THOMAS D’AQUIN
Contre ceux qui attaquent le culte de Dieu et la vie religieuse
Contra Impugnantes
Traduction et © Copyright par le professeur Jacques Ménard
Première édition numérique (avant relecture) https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 20 février 2007
1. Pour la présente traduction,
nous utilisons les éditions critiques des opuscules Contra
impugnantes Dei cultum et religionem, De perfectione spiritualis vitae et Contra doctrinam
retrahentium a religione, publiées respectivement dans SANCTI
THOMAE DE AQUINO, Opera omnia, t. XLI, Pars A, Rome, 1970,
p. A51-A166, et t. XLI, Pars B-C, Rome, 1969, p. B67‑B111 et
p. C38‑C74.
2.
Il n’est pas sans importance de rappeler qu’au XIIIe siècle, les citations
bibliques ne comportaient pas d’indication de versets et que le texte de la
version latine de la Bible utilisée par Thomas d’Aquin n’est pas en tout point
identique à celui de la version reçue de la Vulgate. Cependant, partout où
elles ont pu être identifiées, les références aux chapitres et aux versets des
citations explicites et implicites de la Bible sont données dans le texte de la
traduction. La numérotation des chapitres et des versets est celle de la Bible de Jérusalem, Paris, 1998. Par ailleurs, étant donné la place occupée par
les textes de droit canonique dans l’exposé de Thomas d’Aquin, nous en donnons
les références d’après l’édition de A. FRIEDBERG, Corpus Juris
canonici, I :
Decretum magistri Gratiani ; II : Decretalium Collectiones, Leipzig, 1879 (reprod. anast., Graz,
1955). L’édition léonine indique aussi en notes le tome et la page des
citations canoniques selon l’édition de Friedberg.
3.
Les références aux autres textes cités sont données sous forme abrégée, telles
qu’elles apparaissent généralement dans le texte même des opuscules de Thomas
d’Aquin. On pourra trouver les références complètes à ces textes dans les notes
de l’édition léonine. Par ailleurs, nous avons indiqué en notes de bas de page
les lieux parallèles où Thomas d’Aquin traite d’un même sujet.
4.
Le contexte historique des opuscules est brièvement évoqué en français dans les
éditions critiques, au t. XLI, Pars A, p. A6-A13, et au t. XLI, Pars B-C, p.
B5-B8. Une mise au point plus récente est donnée par J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas
d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Paris-Fribourg, 2002 (2e éd.),
p. 109-140, 505-507, 8*-9*. On pourra aussi consulter, sur le détail du
contexte polémique des opuscules, M.-M. DUFEIL,
Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire
parisienne, 1250-1259, Paris, 1972. On trouvera un exposé plus synthétique sur le
contexte et les enjeux dans C.H. LAWRENCE, The Friars. The Impact of the Early Mendicant Movement
on Western Society, Londres-New York, 1995, p. 152-165, 234 (« The
Complaint of the Clergy »). Qu’il suffise ici de faire remarquer que l’exposé de Thomas
d’Aquin suit de près l’argumentation de Guillaume de Saint-Amour (dans son De periculis, en particulier) et d’autres maîtres séculiers, qui s’en étaient
pris aux nouveaux ordres religieux (Franciscains et Dominicains), sous prétexte
qu’ils dérogeaient au comportement traditionnel des moines et qu’ils
empiétaient sur les prérogatives traditionnelles des clercs séculiers.
*
* *
TITRES DES CHAPITRES
PROLOGUE :
Quelle est l’intention de l’auteur ?
CHAPITRE
1 : Qu’est-ce que la religion et en quoi consiste la perfection de la
religion ?
CHAPITRE
2 : Est-il permis à un religieux d’enseigner ?
CHAPITRE
3 : Un religieux peut-il être licitement membre d’un collège de
séculiers ?
CHAPITRE
4 : Est-il permis à un religieux de prêcher et d’entendre les
confessions ?
CHAPITRE
5 : Un religieux est-il tenu de travailler de ses propres mains ?
CHAPITRE
7 : Un religieux peut-il vivre principalement d’aumônes et de choses
mendiées ?
CHAPITRE
10 : À propos du fait que des religieux courent ça et là.
CHAPITRE
11 : À propos du fait que des religieux s’adonnent à l’étude
CHAPITRE
12 : À propos du fait que des religieux proposent la parole de Dieu avec
grâce et élégance
CHAPITRE
15 : À propos du fait que des religieux se battent en procès.
CHAPITRE
17 : À propos du fait que des religieux veulent plaire aux hommes
CHAPITRE
19 : À propos du fait que des religieux fréquentent les cours des rois et
des puissants
CHAPITRE
21 : Comment [leurs adversaires] affirment des choses douteuses pour
diffamer les religieux
*
* *
Voici que tes ennemis ont donné de la voix et que ceux qui
te haïssent lèvent la tête. Contre ton peuple ils ont tramé un complot et ont
conspiré contre tes saints. Ils ont dit : « Venez, retranchons-les du
peuple et qu’on n’ait plus souvenir du nom d’Israël ! » (Ps 83[82], 3‑5).
Le
Dieu tout-puissant, qui aime les hommes par son amour, se sert de nous en vue
de sa bonté et de notre intérêt, comme l’enseigne Augustin dans Sur la doctrine chrétienne, I. En vue de sa bonté, afin que les hommes rendent gloire à
Dieu, Is 43, 7 : Quiconque invoque mon
nom, je l’ai créé en vue de ma gloire ; mais pour notre intérêt, afin de
donner lui-même le salut aux hommes, 1 Tm 2, 4 : Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés. C’est cette concorde
entre les hommes et Dieu que l’Ange a annoncée, lorsque le Seigneur est né,
Lc 2, 14 : Gloire à Dieu au plus
haut des cieux et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté.
Bien
que, tout-puissant qu’il soit, il pourrait par lui-même obtenir des hommes sa
gloire et le salut des hommes, il a cependant fait en sorte, pour que l’ordre
soit sauvegardé dans les choses, de choisir des ministres par le ministère
desquels les deux seraient réalisés, raison pour laquelle ceux-ci sont à juste
titre appelés coopérateurs de Dieu en 1 Co 3, 9. Mais le diable,
envieux de la gloire divine et du salut de l’homme, s’efforce d’empêcher les
deux choses par ses ministres, qu’il incite à la persécution des ministres
mentionnés. Ainsi, ces ministres du diable se montrent en cela les ennemis de
Dieu, dont ils empêchent la gloire, et de tout le genre humain, au salut duquel
ils s’opposent et, en particulier, à celui des ministres de Dieu qu’ils
persécutent, 1 Th 2, 15 : Ils nous
ont persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu, ils sont les ennemis de tous les
hommes. Et pour cette raison, le psaume fait trois choses dans les paroles
proposées.
Premièrement,
[le psaume] montre leur inimitié envers Dieu, en cet endroit : Voici que tes ennemis ont donné de la voix, à savoir que ceux qui
parlaient d’abord contre toi de manière occulte ne craignent plus de parler en
public. Comme le dit la Glose, « les derniers temps de l’Antéchrist
indiquent le moment où ce qui était jusque-là dissimulé éclatera sous la forme
d’une voix libre, voix qui, parce qu’elle est déraisonnable, est plutôt appelée
un bruit qu’une voix ». Et ils ne mettront pas en œuvre leurs inimitiés
par la seule voix, mais aussi par des gestes. C’est pourquoi [le psaume]
poursuit : Et que ceux qui te haïssent lèvent
la tête, « à savoir, l’Antéchrist », selon la Glose, ainsi que ses
membres qui sont soumis à cette tête, afin que, gouvernés par une seule tête,
ils persécutent plus efficacement les saints de Dieu.
Deuxièmement,
[le psaume] montre comment ils sont les ennemis de tout le genre humain, en
ajoutant : Contre ton peuple ils ont tramé
un complot – ou, selon une autre version, ils
songent avec astuce – afin de les tromper, selon la Glose, conformément à ce que dit
Is 3, 12 : Ô mon peuple, ceux qui
te bénissent te trompent ! La Glose [ajoute] : « Par des paroles
séduisantes. »
Troisièmement,
[le psaume] montre comment ils persécutent les ministres de Dieu lorsqu’il
ajoute : Et ils ont conspiré contre tes
saints. La Glose [dit] : « Non seulement contre les hommes
ordinaires, mais aussi contre les hommes célestes. » C’est pourquoi
Grégoire [dit], dans les Morales, XIII, en expliquant
ce passage de Jb 16, 11 : Ils se
sont adressés à moi pour me railler : « Les réprouvés
persécutent dans la sainte Église ceux dont ils se rendent compte qu’ils seront
utiles à beaucoup », et plus loin : « Les réprouvés estiment
avoir fait quelque chose de grand lorsqu’ils assassinent la vie des
prédicateurs. »
Or,
ils projettent deux choses contre les saints. En premier lieu, [ils projettent]
de les annihiler complètement, Est 13, 15 : Nos ennemis veulent nous perdre et détruire ton héritage. En second lieu, s’ils
ne le peuvent pas, [ils projettent] du moins de détruire leur réputation auprès
des hommes, afin qu’ils ne puissent porter fruit chez eux. Jc 2, 6‑7 :
Est-ce que les riches ne vous oppriment pas par leur
puissance ? Est-ce qu’ils ne blasphèment pas eux-mêmes la bonne renommée
qui vous a été faite ? C’est pourquoi, à propos du premier de ces deux points, le
psaume ajoute : Ils ont dit :
« Venez ‑ la Glose [dit] : “En se cherchant des associés” ‑,
retranchons-les du peuple » – ou des peuples. La
Glose [dit] : « Afin qu’ils ne se trouvent pas parmi les peuples,
c’est-à-dire, retranchons-les du monde : voilà la persécution de
l’Antéchrist ! ». Pour ce qui est du second point, [le psaume]
ajoute : Et qu’on n’ait plus souvenir du
nom d’Israël, c’est-à-dire que leur nom n’ait plus une bonne renommée,
« [le nom] de ceux qui disent être le véritable Israël », comme le
dit la Glose.
La
première de ces deux choses, à savoir l’expulsion des saints du monde, les tyrans
se sont efforcés de la réaliser dans les temps anciens. Ainsi, l’Apôtre,
Rm 8, 36, dit que, de son temps, ce que dit le psaume s’est
réalisé : À cause de toi, on nous met à
mort tout le jour ; nous avons passé pour des brebis à l’abattoir. Mais maintenant, des
hommes dévoyés tentent la même chose par des complots contre les religieux qui,
d’une manière particulière, peuvent plus efficacement porter fruit par la
parole et par l’exemple en professant la perfection : ils veulent leur
attribuer certaines choses par lesquelles leur état est soit totalement
détruit, soit rendu tout à fait insupportable, alors qu’ils s’efforcent de leur
enlever les consolations spirituelles, tout en leur imposant des fardeaux corporels.
En
effet, ils s’efforcent premièrement de leur enlever autant que possible l’étude
et l’enseignement, afin que, de cette manière, ils ne puissent résister à leurs
adversaires ni trouver dans l’Écriture la consolation de l’esprit. Et cela est
une fourberie de Philistins, 1 Sm 13, 19 : Les Philistins avaient fait en sorte que les Hébreux ne
puissent fabriquer des épées ou des lances, ce que la Glose interprète comme
l’interdiction de l’étude des lettres, ce que Julien l’Apostat avait d’abord
entrepris, comme l’atteste l’histoire de l’Église.
Deuxièmement,
ils les écartent autant que possible de la communauté de ceux qui étudient,
afin que, de cette manière, la vie des saints devienne méprisable,
Ap 13, 17 : Que personne ne puisse
vendre ni acheter que celui qui porte une marque ou un nom de bête, en consentant à leur
malice.
Troisièmement,
ils s’efforcent de les empêcher de prêcher ou d’entendre les confessions, ce
par quoi ils portent fruit chez le peuple, 1 Th 2, 16 : Ils nous interdisent de parler aux gens en vue de leur
salut.
Quatrièmement,
ils les forcent au travail manuel, afin que, ainsi accablés, ils soient dégoûtés
de leur état et soient empêchés de faire ce qui vient d’être mentionné, selon
le conseil de Pharaon qui disait, Ex 1, 9‑10 : Voilà que le peuple des fils d’Israël est nombreux et plus
fort que nous. Venez, opprimons-le par prudence ! Et plus loin : Il leur imposa donc un chef de corvée. La Glose dit :
« Pharaon signifie “Zabulon”, qui impose un joug très lourd de boue et de
brique, c’est-à-dire l’esclavage d’un travail terrestre et sale. »
Cinquièmement,
ils fulminent et blasphèment contre leur perfection, à savoir la pauvreté
mendiante, 2 P 2, 2 : Beaucoup
suivront leurs débauches et ils blasphèment contre la voie de la vérité, c’est-à-dire contre
les bonnes actions, selon la Glose.
Sixièmement,
ils leur soustraient les aumônes dont ils vivent, 3 Jn 10 : Et comme si cela ne suffisait pas – la Glose dit :
« Celui qui décourage l’hospitalité » –, il
n’accueille pas lui-même les frères – la Glose dit : « Les
indigents » –, et il en empêche ceux
qui [les] accueillent – la Glose dit : « D’offrir un soin
bienveillant. »
Mais
les ministres déjà mentionnés s’efforcent d’avilir la réputation des saints,
non seulement en diffamant par la parole les saints de Dieu qui sont présents,
mais aussi par des lettres envoyées par toute la terre.
Jr 23, 15 : Venue des prophètes de
Jérusalem, la salissure s’est répandue par toute la terre. Glose de Jérôme :
« Nous recourons à ce témoignage contre ceux qui adressent à toute la
terre des lettres pleines de mensonges, de tromperies et de parjures et en
salissent les oreilles de ceux qui les écoutent. En effet, il ne leur suffit
pas de dévorer leur propre iniquité ou de blesser leurs proches, mais ils
s’efforcent encore de diffamer par toute la terre ceux qu’ils ont un jour
détestés et de semer partout des blasphèmes. »
Avec
l’intention de repousser la méchanceté de ces malveillants, nous suivrons
l’ordre suivant[1] :
·
premièrement, nous montrerons ce qu’est la religion et en
quoi consiste la perfection de la religion, car toute leur intention semble
être de s’opposer aux religieux [ch. 1] ;
·
deuxièmement, nous montrerons que ce par quoi ils
s’efforcent d’opprimer les religieux est frivole et de nulle valeur [ch. 2‑7] ;
·
troisièmement, nous démontrerons que ce qu’ils affirment
pour diffamer les religieux vient de la malice [ch. 8‑26].
Afin
de pouvoir connaître la nature de la religion, cherchons l’origine de ce mot.
Le mot « religion », comme semble le suggérer Augustin dans son
ouvrage Sur la vraie religion, vient de
« relier » (religare). Or, au sens propre,
on dit qu’une chose est liée lorsqu’elle est si étroitement attachée à une
autre que la liberté de se tourner vers autre chose lui est enlevée ; mais
le fait d’être « relié » (religatio), comportant un lien
renouvelé, montre que quelqu’un est lié à un autre avec qui il avait été
antérieurement uni et dont il avait commencé à s’éloigner. Et parce que toute
créature existe d’abord en Dieu avant d’exister en elle-même et qu’elle est
issue de Dieu, en commençant en quelque sorte à s’en éloigner selon son essence
par la création, la créature rationnelle doit être « reliée » à Dieu
lui-même à qui elle avait d’abord été unie même avant d’exister, afin que, de
cette manière, les fleuves reviennent à leur
source,
Qo 1, 7. C’est pourquoi Augustin dit, dans Sur la vraie religion : « Que la religion
nous relie au seul Dieu tout-puissant ! » On trouve ceci dans la Glose,
Rm 11, 36, à propos du passage : De lui
et par lui, etc.
