THOMAS D’AQUIN
QUESTIONS QUODLIBÉTIQUES
Traduction
par
© Jacques Ménard[1],
2006
Traduction revue et corrigée par Dominique Pillet
Deuxième
édition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin, mars 2009
La présente traduction a été effectuée à partir
de l’édition critique de THOMAS D’AQUIN, Opera omnia, tome XXV,
réalisée par
L’ordre et la numérotation proposés par l’édition
critique ont été respectés. Toutefois, les explications (ad 1, ad 2, etc.) qui, dans chaque article, suivent la réponse
proprement dite et correspondent aux divers arguments qui précèdent celle-ci,
ont été indiquées par les numéros correspondant à ces arguments.
Les citations
bibliques sont données en italiques. Les autres citations (Augustin, Jean
Chrysostome, Aristote, Avicenne, Pierre Lombard, etc.) sont mises entre
guillemets. Pour les fins de la présente traduction, seules les références des
citations bibliques sont indiquées dans le texte. On trouvera les références
détaillées des autres citations dans les notes de l’édition critique.
La traduction
des citations bibliques se tient naturellement aussi près que possible de la
version latine de
Comme on le
sait, au XIIIe siècle, seule la numérotation des chapitres était
utilisée pour les références bibliques. Pour la commodité du lecteur, nous
avons cependant indiqué dans le texte même le chapitre et le verset des
références bibliques, chaque fois que cela était possible. Les abréviations des
livres et la numérotation des citations bibliques sont celles de
* * *
Le vocabulaire
de l’être occupe une place centrale dans la pensée philosophique et théologique
de Thomas d’Aquin. D’une grande variété (esse, ens, esse in actu, esse in
potentia, actus essendi, quod est, quo est, esse subsistens, esse per se, esse
per accidens, etc.), il cherche à cerner les diverses facettes révélées par
l’analyse de la réalité. On trouvera plus loin (Qdl. IX, q. 2,
a. 2 [3] et Qdl. XII,
q. 5, a. 1) un bon exposé sur divers sens du mot «être».
Par contre, le
vocabulaire français de l’être est moins diversifié, à moins de s’abandonner à
des périphrases ou à des néologismes plus ou moins reconnus. Pour autant, selon
les contextes, il peut être difficile de rendre toutes les nuances du vocabulaire
thomasien de l’être.
Nous attirons
en particulier l’attention sur le point suivant. À de nombreuses reprises,
Thomas d’Aquin insiste sur le fait que l’esse est un acte, comparable
pour ainsi dire à une action (un exemple : Esse... quo [angelus]
subsistit, quo scilicet actu essendi dicitur esse, sicut actu currendi dicimur
currere : Qdl. 9, q. 4, a. 1 [6]). Lorsque le
contexte indique clairement que l’auteur parle de cet «acte d’être», pour en
marquer le caractère d’acte, d’action, d’«actualité» (actualitas : Qdl. 2,
q. 1, a. 1 [3], ad 2 ; voir aussi Qdl. XII, q. 5, a. 1), comme Thomas d’Aquin le dit
lui-même, nous avons traduit esse par «exister» ou «acte d’être». Ainsi
traduirons-nous de la manière suivante l’exemple donné plus haut en
latin : «L’être... par lequel [l’ange] subsiste, à savoir, par lequel on
dit qu’il est par l’acte d’être, comme on dit que nous courons par l’acte de courir.»
* * *
La présente traduction des Questions quodlibétiques
a été réalisée par Jacques Ménard, à l’automne 2005, pour le projet Docteur
Angélique, http://docteurangélique.free.fr
Arnaud Dumouch, agrégé en
théologie, en a dirigé le projet.
Madame Dominique Pillet,
professeur de latin, a relu et corrigé l’ensemble, et réalisé les Index.
Le Professeur Maxime Allard op, de
l’université d’Ottawa a rédigé la présentation.
Préface par le père Maxime Allard op, 2009
De dispute et de soumission plaisante
Pistes et fils pour guider la lecture
Troisième fil : logiques du montage des questions
Quatrième fil : du « monde » à reconstituer
à partir des questions
Ultime fil : le plaisir de lire
QUESTIONS DISPUTÉES Paris, 1269-1272 : (Quodlibets
1, 2, 3, 6 et 4, 5, 12)
QUODLIBET 1 : [Sur Dieu, l’ange et l’homme]
<Question 2> [Sur la nature humaine assumée]
<Article 2 [3]> Le Christ est-il mort sur la
croix ?
<Article 2 [5]> Un ange peut-il être mû d’un
extrême à un autre sans intermédiaire ?
<Article 2 [7]> L’homme peut-il se préparer à la
grâce sans la grâce ?
<Question 5> [Sur la contrition]
<Article 1 [9]> Celui qui est contrit doit-il
vouloir plutôt être en enfer que pécher ?
<Question 6> [Sur la confession]
<Article 1 [10]> Suffit-il de se confesser par
écrit ou faut-il se confesser oralement ?
<Article 2 [11] > Il semble qu’on puisse reporter
la confession jusqu’au carême.
<Question 7> [Sur ce qui concerne les clercs]
<Question 8> [Sur ce qui concerne les religieux]
<Question 9> [À propos de la faute]
<Article 1 [17]> Le péché est-il une certaine
nature ?
<Article 2 [18]> Le parjure est-il un péché plus grave
que l’homicide ?
<Article 3 [19]> Celui qui n’observe pas une
constitution du pape par ignorance pèche-t-il ?
<Article 4 [20]> Un moine pèche-t-il mortellement
en mangeant de la viande ?
<Question 10> [Sur l’homme, à propos de la gloire]
QUODLIBET 2 : [Sur le Christ, les anges et les
hommes]
<Article 1 [1]> Le Christ était-il le même homme en
nombre pendant les trois jours de sa mort ?
<Article 1 [3]> L’ange est-il composé
substantiellement d’essence et d’acte d’être ?
<Article 2 [4]> Le suppôt est-il différent de la
nature chez l’ange ?
<Question 3> [Sur le temps du mouvement]
<Question 4> [Sur l’homme, à propos des vertus]
<Article 1 [6]> Serait-on obligé de croire au
Christ qui ne ferait pas de miracles visibles ?
<Article 2 [7]> Les enfants des Juifs doivent-ils
être baptisés malgré leurs parents ?
<Article 3 [8]> Peut-on être exempté d’acquitter la
dîme en raison d’une coutume ?
<Question 5> [Sur des réalités humaines]
<Article 2 [10]> Un vendeur est-il obligé de révéler
à l’acheteur un vice de la chose vendue ?
<Question 6> [Sur l’homme, à propos des péchés]
<Article 1 [11]> Est-ce un péché de désirer la
fonction de supérieur ?
<Article 2 [12]> Est-ce un péché pour un
prédicateur d’avoir l’œil sur une chose temporelle ?
<Question 7> [Sur l’homme, à propos des peines]
<Article 1 [13]> L’âme séparée peut-elle souffrir
du feu corporel ?
<Question 8> [Sur la rémission des peines]
<Article 1 [15]> Le péché contre l’Esprit Saint
est-il irrémissible ?
<Article 1 [1]> Dieu peut-il faire que la matière
existe sans forme ?
<Article 2 [2]> Dieu peut-il faire que le même
corps soit localement en même temps dans deux lieux ?
<Question 2> [Sur la nature assumée]
<Article 1 [3]> L’âme du Christ connaît-elle les
réalités infinies ?
<Article 2 [4]> Parle-t-on de manière équivoque ou
univoque de l’œil du Christ après sa mort ?
<Article 1 [6]> L’ange est-il de quelque façon
cause de l’âme raisonnable ?
<Article 2 [7]> L’ange peut-il influer sur l’âme
humaine ?
<Question 4> [Sur les docteurs]
<Article 1 [9]> Peut-on demander pour soi-même la
licence d’enseignement de la théologie ?
<Question 5> [Sur les religieux]
<Article 3 [13]> Est-il permis d’inciter des
pécheurs à entrer en religion ?
<Article 4 [14]> Ceux qui font jurer à quelqu’un de
ne pas entrer en religion pèchent-ils ?
<Question 6> [Sur ce qui convient à ceux qui sont
déjà dans l’état religieux]
<Question 7> [Sur ce qui se rapporte aux laïcs]
<Question 8> [Sur ce qui concerne tous les hommes]
<Article unique [20]> L’âme est-elle composée de
matière et de forme ?
<Question 9> [Sur la connaissance par l’âme]
<Article 1 [21]> L’âme séparée du corps
connaît-elle une autre âme séparée ?
<Article 2 [22]>
Est-il permis de demander à un mourant de révéler son état après la mort ?
<Article 1 [23]> L’âme peut-elle souffrir du feu
corporel ?
<Question 12> [Sur l’acte de l’homme]
<Article 1 [26]> La conscience peut-elle faire
erreur ?
<Article 2 [27]> La conscience erronée
oblige-t-elle ?
<Question 13> [Sur la pénitence]
<Question 14> [Sur la créature purement corporelle]
<Article 1 [30]> L’arc-en-ciel est-il le signe
qu’il n’y aura plus de déluge ?
<Article 2 [31]> Peut-on démontrer de manière
démonstrative que le monde n’est pas éternel ?
QUODLIBET 6 : [Sur Dieu, l’ange, l’homme et sur les
créatures purement corporelles]
<Article unique [1]> L’unité d’essence fait-elle
nombre avec l’unité de personne ?_
<Article 1 [2]> Tout ce que les anges font, le
font-ils par le commandement de leur volonté ?
<Question 5> [Sur certains choses qui concernent la
religion ou la latrie]
<Article 1 [7]> Est-il permis de célébrer la fête
de la conception de Notre Dame ?_
<Article 3 [9]> Un évêque est-il obligé de donner
un bénéfice au meilleur ?
<Article 4 [10]> Un pauvre est-il obligé de donner
la dîme à un prêtre riche ?
