues que par la relation, il faut quil y ait en lui ou bien deux relations et ainsi il y aura quatre personnes, ou bien une seule et il y aura seulement deux personnes.

 

En sens contraire :

q. 9 a. 9 s. c. 1 Sed contra, videtur quod sint tantum tres personae in divinis, per hoc quod dicitur I Ioan. V, 7 : tres sunt qui testimonium dant in caelo. Interrogantibus autem quid tres, respondit Ecclesia, quod tres personae, ut dicit Augustinus. Ergo in divinis sunt tres personae.

# 1.Il semble quil ny a que trois personnes en Dieu. Par le fait quil est dit en I Jn 5, 7 : Ils sont trois qui portent tmoignages dans le ciel[984].. Mais ceux qui demandent qui sont ces trois, lՃglise rpond : trois personnes, comme le dit Augustin (La Trinit, VII, 4). Donc en Dieu il y a trois personnes.

q. 9 a. 9 s. c. 2 Praeterea, ad perfectionem divinae bonitatis, felicitatis et gloriae requiritur, quod sit in Deo vera et perfecta caritas ; nihil enim est caritate melius, nihil caritate perfectius, ut dicit Richardus in III de Trinitate. Felicitas autem absque iucunditate non est, quae maxime per caritatem habetur. Ut enim in eodem libro dicitur, nihil caritate dulcius, nihil caritate iucundius, caritatis deliciis rationalis vita nihil dulcius experitur, nulla delectatione delectabilius fruitur. Perfectio etiam gloriae in quadam magnificentia perfectae communicationis consistit, quam caritas facit. Vera autem et perfecta caritas requirit in divinis ternarium numerum personarum. Amor enim quo aliquis se tantum diligit, est amor privatus, et non caritas vera. Alium autem summe Deus diligere non potest qui non sit summe diligibilis ; nec summe diligibilis est, nisi sit summe bonus. Unde patet quod vera caritas in Deo summa esse non potest si sit ibi tantum una persona ; nec etiam perfecta, si sint duae tantum : quia ad perfectionem caritatis requiritur quod amans velit id quod ab eo amatur, etiam aeque ab alio diligi. Indicium namque magnae infirmitatis est non posse pati consortium amoris ; posse vero pati, signum magnae perfectionis. Magis gratanter suscipere, maximo est desiderio requirere, ut dicit Richardus in eodem Lib. Oportet ergo, si sit in Deo perfectio bonitatis, felicitatis et gloriae, quod sit in divinis ternarius personarum numerus.

#2. Pour la perfection de la divine bont, de son bonheur et de sa gloire, il est requis quil y ait en Dieu une charit vraie et parfaite, car rien nest meilleur, rien de plus parfait que la charit comme le dit Richard (La Trinit, III, 2). Mais le bonheur nexiste pas sans la joie ; qui est surtout possde par la charit. En effet, comme il est dit dans le mme livre ( ch. 5) :Rien nest plus doux que la charit, rien de plus joyeux. La vie raisonnable nՎprouve rien de plus doux que les dlices de la charit, ne jouit plus agrablement daucun plaisir. Mais la perfection de la gloire consiste dans une certaine magnificence de la communication parfaite quopre la charit. Mais la charit vraie et parfaite requiert en Dieu le nombre de trois personnes. Car lamour par lequel quelquun saime seulement est un amour priv, et non une charit vraie. Dieu ne peut pas aimer un autre absolument qui ne soit pas absolument digne damour ; et il nest pas absolument digne damour sil nest pas suprmement bon. Cest pourquoi il est clair que la vraie charit en Dieu ne peut pas tre parfaite, sil ny a quune personne seulement, et elle nest pas parfaite, sil y a deux personnes seulement, parce que pour la perfection de la charit il est requis que celui qui aime veuille ce que lautre aime, et aussi tre aim galement par un autre. Car cest une marque de grande faiblesse de ne pas pouvoir supporter laccord de lamour ; mais pouvoir supporter est le signe dune grande perfection. Recevoir avec plus de reconnaissance cest rechercher avec un trs grand dsir comme le dit Richard dans le mme livre. Il faut donc, sil y a en Dieu la perfection de la bont, du bonheur et de la gloire quil y ait en Dieu le nombre de trois personnes.

q. 9 a. 9 s. c. 3 Praeterea, cum bonum sit communicativum sui, perfectio divinae bonitatis requirit quod Deus summe sua communicet. Si autem esset tantum una persona in divinis, non summe communicaret suam bonitatem : creaturis enim non summe se communicat ; si vero essent solum duae personae, non communicarentur perfecte deliciae mutuae caritatis. Oportet ergo esse secundam personam, cui perfecte communicetur divina bonitas, et tertiam cui perfecte communicentur divinae caritatis deliciae.

# 3. Comme le bien se communique, la perfection de la divine bont requiert que Dieu communique au plus haut point ce qui est lui[985]. Mais sil ny avait seulement quune personne en Dieu, il ne communiquerait pas sa bont au plus haut point ; car il ne se communique pas au plus haut point aux cratures ; mais sil ny avait que deux personnes, les dlices mutuelles de la charit ne seraient pas parfaitement communiqus. Il faut donc quil y ait une seconde personne qui la bont divine est communique parfaitement et une troisime qui sont communiqus parfaitement les dlices de la charit divine.

q. 9 a. 9 s. c. 4 Praeterea, ad amorem tria requiruntur, scilicet amans, id quod amatur, et ipse amor, ut Augustinus dicit in VIII de Trinitate. Duo autem mutuo se amantes, sunt pater et filius ; amor autem qui est eorum nexus est spiritus sanctus. Sunt ergo tres personae in divinis.

4. Trois choses sont requises pour lamour, savoir celui qui aime, ce qui est aim et lamour mme ; comme Augustin le dit (La Trinit, VIII, livre IX, 1 et 2). Les deux qui saiment mutuellement sont le Pre et le Fils ; mais lamour qui est leur lien est lEsprit saint. Donc il y a trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9 s. c. 5 Praeterea, sicut Richardus dicit, in V de Trinitate, in rebus humanis videbis quod persona de personis procedit tribus modis : quandoque immediate tantum, sicut Eva de Adam ; quandoque mediate tantum, sicut Enoch de Adam ; quandoque immediate et mediate simul, sicut Seth de Adam ; immediate in quantum eius filius fuit, mediate vero in quantum fuit filius Evae quae ab Adam processit. In divinis autem non potest procedere persona de persona mediate tantum, quia non esset ibi summa germanitas. Relinquitur ergo quod in divinis sit una persona quae non procedit ab alia, scilicet persona patris, a qua procedunt aliae personae ; una immediate tantum, scilicet filius ; alia mediate simul et immediate, scilicet spiritus sanctus, qui ex patre filioque procedit. Ergo est personarum ternarius in divinis.

5. Comme Richard le dit (La Trinit, V, 6) chez les hommes, on verra que la personne procde de la personne par trois moyens : quelquefois sans intermdiaire, seulement, comme ve dAdam, quelquefois avec intermdiaire seulement, comme noch partir dAdam ; quelquefois avec et sans intermdiaire, en mme temps, comme Seth dAdam ; sans intermdiaire en tant quil fut son fils, avec intermdiaire seulement en tant quil fut le fils dve qui a procd d'Adam. Mais en Dieu la personne ne peut pas procder avec intermdiaire parce quil ny aurait pas une communaut dorigine parfaite. Il reste donc quil y a une personne, qui ne procde pas dune autre, savoir celle du Pre, de laquelle procdent les autres, une seulement sans intermdiaire savoir le Fils, lautre avec ou sans intermdiaire en mme temps, savoir lEsprit saint, qui procde du Pre et du Fils. Donc il y a trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9 s. c. 6 Praeterea, inter dare plenitudinem divinitatis et non accipere, et accipere et non dare, medium est dare et accipere. Dare autem plenitudinem divinitatis et non accipere, pertinet ad personam patris ; accipere vero et non dare, pertinet ad personam spiritus sancti. Oportet ergo esse tertiam personam, quae plenitudinem divinitatis et det et accipiat ; et haec est persona filii. Sunt ergo tres personae in divinis.

6. Entre donner la plnitude de la divinit et ne pas recevoir et entre recevoir et ne pas donner, lintermdiaire est donner et recevoir. Mais donner la plnitude de la divinit et ne pas la recevoir convient la personne du Pre, recevoir et ne pas donner convient la personne de lEsprit saint. Il faut donc quil y ait une troisime personne qui donne et reoit la plnitude de la divinit et cette personne cest celle du Fils. il y a donc trois personnes en Dieu.

 

Rponse :

q. 9 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod, secundum positionem haereticorum, nullo modo potest poni certus personarum numerus in divinis.

Selon lopinion des hrtiques, on ne peut en aucune manire poser un nombre certain de personnes en Dieu.

Intellexit enim Arius personarum Trinitatem hoc modo, quod filius et spiritus sanctus essent quaedam creaturae ; quod etiam Macedonius de spiritu sancto sensit. Processio autem creaturarum a Deo non de necessitate certo numero terminatur, cum divina virtus ex sua infinitate hoc habeat quod omnem creaturae modum, speciem et numerum excedat. Unde si Deus pater omnipotens creavit duas excellentissimas creaturas, quas Arius dicit filium et spiritum sanctum, non est remotum quin alias aequales vel etiam maiores creare poterit.

Car Arius[986], a compris la Trinit des personnes de telle manire que le Fils et lEsprit saint seraient des cratures. Ce que Macdonius[987] a pens de lEsprit saint. Mais la procession des cratures de Dieu ne se termine pas ncessairement un certain nombre, puisque le pouvoir divin par son infinit dpasse tout mode de crature, toute espce et nombre. Cest pourquoi, si Dieu, le Pre tout-puissant, a cr deux super cratures, quArius appelle le Fils et lEsprit saint, il nest pas exclus quil ait pu en crer dautres, gales ou mme plus grandes.

Sabellius autem posuit quod pater et filius et spiritus sanctus non distinguuntur nisi nomine et ratione ; quae etiam patet in infinitum posse multiplicari, secundum quod ratio nostra infinitis modis de Deo cogitare potest ex variis effectibus, et eum diversimode nominare.

Sabellius[988] aussi a pens que le Pre, le Fils et lEsprit saint ne se distinguent que par le nom et la nature ; ce qui parat pouvoir tre multipli linfini selon que notre raison peut penser propos de Dieu par des modes infinis, par des effets varies et donner des noms divers.

Sola autem Catholica fides, quae ponit unitatem divinae naturae in personis realiter distinctis, ternarii numeri potest rationem in divinis assignare. Impossibile enim est quod una natura simplex sit nisi in uno sicut in principio. Unde Hilarius dicit, quod qui confitetur in divinis duos innascibiles, confitetur duos deos ; unum enim Deum praedicari natura unius innascibilis Dei exigit.

Mais seule la foi catholique, qui pose lunit de la nature divine dans des personnes rellement distinctes peut donner la raison du nombre trois en Dieu. Car il est impossible quune nature simple existe sinon dans une seule ralit, comme en son principe. Cest pourquoi Hilaire (Les Synodes[989]) dit que celui qui confesse en Dieu deux [personnes] incres confessent deux dieux ; car la nature dun Dieu incr exige dattribuer un seul Dieu.

Unde et quidam philosophi dixerunt, quod in rebus quae sunt sine materia non potest esse pluralitas nisi secundum originem. Una enim natura potest in pluribus esse ex aequo propter materiae divisionem, quae in Deo locum non habet.

Cest pourquoi certains philosophes ont dit que, dans les tres immatriels, il ne peut y avoir de pluralits que selon lorigine. Car une seule nature peut tre en plusieurs galit cause de la division de la matire ; ce qui na pas de place en Dieu.

Unde impossibile est ponere in divinis nisi unam personam innascibilem quae ab alio non procedat. Si autem ab eo aliae personae procedant, oportet quod hoc sit per aliquam actionem. Non autem per actionem transeuntem in id quod est extra agentem, sicut calefacere vel secare sunt actiones ignis et serrae, et creatio ipsius Dei ; quia sic personae procedentes essent extra naturam divinam.

A partir de l, il nest possible de poser en Dieu quune seule personne incre qui ne procde pas dune autre. Mais si dautres personnes procdent de lui, il faut que cela soit par une action. Mais pas par une action transitive hors de lagent, comme rchauffer ou couper sont les actions du feu et de la scie et la cration, de Dieu lui-mme ; parce quainsi les personnes procderaient hors de la nature divine.

Relinquitur ergo quod processio personarum in unam naturam divinam non sit nisi secundum operationes quae non transeunt extra, sed manent in operante. Hae autem in natura intellectuali sunt solum duae, scilicet intelligere et velle. Secundum autem utramque earum invenitur aliquid procedens cum hae operationes perficiuntur. Ipsum enim intelligere non perficitur nisi aliquid in mente intelligentis concipiatur, quod dicitur verbum ; non enim dicimur intelligere, sed cogitare ad intelligendum, antequam conceptio aliqua in mente nostra stabiliatur. Similiter etiam ipsum velle perficitur amore ab amante per voluntatem procedente, cum amor nihil sit aliud quam stabilimentum voluntatis in bono volito.

Il reste donc que la procession des personnes dans une seule nature divine nest que selon les oprations qui ne passent pas lextrieur, mais demeurent dans celui qui opre. Mais celles-ci, dans une nature intellectuelle, ne sont que deux, lintellection et le vouloir. Selon lune et lautre on trouve quelque chose qui procde quand ces oprations saccomplissent. Car lintellection nest acheve que si quelque chose est conu dans lesprit de celui qui pense ; ce qui est appel le verbe ; car on ne dit pas quon comprend mais quon pense pour comprendre avant quune conception sՎtablisse dans notre esprit. De mme aussi le vouloir est achev par lamour de celui qui aime et procde par volont, puisque lamour nest rien dautre que le soutien de la volont dans le bien qui est voulu.

Verbum autem et amor in creatura quidem non sunt personae subsistentes in natura intelligente et volente. Intelligere enim et velle creaturae non est esse eius. Unde verbum et amor sunt quaedam supervenientia creaturae intelligenti et volenti, sicut accidentia quaedam. Cum autem in Deo idem sit esse, intelligere et velle, necessarium est quod verbum et amor in Deo non accidant, sed subsistant in natura divina. Non autem est in Deo nisi unum simplex intelligere et unum simplex velle, quia intelligendo essentiam suam, intelligit omnia ; et volendo bonitatem suam, vult omnia quae vult. Non est ergo nisi unum verbum et unus amor in divinis.

Mais le verbe et lamour dans la crature ne sont pas des personnes subsistantes dans une nature intellectuelle et volontaire. Car lintellection et le vouloir de la crature ne sont pas son tre. Cest pourquoi le verbe et lamour sajoutent la crature qui pense et qui veut, comme des accidents. Mais comme en Dieu lՐtre, lintellection et le vouloir sont identiques, il est ncessaires que le verbe et lamour narrivent pas en lui comme des accidents, mais subsistent dans sa nature. Il ny a en lui quune intellection une et simple et un vouloir un et simple, parce quen pensant son essence, il pense tout ; et en voulant sa bont, il veut tout ce quil veut. Donc, il ny a quun verbe et un amour en Dieu.

Ordo autem intelligendi et volendi aliter se habet in Deo et nobis. Nos enim cognitionem intellectivam a rebus exterioribus accipimus ; per voluntatem vero nostram in aliquid exterius tendimus tamquam in finem. Et ideo intelligere nostrum est secundum motum a rebus in animam ; velle vero secundum motum ab anima ad res. Deus autem non accipit scientiam a rebus, sed per scientiam suam causat res ; nec per voluntatem suam tendit in aliquid exterius sicut in finem, sed omnia exteriora ordinat in se sicut in finem. Est ergo tam in nobis quam in Deo circulatio quaedam in operibus intellectus et voluntatis ; nam voluntas redit in id a quo fuit principium intelligendi : sed in nobis concluditur circulus ad id quod est extra, dum bonum exterius movet intellectum nostrum, et intellectus movet voluntatem, et voluntas tendit per appetitum et amorem in exterius bonum ; sed in Deo iste circulus clauditur in se ipso. Nam Deus intelligendo se, concipit verbum suum, quod est etiam ratio omnium intellectorum per ipsum, propter hoc quod omnia intelligit intelligendo seipsum : et ex hoc verbo procedit in amorem omnium et sui ipsius. Unde dixit quidam, quod monas monadem genuit, et in se suum reflectit ardorem. Postquam vero circulus conclusus est, nihil ultra addi potest ; et ideo non potest sequi tertia processio in natura divina, sed sequitur ulterius processio in exteriorem naturam.

Mais lordre de lintellection et du vouloir se comporte diffremment en Dieu et en nous ; car nous recevons la connaissance intellectuelle de lextrieur ; par notre volont nous tendons quelque chose dextrieur comme une fin. Et cest pourquoi notre intellection est selon le mouvement de la ralit [qui arrive] dans lՉme, mais le vouloir selon le mouvement de lՉme vers la ralit. Mais Dieu ne reoit pas sa science des choses, mais il les cause par elle, et par sa volont il ne tend pas quelque chose dextrieur comme une fin, mais il ordonne lui tout ce qui est extrieur comme sa fin ; cest donc tant en nous quen Dieu un mouvement circulaire dans les oprations de lesprit et de la volont ; car la volont revient ce do est venu le principe de lintellection ; mais en nous le cercle se limite ce qui est extrieur, pendant que le bien extrieur meut notre esprit et celui-ci meut la volont et cette dernire tend par apptit et amour au bien extrieur ; mais en Dieu ce cercle se ferme sur lui-mme. Car Dieu, en se pensant, conoit son verbe, qui est aussi la raison de toutes les intellections par lui, parce quil pense tout en se pensant lui-mme. Et par ce verbe, il procde dans lamour de tout et de lui-mme. Cest pourquoi quelquun a dit (Mercure ou Herms Trimgiste) que la monade a engendr la monade et rflchit en elle son ardeur. Mais une fois le cercle ferm, rien dautre ne peut tre ajout, et cest pourquoi il ne peut pas dcouler une troisime procession dans la nature divine, mais il en dcoule une en plus dans la nature extrieure.

Sic ergo oportet quod in divinis sit una tantum persona non procedens, et duae solae personae procedentes ; quarum una persona procedit ut amor, et alia ut verbum ; et sic est personarum ternarius numerus in divinis.

Ainsi donc il faut quen Dieu il y ait une seule personne qui ne procde pas, deux personnes seulement qui procdent. Lune delles procde comme amour et lautre comme verbe ; et ainsi le nombre des personnes en Dieu est de trois.

Cuius quidem ternarii similitudo in creaturis apparet tripliciter : primo quidem sicut effectus repraesentat causam ; et hoc modo principium totius divinitatis, scilicet pater, repraesentatur per id quod est primum in creatura, scilicet per hoc quod est in se una subsistens ; verbum vero per formam cuiuslibet creaturae : nam in his quae ab intelligente aguntur, forma effectus a conceptione intelligentis derivatur ; amor vero in ordine creaturae. Nam ex eo quod Deus amat seipsum, omnia ordine quodam in se convertit ; et ideo haec similitudo dicitur vestigii, quod repraesentat pedem sicut effectus causam.

La ressemblance de ce nombre trois apparat de trois manires dans les cratures :a) Comme leffet reprsente la cause, et de cette manire, le principe de toute la divinit, savoir le Pre est reprsent par ce qui est premier dans la crature, c'est--dire par ce qui est en soi une seule ralit subsistante ; mais le verbe est reprsent par la forme de nimporte quelle crature ; car en ce qui est agi par celui qui pense, la forme de leffet est drive de sa conception ; mais lamour est dans lordre de la crature. Car du fait que Dieu saime lui-mme, il tourne tout vers lui par un ordre, et cest pourquoi cette ressemblance est appele vestige, qui reprsente le pied comme leffet [reprsente] la cause.

Alio modo secundum eamdem rationem operationis ; et sic repraesentatur in creatura rationali tantum, quae potest se intelligere et amare, sicut et Deus, et sic verbum et amorem sui producere, et haec dicitur similitudo naturalis imaginis ; ea enim imaginem aliorum gerunt quae similem speciem praeferunt.

b) Dune autre manire selon la mme nature dopration ; et ainsi est reprsent dans la crature raisonnable seulement, ce qui peut se comprendre et aimer, comme Dieu aussi et ainsi produire le verbe et son amour et cela est appel la ressemblance de limage naturelle ; car ce qui rvle une espce semblable porte limage des autres.

Tertio modo per unitatem obiecti, in quantum creatura rationalis intelligit et amat Deum ; et haec est quaedam unionis conformitas, quae in solis sanctis invenitur qui idem intelligunt et amant quod Deus.

c) Troisime manire par lunit de lobjet, en tant que la crature raisonnable pense et aime Dieu et cest une certaine conformit de lunion qui se trouve dans les seuls saints qui pensent et aiment la mme chose que Dieu.

De prima quidem similitudine dicitur Iob XI, 7 : forsitan vestigia Dei comprehendes ? De secunda Genes. I, 26 : faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram ; et dicitur imago creationis. De tertia II Cor. III, 18 : nos enim omnes revelata facie gloriam domini speculantes, in eamdem imaginem transformamur ; et haec dicitur imago recreationis.

De la premire ressemblance, il est dit en Job (7, 117) : Peut-tre comprendras-tu les vestiges de Dieu. De la seconde, il est dit dans la Gense (1, 26) dit : Faisons lhomme notre image et notre ressemblance, et on lappelle limage de la cration ; de la troisime, en 2 Co. 3, 18, il est dit :Car nous tous, visage dcouvert, contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transforms en cette mme image. Et celle-ci est appele limage de la recration.

 

Solutions :

q. 9 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod ideo dicit Augustinus quod non est dicendum quod filius non potuit generare, sed non oportuit : quia non ex impotentia filii est quod non generat, ut hoc quod dicit non potuit sumatur privative, et non simpliciter negative ; per hoc autem quod dicit quod non oportuit, significat quod sequeretur inconveniens, si in divinis filius alium filium generaret. Quod quidem inconveniens ex quatuor potest considerari : primo quidem quia cum filius in divinis procedat ut verbum, si filius filium generaret, sequeretur quod in Deo verbum ex verbo procederet, quod quidem esse non potest nisi in intellectu inquisitivo et discursivo in quo verbum ex verbo procedit, dum ex consideratione unius veritatis in alterius veritatis considerationem procedit ; quod nullo modo convenit perfectioni et simplicitati intellectus divini, qui uno intuitu omnia simul videt.

# 1. Augustin crit quil ne faut pas dire que le Fils na pas pu engendrer, mais il ne la pas fallu : parce que ce nest pas par impuissance que le Fils nengendre pas ; ce que dit il na pas pu est pris de faon privative, et non absolument ngative ; et par le fait quil dit quil ne la pas fallu, il signifie quil en dcoulerait un inconvnient si le Fils en engendrait un autre ; cet inconvnient peut-tre considr quatre points de vue :a) Parce que, si le Fils procdant en Dieu, comme Verbe, engendrait un fils, il en dcoulerait quen Dieu le verbe procderait du Verbe, ce qui ne peut tre que dans un esprit discursif en recherche, dans lequel le verbe procde du verbe, pendant quil passe de la considration dune vrit une autre ; ce qui ne convient en aucune manire la perfection et la simplicit de lintellect divin, qui voit tout en mme temps en un seul regard.

Secundo, quia illud per quod aliquid individuatur et incommunicabile efficitur, impossibile est pluribus esse commune. Id enim per quod Socrates est hoc aliquid, nec intelligi potest pluribus inesse. Unde si filiatio in divinis pluribus conveniret, non esset filiatio constituens incommunicabilem filii personam ; et ita oporteret quod filius individua persona constitueretur per aliquid absolutum, quod essentiae divinae unitati non convenit.

b) Parce quil est impossible que ce par quoi une chose est individue et devient incommunicable, soit commune plusieurs. Car, on ne peut pas comprendre que ce par quoi Socrate est une ralit soit en plusieurs. Cest pourquoi, si la filiation en Dieu convenait plusieurs, il ny aurait pas la filiation qui constitue la personne incommunicable du Fils et ainsi il faudrait que le Fils, personne individuelle, soit constitu par quelque chose dabsolu, ce qui ne convient pas lunit de lessence divine.

Tertio, quia nihil unum secundum speciem existens, potest secundum numerum multiplicari nisi ratione materiae ; et hac ratione in divinis non potest esse nisi una essentia, quia divina essentia est immaterialis omnino. Si autem essent plures filii in divinis, oporteret etiam esse filiationes plures ; et ita oporteret eas secundum materiam subiectam multiplicari ; quod divinae immaterialitati non convenit.

c) Parce que rien dune unique espce ne peut tre multipli en nombre que par la matire ; et pour cette raison, il ne peut y avoir en Dieu quune seule essence, parce que lessence divine est tout fait immatrielle. Sil y avait plusieurs fils en Dieu, il faudrait quil y ait aussi plusieurs filiations, et ainsi il faudrait quelles soient multiplies selon une matire sujette ; ce qui ne convient pas limmatrialit de Dieu.

Quarto, quia filius dicitur aliquis ex hoc quod naturaliter procedit ; natura autem ad unum se habet determinate, nisi per accidens ex aliquo naturaliter plura proveniant propter materiae divisionem ; et ideo ubi est omnino immaterialis natura, oportet solum filium unum esse.

d) Parce que le Fils est appel quelquun[990] du fait quil procde naturellement ; mais la nature ne se comporte pas de manire dtermine vis--vis de lun moins que par accident plusieurs proviennent naturellement de quelquun cause de la division de la matire et cest pourquoi o la nature est tout fait immatrielle, il faut quil ny ait quun seul fils.

q. 9 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dupliciter aliquid potest esse naturae alicuius : uno modo secundum quod absolute consideratur ; et sic oportet ut quae ad aliquam naturam pertinent, conveniant omnibus suppositis in natura illius ; et sic convenit naturae divinae esse omnipotentem, creatorem, et alia huiusmodi, quae sunt communia tribus personis. Alio modo pertinet aliquod ad naturam secundum quod consideratur in aliquo uno supposito ; et sic non oportet quod id quod convenit naturae, conveniat cuilibet supposito illius naturae : sicut enim natura generis habet aliquid in una specie quod alteri speciei non convenit,- quemadmodum ad naturam sensitivam consequuntur quaedam in homine, non autem in animalibus brutis, ut habere excellentissimum tactum et reminisci, et alia huiusmodi,- ita etiam aliquid pertinet ad naturam speciei prout est in uno individuo, quod non convenit alii individuo eiusdem speciei ; sicut patet quod naturae humanae prout fuit in Adam convenit quod non sit per generationem naturalem accepta, quod tamen in aliis individuis humanae naturae non invenitur ; et per hunc modum posse generare, consequitur naturam divinam, prout est in persona patris ; quod patet ex hoc quod pater non constituitur persona incommunicabilis nisi ex ipsa paternitate, quae competit ei secundum quod est generans ; et ideo non sequitur quod filius, licet sit perfectum suppositum divinae naturae possit generare.

# 2. Une chose peut exister dune certaine nature de deux manires : a) Selon quon la considre dans l'absolu ; et ainsi il faut que ce qui convient une nature, convienne tous les suppts dans cette nature ; et ainsi il convient la nature divine dՐtre un crateur tout puissant, et autres qualits de ce genre qui sont communes aux trois personnes.b) Une chose convient la nature, selon ce quelle est considre dans un suppt unique ; et ainsi il ne faut pas que ce qui convient la nature convienne nimporte quel suppt de cette nature. Car de mme que la nature du genre a quelque chose dans une espce qui ne convient pas une autre espce de quelque manire que certaines choient la nature sensible dans lhomme, mais pas dans les animaux, comme avoir un toucher excellent, et se souvenir, et autres choses de ce genre de mme aussi une chose convient la nature de lespce dans la mesure o elle est dans un individu, ce qui ne convient pas un autre individu de mme espce ; ainsi il est clair quil convient la nature humaine, dans la mesure o elle a t en Adam, de ne pas tre reue par une gnration naturelle, ce que cependant on ne trouve pas dans les autres individus de la nature humaine et pouvoir engendrer de cette manire, dcoule de la nature divine, dans la mesure o elle est dans la personne du Pre. Ainsi il est clair que le Pre nest constitu comme personne incommunicable que par sa paternit, qui lui convient selon quil engendre ; et cest pourquoi il nen dcoule pas bien que le Fils soit un parfait suppt de nature divine, quil puisse engendrer.

q. 9 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet pater possit generare, non autem filius, non tamen sequitur quod potentiam aliquam habeat pater quam non habet filius. Eadem enim potentia est patris et filii, per quam et pater generat et filius generatur. Nam potentia absolutum quiddam est ; et ideo non distinguitur in divinis, sicut nec bonitas, nec aliquid sic dictum. Generare vero et generari in divinis non significant aliquid absolutum, sed solam relationem in divinis. Relationes autem oppositae, in uno et eodem absoluto communicant in divinis, et ipsum non dividunt ; sicut patet quod in patre et filio est una essentia, unde nec potentia distinguitur in divinis per hoc quod est ad generare et generari. Non enim etiam in creaturis oportet quod per quamcumque obiectorum distinctionem potentia distinguatur sed per differentiam formalem obiectorum, et quae in eodem genere accipiatur ; sicut potentia visiva non distinguitur per hoc quod est videre hominem et videre asinum, quia ista differentia non est sensibilis in quantum est sensibile ; et similiter in divinis absolutum per relationem non distinguitur.

# 3. Il faut dire que, bien que le Pre puisse engendrer, mais pas le Fils, il nen dcoule cependant pas que le Pre a une puissance que na pas le Fils. Car la puissance du Pre et celle du Fils, par laquelle le Pre engendre et le Fils est engendr sont identiques. Car la puissance est quelque chose dabsolu [991] ; et cest pourquoi elle nest pas distingue en Dieu, ni la bont non plus, ni ce quon appelle ainsi. Mais engendrer et tre engendr en Dieu ne signifient pas quelque chose dabsolu, mais seulement une relation. Mais les relations opposes communiquent dans un seul et mme absolu et ne le divisent pas ; ainsi il est clair que dans le Pre et dans le Fils il y a une seule essence. Cest pourquoi la puissance nest pas distingue par une distinction quelconque des objets, mais par le fait dengendrer ou dՐtre engendr. Car il ne faut pas non plus dans les cratures que la puissance soit distingue par la diffrence formelle des objets et ce qui est reu en un mme genre comme la puissance de la vision nest pas distingue par le fait de voir un homme ou un ne, parce que cette diffrence nest pas sensible en tant telle, et de la mme manire en Dieu labsolu nest pas distingu par la relation.

q. 9 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omni operatione quae transit ab agente in rem exteriorem, requiritur aliud principium in agente, per quod est agens, et aliud principium in patiente, per quod est patiens. In operatione autem quae non transit in rem exteriorem, sed manet in operante, non requiritur nisi unum operationis principium ; sicut ad volendum requiritur principium ex parte volentis, per quod possit velle. In creaturis autem est generatio secundum operationem transeuntem in rem exteriorem : unde oportet quod sit alia potentia activa in generante, et alia passiva in generato. Sed generatio divina attenditur secundum operationem non quidem in aliquid exterius transeuntem, sed interius manentem, idest secundum conceptionem verbi. Unde non oportet quod alia sit potentia activa in patre, et alia passiva in filio.

# 4. En toute opration qui passe dun agent dans un objet extrieur, il est requis un principe dans lagent, par lequel il est agent et un autre principe dans le patient, par lequel il est patient. Mais dans lopration qui ne passe pas lextrieur, mais demeure dans celui qui opre, il nest requis quun seul principe dopration, ainsi pour vouloir il est requis un principe de la part de celui qui veut, par lequel il puisse vouloir. Mais, dans les cratures, la gnration est selon une opration qui passe lextrieur ; cest pourquoi il faut quil y ait une autre puissance active dans celui qui engendre, diffrente de la puissance passive de celui qui est engendr. Mais la gnration divine ne tend pas par son opration quelque chose qui passe lextrieur, mais ce qui demeure lintrieur, c'est--dire selon la conception du Verbe. Cest pourquoi il ne faut pas qu'il y ait une puissance dans le Pre et une autre puissance passive dans le Fils.

q. 9 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod calor et sapor prout in se considerantur, sunt qualitates quaedam, possunt tamen dici potentiae secundum quod sunt actuum quorumdam principia ; unde patet quod licet radix prima et remota, quae est subiectum, sit una radix, tamen propinqua, quae est qualitas, non est una.

# 5. La chaleur et la saveur, considres en soi, sont des qualits, on peut cependant les appeler des puissances en tant que principes de certains actes ; cest pourquoi il est clair que bien que lorigine premire et loigne qui est le sujet, soit une seule origine, cependant lorigine proche, qui est la qualit, nest pas unique.

q. 9 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum quod, sicut pater est Deus generans, filius autem est Deus genitus : ita dicendum est quod pater est sapiens ut concipiens, filius vero sapiens ut verbum conceptum. Filius enim in eo quod est verbum, est quaedam conceptio sapientis. Sed quia quidquid est in Deo, est Deus, oportet quod ipsa conceptio sapientis Dei sit Deus, et sapiens, et potens, et quidquid aliud competit Deo.

# 6. De mme que le Pre est le Dieu qui engendre, le Fils est le Dieu engendr, de mme il faut dire que le Pre est sage en tant quil conoit le Fils sage comme verbe conu. Car le Fils, en ce qui est le Verbe est une conception du sage. Mais parce que tout ce qui est en Dieu est Dieu, il faut que cette conception du Dieu sage soit Dieu, et aussi sage et puissant, et tout ce qui dautre convient Dieu.

q. 9 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod verbum in divinis non potest dici nisi personaliter, si proprie accipiatur. Nulla enim alia origo in divinis esse potest nisi immaterialis, et quae sit conveniens intellectuali naturae, qualis est origo verbi et amoris ; unde si processio verbi et amoris non sufficit ad distinctionem personalem insinuandam, nulla poterit esse personalis distinctio in divinis. Unde et Ioannes tam in principio sui Evangelii quam in prima canonica sua, nomine verbi pro filio utitur, nec est aliter loquendum de divinis quam sacra Scriptura loquatur.

# 7. On ne peut parler du Verbe en Dieu que personnellement, si on le prend au sens propre. Car aucune autre origine ne peut tre en Dieu quimmatrielle et celle qui convient sa nature intellectuelle, telle quest lorigine du verbe et de lamour ; cest pourquoi si la procession du verbe et de lamour ne suffit pas introduire la distinction des personnes, il ne pourra y avoir aucune distinction personnelle en Dieu. Cest pourquoi Jean, tant au commencement de son vangile que dans sa premire ptre, se sert du nom de Verbe pour le Fils, et il ne faut pas parler de Dieu autrement que lՃcriture sainte en parle.

q. 9 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dicere potest dupliciter sumi : uno modo proprie secundum quod dicere idem est quod verbum concipere ; et sic dicit Augustinus, quod non singulus quisque in divinis, sed solus pater est dicens. Alio modo communiter, prout dicere nihil est aliud quam intelligere ; et sic dicit Anselmus, quod non solum pater est dicens, sed etiam filius et spiritus sanctus ; et tamen licet sint tres dicentes, est unum solum verbum,- quod est filius,- quia solus filius est conceptio patris intelligentis et concipientis verbum.

# 8. Dire peut tre pris en deux sens :a) Dune premire manire, au sens propre selon que dire est la mme chose que concevoir un verbe ; et en ce sens Augustin (La Trinit, VII) dit que ce nest pas chaque personne particulire qui dit [parle] en Dieu, mais le Pre seul.b) Dune autre manire au sens commun, selon que dire nest rien dautre que lintellection ; et ainsi Anselme dit (loc. cit. dans largument[992]) que non seulement le Pre parle, mais aussi le Fils et lEsprit saint ; et cependant, bien quil y en ait trois qui parlent, il ny a quun seul verbe qui est le Fils parce que seul le Fils est la conception du Pre qui pense et conoit le verbe.

q. 9 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod non sequitur quod sit generatio in divinis ex hoc solum quod tribuit generationem aliis sicut causa effectiva, quia pari ratione sequeretur quod in Deo sit motus, quia tribuit aliis motum. Sequitur autem quod sit in Deo generatio ex hoc quod tribuit aliis generationem ut causa effectiva et exemplaris : pater autem est exemplar generationis ut generans, sed filius ut genitus ; unde non oportet quod generet.

# 9. Il ne dcoule pas quil y a gnration en Dieu du seul fait quil a attribu la gnration dautres, comme cause efficiente, parce quՈ raison gale, il en dcoulerait quil y a en Dieu du mouvement, parce quil en a attribu aux autres. Mais il dcoule quil y a en Dieu une gnration par le fait quil a attribu aux autres la gnration comme cause efficiente et exemplaire ; le Pre est lexemplaire de la gnration, en tant quil engendre ; et le Fils en tant quengendr ; cest pourquoi il ne faut pas quil engendre.

q. 9 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod generatio est opus divinae naturae, prout est in persona patris, ut supra dictum est, unde non oportet quod conveniat filio.

# 10. La gnration est luvre de la nature divine, dans la mesure o elle est dans la Personne du Pre, comme on la dit ci-dessus, cest pourquoi il ne faut pas que cela convienne au Fils.

q. 9 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum quod, cum filiatio sit relatio consequens determinatum modum originis,- scilicet quae est per modum naturae,- impossibile est quod filiatio a filiatione differat differentia formali ; nisi forte secundum differentiam naturarum, quae per generationem communicantur, sicut potest dici quod alia species filiationis est qua hic homo est filius, et qua hic equus est filius. In divinis autem non est nisi una natura ; unde non possunt ibi esse plures filiationes formaliter differentes ; et patet etiam quod nec materialiter. Et sic sequitur quod ibi sit tantum una filiatio et unus filius.

# 11. Comme la filiation est une relation qui suit un mode dtermin dorigine, savoir, quelle est par le mode de nature il est impossible quune filiation diffre de la filiation par une diffrence formelle ; moins que par hasard, ce soit selon la diffrence des natures, qui sont communiques par gnration, comme on peut dire quil y a une autre espce de filiation par laquelle cet homme est fils et par laquelle ce cheval est fils. En Dieu il ny a quune seule nature, cest pourquoi il ne peut pas y avoir plusieurs filiations formellement diffrentes ; et il est clair aussi que [ce nest pas possible] matriellement non plus. Et ainsi il en dcoule quil y a l seulement une filiation et un seul Fils.

q. 9 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod unus splendor ab alio splendore procedit, ex eo quod lux diffunditur ad aliud subiectum : et sic patet quod hoc fit per divisionem materialem, quae non potest esse in divinis.

# 12. Une splendeur procde dune autre, du fait que la lumire est diffuse vers un autre sujet, et ainsi il est clair que cela se fait par une division matrielle, qui ne peut pas exister en Dieu.

q. 9 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod unumquodque amatur in quantum est bonum ; unde cum una et eadem sit bonitas patris et filii et spiritus sancti, eodem amore, qui est spiritus sanctus, pater diligit et filium et spiritum sanctum, et totam creaturam ; sicut eodem verbo, quod est filius, dicit se et filium et spiritum sanctum, et totam creaturam.

# 13. Chaque chose est aime en tant quelle est bonne. Cest pourquoi, comme la bont du Pre, du Fils et de lEsprit saint est une et la mme, par un mme amour qui est lEsprit saint, le Pre aime le Fils et lEsprit saint et toute la crature, de mme par un mme Verbe qui est le Fils, il se dit et dit aussi le Fils et lEsprit saint et toute la crature.

q. 9 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod bonitas est id ad quod terminatur operatio viventis, quae manet in operante. Primo enim intelligitur aliquid ut verum, et sic deinceps desideratur ut bonum ; et ibi sistit et quiescit operatio intranea, sicut in fine. Sed ex hinc incipit processus operationis ad exteriora, quia ex hoc quod intellectus desiderat et amat aliquid praeconsideratum ut bonum, incipit exterius operari ad illud. Unde ex hoc ipso quod bonitas spiritui sancto appropriatur, convenienter accipi potest quod processio divinarum personarum ultra non porrigitur. Sed quod sequitur, est processio creaturae, quae est extra naturam divinam.

# 14. La bont est ce quoi se termine lopration du vivant qui demeure dans celui qui opre. Car dabord on comprend quelque chose comme vrai et ainsi immdiatement aprs il est dsir comme bien ; et l se tient et sachve lopration interne, comme dans sa fin. Mais de l commence le processus de lopration lextrieur, parce que du fait que lesprit dsire et aime, ce quil a considr auparavant comme bien, il commence agir lextrieur vers ce bien. Cest pourquoi du fait que la bont est approprie lEsprit saint, on peut interprter comme ce qui convient que la procession des personnes divines ne sՎtend pas plus loin. Mais il en dcoule que cest la procession de la crature qui est hors de la nature divine.

q. 9 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod inter omnes lineas linea circularis est perfectior, quia non recipit additionem. Unde hoc ipsum ad perfectionem spiritus sancti pertinet quod sua processione quasi quemdam circulum divinae originis concludit, ut ultra iam addi non possit, sicut supra, iam ostensum est.

# 15. Parmi toutes les lignes, le cercle est plus parfait parce quil ne reoit pas daddition. Cest pourquoi cela convient la perfection de lEsprit saint qu'il se ferme en sa procession comme un cercle dorigine divine, pour que (rien) ne puisse tre ajout, comme on la dj montr ci-dessus [dans le corps de larticle].

q. 9 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in hoc quod est accipere vel communicare naturam divinam, non attenditur differentia nisi solum secundum relationes ; quae quidem differentia inaequalitatem perfectionis constituere non potest, quia, ut dicit Augustinus contra Maximinum, cum quaeritur quis de quo sit, est quaestio originis, non aequalitatis vel inaequalitatis.

# 16. Pour ce qui est recevoir ou communiquer la nature divine, la diffrence ne sՎtend seulement que selon les relations. Cette diffrence ne peut pas constituer une ingalit de perfection, parce que, comme le dit Augustin (Contre Maximinien III, 18) : Quand on cherche qui vient de qui, cest une question dorigine, non dՎgalit ou dingalit.

q. 9 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod sicut communicare divinam naturam, est perfectionis de patre in filio, ita perfecte accipere communicatam est perfectionis in spiritu sancto ; et utraque perfectio non differt secundum quantitatem, sed secundum relationem, quae inaequalitatem non constituit, ut dictum est.

# 17. De mme que communiquer la nature divine est de la perfection du Pre dans le Fils, de mme recevoir parfaitement la nature communique est de la perfection de lEsprit saint et lune et lautre perfection ne diffre pas en quantit mais en une relation, qui na pas constitu une ingalit, comme on la dit.

q. 9 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod illud per quod aliqua persona est incommunicabilis, non potest esse multis commune, ut supra dictum est. Unde habere consortium in illo non faceret iucunditatem, sed destructionem distinctionis personarum. Unde si pater in paternitate haberet consortem in divinis, sequeretur confusio personarum ; et eadem ratio est de filiatione et processione.

# 18. Ce par quoi une personne n'est pas communicable ne peut tre commun plusieurs, comme on la dit ci-dessus. Cest pourquoi la participation en cela napporterait pas la joie, mais la destruction de la distinction des personnes. Cest pourquoi, si le Pre avait quelquun qui participe la paternit, il en dcoulerait une confusion des personnes ; et la raison est la mme pour la filiation et la procession.

q. 9 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum est quod alia attributa non habent operationem intrinsecam, secundum quam possit attendi processus divinae personae, sicut intellectus et voluntas.

# 19. Les autres attributs nont pas dopration intrinsque qui puisse parvenir une procession de la personne divine comme lintellect et la volont.

q. 9 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod processio naturae et intellectus conveniunt in hoc quod in utraque processione procedit unum ab uno ut similitudo eius a quo procedit. Amor autem qui procedit secundum voluntatem, procedit a duobus mutuo se amantibus. Nec ex hoc quod est amor, habet quod id sit similitudo amantis ; et ideo in divinis idem procedit per modum naturae et intellectus, scilicet ut filius et verbum ; sed alia persona est quae procedit per modum voluntatis ut amor.

# 20. La procession de nature et celle de lesprit se rencontrent en ceci que dans les deux processions, lun procde dun autre comme image de celui dont elle procde. Mais lamour qui procde selon la volont procde de deux [tres] qui saiment mutuellement. Et du fait que cest lamour, il na pas limage de celui qui aime, et cest pourquoi, en Dieu le mme procde par mode de nature et dintellect, savoir comme fils et verbe ; mais lautre personne est celle qui procde par mode de volont, comme amour.

q. 9 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod licet sint quinque notiones in divinis, tamen solum sunt tres proprietates personales constituentes personas ; et propter hoc solum sunt tres personae.

# 21. Bien quil y ait cinq notions en Dieu, seules cependant trois proprits personnelles constituent les personnes et cest pour cela quil y a seulement trois personnes.

q. 9 a. 9 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod relationes ideales sunt Dei ad id quod est extra, scilicet ad creaturas ; et ideo per eas non distinguuntur personae in divinis. Oportet etiam respondere ad rationes alias, quibus concludebatur quod personae divinae sunt tribus pauciores.

# 22. Les relations idales[993] sont de Dieu vers lextrieur, savoir vers les cratures ; cest pourquoi par elles les personnes ne sont pas distingues par elles.Il faut aussi rpondre aux autres raisons, par lesquelles on concluait que les personnes divines sont moins de trois.

q. 9 a. 9 ad 23 Ad quorum primum dicendum, quod in qualibet natura creata inveniuntur multi modi processionum, non tamen secundum quemlibet eorum natura speciei communicatur ; et hoc est propter imperfectionem naturae creatae, in qua non subsistit quidquid in ea est ; sicut verbum hominis, quod procedit ab intellectu eius, non est aliquid subsistens, nec etiam amor qui procedit a voluntate humana. Sed filius, qui generatur per operationem naturae, est subsistens in natura humana ; et propter hoc hic est solus modus quo natura communicatur, licet in eo sint plures modi processionum. Sed in Deo est subsistens quidquid in ipso est ; et ideo secundum quemlibet modum processionis communicatur natura in divinis.

# 1. En nimporte quelle nature cre, on trouve de nombreux modes de procession, cependant la nature de lespce nest pas communique par nimporte lequel dentre eux et cest cause de limperfection de la nature cre, dans laquelle il ne subsiste rien de ce qui est en elle ; ainsi le verbe de lhomme, qui procde de son esprit nest pas quelque chose de subsistant, ni non plus lamour qui procde de la volont humaine. Mais le Fils, qui est engendr par une opration de nature subsiste dans la nature humaine et cest pour cela quil y a un seul mode par lequel la nature est communique, bien quen lui il y ait plus de modes de processions. Mais en Dieu, tout ce qui est en lui est subsistant et cest pourquoi la nature est communique en Dieu selon nimporte quel mode de procession.

q. 9 a. 9 ad 24 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet etiam a voluntate aliquid naturaliter procedere : nam et voluntas aliquid naturaliter vult et amat, scilicet felicitatem et veritatis cognitionem, et ideo nihil prohibet quin spiritus sanctus naturaliter procedat a patre et filio, quamvis procedat per modum voluntatis.

# 2. Rien nempche non plus que quelque chose procde naturellement de la volont, car elle veut et aime naturellement, savoir le bonheur et la connaissance de la vrit, et cest pourquoi rien nempche que lEsprit saint procde naturellement du Pre et du Fils, quoiquil procde par mode de volont.

q. 9 a. 9 ad 25 Ad tertium dicendum quod, licet voluntas et intellectus non differant in Deo nisi secundum rationem, tamen oportet illum qui procedit per modum intellectus, realiter distingui ab eo qui procedit per modum voluntatis. Nam verbum, quod procedit per modum intellectus, procedit ab uno tantum, sicut a dicente ; spiritus vero sanctus, qui procedit per modum voluntatis ut amor, oportet quod procedat a duobus mutuo se amantibus, vel etiam ex dicente et verbo : nihil enim potest amari cuius verbum in intellectu non praeconcipitur. Et sic oportet quod ille qui procedit per modum voluntatis, sit ab eo qui procedit per modum intellectus, et per consequens quod distinguatur ab eo.

# 3. Bien que la volont et lintellect ne diffrent en Dieu quen raison, il faut cependant que celui qui procde par mode dintellect soit rellement distingu de celui qui procde par volont. Car le Verbe qui procde par mode dintellect, procde de lun seulement, comme de celui qui parle. Mais lEsprit saint, qui procde par mode de volont comme amour, doit procder de deux (personnes) qui saiment mutuellement, ou aussi de celui qui parle et du verbe : car rien ne peut tre aim dont le verbe ne soit pas prconu dans lesprit. Et ainsi il faut que celui qui procde par mode de volont soit de celui qui procde par mode dintellection et par consquent quil soit distingu de lui.

q. 9 a. 9 ad 26 Ad quartum dicendum, quod qui est ab alio in divinis, potest esse dupliciter : scilicet vel per modum verbi, vel per modum amoris ; et ideo qui est ab alio secundum quod communiter dicitur, non sufficit ad constituendum personam incommunicabilem, sed solum secundum quod ad propria determinatur.

# 4. Celui qui est dun autre en Dieu peut lՐtre de deux manires : savoir par mode de verbe ou par mode damour, et cest pourquoi ce qui est dun autre selon ce quon dit communment, ne suffit pas pour constituer une personne incommunicable, mais seulement selon ce qui est dtermin ce qui lui est propre.

q. 9 a. 9 ad 27 Ad quintum dicendum, quod in divinis sunt quatuor relationes, nedum duae ; sed solum tres ex eis sunt personales, nam una earum,- scilicet communis spiratio,- non est proprietas personalis, cum sit communis duabus personis : et ideo non sunt in divinis nisi tres personae.

# 5. En Dieu, il y a quatre relations, et pas seulement deux ; mais seules trois dentre elles sont personnelles, car lune delle, savoir la spiration commune, nest pas une proprit personnelle, puisquelle est commune deux personnes, et cest pourquoi il ny a en Dieu que trois personnes.

q. 9 a. 9 ad s. c. Alias rationes concedimus.

Les autres raisons, nous les concdons.

 

 

 

Question 10 Les processions des Personnes divines

 

 

q. 10 pr. 1 Et primo quaeritur utrum sit aliqua processio in divinis.

1. Y a-t-il une procession en Dieu ?

q. 10 pr. 2 Secundo utrum in divinis sit tantum una processio.

2. Ny a-t-il quune seule procession en Dieu ?.

q. 10 pr. 3 Tertio de ordine processionum ad relationem in divinis.

3. Lordre des processions la relation en Dieu.

q. 10 pr. 4 Quarto utrum Spiritus sanctus procedat a Filio.

4. LEsprit saint procde-t-il du Fils ?

q. 10 pr. 5 Quinto utrum Spiritus sanctus remaneret a Filio distinctus, si ab eo non procederet.

5. Lesprit saint demeurerait-il distinct du Fils, sil ne procdait pas de lui ?

 

 

 

Article 1  Y a-t-il une procession dans les personnes divines ?

q. 10 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum sit aliqua processio in divinis personis.  Et videtur quod non.

  Il semble que non[994].

 

Objection :

q. 10 a. 1 arg. 1 Omne enim quod procedit ab aliquo, distat ab eo. Sed divinarum personarum non est aliqua distantia ab invicem : dicit enim Filius, Ioan. XIV, 10 : Ego in Patre et Oater in me est ; et idem dici potest de Spiritu sancto, quod scilicet sit in Patre et Filio, et e converso. Ergo in divinis una persona non procedit ab alia.

1. Car tout ce qui procde de quelque chose en est diffrent. Mais il n'y pas de diffrence dans les personnes divines entre elles. Car le Fils dit (Jn 14,10) : Moi je suis dans le Pre et le Pre est en moi et on peut dire de mme pour l'Esprit saint, parce qu'il est assurment dans le Pre et le Fils et inversement. Donc en Dieu une personne ne procde pas d'une autre.

q. 10 a. 1 arg. 2 Praeterea, nihil quod ad motum pertinet, Deo proprie attribui potest, sicut nec aliquid quod materiam importat. Processio autem significat quemdam motum. Ergo non proprie potest dici in divinis.

2. On ne peut rien attribuer en propre Dieu qui concerne le mouvement, ni de la mme manire  rien qui apporte de la matire. Mais la procession signifie un mouvement. Donc en Dieu on ne peut pas en parler au sens propre.

q. 10 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne procedens praeintelligitur processioni : nam procedens est processionis subiectum : sed in divinis non potest esse aliquid procedens processioni praeintellectum : essentia enim divina non est procedens, sicut nec genita ; relatio autem non praeintelligitur processioni, sed e converso, sicut iam dictum est [quaest. 8, a. 3]. Non ergo potest esse processio in divinis.

3. Tout ce qui procde est conu avant la procession ; car ce qui procde en est le substrat. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir quelque chose qui procde, conu avant la procession : car l'essence divine ne procde pas, de mme qu'elle n'est pas engendre ; et la relation n'est pas comprise avant la procession, mais c'est le contraire, comme on l'a dj dit (qu. 8, a. 3). Donc il ne peut pas y avoir de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne procedens sicut ab aliquo procedit, ita oportet quod procedat in aliquid. Quod autem in aliquid procedit, non est per se subsistens. Cum ergo personae divinae sint per se subsistentes, non videtur eis competere quod procedant.

4. Tout ce qui procde, procde dune chose, et doit procder dans une autre. Mais ce qui procde en une chose n'est pas subsistant par soi. Donc comme les personnes divines sont subsistantes par soi, apparemment il ne leur convient pas de procder.

q. 10 a. 1 arg. 5 Praeterea, cum creaturae nobiliores sint etiam Deo similiores, quod invenitur in inferioribus creaturis, non autem in superioribus, nec etiam in Deo invenitur sicut quantitas dimensiva, materia, et alia huiusmodi. Processio autem invenitur in inferioribus creaturis, in quibus unum individuum generat aliud eiusdem speciei ; quod non contingit in creaturis superioribus. Ergo neque in Deo processio invenitur.

5. Comme les cratures plus nobles ressemblent davantage Dieu, ce qui se trouve dans les cratures infrieures, mais pas dans les cratures suprieures, ne se retrouve pas non plus en Dieu, comme la quantit mesurable, la matire, etc.. Mais on trouve la procession dans les cratures infrieures dans lesquelles un des individus en engendre un autre de la mme espce ; ce qui n'arrive pas dans les cratures suprieures. Donc on ne trouve pas non plus de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod derogat divinae dignitati, nullo modo est Deo attribuendum. In hoc autem maxime consideratur divina dignitas, quod est prima causa essendi non habens ab alio esse, cui videtur repugnare processio : nam omne procedens quodammodo ab alio est. Non ergo dicendum est quod aliquid sit procedens in divinis.

6. Ce qui droge la dignit de Dieu ne doit en aucune manire lui tre attribu. Mais en cela on considre surtout la dignit divine, parce qu'il est la cause premire de lՐtre, sans avoir l'tre d'un autre : la procession apparemment ne lui convient pas ; car tout ce qui procde de quelque manire dpend d'un autre. Donc il ne faut pas dire que quelque chose procde en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 7 Praeterea, persona est hypostasis proprietate distincta ad dignitatem pertinente. Accipere autem ab alio (quod importat processio), non videtur ad dignitatem pertinere. Non ergo processio debet attribui divinis personis sicut aliqua personalis proprietas.

7. La personne est une hypostase, avec une proprit distincte qui convient sa dignit. Mais recevoir d'un autre (ce que la procession apporte) ne semble pas convenir sa dignit. Donc la procession ne doit pas tre attribue aux personnes divines comme une quelconque proprit personnelle.

q. 10 a. 1 arg. 8 Praeterea, illud a quo aliquid procedit, oportet esse aliquo modo causam illius. Sed una persona non potest esse causa alterius : neque enim esse potest una alterius causa intrinseca, formalis scilicet vel materialis, cum in divinis non sit compositio formae et materiae ; nec iterum causa extrinseca, cum una persona sit in alia. Non ergo est processio in divinis.

8. Ce dont quelque chose procde doit tre d'une certaine manire sa cause. Mais une personne ne peut pas tre cause d'une autre. Elle ne peut pas, en effet, tre la seule cause intrinsque d'une autre, c'est--dire la cause formelle ou matrielle, puisqu'en Dieu il n'y a pas composition de forme et de matire ; elle ne peut non plus tre la cause extrinsque, puisqu'une seule personne est dans l'autre. Donc il n'y a pas de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 9 Praeterea, omne procedens procedit ab aliquo sicut a principio. Una autem persona non potest dici alterius principium, quia,- cum principium ad principiatum dicatur,- oportet aliquam personam principiatam dici, quod videtur solis creaturis competere. Non ergo est processio in divinis.

9. Tout ce qui procde procde de quelque chose comme dun principe. Mais on ne peut pas dire qu'une personne est le principe d'une autre, parce que, comme on parle de principe pour ce qui en dpend, il faut dire qu'il y a une personne qui dpend dun principe, ce qui semble ne convenir quaux seules cratures. Donc pas de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 10 Praeterea, nomen principii a prioritate sumptum esse videtur. Sed in personis divinis nihil est prius et posterius, ut Athanasius dicit [in Symbolo]. Non est ergo una persona principium alterius ; et sic non debet dici una procedens ab alia.

10. Le nom de principe semble tre pris de "priorit[995]". Mais dans les personnes divines rien n'est avant ou aprs, comme Athanase le dit (dans le Symbole[996]). Donc une personne n'est pas le principe d'une autre  ; et ainsi on ne doit pas dire que l'une procde d'une autre.

q. 10 a. 1 arg. 11 Praeterea, omne principium est operativum vel factivum. Sed una persona non est factiva alterius nec operativa, alioquin in divinis personis esset aliquid factum vel creatum. Ergo divina persona non habet principium, neque est procedens.

11. Tout principe peut oprer ou produire. Mais une personne ne peut en produire une autre, ou oprer, autrement dans les personnes divines il y aurait quelque chose de produit ou de cr. Donc la personne divine n'a pas de principe, et elle ne procde pas.

q. 10 a. 1 arg. 12 Praeterea, quandocumque est aliquid ab aliquo procedens, oportet esse aliquid commune utrique, quod scilicet procedenti communicatur ab eo a quo procedit, et aliquid proprium, per quod procedens distinguitur ab eo a quo procedit : nihil enim procedit a se ipso. Ubicumque autem est aliquid et aliquid, ibi est compositio. Ergo ubicumque est processio, ibi est compositio. In divinis autem non est compositio. Ergo neque processio.

12. Chaque fois qu'une chose procde d'une autre, il faut qu'il y ait quelque chose de commun l'une et l'autre, qui naturellement est communiqu celle qui procde par celle de qui elle procde, et quelque chose de propre, par lequel celui qui procde est distingu de celui dont il procde ; car rien ne procde de lui. Et partout o il y a une chose et une autre, il y a composition. Donc partout o il y a procession, il y a composition. Mais en Dieu il n'y a pas de composition. Ni en consquence de procession.

q. 10 a. 1 arg. 13 Praeterea, omne procedens ab alio, recipit aliquid ab eo. Quod autem recipit aliquid, est indigentis naturae : nisi enim indigeret, non reciperet ; propter quod etiam in rebus naturalibus receptibilitas attribuitur materiae. Ergo omne procedens est indigentis naturae. In divinis autem non est aliqua indigentia, sed summa perfectio. Ergo non est ibi processio.

13. Tout ce qui procde d'un autre en reoit quelque chose. Parce quil reoit, il en a naturellement besoin. Car sil nen avait pas besoin il ne le recevrait pas ; c'est pour cela aussi que dans ce qui est naturel aussi la rceptivit est attribue la matire. Donc tout ce qui procde est ce qui prouve un besoin par nature. Mais en Dieu il n'y a pas de besoin, mais une perfection suprme. Donc il n'y a pas de procession.

q. 10 a. 1 arg. 14 Sed dices, quod recipiens quando praeexistit receptioni, est indigens, quando vero iam recipit, habet et non est indigens ; Filius autem et Spiritus sanctus recipiunt quidem a Deo Patre, non tamen praeexistunt receptioni ; et sic in eis nulla est indigentia.- Sed contra, creatura quaelibet est indigentis naturae, et tamen non praeexistit receptioni qua recipit esse a Deo. Non ergo excludit indigentiam a recipiente hoc quod receptioni non praeexistit.

14. Mais on dira que celui qui reoit, quand il prexiste la rception, en a besoin, mais quand il l'a reu, il nen a plus besoin. Le Fils et l'Esprit saint reoivent de Dieu le Pre, cependant ils ne prexistent pas la rception ; et ainsi il n'y a en eux aucun besoin. En sens contraire n'importe quelle crature est d'une nature dans le besoin et cependant elle ne prexiste pas la rception par laquelle elle reoit l'tre de Dieu. Donc, ce qui ne prexiste pas la rception n'exclut pas le besoin de celui qui reoit.

q. 10 a. 1 arg. 15 Praeterea, omne quod non habet aliquid nisi secundum quod recipit illud ab alio, in se consideratum caret illo ; sicut aer in se consideratus caret lumine, quod ab alio recipit. Si ergo Filius et Spiritus sanctus non habent esse nisi per hoc quod recipiunt a Patre (quod oportet dicere, si a Patre procedunt), necesse est quod si in se considerentur, nihil sint. Quod autem in se consideratum nihil est, si habeat esse ab alio, oportet quod ex nihilo est, et ita quod sit creatura. Si ergo Filius et Spiritus sanctus procedunt a Patre, oportet quod sint creaturae ; quod est Arianae impietatis. Non ergo est processio in divinis personis.

15. Tout ce qui n'a que dans la mesure o il le reoit d'un autre, considr en soi, en manque ; ainsi l'air considr en soi manque de lumire, qu'il reoit d'un autre. Donc si le Fils et l'Esprit n'ont l'tre que par ce qu'ils reoivent du Pre (ce qu'il faut dire, s'ils procdent de lui), il est ncessaire que, si on les considre en soi, ils ne soient rien. Mais ce qui, considr en soi n'est rien, s'il a l'tre d'un autre, doit venir du nant et ainsi tre une crature. Donc si le Fils et l'Esprit saint procdent du Pre, il faut qu'ils soient des cratures, ce qui est l'hrsie Arienne. Il ny a donc pas de procession dans les personnes divines.

q. 10 a. 1 arg. 16 Praeterea, quod procedit ab aliquo, ad hoc procedit ut sit. Quod autem procedit ut sit, non semper fuit ; sicut quod procedit ad locum, non semper fuit in loco illo. Personae autem divinae sunt sempiternae. Ergo nulla persona divina est procedens.

16. Ce qui procde de quelque chose, en procde pour exister. Mais ce qui procde pour exister n'a pas toujours exist ; ainsi ce qui procde vers un lieu n'y a pas toujours t. Mais les Personnes divines sont ternelles. Donc aucune ne procde.

q. 10 a. 1 arg. 17 Praeterea, principium a quo aliquid procedit, habet aliquam auctoritatem respectu illius quod procedit a principio. Si ergo aliqua persona divina procedit ab alia, utpote Filius et Spiritus sanctus a Patre, oportet quod in Patre sit aliqua auctoritas respectu Filii et Spiritus sancti : et ita, cum auctoritas sit quaedam dignitas, aliqua dignitas erit in Patre quae non est in Filio et Spiritu sancto ; et sic erit inaequalitas in divinis personis : quod est contra Athanasium dicentem [in Symbolo] quod in Trinitate nihil est prius et posterius ; nihil maius aut minus : sed totae tres personae coaeternae sibi sunt et coaequales. Non ergo est processio in divinis personis.

17. Le principe d'o quelque chose procde, a une autorit par rapport ce qui procde de lui. Donc si une personne divine procde d'une autre, savoir si le Fils et l'Esprit saint procdent du Pre, il faut quil y ait dans le Pre une autorit sur le Fils et l'Esprit saint, et comme lautorit est une dignit, il y aura dans le Pre une dignit qui nest pas dans le Fils et lEsprit saint et ainsi il y aura une ingalit dans les personnes divines, ce qui est contre Athanase qui dit (dans le Symbole) que dans la Trinit, rien nest avant ni aprs ; rien de plus grand ou plus petit, mais les trois personnes sont coternelles et gales entre elles. Donc il n'y a pas de procession dans les personnes divines.

 

En sens contraire :

q. 10 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit Filus Ioan. cap. VIII, 42 : Ego ex Deo processi et veni.

1.Il y a ce que dit le Fils (Jn, 8, 42) : Moi, jai procd[997] et je suis venu de Dieu.

q. 10 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Ioan. XV, 26, dicitur, quod Spiritus veritatis, qui a Patre procedit. Est ergo processio in divinis personis.

2. En Jn 15, 26, il est dit que L'Esprit de vrit, (qui) procde du Pre Donc il y a procession dans les personnes divines.

 

Rponse :

q. 10 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod cognitio intellectiva in nobis sumit principium a phantasia et sensu, quae ultra continuum se non extendunt ; et inde est quod ex his quae in continuo inveniuntur, transumimus nomina ad omnia quae capimus intellectu ; sicut patet in nomine distantiae, quae primo invenitur in loco, et exinde transumitur ad quamcumque formarum differentiam, propter quod omnia contraria, in quocumque sint genere, dicuntur esse maxime distantia, licet distantia primo inveniatur in ubi, ut philosophus dicit in X Metaph. [comm. 13].

 Il faut dire que la connaissance intellectuelle prend en nous son principe de l'imagination et de la sensation qui ne s'tendent pas au-del de ce qui est continu[998] et de l vient que, de ce qui se trouve dans le continu, nous transfrons les noms tout ce que nous saisissons par l'esprit ; comme cela apparat dans le nom de distance qui se trouve d'abord dans le lieu, et de l est transfr nimporte quelle diffrence de formes, en raison de quoi on dit que tous les contraires, en n'importe quel genre qu'ils soient, sont trs distants, bien que la distance se trouve d'abord dans le lieu, comme le dit le philosophe (Mtaphysique X, 4, 1055 a 8[999]).

Similiter autem nomen processionis primo est inventum ad significandum motum localem, secundum quem aliquid ordinate ab uno loco per media ordinatim in extremum transit ; et ex hoc transumitur ad significandum omne illud in quo est aliquis ordo unius ex alio, vel post aliud ; et inde est quod in omni motu utimur nomine processionis ; sicut dicimus, quod corpus procedit ab albedine in nigredinem, et de parva quantitate ad magnam et de non esse in esse, et e converso, et similiter utimur nomine processionis, ubi est aliqua emanatio alicuius ab aliquo ; sicut dicimus quod radius procedit a sole, et omnis operatio ab operante, et etiam operatum, sicut artificiatum ab artifice, vel genitum a generante ; et universaliter omnium huiusmodi ordinem nomine processionis significamus.