Or,
le premier lien par lequel l’homme est lié à Dieu est la foi, comme il est dit
dans He 11, 6 : Celui qui s’approche
de Dieu doit croire qu’il existe. Cette attestation de la foi est la latrie, qui rend un
culte à Dieu en reconnaissant qu’il est le principe. Ainsi, la religion signifie
d’abord et principalement la latrie, qui rend un culte à Dieu en attestant une
foi vraie. C’est ce qu’Augustin dit dans La cité
de Dieu, X : « La religion
semble signifier non pas n’importe quel culte, mais le culte de Dieu. » Et
Tullius [Cicéron] définit la religion, dans l’Ancienne
Rhétorique, en disant : « La religion est ce par quoi on accorde
attention et respect à une nature supérieure qu’on appelle divine. » Et
ainsi, il est reconnu que, en premier lieu et principalement, relève de la
vraie religion tout ce qui se rapporte à une foi parfaite et au culte de latrie
approprié. Mais, en second lieu, il est reconnu que relève de la religion tout
ce par quoi nous pouvons servir Dieu, car, comme le dit Augustin dans l’Enchiridion, un culte est rendu à Dieu non seulement par la foi, mais
par l’espérance et la charité, de sorte que toutes les œuvres de la charité
sont dites appartenir à la religion. C’est pourquoi [il est dit] en
Jc 1, 27 : La religion pure et
sans tache au regard de Dieu et Père est celle-ci : visiter les orphelins
et les veuves dans leurs épreuves, etc.
Par
cela, il est clair que le mot « religion » a un double sens. L’un,
selon le premier enseignement du mot, selon lequel quelqu’un se lie à Dieu par
la foi en vue d’un culte approprié ; et ainsi, tous participent à la
religion chrétienne par le baptême en renonçant à Satan et à toutes ses pompes.
Le deuxième, pour autant que quelqu’un s’oblige à certaines œuvres de charité,
par lesquelles Dieu est servi d’une manière particulière, en renonçant à la vie
du siècle[3], et
nous employons ici en ce sens le mot « religion »[4]. Or,
la charité rend à Dieu le service qui lui est dû selon les actes de la vie active
et de la vie contemplative, et, parmi les actes de la vie active, d’une manière
diversifiée selon les divers services de la charité qui sont rendus au
prochain. Et ainsi, certaines formes de vie religieuse sont établies pour
vaquer à Dieu par la contemplation, comme la vie religieuse monastique et érémitique.
Mais certaines [le sont] pour servir Dieu dans ses membres par l’action, comme
celles de ceux qui se vouent à Dieu pour accueillir les malades, pour racheter
les captifs et pour accomplir les autres œuvres de miséricorde. Et il n’existe
aucune œuvre de miséricorde pour l’accomplissement de laquelle une forme de vie
religieuse ne puisse être établie, même si elle n’a pas été établie jusqu’à
maintenant.
De
même donc que, dans le baptême par lequel l’homme est lié à Dieu par la foi, il
meurt au péché, de même, par le vœu de religion, il ne meurt pas seulement au
péché mais au siècle, afin de vivre pour Dieu dans cette œuvre à laquelle il
s’est voué au service de Dieu, car, de même que la vie de la foi est enlevée
par le péché, de même le service du Christ est empêché par les occupations du
siècle, 2 Tm 2, 4 : Personne
qui fait campagne pour Dieu ne se mêle des affaires du siècle. C’est pourquoi, par le
vœu de religion, on renonce à ces choses qui d’ordinaire occupent le plus
l’esprit humain et qui font obstacle au service de Dieu, parmi lesquelles la première
et la principale est le mariage, 1 Co 7, 32‑33 : Je voudrais vous voir exempts de soucis. L’homme qui n’est
pas marié se concentre sur ce qui ressortit à Dieu, sur les moyens de plaire à
Dieu. Celui qui a une épouse se concentre sur ce qui ressortit au monde, sur
les moyens de plaire à son épouse, et le voilà partagé. La seconde chose [qui
occupe d’ordinaire le plus l’esprit humain] est la possession des richesses
terrestres, Mt 13, 22 : La
préoccupation de ce monde et le charme trompeur des richesses étouffent la
parole, et elle devient stérile. Ainsi, une glose de Lc 8, 14 sur : Ce qui est tombé dans les épines, etc., dit : « Les
richesses, même si elles semblent donner du plaisir, sont cependant des épines
pour ceux qui les possèdent, puisque, par des préoccupations lancinantes, elles
transpercent leur esprit, lorsqu’elles sont recherchées avec avidité et sont protégées
d’une manière inquiète. »
La
troisième chose [qui occupe d’ordinaire le plus l’esprit humain] est la volonté
propre, car celui qui est l’arbitre de sa volonté se préoccupe du gouvernement
de sa vie. C’est pourquoi il nous est conseillé de confier à la providence divine
de disposer de notre état, 1 P 5, 7 : De toute votre inquiétude déchargez-vous sur lui, car c’est
lui qui prend soin de vous. Pr 3, 5 : Fais
confiance au Seigneur de tout ton cœur et ne t’appuie par sur ta propre prudence.
De là
vient que la religion parfaite est consacrée par un triple vœu, à savoir, le
vœu de chasteté, par lequel on renonce au mariage ; le vœu de pauvreté,
par lequel on renonce aux richesses ; le vœu d’obéissance, par lequel on
renonce à sa volonté propre.
Or,
par ces trois vœux, l’homme offre à Dieu le sacrifice de tous ses biens :
par le vœu de chasteté, en offrant en sacrifice à Dieu son propre corps, ce
dont parle Rm 12, 1 : Offrez vos membres en
sacrifice vivant ; par le vœu de
pauvreté, en faisant à Dieu l’offrande de ses biens extérieurs, ce dont parle
Rm 15, 31 : Que l’offrande de mes
services soit agréée des saints à Jérusalem ; mais, par le vœu d’obéissance, en offrant à Dieu le sacrifice
de son esprit, ce dont parle le psaume : Le
sacrifice à Dieu, c’est un esprit brisé (Ps 51[50], 19). Non seulement
un sacrifice est offert à Dieu par ces trois choses, mais un holocauste, qui
était le mieux accueilli selon la Loi. Ainsi, Grégoire [dit] dans sa huitième
homélie de la deuxième partie sur Ézéchiel : « Lorsque quelqu’un voue
quelque chose à Dieu et ne lui voue pas autre chose, c’est un sacrifice. Mais
lorsqu’il voue au Dieu tout-puissant tout ce qu’il a, tout ce qu’il vit, tout
ce qu’il pense, c’est un holocauste. » Et ainsi, la religion entendue au
second sens, par le fait qu’elle offre un sacrifice à Dieu, imite le premier
mode de la religion.
Il
existe cependant certaines manières de vivre où certaines de ces choses sont omises ;
mais en elles la notion parfaite de religion ne se retrouve pas. Par contre,
toutes les autres choses qui se trouvent dans les formes de vie religieuse sont
comme des tuteurs, soit pour éviter ce à quoi on a renoncé par un vœu de religion,
soit pour respecter ce par quoi un homme a promis en vue de servir Dieu par un
vœu de religion.
Par
ce qui a été dit, la manière dont une forme de vie religieuse peut être estimée
plus parfaite qu’une autre peut apparaître. En effet, l’ultime perfection d’une
chose consiste dans l’atteinte de sa fin. Ainsi, la perfection d’une forme de
vie religieuse doit être estimée principalement en fonction de deux choses.
Premièrement, en fonction de ce à quoi la forme de vie religieuse est ordonnée,
de sorte que sera dite plus éminente la forme de vie religieuse qui se consacre
à un acte plus digne. Dès lors, la comparaison des formes de vie religieuse qui
s’adonnent à la vie active ou à la [vie] contemplative se fait selon la comparaison
entre la vie active et la vie contemplative du point de vue de l’utilité et de
la dignité.
Deuxièmement,
en fonction de la comparaison de la forme de vie religieuse avec
l’accomplissement de ce pour quoi elle a été établie. En effet, il ne suffit
pas qu’une forme de vie religieuse soit établie en vue de quelque chose
d’élevé, si elle n’est pas ordonnée de telle manière que, par ses observances
et ses manières de vivre, elle atteigne sa fin sans empêchement. Ainsi, si deux
formes de vie religieuse sont établies en vue de la contemplation, celle par
laquelle un homme est rendu plus libre pour la contemplation doit être estimée
plus parfaite.
Mais
parce que, comme le dit Augustin, « personne ne peut entreprendre une nouvelle
vie sans se repentir de son ancienne vie », toute vie religieuse par laquelle
un homme entreprend une nouvelle vie est un état de pénitence destinée à ce que
cet homme soit purifié de son ancienne vie. Et, selon cette troisième manière,
les formes de vie religieuse peuvent être comparées, de sorte que soit dite
plus parfaite celle qui comporte de plus grandes austérités dans le jeûne, la
pauvreté ou les autres choses de ce genre, car les œuvres de satisfaction
doivent être pénibles. Mais les premières comparaisons sont plus essentielles à
la vie religieuse. C’est pourquoi il faut davantage juger selon elles de la
perfection d’une forme de vie religieuse, surtout que la perfection de la vie
religieuse consiste davantage dans la justice intérieure que dans l’abstinence
extérieure. Ainsi apparaît donc clairement ce qu’est la religion et en quoi
consiste la perfection de la religion.
Après
avoir vu ces choses, il faut poursuivre en vue d’écarter ce par quoi les adversaires
de la vie religieuse s’efforcent d’opprimer la vie religieuse, en procédant de
cette façon :
·
premièrement, nous chercherons s’il est permis à un
religieux d’enseigner ;
·
deuxièmement, si un religieux peut licitement faire partie
d’un collège de [clercs] séculiers ;
·
troisièmement, s’il est permis à un religieux de prêcher et
d’entendre les confessions, s’il n’a pas charge d’âmes ;
·
quatrièmement, si un religieux est obligé de travailler de
ses propres mains ;
·
cinquièmement, s’il est permis à un religieux de tout
quitter, de sorte qu’il ne lui reste rien qu’il puisse posséder en propre ni en
commun ;
·
sixièmement, s’il peut vivre principalement d’aumônes et de
choses mendiées.
[Les
adversaires des religieux] s’efforcent d’écarter l’enseignement par les religieux,
à savoir que ceux-ci ne puissent enseigner, de plusieurs manières.
1.
Premièrement, en vertu de l’autorité du Seigneur qui dit, en
Mt 23, 8 : Pour vous, ne vous
faites pas appeler « Rabbi », conseil qu’ils affirment devoir
être observé par les parfaits. Comme tous les religieux font profession de
perfection, ils doivent donc s’abstenir d’exercer un magistère.
2.
Deuxièmement, en vertu de l’autorité de Jérôme, dans sa lettre contre Vigilantius
et dans le Décret, C. 16,
q. 1 : « Le moine a pour fonction de pleurer, et non
d’enseigner. » Et dans le Décret, C. 7,
q. 1, c. 45 : « La vie du moine consiste à être soumis et à
être disciple, et non à enseigner, à présider ou à paître les autres. »
Ainsi, puisque les chanoines réguliers et les autres religieux sont considérés
comme des moines par le droit, comme on le dit dans les Décrétales, I, t. 37, c. 2 et
III, t. 35, c. 5, il reste qu’il n’est permis à aucun religieux
d’enseigner[5].
3.
Ils ajoutent aussi, dans le même but, qu’enseigner va contre le vœu de religion.
En effet, par le vœu de religion, on renonce au monde, car tout ce qui est dans le monde est convoitise de la
chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie (1 Jn 2, 16),
trois choses par lesquelles on entend les richesses, les plaisirs et les
honneurs. Or, ils disent que le magistère est un honneur, ce qu’ils démontrent
par la glose sur Mt 4, 5 : Il le
déposa au sommet du Temple, etc. : « En Palestine, les toits
étaient plats, et là se trouvait le siège des docteurs d’où ils pouvaient
parler au peuple ; c’est là que le diable commença à les enfler de vaine
gloire par l’honneur du magistère. » Ils concluent donc qu’enseigner est
contraire au vœu de religion.
4.
De même, les religieux sont tenus à l’humilité parfaite comme à la pauvreté parfaite.
Or, ils sont à ce point tenus à la pauvreté qu’ils ne peuvent rien posséder en
propre. Ils doivent donc aussi garder à ce point l’humilité qu’ils ne jouissent
d’aucun honneur. Or, le magistère est un honneur, comme on l’a démontré. Le
magistère est donc illicite pour eux.
5.
De même, Denys, dans la Hiérarchie
ecclésiastique, IV, fait une triple distinction dans notre hiérarchie : les
actions saintes, ceux qui les communiquent et ceux qui ne font que les
recevoir. Au surplus, il fait une triple distinction dans les actions
saintes : la purification, l’illumination et le perfectionnement. Dans le
chapitre V, il fait aussi une triple distinction entre ceux qui communiquent
les actions saintes : ceux qui purifient, et cela relève des
diacres ; ceux qui illuminent, ce qui relève des prêtres ; ceux qui
perfectionnent, ce qui relève des évêques. Dans le chapitre VI, il divise aussi
en trois ceux qui reçoivent les actions saintes : les impurs, qui sont
purifiés par les diacres ; le peuple saint, qui est illuminé par les prêtres ;
les moines, qui sont d’un degré supérieur, et qui sont perfectionnés par les
évêques. Il est donc clair qu’il ne relève pas des moines de communiquer les
choses saintes aux autres mais de les recevoir d’autres. Or, quiconque enseigne
communique à d’autres des choses saintes. Le moine ne doit donc pas enseigner.
6.
De même, la fonction scolaire est plus éloignée de la vie monastique qu’une fonction
ecclésiastique. Or, comme il est dit dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 2 : « Personne ne peut accomplir des fonctions
ecclésiastiques et persister de manière ordonnée dans la règle monastique. »
Encore bien moins un moine peut-il vaquer à des fonctions scolaires en enseignant
ou en écoutant.
7.
Ils ajoutent aussi que cela est contraire à l’enseignement apostolique,
2 Co 10, 13 : Pour nous, nous ne
nous glorifierons pas sans mesure, mais nous prendrons pour mesure la règle
même que Dieu nous a donnée pour mesure. Glose : « Nous utilisons
autant de pouvoir que l’auteur nous en a donnée, et nous ne nous écartons ni de
la mesure ni de la manière. » Ils disent donc que tout religieux qui
s’écarte de la manière qui a été déterminée par l’auteur de sa règle commet un
excès en allant contre l’enseignement apostolique. Ainsi, comme aucune forme de
vie religieuse n’a eu de maîtres à ses débuts, il n’est permis à aucun religieux
d’être promu au magistère.
Au
surplus, même s’ils ne peuvent empêcher complètement l’enseignement des religieux,
ils s’efforcent au moins de l’atténuer en disant que dans un seul collège de
religieux, il ne peut y avoir deux docteurs, en alléguant ce qui est dit dans
la Glose, à propos de Jc 3, 1 : `Mes
frères, que plusieurs ne deviennent pas maîtres : « Ne permettez pas
qu’il y ait plusieurs maîtres dans une seule église. » Or, un seul collège
de religieux est une seule église. Dans un seul collège de religieux, il ne
doit pas y avoir plusieurs maîtres.
2.
De même, Jérôme [écrit] au moine Rusticus, comme on le lit dans le Décret, C. 7, q. 1, c. 41 : « Chez les
abeilles, il n’y a qu’un roi, les grues en suivent une seule selon un ordre
savant », et plus loin : « Sur un navire, il n’y a qu’un seul
commandant, et dans une maison, un seul maître. » Dans un seul collège de
religieux, il ne doit donc y avoir qu’un seul maître.
3.
De même, comme il existe plusieurs collèges de religieux, si un seul collège
avait plus qu’un seul docteur, il en découlerait une telle multiplication des
docteurs religieux que les maîtres séculiers seraient écartés en raison du
petit nombre d’auditeurs, surtout que, dans une seule maison d’étude, il doit y
avoir un nombre déterminé de maîtres pour que la doctrine sacrée n’en vienne
pas à être méprisée en raison de la multitude des docteurs.
Ceux
qui soutiennent une telle erreur imitent les démarches de ceux qui se sont
trompés précédemment[6].
C’est en effet l’habitude de ceux qui se trompent que, parce qu’ils ne peuvent
se maintenir dans le milieu où se trouve la vérité, ils glissent dans une erreur
en penchant vers son contraire, comme lorsque, évitant la division de l’essence
qu’Arius avait introduite, Sabellius pencha vers la confusion des personnes,
comme le dit Augustin. De même, Eutychès, écartant la division des personnes
que Nestorius affirmait dans le Christ, proposa la confusion des natures dans
le Christ, comme l’affirme Boèce. La même chose est encore claire chez Pélage
et le manichéen, ainsi que chez de nombreux autres hérétiques. C’est la raison
pour laquelle 2 Tm 3, 8 dit : Hommes
réprouvés dont l’esprit est corrompu au sujet de la foi ; et la Glose :
« Et jamais à l’intérieur de la foi », parce que les impies tournaient
autour sans se fixer au milieu.