<Question 6> [Sur l’obéissance]
<Question 7> [Sur l’aumône des clercs]
<Article unique [12]> Les clercs pèchent-ils
mortellement s’ils ne distribuent pas leur superflu ?
<Question 8> [Sur les aumônes qui sont faites pour
les morts]
<Article 1 [15]> Celui qui a été baptisé
transmet-il le péché originel à sa descendance ?
<Article 3 [17]> Est-ce un plus grand péché de
mentir en paroles que de mentir en actes ?
<Question 10> [Sur les réalités corporelles]
<Article unique [18]> Peut-on en même temps,
naturellement ou miraculeusement, être vierge et père ?
<Question 11> [Sur les créatures purement
corporelles]
<Article unique [19]> Le ciel empyrée exerce-t-il une influence sur
les autres corps ?
QUODLIBET 4 : [Sur les réalités divines et humaines]
<Question 1> [Sur les réalités divines]
<Article unique [1]> À propos de la science [de
Dieu] : y a-t-il plusieurs idées en Dieu ?
<Question 2> [Sur la puissance de Dieu]
<Article 1 [2]> La vertu existe-t-elle en
Dieu ?
<Article 2 [3]> Existe-t-il des eaux au-dessus des
cieux ?
<Question 3> [Jusqu’où la puissance divine
peut-elle s’étendre ?]
<Article 1 [4]> Dieu peut-il ramener quelque chose
au néant ?
<Question 4> [Sur les propriétés personnelles qui
se rapportent à la personne du Fils]
<Article 1 [6]> Le Père se dit-il ainsi que la
créature par un même Verbe ?
<Article 2 [7]> Le Fils se distingue-t-il du
Saint-Esprit par sa filiation ?
<Question 5> [À propos de la nature assumée]
<Article unique [9]> Dieu crée-t-il toujours une
nouvelle grâce ?
<Question 7> [Sur les sacrements de la grâce]
<Article 1 [10]> La faute est-elle remise par
l’absolution du prêtre ?
<Question 8> [Sur les actes humains qui concernent
les prélats]
<Article 2 [13]> Le pape peut-il dispenser de la
bigamie ?
<Question 9> [À propos de la puissance
intellective]
<Article 1 [16]> Un homme peut-il sans péché
désirer connaître les sciences magiques ?
<Article 2 [17]> Un énoncé qui est vrai une fois
est-il toujours vrai ?
<Question 10> [Sur les bons, à propos du martyre]
<Article 1 [19]> Peut-on s’offrir au martyre sans
une charité parfaite ?
<Article 2 [20]> Souffrir le martyre pour le Christ
est-il l’objet d’un commandement ?
<Question 11> [Sur les mauvais : à propos des
premiers mouvements]
<Article 1 [21]> Les premiers mouvements sont-ils
toujours des péchés ?
<Article 2 [22]> Les premiers mouvements sont-ils
des péchés mortels chez les infidèles ?
<Question 12> [Sur les commandements]
<Article 2 [24]> Les conseils sont-ils ordonnés aux
commandements ?
QUODLIBET 5 : [Sur Dieu, les anges et les hommes]
<Question 1> [Sur la science de Dieu]
<Article 1 [1]> Dieu connaît-il le premier instant
où il pouvait créer le monde ?
<Article 2 [2]> Ceux qui sont connus d’avance par
Dieu peuvent-ils démériter ?
<Question 2> [Sur la puissance de Dieu]
<Article 1 [3]> Dieu peut-il restaurer une vierge
corrompue ?
<Article 2 [4]> Dieu peut-il pécher s’il le
veut ?
<Question 3> [Sur la nature assumée]
Une seule question a été posée sur les anges :
Lucifer est-il soumis à l’aevum ?_
<Article 1 [7]> À propos des anges, Lucifer est-il
sujet à l’ævum?
<Article 2 [9]> Le verbe du cœur est-il une espèce
intelligible ?
<Article 3 [10]> Ce qui est fait par crainte est-il
volontaire ?
<Question 6> [Sur le sacrement de l’eucharistie]
<Article 1 [11]> La forme du pain dans
l’eucharistie est-elle annihilée ?
<Question 7> [Sur le sacrement de pénitence]
<Question 8> [Sur le sacrement de mariage]
<Question 9> [Sur ce qui se rapporte aux vertus]
<Article 2 [18]> Un homme peut-il pécher en jeûnant
ou en veillant trop ?
<Question 10> [Sur ce qui se rapporte aux
préceptes]
<Article 1 [19]> Les commandements prennent-ils le
pas sur les conseils selon un ordre naturel ?
<Question 11> [Sur les prélats]
<Question 12> [Sur les docteurs]
<Question 13> [Pour les religieux]
<Article 1 [26]> Les religieux doivent-ils
supporter patiemmenet les injures qu’on leur fait ?
<Article 2 [27]> Celui qui jure de ne pas entrer en
religion peut-il licitement y entrer ?
<Question 14> [À propos des clercs]
QUODLIBET 12 : [Sur les réalités qui dépassent
l’homme, et sur les réalités humaines]
<Question 1> [Sur Dieu : à propos de son être]
<Question 2> [Sur Dieu : à propos de sa
puissance]
<Article 1 [2]> Dieu peut-il faire exister
simultanément des choses contradictoires ?
<Article 2 [3]> Dieu peut-il faire des choses
infinies en acte ?
<Question 3> [Sur Dieu, à propos de la
prédestination]
<Article 1 [4]> À propos de la
prédestination : la prédestination est-elle certaine ?
<Question 4> [À propos du destin]
<Article 2 [5]> À propos du destin : tout
est-il soumis au destin ?
<Question 5> [À propos des anges]
<Article 1 [6]> L’être de l’ange est-il chez lui un
accident ?
<Article 2 [7]> Le Diable connaît-il les pensées
des hommes ?
<Question 6> [À propos du ciel]
<Article 1 [8]> Le ciel ou le monde est-il
éternel ?
<Article 2 [9]> Le ciel est-il animé ?
<Question 7> [Sur l’homme, à propos de son âme]
<Article 2 [11]> L’âme vient-elle par
transmission ?
<Question 8> [Sur la connaissance de l’homme]
<Article unique [12]> L’intellect humain connaît-il
les choses singulières ?
<Question 9> [Sur l’effet de la connaissance]
<Article 1 [13]> Les habitus de la science acquise
demeurent-ils après cette vie ?
<Question 10> [Sur le baptême]
<Question 11> [Sur la pénitence]
<Article 1 [16]> Celui qui n’a pas charge d’âmes
peut-il absoudre au for de la confession ?
<Article 2 [17]> Est-il permis de révéler une
confession dans un cas particulier ?
<Article 3 [18]> Est-il permis de désirer
l’épiscopat ?
<Question 12> [Sur l’effet des sacrements]
<Question 13> [À propos de l’unité de l’Église]
<Article 1 [21]> La vérité est-elle plus forte que
le vin, le roi et la femme ?
<Question 15> [Sur les vertus en elles-mêmes].
<Article unique [23]> Les vertus morales sont-elles
connexes ?
<Question 16> [Sur la restitution]
<Article 2 [25]> Celui qui, par mauvaise foi,
dépasse l’échéance prévue est-il tenu à restitution ?
<Article 3 [26]> Celui qui a consommé le bien
d’autrui est-il tenu à restitution ?
<Question 17> [Sur la fonction des interprètes de
la Sainte Écriture]
<Article unique [27]> Tout ce que les saints
docteurs ont dit venait-il de l’Esprit Saint ?
<Question 18> [Sur la fonction des prédicateurs]
<Article 2 [29]> Celui à qui un dirigeant séculier
l’interdit doit-il abandonner la prédication ?
<Article 3 [30]> Est-il permis à des prédicateurs
de recevoir des aumônes de la part d’usuriers ?
<Question 19> [Sur la fonction des confesseurs]
<Question 20> [Sur la fonction des vicaires]
<Article unique [32]> Un vicaire de quelqu’un
peut-il se faire remplacer par un autre ?
<Question 21> [Sur le péché originel]
<Question 22> [Sur le péché en pensée]
<Article 1 [34]> Le consentement au plaisir est-il
un péché mortel ?
<Article 2 [35]> Le soupçon est-il un péché
mortel ?
<Question 23> [Sur le péché par action]
<Article 1 [36]> Est-il permis de recourir au sort,
surtout à l’ouverture de livres [au hasard] ?
<Article 3 [38]> À propos de la perplexité :
peut-on être perplexe ?
<Question 24> [Sur les peines]
<I> <Anonyme> <Question sur la
pénitence>
Peut-on se repentir d’un péché sans se repentir des
autres ?
<II> <Anonyme> <Sur l’univers>
<Article 1 [1]> Il semble que le monde soit
éternel.
<Article 2 [2]> La fin du monde est-elle connue ?
<Article 3 [5]> Les démons sont-ils toujours punis
par la peine du feu ?
<Article 1 [6]> On montre que l’âme n’est pas unie
au corps de manière immédiate.
<Article 2 [7]> L’âme a-t-elle une inclination au
corps ?
Articles ajoutés dans le codex F <après la Question
10, art. 2 [17]>
<Article 18> Celui qui choisit doit-il toujours
choisir le meilleur pour une fonction de prélat ?
<Article 2 [48] (= q. 22, art.2 [37] de la recension
commune, ci-dessus)
Celui qui ne donne pas son superflu à cause de Dieu
pèche-t-il ?
<Article 3 [49]> (= q. 22, art. 3 [38] de la
recension commune, ci-dessus)
Peut-on être perplexe par rapport à une action ?
QUESTIONS DISPUTÉES, Paris, 1256-1259 : (Quodlibets
7, 8, 9, 10, 11)
<Question 1> [Les substances spirituelles :
sur leur connaissance]
<Article 1 [1]> Un intellect créé peut-il voir Dieu
de manière immédaite ?
<Article 2 [2]> Un intellect créé peut-il
intelliger plusieurs choses simultanément ?