Mais de la mme manire on a trouv d'abord le nom de procession pour signifier le mouvement local selon lequel quelque chose passe avec ordre d'un lieu son extrmit par des intermdiaires[1000] et de l il est transfr pour signifier tout ce en quoi il y a un ordre de l'un par un autre, ou aprs l'autre ; et de l vient que dans tout mouvement nous utilisons le nom de procession ; ainsi nous disons, que le corps procde de la blancheur la noirceur, d'une petite quantit une grande, et du non tre l'tre, et inversement, et de la mme manire nous utilisons le nom de procession l ou il y a une manation dune chose partir dune autre[1001], comme nous disons que le rayon procde du soleil, et toute opration de celui qui opre, et aussi luvre, comme uvre artisanale procde de l'artisan, l'engendr de celui qui engendre, et universellement nous dsignons du nom de procession l'ordre de toutes choses de ce genre.

Est autem duplex operatio :  Quaedam quidem transiens ab operante in aliquid extrinsecum, sicut calefactio ab igne in lignum ; et haec quidem operatio non est perfectio operantis, sed operati : non enim aliquid acquiritur igni ex hoc quod est calefaciens, sed calefactio acquiritur calor.  Alia vero est operatio non transiens in aliquid extrinsecum, sed manens in ipso operante, sicut intelligere, sentire, velle, et huiusmodi. Hae autem operationes sunt perfectiones operantis : intellectus enim non est perfectus nisi per hoc quod est intelligens actu; et similiter nec sensus, nisi per hoc quod actu sentit.

Mais l'opration est double :  a) L'une qui passe de celui qui opre en quelque chose d'extrieur, comme l'chauffement dans le bois par le feu, et cette opration n'est pas la perfection de celui qui opre, mais de ce qui subit lopration ; car rien n'est acquis pour le feu du fait qu'il chauffe, mais l'chauffement est acquis comme chaleur. b) Lautre est lopration qui ne passe pas sur quelque chose dextrieur, mais demeure dans celui qui opre, comme comprendre, sentir, vouloir, etc.. Ces oprations sont les perfections de celui qui opre ; car lintellect nest parfait que par celui qui comprend en acte ; et de la mme manire, les sens non plus moins qquil prouve une sensation en acte.

Primum autem operationum genus commune est viventibus et non viventibus, sed secundum operationum genus est proprium viventium ; unde, si largo modo accipiamus motum pro qualibet operatione, sicut philosophus accipit in III de Anima [comm. 28], ubi dicitur, quod sentire et intelligere sunt motus quidam, non quidem motus qui est actus imperfecti, ut definitur III Physic. [comm. 1], sed motus qui est actus perfecti, sic proprium videtur esse viventis, et in hoc ratio videtur consistere, quod aliquid sit movens se ipsum. Nam quidquid invenimus per se et in se operari quocumque modo, dicimus vivere ; et per hunc modum Plato posuit, quod primum movens movet se ipsum.

Le premier genre d'opration est commun aux vivants et aux non vivants, mais le second est le propre des vivants ; c'est pourquoi, si nous considrons le mouvement au sens large pour une opration quelconque, comme le Philosophe l'admet (LՉme, III, 7, 431 a 7), l o il est dit que la sensation et l'intellection sont des mouvements[1002], non cependant le mouvement qui est dun acte imparfait, comme il est dfini en Physique (III, 1, 200 b 30 201 a 2[1003]), mais le mouvement qui est d'un acte parfait, alors il apparat comme le propre du vivant, et cest en cela que semble consister la raison pour laquelle une chose se meut elle-mme. Car nous disons que vit tout ce que nous trouvons qui opre par soi et en soi de quelque manire, et de cette manire Platon a pens (Time) que le premier moteur se meut lui-mme.

Secundum autem utrumque operationis genus invenitur in creaturis aliqua processio : nam secundum primum genus dicimus, quod generatum procedit a generante, et factum a faciente. Quantum autem ad secundum operationis genus, dicimus, quod verbum procedit a dicente, et amor ab amante. Huiusmodi autem duplex operationis genus Deo attribuimus. Genus quidem operationis in aliud extrinsecum transeuntis Deo attribuimus, in quantum dicimus, quod creat, conservat et gubernat omnia. Ex quo quidem operationis genere nulla perfectio Deo advenire significatur, sed magis quod proveniat in creatura perfectio ex perfectione divina.

On trouve une procession dans les cratures selon ces deux genres d'opration. Car selon le premier genre, nous disons que l'engendr procde de celui qui engendre, et ce qui est fait de ce qui le fait. Quant au second genre, nous disons que le verbe procde de celui qui parle, et l'amour de celui qui aime. On attribue Dieu ce double genre d'opration. Celui de l'opration qui passe en un autre qui est extrieur, nous l'attribuons Dieu dans la mesure o nous disons qu'il cre, conserve et gouverne tout. Ce genre d'opration signifie qu'aucune perfection ne peut venir en Dieu, mais plutt que la perfection parvient la crature partir de la perfection divine.

Aliud vero operationis genus Deo attribuimus, in quantum ipsum intelligentem et volentem dicimus, in quo ipsius perfectio significatur. Non enim esset perfectus, nisi esset intelligens et volens actu ; et inde est quod confitemur eum viventem.

Mais lautre genre dopration, nous lattribuons Dieu dans la mesure o nous parlons de son intellection et de sa volont, en quoi est signifie sa perfection. Car il ne serait pas parfait s'il nՎtait intelligent et volontaire en acte ; et de l vient que nous confessons qu'il est vivant.

Secundum ergo utramque operationem Deo processionem attribuimus : secundum quidem primum operationis genus dicimus divinam sapientiam aut bonitatem in creaturas procedere, ut Dionysius dicit, IX cap. de divin. Nomin. : et etiam quod creaturae procedunt a Deo. Secundum vero aliud operationis genus dicimus in divinis processionem verbi et amoris ; et haec est processio personae Filii a Patre, qui est Verbum ipsius, et Spiritus sancti, qui est amor eius et spiramen vivificum. Unde Athanasius in quodam sermone Nicaeni Concilii [in epistula contra eos qui dicunt Spiritum sanctum esse creaturam] dicit, quod Ariani ponentes Filium et Spiritum sanctum non esse coessentiales patri, per consequens videbantur dicere Deum non viventem et intelligentem, sed mortuum et sine mente.

Donc nous attribuons la procession Dieu selon lune et lautre oprations. Selon le premier genre, nous disons que la sagesse ou la bont divines procdent dans les cratures, comme Denys le dit (Les Noms divins, 9) et aussi que les cratures procdent de Dieu. Mais, selon l'autre genre d'opration, nous parlons en Dieu de la procession du verbe et de l'amour, et c'est celle de la personne du Fils partir du Pre, qui est son Verbe, et celle de l'Esprit saint qui est son amour et le souffle vivificateur. C'est pourquoi Athanase, dans un sermon du Concile de Nice (dans la lettre contre ceux qui disent que l'Esprit saint est une crature), dit que les Ariens pensant que le Fils et l'Esprit saint n'taient pas coessentiels au Pre, paraissaient par consquent dire que Dieu n'tait ni vivant ni intelligent, mais mort et sans esprit

 

Solutions :

q. 10 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obiectio illa procedit de processione quae attenditur secundum operationem in aliquid extrinsecum transeuntem. Sic autem non procedunt divinae personae, sed magis per modum processionis quae attenditur secundum operationem in operante manentem ; quod enim sic procedit non distat ab eo a quo procedit ; sicut etiam humanum verbum est in intellectu loquentis, non distans ab eo.

 1. Cette objection provient de la processions qui concerne l'opration qui passe dans quelque chose d'extrieur. Mais ce n'est pas ainsi que les personnes divines procdent, mais plutt la manire de la procession qui sՎtend l'opration qui demeure dans celui qui opre ; car ce qui procde ainsi n'est pas loign de ce dont il procde ; ainsi le verbe humain est dans l'intellect de celui qui parle, sans tre loign de lui.

q. 10 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod processio prout significat motum localem, non ponitur in divinis personis, sed secundum quod importat quemdam emanationis ordinem.

 2. Dans la mesure o elle signifie le mouvement local, la procession n'est pas tablie dans les personnes divines, mais selon qu'elle apporte un certain ordre d'manation.

q. 10 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in processione quae est motus localis, necesse est quod procedens processioni praeintelligatur, cum sit eius subiectum ; sed in processione quae importat originis ordinem procedens se habet ad processionem ut terminus. Unde si procedens sit ex materia et forma compositum, et per viam generationis in esse productum, materia quidem praeexistit processioni ut subiectum, forma vero vel etiam compositum, sequitur secundum intellectum ad processionem ut terminus ; sicut cum ignis ab igne per generationem procedit. Cum vero id quod procedit, non est compositum, sed forma tantum, vel etiam per creationem in esse eductum,- cuius terminus est tota rei substantia,- tunc nullo modo procedens praeintelligitur processioni, sed e converso ; sicut creatura non praeintelligitur creationi, nec splendor processioni ipsius a sole, nec verbum processioni eius a dicente ; et similiter nec verbum processioni eius a Patre.

 3. Dans la procession qui est un mouvement local, il est ncessaire que ce qui procde soit prconu la procession, puisqu'il est son substrat, mais dans la procession qui apporte un rapport l'origine, ce qui procde se comporte comme le terme. C'est pourquoi si ce qui procde est compos de matire et de forme, et a t amen l'tre par voie de gnration, la matire prexiste la procession comme substrat, mais la forme ou aussi le compos arrive selon le concept la procession comme son terme ; comme quand le feu procde du feu par gnration. Mais quand ce qui procde n'est pas compos, mais est une forme seulement, ou encore est amen lՐtre par cration, dont le terme est toute la substance de la chose alors ce qui procde nest conu en aucune manire avant la procession, mais cest le contraire ; ainsi la crature n'est pas conue avant la cration, ni la splendeur sa procession du soleil, ni le verbe avant la procession de celui qui l'nonce et semblablement ni le Verbe avant sa procession du Pre.

q. 10 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum processionem quae importat originis ordinem, potest aliquid procedere ut in se subsistens, non relatum ad aliud ; quamvis secundum processionem localem procedat aliquid, non ut simpliciter in se subsistat, sed ut sit in loco. Talis autem processio non est in divinis personis.

 4. Selon la procession qui apporte un rapport   l'origine, quelque chose peut procder comme subsistant en soi, et sans rapport autre chose, quoique quelque chose procde selon la procession locale, non pour subsister simplement en soi, mais pour tre en un lieu. Mais une telle procession n'est pas dans les personnes divines.

q. 10 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in intellectualibus substantiis, quae sunt nobilissimae creaturae, est etiam processio secundum operationem intellectus et voluntatis ; et quantum ad hoc invenitur in eis increatae Trinitatis imago. Sed verbum et amor in eis non sunt personae subsistentes : earum enim intelligere et velle non est ipsarum substantia, sed hoc proprium Dei est ; unde verbum et amor procedunt in Deo ut personae subsistentes, non autem in intellectualibus creaturis.

 5. Dans les substances intellectuelles, qui sont les cratures les plus nobles, il y a aussi une procession selon l'opration de l'intellect et de la volont ; et c'est en cela qu'on trouve en elles l'image de la Trinit incre. Mais le verbe et l'amour ne sont pas en elles des personnes subsistantes ; car leur intellection et leur volont ne sont pas leur substance, mais cest le propre de Dieu ; c'est pourquoi le verbe et l'amour procdent en Dieu comme personnes subsistantes, mais non pas dans les cratures intellectuelles.

q. 10 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod habere originem ab aliquo quod sit in essentia diversum, derogat dignitati divinae : hoc enim est proprium creaturae ; sed habere originem ab aliquo coessentiali, magis ad perfectionem divinam pertinet. Non enim esset in divinitate perfectio, nisi esset ibi intelligere et velle in actu. Quibus positis necesse est poni verbi et amoris processionem.

 6. Tirer une origine de quelque chose qui est diffrent en essence droge la dignit divine ; car cest le propre de la crature ; mais avoir une origine de quelqu'un de coessentiel, convient mieux la perfection divine. Car il n'y aurait pas de perfection en Dieu, s'il n'y avait pas d'intellection et de vouloir en acte. Ceux-ci tablis, il est ncessaire de placer la procession du verbe et de l'amour.

q. 10 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet accipere, in quantum huiusmodi, perfectionem non dicat, tamen ex parte eius a quo accipitur, perfectionem importat, et praecipue in divinis personis, quae accipiunt plenitudinem deitatis.

 7. Bien que recevoir, en tant que tel, n'indique pas une perfection, cependant du ct de ce qui est reu, cela apporte une perfection, et principalement dans les personnes divines qui reoivent la plnitude de la divinit.

q. 10 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Latini doctores raro vel nunquam ad significandum originem divinarum personarum, nomine causae utuntur : tum quia causae apud nos respondet effectus,- unde ne cogamur Filium vel Spiritum sanctum factos dicere, Patrem non dicimus causam eorum,- tum quia apud nos nomen causae significat aliquid in essentia diversum ; dicimus enim causam ad quam sequitur aliud ; tum etiam quia apud gentiles philosophos nomen causae dictum de Deo, habitudinem ipsius ad creaturas designat. Dicunt enim Deum esse primam causam, et creaturas esse eius causata. Unde ne aliquis Filium et Spiritum sanctum inter creaturas secundum essentiam a Deo diversas suspicetur esse ponendas, nomen causae refugimus in divinis. Graeci tamen absolutius in divinis utuntur nomine causae, ex ipso solam originem significantes ; et ideo in divinis personis utuntur nomine causae. Aliquid enim inconvenienter in lingua Latina dicitur quod propter proprietatem idiomatis convenienter in lingua Graeca dici potest. Non autem oportet si nomen causae confitemur in divinis secundum Graecos, quod eodem modo accipiatur sicut cum de creaturis dicitur, prout in quatuor genera secundum philosophos dividitur.

 8. Les docteurs latins, utilisent rarement ou mme jamais le nom de cause pour signifier l'origine des personnes divines ; dune part, parce que l'effet ne rpond pas la cause pour nous c'est pourquoi pour ne pas tre forcs de dire que le Fils ou le Saint Esprit ont t faits, nous ne disons pas que le Pre est leur cause, - dautre part, parce que, pour nous, le nom de cause signifie quelque chose de diffrent dans l'essence ; car nous parlons de la cause pour ce do dcoule une autre chose ; enfin aussi, parce que chez les philosophes paens le nom de cause employ pour Dieu dsigne sa relation aux cratures. Car ils disent que Dieu est la cause premire et que les cratures sont ses effets. C'est pourquoi pour que personne ne souponne qu'on place le Fils et l'Esprit saint parmi les cratures de Dieu diffrentes en l'essence, nous refusons le nom de cause en Dieu. Cependant les Grecs usent du nom de cause de faon plus absolue, en signifiant sa seule origine ; et c'est pourquoi pour les personnes divines, ils se servent de ce nom de cause. Car on dit quelque chose de manire inconvenante en latin, qui cause de la proprit de la langue peut tre dit convenablement en grec. Mais, il ne faut pas, si nous utilisons le nom de cause en Dieu, selon les Grecs, qu'il soit reu de la mme manire dont on parle des cratures, selon que la cause est divise en quatre genres par les philosophes.

q. 10 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod inter omnia ad originem spectantia magis convenit in divinis hoc nomen principium. Quia enim divina comprehendi a nobis non possunt, convenientius a nobis significantur per nomina communia quae indefinite aliquid significant, quam per nomina specialia, quae definite rei species exprimunt ; unde hoc nomen qui est, quod secundum Damascenum significat substantiae pelagus infinitum, convenientissimum nomen dicitur esse, ut patet Exod. III, 14. Sicut autem causa communior est quam elementum, quod significat aliquid primum et simplex in genere causae materialis, ita etiam principium est communius quam causa ; nam prima pars motus vel lineae dicitur principium sed non causa. In quo patet quod principium potest dici aliquid quod non est secundum essentiam distinctum, ut punctum lineae ; non autem causa, maxime si loquamur de causa originante, quae est causa efficiens. Quamvis autem Pater dicatur esse principium Filii et Spiritus sancti, non tamen videtur indifferenter dicendum, quod Filius sit principiatum, vel etiam Spiritus sanctus, licet etiam hoc modo loquendi Graeci utantur, et possit apud sane intelligentes concedi ; tamen ea quae minorationem aliquam importare videntur, refugere debemus, ne Filio vel Spiritui sancto attribuantur, propter Arianorum errorem vitandum ; sicut Hilarius [ in lib. De Trinitate, etsi concedat Patrem esse maiorem Filio propter auctoritatem originis, non tamen concedit quod Filius sit minor Patre cui est aequale esse donatum a Patre. Et similiter non est extendendum nomen subauctoritatis vel principiati in Filio, licet nomen auctoritatis, vel principii concedatur in Patre.

 9. Pour tout ce qui concerne l'origine, le nom de principe convient plus en Dieu. En effet, parce que nous ne pouvons pas comprendre ce qui concerne Dieu, on le signifie par des noms communs qui ont une signification indfinie plus convenablement que par les noms spciaux qui expriment l'espce de manire dfinie ; c'est pourquoi ce nom "qui est" , qui, selon Jean Damascne, signifie une mer infinie de substance, est considr comme le nom qui convient le mieux, comme on le voit dans Ex. 3, 14[1004]. De mme que la cause est plus commune que l'lment qui signifie quelque chose de premier et de simple, dans le genre de la cause matrielle, de mme le principe est plus commun que la cause ; car la premire partie du mouvement ou de la ligne est appele principe mais non pas cause. En quoi il apparat quon peut dire que le principe est quelque chose de distinct en l'essence, comme le point de la ligne ; mais non pas la cause, surtout si nous parlons de la cause d'origine quest la cause efficiente. Mais quoiqu'on dise que le Pre est le principe du Fils et de l'Esprit saint, cependant il ne semble pas qu'on doive dire indiffremment que le Fils ou aussi l'Esprit saint dpendent dun principe, bien que les Grecs utilisent cette manire de parler, et on pourrait laccepter de ceux qui pensent juste ; par contre nous devons refuser ce qui semble apporter une diminution, pour ne pas l'attribuer au Fils ou l'Esprit saint, pour viter l'erreur des Ariens ; selon Hilaire (la Trinit, 7), mme s'il concde que le Pre est plus grand que le Fils cause de l'autorit d'origine, il ne concde cependant pas que le Fils soit plus petit que le Pre[1005], lui en qui un tre gal a t donn par le Pre. Et de la mme manire, il ne faut pas tendre au Fils le nom de soumission ou de dpendance un principe, bien que le nom d'autorit ou de principe soit concd au Pre.

q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Filius Dei non se habet ad potentiam generativam sicut effectus, cum eum genitum, non factum confiteamur. Si tamen esset effectus, potentia generantis non finiretur ad ipsum, quamvis alius generari Filus non possit, quia ipse infinitus est. Quod autem alius Filus in divinis esse non potest, contingit, quia ipsa filiatio est proprietas personalis ipsius ; et hoc quo, ut ita dicam, individuatur. Cuilibet autem individuo principia individuantia sunt soli sibi ; alias sequeretur quod persona vel individuum esset communicabile ratione.

 10. Le Fils de Dieu ne se comporte pas vis--vis de la puissance gnrative comme un effet, puisque nous confessons quil est engendr et non cr. Si cependant il tait un effet, la puissance de celui qui engendre ne se terminerait pas lui quoiqu'un autre fils ne puisse tre engendr, puisquil est lui-mme infini. Mais le fait quun autre fils ne puisse pas exister en Dieu, arrive parce que la filiation mme est sa proprit personnelle et ce par quoi il est personalis pour ainsi dire. Pour nimporte quel individu les principes qui individualisent sont pour lui seul ; autrement il sensuivrait que la personne ou lindividu serait communicable en raison.

q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum illud Avicennae intelligendum est, quando id quod recipitur ab alio, non idem numero est in recipiente et dante, sicut accidit in creaturis respectu Dei. Unde omne receptum in creatura, est quasi unitas respectu esse divini : quia creatura non potest esse recipere secundum illam perfectionem quae in Deo est. Sed Filius in divinis accipit a Patre eamdem naturam numero quam Pater habet : et ideo non procedit.

 11. Il faut comprendre que ce mot dAvicenne sapplique quand ce qui est reu dun autre nest pas identique en nombre dans celui qui reoit et celui qui donne, comme cela arrive pour les cratures par rapport Dieu. C'est pourquoi tout ce qui est reu dans la crature est comme une unit par rapport lՐtre divin ; parce que la crature ne peut pas recevoir lՐtre selon cette perfection qui est en Dieu. Mais le Fils reoit du Pre une nature identique en nombre celle du Pre ; et cest pourquoi, cette objection n'est pas valable.

q. 10 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod non omne est aliquid commune patri, scilicet essentia ; et aliquid per quod a Patre distinguitur, scilicet relatio. Non tamen est ibi compositio, quia relatio est secundum rem essentia, sicut ex superioribus disputationibus patet.

 12. Tout nest pas commun avec Pre, comme l'essence ; il y a quelque chose par quoi il est ditingu du Pre savoir la relation. Cependant il n'y a pas composition, parce que la relation est rellement l'essence, comme cela parat dans les discussions ci-dessus (qu. 8, a. 2).

q. 10 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod recipiens, antequam recipiat, indiget,- ad hoc enim accipit, ut indigentiam repleat,- sed postquam iam acceperit non indiget, habet enim quo indigebat. Si ergo aliquid est quod receptioni non praeexistit, sed semper est in recepisse, hoc nullo modo est indigens. Filius autem non sic accipit a Patre quasi prius non habens et postea accipiens ; sed quia hoc ipsum quod est, habet a Patre. Unde non sequitur quod sit indigens.

 13. Ce qui reoit, avant de recevoir en prouve le besoin car il reoit cela pour combler son manque, mais aprs qu'il a reu il n'en a plus besoin, car il a ce qui lui manquait. Donc s'il y a quelque chose qui ne prexiste pas la rception, mais est toujours comme ayant reu, il nen prouve le besoin en aucune manire. Mais le Fils ne reoit pas du Pre, comme sil navait pas auparavant, et recevait ensuite ; mais parce que ce quil est, il le tient du Pre. C'est pourquoi il n'en dcoule pas qu'il en a besoin.

q. 10 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod creatura accipit a Deo esse quoddam, quod non esset permanens, nisi divinitus conservaretur ; et ideo etiam postquam esse accepit, indiget divina operatione ut conservetur in esse, et sic est naturae indigentis. Filius autem accipit a Patre idem numero esse et eamdem naturam numero quam Pater habet ; unde non est naturae indigentis.

 14. La crature reoit de Dieu un tre, qui ne serait pas permanent s'il n'tait divinement conserv et c'est pourquoi mme aprs qu'elle l'a reu, elle a besoin de l'opration divine pour tre conserve l'tre, et ainsi elle est d'une nature qui est dans le besoin. Mais le Fils reoit du Pre le mme tre en nombre, la mme nature en nombre[1006], que le Pre ; c'est pourquoi il n'est pas d'une nature dans le besoin.

q. 10 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod Filius in se consideratur secundum illud quod absolute habet, quod est Patris essentia ; et secundum hoc non est nihil, sed unum cum Patre. Secundum vero quod refertur ad Patrem, consideratur ut recipiens esse a Patre : unde nec sic etiam est nihil ; et ita nullo modo Filius est nihil. Esset autem in se consideratus nihil, si esset in eo aliquid absolutum distinctum a Patre, sicut est in creaturis.

 15. Le Fils est considr en soi, selon ce qu'il a dans labsolu, qui est l'essence du Pre, et selon cela il n'est pas nant, mais un avec le Pre. Mais pour ce qui se rapporte au Pre, il est considr comme recevant lՐtre de lui ; c'est pourquoi ainsi non plus il n'est pas nant, et ainsi en aucune manire le Fils nest nant. Mais il le serait, considr en soi, s'il y avait en lui quelque chose d'absolu distinct du Pre, comme dans les cratures.

q. 10 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Filius ad hoc procedit ut sit ; sed processio eius est aeterna, sicut processio splendoris a sole est ei coaeva ; et propter hoc etiam Filius est aeternus.

 16. Le Fils procde pour tre, mais sa procession est ternelle, comme la procession de la splendeur du soleil lui est contemporaine. Et c'est pour cela que le Fils est ternel.

q. 10 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod auctoritas in Patre non est aliud quam relatio principii. Secundum relationem autem non dicitur aliquid aequale vel inaequale, sed secundum quantitatem, ut Augustinus dicit [lib. VI de Trinitate, caP. IV et lib. V, cap. VI] et propter hoc Filius non est inaequalis Patri.

 17. L'autorit dans le Pre n'est pas autre chose qu'une relation de principe. Mais pour la relation, on ne parle pas dՎgalit ou dingalit, mais on en parle selon la quantit[1007], comme Augustin le dit (La Trinit, VI, III, 5) et cause de cela le Fils n'est pas ingal au Pre.

 

 

 

Article 2  En Dieu n'y a-t-il qu'une seule procession ou plusieurs ?

q. 10 a. 2tit. 1 Secundo quaeritur utrum in divinis sit una tantum processio vel plures.  Et videtur quod sit una tantum.

  Il semble qu'il n'y en a qu'une seulement[1008].

 

Objections :

q. 10 a. 2arg. 1 Dicit enim Boetius in libro de Trinitate, quod processio in Deo est substantialis. Substantialia autem non multiplicantur in divinis. Ergo processiones in divinis non sunt plures.

1. Car Boce dit (La Trinit) que la procession en Dieu est selon la substance. Mais ce qui est substantiel n'est pas multipli en lui. Donc il ny a pas plusieurs processions.

q. 10 a. 2arg. 2 Sed dicendum, quod processiones in divinis non distinguuntur per distinctionem substantiae, quae secundum processionem communicatur, ratione cuius processiones substantiales dicuntur ; sed distinguuntur seipsis.- Sed contra, quaecumque ab invicem distinguuntur, vel distinguuntur per divisionem materiae, sicut individua eiusdem speciei ; vel formaliter, sicut ea quae differunt vel genere vel specie. Processione autem non distinguuntur in divinis ad modum eorum quae materialiter distinguuntur, cum Deus sit omnino immaterialis. Relinquitur ergo quod omnis distinctio quae est in divinis, sit ad modum eorum quae formaliter distinguuntur. Omnis autem formalis distinctio est per aliquam oppositionem, et maxime eorum quae sunt unius generis : nam genus dividitur contrariis differentiis, per quas species distinguuntur, ut dicitur in X Metaph.[com. 25]. Oportet ergo, si processiones distinguantur in divinis, quod hoc sit ratione alicuius oppositionis. Processiones autem et actiones et motus non habent oppositionem ad invicem nisi ratione principiorum vel ratione terminorum, sicut patet de calefactione et infrigidatione, ascensu et descensu. Ergo impossibile est quod processiones in divinis distinguantur seipsis : sed si distinguuntur, oportet quod distinguantur ex parte principii processionis, vel ex parte termini, id est personae ad quam processio terminatur.

2. Mais il faut dire que les processions en Dieu ne se distinguent pas par la substance, qui est communique selon la procession, pour la raison que les processions sont appeles  substantielles ; mais elles se distinguent d'elles-mmes Mais en sens contraire, tout ce qui se distingue l'un de l'autre se distingue par la division de la matire, comme les individus d'une mme espce, ou formellement, comme ce qui diffre en genre ou en espce. Mais les processions ne se distinguent pas en Dieu la manire de ce qui est distingu par la matire, puisque Dieu est tout fait immatriel. Il reste donc quen lui toute distinction serait la manire de ce qui se distingue par la forme. Mais toute distinction formelle se fait par une opposition et surtout pour ce qui est d'un seul genre ; car le genre est divis par des diffrences contraires, par lesquelles les espces se distinguent, comme il est dit en Mtaphysique X, 8, 1058 a 28[1009]. Il faut donc, si les processions se distinguent en Dieu, que ce soit en raison d'une opposition entre elles. Mais les processions, les actions et les mouvements nont doppositions entre eux, quen raison des principes ou en raison des termes, comme cela apparat pour le rchauffement ou le refroidissement, la monte ou la descente. Donc il est impossible que les processions en Dieu se distinguent par elles-mmes, mais si elles se distinguent, il faut qu'elles le soient du ct du principe de la procession, ou du ct du terme, c'est--dire de la personne laquelle la procession se termine.

q. 10 a. 2arg. 3 Praeterea, ea quae possunt simul esse, non sunt distinctiva aliquorum : sicut album et dulce non sunt distinctiva duorum substantivorum, quia possunt eidem inesse ; ex hoc enim unumquodque ab altero distinguitur quod unum eorum alterum esse non potest. Quod aliqua autem non possint esse simul, hoc contingit ex natura alicuius oppositionis ; ea enim dicuntur esse opposita quae simul esse non possunt. Nihil igitur distinguitur ab altero nisi ratione alicuius oppositionis ; nam et in divisione quae est secundum materiam, attenditur oppositio secundum situm, cum eadem divisio sit secundum quantitatem. Si ergo oppositio processionum esse non potest nisi ratione terminorum vel principiorum, ut dictum est, impossibile est quod processiones distinguantur seipsis.

3 Ce qui peut tre ensemble napporte pas de distinction ; comme la blancheur et la douceur napportent pas de distinction entre deux substances ( ? ?), parce qu'elles peuvent tre dans une mme ralit, car l'une se distingue de l'autre, parce que l'une ne peut pas tre lautre. Que certains ne puissent pas tre ensemble, cela arrive en raison d'une opposition ; car on dit que les opposs ne peuvent pas tre ensemble. Donc une chose ne se distingue dune autre quen raison dune opposition, car dans la division daprs la matire, une opposition est atteinte suivant le lieu, puisque c'est la mme division pour la quantit. Si donc l'opposition des processions ne peut exister qu'en raison des termes ou des principes, comme on l'a dit, il est impossible que les processions se distinguent d'elles-mmes.

q. 10 a. 2arg. 4 Sed dicendum, quod processiones distinguuntur in divinis ex eo quod una est per modum naturae, scilicet processio Filii, et altera per modum voluntatis, scilicet processio Spiritus sancti.- Sed contra, quod procedit naturaliter, procedit per modum naturae. Spiritus sanctus autem procedit a Patre naturaliter : dicit enim Athanasius [in epist., contra illos qui Spiritum sanctum dicunt creaturam, incipit : Litterae tui, sansctissime.] quod est naturalis Spiritus Patris. Ergo procedit per modum naturae.

4. Mais il faut dire que les processions se distinguent en Dieu parce que l'une est par mode de nature, savoir la procession du Fils, l'autre par mode de volont, savoir celle de l'Esprit saint. En sens contraire, ce qui procde naturellement procde par mode de nature. L'Esprit saint procde du Pre naturellement. Car Athanase dit (Lettre contre ceux qui disent que l'Esprit saint est une crature et qui commence : Ta lettre, trs saint) qu'il est l'Esprit naturel du Pre. Donc il procde par mode de nature.

q. 10 a. 2arg. 5 Praeterea, voluntas libera est. Quod ergo procedit per modum voluntatis procedit per modum libertatis. Si ergo Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, oportet quod procedat per modum libertatis. Quod autem procedit per modum libertatis, potest procedere et non procedere, et in tantum vel non in tantum procedere ; quia quae libere fiunt, non sunt determinata ad unum, ergo Pater potuit producere Spiritum sanctum vel non producere, et dare ei quamcumque mensuram magnitudinis vellet. Sequitur ergo quod Spiritus sanctus sit ens possibile, et non ens per se necesse esse : et sic non erit divinae naturae ; quod est haeresis Macedonianae.

5. La volont est libre. Donc ce qui procde par mode de volont procde par mode de libert. Si donc lEsprit saint procde par mode de volont, il faut quil procde par mode de libert. Mais ce qui procde ainsi, peut procder ou ne pas procder ; et procder dans telle mesure ou pas ; parce que ce qui se fait librement nest pas limit un seul effet, donc le Pre a pu produire lEsprit saint ou ne pas le produire, et lui donner nimporte quelle grandeur quil voulait. Il en dcoule donc que lEsprit saint est un tant possible et non un tant qui est ncessairement par soi ; et ainsi il ne sera pas de nature divine ; ce qui est lhrsie de Macdonius.

q. 10 a. 2arg. 6 Praeterea, Hilarius dicit [in libro de Synodis], differentiam assignans inter creaturas et Filium, quod omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit, Filius autem naturali nativitate substantiam a Patre accepit. Si ergo Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, sequitur quod procedit sicut creatura.

6. Hilaire dit (dans le livre des Synodes), assignant une diffrence entre les cratures et le Fils, que la volont de Dieu apporte toutes cratures la substance, mais le Fils reoit la sienne du Pre par une naissance naturelle. Si donc lEsprit saint procde par mode de volont, il en dcoule quil procde comme les cratures.

q. 10 a. 2arg. 7 Praeterea, natura et voluntas in Deo non differunt nisi secundum rationem. Si ergo processio Filii et Spiritus sancti distinguantur ex eo quod una est per modum naturae, altera vero per modum voluntatis, sequitur quod processio Filii et Spiritus sancti non differant nisi ratione tantum ; et ita Filius et Spiritus sanctus personaliter non distinguuntur.

7. La nature et la volont en Dieu ne diffrent quen raison. Si donc la procession du Fils et celle de lEsprit saint sont distingues par le fait que lune est par mode de nature, lautre par mode de volont, il en dcoule que la procession du Fils et celle de lEsprit saint ne diffrent quen raison seulement, et ainsi le Fils et lEsprit saint ne sont pas distingus personnellement.

q. 10 a. 2arg. 8 Sed dicendum quod vis spirativa et generativa in Patre differunt ratione tantum, et tamen haec est distinctio realis in Filio et spiritu sancto ; et similiter natura et voluntas possunt realem distinctionem in processionibus et procedentibus constituere, licet differant ratione tantum.- Sed contra, Filius et Spiritus sanctus distinguuntur per ea quae in eis sunt. Vis autem generativa non est in Filio, nec spirativa in spiritu sancto. Ergo per haec Filius et Spiritus sanctus non distinguuntur.

8. Mais il faut dire que la puissance de spiration et la puissance gnrative dans le Pre diffrent en raison seulement et cependant cest une distinction relle dans le Fils et lEsprit saint ; et de la mme manire, la nature et la volont peuvent constituer une distinction relle dans les processions et dans ce qui procde, bien quils diffrent en raison seulement. En sens contraire, le Fils et lEsprit saint se distinguent par ce qui est en eux. Mais la puissance gnrative nest pas dans le Fils, ni la puissance de spiration dans lEsprit saint. Donc ce nest pas cela qui distingue le Fils et lEsprit saint.

q. 10 a. 2arg. 9 Praeterea, ex hoc ostenditur quod generatio, quae est processio per modum naturae, est in divinis, quod eius similitudo creaturae communicatur, ut patet Is., LXVI, 9 :Numquid ego qui (...) generationem aliis tribuo sterilis ero ? Processio autem quae est per modum voluntatis non communicatur creaturae, non enim invenitur in creaturis aliquid quod naturam accipiat nisi per modum generationis. Non est ergo aliqua processio in divinis personis per modum voluntatis.

9. Par l, on montre que la gnration, qui est une procession par mode de nature, est en Dieu, parce que sa ressemblance est communique la crature, comme cela parat en Is. 66, 9 : Est-ce que moi qui accorde la gnration aux autre, je serai strile ? Mais la procession qui est par mode de volont nest pas communique aux cratures, car on ne trouve rien en elles qui reoit la nature sinon par mode de gnration. Donc il ny a pas de procession dans les personnes divines par mode de volont.

q. 10 a. 2arg. 10 Praeterea, modus aliquid adiicit rei et per consequens compositionem facit ; et multo magis, si sit modorum pluralitas. Sed in divinis est omnimoda simplicitas. Ergo non est ibi modorum pluralitas, ut possit dici, quod Filius procedit uno modo, scilicet per modum naturae, et Spiritus sanctus alio modo, scilicet per modum voluntatis.

10. Une modalit est un ajout et par consquent produit une composition, et beaucoup plus, sil y a pluralit de modalits. Mais en Dieu il y a la simplicit de toutes les manires. Donc il ny a pas pluralit de modalits, pour quon puisse dire que le Fils procde dune manire, savoir celui de la nature, et lEsprit saint dune autre, savoir celui de la volont.

q. 10 a. 2arg. 11 Praeterea, in divinis voluntas non plus differt a natura quam intellectus. Sed non est alia processio in divinis per modum intellectus ab ea quae est per modum naturae. Ergo etiam non est alia processio quae est per modum voluntatis, ab ea quae est per modum naturae.

11. En Dieu la volont ne diffre pas plus de la nature que lintellect. Mais il ny a dautre procession par mode desprit que celle qui est par mode de nature. Donc il ny a pas dautre procession qui est par mode de volont que celle qui est par mode de nature.

q. 10 a. 2arg. 12 Sed dicendum, quod processio Spiritus sancti differt a processione Filii, ex eo quod processio Filii est a non procedente tantum, scilicet a Patre ; processio autem Spiritus sancti est a non procedente et procedente, et simul, scilicet a Patre et Filio.- Sed contra, si ponantur duae processiones in divinis, oportet quod differant numero tantum aut specie. Si numero tantum, sequitur quod utraque processio debeat dici generatio vel nativitas, et uterque procedens debeat dici Filius ; si autem differant specie, oportet quod natura per processionem communicata specie differat : sic enim specie differt processio hominis et equi a suo principio, non autem processio Socratis et Platonis. Cum ergo una tantum sit natura divina, non possunt esse plures processiones specie differentes, per hoc quod una est a procedente, alia vero non.

12. Mais il faut dire que la procession de lEsprit saint diffre de celle du Fils, par le fait que celle du Fils est seulement par quelquun qui ne procde pas, savoir par le Pre ; mais la procession de lEsprit saint est par lun qui ne procde pas et lautre qui procde, en mme temps, savoir par le Pre et le Fils. En sens contraire, si on place deux processions en Dieu, il faut quelles diffrent en nombre seulement ou en espce. Si cest en nombre seulement, il en dcoule que lune et lautre processions doivent tre appeles gnration ou naissance, et lun et lautre qui procdent doivent tre appel fils, mais si elles diffrent en espce, il faut que la nature communique par la procession diffre en espce : car ainsi la procession de lhomme et du cheval diffre en espce par son principe, mais pas celle de Socrate et de Platon. Donc comme la nature divine est une seulement, il nest pas possible quil y ait plusieurs processions diffrentes en espces, par le fait que lune vient de celui qui procde et lautre non.

q. 10 a. 2arg. 13 Praeterea, Filius et Spiritus sanctus non distinguuntur ad modum eorum quae specie differunt in creaturis : sunt enim unius naturae hypostases. Processiones autem quibus procedunt aliqua quae sunt specie unum, numero vero differentia, non differunt secundum speciem, sicut generatio Socratis et generatio Platonis. Ergo processio Filii et processio Spiritus sancti non sunt distinctae processiones secundum speciem.

13. Le Fils et lEsprit saint ne se distinguent pas la manire de ceux qui dans les cratures diffrent en espce ; car les hypostases sont dune seule nature. Les processions par lesquelles procdent ce qui est un en espce, mais diffrent en nombre, ne diffrent pas en espce, comme la gnration de Socrate et celle de Platon. Donc la procession du Fils et celle de lEsprit saint ne sont pas des processions diffrentes en espce.

q. 10 a. 2arg. 14 Praeterea, sicut aliquid potest esse procedens a procedente, ita potest esse aliquis natus a nato, ut patet in hominibus, in quibus qui nascitur ab uno habet alium de se natum. Si ergo in divinis sunt duae processiones per hoc quod a procedente alius procedit, pari ratione poterunt esse duae generationes per hoc quod a genito alius generatur.

14. Quelque chose peut procder de celui qui procde, de mme il peut y avoir quelquun n de quelquun qui est n, comme on le voit chez les hommes, en qui celui qui nat de lun a un autre n de lui. Donc si en Dieu il y a deux processions par le fait quun autre procde de celui qui procde, raison gale, il pourra y avoir deux gnrations par le fait quun autre est engendr par celui qui est engender.

q. 10 a. 2arg. 15 Praeterea, si processio Spiritus sancti distinguitur a processione Filii per hoc quod Spiritus sanctus procedit a non procedente et procedente, id est a Patre et Filio, aut procedit ab eis in quantum sunt unum, aut in quantum sunt plures. Si in quantum sunt plures sequitur quod Spiritus sanctus sit compositus : nam processio unius simplicis non potest esse nisi ab uno sicut a principio. Si autem procedit ab eis in quantum sunt unum, nihil differt quod procedit a pluribus, aut quod procedit ab uno solo. Non ergo potest processio Spiritus sancti distingui a processione Filii per hoc quod Filius procedit ab uno solo, sed Spiritus sanctus a duobus.

15. Si la procession de lEsprit saint se distingue de celle du Fils par le fait que lEsprit saint procde de celui qui ne procde pas et de celui qui procde, c'est--dire du Pre et du Fils, ou bien il procde deux en tant quils sont un, ou en tant quils sont plusieurs. Si cest en tant quils sont plusieurs, il en dcoule que lEsprit saint est compos ; car la procession dun tre simple ne peut venir que par un seul en tant que principe. Mais sil procde deux en tant quils sont un, il ny a aucune diffrence quil procde de plusieurs ou quil procde dun seul. Donc la procession de lEsprit saint ne peut pas tre distingue de celle du Fils par le fait que celui-ci procde dun seul, mais lEsprit saint de deux.

q. 10 a. 2arg. 16 Praeterea, processio condividitur paternitati et filiationi : dicuntur enim tres esse proprietates personales. Sed in divinis est tantum una paternitas et una filiatio. Ergo etiam tantum una processio.

16. La procession est divise en paternit et filiation : car on dit quil y a trois proprits personnelles[1010]. Mais en Dieu il y a une seule paternit et une seule filiation. Donc aussi une seule procession.

q. 10 a. 2arg. 17 Praeterea, in creaturis non invenitur nisi unus processionis modus per quem communicetur natura, propter quod Commentator dicit [in VII Phys., com. 23], quod non sunt eadem specie animalia quae generantur ex semine, et quae generantur sine semine per putrefactionem. Natura autem divina est una tantum. Ergo non potest communicari nisi per unum modum processionis : non sunt ergo plures processiones in divinis.

17. Dans les cratures, on ne trouve qu'un mode de procession, par lequel la nature est communique ; c'est pourquoi le Commentateur (Physique, VII, com. 23) dit que les animaux qui sont engendrs de la semence ne sont pas de la mme espce que ceux qui le sont sans semence, par putrfaction. Mais la nature divine est une seulement. Donc elle ne peut tre communique que par un seul mode de procession ; donc il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

q. 10 a. 2arg. 18 Praeterea, Filius procedit a Patre ut splendor, secundum illud Hebr. I, 3 : Qui cum sit splendor gloriae ; et hoc ideo, quia Filius procedit a Patre ut coaeternus ei, sicut splendor a sole vel ab igne. Sed similiter Spiritus sanctus procedit a Patre coaeternus ei. Ergo procedit ab eo eodem modo sicut Filius ; et ita non sunt plures processiones in divinis.

18. Le Fils procde du Pre comme splendeur, selon ce mot d'Hbr. 1, 3 : Celui qui est splendeur de gloire ; parce que le Fils procde du Pre, et lui est coternel comme la splendeur est contemporaine du soleil ou du feu. Mais de la mme manire, l'Esprit saint procde du Pre et lui est coternel. Donc il procde de la mme manire que le Fils, et ainsi il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

q. 10 a. 2arg. 19 Praeterea, processio aeterna divinae personae est ratio et causa temporalis processionis creaturae et eius quod in creatura est. Unde Augustinus super Genesim ad litteram, [libro II, cap. VI], sic exponit illud quod dicit Genes. I : Dixit et factum est ; id est : verbum genuit, in quo erat ut fieret. Filius autem est perfecte ratio et causa productionis creaturae. Non ergo oportet esse aliam processionem divinae personae praeter processionem Filii.

19. La procession ternelle de la personne divine est la raison et la cause temporelle de la procession de la crature et de ce qui est dans la crature. C'est pourquoi Augustin (La Gense au sens littral, II, 6, 14) expose ainsi ce qui est dit en Gn. 1 : Il dit et cela fut fait, c'est--dire il engendra le Verbe dans lequel il y avait que cela serait fait[1011]. Mais le Fils est raison et cause parfaites de la production de la crature. Donc il ne faut pas qu'il y ait une autre procession de la personne divine en dehors de celle du Fils.

q. 10 a. 2arg. 20 Praeterea, quanto natura est perfectior, tanto per pauciora operatur. Sed natura divina est perfectissima. Cum ergo natura creata una non communicetur nisi per unum modum processionis, nec divina natura communicari poterit nisi per unum processionis modum.

20. Plus la nature est parfaite, plus les moyens par lesquels elle opre sont petits. Mais la nature divine est absolument parfaite. Donc comme une seule nature cre n'est communique que par un mode de procession, la nature divine ne pourra tre communique que par une seul mode de procession.

q. 10 a. 2arg. 21 Praeterea, ab uno simplici non potest esse nisi unum. Sed Pater est unum simplex. Ergo ab eo non potest esse nisi processio una ; non sunt ergo processiones plures in divinis.

21. Dune chose simple ne peut venir qu'une seule chose. Mais le Pre est unique et simple. Donc de lui il ne peut y avoir qu'une procession ; ainsi il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

q. 10 a. 2arg. 22 Praeterea, unumquodque ex hoc generari dicitur quod accipit formam ; nam generatio in rebus creatis est mutatio ad formam. Sed Spiritus sanctus sua processione accipit formam, id est essentiam divinam, de qua dicitur Philipp. II, 6 : Cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo. Ergo processio Spiritus sancti est generatio ; et ita non differt a generatione Filii.

22. On dit que chaque chose est engendre du fait qu'elle reoit sa forme[1012] ; car la gnration dans les cratures est changement pour la forme. Mais l'Esprit saint reoit la forme, c'est--dire l'essence divine, par sa procession, dont il est dit (Phil. 2, 6) : Comme il tait de forme divine, il n'a pas jug comme une usurpation dՐtre gal Dieu[1013]. Donc la procession de l'Esprit saint est une gnration, et ainsi elle ne diffre pas de la gnration du Fils.

q. 10 a. 2arg. 23 Praeterea, nativitas est via in naturam, sicut ipsum nomen demonstrat. Sed per processionem Spiritus sancti communicatur ei divina natura. Ergo processio Spiritus sancti est nativitas ; non ergo differt a processione Filii ; et ita non sunt duae processiones in divinis.

23. La naissance est un processus naturel, comme le nom mme le montre. Mais la nature divine est communique lEsprit saint par une procession. Donc celle-ci est une naissance ; donc elle ne diffre pas de celle du Fils, et ainsi il ny a pas deux processions en Dieu.

q. 10 a. 2arg. 24 Videtur quod sint in divinis plures processiones quam duae. Est enim processio per modum naturae, secundum quam Filius nominatur, et processio per modum intellectus, secundum quod nominatur verbum, et processio per modum voluntatis, secundum quam nominatur in divinis amor procedens. Sunt ergo in divinis tres processiones.

24. (1) Il semble[1014] quil y ait plus de deux processions. Car il y a la procession par mode de nature, selon lequel on dsigne le Fils, celle par mode dintellect selon lequel on lappelle le Verbe et celle par mode de volont selon laquelle on dsigne lamour qui procde en Dieu. Donc en Dieu il y a trois processions.

q. 10 a. 2arg. 25 Sed dicendum, quod una et eadem est processio in divinis quae est per modum naturae et quae est per modum intellectus; nam idem est Filius et verbum.- Sed contra, processiones creaturarum exemplatae sunt a processionibus divinarum personarum; unde dicitur Ephes. III, 15, de Deo Patre, quod ex eo omnis Paternitas in caelo et in terra nominatur. Sed in creaturis alia est processio naturae, secundum quam homo generat hominem; et alia processio intellectus, secundum quam intellectus producit verbum. Ergo nec etiam in divinis est una processio quae est per modum intellectus et quae est per modum naturae.

25. (2) Mais il faut dire que c'est une seule et mme procession en Dieu qui est par mode de nature et qui est par mode d'intellect; car le Fils et le Verbe sont identiques. - En sens contraire, les processions des cratures sont les images des processions des personnes divines : c'est pourquoi il est dit en Ep. 3, 15, de Dieu le Pre, que c'est de lui que toute Paternit tire son nom au ciel et sur terre. Mais dans les cratures, autre est la procession de nature, et autre celle de l'intellect selon qu'elle produit le verbe. Donc, il n'y a pas non plus en Dieu qu'une procession qui est par mode d'intellect, et une par mode de nature.

q. 10 a. 2arg. 26 Praeterea, secundum Dionysium [II cap. De divin. Nomin.], ad divinam bonitatem pertinet ut procedat. Sed Pater est summe bonus. Ergo procedit. Sunt ergo in divinis tres processiones : una qua procedit Pater, et alia qua procedit Filius, et tertia qua procedit Spiritus sanctus.

26. (3). Selon Denys (Les Noms divins, ch. 2), il convient la bont divine de procder. Mais le Pre est tout fait bon. Donc il procde. Donc il y a en Dieu trois processions : l'une par laquelle procde le Pre, l'autre par laquelle procde le Fils et la troisime par laquelle procde l'Esprit saint.

 

En sens contraire :[1015] 

q. 10 a. 2s. c. Sed contra, videtur quod in divinis sint duae tantum processiones. Dicit enim Augustinus in V de Trinit., quod processio Filii, genitura vel nativitas est, processio autem Spiritus sancti, nativitas non est ; utraque tamen ineffabilis est. Sunt ergo in divinis duae tantum differentes processiones.

On voit bien qu'en Dieu il n'y a que deux processions seulement. Car Augustin dit (La Trinit, V) que la procession du Fils est engendrement et naissance, mais celle de l'Esprit saint, n'est pas naissance ; cependant l'une et l'autre sont ineffables. Donc en Dieu il n'y a seulement que deux processions diffrentes.

 

Rponse :

q. 10 a. 2co. Respondeo. Dicendum quod haereticorum instantia coegit antiquos fidei doctores de his quae sunt fidei disputare.

La pression des hrtiques a forc les anciens docteurs disserter sur la foi.

A. Arius enim aestimavit quod esse ab alio, divinae repugnaret naturae ; unde posuit quod Filius et Spiritus sanctus, qui in Scripturis sanctis ab alio esse dicuntur, sint creaturae. Ad cuius erroris destructionem necessarium fuit sanctis patribus manifestare quod non est impossibile esse aliquid procedens a Deo Patre quod sit ei coessentiale, in quantum accipit ab eo eamdem naturam quam Pater habet

A. Car Arius a estim que dpendre d'un autre soppose la nature de Dieu ; c'est pourquoi il a pens que le Fils et l'Esprit saint, dont lՃcriture sainte dit quils sont dun autre, sont des cratures. Pour dtruire cette erreur il a t ncessaire aux saints Pres de montrer qu'il n'est pas impossible que ce qui procde de Dieu le Pre lui soit coessentiel, dans la mesure o cela reoit de lui la mme nature que lui.

B. Sed quia Filius ex eo quod accipit a Patre eius naturam, dicitur ab eo natus vel genitus, Spiritus sanctus autem non dicitur in Scripturis natus vel generatus, et tamen dicitur esse a Deo, aestimavit Macedonius quod Spiritus sanctus non sit coessentialis patri, sed sit eius creatura ; non enim credebat quod aliquis possit ab alio naturam eius accipere nisi ab eo nasceretur et eius Filius esset. Unde aestimavit infallibiliter sequi, si Spiritus sanctus accipit a Patre naturam et essentiam eius, quod sit genitus et Filius. Et ideo ad huius erroris exclusionem necessarium fuit quod doctores nostri manifestarent quod divina natura potest communicari duplici processione ; quarum una est generatio vel nativitas, alia vero non ; et hoc est quaerere processionum distinctionem in divinis.

B. Mais parce quon dit que le Fils, du fait qu'il reoit sa nature du Pre, est n de lui ou est engendr, et que l'Esprit Saint, n'est pas appel dans les critures n ou engendr, et cependant il est de Dieu, Macdonius a estim que l'Esprit saint n'tait pas coessentiels au Pre, mais qu'il tait sa crature ; car il ne croyait pas que quelqu'un puisse recevoir sa nature d'un autre, moins qu'il ne soit n de lui et soit son fils. C'est pourquoi, il a estim quil en dcoulait infailliblement, si l'Esprit saint reoit du Pre sa nature et son essence, qu'il serait engendr et fils. Et c'est pourquoi pour repousser cette erreur il a t ncessaire que nos docteurs dmontrent que la nature divine peut tre communique par une double procession ; dont l'une est la gnration ou naissance, mais pas l'autre, et c'est cela chercher la distinction des processions en Dieu.

I. Quidam ergo dixerunt, quod processiones in divinis distinguuntur seipsis ; et ratio huius positionis fuit, quia ponebant quod relationes non distinguunt divinas hypostases, sed earum distinctionem manifestant tantum, aestimantes quod relationes in divinis essent ad modum proprietatum individualium in rebus creatis, quae distinctionem individuorum non causant, sed manifestant tantum. Dicunt ergo quod hypostases in divinis distinguuntur solum per originem. Et quia ea quibus primo aliqua distinguuntur, oportet quod seipsis distinguantur, sicut differentiae oppositae, quibus species differunt, distinguuntur seipsis,- ne in infinitum procedatur,- ideo dicunt, quod processiones in divinis distinguuntur se ipsis

I. Donc certains ont dit que les processions se distinguent delles-mmes en Dieu ; et la raison de cette position a t qu'ils pensaient que les relations ne distinguent pas les hypostases divines, mais manifestent leur distinction seulement, estimant que les relations en Dieu sont la manire des proprits individuelles, dans les cratures, qui ne causent pas la distinction des individus, mais la manifestent seulement. Donc ils disent que les hypostases se distinguent en Dieu seulement par l'origine. Et parce quil faut que ce par quoi certaines choses se distinguent dabord, ce soit quelles se distinguent delles-mmes, de mme que les diffrences opposes par lesquelles les espces diffrent se distinguent delles-mmes pour ne pas procder l'infini, cause de cela donc, ils disent que les processions en Dieu se distinguent delles-mmes.

Hoc autem non potest esse verum : nam unumquodque distinguitur ab alio secundum speciem per id a quo speciem habet, et secundum numerum per id a quo individuatur. Differentia autem inter processiones divinas oportet quod sit non solum sicut ea quae differunt numero tantum, sed etiam sicut ea quae differunt specie, cum una sit generatio, alia vero non. Relinquitur ergo quod processiones divinae distinguantur secundum id a quo speciem habent. Nulla autem processio nec operatio nec motus habet speciem a se, sed sortitur speciem a termino vel a principio. Unde nihil est dictu, quod processiones aliquae distinguantur seipsis ; sed oportet quod distinguantur penes principia vel penes terminos.

Mais cela ne peut pas tre vrai ; car toute chose se distingue d'une autre en espce par ce par quoi elle la possde, et selon le nombre par ce par quoi elle est individue. Mais il faut que la diffrence entre les processions divines soit non seulement comme ce qui diffre en nombre seulement, mais aussi comme ce qui diffre en espce, puisqu'il y a une seule gnration, et pas dautre. Il reste donc que les processions divines se distinguent par ce par quoi elles ont l'espce. Mais aucune procession ni opration ni mouvement n'a l'espce par soi, mais il la reoit du terme ou du principe. C'est pourquoi que certaines processions se distinguent delles-mmes, cest ne rien dire, mais il faut qu'elles soient distingues selon les principe ou les termes[1016].

II. Et ideo dixerunt quidam, quod processiones in divinis distinguuntur penes principia ; secundum hoc, dico, quod una processio est per modum naturae vel intellectus, alia vero per modum voluntatis ; nomina enim intellectus et voluntatis significare videntur quaedam operationum et processionum principia.

II. Et c'est pourquoi certains ont dit que les processions en Dieu se distinguent en raison des principes ; ce sujet, je dis quune procession est par mode de nature ou dintellect, lautre par mode de volont ; car les noms dintellect et de volont semblent signifier certaines des oprations et les principes des processions.

Sed, si quis diligenter consideret, de facili videre potest quod hoc non sufficit ad divinarum processionum distinctionem, nisi aliud addatur. Cum enim oporteat in procedente inveniri similitudinem eius quod est processionis principium, sicut in rebus creatis similitudinem formae generantis necesse est esse in genito ; oportet, quod si processiones in divinis distinguuntur per hoc quod principium unius est natura vel intellectus, alterius vero voluntas, quod in procedente secundum unam processionem inveniatur tantum id quod naturae est vel intellectus ; in altero vero id quod est voluntatis tantum ; quod patet esse falsum. Nam per unam processionem, quae est Filii a Patre, communicat Pater Filio quidquid habet, et naturam et intellectum et potentiam et voluntatem, et quidquid absolute dicitur : ut sicut Filius est Verbum, id est sapientia genita, ita posset dici natura vel voluntas vel potentia genita, idest per generationem accepta, vel magis huiusmodi per generationem accipiens.

Mais, si on considre avec attention, on peut voir facilement que cela ne suffit pas pour la distinction des processions divines, moins dajouter autre chose. Comme il faut, en effet, trouver dans celui qui procde la ressemblance avec le principe de la procession, de mme quil est ncessaire dans les cratures que la ressemblance de la forme qui engendre soit dans celui qui est engendr ; il faut que, si les processions en Dieu se distinguent du fait que le principe de lune est la nature ou lintellect, mais celui de lautre la volont, qui procde selon une seule procession on trouve seulement ce qui est de la nature ou de lintellect ; et dans lautre ce qui est de la volont seulement, il est clair que cest faux. Car par une seule procession, celle du Fils par le Pre, celui-ci communique au Fils ce quil a, la nature, lesprit, la puissance, et la volont et tout ce qui est appel absolu : pour que, de mme que le Fils est le Verbe, c'est--dire la sagesse engendre, de mme on puisse dire quil est la nature, la volont, la puissance engendres, c'est--dire reues par gnration ou celui qui reoit plus de ce genre par gnration.

Unde patet quod ex quo omnia attributa essentialia concurrunt in unam processionem Filii, non possit processionum differentia inveniri secundum rationes attributorum diversas ; ita quod per unam processionem attendatur communicatio unius attributi, et per aliam communicatio alterius. Cum autem processionis terminus sit habere (cum ad hoc procedat persona divina ut habeat quod accipit procedendo) processiones autem secundum terminos distinguantur, necesse est ut sicut habens distinguitur in divinis, ita distinguatur et procedens. Habens autem non distinguitur in divinis ab habente per hoc quod hic habeat haec attributa, ille vero alia ; sed per hoc quod eadem unus habet ab alio. Nam omnia quae habet Pater habet Filius ; sed in hoc distinguitur Filius a Patre, quia Filius habet ea a Patre.

Cest pourquoi il est clair que par le fait que tous les attributs essentiels arrivent dans la seule procession du Fils, on ne pourrait trouver une diffrence des processions selon la nature diverse des attributs, de sorte que, par une seule procession, soit atteinte la communication dun seul attribut et par une autre la communication dun autre. Mais comme le terme de la procession cest la possession (puisque la personne divine procde pour avoir ce quelle reoit en procdant) les processions se distinguent par les termes, il est ncessaire que celui qui a, pour ainsi dire, soit distingu en Dieu, de mme celui qui procde. Mais celui qui a nest pas distingu dun autre parce que lun a ces attributs, et lautre en a dautres ; parce que lun a les mmes choses dun autre. Car tout ce qua le Pre le Fils la ; mais le Fils est distingu du Pre parce quil la du Pre.

Sic ergo procedens ab alio procedente distinguitur non quia unus haec procedendo accipiat, alius illa, sed quia unus eorum ab alio accipit. Quidquid ergo invenitur in processione divina quod statim in una processione potest intelligi, nulla alia praeintellecta, unius tantum processionis est ; ibi vero statim alia processio inveniri potest, ubi eadem quae per prima processionem sunt accepta, iterum derivantur in aliam.

Ainsi donc celui qui procde dun autre qui procde est distingu, non parce que lun reoit ces choses en procdant, et lautre dautres choses, mais parce que lun deux le reoit dun autre. Donc tout ce quon trouve dans la procession divine qui peut tre compris aussitt dans une seule procession, sans rien dautre de prconu, vient dune seule procession ; mais aussitt on peut trouver une autre procession, l o les mmes choses qui sont reues par la premire procession, nouveau sont dtournes dans une autre.

Et sic solus ordo processionum qui attenditur secundum originem processionis, multiplicat in divinis. Unde convenienter dixerunt qui posuerunt unam processionem esse per modum naturae et intellectus, aliam per modum voluntatis, quantum ad id quod processio quae est secundum naturam vel intellectum non praeexigit aliam processionem ; processio autem quae est per modum voluntatis, aliam processionem praeexigit : nam amor alicuius rei non potest a voluntate procedere nisi praeintelligatur processisse ab intellectu illius rei verbum conceptum ; bonum enim intellectum est obiectum voluntatis.

Et ainsi le seul ordre de procession qui est atteint selon lorigine de la procession apporte la multiplication en Dieu. Cest pourquoi ils ont parl convenablement ceux qui ont pens quune seule procession tait par mode de nature et dintellect, lautre par mode de volont, du fait que la procession qui est par nature ou esprit nexige pas auparavant une autre procession, mais la procession, par mode de volont, en exige une autre auparavant : car aimer quelque chose ne peut procder de la volont sans que soit compris auparavant que le verbe conu ait procd du concept de cette chose ; le bien en effet est compris comme lobjet de la volont.

 

Solutions :

q. 10 a. 2ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod processio in divinis dicitur esse substantialis quia non secundum aliquod accidens attenditur ; sed per eam, substantiam recipit persona procedens.

 1. On dit que la procession en Dieu est substantielle, parce quon ne la considre pas comme un accident ; mais, par elle la personne qui procde reoit sa substance.

q. 10 a. 2ad 2 Secundum et tertium concedimus.

 2. 3. Les seconde et troisime objections, nous les concdons.

q. 10 a. 2ad 4 Ad quartum dicendum est, quod nihil prohibet a voluntate aliquid naturaliter procedere. Voluntas enim naturaliter tendit in ultimum finem, sicut et quaelibet alia potentia naturaliter operatur ad suum obiectum ; et inde est quod homo naturaliter appetit felicitatem ; et eodem modo Deus naturaliter amat suam bonitatem, sicut etiam naturaliter intelligit suam veritatem. Sicut ergo Filius naturaliter procedit a Patre ut Verbum, ita Spiritus sanctus naturaliter procedit ab eo ut amor. Nec tamen Spiritus sanctus procedit per modum naturae : hoc enim procedere dicitur in divinis per modum naturae quod procedit sicut ea quae in creaturis a natura producuntur, et non a voluntate. Sic ergo differt naturaliter produci, et produci per modum naturae ; dicitur enim aliquid produci naturaliter propter naturalem habitudinem quam habet ad suum principium : per modum vero naturae produci dicitur quod producitur ab aliquo principio sic producente sicut natura producit.

 4. Il faut dire que rien nempche que quelque chose procde naturellement de la volont. Car celle-ci tend naturellement la fin ultime, de mme que nimporte quelle autre puissance opre naturellement en vue de son objet ; et de l vient que lhomme recherche naturellement son bonheur et de la mme manire Dieu aime naturellement sa bont ; comme aussi il comprend naturellement sa vrit. Donc de mme que le Fils procde naturellement du Pre, comme Verbe, de mme lEsprit saint procde naturellement de lui comme amour. Et cependant lEsprit saint ne procde pas par mode de nature : car on appelle en Dieu procder par mode de nature procder comme ce qui est produit dans les cratures par la nature, et non par la volont. Donc ainsi il y a une diffrence entre tre produit naturellement et tre produit par mode de nature ; car on dit quune chose est produite naturellement cause de la relation naturelle quelle a son principe ; mais on dit quest produit par mode de nature ce qui est produit par un principe qui produit comme la nature produit.

q. 10 a. 2ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalis necessitas secundum quam voluntas aliquid ex necessitate velle dicitur, ut felicitatem, libertati voluntatis non repugnat, ut Augustinus docet [in V lib. De Civit. Dei, cap. X]. Libertas enim voluntatis violentiae vel coactioni opponitur. Non est autem violentia vel coactio in hoc quod aliquid secundum ordinem suae naturae movetur, sed magis in hoc quod naturalis motus impeditur : sicut cum impeditur grave ne descendat ad medium ; unde voluntas libere appetit felicitatem, licet necessario appetat illam. Sic autem et Deus sua voluntate libere amat seipsum, licet de necessitate amet seipsum. Et necessarium est quod tantum amet seipsum quantum bonus est, sicut tantum intelligit seipsum quantum est. Libere ergo Spiritus sanctus procedit a Patre, non tamen possibiliter, sed ex necessitate. Nec possibile fuit ipsum procedere minorem Patre ; sed necessarium fuit ipsum patri esse aequalem, sicut et Filium, qui est verbum Patris.

 5. La ncessit naturelle, selon laquelle on dit que la volont veut quelque chose par ncessit, comme le bonheur, ne soppose pas la libert de la volont, comme Augustin lenseigne (la Cit de Dieu, V, 10). La libert de la volont, en effet, soppose la violence et la contrainte. Il ny a ni violence, ni contrainte dans le fait que quelque chose est mis en mouvement selon lordre de sa nature, mais il y a plus si le mouvement naturel est empch : comme quand ce qui est lourd est empch de descendre en son juste milieu ; cest pourquoi la volont cherche librement le bonheur, quelle dsire ncessairement. Mais ainsi Dieu saime lui-mme librement par sa volont, bien quil saime ncessairement. Et il est ncessaire quil saime autant quil est bon, comme il se comprend autant quil est. Donc lEsprit saint procde librement du Pre, non cependant selon le possible mais par ncessit. Et il ne lui a pas t possible de procder moindre que le Pre ; mais il a t ncessaire quil soit gal au Pre, comme le Fils qui est le Verbe du Pre.

q. 10 a. 2ad 6 Ad sextum dicendum, quod creatura non procedit a voluntate divina naturaliter neque ex necessitate ; licet enim Deus sua voluntate naturaliter et ex necessitate amet suam bonitatem, et talis amor procedens sit Spiritus sanctus ; non tamen naturaliter aut ex necessitate vult creaturas produci, sed gratis. Non enim creaturae sunt ultimus finis voluntatis divinae, neque ab eis dependet bonitas Dei, qui est ultimus finis, cum ex creaturis divinae bonitati nihil accrescat ; sicut etiam homo ex necessitate vult felicitatem, non tamen ea quae ad felicitatem ordinantur.