Il
y a donc eu, à un certain moment, une erreur de la part de religieux présomptueux,
à l’effet que, parce qu’ils étaient moines, en présumant de leur genre de vie,
ils usurpaient pour eux-mêmes, de par leur propre autorité, la fonction
d’enseigner, et par cela, la paix ecclésiastique était perturbée, comme on le
lit dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 17 : « Certains moines, sans aucune autorisation de leur
évêque, viennent dans la ville de Constantinople et y apportent des
perturbations à la tranquillité de l’Église », ce qui est aussi raconté
plus en détail dans l’histoire ecclésiastique. Les saints pères se sont
efforcés de réprimer leur présomption par des arguments et des décrets. Or,
certains hommes pervers de notre époque abusent de ce qu’ils ont dit, « en
le détournant de son sens en hommes sans instruction et sans fermeté, comme
d’ailleurs les autres Écritures, pour leur propre perdition »,
2 P 3, 16. Si bien qu’ils tombent dans l’erreur contraire en
affirmant qu’il n’est pas permis à un religieux d’exercer ou d’accepter la
fonction de docteur, et que celle-ci ne doit pas lui être imposée. Montrons
d’abord que cela est faux, en répondant ensuite à leurs preuves.
En
premier lieu donc, il faut invoquer l’autorité de Jérôme, [dans sa lettre] à
Rusticus, qui se trouve dans le Décret, C. 16, q. 1, c. 26 :
« Ainsi, vis dans un monastère afin de mériter d’être un
clerc » : « Apprends longtemps afin de pouvoir enseigner
ensuite. » Aussi, du même auteur, dans le chapitre suivant :
« Si le désir de devenir clerc te chatouille, apprends afin de pouvoir
enseigner. » À partir de là, on peut comprendre que les moines peuvent recevoir
la fonction d’enseigner.
La
même chose est montrée par les exemples des saints qui ont enseigné alors
qu’ils vivaient en religion, comme cela est clair pour Grégoire de Nazianze
qui, alors qu’il était moine, fut amené à Constantinople afin d’y enseigner la
Sainte Écriture, comme le raconte l’histoire ecclésiastique. Cela est clair
aussi pour [Jean] Damascène qui, alors qu’il était moine, a enseigné à des
étudiants, non seulement la Sainte Écriture, mais aussi les arts libéraux,
comme cela est clair selon le livre Sur les miracles de la
bienheureuse Vierge. De même, Jérôme, dans le prologue sur la Bible, bien qu’il fût
moine, promet au moine Paulin un enseignement sur la Sainte Écriture, à savoir
qu’il lui enseignera, en l’exhortant à l’étude de la Sainte Écriture. On lit
aussi d’Augustin que, « après avoir établi un monastère où il se mit à
vivre selon la règle formulée par les saints apôtres, il écrivait des livres et
enseignait aux ignorants ». Cela ressort aussi clairement pour d’autres
docteurs de l’Église, à savoir, Grégoire, Basile, Chrysostome et de nombreux
autres, qui furent des religieux et les principaux docteurs de l’Église.
On
peut aussi facilement démontrer cela par des arguments. En effet, l’enseignement
de la Sainte Écriture est démontré par des œuvres. Ac 1, 1 : Jésus se mit à faire et à enseigner. La Glose [dit] :
« Par le fait qu’il se mit à faire et à enseigner, il a montré ce qu’est
un bon docteur, qui fait ce qu’il enseigne. » Or, l’enseignement évangélique
contient non seulement des préceptes, mais des conseils. C’est donc avec la
plus grande convenance qu’enseigne la doctrine évangélique celui qui observe
non seulement les préceptes, mais aussi les conseils, ce qui est le cas des
religieux.
De
même, celui qui meurt à une vie se coupe des œuvres qui conviennent à cette
vie, et à celui qui commence à vivre d’une certaine vie, conviennent au plus
haut point les oeuvres qui relèvent de cette vie. Ainsi, dans la Hiérarchie ecclésiastique, II, Denys montre qu’avant le
baptême, par lequel l’homme reçoit la vie divine, celui-ci ne peut exercer les
opérations divines parce que, comme il le dit lui-même, « il faut d’abord
exister, puis agir ». Or, le religieux, par le vœu de religion, meurt au
siècle en vivant pour Dieu. Par le fait qu’il est religieux, lui sont donc
interdites les actions séculières, telles que le commerce et les autres
affaires séculières, mais non les actions divines, qui exigent un homme vivant
en Dieu. Or, telle est la confession divine qui est faite par l’enseignement.
Le psaume [dit] : Les morts ne te
loueront pas, Seigneur, mais nous qui vivons, etc. (Ps 114[113], 25‑26) Et ainsi, les religieux ne sont pas écartés de la fonction
d’enseignement par le vœu de religion.
Au
surplus, ceux-là sont le plus capables d’enseigner qui peuvent le mieux saisir
les choses divines par la contemplation. Ainsi, Grégoire, dans Morales, VI, [écrit] : « Que ceux qui contemplent dans la
paix s’imprègnent de ce que, occupés par le prochain, ils déversent en
parlant. » Or, les religieux se consacrent principalement à s’adonner à la
contemplation. Par le fait même qu’ils sont religieux, ceux-ci sont donc rendus
plus aptes à enseigner qu’ils n’en sont empêchés.
De
même, il est ridicule de dire que quelqu’un est écarté de l’enseignement par le
fait qu’il connaît une plus grande paix pour s’adonner à l’étude et à
l’enseignement, comme il serait ridicule que soit empêché de courir celui qui
s’est éloigné des empêchements à la course. Or, par un triple vœu, les religieux
se sont éloignés de ce par quoi l’âme est le plus troublée, comme cela est
clair par ce qui précède. Il leur convient donc au plus haut point d’étudier et
d’enseigner, Si 38, 24 : Écris la
sagesse
– la Glose [ajoute] : « [La sagesse] divine sur les tables de ton
cœur, c’est-à-dire, apprends » – aux
heures de loisir, et celui qui a moins d’occupations deviendra sage.
De
même, il convient au plus haut point aux pauvres du Christ de connaître les Écritures,
comme ressort clairement de Jérôme, dans le prologue sur les Questions hébraïques de la Genèse : « Alors que nous, humbles et pauvres, ne possédons pas
de richesses et ne jugeons pas convenable d’accepter des offrandes, ceux-là
reconnaissent qu’ils ne peuvent posséder la connaissance des Écritures, c’est-à-dire
les richesses du Christ, en même temps que les richesses du monde. » Or,
sont capables d’enseigner ceux qui ont la connaissance des Écritures. Enseigner
convient donc au plus haut point aux religieux qui professent la pauvreté.
De
même, comme on l’a démontré plus haut, une forme de vie religieuse peut être établie
en vue d’accomplir n’importe quelle œuvre de miséricorde. Or, enseigner est un
acte de miséricorde ; c’est pourquoi cela est compté parmi les aumônes
spirituelles. Une forme de vie religieuse peut donc être établie spécialement
en vue d’enseigner.
De
même, le combat corporel, qui est exercé avec des armes corporelles, paraît
plus éloigné du but de la vie religieuse que le combat spirituel, qui emploie
des armes spirituelles, à savoir, des enseignements sacrés, en vue de combattre
les erreurs, ce dont parle 2 Co 10, 4 : Les armes de notre combat ne sont pas charnelles, etc. Or, certaines formes
de vie religieuse ont été établies avec sagesse pour exercer un combat corporel
en vue de la protection de l’Église contre des ennemis corporels, bien que ne
manquent pas à l’Église des princes séculiers qui doivent défendre l’Église en
vertu même de leur fonction. Certaines formes de vie religieuse ont donc aussi
été salutairement établies en vue d’enseigner, de sorte que, par leur enseignement,
l’Église soit défendue contre les ennemis, bien qu’il en existe d’autres à qui
il appartient de défendre l’Église de cette manière.
De
même, celui qui est apte à être retenu pour ce qui est plus élevé et en qui une
autre chose est incluse, doit être considéré comme apte à ce qui est inférieur
et qui est inclus dans ce qui est plus élevé. Or, un religieux, même si sa
forme de vie religieuse n’a pas été établie en vue d’enseigner, peut être
retenu pour la fonction de prélat, comme cela ressort clairement pour les
moines dans plusieurs chapitres du Décret, C. 16, q. 1,
c. 31 et ss. Puisque la fonction de prélat est plus élevée que la fonction
de docteur exercée par des maîtres enseignant dans les écoles, et puisque
l’enseignement est aussi associé à la fonction de prélat, on ne doit donc pas
considérer comme déplacé qu’un moine soit retenu pour la fonction d’enseigner
mentionnée, en vertu de l’autorité de celui de qui cela relève.
De
même, les bonnes actions de moindre valeur peuvent être interrompues pour de
bonnes actions de plus grande valeur, comme le dit la Glose sur
Lc 9, 60 : Mais toi, va annoncer
le royaume de Dieu. Or, le bien commun est préféré au bien privé. Ainsi donc, comme le
moine, en observant sa vie régulière[7] dans
le cloître, s’adonne à son bien privé, et que la fonction d’enseignement, par
laquelle un grand nombre sont instruits, rejaillit sur le bien commun de toute
l’Église, il n’est pas déplacé qu’un moine vive hors du cloître, lorsqu’il a
été retenu pour la fonction d’enseignement avec la permission de celui que cela
regarde.
Et
ce qu’ils disent, que cela pourrait se faire lorsqu’il y a une nécessité urgente,
ce qui ne semble pas être le cas puisque les maîtres séculiers sont en grand
nombre, n’a pas de valeur, car l’utilité commune ne doit pas seulement être
assurée pour qu’elle existe d’une certaine façon, mais pour qu’elle existe de
la meilleure façon possible. Ainsi donc, plus le nombre des docteurs s’accroît,
plus s’accroît l’utilité commune qui vient de l’enseignement, car ce qui est
inconnu de l’un se révèle à un autre, ce pour quoi il est dit en
Sg 6, 24 : Une multitude de sages
est le salut du monde. Poussé par cette préoccupation, Moïse dit,
Nb 11, 29 : Puisse tout le peuple
prophétiser ! La Glose [dit] : « Le prédicateur fidèle souhaite que,
si cela est possible, la vérité qu’il ne suffit pas à exprimer à lui seul, les
bouches de tous la révèlent », et plus loin : « Celui qui n’a
pas traité avec envie le bien qu’il possédait voulait que tous
prophétisent. »
De
même, il appartient à la même personne d’enseigner ceux qui sont présents par
la parole et ceux qui sont absents par l’écrit. Ainsi, l’Apôtre dit en
2 Co 10, 11 : Tels nous sommes dans
nos lettres quand nous sommes absents, tels nous sommes lorsque nous sommes présents.
Or,
personne ne doute qu’un religieux puisse enseigner par écrit ceux qui sont
absents, puisqu’on trouve les bibliothèques remplies d’ouvrages ou de livres
que des religieux ont réalisés pour instruire l’Église. Ils peuvent donc
enseigner aussi par la parole ceux qui sont présents.
Il
est facile de résoudre ce qui est proposé en sens contraire.
1.
En effet, ce qu’ils disent en premier lieu être le conseil du Seigneur d’éviter
le magistère se révèle clairement être faux de plusieurs façons. Premièrement,
le dépassement au sujet duquel des conseils sont donnés obtient une récompense
plus élevée, comme cela ressort clairement de ce qui est dit en
Lc 10, 35 : Ce que tu auras fait
en plus, je te le rembourserai à mon retour, ce que la Glose interprète du
surplus des conseils. S’abstenir des actes auxquels est promise une récompense
excellente ne peut donc pas relever d’un conseil. Or, une récompense excellente
est due aux docteurs comme aux vierges, à savoir, l’auréole, comme cela est
clair dans Dn 12, 3 : Ceux qui enseignent la
justice à un grand nombre - la Glose [dit] :
« Par la parole et par l’exemple » ‑ seront comme des étoiles pour l’éternité. Ainsi, de même qu’il
serait déplacé de dire que le refus de la virginité ou du martyre relève d’un
conseil, de même est-il déplacé de dire que s’abstenir de l’acte d’enseigner
relève d’un conseil.
De
même, ce qui est contraire à un précepte ou à un conseil ne peut relever d’un
conseil. Or, enseigner relève d’un précepte ou d’un conseil, comme cela est
clair dans Mt 28, 19 : Allez
enseigner toutes les nations, etc., et dans Ga 6, 1 : Vous, les spirituels, instruisez-les dans un esprit de douceur.
Il ne
peut donc pas y avoir de conseil de ne pas enseigner.
De
même, les conseils que le Seigneur a proposés, il a voulu qu’ils soient immédiatement
observés par les apôtres afin que, par leur exemple, d’autres soient engagés à
observer les conseils. Ainsi, Paul, en proposant le conseil de l’observance de
la virginité, dit : Je veux que tous les
hommes soient comme moi (1 Co 7, 7). Or, l’observance de ce
qu’ils appellent un conseil, à savoir, s’abstenir d’enseigner, ne concernait
pas les apôtres puisqu’ils avaient été eux-mêmes envoyés pour enseigner toute
la terre. S’abstenir d’enseigner ne relève donc pas d’un conseil. On ne peut
pas non plus dire que s’abstenir de ce qui concerne la célébration solennelle
de l’enseignement[8]
relève d’un conseil, car ce qui se rapporte à la célébration solennelle de
l’enseignement ne devient pas cause d’orgueil, autrement cela devrait être
évité par tous puisque tous sont tenus d’éviter l’orgueil, mais cela a pour but
de mettre en évidence l’autorité d’enseigner. Ainsi, de même qu’il ne s’oppose
en rien à la perfection qu’un prêtre soit assis dans une position plus élevée
que le diacre ou porte des vêtements de soie, de même ne s’oppose en rien à la
perfection que quelqu’un utilise les insignes magistraux. Et c’est ce que dit
une glose sur Mt 28, 6 : Ils
aiment les premiers divans : « Il n’interdit
pas que les maîtres soient assis en premier, mais il reprend ceux qui désirent
indûment le fait de posséder ou non ces choses. »
Et
encore, il est plus ridicule de dire que, même si s’abstenir d’enseigner ne
relève pas d’un conseil, il relève cependant d’un conseil de s’abstenir du nom
de maître. En effet, un précepte ou un conseil ne peut pas porter sur ce qui ne
dépend pas de nous mais d’un autre. Mais enseigner ou ne pas enseigner dépend
de nous, ce sur quoi il n’existe pas de conseil, comme on l’a démontré, mais
être appelés docteurs ou maîtres ne dépend pas de nous, mais de ceux qui nous
donnent ce nom. Que nous soyons appelés maîtres ne peut donc pas relever d’un
conseil. De même, puisque des noms sont donnés pour signifier des choses, il
est ridicule de dire qu’un nom est interdit alors que la chose n’est pas
interdite.
De
même, puisque l’observance des conseils a concerné au plus haut point les apôtres,
par l’intermédiaire desquels elle est parvenue à d’autres, le nom de maître
n’est d’aucune manière interdit par un conseil, puisque les apôtres eux-mêmes
se sont appelés maîtres et docteurs, 1 Tm 2, 7 : Je dis la vérité dans le Christ Jésus, je ne mens
pas : [j’ai été établi] docteur des nations dans la foi et la vérité, et
2 Tm 1, 11 : Pour lequel j’ai été
établi prédicateur, apôtre et maître des nations. Il reste donc à dire que ce que
le Seigneur a dit : Vous, ne vous faites
pas appeler « Rabbi », n’est pas un conseil mais un précepte auquel tous sont
tenus, et que l’acte d’enseigner ou de magistère n’est pas interdit, mais
l’ambition d’exercer le magistère. Ainsi, lorsqu’il ajoute : Et ne vous appelez pas « Maîtres », la Glose [dit] :
« Ne désirez pas être appelés. » Et il n’interdit pas n’importe quel
désir, mais un désir désordonné, comme il est clair d’après la glose présentée
plus haut, d’autant qu’il avait auparavant parlé du désir désordonné des
Pharisiens en disant : Ils aiment les
premiers divans, etc.