<Article 3 [3]> L’intellect angélique peut-il
intelliger les choses singulières ?
<Question 2> [Sur la jouissance de l’âme du Christ
dans la passion]
<Article unique [5]> Cette jouissance
atteignait-elle l’essence de l’âme ?
<Question 3> [Sur les substances
spirituelles : leur pluralité]
<Article 1 [6]> L’immensité divine exclut-elle la
pluralité des personnes ?
<Article 2 [7]> La simplicité angélique
souffre-t-elle la composition de sujet et d’accident ?
<Question 4> [Sur le sacrement de l’autel]
<Article 1 [8]> Le corps du Christ est-il contenu
en entier sous les espèces du pain ?
<Article 2 [9]> Le pain et le corps du Christ
existent-ils au même instant sous ces espèces ?
<Question 5> [À propos des corps des damnés]
<Article 1 [11]> Les corps des damnés sont-ils
incorruptibles ?
<Article 2 [12]> Les corps des damnés
ressusciteront-ils avec leurs difformités ?
<Question 6> [Sur les sens de la Sainte Écriture]
<Article 2 [15]> Doit-on distinguer quatre sens de
la Sainte Écriture ?
<Article 3 [16]> Ces sens se trouvent-ils dans les
autres écritures ?
<Question 7> [Sur le travail manuel]
<Article 1 [17]> Travailler de ses mains
relève-t-il d’un commandement ?
<Question 1> [Sur ce qui se rapporte à la nature
incréée]
<Question 2> [Sur l’âme humaine]
<Question 3> [Sur le corps humain]
<Article 1 [5]> La nourriture est-elle convertie en
la vérité de la nature humaine ?_
<Question 4> [Sur les prélats]
<Article 2 [7]> Les mauvais prélats doivent-ils
être honorés ?
<Question 5> [À propos de tous]
<Article 1 [8]> La prière faite pour un autre
vaut-elle autant que celle qui est faite pour soi ?
<Article 3 [10]> Le vœu simple de continence
dirime-t-il le mariage contracté ?
<Question 6> [Sur ce qui a rapport à la faute]
<Article 4 [14]> Le mensonge est-il toujours un
péché ?
<Article 5 [15]> Pèche-t-on autant qu’on en a l’intention ?
<Question 7> [Sur ce qui concerne la peine et la
gloire]
<Article 1 [16]> Les damnés voient-ils la gloire des
saints après le jour du jugement ?
<Article 2 [17]> Les damnés veulent-ils que leurs
proches soient damnés ?
<Question 8> [Sur la peine corporelle des damnés]
<Question 9> [Sur la gloire des saints]
QUODLIBET 9 : [Sur le Christ tête et ses membres]
<Article unique [1]> Dieu peut-il faire que des
choses infinies existent en acte ?
<Question 2> [Sur l’union de la nature humaine à la
nature divine]
<Article 1 [2]> Dans le Christ, n’existe-t-il
qu’une seule hypostase ?
<Article 2 [3]> Dans le Christ, n’existe-t-il qu’un
seul être ?
<Article 3 [4]> Existe-t-il une seule filiation
dans le Christ ?
<Article unique [5]> Les accidents subsistent-ils
sans sujet dans le sacrement de l’autel ?
<Article 1 [6]> Les anges sont-ils composés de
matière et de forme ?
<Article 4 [9]> Les anges se meuvent-ils dans l’instant ?
<Question 5> [Sur les hommes : à propos de la
nature]
<Article 1 [11]> L’âme végétative et l’âme sensible
existent-elles par création ?
<Article 2 [12]> Commander est-il un acte de la
raison ?
<Question 6> [À propos de la grâce]
<Article unique [13]> La charité est-elle augmentée
selon son essence ?
<Question 7> [À propos de la faute]
<Article 1 [14]> Pierre, en reniant le Christ,
a-t-il péché mortellement ?
<Question 8> [À propos de la gloire]
QUODLIBET 10 : [Sur Dieu, l’ange et l’âme]
<Article 2 [2]> Le Christ descendra-t-il sur terre
pour le jugement ?
<Question 2> [À propos de l’ange]
<Article unique [4]> La durée chez l’ange a-t-elle
un avant et un après?
<Question 3> [À propos de l’âme]
<Article 1 [5]> L’âme est-elle ses
puissances ?
<Article 2 [6]> L’âme raisonnable est-elle
corruptible selon sa substance ?_
<Question 4> [Ensuite, on s’interroge sur
l’opération de l’âme]
<Article 1 [7]> L’âme connait-elle tout ce qu’elle
connaît dans la Vérité première ?_
<Article 2 [8]> L’âme séparée du corps possède-t-elle
les actes des puissances
sensitives ?
<Question 6> [Sur la faute, qui s’oppose à l’action
droite]
<Article1 [22]> Celui qui honore un riche à cause
de ses richesses pèche-t-il ?
<Article 2 [13]> Pèche-t-on en ne repoussant pas la
mauvaise renommée ?
<Article 3 [14]> L’usage de vêtements précieux
est-il toujours un péché ?
<Question 7> [Sur la faute qui est contraire à la
foi droite]
<Article 1 [15]> Faut-il avoir des rapports avec
les hérétiques ?
<Article 2 [16]> Les hérétiques qui reviennent à
l’Église doivent-ils être accueillis ?
<Article unique [17]> Un intellect créé peut-il
voir Dieu par son essence ?
QUODLIBET 11 : [Sur Dieu, les anges et les hommes]
<Question 1> [Sur Dieu : son immensité]
<Question 2> [Sur Dieu : à propos de sa
connaissance]
<Article unique [2]> À propos de la connaissance de
Dieu : Dieu connaît-il le mal par
le bien ?
<Question 3> [Sur la prédestination]
<Article unique [3]> À propos de la
prédestination : la prédestination impose-t-elle une nécessité ?
<Article unique [4]> Sur les anges : le mouvement
de l’ange se réalise-t-il dans l’instant ?
<Question 5> [Sur l’homme : à propos des
parties de la nature humaine]
<Article unique [6]> Le corps ressuscite-t-il le
même numériquement ?
<Question 7> [Sur les sacrements de la grâce]
<Question 8> [Sur le sacrement de l’eucharistie]
<Article 1 [8]> Peut-on entendre la messe d’un
prêtre fornicateur sans pécher mortellement ?
<Question 9> [Sur le sacrement de mariage]
<Article 1 [10]> Les maléfices empêchent-ils le
mariage?
<Article 2 [11]> La frigidité empêche-t-elle le
mariage ?
<Question 10> [Sur le comportement de la vie
humaine]
<Article 1 [11]> Doit-on corriger en public ou en
privé son prochain ou son frère ?_
INDEX DES PRINCIPAUX LIEUX THÉOLOGIQUES
Il est possible de distinguer deux types d’activités académiques au Moyen Âge et encore aujourd’hui, deux types d’activités où la réflexion s’engage, où elle engage à la fois l’individu et la communauté dans laquelle il exerce sa recherche. Il y a des activités imposées, marquées d’emblée par un caractère institutionnel et aussi par un élément de maîtrise et de contrôle : une recherche et une enquête ont lieu à temps précis, le chercheur maîtrise à la fois la détermination de son sujet, la mise en place de la recherche, la détermination, cette fois-ci au sens strict de la determinatio médiévale, c’est-à-dire que le chercheur est responsable de mettre fin à la discussion et au jeux des objections en les regroupant, en orientant le processus responsorial et en tranchant dans ce qui est justifiable, véridique et vrai. Les « questions disputées » relèvent de ce type d’événement intellectuel. Les questions dites « quodlibétales » relèveraient, pour leur part, de l’autre type d’activité[3]. Ce type serait à caractériser comme un mélange équilibré de maîtrise et de dé-maîtrise où se glissent subrepticement tour à tour des éléments se déployant sur un spectre allant du quasi ludique au dramatique. Se glisse alors dans l’activité académique une part de risque et de calcul stratégique… les conditions sont en place pour de véritables « événements »!
Explorons premièrement cet aspect avant d’ouvrir des pistes pour aiguiser l’appétit de lecture de ce grand corpus thomasien peu lu, connu, exploité et savouré.
Quodlibet, ce qui plaît. Mieux « ce qui te plaît ». Car la locution suppose un énonciateur s’adressant à au moins un autre. La locution ainsi adressée suppose que cet autre puisse énoncer en retour un désir, un énoncé déclarant ce plaisir ou, autre possibilité, engendre d’autres passions chez lui comme l’irritation à laquelle se joint un certain plaisir de parer à l’irritant qui questionne ou que contient une question, comme dans les cas de certaines questions quodlibétiques sur la vie religieuse. Il y va d’une invitation à un plaisir possiblement partagé, à partager à partir du plaisir de l’autre, à limiter, aussi, certains plaisirs liés à des pratiques douteuses[4]. Décentrement intéressant lorsque l’adresse part d’un magister in sacra pagina, d’un docteur en théologie catholique. Décentrement qui signale la réceptivité au plaisir de l’autre, l’intention de procurer du plaisir jusque dans la solution de cas où frigidité et maléfices empêchent la jouissance de l’acte charnel dans le mariage[5]. Le maître n’impose pas un agenda, il se le laisse proposer par autrui et par la vie ecclésiale dans son organisation comme dans ses travers tout aussi bien que dans les hautes spéculations physiques et métaphysiques ! Librement, il laisse l’autre libre de se poser comme questionnant à partir d’un regard jeté sur les pratiques humaines courantes ou limites, familiales ou civiles, soit à partir de ses angoisses, de ses scrupules ou de ceux d’autrui. Il se propose d’entrer, pour la déterminer, la quête de vérité d’autrui sur ce qu’il plaira bien à autrui de demander, dans tout le champ de l’exploration théologique, théorique et pratique ou pastorale, dirions-nous aujourd’hui. Quitte à ce que cela donne lieu à des passions retenues, contenues dont, tout de même, des traces peuvent ne pas avoir tout à fait été effacées de la reprise écrite de l’événement oral. Ainsi, en guise d’exemple de ces traces, une parole, en première personne du singulier, pour ne pas condamner la pratique dévote de porter des paroles de l’Évangile sur soi à la fin d’une réponse déjouant les tentations magiques et charismatiques en réponse à la question sur l’effet de la parole humaine sur les animaux et, plus spécialement, les serpents, en écho ténu de Marc 16, 17: « Cependant, je ne condamne [damno] pas ceux qui, par dévotion, portent sur eux l’évangile, car la bienheureuse Cécile «portait toujours l’évangile du Christ sur son cœur», mais sans ajout de mots, de caractères ou d’autres choses suspectes. »[6]
Plaisir, liberté, quête. On pourrait se croire au pub ou au café, entre amis, dans un moment de détente… le « Banquet » de Platon ne serait pas loin! Pourtant il n’en est rien. L’adresse et l’attente de réponses se jouent dans l’Université parisienne au XIIIe siècle, à deux moments liturgiquement bien circonscrits, l’Avent et le Carême. L’événement rassemble maîtres et étudiants. Le plaisir et la liberté surgissent à l’intérieur d’un cadre défini légalement, institutionnellement. Ceci n’entraîne pas à poser n’importe quelle question ou une question quelconque! Il y a là une modalité définie du dire-vrai contenu dans un dispositif médiéval assez bien connu par ailleurs[7].