 6. La crature ne procde de la volont divine ni naturellement ni par ncessit ; car bien que Dieu aime sa bont naturellement par sa volont et par ncessit, et quun tel amour qui procde soit lEsprit saint, cependant il ne veut pas produire les cratures naturellement ou par ncessit mais gratuitement. Car les cratures ne sont pas la fin ultime de la volont divine, et sa bont, qui est la fin ultime, ne dpend pas delles, puisque elles najoutent rien sa bont ; ainsi lhomme veut le bonheur par ncessit, et cependant [il ne vient] pas ce qui est ordonn au bonheur[1017] .

q. 10 a. 2ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet natura et voluntas in Deo non differant re, sed ratione tantum, tamen ille qui procedit per modum voluntatis, oportet quod realiter differat ab eo qui procedit per modum naturae, et una processio realiter ab alia differat. Dictum est enim, quod processio per modum naturae intelligitur quando aliquid procedit ab aliquo sicut illud quod procedit a natura ; et similiter per modum voluntatis quando procedit sicut id quod procedit a voluntate. Semper enim voluntas aliquid producit aliqua processione praesupposita. Non enim voluntas in aliquid tendit nisi praeexistente productione intellectus aliquid concipientis : cum bonum intellectum moveat voluntatem. Processio autem quae est a naturali agente, non praesupponit aliam processionem nisi per accidens, in quantum scilicet unum naturale agens dependet ab alio naturali agente : sed tamen hoc non pertinet ad rationem naturae in quantum natura est. Unde illa processio per modum naturae intelligitur in divinis quae nullam aliam praesupponit ; illa vero per modum voluntatis quae ex praesupposita processione principium sumit. Et sic oportet processionem esse ex processione, et procedentem ex procedente ; hoc autem facit realem differentiam in divinis.

 7. Bien que la nature et la volont en Dieu ne diffrent pas en ralit, mais en raison seulement, cependant celui qui procde par mode de volont doit diffrer rellement de celui qui procde par mode de nature, et une procession diffre rellement dune autre. Car il a t dit que la procession par mode de nature est comprise quand une chose procde dune autre comme ce qui procde par nature ; et de la mme manire par mode de volont, quand il procde comme ce qui procde de la volont. Car toujours la volont produit quelque chose de prsuppos la procession. Car la volont ne tend une chose que par une production prexistante de lintellect qui la conoit ; puisque le bien conu met en mouvement la volont. Mais la procession qui vient dun agent naturel, ne prsuppose une autre procession que par accident, en tant quun agent naturel dpend dune autre ; mais cependant cela ne convient pas la raison de la nature, en tant que telle. Cest pourquoi cette procession par mode de nature est comprise en Dieu sans rien prsupposer ; mais cest celle qui est par mode de volont qui prend son principe dune procession prsuppose. Et ainsi il faut que la procession vienne de la procession et celui qui procde de celui qui procde ; et cela fait une diffrence relle en Dieu.

q. 10 a. 2ad 8 Octavum concedimus.

 8. Nous la concdons.

q. 10 a. 2ad 9 Ad nonum dicendum, quod utriusque processionis similitudinem Deus indidit creaturis : sed tamen per processionem quae est per modum naturae, natura in rebus creatis communicari potest : effectus enim est similis agenti in quantum est agens ; unde per actionem cuius natura est principium, effectus naturam recipere potest ; sed per actionem cuius voluntas est principium, effectus non potest recipere nisi similitudinem eius quod est in voluntate, sicut finis vel formae, ut in artificialibus patet. Quidquid autem est in Deo, est divina natura ; unde oportet quod per utramque processionem natura communicetur.

 9. Dieu induit dans les cratures la ressemblance de lune et lautre procession[1018] ; mais cependant, par celle qui est par mode de nature, la nature peut tre communique dans les cratures ; car leffet est semblable lagent en tant que tel ; cest pourquoi par laction dont la nature est le principe, leffet peut recevoir la nature, mais par laction dont le principe est la volont, leffet ne peut recevoir que la ressemblance de ce qui est dans la volont, comme la fin ou les formes, comme on le voit dans les uvres artisanales. Mais tout ce qui est en Dieu est nature divine ; cest pourquoi il faut que la nature soit communique par lune et lautre procession.

q. 10 a. 2ad 10 Ad decimum dicendum, quod cum dicitur in divinis processio per modum naturae vel voluntatis, non ponitur in Deo modus qui sit qualitas divinae substantiae superaddita, sed ostenditur similitudinis cuiusdam comparatio inter processiones divinas et processiones quae sunt in rebus creatis.

 10. Quand on parle en Dieu de la procession par mode de nature ou de volont, on ne place pas une modalit en lui qui serait une qualit surajoute la substance divine, mais on montre la comparaison dune certaine ressemblance entre les processions en Dieu et celles qui sont dans les cratures.

q. 10 a. 2ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis processio quae est per modum intellectus, non distinguitur a processione quae est per modum naturae ; distinguitur autem ab utraque processio quae est per modum voluntatis. Et hoc propter tria :

 11. En Dieu la procession, par mode dintellect, nest pas distingue de celle par mode de nature ; mais la procession par mode de volont est distingue de lune et lautre. Et cela pour trois raisons :

Primo quidem, quia sicut processio quae est per modum naturae, non praeexigit aliam processionem, ita nec processio quae est per modum intellectus ; processio autem quae est per modum voluntatis, de necessitate praeexigit processionem quae est per modum intellectus.

a) Parce que de mme que la procession par mode de nature, nexige pas auparavant une autre procession, la procession par mode dintellect non plus, mais celle qui est par mode de volont, exige ncessairement auparavant la procession par mode dintellect.

Secundo, quia sicut natura producit aliquid in similitudinem sui, ita et intellectus tam intra quam extra ; intra quidem, sicut verbum est similitudo rei intellectae, et intellectus intelligentis seipsum ; extra autem, sicut forma intellecta inducitur in artificiatum. Voluntas autem non producit suam similitudinem nec intus, nec extra. Intus quidem non, quia amor, qui est intranea processio voluntatis, non est similitudo aliqua voluntatis vel voliti, sed quaedam impressio relicta ex volito in voluntate, aut quaedam unio unius ad alterum. Extra autem non, quia voluntas imprimit in artificiatum formam intellectam prius quam volitam secundum ordinem rationis ; unde principaliter est similitudo intellectus, licet secundario voluntatis.

b) Parce que de mme que la nature produit quelque chose sa ressemblance, lintellect aussi tant lintrieur quՈ lextrieur ; lintrieur de mme que le verbe est la ressemblance de ce qui est pens et de lintellect de celui qui se pense ; de mme lextrieur la forme conue est induite dans lobjet fabriqu. Mais la volont ne produit pas de ressemblance, ni lintrieur ni lextrieur[1019]. A lintrieur non, parce que lamour, qui est la procession intrieure de la volont nest pas une ressemblance de la volont ou de ce qui est voulu, mais une impression laisse par la volont dans celui qui est voulu, ou une union de lun lautre. A lextrieur, non plus, parce que la volont imprime dans lobjet fabriqu la forme conue, avant la forme voulue selon lordre de la raison ; cest pourquoi principalement cest la ressemblance de lesprit, bien que secondairement ce soit celle de la volont.

Tertio, quia processio naturae est tantum ab uno sicut ab agente, si sit perfectum agens. Nec obstat quod in animalibus generatur aliquid ex duobus, scilicet ex Patre et matre ; nam solus Pater est agens in generatione, mater vero patiens. Similiter autem processio intellectus est ab uno solo ; sed amicitia, quae est amor mutuus, procedit ex duobus ad invicem se amantibus.

c) Parce que la procession de nature vient seulement dun seul, comme dun agent, sil tait agent parfait. Et rien nempche que dans les animaux quelque chose soit engendr de deux [tres] savoir du pre et de la mre ; car seul le Pre est agent dans la gnration, et la mre le patient. Mais de la mme manire la procession de lintellect est dun seul ; mais lamiti, qui est un amour mutuel, procde de deux [tres] qui saiment mutuellement.

q. 10 a. 2ad 12 Ad duodecimum dicendum quod, licet in divinis non proprie dicatur genus et species, vel universale et particulare, tamen,- ut de divinis secundum quamdam similitudinem creaturarum loquamur,- Pater et Filius et Spiritus sanctus distinguuntur sicut plura individua unius speciei, ut etiam Damascenus dicit [lib. III orthodoxae Fidei, cap. IV]. Sed attendendum est, quod in aliquo individuo in genere substantiae possumus speciem dupliciter considerare :

 12. Bien quen Dieu on ne puisse parler au sens propre ni de genre et despce, ni duniversel et de particulier, cependant, comme on parle son sujet dune certaine ressemblance avec les cratures, le Pre, le Fils et lEsprit saint se distinguent comme plusieurs individus dune mme espce, comme Jean Damascne le dit aussi (La foi orthodoxe, III, 4). Mais il faut remarquer que dans un individu dans le genre de la substance, nous pouvons considrer lespce de deux manires :

uno modo speciem hypostasis ipsius ;

a. Selon lespce de lhypostase elle-mme.

alio modo speciem proprietatis individualis.

b. Selon lespce de la proprit individuelle.

Dato enim quod Socrates sit albus et Plato sit niger, et posito quod albedo et nigredo sint proprietates individuantes Socratem et Platonem, verum erit dicere, quod Socrates et Plato sunt unum specie, sub qua specie hypostases continentur. Conveniunt enim in humanitate, sed distinguuntur secundum speciem proprietatis ; albedo enim et nigredo specie differunt ; et similiter est in Patre et Filio. Considerantur enim ut unum specie, cuius istae hypostases sunt supposita, in quantum conveniunt in una natura deitatis ; sed secundum speciem proprietatis personalis inveniuntur differre ; Paternitas enim et filiatio sunt relationes secundum speciem diversae. Sciendum est etiam, quod generatio in rebus creatis per se ordinatur ad speciem : natura enim intendit generare hominem ; unde et natura speciei per generationem multiplicatur in rebus creatis. Processio autem in divinis est ad multiplicationem hypostasum, in quibus natura divina una numero invenitur : unde processiones in divinis sunt differentes quasi secundum speciem, propter differentiam proprietatum personalium, licet in procedentibus sit una natura communis.

Car tant donn que Socrate est blanc et Platon est noir, et une fois admis que la blancheur et la noirceur sont des proprits qui individualisent Socrate et Platon, il sera vrai de dire quils sont un en une espce, sous laquelle ces hypostases sont contenues. Car ils se rencontrent dans lhumanit, mais se distinguent selon lespce de la proprit ; car la blancheur et la noirceur diffrent en espce, et il en est de mme dans le Pre et dans le Fils. Car ils sont considrs comme un en espce, dont ces hypostases sont les suppts, en tant quils se rencontrent dans la seule nature divine ; mais selon lespce de la proprit personnelle ils se trouvent diffrer ; car la Paternit et la filiation sont des relations diffrentes en espce. Mais il faut savoir que la gnration dans les cratures est ordonne par soi pour lespce, car la nature tend la gnration de lhomme : cest pourquoi la nature de lespce est multiplie par la gnration dans les cratures. Mais la procession en Dieu est pour la multiplication des hypostases, en qui la nature divine se trouve une en nombre : cest pourquoi les processions en Dieu sont diffrentes pour ainsi dire en espce, cause de la diffrence des proprits personnelles, bien que dans celles qui procdent il y ait une seule nature commune.

q. 10 a. 2ad 13 Et per hoc patet solutio ad decimumtertium et ad decimumquartum.

 13. 14. Et cela claire les solutions 13 et 14.

q. 10 a. 2ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod Spiritus sanctus procedit a Patre et Filio in quantum sunt plures, si habeatur respectus ad supposita spirantia. Cum enim Spiritus sanctus sit amor mutuus et nexus duorum, oportet quod a duobus spiretur. Sed si habetur respectus ad id quo spirantes spirant, sic procedit ab eis, in quantum sunt unum in natura divina : non enim potest ab aliquo procedere Deus nisi a Deo.

 15. LEsprit saint procde du Pre et du Fils en tant quils sont plusieurs, si on considre le rapport aux suppts qui spirent. Comme lEsprit saint, en effet, est lamour mutuel et le lien des deux, il faut quil soit spir par les deux. Mais si on considre le rapport ce par quoi spirent ceux qui spirent, il procde ainsi deux, en tant quils sont un dans la nature divine : car Dieu ne peut procder que de Dieu.

q. 10 a. 2ad 16 Ad decimumsextum dicendum est quod processio, quae condividitur Paternitati et filiationi, est proprietas personalis Spiritus sancti ; quae licet sit relatio, quia tamen non est nominata, sicut Paternitas et filiatio, significatur nomine processionis, ac si filiatio esset innominata et significaretur nomine nativitatis, quod est speciale nomen processionis Filii. Processio autem Spiritus sancti non habet speciale nomen, eo quod per talem modum processionis non invenitur in creaturis aliqua natura communicari, ut iam dictum est. Nomina vero a creaturis in divina transferimus ; unde non sequitur quod processio communis in divinis sit una tantum.

 16. La procession, qui est divise en Paternit et filiation est la proprit personnelle de lEsprit saint ; bien quelle soit relation, parce que cependant elle na pas de nom, comme la Paternit et la filiation, elle est signifie par le nom de procession, comme si la filiation tait sans nom et signifie par le nom de naissance, qui est le nom spcifique de la procession du Fils. Mais la procession de lEsprit saint na pas de nom spcial, parce quon ne trouve pas dans les cratures que quelque nature soit communique par un tel mode de procession, comme dj on la dit. Mais nous transfrons en Dieu les noms qui viennent des cratures ; cest pourquoi il nen dcoule pas que la procession commune soit seulement une en Dieu.

q. 10 a. 2ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in creatura quae est accidentium susceptiva, potest aliquid esse quod non est rei natura ; non autem in Deo : et propter hoc in divinis secundum quemlibet modum processionis communicatur natura, non autem in creaturis ; licet enim sint in eis processiones diversae, tamen natura non communicatur nisi per unum modum.

 17. Dans la crature susceptible d'accueillir des accidents, il peut y avoir quelque chose qui ne soit pas sa nature, mais pas en Dieu, et cest pour cela quen lui la nature est communique selon nimporte quelle mode de procession, mais pas dans les cratures ; car bien quil y ait en elles des processions diverses, cependant la nature nest communique que dune seule manire.

q. 10 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod procedere a Patre secundum modum coaeternitatis competit processioni Filii in quantum est processio divina : unde convenit etiam processioni Spiritus sancti ; tamen non competit processioni Filii secundum quod distinguitur a processione Spiritus sancti.

 18. Procder du Pre selon le mode de la coternit appartient la procession du Fils en tant quelle est procession divine : cest pourquoi cela convient aussi la procession de lEsprit saint ; cependant il nappartient pas la procession du Fils de se distinguer de la procession de lEsprit saint.

q. 10 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod Filius est sufficiens ratio processionis temporalis creaturae ut Verbum et exemplar ; sed oportet quod Spiritus sanctus sit ratio processionis creaturae ut amor. Sicut enim dicitur Sap. IX, 1, quod Deus facit omnia suo Verbo, ita dicitur Sap. XI, 25 ; quod diligit omnia quae sunt, et nihil odit eorum quae fecit ; et Dionysius dicit [in IV de divin. Nomin.], quod divinus amor non permisit ipsum sine germine esse.

 19. Le Fils est la raison suffisante de la procession temporelle de la crature comme Verbe et exemplaire ; mais il faut que lEsprit saint soit la raison de la procession de la crature comme amour. Car de mme quil est dit en Sg. 11, 1, que Dieu fait tout par son Verbe, de mme il est dit en Sg. 11, 25 quil aime tout ce qui est, et quil ne hait rien de ce quil a fait, et Denys dit (Les noms divins, IV), que lamour divin ne lui a pas permis dՐtre sans descendance.

q. 10 a. 2ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura perfecta in multas operationes potest, licet ad unamquamque operationem ei pauca sufficiant.

 20. Il faut dire que la nature peut tre parfaite en de nombreuses oprations, bien que peu lui suffise pour chaque opration.

q. 10 a. 2ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod a Patre uno et solo, est una sola processio, scilicet Filii ; a Patre autem et a Filio simul, est alia processio, scilicet Spiritus sancti.

 21. Du Pre, un et seul, il ny a quune seule procession, savoir celle du Fils ; mais du Pre et du Fils ensemble, il y a une autre procession, savoir celle de lEsprit saint.

q. 10 a. 2ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod processio Spiritus sancti est processio amoris. Per processionem autem amoris non producitur aliquid ut recipiens formam eius a quo procedit, sive naturam ; et ideo processio amoris non habet rationem generationis vel nativitatis. Sed quod Spiritus sanctus naturam et formam Dei Patris recipiat sua processione, hoc habet in quantum est amor Dei, in quo non est aliquid quod non sit de natura ipsius.

 22. La procession de lEsprit saint est une procession damour. Mais par cette procession rien nest produit comme recevant de ce dont il procde, la forme ou la nature ; et cest pour cela que la procession damour na pas nature de gnration ou de naissance. Mais que lEsprit saint reoive la nature et la forme de Dieu le Pre, par sa procession, cela il la en tant quil est l'amour de Dieu en qui il ny a rien qui ne soit de sa nature.

q. 10 a. 2ad 23 Et per hoc patet responsio ad vicesimumtertium.

 23. Et par l s'claire la rponse la vingt-troisime objection.

Ad ea etiam quibus ostendebatur quod sunt in divinis plures processiones quam duae, respondendum est.

Et il faut rpondre ce par quoi on montrait qu'il y a en Dieu plus de deux processions :

q. 10 a. 2ad 24 Ad quorum primum dicendum, quod in divinis una et eadem est processio quae est per modum intellectus et quae est per modum naturae, ut supra, ostensum est.

 1. En Dieu, cest une seule et mme procession qui est par mode desprit et qui est par mode dintellect, comme on la montr ci-dessus (sol. 7 et 11).

q. 10 a. 2ad 25 Ad secundum dicendum quod natura humana materialis est, id est ex materia et forma composita ; et ideo in hominibus processio per modum naturae non potest esse nisi secundum aliquam transmutationem naturalem ; processio autem quae est per modum intellectus, semper est immaterialis, secundum quod ipse intellectus immaterialis est ; unde in hominibus non potest esse una et eadem processio quae est per modum naturae et quae est per modum intellectus ; in divinis autem est una et eadem, eo quod natura divina immaterialis est.

2. La nature humaine est matrielle, c'est--dire compose de matire et de forme ; et cest pourquoi chez les hommes la procession par mode de nature ne peut exister que selon un changement naturel ; mais la procession qui est par mode dintellect est toujours immatrielle ; du fait que lesprit lui-mme est immatriel, cest pourquoi dans les hommes il ne peut pas y avoir une seule et mme procession par mode de nature et par mode dintellect, mais en Dieu cest une seule et mme procession, parce que la nature divine est immatrielle.

q. 10 a. 2ad 26 Ad tertium dicendum, quod aliud est procedere in alterum, et aliud est procedere ab alio ; procedere enim in alterum est suam similitudinem alteri communicare : et per hunc modum est intelligenda divinae bonitatis processio in creaturas, secundum Dionysium ; procedere autem ab alio est esse ab alio habere ; et sic loquimur hic de processione, secundum quem modum constat quod non convenit patri procedere.

 3. Procder dans un autre est different de procder dun autre ; car procder dans un autre cest communiquer sa ressemblance un autre, et il faut comprendre de cette manire la procession de la bont divine dans les cratures, selon Denys ; mais procder dun autre cest avoir lՐtre dun autre ; et nous parlons ici de procession de sorte quil est clair quil ne convient pas au Pre de procder de cette manire.

 

 

 

Article 3  Lordre de la procession la relation en Dieu

q. 10 a. 3tit. 1 Tertio quaeritur de ordine processionis ad relationem in divinis.  Et videtur quod processio secundum intellectum sit prior relatione in divinis.

  Il semble que selon lesprit la procession soit avant la relation en Dieu.

 

Objections : [1020]

q. 10 a. 3arg. 1 Dicit enim Magister in XXVII distinct. I Lib. Sentent., quod Pater semper est Pater, quia semper genuit Filium. Generatio autem processionem significat, Pater autem relationem. Ergo processio secundum intellectum praecedit relationes in divinis.

1. Car le Matre (I Sent., d. 27), dit que le Pre est toujours le Pre, parce quil a toujours engendr le Fils. Mais la gnration signifie la procession, et Pre signifie une relation. Donc la procession, selon lintellect, prcde les relations en Dieu[1021].

q. 10 a. 3arg. 2 Praeterea, philosophus dicit [in V Metaph., com. 20], quod relationes ex actionibus nascuntur, vel ex quantitatibus. Constat autem quod relationes divinae non innascuntur ex quantitate. Ergo secundum modum intelligendi consequitur ex actione. Processiones autem in divinis personis significantur per modum personalium actionum. Ergo processiones in divinis praecedunt secundum intellectum relationes.

2. Le philosophe dit (Mtaphysique, () V, 15 ; 1020 b 25 ss.[1022]) que les relations naissent des actions, ou des quantits. Mais il est clair que les relations divines ne prennent pas leur source de la quantit. Donc selon la manire de comprendre, cela dcoule de laction. Mais les processions dans les personnes divines sont signifies la manire des actions personnelles. Donc selon lesprit les processions en Dieu prcdent les relations.

q. 10 a. 3arg. 3 Praeterea, absolutum est prius relativo, sicut unum est prius quam multa. Sed actiones magis ad absoluta accedunt quam relationes. Ergo priores sunt secundum intellectum.

3. Labsolu est avant le relatif, comme lun est avant le multiple. Mais les actions sapprochent plus de labsolu que les relations. Donc selon lesprit elles sont avant.

q. 10 a. 3arg. 4 Praeterea, omne relativum ad aliud dicitur. Non autem potest esse aliud ubi non est distinctio. Ergo relatio distinctionem praesupponit. Distinctio autem in divinis personis est secundum originem, prout scilicet unus procedit ab alio. Ergo processiones secundum intellectum praecedunt relationes in divinis.

4. On parle de tout relatif en rapport autre chose. Mais il ne peut pas y en avoir un autre l o il ny a pas de distinction. Donc la relation prsuppose une distinction. Mais celle-ci dans les personnes divines dpend de lorigine, selon que lune procde de lautre. Donc les processions selon lesprit prcdent les relations en Dieu.

q. 10 a. 3arg. 5 Praeterea, omnis processio praecedit secundum intellectum processionis terminum. Filiatio autem quae est relatio Filii, est terminus nativitatis, quae est eiusdem Filii processio. Ergo processio Filii praecedit filiationem. Sed filiatio et paternitas sunt simul non solum natura et tempore, sed etiam intellectu ; quia unum relativorum est de intellectu alterius. Nativitas ergo Filii praecedit paternitatem secundum intellectum, et multo magis generatio, quae est actus Patris. Processiones ergo simpliciter relationes praecedunt secundum intellectum in divinis.

5. Toute procession precede son terme, selon lesprit. Mais la filiation qui est la relation du fils est le terme de la naissance, qui est la procession de ce mme Fils. Donc celle-ci prcde la filiation. Mais la filiation et la paternit sont en mme temps non seulement en nature et en temps, mais aussi en esprit ; parce que lun des relatifs est de lintellect de lautre. Donc la naissance du Fils prcde la Paternit selon lesprit, et beaucoup plus la gnration, qui est lacte du Pre. Donc les processions prcdent absolument les relations selon lesprit.

 

En sens contraire :

q. 10 a. 3s. c. 1 Sed contra. Prius secundum intellectum est persona quam actio personalis. Relationes autem sunt constitutivae personarum, processiones autem sunt quasi personales actiones. Ergo prius secundum intellectum sunt relationes quam processiones.

1. La personne est selon lesprit avant laction personnelle. Les relations sont constitutives des personnes, et les processions sont comme des actions personnelles. Donc elles sont avant les processions selon lesprit.

q. 10 a. 3s. c. 2 Praeterea, processio oportet quod sit alicuius ab alio ; sicut enim nulla res generat seipsam ut sit, ut Augustinus dicit [in I de Trinitate, capit. I], ita nulla res a seipsa procedit. Processio ergo distinctionem in divinis requirit. Distinctio autem non est in divinis nisi per relationes. Ergo processiones in divinis praesupponunt relationes.

2. Il faut que la procession vienne quelquun par un autre[1023] ; car de mme que rien ne sengendre soi-mme pour exister, comme Augustin le dit (La Trinit, I, 1[1024]), de mme rien ne procde de soi. Donc la procession requiert une distinction en Dieu. Mais celle-ci nest en lui que par les relations. Donc les processions en Dieu prspposent les relations.

 

Rponse :

q. 10 a. 3co. Respondeo. Dicendum quod ordo absque distinctione non est. Unde ubi non est distinctio secundum rem, sed solum secundum modum intelligendi, ibi non potest esse ordo nisi secundum modum intelligendi. Distinctio autem secundum rem in divinis non est, nisi personarum ad invicem, et oppositarum relationum ; unde in divinis non est ordo realis nisi quantum ad personas, inter quas est ordo naturae, secundum Augustinum, prout est alter ex altero, non quod alter sit prior altero.

Il faut dire que lordre nexiste pas sans distinction. Cest pourquoi o il ny a pas de distinction, en ralit mais seulement selon la manire de comprendre, il ne peut y avoir dordre que de cette manire de comprendre. Mais la distinction en Dieu nest en ralit que celle des personnes entre elles, et celle des relations opposes ; cest pourquoi en lui il ny a dordre rel que pour les personnes, entre lesquelles il y a lordre de la nature, selon Augustin, dans la mesure o lun vient de lautre, non que lun soit avant lautre.

Processiones autem et relationes non distinguuntur in divinis secundum rem, sed solum secundum modum intelligendi. Unde et Augustinus [Fulgentius] dicit [De Fide ad Petrum, capit. II] quod proprium Patris est quod genuit Filium. In quo datur intelligi, quod generare Filium sit proprietas Patris ; nec est alia proprietas quam paternitas, quae dicitur esse Patris proprietas personalis. Non est ergo inter processionem et relationem in divinis quaerendus ordo secundum rem, sed secundum modum intelligendi tantum.

Mais les processions et les relations ne sont pas rellement distingues en Dieu, mais seulement selon la manire de les comprendre. Cest pourquoi Augustin (Fulgence) dit (La Foi Pierre, II) que le propre du Pre est davoir engendr le Fils. En quoi il est donn comprendre quengendrer le Fils est la proprit du Pre ; et il ny a pas dautre proprit que la paternit, quon appelle la proprit personnelle du Pre. Donc entre la procession et la relation il ny a pas chercher un ordre en ralit, mais selon la manire de le comprendre seulement.

Sicut autem relatio et processio in divinis sunt idem secundum rem, et differunt secundum rationem tantum, ita et ipsa relatio, quamvis sit una secundum rem, est tamen multiplex secundum modum intelligendi. Intelligimus enim ipsam relationem ut constitutivam personae ; quod quidem non habet in quantum est relatio. Quod ex hoc patet, quia relationes in rebus humanis non constituunt personas, cum relationes sint accidentia ; persona vero est aliquid subsistens in genere substantiae ; substantia autem per accidens constitui non potest. Sed habet hoc relatio in divinis quod personam constituat in quantum est divina relatio ; ex hoc enim habet quod sit idem cum divina essentia, cum in Deo nullum accidens esse possit : relatio enim, quia secundum rem est ipsa natura divina, hypostasim divinam constituere potest. Est ergo alius modus intelligendi quo intelligitur relatio ut constitutiva divinae personae, et alius quo intelligitur relatio ut relatio est. Unde nihil prohibet quod quantum ad unum modum intelligendi, relatio praesupponat processionem, quantum vero ad alium sit e converso.

Mais de mme que la relation et la procession sont en ralit identiques en Dieu, et diffrent en raison seulement, de mme la relation elle-mme, quoiquelle soit une en ralit, est cependant multiple selon la manire de la comprendre. Car nous comprenons la relation elle-mme comme constitutive de la personne ; ce quelle na pas en tant quelle est relation. De ce fait il est clair que les relations chez les hommes ne constituent pas les personnes, puisquelles sont des accidents ; mais la personne est quelque chose de subsistant dans le genre de la substance ; la substance ne peut pas tre constitue par un accident. Mais la relation en Dieu elle constitue la personne en tant quelle est relation divine ; car du fait quelle est identique lessence divine, car en Dieu il ne peut pas y avoir daccidents, elle peut constituer une hypostase divine. Donc il y a une manire de comprendre la relation comme constitutive de la personne divine, et une autre manire par laquelle on comprend la relation comme telle. Cest pourquoi rien nempche selon la premire manire de comprendre, que la relation prsuppose la procession, selon lautre, cest le contraire.

Sic ergo dicendum est, quod si consideretur relatio ut relatio est, praesupponit processionis intellectum ; si autem consideretur ut est constitutiva personae, sic relatio quae est constitutiva personae, a qua est processio, est prior secundum intellectum quam processio ; sicut Paternitas in quantum est constitutiva personae Patris, est prior secundum intellectum quam generatio. Relatio autem quae est constitutiva personae procedentis etiam in quantum est constitutiva personae, est posterior secundum intellectum quam processio, sicut filiatio quam nativitas ; et hoc ideo quia persona procedens intelligitur ut terminus processionis.

Ainsi il faut donc dire que, si on considre la relation comme telle, elle prsuppose le concept de procession ; mais si on la considre comme constitutive de la personne, alors cette relation, do vient la procession, est selon lesprit avant la procession ; de mme que la Paternit en tant que constitutive de la personne du Pre est selon lesprit avant la gnration. Mais la relation qui est constitutive de la personne qui procde aussi en tant que constitutive de la personne, est selon lesprit aprs la procession, comme la filiation est aprs la naissance ; et cela parce que la personne qui procde est comprise comme le terme de la procession.

 

Solutions :

q. 10 a. 3ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Magister loquitur de Paternitate considerata secundum quod relatio est.

 1. Le Matre parle de la Paternit considre comme relation.  

q. 10 a. 3ad 2 Et similiter dicendum ad secundum et tertium.

 2. 3. Il faut dire la mme chose pour la seconde et la troisime objection.

q. 10 a. 3ad 4 Ad quartum dicendum, quod in rebus in quibus relationes sunt accidentia, oportet quod relatio praesupponat distinctionem ; in divinis autem relationes constituunt tres personas distinctas.

 4. Dans ce en quoi les relations sont des accidents, il faut que la relation prsuppose la distinction ; mais en Dieu les relations constituent trois personnes distinctes.

q. 10 a. 3ad 5 Ad quintum dicendum, quod Paternitas est de intellectu filiationis, et e converso, secundum quod utrumque consideratur ut relatio quaedam. Sic autem dicimus, quod relationes sequuntur processiones ordine intellectus.

 5. La Paternit fait partie du concept de filiation et inversement, selon que lune et lautre sont considres comme une relation. Ainsi nous disons que les relations suivent les processions dans lordre du concept.

q. 10 a. 3ad s. c. Aliae duae rationes procedunt de relationibus secundum quod sunt constitutivae personarum.

Les deux autres raisons procdent des relations selon quelles sont constitutives des personnes.

 

 

 

Article 4  LEsprit saint procde-t-il du Fils ?

q. 10 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum Spiritus sanctus procedat a Filio.  Et videtur quod non.

  Il semble que non.

 

 

 

Objections :[1025]

q. 10 a. 4 arg. 1 Dicit enim Dionysius [in III  cap.  De divin. Nomin.], quod Filius et Spiritus sanctus sunt sicut flores deigenae divinitatis. Flos autem non est a flore. Ergo Spiritus sanctus non est a Filio.

1. Car Denys (les Noms divins, III) dit que le Fils et lEsprit saint sont comme les fleurs de la divinit qui engendre Dieu. Mais la fleur ne vient pas de la fleur. Donc lEsprit saint ne vient pas du Fils[1026].

q. 10 a. 4 arg. 2 Praeterea, si Filius est principium Spiritus sancti, aut hoc habet a se, aut ab alio. A se non habet : non enim Filio in quantum Filius est, convenit esse principium, sed magis esse a principio. Si autem habet a Patre, oportet quod hoc modo sit principium sicut Pater. Pater autem est principium per generationem. Ergo Filius erit principium Spiritus sancti per generationem; et ita Spiritus sanctus erit Filius Filii.

2. Si le Fils est le principe de lEsprit saint ou bien il le tient de lui-mme ou dun autre. Il ne le tient pas de lui, car ce nest pas au Fils en tant que tel quil convient dՐtre principe, mais plutt de dpendre du principe. Mais sil le tient du Pre, il faut que de cette manire, il soit principe comme (le) pre. Mais le Pre est le principe par gnration. Donc le Fils sera principe de lEsprit saint par gnration ; et ainsi lEsprit saint sera le fils du Fils[1027].

q. 10 a. 4 arg. 3 Praeterea, quidquid est commune patri et Filio, similiter convenit utrique. Si ergo esse principium est commune patri et Filio, Filius erit principium eo modo quo Pater. Pater autem est principium per generationem. Ergo et Filius; et sic idem quod prius.

3. Tout ce qui est commun au Pre et au Fils convient de la mme manire lun et lautre. Si donc tre principe est commun au Pre et au Fils, le Fils sera principe la manire du Pre. Mais le Pre est le principe par gnration. Donc le Fils aussi ; et ainsi de mme que ci-dessus.

q. 10 a. 4 arg. 4 Praeterea, Filius ideo Filius est, quia procedit a Patre et est verbum ipsius; Spiritus autem sanctus dicitur verbum Filii, secundum Basilium [lib. V contra Eunomium in cap. incipiente Propterea] qui hoc accipit ex eo quod apostolus dicit Hebr. I, 3, quod Filius portat omnia verbo virtutis suae. Si ergo Spiritus sanctus procedit a Filio, oportet quod sit Filius Filii.

4. Le Fils est ainsi, parce quil procde du Pre et est son Verbe ; mais on dit que lEsprit saint est le verbe du Fils, selon Basile (Contre Eunome, V, ch. commenant par propterea) qui le reoit du fait que lAptre dit en Hbr. I, 3, que le Fils porte tout par le verbe de sa puissance[1028]. Si donc lEsprit saint procde du Fils, il faut quil soit le fils du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 5 Praeterea, licet secundum rem paternitas et filiatio per prius sit in Deo quam in nobis, secundum illud apostoli ad Ephes. III, 15 : Ex quo, scilicet Deo Patre, omnis Paternitas in caelo et in terra nominatur; tamen secundum nominis impositionem haec nomina translata sunt ab humanis ad divina. Sed in humanis procedens a Filio vocatur nepos. Si ergo Spiritus sanctus procedit a Filio, erit nepos Patris; quod est absurdum.

5. Bien quen ralit la aternit et la filiation soient en Dieu avant dՐtre en nous, selon cette parole de lAptre Eph. III, 15 : De qui, savoir de Dieu le Pre, toute Paternit tire son nom au ciel et sur terre ; cependant selon leur dnomination, ces noms ont t transfrs de ce qui est humain ce qui est divin. Mais chez les hommes celui qui procde du fils est appel petit-fils. Si donc lEsprit saint procde du Fils, il sera le petit-fils du Pre, ce qui est absurde.

q. 10 a. 4 arg. 6 Praeterea, proprietas Filii est in accipiendo : ex hoc enim Filius dicitur quod accipit naturam Patris per generationem. Si ergo Filius ex se emittat Spiritum sanctum, erunt in Filio proprietates contrariae; quod est inconveniens.

6. La proprit du Fils est dans la rception ; du fait quon dit que le Fils reoit la nature du Pre par gnration. Si donc le Fils met lEsprit saint partir de lui-mme, il y aura en lui deux proprits contraires, ce qui ne convient pas.

q. 10 a. 4 arg. 7 Praeterea, quidquid est in divinis, aut est commune, aut proprium. Emittere autem Spiritum sanctum non est commune toti Trinitati : non enim convenit spiritui sancto. Ergo est proprium Patris, et sic non convenit Filio.

7. Tout ce qui est en Dieu, est commun ou propre. Mais mettre lEsprit saint nest pas commun toute la Trinit ; car cela ne convient pas lEsprit saint. Donc cest le propre du Pre, et ainsi cela ne convient pas au Fils.

q. 10 a. 4 arg. 8 Praeterea, Spiritus sanctus amor est, ut Augustinus probat in Lib. de Trinit. Amor autem Patris in Filium gratuitus est; non enim amat Filium quasi aliquid ab eo accipiens, sed solum quasi aliquid ei dans. Amor autem Filii in Patrem, est amor debitus; sic enim amat Patrem quasi aliquid ab eo accipiens. Amor autem debitus est alius ab amore gratuito. Si ergo Spiritus sanctus sit amor a Patre et Filio procedens, sequitur quod sit alius a seipso.

8. LEsprit saint est amour, comme Augustin le prouve dans La Trinit. Mais lamour du Pre dans le Fils est gratuit, car il naime pas le Fils comme celui qui reoit quelque chose de lui, mais seulement comme lui donnant quelque chose. Mais lamour du Fils dans le Pre est un amour d ; car il aime le Pre en tant quil reoit de lui. Mais lamour d est autre que lamour gratuit. Si donc lEsprit saint est lamour qui procde du Pre et du Fils, il en dcoule quil est autre que lui-mme.

q. 10 a. 4 arg. 9 Praeterea, Spiritus sanctus est amor gratuitus; unde et ab eo profluunt divisiones gratiarum, secundum illud I Cor. XII, 4 : divisiones gratiarum sunt, idem vero Spiritus. Si ergo amor Filii in Patrem non est amor gratuitus, Spiritus sanctus non erit amor Filii; non ergo procedit a Filio.

9. LEsprit saint est lamour gratuit ; cest pourquoi coule de lui la diversit de grces, selon ce mot de I Co. 12, 4 : Il y a diversit des grces, mais cest le mme Esprit. Si donc lamour du Fils dans le Pre nest pas un amour gratuit, lEsprit saint ne sera pas lamour du Fils ; donc il ne procde pas du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 10 Praeterea, si Spiritus sanctus procedit a Filio ut amor, cum Filius amet Patrem sicut mater Filium, oportebit quod Spiritus sanctus sicut procedit a Patre in Filium, ita procedat a Filio in Patrem. Hoc autem est impossibile, ut videtur; sequeretur enim quod Pater aliquid a Filio reciperet, quod penitus esse non potest.

10. Si lEsprit saint procde du Fils comme amour, puisque le Fils aime le Pre comme une mre aime son fils, il faudra que lEsprit saint procde du Pre dans le Fils, de mme quil procde du Fils dans le Pre. Mais cela est impossible, semble-t-il ; car il en dcoulerait que le Pre recevrait quelque chose du Fils, ce qui est tout fait impossible.

q. 10 a. 4 arg. 11 Praeterea, sicut Pater et Filius diligunt se, ita Filius et Spiritus sanctus, vel Pater et Spiritus sanctus. Si ergo Spiritus sanctus procedit a Patre et Filio, quia Pater et Filius diligunt se; pari ratione quia Pater et Spiritus sanctus diligunt se, procedit Spiritus sanctus a seipso, quod est impossibile.

11. De mme que le Pre et le Fils saiment, de mme aussi le Fils et lEsprit saint, ou le Pre et lEsprit saint. Si donc lEsprit saint procde du Pre et du Fils, parce que le Pre et le Fils saiment, raison gale, parce que le Pre et lEsprit saint saiment, lEsprit saint procde de lui-mme, ce qui est impossible.

q. 10 a. 4 arg. 12 Praeterea, Dionysius dicit [in I cap. de div. Nom.] : universaliter non est audendum dicere aliquid nec etiam cogitare de supersubstantiali occulta divinitate, praeter ea quae divinitus nobis ex sacris eloquiis sunt expressa.

12. Denys dit (les Noms divins, I, PG, 3, 588 A[1029]) : Gnralement il ne faut pas oser dire quelque chose ni le penser de la divinit supersubstantielle cache, au-del de ce qui nous a t divinement exprim par les paroles sacres.

In Scriptura autem sacra non exprimitur quod Spiritus sanctus procedat a Filio, sed solum quod procedat a Patre, secundum illud Ioan. XV, 26 : Cum venerit Paraclitus quem ego mittam vobis a Patre, Spiritum veritatis, qui a Patre procedit. Non ergo dicendum est nec cogitandum quod Spiritus sanctus procedit a Filio.

Mais dans lՃcriture sainte, il nest pas dit que lEsprit saint procde du Fils, mais seulement quil procde du Pre, selon cette parole de Jean, 15, 26 : Quand sera venu le Paraclet que je vous enverrai par le Pre, lEsprit de vrit, qui procde du Pre. Donc il ne faut ni dire ni penser que lEsprit saint procde du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 13 Praeterea, in gestis I Ephesinae synodi sic dicitur, quod perlecto Symbolo Nicenae synodi decrevit sancta synodus aliam fidem nulli licere proferre vel conscribere vel componere, praeter definitam a sanctis patribus, qui in Nicaea congregati sunt cum spiritu sancto; praesumentes autem aut componere fidem alteram aut protendere aut proferre volentibus converti ad notitiam veritatis vel ex Paganitate vel ex Iudaismo, vel ex haeresi aliqua; hos, si quidem sint episcopi aut clerici, alienos esse episcopos ab episcopatu, et clericos a clericatu; si vero sint laici, anathematizari. Et similiter in gestis Chalcedonensis synodi, post recitatam determinationem Conciliorum subditur : eos autem qui ausi sunt componere fidem alteram, aut proferre aut docere aut tradere alterum symbolum volentibus vel ex gentilitate ad cognitionem veritatis, vel Iudaeis, vel ex haeresi quacumque converti; hoc, si episcopi fuerint aut clerici, alienos esse episcopos ab episcopatu, et clericos a clero; si vero monachi aut laici fuerint, anathematizari. In praemissa autem Concilii determinatione non habetur quod Spiritus sanctus procedit a Filio, sed solum quod procedat a Patre. Legitur etiam in symbolo Constantinopolitanae synodi : credimus in Spiritum sanctum dominum et vivificantem, ex Patre procedentem, cum Patre et Filio adorandum et conglorificandum. Nullo ergo modo debuit addi in symbolo fidei quod Spiritus sanctus procedat a Filio.

13. Dans les actes du Concile dՃphse, I[1030], on dit ainsi quayant parcouru le Symbole du Concile de Nice, le saint Concile dcrta ne permettre personne de profrer, dՎcrire ou dՎtablir une autre foi, que celle dfinie par les pres qui se sont rassembls Nice, avec lEsprit saint ; mais ceux qui osent tablir une autre foi, la rpandre, ou la profrer ceux qui veulent se convertir pour connatre la vrit, quils soient du paganisme, du Judasme, ou dune hrsie, si ceux-ci sont des vques ou des clercs, que les vques soient dpossds de lՎpiscopat, et les clercs de la clricature ; mais si ce sont des lacs, quil soient anathmes. Et de la mme manire dans les actes du Concile de Chalcdoine[1031], aprs avoir lu la dcision des conciles, il est ajout : Ceux qui ont os prsenter une autre foi, ou profrer ou enseigner ou rapporter un autre symbole ceux qui voulaient se convertir du paganisme pour la connaissance de la vrit ou des Juifs, ou dune hrsie quelconque, que si ce sont des vques ou des clercs, si ce sont des vques quils soient dpossds de lՎpiscopat, les clercs de la clricature, si ce sont des moines ou des lacs quils soient anathmes. Dans la dcision annonce du concile, il ny a pas que lEsprit saint procde du Fils, mais seulement quil procde du Pre. On lit aussi dans le Symbole du Concile de Constantinople[1032] : Nous croyons dans lEsprit saint Seigneur et vivificateur, qui procde du Pre, qui doit tre ador et glorifi avec le Pre et Fils En aucune manire il na d tre ajout dans le symbole de la foi que lEsprit saint procde du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 14 Praeterea, si Spiritus sanctus dicitur a Filio procedere, aut hoc dicitur propter aliquam auctoritatem Scripturae, aut propter aliquam rationem. Auctoritas quidem sacrae Scripturae ad hoc ostendendum nulla videtur esse sufficiens; habetur siquidem in sacris Scripturis, quod Spiritus sanctus sit Filii; sicut dicitur Galat. IV, 6 : misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra; et Rom. VIII, 9 : si quis Spiritum Christi non habet, hic non est eius. Habetur etiam quod Spiritus sanctus sit missus a Filio : dicit enim Christus, Ioan. XVI, 7 : si enim non abiero, Paraclitus non veniet ad vos, si autem abiero, mittam eum ad vos. Non autem sequitur quod Spiritus sanctus procedat a Filio ex eo quod est Filii, quia hoc huius multipliciter dicitur, secundum philosophum. Similiter etiam neque ex eo quod Spiritus sanctus dicitur missus a Filio; quia licet Filius non sit a spiritu sancto dicitur tamen a spiritu sancto missus, secundum illud Is. XLVIII, 16, ex persona Christi : et nunc misit me dominus Deus, et Spiritus eius; et Is., LXI, 1 : Spiritus domini super me (...) ad evangelizandum mansuetis misit me : quod in se dicit Christum esse completum.- Similiter etiam non potest per rationem efficaciter probari. Licet enim Spiritus sanctus non sit a Filio, adhuc tamen, ut videtur, distincti ad invicem remanebunt : differunt enim suis proprietatibus personalibus. Nihil ergo videtur cogere ad dicendum Spiritum sanctum procedere a Filio.

14. Si on dit que lEsprit saint procde du Fils, ou on le dit cause dune autorit de lՃcriture, ou pour une autre raison. Aucune autorit de lՃcriture sainte ne semble suffisante pour le montrer ; il y a toutefois dans lՎcriture sainte que lEsprit saint est du Fils ; comme il est dit en Ga. 4, 6 :Dieu a envoy lEsprit de son Fils dans vos curs ; et Rm. 8, 9 : Si quelquun na pas lEsprit du Christ, celui-l nest pas de lui. On trouve aussi que lEsprit saint a t envoy par le Fils ; car le Christ dit (Jn 16, 7) : Car si je ne men vais pas, le Paraclet ne viendra pas vous, mais si je men vais, je vous lenverrai. Mais il nen dcoule pas que lEsprit saint procde du Fils, du fait quil est du Fils, parce que huius (de celui-ci[1033]) est employ de nombreuses manires, selon le philosophe. De la mme manire aussi, ce nest pas du fait quon dit que lEsprit saint est envoy par le Fils, parce que, bien que le Fils ne soit pas de lEsprit saint, on dit cependant quil a t envoy par lui selon cette parole dIs . 48, 16 : Et maintenant le Seigneur Dieu et son Esprit mont envoy et Is. 61, 1 :Lesprit du Seigneur est sur moi il ma envoy pour annoncer la bonne nouvelle aux doux, ce qui dit en soi que le Christ est un tre complet. De la mme manire on ne peut pas le prouver efficacement par la raison. Car bien que lEsprit saint ne soit pas du Fils, cependant jusquici, ce quil semble, ils demeureront distincts entre eux : car ils diffrent par leurs proprits personnelles. Donc rien ne semble forcer dire que lEsprit saint procde du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 15 Praeterea, omne quod procedit ab aliquo, habet aliquid ab eo. Si ergo Spiritus sanctus procedit a duobus, scilicet a Patre et Filio, oportet quod a duobus accipiat; et sic videtur sequi quod sit compositus.

15. Tout ce qui procde de quelquun a quelque chose de lui. Si donc lEsprit saint procde des deux, savoir du Pre et du Fils, il faut quil reoive des deux ; et ainsi il semble en dcouler quil est compos.

q. 10 a. 4 arg. 16 Praeterea, de ratione principii est quod non sit ab alio, secundum philosophum [in I Phys., com. 52]. Sed Filius est ab alio, scilicet a Patre. Ergo Filius non est principium Spiritus sancti.

16. Cest la nature du principe de ne pas dpendre dun autre, selon le philosophe (Physique I, 6, 189 a 30). Mais le Fils est dun autre, savoir du Pre. Donc le Fils nest pas le principe de lEsprit saint.

q. 10 a. 4 arg. 17 Praeterea, voluntas movet intellectum ad operandum, homo enim intelligit quando vult. Sed Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis ut amor, Filius autem per modum intellectus ut verbum. Non ergo videtur quod Spiritus procedat a Filio, sed magis e converso.

17. La volont met en mouvement lintellect pour oprer ; car lhomme comprend quand il le veut. Mais lEsprit saint procde par mode de volont comme amour, et le Fils par mode desprit comme Verbe. Il ne semble pas que lEsprit saint procde du Fils, mais cest plutt le contraire.

q. 10 a. 4 arg. 18 Praeterea, nihil procedit ab eo in quo quiescit. Sed Spiritus sanctus a Patre procedit et in Filio quiescit, ut scribitur in passione beati Andreae. Ergo Spiritus sanctus non procedit a Filio.

18. Rien ne procde de celui en qui il se repose. Mais lEsprit saint procde du Pre et se repose dans le Fils, comme il est crit dans la passion du bienheureux Andr[1034]. Donc lEsprit saint ne procde pas du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 19 Praeterea, simplex non potest procedere a duobus, quia effectus esset simplicior et prior quam causa. Sed Spiritus sanctus est simplex. Non ergo procedit a duobus, scilicet a Patre et Filio.

19. Ce qui est simple ne peut pas procder de deux tres, parce que leffet serait encore plus simple et avant la cause. Mais lEsprit saint est simple. Donc il ne procde pas des deux, savoir du Pre et du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 20 Praeterea, si aliquid perfecte procedit ab uno, superfluum est quod procedat a duobus. Sed Spiritus sanctus perfecte procedit a Patre. Ergo superfluum esset quod procederet a Patre et Filio simul.

20. Si quelque chose procde parfaitement de lun, il est superflu quil procde des deux. Mais lEsprit saint procde parfaitement du Pre. Donc il serait superflu quil procde du Pre et du Fils en mme temps.

q. 10 a. 4 arg. 21 Praeterea, sicut Pater et Filius sunt unum in substantia et natura, ita Pater et Spiritus sanctus. Sed Spiritus sanctus non convenit cum Patre in generatione Filii. Ergo nec Filius convenit cum Patre in emissione Spiritus sancti.

21. De mme que le Pre et le Fils sont un en substance et nature, de mme le Pre et lEsprit saint. Mais lEsprit saint ne se rencontre pas avec le Pre dans la gnration du Fils. Donc le Fils ne se rencontre pas avec le Pre dans lՎmission de lEsprit saint.

q. 10 a. 4 arg. 22 Praeterea, Filius est radius Patris, ut patet per Dionysium [in libro de caelesti Hierarchia]. Spiritus autem sanctus est splendor. Splendor autem non est a radio. Ergo nec Spiritus sanctus est a Filio.

22. Le Fils est le rayon du Pre, comme on le voit chez Denys (La hirarchie cleste). Mais lEsprit saint est la splendeur. Mais celle-ci ne vient pas du rayon. Donc lEsprit saint ne vient pas non plus du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 23 Praeterea, Filius est quoddam lumen Patris, cum sit verbum eius. Spiritus autem sanctus est sicut calor, est enim amor quidam; unde et super apostolos in specie ignis apparuit. Calor autem non est a lumine. Ergo nec Spiritus sanctus a Filio.

23. Le Fils est une lumire du Pre, puisquil est son verbe. Mais lEsprit saint est comme la chaleur, car il est lamour ; cest pourquoi il apparut sur les Aptres, sous lespce du feu (Act. 2, 3). Mais la chaleur ne vient pas de la lumire. Donc lEsprit saint ne vient pas du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 24 Praeterea, Damascenus dicit, quod Spiritus sanctus dicitur esse Filii, sed non a Filio.

24. Jean Damascne rapporte quon dit que lEsprit saint est du Fils, mais non par le Fils.

 

En sens contraire :

q. 10 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod Athanasius dicit[in Symbolo] : Spiritus sanctus a Patre et Filio non factus nec creatus nec genitus, sed procedens.

1. Il y a ce quAthanase dit (dans le Symbole[1035]) : LEsprit saint par le Pre et par le Fils, ni fait, ni cr, ni engendr, mais procdant deux.

q. 10 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus dicitur tertia in Trinitate persona, secunda Filius, prima Pater. Ternarius autem procedit ab unitate mediante binario. Ergo Spiritus sanctus procedit a Patre mediante Filio.

2. LEsprit saint est appel la troisime personne de la Trinit, le Fils la seconde, le Pre la premire. Mais le troisime procde dune double unit intermdiaire. Donc lEsprit saint procde du Pre par lintermdiaire du Fils.

q. 10 a. 4 s. c. 3 Praeterea, cum inter divinas personas sit summa convenientia, quaelibet divinarum personarum ad aliam habet immediatam germanitatem. Hoc autem non esset, si Spiritus sanctus non esset a Filio; tunc enim Filius et Spiritus sanctus non haberent germanitatem ad invicem immediate, sed solum mediante Patre, in quantum ambo sunt ab uno. Ergo Spiritus sanctus est a Filio.

3. Comme parmi les personnes divines, il y a un accord suprme, nimporte laquelle des personnes a une parent immdiate avec lautre. Mais cela nexisterait pas, si lEsprit saint ne venait pas du Fils, car alors le Fils et lEsprit saint naurait pas de parent immdiate entre eux ; mais seulement par lintermdiaire du Pre, en tant que les deux viennent dun seul. Donc lEsprit saint est du Fils.

q. 10 a. 4 s. c. 4 Praeterea, divinae personae non distinguuntur ab invicem nisi secundum originem. Si ergo Spiritus sanctus non esset a Filio, non distingueretur ab eo, quod est inconveniens.

4. Les personnes divines ne se distinguent entre elles que selon lorigine. Si donc lEsprit saint nՎtait pas du Fils, il ne serait pas distingu de lui, ce qui ne convient pas.

 

Rponse :

q. 10 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, secundum ea quae supra determinata sunt, necesse est Spiritum sanctum a Filio procedere; oportet enim, si Filius et Spiritus sanctus sunt duae personae, quod alia sit processio unius et alia alterius. Ostensum autem est supra, quod non possunt esse duae processiones in divinis nisi secundum ordinem processionum, ut scilicet a procedente secundum unam processionem sit alia processio. Necesse est ergo quod Spiritus sanctus sit a Filio.

Selon ce qui a t dtermin ci-dessus, il est ncessaire que lEsprit saint procde du Fils ; car il faut, si le Fils et lEsprit saint sont deux personnes, que la procession de lune soit diffrente de celle de lautre. Mais on a montr ci-dessus (art. 2) quil ne peut y avoir deux processions en Dieu que selon leur ordre, pour quil y ait une autre procession de celui qui procde par une premire procession. Donc il est ncessaire que lEsprit saint vienne du Fils.

Sed praeter hanc rationem etiam ex aliis rationibus de necessitate probatur quod Spiritus sanctus sit a Filio. Oportet enim quod omnis differentia aliquorum sequatur ex prima radice distinctionis ipsorum; nisi forte sit differentia per accidens, sicut ambulans differt a sedente; et hoc ideo quia quaecumque per se insunt alicui, vel sunt de essentia eius, vel consequuntur essentialia principia, ex quibus est prima radix distinctionis rerum. In divinis autem non potest esse aliquid per accidens; quia omne quod inest alicui per accidens, cum sit extraneum a natura eius, oportet quod conveniat ei ex aliqua exteriori causa : quod non potest dici in divinis.

Mais en dehors de cette raison, on prouve ncessairement par dautres raisons que lEsprit saint est du Fils. Car il faut que toute la diffrence des choses dcoule de la premire racine de leur distinction ; moins que par hasard, il y ait une diffrence par accident, ainsi celui qui marche est diffrent de celui qui est assis. Et cela parce que tout ce qui est par soi dans une autre chose, ou est de son essence, ou bien accompagne les principes essentiels, do vient la premire racine de la distinction. Mais en Dieu il ne peut rien y avoir par accident ; parce quil faut que tout ce qui est en quelquun par accident, comme cela est tranger sa nature, lui convienne par quelque cause extrieure ; ce quon ne peut pas dire en Dieu.

Oportet ergo quod omnis differentia divinarum personarum ad invicem sequatur ex prima radice distinctionis earum. Prima autem radix distinctionis Patris et Filii, est ex Paternitate et filiatione. Oportet ergo quod omnis differentia quae est inter Patrem et Filium, sequatur ex hoc quod ipse est Pater, et ille Filius. Esse autem principium Spiritus sancti non convenit patri in quantum Pater est, ratione Paternitatis : sic enim non refertur nisi ad Filium; unde sequeretur quod Spiritus sanctus esset Filius.

Il faut donc que toute diffrence des personnes divines entre elles dcoule par la premire racine de leur distinction. Mais cette premire racine du Pre et du Fils vient de la Paternit et de la filiation. Il faut donc que toute diffrence entre le Pre et le Fils, dcoule du fait que lun est le Pre et lautre le Fils. Mais tre le principe de lEsprit saint ne convient pas au Pre en tant que Pre, en raison de sa Paternit : car ainsi il ne se rfre quau Fils : aussi il en dcoulerait que lEsprit saint serait le Fils.

Similiter autem nec hoc repugnat rationi filiationis, quia, secundum filiationem, non refertur ad aliud nisi ad Patrem. Non ergo potest esse differentia inter Patrem et Filium in hoc quod Pater sit principium Spiritus sancti, non autem Filius.

De la mme manire, cela ne soppose pas la nature de la filiation, parce que, selon elle, il ne se rfre un autre quau Pre. Donc il ne peut pas y avoir de diffrence entre le Pre et le Fils du fait que le Pre est le principe de lEsprit saint , mais pas le Fils.

Item, sicut in libro de Synodis dicitur, creaturae proprium est quod voluntate sua Deus eam produxerit. Quod Hilarius ex hoc probat quod creatura non est talis qualis est Deus, sed qualem Deus eam voluit esse. Quia vero Filius est talis qualis est Pater, dicitur quod Pater genuit Filium naturaliter. Eadem autem ratione Spiritus sanctus est a Patre naturaliter, quia est similis et aequalis patri : natura enim producit sibi simile. Oportet autem quod creatura, quae est a Patre secundum suam voluntatem, sit etiam a Filio : quia eadem est voluntas Patris et Filii. Similiter autem et eadem est natura utriusque.

De mme, comme il est dit dans le livre des Synodes, le propre de la crature est que Dieu lait produit par sa volont. Ce quHilaire prouve du fait que la crature nest pas telle que Dieu, mais telle que Dieu a voulu quelle soit. Mais parce que le Fils est tel que le Pre, on dit que le Pre a engendr le Fils par nature. Mais, pour la mme raison, lEsprit saint est du Pre par nature, parce quil est semblable et gal au Pre ; car la nature produit du semblable elle. Il faut que la crature qui est du Pre selon sa volont, soit aussi du Fils ; parce que la volont du Pre et celle du Fils sont identiques. De la mme manire la nature de lun et lautre est identique.

Oportet ergo quod sicut Spiritus sanctus est a Patre, ita sit a Filio. Nec tamen sequitur quod Filius vel Spiritus sanctus sint a spiritu sancto, licet et ipse habeat unam naturam cum Patre; sicut sequitur quod creatura est ab eo in quantum habet unam voluntatem cum Patre, propter repugnantiam quae sequeretur, si Spiritus sanctus diceretur esse a seipso, vel si ab eo diceretur esse Filius, qui est eius principium.

Il faut donc que, de mme que lEsprit saint est du Pre, il soit aussi du Fils. Et cependant il nen dcoule pas que le Fils ou lEsprit saint soit de lEsprit saint, bien que lui-mme ait une seule nature avec le Pre ; ainsi il dcoule que la crature est par lui en tant quil a une seule volont avec le Pre, cause de lincompatibilit qui en dcoulerait, si on disait que lEsprit saint est de lui-mme, ou si on disait que le Fils, est de celui qui est son principe.

Hoc autem apparet alio modo : non enim potest esse in divinis personis distinctio nisi secundum relationes; ea enim quae absolute dicuntur in divinis, essentiam significant, et communia sunt, ut bonitas, sapientia et huiusmodi. Relationes autem diversae non possunt facere distinctionem nisi ratione suae oppositionis; diversae enim relationes possunt esse unius ad idem : patet enim quod idem eiusdem potest esse Filius, discipulus, aequalis, et quaecumque aliae relationes quae oppositionem non includunt.

Mais cela apparat dune autre manire. Car il nest pas possible quil y ait une distinction dans les personnes divines, sinon par les relations ; car ce qui est dit dans labsolu en Dieu, signifie lessence, et est commun, comme la bont, la sagesse etc. Mais les diffrentes relations ne peuvent apporter de distinction quen raison de leur opposition ; car les relations diffrentes ne peuvent tre dun seul au mme ; car il est clair que le mme du mme peut tre fils, disciple, gal et toutes les autres relations qui nincluent pas dopposition.

Patet autem quod Filius distinguitur a Patre per hoc quod aliqua relatione ad ipsum refertur, et similiter Spiritus sanctus a Patre distinguitur propter aliquam relationem. Istae ergo relationes quantumcumque videantur disparatae, nullo modo poterunt distinguere Spiritum sanctum a Filio, nisi sint oppositae. Oppositio autem alia in divinis esse non potest nisi secundum originem, prout scilicet unus est ab alio. Nullo ergo modo Filius et Spiritus sanctus poterunt esse distincti per hoc quod uterque diversimode referatur ad Patrem, nisi unus eorum referatur ad alterum ut ab eo existens.

Mais il est clair que le Fils se distingue du Pre, parce quil se rfre lui par une relation et de la mme manire lEsprit saint se distingue du Pre cause dune relation. Donc ces relations pour si diffrentes quelles paraissent, nont pu en aucune manire distinguer lEsprit saint du Fils, moins quelles ne soient opposes. Mais une autre opposition en Dieu ne peut exister que selon lorigine, dans la mesure o lun est par lautre. Donc en aucune manire le Fils et lEsprit saint nont pu tre distincts par le fait que lun et lautre sont en rapport au Pre de manire diffrente, sauf si lun deux est en rapport avec lautre comme existant par lui.

Constat autem quod Filius non est a spiritu sancto : de ratione enim Filii est quod non referatur nisi ad Patrem ut ab eo existens. Relinquitur, ergo de necessitate quod Spiritus sanctus sit a Filio.

Mais il est bien certain que le Fils nest pas par lEsprit saint : car il est de sa nature de navoir rapport quau Pre comme existant par lui. Il reste donc ncessairement que lEsprit saint soit par le Fils.

Sed quia potest aliquis dicere, quod ea quae sunt fidei non sunt solum rationibus sed auctoritatibus confirmanda, restat ostendere per auctoritates sacrae Scripturae quod Spiritus sanctus sit a Filio. Habetur enim in pluribus sacrae Scripturae locis quod Spiritus sanctus sit Filii; sicut Rom. VIII, 9 : Qui Spiritum Christi non habet, hic non est eius; et Galat., IV, 6 : Misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra; et Act. XVI, 7 : Tentabant ire Bithyniam, et non permisit eos Spiritus Iesu. Non enim potest intelligi quod Spiritus sanctus sit Spiritus Christi solum secundum humanitatem, quasi ipsum replens, quia Spiritus sanctus est alicuius hominis ut habentis, non autem ut dantis. Filii autem est Spiritus sanctus ut dantis ipsum, secundum illud I Ioan. IV, 13 : in hoc cognoscimus quoniam in eo manemus, et ipse in nobis, quia de spiritu suo dedit nobis; et Act. V, 32, dicitur, quod dedit Spiritum sanctum obedientibus sibi.

Mais parce quon peut dire que ce qui concerne la foi ne dpend pas seulement de raisonnements mais doit tre confirm par les autorits de lՃcriture sainte, il reste montrer par les autorits que lEsprit saint est du Fils. Car on trouve en plusieurs endroits de lՃcriture sainte, que lEsprit saint est du Fils ; comme en Rm, 8, 7 : Qui na pas lEsprit du Christ, celui-l nest pas de lui ; et Ga. 4, 6 : Dieu a envoy lEsprit du Fils dans vos curs ; et Act. 16, 7 : Ils tentaient daller en Bithynie, et lEsprit de Jsus ne le permit pas. Car on ne peut pas comprendre que lEsprit saint soit lEsprit du Christ seulement selon lhumanit, comme le compltant, parce que lEsprit saint est dun homme en tant quil possde, mais non en tant quil donne[1036]. Mais lEsprit saint est du Fils en tant quil le donne selon ce mot de Jn 4, 13 : A cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui-mme en nous, parce quil nous la donn de son Esprit et en Act. 5, 32, il est dit quil a donn son Esprit saint ceux qui lui obissent.

Oportet ergo quod dicatur esse Spiritus sanctus Filii, in quantum est divina persona. Aut ergo dicitur esse absolute eius, aut dicitur esse eius ut Spiritus eius. Si autem absolute, tunc oportet quod sit aliqua auctoritas Filii respectu Spiritus sancti. Apud nos enim potest dici aliquis esse alterius secundum quid, qui non habet auctoritatem respectu ipsius, sicut cum dicitur, Petrus est socius Ioannis; sed non potest dici, Petrus esse Ioannis absolute, nisi sit quaedam possessio eius, sicut servus, hoc ipsum quod est, dicitur esse domini. In divinis autem non potest esse aliquid serviens vel subiectum; sed intelligitur ibi auctoritas secundum solam originem. Oportebit ergo quod Spiritus sanctus habeat originem a Filio.

Il faut donc dire que lEsprit saint est du Fils, en tant que personne divine. Donc, ou bien on dit quil est de lui selon labsolu, ou bien comme son Esprit. Si cest selon labsolu, alors il faut quil y ait une autorit du Fils par rapport lEsprit saint. Chez nous en effet on peut dire de quelquun quil est dun autre sous un certain rapport, qui na pas dautorit par rapport lui, comme quand on dit : Pierre est le compagnon de Jean ; mais on ne peut pas dire que Pierre est de Jean dans labsolu, moins quil soit sa possession, comme esclave, ce quil est est dit du matre. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir un serviteur ou un sujet, mais on comprend lautorit selon la seule origine. Donc il faudra que lEsprit saint tire une origine du Fils.

Et idem sequitur, si dicatur Spiritus sanctus esse Filii ut Spiritus eius; quia Spiritus, secundum quod est nomen personale, importat relationem originis ad spirantem, sicut Filius ad generantem. Similiter etiam invenitur in Scripturis quod Filius mittit Spiritum sanctum, sicut supra dictum est. Semper autem mittens videtur habere auctoritatem supra missum. Auctoritas autem in divinis, ut dictum est, non est nisi secundum originem. Unde sequitur quod Spiritus sanctus originem habeat a Filio.