Toutefois,
cela peut se comprendre autrement selon la Glose, comme cela ressort clairement
du contexte du libellé. En effet, le Seigneur y interdit le nom de
« père » et de « maître » pour la raison que nous n’avons
qu’un seul Père dans les cieux et que nous n’avons qu’un seul Maître, le
Christ. En effet, comme la Glose le dit à cet endroit, Dieu « est appelé
Père et Maître par nature, mais l’homme est appelé père en raison de la bienveillance »,
et « maître » en raison d’un ministère. Le Seigneur interdit donc que
le fait d’être auteur de vie naturelle ou spirituelle, ou même de sagesse, soit
attribué à un homme. C’est pourquoi la Glose dit : « Mais vous, ne vous faites pas appeler, etc., c’est-à-dire ne
vous attribuez pas ce qui revient à Dieu, et n’en appelez pas d’autres “Rabbi”
pour ne pas attribuer à des hommes un honneur divin. » Ainsi, dans une
glose, il est dit que quelqu’un doit être appelé père « pour reconnaître à
l’âge un honneur, et non pour qu’il soit reconnu comme auteur de la vie ;
le maître est honoré par association au véritable maître et en tant que son
messager, en raison de la révérence envers l’objet de son envoi. » Ainsi
donc, il est clair que le Seigneur n’a pas interdit tout simplement, ni comme
précepte, ni comme conseil, le nom de « père » ou de
« maître ». Autrement, comment les saints pères auraient-ils soutenu
que ceux qui sont à la tête des monastères soient appelés « abbés »,
c’est-à-dire, « pères » ? Comment aussi le vicaire du Christ,
qui doit être le modèle de toute perfection, serait-il appelé pape,
c’est-à-dire, père ? De plus, Augustin et Jérôme appellent fréquemment
« papes », c’est-à-dire, « pères », les évêques à qui ils
écrivent. Il est donc tout a fait insensé de dire que ce qui est dit : Ne vous faites pas appeler « Rabbi », est un conseil.
Mais,
en admettant que ce soit un conseil, il n’en découle pas que tous les parfaits
soient obligés par ce conseil. En effet, celui qui professe l’état de
perfection n’est pas obligé par tous les conseils, mais par ceux-là seuls
auxquels il se lie par vœu. Autrement, les autres apôtres, qui étaient dans
l’état de perfection, étaient obligés par ce dépassement que pratiquait Paul en
ne recevant pas de contributions des églises auxquelles ils prêchaient, et
ainsi, ils péchaient en n’observant pas cela, comme il est clair selon
1 Co 11, 15. Il en découlerait aussi une confusion entre les
formes de vie religieuse si toutes étaient obligées par tous les dépassements
et tous les conseils. En effet, toutes seraient obligées à tout dépassement que
l’une pratiquerait, et ainsi il ne resterait aucune distinction entre elles, ce
qui ne convient pas. Tous les parfaits ne sont donc pas obligés par tous les
conseils, mais seulement par ceux auxquels ils s’obligent.
2.
Ce qu’ils objectent en deuxième lieu, à savoir que le moine n’exerce pas la fonction
d’enseigner mais de pleurer, n’est pas en leur faveur. En effet, Jérôme montre
en cet endroit ce qui relève d’un moine du fait qu’il est moine, à savoir,
faire pénitence et non enseigner, comme se l’arrogeaient ceux dont nous avons
dit que, du seul fait qu’ils étaient moines, ils voulaient enseigner. Ou bien,
il veut montrer que le moine, du fait même qu’il est moine, n’est pas obligé
d’enseigner ; en effet, c’est ce qu’affirme Jérôme dans sa lettre contre
Vigilantius. Mais il n’en découle pas que, si le moine n’a pas la fonction
d’enseigner, il ne puisse la recevoir, de même qu’il ne découle pas que, si un
sous-diacre n’a pas la fonction de lire l’évangile, il ne puisse être retenu
pour cette fonction. Et c’est ce que Gratien dit, Décret, C. 16, q. 1,
post cap. 39, § 2, Superiori : « Jérôme voulait faire une distinction entre la
personne du moine et la personne du clerc, en montrant ce qui convient à chacun
en raison de sa propre fonction. En effet, autre chose convient à quelqu’un du
fait qu’il est moine, et autre chose du fait qu’il est clerc. Car, du fait
qu’il est moine, il a la fonction de pleurer ses péchés et ceux des
autres ; mais, du fait qu’il est clerc, il a la fonction d’enseigneur et
de paître. » Par cela, ressort aussi clairement le sens de l’autre
chapitre présenté plus haut. Il ressort aussi clairement que Gratien parle dans
cette question de l’enseignement de la prédication qui concerne les prélats, et
non de l’enseignement dans les écoles[9],
auquel les prélats ne s’appliquent pas beaucoup. Ainsi, cette objection vient
d’une équivoque.
De
même, en admettant qu’il ne soit pas permis aux moines d’enseigner, il n’en
découle pas qu’il ne soit pas permis aux chanoines réguliers[10]
d’enseigner puisque les chanoines réguliers sont comptés parmi les clercs, eux
dont parle Augustin dans son sermon sur la vie commune des clercs qu’on trouve
dans le Décret, c. 12, q. 1,
c. 10 : « Celui qui possédera quelque chose en propre ou voudra
le posséder, c’est peu que je dise qu’il ne demeurera pas avec moi, mais il ne
sera pas non plus un clerc. » Il ressort ainsi clairement que ceux qui vivaient
sous Augustin sans biens propres étaient comptés parmi les clercs. Bien
qu’Augustin ait ensuite révoqué cette interdiction générale qu’il avait faite
que personne ne soit clerc qui ne vivrait pas sans biens propres, il n’a
cependant pas révoqué que ceux qui vivaient sous lui sans bien propres étaient
des clercs, comme cela est clair par ce même chapitre de la même question, Certe ego sum, etc. (Décret, C. 12,
q. 1, c. 18). Ce qu’il objecte, à savoir que les chanoines
réguliers et les moines sont tenus aux mêmes choses, doit s’entendre de ce qui
est commun à tous les religieux, comme vivre sans biens propres, s’abstenir du
commerce et de la fonction d’avocat dans les procès, et les choses de ce
genre ; autrement, il pourrait conclure de la même manière que les
chanoines réguliers sont obligés de s’abstenir de vêtements de lin parce que
les moines y sont tenus. À bien plus forte raison encore est-il permis
d’enseigner à ces religieux dont la forme de vie religieuse a été établie
spécialement dans ce but, même si cela n’était pas permis aux moines, comme il
est permis aux Templiers d’utiliser des armes, ce qui n’est pas permis aux moines.
3.
Ce qu’ils objectent en troisième lieu, que d’exercer une fonction de magistère
est contraire au vœu de religion, est manifestement faux sous plusieurs aspects.
En effet, les religieux ne renoncent pas au monde de telle manière qu’ils ne
puissent utiliser les choses du monde, mais [ils renoncent] à la vie du monde
au sens où ils ne doivent pas être occupés par les actions du monde. Ainsi, ils
sont dans le monde pour autant qu’ils utilisent les choses du monde, et ils ne
sont pas dans le monde pour autant qu’ils sont libres par rapport aux actions
du monde. Dès lors, il n’est pas contraire à leur vœu qu’ils utilisent des
richesses et même parfois des plaisirs ; autrement, chaque fois qu’ils
mangeraient quelque chose de bon, ils pécheraient mortellement, ce qu’on ne
peut pas dire. Par conséquent, il n’est pas contraire à leur vœu qu’ils
utilisent parfois des honneurs.
De
même, non seulement les religieux, mais encore tous les hommes sont tenus de
renoncer au monde tel qu’on l’entend à cet endroit, ce qui ressort clairement
de ce que dit Jean plus haut : Si quelqu’un aime le
monde, la charité de Dieu n’est pas en lui, car tout ce qui est dans le monde,
etc. (1 Jn 2, 15‑16).
La Glose [dit] : « Tous ceux qui aiment le monde n’ont que ces trois
choses qui comprennent tous les genres de vices. » Ainsi, il est clair que
ce ne sont pas tout simplement les richesses et les plaisirs qui se rapportent
au monde, mais le désir qu’on en a. Dès lors, c’est la recherche d’un honneur,
et non l’honneur, qui est interdite non seulement aux religieux, mais à tous.
La Glose [dit] en cet endroit : « L’orgueil de la vie, c’est-à-dire
toute recherche du siècle. »
De
même, en admettant qu’on comprenne que l’honneur relève purement et simplement
du monde, cela ne pourrait cependant pas être dit de tout honneur, mais de
l’honneur qui consiste dans les choses du monde. En effet, on ne peut pas dire
que l’honneur du sacerdoce se rapporte au monde. De même en est-il pour
l’honneur du magistère puisque l’enseignement qui découle d’un tel honneur fait
partie des biens spirituels. De même donc que les religieux ne renoncent pas au
sacerdoce par leur vœu, de même [ne renoncent-ils pas] au magistère.
De
même, il est faux que le magistère ne soit pas un honneur. En effet, il s’agit
d’une fonction à laquelle l’honneur est dû. Or, à supposer que les religieux
aient renoncé à tout honneur, ils n’ont cependant pas renoncé à ce à quoi
l’honneur est dû, autrement ils auraient renoncé aux œuvres des vertus. En
effet, selon le Philosophe dans l’Éthique, l’honneur est la
récompense de la vertu. Et quelqu’un ne doit pas non plus s’abstenir du
magistère parce que le diable en trompe certains qui s’enorgueillissent de
l’honneur du magistère, comme il ne doit pas plus le faire des œuvres bonnes,
car Augustin dit : « L’orgueil guette même dans les œuvres bonnes
pour les perdre. »
4.
Quant à la quatrième objection, selon laquelle les religieux professent
l’humilité parfaite, il faut dire qu’elle est fausse. En effet, ils ne font pas
vœu d’humilité mais d’obéissance. Or, l’humilité ne relève pas d’un vœu, pas
plus que les autres vertus, puisque les actes des vertus sont nécessaires parce
qu’ils sont objets de précepte ; mais le vœu porte sur ce qui relève de la
volonté. De même, la perfection de l’humilité ne peut relever d’un vœu, pas
plus que la perfection de la charité, puisque la perfection des vertus ne
relève pas de notre arbitre mais d’un don de Dieu. Mais à supposer que les
religieux soient tenus à l’humilité parfaite, il n’en découlerait pas qu’ils ne
pourraient pas posséder certains honneurs, comme ils ne peuvent posséder des richesses
parce qu’ils professent la plus grande pauvreté, car posséder des richesses est
contraire à la pauvreté. Or, ce n’est pas le fait de posséder des honneurs,
mais de s’exalter de manière désordonnée dans les honneurs qui s’oppose à
l’humilité. Ainsi, comme le dit Bernard, dans le livre Sur la considération : « Il n’y a pas de
pierre plus précieuse que l’humilité, à savoir que, sous tous les ornements du
Souverain Pontife, on se distingue d’autant plus par l’humilité à ses propres
yeux qu’on est plus élevé pour les autres. » Et Si 3, 18 : Plus tu es grand, plus il te faut être humble devant tous. En effet, qui oserait
dire que Grégoire a perdu quelque chose de la perfection parce qu’il a été
promu au sommet de l’honneur ecclésiastique ? Par ce qui a été dit, il
ressort aussi clairement que le magistère n’est pas un honneur, et ainsi ce
raisonnement ne vaut absolument rien.
5.
À la cinquième objection, il faut répondre que Denys fait une distinction entre
les moines et les diacres, les prêtres et les évêques. Il est donc clair qu’il
parle des moines qui n’étaient pas prêtres à l’époque de l’Église primitive,
comme cela apparaît dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 39, § Superiori : « L’histoire de
l’Église atteste que les moines n’étaient pas des clercs jusqu’à l’époque
d’Eusèbe, de Zosime et de Siricius. » Et ainsi, on ne peut rien conclure
de ce que dit Denys à propos des moines qui sont évêques, prêtres ou diacres.
Leur raisonnement vient aussi d’une mauvaise compréhension de Denys. En effet,
il appelle « actions sacrées » les sacrements, en disant que le
baptême est une purification et une illumination, mais la confirmation et
l’eucharistie, un perfectionnement, comme cela est clair dans la Hiérarchie ecclésiastique, IV. Et dispenser ces choses ne
relève que des ordres mentionnés. Mais enseigner dans les écoles ne fait pas
partie de ces actions sacrées dont parle Denys, autrement personne ne pourrait
enseigner dans les écoles s’il n’était diacre ou prêtre. De même, les moines
clercs peuvent réaliser le corps du Christ, ce qui n’est permis qu’aux prêtres.
À plus forte raison peuvent-ils donc utiliser la fonction d’enseigner, pour
lequel un ordre sacré n’est pas nécessaire.
6.
Quant à leur sixième objection, à savoir que personne ne peut assurer le
service des fonctions ecclésiastiques et demeurer de manière ordonnée sous la
règle monastique, et donc encore bien moins [exercer la fonction
d’enseignement] dans les écoles, il faut l’entendre, non pas de ce qui
appartient à la substance de la vie religieuse, comme cela ressort clairement
des exemples qu’on y donne, car ils peuvent assurer cette observance tout en
vaquant aux fonctions ecclésiastiques. Mais cela s’entend des autres
observances, telles que le silence, les veilles et les choses de ce genre, ce
qui est clair aussi d’après ce qui suit dans le chapitre mentionné :
« Que celui qui est forcé d’assurer chaque jour le ministère
ecclésiastique soit tenu à la rigueur du monastère. » Il n’est pas
inconvenant que certains s’abstiennent de ces observances pour vaquer à
l’utilité commune en enseignant, comme cela ressort clairement chez ceux qui
sont retenus pour la fonction de prélat, puisque, même alors qu’ils demeurent
dans le cloître, ils sont parfois dispensés de ces choses pour quelque raison.
Au surplus, il existe certains religieux qui, demeurant dans leur cloître et
observant la rigueur de leur ordre, s’adonnent à la fonction qu’ils ont en
vertu des statuts de leur ordre.
7.
À leur septième objection, il faut répondre que celui-là dépasse la mesure,
comme cela ressort clairement de la Glose au même endroit, qui dépasse la
mesure qui lui est accordée. Or, on comprend qu’est permis ce qu’on ne trouve
défendu par aucune loi. Ainsi, si un religieux fait quelque chose qui ne lui
est pas défendu par sa règle, il ne dépasse pas la mesure, bien qu’il ne soit
fait aucune mention dans la règle qu’il puisse le faire ; autrement, il ne
serait pas permis à des religieux qui ont des règles plus larges d’adopter pour
eux-mêmes des coutumes et des statuts d’une vie plus parfaite, ce qui est
contraire à l’Apôtre, dans Ph 3, 13, qui « oubliant le
passé », était tendu « vers l’avant ». Au surplus, il existe
certains religieux pour qui l’enseignement fait partie des statuts de leur ordre,
et il est clair que l’objection mentionnée ne les affecte pas.
Ce
que [les adversaires] ajoutent, à savoir qu’il ne doit pas y avoir deux docteurs
dans un seul collège de religieux, peut manifestement s’avérer injuste. En
effet, puisque les religieux ne sont pas moins aptes à enseigner que les séculiers,
comme on l’a montré plus haut, la condition d’un religieux dans l’enseignement
ne doit pas être pire que celle d’un séculier. Or, elle le serait selon la
position exprimée auparavant, car le chemin pour parvenir au magistère pour
l’ensemble d’un même groupe de religieux ne paraîtrait pas plus dégagé que pour
un seul séculier qui étudierait uniquement par lui-même, et qui peut devenir
maître s’il progresse dans son étude.
De
même, selon cette position, le progrès de religieux dans l’étude est empêché.
En effet, ce serait un empêchement au combat pour celui qui combat, si la
récompense pour le combat lui était enlevée, car, comme [le dit] le Philosophe
dans l’Éthique : « Les combattants
les plus forts semblent se trouver parmi ceux qui sont hésitants lorsqu’ils ne
sont pas honorés et forts lorsqu’ils sont honorés. » Ainsi, c’est un
empêchement à l’étude pour un étudiant si le magistère lui est enlevé, qui est
comme la récompense de celui qui étudie.
De
même, cela serait considéré comme l’infliction d’un châtiment à quelqu’un si le
magistère lui était refusé après qu’il a progressé dans l’étude. Ainsi donc, si
un religieux est davantage empêché que quelqu’un d’autre d’obtenir le
magistère, il sera puni du fait même qu’il est religieux. Et c’est là punir des
hommes pour le bien, ce qui est injuste.
1.