Frère Thomas d’Aquin s’est prêté et investi à ce jeu, longuement, lors de ses deux séjours parisiens (1256-1259 et 1269-1272). Les chercheurs, après maints tâtonnements et discussions[8], sont parvenus à une entente sur la distribution des questions sur ces deux séjours[9]. Grâce à de patients recoupements et à un minutieux examen des traditions manuscrites, le P. Gauthier offrait, en 1996, une distribution des diverses questions ayant été débattues et déterminées pendant l’Avent ou le Carême[10].
Cependant, on le
voit bien, les éditions anciennes ont construit d’autres agencements, les
préoccupations éditoriales ne relevant pas nécessairement du critère
chronologique jusqu’à une certaine date. Le texte à lire désormais relève donc
du montage. Et qui dit montage, dit organisation de la dispersion qui dans la
proximité montée, montre des liens, des intervalles. Qui dit montage dit aussi
trace de ce qui n’aura pas été retenu mais aura tout de même eu lieu :
ainsi pour quelques questions du Quodlibet XII, l’absence des objections ou des
réponses aux objections est remarquable, bien que pouvant partiellement se
reconstruire à partir d’une lecture attentive des respondeo à ces
questions[11].
Pour sa part, le montage actuel, retenu par
Il importe, pour
guider la lecture de ces multiples questions, de les inscrire dans le corpus
thomasien. En effet, ces questions ont lieu en même temps que se déploie
l’écriture de diverses Questions disputées, de
Un exemple parmi
d’autres : la christologie. Lorsque l’on compare les questions amenées
devant Thomas d’Aquin avec celles qu’il forge et articule pour lui-même dans
ses œuvres personnelles, indépendantes d’exercices académiques commandés, on
décèle aisément un écart. Ainsi pour la question du Quodlibet 1, question 2,
article 2 « Il semble que le Christ ne soit pas mort sur la croix »,
il n’existe aucun parallèle dans
Les questions négociées entre 1256 et 1259 comportent en tout beaucoup moins d’articles que les questions traitées entre 1269 et 1272. Le rapport est de plus du double. En tenant compte de ce facteur, il est tout de même possible de faire quelques constatations sur le recours aux textes du Nouveau Testament. Ainsi, par exemple, l’Évangile selon saint Matthieu est beaucoup plus présent dans les questions de la seconde période; l’Épître aux Hébreux, présente une seule fois au cours de la première période, revient douze fois au cours de la seconde; l’Épître aux Galates, complètement absente du premier enseignement parisien revient cinq fois au cours du second; l’Évangile selon saint Marc aussi absent du premier lot revient quatre fois dans le second. À ce premier repérage statistique devrait suivre une analyse micrologique comparant ces recours à ceux faits dans le corpus général de Thomas d’Aquin pour les mêmes périodes. Un travail similaire sur les références de l’Ancien Testament et quant aux diverses autres autorités tant ecclésiales que philosophiques permettrait de mieux percevoir les rapports de Thomas d’Aquin à ces autorités et peut-être de déterminer des schémas de délibération dans cet usage. Sans surprise, Aristote et Augustin se retrouvent beaucoup plus utilisés que les autres autorités. La quasi absence d’un auteur surprend : Averroès n’est presque jamais nommé[15]. Que cette quasi damnatio memoriae puisse se comprendre pour les Quodlibet du second séjour parisien au cours duquel Thomas d’Aquin était aux prises avec les approches marquées par les options de ce philosophe arabe sur l’éternité du monde et l’unité de l’intellect, cela se comprend[16]. Mais que ce soit aussi le cas pour les Quodlibet du premier séjour parisien pourra étonner : en effet, dans ses autres ouvrages de l’époque, les recours aux commentaires d’Aristote par cet auteur sont pour le moins aussi présents que les recours à Avicenne. De plus, il importerait de voir si les mêmes références bibliques et autres, par exemple, sont utilisées dans le même sens par les autres docteurs de la même période dans des contextes similaires.
D’une question quodlibétique à l’autre, un schéma se répète quant aux séquences des articles : Dieu, dans son essence ou ses opérations, ouvre le bal. Viennent ensuite parfois des questions sur le Christ. Suivent alors des questions sur les anges avant que ne soient abordées des questions sur les humains. Cette section est souvent la plus longue et la plus diffractée car elle peut se déployer sur un arc allant de la constitution essentielle de l’humain (âme, corps) et de son agir en soi (vertu, péché) à l’économie sacramentelle du salut, avec une prépondérance marquée de questions entourant le sacrement de pénitence, avant de faire place à des questions portant sur l’inscription ecclésiale de ceux-ci. Le tout est parfois complété par des questions, surtout lors du second séjour parisien, sur les créatures corporelles. Le principe ordonnateur des question est le degré d’être : on passe de Dieu pour terminer avec les créatures corporelles.
Mais ce premier ordre est doublé d’un autre qui sans déjouer le premier complexifie la situation. L’être humain est ainsi mis en scène dans sa structure (corps et âme), inscrit dans l’histoire de ses actes qualifiés éthiquement de bons ou mauvais en fonction de ses positions sociales et ecclésiales. Pourtant, il est aussi pensé en tant qu’inséré entre deux états : l’état adamique d’innocence désormais clos par le péché originel et l’état final, post mortem, de gloire ou de peine. L’économie ou l’histoire du salut apparaît alors comme un second principe d’ordonnancement, moins des questions elles-mêmes que des enjeux pour la réflexion théologique et la vie humaine. Encore ici, la place donnée à la pénitence signale l’enjeu existentiel pour les individus de bénéficier de la miséricorde de Dieu et pour l’Église d’en permettre la réception et la célébration fructueuse. Toute une étude, marquée par des instruments signés « Michel Foucault » sur le souci de soi, le gouvernement de soi et d’autrui, pourrait offrir un éclairage intéressant sur la question de l’avènement du « sujet », dans le sillage des études déjà publiées d’Olivier Boulnois et d’Alain de Libera[17].
Cette structure
double permet deux choses : d’une part la mise en lumière de l’Église, de
son lieu propre qu’est l’humanité déchue et pourtant sauvée dans le Christ Jésus,
peu présente comme telle dans
Dans cet ensemble, une thématique retient l’attention : la place occupée par les questions sur la vie religieuse. Lors du premier séjour parisien, il en est à peine question[18]. Par contre, au moment du second séjour parisien la querelle dite des « mendiants »[19], qui valut à Thomas d’Aquin d’écrire des ouvrages, fait encore des vagues. Les questions se multiplient alors[20]. Leur longueur peut paraître démesurée par rapport à la moyenne des questions quodlibétales où le nombre d’objections est habituellement relativement peu élevé. Par exemple, l’article premier de la question 12 du Quodlibet IV comporte vingt-trois objections dans un sens et six entrées dans le sed contra. Non seulement le nombre augmente mais le ton monte. En effet, la réponse à cette question, par exemple, fait place à un long préambule citant Augustin à propos de l’obstination et de l’aveuglement de qui ne veut ni voir ni rien comprendre.