Et il en dcoule la mme chose, si on dit que lEsprit saint est du Fils comme son esprit ; parce que Esprit, en tant que nom personnel, apporte une relation dorigine celui qui spire, comme le Fils celui qui engendre. De la mme manire aussi on trouve dans les critures que le Fils envoie lEsprit saint, comme on la dit ci-dessus. Mais toujours celui qui envoie semble avoir lautorit sur celui qui est envoy. Mais lautorit en Dieu, comme on la dit, ne dpend que de lorigine. Cest pourquoi il en dcoule que lEsprit saint tire son origine du Fils.

Habetur autem ex sacra Scriptura quod per Spiritum sanctum configuramur Filio, secundum illud Rom. VIII, 15 : Accepistis Spiritum adoptionis Filiorum; et Galat. IV, 6 : Quoniam estis Filii, misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra. Nihil autem configuratur alicui nisi per eius proprium characterem. In naturis etiam creatis ita est quod id quod conformat aliquid alicui, est ab eo; sicut semen hominis non assimilatur equo, sed homini a quo est. Spiritus autem sanctus est a Filio tamquam proprius character eius; unde dicitur de Christo, II Cor. I, 21-22 : quod signavit nos, et unxit nos et dedit pignus Spiritus in cordibus nostris. Expressius autem Filii, de spiritu sancto dicentis : Ille me clarificabit quia de meo accipiet. Constat autem quod non accipit a Filio Spiritus sanctus, quasi prius non habens : quia sic esset mutabilis et indigentis naturae. Constat ergo quod ab aeterno accipit a Filio; nec potuit accipere aliquid quod non sit eius essentia ab aeterno. Ergo accepit Spiritus sanctus essentiam de Filio.

On voit aussi par lՃcriture sainte que nous sommes configurs au Fils par lEsprit saint, selon cette parole de Rm 8, 15 : Vous avez reu un Esprit dadoption de fils[1037] et Ga. 4, 6 : Parce que vous tes des fils, Dieu a envoy lEsprit de son Fils en vos curs. Mais rien nest configur quelquun que par sa propre marque. Dans les cratures aussi ce qui conforme quelque chose quelquun vient de lui ; ainsi la semence de lhomme nest pas semblable celle du cheval ; mais lhomme do elle vient. Mais lEsprit saint est du Fils comme sa marque la plus propre ; cest pourquoi il est dit du Christ II Co. 1, 21-22 : Il (le Pre) nous a marqu du sceau, donn lonction et le gage de lEsprit dans nos curs[1038]. Mais plus expressment du Fils qui dit au sujet de lEsprit saint : Il glorifiera parce que cest de mon bien quil recevra. Il est clair que lEsprit saint na pas reu du Fils comme nayant pas avant lui : parce quainsi il serait changeant et dune nature dans le besoin. Donc il est clair quil a reu du Fils de toute ternit; et na pu recevoir rien qui ne soit pas son essence de toute ternit. Donc lEsprit saint a reu lessence du Fils.

Rationem autem quare de Filio acceperit Spiritus sanctus, ipsemet Filius subiunxit, dicens, Ioan. XVI, 15 : Omnia quaecumque habet Pater mea sunt. Propterea dixi : quia de meo accipiet; quasi diceret quia eadem est essentia Patris et mea, non potest Spiritus sanctus esse de essentia Patris, quin sit de mea essentia. Traditur etiam in sacra Scriptura quod Filius per Spiritum operatur, sicut habetur Rom. XV, 18 : Per me effecit Christus, scilicet miracula, et alia bona in spiritu sancto, idest per Spiritum sanctum; et Hebr. IX, 14, dicitur quod per Spiritum sanctum obtulit semetipsum. Quandocumque autem aliquis per aliquem dicitur operari, oportet quod vel operans det virtutem operativam ei per quem operatur, sicut rex dicitur operari per praepositum vel ballivum; vel e converso, sicut cum dicitur ballivus operari per regem.

La raison pour laquelle lEsprit saint a reu du Fils, le Fils lui-mme la ajout, en disant Jn 16, 15 :Tout ce qua le Pre est moi. Cest pourquoi jai dit : parce quil recevra de mon bien, comme sil disait que lessence du Pre et la mienne est la mme, lEsprit saint ne peut pas tre de lessence du Pre, quil ne soit de la mienne. LՃcriture sainte rapporte aussi que le Fils opre par lEsprit, comme on le voit en Rm 15, 18 : Le Christ la fait par moi, savoir les miracles et autres biens (dit lAptre) dans lEsprit saint, c'est--dire par lEsprit saint et en Hbr. 9, 14 : il est dit que par lEsprit saint il sest offert lui-mme . Quelquefois aussi on dit que quelquun opre par un autre, il faut que ou bien celui qui opre lui donne le pouvoir doprer, par lequel il opre, comme on dit que le roi opre par un prvt ou un bailli, ou au contraire comme quand on dit que le bailli opre par le roi.

Oportet ergo, si Filius operatur per Spiritum sanctum, quod vel Spiritus sanctus det virtutem operativam Filio, vel Filius spiritui sancto; et ita quod unus alteri det essentiam, cum virtus operativa utriusque non sit aliud quam eius essentia. Constat autem quod Spiritus sanctus non dat essentiam Filio, cum Filius non sit Filius nisi Patris. Relinquitur ergo quod Spiritus sanctus sit a Filio.

Il faut donc, si le Fils opre par lEsprit saint que ou bien celui-ci donne le pouvoir doprer au Fils ou bien que le Fils le donne lEsprit saint ; et ainsi que lun donne lessence lautre, puisque le pouvoir doprer de lun et lautre nest pas autre que son essence. Mais il est clair que lEsprit saint ne donne pas lessence au Fils, puisque celui-ci nest le Fils que du Pre. Il reste donc que lEsprit saint est du fils.

Ex hac ergo ratione per ea quae Graeci confitentur, potest idem haberi : confitentur enim ipsi quod Spiritus sanctus est a Patre per Filium, et quod Pater spirat Spiritum sanctum per Filium. Semper autem illud per quod aliquid producitur est principium eius quod producitur. Oportet ergo quod Filius sit principium Spiritus sancti. Si autem refugiant confiteri quod Spiritus sanctus sit a Filio, quia Filius est ab alio,- et sic non est prima radix originis Spiritus sancti,- manifestum est quod vane moventur; nullus enim refugit dicere lapidem moveri a baculo, licet baculus moveatur a manu; nec Iacob esse ab Isaac, licet Isaac sit ab Abraham. Sed adhuc minus est in proposito refugiendum; est enim una vis productiva Patris et Filii; quod non accidit in moventibus et agentibus creatis.

Et pour cette raison par ce que les Grecs confessent, on peut avoir le mme rsultat. Car ils confessent eux-mmes que lEsprit saint est du Pre par le Fils et que le Pre spire lEsprit saint par le Fils. Mais toujours ce qui produit est le principe de ce qui est produit. Il faut donc que le Fils soit le principe de lEsprit saint. Mais sils refusaient de confesser que lEsprit saint est du Fils, parce que le Fils est dun autre et ainsi il nest pas la premire racine de lorigine de lEsprit saint il est vident quils sagitent en vain ; car personne ne refuse de dire que la pierre est mue par le bton, bien que le bton soit m par la main ; et que Jacob nest pas dIsaac, bien que ce dernier soit dAbraham. Mais il faut encore moins sՎcarter de ce qui est propos, car il y a une force productive du Pre et du Fils ; ce qui narrive pas dans les moteurs et les agents crs.

Unde sicut confitendum est quod creaturae sunt a Filio, licet Filius sit a Patre, ita confitendum est quod Spiritus sanctus sit a Filio, licet Filius sit a Patre. Manifestum est ergo quod dicentes Spiritum sanctum esse a Patre per Filium, non autem a Filio, propriam vocem ignorant, sicut Aristoteles de Anaxagora dicit : Volentes enim esse legis doctores, non intelligunt neque de quibus loquuntur, neque de quibus affirmant, ut dicitur I Timoth. cap. I, 7.

Cest pourquoi de la mme manire quil faut confesser que les cratures sont du Fils, bien que le Fils soit du Pre, de mme il faut confesser que lEsprit saint est du Fils, bien que le Fils soit du Pre. Donc il est clair que ceux qui disent que lEsprit saint est du Pre par le Fils, mais pas du Fils, ignorent ce quils disent; comme Aristote le dit dAnaxagore. Car voulant tre des docteurs de la loi, ils ne comprennent pas ni de quoi ils parlent ni ce quils affirment, comme il est dit en 1 Tm. 1, 7.

 

Solutions :

q. 10 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Filius et Spiritus sanctus dicuntur flores deigenae divinitatis, id est Paternae, prout uterque a Patre est. Sed quantum ad hoc quod Spiritus sanctus a Filio est, potest dici Filius esse radix, et Spiritus sanctus flos; non enim oportet ut similitudo rerum corporalium observetur quantum ad omnia in divinis.

 1. Il faut donc dire que le Fils et lEsprit saint sont appels des fleurs engendres de Dieu, c'est--dire des fleurs Paternelles dans la mesure o lun et lautre sont du Pre. Mais quant ce que lEsprit saint est du Fils, on peut dire que le Fils est la racine, et lEsprit saint la fleur ; car il ne faut pas tenir compte de la ressemblance avec ce qui est corporel pour tout ce qui est en Dieu.

q. 10 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Filius hoc habet a Patre quod ex se Spiritum sanctum emittat : unde et eodem modo convenit ei sicut et patri. Sed Pater non est principium divinae personae uno modo tantum, sed duobus, scilicet per generationem et spirationem. Unde non potest concludi quod Filius sit principium Spiritus sancti per generationem; sed est fallacia consequentis, et praecipue cum nec etiam Pater sit principium Spiritus sancti per generationem.

 2. Le Fils tient du Pre quil met lEsprit saint de lui : cest pourquoi et de la mme manire cela lui convient comme au Pre. Mais le Pre nest pas le principe de la personne divine dune seule manire seulement, mais de deux, savoir par gnration et spiration. Cest pourquoi on ne peut conclure que le Fils est le principe de lEsprit saint, par gnration, mais cest une erreur de raisonnement et surtout puisque le Pre nest pas le principe de lEsprit saint par gnration.

q. 10 a. 4 ad 3 Et similiter dicendum est ad tertium.

 3. Il faut dire de mme pour la troisime objection.

q. 10 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Spiritus sanctus non potest dici verbum proprie, sed communiter, prout omne quod est manifestativum alicuius verbum ipsius dicitur. Spiritus enim sanctus est manifestativus Filii, secundum quod de spiritu sancto Filius dicit Ioan. XVI, 14 : Ille me clarificabit, quia de meo accipiet. Filius autem proprie dicitur verbum, quasi conceptio intellectus divini.

 4. LEsprit saint ne peut pas tre appel verbe au sens propre, mais communment, dans la mesure o tout ce qui manifeste quelque chose est appel son verbe. Car lEsprit saint manifeste le Fils, selon ce que le Fils dit de lui : Jn 16,14 : Il me glorifiera, parce que cest de mon bien quil recevra. Mais le Fils est appel le Verbe au sens propre, comme une conception de lintellect divin.

q. 10 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in humana origine dicitur nepos qui eodem modo procedit a Filio sicut Filius a Patre. Spiritus autem sanctus non procedit in divinis a Filio sicut Filius a Patre; et ideo ratio non sequitur.

 5. Dans la gnration chez les hommes, on appelle petit-fils celui qui procde de la mme manire du fils comme le fils procde du Pre. Mais lEsprit saint ne procde pas du Fils en Dieu, comme le fils du Pre, et cest pourquoi la raison nest pas valable.

q. 10 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod esse principium non est contrarium ei quod est esse a principio, nisi intelligatur respectu eiusdem : non enim potest esse aliquid principium eius a quo est sicut a principio. Unde non sequitur quod in Filio sint contrariae proprietates, si sit a Patre sicut a principio et sit principium Spiritus sancti.

 6. tre principe nest pas contraire celui qui vient du principe moins quon le comprenne par rapport lui-mme ; car rien ne peut tre le principe de ce dont il vient comme dun principe. Cest pourquoi il nen dcoule pas que dans le Fils il y ait des proprits contraires, sil tait du Pre, comme de son principe et quil soit le principe de lEsprit saint

q. 10 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omne quod est in divinis, est commune vel proprium. Sed proprium dupliciter dicitur :  uno modo simpliciter et absolute, quod uni soli convenit, sicut risibile homini;   alio modo dicitur aliquid proprium non simpliciter, sed ad aliquid; ut si dicatur, quod rationale est proprium homini in comparatione ad equum, licet et alii conveniat, scilicet Angelo. Est ergo in divinis aliquid commune quod convenit tribus personis, ut esse Deum et huiusmodi; aliquid quod est proprium simpliciter, quod convenit uni personae tantum; et aliquid quod est proprium quoad aliquid, sicut spirare Spiritum sanctum est proprium patri et Filio per respectum ad Spiritum sanctum; tale enim proprium oportet in divinis poni, etiam si Spiritus sanctus non sit a Filio; quia esse ab alio, adhuc remanet proprium Filio et spiritui sancto in comparatione ad matrem.

 7. Tout ce qui est en Dieu est commun ou propre ; mais on parle de ce qui est propre de deux manires :  a) Simplement et absolument ; ce qui convient un seul, comme le risible lhomme. b) Dune autre manire, on dit que cest propre non pas selon labsolu mais selon la relation ; comme si on disait que le raisonnable est propre lhomme en comparaison au cheval, bien quil convienne un autre, comme lange. Donc il y a en Dieu quelque chose de commun qui convient aux trois personnes, comme tre Dieu, etc. et quelque chose qui est propre selon labsolu ; qui ne convient quՈ une seule personne, et ce qui est propre selon un rapport, comme spirer lEsprit saint est propre au Pre et au Fils par rapport lEsprit saint ; car il faut placer ce qui est propre en Dieu ainsi, mme si lEsprit saint nest pas du Fils ; parce que tre dun autre, demeure encore propre au Fils et lEsprit saint en comparaison de lorigine.

q. 10 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod nomen debiti in personis divinis, si quis recte diiudicare velit, non omnino recte sonat; quia debitum quamdam subiectionem et obligationem importat, quae in divinis esse non possunt. Richardus tamen de sancto Victore [in suo III libro de Trin., c. III, et lib. V, c. XVII et XVIII], utitur distinctione amoris gratuiti et debiti; nec intelligit per gratuitum nisi quod non est ab alio, per debitum vero quod ab alio est; secundum quem modum nihil prohibet intelligi eumdem amorem esse gratuitum ut est Patris, debitum vero ut est Filii; idem est enim amor quo Pater et quo Filius amat; sed hunc amorem Filius a Patre habet, Pater vero a nullo.

 8. Le nom de d dans les personnes divines, si on veut en juger droitement, ne sonne pas tout fait juste ; parce que ce qui est d apporte une sujtion et une obligation, qui ne peut pas exister en Dieu. Richard de saint Victor cependant (La Trinit, III, c. 3, et V, c. 17 et 18), se sert de la distinction de lamour gratuit et de lamour d, et il ne comprend par gratuit que ce qui ne vient pas dun autre, par d ce qui en vient ; de cette manire rien nempche de comprendre que le mme amour est gratuit, comme il est du Pre, mais d comme il est du Fils ; car lamour par lequel le Pre aime et le Fils aime est identique ; mais le Fils tient cet amour du Pre, mais le Pre de personne.

q. 10 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Spiritus sanctus est tantum gratuitus amor, secundum quod amori gratuito contraponitur mercenarius amor, quo aliquid non propter seipsum amatur, sed propter aliquem extrinsecum fructum. Secundum vero quod gratuitus amor dicitur, propter hoc quod ab alio sumit originem, non est contra rationem Spiritus sancti quod sit gratuitus amor : nam et ille amor quo per Spiritum sanctum Deum diligimus, originem habet ex his quae nobis a Deo sunt data; et sic nihil prohibet etiam amorem Filii, qui ab alio habet quod amat, Spiritum sanctum esse.

 9. LEsprit saint est seulement lamour gratuit, selon que lamour mercenaire est oppos lamour gratuit, par lequel une chose est aime non cause delle-mme, mais cause dun gain extrieur. Mais selon quon parle damour gratuit, du fait quil prend son origine dun autre ce nest pas contre la nature de l'Esprit saint, dՐtre cet amour gratuit; car cet amour par lequel nous aimons par lEsprit saint tire son origine de ce qui nous a t donn par Dieu, et ainsi rien nempche aussi lamour du Fils, qui tient dun autre daimer, dՐtre lEsprit saint.

q. 10 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Spiritus sanctus et a Patre procedit in Filium, et a Filio in Patrem, non quidem sicut in recipientem, sed sicut in obiectum amoris. Dicitur enim Spiritus sanctus a Patre in Filium procedere, in quantum est amor quo Pater amat Filium; et simili ratione potest dici quod Spiritus sanctus est a Filio in Patrem, in quantum est amor quo Filius Patrem amat; potest autem intelligi quod procedat a Patre in Filium, in quantum Filius a Patre accipit virtutem Spiritum sanctum spirandi; sed sic non potest dici quod procedat a Filio in Patrem, cum a Filio nihil accipiat Pater.

 10. LEsprit saint procde du Pre dans le Fils et du Fils dans le Pre, non comme dans celui qui reoit, mais comme dans un objet damour. Car on dit que lEsprit saint procde du Pre dans le Fils, en tant quil est lamour par lequel le Pre aime le Fils, et pour une raison semblable on peut dire que lEsprit saint est du Fils dans le Pre, en tant quil est lamour par lequel le Fils aime le Pre, mais on peut aussi comprendre quil procde du Pre dans le Fils, en tant que le Fils reoit du Pre le pouvoir de spirer lEsprit saint ; mais ainsi on ne peut pas dire quil procde du Fils dans le Pre, puisque le Pre ne reoit rien du Fils.

q. 10 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod hoc verbum diligit non solum dicit missionem amoris, sed etiam quamdam affectionem vel dispositionem secundum amorem. Ea vero quae in divinis emissionem dicunt, personaliter tantum accipi possunt, ut generare, spirare et huiusmodi : quae vero non important emissionem, sed magis ad informationem eius pertinent de quo dicuntur, essentialiter in divinis dicuntur, ut esse bonum, intelligentem et huiusmodi. Et inde est quod Spiritus sanctus dicitur diligere non quasi amorem emittens,- sic enim convenit tantum patri et Filio,- sed secundum quod diligere sumitur essentialiter in divinis.

 11. Ce mot : il aime non seulement dit encore la mission de lamour, mais aussi une certaine affection ou une disposition selon lamour. Ce quils appellent mission en Dieu, ils peuvent laccepter personnellement seulement, comme engendrer, spirer, etc ; ce qui napporte pas dՎmission, mais qui convient plus linformation de ce dont ils parlent, ils en parlent selon lessence, comme tre bon, intelligent etc. Et de l vient quon dit que lEsprit saint aime non comme mettant lamour, en effet cela convient ainsi seulement au Pre et au Fils mais dans la mesure o aimer est pris selon lessence en Dieu.

q. 10 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod hoc regulariter in sacra Scriptura invenitur, quod id quod dicitur de Patre, oportet quod de Filio intelligatur; et quod dicitur de utroque vel altero eorum, oportet intelligi de spiritu sancto, etiam si dictio exclusiva ponatur, praeter illa tantum quibus personae divinae ab invicem distinguuntur; sicut quod dicitur Ioan. XVII, 3 : haec est vita aeterna : ut cognoscant te, solum Deum verum, et quem misisti Iesum Christum. Non enim potest dici, quod Filio non conveniat esse Deum verum, quod ipse Filius soli patri attribuit; quia cum Pater et Filius unum sint, licet non unus, oportet quod de Patre dicitur, de Filio quoque intelligi. Nec etiam negandum est in cognitione Spiritus sancti vitam aeternam non esse, cum sit una cognitio trium. Similiter autem non est subtrahenda spiritui sancto Patris Filiique cognitio, licet Matth. XI, 27, dicatur : Nemo novit Filium nisi Pater; neque Patrem quis novit nisi Filius. Unde, cum hoc quod est habere ex se Spiritum sanctum procedentem, non pertineat ad rationem Paternitatis et filiationis, quibus Pater et Filius distinguuntur, oportet ut cum dicitur in Evangelio, quod Spiritus sanctus de Patre procedit, in hoc ipso intelligatur quod procedat a Filio.

 12. Il faut dire quon trouve rgulirement dans lՃcriture sainte, que ce qui est dit du Pre doit tre compris du Fils ; et ce qui est dit de lun et lautre ou de lun deux, doit tre compris de lEsprit saint, mme si on place un propos exclusif, au-del de ce par quoi les personnes divines se distinguent entre elles, comme ce qui est dit en Jn. 17, 3 :Cest la vie ternelle : quils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoy, Jsus Christ. Car on ne peut pas dire quil ne convient pas au Fils dՐtre le vrai Dieu, ce que le Fils lui-mme a attribu au Pre seul, parce que, comme le Pre et le Fils sont un, bien quils ne soient pas un seul[1039], il faut que ce qui est dit du Pre, soit compris aussi du Fils. Et aussi il ne faut pas nier que dans la connaissance de lEsprit saint il ny a pas de vie ternelle, puisquil y a une seule connaissance pour les trois. De la mme manire, il ne faut pas soustraire la connaissance quont le Pre et le Fils de lEsprit saint, bien quen Mt. 11, 27 il soit dit : Personne ne connat le Fils, sinon le Pre ; et personne ne connat le Pre sinon le Fils. Cest pourquoi, comme la possession de lEsprit saint qui procde de soi, ne convient pas la nature de la Paternit et de la filiation, par lesquelles le Pre et le Fils se distinguent, il faut, comme il est dit dans lՃvangile, que par le fait que lEsprit saint procde du Pre, on comprenne quil procde du Fils.

q. 10 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod doctrina Catholicae fidei sufficienter tradita fuit in symbolo Nicaeno; unde sancti Patres in sequentibus synodis non intenderunt aliquid addere, sed propter insurgentes haereses id quod implicite continebatur explicare studuerunt; unde in determinatione Chalcedonensis synodi dicitur : Praesens nunc sancta et magna atque universalis synodus praedicationem hanc ab initio inconcussam docens, definivit principaliter trecentorum decem et octo sanctorum patrum, qui scilicet in Nicaea convenerunt fidem manere intentabilem; et propter illos quidem qui adversum Spiritum sanctum pugnant, posteriori tempore a patribus apud Constantinopolim centum quinquaginta congregatis, de substantia Spiritus traditam doctrinam corroborat, quam illi omnibus notam fecerunt, non quasi quidem aliquid esset minus in praecedentibus, inferentes; sed de spiritu sancto intellectum eorum adversus eos qui dominium eius respuere tentaverunt, Scripturarum testimoniis declarantes.

 13. La doctrine de la foi catholique a t suffisamment rapporte dans le symbole de Nice ; cest pourquoi les saints Pres dans les Conciles suivants ne tentrent point dajouter quelque chose, mais ils sappliqurent expliquer, cause des hrsies qui surgissaient, ce quil contenait implicitement. Cest pourquoi dans la dcision, du Concile de Chalcdoine, il est dit : Maintenant le prsent Concile grand, saint et universel enseignant cette prdication inbranlable depuis le dbut principalement celle des 318 saints Pres, qui se sont rassembls Nice, a dcid de maintenir la foi incorruptible ; et cause de ceux qui combattent contre lEsprit saint, plus tard, par les cent cinquante Pres rassembls Constantinople, il renforce la doctrine rapporte sur la substance de lEsprit, quils ont fait connatre tous, en la rapportant non comme quelque chose dinfrieur dans les prcdents Conciles, mais au sujet de lEsprit saint en annonant par le tmoignage des critures leur concept contre ceux qui tentrent de repousser leur pouvoir, en proclamant le tmoignage des critures.

Et per hunc modum dicendum est, quod processio Spiritus sancti a Filio implicite in Symbolo Constantinopolitano continetur, in quantum continetur ibi quod procedit a Patre, quia quod de Patre intelligitur, oportet et de Filio intelligi, cum in nullo differant, nisi quia hic est Filius et ille Pater. Sed propter insurgentes errores eorum qui Spiritum a Filio esse negabant, conveniens fuit ut in symbolo poneretur, non quasi aliquid additum, sed explicite interpretatum quod implicite continebatur. Sicut si insurgeret haeresis quae negaret Spiritum sanctum esse factorem caeli et terrae, oporteret hoc explicite poni, cum in praedicto symbolo hoc non dicatur nisi de Patre. Sicut autem posterior synodus potestatem habet interpretandi symbolum a priore synodo conditum, ac ponendi aliqua ad eius explanationem, ut ex praedictis patet; ita etiam Romanus pontifex hoc sua auctoritate potest, cuius auctoritate sola synodus congregari potest, et a quo sententia synodi confirmatur, et ad ipsum a synodo appellatur. Quae omnia patent ex gestis Chalcedonensis synodi.

Et il faut dire par ce moyen que la procession de lEsprit saint du Fils est contenue implicitement dans le Symbole de Constantinople, en tant quil contient l quil procde du Pre, parce que ce quon comprend du Pre, il faut le comprendre aussi du Fils ; puisquils ne diffrent en rien, sinon parce que lun est le Fils et lautre le Pre. Mais cause des erreurs qui surgissent de la part de ceux qui niaient que lEsprit tait du Fils, il a t convenable quon le place dans le Symbole, non comme quelque chose dajout, mais interprt explicitement parce quil y tait contenu implicitement. De mme, si se levait une hrsie qui nierait que lEsprit saint soit le Crateur du ciel et de la terre, il faudrait lexposer explicitement, puisque dans ce symbole on ne le dit que du Pre. Mais de mme que le Concile suivant a le pouvoir dinterprter le symbole fond par le prcdant concile, et de poser quelque chose pour son explicitation, pour quil devienne clair partir de ce qui a t dit, de mme aussi le Pontife romain le peut par son autorit ; par sa seule autorit il peut runir le Concile et en confirmer lavis, et le concile lappelle lui. Tout cela est clair par les actes du Concile de Chalcdoine.

Nec est necessarium quod ad eius expositionem faciendam universale Concilium congregetur, cum quandoque id fieri prohibeant bellorum dissidia, sicut in septima synodo legitur, quod Constantinus Augustus dixit, quod propter imminentia bella universaliter episcopos congregare non potuit; sed tamen illi qui convenerunt, quaedam dubia in fide exorta, sequentes sententiam Agathonis Papae, determinaverunt, scilicet quod in Christo sint duae voluntates et duae actiones; et similiter Patres in Chalcedonensi synodo congregati, secuti sunt sententiam Leonis Papae, qui determinavit Christum esse in duabus naturis post incarnationem.

Et il nest pas ncessaire que pour en faire lexposition soit rassembl un Concile universel puisque quelquefois les menaces de guerre empchent que ce soit fait, ainsi pour le septime Concile, on lit que Constantin Auguste a dit, quՈ cause des guerres imminentes il na pas pu ressembler les vques du monde entier. Mais cependant ceux qui se rassemblrent, quelques doutes sՎtant levs sur la foi, suivant lopinion du Pape Agathon[1040], dterminrent que dans le Christ il y a deux volonts, et deux actions ; et de la mme manire les Pres rassembls au Concile de Chalcdoine, ont suivi lavis du Pape Lon[1041], qui dtermina que le Christ est dans deux natures aprs lIncarnation.

Attendi tamen debet, quod ex determinatione principalium Conciliorum habetur, quod Spiritus sanctus procedit a Filio. Suscepit enim Chalcedonensis synodus, sicut in eius determinatione dicitur, epistolas beati Cyrilli Alexandrinae Ecclesiae praesulis synodicas ad Nestorium et ad alios per orientem. In quarum una sic legitur : Quoniam ad demonstrationem suae divinitatis Christus utebatur suo spiritu ad magnas operationes, glorificari se dicebat ab eo, velut si quispiam dicat eorum qui secundum nos sunt insita sibi fortitudine vel disciplina, vel de quolibet, quia glorificabunt me. Sic enim et est in subsistentia Spiritus speciali, vel certe intelligitur per se, secundum quod Spiritus est et non Filius; sed tamen non est alienus ab eo : Spiritus enim veritatis nominatur, et est Spiritus veritatis, et profluit ab eo, sicut denique et ex Deo Patre. Nec obstat quod dicit : profluit, et non procedit; quia sicut ex praedictis patet, hoc verbum procedit, est communissimum eorum quae ad originem spectant. Unde quidquid emittitur vel profluit vel quocumque modo exoritur, ex hoc sequitur quod procedat. Habetur etiam in determinatione quinti Concilii Constantinopolitani : Sequimur per omnia sanctos Patres et doctores Ecclesiae, Athanasium, Hilarium, Basilium, Gregorium theologum, et Gregorium Nicaenum, Ambrosium, Augustinum, Theophilum, Ioannem Constantinopolitanum, Gulielmum, Leonem, Proculum; et suscipimus omnia quae de recta fide ad condemnationem haereticorum exposuerunt. Patet autem quia a pluribus horum in doctrina fidei traditum est, quod Spiritus sanctus procedit a Filio; a nullo vero eorum invenitur esse negatum. Unde non est contra Concilia, sed eis consonum, quod Spiritus sanctus procedere dicatur a Filio.

Cependant on doit tre attentif au fait quon sait par la dcision des principaux Conciles, que lEsprit saint procde du Fils. Car le concile de Chalcdoine a reu, comme il est dit dans sa dcision, du bienheureux Cyrille qui prside lՎglise dAlexandrie les lettres conciliaires pour Nestorius, et pour dautres en orient. Dans lune de celles-ci, on peut lire ainsi : Puisque pour la dmonstration de sa divinit le Christ se servait de son Esprit en vue de grandes oprations, il disait quil tait glorifi par lui, comme si quelquun de ceux qui, selon nous, ont t introduits en lui par force et discipline, ou au sujet de quelque chose disait quil me glorifieront. Car ainsi il est dans une subsistance spciale de lEsprit, ou bien il est compris certainement par soi selon quil est lEsprit et non le Fils ; mais cependant il ne lui est pas tranger ; car il est appel Esprit de vrit, et il lest et il dcoule de lui, comme en dernier lieu de Dieu le Pre. Et rien nempche quil dise il dcoule, et non il procde ; parce que, comme on le voit de ce qui a t dit, ce mot il procde, est le plus commun de ceux qui concernent lorigine. Cest pourquoi, tout ce qui est mis ou dcoule, procde ou sort de quelque manire. On trouve aussi dans la conclusion du cinquime Concile de Constantinople : Nous suivons pour tout les saints Pres et docteurs de lՃglise, Athanase, Hilaire, Basile, Grgoire le thologien (de Naziance) et Grgoire de Nysse, Ambroise, Augustin, Thophile, Jean de Constantinople, Guillem, Lon, Procule ; et nous recevons tout ce qui a t expos concernant la foi droite, pour la condamnation des hrtiques. Mais il est clair, parce que cela a t rapport par plusieurs dentre eux dans la doctrine de la foi, que lEsprit saint procde du Fils ; et on ne la trouv ni par aucun deux. Cest pourquoi ce nest pas contre les Conciles, mais en accord avec eux quon dit que lEsprit saint procde du Fils.

q. 10 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet hoc huius multipliciter dicatur, tamen in divinis hoc intelligi non potest nisi secundum habitudinem originis. Circa missionem vero sciendum est, quod in hoc omnes doctores conveniunt, quod persona non mittitur nisi quae ab alio est; unde patri, qui a nullo est, penitus non convenit mitti. Sed quantum ad personam a qua fit missio, diversa est doctorum sententia :- Athanasius autem [in epistula contra eos qui dicunt Spiritus sanctus esse creaturam, qui incipit : Littrae tuae sanctissimi] et quidam alii dicunt, quod nulla persona mittitur temporaliter nisi ab illa a qua est aeternaliter, sicut Filius mittitur temporaliter a Patre, a quo ab aeterno processit; et secundum hoc infallibiliter concludi potest, si Spiritus sanctus a Filio mittitur, quod aeternaliter ab eo existat. Quod vero dicitur Filius a spiritu sancto mitti, intelligendum est de Filio secundum humanam naturam, qui a spiritu sancto missus est ad praedicandum; unde significanter dicitur Isai. LXI, 1 : Ad evangelizandum pauperibus misit me; et sic exponit Ambrosius in libro de spiritu sancto [III,cap. I], licet Hilarius [VIII de Trinitate] hoc exponat, ut per Spiritum intelligatur Pater, secundum quod Spiritus aeternaliter sumitur in divinis.- Augustinus vero [lib. De Trin. Et unit.,cap. X] ponit quod persona procedens temporaliter mittatur ab ea etiam a qua aeternaliter non procedit. Nam cum missio divinae personae intelligatur secundum aliquem effectum in creatura, quae est a tota Trinitate, persona Missa a tota Trinitate mittitur; ut in missione non intelligatur auctoritas mittentis ad personam quae mittitur, sed causalitas ad effectum, secundum quem dicitur mitti persona. Non autem excluditur ratio probans Spiritum sanctum a Filio procedere per distinctionem ipsorum, per hoc quod proprietatibus distinguuntur; quia proprietates illae relativae sunt, et distinguere non possunt nisi ad invicem opponantur, sicut ex dictis patet [quaest. 8, a.   et 4].

 14. Bien que ce huius (de celui-ci) soit employ de multiples faons, cependant en Dieu on ne peut le comprendre que selon la relation dorigine. Mais propos de la mission, il faut savoir que tous les docteurs sont daccord, que nest envoye que la personne qui est dun autre ; cest pourquoi au Pre, qui ne dpend de personne, il ne convient absolument pas dՐtre envoy. Mais quant la personne qui accomplit la mission, lavis des docteurs est diverse. Athanase (dans sa lettre contre ceux qui disent que lEsprit saint est une crature, qui commence Ta lettre, trs saint homme) et certains autres disent quaucune personne nest envoye temporairement que par celle par qui elle est ternellement, comme le Fils est envoy temporairement par le Pre, duquel il procde ternellement. Et selon cela, on peut conclure infailliblement que si lEsprit saint est envoy par le Fils, il existe ternellement par lui. Mais dire que le Fils est envoy par lEsprit saint, doit tre compris du Fils selon la nature humaine, qui a t envoy par lEsprit saint pour prcher; cest pourquoi il est dit dune manire expressive, en Is. 61, 1 : Il ma envoy pour vangliser les pauvres et ainsi lexpose Ambroise (LEsprit saint, III, 1), bien quHilaire (La Trinit, VIII) expose que la Pre est pens travers lEsprit, selon que lesprit est assum ternellement en Dieu. Mais Augustin (La Trinit et lunit, X) pense que la personne qui procde temporairement est envoye par celle aussi do elle ne procde pas ternellement. Car, comme la mission de la personne divine est comprise selon un effet dans la crature, qui est de toute la Trinit, la personne envoye lest par toute la Trinit ; pour que dans la mission on ne comprenne pas lautorit de celui qui envoie pour la personne qui est envoye, mais la causalit pour leffet, selon quon dit que la personne est envoye. Et la raison qui prouve que lEsprit saint procde du Fils par leur distinction nest pas exclue par le fait quils sont distingus par les proprits, parce que celles-ci sont relatives, et ne peuvent distinguer que si elles sont opposes entre elles, comme on le voit par ce qui a t dit (qu. 8, a. 3 et 4).

q. 10 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod licet Spiritus sanctus sit a duobus, non tamen est compositus, quia illi duo, scilicet Pater et Filius, sunt per essentiam unum.q. 10 a.

 15. Bien que lEsprit saint vienne des deux, il nest pas cependant compos, parce que ces deux, savoir le Pre et le Fils, existent par une seule essence.

q. 10 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod philosophus [lib. I Physic., com. 52] attribuit principiis non esse ab alio, in quantum sunt prima. Principium autem primum, est principium non de principio, quod est Pater.

 16. Le philosophe (Physique, I, 6, 189 a 30[1042]) a assign aux principes de ne pas dpendre dun autre, en tant quils sont premiers. Mais le principe premier (pour ainsi dire) est principe mais pas dun principe qui est le Pre.

q. 10 a. 4 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet voluntas moveat intellectum ad aliquid intelligendum, non tamen voluntas aliquid velle potest, nisi sit praeintellectum; unde cum non sit procedere in infinitum, oportet devenire ad hoc quod intellectus aliquid intelligit naturaliter non ex imperio voluntatis. Filius autem procedit a Patre naturaliter; unde quamvis procedat per modum intellectus, non sequitur quod sit a spiritu sancto, sed e converso.

 17. Bien que la volont pousse lesprit pour penser, elle ne peut cependant vouloir que ce qui est connu davance : cest pourquoi comme on ne peut pas procder linfini, il faut en arriver ce que lintellect pense naturellement non par le pouvoir de la volont. Mais le Fils procde du Pre naturellement ; cest pourquoi bien quil procde par mode dintellect, il nen dcoule pas quil vienne de lEsprit saint, mais cest le contraire.

q. 10 a. 4 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Spiritus sanctus potest dici quiescere in Filio tripliciter :  uno modo secundum humanam naturam, secundum illud Is., XI, 1 : Egredietur virga de radice Iesse, et flos de radice eius ascendet, et requiescet super eum Spiritus domini.

 18. On peut dire que lEsprit saint se repose dans le Fils de trois manires :   a) Selon la nature humaine, daprs cette parole dIsae (11, 1) : Un rameau sortira de la souche de Jess et une fleur montera de sa souche, et lEsprit du Seigneur reposera sur lui.

Alio modo, ut intelligatur Spiritus in Filio requiescere, quia virtus spirativa a Patre datur Filio, et ultra non protenditur.   Tertio modo secundum quod amor dicitur requiescere in amato, in quo quietatur amantis affectus. Nullo autem istorum modorum excluditur processio Spiritus sancti a Filio.

b) Pour quon comprenne que lEsprit se repose dans le Fils, parce que le pouvoir de spirer est donn au Fils par le Pre, et ne sՎtend pas au-del. c) Selon quon dit que lamour se repose dans laim, en qui laffection de de celui qui aime se repose. Mais par aucune de ces manires nest exclue du Fils la procession de lEsprit saint dans le Fils.

q. 10 a. 4 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod non repugnat simplicitati Spiritus sancti, quod procedit a duobus, scilicet Patre et Filio, cum sint per essentiam unum.

 19. Que lEsprit saint procde des deux, savoir quil procde du Pre et du Fils, puisquils existent par une seule essence ne soppose pas sa simplicit.

q. 10 a. 4 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod eadem est perfectio Patris et Filii : unde per hoc quod Spiritus sanctus procedit a Patre perfecte, non excluditur quin procedat a Filio; alioquin sequeretur quod creatura non creetur a Filio cum perfecte creetur a Patre.

 20. La perfection du Pre et celle du Fils sont identiques ; cest pourquoi par le fait que lEsprit saint procde du Pre parfaitement, il nest pas exclu quil procde du Fils, autrement il en dcoulerait que la crature ne serait pas cre par le Fils, puisquelle est cre parfaitement par le Pre.

q. 10 a. 4 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod unitas essentiae non inducit confusionem personarum; unde ex unitate essentiae non possunt concludi illa quae repugnant distinctioni relativae; et sic ex hoc quod Pater et Spiritus sanctus sunt unum, non potest concludi quod Filius sit a spiritu sancto, licet Filius sit a Patre : quia Spiritus sanctus est ab eo; et iterum quia sequeretur quod Spiritus sanctus esset Pater, cum nihil aliud sit esse Patrem quam habere Filium de se procedentem.

 21. Lunit de lessence ninduit pas la confusion des personnes ; cest pourquoi de lunit de lessence, on ne peut pas tirer des conclusions sur ce qui soppose la distinction relative ; et ainsi du fait que le Pre et lEsprit saint sont un, on ne peut pas conclure que le Fils soit de lEsprit saint, bien que le Fils soit du Pre, parce que lEsprit saint est de lui, et nouveau parce quil en dcoulerait que lEsprit saint serait le Pre, alors quՐtre Pre ce nest rien dautre quavoir un Fils qui procde de soi.

q. 10 a. 4 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod splendor est a radio, cum nihil aliud sit quam reverberatio radii ad corpus clarum; et tamen splendor Filio attribuitur, Heb. I, 3 : Cum sit splendor gloriae.

 22. La splendeur vient du rayon, puisquelle nest rien dautre que la rflexion du rayon dans un corps clair ; et cependant la splendeur est attribue au Fils : Hbr. 1, 3 : Puisquil est la splendeur du Pre

q. 10 a. 4 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod calor est a splendore : nam corpora caelestia in istis inferioribus per suos radios causant calorem.

 23. La chaleur vient de la splendeur ; car les corps clestes causent la chaleur par leurs rayons dans ces (corps) infrieurs.

q. 10 a. 4 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod positio Nestorianorum fuit quod Spiritus sanctus non sit a Filio; unde in quodam symbolo Nestorianorum, condemnato in I Ephesina synodo, dicitur sic : Spiritum sanctum neque Filium putamus, neque per Filium essentiam accepisse. Propter quod Cyrillus contra Nestorium, in epistola praedicta, posuit Spiritum sanctum esse a Filio. Theodorus vero, in quadam epistola ad Ioannem Antiochenum sic dicit : Spiritus sanctus non ex Filio aut per Filium habens substantiam, sed procedens quidem a Patre; Spiritus vero Filii, eo quod et ei consubstantialis sit, nominatus. Haec autem verba Theodorus praedictus imponit Cyrillo, tamquam ab eo sint dicta in epistola quam ad Ioannem Antiochenum scripsit, licet in illa epistola hoc non legatur; sed dicitur ibi sic : Spiritus Dei Patris procedit quidem ex ipso, est autem et a Filio non alienus secundum unius essentiae rationem. Hanc autem Theodori sententiam secutus est postmodum Damascenus, quamvis dogmata eiusdem Theodori sint in quinta synodo condemnata. Unde in hoc non est standum sententiae Damasceni.

 24. La position des Nestoriens[1043] a t que lEsprit saint nest pas du Fils ; cest pourquoi, dans un symbole des Nestoriens, condamn au premier Concile dՃphse; il est dit ainsi : Nous pensons que lEsprit saint na pas reu le Fils, ni son essence par le Fils. Cest pourquoi Cyrille dans la lettre contre Nestorius dont on a parl, a tabli que lEsprit saint tait du Fils. Mais Thodoret, dans une lettre Jean dAntioche (Epist. 171) dit ainsi : LEsprit saint nest pas du Fils ou na pas sa substance par le Fils, mais il procde du Pre ; et il a t nomm lEsprit du Fils, parce quil lui est consubstantiel. Mais ces paroles, Thodoret dont on a parl, les attribue Cyrille comme dites par lui dans une lettre quil crivit Jean dAntioche, bien quon ne les lise pas dans cette lettre ; mais il y est dit ainsi : LEsprit de Dieu le Pre procde de lui, il nest pas tranger au Fils selon la nature dune unique essence. Et par la suite Damascne[1044] a suivi cette opinion de Thodoret, quoique ses dogmes soient condamns dans le cinquime Concile. Cest pourquoi dans ce cas il ne faut pas sen tenir lopinion de Jean Damascne.

 

 

 

Article 5  L'Esprit saint demeurerait-il distinct du Fils, s'il ne procdait pas de lui ?

q. 10 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum Spiritus sanctus a Filio remaneret distinctus, si ab eo non procederet.  Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1045].

 

Objections :

q.  10 a. 5 arg. 1 Dicit enim Richardus de sancto Victore [IV de Trin., cap. XIII,et XV], quod personae secundum originem differunt, quod unus originem habet, alter origine caret : vel si originem habet, tamen origo unius differt ab origine alterius. Sed alia est origo Spiritus sancti, alia est origo Filii : nam Spiritus sanctus procedit quasi spiratus, Filius autem quasi genitus. Ergo Spiritus sanctus personaliter differt a Filio, etiam si ab eo non procederet, propter originem diversam.

1. Richard de Saint Victor dit en effet (la Trinit, IV, ch. 13 et 15) que les personnes diffrent selon leur origine, parce que l'une a une origine, l'autre nen a pas ; ou bien, si elle a une origine, lorigine de lune est cependant diffrente de celle de l'autre. Mais l'origine de l'Esprit saint est diffrente de celle du Fils ; car l'Esprit saint procde comme spir, mais le Fils comme engendr. Donc l'Esprit saint diffre personnellement du Fils, mme s'il ne procdait pas de lui, cause d'une origine diffrente.

q.  10 a. 5 arg. 2 Item, Anselmus dicit [lib., de processione Spiritus sanctus] : habet utique a Patre esse Filius ac Spiritus sanctus, sed diversimode ; quia alter nascendo, alter procedendo, ut alii per hoc sint ad invicem ; et postea subdit : nam si per aliud non essent plures Filius et Spiritus sanctus, per hoc solum essent diversi. Ergo etsi Spiritus sanctus a Filio non procederet, tamen remaneret personaliter distinctus a Filio propter diversum originis modum.

2. Anselme dit (La procession de l'Esprit saint, 4, PL 158, 292 C) : Le Fils et l'Esprit saint ont rellement l'tre du Pre, mais de manires diffrentes ; parce que l'un la en naissant, l'autre en procdant, pour quils soient diffrents lun de l'autre et ensuite, il ajoute : Car si le Fils et l'Esprit saint n'taient pas plusieurs par un autre, ils ne seraient seulement diffrents que par cela. Donc, mme si l'Esprit saint ne procdait pas du Fils, cependant il demeurerait personnellement distinct de lui, cause du mode diffrent de son origine.

q.  10 a. 5 arg. 3 Item, in divinis personae distinguuntur propter hoc quod una est ab alia secundum aliquem originis modum. Sed secundum unum originis modum una persona in divinis procedit. Ergo si sunt duo modi originis, erunt duae personae procedentes, etiam si una ab altera non procedat. Constat autem quod secundum alium modum originis procedit Filius a Patre, et secundum alium Spiritus sanctus. Ergo Filius et Spiritus sanctus personaliter ab invicem distinguuntur, etiam dato quod unus ab alio non procedat.

3. En Dieu, les personnes se distinguent parce que l'une est par l'autre, selon un certain mode d'origine. Mais une seule personne procde en Dieu selon un seul mode. Donc s'il y a deux modes d'origine, il y aura deux personnes qui procdent, mme si l'une ne procde pas de l'autre. Mais il est clair que le Fils procde du Pre selon un mode d'origine et l'Esprit saint selon un autre. Donc le Fils et l'Esprit se distinguent personnellement l'un de l'autre, mme si on tablit que l'un ne procde pas de l'autre.

q.  10 a. 5 arg. 4 Item, impossibile est quod aliqua hypostasis secundum unam naturam pluribus processionibus procedat, quia hypostasis per id quod procedit, naturam accipit ; unde Filius habet duas nativitates secundum duas naturas. Sed in divinis sunt duae processiones, una quae est per modum nativitatis, alia quae est per modum spirationis. Impossibile est ergo quod una et eadem persona his duabus processionibus procedat. Necessarium est ergo quod sint duae personae distinctae, quae his duabus processionibus procedant. Ergo Spiritus sanctus remanet personaliter distinctus a Filio, etiam si ab eo non procedat.

4. Il est impossible qu'une hypostase procde selon une seule nature par plusieurs processions, parce qu'elle reoit sa nature par ce qui procde ; c'est pourquoi le Fils a deux naissances, selon les deux natures, mais en Dieu, il y a deux processions, l'une par mode de naissance, l'autre par celui de spiration. Donc il est impossible qu'une seule et mme personne procde par les deux processions. Donc, il est ncessaire qu'il y ait deux personnes distinctes qui procdent par ces deux processions. Donc l'Esprit saint demeure personnellement distinct du Fils, mme s'il ne procde pas de lui.

q.  10 a. 5 arg. 5 Item relationes aeternae in divinis non sunt accidentes neque assistentes, sed subsistentes personae. Illud ergo ad quod sequitur pluralitas relationum in divinis, sufficit ad personarum distinctionem. Sed diversitas actionum secundum speciem sufficit ad diversas relationes ; ex hac enim actione quae est gubernatio, consequitur relatio dominii ; ex illa vero actione quae est generatio, sequitur alia relatio, quae est paternitas : sicut etiam ad diversas quantitates secundum speciem consequuntur diversae relationes ; ad binarium enim consequitur relatio dupli, et ad ternarium relatio tripli. Processiones autem in divinis significantur per modum actionum. Si ergo sunt duae processiones, oportet quod sint duae relationes consequentes processiones. Ergo oportet quod sint duae personae ; et sic idem quod prius.

5. Les relations ternelles en Dieu ne sont ni accidentelles ni assistantes[1046], mais des personnes subsistantes. Donc ce quoi aboutit la pluralit des relations en Dieu, suffit pour la distinction des personnes. Mais la diversit des actions en espce suffit des relations diffrentes ; car de cette action dcoule la relation du pouvoir qui est une direction ; mais de cette action qui est la gnration dcoule une autre relation qui est la paternit ; comme aussi diverses relations aboutissent diverses quantits en lespce : car pour deux dcoule la relation de double et pour trois la relation du triple. Mais les processions en Dieu sont signifies par le mode des actions. Donc sil y a deux processions, il faut quil y ait deux relations qui accompagnent les processions. Donc il faut que ce soit deux personnes, ainsi de mme que plus haut.

q.  10 a. 5 arg. 6 Item, processio perfectius invenitur in divinis quam in rebus creatis : unde apostolus ad Ephes. III, 15, dicit, quod ex Patre caelesti omnis Paternitas in caelo et in terra nominatur. In rebus autem creatis processio sufficit ad distinguendum supposita procedentia : nam alia processione sive nativitate alius homo nascitur. Ergo in divinis processionis differentia sufficit ad distinguendum personas divinas, scilicet Filium et Spiritum sanctum.

6. On trouve une procession plus parfaite en Dieu que dans les cratures ; cest pourquoi lAptre dit aux phsiens (3, 15) que cest partir du Pre cleste que :  Toute Paternit tire son nom au ciel et sur terre. Dans les cratures la procession suffit pour distinguer les suppts qui procdent ; car un autre homme nat par une autre procession ou une autre naissance. Donc en Dieu la diffrence de procession suffit pour distinguer les personnes divines savoir le Fils et lEsprit saint.

q.  10 a. 5 arg. 7 Item, non est idem procedere per modum naturae quod procedere per modum amoris. Sed nomine Filii designatur persona procedens per modum naturae : nomine autem Spiritus sancti designatur persona procedens per modum amoris. Ergo Spiritus sanctus distinguetur a Filio, etiam si ab ipso non procedat per solam processionis differentiam.

7. Ce nest pas la mme chose de procder par mode de nature et par mode damour. Mais on donne le nom de Fils la personne qui procde par mode de nature. On donne le nom dEsprit saint celle qui procde par mode damour. Donc celui-ci se distingue du Fils mme sil procde de lui par la seule diffrence de procession.

q.  10 a. 5 arg. 8 Item, in Patre invenitur activa generatio et activa spiratio. Sed generare et spirare, in divinis distinguunt personas. Ergo sicut Filius est a Patre ut persona distincta per hoc quod a Patre generatur ; ita Spiritus sanctus est a Patre ut persona distincta, per hoc quod a Patre spiratur. Sic ergo sunt tres personae in divinis, etiam si Spiritus sanctus a Filio non procedat.

8. Dans le Pre, on trouve une gnration active et une spiration active. Mais engendrer et spirer ne distinguent pas les personnes. Donc, de mme que le Fils est du Pre, comme personne distincte, par le fait quil est engendr par lui, de mme lEsprit saint est du Pre, comme personne distincte par le fait quil est spir par lui. Ainsi donc, il y a trois personnes en Dieu, mme si lEsprit saint ne procde pas du Fils.

q.  10 a. 5 arg. 9 Item, Anselmus in Lib. de processione Spiritus sancti, [cap., quod incipit, Diligentius] dicit, quod Spiritus sanctus ita perfecte est a Patre sicut a Patre et Filio. Sed a Patre et a Filio est sicut distinctus ab utroque. Ergo si a Patre solo esset, remaneret ab utroque distinctus.

9. Anselme, dans le livre de la Procession de lEsprit saint (chapitre XVII qui commence : Diligentius, PL 158, 310 D) dit que lEsprit saint est aussi parfait quil soit du Pre ou quil soit du Pre et du Fils ; mais il est du Pre et du Fils comme distinct de lun et lautre. Donc sil tait seulement du Pre, il demeurerait distinct de lun et lautre.

q.  10 a. 5 arg. 10 Item, Pater est sufficiens et perfectum principium. Perfectum autem principium alicuius non indiget alio ad perfecte producendum id cuius est principium. Ergo Pater non indiget Filio ad hoc quod producat tertiam personam, scilicet Spiritum sanctum : ergo dato quod Spiritus sanctus non procederet a Filio, adhuc essent tres personae distinctae in divinis.

10. De mme, le Pre est principe suffisant et parfait. Mais le principe parfait dune chose na pas besoin dun autre pour produire parfaitement ce dont il est le principe. Donc le Pre na pas besoin du Fils pour produire une troisime personne, savoir lEsprit saint ; donc mme si on considrait que lEsprit saint ne procderait pas du Fils, il y aurait encore trois personnes distinctes en Dieu.

q.  10 a. 5 arg. 11 Item, remoto posteriori non removetur de necessitate prius ; sicut remoto homine non removetur animal. De personis autem divinis tria dicuntur, scilicet processio, communio et germanitas. Ratio autem processionis praecedit rationem communionis et etiam rationem germanitatis. In divinis autem non esset communio vel germanitas, nisi esset pluralitas personarum, quae per processionem multiplicantur. Ergo, remota communione et germanitate in divinis, adhuc remanet processio. Licet ergo Patris et Filii non sit communio ad spirandum Spiritum sanctum, neque sit germanitas Spiritus sancti ad Filium in hoc quod ab ipso procedat, adhuc remanet processio Spiritus sancti a Patre ; et ita remanent tres personae distinctae, scilicet duae procedentes, et una a qua procedit.

11. De mme, si on exclut ce qui est aprs, on nexclut pas ncessairement ce qui est avant ; ainsi, si on exclut lhomme, on nexclut pas lanimal. Mais on parle de trois [concepts] propos des personnes divines, c'est--dire la procession, la communion et la parent. Mais la raison de la procession prcde celle de la communion et aussi celle de la parent. Mais en Dieu il ny aurait pas de communion ou de parent, sil ny avait pas la pluralit des personnes qui sont multiplies par la procession. Donc, si on exclut la communion et la parent, demeure encore la procession. Donc, mme sil ny a pas de communion du Pre et du Fils pour spirer lEsprit saint, ni de parent de lEsprit saint au Fils, du fait quil procde de lui, la procession de lEsprit saint du Pre demeure encore ; et ainsi les trois personnes demeurent distinctes, savoir deux qui procdent et une do elles procdent.

q.  10 a. 5 arg. 12 Item, in divinis dicuntur proprietates, relationes et notiones. Ratio autem proprietatis prius est quam ratio relationis vel notionis, quia prius est intelligere personas constitutas proprietatibus personalibus quam quod ad invicem referantur vel innotescant. Remotis etiam relationibus, adhuc remanent proprietates constituentes personas. Ergo quamvis Spiritus sanctus non referatur ad Filium ut ab eo existens, adhuc tamen Filius et Spiritus sanctus erunt personae distinctae per suas proprietates.

12. En Dieu on parle de proprits, de relations et de notions ; mais la raison de la proprit est avant celle de la relation ou de la notion, parce que comprendre les personnes constitues par les proprits personnelles est avant quelles se rfrent lune lautre ou quelles se fassent connatre. Mais si on exclut les relations, les proprits qui constituent les personnes demeurent encore. Donc quoique lEsprit saint ne se rfre pas au Fils comme existant par lui, cependant le Fils et lEsprit saint seront des personnes distinctes par leurs proprits.

q.  10 a. 5 arg. 13 Item, filiatio est proprietas Filii constituens personam ipsius ; processio autem est proprietas Spiritus sancti, eius personam constituens. Filiatio autem non est processio, nec ei opponitur relative. Ergo remota omni relatione Spiritus sancti ad Filium, adhuc remanebunt Filius et Spiritus sanctus personae distinctae.

13. La filiation est la proprit du Fils qui constitue sa personne, et la procession est celle de lEsprit saint qui constitue la sienne. Mais la filiation nest pas une procession et ne lui est pas relativement oppose. Donc si on exclut toute relation de lEsprit saint au Fils, le Fils et lEsprit saint demeureront encore des personnes distinctes.

q.  10 a. 5 arg. 14 Item, multi posuerunt Spiritum sanctum a Filio non procedere, qui tamen tres personas in divinis posuerunt, sicut patet de Graecis. Ergo quamvis Spiritus sanctus a Filio non procedat, adhuc remanet a Filio distinctus.

14. Beaucoup ont pens que lEsprit saint ne procde pas du Fils, qui cependant ont pens quil y avait trois personnes en Dieu, comme on le voit chez les Grecs. Donc quoique lEsprit saint ne procde pas du Fils, il demeure encore distinct du Fils.

q.  10 a. 5 arg. 15 Item, Damascenus dicit [lib. I, c. XI] : Spiritum sanctum ex Patre dicimus procedere ; non autem ex Filio, sed Spiritum Filii nominamus. Ergo quamvis a Filio non procedat, adhuc remanet quod sit Spiritus Filii ; et ita remanet quod sit ab eo distinctus.

15 De mme Damascne[1047] dit (Livre I, ch. 11) : Nous disons que lEsprit saint procde du Pre, mais non du Fils, mais nous lappelons lEsprit du Fils. Donc, quoiquil ne procde pas du Fils encore, il demeure quil est lEsprit saint ; et ainsi quil est distinct de lui.

q.  10 a. 5 arg. 16 Item, sancti Graeci loquentes de Filio et spiritu sancto secundum similitudinem corporalium, dicunt esse sicut duos radios Paternae claritatis, et sicut duos rivos fontis divinitatis qui est in Patre, et sicut duos flores Paternae naturae. Sed radii, rivi et flores distinguuntur ab invicem, etiam si unus ab altero non sit. Ergo et Filius et Spiritus sanctus distinguuntur ab invicem.

16. Les Pres Grecs parlant du Fils et de lEsprit saint en se servant dimages corporelles, disent quil y a deux rayons de lumire du Pre ; et comme deux cours deau dune source divine qui est dans le Pre, et comme deux fleurs dune nature Paternelle ; mais les rayons, les cours deau et les fleurs se distinguent les uns des autres, mme si lun ne vient pas dun autre. Donc le Fils et lEsprit saint se distinguent entre eux.

 

En sens contraire :

q.  10 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Botius dicit [in libro de Trinitate], quod in divinis sola relatio multiplicat Trinitatem. Sed, si Spiritus sanctus non procedit a Filio, non erit aliqua relatio Spiritus sancti ad Filium. Ergo non distinguetur secundum numerum personae ab eo.

1. Boce (La Trinit) dit quen Dieu, seule la relation multiplie la Trinit. Mais si lEsprit saint ne procde pas du Fils, il ny aura pas de relation de lEsprit saint au Fils. Donc il ne se distinguera pas de lui selon le nombre de personnes.

q. 10 a. 5 s. c. 2 Item, Anselmus [in libro de processione Spiritus sancti, cap. II] dicit, quod Pater et Filius in omnibus unum sunt, nisi in his in quibus distinguit inter eos relationis oppositio ; et hoc propter essentiae unitatem. Sed similiter est una essentia Filii et Spiritus sancti. Ergo in omnibus unum sunt, nisi in his in quibus dividit inter eos relationis oppositio. Sed si Spiritus sanctus non sit a Filio, nullo modo dividit inter eos relationis oppositio. Ergo nullo modo erunt distincti ab invicem.

 2. Anselme (La procession de lEsprit saint, II, PL 158, 288 C) dit que le Pre et le Fils sont un en tous, sinon en ce en quoi lopposition de la relation les distingue entre eux et cela cause de lunit de lessence. Mais de la mme manire lessence du Fils et de lEsprit saint est une. Donc ils sont un en tous, sinon en ce en quoi lopposition de la relation les divise entre eux. Mais si lEsprit saint nest pas du Fils, en aucune manire lopposition de la relation ne les divise entre eux. Donc ils ne se distingueront entre eux en aucune manire.

q.  10 a. 5 s. c. 3 Item, Richardus de sancto Victore [V de Trinit., cap. XIV] dicit, quod non potest esse in Trinitate nisi una sola persona quae sit ab una persona tantum. Si autem Spiritus sanctus non sit a Filio ; sicut Filius est ab una persona sola, scilicet a Patre, ita et Spiritus sanctus. Ergo et Filius et Spiritus sanctus erunt una sola persona.

3. Richard de Saint Victor (La Trinit, V, c. 14) dit quil ne peut y avoir dans la Trinit quune seule personne qui nest que dune autre personne seulement. Mais si lEsprit saint nest pas du Fils, de mme que le Fils est dune personne seule savoir le Pre, lEsprit saint aussi. Donc le Fils et lEsprit saint seront une seule personne.

q.  10 a. 5 s. c. 4 Item [in eodem libro, cap. I], dicit, quod non potest in divinis esse nisi unus solus qui de se procedentem non habeat. Si autem Spiritus sanctus a Filio non procedit ; sicut Spiritus sanctus non habet de se procedentem, ita nec Filius habebit. Ergo Filius et Spiritus sanctus erunt unus solus.

4. (Dans le mme livre, c. 1) il dit quil ne peut y avoir en Dieu quun seul qui na pas quelquun qui procde de lui. Mais si lEsprit saint ne procde pas du Fils, de mme quil na personne qui procde de lui, le Fils naura personne non plus. Donc le Fils et lEsprit saint seront un seul.

q.  10 a. 5 s. c. 5 Item, ubicumque personae per relationes distinguuntur, oportet referri quod personaliter distinguitur. In divinis autem personae per relationes distinguuntur : non enim possunt per aliquod absolutum distingui. Ergo quod non refertur, non distinguitur. Sed si Spiritus sanctus non procedit a Filio, non refertur ad ipsum. Ergo non distinguitur personaliter ab eo.

5. Partout o les personnes se distinguent par les relations, il faut que ce qui est en relation se distingue selon les personnes. Mais en Dieu les personnes se distinguent par les relations ; car elles ne peuvent pas se distinguer par labsolu[1048]. Donc ce qui nest pas rfr ne se distingue pas. Mais si lEsprit saint ne procde pas du Fils, il na pas de relation avec lui. Donc il nest pas distingu personnellement de lui.

q.  10 a. 5 s. c. 6 Item, unum oppositorum non distinguit id cui inest, nisi ab eo in quo est reliquum oppositum ; sicut per albedinem non distinguitur aliquid nisi ab eo in quo est nigredo. Ergo et relatio non distinguit id in quo est nisi ab eo in quo est opposita relatio. Propria autem relatio Spiritus sancti, per quam personaliter distinguitur, est processio. Non ergo personaliter distinguitur nisi ab eo in quo est opposita relatio, quae est activa spiratio ; quae non est in Filio, si Spiritus sanctus non sit a Filio. Ergo si Spiritus sanctus non sit a Filio, non distinguitur personaliter ab eo.

6. Un des opposs na distingu ce en quoi il est que par ce en quoi il est un reste oppos ; ainsi une chose ne se distingue par la blancheur, que par ce en quoi il y a du noir. Donc la relation ne se distingue pas ce en quoi elle est que par ce en quoi il y a une relation oppose. Mais la propre relation de lEsprit saint, par laquelle il est distingu personnellement, cest la procession. Donc il nest distingu personnellement que par ce en quoi il y a la relation oppose, qui est la spiration active ; qui nest pas dans le Fils, si lEsprit saint ne vient pas du Fils. Donc si lEsprit saint nest pas du Fils, il nest pas distingu personnellement de lui.

q.  10 a. 5 s. c. 7 Item, ad relationem pertinentia in divinis sunt duo in communi, a quo alius, et qui ab alio. Sed a quo alius non distinguitur personaliter per diversum modum originis : nam eadem persona Patris est a qua est Filius per generationem et Spiritus sanctus per processionem. Ergo nec qui est ab alio per spirationem, scilicet Spiritus sanctus, distinguitur ab eo qui est ab alio per generationem, scilicet a Filio.

7. Ce qui convient la relation en Dieu a deux expressions en commun, celui par qui il est autre, et celui qui est dun autre. Mais celui par qui il est autre ne se distingue pas personnellement par un mode diffrent dorigine ; car la mme personne du Pre est celle par laquelle le Fils est par gnration et lEsprit saint par procession. Donc celui qui vient dun autre par spiration, savoir lEsprit saint, ne se distingue pas de celui qui vient dun autre par gnration, savoir le Fils.

q.  10 a. 5 s. c. 8 Item, Richardus [VI libro de Trinitate, cap. VI], assignans differentiam inter duas processiones Filii et Spiritus sancti, dicit : Communio maiestatis fuit, ut sic dicam, causa originis unius, scilicet Filii ; communio amoris fuit causa originis alterius ; scilicet Spiritus sancti. Non esset autem processio Spiritus sancti ex communione amoris, nisi Pater et Filius mutuo se amarent, et sic Spiritus sanctus ab eis procederet. Ergo si Spiritus sanctus a Filio non procederet, non esset differentia inter processionem Spiritus sancti et generationem Filii, et sic neque personaliter Spiritus sanctus esset a Filio distinctus.

8. Richard (La Trinit, VI, 6), assignant une diffrence entre les deux processions du Fils et de lEsprit saint, dit : La communion de la majest a t, pour ainsi dire, la cause de lorigine de lun, savoir le Fils ; la communion de lamour a t la cause de lorigine de lautre ; savoir lEsprit saint. Il ny aurait eu de procession de lEsprit saint par la communion damour, que si le Pre et le Fils saimaient dun amour rciproque, et si lEsprit saint procdait deux. Donc si lEsprit saint ne procdait pas du Fils, il ny aurait pas de diffrence entre la procession de lEsprit saint et la gnration du Fils, et ainsi lEsprit saint ne se distinguerait pas non plus personnellement du Fils.

 

Rponse :

q. 10 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod, si quis recte consideret dicta Graecorum, inveniet quod a nobis magis differunt in verbis quam in sensu. Non enim concedunt Spiritum sanctum a Filio procedere, vel propter ignorantiam vel proterviam seu calumniam, vel propter quamcumque aliam causam ; concedunt tamen Spiritum sanctum esse Spiritum Filii, et esse a Patre per Filium : quod non posset dici, si processio Spiritus sancti omnino esset a Filio absoluta. Unde datur intelligi quod etiam ipsi Graeci processionem Spiritus sancti aliquem ordinem ad Filium habere intelligunt.

Si quelquun considre srieusement les paroles des Grecs, il trouvera quelles diffrent des ntres plus dans les mots que dans le sens. Car ils ne concdent pas que lEsprit saint procde du Fils, cause de lignorance, de linsolence ou de la calomnie, ou pour quelque autre cause ; ils concdent cependant que lEsprit saint est lEsprit du Fils, et vient du Pre par le Fils, ce quon ne pourrait pas dire, si la procession de lEsprit saint tait tout fait affranchie du fils. Cest pourquoi il est donn comprendre que mme les Grecs conoivent que la procession de lEsprit saint a rapport au Fils.