À propos du premier point qu’ils font valoir, il faut donc dire que cette
autorité ne se rapporte pas davantage aux religieux qu’aux séculiers. En effet,
tous les chrétiens sont appelés « frères » dans le Nouveau Testament,
comme cela ressort clairement de soi. Et aussi, un collège de n’importe quels
chrétiens est appelé « église ». Toutefois, un certain nombre de maîtres
n’est pas interdit aux religieux ou aux séculiers par cette autorité, car,
comme le dit Augustin, « les maîtres qui enseignent des choses contraires
sont appelés nombreux, et plusieurs qui enseignent une seule chose sont un seul
maître ». Et ainsi, l’opposition, mais non la pluralité des docteurs, est
interdite. Ou bien, davantage selon le sens littéral, il est interdit que
n’importe qui soit indifféremment retenu pour le magistère, mais « ceux
qui font preuve de jugement et connaissent les Écritures », comme le dit
la Glose, et cela est le fait d’un petit nombre. Et une autre glose dit qu’on
« écarte de la fonction de la parole » ceux qui ne sont pas instruits
« pour qu’il ne fassent pas obstacle aux vrais prédicateurs ». Ou
bien, on parle du magistère qui relève des prélats des églises : en effet,
il est interdit qu’un seul [prélat] soit à la tête de plusieurs églises ou que
plusieurs [soient à la tête] d’une seule église. Ainsi, la Glose [dit] :
« Ne cherchez pas à être maîtres dans plusieurs églises ou à être plusieurs
[maîtres] pour une seule église », c’est-à-dire des prélats, qui seuls
sont des maîtres des églises. En effet, celui qui, venant d’un collège, enseigne
n’est pas un maître, même si le collège dont il vient s’appelle une église.
2.
À propos du deuxième point, il faut dire que plusieurs maîtres qui font partie
d’un seul collège ne sont pas à la tête de ce collège, comme le commandant sur
un navire ou le prince chez les abeilles, mais chacun est de cette manière à la
tête de son école. De sorte que, par l’autorité invoquée, on ne peut prouver
qu’ils dirigent, mais que, dans une seule école, il ne peut y avoir plusieurs
maîtres.
3.
À propos du troisième point, il faut dire que, par le fait que plusieurs
maîtres se multiplient dans un seul collège de religieux, les séculiers ne sont
pas écartés de l’enseignement, même s’il existe plusieurs collèges de
religieux, car, au sein de chaque collège de religieux, on n’en trouve pas
toujours plusieurs qui sont qualifiés pour l’enseignement. De même, pour la
même raison, quelqu’un n’est pas empêché d’enseigner par le fait qu’au sein de
chaque diocèse, il peut y avoir autant de maîtres qu’il s’en trouve qui en
soient dignes. Et même si on en trouvait plusieurs qui soient qualifiés, les
mieux qualifiés devraient être préférés, religieux ou séculiers, sans acception
de personnes. Toutefois, la Sainte Écriture ne risque pas d’être méprisée en
raison du grand nombre des docteurs, pourvu qu’ils en soient dignes, mais
plutôt en raison de leur incapacité, même s’ils sont en petit nombre. Ainsi, il
ne conviendrait pas qu’un nombre déterminé de maîtres existe de crainte que,
dans ce cas, ceux qui sont qualifiés soient écartés du magistère.
De
plus, à l’instigation de leur malice, [leurs adversaires] s’efforcent de montrer
que les religieux, pour ce qui concerne l’étude, ne doivent pas fréquenter les
[clercs] séculiers, de sorte que, tout en ne perdant pas totalement la fonction
d’enseignement, ils soient d’une certaine façon empêchés de mettre en œuvre la
fonction.
1.
Pour montrer cela, ils invoquent en premier lieu ce qu’on trouve dans le Décret, C. 16, q. 7, c. 22, Non actione, où il est dit : « Pour une seule et même
fonction, la profession ne doit pas être différente, ce qui est aussi interdit
dans la loi divine par les paroles de Moïse : “Tu ne laboureras pas avec
un attelage de bœuf et d’âne”, c’est-à-dire que tu n’associeras pas des hommes
de professions différentes dans une même fonction. ». Plus loin :
« Car ils ne peuvent être solidaires et unis avec ceux dont les études et
les vœux sont différents. » En conséquence, puisque la profession des
religieux et des [clercs] séculiers est différente, ils ne peuvent être
associés dans une seule fonction d’enseignement.
2.
De même, comme chacun doit adopter le comportement de ceux avec qui il vit,
selon Augustin, il semble inconvenant qu’une seule et même personne fasse
partie, à un certain moment et en même temps, d’un collège religieux et [d’un
collège] séculier : en effet, l’acte des deux ne peut pas être imité en
même temps. Si donc un religieux fait partie du collège de sa communauté
religieuse, il ne peut pas faire partie du collège des docteurs séculiers.
3.
De même, il a été décidé par disposition du droit qu’une seule et même personne
ne peut pas faire partie de plusieurs collèges, même séculiers, sinon peut-être
par dispense. Encore bien moins un religieux qui fait partie d’un collège de
maîtres séculiers le peut-il.
4.
De même, tous ceux qui font partie d’un collège sont tenus d’observer ce qui se
rapporte à ce collège. Or, les religieux ne peuvent pas observer ce qui relève
d’un collège de docteurs et d’étudiants séculiers. En effet, ils ne peuvent
s’obliger à ce à quoi les autres s’obligent, ni jurer ce que les autres jurent,
ou respecter ce que les autres respectent, puisqu’ils n’ont pas droit sur
eux-mêmes mais sont placés sous l’autorité d’un autre. Et ainsi, il semble
qu’ils ne puissent faire partie du collège [de docteurs et d’étudiants séculiers].
Ils
vont encore plus loin dans leur malice en faisant en sorte que ceux qu’ils ne paraissent
pas pouvoir séparer de leur société par une raison efficace, ils les en
séparent au moins en les diffamant. En effet, ils disent que des dissensions et
des scandales sont suscités par les religieux et que c’est la raison pour
laquelle ils doivent éviter de les fréquenter, selon le commandement de
l’Apôtre, Rm 16, 17 : Je vous en prie,
frères, je vous demande de vous garder de ces fauteurs de dissensions et de
scandales contraires à l’enseignement que vous avez reçu, et de les éviter.
Ils
disent aussi que les religieux vivent dans l’oisiveté. Ils doivent donc être
évités selon le commandement de l’Apôtre, 2 Th 3, 6 : Nous vous ordonnons, frères, au nom de notre Seigneur,
Jésus le Christ – la Glose [dit] : « Nous vous ordonnons par l’autorité du
Christ » ‑ de vous tenir à
distance de tout frère qui se comporte de manière désordonnée – la Glose
[dit] : « À savoir, de ne pas fréquenter ceux qui se comportent de
manière désordonnée » ‑, et non selon la
tradition qu’ils ont reçue de nous. Et il ajoute plus loin, à propos
du travail manuel : En effet, vous savez
comment il faut nous imiter, etc. (2 Th 3, 7ss). Et il dit encore cela d’une
manière plus explicite un peu plus loin : Si
quelqu’un n’obéit pas à ce que nous disons dans cette lettre, notez-le et
cesser de frayer avec lui pour lui faire honte (2 Th 3, 14).
Ils
accusent aussi les religieux d’être les auteurs des dangers des derniers jours.
Ainsi, ils doivent être évités selon le commandement de l’Apôtre,
2 Tm 3, 1‑2 : Sachez
donc que, dans les derniers jours, surviendront des moments difficiles et que
les hommes seront égoïstes, cupides et vantards. Et plus loin : Ils auront l’apparence de la piété – c’est-à-dire de la
religion, selon la Glose ‑, mais ils en nieront la
vérité. Évitez-les (2 Tm 3, 5).
Cependant,
comme on le dit dans le même chapitre, les
hommes mauvais et trompeurs feront toujours plus de progrès dans le mal, en
trompant et en se trompant (2 Tm 3, 13). Ainsi, ne se contentant pas de
diffamer les religieux, [leurs adversaires] s’efforcent encore de vider de son
sens l’autorité apostolique, en disant qu’ils ne peuvent même pas être
contraints par l’autorité apostolique à admettre les religieux dans leur société,
car, selon une disposition du droit civil, personne ne doit être forcé à faire
partie d’une société, puisqu’une société se fonde sur la volonté. De sorte
qu’eux non plus ne peuvent être forcés par une autorité à admettre les religieux
dans leur société.
De
même, l’autorité apostolique ne s’étend que sur ce qui se rapporte à la chaire
[apostolique]. Ainsi, l’Apôtre disait, en 2 Co 10, 13 : Pour nous, nous ne nous glorifierons pas sans mesure, mais
selon la mesure de la règle que Dieu nous a mesurée. Or, selon ce qu’ils
disent, les rapports entre ceux qui étudient ne concernent pas la chaire
[apostolique], mais la collation des bénéfices, l’administration des sacrements
et les autres choses de ce genre. Ils ne peuvent donc pas être forcés par
l’autorité apostolique à admettre des religieux dans leur société.
De
même, le pouvoir a été donné aux ministres de l’Église, non pas en vue de la
destruction, mais en vue de l’édification, comme il est dit en
2 Co 13, 10. Puisque les rapports entre les [clercs] séculiers
et les religieux sont ordonnés à la destruction, comme ils s’efforcent de le
montrer dans ce qui précède, ils ne peuvent être forcés par l’autorité apostolique
d’admettre des religieux dans leur société.
Mais
cette position qui est la leur se trouve être nuisible, fausse et sans valeur.
Elle
est en effet nuisible parce qu’elle déroge à l’unité de l’Église qui consiste,
selon l’Apôtre, en Rm 12, 5, dans le fait que, à plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps dans le
Christ, en étant, chacun pour sa part, les membres les uns des autres. La Glose
[dit] : « Nous sommes les membres les uns des autres lorsque nous
sommes au service des autres et que nous avons besoin des autres. » C’est
pourquoi, selon la Glose, on dit « chacun » parce que « personne
n’est exclu, grand ou petit ». Ainsi, il est clair que déroge à l’unité de
l’Église quiconque empêche que chacun soit le membre d’un autre en le servant
selon la fonction dont il est capable. Puisque les religieux sont capables
d’exercer la fonction d’enseigner (l’Apôtre en parle un peu plus loin lorsqu’il
dit : celui qui enseigne, par
l’enseignement, Rm 12, 7 ; la Glose [dit] : « À savoir
que celui qui a le don d’enseigner soit le membre d’un autre en exerçant
l’enseignement »), il est clair que dérogent à l’unité de l’Église tous
ceux qui empêchent les religieux d’enseigner à quiconque ou d’apprendre de
quiconque.
La
position rappelée déroge aussi à la charité, car, selon le Philosophe, dans Éthique, VIII et IX, l’amitié se fonde et est entretenue par la
fréquentation, ce qui concorde avec la position de Salomon,
Pr 18, 24 : Un ami devient par la
fréquentation plus amical qu’un frère. Ainsi donc, celui qui empêche que
les [clercs] séculiers fréquentent des religieux pour l’étude ou l’inverse,
fait obstacle à la charité et, de ce fait, sème des incitations aux dissensions
et aux disputes.
La
position rappelée déroge aussi au progrès de ceux qui étudient. En effet, dans
toutes les occupations qui peuvent être exercées par plusieurs, les rapports
avec plusieurs sont très utiles. Ainsi, Pr 18, 19 : Un frère qui est aidé par son frère est comme une ville
fortifiée, et Qo 4, 9 : Mieux
vaut être deux qu’un seul, car ils profitent ainsi de leur association. Mais surtout pour
l’acquisition de la science, les rapports avec plusieurs qui étudient ensemble
sont très utiles, car parfois l’un ignore ce que l’autre trouve et qui lui est
révélé. Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur le
ciel et le monde, I, que les anciens philosophes ont fait des recherches sur les
choses célestes dans les réunions. Ainsi donc, quiconque isole un genre
d’hommes de la société commune de ceux qui étudient empêche manifestement
l’étude commune. Et cela est vrai principalement pour les religieux qui se
trouvent être d’autant plus aptes à l’étude qu’ils sont libérés des soucis du
siècle, selon ce que dit Si 38, 25 : Celui
qui a des occupations réduites acquerra la sagesse.
La
position rappelée déroge donc à la communauté de foi qui, parce qu’elle doit
être unique, est appelée catholique. En effet, il arrive facilement que ceux
qui ne se fréquentent pas en se rencontrant pour l’enseignement enseignent des
choses différentes et parfois contradictoires. C’est pourquoi l’Apôtre dit de
lui-même, Ga 2, 1‑2 : Ensuite,
au bout de quatorze ans, je montai de nouveau à Jérusalem avec Barnabé,
accompagné de Tite, à la suite d’une révélation, et je conférai avec eux de
l’évangile que j’annonce aux païens, mais séparément avec ceux qui paraissaient
être des notables, de peur de courir ou d’avoir couru en vain. Pour cette raison, il
est dit dans le Décret, D. 15, c. 1,
Canones : « On commença à tenir des conciles à l’époque de
Constantin. Car, au cours des années précédentes, alors que la persécution
faisait rage, il n’était guère possible d’enseigner le peuple. Pour cette
raison, le monde chrétien fut divisé par diverses hérésies parce qu’il n’était
pas permis aux évêques de se réunir. » Il est donc clair que celui qui ne
permet pas que les docteurs de la foi se réunissent en une même assemblée
entraîne un danger de division dans la foi, et ainsi, il est clair que la
position rappelée est nuisible à plusieurs titres.
La
même position est aussi fausse, ce qui est clair pour de multiples raisons. Premièrement,
parce qu’elle est contraire à l’enseignement apostolique qui ne peut pas être
faux. En effet, il est dit en 1 P 4, 10 : Que tous, selon la grâce reçue, se mettent au service les
uns des autres, comme de bons intendants de la grâce multiforme de Dieu. La Glose [dit] :
« Il dit “grâce”, à savoir, tout don de l’Esprit Saint en vue du service
des autres, tant pour les choses séculières que spirituelles. » Et il
donne l’exemple du don de la science en disant : Si quelqu’un parle, que ce soit comme des paroles de Dieu. La Glose [dit] :
« Si quelqu’un a la science pour parler, qu’il ne se l’attribue pas mais à
Dieu, et qu’il n’enseigne pas en s’écartant de la volonté de Dieu, de
l’autorité des Saintes Écritures et de l’utilité des frères, et encore qu’il ne
taise pas ce qui doit être enseigné. » Celui qui dit que les religieux et
les séculiers ne peuvent pas partager les uns avec les autres le don de la
science contredit donc l’autorité apostolique.
De
même, par la bouche de la Sagesse, il est dit en Si 24, 47 : Voyez comme je n’ai pas travaillé pour moi seul, mais pour
tous ceux qui cherchent la vérité, ce qui se rapporte au docteur de
l’Église, comme la Glose le dit au même endroit : « Celui qui est
utile non seulement à lui-même mais aux autres en enseignant et en écrivant. »
Celui qui parle de « tous » ne fait d’exception pour personne. Autant
les docteurs religieux que les séculiers doivent donc être utiles en enseignant
aux séculiers et aux religieux pris ensemble.
De
même, il existe des fonctions diverses dans l’Église comme des membres divers
dans le corps, comme cela ressort clairement de 1 Co 12, 12ss,
dans le texte et dans la Glose. Or, ce qu’est l’oeil pour le corps, les
docteurs le sont dans l’Église. Ainsi, en Mt 18, 9, lorsqu’il est
dit : Si ton œil te scandalise, on comprend les
docteurs et les conseillers, comme cela ressort clairement de la Glose. Or,
dans le corps humain, l’œil voit pour tous les membres sans différence, et de
même n’importe quel autre membre est au service d’un autre par l’exercice de sa
fonction. 1 Co 12, 21 : L’œil ne
peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de ce que tu fais »,
pas plus que la tête [ne peut dire] aux pieds : « Vous ne m’êtes pas
nécessaires. » Ceux qui sont retenus pour la fonction d’enseignement doivent donc
être utiles à tous, de quelque condition qu’ils soient, les religieux aux séculiers
et les séculiers aux religieux.
De
même, à tous ceux de qui relève un acte, il convient d’être admis à la société
de ceux qui sont ordonnés à cet acte, puisqu’une société ne semble être rien
d’autre qu’une association d’hommes en vue d’une chose à réaliser en commun.