Ce qui est présenté ici sous
forme de question n’est pas sujet au doute, à moins que certains, avides de
polémique, ne s’efforcent d’obscurcir la vérité. C’est pourquoi les paroles
d’Augustin, dans La cité de Dieu, II,
ont ici leur place : «Mais comme l’infirmité des âmes est plus grande et
plus monstrueuse chez les insensés, à ce point qu’on les voit s’attacher aux
mouvements de leur esprit comme à la raison et à la vérité même, par l’effet
d’un aveuglement qui les rend incapables de voir ce qui est évident..., on est
souvent obligé, après leur avoir défilé ses raisons autant qu’un homme le doit
attendre de son semblable, de s’étendre beaucoup sur des choses qui sont
claires, non pour les montrer à ceux qui les regardent, mais pour les faire
toucher à ceux qui ferment les yeux de peur de les voir. Et cependant, si on se
croyait tenu de répondre toujours aux réponses qu’on reçoit, quand finiraient
les discussions ? Car ceux qui ne peuvent comprendre ce qu’on dit, ou qui,
le comprenant, ont l’esprit trop dur ou trop rebelle pour y souscrire,
continuent de répondre..., “ils ne parlent que le langage de l’iniquité”, et
leur opiniâtreté est vaine. Si nous voulions les réfuter chaque fois qu’ils
décident avec entêtement de ne pas penser ce qu’ils disent, pourvu qu’ils nous
contredisent n’importe comment, tu vois combien notre labeur serait pénible,
infini et stérile !» Il faudra
donc faire en sorte que la vérité soit montrée de manière manifeste et pour
ainsi dire palpable, et si on y a opposé certaines affirmations qui n’ont aucun
poids, qu’elles soient méprisées, de sorte qu’il ne sera pas nécessaire de
répéter inutilement les mêmes choses. Mais si quelqu’un veut dire le contraire,
qu’il écrive ce qu’il dit, afin que les autres puissent en le comprenant juger
s’il enseigne la vérité.[21]
On retrouve là
le ton irrité du traité réfutant les accusations contre les mendiants (Contra
retrahentes; De perfectione et surtout dans le Contra impugnantes)
ou encore le ton employé dans le De unitate intellectu. Tonalité dont
les textes de
Grâce à plusieurs questions, la théologie, en tant que science et que pratique de lecture biblique, ses acteurs, sa place dans la justification éthique occupent aussi une part significative de ces questions[22]. C’est donc qu’il y a conscience vive de l’opportunité de mettre aussi à la question la pratique discursive théologique académique elle-même quant à son objet, ses méthodes. On est loin, alors, d’un rapport dogmatique à une pratique établie. Le lecteur peut, au contraire, suivre les patients ajustements de pratiques et d’options théoriques à la fois dans l’aire académique et ecclésiale. Ainsi s’y remarquent aussi l’inscription ecclésiale des théologiens et ses effets pastoraux, sans évacuer les tensions possibles que cela peut engendrer avec la « hiérarchie » ecclésiastique. S’y exposent, surtout, la fierté et la valeur revendiquée pour le travail théologique lui-même dans la mise en circulation ecclésiale et sociale de la vérité de la doctrine chrétienne[23].
Déjà, à l’occasion de l’exposition des logiques à l’œuvre dans le montage des questions, quelque chose du « monde » y apparaissait. Mais surtout sous son aspect métaphysique ou relevant de l’économie de la grâce : il y avait l’humain, comme en lui-même et dans ses actions prises, elles aussi, en elles-mêmes. Il est possible de raffiner et de procéder à un repérage plus précis afin de parvenir à s’approcher de la singularité du propos thomasien.
Les questions quodlibétales mettent en scène la diversité des acteurs ecclésiaux : le pape, les divers prélats, les clercs, les religieux, les laïcs; ce dernier groupe étant diffracté entre l’épouse et son mari, les parents et les enfants, les pauvres et les riches, les « partis » politiques ou autres. Ceux-ci se retrouvent dans divers rapports de dépendance : l’obéissance, la reconnaissance pour des biens reçus, les élections, les obligations légales, civiles, familiales, coutumières. Ils sont donc inscrits dans une hiérarchie.
Trois éléments reliés méritent alors de retenir l’attention du lecteur : a) l’imbrication – l’intrication – répétée du registre pastoral (charge d’âme, administration de sacrements) et du registre économique (prébende, bénéfices, dîmes, aumônes)[24]; b) la place de la morale et les critères de choix dans les rapports entre ces divers registres et régimes de la vie ecclésiale qui ne se laissent pas résoudre par le simple appel au droit ou à la coutume; c) la faillibilité des humains dans ces rôles en tant que demandant des remèdes ecclésiastiques et spirituels et en tant que requérant des réajustements pour qui aura été lésé à cause de ces défauts de performance (qualité de l’acteur et qualité de l’acte posé). Le faisceau que constituent ces trois aspects est bien mis de l’avant dans ces questions. Il rappelle les lecteurs à un réalisme socio-politique et ecclésial qui déjoue toutes les tentations d’angélisme religieux ou de violence purificatrice éthique!
Enfin, il y a
une autre particularité importante et intéressante des questions
quodlibétiques : elles complètent ou peuvent servir à illustrer
Les grands
ouvrages de Thomas d’Aquin, afin d’être bien lus, requièrent de plonger dans la
linéarité même du discours car leurs parties forment un tissu complexe. Ainsi,
par exemple, afin de bien comprendre la sacramentologie christologique exposée
dans
Les questions quodlibétales ne demandent pas un tel protocole de lecture. Elles se choisissent au fil des besoins de la recherche. Elles s’offrent à la lecture selon le bon plaisir du lecteur qui peut sauter de l’une à l’autre sans problème. En ce sens, elles peuvent être lues, malgré l’ordre éditorial, comme des fragments ou savourées à la manière de longs aphorismes… comme une pensée mise en marche par des demandes provenant du désir d’autrui.
Texte de la commission
Léonine |
QUESTIONS DISPUTÉES Paris, 1269-1272 : (Quodlibets 1, 2, 3, 6 et 4, 5, 12) |
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Prooemium [66811]
Quodlibet I, q. 1 pr. Quaesitum est de Deo, Angelo et homine. De
Deo quaesitum est et quantum ad divinam naturam et quantum ad naturam humanam
assumptam. |
QUODLIBET 1 : [Sur Dieu, l’ange et l’homme]On a posé des questions sur Dieu, l’ange et l’homme. À propos de Dieu, on a posé des questions sur la nature divine et sur la nature humaine assumée. |
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Quaestio
1 |
<Question 1> [Sur Dieu] |
Quantum
ad divinam naturam quaesitum est: utrum beatus Benedictus in visione qua
vidit totum mundum, divinam essentiam viderit. |
<Article unique [1]> À propos de la nature divine : le bienheureux Benoît a-t-il vu l’essence divine dans la vision où il a vu le monde entier ? |
[66813]
Quodlibet I, q. 1 tit. 2 Et ostendebatur quod sic. |
On montrait qu’il en était ainsi. |
[66814]
Quodlibet I, q. 1 arg. 1 Dicit enim Gregorius, II dialogorum, de hac
visione loquens: animae videnti Deum angusta fit omnis creatura. Sed videre Deum est videre divinam essentiam. Ergo beatus Benedictus
vidit divinam essentiam. |
<1> En effet, Grégoire dit, en parlant de cette vision : «À l’âme qui voit Dieu, toute créature semble étriquée.» Or, voir Dieu, c’est voir l’essence divine. Le bienheureux Benoît a donc vu l’essence divine. |
[66815]
Quodlibet I, q. 1 arg. 2 Praeterea, ibidem subdit
Gregorius, quod totum mundum vidit in divino lumine. Sed
non est aliud lumen vel claritas Dei quam ipse Deus, ut idem Gregorius dicit,
et habetur in Glossa 3, Exod. XXXIII, 20, super illud: non videbit me homo
et vivet. Ergo beatus Benedictus vidit Deum per essentiam. |
<2> Grégoire ajoute plus loin qu’il a vu le monde entier dans la
lumière divine. Or, la lumière ou
la clarté de Dieu n’est rien d’autre que Dieu lui-même, comme le dit le même
Grégoire et comme on le trouve dans |
[66816]
Quodlibet I, q. 1 s. c. Sed contra, est quod dicitur Io. I, 18: nemo
Deum vidit unquam; ubi dicit Glossa, quod nullus in mortali carne
vivens, Dei essentiam videre potest. |
Cependant, il est dit en Jn 1, 18 : Dieu, personne ne l’a jamais vu, et |
[66817]
Quodlibet I, q. 1 co. Respondeo. Dicendum,
quod corpus corruptibile aggravat animam, ut dicitur Sapient. cap. IX, 15. Summa autem elevatio mentis humanae est ut ad divinam
essentiam videndam pertingat. Unde impossibile est ut mens humana corpori
unita Dei essentiam videat, ut Augustinus dicit, XII super Genes. ad
litteram, nisi huic vitae mortali funditus homo intereat, vel sic alienetur a
sensibus, ut nesciat utrum sit in corpore an extra corpus, sicut de Paulo
legitur II ad Corinth., cap. XII, 3. Beatus autem Benedictus, quando illam
visionem vidit, nec huic vitae funditus mortuus erat, nec a corporeis sensibus
alienatus; quod patet per hoc quod dum adhuc in eadem visione persisteret,
alium ad idem videndum advocavit, ut idem Gregorius refert. Unde manifestum
est quod Dei essentiam non vidit. |
Réponse. Le corps corruptible alourdit l’âme, comme
il est dit en Sg 9, 15. Or, la plus haute élévation de l’esprit
humain consiste en ce qu’il atteigne jusqu’à la vision de l’essence divine.