Dico autem, quod si Spiritus sanctus non sit a Filio, nec aliquo modo Filius sit principium processionis Spiritus sancti, impossibile est quod Spiritus sanctus a Filio personaliter distinguatur, et etiam impossibile est quod processio Spiritus sancti differat a Filii generatione. Quod quidem manifestum est, si quis consideret ea ex quibus aliqui divinarum personarum distinctionem manifestant. Loquuntur enim quidam de distinctione personarum secundum relationes ; alii vero secundum modos originis ; quidam autem per comparationem ad essentialia attributa.

Et je dis que si lEsprit saint nest pas du Fils, et si de quelque manire le Fils nest pas le principe de la procession de lEsprit saint, il est impossible que lEsprit saint soit personnellement distingu du Fils, et il est aussi impossible que sa procession diffre de la gnration du Fils. Ce qui est vident, si on considre ce par quoi certains interprtent la distinction des personnes divines. Certains parlent en effet de la distinction des personnes selon les relations, dautres selon les modes dorigine, certain par comparaison aux attributs essentiels.

Si ergo consideremus modum distinguendi personas per relationes, manifeste apparet quod Spiritus sanctus personaliter a Filio distingui non potest, si ab eo non procedat :   primo quidem, quia distinctio aliquorum ab invicem non proprie potest esse nisi vel propter divisionem materialem seu quantitativam, vel propter divisionem formalem. Distinctio autem secundum materialem et quantitativam divisionem, invenitur in corporalibus rebus, in quibus eiusdem speciei sunt individua plura ex eo quod forma speciei in diversis partibus materiae secundum quantitatem divisionis invenitur : unde et si aliquod est individuum quod constat ex tota materia, in qua possibile est esse formam speciei, impossibile est quod illius speciei sint individua plura, sicut probat Aristoteles de Mundo, in principio [com. 95, et seq.]. Hunc autem modum distinctionis omnino oportet a divinis removeri, cum in Deo non sit materia nec quantitas corporalis. Distinctio autem aliquorum habentium unam naturam saltem generis, per divisionem formalem esse non potest nisi ratione alicuius oppositionis. Unde invenimus quod cuiuslibet generis differentiae sunt oppositae.

Si donc nous considrons la manire pour distinguer les personnes par les relations, il apparat manifestement que lEsprit saint ne peut pas tre distingu personnellement du Fils, sil ne procde pas de lui :  a) Premirement, parce que la distinction de ces choses entre elles ne peut proprement parler exister que ou bien cause dune division matrielle, ou quantitative, ou bien cause dune division formelle. Mais la distinction selon la matire ou la division quantitative se trouve dans ce qui est corporel, l o il y a plusieurs individus de la mme espce du fait que la forme de lespce se trouve en diverses parties de la matire selon la quantit de la division : cest pourquoi si une chose est compose de toute la matire, dans laquelle il est possible quil y ait la forme de lespce, il est impossible quil y ait plusieurs individus de cette espce ; comme le prouve Aristote (au commencement du Ciel et le monde ; com. 95 et ss.). Mais ce mode de distinction doit absolument tre exclu de Dieu, puisquen lui il ny a ni matire ni quantit physique. Et la distinction de ce qui a une seule nature, au moins en genre, ne peut exister par division formelle que par lexistence dune opposition. Cest pourquoi nous trouvons que les diffrences de nimporte quel genre sont opposes

Et ideo in natura divina non potest nec esse nec intelligi aliqua distinctio, cum sit una non solum genere sed numero, nisi per aliquam oppositionem. Unde cum personae distinguantur in divinis, oportet quod hoc sit per aliquam oppositionem relativam, quia alia oppositio in divinis esse non potest : et hoc satis manifeste apparet. Nam quantumcumque aliqua dividantur secundum rationem diversam, sicut essentialia attributa, non distinguunt personas quia ad invicem non opponuntur. Sic etiam plures notiones inveniuntur in una persona divina, propter hoc quod oppositionem ad invicem non habent, sicut in Patre : scilicet innascibilitas, paternitas, et spiratio activa. Ibi enim primo invenitur distinctio ubi primo occurrit oppositio relativa, sicut in hoc quod est esse Patrem et Filium. Ubi ergo non est oppositio relativa in divinis, non potest esse realis distinctio, quae est distinctio personalis.

Et ainsi dans la nature divine il ne peut ny avoir de distinction et on ne peut la comprendre, puisquelle est unique non seulement en genre mais en nombre que par une opposition. Cest pourquoi comme les personnes se distinguent en Dieu, il faut que cela se fasse par une opposition relative, parce quil ne peut pas y avoir dautre opposition en Dieu. Et cela est suffisamment clair. Car chaque fois que des choses sont divises selon une raison diffrente, comme les attributs essentiels, ils ne distinguent pas les personnes, parce quelles ne sopposent pas entre elles. Ainsi plusieurs notions se trouvent aussi dans une seule personne divine, parce quelles nont pas dopposition entre elles, comme dans le Pre ; savoir linnascibilit, la paternit et la spiration active. Car on trouve dabord une distinction l o arrive dabord une opposition relative, comme dans le fait dՐtre Pre et Fils. Donc l o il ny a pas dopposition relative en Dieu il ne peut pas y avoir une distinction relle, qui est une distinction personnelle.

Si autem Spiritus sanctus non procedit a Filio, non erit oppositio aliqua inter Filium et Spiritum sanctum, et ita non distinguetur personaliter Spiritus sanctus a Filio. Nec potest dici, quod ad talem distinctionem faciendam sufficiat oppositio affirmationis et negationis ; quia talis oppositio sequitur distinctionem, non autem distinctionem causat, cum existens ab altero distinguatur per aliquid sibi inhaerens substantialiter vel accidentaliter ; quod autem hoc non sit hoc, sequitur ex hoc quod distincta sunt. Similiter etiam patet quod veritas cuiuslibet negativae in existentibus supra veritatem affirmativae fundatur : sicut veritas huius negativae  Aethiops non est albus , fundatur supra veritatem huius affirmativae  Aethiops est niger . Et ideo oportet omnem differentiam quae est per oppositionem affirmationis et negationis, reduci in differentiam alicuius affirmativae oppositionis. Unde non potest esse prima distinctionis ratio inter Filium et Spiritum sanctum ex hoc quod Filius est genitus, non spiratus ; alius spiratus, non genitus nisi praeintelligatur distinctio inter generationem et spirationem, et inter Filium et Spiritum sanctum, per aliquam oppositionem duarum affirmationum.

Mais si lEsprit saint ne procde pas du Fils, il ny aura pas dopposition entre eux et ainsi lEsprit saint ne se distingue pas du Fils. Et on ne peut pas dire que pour tablir une telle distinction, lopposition de laffirmation et de la ngation suffise ; parce quune telle opposition suit la distinction, mais ne la cause pas, puisque ce qui existe par un autre se distingue par quelque chose qui lui est inhrent substantiellement ou accidentellement ; mais que ceci ne soit pas cela, dcoule de ce quils sont distincts. De la mme manire il est clair que la vrit de nimporte quelle ngation dans ce qui existe est fonde sur la vrit de cette affirmation ; ainsi la vrit de cette ngation : LՃthiopien nest pas blanc est fonde sur la vrit de cette affirmation : LՃthiopien est noir. Et cest pourquoi il faut que toute diffrence qui est par opposition dune affirmation et dune ngation soit ramene la diffrence dune opposition affirmative. Cest pourquoi la raison premire de la distinction ne peut pas exister entre le Fils et lEsprit saint du fait que le Fils est engendr et non pas spir ; lautre est spir et nest engendr que si on comprenne auparavant une distinction entre le gnration et la spiration, et entre le Fils et lEsprit saint, par une opposition des deux affirmations.

Secundo, quia, secundum Augustinum, [in lib. VI de trinit., cap. II] in divinis quod dicitur absolute, est commune tribus personis. Unde relinquitur quod divinarum personarum distinctio esse non possit nisi secundum id quod ad aliquid dicitur ; haec enim duo praedicamenta sunt in divinis. Prima autem distinctio quae in divinis secundum relationem invenitur, est per haec duo, a quo alius, et qui a nullo. Si autem alterum eorum subdistinguendum est, scilicet quod est ab alio, oportet quod subdistinguatur per ea quae sunt eiusdem rationis. Ut enim philosophus docet [VIII Metaph.], si quis in subdividendo utatur his quae sunt per accidens et non per se, non rectum divisionis ordinem sequitur ; sicut si diceretur : animalium aliud est rationale aliud irrationale ; irrationalium vero aliud album, aliud nigrum ; non esset recta divisio, quia cum ex his quae sunt per accidens, non fiat unum simpliciter, ultima species, ex differentiis multis constituta, non esset unum simpliciter.

b) Deuximement, parce que, daprs Augustin (la Trinit, VI, 2), en Dieu, ce quon dit dans labsolu est commun aux trois personnes. Cest pourquoi il reste que la distinction des personnes ne peut exister que selon ce qui est appel relation, car il y a deux catgories en Dieu. La distinction premire qui se trouve en Dieu selon la relation, est par ces deux expressions, celui par lequel il est autre et celui qui ne vient de personne. Mais sil faut distinguer lun deux, savoir quil est dun autre, il faut quil se distingue par ce qui est dune mme nature. En effet, comme lenseigne le philosophe (Mtaphysique, VIII), si quelquun en distinguant se sert de ce qui est par accident, et non par soi, il en dcoule un ordre de division incorrect, comme si on disait : lun des animaux est raisonnable, lautre sans raison ; parmi les non raisonnables lun est blanc, lautre noir ; ce ne serait pas une division correcte, parce que, comme lunit ne se fait absolument pas par les accidents, la dernire espce, constitue de nombreuses diffrences, ne serait absolument pas une unit.

Oportet ergo, si in divinis qui est ab alio distinguatur vel subdividatur, quod hoc sit per differentias eiusdem rationis, ut videlicet eorum quae sunt ab alio, unus eorum ab eorum altero sit ; et hoc importat differentia processionum, quae significatur cum dicitur quod unus procedit per generationem, alius per spirationem. Unde Richardus [V de Trin., cap10] hoc modo distinguit procedentem ab alio, quod unus habeat alium de se procedentem, alius vero non.

Il faut donc, si en Dieu celui qui est dun autre se distingue ou se spare, que ce soit par des diffrences de mme nature, comme par exemple, parmi ceux qui dpendant dun autre, lun deux soit de lun des deux parmi eux, et cela la diffrence des processions lapporte, ce quon signifie quand on dit que lun procde par gnration, lautre par spiration. Cest pourquoi Richard (La Trinit, V, 10) a distingu de cette manire celui qui procde de lautre, parce que lun en a un autre qui procde de lui, mais pas lautre.

Tertio, quia cum in Patre sint duae relationes, scilicet paternitas et activa spiratio, sola paternitas constituit personam Patris : unde dicitur proprietas sive relatio personalis ; spiratio vero activa est relatio personae non personalis, quasi personae iam constitutae superveniens. Ex quo patet quod generatio activa, sive Paternitas, secundum ordinem intelligendi, praesupponitur ad spirationem. Oportet ergo quod similiter filiatio, quae Paternitati per oppositionem respondet, secundum aliquem ordinem praesupponatur ad spirationem passivam, quae est processio Spiritus sancti. Aut ergo ita quod spiratio passiva intelligatur supervenire filiationi in eadem persona, sicut spiratio activa Paternitati : et sic erit in eadem persona spirati et nati, sicut generantis et spirantis ; aut oportet quod aliquem alium ordinem habeat filiatio ad spirationem passivam. Non est autem ordo in divinis nisi naturae, secundum quod aliquis est ab aliquo, ut dicit Augustinus [ lib. De Trin. et unit., cap ; XIII]. Unde relinquitur quod vel sit una persona Filii et Spiritus sancti spirati, vel quod Spiritus sanctus sit a Filio.

c) Troisimement, parce que, comme dans le Pre il y a deux relations, savoir la paternit et la spiration active, seule la paternit constitue la personne du Pre ; cest pourquoi on lappelle proprit ou relation personnelle, mais la spiration active est une relation non personnelle de la personne, comme sajoutant la personne dj constitue. Cela montre clairement que la gnration active, ou la Paternit, selon la manire de les comprendre, sont prsupposes la spiration. Il faut donc que de la mme manire la filiation, qui rpond par opposition la Paternit, soit prsuppose selon un certain ordre la spiration passive, qui est la procession de lEsprit saint. Ou bien donc de sorte que la spiration passive soit comprise comme arrivant en plus la filiation, dans la mme personne, comme la spiration active la Paternit ; et ainsi elle sera dans la mme personne de celui qui est spir et n, comme de celui qui engendre et qui spire ; ou bien il faut que la filiation ait quelque autre rapport la spiration passive. Mais il ny a dordre en Dieu que de la nature, selon que lun est dun autre ; comme le dit Augustin (La Trinit et lunit, ch. 13). Cest pourquoi il reste que ou bien le Fils et lEsprit saint sont une seule personne, ou bien lEsprit saint est du Fils.

Si quis autem distinctionem divinarum personarum per ipsam originem consideret, non per relationes originis, idem sequitur ; sicut ex his quae dicentur apparebit.

B. Si quelquun considrait la distinction des personnes divines par leur origine, non par les relations dorigine, la consquence serait la mme ; comme ce quon va dire va le montrer.

Primo quidem, quia si quis proprietatem divinae naturae consideret, impossibile est in Deo esse pluralitatem personarum nisi per hoc quod una ab alia oriatur, nullo autem modo per hoc quod duae oriuntur ab una. Quod patet, si quis consideret qualiter in diversis rebus distinctio invenitur. In rebus enim materialibus, in quibus possibile est fieri multiplicationem per divisionem materiae et quantitatis, ut dictum est, possibile est duo individua unius speciei ex aequo se habere, sicut et duae partes quantitatis ex aequo se habent ; ubi autem invenitur prima differentia secundum formam, ibi impossibile est quod aliquo duo se habeant ex aequo. Ut enim philosophus dicit [VIII Metaph., comm. 10], formae rerum sunt sicut numeri, in quibus variantur species per unitatis additionem vel subtractionem : et formales rerum differentiae consistunt in quodam perfectionis ordine. Nam planta specie differt a lapide in hoc quod superaddit vitam ; animal vero brutum a planta in hoc quod superaddit sensum : homo vero a bruto in hoc quod superaddit rationem. Et ideo in rebus immaterialibus, in quibus non potest esse multiplicatio secundum divisionem materiae, impossibile est quod sit pluralitas nisi cum ordine quodam. In substantiis quidem immaterialibus creatis est ordo perfectionis, secundum quod unus Angelus est perfectioris naturae quam alius. Et quia quidam philosophi crediderunt quod omnis natura imperfecta crearetur a perfectiori, ideo dixerunt quod in substantiis separatis non potest esse multiplicatio nisi per causam et causatum : quod tamen recta fides non tenet, quia credimus, ex ordine divinae sapientiae, differentes ordines substantiarum immaterialium productos esse.

a) Premirement, parce que si on considre la proprit de la nature divine, il est impossible quil y ait en Dieu pluralit de personnes, sinon que lune vienne de lautre, mais en aucune manire du fait que deux viennent dune seule. Ce qui est clair, si on considre de quelle manire sՎtablit la distinction dans diverses choses. Car dans ce qui est matriel, en quoi il est possible que se fasse la multiplication par la division de la matire, et de la quantit, comme on la dit, il est possible que deux individus dune mme espce se comportent de la mme manire, comme deux parties de quantit gale ; mais o on trouve une premire diffrence selon la forme, l il est impossible que deux tres se comportent galit. Comme, en effet, le philosophe le dit (Mtaphysique, VIII, 3, 1043 b 33[1049]), les formes des choses sont comme les nombres, dans lesquels les espces varient par addition ou soustraction dune unit : et les diffrences formelles consistent dans un certain ordre de perfection. Car la plante diffre en espce de la pierre du fait quelle ajoute la vie ; lanimal diffre de la plante du fait quil ajoute la sensation ; et lhomme diffre de lanimal du fait quil rajoute la raison. Et cest pourquoi dans les tres immatriels en qui il ny a pas de multiplication par la division de la matire, il est impossible quil y ait pluralit, sinon avec un certain ordre. Dans les substances immatrielles crs, il y a un ordre de perfection selon quun ange est dune nature plus parfaite quun autre. Et parce que certains philosophes ont cru que tout nature imparfaite serait cres par une plus parfait, ils ont dit que, dans les substances spares, il ne peut y avoir de multiplication que par la cause et leffet ; ce que cependant la foi droite naffirme pas parce que nous croyons que les diffrents ordres dans les substances immatrielles ont t produits par lordre de la sagesse divine.

Cum autem in divinis non possit esse ordo perfectionis, ut Ariani posuerunt,- dicentes Patrem Filio esse maiorem, et utrumque spiritu sancto,- relinquitur quod pluralitas in divinis personis esse non potest nec intelligi nisi secundum ordinem originis solum, ut scilicet Filius sit a Patre, et Spiritus sanctus a Filio. Si enim Spiritus sanctus non esset a Filio, ex aequo respiceret Patrem quantum ad originem ; unde vel non essent duae personae ; vel esset ordo inter eos perfectionis secundum Arianos ; vel esset inter eos materialis divisio ; quod est impossibile. Et hanc rationem sequens Hilarius dicit [in libro de Synodis], quod ponere in divinis duos ingenitos, id est non ab aliquo existentes, est ponere duos deos ; quia si non sit multiplicatio per originis ordinem, oportet quod sit per ordinem naturarum. Et ideo eadem est ratio, si inter Filium et Spiritum sanctum originis ordo non ponatur.

Et comme en Dieu il ne peut pas y avoir dordre dans la perfection, comme les Ariens lont pens, disant que le Pre tait plus grand que le Fils, et lun et lautre plus grand que lEsprit saint il reste que la pluralit dans les personnes divines ne peut exister ni tre comprise que selon la relation dorigine seulement, savoir le Fils est par le Pre, et lEsprit saint par le Fils. Car si lEsprit saint nՎtait pas par fils, il ne considrerait pas le Pre galit quant lorigine ; cest pourquoi il ny aurait pas deux personnes, ou bien il y aurait un ordre de perfection entre elles selon les Ariens ; ou bien il y aurait entre elles une division matrielle, ce qui est impossible. Et Hilaire suivant cette raison, (dans le livre des Synodes) dit que, penser quen Dieu il y a deux [personnes] qui ne sont pas engendrs, cest--dire qui nexistent pas par un autre, cest tablir quil y a deux dieux ; parce que sil ny a pas de multiplication par lordre dorigine, il faut que ce soit par lordre des natures ; et ainsi cest la mme raison, si entre le Fils et lEsprit saint, on ne place pas dordre dorigine.

Secundo, quia quod procedit ab uno naturaliter, oportet esse unum : natura enim semper ad unum se habet ; sed quae procedunt ab aliquo per voluntatem operantem, possunt esse plura, licet sint ab uno : sicut ab uno Deo diversae creaturae processerunt secundum voluntatem ipsius. Constat autem quod Filius procedit a Patre naturaliter et non per voluntatem, ut Ariani dixerunt ; et hoc ideo quia Hilarius dicit [in libro de Synodis] : quod naturaliter procedit ab aliquo, est tale quale est ipsum a quo procedit ; quod autem procedit ab aliquo secundum voluntatem agentem, non est tale quale est illud a quo procedit, sed quale vult esse illud. Filius autem talis est qualis est Pater ; creaturae vero sunt tales quales Deus voluit eas esse. Unde Filius est a Patre naturaliter, creaturae autem ab eo per voluntatem. Similiter autem et Spiritus sanctus talis est qualis est Pater ; non enim est creatura, ut Arius et Macedonius dixerunt. Unde oportet quod naturaliter a Patre procedat ; propter quod dicitur ab Athanasio et aliis sanctis esse naturalis Spiritus Patris et Filii. Impossibile est ergo quod Filius et Spiritus sanctus procedant a Patre nisi hoc modo quod a solo Patre procedit unus solus, scilicet Filius ; et a Patre et Filio, in quantum unum sunt, unus Spiritus sanctus.

b) Deuximement, parce que ce qui procde dun seul naturellement, doit tre un ; car la nature se comporte toujours vis--vis de lunit ; mais ces tres qui procdent de quelque chose par une volont en acte, peuvent tre plusieurs, bien quils soient que dun seul : ainsi dun seul Dieu ont procd diverses cratures selon sa volont. Mais il est clair que le Fils procde du Pre par nature, et non par volont, comme les Ariens lont dit, et cest pour cela quHilaire a dit (dans le livre des Synodes) : Ce qui procde naturellement de quelquun est tel quest celui dont il procde ; mais ce qui procde de quelquun selon une volont agente, nest pas tel quest celui de qui il procde, mais tel quil le veut. Ainsi le Fils est tel que le Pre ; et les cratures sont telles que Dieu a voulu quelles soient. Cest pourquoi le Fils vient du Pre par nature, mais les cratures par sa volont. De la mme manire, lEsprit saint est tel que le Pre, car il nest pas une crature, comme Arius et Macdonius lont dit. Cest pourquoi il faut quil procde naturellement du Pre ; cest pourquoi Athanase ainsi que dautres saints disent, quil est lEsprit naturel du Pre et du Fils. Il est donc impossible que le Fils et lEsprit saint procdent du Pre sinon de cette manire quun seul procde du seul Pre, savoir le Fils, et du Pre et du Fils en tant quils sont un, un seul Esprit saint.

Tertio, quia, sicut Richardus [in V de Trin., qap. IX] probat, impossibile est quod in divinis sit mediataprocessio. Cum enim quaelibet divina persona sit in alia, oportet quod quaelibet divina persona immediate ad aliam ordinetur. Si autem Filius et Spiritus sanctus essent a Patre absque hoc quod Spiritus sanctus esset a Filio, Spiritus sancti ad Filium non esset immediatus ordo : non enim ordinaretur ad invicem nisi mediante uno a quo existerent, sicut duo fratres ab uno Patre geniti. Unde impossibile est quod Filius et Spiritus sanctus hoc modo sint a Patre, sicut duae personae distinctae, quod unus eorum non sit ab alio.

c) Troisimement, parce que, comme Richard le prouve (la Trinit, V, 11), il est impossible quen Dieu il y ait une procession intermdiaire. En effet, comme nimporte quelle personne divine est dans une autre, il faut quelles soient ordonnes lautre sans intermdiaire. Mais si le Fils et lEsprit saint taient du Pre sans que lEsprit saint soit du Fils, le rapport de lEsprit saint au Fils ne serait pas immdiat ; car ils ne seraient ordonns entre eux que par un intermdiaire par lequel ils existeraient, comme deux frres engendrs par un seul Pre. Cest pourquoi il est impossible que le Fils et lEsprit saint soient du Pre de cette manire, comme deux personnes distinctes, parce que lun deux nest pas de lautre.

C. Si vero aliquis consideret distinctionem personarum per ordinem ad attributa essentialia, patet etiam quod idem sequitur.  Primo quidem, quia secundum hoc dicitur, quod Filius procedit per modum naturae, Spiritus autem sanctus per modum voluntatis. Nam semper processio naturae est principium et origo cuiuslibet alterius processionis ; omnia enim quae per artem et voluntatem vel intellectum fiunt, procedunt ab his quae secundum naturam sunt. Et ideo Richardus dicit [VI libro de Trinitate, capit. XVIII], quod inter omnes procedendi modos constat primum locum tenere et ceteris principaliorem esse illum modum procedendi qui est Filii a Patre. Nam nisi iste praecesserit, ceterorum nullus existendi locum habebit omnino.

C. Si quelquun considrait la distinction des personnes par lordre aux attributs essentiels, il est clair aussi quil en dcoule la mme chose. a) Premirement, parce que selon cela il est dit que le fils procde par mode de nature, et lEsprit saint par mode de volont. Car toujours la procession de nature est le principe et lorigine de nimporte quelle autre procession ; car tout ce qui est fait par art, volont ou intellect procde de ce qui est naturel. Et cest pourquoi Richard dit (La Trinit, VI, 17), quentre tous les modes de procder, il est clair que tenir la premire place et tre plus important pour les autres est ce mode de procder qui est du Fils par le Pre. Car si cela navait prcd, aucun des autres naurait eu tout fait lieu dexister.

Secundo manifestum est si dicatur, quod Filius procedit processione intellectuali ut Verbum, Spiritus autem sanctus processione voluntatis ut amor. Non enim potest esse nec intelligi quod amor sit alicuius quod non est in intellectu praeconceptum : unde quilibet amor est ab aliquo verbo, loquendo de amore in intellectuali natura.

b) Deuximement, il est vident que, si on dit que le Fils procde dune procession intellectuelle, comme Verbe, lEsprit saint procde par une procession de volont comme amour. Car il nest pas possible et on ne peut comprendre que lamour soit de quelquun qui nest pas prconu dans lintellect ; cest pourquoi nimporte quel amour, est par un verbe, si on parle de lamour dans la nature intellectuelle.

Tertio idem apparet, si Spiritum sanctum dicamus esse vivificum quoddam spiramen divinitatis, ut dicit Athanasius. Omnis enim motus et actio vitae ordinatur per intellectum, nisi ex imperfectione naturae contrarium accidat.

c) Troisimement, la mme chose apparat si nous disons que lEsprit saint est quelque spiration vivificatrice de la divinit, comme le dit Athanase. Car tout mouvement et action de vie sont ordonns par lintellect moins que narrive le contraire par limperfection de la nature.

Unde ex omnibus supradictis datur intelligi, quod nec Spiritus sanctus esset alius a Filio si ab eo non procederet, nec spiratio esset aliud a generatione.

Cest pourquoi par tout ce qui a t dit, il est donn comprendre que lEsprit saint ne serait pas autre que le Fils sil ne procdait pas de lui, la spiration ne serait pas autre chose que la gnration.

 

Solutions :

q. 10 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Spiritus sanctus distinguitur substantialiter a Filio in hoc quod origo unius differt ab origine alterius ; sed ipsa differentia originis est per hoc quod Filius est a Patre solo, Spiritus autem sanctus a Patre et Filio. Quod patet per Richardum de sancto Victore qui in II de Trin.[libro V, capit. XX] dicit : Notandum, quod huiusmodi differentia proprietatum in solo consistit numero producentium ; nam prima earum habet esse a nulla alia, altera ab una sola, tertia vero a gemina.

 1. LEsprit saint se distingue substantiellement du fils du fait que lorigine de lun diffre de celle de lautre, mais la diffrence dorigine elle-mme vient du fait que le Fils est du seul Pre, mais lEsprit saint du Pre et du Fils. Ce quՎclaire Richard (La Trinit, II, livre, V, 20) qui dit Il faut noter quune telle diffrence des proprits consiste dans le seul nombre de ceux qui produisent ; car la premire dentre elles a lՐtre daucun autre, lautre dune seule, mais la troisime des deux.

q. 10 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod id quod dicit Anselmus, quod Filius et Spiritus sanctus per hoc solum ad invicem distinguuntur quod diverso modo procedunt, est omnino verum ; sed, sicut ostensum est, diverso modo procedere non possent, nisi Spiritus sanctus a Filio esset ; unde remoto quod Spiritus sanctus non sit a Filio, omnino distinctio Spiritus sancti removetur a Filio. Est autem intentio Anselmi [in lib. De processione Spirtus sanctus] prius ponere ea in quibus nos convenimus cum negantibus Spiritum sanctum a Filio esse, qui tamen Spiritum sanctum a Filio dicunt distingui. Unde verba praedicta Anselmi inducta sunt magis ut disputativa suppositio quam veritatis definitio.

 2. Ce que dit Anselme, que le Fils et lEsprit saint par le seul fait quils se distinguent entre eux. Par le fait quils procdent de manire diffrente, est tout fait vrai ; mais comme on la montr, ils ne pourraient procder dune manire diffrente que si lEsprit saint tait du Fils, cest pourquoi si on exclut que lEsprit saint nest pas du Fils, la distinction de lEsprit saint est tout fait exclue du Fils. Cest le dessein dAnselme, (le livre de la Procession de lEsprit saint) de placer avant ce en quoi nous sommes en accord avec ceux qui nient que lEsprit saint vient du Fils, qui cependant disent quil en est distingu. Cest pourquoi les mots dAnselme ci-dessus, sont induits plus comme une controverse que comme une dfinition de la vrit.

q. 10 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bene sequitur si sunt duo modi originis in divinis, quod sunt duae personae procedentes ; sed duo modi originis esse non possunt nisi per hoc quod Spiritus sanctus procedit a Filio, ut ostensum est.

 3. Il dcoule bien, sil y deux modes dorigine en Dieu, quil y a deux personnes qui procdent ; mais il ne peut y avoir deux modes dorigine que parce que lEsprit saint procde du Fils, comme on la montr.

q. 10 a. 5 ad 4 Et similiter dicendum ad quartum.

 4. Il faut dire de mme.

q. 10 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non oportet quod tot sint personae subsistentes in divinis, quot sunt relationes : nam in una persona Patris sunt duae relationes, scilicet Paternitas, per quam refertur ad Filium, et communis spiratio, per quam refertur ad Spiritum sanctum : paternitatis enim relatio constituit personam subsistentem ; sed relatio communis spirationis non est proprietas personam constituens, sed relatio personae subsistenti inhaerens. Unde non sequitur, si ex generatione et processione consequuntur duae relationes, quod propter hoc sint tantum duae personae subsistentes. Potest etiam responderi, quod non sunt duae processiones nisi unus procedentium sit ab alio, ut dictum est.

 5. Il ne faut pas quil y ait en Dieu autant de personnes quil y a de relations subsistantes; car dans la seule personne du Pre, il y a deux relations ; c'est--dire la Paternit, par laquelle il se rfre au Fils, et la spiration commune, par laquelle il se rfre lEsprit saint : car la relation de paternit a constitu une personne subsistante ; mais la relation commune de la spiration nest pas la proprit qui constitue une personne, mais la relation inhrente la personne qui subsiste. Cest pourquoi il nen dcoule pas si deux relations arrivent par gnration et procession quՈ cause de cela il y ait seulement deux personnes subsistantes. Aussi on peut rpondre que ce ne sont pas deux processions sinon que lun de ceux qui procde est dun autre, comme on la dit.

q. 10 a. 5 ad 6 Et per hoc patet solutio ad sextum.

 6. Et par l parat la solution la sixime objection.

q. 10 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod illud quod procedit per modum amoris, oportet quod procedat ab eo quod procedit per modum naturae, ut ex dictis patet.

 7. Ce qui procde par mode damour, doit procder de ce qui procde par mode de nature, comme cela se voit par ce qui a t dit.

q. 10 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod spiratio distinguit Spiritum sanctum a spirante, sicut generatio generatum a generante ; non tamen ex hoc sequitur quod spiratus a generato distinguatur, cum et spirans et generans sint idem. Nec propter hoc quod idem non potest duabus processionibus diversis procedere : sed processiones in divinis non possunt esse diversae, nisi per hoc quod unus procedentium est ab alio, ut ostensum est [art. praec.].

 8. La spiration a distingu lEsprit saint de celui qui spire, comme la gnration celui qui est engendr de celui qui engendre ; cependant il nen dcoule pas que celui qui est spir soit distingu de celui qui est engendr, puisque celui qui spire et celui qui engendre sont le mme. Et ce nest pas cause de cela que le mme ne peut pas procder par deux processions diffrentes : mais les processions en Dieu ne peuvent tre diffrentes que par le fait que lun de ceux qui procdent est dun autre, comme on la montr (article prcdant).

q. 10 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Spiritus sanctus ita perfecte est a Patre, sicut a Patre et Filio ; non tamen propter hoc quod est a Patre, a Filio distinguitur, sed propter hoc quod est a Filio.

 9. LEsprit saint est aussi parfaitement du Pre que du Pre et Fils ; ce nest pas cependant par le fait quil est du Pre, quil est distingu du Fils, mais parce quil est du Fils.

q. 10 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Pater est sufficiens principium Spiritus sancti, nec indiget alio principio ad spirationem Spiritus sancti ; Filius enim non est aliud principium Spiritus sancti a Patre, sed unum principium cum ipso.

 10. Le Pre est le principe suffisant de lEsprit saint, et il na pas besoin dun autre principe pour la spiration de lEsprit saint ; car le Fils nest pas un autre principe de lEsprit saint, mais un principe avec lui.

q. 10 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet processio sit prius per intellectum quam communio, sicut commune quam proprium, tamen talis processio,- scilicet Spiritus sancti, qui procedit quasi amor et communio et nexus Patris et Filii,- non est prius secundum intellectum quam communio. Unde non oportet quod, remota communione, remaneat processio ; sicut animal est prius secundum rationem quam homo, non autem animal rationale.

 11. Bien que la procession soit par lintellect avant lunion, comme ce qui est commun est avant ce qui est propre, cependant une telle procession, savoir celle de lEsprit saint, qui procde comme amour et communion et lien du Pre et du Fils, nest pas selon lintellect avant lunion. Cest pourquoi il ne faut pas que si on exclut lunion, la procession demeure ; ainsi lanimal est en raison avant lhomme, mais pas lanimal raisonnable.

q. 10 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod eaedem secundum rem in divinis sunt proprietates et relationes et notiones ; nisi quod proprietates sunt solum tres, scilicet aternitas, filiatio et processio. Relationes autem sunt quatuor, addita praedictis proprietatibus tribus communi spiratione, quae relatio quidem est, non tamen proprietas, quia non uni personae convenit, sed duabus. Notiones vero sunt quinque, addita innascibilitate ; quae non est relatio, sed notio, quia per eam Pater innotescit ; est etiam proprietas, quia convenit soli patri ; non tamen proprietas personalis, quia non constituit personam Patris.

 12. Les proprits, les relations et les notions en Dieu sont identiques en ralit ; sinon que les proprits soient seulement trois, savoir la paternit, la filiation et la procession. Mais les relations sont quatre ; si on ajoute aux trois proprits dj signales, la spiration commune qui est une relation, mais cependant pas une proprit, parce quelle ne convient pas une seule personne. Mais les notions sont cinq, si on ajoute linnascibilit ; qui nest pas une relation, mais une notion, parce que le Pre se fait connatre par elle. Mais elle est aussi une proprit, parce quelle convient au Pre seul, mais pas cependant une proprit personnelle, parce quelle na pas constitu la personne du Pre[1050].

Quantum ergo ad rem, ordinem habere non possunt proprietates, relationes et notiones, cum idem sub tribus contineatur. Si autem eorum ordo quantum ad proprias rationes requiratur, tunc notio prior est relatione secundum ordinem quo aliquid dicitur prius quoad nos ; relatio autem et proprietas secundum ordinem quo aliquid prius est secundum rem. Si autem relationis et proprietatis ordinem requiramus, in rebus creatis non est eorum ordinem assignare. Nam aliqua proprietas est relatio, sed non omnis ; similiter et aliqua relatio est proprietas, sed non omnis. Si tamen proprietas ab aliquo absoluto sumatur, sic proprietas primum est eo ordine quo absolutum est prius relato. In divinis autem personis oportet quod relationis ratio rationem proprietatis praecedat ; nam cum proprium sit quod uni soli convenit, ratio proprietatis distinctionem praesupponit. In divinis autem non potest esse aliquid distinctum, nisi per hoc quod est ad aliquid. Unde relatio, quae est distinctionis principium in divinis, secundum rationem prior est proprietate.

Donc en ralit, les proprits, les relations et les notions ne peuvent pas avoir dordre, puisque le mme est contenu sous les trois (catgories). Mais si leur ordre quant aux relations propres est requis, alors la notion est avant la relation selon lordre par lequel on dit que quelque chose est avant selon nous, mais la relation et la proprit selon lordre par lequel quelque chose est avant en ralit. Mais si nous recherchons lordre de la relation et de la proprit, dans les cratures, on na pas leur assigner dordre. Car une proprit est une relation, mais pas toute proprit, de la mme manire une relation est une proprit mais pas toute relation. Cependant si la proprit est prise dun absolu, elle est dabord par cet ordre par lequel labsolu est avant le relatif. Mais, dans les personnes divines, il faut que la raison de la relation prcde celle de la proprit ; car comme le propre est ce qui convient un seul, la raison de la proprit prsuppose la distinction. Mais en Dieu il ne peut y avoir quelque chose de distinct, que par ce qui est relation. Cest pourquoi la relation qui est le principe de la relation en Dieu, est en raison avant la proprit.

Sciendum tamen est, quod neque proprietas neque relatio, secundum quod huiusmodi, habent rationem constituendi personam. Nam cum persona sit rationalis naturae individua substantia, id quod est extra substantiam, personam constituere non potest ; unde in rebus creatis proprietates et relationes non sunt constituentes, sed magis advenientes constitutis personis. In divinis autem ipsa relatio, quae est etiam proprietas, est divina essentia ; et ex hoc habet quod id quod per eam constitutum est, sit persona : nisi enim Paternitas esset divina essentia, nullatenus hoc nomen Pater significaret personam, sed solum accidens relativum personae, sicut patet in personis humanis. Paternitas ergo, in quantum est divina essentia, constituit hypostasim subsistentem in divina natura ; in quantum vero est relatio, distinguit ; in quantum vero est proprietas, convenit uni personae, et non alii ; in quantum vero est notio, est principium innotescendi personam. Sic ergo secundum ordinem intellectus, primum est quod sit personam constituens ; secundum quod sit distinguens ; tertium quod sit proprietas ; quartum quod sit notio.

Il faut cependant savoir que ni la proprit ni la relation, en tant que telles, nont de raison de constituer une personne. Comme, en effet, la personne est une substance individuelle de nature raisonnable, ce qui est hors delle ne peut pas constituer une personne ; cest pourquoi dans les cratures, les proprits et les relations napportent pas de constitution, mais plutt elles adviennent aux personnes constitues. Mais en Dieu, la relation mme qui est aussi une proprit, est lessence divine ; et de l vient que ce qui a t constitu par elle, est une personne, car moins que la Paternit soit lessence divine, en aucune faon ce nom de Pre signifierait la personne, mais seulement laccident relatif une personne, comme cest clair dans les personnes humaines. Donc la Paternit, en tant quessence divine, a constitu lhypostase qui subsiste dans la nature divine ; en tant que relation elle a distingu ; en tant que proprit, elle convient une seule personne, et non lautre, en tant que notion elle est le principe pour faire connatre la personne. Ainsi donc selon lordre de lesprit, est premier ce qui constitue la personne, second ce qui distingue, troisime ce qui est la proprit, quatrime ce qui est la notion.

q. 10 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum est, quod licet filiatio non opponatur relative processioni, tamen procedens opponitur relative Filio ; et per hoc processio a filiatione distinguitur.

 13. Bien que la filiation ne soit pas oppose relativement la procession, cependant celui qui procde est oppos relativement au Fils, et par l la procession est distingue de la filiation.

q. 10 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet Graeci non confiteantur Spiritum sanctum a Filio procedere, confitentur tamen Filium esse aliquo modo principium originis Spiritus sancti ; quod patet ex hoc quod dicunt Spiritum sanctum a Patre esse per Filium, et Spiritum sanctum esse Filii. Nihilominus tamen aliquid implicite contradictionem implicat, quod nihil prohibet ab alio explicite nesciente concedi ; et sic aliquis non intelligens potest dicere, Spiritum sanctum non esse a Filio, licet a Filio sit distinctus.

 14. Bien que les Grecs ne confessent pas que lEsprit saint procde du Fils, ils confessent cependant quil est dune certaine manire le principe de son origine ; ce qui parat du fait quils disent que lEsprit saint est du Pre par le Fils, et que lEsprit saint est du Fils. Nanmoins cependant quelque chose implique implicitement une contradiction, parce que rien nempche quil soit concd par un autre qui ne le sait pas explicitement ; et ainsi quelquun, qui ne le comprend pas, peut dire lEsprit saint nest pas du Fils, bien quil soit distinct du Fils.

q. 10 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod in hoc quod Damascenus Spiritum sanctum esse Filii confitetur, dat intelligere quod origo Spiritus sancti aliquo modo sit a Filio.

 15. Jean Damascne en confessant que lEsprit saint vient du Fils, donne comprendre quil tire dune certaine manire son origine du Fils.

q. 10 a. 5 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Spiritus sanctus et Filius dicuntur esse duo rivi in quantum procedunt ambo a Patre ; dicitur tamen et a Graecorum doctoribus, quod Filius sit fons Spiritus sancti, sed quod Spiritus sanctus non est a Filio ; et idem potest dici de aliis similitudinibus.

 16. On dit que lEsprit saint et le Fils sont deux cours deau en tant quils procdent tout les deux du Pre ; les docteurs grecs cependant disent que le Fils est la source de lEsprit saint, mais que celui-ci nest pas du Fils, et on peut dire de mme des autres images.

 FIN

 

  



[1] Parall. : Ia, 25, 1, C.G. I, 16 ; II, 7-10 1 Sent., d. 42, q. 1, a.1. Q de pot. 7, 1 In Mtaphysique (D)V, texte 17 In Phys. III, texte 32.

[2] Cest le premier sens donn par Aristote (Mtaphysique, (D) V, 1, 1012 b 33) : Point de dpart du mouvement (ici de l'opration), origine. Le principe est ce dont quelque chose procde, de quelque manire que ce soit (J. Elders, La Philosophie de la nature de saint Thomas dAquin, p. 45), soit donc dans l'ordre logique, ontologique ou chronologique.

[3] En Ia, q. 25, a. 1, arg..4, Thomas nous dit : La cause et le principe sont une mme chose. Mais prcise-t-il (Q de pot. q. 10, a. 1, ad 9) Le principe est plus commun que la cause ; car la premire partie du mouvement ou de la ligne est appele principe mais pas cause. En quoi il apparat quon peut dire que le principe est quelque chose qui nest pas distinct de lessence, comme le point de la ligne, mais non pas la cause, surtout si nous parlons de la cause dorigine quest la cause efficiente. Pour Dieu, avoir un principe supposerait qu'il dpendrait d'un tre suprieur lui. De plus l'opration est son essence : Donc rien n'est principe de son essence parce qu'elle n'est pas engendre, et ne procde de rien Cf. I Sent, d. 42, a. 1,Arg. 4. Le mot principe voque une ide de relation entre deux termes, alors que la cause exprime surtout une activit efficiente.

[4] Il est impie (nefas) de penser que quelque chose de la nature suprme soit en quelque manire meilleur et il est ncessaire qu'elle soit absolument meilleure que ce qui n'est pas elle, car elle est la seule dont rien n'est tout fait meilleur.. Monologium XV, PL 158, 163 ; trad. Corbon, Paris, Le Cerf, 1986, t. 1, p. 89. Cit aussi par Bonaventure. L'axiome se retrouve plusieurs fois dans l'uvre. Dans les dernires questions il est cit sans rfrence Anselme. Ia, q. 13, a. 3, donne les modalits propres cette attribution.

[5] Pour Thomas et ses contemporains, par antonomase, le philosophe (par excellence) c'est Aristote.

[6] Dfinition classique de la puissance. (In mtaph. () V, lectio 14). Cest cette dfinition que se rattache la notion de toutes les puissances, en leur sens premier (Mtaphysique, (J) IX, 1, 1046 a 10). Elle est toujours prsente comme une objection (par exemple, I Sent., d. 42, q.1, a. 2, Arg. 4 Q. de pot.,.q.3, a. 1,Arg. 8.

[7] Il ny a pas de relation relle de Dieu la crature, mais il y en a de la crature Dieu. Thomas revient plusieurs fois dans cet article sur ce point de vue. Ce genre de relation sera explicit en Q de pot., q. 7, a. 8, 9, 10, q. 8. Cf. C.G. II, 11 14.

[8] Habitus fait partie de ces mots difficiles traduire en franais (Cf. Ia/II, q. 49, et 50). Il n'est pas l'quivalent d'habitude, ni de possession. C'est une puissance plus acheve, intermdiaire entre lacte et la puissance (Ia, q. 14, a. 1,Arg. 1), parce que lhabitus parfait la puissance. Or en Dieu, il n'y a pas de puissance passive. On compare ceux qui ont des habitus des gens qui dorment. (C.G. I, 92, 3) C'est en effet une possibilit, qui n'a pas toujours le pouvoir de passer de la puissance l'acte. Les vertus et les vices sont des habitus. C'est la dernire catgorie de l'tre et le neuvime et dernier accident. "Mais en Dieu l'acte est absolument parfait. Donc pas d'habitus". (C.G. I, 56). En un autre sens (tir de habere et non se habere comme le premier sens) c'est la possession.

[9] entre le possible et l'tre il n'y a aucune diffrence, dans les choses ternelles. (Trad. H. Carteron) Thomas (n 285) ajoute pas toujours. Texte cit nouveau en Q. de pot. q. 3, a. 14 et q. 9, a. 9,Arg. 1.

[10] Si lessence et la puissance sont identiques, on ne doit conserver que le nom de la plus noble, c'est--dire de lessence. On supprime ainsi la distinction.

[11] La matire premire est puissance passive seulement ; le paralllisme entre la matire premire (prima potentia) et l'acte pur est plus marqu en I Sent., d. 42. q.1,a.1,Arg. 1 :Lacte premier se comporte vis--vis de la puissance comme la puissance premire vis--vis de lacte.

[12] L'objection est reprise en Q. de pot.,.q. 2, a. 1, arg 4, avec des consquences diffrentes.

[13] On remarquera que cette expression sed dices (ou autre de ce genre) est toujours suivi dun sed contra.

[14] Les catgories comprennent la substance et les neuf accidents. La substance n'est pas dans les accidents.

[15] Dieu ne sert pas de sujet quelque chose en luiDonc il est interdit de dire qu'il subsiste. 2 : appeler Dieu substance est une improprit il est essence, terme juste et propre au point d'ailleurs que peut-tre, le terme d'essence appartient Dieu seul. (Trad. BA. 15 ). Car les substances les plus simples sont la cause de ce qui est compos, au moins la substance premire et simple qui est Dieu.. Dans la solution, Thomas ne rpond pas directement au texte d'Augustin.

[16] Cf. Aristote, Catgories, 8, 9 a 13 ss.. Cf. Ia/II, qu. 49, a. 1. La qualit est un accident et il ny a pas daccident en Dieu. Cest que la puissance en Dieu nest pas un accident, comme elle lest dans les creatures. Elle est donc diffrente. Elle serait analogique.

[17] Ratio a de nombreux sens (Thomas les numre dans le Commentaire sur les Noms divins, ch. VII, lectio 5, n 735). Il semble meilleur ici de distinguer deux traductions : la raison (pouvoir de connaissance quaedam cognoscitiva virtus) et la notion (la notion de puissance aliquid simplex abstractum a multis), pour mieux comprendre la pense de Thomas, mme si c'est dans un mme paragraphe.

[18] Et donc serait contre la simplicit divine.

[19] Car toute puissance, tout possible et tout facteur de production n'est dsirable qu'en vue d'autre chose. (Trad. J. Tricot, p.143, 1).

[20] Le sens de virtus est trs proche de celui de puissance (active). (IIIa, qu. 1, a. 1, sc. : potentia Dei vel virtus) Il signifie la puissance son plus haut degr. (A. Krempel, La doctrine de la relation chez saint Thomas, Paris, Vrin, 1952, p. 183 et 213.). Il renvoie lOpus. de occultis operationibus naturae, n 444, potentia secundum refertur ad ultimum in quo aliquid potest, acceptit nomen et rationem virtutis. Nous le traduisons le plus souvent par pouvoir, puisque Thomas emploie les deux mots quelquefois dans une mme phrase ou un mme paragraphe comme ici. Mais cause de cet emploi, on a limpression que par la suite, il ne parle plus tellement de puissance, parce que la puissance divine correspond plus virtus quՈ potentia. Ici le texte de Denys suggre le terme de puissance (voir note suivante).

[21] Au sens de toutes les intelligence divines, on distingue en effet trois qualits : l'essence, la puissance et l'acte (Trad. M. de Gandillac).

[22] Reprise de lobjection 3 avec des consquences diffrentes. Bonaventure (I sent., d. 42, a. 1, q. 1) donne ce sujet plus d'importance que Thomas. Et pourtant lobjection est importante. La puissance telle que dfinit par Aristote ne convient pas la cration, puisquil ny a pas de changement. La solution nest pas convaincante.

[23] Mais il faut savoir que ces mots : crer, faire, agir, ne peuvent tre employs pour Dieu de la mme manire qu'ils sont employs pour les cratures. L'argument se sert d'un texte interprt tendancieusement. Cf. Augustin, La Gense au sens littral, I, XVIII, 36 : Dieu n'agit pas comme l'homme ou l'ange, par mouvements spirituels ou corporels qui se dveloppent dans le temps (Trad. P. Agasse et A. Solignac. BA. 48.) L'action n'est pas refuse Dieu mais seulement par comparaison aux cratures. Pierre Lombard, vque de Paris, a publi les Sentences entre 1145-1150.

[24] Lautorit tire du Ps 88, 9 concerne plus la toute puissance, telle qu'elle est conue dans l'AT que la puissance active, notion fortement imprgne d'aristotlisme.

[25] Cf. le sed contra de I Sent. d42q1a1 : Tout effet est produit par la puissance de la cause efficiente. Mais Dieu est la cause efficiente des cratures. Donc il faut placer en lui la puissance . Il y a l un rapport qui nest pas voqu ici.

[26] Ex communi hominum intellectu : Emploi particulier du terme intellectus. Cf. J. Pesghaire, Intellectus et ratio daprs saint Thomas, p. 24.

[27] Rappelons ce quil a dit en I Sent., d. 42, q. 1, a. 1 :  Le nom de puissance fut dabord impos pour signifier le pouvoir de lhomme dans la mesure o nous disons que des hommes sont puissants, comme Avicenne le dit (Mtaphysique 4, ch. 2) et ensuite il a t tendu aux choses naturelles . Thomas prsente souvent lՎvolution du sens des mots. Cest partir en effet des cratures que lhomme parvient prouver lexistence de Dieu. Mais les cratures sont imparfaites. Pour pouvoir tablir un certain concept de Dieu, il faut retirer ces cratures toute imperfection et Thomas en donne lexemple pour lՐtre et la substance.

[28] Lacte et la puissance sont une distinction fondamentale de lՐtre. Il y a donc correspondance entre les deux puissances, actives et passives et les deux sortes dacte. A la puissance active correspond lacte second qui est lopration, la puissance passive, lacte premier qui est la forme, car elle sunit la matire qui est pure puissance passive.

[29] Ce sont deux consquences de l'acte pur.

[30] Il y a ici un rapprochement vident avec la quatrime voie des preuves de l'existence de Dieu (Ia, qu. 2, a. 3). Le plus et le moins dans l'ordre qualitatif se dit par rapport un maximum. Ici raisonnement sur la perfection, plus ou moins grande dans les cratures, maximale, absolue en Dieu.

[31] La substance n'est attribue Dieu que par analogie. Dieu est ncessaire et ne sert de support aucun accident..

[32] L'inhrence est le propre de l'accident.

[33] Pour approfondir le sens de cette solution, on lira C.G. II, 8, 9 et surtout 10 1. Thomas ajoute en Ia, q. 25, a. 1, ad 3 : Donc ainsi on sauvegarde en Dieu la raison de la puissance du fait qu'elle est principe de l'effet, mais non du fait qu'elle est principe de l'action qui est son essence. Ce qui veut dire que la puissance est ce qui permet Dieu d'tendre son action ad extra, sans cependant quelle sorte de lui-mme. Cest une des particularits de la puissance en Dieu.

[34] L'action ad intra et ad extra est envisage ici sous l'angle de la relation. La premire en Dieu est relle. Elle est par ncessit, l'autre est volontaire. La relation de Dieu la crature est de raison et celle de la crature Dieu est relle (qu. 7, etc.).

[35] Sabellius est un Libyen, qui est Rome vers 217. Il prche le modalisme, et est condamn par le Pape Callixte. Le Sabellianisme, hrsie du IIIe et IVe sicle, est apparent au Modalisme. Il dsigne un mme et unique Dieu sous trois noms diffrents. Cest dans les modalits de son action extrieure que Dieu prend une forme trinitaire.

[36] Cest le raisonnement qui la dcouvre mais elle n'est pas relle.

[37] En Dieu il y a lessence (sans principe), la puissance et l'opration Les deux dernires appartiennent l'essence ( la puissance de Dieu est son essence, dmontr en CG. II, 8). La puissance est son action et Dieu est acte lui-mme, parce que la puissance n'est pas participe. Il n'y a rien de particip en Dieu (C.G. II, 8, 3), parce que la puissance est son tre. Dieu est son tre. Donc il est sa puissance (4).

La puissance a une double relation : a) interne, en quelque sorte, Dieu, puisqu'elle est principe de l'opration (qui est l'essence mme de Dieu) b) externe, puisqu'elle est principe de l'effet produit par l'opration de Dieu en tant que cause. D'o la distinction, essentielle dans les Q. de potentia, entre l'action ad intra et ad extra, tant donn la relation quasiment causale de la puissance l'effet (le principe est proche de la cause et en relation avec l'effet. Il distingue donc une relation relle en Dieu (Trinit) et une relation "de raison" avec les cratures.

[38] C'est--dire ce qui n'est pas tout fait parfait dans les cratures, mais peut l'tre en Dieu.

[39] Lesprit humain se sert de ce qui est plus ou moins parfait pour concevoir une qualit absolument parfaite en Dieu, condition que le terme le supporte, ou si cela correspond une ralit en lui.

[40] La puissance est principe, mais elle ne cre pas une relation relle avec ce qui est le produit de laction de Dieu. Cf. ad 9. Elle ne cre quune relation de principe seulement.

[41] Parce que par nature l'habitus n'est pas en acte.

[42] L'essence quand elle agit est aussi puissance.

[43] L'essence et la puissance sont une mme chose, car Dieu est absolument simple. Cf. Q. de pot. qu. 7, a. 1. Chaque fois que Thomas parle de simplicit, il faut considrer son texte comme une rponse Avicenne.

[44] C'est--dire le Perihermeneias.

[45] L'esprit conoit la ralit de trois manires.

a) Le concept rpond immdiatement (sans intermdiaire) lobjet extrieur. Lesprit conoit limage de cet objet, ou sa forme, ce qui est conu de ce nom homme. Le fondement est la chose relle. Une telle conception par sa conformit avec lesprit, fait que celle-ci est vraie et que le nom qui signifie ce concept est dit de la chose elle-mme (I Sent., d. 2, q. 1, a.1) Ce sont des tants complets comme lhomme ou la pierre. (I Sent., d. 19 ; q. 5, a. 1). Rapport avec la substance premire et la substance seconde, Q. de pot q..9, a. 1, note 4.

b) Le concept rpond par lintermdiaire dune rflexion (conception seconde). Ce qui est conu c'est l'abstraction, le genre, les concepts universels de temps, despace, de vrit, de substance, etc..

c) Le concept est compltement tranger au monde rel : cest le fruit de limagination comme la chimre.

Ces trois conceptions sont voques en I Sent., d. 19, q. 5, a/ 1 et d.30, q. 1, a. 3. Ici la troisime est omise, comme inutile. On retrouve les deux premires en Pot. qu. 7, a. 6 et la deuxime conception est signale en Q. de pot. qu. 7, a. 11 : lesprit dcouvre ces relations en considrant lordre qui est dans lesprit pour ce qui est l'extrieur, ou lordre des conceptions entre elles. (Cf. A. Krempel, La doctrine de la relation chez Thomas, p. 313 ss).

[46] Le mot qui peut le mieux traduire intellectus est intellect. Celui-ci est la facult des tres intellectuels sur le plan naturel (Cf. Ia, qu. 79, a. 10). Intelligere enim est simpliciter veritatem intelligibilem apprehendere C'est de l'extrieur que vient l'intelligible.par lequel l'intellectus possibilis est inform. (Cf. Floucat, L'intime fcondit de l'intelligence, p. 23. Mais il faut se souvenir de cette distinction. Dans le Commentaire des Sentences, Thomas emploie le plus souvent mens, ici dans des raisonnements semblables, il emploie presque exclusivement intellectus.

[47] Notre manire humaine de connatre l'exigence d'une relation relle entre Dieu et les cratures, relation descendante qui rpondrait une relation ascendante. (Geiger, La participation dans la philosophie de st Thomas d'Aquin, p. 182, note 1)

[48] Ce passage fait comprendre pourquoi nos concepts des relations de Dieu nous manque de fondement objectif immdiat. A. Krempel, op.cit. p. 318.

[49]. Cf. Ia / II, qu. 49, a. 2, Cf. C.G. II, 8, 5 : La puissance en Dieu n'est pas celle qui appartient la catgorie de qualit, qui est celle des cratures. Elle ne lui convient pas. Cf. Aristote, Les Catgories, 8, Les qualits, 9 a 15-20. Dans les cratures o la puissance n'appartient pas la substance, elle est un accident.

[50] La vrit prend sa source en Dieu. Omnis alia veritas est a prima veritate quae est Deus. (Q. de verit. qu. 1, a. 8, sc 2.)

[51] Il s'agit de la gnration dite spontane, qui a une grande importance dans la science de lՎpoque.

[52] La premire action, avec changement, est l'action naturelle, qui n'est jamais cration pure, mais modification (luvre artisanale), l'autre est la cration ex nihilo par Dieu.

[53] Il semble qu'il faille entendre cette manire particulire comme celle qui s'applique aux cratures. De manire universelle elle s'appliquerait Dieu et aux cratures. S'il y a puissance en Dieu, elle ne peut qu'tre active, la diffrence de la puissance dans les cratures.

[54] Linfini de la puissance.

                La puissance de Dieu est infinie, puisque son essence divine par laquelle il agit est infinie, cependant si on examine le sens de sa puissance, on constate qu'elle n'est "relative qu'au possible".

Mais il est un sujet que Thomas nՎvoque que dans les articles suivants. La puissance prsente des limites. On en trouve l'nonc en Ia, q. 25, a. 3.  Car ce qui est contradictoire est impossible Dieu, parce quil ne peut avoir raison de possible. Cela est mme concevable. On doit du reste dire que cela ne peut tre fait, plutt que dire : Dieu ne peut pas le faire . (Ia, qu. 25, a. 3). Donc la puissance divine va s'tendre tout ce qui n'implique pas contradiction. A toute puissance active correspond un possible. Or Dieu est un tre infini et non limit quelque genre d'tre, donc tout ce qui correspond la notion d'tre se trouve contenu dans le possible absolu l'gard duquel Dieu est dit tout-puissant.

Thomas introduit ainsi la question 1 de I Sent., d. 43, "Le "Matre" a rapport l'opinion de ceux qui limitaient la puissance de Dieu" et la premire objection : "Dieu ne peut pas faire ce qu'il ne fait pas. Et en cela ils niaient l'infinit de la puissance de Dieu. "Ici, il tudie l'infinit de la puissance, sans faire aucune allusion cet argument. Mais cela pourrait permettre de considrer que cet article 2 est le premier d'une srie de cinq articles qui tudient les limites de la puissance de Dieu (selon nos conceptions humaines).

La puissance est donc infinie, mais elle prsente par rapport aux autres attributs de Dieu, une caractristique quaucun ne possde.

Thomas reparle de linfini en Dieu dans la question 9, article 5.

[55] Parall. : Ia, qu. 25, a. 2- C.G. I, 43 - I Sent., d. 43, q. 1, a. 1 Compendium. 18 - Phys. 8, lectio 23 - Mtaphysique XII, lectio 8.

[56] Il est donc manifeste que la puissance active et la puissance passive ne sont, en un sens, quune seule puissance (car un tre est puissant, soit parce quil a lui-mme la puissance dՐtre modifi, soit parce quun autre tre a la puissance dՐtre modifi par lui), tandis que, en un autre sens, elles sont diffrentes. Trad. J. Tricot. Diffrentes parce que situ diffremment. Cf. Thomas, lect. 21, n 1146 ss.

[57] Physique, 1, 2, 185 a 32 : Or Mlissos dit que l'tre est infini ; l'tre est donc une quantit ; car l'infini est dans la quantit, mais la substance ne peut tre infinie, ni la qualit, ni l'affection, si ce n'est par accident, existant titre de telle ou telle quantit, car, dans la dfinition de l'infini, la quantit intervient. (Trad. H. Carteron). Cf. Thomas I, lectio 3, n 21.

[58] Il apparat que l'infini rentre plutt dans la notion de la partie que dans celle du tout ; car la matire est partie du tout, comme l'airain l'est dans la statue d'airain. (Trad. H. Carteron).

[59] Maintenant si l'un est indivisible, on supprime quantit et qualit, alors l'tre ne sera ni infini, comme le voulait Mlissos, ni fini comme le voulait Parmnide. (Trad. H. Carteron).

[60] PG. 94, 79.

[61] Manire de le comprendre sous tous ses aspects. L'infini est insaisissable par lesprit,en rapport avec le fait quon ne peut savoir qui est Dieu.

[62] PL. 10, 253 B.

[63] La distinction affirme dans ce texte de deux manires au moins d'expliquer la limitation de l'acte, montre assez avec quel discernement il convient d'user du principe : actus finitur per potentiam. Non seulement il faut distinguer dans la notion d'acte par o elle s'oppose la puissance dans l'ordre existentiel et l'aspect par lequel elle exprime une certaine plnitude dans l'ordre quidditatif, mais encore le rle du sujet peut varier considrablement suivant son indpendance plus ou moins grande l'gard de la cause productrice et l'action qu'il est capable d'exercer sur l'acte qu'il est cens concevoir. G.L.Geiger. La participation dans la philosophie de st Thomas d'Aquin, Paris, Vrin, 1953, p. 394, note 1 et 2.

[64] Ce qui a un esse absolu, en aucune manire reu en quelque chose est tout fait son tre, cet tre est absolument infini, et ses attributs sont infinis (I Sent. D. 43, q. 1, a. 1.) Tout acte, inhrent un autre, reoit sa limite Lacte qui nexiste en rien nest dtermin par rien. Cest le cas de Dieu, donc il est infini. (C.G. I, 43, 2). Cf. Les Noms divins, V, 1, n 629. La dmonstration fait appel l'acte pur, reu en rien sans dpendance.

[65] Un cas parmi dautres o potentia et virtus sont employs dans une mme phrase, tout en tant pratiquement synonymes.

[66] Quantit discrte : compose dՎlments spars.

[67] Averros. N Cordoue en 1126, mort Marrakech en 1198. Il crivit de nombreux commentaires sur Aristote, en essayant de revenir la pure doctrine, sans le platonisme d'Avicenne.

[68] Cf. Aristote, Physique, VIII, 266 a 24 - b 5.

[69] Parall. : Ia, q. 25, a. 4 C.G. Il, 25 I Sent., d. 42, q. 2 Qudl., V, q. 2 a, l th., VI, 1. 2.

[70] Le texte en est donn en Q. de pot. 6, 1,Arg. 1 : Dieu, le crateur de toutes les natures, ne peut rien faire contre la nature.

[71] Il s'agit ici de logique en opposition la ralit, les deux tant considres comme parallles.

[72] L'impossible, le faux, c'est--dire le non tre, sont inconnaissables. Seul l'tre est connaissable. Arguement repris en q. 6, a. 1,Arg. 15.

[73]  La puissance obdientielle est dans la crature, pour que le Crateur dispose en elle ce quil veut qui doit fait . (IV Sent. d. 8, qu. 2, a. 3, ad 4.

[74] Cet argument est repris en Q. de pot. 3, 15, arg.. 12, propos de la bont de Dieu.

[75] Ce qui est impossible si Dieu na rien laiss sans ordre en son rgne, mais cela est limit parce que nimporte quelle petite inconvenance est impossible en Dieu. PL 158, 392 A. Arguement repris en q. 6, a. 1,Arg. 14.

[76] Le syllogisme se trouve dj en I Sent. d42q2a2 : A propos de limpossible par soi et limpossible par accident ; le premier est plus impossible que le second, mais, Dieu ne peut pas faire le deuxime. Donc encore plus le premier. C'est un argument contre Pierre Damien qui reconnaissait Dieu le pouvoir de faire que ce qui a exist nait jamais exist. De divina omnipotentia, PL. 145, 620.

[77]Arg. repris en q. 6, a. 1,Arg. 16

[78] C. Faustum, 26 : Celui qui dit : Dieu est tout puissant, quil fasse que ce qui est fait ne le soit pas, ne voit-il pas quen disant cela, il fait que ce qui est vrai par le fait mme que cela est vrai, est faux.

[79] Cela seul manque Dieu, de faire que ce qui a t nexiste pas.

[80] Cf. Ia, q. 25, a. 4, obj. 3. et I Sent., d. 42, q. 2, a. 3,Arg. 3. On y lit : Il est clair que donner une conception une vierge est impossible par nature. Problmedj examin par Pierre Damien. Quodl. V, qu. 2, Sed contra.

[81] Contrairement aux habitudes, certains des Sed contra ne reprsentent pas la pense dfinitive de Thomas. On verra plus loin les limites ces affirmations (Rponses aux arguments en sens contraire), qui peuvent paratre surprenantes au premier abord. On peut supposer que Thomas avait de bonnes raisons pour prsenter ces objections, pour pouvoir en dmontrer leur fausset.

[82] Aucune parole, aucun "verbe". A propos de cette traduction, voir les Rponses aux arguments en sens contraire.

[83] Cf. a. 2. Sa puissance est infinie.

[84] C'est la liaison des deux propositions qui est mise en avant ici. Si Dieu peut unir deux formes aussi loignes que la forme divine et la forme humaine, il peut faire la mme chose pour le blanc et le noir. Mais la solution : lunion forme divine, forme humaine est diffrente de ce qui est annonc. Donc la deuxime proposition : deux contraires ensemble n'est pas valable.

[85] Apparemment, il faut compter la puissance pour deux : puissance active et puissance passive.

[86] En Ia/II, q. 94, a. 2, on lit : Ce qui est apprhend en premier (par lintellect), cest lՎtant dont lintellection est incluse dans tout ce quon apprhende. Et cest pourquoi le premier principe indmontrable est que affirmer et nier en mme temps est impossible, ce qui se fonde sur la nature de lՎtant et du non tant et tout le reste est fond sur ce principe, comme il est dit en Mtaphysique IV. Cf. I Sent. d42q2a3. c. 1 Cf. Pot.1, 4. obj. 5, sol. 5. Cf. P.-C. Courts, LՐtre et le non tre, p. 134-135.

[87] On peut lire en parallle ce paragraphe la rponse dans I Sent., d. 42, qu. 2, a. 2 :  Toute puissance est pour lՐtre et le non tre . ce qui nest pas tant ou non tant est impossible. Cest un aspect de la contradiction.