Ainsi, tous ceux à qui il est permis de combattre peuvent faire partie d’une
même armée, qui est une société ordonnée en vue de combattre. En effet, on ne
voit pas que les combattants religieux repoussent les combattants séculiers de
leur armée, et inversement. Or, la société en vue de l’étude est ordonnée à
l’acte d’enseigner et d’apprendre. Puisqu’il est permis, non seulement aux séculiers,
mais aussi aux religieux d’enseigner et d’apprendre, comme cela ressort clairement
de ce qui a été dit auparavant, il n’y a pas de doute que les religieux et les
séculiers peuvent faire partie d’une même société en vue de l’étude.
La
position mentionnée est aussi sans valeur, car les raisons sur lesquelles elle
s’appuie n’ont aucune valeur et montrent l’ignorance, réelle ou feinte, de ceux
qui les invoquent. En effet, une société, comme on l’a dit, est une association
d’hommes en vue de réaliser une chose. C’est pourquoi il faut que les sociétés
se différencient et soient jugées selon les choses diverses auxquelles une société
est ordonnée, puisque le jugement de toute chose se fait principalement à
partir de la fin. De là vient que le Philosophe, dans Éthique, VIII, fait une distinction entre divers rapports, qui ne
sont rien d’autre que des sociétés différenciées selon les diverses fonctions
par lesquelles les hommes échangent. Et, selon ces divers échanges, il fait une
distinction entre les amitiés, comme entre ceux qui sont élevés ensemble, ou
qui font le commerce ensemble, ou qui exercent une autre activité. De là vient aussi
la distinction selon laquelle la société se différencie en [société] publique
et [société] privée. On appelle société publique celle dans laquelle les hommes
entretiennent des rapports en vue d’établir une seule communauté publique[11],
comme lorsque tous les hommes d’une seule ville ou d’un seul royaume sont associés
dans un seul corps public. Mais la société privée est celle qui est réunie en
vue de réaliser une activité privée, comme lorsque deux ou trois personnes forment
une société en vue de commercer.
Or,
chacune de ces deux sociétés se différencie en perpétuelle et temporaire. En
effet, ce pour quoi deux ou trois personnes s’associent est parfois perpétuel,
comme ceux qui deviennent citoyens des villes s’engagent dans une société
perpétuelle, car la résidence dans les villes est choisie pour toute la durée
de la vie d’un homme, et c’est là la société politique. De même, la société
privée qui existe entre un mari et une femme, le seigneur et le serf, dure
d’une manière perpétuelle en raison de la perpétuité du lien par lequel ils
sont associés, et cette société est appelée économique. Mais lorsqu’on choisit
d’exercer d’une manière temporaire l’activité pour laquelle un grand nombre est
réuni, il ne s’agit pas d’une société perpétuelle mais temporaire, comme
lorsque des commerçants se réunissent pour les foires, non pas pour y demeurer
de manière perpétuelle, mais jusqu’à ce qu’ils aient conclu leurs affaires, et
cette société est publique mais temporaire. De même, deux compagnons qui louent
la même auberge ne s’engagent pas dans une société perpétuelle mais temporaire,
et c’est là une société privée et temporaire. Il faut donc porter un jugement
différent sur ces sociétés. Ainsi, celui qui utilise indistinctement le mot
« société » ou « collège » montre son ignorance.
En
fonction de cela, la réponse à leurs arguments est claire.
1.
En ce qui concerne leur première objection, selon laquelle, « dans une
seule et même fonction, il ne doit pas y avoir de profession différente »,
et aussi « tu n’associeras pas des hommes de diverses professions »,
il faut comprendre ce en quoi ils se différencient, comme si des laïcs et des
clercs étaient associés pour ce qui concerne seulement la fonction du clerc.
C’est pourquoi, avant les mots mentionnés, il est indiqué : « Il est
inconvenant qu’un laïc soit le vicaire d’un évêque et juge des hommes
d’Église. » De même aussi, un religieux ne peut-il être associé à un
séculier pour ce par quoi le séculier se différencie du religieux, comme
l’exercice des affaires du siècle qui sont interdites au religieux,
2 Tm 2, 4 : Personne qui combat
pour Dieu ne s’implique dans les affaires séculières. Mais la fonction
d’enseigner et d’apprendre est commune au religieux et au séculier, comme cela
ressort clairement de ce qui a été dit plus haut. Ainsi, rien n’empêche que des
religieux soient associés à des séculiers dans la même fonction d’enseigner et
d’apprendre, comme aussi les hommes de conditions diverses forment un seul
corps de l’Église selon qu’ils se rejoignent dans l’unité de la foi,
Ga 3, 28 : Il n’y a ni Juif ni
Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, car tous vous ne faites
qu’un dans le Christ Jésus.
2.
À leur deuxième objection, il faut répondre que, de même que certaines choses
sont communes aux religieux et aux séculiers et qu’il y a aussi certaines
choses qui les différencient, de même il existe un collège qui n’est composé
que de séculiers, selon que certains hommes s’associent pour accomplir ce qui
ne concerne que les séculiers. Il existe aussi un collège qui n’est composé que
de religieux, dans lequel certains sont associés pour mener la vie religieuse.
Et il en existe un qui est commun à des religieux et à des séculiers, dans
lequel des hommes sont associés en vue de ce qui ne différencie pas les religieux
des séculiers, comme lorsque les religieux et les séculiers font ensemble
partie du collège d’une seule Église du Christ pour autant qu’ils se rejoignent
dans une seule foi qui réalise l’unité de l’Église. De même, puisque enseigner
et apprendre conviennent solidairement aux religieux et aux séculiers, un
collège d’étude ne doit pas être considéré comme un collège de religieux ou
comme un collège de séculiers, mais comme un collège qui englobe en lui-même
les deux.
3.
À leur troisième objection, à savoir que personne ne peut faire partie de deux
collèges, il faut répondre que cet argument est fautif sur trois points. Premièrement,
parce que la partie ne fait pas nombre avec le tout. Or, un collège privé est
une partie d’un collège public, comme une maison est une partie d’une ville.
Ainsi, du fait que quelqu’un fait partie du collège d’une famille, il fait du
même coup partie du collège de la ville, qui est composée de diverses familles,
mais il ne fait pourtant pas partie de deux collèges. Puisqu’un collège d’étude
est un collège public, du fait que quelqu’un fait partie d’un collège privé de
quelques étudiants – comme ceux qui sont réunis pour vivre dans une maison
religieuse ou séculière ‑, il doit par le fait même faire partie du
collège commun d’étude, et il n’existe pas à cause de cela deux collèges.
Deuxièmement,
l’argument rappelé est fautif du fait que rien n’empêche que quelqu’un soit
membre d’un seul collège perpétuel public ou privé, et qu’il soit en même temps
membre d’un collège public ou privé temporaire, comme celui qui fait partie du
collège d’une ville fait parfois partie pour un temps d’un collège de
compagnons de combat dans une seule armée, et comme celui qui fait partie du
collège d’une famille peut pour un temps être associé à certains dans une
auberge. Or, un collège d’étude n’est pas un collège perpétuel mais temporaire.
En effet, des hommes ne s’y retrouvent pas pour y demeurer de manière
perpétuelle, mais ils vont et viennent à leur guise. Ainsi, rien n’empêche
celui qui fait partie d’un collège religieux perpétuel de faire en même partie
d’un collège scolaire, comme aussi celui qui est chanoine d’une église
séculière n’est pas pour autant empêché de faire partie d’un collège scolaire.
Troisièmement,
l’argument rappelé est fautif parce qu’il s'étend à tout ce qui est particulier.
Or, le fait qu’une seule personne ne puisse faire partie de deux collèges
s’entend des collèges ecclésiastiques, car une même personne ne peut être
chanoine dans deux églises sans dispense ni cause légitime. C’est pourquoi il
est dit dans le Décret, C. 21, q. 1,
c. 1 : « Que le clerc ne soit pas compté en même temps dans deux
églises. » Mais, dans les autres collèges, cela ne se produit pas. Ainsi,
un seul et même homme peut être citoyen dans deux villes. Ainsi, puisqu’un
collège scolaire n’est pas un collège ecclésiastique, rien n’empêche que celui
qui fait partie d’un collège ecclésiastique religieux ou séculier soit en même
temps membre d’un collège scolaire.
4.
À leur quatrième objection, il faut répondre que les religieux ne peuvent faire
partie d’un collège scolaire que pour autant qu’il leur est permis d’enseigner
et d’apprendre, ce qu’ils ne peuvent faire sans le contrôle et la permission de
leurs supérieurs, avec la permission de qui ils peuvent aussi s’engager dans
les serments et les associations permises et convenables afin d’être ainsi
comptés au sein du collège scolaire. Toutefois, comme la perfection du tout
consiste dans l’union des parties, cela ne convient pas au tout dont les parties
ne peuvent se rejoindre parce que cela s’oppose à la perfection du tout. Ainsi,
les ordonnances qui sont portées dans la communauté publique doivent être
telles qu’elles puissent s’adapter à tous ceux qui relèvent de la communauté
publique. Mais les ordonnances qui font obstacle aux rassemblements de citoyens
devraient plutôt être retirées que de tolérer une division de la communauté
publique, car les statuts existent en vue de la conservation de l’unité de la
communauté publique, et non l’inverse. De même, dans un collège scolaire, il ne
doit pas y avoir de statuts qui ne puissent convenir à tous ceux qui se
retrouvent légitimement dans la maison d’étude.
Mais
les paroles de l’Apôtre qu’ils utilisent pour affirmer leur position ne leur
sont pas favorables. Premièrement, parce que les religieux ne sont pas comme
ceux dont parle l’Apôtre, ce qui est clair pour chacun des points. En effet, ce
qui est dit en Rm 16, 17 : Je vous
demande, frères, etc., s’entend des hérétiques qui provoquaient des dissensions en
matière de foi, ce qui ressort clairement de ce qu’il dit : À l’encontre de l’enseignement que vous avez reçu. La Glose [dit] :
« Des vrais apôtres, car ceux-là – à savoir, ceux dont il ordonne de se
détourner – parlaient de la loi, car ils forçaient les païens à
judaïser. » De même, ce qu’on rencontre en 2 Th 3, 6 :
Mais nous vous prescrivons, etc., ne concerne pas les
religieux, mais ceux qui s’adonnent à de mauvaises occupations en étant désœuvrés,
ce qui ressort clairement de ce qu’y dit l’Apôtre : Car nous avons entendu dire qu’il en est parmi vous qui
mènent une vie désordonnée, ne travaillant pas du tout mais se mêlant de tout (Rm 16, 11).
La Glose [dit] : « Ceux qui se procurent le nécessaire par un comportement
louche (on appelle ici comportement louche toute activité illicite). » De
même, ce qui est dit en 2 Tm 3, 1 : Sache, par ailleurs, que dans les derniers jours, etc., ne concerne pas les
religieux, mais les hérétiques, comme cela ressort clairement de ce qu’il
dit : Blasphémateurs, la Glose [dit] :
« Contre Dieu par les hérésies. » [Cela ressort clairement aussi] de
ce qu’il dit plus loin : À l’exemple de Jannès
et de Jambrès qui se sont dressés contre Moïse, ils se dressent eux aussi – la Glose [dit] :
« C’est-à-dire les hérétiques » ‑ contre
la vérité, hommes réprouvés, à l’esprit corrompu en matière de foi (2 Tm 3, 8).
Et peu importe qu’il dise : Ayant les apparences
de la piété (2 Tm 3, 5), « c’est-à-dire de la religion ».
En effet, « religion » est pris ici au sens de la latrie qui témoigne
de la foi, car, en ce sens, la religion est la même chose que la piété, comme
cela est clair d’après ce que dit Augustin dans La cité
de Dieu, X.
Mais
même en admettant que les religieux, tous ou quelques-uns, soient tels, il
n’appartiendrait pas [aux séculiers] de les exclure de leur communion, ce qui
est clair d’après la Glose sur 1 Co 5, 11 : Si celui qui porte le nom de frère est fornicateur ou
avare, etc., ne prenez même pas de nourriture avec lui : « En
disant : “celui porte le nom”, il montre que les méchants ne doivent pas
être écartés de la communion de l’Église de manière téméraire et de n’importe
quelle façon, et s’ils ne peuvent être écartés par un jugement, qu’ils doivent
être plutôt tolérés. En effet, nous ne pouvons interdire la communion à quiconque
que s’il a spontanément confessé ou s’il a été cité et condamné dans un procès
ecclésiastique ou séculier. En disant cela, il n’a donc pas voulu qu’un
individu soit jugé par un autre par un caprice soupçonneux, ni même par un
jugement extraordinaire usurpé, mais plutôt selon la loi de Dieu et selon la
procédure de l’Église, soit qu’il ait confessé, soit qu’il ait été mis en
accusation et condamné. » Il est donc clair que, même si des religieux
étaient comme ils le disent, ils ne pourraient cependant pas les repousser de
leur société s’ils n’ont pas d’abord été condamnés par un jugement de l’Église.
Dans
ce qui suit, où ils s’écartent du pouvoir apostolique, ils encourent non seulement
la faute d’erreur mais aussi d’hérésie, comme il est dit dans le Décret, D. 22, c. 1, Omnes : « Celui qui
tente d’enlever à la tête suprême de toutes les églises le privilège conféré à
l’Église romaine, celui-là tombe sans aucun doute dans l’hérésie. » Et,
plus loin : « Il va à l’encontre de la foi celui qui agit contre celle
qui est la mère de la foi. » Or, le Christ a conféré ce privilège à
l’Église romaine afin que tous lui obéissent comme au Christ. C’est ainsi que
Cyrille, évêque d’Alexandrie, dit dans le livre des Trésors,
II : « Demeurons comme des membres avec notre tête, la
chaire apostolique des pontifes romains, à qui il nous appartient de demander
ce que nous devons croire et préserver, en la vénérant, en lui adressant en
tout nos demandes, car il lui appartient seule de reprendre, de corriger, de
décider, de disposer, de délier ou de lier à la place de celui qui l’a établie
et n’a donné à personne d’autre, mais à elle seule, ce qui lui appartient, et
devant qui tous inclinent la tête en vertu du droit divin, et à qui les primats
du monde obéissent comme au Seigneur Jésus lui-même. » Ainsi, il est donc
clair que tous ceux qui disent qu’il ne faut pas obéir à ce qui a été décidé
par le pape tombent dans l’hérésie.
À
leur objection que personne ne peut être forcé à être membre d’une société
contre son gré, comme le dit la loi, il est clair que cela s’entend d’une
société privée qui est constituée par le consentement de deux ou trois. Mais
quelqu’un peut être forcé, même par l’autorité d’un supérieur, à faire partie
d’une société publique qui ne peut être constituée qu’avec le consentement d’un
supérieur, comme le dirigeant qui est à la tête d’une communauté publique peut
forcer les citoyens à accueillir quelqu’un dans leur société, de même aussi que
le collège d’une église est forcé d’accueillir quelqu’un comme chanoine ou
comme frère. Puisqu’un collège d’études général[12] est
une société publique, quelqu’un peut donc y entrer en vertu de l’autorité
contraignante d’un supérieur.
À
ce qu’ils objectent ensuite qu’il ne s’agit pas de choses qui concernent la
chaire, il faut répondre que cela est faux. En effet, il appartient à celui qui
dirige une communauté publique de décider de l’éducation et des disciplines
dans lesquelles les jeunes doivent être formés, comme il est dit dans Éthique, X. Ainsi, comme il est dit en Éthique,
I, la
politique « décide des disciplines qui doivent exister dans les villes et
lesquelles chacun doit apprendre et jusqu’à quel point ». Et ainsi, il est
clair que décider des études relève de celui qui dirige une communauté
publique, et principalement à l’autorité du Siège apostolique par laquelle
l’Église universelle est gouvernée, qui est soutenue par un studium generale.
Enfin,
la dernière objection découle de fausses prémisses. En effet, ce n’est pas en
vue de détruire les études, mais pour en assurer le progrès que les religieux
sont associés aux séculiers dans l’étude, comme cela ressort clairement de ce
qui a été dit. En conséquence, personne ne doit douter que les séculiers
puissent être forcés par l’autorité apostolique d’admettre les religieux à une
société d’étude.