Il est donc impossible que l’esprit humain voie l’essence de Dieu, comme le
dit Augustin dans le Commentaire littéral
de |
[66818]
Quodlibet I, q. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Gregorius ex
quadam proportione argumentari intendit in verbis illis. Si enim videntes Dei
essentiam, in eius comparatione totam creaturam reputant parvum quid ad
videndum, non est mirum si beatus Benedictus per lumen divinum aliquid
amplius videre potuit quam homines communiter videant. |
<1> Par ces paroles, Grégoire entend raisonner selon une certaine proportion. En effet, si ceux qui voient Dieu estiment que, par rapport à Lui, c’est bien peu de chose que de voir toutes les, il n’est pas étonnant que, par la lumière divine, le bienheureux Benoît ait pu voir quelque chose de plus que ce que les hommes voient d’une manière générale. |
[66819] Quodlibet I, q. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod lumen Dei quandoque dicitur ipse Deus, quandoque vero
aliud lumen derivatum ab ipso, secundum illud Psal. XXXV,
10: in lumine tuo videbimus lumen. Hic autem accipitur pro lumine derivato
a Deo. |
<2> On parle parfois de lumière de Dieu pour désigner Dieu lui-même, et parfois d’une lumière issue de Lui, selon ce que dit le psaume : Nous verrons la lumière dans ta lumière (Ps 35, 10). Ici, on l’entend de la lumière qui vient de Dieu. |
|
|
Quaestio
2 [66820]
Quodlibet I, q. 2 pr. Deinde quaerebantur duo
circa humanam naturam in Christo. |
<Question 2> [Sur la nature humaine assumée]Ensuite, on a posé deux questions sur la nature humaine dans le Christ. |
Prooemium |
Introduction |
[66821]
Quodlibet I, q. 2 pr. 1 Primo utrum fuerit in
Christo una filiatio qua refertur ad patrem et ad matrem, an duae. [66822]
Quodlibet I, q. 2 pr. 2 Secundo de morte eius, utrum in cruce
mortuus fuerit. |
Premièrement : y avait-il dans le Christ une seule filiation selon laquelle il était en rapport avec son Père et sa mère, ou deux ? Deuxièmement, à propos de sa
mort : est-il mort sur la croix ? |
Articulus
1 [66823]
Quodlibet I, q. |
<Article 1 [2]> Y avait-il dans le Christ une seule filiation selon laquelle il était en rapport avec son Père et sa mère, ou deux ? |
[66824]
Quodlibet I, q. |
Il semble qu’il y ait deux filiations dans le Christ. |
[66825]
Quodlibet I, q. |
<1> En effet, lorsque la cause des relations est multipliée, les relations elles-mêmes le sont. Or, la génération est la cause de la filiation. Puisque la génération par laquelle le Christ est né éternellement du Père est autre que celle par laquelle il est né temporellement de sa mère, ce sera donc une autre filiation par laquelle il est en rapport avec son Père et une autre par laquelle il est en rapport avec sa mère. |
[66826] Quodlibet I, q. |
<2> Ce qui reçoit
à un certain moment quelque chose d’absolu sans en être changé peut encore
bien davantage recevoir temporellement une propriété relationnelle. Or, le
Fils de Dieu a reçu à un certain moment quelque chose d’absolu sans en être
changé, car, à propos de ce que dit Luc, 1, 32 : Il sera grand et sera appelé Fils du
Très-Haut, Ambroise dit : «Il ne sera pas grand au sens où, avant l’enfantement
de |
[66827]
Quodlibet I, q. |
Cependant, une chose tient d’être cette seule chose de l’unité de ce dont elle tient d’être telle chose. Or, c’est par la filiation que quelqu’un devient fils. Un seul fils vient donc d’une seule génération. Or, le Christ est un seul Fils, et non deux. Il n’y a donc pas dans le Christ deux filiations, mais une seule. |
[66828]
Quodlibet I, q. |
Réponse. Les relations diffèrent de tous les autres genres de choses par le fait que les choses qui appartiennent aux autres genres tiennent de ce qui constitue leur genre d’être des choses de la nature, comme c’est le cas des quantités [qui le tiennent] de ce qui constitue la quantité, et le cas des qualités, de ce qui constitue la qualité. Or, les relations ne tiennent pas d’être des choses de la nature du fait qu’elles sont en rapport avec autre chose. En effet, il existe des rapports qui ne sont pas réels, mais de raison seulement, comme ce qui est connaissable est en rapport avec la science, non pas par une relation qui existe dans ce qui est connaissable, mais plutôt parce que la science est en rapport avec [ce qui est connaissable], selon le Philosophe, Métaphysique, V. Or, la relation tient de sa cause d’être une chose de la nature, par laquelle une chose est naturellement ordonnée à une autre, ordre naturel et réel qui est la relation elle-même. Ainsi, la droite et la gauche chez un animal sont des relations réelles parce qu’elles découlent de certaines puissances naturelles ; mais, dans une colonne, elles [n’existent] que selon la raison, selon l’ordre qu’entretient un animal avec elle. Or, une chose tient de la même chose d’être un être et d’être une. Ainsi il arrive qu’il n’existe qu’une seule relation réelle en raison de l’unité de la cause, comme cela est clair pour l’égalité : en effet, c’est en raison d’une seule quantité qu’il existe dans un seul corps une seule égalité, bien qu’il existe plusieurs rapports selon lesquels il soit dit égal à différents corps. Si les relations dans un corps étaient réellement multipliées selon tous ces rapports, il en découlerait qu’il existerait dans un seul [corps] des accidents [en nombre] infini ou indéterminé. De même, le maître est par une seule relation maître de tous ceux à qui il enseigne, bien qu’il existe plusieurs rapports. De même encore, un seul homme est fils de son père et de sa mère selon une seule relation réelle, parce qu’il a reçu des deux une seule nature par une seule naissance. En suivant ce raisonnement, il semblerait qu’il faille dire que, dans le Christ, la filiation réelle par laquelle il est en rapport avec son Père est autre que celle par laquelle il est en rapport avec sa mère, car il naît des deux par une génération différente, et la nature qu’il tient du Père est différente de celle qu’il tient de sa mère. * * * Mais un autre raisonnement renverse cette conclusion. En effet, il faut tenir de manière universelle qu’il n’existe réellement en Dieu aucune relation avec la créature, mais qu’il existe un rapport de raison seulement, car Dieu est au-dessus de tout l’ordre de la créature et la mesure de toute créature, dont dépend toute créature, et non l’inverse, bien davantage que ce qu’on dit des rapports entre ce qui est connaissable par rapport à la science, là où, pour ces raisons, il n’existe pas de relation réelle à la science. Il faut donc considérer que le sujet
de la filiation n’est pas une nature ou une partie de nature. En effet, nous
ne disons pas de l’humanité qu’elle est fille, ni de la tête, ni de l’œil.
Or, dans le Christ, nous ne reconnaissons qu’un seul suppôt et une seule
hypostase, de même qu’une seule personne, qui est le suppôt éternel, dans
lequel ne peut exister aucune relation réelle à la créature, comme on l’a déjà
dit. Il reste donc que la filiation par laquelle le Christ est en rapport
avec sa mère n’est qu’un rapport de raison. Et il ne découle pas de cela que
le Christ ne soit pas réellement le fils de Je dis donc que, dans le Christ, il n’existe qu’une seule filiation réelle, par laquelle il est en rapport avec son Père. |
[66829]
Quodlibet I, q. |
<1> Nous ne nions pas qu’il existe dans le Christ une filiation réelle par laquelle il est en rapport avec sa mère, parce que la cause de la relation ferait défaut, mais parce que fait défaut le sujet d’une telle relation, puisqu’il n’existe pas dans le Christ de suppôt créé ou d’hypostase [créée]. |
[66830]
Quodlibet I, q. |
<2> De la même façon que cet homme a reçu à un certain moment la puissance de Dieu, de la même façon il a reçu la filiation éternelle, pour autant qu’il est arrivé qu’«une seule personne de Dieu et de l’homme existait», comme Ambroise le dit plus loin dans le même livre. Or, cela ne s’est pas produit par quelque chose de réellement absolu ou de temporellement relatif existant dans le Fils de Dieu, mais par la seule union qui existe réellement dans la nature créée, et non dans la personne même qui assume. |
[66831]
Quodlibet I, q. |
Ce qui est objecté en sens contraire n’est pas contraignant. En effet, on dit parfois de quelqu’un qu’il est tel en raison de l’unité substantielle du sujet, bien qu’existent de nombreuses qualités, comme la couleur et la saveur dans un fruit. |
Articulus 2 [66832]
Quodlibet I, q. |
<Article 2 [3]> Le Christ est-il mort sur la croix ? |
[66833] Quodlibet I, q. |
Il semble que le Christ ne soit pas mort sur la croix. |
[66834]
Quodlibet I, q. |
<1> En effet, s’il est mort, ou bien cela est arrivé parce qu’il a séparé son âme de son corps, ou bien en raison de ses blessures. Mais [cela n’est pas arrivé] de la première manière : en effet, il découlerait de cela que les Juifs n’auraient pas tué le Christ, mais que lui-même se serait suicidé, ce qui ne convient pas. Semblablement, [cela n’est pas arrivé] de la seconde manière, car la mort qui survient en raison de blessures vient de ce qu’un homme a atteint une extrême faiblesse, ce qui n’était pas le cas du Christ, puisqu’il rendit l’esprit dans un grand cri (Lc 23, 46). Le Christ n’est donc aucunement mort sur la croix. |
[66835]
Quodlibet I, q. |
<2> La nature humaine n’était pas plus faible chez le Christ que chez les autres hommes. Or, aucun autre homme n’est mort aussi rapidement à cause de blessures aux mains et aux pieds (la blessure au côté ne lui a été infligée qu’après sa mort). Le Christ n’est donc pas mort sur la croix, puisqu’il ne semble y avoir aucune raison pour sa mort. |
[66836] Quodlibet I, q. |
Cependant, il est dit, en Jn, 19, 30, que le Christ suspendu à la croix, après avoir incliné la tête, rendit son esprit. Or, la mort survient par la séparation de l’âme du corps. Le Christ est donc mort sur la croix. |
[66837]
Quodlibet I, q. [66838]
Quodlibet I, q. |