[88] Mme argument en Q. de pot,.q. 4, a. 1, ad 20.

[89] Que le pass nait pas exist peut tre impossible par soi (I Sent. D42q2a2 ad 3). A) Supprimer la course de Socrate est impossible par accident. Cela nest pas impossible Dieu, puisquil peut faire que cela nexiste pas au moment o cela devrait exister. B) Mais si on la considre dans le temps pass, cela devient impossible par soi. Dieu ne peut pas faire ce qui est une contradiction.

[90] Le mot verbum employ ici, recouvre au moins trois sens. Il sagit des paroles de lange Marie, lors de lAnnonciation ; donc il sagit de parole (le grec dit to rma. (La B.J. traduit par  rien nest impossible Dieu  (Lc. Qu. 25, a. 3 c). Thomas en relation avec tout ce quil dira du Verbe de Dieu ou du verbe naturel, pense donc au verbe mais aussi au concept. Dans la Somme il reprend la mme phrase ce propos :  Ce qui implique contradiction, dit-il, ne peut pas tre un concept (verbum) parce quaucun esprit ne peut le concevoir  (Ia, qu. 25, a. 3, c).

[91]  Il est impossible que le mme attribut apartiennent et nappartienne pas en mme temps au mme sujet et sous le mme rapport Il nest pas possible, en effet, de concevoir jamais que la chose est et nest pas . (Trad. J. Tricot).

[92]  Et sil nest pas possible quen mme temps des contraires appartiennent au mme sujet et si une opinion qui est la contradiction dune autre opinion, est contraire, il est videmment impossible pour le mme esprit de concevoir, en mme temps, que la mme chose est et nest pas .

[93] Parall. : I Sent., d. 42, q. 2, a. 3 Ia, q. 25, a.3, ad 4.

[94] Lessence de lUnenfin et surtout, cest tre la mesure premire de chaque genre. Cf. Thomas, lectio 2, n 1938.

[95] Selon cet argument, la puissance divine serait la mesure de la possibilit. Cf. G Stolarski, La possibilit et lՐtre, p. 99.

[96] C'est la proposition I du De causis.

[97] Cela sera repris en Q. de pot. q. 3, a. 3 qui traite de la cration. Les causes infrieures ne jouent pas puisque la cration se fait partir du nant. La solution ajoute cependant une condition supplmentaire.

[98] Les astronomes (astrologus ou astrologues) peuvent prdire lavenir en gnral mais pas dans les cas particuliers. (Ia, qu. 115, a. 4, ad 3) (Ils prvoient ce qui concerne lastronomie, et pour le reste, les hommes peuvent rsister linfluence des astres).

[99] Ou causes secondes.

[100] Parce que c'est sa sagesse et sa bont qui incitent Dieu agir et il le fait selon sa volont.

[101] Cf. I Sent. d42q2a3, c.

[102][102] la puissance passive c'est--dire dans lՐtre passif le principe du changement qui est susceptible de subir par laction dun autre tre, ou de lui-mme en tant quautre. (Cf. Thomas, lectio 1, n 1773 ss.)

[103] La puissance divine ne peut pas tre la mesure des objets des autres puissances, parce que c'est l'objet de la puissance qui est appel possible selon cette puissance. L'objet de la puissance est mesur par elle-mme, et jamais par l'autre puissance, mme la puissance divine. Stolarski, p. 100 1.

[104] Cf. Q. de pot. q. 6, a. 1.

[105] C'est--dire puissance, disposition, ncessit (voir Sed contra).

[106] Parall. : Ia, qu. 25, a. 5 C.G. II, 23, 26-27 III, 98 I Sent., d. 43, q. 2, a.2.

[107] Parmi ces auteurs inconnus, il faut compter Avicenne.

[108] Assimilation de la soumission la sagesse une ncessit de nature.

[109] Ordonn : qui dpend dun attribut de Dieu, comme la sagesse par exemple.

[110] Le sens de ratio est proche de "ide". Il sagit des ides divines. Voir objection suivante.

[111] Sous forme dides.

[112] Sous certaines formes le changement sopre par les contraires.

[113] Cf. Q. de pot. q. 5, a. 1, arg.. 14, o il prcise que cet axiome vient du Time.

[114] Avec cependant les restrictions de larticle 3.

[115] Hraclite, les stociens, les Noplatoniciens et quelques auteurs attachs au dterminisme ou loptimisme. Il faut ajouter Avicenne.

[116] Sur les consquences de cette ncessit de nature, voir q. 3, a. 15.

[117] On lit sur les mns Petro Almalareo. On peut vraisemblablement conjecturer quil sagit dAblard, car cela correspond ce quil dit dans son Introduction la Thologie, III, 5. PL 178, 1096. Denz. 726.

[118] Soit Dieu ne peut pas faire, ou il peut ne pas faire.

[119] Pour certains, dont Avicenne, l'immutabilit entrane la ncessit de nature. Cf. ad 13.

[120] Il ny a pas dhabitus en Dieu (qu. 1, a. 1, ad 4).

[121] Parall. : C.G. II, 25 I Sent., d. 4, q. 2, a. 1 Ia, q. 25, a. 3, ad 2.

[122] Mais il ne fallait pas renoncer l'ordre d'aprs lequel Dieu voulait faire voir quel bien reprsente cet animal raisonnable qui est mme capable de ne pas pcher, bien qu'il ft mieux encore (pour lui) d'tre incapable de pcher. BA. 9, trad. J. Rivire. Le traducteur note que "beaucoup d'ditions anciennement omettent la ngation. Mais elle figure dans les manuscrits et d'ailleurs est indispensable au sens". La nature qui peut pcher est doue de raison.

[123] puisque mme Dieu et l'honnte homme ont la capacit de faire de mauvaises actions, et pourtant ce n'est pas leur caractre (Trad. J. Tricot)

[124] Il fut tu sur ordre de Salomon pour ne pas avoir obi son ordre de ne pas quitter Jrusalem.

[125] Cette notion, le concours divin, sera explique longuement en Q. de pot. q. 3, a. 7.

[126] A comprendre comme un modle.

[127] Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que Yahv en soit l'auteur ? (B.J.)

[128] Les deux supposent une puissance passive.

[129] Il y a deux sortes de mouvements : le mouvement physique, imparfait (parce qu'inachev), et le mouvement parfait qui est le propre du vivant. La sensation et l'intellection sont des mouvements parfaits considrs comme d'une autre espce par Aristote ( Cf. De anima, III, 7, 431 a 5 ss. - Cf. Q ; de pot. q. 10, a. 1, c.).

[130]. Parall. : Ia, q. 25, a. 3 - IIIa, 13, 1 C.G. II, 22, 25 I Sent., d. 42, q. 2, a.2 III Sent., d. 1, q. 2, a. 3 Q de pot. 5, 3 Qudl III, qu. 1, a. 1 XII, qu. 2, a. 1 th.,V, lectio 2.

[131]. En effet, si tu dis quil est appel tout-puissant parce quil peut tout ce quil veut pouvoir, Pierre aussi peut de mme tre dit tout-puissant (ou nimporte lequel des saints bienheureux) car il peut tout ce quil veut pouvoir, et il peut faire tout ce quil veut faire. Pierre Lombard, I Sent., d. 42, a. 3, 4.

[132]. La nuance est minime entre tout ce qui est possible en soi et ce qui est possible pour lui (obj. 4). La grammaire du reste permet les deux traductions : possible en soi, possible pour lui.

[133]. Elle ne tient pas compte de ce qui est impossible.

[134] On dcouvre en cet article dautres points de vue sur la puissance en Dieu, qui est diffrente de celle des cratures. Ainsi la puissance nest ni active, ni passive, son acte nest pas sa substance (ad. 1).

[135] Parall. : Ia. q. 27. a. 2 Ia, q. 41, a. 4 1 Sent., d. 7, q. 1, a. 1. Contra Graecos, 3, Compendium 40, 43 (Ad Col. 1, lectio 4).

[136] La puissance active est comprise ici comme dans la question I, comme puissance cratrice, puissance de faire, qui aboutit une crature.

[137] Dmonstration de la deuxime proposition du syllogisme. Les propositions sont ici numrotes. La gnration est ici conue l'image de la gnration des cratures o il y a communication et rception dans la matire.

[138] Anselme, Monologium, XV. Cf. Pot. 1, 1, obj. 2.

[139] Vient d'Aristote. (Mtaphysique, (Q) IX, 9, 1051 a 4-15. L'argument est utilis pour la puissance en gnral. Toute puissance trouve plus parfait qu'elle, savoir la forme pour la puissance passive et l'opration pour la puissance active. (qu. 1, a. 1, obj. 2) Cf. obj. suivante.

[140] Cela a t dmontr qu. 1, a. 3.

[141] Lobjet qui est le rsultat de lacte.

[142] Avicenne, Ibn Sina, 980-1037, mdecin, philosophe et thologien arabe. Il vcut en Perse de 980 1037. Son uvre a eu une influence importante sur la philosophie chrtienne de l'ge scolastique. Il est souvent cit dans le De potentia. Son influence y est importante.lordre du De potentia sexplique bien si on loppose une philosophie manatiste, analogue celle dAvicenne Maurice Bouyges, Lide gnratrice du De potentia de saint Thomas, p. 267.

 L'objection courantes des Musulmans contre la Trinit est qu'elle est impossible cause de la simplicit de Dieu. Ici c'est une seconde objection.

[143] La gnration s'opre dans l'oppos.

[144] PL 42, 762.

[145] Il est acte pur.

[146] Il s'agit du possible dans ce qui reoit. Cf. Rosemann, P.W. Omne ens est aliquid Louvain, Paris 1996. Puisque "l'autre" sur lequel porte l'opration porte aussi une tendance s'panouir qui s'opposera celle de l'agent, aucun action ne parviendra s'assimiler tout fait "l'autre" avec lequel elle entre en contact. p. 66.

                L'argumentation est la mme que chez Albert. Cf. P. Vanier, Thologie trinitaire chez saint Thomas d'Aquin, Montral, Paris, 1953, p. 46.

[147] Thomas dmontrera que la cration dpend de la volont et la gnration est de la nature (a. 3). En I Sent., d. 7. q. 1, a. 1, en parallle la puissance naturelle chez l'homme, il place en Dieu une puissance rationnelle (potentia rationalis), et en Ia, q. 27,a. 2, c, un modus intelligibilis actionis (mode d'activit intellectuelle, Trad. d. des Jeunes). La conception de l'esprit est la ressemblance de la chose conue, mais ici il ne parle pas de puissance, mais de communication.

[148] Diffrente des formes, parce quelle est forme aussi.

[149] Quiddit : nature dune chose telle quelle est exprime par sa dfinition.

[150] Cf. note de la solution 9 en Q. de pot. q. 10, a. 1. Ce nom est considr comme celui qui convient le mieux.

[151] Au sens scolastique du terme. Car selon que la substance existe par soi et non dans un autre, elle est appele subsistance, car nous disons que subsiste ce qui n'est pas dans un autre, mais qui existe en soi (Ia, q. 29, a. 2, Cf. Q. de pot. q. 9, a. 1, c). La subsistance est le mode substantiel terminant lessence individuelle et la rendant incommunicable, (H. D. Gardeil, Mtaphysique, p. 231). Elle est diffrente de lessence et de lexistence.

[152] Thomas emploie presque exclusivement, dans cet ouvrage, le terme intellectus, mais dans les passages parallles des Sentences, il se sert plutt du mot mens.

[153] En 1 Sent., d. 7, qu. 1, a. 1, as 3 : la puissance de Dieu nest ni active, ni passive,  mais superactive, car son action nest pas par mouvement, mais par opration .

[154] La substance est la premire catgories, mais elle n'est pas un accident.

[155] On peut rsumer ainsi la sol. 2 : Deux rceptions, c'est--dire 1. Le devenir en acte : la matire reoit la forme, le sujet l'accident. 2. La gnration : le suppt reoit la nature de son espce qui est son essence. C'est identique en Dieu o il n'y a pas de matire. Le Fils reoit la nature divine.

[156] La puissance est imparfaite par rapport lacte. Toute puissance trouve plus parfait qu'elle Cf. Pot. qu. 1, a. 1. qui renvoie Mtaphysique, (Q) IX, 9,1051 a 4-15.

[157] Il sagit dune mise en forme et non dune action relle.

[158] Cf. q. 8, a. 2.

[159] Parall. : Ia, q. 41, a. 1, ad 1 et 2, a.5 I Sent., d. 7, q.1, a. 1, ad 2 et a.2 d. 6, q1a.3 (Sur les notions voir I Sent., d. 33, a.2 - Ia, q ; 32, a. 2). Larticle revient poser la question suivante : la puissance gnrative procde-t-elle de lessence ou bien elle est une notion, c'est--dire la proprit caractristique dune personne. On dsigne les notions en Dieu non comme des ralits mais des raisons formelle par lesquelles sont connues les personnes, bien que les notions ou les relations soient rellement en Dieu (Ia, qu. 28, a.1). L'criture n'en fait pas mention : mais elle signale les personnes en qui on comprend les notions comme l'abstrait dans le concret. Ia, q. 32, a. 2, ad. 1. Les actes qui dsignent lordre des origines sont appels des actes notionnels (notionales) quia notiones personarum sunt personarum habitudinem ad invicem (Cf. Ia, q. 32, a. 2, ad 3). Les notions personnelles sont au nombre de 3 : paternit, filiation, procession. Lorigine ne peut tre dsignes que par des actes, Cest pourquoi il a fallu attribuer des actes notionnels aux personnes. Ia, q. 41, a, 1 c2). Cet lment doit appartenir aux relation d'origine en dehors desquelles tout en Dieu est commun.

[160] On appelle puissance le principe du mouvement ou du changement, qui est dans un autre tre, ou dans le mme tre en tant quautre. (Trad. J.Tricot, p. 283-284). Dj cit qu. 1. a. 1. Ici, et plusieurs fois ailleurs, Thomas ne retient que la notion de principe parce que le principe suppose une relation.

[161] Boce, philosophe chrtien, (480 - 524 ou 526). Thomas a comment son De Trinitate, et le De hebdomadibus. Il cite aussi dans le De potentia les Deux natures du Christ. Ses opuscules ont t lus et comments par les scolastiques. Il est le dernier reprsentant de la philosophie occidentale avant le Moyen Age.

[162] Rappelons que les Catgories (ou prdicaments) genres suprmes de l'tre, comprennent la substance et neuf accidents, la relation est le troisime (Aristote Catgories, (c. 5 et 7). On parle de substance en Dieu par analogie. Quant la relation, vu son peu de ralit, et le fait qu'elle renvoie autre chose, elle peut-tre accepte pour Dieu, parce qu'elle n'est pas rellement un accident.

[163] L'tre par accident : Il est par accident quand, par exemple, nous disons que le juste est musicien, ou que l'homme est musicien "L'homme blanc" est un exemple donn par Boce.

[164] En Pot. qu. 1. a. 1, il a montr que la puissance appartient l'essence. (v.g. ad 5, ad 9. Cf. ici sc. 1)

[165] Cela sera montr plus clairement dans la question 8. En Dieu, ce qui est commun, cest lessence ; la personne est signifie par la relation. A ce sujet, il cite Jean Damascne (la foi orthodoxe) I, 11. (qu. 8, a. 1, obj. 1).

[166] Le Pre n'est puissant pour engendrer que par nature. Car sa puissance est sa nature ou son essence (6).

[167] PL 10, 520 C, XXIV, 58.

[168] I, 8, PG. 94, 813 A. C'est de la nature du Pre que vient la gnration. (Trad. E. Ponsoye).

[169] Cette affirmation anticipe l'article 6 de la question.

[170] Concerne lessence.

[171] Cf. Q de pot. q. 1 a. 1, obj. 3 : Le principe est une relation.

[172] Cf. Aristote, Catgories, 8, 9 a 17. Il s'agit de la relation de celui qui connat au connaissable, trs souvent voque comme typique.

[173]. Cf. Q. de pot. qu. 1, a. 1, ad 1, la puissance est non seulement le principe de l'opration, mais aussi de l'effet, mais ici l'effet est diffrent.

[174]. Il s'agit de l'action ad intra. Aristote, thique Mais on observe en fait une certaine diffrence entre les fins : les unes consistent dans des activits, et les autres dans certaines uvres distinctes des activits elles-mmes. (Trad. J. Tricot).

[175]. Cf. Ia, q. 41, a. 5, Il faut dire que la puissance d'engendrer signifie principalement l'essence divine, comme le Matre des Sentences le dit (I Sent., d. 7), mais pas la relation seulement..

[176] Voir Q de pot. I, q. 1, a. 1, ad 3. Cf. I Sent., d. 42, q. 1, a. 2, ad 1. La puissance gnrative dsigne ce qui concerne lessence joint ce qui concerne la notion, comme, quand on dit Dieu engendre Car le Pre engendre par la mme puissance que le Fils nat, mais la notion demeure le propre du Pre.

[177] Les catgories sont ici la substance et la notion.

[178] Parall. : Ia, q. 41 a. 2 CG. IV, 11 I Sent., d. 6, q. 1, a. 1, 2, 3 Q de pot.,. q.10, a. 2, ad 4, 5.

[179] PL 520 C, canon 25 de la premire profession de Sirmium (351) n 140, Denz. 247). A propos de ce texte Ia, 41, 2 ad 1m : Cette autorit (celle d'Hilaire) est contre ceux qui rejetaient la concomitance du vouloir paternel de la gnration du Fils, en disant qu'il avait engendr le Fils par nature, de sorte qu'il n'en avait pas la volont.. de mme que nous subissons par ncessit naturelle bien des maux contre notre volont : mort, vieillesse et autres afflictions. Cette intention de l'auteur ressort clairement du contexte.

[180] Les animaux ni les plantes n'existent ni ne sont engendrs par fortune (c'est--dire par le hasard), la cause de cette gnration tant nature, intelligence, ou quelque autre chose de tel. (Trad. H. Carteron)

[181] Q. de pot. q. 10, a. 2,Arg. 19 et ailleurs : id est, Verbum genuit a quo erant, ut fierent. Augustin Dixit : fiat, id est, in Verbo Dei aeterno erat, ut fieret. (Il tait dans le Verbe ternel que cela fut fait. (Trad. BA. 48, p. 166-167).

[182] Ce qui sera dmontr en Q. de pot. q. 3, a. 15.

[183] Dialogue des 65 questions, q. 7, PL 40, 736 D, Il n'a engendr ni par volont ni par ncessit parce qu'il n'y a pas de ncessit en Dieu. uvre attribue Augustin (La Clavis Patrum latinorum n'en parle pas), compose d'extraits de son uvre. La question 7 serait tire du de Trinitate (PL, Admonitio 734-735).

[184] Aprs avoir rfut les Eunomiens, qui prtendaient que le Fils tait non de la nature de la substance et l'essence, mais de sa volont, il ajoute : Certains, pour ne pas dire que le Verbe unique tait Fils du conseil et de la volont de Dieu, ont dit que le Verbe tait le conseil mme, la volont mme du Pre. Il vaut mieux, mon sens, dire que le Verbe est conseil du conseil, volont de la volont., pour viter cette opinion absurde que le Fils donnerait au Pre sagesse et vouloir. (Trad. BA. 16).

[185] Contre les Ariens. (Denz. 71. Formule appele Fides Damasi.).

[186] Mme citation, Q. de pot. q. 2, a. 4,Arg. 13, - q. 9, a. 9 arg.. 13. En 2, 3 il est question de lumire, mais prcise Thomas, qui admet l'image, il ne faut pas appliquer la comparaison intgralement.

[187] Anawati, 345. L'incr est ncessaire ; il n'a pas le pouvoir d'tre ou ne pas tre.

[188] Canon 24 de la profession de Sirmium. PL 10, 520C.

Le concile de Sirmium : Photin, vque de Sirmium, passait pour reproduire les ides de Marcel d'Ancyre. Il fut condamn Milan en 345 et 347, mais refusa de se retirer de son sige piscopal. En 351, Constance est Sirmium. Les orientaux en profitent, pour convoquer une assemble contre Photin. Le concile met une profession de foi pour combattre la doctrine antitrinitaire de Photin et tablir la distinction des personnes divines. Photin est dpos et expuls. Ce concile dont les textes sont dans le de Synodis de saint Athanase, (PG. 26, 735 ss.) prsente un texte tendance subordinationniste (3e et 4e anathmes : nous ne plaons pas le Fils sur la mme ligne que le Pre, mais nous le subordonnons au Pre) Mais Hilaire qui rapporte le concile en donne une interprtation favorable (PL. 10, 518)

[189] Canon 25, Sirmium,PL.10, 520 C. Sur la ncessit cf. Ia, 41, 2 ad 5 : Il y a le ncessaire par soi, et le ncessaire par un autre. Ncessaire par un autre. On peut lՐtre par un autre de deux manires. D'abord, par une cause efficiente et contraignante ; on appelle ainsi ncessaire ce qui est violent. Ensuite, par la cause finale ; ainsi dans ce qui est en vue d'une fin, on appellera ncessaire ce sans quoi la fin ne peut se raliser, ni bien se raliser. Mais la gnration divine est ncessaire d'aucune des deux manires ; car Dieu n'est pas ordonn une fin, et aucune contrainte n'a prise sur lui. Le ncessaire par soi, c'est ce qui ne peut pas ne pas tre ; ainsi est-il ncessaire que Dieu existe. Et de cette manire il est ncessaire que le Pre engendre le Fils.

[190] C'est par le Fils que tout est cr.

[191] De saint Jean (obj. 9).

[192] L'amour est volontaire.

[193] A savoir la communication de la bont.

[194] Ncessit de coaction : elle ne peut en aucune manire arriver ce qui agit par volont, puisqu'elle est lie la violence. "La ncessit d'inclination naturelle : Dieu vit ncessairement et en telle ncessit, la volont veut quelque chose ncessairement". (De Ver. qu. 22, a. 5, c ).

[195] Parall. : Ia, q. 41 a. 6 I Sent., d. 7, q. 2, a2 CG. IV, 13 Q. de pot. q. 9, a. 9 ad 1 ss.

[196] Car, pour chacun des membres de la hirarchie, la perfection consiste manifester enfin en eux-mmes, autant que la chose est possible, le reflet de l'acte divin. (Trad. de M. de Gandillac).

[197] Mme objection en Q. de pot. q. 9, a. 9. Il est vrai que le sujet est semblable celui de cet article, et plusieurs autres objections leurs sont communes.

[198] Dj cit en Q. de pot. qu. 2, a. 3, sc. 2, et en q. 9, a. 9. Ici il est question de lumire, l de soleil.

[199] La belle affaire qu'il n'ait point t ce qu'il a donn sil ne le lui a pas t ce qu'il a pu donner ? Qu'est-ce dire, il n'est point envieux ?

[200] La paternit est signifie comme forme du Pre et est sa proprit personnelle. La paternit ne peut pas tre considre comme ce par quoi le Pre engendre, mais comme ce qui constitue la personne de celui qui engendre, sinon le Pre engendrerait un pre. (Ia, q. 41, a. 5, c).

[201] PL. 158, 207 CD.

[202] La comparaison du Fils avec la splendeur nest pas prendre c omme absolue.

[203] Le latin emploie le mme mot dans les deux cas, mais avec deux sens diffrents, ce que veut montrer Thomas. Il ne se s'agit pas proprement de puissance passive dans le Fils. En Q. de pot. q. 9, a. 9,Arg. 16, Il nous dit que le Fils a reu du Pre la nature divine, non seulement de faon passive (pour ainsi dire) comme engendr par lui

[204] Cette analyse se retrouve en I Sent., d. 7, q. 2, a. 1, c. Selon le grondif actif, la puissance active n'est pas dans le Fils. La puissance qu'on pourrait appele "passive" avec toutes les nuances que cela comporte et qui sont exprime dans l'article, est dans le Fils.

Si cest le grondif dun verbe personnel passif, alors la puissance dengendrer est appele puissance pour tre engendr. Et ainsi elle est dans le Fils, parce que cest une mme puissance qui est dans le Pre pour quil engendrer, et dans le Fils pour quil soit engendr. Et cette distinction est fonde sur ce qui a t dit (qu. 1, a. 2) ; que la puissance dengendrer est lessence divine, par laquelle dans la mesure o la paternit est dans le Pre, elle est gnration active ; et dans la mesure o la filiation est dans le Fils, elle sera gnration passive. I sent. d7q2a1. c

[205] Il a est remarquer que le mot iomnipotentia nest employ que trois fois dans larticle 7 de la question 1, mais 26 fois ici.

[206] Parall. : Ia, q. 28, a. 3 I Sent., d. 7, q. 1, a. 1.

[207] Symbole Quicumque, dit d'Athanase.

[208] Si Dieu le Pre reoit avec raison le nom de tout puissant, c'est uniquement pour ce motif que tout ce qu'il veut il le peut, sans que la volont d'aucune crature puisse empcher sa volont toute puissante de sortir son effet. Trad. BA. 9

[209] Si on considre ce sur quoi porte la toute puissance, c'est--dire la cration, elle n'est qu'en rapport avec les cratures. Mais si on considre l'opration, la toute puissance s'tend celui qui engendre (le Pre). I Sent., d.20, q. 1, a. 1, ad 4.

[210] Selon la substance, il n'y a pas mouvement, parce qu'il n'y a aucun tre qui soit contraire la substance. Pas davantage pour la relation ; car la suite du changement de l'un des relatifs, cela peut aussi se vrifier aussi pour l'autre sans qu'il ait chang en rien. (Trad. H. Carteron).

[211] Id. Q de pot. 2, 1, sc. 2.

[212]Cet argument est prsent comme solution en I Sent., d. 20, q. 1, a. 1.

[213] Pour la raison que le Fils et lEsprit saint nengendrent pas. L'absolu correspond l'essence

[214] La procession des cratures partir d Dieu a pour cause exemplaire la procession mme des personnes divines. (Geiger, La participation dans la philosophie de s. Thomas dAquin, p. 225.

[215] Elle signifie l'identit relle de l'action notionnelle et de la relation divine.(Vanier p. 41)

[216] Dans cette relation signifiant l'manation de l'action notionnelle et distincte pour l'esprit de la relation personnelle, il ne faut sans doute voir qu'une relation de raison (relatio intellecta in origine) laissant intacte l'identification relle et d'action notionnelle et de la relation personnelle. Vanier Thologie trinitaire chez Saint Thomas dAquin. p. 47

[217] Parall. : I Sent., d. 20, q. 1, a. 1, c et ad 4.

[218] Parall. : la q. 45, a. 2 CG. II 16 II Sent., dlqla2 Compendium, c. 69 Opusc. De quatuor opposit., c. 4 VIII Phy., I, 2.

[219] J'emploie sans enthousiasme cette traduction un peu lourde qui permet de faire la distinction entre ex nihilo et de nihilo.

[220] Thomas puise sa documentation sur lhistoire des philosophies prsocratiques chez Aristote. Physique I, 187 a 20 : Anaxagore, semble-t-il, tient aussi pour l'infinit, parce quil acceptait lopinion commune des physiciens, que rien ne peut tre engendr de rien. Trad. H. Carteron.

[221] Cette objection se retrouve en Ia, qu. 46, a. 1, obj. 1, propos de l'ternit du monde. On y trouve plus clairement nonc que la matire parat ncessaire. Mais ce qui a possibilit d'tre c'est la matire qui est en puissance pour tre. Si le monde a exist, il y avait la matire avant, dit l'objecteur. Mais ajoute-t-il, la matire sans forme ne peut pas exister. Donc le monde a exist avant de commencer ce qui est impossible. Cf. Pot. qu. 3, a. 17, obj. 10 : Sil tait possible qu'il existt, il y avait alors une puissance par rapport lui et mme ainsi il y avait un substrat ou une matire puisque la puissance ne peut exister que dans un substrat.

Il faut distinguer le possible, conception dans l'esprit qui le conoit, et qui n'est pas dans la ralit, de l'objet en puissance qui a besoin d'un substrat. C'est pourquoi la cration est possible, mais elle n'est pas en puissance.

[222] La gnration. La mixtion (le mlange) exige que les deux corps (qui doivent se mlanger) soient dans une condition semblable (327 b 3 ou 4). Aristote dmontre ensuite que certaines "mixtions", certains mlanges ne peuvent se faire parce que les lments en question sont dissemblables (ainsi 327 b 11 : bois et feu. Conclusion (20) : Tout ne peut pas tre mlang tout. b 22 : il constate que les tres en actes et ceux qui sont en puissance ne peuvent se mlanger. On a distingu par la suite le corpus mixtum ou les lments sont diffrents du compos (comme l'eau est diffrente de l'oxygne et l'hydrogne) et la mixtio imperfecta ou mlange comme le sucre et l'eau. (Elders, La philosophie de la nature de saint Thomas, 189-190).

[223] Si une intelligibilit signifie pour elle-mme, telle l'humanit ou la blancheur, se trouvant tre subsistante (c'est--dire existant par soi et pour soi, et non point dans autre chose titre d'attribut) alors elle serait ncessairement unique. Ce qui permet de conclure que toutes les choses autres que Dieu ne sauraient tre leur propre tre, mais ne sont qu'en participant l'tre et de l'tre. (Cf. Ia, qu. 11, a. 3 et 4). Dubarle, Ontologie, p. 204.

[224] L'tre de raison est l'objet de la logique. Il peut y avoir analogie avec la ralit, mais le paralllisme n'est pas toujours vrai. Thomas en donne des exemples. On ne peut pas tre surpris que les lois des concepts et celles du langage ne s'appliquent pas toujours aux relations du rel Autres sont les agencements des choses, objet de la science, autres les agencements des tres de raison qui sont les moyens de la science. Sertillanges, Dieu II, (d. des Jeunes) note 42, p. 334. On trouve en de nombreux autres endroits une analogie entre la dmarche intellectuelle et les faits naturels.

[225] Ex soit "de", soit locution prpositive " partir de".

[226] Cf. Ia, qu. 45, a. 1, obj. 3 : Cette prposition " de " implique un rapport de causalit, surtout de causalit matrielle, comme lorsque nous disons qu'une statue est faite " de " bronze. Mais rien ne peut tre la matire de l'tre, ni en tre cause d'aucune manire. Donc crer n'est pas faire quelque chose de rien. (Trad. J-M. Maldam, d du Cerf).

[227] Objection inspire d'Avicenne.

[228] L'agent est en acte. Il fait du semblable, donc quelque chose en acte. En effet, l'apport de la forme met l'tant en acte.

[229] C'est--dire l'effet de l'ide.

[230] L'objecteur suppose deux principes, un bon et un mauvais. Cf. Pot. qu. 3, a. 6.

[231] La gnration et le changement supposent un oppos. L'objecteur pense la cration comme un changement. Cf. Pot. qu. 3, a. 2.

[232] Il arrive la crature dagir, mais Dieu est acte pur. Il agit toujours.

[233] C'est--dire un tre potentiel. Ainsi lenfant avant sa conception est en puissance.

[234] Cette participation, c'est que Dieu donne l'tre et alors les causes secondes peuvent agir. Il ne faut pas comprendre que Dieu donne le pouvoir de crer (Cf. article 4).

[235] Prop. 3 : n 27 Toute me noble a trois oprations ; car parmi ses opration il y l'opration animante, intellectuelle et divine. Cf. Pot. 3, 7, Concours divin : Rien ne donne l'tre que par participation du pouvoir divin par l'action de la cause premire, et de la cause seconde. Le livre des causes, prop. 18.

[236] Cf. Ia, qu. 45, a. 2, ad 4m : La distance infinie entre l'tant et le non tant : Cette objection procde dune fausse imagination. Comme sil y avait un intervalle infini entre le nant et lՐtre. Cela apparat comme faux. Cette fausse imagination vient du fait quon dcrit la cration comme un changement entre deux termes qui existent.

du non-tre l'tre il n'y a ni ordre ni proportions, ni relations. On en parle comme s'il n'y avait entre eux une succession c'est--dire une relation relle, mais il ne faut pas se rendre dupe des mots En ralit le nant ne peut rien prcder, et au nant rien ne peut suivre. Sertillanges, L'ide de cration, p. 14.

[237] Il est donc vident que la causalit des Ides que certains philosophes ont coutume d'attribuer aux Ides, ne peut, en supposant qu'il existe de telles ralits, distinctes des individus, servir rien, du moins pour la gnration et la constitution des substances. (Trad. J. Tricot).

[238] Cf. De Veritate 27, 3, ad 9m. les trois solutions possibles sont envisages : infini infini, fini fini, infini fini. Puissance passive : ici le possible n'en dpend pas puisque cette puissance est la matire, qui n'existe pas avant la cration, la puissance active : dernire partie de la rponse, et enfin en deuxime position le possible sans rapport avec la puissance. C'est ce que dmontre Aristote en Mtaphysique, IX, 3, 1047 a 24 : Une chose est possible si son passage acte dont elle est dite avoir la puissance n'entrane aucune impossibilit. Cf. Analytiques, I, 13, 32 a 18. (Cette dfinition du possible renferme peut-tre un cercle vicieux. remarque J. Tricot).

[239] Si on sen tient la traduction   partir de , il faut parler alors de locution prpositionnelle.

[240] Voir Pot. qu. 3, a. 8, obj. 4. Ex indique une cause efficiente ou une cause matrielle.

[241] Lexpression de nihilo est employe en deux endroits dans larticle. la nuance dans lobjection 4 est minime et nest plus reprise dans la solution.  Le rien , le nant est considr par l'objecteur comme un substrat, qui pourrait tre  un patient , ce que nie la solution. Ici (sol. 7) le de nihilo nest pas appliqu la cration : le silencieux parle au sujet de rien. Il ny a pas non plus cration ou passage partir du nant pour Dieu. Mode inhabituel de parler, remarque Thomas.

[242] Thomas se persuada que si Avicenne niait la cration, du moins il rfutait bien le concept erron de cration des Mokekallim qui imaginaient le nant comme une privation ou une puissance. (Chossat, DTC, Dieu, 1224)

[243] Cela est dmontr plus loin, Pot. 3, 15.

[244] Lultime raison de la multiplicit et de la vrit des choses rside dans lordo sapientiae. Cf. Pot. 3, 16. La pluralit peut-elle procder d'un [tre] premier unique ? Cf. Ia, qu. 47, a. 1, - Ia, qu. 47, a. 2 - CG II, 26, etc. M.Seckler, le salut et lhistoire, p. 110. La distinction et la pluralit dpendent de lintention du premier agent qui est Dieu. Le principe est confirm en Ia, qu. 42, a. 2 : La distinction et lingalit des choses viennent de Dieu.. L'ingalit dans la perfection parce que les choses viennent du nant (Ia, qu. 90, a. 3 ou 3).

[245] Il ne faut du reste pas parler de perfection et d'imperfection. Voir Ia, qu. 90, 2.

[246] Cf. Ia, qu. 45, a. 2, ad 3m.

[247] LՎtant commun est compos de matire (en puissance) et de la forme (en acte).

[248] Il s'agit de lide en Dieu. Dans le De veritate qu. 3, a. 5, c, on lit que 1 la diffrence de Platon, il est ncessaire de placer une ide en Dieu parce que la matire premire est cre et ce qui est caus par Dieu possde quelque ressemblance avec lui. 2 Cependant la matire na pas en Dieu dide distincte de celle de la forme ou du compos.

[249]. Parall. : Ia, 45, 1, ad 2 CG. II, 17, II Sent. d1q1a 2.

[250]. Aristote, Physique, V, 224 b 35- 225 a Or, puisque tout changement va d'un terme un autre (c'est aussi ce que [en grec] montre le mot (metabol) : en effet, il exprime une succession, c'est--dire la distinction d'un antrieur et d'un postrieur.

[251]. Les contraires appartiennent au mme genre. Le non tant relatif est celui du changement, ce qui nexiste pas encore, mais existera.

[252]. Ils sont cits au resp. 2. Thomas fait appel une autorit. Aristote en loccurrence. Sinon il ny aurait pas de preuve que le cration ne soit pas un mouvement. 6. Il sagit de potentialit. Le cr avant la cration est possible. Il ny a aucune contradiction dans les termes. Cf. Pot. 3, 1 obj. ?

[253]. Diffrence entre le changement et le mouvement.

[254]. C'est--dire celui de dpart et celui d'arrive.

[255]. Parce quil y a deux sortes de cration, la premire, celle de lunivers, et la cration contraire (celle qui se poursuit dans le temps).

[256] Parall. : Ia, 45, 3 CG. II, 18 I Sent. D. 40 q. 1, a 1. II Sent. D. 1q. 1, a. 2, ad 4-5. La relation Dieu crature, envisage ici sous l'angle de la cration, sera tudie plus longuement qu. 7, a. 8 11.

[257] Les intelligences secondes jettent leur regard sur la forme universelle qui est dans les intelligences universelles. Elles la divisent et la sparent puisquelles ne peuvent recevoir ces formes selon leur units ou leur ncessit que par la manire dont elles peuvent les recevoir c'est--dire la sparation et la division. De la mme manire, certaine ne reoit de ce qui est au-dessus d'elle que par le mode selon lequel elle peut le recevoir, non par le mode selon lequel la chose est reue.

[258] nest pas quelque chose. Cf. dbut .

[259] Ainsi il y a autant despce de mouvements que dՐtre.

[260] entre l'artiste et son uvre s'insre la cration. Ainsi entre ce qui porte un vtement et le vtement port, il y a un intermdiaire, le port du vtement. Il est manifeste que cette sorte d'tat ne peut avoir lui-mme un tat car on irait ainsi l'infini . Commentaire de Thomas ( 1062) Quelque chose est intermdiaire entre celui qui possde et ce qui est possd. Car bien que possder ne soit pas une action, cela s'exprimer par manire d'action. Et c'est pourquoi entre les deux, on comprend qu'il y a un avoir intermdiaire et comme une action, comme l'chauffement est compris comme intermdiaire entre ce qui chauffe et ce qui est chauff.

[261] Cf. Ia, qu. 27, a 2, ad 3 : Tout ce qui est reu n'est pas ncessairement reu dans un sujet ; sans quoi l'on ne pourrait pas dire que toute la substance de la chose cre est reue de Dieu, puisqu'il n'y a pas de rcepteur de toute substance.

[262]. La cration est cre en mme temps que la crature, donc elle est un accident.

[263] PARALL : Ia q. 45, a. 5 q. 65, a. 3 q. 90, a. 3 CG., II, 2o, 21 II Sent., d1q1a3 IV, d5q1a3, ad 3 De Verit.q. 5, a. 9 Quodl., III, qu. 3, a.1 Compend. Theol., c. 70 Opusc. XV, De Angeli, c, 10 Opusc. XXXVII, De quatuor opposit, c. 4.

[264] Les chiffres entre parenthse indiquent les trois termes du syllogisme. Lobjecteur donne une preuve pour la deuxime.

[265] Mtaphysique IV, 6, 1011 b 20. Si donc il est impossible que l'affirmation et la ngation soient vraies en mme temps

[266] Dans le Verbe, lumire non cre mais engendre, dans les anges, lumire cre, parce que forme partir d'un tat informe cielcrature constitue en son espce propre. Augustin commente Dieu dit que la lumire soit

[267] Reprise de lobjection 1 de Pot. 3, 1 : la distance entre lՎtant et le nant est infinie.

[268] Ni relations entre eux. Cf. Pot. qu. 7, a. 9, obj. 1.

[269] Car en eux est cette lumire qui fut cre la premire, si nous pensons qu'ils sont la lumire spirituelle cre le premier jour.

[270] a) Il est donc manifeste que la forme non plus, ou quel que soit le nom qu'il faille donner la configuration ralise dans le sensible n'est pas soumise au devenir, que d'elle il n'y a pas de gnration. 1033 b 5. Trad. J. tricot. Thomas n1423 : Les formes, en effet, ne se font pas proprement parler, mais elles sortent de la puissance de la matire en tant que telle ; ce qui est en puissance la forme devient l'acte sous la forme, ce qui est faire un compos.

b) Il rsulte manifestement de ce que nous venons de dire que ce qu'on appelle forme ou substance n'est pas engendr mais ce qui est engendr, c'est le compos de matire et de forme, lequel reoit son nom de la forme. 1033 b 16..

[271] Il est manifeste que, dans certains cas, la gnration est de mme espce que l'engendr. (Trad. J. Tricot).

[272] Proposition 19.Texte : 149 : Parmi les Intelligences, il y a celle qui est lIntelligence divine, puisquelle reoit des bonts premires qui procdent de la cause premire, par rception multiple.

a) et parmi celles-ci il y a celle qui est Intelligence seulement puisquelle reoit des Bonts premires que par lintermdiaire de lintelligence.

b) Parmi les mes il y a celle qui est l'me Celle qui est de l'me intelligible parce qu'elle dpend de l'Intelligence, et celle qui est me seulement.

Thomas n 353 : Donc ceux qui sont les plus hauts dans l'ordre des esprits ou des intelligences dpendent par une participation plus parfaite de Dieu et participent plus de sa bont et de sa causalit universelle et c'est pourquoi elle sont appeles des Esprit divins ou des Intelligences divines, comme Denys le dit (La hirarchie cleste, VII, 2, Les Noms divins. V,8 n 276, 656) que les anges les plus hauts sont comme placs dans le vestibule de la divinit.

Thomas n 79 cite le texte 32 : La cause premire cra l'tre de l'me par l'intermdiaire de lIntelligence, et il ajoute : certains [sans doute parmi eux Avicenne] qui ont mal compris, ont pens que l'auteur de ce livre voulait que les Intelligences soient cratrices de la substance des mes. (80) Mais cela est contre les positions platoniciennes car ils tablissaient de telles causalits des tres simples selon la participation. Il explique que les Platoniciens pensaient que ce qui est lՐtre mme est cause de lexistence pour tous. Ce qui est la vie est la cause de vie pour tous, ce qui est intelligence est cause dintellection pour tous.

[273] Les intelligence secondes. Le livre des Causes, proposition X, 98 Les intelligences secondes jettent leurs regard sur la forme universelle qui est dans les intelligences universelles. Elles la divisent et la sparent puisquelles ne peuvent recevoir ces formes selon leur unit ou leur ncessit, que par la manire dont elles peuvent les recevoir, c'est--dire la sparation et la division. (Il sagit de la transmission des formes dans les intelligences). Thomas n 353 2 Les intelligences infrieures qui ne parviennent pas aussi parfaite ressemblance divine, sont intelligences seulement, sans dignit divine.

[274] Le Livre des Causes, Proposition 8.Texte 72 : Toute intelligence sait ce qui est au-dessus d'elle et sous elle. Mais cependant elle sait ce qui est sous elle, puisqu'elle en est la cause et elle sait ce qui est au-dessus d'elle puisqu'elle en reoit des bonts.

[275] Augustin, Limmortalit de lՉme, XVI, 25 : Dans l'ordre naturel les tres plus puissants livrent aux plus faibles la forme qu'ils ont reue de la souveraine Beaut Si ces tres existent, c'est qu'une forme leur est livre par les tres plus puissants, grce quoi ils "sont" .(Trad. P. de Labriolle).

[276] Il sagit de la gnration.

[277] Cf. Pot. Qu. 3, a. 1. Obj. 3. (et sol. 3)

[278]. Cf. Pot. qu. 1, a. 1, c

[279] Augustin, La Trinit, III, 8, 13 : On ne saurait donner raisonnablement le nom de crateurs ces mauvais anges sous prtexte que, grce eux, les magiciens qui bravaient Mose fabriqurent des grenouilles et des serpents. Ils n'en furent pas les crateurs Comme on n'appelle point nos parents crateurs d'hommepareillement ne se permet-on pas de prendre les anges pour des crateurs, les mauvais anges, c'est vident, mais les bons non plus. (Trad. BA).

[280] La Gense au sens littral XII, 22 : Car la puissance du Crateur et la vertu du Tout-Puissant et du Tout-Tenant est la cause par laquelle subsiste toute crature. Si cette puissance cessait un instant de s'exercer dans les tres crs, du mme coup ceux-ci perdraient leur forme et toute nature s'abmerait dans le nant. (Trad. P. Agasse, et A. Solignac, BA. 5). Ia, qu. 104, a. 2. est aussi consacr ce sujet. Cf. Pot. qu. 5.

[281] Prop. 10, n 92 : a) Toute intelligence est pleine de formes. Des intelligences, viennent celles qui contiennent les formes les plus universelles et de ces dernires viennent celles qui contiennent les formes les moins universelles. Voir prop. 3, 9, 16 (Cf. II Sent. d1qa1).

[282] L'opinion d'Avicenne : II Sent. d18q2a2. CG. II, 42, 10 : l'opinion d'Avicenne qui dit que Dieu, en se comprenant, produit une seule intelligence premire, dans lequel il y a puissance et acte, qui, dans la mesure o elle comprend Dieu produit une intelligence seconde. Dans la mesure o elle se comprend, selon qu'elle est en acte, elle produit l'me du monde. Dans la mesure o elle est en puissance, elle produit la substance du premier ciel et ainsi procdant de l, elle constitue la diversit des tres par la cause seconde.

[283] Cf. Ia, qu. 14, a. 8 : La science de Dieu est la cause des choses ?

[284] La position de Pierre Lombard : IV Sent. d5q3 : Dieu peut aussi crer quelque chose par quelquun non par lui en tant quauteur, mais en tant que ministre, avec lequel et en qui il opre, de mme quil opre en nous dans nos bonnes uvres, et nous et pas lui seulement, pas nous seulement mais lui avec nous et en nous.

II sent. d1q4 c. (p. 22) : Il prsente aussi la position du Lombard, contrairement Pot. 3, 4 et Ia, 45, 5, il est hsitant : C'est pourquoi d'autres ont dit que la cration ne convient aucune crature et elle n'est pas communicable ; de mme que l'tre d'une puissance infinie qu'exige l'uvre de cration. D'autres ont dit que la cration n'a t communique aucune crature, mais cependant pouvait tre communique : ce que le Matre (des Sentences) affirme au livre IV, d.5.

Chacune des deux dernires opinions semble avoir un point dappui. Car, comme il est de la raison de la crature que rien ne lui prexiste, au moins selon lordre de la nature, on peut le prendre du ct du crateur ou de celui de la crature. Si c'est du ct du crateur, on dit qu'ainsi cette action est une cration qui ne sappuie pas sur l'action d'une cause qui prcde. Et ainsi c'est seulement l'action de la cause premire : parce que toute action de la cause seconde sappuie sur l'action de la cause premire. Cest pourquoi, de mme que le fait d'tre cause premire ne peut tre communiqu aucune crature, ainsi le fait de crer ne peut lui tre communique. Si on prend du ct de la crature, la cration est proprement ce quoi rien ne prexiste en ralit et c'est cela tre. Cest pourquoi on dit au Livre des Causes (proposition 4) que la premire des choses cres est l'tre, et ailleurs dans le mme livre (proposition 1), on dit que l'tre est par cration et les autres perfections ajoutes par mise en forme et dans les composs surtout cette tre qui est de la premire partie c'est--dire de la matire et de cette partie en recevant la cration, elle a pu tre communique aux cratures pour que par le pouvoir de la cause premire qui opre en elle, soit produit une tre simple ou la matire. Et de cette manire, les philosophes ont pens que les intelligences craient quoique cela soit hrtique.

[285] Comprendre sans un agent autre que Dieu, car dans le changement, il faut la matire et un agent.

[286] Entendre la matire (cause matrielle) et l'agent (cause efficiente).

[287] Cit en note dans le Sed contra 3.

[288] Il s'agit des vertus sminales

[289] Le Livre des causes prop. 3, n 32 : "Parce que la cause premire a caus l'tre de l'me par l'intermdiaire de l'Intelligence".Il s'agit aussi d'Avicenne : De substantiis separatis, ch. 10 : C'est la position d'Avicenne qui semble l'avoir tire du livre des Causes.

[290] Proposition 20 (n 155) : La cause premire rgit tout ce qui est cr sauf ce qui lui est ml. Voit Thomas, nn 359-360.

[291] Krempel, La doctrine dela relation chez saint Thomas, Paris 1952 p. 104, Cf. qu. 7, a. 9. Avicenne le dit (Mtaphysique, IV, 10)

[292] II Sent. d1a1q1a3, sol. 1 : Bien que les choses infrieures soient ramenes leur fin ultime par des intermdiaires, jamais cependant l'influence de la fin dernire n'est communique l'un des intermdiaires de sorte naturellement qu'il soit le dsir ultime et ainsi jamais l'influence du premier agent qui est cration ne peut tre communique l'un des seconds principes.

[293]Lemploi de mens est remarquer.

[294] Parall. : Ia, qu. 44, a. 1-2 Ia, qu. 65, 1 CG. II, 15 II Sent. d1q1a2 - I Sent. d39q1a2 Compendium. ch. 68, Opus. XV, De angelis, ch. 9 Les noms divins, ch. 5, 1.

[295] Proposition 4 : La premire des choses cres est l'tre et avant il n'y a rien de cr.

[296] La quiddit exprime lessence ou la dfinition dune chose.

[297] Cette histoire de lՎlaboration du concept de cause efficiente, en grande partie inspir par Aristote est repris en plusieurs endroits de son uvre par Thomas : Ia, qu. 44, a. 2 ; CG. II, 16 ; De subst. separ. Voir B. Decossas, Les exigences de la causalit cratrice, RThom II, 94, p. 242.

[298] Appel au principe premier de la participation : Si quelque chose se trouve en un tant par participation, il est ncessaire quil ait t cr par celui qui convient lessence, principe vident par lui-mme pour ceux qui sont capables de le comprendre. J.-H. Nicolas, Synthse dogmatique, p. 21. Cf. Ia, qu. 44, a. 1 c.

[299] Mtaphysique 10. La chose qui, parmi les autres, possde minemment une nature est toujours celle dont les autres choses contiennent en commun cette nature Thomas, lect. 2, n 290 - 298. Repris en Ia, q. 44, a. 1 : Ce qui est lՐtre et la vrit absolue est cause de tout tre et de toute vrit. Comme ce qui est chaud au maximum est cause de toute chaleur. (Ce dernier membre de phrase ne serait plus accept aujourdhui. Il a valeur dmonstrative, selon les lois de la physique de lՎpoque. Cf. De causis, 340.

[300] Repris en Ia, q. 44, a. 1 resp. Cf. Parmnide 164 c -165 e-. J.-M. Vernier, Thologie et mtaphysique de la Cration, p. 159. 2me argument du De Pot. causalit dpendance de limparfait vis--vis du parfait. Cf. II CG. 15, 2.

[301] Thomas dmontre par la mtaphysique, "par la raison", la cration. Il le fait aussi en II Sent. d1q1a2, mais il apporte une restriction cette dmonstration.

[302] Parce quune crature est un tre par participation, il en dcoule quelle est cause par un autre. Donc un tant de ce genre ne peut exister que sil est caus ; de mme quil ny a pas dhomme qui ne soit dou du rire. Mais parce que avoir une cause ne fait pas partie de la dfinition de lՐtre dans labsolu, on trouve un tre qui nest pas caus. Cf. Ia, q. 44, a. 1.

[303] Parall. : Ia, qu. 44, a. 2 qu. 65, a. 1 qu. 49, a. 3 CG. II, 41, III, 15 II Sent. d1q1a1, ad 1 d34a1, ad 4.

[304] N 188 : La mal ne vient pas du bien. Cf. IV, 22, 732 c :le mal est au-del de la voie, de l'intention, de la nature et de la cause. n 244.

[305] Tout est cr sauf le principe de cration, c'est--dire Dieu.

[306] D'abord on reconnatra que l'exprience montre des faits qui se produisent toujours de mme, et des faits qui se produisent frquemment, mais puisqu'il y a des faits qui se produisent par exception ceux-l et que tout le monde les appelle effets de la fortune, il est vident que la fortune et le hasard existent en quelque manire. (Trad. H. Carteron,) Cf. Topiques, II, 6, 112 b 1 : Si par exemple les hommes sont la plupart du temps mchants (Trad. J. Tricot).Cf. Ia, qu. 49, a. 3, ad 5 : Dire que le mal est ut in pluribus (les cas les plus frquents) est absolument faux ; car ce qui s'engendre ou se corrompt en qui seulement arrive le mal de la nature, est une toute petite part de tout l'univers. Et en plus en chaque espce les dfauts de la nature arrivent dans les cas les moins nombreux. Dans les hommes seulement, le mal semble tre dans les cas les plus frquents. Pour Avicenne le mal prdomine IX, 6, 422.

[307] Si par exemple, les hommes sont la plupart du temps mchants, c'est qu'ils sont moins frquemment bons

[308] Le texte est en Pot. qu. 3, a. 5, c

[309] Le bien vient d'une seule cause totale mais le mal de dfaillances nombreuses et particulires. 3 237 IV, 22. Commentaire Thomas : cela apparat autant dans ce qui est naturel que dans ce qui est moral.

[310] La nature est la diffrence spcifique qui donne sa forme la nature des choses. Trad. H. Merle. C'est la quatrime dfinition de "nature". Aristote Physique, II, 1, 193 a 30 nature en un autre sens c'est le type et la forme, la forme dfinissable. Trad. Carteron.

[311] Ben Sirac. Vulg. : et contra mortem vita.

[312] Ce texte est prsent comme une objection en Ia, qu. 49, a. 2, obj. 1. Dans la solution, il est prcis que cela concerne le mal de la peine et non le mal de la faute.

[313] Texte 188, 2.

[314] Thomas VIII, lectio 9, n 1040 ss..

[315] Le chaud et le froid (ou feu et terre) pour Parmnide, le plein et le vide pour Dmocrite.

[316] Les principe contraire sont ramens l'unit pour concourir un ordre unique. Il fait intervenir la notion de cas nombreux ou rares. Ia, qu. 49 a. 3 ad 5. Mais comme les contraires se rejoignent, il faut reconnatre, au-dessus des causes particulires une cause unique commune (premier principe d'tre, Ia, 2, 3).

[317] Aristote en Physique II, 5, 196 b 10 oppose les faits d'exprience qui se produisent toujours de la mme faon ou frquemment : Il est vident que la fortune n'est appele la cause des uns ni des autres. les effets de la fortune (tuk) ne sont ni parmi les faits ncessaires et constants, ni parmi les faits qui se produisent la plupart du temps. Thomas en dit (n 2089) Il est clair que la fortune est quelque chose ; puisque venir par fortune et tre dans le petit nombre sont convertibles. Donc il s'agit pour lui, non pas du mal, mais de la fortune, du hasard.

Cela sert dmontrer l'existence de la fortune ou du hasard 196 b 17. Aristote en vient la causalit accidentelle Quand de tels faits se produisent par accident nous disons qu'ils sont des effets de la fortune (23 4).

[318]. Thomas n 133.

[319]. Le manque de forme est une privation. Mais il faut considrer que la privation appartient parfois la raison de l'espce ; parfois non, car elle s'ajoute une ralit qui a dj son espce propre. c sol. 2 :. La difformit dans l'action atteint celle-ci dans ce qu'elle a de spcifique en tant qu'acte moral, nous l'avons dit propos des actes humains. Une action est difforme en effet par la privation d'une forme qui lui est intrinsque, n'tant autre que la juste mesure dans toutes les circonstances de l'acte. C'est pourquoi on ne peut jamais dire que Dieu soit cause d'un acte difforme, parce que Dieu n'est pas cause d'un pareil manque de forme, encore qu'il soit cause de l'acte en tant qu'acte. - Ou encore, il faut remarquer que le manque de forme peut impliquer non seulement la privation de la forme que l'acte devrait avoir, mais aussi la disposition contraire. De ce point de vue la difformit est l'acte ce que la fausset est la foi. C'est pourquoi, de mme que Dieu n'est pas lauteur d'un acte dform il ne l'est pas non plus dune foi fausse. Et, de mme que Dieu est lauteur d'une foi qui n'est qu'informe, il l'est aussi des actes qui sont bons dans leur genre quoique pas informs par la charit, comme il arrive la plupart du temps chez les pcheurs. (IIa/II, qu. 6, a. 2) (d. du Cerf).

[320]. Rponse Avicenne.

[321]. C'est--dire chacune en particulier.

[322] Ia, 105, a. 5 CG. III, 67 Compendium. 135 II. Sent. d1q1a4. [autres rf. Ia, qu. 25, a. 4 CG. III, 67-70 I Sent. d37q1a1 ad 4 q2a2 II Sent. d1q1a1.]

[323] Pour la dfinition de la nature, voir Physique, II, 1, 192b.

[324] Un des quatre lments.

[325] Il donne virtus un sens proche de "puissance", mais il faut distinguer les deux mots puisqu'il les emploie tous les deux, en appliquant cependant virtus la dfinition de la puissance par Aristote en Mtaphysique V, Cf. Pot. qu. 1, a. 1, obj. 3

[326] Cf. C.G. III, 66, 1 : tous les agents infrieurs ne donnent l'tre qu'en tant qu'ils agissent dans le pouvoir divin.

[327] Nous appelons libre celui qui est lui-mme sa fin et n'existe pas pour un autre. Aristote 29 (Trad. Tricot), Thomas n 58. Le commentaire de Thomas s'appuie sur le texte suivant : homo liber, qui suimet et non alterius causa est.

[328] Cf. Pot. 3, 9, obj. 25. Cf. aussi De causis, Prop. 1

[329] LՎdition Marietti ajoute la citation.

[330] Mme sed contra en Ia, 105, 5. Ce mme verset sert dmontrer la prsence de Dieu en toutes choses (Ia, qu. 8, a. 1). La vulgate omet in.

[331] Aristote n 116, Thomas n 175.

[332] Sur la conservation voir Pot. 5, 1, et Ia, 104.

[333] Thomas prcise dans le Compendium I, 135 : Par essence, dans la mesure o tre de quelque manire est une certaine participation l'esse divin, et ainsi l'essence divine est prsente tout existant, dans la mesure o il a l'tre cause de l'effet propre [comme cause d'tre, Ia, 8, 3], par puissance, dans la mesure o tout agit dans son pouvoir [dans la mesure o tout est soumis son pourvoir, Ia, 8, 3], par prsence ensuite, dans la mesure o lui-mme ordonne et dispose tout sans intermdiaire [dans la mesure o tout est nu et dcouvert sa vue, [Ia, qu. 8, a. 3].

[334] Cf. Averros, Mtaphysique IX, comment. 7 et 12, comment. 18. Cf. CG. III, 69, 1

[335] Position des Musulmans : CG. III, 65 Dernier . Pour affirmer que le monde a besoin de Dieu pour tre conserv dans l'tre, ils ont prtendu que toutes les formes taient accidentelles, et qu'un accident ne dure pas deux instants, et qu'ainsi la formation des tres est en perptuel devenir, comme si les tres n'avaient pas besoin de cause efficiente que dans leur devenir.

[336] Cf. L'occasionalisme a t repris par la suite par Ockham, Malebranche, etc.

[337] Ces paragraphes dveloppent ce qu'il a dit en II Sent., d1qu4 : Cette position est stupide parce qu'elle dtruit l'ordre de l'univers, l'opration propre chez les tres et elle va contre le jugement des sens.

[338] Il s'agit de la  Sunaugeia platonicienne, c'est--dire la thorie de la rencontre des rayons manant de l'objet extrieur et des rayons venant de l'il (Time, 45 b46 c et 67 c - 68 d).

[339] Cf. Ia, qu. 105, a. 5, resp. : Les puissances d'action qui se trouvent dans les choses leur seraient attribues en vain si elles n'opraient rien par elles. Bien plus toutes les cratures paratraient vaines d'une certaine manire si elles taient prives de leur propre opration, puisque tout est en vue de son opration. Car toujours l'imparfait est en vue d'un plus parfait. Donc de mme que la matire est en vue de la forme, la forme qui est l'acte premier est en vue de son opration qui est l'acte second et ainsi l'opration est la fin de la crature. Conclusion : Dieu n'opre pas la place des choses. Il leur permet d'agir.

[340] Salomon Ibn Gabirol vers 1021-1058). Cf. De substantii separatis dont certains chapitres lui sont consacrs.

[341] Aristote n 598, Thomas lect. n 786 n 785, Aristote n 609, Thomas n 795.

[342] La distinction de l'opration et celle de la nature : La substance se prend, sinon en grand nombre d'acceptions, du moins en quatre principales : on pense d'ordinaire, en effet, que la substance de chaque tre est soit quiddit, soit l'universel, soit le genre, soit en quatrime le sujet. Mtaphysique VII, 3, 1028 a 33 (Thomas : 7, lectio 2, Ar. 568, Th. 1270-1275) (quiddit 7, 4-6,et 10-12, universel 13-14, sujet 7, 3 et 13-14 (Tricot p. 352).

Thomas n 1270 : la substance a au moins quatre acceptions sinon plus :

1) LՐtre premier, c'est--dire la quiddit ou lessence ou bien la nature de la chose.

2) Thomas 1271 : Le second mode selon luniversel est appel substance de lՐtre, daprs lopinion de ceux qui pensent quil y a des ides, des espces (species), attribues des choses particulires et en sont les substances.

3) Thomas n 1272 : Selon que le premier genre semble tre la substance de chaque chose et de cette manire, ils pensaient que lun et lՎtant taient la substance de toute chose, en tant que premier genre du tout.

4) Thomas n 1273 : la substance particulire.

[343] Cf. II Sent. d1q1a4 c. : Mais les autres causes sont comme dterminantes de cet tre. Car lՐtre entier daucune chose ne prend son principe dune crature puisque la matire est de Dieu seulement ; mais lՐtre est plus intime dune chose que ce par quoi elle est dtourne lՐtre. C'est pourquoi l'opration du crateur atteint plus l'intime de la choses que l'opration des causes secondaires ; et c'est pourquoi ce qui a t cr cause d'une autre crature n'exclut pas que Dieu opre sans intermdiaire en toutes choses, dans la mesure o son pouvoir est comme l'intermdiaire qui relie le pouvoir 'une cause seconde son effet.

[344] De causis (prop. 9 (8). Omnis Intelligentia fixio (stabilit) et essentia eius est per Bonitatem puram quae est Causa prima. Remarquons que Thomas n'admet pas d'intermdiaire comme le laisse supposer cette affirmation et que "Dieu" est considr comme Bont suprme comme dans le Platonisme et aussi par Denys.

Thomas n 210, signale que l'affirmation de Proclus est plus universelle : La cause premire de tous les tants est le Bien.

[345] CG. III, 70, 5 : Il n'est pas superflu que Dieu puisse par lui-mme produire tous les effets naturels, parce qu'ils sont produits par quelques autres causes ; car cela ne vient pas de l'insuffisance du pouvoir divin, mais de son immense bont, par laquelle il a voulu communiquer sa ressemblance aux cratures. Non seulement quant leur tre, mais encore pour le fait qu'elles sont des autres. Dieu communique sa ressemblance, mais aussi il accorde tres d'tre cause des autres.

Ia, qu. 105, a. 5, obj. 2 : Une seule opration n'est pas en mme temps de deux oprateurs, de mme quun mouvement, unique en nombre ne peut pas venir de deux mobiles. Si donc l'opration de la crature vient de Dieu, lorsqu'elle opre, elle ne peut pas venir en mme temps de la crature. Et ainsi aucune crature n'opre.. Sol. 2 : Ce ne sont pas deux agents de mme ordre. Rien n'empche qu'une seule et mme action procde d'un agent premier et d'un agent second. Voir CG. III, 66, 2.

CG. III, 66 3. Amplius : de plus quand certains agents diffrents sont ordonns sous un seul genre, il est ncessaire que l'effet, qui est fait en commun par eux vienne d'eux, selon quils sont unis en participant au mouvement et la puissance de cet agent ; car plusieurs choses nen font qu'une qu'en tant qu'elles ne font quun ; ainsi il est vident que tous ceux qui oprent dans une arme pour causer la victoire qu'ils causent selon qu'ils sont sous l'ordre du gnral, dont leffet propre est la victoire. On a montr (I, 13) que le premier agent est Dieu. Donc, comme l'tre est l'effet commun de tous les agents car tout agent rend l'tre en acte, il faut qu'ils produisent cet effet en tant qu'ils sont subordonns au premier agent et quils agissent dans son pouvoir..

[346] Le libre arbitre est une puissance rationnelle et en tant que tel il a rapport ces contraires. Thomas donne comme exemple l'art mdical qui concerne et la maladie et la sant. Ici il s'agit du choix entre les diffrentes solutions possibles qui peuvent tre opposes : v.g. choisir le bien ou le mal.

[347] Dieu est la cause premire et transcendante de notre libert et de nos dcisions libres, de sorte que lacte libre est tout entier de Dieu comme cause premire et tout entier de nous comme cause seconde ; parce quil ny a pas une fibrille dՐtre qui chappe la causalit de Dieu pour les actes mauvais, pour le mal, cest tout le contraire Dieu nest absolument pas cause du mal de nos actes libres, cest lhomme qui est la cause premire et qui a linitiative premire du mal moral. J. Maritain, Dieu et la permission du mal, uvres.Compltes, XII, p. 23.

[348] Parall. : Ia, q. 45, a. 8 II Sent., d.1, q. 1, a. 3, ad 5, - a.4, ad 4 - Mtaphysique (Z) VII, lectio 7.

[349] Car la grce existe par cration. Il y a de la part de l'objecteur une assimilation abusive de la grce et des formes naturelles.

[350] Cette glose de Gn. 1, 1, revient plusieurs fois. Cette analyse du sens de ex complte celle qui se trouve q. 3, a. 1, ad 7

[351] De anima, II, 412 a 3 : En un premier sens, la substance c'est la matire, c'est--dire ce qui, par soi, n'est pas tel tre dtermin, en un deuxime sens, c'est la figure et la forme, qui ds lors valent la matire d'tre appele tel tre dtermin, en un troisime sens, c'est le compos des deux principes. (Cf. Mtaphysique() V, 8, 1017 b 10 ss. et 12 (L) 1, 1069 a 18 ss. (Thomas n 215 en Physique De anima II, 414 a 15 : La substance, avons-nous dit, peut se prendre en trois sens, d'une part la forme, de l'autre la matire, enfin le compos (la matire tant puissance, la forme entlchie) (Cf. Thomas 275).

[352]  Autre principe dAnaxagore : les contraires sengendrent les uns les autres ; (32) ils prexistaient donc les uns dans les autres .

[353] uvre de Gilbert de la Pore.

[354] Cf. a. 12, ci-aprs.

[355] L'uvre de propagation est l'uvre de la nature. (Cf. Ia, q. 45, a. 8. Augustin les distingue (La Gense au sens littral, V, XI, 27) : aliter operatur Deus omnes creaturas prima conditione a quibus operibus in die septem requievit, aliter ista eorum administratione, qua usque nunc operatur  Augustin () distingue luvre de propagation, qui est luvre de la nature, de luvre de la cration . (Ia, q. 45, a. 8, sc.