Toutefois, ils ne
s’efforcent pas seulement d’empêcher les religieux de porter fruit dans
l’Église par l’enseignement en expliquant la Sainte Écriture à d’autres, mais,
ce qui est plus pernicieux, ils s’efforcent de les écarter des prédications et
d’entendre les confessions, de sorte qu’ils ne puissent porter fruit chez le
peuple par l’exhortation aux vertus et l’extirpation des vices. En cela, ils se
montrent les persécuteurs de l’Église. Ainsi, Grégoire dit, dans les Morales, XX, en commentant : « Comme pour le capuchon
d’une tunique, etc. » : « Les persécuteurs de l’Église ont
l’habitude de s’efforcer d’une manière particulière de supprimer avant tout en
elle la parole de la prédication. »
1.
Ils avancent en premier lieu ce qu’on trouve dans le Décret, C. 16, q. 1, c. 6 : « Autre
est l’affaire du moine, autre celle du clerc : les clercs paissent les brebis,
moi – à savoir, un moine – je suis mené à paître. » Et
C. 7, q. 1, c. 45, Hoc
nequaquam : « Les moines doivent mettre leur soin à exprimer la
soumission, et non à enseigner, à diriger ou à paître les autres. » Or,
prêcher, c’est paître le peuple par la parole de Dieu,
Jn 21, 17 : Pais mes brebis. Comme le dit la
Glose : « Paître les brebis, c’est renforcer les croyants pour qu’ils
ne défaillent pas. » Les moines et les autres religieux, qui sont estimés
tous relever du droit des moines[13], ne
le peuvent donc pas.
2.
Cela semble être encore plus explicite dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 19, Adicimus, où il est dit :
« Nous avons décidé que, à part les prêtres du Seigneur, personne ne doit
oser prêcher, même si, laïc ou moine, il est loué pour la science qui lui est
attribuée. » De même, C. 16, q. 1, c. 11, Iuxta : « Nous avons décidé que les moines doivent cesser
toute prédication au peuple. »
3.
Ils invoquent aussi l’autorité de Bernard, Sur le
Cantique, qui dit que « prêcher ne convient pas au moine, ne relève pas
du novice[14],
et n’est pas permis à celui qui n’est pas envoyé ».
4.
De même, ceux qui paissent le peuple par la parole de Dieu doivent aussi paître
en voyant au nécessaire, comme cela est clair dans la Glose sur
Jn 21, 17 : « Paître les brebis, c’est renforcer les
croyants pour qu’ils ne défaillent pas, assurer les secours terrestres aux
subordonnés. » Or, les religieux ne peuvent assurer le nécessaire
puisqu’ils font profession de pauvreté. Ils ne peuvent donc pas paître en
prêchant la parole de Dieu.
5.
De même, il est dit en Ez 34, 2 : Les
troupeaux ne sont-ils pas menés paître par les pasteurs ? Or, par
« pasteurs », comme le dit la Glose au même endroit, sont signifiés
les évêques, les prêtres et les diacres auxquels le troupeau est confié. Les
religieux qui ne sont ni évêques, ni prêtres, ni diacres, à qui un troupeau
aura été confié, ne peuvent donc pas prêcher.
6.
De même, il est dit en Rm 10, 15 : Comment
prêcheront-ils s’ils ne sont pas envoyés ? Mais nous lisons que n’ont été
envoyés par le Seigneur que les douze apôtres, Lc 9, 1‑6, et
soixante-douze disciples, Lc 10, 1‑20, à propos de quoi la
Glose dit : « De même que la figure des évêques se trouve chez les
apôtres, de même se trouve chez les soixante-douze la figure des prêtres du
second ordre », qui sont les prêtres paroissiaux. Et l’Apôtre ajoute, en
1 Co 12, 28 : Ceux qui assistent, c’est-à-dire ceux
« qui assistent les supérieurs, comme Tite [le faisait] pour l’Apôtre ou
les archidiacres pour les évêques », comme le dit la Glose à cet endroit.
Les religieux, qui ne sont ni évêques ni prêtres paroissiaux, ni archidiacres,
ne doivent pas non plus prêcher.
7.
De même, il est dit dans le Décret, D. 68,
c. 5 : « Les chorévêques[15] ont
été interdits, tant par le Saint Siège que par les évêques de toute la
terre : en effet, leur établissement est mauvais et erroné. » Et plus
loin : « Nous ne reconnaissons pas plus que deux ordres chez les
disciples du Seigneur, à savoir celui des douze apôtres et celui des
soixante-douze disciples. D’où vient ce troisième, nous l’ignorons, et il est
nécessaire d’extirper ce qui existe sans raison. » Et ainsi, un ordre de
religieux qui prêchent sans être des évêques, successeurs des apôtres, ou des
prêtres paroissiaux, successeurs des soixante-douze disciples, doit être
extirpé.
8.
De même, Denys, dans la Hiérarchie
ecclésiastique, VI, dit que « l’ordre monastique ne doit pas être placé
au-dessus des autres », ou, selon une autre traduction, « ne doit pas
conduire les autres ». Or, les hommes sont conduits à Dieu par
l’enseignement et la prédication. Les moines et les autres religieux, qui sont
estimés relever du droit des moines, ne doivent pas prêcher ou enseigner.
9.
De même, la hiérarchie ecclésiastique a été instituée selon le modèle de la [hiérarchie]
céleste, selon ce que dit Ex 25, 40 : Regarde et agis selon le modèle qui t’a été montré sur la
montagne. Or, dans la hiérarchie céleste, l’ange d’un ordre inférieur
n’exerce jamais la fonction d’un ordre supérieur. Comme l’ordre monastique est
compté parmi les ordres mineurs, comme il est dit dans la Hiérarchie ecclésiastique, VI, les moines et les autres
religieux ne doivent donc pas exercer la fonction de la prédication, qui relève
d’un ordre supérieur, à savoir, de celui des évêques et des autres prélats.
10.
De même, si un religieux prêche, ou bien il prêche avec pouvoir ou sans pouvoir.
S’il le fait sans pouvoir, il est donc un faux apôtre ; mais s’il le fait
avec pouvoir, il peut donc exiger des procurations[16]. En
effet, le Seigneur, en envoyant les apôtres prêcher, leur a ordonné « de
ne prendre pour la route qu’un bâton », comme il est dit en
Mc 6, 8. Comme la Glose le dit au même endroit : « Par le bâton,
il entend le pouvoir de recevoir des subordonnés le nécessaire. » Or, cela
ne semble pas convenir aux religieux qu’ils puissent exiger des procurations,
car ainsi les églises devraient plusieurs procurations. Ils ne doivent donc pas
prêcher.
11.
De même, les évêques ont une plus grande autorité pour prêcher que les religieux,
eux qui n’ont pas charge d’âmes. Mais les évêques ne peuvent prêcher en dehors
de leur diocèse que si d’autres évêques ou prêtres le leur demandent. Ainsi, il
est dit dans le Décret, C. 2, q. 2,
c. 3 : « Qu’aucun primat, aucun métropolitain ni aucun des
autres évêques ne se rende dans la ville d’un autre ou n’aille dans un lieu qui
ne relève pas de lui. » Et la même chose se trouve dans plusieurs
chapitres au même endroit. Les religieux, qui n’ont pas du tout de diocèse ni
de paroisses, ne doivent donc pas prêcher, à moins que peut-être ils n’y aient
été invités.
12.
De même, un prédicateur ne doit pas bâtir sur les fondations d’un autre ni
tirer gloire de populations étrangères, à l’instar de l’Apôtre qui dit, en
Rm 15, 20 : De même, j’ai prêché
l’évangile là où le nom du Christ n’avait pas été prononcé pour ne pas bâtir
sur des fondations posées par autrui ; et il est dit en
2 Co 10, 15 : Nous ne nous
glorifions pas hors de mesure au moyen du labeur d’autrui. La Glose [dit] :
« Où il aurait posé les fondations d’une autre foi, ce qui serait se
glorifier hors de mesure. » Et plus loin : « N’espérant pas être
glorifié selon la règle d’autrui » – la Glose explique qu’il s’agit de
ceux « qui relèvent du gouvernement d’un autre ». Ceux qui n’ont pas
charge d’âmes ne doivent donc pas prêcher aux populations confiées à d’autres,
mais poser les fondations de la foi chez les infidèles.
Au
surplus, ils s’efforcent de montrer qu’ils ne peuvent entendre les confessions.
1.
Le Décret, C. 16, q. 1,
c. 1, Placuit, [dit] :
« Nous ordonnons à tous fermement et sans exception qu’aucun moine
n’impose une pénitence à quiconque. » Et au chapitre Placuit (ibidem, c. 8), il est dit
« qu’aucun moine ne doit avoir la présomption d’imposer une pénitence, de
recevoir un enfant pour le baptême, de baptiser, de visiter un malade,
d’ensevelir un mort, ni de se mêler de n’importe quelle affaire ».
2.
De même, au chapitre Interdicimus (Décret, C. 16, q. 1, c. 10), il est dit :
« Nous interdisons aux abbés et aux moines d’imposer des pénitences
publiques, de visiter les malades et de donner les onctions, etc. » Par
tout cela, on voit qu’il n’est pas permis aux moines et aux religieux, qu’on
estime relever du même droit, d’entendre les confessions.
3.
De même, il a été ordonné aux recteurs des églises : Connais bien le visage de ton troupeau, Pr 27, 23.
La Glose [dit] : « Il est dit au pasteur d’une église : “Accorde
un soin attentif à ceux qu’il t’arrive de diriger, connais bien leurs actes et
rappelle-toi de châtier aussitôt les vices que tu auras trouvés en eux”. »
Or, les pasteurs d’une église ne peuvent connaître les actes et les vices de
leurs subordonnés que par la confession. [Leurs subordonnés] ne doivent donc se
confesser qu’à leurs recteurs.
4.
De plus, dans les Décrétales, V, t. 28,
c. 12, De pænitentiis et remissionibus, Innocent III dit en
concile général : « Que tout fidèle des deux sexes, après avoir
atteint l’âge de discrétion, confesse ses actes – à savoir, ses péchés ‑
au prêtre de qui il relève au moins une fois par année. » Or, celui qui a
été absous de ses péchés n’est plus tenu de confesser ses péchés. Mais si
quelqu’un d’autre que le prêtre en titre pouvait entendre les confessions et
absoudre quelqu’un, celui-ci ne serait pas tenu de se confesser une fois par
année au prêtre en titre, ce qui est contraire à la décrétale invoquée. Puisque
les religieux ne sont pas des prêtres en titre parce qu’ils n’ont pas de
peuples qui leur sont confiés, il semble qu’ils ne peuvent pas entendre les
confessions et absoudre.
5.
De même, les fidèles doivent recevoir les sacrements de leurs prêtres en titre,
comme il est dit dans la décrétale invoquée. Or, un prêtre ne doit administrer
les sacrements de l’Église qu’à celui qui en est digne. Mais il ne peut savoir
que quelqu’un en est digne que s’il connaît sa conscience par la confession.
Les prêtres doivent donc entendre les confessions de leurs subordonnés, et
ainsi d’autres ne peuvent absoudre ceux-ci.
6.
De même, dans l’Église, il ne faut pas seulement éviter le mal, mais aussi
l’occasion de mal, comme le dit de lui-même l’Apôtre,
2 Co 11, 12 : Afin de leur enlever
l’occasion, etc. Or, si quelqu’un pouvait se confesser à un autre qu’au prêtre en
titre, beaucoup pourraient dire qu’ils se sont confessés, et ainsi des gens qui
ne se seraient pas confessés pourraient s’approcher des sacrements, et ils ne
pourraient en être empêchés par le prêtre en titre, en se cachant derrière le
prétexte d’une confession faite à un autre. Il ne faut donc pas que se produise
dans l’Église que des religieux, qui ne sont pas prêtres en titre, entendent
les confessions.
7.
De même, il appartient d’absoudre des pénitents à celui-là seul de qui relève
la correction. Or, comme le dit Denys dans sa lettre au moine Démophile, la
correction ne relève pas des moines, mais des prêtres. Les religieux ne peuvent
donc pas absoudre des pénitents.
8.
De même, comme [les religieux] n’ont pas de provinces, de diocèses ou de paroisses
déterminés qui leur sont confiés, s’ils peuvent prêcher et entendre les
confessions, ils le pourront partout. Ils ont donc un pouvoir plus étendu que
les évêques, les primats ou les patriarches, qui ne sont pas des dirigeants de
l’Église universelle, puisque même le pape interdit qu’on l’appelle pontife
universel, raison pour laquelle il est dit dans le Décret, D. 99,
c. 4 : « Qu’aucun des patriarches n’utilise jamais le mot
“universel”. » Et on trouve la même chose dans le chapitre suivant.
Au
surplus, ils s’efforcent de montrer que [les religieux] ne peuvent prêcher ou entendre
les confessions par délégation des évêques.
1.
En effet, ils disent que ce que donne quelqu’un, il ne le possède plus. Si donc
les évêques confient le soin des populations aux prêtres paroissiaux, le soin
de celles-ci ne relève plus des [évêques], et ainsi certains ne peuvent en
vertu de leur autorité prêcher aux populations ou entendre les confessions, à
moins qu’ils ne soient appelés par le prêtre paroissial.
2.
De même, lorsqu’un évêque confie le soin du peuple à un prêtre, il se décharge
lui-même et le danger pèse sur le prêtre à qui la charge a été confiée, selon
ce qui est dit en 1 R 20, 39 : Garde
bien cet homme, car s’il tombe, ce sera ta vie contre sa vie. Autrement, les évêques
seraient en grand danger, en ayant le poids insupportable de toute la
multitude. Les évêques ne doivent donc pas intervenir davantage auprès des populations
qu’ils ont confiées aux prêtres.
3.
De même, comme l’évêque est soumis à l’archevêque, de même les prêtres sont
soumis aux évêques. Or, les archevêques ne peuvent intervenir dans ce qui est
soumis aux évêques, si ce n’est peut-être en raison de la négligence des
évêques. Ainsi, il est dit dans le Décret, C. 9, q. 3,
c. 5 : « Que l’archevêque ne se saisisse pas des affaires qui
concernent les évêques sans le conseil de ceux-ci. » Ni les évêques ne
peuvent donc intervenir auprès des populations soumises aux prêtres sans le
consentement de ceux-ci, si ce n’est peut-être en raison de leur négligence ou
de leur défaillance.
4.
De même, les prêtres paroissiaux sont les époux des églises qui leur ont été
confiées. Si donc d’autres, en vertu d’un mandat des évêques, prêchent ou entendent
les confessions auprès des populations confiées aux prêtres mentionnés, une
seule église aura plusieurs époux, ce qui est contraire à ce qui se trouve dans
le Décret, C. 7, q. 1,
c. 39 : « De même que l’épouse d’un autre ne peut être détournée
par quelqu’un, ni jugée, ni renvoyée que si son propre mari le permet de son vivant,
de même n’est-il pas permis que l’épouse de l’évêque, qui est sans aucun doute
son église ou sa paroisse, alors qu’il est vivant, soit, sans son conseil et sa
volonté, jugée ou renvoyée par un autre, ou qu’un autre profite de sa couche,
c’est-à-dire de son ordination. » « Or, ceci s’entend non seulement
des évêques, mais de tous les ministres de l’Église », comme le montre
Gratien dans les chapitres suivants.
De
plus, ils s’efforcent de montrer que [les religieux] ne peuvent pas prêcher ou
entendre les confessions même en vertu d’un privilège du Siège apostolique, car
même l’autorité du Siège romain ne peut rien faire ou changer qui soit
contraire aux décisions des pères, comme il est dit dans le Décret, C. 25, q. 1, c. 7, Contra. Si donc la décision des pères anciens est que personne ne
prêche ni n’entende les confessions, « sauf les prêtres du
Seigneur », comme il est dit dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 19, cela ne pourra être concédé à personne par privilège du pape.
2.
De même, dans le Décret, C. 25, q. 1,
c. 6, Sunt quidam, il est dit :
« S’il tentait – à savoir, le Pontife romain ‑ de détruire ce que
les apôtres et les prophètes ont enseigné, ce qu’à Dieu ne plaise, il serait
convaincu, non pas de rendre une décision, mais plutôt d’errer. » Si donc
l’Apôtre a établi, en 2 Co 10, 15, que personne ne doit se
glorifier de populations qui relèvent d’un autre, et si le pape donne un
privilège à quelqu’un à l’encontre de cela, il est convaincu d’erreur.
3.