Réponse. Il faut sans aucun doute confesser que le Christ est vraiment mort sur la croix. Mais, pour voir la cause de sa mort, il faut considérer que, puisque le Christ était Dieu et homme, tout ce qui se rapportait à sa nature humaine en lui était soumis à son pouvoir, ce qui ne se produit pas chez les autres qui sont simplement hommes : en effet, n’est pas soumis à leur volonté ce qui est naturel. Telle est la cause du fait que l’âme du Christ souffrait et se réjouissait (fruebatur[26]) en même temps, car, par sa volonté, il se produisit qu’il n’y eut pas de résonance des puissances supérieures sur les inférieures, et que l’acte des puissances supérieures ne fut pas empêché par une passion inférieure, ce qui ne peut se produire chez les autres hommes en raison de la conjonction naturelle entre les puissances. Il faut parler de la même façon pour ce qui est en cause. En effet, la mort violente survient du fait que la nature succombe au mal infligé et que la mort est retardée aussi longtemps que la nature peut résister. Ainsi, chez certains, la nature est plus forte et, à cause égale, ils meurent plus tard. Or, il relevait de la volonté du Christ [de décider] dans quelle mesure [sa] nature résisterait au mal infligé et dans quelle mesure elle succomberait. Ainsi, par sa volonté, [sa] nature a résisté au mal infligé jusqu’à la fin plus que cela n’est possible chez les autres hommes, de sorte que, à la fin, après une abondante effusion de sang, pour ainsi dire en pleine possession de ses forces, il cria d’une voix forte (Mt 25, 50 ; Mc 15, 37 ; Lc 23, 46), et aussitôt, par sa volonté, [sa] nature succomba, et il rendit l’esprit, afin de montrer qu’il était le Seigneur de la nature, de la vie et de la mort. C’est pourquoi, en admiration, le centurion dit : Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu (Mc 15, 39). Ainsi donc, les Juifs ont tué le Christ en lui infligeant un mal mortel, et cependant lui-même a déposé son âme (Jn 10, 17‑18) et a rendu son esprit, car il se soumit totalement au mal infligé lorsqu’il le voulut. Cependant, il ne doit pas être accusé de suicide. En effet, le corps existe pour l’âme, et non l’inverse. Ainsi, l’âme est atteinte lorsque, en raison du mal infligé au corps, elle est expulsée du corps à l’encontre du désir naturel de l’âme, quoique peut-être non à l’encontre de la volonté dépravée de celui qui se tue. Mais s’il était au pouvoir de l’âme de se retirer du corps et d’y revenir lorsqu’elle le voudrait, ce ne serait pas une plus grande faute pour elle de quitter le corps que pour le résidant d’une maison de la quitter. C’est cependant une faute qu’il en soit expulsé malgré lui. La réponse aux objections est ainsi claire. |
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Quaestio
3 |
<Question 3> [Sur l’ange] |
Prooemium [66839]
Quodlibet I, q. 3 pr. Deinde quaerebantur duo de Angelo. [66840]
Quodlibet I, q. 3 pr. 1 Primo utrum Angelus
dependeat a loco corporali secundum suam essentiam, an sit in loco corporali
secundum operationem tantum. [66841]
Quodlibet I, q. 3 pr. 2 Secundo de motu Angeli, utrum possit moveri
de extremo in extremum sine medio. |
On posait ensuite deux questions sur l’ange. Premièrement, l’ange est-il lié à un lieu corporel selon son essence ou est-il dans un lieu selon son opération seulement ? Deuxièmement, à propos du mouvement de l’ange : [l’ange] peut-il se mouvoir d’un extrême à un autre sans intermédiaire ? |
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Articulus
1 [66842]
Quodlibet I, q. |
<Article 1 [4]> L’ange est-il lié à un lieu corporel selon son essence ou est-il dans un lieu selon son opération seulement ? |
[66843]
Quodlibet I, q. |
Il semble que l’ange ne soit pas dans un lieu selon son opération seulement. |
[66844] Quodlibet I, q. |
<1> En effet, «l’existence précède l’opération». Être dans un lieu précède donc agir dans un lieu. Or, ce qui suit n’est pas la cause de ce qui précède. Agir dans un lieu n’est donc pas la cause de ce que l’ange est dans un lieu. |
[66845]
Quodlibet I, q. |
<2> Deux anges peuvent agir dans un seul lieu. Si donc l’ange était dans un lieu seulement par son opération, il en découlerait que plusieurs anges seraient en même temps dans un seul lieu, ce qui est estimé impossible. |
[66846] Quodlibet I, q. |
Cependant, ce qui est plus noble ne dépend pas de ce qui moins noble. Or, l’essence de l’ange est plus noble que le lieu corporel. Elle ne dépend donc pas d’un lieu corporel. |
[66847]
Quodlibet I, q. |
Réponse. On peut considérer la manière dont l’ange est dans un lieu corporel à partir de la manière dont un corps est dans un lieu. En effet, un corps est dans un lieu par contact avec le lieu. Or, le contact se fait par la quantité dimensionnelle, qu’on ne trouve pas chez l’ange puisqu’il est incorporel ; mais elle est remplacée par la quantité de sa puissance. De même donc que le corps est dans un lieu par le contact de la quantité dimensionnelle, de même l’ange est dans un lieu par le contact de sa puissance. Si l’on veut appeler le contact de la puissance une opération, puisque agir est l’effet propre d’une puissance, qu’on dise donc que l’ange est dans un lieu par son opération, de telle sorte cependant qu’on n’entende pas par opération le seul mouvement, mais toute union par laquelle il s’unit à un corps, en y présidant ou en le contenant, ou de toute autre manière. |
[66848] Quodlibet I, q. |
<1> Rien n’empêche que quelque chose existe antérieurement de manière absolue, qui ne soit pas antérieur sur un point, comme le corps sous-jacent est antérieur à sa surface de manière absolue, mais non sous l’aspect où il est coloré. De même, le corps est antérieur au contact de manière absolue, mais il est dans un lieu par le contact de la quantité dimensionnelle. Et de même l’ange l’est par le contact de sa puissance. |
[66849]
Quodlibet I, q. |
<2> Si quelque chose est mû parfaitement par un moteur, il ne convient
pas qu’il soit mû en même temps de manière immédiate par un autre. Le
raisonnement vaut donc davantage pour le contraire de ce qui est proposé. |
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Articulus
2 [66850]
Quodlibet I, q. |
<Article 2 [5]> Un ange peut-il être mû d’un extrême à un autre sans intermédiaire ? |
[66851]
Quodlibet I, q. |
Il semble que l’ange ne puisse être mû d’un extrême à l’autre sans passer par un intermédiaire. |
[66852]
Quodlibet I, q. |
<1> Tout ce qui est mû est «d’abord en train d’être mû avant d’avoir été mû», comme le démontre Physique, VI. Or, si l’ange est mû d’un extrême à un autre, par exemple, de A à B, lorsqu’il est en B, il se trouve avoir été mû. Il était donc d’abord en train d’être mû, mais non pas lorsqu’il était en A, parce qu’alors il n’était pas encore mû. Il était donc en C, qui est un intermédiaire entre A et B. Il faut ainsi qu’il passe par un intermédiaire. |
66853]
Quodlibet I, q. |
<2> Si l’ange se meut de A à B sans passer par un intermédiaire, il faut qu’il soit corrompu en A et qu’il soit <de nouveau> créé en B. Or, cela est impossible, car il ne s’agirait plus alors du même ange. Il faut donc qu’il passe par un intermédiaire. |
[66854]
Quodlibet I, q. |
Cependant,
«tout ce qui passe par un intermédiaire doit d’abord y passer comme égal à soi ou moindre que soi, plutôt que comme plus grand que soi», comme il est dit en Physique, VI, et comme cela tombe sous le sens. Or, il ne peut y
avoir moins d’espace que l’ange, qui est indivisible. Il faut donc que ce
soit quelque chose d’égal à lui qui passe, ce qui est un lieu indivisible et
[ayant le caractère de] point. Or, les points infinis sont des points situés
entre n’importe quel des deux termes d’un mouvement. S’il était donc
nécessaire que, dans son mouvement, l’ange passe par un intermédiaire, il
faudrait qu’il traverse des [points] infinis, ce qui est impossible. |
[66855]
Quodlibet I, q. |
Réponse. L’ange, s’il le veut, peut se mouvoir d’un extrême à l’autre sans devoir passer par un intermédiaire et, s’il le veut, il peut passer par tous les intermédiaires. La raison en est qu’un corps est dans un lieu en tant que contenu par ce [lieu]. Il faut donc que, dans son mouvement, il suive la condition de ce lieu, à savoir, qu’il traverse les intermédiaires avant de parvenir aux extrémités de ce lieu. Mais, comme l’ange est dans un lieu par le contact de sa puissance, il n’est pas soumis à un lieu comme s’il y était contenu, mais il contient plutôt le lieu, en dépassant ce lieu par sa puissance. Il n’est donc pas nécessaire que, dans son mouvement, il suive les conditions du lieu, mais il relève de sa volonté qu’il s’applique par le contact de sa puissance à tel ou tel lieu, et, s’il le veut, sans intermédiaire. Il en est ainsi de l’intellect qui, par l’intellection, peut être appliqué à un extrême, par exemple, ce qui est blanc, et ensuite à ce qui est noir, de manière indifférente, en pensant ou non aux couleurs intermédiaires, bien que le corps soumis à la couleur ne puisse passer du blanc au noir que par des intermédiaires. |
[66856] Quodlibet I, q. |
<1> Cette parole du Philosophe et sa démonstration s’appliquent au
mouvement continu. Or, il n’est pas nécessaire que le mouvement de l’ange
soit continu, mais c’est la succession même des applications mentionnées qui
est appelée mouvement chez lui ; de même la succession des pensées ou des
sentiments est appelée un mouvement de la créature spirituelle, selon
Augustin, Commentaire littéral de |
[66857]
Quodlibet I, q. |
<2> Cela ne se produit pas par une corruption de l’ange ou une nouvelle création, mais parce que sa puissance dépasse le lieu. |
[66858]
Quodlibet I, q. |
Quant à ce qui
est objecté en sens contraire, il faut dire que l’ange n’est pas dans un lieu
selon la mesure, mais par l’application de sa puissance à un lieu, ce qui
peut exister indifféremment pour un lieu divisible et [un lieu] indivisible.Il
peut donc se mouvoir de manière continue, comme ce qui se trouve dans un lieu
divisible, en soustrayant l’espace de manière continue ; mais lorsqu’il
est dans un lieu indivisible, son mouvement ne peut être continu ni passer
par tous les intermédiaires. |
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Quaestio
4 |
<Question 4> [Sur l’homme]
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Prooemium [66859]