[356]  Anaxagore, parce quil acceptait lopinion commune des physiciens, que rien ne peut tre engendr de rien ce qui leur fait poser le  Mlange Primitif  et tablir que la gnration dune qualit dtermine est altration. On parle de composition et de sparation . Physique, op. cit. Suivant Anaxagore, tout tait mlang lexception de lIntelligence qui tait seule pure et sans mlange. (Mtaphysique, 989 b 15, p. 73.)

[357] Platon, Phaedon, c. 49, 100 B 101 E, Time, c. 18, 50 BE. Avicenne, Mtaphysique, Tract. IX, c. 5 

[358] Cf. Ia, q. 65, a. 4, c. Autre opinion :  certains hrtiques modernes pensent que la matire est forme et dispose en espces varies par le diable. Cf. Ia, q. 45, a. 8 c.

[359] l'agent naturel produit du semblable non seulement en qualit, mais en espce. (Cf. Ia, q. 54, a. 3, - q. 77, a. 1, ad 3, ad 4, q. 77 a. 3, ad. 3 etc. q. 115, a. 1, ad 5

[360] Thomas commente :  Ce ne sont pas simplement des tants, mais des tants dՎtants . In meta. (L), 12, 1, 1069 a 21. In meta. 12, lect. 1, n 1258. Cf. Ia, q. 45, a. 4( ? ?). De Finance, p. 38, note 4.

[361] Mtaphysique VII, 8, 1033 b 7 : 7 : la forme non plus, ou quel que soit le nom qu'il faille donner la configuration ralise dans le sensible, n'est pas soumise au devenir, parce que d'elle il n'y a pas gnration17. Il rsulte maintenantque ce qu'on appelle forme ou substance n'est pas engendr, mais que ce qui est engendr c'est le compos de matire et de forme, lequel reoit le nom de sa forme (Trad. J. Tricot) (Aristote, n 611, Thomas, 1417-1423).

[362] Thomas, In Meta lectio 7, n1423 :  les formes proprement parler ne sont pas faites, mais sont sont sorties de la puissance de la matire, en tant que matire, qui est en puissance la forme devient en acte sous la forme, ce qui est faire le compos . lectio 8, 1458. Conclusion de Thomas, Ia, q. 65, a. 4 : Les formes corporelles sont causes, non comme sortant d'une forme immatrielle, mais comme si la matire tait ramene de la puissance l'acte par un agent compos.

[363] Les ides de Platon.

[364] Cf. Physique, II, 1, 193 b 1 : En effet la chair ou l'os en puissance n'ont pas encore leur propre nature en n'existant pas par nature, tant qu'ils n'ont pas reu la forme de la chair et de l'os, j'entends la forme dfinissable, celle que nous nonons pour dfinir l'essence de la chair ou de l'os.

Rponse un peu diffrente dans le De Veritate, 27, a. 3, ad 9 : les formes subsistantes, qu'elles soient substantielles ou accidentelles, ne sont pas proprement parler cres, mais elles sont concres, Ainsi elles n'ont pas l'tre par elles-mmes, mais dans un autre, et quoique elles n'aient pas de matire d'o [elles viennent ex qua] qui serait une partie d'elles, elle ont cependant la matire dans laquelle elles sont [in qua], et par changement elles sont amenes l'tre, de sorte qu'ainsi leur propre devenir est soumis un changement.. Cf. Ia. q. 45, a. 8, c. : Puisque le devenir et le cre ne conviennent (ne se rassemblent) pas proprement dans la chose subsistante, il n'y a pas de devenir ni de cration de formes mais elles sont concres. Ce qui est fait par l'agent naturel est compos parce qu'il est fait de matire.

[365] Comprendre dans l'optique d'Augustin les raisons sminales.

[366] Thomas, lectio 8, n 330.

[367]. PARALL. : Ia, q. 90, a. 2 - q. 118, a. 2 CG. Il, 86, 87, 88. 89 Il Sent., d18q2al d19qla4 - De Verit., q. 27, a. 3, ad 9 - De Spir, creat., a. 2, ad 8 Qdl. IX, q. 3, a.1 Compend. c. 93 ; Opusc. XXVIII, De Fato, c. 5 - Opusc. XXXVII. De quatuor Oppos., c. 4 ; Qudl., XI, q. 5, ad 1, 4 ; XII, q. 7, a. 2 Cf. Super epist. ad Romanos lectura V ; lectio 3, surtout le n 408

[368]. II Sent. d18q2a1, obj. 3 : Les enfants contractent le pch originel de leurs parents, comme l'Aptre l'enseigne (Rm. 5), mais un accident ne peut tre transmis que si l'objet de l'tre est transmis. Donc il semble que l'me raisonnable est le substrat de ma faute originelle et qu'elle est transmise par les parents.

[369]. Cest un homme qui engendre un homme Les causes la matire, la forme, le moteur, la cause fnale ne font qu'un ; alors que l'origine prochaine du mouvement est identique spcifiquement celui-ci ; car c'est un homme qui engendre un home. Cette affirmation, banale en soi, sert Aristote dmontrer que trois des quatre causes se rduisent une, en beaucoup de cas. L'essence et la cause finale ne font qu'une essence, le premier homme de l'affirmation, la fin, le second. La cause efficiente (l'homme sujet de la proposition) est identique la cause finale (l'homme objet de la proposition).

[370]. Ailleurs il dit que c'est un surplus de nourriture. (voir Ia, 119, a 2)

[371]. Il semble en outre que le principe contenu dans les vgtaux est lui-mme une sorte d'me ; car c'est le seul principe commun aux animaux et aux vgtaux.. (Trad. E. Barbotin)

[372].L'me est pour le corps vivant, cause et principe. (Trad. E. Barbotin).

[373]. Certains, par contre, estiment que la nature du feu est, absolument parlant, cause de la nutrition et de la croissance. (Il s'agirait d'Hraclite) Thomas, n 339.

[374]. En II Sent. d18q2a1, obj. 5, il prcise que c'est le Commentateur qui le dit en II Mtaphysique, com. 7 : Il est impossible quil y ait diffrents agents dont l'action de l'un se termine au substrat de la forme et l'action de l'autre la forme, parce que pour le substrat de la forme, l'action de l'agent ne se termine que selon ce qui reoit la forme, il en dcoulerait en effet, comme il le dit lui-mme, que le substrat et la forme seraient deux [tres] distincts, desquels ne serait pas fait l'un, si c'taient les termes des diffrentes actions.

[375]. Mme objection II Sent. d18q2a1, obj. 2. Il y ajoute : Parce que celui qui agit de concert avec quelquun dinique nest pas soustrait liniquit. Donc il semble que lՉme humaine nest pas infuse par Dieu mais transmise par le pre.

[376]. La plus naturelle de toutes les fonctions, pour tout tre vivant parfait, qui nest pas incomplet ou dont la gnration nest pas spontane, cest de produire un autre vivant semblable soi. (LՉme, 415 a 30) Thomas lectio 7, n 311-314.

[377]. Prop. 2, n 2 : Ltre qui est aprs lՎternit et au-dessus du temps, cest lՉme, parce quelle est en dessous dans lhorizon de lՎternit et au-dessus du temps. Thomas, n 58 :Il parle de lՉme qui a un tre suprieur savoir au-dessus du mouvement et du temps. Car lՉme de ce genre sapproche plus du mouvement que lIntelligence parce qu'il est vident que lIntelligence nest pas touche par le mouvement ni selon sa substance, ni selon son opration. LՉme selon sa substance dpasse (excedit) le temps et le mouvement et touche lՎternit, mais selon lopration elle touche au mouvement ; parce que, comme les philosophes le prouvent, il faut que ce qui est m par un autre soit ramen quelque chose de premier, qui se meut lui-mme. Mais selon Platon cest lՉme qui se meut elle-mme, selon Aristote, cest un corps anim dont le principe du mouvement est lՉme. Et ainsi des deux manires, il faut que le premier principe du mouvement, soit lՉme et cest pourquoi le mouvement est lopration de lՉme elle-mme. Et parce que le mouvement est dans le temps, le temps touche lopration de lՉme elle-mme.

[378]. Le sens de spiritus est peu prs quivalent puissance. Cf. les "esprits animaux" de Descartes. (Les esprits animaux sont des vapeurs trs subtiles, par lesquelles se diffusent les pouvoirs de l'me dans les parties du corps. (I Sent. d10q1a4 c.) Cf. Ia, qu. 118, a. 1, ad 3m : La force active qui est dans la semence drive de l'me de celui qui engendre est comme un lan (motio) qui vient d'elle il lui faut un organe en acte et elle est fonde dans cet esprit inclus dans la semence. Il y a un "esprit" dans le semen qui lui donne sa puissance active dans la gnration (Trad. J. Weber, l'me humaine, (d. des jeunes, renseignements techniques p. 377). Cf. IIIa, qu. 32, a. 1, ad 1 :wla puissance de l'me qui est dans la semence est enclose par l' esprit qui s'y trouve forme le corps dans la gnration des autres hommes, autre que le Christ.

[379]. On trouve chez Augustin, tout particulirement dans La Gense au sens littral, que Thomas connat bien, les diffrentes solutions rapportes ici. Mais Augustin reste trs hsitant sur le choix faire.

a. Propagation par lՉme du pre ou traducianisme. Augustin pense particulirement Tertullien (De anima), dont le traducianisme est entach de matrialisme. LՉme est virtuellement dans la semence. Cest le seul qui soit aussi nettement traducianiste avec Lucifer de Cagliari et ses disciples ; Arnobe et Lactance semblent avoir t accuss tort. (La traducianisme a t condamn par Anastase II (496-498). Denz 170.

2. Le prexistentialisme : cration antrieure la formation du corps. Opinion attribue Origne. Ce problme est tudi l'article 10.

3. Le cratianisme. Thomas nՎvoque pas ici lՎmanatisme, quil rfute dans le Commentaire des sentences et dans le CG.

[380]. Lucifer de Cagliari (vers 354, vers 370) et ses disciples.

[381]. Identification apparemment impossible.

[382]. Cf. Ia, qu. 90, a. 4, resp. 1. Sur la doctrine d'Origne : Origne a affirm que non seulement l'me du premier homme, mais celle de tous les hommes ont t cres avant les corps, en mme temps que les anges ; et cela parce qu'il croyait que toutes les substances spirituelles, tant les mes que les anges, taient gales sous la condition de leur nature, et qu'elles ne diffraient que par leur mrite ; de telle sorte que certaines seraient lies des corps - ce sont les mes des hommes et des corps clestes -, et que d'autres demeurent dans leur puret, distribues selon leurs divers ordres. Cf. Ia, qu. 47, a. 2, c.

[383]. Il est donc manifeste que la forme () ou que le nom quil faille donner la configuration ralise dans le sensible, nest pas soumise au devenir, que delle il ny a pas de gnration (Trad. J. Tricot)

[384]. Gn. 46, 26.

[385]. Cf. II Sent. d18q2a1, ad 1 : Totus homo dicitur intellectus, per modum quo etiam tota civitas dicitur rector civitatis. Tout homme est appel  intellect  la manire dont toute la cit est appele chef de la cit.

[386]. La partie pensante de son tre, qui, semble-t-il, constitue chacun de nous. (Trad. J. Voilquin). Thomas n 1805 : Ce quil veut il le fait par sa grce c'est--dire grce la partie intellectuelle qui est principal dans lhomme. Chaque chose sensible est surtout ce qui est principalement en lui.

[387]. II Sent. d18q2a1 : Quoique le pch originel soit dans lՉme comme dans un substrat, cependant elle y est cause par linfection de la semence, et il est en elle, quoiquil ny soit pas comme dans un substrat, cependant comme dans sa cause et cest pourquoi le pch originel est transmis par la semence et pas par lՉme. () LՉme est le substrat du pch original mais il y est caus par la semence, qui en est comme la cause. Cf. Ia / II qu. 83, a. 1, c. Le pch originel est dans la semence comme dans sa cause instrumentale mais dans le sujet le pch originel ne peut tre en aucune manire dans la chair, mais seulement dans lՉme. Car, prcise-t-il, la chair nest pas le substrat de la faute. Donc cest lՉme qui lest.

[388] Cf. II Sent. d18q2a1, ad 4m : Faire du semblable : 1) La forme selon laquelle on atteint la ressemblance est amene de la puissance l'acte par l'action. 2) La matire est dispose par l'action pour tre ncessit recevoir la forme a) forme accidentelle, b) selon Avicenne, dans toutes les formes substantielles parce qu'il veut que toutes les formes essentielles viennent d'un principe spar. Mais selon Aristote et le Commentateur les formes substantielle matrielles appartiennent la deuxime.

[389]. uvre de Nmesius d'Emse (PG. 45, 187).

[390]. De anima, II, 3, 412 b 25 : De plus, ce n'est pas le corps spar de l'me qui est en puissance de vivre, mais celui qui la possde ; leur tour, la semence et les fruits sont en puissance un corps de cette sorte. (Trad. E.Barbotin). Thomas n 240 : Mais il est vrai que la semence et le fruit en qui sont conserves les semences de la plante sont en puissance pour un corps vivant de ce genre, qui a une me, car la semence na pas encore dՉme. Cest pourquoi il est un dans la puissance, comme spare de lՉme.

[391]. Thomas suit Aristote qui dit que la semence est le superflu de laliment. Il le dmontre en Ia, qu. 119, a2.. Il a montr dans larticle 1 que les aliments deviennent la ralit (veritatem) du corps. Il considre donc (a. 2 c) que la nature humaine (puisquil restreint son tude elle), possde une puissance (virtus) pour communiquer la forme une matire trangre dans un autre, mais aussi en lui Cette puissance permet dassimiler peu peu les aliments qui sont pour tout le corps, puis pour chaque partie. Cest lordre normal : la puissance passe lacte, limparfait au parfait. Il nest pas possible que ce qui est devenu substance des diffrents membres soit la semence. (La question tudie tant la semence est-elle du superflu des aliments ou la substance de celui qui engendre, elle naurait pas pouvoir de convertir lautre en une nature semblable). Donc la semence nest pas dtache (decisum) de ce qui tait tout en acte mais elle est en puissance seulement ; ce qui est en puissance (de produire un corps) vient donc des aliments avant dՐtre converti en substance dans les membres. II Sent. d30q2a2.

[392]. Cf. De anima, II, 4, 416 b 15. L'aliment est encore principe de la gnration non pas pour l'tre qui se nourrit mais pour un tre semblable lui (Trad. E. Barbotin). Cf. Thomas, II, lectio 9, n 344.

[393]. Allusion aux animaux qui peuvent tre coup : les annels, les vers etc..

[394]. Nmsius d'Emse, La nature de l'homme, PG. 45,46. II Sent. d18q2a1, ad 2m : On peut considrer ladultre de deux manires. Ou selon lՐtre moral et ainsi lusage est sans forme, Dieu ny coopre pas mais lempche, ou selon quil est dans une espce naturelle, et ainsi est un certain bien ; c'est pourquoi il nest pas inconvenant quՈ une telle opration en tant quelle est bonne Dieu qui opre en tout y apporte une complment.

[395] Parall. : 1a, q. 90, a. 4 - q. 91, a. 4. ad 3, 5 - qu. 118, a. 3 - CG., Il, 83, 84 - lI Sent., d17q2, a. 2.

[396]. Ladage prend diffrences nuances : on y parle dune mme espce (ici), dune mme nature (ratio) article 11 et dune mme substance ou essence (II Sent. d18q2a.3, obj. 4) : Pour ce qui est semblable en substance lun ne peut tre cre que lautre ne le soit..

[397]. Augustin met deux hypothses : lՉme a t cre avant le corps avec les anges, et lՉme est cre en mme temps que le corps. En conclusion il naffirme rien de faon dfinitive : Sinon quelle est de Dieu, bien quelle ne soit pas la substance divine. (BA. VII, 28, 43) Voyons donc si par hasard, il peut tre vrai opinion qui semble plus acceptable pour la pense humaine que Dieu a cr lՉme pour linsuffler le moment venu, aux membres du corps form de limon. (VII, 24, 35. Trad. BA. 48)

[398]. On peut penser un thtre de marionnette, dont Dieu tire les ficelles!

[399].L'me est pour le corps vivant cause et principe-Le principe premier du mouvement local c'est l'me (415 b 25). (Trad. E. Barbotin). Cf. Sol. 6.

[400]. crit par Alcher de Clairvaux vers le XIIe. Parmi les textes d'Augustin (PL. 40, 779-892).

[401]. Prop. 2 : Tout tre suprieur est au-dessus de l'ternit ou avant elle ou avec elle ou aprs elle et au-dessus du temps. LՐtre avant lՎternit est la cause premire ( 20). LՐtre avec lՎternit est lintelligence ( 21, selon Proclus). LՉme est aprs lՎternit et au-dessus du temps ( 22)

[402]. Le temps est la mesure du mouvement ; il a un avant et un aprs. LՎternit na ni avant, ni aprs ; elle est la possession parfaite tout ensemble dune vie interminable. Elle exclut le principe de dure. Laevum ou viternit est entre le temps et lՎternit. (Cf. qu. 3, a. 14, ad 9.). (Les diffrents systme de dure conviennent des tres diffrents, ternit pour Dieu, aevum pour les cratures spirituelles, temps pour les cratures corporelles).

[403]. Mais lavant et laprs peuvent laccompagner. (Ia, qu. 10, a. 5, c)

[404]. Selon les lois de la pesanteur ;

[405]. Cf. Ia, qu. 90, a. 4, obj. 1 : Car luvre de la cration prcde celui de la distinction et de lornementation comme on la dit. Mais lՉme est amene lՐtre par cration ; et le corps a t fait en fin dornementation (Cf. Ia, qu. 66, a. 1). Donc lՉme de lhomme a t produite avant le corps. LՉme est cre et le corps fait.

[406]. On le dit de Gennade. PL 42, 1216, c 14,18.

[407]. Les opinions vises sont dune part celle de Platon et Pythagore, et celle dOrigne (obj. 1 et sol. 1). Opinions prcises en II Sent. d17,q2a2 : Pour Platon, l'me est comme le commandant d'un navire ou comme un vtement. L'homme est une me revtue d'un corps. Pour les Pythagoriciens, l'me passe de corps en corps. L'me a un rapport essentiel au corps en tant qu'elle lui donne l'tre, ce qui est rprouv par Avicenne.

[408]. Il ne convient pas que Dieu produise une uvre imparfaite ;car il na pas fait lhomme sans main ou sans pieds, qui sont des parties naturelles. Donc encore beaucoup moins il na pas fait lՉme sans le corps. (Ia, qu. 118, a. 3, c (3)

[409]. Comme le marin dans son navire, ou comme un vtement. Lhomme est une me revtu dun corps. (II Sent. d17q2a.2).

[410]. Pythagore, mais aussi Platon.

[411]. Problme identique pour les anges : Les anges ne sont pas composs de matire et de forme. Donc il ne peut y avoir deux anges de la mme espce. (Ia, qu. 50, a. 4, c).

[412]. Considr en Ia, qu. 118, a. 3, c comme inconvenant. Cette volont serait contre la raison, si elle navait pas besoin du corps et voulait sunir lui.

[413]. Raison de temps. La substance spirituelle est au-dessous du temps. (Ia, qu. 118, a. 3).

[414].Cf. Ia, qu. 90, a. 4, c : Origne (Les principes, I, c 6 ss ; et II, c 9) a pens que non seulement l'me de l'homme, mais toutes les autres avaient t cres avec les anges, c'est pour cela qu'il croyait que toutes les substances spirituelles, tant les mes que les anges taient gales par leur condition naturelle, mais diffrentes seulement par le mrite ; de sorte que certaines d'entre elles taient lies des corps, les mes des hommes ou des corps clestes ; certaines demeureraient en leur puret selon des ordres diffrents (Contre Lon I, Lettre Flavien, FC 298 dit de lempereur Justinien au Patriarche Menas, publi au Concile de Constantinople de 543 (Dz. 403).

[415]. Thomas a donn encore une autre raison en Ia, qu. 118, a. 3 ; lhomme nest pas comme lange.lhomme reoit des sens sa connaissance en se tournant vers les images. Donc lՉme a besoin dՐtre unie un corps.

[416]. Thomas reste trs rserv dans sa critique. Il faut aller chercher son point de vue dvelopp en Ia, qu. 90, a. 4, resp. 2 : L'me du premier homme a t cre avant le corps avec les anges. Il pense que le corps de l'homme n'a pas t produit en acte, mais seulement selon des raisons causales (secundum causales rationes), ce qu'on ne peut pas dire de l'me ; parce qu'elle n'a pas t faite d'une matire corporelle ou spirituelle prexistante et elle n'a pu tre produite d'une puissance cre. C'est pourquoi il semble que l'me elle-mme a t cre dans les uvres des six jours, pendant lesquels tout a t cr en mme temps avec les anges et que par la suite sa propre volont ayant t incline, elle fut destine administrer le corps. Mais il ne dit pas cela de faon affirmative comme ses paroles le montrent. Car il dit : "On pourrait croire si aucune autorit des critures ou raison de la vrit que l'homme a t cr le sixime jour, pour que la raison causale des corps humaines dans les lments du monde, l'me elle-mme fut cre (La Gense au sens littral, VII, 24-28)

[417]. Cf. note en obj. 3.

[418]. Distinction entre la premire perfection, celle de la cration, et la seconde atteinte la fin du monde.

[419]. LՉme est pour le corps vivant cause et principecest elle en effet qui est le principe du mouvement. Trad. E. Barbotin. Thomas, lectio VII.

[420]. Cet article veut tablir la possibilit de crations successives, mme pour les substances spirituelles, telles que l'ange et les mes humaines. tant spirituelles, elles ne sont pas soumises au temps. Toute succession semble impossible. La participation l'vum exprime l'insertion de la crature spirituelle dans cette dure particulire qu'est l'vum. Participare prius exprime l'ordre de succession et non pas une ingalit de perfection.

[421]. Dans lobj. 11, il est question de la situation des corps selon la gravit. Plus un corps est subtil, plus il sՎlve. Faut-il comprendre que lՉme, substance plus simple se situe entre le haut et le bas (au milieu) car elle est cre en mme temps que le corps. Il sagit dune certaine manire de la localisation de lՉme dans le corps. Cf. sol. 12 cre dans lespace du corps :(in loco corporis creari).

[422]. Cf. CG. II, 84 4 : Il est dit de la mme manire (Gn 2, 2) que Dieu acheva son uvre et quil se reposa de tout ce quil avait fait. Donc de mme quon considre selon lespace lachvement ou la perfection de cration et non selon les individus, de mme le repos de Dieu doit tre compris comme la fin de la cration de nouvelles espces, mais pas de nouveaux individus. Leurs semblables en espces les ont prcdes.

[423]. Parall. : Ia, 118,1 CG. II, 86 II Sent. d18q2a3 - Qdl.IX, q. 5, a. 1.

Pour la hirarchie des degrs textes parallles : CG. IV, 11 - Ia, qu. 18, a. 3- qu. 78, a. 1 - Q. de anima. a. 13 - Verit. Qu. 22, a. 1 - De spirit. creat. a 2. Gardeil, Initiation, Psychologie, p. 23.

[424]. Cf. Pot. 3, 10, obj. 1. Mme objection avec une petite nuance : "secundum speciem".

[425]. Disposition : diffrence entre tat (habitus) et disposition. Cf. Catgories, 8 b 27 - 9 a 13 : L'tat, diffrent de la disposition en ce qu'il a beaucoup plus de dure et de stabilit 9 a 4 : Il est vident qu'on tend dsigner sous le nom d'tats des qualits qui sont plus durables et plus difficiles mouvoir Les dispotions sont des qualits qui peuvent facilement tre mues et rapidement changes (Cf. Catgories).

[426]. Car seule la substance ne se dit d'aucune autre chose comme sujet et tout le reste se dit de la substance. (Thomas n 107).

[427]. Platon, Avicenne, Thmestius (diacre d'Alexandrie, chef de la secte des agnotes VIe sicle) : toutes les mes viennent d'un principe spar, pour Platon, le principe est l'ide, pour Avicenne, l'intelligence agente et pour les thologiens qui professent cette thorie, Dieu.

[428]. Mtaphysique VII (Z) 8, 1034 a 5 : Ds lors, le tout qui est engendr c'est une forme de telle nature, ralise dans telle chair et dans tel os, Callias, ou Socrate, autre que son gnrateur dans la matire, qui est autre, mais identique lui pour la forme, car la forme est indivisible. (Problme individuation Tricot, 392, note 2) Cf. aussi Physique, II, 1, 193,a. 2 : En effet la chair ou l'os en puissance n'ont pas encore leur propre nature et n'existent pas par nature, tant qu'ils n'ont pas reu la forme de la chair et de l'os, j'entends la forme dfinissable, celle que nous nonons pour dfinir l'essence de la chair et de l'os.

[429]. Cf. Ia, qu. 118, a. 1, ad 3 : Cette force active qui est dans la semence, drive de l'me de celui qui engendre, est comme un mouvement de celle-ci, et elle n'est ni l'me, ni partie de l'me, sinon virtuellement Et c'est pourquoi il faut que cette force active ait un organe en acte, mais elle est incluse dans l'esprit qui se trouve dans la semence. (Cf. Ia, qu. 76, a. 7, ad Ia, qu. 115, a. 3 I Sent., d10q1a4).

[430]. Semence : voir Ia, 119, 2 La semence est-elle le superflu de l'aliment. II Sent. d30q2a. 2 CG. II, 86-89. Cf. III, 32, 1, 1 spiritus. cf. ad 1 L'action des corps clestes CG. III, 22, 5-9 III, 82, 7 grave et lger mu par leur gniteur la diffrence des corps clestes ? III, 22 Le soleil : II, 76, 13 - III, 69, 24 - III, 104, 10.

[431]. Parall. : Ia, 118,1, ad 3 et 4 - II Sent, d18q2a1.

[432]. Cf. Aristote, De lՉme, livre II, 2 (413 b 20) (p. 43 2) : certaines plantes semblent conserver la vie quand on les divise et bien que leurs parties soient spares les unes des autres, comme si lՉme prsente en elle tait une entlchie dans chaque plante, mais multiple en puissance : or on voit la mme chose se produire pour dautres diffrenciations de lՉme dans le cas des insectes quon divise. Car chaque segment conserve la sensation et le mouvement local.(Trad. Barbotin). Voir Thomas, lectio 4, n 265.

[433]. De anima : Ce n'est pas le corps spar de l'me qui est en puissance de vivre, mais celui qui la possde son tour, la semence et le fruit sont en puissance un corps de cette sorte (Trad. E. Barbotin). Thomas n 240 : On dit qu'une chose est en puissance de deux manires : a) quand elle n'a pas de principe d'opration, b) quand elle l'a mais ne sen sert pas. Mais le corps dont l'acte est l'me, a la vie en puissance non pas de la premire manire mais de la seconde. Et c'est pour cela qu'il dit que le corps est un tant en puissance de vivre, c'est--dire qu'il manque du principe de vie qui est l'me, mais qu'il a un principe de ce genre. Mais c'est vrai que la semence et le fruit en qui est conserv la semence de la place est en puissance pour un tel corps vivant, qui a une me, car la semence n'a pas encore d'me. C'est pourquoi elle est ainsi en puissance, comme spare de l'me.

[434]. Comprendre par la premire perfection celle du pre, et la seconde celle du fils.

[435][435]. Cf. II Sent. d18q2a3.

[436]. Parall. : Ia, 42, 2 III Sent. d11a1 - Compendium. 43 -In Jn 1, 1ectio 1 In Decret. I.

Pour comprendre ds le dpart le sens de l'article, il faut voir qu'il concerne les cratures, mais surtout le Christ, ce qui n'est rvl qu'au sed contra.

[437]. Sujet dvelopp dans l'article 15.

[438]. En Ia, 42 2 c il donne trois raisons pour lesquelles le Fils est coternel au Pre :

a) Le Pre engendre le Fils par volont, et sa nature est "parfaite de toute ternit"

b) L'action de Dieu n'est pas successive. Cf. Ia, qu. 42, a. 2 c apporte quelques prcisions supplmentaires

En sol. 4, il rsout le problme du temps :. Dans le temps, on distingue l'indivisible, c'est--dire l'instant, et ce qui dure, c'est--dire le temps. Mais, dans l'ternit, l'instant indivisible lui-mme subsiste toujours, on l'a dit prcdemment. Or, la gnration du Fils ne s'accomplit ni dans un instant temporel, ni dans la dure du temps, mais dans l'ternit. C'est pourquoi, si l'on veut signifier cette prsence et permanence actuelle de l'ternit, on peut dire avec Origne que le Fils nat toujours . Cependant il vaut mieux, avec S. Grgoire et S. Augustin, dire : Il est toujours n ; dans cette expression, l'adverbe toujours voque la permanence de l'ternit, et le parfait est n voque la perfection acheve de ce qui est engendr. Ainsi on n'attribue au Fils aucune imperfection, et l'on vite d'admettre, comme Arius, un temps o il n'tait pas .

[439]. En tout compos l'tre est diffrent de l'tre mme. (Omni composito aliud est esse, aliud ipsum esse. Boce 18.

[440]. Parall. Ia, qu.. 46, a. 1 c et ad 6 - II Sent. d1a5 - CG. II, 31.

[441]. La question est pose diffremment en Ia, 46, 1 : L'universalit des cratures a-t-elle toujours exist ? La solution propose ici est base sur la possibilit voque dj en Pot. 1, 3.

[442]. Entre le possible et l'tre, il n'y a aucune diffrence dans les choses ternelles.

[443]. Thomas lectio 14, 971-973. Cf. Pot. I, 3, c.

[444]. Exemple du Fils l'article prcdent.

[445]. Le premier agent est un agent volontaire. Et quoique qu'il eut la volont ternelle de produire un effet, cependant il ne l'a pas produit ternel. (Ia, qu. 46, a. 1, sol. 6).

[446]. Thomas, lectio 17, n 579 (Aristote n 408- Cf. Ia, qu. 46, a. 1).

[447]. Il faut entendre une premire cration, celle rapporte par la Gense, ensuite les cratures sont produites par mouvement, changement, gnration.

[448]. Parall. : Ia, qu. 19, a. 4 CG. II, 23 - I Sent. d43q2, a. 1 d45a3 Pot. qu. 1, a. 5.

[449]. Thomas, lectio 1,, Thomas n 270-271. Ce texte se trouve cit en I Sent., d43qu2a1, Ia, qu. 19, a. 1, obj. 1.

[450]. Ce qui est par essence est premier dans n'importe quel ordre des choses, comme dans le genre des choses ignes est premier ce qui est feu par essence. Dieu est premier agent donc il est agent par son essence qui est sa nature. Donc il n'agit par nature mais non par volont Ia, qu. 19, a. 4, obj. 2. L'argument est attribu Denys en II Sent., d43q2a1, obj. 2

[451]. Aristote, n 282, Thomas, lectio. 5, n 446. Ajoutons encore que la volont concerne surtout le but et le choix, les moyens de l'atteindre.

[452]. "sans fin". Voir dfinition de l'infini en I, 2. Il ne peut y avoir confusion (voulue). la fin peut tre le terme de l'tre. Et donc Dieu n'a pas de fin, mais autre sens la finalit. Dieu n'est pas finalis. C'est lui qui est la fin de tout. La confusion sera leve par la solution.

[453]. Tout tre, disons-nous, ou bien existe toujours et ncessairement (il ne s'agit pas de la ncessit, au sens de contrainte, mais de cette ncessit laquelle nous faisons appel dans la dmonstration) ou bien est ce qui arrive le plus souvent, ou bien n'est ni ce qui arrive le plus souvent, ni ce qui est toujours et ncessairement, mais ce qui arrive n'importe comment. (Trad. J. Tricot)

[454]. AR n 418 : Le ncessaire est aussi le contraint et le forc, c'est--dire ce qui, contre l'impulsion et le choix dlibr, fait obstacle et empchement. (Trad. J. Tricot)

[455]. L'objecteur dmontre qu'il y a de la ncessit en Dieu :

a. Pas de contingence. Dieu est immuable (ce qui est contingent est ou n'est pas suivant les poques).

b. Il n'est pas ncessaire par contrainte.

c. Par de ncessit sous condition : une ncessit qui viendrait de l'extrieur. Mtaphysique V, 5, 1015 b 10. Parmi les choses ncessaires, les unes ont en dehors d'elles la cause de leur ncessit, les autres l'ont en elles-mmes et sont les sources des ncessits des autres choses.

[456]. Argument dj employ en Pot. 1, 3, propos des promesses de Dieu et de la vrit.

[457]. S'il se dit lui-mme et dit ce qu'il fait son Verbe consubstantiel, il est vident qu'il n'y a qu'une seule substance du verbe par lequel il se dit et du verbe par lequel il dit la crature.

[458]. En tout semblable et gal au Pre.

[459]. En I Sent. d43q2a1, Sed contra : il s'appuie sur Aristote. Ce qui dpend de la ncessit de la nature est un. Donc il n'y aurait qu'un effet, ce qui est faux et contraire la foi. Autre argument : l'agent par ncessit produit un effet dans une mme dure (coaevum). Donc le monde serait coternel.

[460]. Cette premire raison est dj dveloppe en Pot. qu. 1, a. 5, c. Cf. CG. II, 23, 5.

[461]. Quelles sont ces premires cratures ? Les corps clestes ?

[462]. In Thomas 135 (45), Thomas n 204.

[463]. Dj expos en Pot. 3, 13 c. Voir Ia, qu. 47, a. 1, c.

[464]. Ce texte supporte plusieurs interprtations. Thomas lui-mme l'admet Super Ioannem, lectura I, III, n 89, 94 : les exgtes se demandent s'il faut lis quod factum est in ipso vita erat. (Pot 5, 3 9, 9 10, 1 c Ia, 18 3 ad 1 Mtaphysique IX, 8, 1050 a 23. lectio I n 1862- 6. Il sagit des ides en Dieu.

 [465]. Seules ces trois premires raisons sont reprises plus brivement, en Ia, qu. 19, a. 4, c.

[466]. Elle se retrouve en CG. II, 23, 5.

[467]. Les Noms divins, 4, 1, Thomas, n 271 : L'tre du soleil n'est pas son intellection ou son vouloir, mme s'il avait un intellect et une volont mais l'tre divin est son intellection et son vouloir, et c'est pourquoi ce qu'il fait par son tre, il le fait par l'intellect et la volont.

[468]. Les anciens considraient que linfini tait ce qui tymologiquement nest pas fini. Voir question sur linfini, Pot. Qu. 1, a. 2.

[469]. Ia, qu. 19, a. 3, c. La bont de Dieu est parfaite, rien ne l'augmente. Donc il ne veut pas les cratures par ncessit absolue, mais par ncessit conditionnelle. Cf. CG. I, 81.

[470]. Ia, qu. 47, a. 1 CG II, 39-46 ; III, 97 Pot 3, 1 ad 9 Compendium. 71, 72, 102, Mtaphysique, XII, lectio 2, De causis, prop. 24

[471]. Les deux arguments s'oppose l'opinion d'Avicenne.

a) Dieu seul cre Pot. qu. 3, a. 4 c. Pour Avicenne d'autres substances que Dieu sont cratrices.

b) Selon cela l'universalit des tres ne viendrait pas de l'intention de l'agent, mais du concours de nombreuses cause, c'est--dire du hasard.

[472]. Cf. Ia, qu. 11, a. 1. L'un n'ajoute rien l'tant, mais seulement la ngation de la division : car l'un ne signifie rien d'autre que l'tre non divis. Et de l parat qu'il est convertible avec l'tant. Cf. Quodl 6, 1, 1, c.. Autre dmonstration : chaque chose en tant qu'une est un tant. C'est pourquoi l'tant et l'un sont convertibles. (Ia, 28, 2 - I Sent. d33a1 CG 4, 14, Pot 8, 2, Compendium. 54, 66, 67.

[473]. Comparaison des transcendentaux.

[474]. Thomas n 2087.

[475]. Thomas n 197.

[476]. Dieu est la cause exemplaire des cratures, le modle l'image de qui est faite la crature. L'exemplaire, ce sont les ides en Dieu. L'exemplatum est ce qui dpend de l'exemplaire, son effet, son image dans la ralit.

[477]. C'est la science de Dieu qui est la cause des cratures (Ia, qu. 14, a. 8). Sa science dpend de son intellection.

[478]. C'est la thorie d'Avicenne.

[479]. L'Intelligence suprme se pense donc elle-mme, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus excellent et sa Pense est pense de pense. Thomas, 12, lect. 11, n 2614-2615. J. Tricot, p. 701 et note p. 702.

[480]. Il s'agit de l'ide en Dieu, qui deviendra ralit. L'argument semble supposer une seule ide en Dieu. (Cf. De veritate, qu.3, a. 2 o le problme est longuement trait).

[481]. Cf. CG. II, 40, 3 : Ce qui vient de lintention de lagent nest pas d la matire comme sa cause premire (Trad. C. Michon). La cause efficiente lui est antrieure comme cause, car la matire ne devient cause en cate que selon quelle est mue par un agent.

[482]. La lecture de Ia, qu. 47, a. 1 c, apporte quelques prcisions supplmentaires sur cet historique.

I. Certains : ceux qui n'ont dcouvert que la cause matrielle.

a. Les anciens naturalistes qui ne connaissaient que la cause matrielle : Thals, Anaximandre, Anaximne, Dmocrite, cits en Ia, qu. 47.

b. Anaxagore : les principes matriels sont en nombre infini, mls, confus, l'intellect les spare pour tablir la distinction des choses. (CG. II, 40, 7).

II. Distinction attribue aux agents seconds ;

a) Avicenne : production de l'Intelligence ; Dieu en se connaissant lui-mme produit une premire intelligence ; en elle, parce qu'elle n'est pas son tre, commence la composition de puissance et d'acte.

b) Empdocle.

[483]. C'est--dire quelle tait incre, ternelle.

[484]. Avicenne dit : Dieu en se connaissant lui-mme, produisit une Intelligence premire, laquelle, parce qu'elle n'est pas son propre tre, est ncessairement compose de puissance et d'acte (Cf. Ia, a. 2, ad 3). Ainsi cette premire intelligence dans la mesure o elle comprend la cause premire, produisit une seconde intelligence, en tant que se comprend selon qu'elle est en puissance, il produisit le corps du ciel, qu'elle met en mouvement, en tant qu'elle se comprend selon ce qu'elle a en acte, il produisit l'me du ciel.

Mtaphysique IX, 4 Le premier principe se pense lui-mme. 402,15. 404, 5 Il est donc clair que le premier des tres existants est numriquement un. Son essence et sa quiddit sont une, non dans une matire le premier effet est une intelligence pure parce que c'est une forme qui ne se trouve pas dans la matire. B. c. Anawati p. 139. Suit la dmonstration que ce n'est pas une forme matrielle.

[485]. En Ia, qu. 47, a. 1, c., la phrase est simplifie et plus claire :L'intelligence premire, du fait qu'elle n'est pas son propre tre, est ncessairement compose de puissance et d'acte.

[486]. Ia, qu. 47, a. 3 renvoie cette solution. Il y dmontre qu'il n'y existe qu'un seul monde.

[487]. Thomas reprend en dtail la comparaison de deux des transcendantaux, lun et le bien.

[488]. Comprendre par quivalence.

[489]. Il s'agit des ides en Dieu.

[490]. Ia, qu. 46, a.1 et a. 2 CG II, 31 sq. Quodl III, 14, 2 Compendium. 98 Phys. VIII 1, 2 I De clo et mundo, I, l. 6, 29 Mtaphysique XII, lect. 5 II Sent. d1qu1a5).

[491]. Le problme de lՎternit du monde a fait couler beaucoup dencre, tant au XIIIe quՈ notre poque. On pourra trouver des informations ce sujet, succinctes chez J.-P. Torell, Initiation saint Thomas dAquin, Paris, Fribourg, 1993, p. 286, ss., M.-D. Chenu, Introduction lՎtude de saint Thomas dAquin, Montral, Paris, 1974. Informations plus dveloppes, dans E. gilson, Introduction la philosophie de saint Thomas dAquin, Paris, 1948, A.-D. Sertillanges, Lide de cration, Paris, 1945, A. Wohlman, Thomas dAquin et Mamonide, Paris 1988. Etc.. Chez Thomas, le problme est voqu, dans lordre chronologique, dans les uvres suivantes : II Sent. d1qu1a5 CG. II, 31-38 Pot. 3, 17 De aeternite mundi Compendium. I, 98-99 Ia, qu. 46, a. 2 et 3 Quodl. III, qu. 13, a. 2 XII, qu. 6, a. 1.

[492]. Cf. Pot. qu. 5, a. 6.

[493]. Ou 286 a 17, Thomas lectio 4, n335.

[494]. N'importe quel effet est ncessaire par comparaison sa cause parce que, si, une fois la cause pose, l'effet n'en dcoule pas ncessairement, il sera encore possible, une fois la cause pose que l'effet existe ou n'existe (Tout ce qui existe est ncessaire et tout ce qui n'existe est impossible). Veritate 23, 5, obj. 1. (Cf., Mtaphysique VI, lectio 3 n1192-93-94 etc.. I Sent. d37q1c). Lobjecteur conclut que depuis quun Dieu ternel est la cause suffisante du monde, il doit normalement exister, mais exister ternellement. (B. H. Zedler, The inner unity of the De potentia ? The modern schoolman, Tradition, 6/1948, p. 95) Cf Avicenne, Metaphysice compendium. (Rome 1926) I, tr 7, pp. 63-64 : Eius enim incipere non est profectio in uno nunc temporis tantum ; sed est incipiens in omni tempore et aevo. Ergo impossibile est ut sit incipiens esse postquam on fuerit, quin ipsum praedecere materia ex qua inciperet esse.

[495]. C'est le temps des cratures spirituelles qui ont commenc exister (anges, hommes) mais qui est promis un temps qui ne finira pas. Thomas, Ia, 10, 5 Il ajoute :il na pas davant et daprs mais ils peuvent lui tre ajouts.

[496]. "Imperat, inquam, ut velit". L'esprit lui commande (au corps), dis-je, de vouloir.

[497]. Problme dj examin en Pot. 3, 1, obj. 2 et aussi Ia, qu. 46, a. 1, obj. 1.

[498]. Il faut comprendre qu'il est Seigneur dans le temps, parce que des cratures lui sont soumises. Cf. Ia, qu. 13, a. 7, c'est le sed contra. Augustin dit : cette appellation relative Seigneur convient Dieu dans le temps. Ad 5 : Comme la relation de sujtion est rellement dans la crature, il en dcoule que Dieu est Seigneur non en raison seulement, mais rellement. Car de le mme manire on l'appelle Seigneur du fait que la crature lui est sujette. Il est appel ainsi, dans le sens o la crature lui est soumise.

[499] Comprendre jaloux du Fils qui l'aurait fait sa place ?

[500]. Donc l'ternit est considre comme un domaine fini avec en dehors le temps. Il n'est pas sr que cet au-del de Exode 15, 18 signifie cela. Il pourrait tre considr comme une sorte de superlatif : toute ternit et plus encore.

[501]. Priscien, philosophe noplatonicien du VIe sicle aprs J.C..

[502]. Ia, qu. 46, a. 2, La non ternit du monde est assure par la foi, mais ne peut pas tre dmontre.

[503]. Dans la cration ex nihilo, il n'y a pas de cause matrielle, pas de matire prexistante.

[504]. Cf. Mtaphysique, XII, 1, 1069 a 19 :si l'univers est comme un tout

[505]. Aristote, Mtaphysique, I 3, 983 b, 6 : "La plupart des premiers philosophes ne considraient comme principe de toutes choses que les seuls principes de nature matrielle. Materia est ingenita (p. 27). Voir Physique, 1, 9, 192 a 20-34, Thomas lectio 15, n 11, De caelo et mundo, I, 3, 270 a 12-14. Thomas, lectio 6, n1.

[506]. Physique, VIII, 1, 250 b 25.

[507] Anaxagore VIII, 1, 250 b 23 et Empdocle 250 b 25. Problme s'il y a eu un temps o il n'y avait pas de mouvement. Deux solutions : Anaxagore : l'Intelligence qui a imprim le mouvement et opr le discernement. Empdocle : mouvement et repos alternent. L'Amiti fait l'un partir du multiple ou la Haine le multiple partir de l'un, et le repos dans les temps intermdiaires.

[508]. Mtaphysique V 15, 1021 a 24-25 : "Il y a enfin des relations selon la privation de puissance, comme l'impossible et autres notions de mme nature, l'invisible par exemple".

[509]. Physique 4, 10, 218 b 9 (p. 148 en bas) : "Mais puisque le temps parat surtout tre un mouvement un changement. "219 a, 2 ; "C'est en percevant le mouvement que nous percevons le temps." 219 a 8 "Le temps est mouvement ou quelque chose du mouvement". Cf. II Sent, d1q1a5, obj. et sol. 5.

[510]. En sens contraire 2.

[511]. En sens contraire 4.

[512]. Ia, q. 61,a. 3 II Sent. d2q1a3 Opusc. XV, De angelis c. 17 Opusc. XXIII, In decretal. I.)

[513]. Jean Damascne rapporte l'opinion de Grgoire de Naziance. Sa citation : D'abord il a pens les puissances angliques et clestes, et cette pense tait une uvre. Cf. Id. II Sent. D. 2, qu. 1, a. 3, obj. 1.

[514]. Les deux opinions sont les suivantes : celle de Grgoire (Cf. Note ci-dessus) et Jean Damascne rapporte l'autre : D'autres disent que c'est aprs l'apparition du premier ciel toujours suivant Grgoire.

[515]. Si Dieu parle temporairement, il parle une crature. Augustin considre que dans l'expression Dieu cra le ciel et la terre le ciel reprsente la cration spirituelle dj faite et forme. (I, X, 5, p. 101 ).

[516]. Ce n'est pas que la matire informe soit temporellement antrieure aux choses en forme p. 123, ligne 3 Voil pourquoi, puisque Dieu a cr dans un mme acte et la matire qu'il a form et les choses en lesquelles il l'a forme.

[517]. Le raisonnement est le suivant : L'ordre Dieu, ange, corps, est parallle aux dures : ternit, aevum, temps, donc aevum dit que l'ange est avant.

[518]. Il y a un argument qu'il n'a pas repris de II Sent. d2q1a3 : Selon certains les anges meuvent le ciel, mais le moteur prcde le mobile

[519]. A un mot prs, la phrase se trouve dj dans l'objection 10.

[520]. Il en donne la liste en II Sent. d2q1a3 : Jrme, La lettre Tite, Hilaire, La Trinit, Grgoire de Naziance.

[521]. Il ne rprouve pas ces auteurs, parce qu'en II Sent, d2q1a3, c, il dit :Il faut savoir qu' propos du commencement des tres, des saints qui sont daccord en ce qui est de foi, savoir que rien nest ternel sauf Dieu, sont arrivs dire, au moins dans la forme, des paroles varies sur ce qui nest pas de ncessit de foi, en qui il leur est permis de penser de diffrentes manires, comme nous aussi. Il cite ensuite Jrme, Hilaire, Grgoire de Naziance, qui ont pens que les anges avaient t crs avant la crature corporelle.

[522] Ia, qu. 66, a. 1 Ia, qu. 69, a.1 1a, qu. 74 a. 2 II Sent. d12a4.

[523] Ce nest pas que la matire informe soit temporellement antrieure aux choses formes : ces deux principes dՐtre sont en effet simultanment concrs, dune part ce dont une choses est faite, dautre part ce quelle est faite. Cest ainsi que la voix est la matire des mots et que les mots expriment une voix forme : nanmoins, celui qui parle ne commence pas par mettre une voix informe, susceptible dՐtre ensuite dtermine et forme en mots ; pareillement, le Dieu crateur na pas dans un premier temps cr la matire informe, pour ensuite, dans une seconde considration, la former selon lordre de chaque nature : non, il a cr la matire forme. (Trad. P. Agasse et A. Solignac, BA 48)

[524] Dfinition de la matire premire chez Aristote : Physique, I, ch. 9, 192, a, 31 j'appelle matire premire le premier sujet pour chaque chose, lment immanent et non accidentel de sa gnration (Trad. H. Carteron) Car je dis que la matire premire est le sujet de chaque chose dont quelque chose est fait puisqu'elle est en lui mais pas comme un accident. (90 (82) Thomas n 139. Mtaphysique 7 (Z) 1029 a 20 : J'appelle matire ce qui n'est par soi ni existence dtermine, ni d'une certaine quantit, ni d'aucune autre des catgories par lesquelles l'tre est dtermin (Trad. J. Tricot).

[525] Selon les anciens, la matire est compose de quatre lments.

[526] Importance de la pesanteur dans les arguments ; elle impose la situation des corps : Les lments sont dans leur situation propre par le pouvoir de leur forme.

[527] Quil soit ncessaire de poser autant de diffrences que dՎlments, est chose manifeste.

[528] Selon Aristote chaque lment se situe selon les lois de la pesanteur, dans son lieu propre.

[529] Le situs (la situation) se distingue bien du lieu, lequel ne dit rien de la situation relative des parties, mais il est clair quil nest quun prdicament driv, ce titre moins significatif que les autres. Aristote na dailleurs pas toujours retenu ces deux prdicaments dans sa nomenclature. (H.-D. Gardeil, InitiationMtaphysique, (p. 101).

[530] Sur les intermdiaires : Du ciel, IV, 4, 312 a 27 ss.

[531] Cf. Aristote, Du ciel, IV, 4, 311 b 30 : Lexistence dun centre o se portent les corps pesants, et do sՎloignent les corps lgers est manifeste pour de multiples raisons. (Trad. P. Moraux).

[532] Cf. Physique, I, 4, 187 a 12-17, I, 8, 191 a 23-24. Thomas, lect. 8 n 2 et lect. 14, n2.

[533] Car les quatre lments ne peuvent pas subir un mouvement circulaire (269 a 17 a 25)

[534] Figura, forme au sens moderne du mot : apparence, aspect visible.

[535] Toute crature est bonne. Cf. Gn. I : Dieu vit que tout cela tait bon.

[536] Il est donc vraisemblable que lՃcriture parle de cette matire, lorsquelle dit ;  La terre tait invisible afin que nous comprenions que tous les autres mots de ce texte, bien quils soient noms de choses visibles visent dsigner cette informit de la matire. BA., p. 122-123

[537] Ce n'est pas de l'homme, mais du non blanc ou du noir qu'il devient blanc. C'est--dire non de la substance, mais de l'accident.

[538] A cela doit tendre l'intention du chrtien qui dispute sur les articles de la foi pour pour la prouver mais pour la dfendre. De rationibus fidei 2.

[539]. Multiplication du sens littral. Bull. Thomiste 1933, pp. 711-718. Voir Ia, qu. 1, a 10.

[540]. Thomas sinspire directement de saint Augustin, qui rapporte la lgende et la rfute sur certains points. (La Cit de Dieu, VIII, 11. Cf. Time c. 7, 31-33).

[541]. Le mouvement du ciel est circulaire. Or le mouvement naturel du feu est vers le haut.

[542]. Qu. Ad Simplicium (PEV 21 PL, 40)

[543]. Dans ce paragraphe, Thomas suit le raisonnement d'Augustin : II, IV, 7. Voir BA p. 157 sq. Augustin rapporte lopinion des  savants . Cf. Ppin, Thologie cosmique, p. 422, n3.

[544] L'criture semble aller contre les lois de la nature.

[545] C'est--dire plus lger selon les lois de la pesanteur.

[546]. durci comme un miroir fondu B.J.

[547] Pour Ambroise Dieu donne une uvre une loi qui se superpose en quelque sorte son essence. Pour Augustin et Thomas, les lois sont les proprits des essences.

[548] Faut-il comprendre au moment venu ou bien actuellement telles que sont les choses ?

[549] Idem in Pot. 1, 3, sol. 1.

[550] Ia, 66, a.1 Ia, 69, a. 1, Ia, q. 74, a. 2 II Sent. d12a4.

[551] Trad. B. J. C'est Toi qui as fait ce qui est pass, et ce qui arrive maintenant et ce qui arrivera plus tard. TOB. Car tu as fait les vnements d'autrefois, de maintenant et du futur ; tu as mdit le prsent et l'avenur et ce que tu avais dans l'esprit est venu l'existence.

[552] Lors donc que nous entendons : "Et Dieu dit : que cela soit, nous comprenons qu'il tait dans le Verbe de Dieu que cela fut fait". Et ainsi fut fait, suffit nous faire comprendre que Dieu a dit cela en son Verbe et l'a fait pas son Verbe. (Trad. BA)

[553] C'est--dire rels.

[554] Angelos, d. Vivs et Marieti. Je me permets de lire angelus, peut-tre tort, ne voyant pas quelle fonction donner angelos.

[555] Thomas Lectio VI, n 59.

[556] Il s'agit de l'article prcdent qu. 4, a. 1.

[557] Cf. La pierre dangle (Ps. 11, 72 ; Rm 9, 33 ; Eph. 2, 20, etc..

[558] Si donc les anges prennent rang sans l'uvre des six jours, ils sont assurment cette lumire appele jour et non pas le premier jour, mais un seul jour pour en recommander l'unit. (Trad ; L. Moreau)

[559] Cf. Sol. 15, 2.

[560] Cf. Sol. 14, fin.

[561] "Prs de" est traduit en rapport avec le texte d'Aristote. En outre quand deux choses sont trs voisines lune de lautreil faut les considrer en partant de leurs consquents. (Tra. J. Tricot).

[562] I Co. 13, 8 : La charit ne passera jamais. Les Prophties ? Elles disparatront..

[563] Sans doute inspir dAugustin.

[564] Cf. II Sent. d12q1a1.

[565] Parall. : Ia, q. 104, a. 1 C.G. III, 65, 94 In Ioan. c. 5, lectio 2 (n 739-740) In Hbr., c.. 1, lectio 2.

[566] nous dfinissons l'entier ( to olon) ce d'o rien ne manque or entier et achev sont absolument de mme nature ou peu prs. (Trad.H. Carteron).

[567] Les chiffres indiquent les propositions du syllogisme.

[568] On trouve chez Augustin, le mme texte de Jean (5, 17) en IV, X1, 20 et XX, 40.. Mais dans la rfrence donne ici on trouve le texte cit par Thomas dans la solution de larticle.

[569] le tout qui est engendr, c'est une forme de telle nature, ralise dans telles chairs et dans tels os, Callias ou Socrate, autre que son gnrateur, par la matire, qui est autre, mais identique lui par la forme, car la forme est indivisible. (Trad. J. Tricot)

[570] Comme de l'air qui, par la prsence de la lumire, n'est pas dot d'une luminosit propre, mais devient lumineux, car s'il avait une luminosit propre et ne devenait pas lumineux, il resterait lumineux mme en l'absence de lumire. Trad. BA. 49.

[571] Ecclsiaste 33,15 :Contemple donc toutes les uvres du trs haut, toutes vont par paire, en vis--vis. (B.J.) L'argument suppose qu'il y a un oppos pour tous les aspects de l'tre.

[572] Lui qui soutient l'univers par sa parole puissante. ( B.J.)

[573] la fin, le "ce en vue de quoi" est fin de quelque action, et toute action s'accompagne de mouvement. (p. 125-126) (Trad. J. Tricot).

[574] Il n'en est pas en effet de Dieu comme d'un architecte : la maison acheve, celui-ci s'en va, et, mme lorsqu'il cesse d'agir et qu'il s'en est all, l'uvre subsiste ; au contraire, le monde ne pourrait subsister, ft-ce l'instant d'un clin d'il, si Dieu lui retirait son concours. Trad. BA. 48.

[575] Il veut dire que si on prend toutes les oppositions, on dire doit d'un tel tre qu'il est cr, et donc celui qui est l'oppos est un tre incr.

[576] Parall. : Ia, q. 104, a. 1, ad 2 a. 2, ad 2 C.G. II, 25 Q. de veritate. qu. 5, a. 8, ad 8 I Sent., d. 37, q. 1, a. 1 d. 47, a. 4.

[577] Cf. Q d pot. q. 3, a. 4, o Thomas ne l'admet pas, aprs avoir hsit dans le Commentaire des Sentences.

[578] Le Fils est l'image parfaite, la crature une image relative

[579] Parall. : Ia, q. 104, a. 3 q. 9, a. 2 Q. de veritate. q. 5, a. 2, ad 6 Quodl. IV, q. 3, a. 1

[580] PL 40, 16.

[581] PL. 34, 32. Autre texte : in quantum Deus bonus est, sumus, cit Ia, q. 104, a. 3,Arg. 2.

[582] Cf. Q. de pot, q. 3, a. 1,Arg. 1.

[583] Pour Aristote, le corruptible et l'incorruptible sont des contraires : Car la privation est une impuissance dtermine (1050 b 26) Mais ils n'appartiennent pas l'tre par accident car rien n'est corruptible par accidentle corruptible est au nombre des attributs qui appartiennent ncessairement aux choses auxquelles ils appartiennent sinon un seul et mme tre serait corruptible et incorruptible, puisqu'il pourrait se faire que le corruptible ne lui appartnt pas. (Trad. J. Tricot).

[584] Lhomme est un animal dou de raison.

[585] Anawati, 356, 3.

[586] Parmi les choses ncessaires, les unes ont en dehors d'elles la cause de leur ncessit, les autres l'ont en elles-mmes, et sont elles-mmes source de ncessit pour d'autres choses.

[587] Parall. : Ia, q. 104, a. 4 q. 65, a. 1, ad 1 Q. de pot. qu. 5, a. 9 ad 1.

[588] Parall. : II Sent., d. 11, q. 2, a. 6, ad 3 d. 33, q. 2a. 1 IV Sent., d. 44, q. 3, a. 1, qla. 3, c. Qdl. VII, a. 11 Opusc. III, c. 1, 76.

[589] Thomas lectio 15, n 270.

[590] Ex priori comprend la cause, ex posteriori comprend la cause finale ou l'effet.

[591] Cf. Q. de veritate, q. 2, a. 1, art. 7 :La science dnote une imperfection puisqu'elle est signifie la manire d'un habitus, c'est--dire d'un acte premier, alors que la considration est signifie la manire d'un acte second. (Trad. S. Bonino, La science de Dieu. Cf. note 15, p. 358. La considration dsigne l'exercice d'un habitus scientifique.

[592] C'est--dire dans notre monde.

[593] Il veut dire qu'on peut parler d'intelligence ou d'me, comme les noplatoniciens, mme si c'est faux, cela n'entrane ici aucune consquence.

[594] Ajout dans lՃd. Marietti.

[595] Mais ceux qui posent une srie infinie ne saperoivent pas quils ruinent la notion mme de bien. (Trad. J. Tricot). Thomas n 317 : Ceux qui posent linfinit dans les causes finales les cartent .

[596] le corps m n'est pas absolument mesurable par le temps, en tant qu'il est une certaine quantit, mais en tant que son mouvement est une certaine quantit.

[597] Parall. : IV Sent., d. 43, a. 3, q. 1, a. 2 d. 47, q. 1, a. 1, qla. 3, c. d. 48, q. 2, a. 2, ad 8.

[598] Augustin emprunte les six ges de lhumanit la tradition qui prend sa source dans les Apocalpyses juives. Ils sont parallles aux six jours de la cration du monde et aux six ges de la vie. Les prdcesseurs dAugustin (Pseudo Barnab, Justin, Hippolyte) ont des tendances millnaristes, lui envisage cette division sous un aspect historique. Premier ge, dAdam No, deuxime celui de No Abraham, le troisime dAbraham David, le cinquime de David lexil de Babylone jusquՈ lenfantement de la Vierge. Le sixime ge a commenc avec la Nativit du Seigneur et cest lui qui dure actuellement jusquau terme inconnu du temps. (Trin. IV, 4, 7)

[599] Chacun le verra, mme ceux qui lont transperc (BJ.).

[600]. Dans BJ. nous touchons la fin des temps.

[601] Cf. Marc 13, 32 : ni le Fils, personne que le Pre. (!)

[602]. Nous en avons eu des exemples.

[603]. L'ge ultime est la vieillesse partir de soixante ans.

[604] Parall. : C.G. IV, 97 IV Sent., d. 47, q. 2, a. 2, qla. 2, c. d. 44, q. 2, a. 1, qla. 1 d. 48, q. a. 4, qla. 2 ad 3. Opusc. III, c. 3 - c. 171, Opusc. XI, a. 19.

[605] Cf. aussi III, X, 14.

[606]  Les contraires tant diffrents spcifiquement et le corrputible et lincorruptible tant des contraires (car la privation est une impuissance dtermine), le corruptible et lincorruptible sont ncessairement diffrents par le genre . (Trad. J. Tricot). Thomas explique (n 2137] quau lieu de conclure que le corruptible et lincorruptible diffrent en espce, ils diffrent en genre :  parce que de mme que la forme et lacte conviennent lespce, la matire et la puissance conviennent au genre .

[607] Thomas n 297 et 335.

[608] Les qualits : Ce en vertu de quoi on est dit tre tel. (Catgories, 8, 8 b 25). Aristote distingue trois sens : 1) tat ou disposition : LՎtat diffre de la disposition en ce quil a beacoup plus de dure et de stabilit. (8 b 28) ; 2)Aptitude ou inaptitude naturelle (9 a 18) ; 3) Qualits affectives et affections (9 a 28). Thomas suit ici le texte dAugustin. En certains de ces emplois, le sens est trs proche de  puissance .

[609] Allusion au jugement dernier.

[610]. Parall. :II Sent., d. 11, q. 2, a. 6, ad 3 d. 33, q. 2, a. 1, ad 3 IV Sent., d. 44, q. 3, a. 1 qla. 3 c.. Qdl VII, a. 11­ Opus III c 176.

[611]. Ide reprise en q. 5, a. 9, arg.. 11, o elle est attribue Denys.

[612]. Il y a de la prudence dans les chiens. Pour Aristote la prudence ne peut exister que pour des tres qui ont de la mmoire. (980 a 28 texte n 3 d'Aristote). Thomas commente : la prudence vient de la mmoire des vnements. Mais elle est diffrente chez l'homme et les animaux. Les hommes dlibrent selon la raison. Le jugement ches les animaux dous de mmoire dpend "d'un certain instinct de la nature" (Thomas n 11)

[613] Parall. : C.G. IV, 97 IV Sent., d. 43, q. 1, a. 4, - q. 2, a. 6 d. 48, q. 2, a..5 c. d. 50, q. 2, a..3, qla. 2 c..

[614] Les plantes, les animaux et les minraux.

[615] Ce qu'il y a d'invisible depuis la cration du monde se laisse voit l'intelligence travers ses uvres. Rm 1, 20 B.J.)

[616] Cit en qu. 6, a. 6,Arg. 12.

[617] Cit nouveau Pot. qu. 6, a. 6,Arg. 12.

[618] B.J.

[619] Thomas n 297.

[620] Parall. : IV Sent,. d. 43, q. 2, a. 4, c. d. 48, q. 2, a. 5, c. d. 50, q. 2, a. 3. qla. 2 c. Opus. III, c. 171.

[621] Phil. 3, 21 : Le Seigneur J.C. qui transfigurera notre corps de misre pour le conformer son corps de gloire. B.J.

[622] Thomas ne commence pas par parler de miracles, mais il reprend un theme dj tudi dans la question 1, a. 3. Laction de Dieu sur la nature. Le premier argument est le mme

[623] Parall. : Ia, q. 105, a. 6 q. 106, a. 3 C.G. III, 98, 99 Compendium. 136.

[624] Se trouve dj en q. 1, a. 3,Arg. 1.

[625] En Ia, q. 105, a. 6, obj. 2, l'ordre de la nature vient de la justice de Dieu.

[626] Les chiffres entre crochets indiquent les propositions du syllogisme.

[627] Sur les raisons sminales, La Gense au sens littral, P. Agasse et A. Solignanc, BA 48. voir lՎtude note 21 p. 653,

[628] Appel au principe de contradiction. Voir q. 1, a. 3, c.

[629] Il sagit du principe de contradiction.

[630] Vulg. requiescit il se reposa.

[631] Mtaphysique, VII, 3, 1029 a 20 : J'appelle nature ce qui n'est par soi ni existence dtermine, ni d'une certaine quantit, ni d'aucune autre des catgories par lesquelles l'Etre est dtermin. (Trad. J. Tricot).

[632] Rm. 13, 1 : Non est enim potestas nisi a Deo, quae autem sunt, a Deo ordinatae sunt. Il n'y a point d'autorit qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constitues [ mises en ordre, ordinatae sunt] par Dieu. B.J.

[633] selon qu'on fait une chose, ainsi se produit-elle par nature, et selon que la nature produit une chose ainsi la fait-on moins d'empchements.

[634] Le mme argument se trouve dj en q. 1, a. 3,Arg. 7.

[635] Cf. q. 1, a. 3,Arg. 4.

[636] Dj voqu q. 1, a. 3,Arg. 9.

[637] Car il y a une seule chose dont Dieu mme est priv : cest de faire que ce qui a t fait ne lait pas t. (Citation dAgathon, tragique grec du Ve sicle a.c.).

[638] On admet d'ordinaire qu'un acte est involontaire quand il est fait sous la contrainte Est fait par contrainte tout ce qui a son principe hors de nous, c'est--dire un principe dans lequel on ne relve aucun concours de l'agent ou du patient. Trad. J. Tricot.

[639] Pot. qu. 3, a. 7.

[640] la chose qui, parmi les autres, possde minemment une nature est toujours celle dont les autres choses tiennent en commun cette nature, par exemple le feu est chaud par excellence, parce que, dans les autres tres, il est la cause de la chaleur. (Trad. J. Tricot).

[641] Dont Avicenne.

[642] Texte Aristote : Chez les animaux, tous les manques de force, comme la vieillesse et l'affaiblissement, sont, eux, contraire la nature.

[643] Les prdicables sont au nombre de cinq : le genre, l'espce, la diffrence, le propre, l'accident.

[644] Cf. Ia, q. 105, a. 6, ad 1m.

[645] Cest le seul emploi de ce mot ici. En de Veritate, q. 8, a. 12, ad. 4, Thomas distingue deux sortes de de puissance : une puissance naturelle qui peut tre amene en acte par un agent naturel. Une autre  puissance dobdience   selon laquelle quelque chose sera fait dans la crature, ce que la crateur aura voulu 

 

[646] Ia, q. 105, a. 7 C.G. III, 101 II Sent., d. 18, q. 1, a. 3 In II Thes. C. 2, lectio 2..

[647] Aristote : Or on doit finir par l'tonnement contraire et suivant le proverbe, par ce qui est meilleur. (982 Thomas lectio 3, n 52-56.).

[648] L'exemple d'Aristote : Rien ne surprendrait autant un gomtre que si la diagonale devenait commensurable (983 a 20)

[649] L'exemple en est la cration et la justification des impies (obj. 5).

[650] Parall. : Ia, q. 110, a. 2, 3 et 4 ; q. 65, a. 4 ; q. 91, a. 2 ; q. 94, a. 4 ; C.G. III, 102 et 103, De Mal., q.16, a. 9, a. 1, ad 14, qu. 1, a. 10, Qdl IX, qu. 4, a. 5, Galat., c. 3, lect. 1 ; Compendium c. 136, In Ion., c. 10, l. 5, In Iob, c. 1, l. 3)

[651] Il s'agit de Lviathan. Cit nouveau en 6, 10, sed contra 1, o il s'agit du diable.

[652] Ita omnia corpora per spiritum vitae, et spiritus vitae irrationalis, per spiritum vitae rationalem Ainsi tous les corps le sont-ils (gouvernes) par un vivant. p. 288-289.

[653] Voir les textes en 6, 4, obj. 6.

[654] Opinion d'Avicenne, comme c'est signal c. 2.

[655] Thomas, VIII, lect. 21, n 1142.

[656] Les raisons sminales.

[657].les dmons ne crent pas de nouvelles natures, mais ils modifient tellement dans leurs apparence, celles que le vrai Dieu a cr, qu'elles semblent tre ce qu'elles ne sont pas. La cit de Dieu, XVIII, 18.

[658] Hb. 2, 5 : En effet ce n'est pas des anges qu'il (Dieu) a soumis le monde venir dont nous parlons. (B.J.)

[659] Il ne faut pas croire pour autant que les anges prvaricateurs font ce quils veulent de la matire des choses visibles. BA, p. 297

[660] Il s'agir d'une Intelligence. Cf. Ia, qu. 65, a. 4, c.

[661] Voir Ia, qu. 65, a. 4, c.. Avicenne, Mtaphysique IX, 5.

[662] Alexandre d'Aphrodise, philosophe pripatticien,. Commentateur dAristote, il a dirig de Lyce de 198 211.

[663] Les raisons sminales.

[664] Parall. : Ia, q. 110, a. 4 et ad 1 IIIa, q. 13, a. 2, ad 3 q. 78, a. 4, ad 2 C.G. III, 103 Ia. qu. 117, a. 3, ad. 1 IIa/II qu. 178, a. 1, ad 1 IIIa, qu. 84, a. 3, ad 4. Q. de pot., q. 6, a. 9

[665] Ɉ tel autre le don de gurison dans l'Unique Esprit, un autre la puissance d'oprer des miracles. B.J.

[666] Dj dit en 6, 1, sed contra..

[667] Voir Q. de pot., q. 6, a. 3, arg.. 3, pour les deux textes.

[668] Bernard de Claivaux, 1090 - 1153.

[669] Allusion la Loi au Sina Ga. (3, 19)

[670] Parall. : Ia, q. 114, a. 4, q. 110, a. 4, ad 2 IIa / II qu. 178, a. 1, ad 2. C.G. III, 154 De malo, qu. 16, a. 9 II Sent.,.d. 7,.q. 3, a. 1 In Matth, c. 24 II Thess., c. 2, lectio 2 Opus III, c. 136.

[671] Cf. Act. 8, 9-24, o ce dtail n'est pas signal.

[672] Auteur du Ier sicle av. J.C.. Son ouvrage est un recueil d'anecdotes.

[673] crivain encyclopdiste romain (de 116 28 av. J. C.).

[674] Nombres, 22, 28.

[675] Parall. : Ia, q. 51, a. 1 - CG. II, 91II Sent., d. 8, a. 1. De Malo qu. 16, a. 1 De Spir. Creat. a. 5 Opusc. XV, De Angelis,c. 18. (Cf. Les noms divins, IV, XIX ; n 538 ss.).

[676] Il semble meilleur de traduire par tre anim.

[677]   les dmons sont des tres anims ariens, en ce sens quils sont naturellement dous de corps ariens  (Trad. BA. 48)

[678] LXI, 170. Le texte en est donn en Ia, q. 51, a. 1, obj. 1 : C'est le propre de la seule nature de Dieu (c'est--dire du Pre, du Fils et de l'Esprit Saint) d'exister sans substance matrielle et en dehors de toute union corporelle. (Trad. Du Cerf).

[679] Cette persistance de croyance que les tres spirituels ont un corps dure encore jusqu' Teilhard de Chardin (Lettres intimes).

[680] Thomas n 540.

[681]. Trad. de Denys : Une colre sans raison, une convoitise sans intelligence, une imagination entreprenante. (p. 119 l. 20). Demens concupiscentia : anou" epiqumia.

[682] Cit en 5, 9, obj. 11.

[683] Porphyre 233-305, disciple de Plotin.

[684] C'est un raisonnement logique. Thomas explore toutes les possibilits logiques. Id. pour sed contra 5.

[685] Cf. dmonstration plus dveloppe en Pot. 7, 1, c, premire raison, o il dmontre la simplicit de Dieu.

[686] C'est pourquoi galement Anaxagore a raison de proclamer que l'intellect est impassible et sans mlange, puisque justement il en fait le principe du mouvement s'il peut dominer c'est conditions d'tre sans mlange.(Trad. H. Carteron).

[687] crivain et grammairien latin. Dbut du Ve sicle. Il sinspire de Platon.

[688] crivain latin, disciple de Platon (125-180).

[689] Certains penseurs dclarent que l'me est mle l'univers entier ; peut-tre est-ce l'origine de l'opinion de Thals que tout est plein de dieux. (Trad. E. Barbotin).

[690] II, XVIII, 38 : On se demande encore si ces brillants luminaires du ciel sont seulement des corps ou sil ont pour les rgir des esprits attachs chacun deux.

[691] Sed ne illud quidem certum habere utrum ad eamdem societatem pertineant sol et luna et cuncta sidera : quamvis nonnullis lucida corpora esse, non cum sensu et intelligentia, videantur. Ench. 58.

[692] B.J. : Mille milliers le servaient, myriades de myriades, debout devant lui. (BJ).

[693]  Ainsi donc tout homme pervers ignore les choses quil doit faire et celles quil doit viter .

[694] Claudius Ptolme, 100-178, post Christ., astronome, mathmaticien, physicien, gographe.

[695] Parall. : Ia, qu. 51, a. 2, - II sent., d. 8, a. 2.

[696] Or l'un se dit du continu, soit de l'indivisible, soit de ce qui a une mme dfinition et une quiddit une (Trad. H. Carteron).

[697] Ia, qu. 41, a. 3 - II Sent. d8a4.

[698] Penser l'ne de Balaam.

[699] Ou du but recherch.

[700] Augustin (loc. cit.) parle de semences de vgtaux et d'animaux invisibles, cres par Dieu, qui ont pu servir de premires naissances que les anges ou les dmons dcouvrent et dont ils assurent l'closion (III, VIII, 13).

[701] Parall. : II/II, qu. 178, a. 1, ad 5 I/II, qu. 111, a. 4 CG. III, 154 Q. de pot. q. 6, a. 4. I sent., d. 48, q. 1, a..2, ad. 3 Opusc. LX, a. 15.

[702] Il s'agit des charismes.

[703] si deux d'entre vous unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accord par mon Pre. (B.J.)

[704] Id. en B.J. Il s'agit des paroles de l'aveugle-n, guri par Jsus.

[705] Celui qui s'unit au Seigneurn'est avec lui qu'un seul esprit. (B.J.).

[706] (Ni circoncision, ni incirconcision ne comptent), mais seulement la foi, oprant par la charit. (B.J.).

[707] Cf. qu. 6, a. 2, obj. 6.

[708] La foi est la garantie des biens qu'on espre. (B.J.)

[709]. Ia, qu. 113, a. 3, ad 3 qu. 110, a. 4, ad 2 et ad 3.

[710] Un homme de bien de Chalde, dit-il, se plaint que son zle purifier son me n'ait pas eu de succs parce qu'un envieux, redoutable thurge, avait li les puissances en les conjurant par des prires sacres. Voir Cit de Dieu, X, 10 et X, 11.

[711] Car lorsque les dmons s'insinuent dans les cratures qui ne sont pas leur ouvrage, mais l'ouvrage de Dieu, ils sont attirs par des charmes divers comme leur gnie ; ils ne cdent pas comme les animaux l'attrait des aliments, mais en tant que natures spirituelles des signes conformes la fantaisie de chacun, diffrentes espces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux, enchantements et rites divers.. (Cit de Dieu, XXI, 6, trad. L. Moreau, p. 235-236)

[712] Cite de Dieu, X, 11, 2 : Comment se fait-il qu'un homme en proie n'importe quel vice menace et terrifie par ses mensonges, non un dmon, ni l'me d'un mort, mais le soleil lui-mme, mme la lune ou n'importe quel astre, pour leur extorquer la vrit ?

[713] Il s'agit de Lviathan. Cf. Pot. 6, 3, obj. 1.

[714] Cf. Pot. 6, 3, c.

[715] Ia, q. 3, a. 7 CG. I, 16, 18 In I Sent. D.8 q.4 a.1 Compendium. ch. 9 Opus 37 De quat. oppos. ch. 4 Liber de Causis (prop. XXI).

2. Cf. Q de pot., q. 2, a. 16. Cest le raisonnement de tous ceux, dont Avicenne, qui considrent la cration par intermdiaire (Liber de Causis (prop. III, IX, XVI, etc.).

[717] Ces trois relations, la paternit, la filiation et la procession sont appeles les proprits personnelles, comme les constituant. (Ia, q. 30, a. 2 c). Chaque personne de la Trinit sous une mme essence a ses proprits personnelles.

[718] Principe de contradiction.

[719] Le fait de donner un prdicat, ici une catgorie.

[720]Trad. de M. de Gandillac : l'essence, la puissance, l'acte

[721] Cf. I Sent., d.8, q. 4, a.1,Arg. 4.

[722] Cest admettre quil ny a pas de distinction en Dieu eentre lessence et lexistence. ( ? ? ?)

[723] Il s'agit de l'un transcendental.

[724] Cf. Raisonnement semblable mais simplifi en Q. de pot., q. 6, a. 6, c.

[725] Thomas, n 183.

[726] Suite du texte cit en Ia, q. 3, a. 7, c.

[727] Thomas prcise en I Sent., d. 8, q. 4, a.1, ad 4. que la proprit personnelle ne diffre pas en ralit, et il ajoute : Mais compare son corrlatif, elle produit une distinction relle, mais de ce ct il n'y a pas union (Cf. ici ad 10) et c'est pourquoi il n'y a pas composition. Cela montre que les noms personnels ne signifient aucune composition en Dieu.

[728] Et rien, ne croyez-vous pas, n'empche que le mme acte appartiennent deux choses, non comme identique quant l'essence, mais comme ce qui est en puissance en face de ce qui est en acte. (Trad. H. Carteron).

[729] Entendre l'essence et la relation.

[730] Passage de mens, intellectus, parce que la forme de limage est apprhend par lintellect. Lesprit a un sens plus large. ( ? ? ? ?).

[731] Les relations seront tudies dans les articles 8 11 et dans la question 8.

[732] Cf. Q de pot. q. 7, a. 11, 3m.

[733]  Toute chose dite relativement numriquement, ou selon la puissance, est donc relativement en ce sens que tout son tre est proprement dans sa relation une autre chose, et non pas en ce sens quune autre chose est relative elle ; tout au contraire le mesurable, le connaissance, le pensable sont dit relatifs, en ce sens quune autre chose est relative eux .

[734] Cf. I Sent., d. 8, q. 4, a. 1, ad 3.

[735] Comprendre : il ne peut y avoir d'union ( une mixtion) entre elles. La composition est une union, ce qui n'est pas le cas ici.

[736] Ia, q. 3, a. 4 C.G. I, 22, 52 I Sent., d. 8, q. 4, a. 1, et a. 2 q. 5, a. 2, d. 34, q. 1, a. 1 II Sent., d. 1, q. 1. a. 1 De spit. Creat. a.1 Compendium c. 11 Opusc. De quat. Oppos. c. 4 De E & E, 5.

[737] Dfinition de la substance : Substantia est ens per se subsistans (Ia, q. 3, a. 5,Arg. 1). Mais Dieu nest pas dans la catgorie de la substance. Son nom signifie seulement qu'elle est un tre par soi parce que ce qui est tre ne peut pas tre un genre par soi. Dmontr ibid. en c et ad 1.

[738] Jean Damascne cit obj. 1.

[739] Mais il n'est pas possible que l'Un et l'tre soit un genre des tres. Il faut ncessairement en effet et que les diffrences de chaque genre existent, et que chaque diffrence soit une. Si l'Un ou l'Etre est un genre, aucune diffrence ne sera ni tre, ni une. Mais si l'Etre et l'Un ne sont pas des genres, ils ne seront pas non plus des principes, s'il est vrai que les genres sont principes. (Trad. J. Tricot, p. 141). In Meta., III, 8, n 433.

[740] Rien ne peut tre en dehors de l'essence et de l'tre par addition qui constitue l'espce de l'tre, car ce qui est hors de l'tre est nant. (Mtaphysique, (B) III, 3, 998 b 22. In Meta., III, 8, n 432) Q de pot., q. 7, a. 3, c 1.

[741] Rgle 6 : Tout ce qui participe l'tre, participe autre chose pour tre quelque chose. De ce fait "ce qui est" ce qui a l'tre pour tre, mais il "est" pour participer n'importe quelle autre chose. (Trad. H. Merle) Thomas n 29-30.

[742] :  On peut comprendre " quelque chose " (aliquid) soit de toute ralit subsistante, soit d'une ralit subsistante complte, d'espce dtermine. Le premier sens exclut tout ce qui est accident, ou forme matrielle, le second exclut encore cette imperfection d'tre une partie d'un tout. Ainsi la main est " quelque chose " au premier sens, mais non au second. De la mme manire l'me, qui est une partie de la nature humaine, n'est " quelque chose ", ralit subsistante, qu'au premier sens. C'est pourquoi il faut concder que le compos d'me et de corps peut tre dsign comme " quelque chose ". (Ia, qu. 75,a. 2, ad 1m)

 

[743] Dj en Q. de pot., q. 1,Arg. 1, et. 2. Anselme, Monologium, 14.

[744] Mamonide.

[745] Sa vraie nature est d'tre. Cf. In de div. nom., VII, lectio 1.865 B, n 300 2, Thomas n 701 : C'est l'usage des thologiens de retourner en les niant tous les termes positifs pour les appliquer Dieu sous leur aspect ngatif.

[746]  Enfin la quiddit, exprime dans la dfinition, est dite aussi la substance de chaque chose .

[747] C.G. I90 ? ? ?)I, 15.

[748] Cf. De E & E, ch. 1. On peut appeler tre tout ce dont on peut former une proposition affirmative ; mme si rien dans la ralit se se trouve y correspondre. C'est en se sens que les privations et les ngations sont appeles des tresDe la mme faon on ne peut appeler tre que ce qui existe concrtement (in re) ; en ce sens ni la ccit, ni rien de semblable ne sont des tres.

[749] Thomas en donne la raison ad 6.

[750] On comprend les deux, au dpart, comme semblables.

[751] Signata : que lon peut montrer, qui tombe sous le sens (Cf. materia signata).

[752] Cf. Q. de pot., q. 9, a. 7, ad 15. In Mta, (D) V, lect. 9, n 889.

[753] Texte Denys n 267, Thomas 633. d. Marietti, p. 131.

[754] Ce qui redonne la priorit de l'tre.

[755] Cf. C. G., II, 15, 4.

[756] Cf. De Hebdomadibus, I, 8 et 9.

[757] Parall. Ia, 3, 5 CG. I, 25 I Sent., d. 8, q. 4, a.1 et 2 : d. 19, q. 4, a. 2 Compendium. 12, De Ente c. 4.

Ia, q. 3, a. 5, ad 1, dmontre que, selon Aristote, l'tre ne peut tre un genre.

[758] L'essence c'est la forme commune, qui runit (periektiko) des hypostases de mme espce, (comme Dieu, homme) hypostase par contre dsigne l'individu c'est--dire le Pre, le Fils, le saint Esprit, Pierre, Paul.

[759] Aristote dfinit le genre ainsi : Le genre est ce qui est attribu essentiellement des choses multiples et diffrentes spcifiquement entre elles. (Topiques, I, 5, 102 a 31) Trad. J. Tricot.

[760] Ce qui a trait au propre, au genre et l'accident peut sappliquer aussi aux dfinition (Trad. J. Tricot).

[761] )."Numero" traduit l'identit ou l'unit du substrat. Ce qui correspond au "propre" de la trad. de J. Tricot

[762] Cf. Ia, q. 3, a. 5, ad 1 :  Le terme substance ne signifie pas seulement  tre par soi , parce que ce qui est lՐtre ne peut pas tre un genre par soi.. Mais elle signifie lessence qui appartient dexister ainsi, son tre nest cependant pas son essence. Donc Dieu nest pas le genre de la substance . Ce qu'analyse I Sent., d. 3, q. 4, a.2.

[763] Cf. Ia, 3, 5, obj. 1.

[764] Parce que toute dfinition vient du genre et de l'espce. Voir c.

[765] La mesure est toujours du mme genre que l'objet mesur ; les grandeurs se mesurent par la grandeur (Trad. J. Tricot) Aristote n 826, Thomas n 1954 ss..

[766] La quiddit exprime l'essence ou la nature d'une chose, en tant qu'exprime par une dfinition (quod quid erat esse. De ente I, 3). La quiddit s'oppose l'tre.

[767] Il y aura donc utant de principes des choses que de genres premiers, de sorte due ltre et lUn seront principes et substances car ce sont des notions qui sont le plus affirme de la totalit des tres ; mais il nest pas possible que lUn ou ltre soit un genre des tres. Il faut ncessairement, en effet, et que les diffrences de chaque genre existentet que chaque diffrence soit une. Or il est impossible que les espces des genres soient attribues leur diffrences propres . (Trad. J. Tricot). Cf. Ia, q. 3 ; a. 5.

[768] Cf. Ia, q. 3, a. 5 c. L'espce se forme par genre et diffrence, et ce dont provient la diffrence constitutive de l'espce joue toujours, l'gard de ce dont le genre est tir, le rle de l'acte par rapport la puissance. Ainsi ce terme : animal, se prend de la nature sensitive signifie au concret ; car cela est animal qui est de nature sensitive ; cet autre terme : raisonnable, se prend de la nature intellectuelle, car on dit raisonnable ce qui est de nature intellectuelle. Or, l'intellectuel est avec le sensitif dans la relation de l'acte avec la puissance, et il en est de mme en tout le reste. Comme en Dieu nulle puissance ne s'adjoint l'acte, il est impossible que Dieu soit dans un genre titre d'espce.

[769] Ce qui est dit parfait par soi est donc appel ainsi en tout genretantt d'une manire gnrale, et c'est ce qui ne peut tre surpass dans chaque genre et n'a aucune partie en dehors de soi. Thomas In Meta., V, lect ; 18, (n 1040) ajoute :  Cette perfection est la condition du premier principe, c'est--dire Dieu, en qui il y a une bont absolument parfaite, qui rien ne manquede toutes les perfections qui se trouvent dans chaque genre quon trouve .

[770] Entendre les trois Personnes.

[771]. Voir I Sent. d8q1a2, ad 3.

[772] Mais la diffrence et l'altrit sont des notions distinctes l'une de l'autre. Pour deux tres qui sont autres, en effet, il n'est pas ncessaire que l'altrit porte sur quelque chose de dfini, car tout ce qui est existant est autre ou le mme ; par contre ce qui est diffrent doit diffrer d'une chose dtermine par quelque endroit dtermin, de sorte qu'il faut ncessairement qu'il y ait un lment identique par quoi les choses diffrent. Cet lment identique, c'est le genre, ou l'espce. Car tout ce qui diffre, diffre soit en genre, soit en espce. (Trad. J. Tricot).

[773] Cf. I Sent., d.8, q. 1, a.2, ad 3. Dieu et l'tre cr ne diffrent pas par des diffrences ajoutes l'un ou l'autre, mais par eux-mmes. C'est pourquoi on ne dit pas qu'ils sont diffrents au sens propre mais qu'ils sont divers, car est divers l'absolu, mais diffrent selon le relatif d'aprs le philosophe. (Mtaphysique, X, texte 13)

[774] Mme texte que ci-dessus, c, b).

[775] Thomas semble en contradiction avec ce quil dit en Ia, qu. 3, a. 5 c : Il est vident que Dieu nest pas dans un genre par rduction, parce que le principe qui est ramen ce genre ne sՎtend pas au-del de lui. Ainsi le point nest principe que de la quantit continue et lubnit de la quantit discrte. Mais Dieu est le principe de tout l'tre C'est pourquoi il n'est pas contenu dans un genre comme principe.

[776] Dieu est la mesure suprme des substances. (Averros, Mtaphysique, X, com. 7).

[777] Parall. : Ia, 3, 6 C.G. I, 23 I Sent., d. 8, q. 4, a. 3. Compendium. c. 23.

[778] Les expressions comme Bon, Juste, Saint, etc.refltent la nature, ils ne montrent pas lessence mme. Trad. E. Ponsoye.

[779] Thomas lectio 6, n 43 : Il est donc bien entendu que l'tre en tant qu'tre n'existe pas en autre chose

[780] Dmontr en Ia, q. 44, a. 3, c :  Dieu est la cause exemplaire de toute chose Lexemplaire est ncessaire pour produire une chose .

[781] Qualit et quantit appartiennent la catgorie des accidents.

[782] ǃcartons donc de notre esprit, pour le moment, la prsence du premier bien, lui dont l'tre est vident, comme on peut le savoir par les paroles des savants ou non et aussi par les religions des peuples barbares.

[783] p. 132 : Par suite, est vritablement un ce en quoi il n'y a aucun nombre, ni rien d'autre en lui en dehors de "ce qu'il est". Il ne peut en effet devenir substrat ou sujet, car il est forme ; or, les formes ne peuvent tre substrats Mais la forme qui est sans matire ne pourra tre substrat et ne pourra rsider dans la matire, car alors elle ne serait plus forme, mais image. C'est en effet de ces formes exemptes de matire que sont venues ces autres formes qui sont dans la matire et produisent le corps.

[784] puisqu'il faut qu'il y ait du mouvement continuellement, il faut qu'il existe une chose qui soit le premier moteur immobile et ne l'tant pas par accident.. (Trad. H. Carteron).

[785] De mme que si l'une des parties, dont le nombre est constitu et retranch ou ajout, ce n'est plus le mme nombre, mais un nombre autre, si petite que soit l'augmentation ou la diminution, ainsi ni la dfinition, ni la quiddit ne sont les mmes, si on en retranche ou si on y ajoute quelque lment. (Trad. J. Tricot) (Thomas lectio 3, n 1723-1724).

[786] Il faut que l'essence signifie quelque chose de commun toutes les natures par lesquelles les divers tants sont classs en divers genres et espces, comme l'humanit est l'essence de l'homme. De E & E, I, 2 (Trad. C. Capelle).

[787] Diffrence entre le rel et luniversel.

[788] Car rien n'est plus formel, ni plus simple que l'tre. La substance divine est son tre, donc il n'a rien qui ne soit sa substance. (Cf. CG. I, 23, 2).

[789] Il ne peut mme pas avoir ce qu'on appelle un accident par soi (qui soit hors de l'essence, mais li elle ncessairement, comme le rire pour l'homme, parce que caus par les principes de l'essence, parce qu'en Dieu rien ne peut tre caus. (Cf. Ia, qu 3, a. 6, c 3e).

[790] Explication en Ia, qu. 3, a. 6 c : Mme premire phrase, laus il ajoute :  Car le substrat selon laccident est dune certaine manire en acte . Conclusion, pas de puissance en Dieu.

[791] Ia, 13, a. 2, 3 et 11. C.G. I, 31 I Sent., d. 2, q. 1, a. 2.

[792] Ainsi puisque les ngations sont vraies, en ce qui concerne les mystres divins, tandis que toute affirmation demeure inadquate

[793] (I, lect. 2, n13, 4 p. 14 : nominationes Dei ad bonos Thearchiae processus Commentaire de Thomas : c'est--dire selon les processus des perfections qui proviennent de la bont de Dieu dans les cratures.

[794] Dieu est ; cela est clair, mais qu'est-il par essence et nature, voil qui est absolument incomprhensible et inconnaissable. (p. 16).

[795] C'est--dire en donner une dfinition.

[796] n 95. Les thologiens affirment que lՐtre du bien en tant que bien essentiel, tend sa bont tout tre

[797] Cf. Q. De pot., q. 1, a. 3,Arg. 1.

[798] B.A. 15, 480/482. Thomas n'a retenu que ce qui le concernait directement. Trad. : Pour Dieu, c'est tre que d'tre fort ou juste ou sage et tout ce que vous attribuez cette multiplicit simple ou cette multiple simplicit, pour dsigner sa substance.

[799] Mais lorsqu'on se tournera vers Dieu, pour lui attribuer ces catgories, alors il y aura une transformation de tous les attributs. (p. 135) (Trad. H. Merle).

[800] Mamonide, (Doctrina Perplexorum, part. 1, c. 58).

[801] C'est--dire par la ressemblance.

[802] C'est--dire par mode de ngation.

[803] Expression emprunte Grgoire de Naziance, Or. XLV, 3, PG. 36, 625.

[804] Noms divins Trad. M. de Gandillac : Mais il faut ajouter qu'elle contient d'avance en soi tout tre de faon simple et indfinissable, par le don en sorte qu'on peut la louer ou la nommer convenablement partir de tout tre.

[805] Ainsi puisque les ngations sont vraies en ce qui concerne les mystres divins, tandis que toute affirmation demeure inadquate (p. 191).

[806] Dionysius dicit affirmationes de Deo esse incompactas. Ia, qu. 13, a. 12 I Sent. d4q2a1 (Cerf : les affirmations sont inconsistantes, et ad1m inconsistante ou sans convenance.

[807] La glose de Rm 11, 24.

[808] Ia, q. 13, a. 4. C.G. I, 35, I Sent., d. 2, a. 3 d. 22, a. 3 Compendium. 25.

[809] Le mot unit traduit l'tre, il dit l'individu (dans les cratures). Nihil enim est aliud unum quam ens indivisum. Cum unum addat supra ens unam negationem, secundum quod aliquid est indivisum. (Pot. 9, a. 7) Il s'agit du transcendantal et non du nombre.

[810] Il s'agit des trois proprits personnelles dans la Trinit. Elle signifie l'origine comme un acte. Cf. Ia, qu. 40, a. 2, c. L'origine et la relation sont les proprits personnelles des Personnes en Dieu.

[811] Comprendre relative aux ides.

[812] L'exemple est tir de Physique III, 3, 202 b 12.

[813] Dans le commentaire du Perihermeias Thomas dit (n 15) que les passions sont des affections, comme la colre ou la joie, etc.. Et il est vrai qu'elles signifient naturellement certaines paroles. C'est un emploi inhabituel du mot qui a fait penser certains (Andronicus) que l'uvre n'tait pas authentique, mais ajoute-t-il : Il (Aristote) appelle passion de l'me toutes les oprations de l'me et cette conception de l'esprit peut tre appele passion. (n 16)

[814] Les mots mis sont les symboles des tats de l'me (Trad. J. Tricot).

[815] Cf. Q. de pot. qu. 1, a. 1, ad 10. Note sur les trois conceptions.

[816] Parall. : Ia, qu. 13, a. 5 C.G. I, 32, 33, 34- I sent. Prol., a.2, ad.2 d. 19, q. 5, a.2, ad 1 d. 35, a. 4 De Verit., q. 2, a.2 Compendium.27.

[817] Prdicables : attributs universels communs plusieurs : ils sont au nombre de cinq : le genre, l'espce, la diffrence, le propre, l'accident. Cf. Ia, q. 77, a. 1, ad 5.

[818] Ia, q. 28, a. 1 ad 3 I Sent., d. 14, q. 1, a. 1 C.G II, 11.

[819] On appelle relatives ces choses dont tout l'tre consiste en ce qu'elles sont dites dpendre d'autres choses, ou se rapporter de quelque autre faon autre chose.(Catgories, 7, 6a 36) 7 b 15 : Il semble bien qu'entre les relatifs il y ait simultanit naturelle Mais il ajoute plus loin (7 b 23) :Cependant il n'est pas vrai, semble-t-il bien, que dans tous les cas, les relatifs soient naturellement simultans

[820] Crateur dit relation la crature.

[821] On retrouve la mme chose en Q. de pot. q. 7, a. 2, c (2).

[822] Thomas distingue l'aspect accident, la relation est dans le substrat et l'aspect relation ou ordre : elle est pour un autre en tant que passant en lui. Q de pot. q.7, a. 9, ad 7.

[823] Ce nest un hasard si Thomas cite les disciples de Gilbert de la Porre, aprs Boce. Ce dernier avait dit : Quand on dit Dieu, le Pre, Dieu, le Fils, Dieu, lEsprit saint, la rptition semble plus quune numration. Gilbert, vque de POITIERS (vers 1076 - = 1154) linterptait comme une rptition. Il admettait une distinction relle entre la divinit et les relations constitutives des trois personnes en Dieu : Les trois personnes sont ternelle, les relations, proprits, singularits ou unites, etc. qui sont en Dieu, ne sont pas ternelles et ne sont pas Dieu (texte condamn). Gilbert fut attaqu au concile de Reims qui se runit en prsence du pape Eugne, le 21 mars 1148. Gilbert obtint, grce un plaidoirie habile, que le pape ne condamne pas les chapitres quil avait crit comme hrtiques. Saint Bernard attaque dans son uvre Sur le Cantique (80, 6), non Gilbert lui-mme, mais ceux qui lisent ou rpandent louvrage incrimin.

[824] 7. Cf. Ia, qu. 28, a. 2, c [Gilbert] a dit que les relations en Dieu sont"assistantes", c'est--dire accoles au dehors. (extrinsques affixae. ] Cf. Pot. 7, 9, ad 7.

[825] 8. Le fait que l'agent agisse n'amne pas composition d'un agent et d'une action.

[826] 225 b 10 : Pas de mouvement pour la relation226 a 23 : Puisqu'il n'y a pas de mouvement, ni de la substance, ni du relatif, ni de l'action et passion, reste qu'il y a seulement mouvement selon la qualit, la quantit et le lieu ; car dans chacune de ces catgories, il y a contrarit. (Trad. H. CARTERON)

[827] Cf. BOCE, Trin. V, si on supprime, dit-il en substance, le terme "esclave" dans la relation matre esclave, on supprime le terme "matre", mais si on supprime le terme "blanc" on ne supprime pas ce qui est blanc.

[828] Thomas dmontre ainsi lassertion (n 331) : Toutes les puissances infinies dpendent dun premier infini qui est la Puissance des puissances. Il faut donc que plus cette puissance a t proche de cette premire puissance, plus elle participe son inifnit, mais cette puissance premire est unique par essence. Il faut donc que, plus une chose est unique, plus infinie soit sa puissance. Et de l vient que la puissance de lintelligence qui est premire parmi les puissances causes infinies, est tout fait inifnie en tant que plus proche de lUN premier. Mais du fait que les puissances qui sont multiplies soient dfaillantes par rapport lunit, leur pouvoir en est limit.

[829] A comprendre comme cause et effet.

[830] En Ia, q. 13, a 7, ad 6, il dit plus clairement que si lune des deux inclut lautre et rciproquement, alors elles sont simultanes. Si lune inclut, sans que ce soit rciproque, alors il ny a pas simultanit.s

[831] Parall : Ia, q. 13, 7 - Ia, q. 34, a. 3, ad 2 q. 6 a. 2 ad 1 q. 28 a.1 ad 3 ; a.4, c q. 45, a.3, ad 1 IIIa, q. 2, a. 7 c I Sent., d. 30, a. 1 d.37, q. 2, a.3 De Verit. q. 4, a.5 Q de pot. q. 3, a. 3.

[832]. Cf. Q. de pot. q. 3, a. 4 Non entis enim ad ensQ de pot. q. 3, a.1 ad 7. Boce

[833] Thomas, lectio 12, n 683.

[834] p. 466 l o il y a (924), cit mot mot. Trad. BA.

[835] Peut-tre Avicebron (La source vie) ce que l'intelligence distingue doit tre galement distingu dans la ralit. Ia, q. 50, a. 2, c.

[836] Sur le fonctionnement de l'intellect et les intellection premire et seconde, voir q. 1, a. 1, ad. 10.et q. 8, a. 1, arg.. 2, avec mme rfrence.On appelle substances secondes les espces dans lesquelles les substances prises au sens premier sont contenues, et aux espces, il faut ajouter les genres de ces espces. (Catgories, 5, 20, 14).

[837] Cette expression, reprise plusieurs fois, semble une insistance : l'intellection premire, la relation sont des ralits. Ce n'est pas ce que l'agent conoit.

[838] L'tre par essence reoit toutes les acceptions qui sont indiques par les types de catgories, car les sens de l'tre sont en nombre gal ces catgories.

[839] Quantit, fondement de la relation galit, ingalit. L'action et la passion, fondements de la relation de cause. Aristote, Mtaphysique, V, 15, 1021 a 15. La relation de l'actif au passif est relation de la puissance active la puissance passive et des actes de ces puissances.

[840] Cf. Ia, qu. 14, a. 8.

[841] C'est--dire les philosophes. Cf. l'objection..

[842] Cf. Pot. 7, 8, c note C'est l'opinion de Gilbert de la Porre.

[843] Parall. : Ia, q. 13, a. 7 ad 2 et ad 4 q. 28, a. 1, ad 3 et ad 4 C.G. II, 12,13 I Sent., d. 26, q. 2, a. 3, ad 2.

[844] En plus de l'ide de comparaison il y a celle d'quivalence.

[845] Le relatif est aussi comme le mesur la mesure, le connaissable la connaissance, le sensible la sensation.

[846] Ajout dans lՃd. Marietti.

[847] Relations prdicamentales ou relations transcendantales.

[848] Les nom d'origine temporelle donns Dieu et qui ne lՎtaient point auparavant, ont manifestement un sens relatif. Cependant ils ne l'ont point en faction d'un accident de Dieu, comme si quelque chose lui arrivait lui, mais bien la suite d'un accident de l'tre par rapport auquel Dieu reoit un nom relatif nouveau. (BA Trinit V, XVI, 7).

[849] Tout au contraire le mesurable, le connaissable, le pensable ne sont pas dits relatifs en ce sens qu'une autre chose est relative eux. (Thomas, lect. 17, n 1028).

[850] 913 D Mais quand il s'agit de la relation de cause effet, nous ne pouvons admettre aucune rciprocit. (Trad. M. de Gandillac) (je n'ai pas trouv le suite)

[851] Ce passage est inspir dAristote (Mtaphysiquen V, 15, 1021 b. les deux emples : colonnes et monnaies, sont repris dans son commentaire n 1027.

[852] Mamonide.

[853] PL. 16, 530 B.

[854] Thomas emploie trois fois le mot ratio (mot aux nombreux sens). Il semble vident que les deux premiers emplois n'ont pas le mme sens que le troisime. C'est pourquoi nous nous sommes permis deux traductions diffrentes.

[855] ce qui correspond aux secondes intellections.

[856] Connaissance en Dieu des cratures avant la cration (ides).

[857] La relation de raison est attribue paradoxalement Dieu, puisque c'est l'esprit humain qui le conoit!

[858] Il s'agit des intellections secondes, ou conceptions secondes. Cf. q. 1, a. 1 ad 10 q. 7, a. 8

[859] Cf. Ia, q. 13, a. 7 c.

[860] Voir q. 7, a. 1,Arg. 5

[861] Il exprime ici un rapport rciproque : rapport de Dieu ceux qui lui sont soumis ; rapport de ceux qui sont soumis Dieu.

[862] Parall. : 1a, q. 28, a. 1 a. 2, q. 29, a. 4 c. q. 39, a. 1, q. 40, a. 1 C.G. IV, 14I sent., d. 26, q. 2 a.1. d. 33, q. 1, a. 1 Q. de pot. q. 2, a. 1, ad 3, ad 12 Quodl. VI, a. 1, Compendium. 53.

[863] Dj voqu en Q de pot. q. 2, a. 1, obj. 4, propos de la puissance gnrative du Pre.

[864] Pourquoi cette conclusion ? Parce que la relation n'est ni commune, ni une.

[865] PL. 64 1255 A 1256 A.

[866] c'est une relation de ce type qui est, dans la Trinit, celle du Pre au Fils et de l'un l'autre l'Esprit saint, celle de ce qui est le mme ce qui est le mme. (Courts traits de Thologie, Trad. H. Merle, p. 143). Le Pre est Dieu, le Fils est Dieu : la relation est de Dieu Dieu.

[867] Sur les intellections secondes, ("intentions secondes" ou aspect logique de la ralit) voir Q. de pot. qu. 1, a. 1 q. 7, a. 8 qu. 7, a. 9 qu.7, a. 11.

[868] Ce serait donc du fait d'tants diffrents.

[869] La chose qui na plus rien au-del est acheve et entire Mais ce quoi manque quelque chose qui reste au dehors n'est pas un tout si peu qu'il lui manque, car nous dfinissons l'entier ce dont rien n'est absent. (Physique, III, 6, 207 a 8)

[870] Concevons donc Dieu, si nous pouvons, autant que nous pouvons, bon sans qualit, grand sans quantit (Trad. BA. 15, p. 427)

[871] Ainsi donc, la substance maintient l'unit, la relation introduit un lments multiple dans la Trinit. (Trad. H. Merle).

[872] Pour Arius, voir Pot. qu. 2, a. 3.

[873] Hrsie du Modalisme reproche Sabellius (IIIe sicle). La monarchianisme de Praxas et de Not (IIe sicle) est proche de cette hrsie. Les noms de Pre, Fils, Esprit dsignent une mme personne et sont des attributs ou des modes accidentels dun mme Dieu, personnel et crateur, Rdempteur et sanctificateur. Ed Jeunes p. 208.

[874] La quantit est soit discrte, soit continue. (Les Catgories, 6, 4 b 20. Trad. J. Tricot.)

[875] Thomas dsigne frquemment la parole intrieure comme conception, conceptum, conceptus. On peut hsiter pour traduire conceptio entre conception et concept. Thomas emploi plusieurs mots pour dsigner la mme chose. En Ia, qu. 34, a. 1 d : il emploie conceptio, intellectus. Il emploie encore intentio ou ratio. H.-F. Dondaine traduit (La Trinit,I, d. des Jeunes, p. 217) a) chose connue, b) la species intelligible qui le constitua en acte de connaissant, c) l'acte de connatre, d) la conception de l'esprit. Quiconque connat (intelligit) du fait qu'il sait que quelque chose procde de lui, qui est le concept de ce qui est connu (quod est conceptio rei intellectae)on l'appelle "verbe intrieur" (verbum cordis). Cf Veritate q. 4, a. 1 c : Le verbe intrieur qui n'est rien d'autre que ce qui est considr en acte par l'intellect

[876] Le verbe a deux aspects : il est objet de la pense il vient dautre chose.

[877] Parall. : Ia, q. 28, a. 2 I Sent., d. 33, q. 1, a. 1 C.G. IV, 14 Qdl. VI, q. 1 Compendium. 54, 66, 67.

  Qdl. VI, 1, c. : Il en dcoulerait qu'en Dieu il y aurait compositionLa proprit personnelle diffre cependant de l'essence selon la manire de la comprendre ou de la signifier, car on parle de l'essence dans l'absolu, mais la proprit personnelle apporte une relation.

[878] Cf. Q. de pot., q. 9, a. 4,Arg. 11, o les relations sont inverses :  Aucune relation nest une substance. Aucune quantit  nest une substance. o les termes sont inverss .

[879] Cit Q. de pot. q. 8, a. 1, sc. 1.

[880] Cf. Q. de pot. q. 8, a. 1, c.

[881] Cf. ce quil prcise q. 8, a. 1, ad 7.

[882] Car une fois que nous aurons dcouvert une diffrence, quelle qu'elle soit, entre les objets qui nous sont proposs, nous aurons par l mme montr qu'ils ne sont pas une seule et mme chose.

[883] On appelle relatives ces choses dont tout l'tre consiste en ce qu'elles sont dites dpendre d'autres choses, ou se rapporte de quelque autre faon autre choses. (Trad. J. Tricot).

[884] Il ne s'ensuit pas, toutefois que toute attribution ait un sens substantiel, il y a en effet, la relation, par exemple, le Pre est relatif au Fils et le Fils relatif au Pre, qui n'est pas un accident

[885] Aristote n 496, Thomas, 1028.

[886] Cest le connaissable qui devient inhrent celui qui connat.

[887] Les relations so sont assistantes, c'est--dire accoles du dehors. (relationes in divinis sunt assistentes, sive extrinsecus affixae) Ia, qu. 28, a. 2, c..

[888] Antiqui thologi dsignent les thologiens des XIe et XIIe sicles.

[889] Les prdicables sont cinq : le genre, l'espce, la diffrence, le propre, l'accident. Cf. Ia, qu. 77, a. 1, ad 5.

[890] Identitas oppos diversitas.

[891] L'opinion des Porrtains.

[892] Thomas, lectio 5, n 317 : car l'identit totale n'appartient pas aux choses qui sont identiques d'une faon quelconque, mais seulement celle dont l'essence est identique.

 [893] Parall. : Ia, q. 30, a. 4 q. 40. a. 2 C.G. IV, 24 Q. de pot. q. 9, a. 4, ad 15 I Sent., d. 26, q. 2, a. 2 Qdl., q. 4, a. 2.

[894] Toute essence dsigne en un sens relatif est quelque chose, indpendamment du relatif. Par exemple dans les expressions (VII, 1, 2 B.A. p. 510 1).

[895] Par consquent, si le Pre non plus n'est pas une ralit absolue, il n'y a absolument personne qualifier de faon relative. Augustin fait aussi remarquer que l'essence ne peut pas tre relative et que s'il n'y a pas d'homme, on ne peut pas parler de matre (ou de serviteur) au sens relatif. Trin. VII, 1, 2 (BA. p. 510-511).

[896] La relation de l'actif au passif est relation de la puissance active la puissance passive, et des actes ces puissances. (Thomas, lectio 17, n 1023)

[897] Ia, q. 40, a. 2,Arg. 2 : La forme ne se distingue que selon son genre. Si le blanc se distingue du noir, c'est bien selon la qualit.

[898] Donc toute attribution faite Dieu, est faite au singulier chaque personne, c'est--dire au Pre, au Fils, au saint Esprit et d'un coup la Trinit elle-mme, non pas au pluriel, mais au singulier (BA. p. 447).

[899] Cf. Pot. 8, 4, c 1.

[900] Vanier, La thologie trinitaire de saint Thomas, p. 46 Notre esprit se reprsente la relation divine la manire d'une relation qui signifie l'manation d'une personne dans l'autre, la diffusion de son tre qu'elle communique. (Cf. qu. 10, a. 1, c)

[901] Les relations sont identiques la substance divine. Toutefois en raison de concepts diffrents, les modes abstrait et concret ne peuvent pas tre simplement changs. En Dieu aussi, le mode abstrait place laccent sur le contenu, formam, le mode concret par contre sur le substrat. Krempel, La doctrine de la relation chez saint Thomas, Paris 1952, p. 141 (Cf. 9, 5, sol. 17).

[902] Parall. : Ia, q. 40, a. 3 I Sent., d. 26, q. 1, a. 2 Compendium 61.

[903] Cf. q. 8, a. 3, c 4.

[904] Ce qui est dune mme nature, cest lessence.

[905] Cf. Mtaphysique,(Z) VII, 10, 1035 a 4 (p. 401, note 5). Par exemple, ce nest pas de la concavit que la chair est une partie (car la chair est la matire dans laquelle la concavit se ralise), cest du camus quelle est une partie (camus : nez concave est le compos, la concavit est la forme.) Thomas n 1472

[906] Propre : primo modo ; ce qui convient une seule espce, mais pas tous les individus de cette espce (mdecin), secundo modo ; propre tous les individus d'une mme espce, mais pas eux seuls (bipdes).

[907] Il s'agit d'analyse.

[908] Parall. :.Ia. qu. 29. a. 2 1 Sent., d23a1.

[909] Le texte est en Ia, qu. 29, a. 2, obj. 1. Graeci naturae rationabilis individuam substantiam hypostaseos nomine vocaverunt..

[910] La substance premire (ex. lhomme individuel). La substance seconde : les espces et les genres. Sil ny a pas de substance premire, il ny pas de substance seconde, puisque cest partir delle que lesprit conoit la substance seconde. Catgories, V, 2 a 11 : La substance premire : Ce qui nest ni affirm dun sujet, ni dans un sujet, par exemple l'homme individuel Mtaphysique, V, lectio 10, n 903 : La substance particulire diffre de la substance universelle en trois points : a) La substance particulire nest pas attribue quelque chose dinfrieur, comme la substance universelle. b) La substance universelle n'existe qu'en raison du particulier qui subsiste par soi.. c) La substance universelle est en de nombreuses choses, mais elle est sparable et distincte de toutes les autres.

[911] Sub-siste, en effet, ce qui par soi-mme pour pouvoir tre na pas besoin daccident. (Boce) La diffrence entre subsistere et substare est chez Boce, Les deux Natures III. Les genres ou les espces "subsistent" uniquement car il n'advient pas d'accident aux genres et aux espces. Les choses individuelles, en revanche, non seulement subsistent, mais sont aussi substances ( substant) elles donnent aux accidents la possibilit d'exister, en mme temps qu'elles ont, bien entendu, un substrat (subjectum) pour eux.

[912] Le caractre commun toute substance, cest de nՐtre pas dans un sujet. (Catgories, 5, 3 a 7).

[913] (1) Toutes ces choses sont appeles substances, parce quelles ne sont pas prdicats dun sujet, mais que, au contraire, les autres choses sont prdicats delles. (2) 17 : Ce sont aussi les parties immanentes de tels tres, parties qui les limitent et marquent leur individualit et dont la destruction serait la destruction de tout. (Trad. J. Tricot)

[914] Catgories, 5, 3 a 7 : Le caractre commun toute substance, cest de nՐtre pas dans un sujet.

[915] Sub-stat : se tient en dessous. Elle en est le substant.

[916] C'est--dire les accidents.

[917] Phaedon ch. 48-49 (voir Ia, qu. 29, a. 2)

[918] Au sens concret.

[919] PARALL. : Ia, qu. 29, a. 1 a. 3, ad 2, 4 IIIa, qu. 2, a. 2 I Sent. D. 25, a. 1. De unione Verbi. a. 1, ( 1 : dfinition de la nature, 2, dfinition de la personne. )

[920] Et la raison pour laquelle des substances sensibles individuelles il ny a ni dfinition, ni dmonstration, cest que ces substances ont une matire dont la nature est de pouvoir et tre et nՐtre pas (p. 434) Thomas 1606-1612) Cf. Anal. Post. I, 8, 75 b 24 : luniversalit de la dfinition ne peut porter que sur des universaux.

[921] Singularitas : le fait dՐtre unique, individualit.

[922] On voit donc que cest de la substance seule quil y a dfinition. (Trad. Tricot, p. 369).

[923] Voir qu. 9, a. 1, note 6.

[924] Car la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour la chose en laquelle elle rside immdiatement, par essence et non pas accident. (Trad. H. Carteron). Cf. De Caelo, I, 2, 268 b 15 : Tous les corps naturels et toutes les grandeurs sont, prtendons-nous, mobiles, de par soi, selon le lieu, nous disons en effet que la nature est le principe de leur mouvement.

[925] d. Marietti ajoute : [sicut ex praemissis patet].

[926] Cf. Ia, qu. 29, a. 1, c. La substance est individue par elle-mme, les accidents le sont pas le sujet..

[927] La connaissance dans les anges ; Voir Pchaire, Intellectus et ratio selon saint Thomas. V.g. p. 71.

[928] Mais en un autre sens, cest le type et la forme, la forme dfinissable.

 

 

[929] Parall. : Ia, qu. 29, a. 3 I Sent. d23a2.

[930] Sub-sistence selon lՎtymologie : qui demeure sous.

[931] Boce, Les deux natures, 3, PL. 64, 1344.

[932] IVe sicle. Denz. 75-76 Symbole et des dfinitions de la foi. Il exprime la foi de lՃglise : trois Personnes en une seule nature.

[933]tymologie classique mais fantaisiste pour nous. Attendu que les essences des tants nous sont foncirement caches ce ne sont pas les essences, mais les accidents des choses qui servent au langage. Peu importe, dit-il, que cette explication des origines soit fausse Ce que ce mot lapis vise par sa signification la pierre en tant que pierre, c'est--dire lessence de pierre va bien au-del de ce quil exprime tymologiquement. Philipp. W. Rosemann, Omne ens est aliquid. Louvain-Paris 1996, p. 148-149.

[934] Pot. 7, 5, obj. 2. Jean Damascne (I, 11) dit qu'en Dieu tout est un, sauf la non-gnration, la gnration et la procession Il s'agit des trois proprits personnelles dans la Trinit. Elle signifie l'origine comme un acte. Cf. Ia, qu. 40, a. 2, c. L'origine et la relation sont les proprits personnelles des Personnes en Dieu.

 

[935] A savoir, la signification du mot "personne" lessence ou la relation ?

[936] Ia, qu. 29, a. 4 I Sent. d23a3 d26q1a1.

[937] Le Pre, le Fils, le saint Esprit sont trois, nous cherchons donc trois quoi ?. (BA p. 530-531). Augustin ne cite pas Jean (d. Jeunes, note 50, p. 183) Ce texte nappartient pas la Vulgate. Il ny apparat quau IXe sicle. Note 57 p. 186. Thomas sest inspir de Pierre Lombard.

[938] Car pour Dieu, tre et tre une personne n'est pas diffrent, c'est absolument la mme chose. (BA).

[939]  "Personne" est un terme absolu ; non un terme relatif au Fils, ou au saint Esprit, comme sont des termes absolus, Dieu, grand, bon, juste (BA p. 540). Augustin dit avant ce texte : de mme que la substance du Pre est le Pre lui-mme, non par ce qui fait le Pre, mais ce qui le fait tre, pareillement la Personne du Pre nest pas autre chose que le Pre lui-mme

[940] Il est difficile de trouver en franais un terme qui convienne aux deux significations.

[941] Ratio namque cuius nomen est signum definitio est, La notionsignifie par le nom est la dfinition.

[942] Donc il rappelle que la relation est une catgorie. En Pot. 8, 2, obj. 1, on trouve les mmes phrases mais inverses : aucune substance nest une relation

[943] C'est--dire la substance et l'accident.

[944] Le relatif et labsolu.

[945] Aristote n 301.Maintenant, lEtre et lun sont identiques et de mme nature, en ce quils sont corrlatifs lun de lautre,

[946] Comprendre le fait dՐtre suppt.

[947]. Parall. : Ia, qu. 30, a. 1 I Sent. D. 2 q. 4 D. 23, a. 4 Compendium C. 50, 55 Quodl. VII, 3, qu. a. 1

[948]. En Ia, qu. 30, a. 3, lobjecteur tire une autre conclusion : Donc, il y na pas plusieurs personnes en Dieu. Mais cest en fait un autre aspect de cet article. Cf. obj. 13.

[949]. Lun et la Pluralit dans les nombres sont donc opposs comme mesure au mesurable, notions qui sont opposes comme les relations qui ne sont pas des relations par soi. Aristote, n 874 (Trad. J. Tricot). Thomas, n 2087.

[950]. Le nombre est une multiplicit mesurable par lUN. Trad. J. Tricot, p. 562. (Aristote, 875)

[951] Thomas I, lectio 2, n 18.

[952]. Aristote 1308, Thomas, 1817.

[953]. Cf. Pot. 9, 4, obj. 1. Le texte nest pas dans saint Jean avant le IXe sicle.

[954]. Denz. 39. ( ?75)

[955]. Trad. p. 94, Th. 177)

[956]. Verbum interius est ipsum interius intellectum. Verbum intellectumid est ad quod operatio intellectus nostri terminatur, quod est ipsum intellectum, quod dicitur conceptio intellectus. (Veritate, qu. 4, a. 1 c.).

[957]. Selon lessence.

[958]. Cf. Ia, qu. 30, a. 1 : En Dieu pour le nombre pris au sens absolu,rien nempche quon y vrifie le tout et la partie ; cela nexiste que dans la considration de notre esprit, car le nombre tel quil est dans les choses dnombres, ne se trouve que dans la pense. Choses dnombres ; dans les cratures un, deux ou trois sont comme la partie au tout, en Dieu cela ne vaut pas. Le Pre est aussi grand que la Trinit.

[959]. Voir Mtaphysique, Thomas n 545.

[960]. Sur Sabellius voir note Pot. 1, 1, sol. 1 ; (cf. Pot. 8, 1 & 2 et 9, ? ? ? c)

[961]. On ne peut trouver facilement, en effet, un nom qui convienne pareille excellenceAinsi le Pre et le Fils et le Saint Esprit sont-ils Dieu ainsi que chacun sparement (Trad. J.-Y. Boriaux) Comment en effet traduire res

[962]. Il y a trois personnes dans la Trinit, le Fils, diffrent du Pre, et lEsprit saint. En 9, 9, on retrouve deux expressions semblables ; duae relationes, scilicet a quo alius et qui ab alio.

.[963] Parall. : Ia, qu. 30, a. 4 I Sent. d25a3.

[964] Ladjectif reprsente un accident dans un suppt. Ce sont les suppts eux-mmes et non les accidents qui apportent le nombre. Pour plus dexplication, voir Ia, 39, 5, ad 5m

[965] Parall. : Ia, qu. 30, a. 3 I Sent. d24a3 Qdl, X, qu. 1, a. 1. Son nonc met en discussion lopinion du Lombard qui a recours la voie ngative. un et trois, propos de Dieu, ny disent rien de positif, mais en nient quelque limite d. des Jeunes, p. 189, Cf. I Sent., d24q1.

[966] Sabellius Cf. Pot. 1, 1, note, et 8, 1 et 8, 2.

[967] Les transcendantaux.

[968] Cf. Mtaphysique, V, 6, 1016 b 26 ss..

[969] Thomas dit cela de manire plus abstraite dans le de veritate, qu. 1, a. 1, c : De mme que dans ce quon dmontre il faut en revenir des principes connus par soi par lesprit (donc vident), de mme en cherchant ce que cest, autrement dans les deux cas on irait linfini et ainsi prirait toute connaissance.

[970] Et parce que le nombre est compos dunits (Pythagore et Platon) ont cru que les nombres seraient la substance de toutes choses (Ia, qu. 11, a. 1, ad 1. Il y a chez eux confusion entre lunit transcendantale et lunit prdicamentale qui est lunit dune chose quantifie, considre comme indivisible et reue comme mesure de quantit.

[971] Avicenne, Mtaphysique, Trad. III, c. 2, 3 (p. 160 ss)

[972] de sorte que la pluralit est logiquement antrieure lindivisible, en raison des conditions de perception. (Trad. J. Tricot)

[973] Parall. : Ia, qu. 31, a. 3 I Sent. D. 9, qu. 1 D. 19, qu. 1, a. 1, ad 2 D. 24, qu. 2, a. 1.

[974] Pour deux tres qui sont autres, il nest pas ncessaire que laltrit porte sur quelque chose de dfini ; car tout ce qui existant est autre ou le mme ; par contre ce qui est diffrent doit diffrer dune chose dtermine par quelque endroit dtermin, de sorte quil faut ncessairement quil y ait un lment identique par quoi les choses diffrent. (Autre correspond ici divers)Thomas, lectio 4, n 2017 : car deux [choses] dont lune est diverse de lautre, il nest pas ncessaire quelle le soit par quelque chose (per aliquid). 2018 : Mais ce qui est diffrent doit tre diffrent par quelque chose. Cest pourquoi il est ncessaire que ce par quoi ils diffrent, soit quelque chose de semblable (idem) en ce qui ne diffrent pas ainsi. Ce qui est le mme en plusieurs cest le genre ou lespce. Donc tout ce qui est diffrent diffre en genre ou en espce.

[975] Cf. I sent. d4q1a2.

[976] Parall. :Ia, qu. 30, a. 2. Qu. 31, a. 1 I sent. d24qu2a2 CG. IV, 26 II Sent. d10a.5 d33a.2, ad 1 Compend. 56, 60.

[977] En effet, entre le possible et lՐtre, il ny a aucune diffrence, dans les choses ternelles. p. 97.

[978] Il sagit dune conception intellectuelle, comme celle du verbe.

[979] PL. 40, 736. Voir note qu. 2, a. 3, obj. 15.

[980] 1 693 B :l'tre mme du bien, en tant que Bien essentiel, tend sa bont tout tre. (Trad. M. de Gandillac).

[981] Iucunda possessio. Cf. qu. 2, a. 4, obj. 12.

[982] Synodes, 58, PL. 10, 520 C. Canon 24 profession de foi de Sirmium.

[983] Cf. Pot. 9, 5, ad 23.

[984] Sur l'authenticit de ce texte, le 13 janvier 1897, le saint office a rpondu non. Voir Denz 3681, 3682. Rponse du st office 2 juin 1927. Ils inclinent vers une conception oppose l'authenticit. L'expression trois personnes ou trois hypostases dvint authentique la fin de la crise arienne. Concile d'Antioche, 362, Rome (382, Tomus Damasi) et Constantinople 382. (Denz 78, Symbole>172

[985] Sed contra qui est explicitement le principe dionysien de la diffusion du bien. (Vanier, p. 46).

[986] Sur Arius, voir qu. 2, a. 4.

[987] vque de Constantinople, 342-346, semi arien, considr comme hrsiarque aprs sa mort. Les Macdoniens sont des hrtiques opposs l'Esprit saint. Premier concile de Constantinople, (mai 30 juillet 381)contre les ariens contre les Macdoniens. Anathme concile de Rome 381 (Tomus Damasi).

[988] Doctrine monarchienne, d'abord enseigne par Nol (Smyrne entre 180 et 200). Sa doctrine : un seul Dieu : le Pre. C'est lui qui tait n, qui avait souffert et tait mort. Condamn vers 200. Ensuite Praxas rfut par Tertullien.. Sabellius (lybien ?) vient Rome peut avant 217. La doctrine se propagea aprs sa condamnation en Asie Mineure sous la forme du modalisme. Dieu s'exprime par des modes diffrents (piphane, Haeres. LXII, PG. 41, 1052) Dieu, monade simple et indivisible est une personne unique. On le nomme Pre, Fils mais en tant qu'il le monde il prend le nom de Vereb Les trois tats successifs de la monade ne constituent pas trois personnes distinctes ; ils sont seulement trois aspects, trois virtualits, trois modalits er comme trois noms d'un mme tre. (Sabellius, CG. IV, 5 rfut 259-268 Lettre Denys.

[989] PL. 10, 521 A. canon 28. Denz 140.

[990] Aliquis est, Aliquid est un des transcendantaux par lequel lՐtre saffirme comme quelque chose par rapport ce qui lentoure. Cf. Gardeil, Mtaphysique, p. 73, 2.

[991] C'est--dire selon lessence.

[992] Monologium, 61.

[993] Il sagit des ides.

[994] Parall. : Ia, q. 27, 1 1 Sent. D., q. 13, a. 1 C.G. IV, 11.

[995] Ce qui se trouve premier (princeps : primum caput).

[996] Symbole Quicumque, dit dAthanase. Denz. 75 (25-26). 25. Dans la Trinit, rien n'est antrieur ou postrieur, rien n'est plus grand ou moins grand. (Symbole et dfinitions).

[997] B.J. .cest de Dieu que je suis sorti et que je viens.

[998] Le continu est ce dont les extrmits sont une seule chose Il est impossible quun continu soit form dindivisible (Physique, VI, 1, 231 a 20) Le continu en tant que tel est divisible linfini Ia, qu. 3, a. 1, c. Le sens de continu comme proche de matire.

[999] Or la distance des extrmes, et, par consquent aussi des contraires, est la distance maxima (Trad. J. Tricot, p. 546).

[1000] Le mot procession en tant que mouvement a pris un sens restreint en notre langue.

[1001] P. Vanier, Thologie trinitaire chez st Thomas dAquin. volution du concept daction naturelle, p. 46 : On a cru voir dans ce texte le thme de tout le De Potentia p. 46. Il fait allusion Bouyges.

[1002] Opration ad intra corporelle (sens) et spirituelle (intelligence et volont).

[1003] Il ny a pas de mouvement hors des choses ; en effet, ce qui change, change toujours substantiellement, ou quantitativement, ou localement il ny aura ni mouvement ni changement en dehors des choses quon vient de dire, puisquil ny a rien hors de ces choses. (Physique III, 1, 200 b 30- 201 a 2).

[1004] Larticle 11 de la qu. 13, dans la Somme Thologique, est consacr ce sujet. La formule est la plus propre pour Dieu, a) parce quelle signifie lesse. b) cause de son universalit. Les autres noms ont moins dextension. c) Elle signifie lՐtre dans le prsent. Cf. I Sent,. d. 8, q. 1, a. 1. Q de pot. qu. 2, a. 1, qu. 7, a. 5 Les Noms divins, c. 5, lectio 1.

[1005] Contra errores Graecorum, c 1, ch. 2.

[1006] La communication qui se fait ainsi du Pre aux autres personnes est perue comme une diffusion. P. Vanier, ibidem, p. 46.

[1007] Qui nexiste pas en Dieu.

[1008] Parall. : Ia, 27, a. 3 - I Sent., d. 13, a. 2 C.G. IV, 19  Contra errores Graecorum , c.3

[1009] Thomas, lectio 10, n 2126.

[1010] La Paternit, la filiation, la procession. Cf. a. 5, ad 12.

[1011] Cf. Mme citation, Pot. qu. 2, a. 3, obj. 7. On y trouvera le texte dAugustin .

[1012] Argument dAvicenne, et de divers auteurs.

[1013] Lui, de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qui l'galait Dieu. BJ.

[1014] Les arguments 24, 25, 26 sont considrs comme un premier sed contra.dans lՎdition Marietti.

[1015] Ici encore les sed contra sont des objections dordre diffrent des premires, ils ne reprsentent pas la rponse au problme.

[1016] Le terme, cest le but atteint. Du Pre, principe procde le Fils en tant que terme. Plus loin il dit que le terme de la procession, cest la possession, c'est--dire ce que la personne reoit en procdant.

[1017] C'est--dire les moyens pour y parvenir. Cest l quil commet des erreurs..

[1018]  Par mode de nature ou par mode de volont.

[1019] Ce qui procde par mode desprit , comme verbe procde avec une certaine ressemblance, comme qui ce qui procde par mode de nature, mais lamour en tant que tel ne procde pas avec une ressemblance (bien quen Dieu lamour soit coessentiel en tant que divin) et cest pourquoi on nappelle pas cette procession une gnration. (Ia, qu. 30, a. 2, ad 2).

[1020] Parall. : Ia, q. 42, a. 3, I Sent., d. 12, a. 1 d. 20, a. 3 Contra errores Graecorum, P. II, c. 31.

[1021] Voir a. 1, arg. 3 et ad 3.

[1022] Thomas 1001-1002. Tricot p. 294.

[1023] Celui qui procde vient dun autre.

[1024]  Car absolument rien ne sengendre de lui-mme .

[1025] Parall. : Ia, q. 36, a. 2 C.G. IV, 24, 26 I Sent., d. 11, a. 1 Opusc. Contra errores Graecorum P. II, c. 27-32 Comp. C. 49 Opusc. Contra Graeco s c. 4, In Ioan. ch. 15, lectio 6, ch. 16, lectio 4.

[1026] En I sent., d. 11, q. 1, a. 1, arg. 1, Thomas rapporte une plus grande partie du texte de Denys avec quelques variantes.

[1027] Thomas a dj soulev le problme en q. 2, a. 4.

[1028] B. J. qui soutient lunivers par sa parole puissante.

[1029] Thomas lectio 1. Cf. Ia, qu. 36, a. 2, obj. 1.

[1030] En 431. Denz. 125.

[1031]En 451. Le concile dՃphse, puis celui de Chalcdoine interdisent, sous peine de dposition et dexcommunication dajouter au symbole de Nice. Le Filioque fut ajout au symbole au VIe sicle en Espagne. Il ne fut adopt par la liturgie romaine quau XIe sicle.

[1032] Premier concile 381. Denz. 86.

[1033] Gnitif de possession.

[1034] Lgende de saint Andr, PG. 2, 1257 A. Il salue ceux qui croient en un seul Esprit saint qui procde du Pre, et qui demeure dans le Fils. Cit I Sent., d. 11, a. 1, arg. 2.

[1035] Denz 39/

[1036] Comprendre lEsprit saint est de Jsus, homme. Cest Jsus qui possde. Mais il napporte lEsprit en tant que tel qu'en tant que Fils.

[1037] BJ. Un esprit de fils adoptif.

[1038] 2 Co 1, 21-22 B.J. : Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donn lonction, cest Dieu lui qui nous a aussi marqu du sceau et a mis dans nos curs les arrhes de lEsprit. (TOB id.)

[1039] Une seule unit (mme essence), et un parmi trois (personnes).

[1040] Agathon pape de 678-681. 6e concile cumnique (680) Constantinople, contre le monothlitisme.

[1041] Lon le Grand, 440-461. Concile (451) contre Eutychs.

[1042] Or le principe ne peut sattribuer aucun sujet ; car il y aurait principe de principe. (Trad. H. Carteron). Thomas, lectio 11, 91 : comme le sujet est le principe de laccident qui lui est attribu, et quil est naturellement avant lui, il en dcoulerait que si le premier principe tait laccident attribu au sujet, il serait le principe de principe et que quelque chose serait avant ce qui est premier.

[1043] Nestorius (vers 380, vers 451), condamn en 431 au Concile dՃphse.

[1044] Lopinion du Damascne (La foi orthodoxe, I, 8) est rapporte dans Ia, qu. 36, a. 2, obj. 3. Nous disons que lEsprit saint est du Pre (ex) et nous lappelons lEsprit du Pre, nous ne disons pas que lEsprit est du Fils (ex) mais nous lappelons lEsprit du Fils (gnitif).

[1045] Parall. : Ia, q. 36, a. 2 et 4, C.G. IV, 25 I Sent., d. 11, q. 2, a. 4 d. 29, a. 4.

[1046] Allusion aux Portains.

[1047] La foi orthodoxe, I, 12 Damascne fut fidle aux formules des Pres grecs. Voir article prcdant.

[1048]  Cf. Pot. 8, 1 : Tout ce qui est attribu selon labsolu en Dieu signifie lessence.

[1049] Thomas, lectio 3, n 1722.

[1050] Proprit : paternit, filiation, processions

  relations : paternit, filiation, processions, spiration

  Notions :      paternit, filiation, processions, inascibilit.