Quodlibet I, q. 4 pr. Deinde quaerebatur de homine.- Et primo
quantum ad bonum naturae.- Secundo quantum ad bonum
gratiae.- Tertio quantum ad bonum gloriae. |
Ensuite, on interrogeait sur l’homme : en premier lieu, sur le bien de la nature ; en deuxième lieu, sur le bien de la grâce ; en troisième lieu, sur le bien de la gloire. |
Circa
primum quaerebantur tria. |
Sur le premier point, trois questions étaient posées. |
[66860] Quodlibet I, q. 4
pr. 1 Primo de unione animae ad corpus; utrum scilicet anima adveniente
corpori, corrumpantur omnes formae quae prius inerant, et substantiales et
accidentales. |
Premièrement, à propos de l’union de l’âme au corps : lorsque l’âme arrive dans le corps, toutes les autres formes qui s’y trouvaient antérieurement, substantielles comme accidentelles, sont-elles corrompues ? |
[66861] Quodlibet I, q. 4
pr. 2 Secundo de potestate liberi arbitrii; utrum scilicet homo absque gratia
possit se ad gratiam praeparare. |
Deuxièmement, à propos du pouvoir du libre arbitre : l’homme sans la grâce peut-il se préparer à la grâce ? |
[66862] Quodlibet I, q. 4
pr. 3 Tertio de dilectione naturali; utrum scilicet homo in statu innocentiae
dilexerit Deum plus quam omnia, et supra seipsum. |
Troisièmement, l’homme, dans l’état d’innocence, a-t-il aimé Dieu plus que tout et plus que lui-même ? |
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Articulus 1 [66863] Quodlibet I, q. |
<Article 1 [6]> Lorsque l’âme arrive dans le corps, toutes les autres formes qui s’y trouvaient antérieurement, substantielles comme accidentelles, sont-elles corrompues ? |
[66864] Quodlibet I, q. [66865] Quodlibet I, q. |
<1> Il semble que, par l’arrivée de l’âme, toutes les formes qui existaient
antérieurement soient exclues. En effet, il est dit dans
Gn 2, 7 : Dieu forma l’homme
du limon de la terre et lui insuffla au visage un souffle de vie. Or,
[Dieu] aurait inutilement formé le corps si, en insufflant l’âme, la forme qu’il
lui avait donnée en le formant avait été exclue. À l’arrivée de l’âme, toutes
les formes précédentes ne sont donc pas enlevées. |
[66866] Quodlibet I, q. |
<2> Il est nécessaire que l’âme existe dans un corps formé et
possédant de multiples dispositions. Si donc l’âme en arrivant a écarté
toutes les formes et les dispositions précédentes, il en découle que l’âme
forme l’ensemble du corps en un instant, ce qui appartient à Dieu seul. |
[66867] Quodlibet I, q. |
<3>
L’âme n’existe que dans un corps mixte. Or, le mélange des éléments ne se
réalise pas seulement selon la matière, mais aussi selon les formes,
autrement, il s’agirait d’une corruption. L’âme n’exclut donc pas toutes les
formes qui se trouvent dans la matière. |
[66868] Quodlibet I, q. |
<4>
L’âme est une perfection. Or, ce n’est pas le rôle de la perfection de
corrompre, mais de perfectionner. [L’âme] qui arrive dans le corps ne
corrompt donc pas les formes préexistantes. |
[66869] Quodlibet I, q. |
Cependant,
toute forme qui survient dans ce qui existe en acte est une forme
accidentelle : en effet, la forme substantielle fait que quelque chose
existe tout simplement en acte. Or, si l’âme en survenant ne détruisait pas
les formes préexistantes mais leur était ajoutée, il en découlerait qu’elle
surviendrait dans quelque chose qui existe en acte, car toute forme, puisqu’elle
est acte, fait exister en acte. L’âme qui survient exclut donc les formes
préexistantes. |
[66870] Quodlibet I, q. |
Réponse. Il est impossible qu’existent dans une seule et même chose plusieurs formes substantielles, et cela, parce qu’une chose tient son être et son unité du même [principe]. Or, il est clair qu’une chose tient son être de sa forme ; une chose tient donc aussi son unité de sa forme. Pour cette raison, partout où existe une multitude de formes, cela n’est pas un simplement. Ainsi, un «homme blanc» n’est pas quelque chose d’un simplement ; un «animal bipède» ne serait pas non plus quelque chose d’un simplement, s’il tenait d’une chose d’être animal et d’une autre d’être bipède, comme le dit le Philosophe. Or, il faut savoir que les formes substantielles entretiennent entre elles le même rapport que les nombres, comme il est dit dans Métaphysique, VIII, ou que les figures, comme le dit le Philosophe à propos des parties de l’âme, dans Sur l’âme, II. En effet, le nombre [plus grand] ou la figure plus grande contient toujours en puissance la plus petite, comme le nombre cinq [contient] le nombre quatre, et le pentagone, le tétragone. De même, la forme plus parfaite par sa puissance contient-elle en elle la forme plus imparfaite, comme il apparaît surtout pour les âmes : en effet, l’âme intellective a la capacité de conférer au corps humain tout ce que confère [l’âme] sensitive aux animaux sans raison ; de même, [l’âme] sensitive produit-elle chez les animaux tout ce que [l’âme] nutritive produit dans les plantes, et encore davantage. Une âme sensitive serait donc inutile chez l’homme en plus de [l’âme] intellective, du fait que l’âme intellective contient en sa puissance l’âme sensitive, et encore davantage, comme on ajouterait inutilement le nombre quatre après avoir posé le nombre cinq. Et le raisonnement est le même pour toutes les formes substantielles jusqu’à la matière première. De sorte qu’on ne trouve pas [réellement] chez l’homme diverses formes substantielles, mais seulement selon la raison, comme lorsque nous le considérons comme vivant par l’âme nutritive et comme sensible par l’âme sensitive, et ainsi de suite. Or, il est clair que, lorsque
survient une forme parfaite, la forme imparfaite est écartée, de même que
lorsque la figure d’un pentagone survient, la figure du carré est écartée. Je
dis donc que, lorsque l’âme humaine survient, la forme substantielle qui
existait antérieurement est écartée, autrement la génération de l’un existerait
sans corruption d’un autre, ce qui est impossible. Mais les formes
accidentelles qui existaient antérieurement et préparaient à l’âme sont
corrompues, non par elles-mêmes, mais par accident, en raison de la
corruption du sujet. Elles restent donc les mêmes par l’espèce, mais non pas
les mêmes selon le nombre, comme cela arrive aussi pour les dispositions des
formes élémentaires qui paraissent advenir en premier à la matière. |
[66871] Quodlibet I, q. |
<1>
Selon Basile, on appelle ici «souffle de vie» la grâce du Saint-Esprit, et
ainsi l’objection disparaît. Toutefois, si, comme le dit Augustin, le souffle
de vie est l’âme elle-même, il n’est pas nécessaire de dire que le corps de l’homme
formé du limon de la terre a été formé d’une autre forme que le souffle de
vie divinement insufflé. En effet, cette formation n’a pas précédé l’insufflation,
à moins que nous ne voulions dire que cette formation renvoie aux
dispositions accidentelles, par exemple, à une silhouette et à d’autres
choses de ce genre, qui, selon l’ordre de la raison, sont présupposées dans
un corps antérieurement à l’âme intellective, comme des dispositions
matérielles. Toutefois, l’âme intellective elle-même est présupposée, non pas
en tant qu’elle est intellective, mais en tant qu’elle contient en elle-même
une des formes imparfaites. |
[66872] Quodlibet I, q. |
<2>
L’âme, lorsqu’elle survient dans le corps, ne fait pas exister le corps
effectivement, mais seulement quant à sa forme. Ce qui fait exister le corps
effectivement est ce qui donne au corps sa forme en le perfectionnant, en
disposant ce qui est fait antérieurement en vue de la forme, en amenant la matière
peu à peu et selon un certain ordre à une forme ou à une disposition plus
rapprochée. Car plus la forme ou la disposition est proche, moins forte est
la résistance à l’introduction de la forme et de la disposition complète. En
effet, le feu est produit plus facilement à partir de l’air qu’à partir de l’eau,
bien que les deux formes soient immédiatement présentes dans la matière. |
[66873] Quodlibet I, q. |
<3> Avicenne a affirmé que les formes élémentaires demeuraient dans le mélange, ce qui ne peut être le cas, car les formes des éléments ne peuvent exister dans une seule partie de la matière en même temps. Il faut donc qu’elles existent dans diverses parties de la matière, qui se différencient par la division de la quantité dimensionnelle. Ainsi il faudra soit que plusieurs corps existent en même temps, soit qu’il ne s’agisse pas d’un mélange total, mais d’un mélange apparent, selon que de très petites choses [existent] à côté les unes des autres. — Averroès, dans Sur le ciel, III, dit que les formes des éléments sont intermédiaires entre les formes accidentelles et substantielles, et qu’elles reçoivent plus ou moins. Ainsi, une fois enlevées les formes des éléments et celles-ci ramenées d’une certaine façon à un état intermédiaire, une sorte de mélange se réalise. Mais cela est encore moins possible que ce qui précède, car la forme substantielle est le terme d’un être spécifique. Ainsi, pour l’indivisible, existe la raison de forme comme la raison de nombre et de figure, et il n’est pas possible qu’elle soit poursuivie ou enlevée, mais toute addition ou soustraction donne une autre espèce. — C’est pourquoi il faut parler autrement, comme le Philosophe, Sur le génération, I : les formes de ce qui est susceptible d’être mélangé ne demeurent pas en acte dans le mélange, mais en puissance, pour autant que la puissance de la forme substantielle demeure dans une qualité élémentaire, bien que diminuée et comme ramenée à un état intermédiaire. En effet, la qualité élémentaire agit en vertu de la forme substantielle, autrement l’action qui existe par la chaleur du feu n’atteindrait pas la forme substantielle. |
[66874] Quodlibet I, q. |
<4>
L’âme, puisqu’elle est forme, est une certaine perfection particulière, et
non universelle. C’est pourquoi, lorsqu’elle survient, elle perfectionne une
chose de telle manière qu’une autre chose est corrompue. |
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Articulus 2 [66875] Quodlibet I, q. |
<Article 2 [7]> L’homme peut-il se préparer à la grâce sans la grâce ? |
[66876] Quodlibet I, q. |