De même, il a été écrit dans le droit que si un dirigeant concède à quelqu’un
l’autorisation de construire dans un lieu public, cela doit s’entendre sans
préjudice pour un autre, Digeste, Ne qui in
loco ædificetur, loi 2, § Si quis a principe. Et dans le Décret, C. 25, q. 2, c. 8, De ecclesiasticis, Grégoire dit : « Comme
nous défendons nos biens, ainsi préservons-nous les droits de toutes les
églises ; et je n’accorde à personne par faveur plus qu’il ne mérite, et
je ne dérogerai à aucun des droits de quiconque en recherchant les honneurs. »
Or, le fait que quelqu’un prêche ou entende les confessions dans la paroisse
d’un autre sans que celui-ci l’ait demandé serait un préjudice pour le prêtre
paroissial. Même s’il était concédé à quelqu’un de pouvoir prêcher ou entendre
les confessions, il ne pourrait donc pas pour autant le mettre en pratique sans
le consentement du prêtre paroissial.
4.
De même, si un dirigeant concédait à quelqu’un la libre rédaction d’un testament,
il ne semblerait lui concéder rien d’autre que de pouvoir rédiger un testament
selon la coutume légitime. « En effet, il ne faut pas croire que le
Pontife romain, qui protège les droits, veuille d’un seul mot bouleverser tout
ce qui est observé dans le cas des testaments et qui a été élaboré et mis au
point à la suite de multiples veilles », comme il est dit dans le Codex, III, 28.35, Si quando. Il en va donc de même,
si le pape concède à certains de prêcher ou d’entendre les confessions :
il faut l’entendre selon la forme commune, à savoir qu’ils mettent cela en
œuvre après l’avoir demandé aux prêtres paroissiaux.
5.
De même, le moine qui reçoit la fonction sacerdotale ne possède cependant pas
la capacité de la mettre en œuvre, à savoir, d’administrer les sacrements, à
moins qu’il n’ait été canoniquement placé à la tête d’une population, comme il
est dit dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 19, Ecce. Même si la fonction de prêcher
est confiée à certains par privilège du pape, ils ne pourront donc pas
l’exercer avant qu’une population leur soit confiée.
6.
De même, ni le pape ni aucun mortel ne peut changer ou bouleverser la
hiérarchie ecclésiastique divinement établie, puisque le pouvoir n’a été donné
à aucun des prélats en vue de la destruction,
mais en vue de l’édification, 2 Co 10, 8. Or, l’ordre de la hiérarchie
ecclésiastique est tel que les moines et les réguliers fassent partie de
l’ordre de ceux qui doivent être perfectionnés, comme cela ressort clairement
de la Hiérarchie ecclésiastique, VI. Le pape lui-même
ne peut donc pas le changer autrement, à savoir que les religieux aient la
fonction de perfectionner.
De
même, ils veulent montrer qu’il n’est pas permis [aux religieux] de demander
aux prêtres paroissiaux ou aux évêques la permission de prêcher ou d’entendre
les confessions, car c’est de l’ambition que de se présenter aux fonctions
ecclésiastiques. Ainsi, il est dit dans le Décret, C. 8, q. 1,
c. 10, Sciendum : « Alors qu’une
position supérieure est imposée à celui qui obéit en la recevant, celui qui y
aspire de son propre désir perd le mérite de l’obéissance. » Or, prêcher
et entendre les confessions relèvent d’une fonction ecclésiastique, qui est
[une fonction] de pouvoir et d’honneur. Ils ne peuvent donc pas demander la
permission de prêcher ou d’entendre les confessions sans manifestation
d’ambition, mais ils ne peuvent le faire que lorsqu’on le leur a demandé.
Comme
le dit Boèce dans le livre Sur les deux natures, la chemin de la foi
« se situe à mi-chemin entre deux hérésies, de la même façon que les
vertus occupent le milieu, car toute vertu se situe convenablement au milieu
des choses » : en effet, si l’on fait quelque chose en plus ou en
moins qu’il ne fallait, on s’écarte de la vertu. C’est pourquoi nous devons
voir ce qui est au-delà ou en deçà de ce que comporte la vérité, de sorte que
nous estimions que tout cela est erroné, et que la voie moyenne est la vérité
de la foi.
Il
faut donc savoir qu’il y a eu des hérétiques, et qu’il y en a encore, qui plaçaient
le pouvoir du ministère ecclésiastique dans la sainteté de la vie, à savoir que
celui à qui faisait défaut la sainteté de la vie perdait aussi le pouvoir
d’ordre et que celui qui resplendissait de sainteté jouissait aussi du pouvoir
d’ordre. Pour le moment, supposons que cette position est erronée, car il ne
s’agit pas d’elle présentement. De la racine de cette erreur, découle la
présomption de certains, et principalement de moines, qui, présumant de leur
sainteté, usurpaient de leur propre initiative les fonctions des ministres de
l’Église, en absolvant les pécheurs et en prêchant sans autorisation d’un
évêque, ce qui ne leur était permis d’aucune façon. Ainsi, il est dit dans le Décret, C. 16, q. 1, c. 9 : « Il est
parvenu jusqu’à nous, ce dont nous nous étonnons, que certains moines et abbés
revendiquent pour eux-mêmes dans votre paroisse, de manière arrogante et à
l’encontre des décrets des saints pères, les droits et les fonctions des
évêques : la pénitence, la rémission des péchés, les réconciliations, les
dîmes, alors qu’ils ne doivent aucunement s’arroger cela sans la permission de
leur propre évêque ou sans l’autorisation du Siège apostolique. »
Mais
certains, en s’éloignant imprudemment de cette erreur, sont tombés dans
l’erreur contraire, en affirmant que les moines et les religieux ne sont pas aptes
aux choses mentionnées, même s’ils les font avec l’autorisation des évêques.
Ainsi, il est dit dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 25 : « Certains, en ne s’appuyant sur aucune décision, mais
présomptueusement enflammés par le zèle de l’aigreur plutôt que par celui de
l’amour, affirment que les moines, parce qu’ils sont morts au monde et vivent
pour Dieu, sont indignes de la puissance de la fonction sacerdotale, qu’ils ne
peuvent imposer de pénitence ni augmenter le nombre des chrétiens, ni absoudre
en vertu d’un pouvoir de la fonction sacerdotale qui leur est divinement
imparti. Mais ils se trompent complètement. » Or, certains, en manifestant
pour leur part une erreur récente, font preuve d’une telle audace qu’ils affirment
que, non seulement en raison de la condition des religieux, mais encore de
l’impuissance des évêques, les choses mentionnées ne peuvent être confiées aux
religieux en dehors de la volonté du prêtre paroissial, et, ce qui est encore
plus pernicieux, que cela même ne peut leur être accordé par privilège du Siège
apostolique. Et ainsi, cette erreur aboutit à la même fin que la précédente par
une voie contraire, à savoir qu’ils soustraient quelque chose au pouvoir
ecclésiastique, comme ceux qui jugent que le pouvoir de l’Église consiste dans
le mérite de la vie. Pour détruire cette erreur, il faut donc procéder dans cet
ordre :
Qu’un
évêque ait plein pouvoir dans une paroisse confiée à un prêtre, cela est démontré
par ce qui est dit dans le Décret, C. 10, q. 1.
c. 2, Sic quidam, où il est dit que tout
ce qui appartient à l’Église « appartient à l’ordre et au pouvoir de
l’évêque selon la constitution ancienne », et la même chose se trouve dans
le chapitre suivant. Or, les biens temporels de l’Église sont ordonnés aux
biens spirituels. À plus forte raison donc, les biens spirituels de chacune des
paroisses ont-ils été confiés à l’évêque.
De
même, à propos de la même question (ibidem, c. 4) :
« Chaque paroisse doit être dirigée sous la supervision et la protection
de l’évêque par un prêtre ou par d’autres clercs dont il l’aura pourvue avec la
crainte de Dieu. »
De
même, dans le chapitre suivant (ibidem, c. 5), il est dit
que tout doit « être gouverné et attribué selon le jugement et le pouvoir
de l’évêque, à qui les âmes de tout le peuple paraissent avoir été
confiées ».
De
même, le prêtre à qui une paroisse est confiée ne peut faire quelque chose dans
son église qu’en vertu d’une permission spéciale ou au moins générale de
l’évêque. C’est ainsi qu’il est dit dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 41 : « Tous les fidèles et par-dessus tout tous les prêtres,
diacres et autres clercs doivent prendre garde de ne rien faire sans la
permission de leur propre évêque ; qu’aucun prêtre ne célèbre la messe
dans sa paroisse sans que celui-ci l’ait ordonné, qu’il ne baptise ni ne fasse
rien sans sa permission. » Il est donc clair que, dans une paroisse
confiée à un prêtre, l’évêque a un pouvoir encore plus grand que le prêtre, qui
ne peut rien y faire sans la permission de l’évêque.
De
même, à propos de 1 Co 1, 2 : En tout
lieu..., le leur et le nôtre, la Glose [dit] : « À savoir, qui m’a été d’abord
confié. » Et il parle de suffragants, c’est-à-dire des paroisses soumises
à l’église des Corinthiens, comme cela est clair dans la Glose. Si donc les
évêques sont successeurs des apôtres, en préservant leur modèle, comme il est
dit en Lc 10, 1, il est clair qu’une paroisse a été confiée en toute
priorité à l’évêque plutôt qu’à un prêtre. En effet, on ne peut comprendre
qu’elle ait été confiée antérieurement dans le temps à l’Apôtre et qu’elle ait
été confiée à un autre par la suite, car il ne dirait pas : En tout lieu..., et le nôtre, si elle avait cessé d’être sienne
à partir du moment où elle avait commencé d’être la leur.
De
même, Apollos était un prêtre des Corinthiens, qui leur administrait les sacrements,
comme cela ressort clairement de 1 Co 3, 6 : Apollos a arrosé. La Glose [dit] : « Par
le baptême. » Et cependant, l’Apôtre intervenait auprès des Corinthiens,
comme cela ressort clairement de 1 Co 11, 34 : Pour le reste, j’en disposerai lors de ma venue, et
2 Co 2, 10 : Car, si j’ai pardonné,
c’est à cause de vous au nom du Christ, et
1 Co 4, 21 : Que voulez-vous ?
Que je vienne chez vous avec un bâton, etc. ? et
2 Co 10, 13 : Selon la règle que
Dieu même nous a donnée comme mesure : parvenir jusqu’à vous, et
2 Co 13, 10 : Je vous écris cela,
étant absent, afin de n’avoir pas, une fois présent, à intervenir plus
sévèrement selon le pouvoir – la Glose [dit] : « De lier et de délier » ‑
que m’a donné le Seigneur. Il est donc clair que les évêques
conservent plein pouvoir sur les populations qu’ils ont confiées à des prêtres.
De
même, puisque les prêtres succèdent aux soixante-douze disciples, mais les évêques,
aux douze apôtres, comme il est dit dans la Glose de Lc 10, 1, il
semble tout à fait absurde qu’ils veuillent dire que les apôtres ne peuvent pas
absoudre, lier ou faire les autres choses de ce genre, sans la permission des
soixante-douze disciples. Ce qu’ils doivent cependant dire s’ils disent cela
des évêques et des prêtres.
De
même, Denys dit, dans la Hiérarchie céleste, V, que, bien que
l’ordre des pontifes soit cause de perfectionnement, que l’ordre des prêtres
illumine et l’ordre des ministres [diacres] purifie, l’ordre hiérarchique, à
savoir, celui des pontifes, ne possède pas seulement comme fonction de
perfectionner, mais aussi d’illuminer et de purifier, et l’ordre des prêtres,
non seulement celle d’illuminer, mais aussi de purifier. Et il en ajoute plus
loin la cause en disant : « Les pouvoirs inférieurs ne peuvent se
transformer en pouvoirs supérieurs, car il serait inconvenant pour eux de
tendre à une telle majesté ; mais les pouvoirs plus divins, en même temps
que ce qui leur est propre, possèdent aussi les opérations qui leur sont
soumises », comme cela ressort clairement du commentaire de Maxime en cet
endroit. Il est donc clair que, de même que le prêtre peut faire tout ce que le
diacre peut faire, et encore davantage, de même l’évêque peut faire tout ce que
le prêtre peut faire, et encore davantage. Ainsi, comme le prêtre peut lire
l’évangile dans l’église, sans en faire la demande au diacre, de même l’évêque
peut absoudre et administrer les autres sacrements de l’Église à qui il veut,
sans en faire la demande au prêtre paroissial.
De
même, celui qui fait quelque chose par l’intermédiaire d’un autre pourrait
faire la même chose par lui-même. Or, lorsque les prêtres absolvent ceux qui
leur sont soumis, on dit que les évêques le font à travers eux. Ainsi, Denys
dit dans la Hiérarchie céleste, XIII : « De
celui qui, selon nous, est le prêtre suprême purifiant ou illuminant par ses
ministres, on dit qu’il purifie et illumine par le fait que les autres font
reposer sur lui leurs propres actions sacrées. » L’évêque aussi pourra
donc absoudre quand il le voudra les subordonnés d’un prêtre ou leur prêcher
par lui-même.
De
même, l’obéissance est due aux dirigeants des églises par les subordonnés pour
autant qu’ils en ont la charge. Ainsi, il est dit en He 13, 17 :
Obéissez à vos dirigeants et soyez-leur soumis, car ils
veillent sur vos âmes – la Glose [dit] : « C’est-à-dire qu’ils prennent
soin de vous en prêchant » – comme s’ils devaient
en rendre compte. Or, tout paroissien est davantage tenu d’obéir à l’évêque qu’au
prêtre paroissial, comme cela est clair dans la Glose sur Rm 13, 2,
où il est dit qu’il faut plutôt obéir à un pouvoir supérieur qu’à un pouvoir
inférieur, comme au proconsul plutôt qu’à l’intendant, et à l’empereur plutôt
qu’au proconsul, ce qui convient à l’ordre du pouvoir, qui existe encore bien
plus entre les pouvoirs spirituels qu’entre les pouvoirs temporels. Les
évêques, qui sont établis dans un pouvoir supérieur, ont donc davantage la
charge de leurs subordonnés que les prêtres paroissiaux eux-mêmes. Or, ce qui
est dit en Pr 27, 23 : Connais
bien le visage de tes bêtes, se rapporte à la charge d’âmes, qui se réalise surtout par
l’audition des confessions. Et ainsi, les évêques peuvent entendre les
confessions des paroissiens d’une manière encore plus pertinente que les
prêtres paroissiaux.
De
même, les prêtres sont donnés aux évêques comme collaborateurs, parce que
ceux-ci ne peuvent à eux seuls porter le poids du peuple, comme les
soixante-douze anciens ont été donnés à Moïse à titre de collaborateurs, comme
cela ressort clairement de Nb 11, 16‑17. 24‑25.
Ainsi, l’évêque, lors de l’ordination des prêtres ajoute à ce qui a été dit
auparavant : « Plus nous sommes fragiles, plus nous avons besoin de
ces aides. » Or, celui à qui est donné un aide ne perd pas par le fait
même le pouvoir d’agir lorsque celui-ci s’occupe de lui ; au contraire, il
est l’agent principal et l’aide est l’agent secondaire. Les évêques peuvent
donc faire tout ce qui concerne le soin du peuple, sans en faire la demande au
prêtre, encore bien plus que les prêtres eux-mêmes.
De
même, les évêques occupent dans l’Église la place du Seigneur Jésus, le Christ.
Ainsi, Denys dit-il dans la Hiérarchie
ecclésiastique, V : « L’ordre des pontifes est le premier des ordres
divins, le plus élevé et le dernier, car en lui s’achève et s’accomplit tout
l’aménagement de notre hiérarchie. En effet, de même que nous voyons toute la
hiérarchie consommée en Jésus, de même chacune [est consommée] dans son propre
prêtre divin suprême », à savoir, l’évêque. Ainsi encore est-il dit dans
1 P 2, 25, à propos du Christ : Vous
vous êtes tournés vers le pasteur et le surveillant de vos âmes. Or, cela est vrai
principalement du pontife romain, « devant qui, comme le dit Cyrille, tous
inclinent la tête et à qui ils obéissent comme au Seigneur Jésus ». Et
Chrysostome dit, à propos de Jn 21, 17 : Pais mes brebis : « C’est-à-dire :
“Sois le dirigeant et la tête de tes frères”. » Il est donc ridicule et
proche du blasphème de dire que l’évêque ne peut exercer le pouvoir des clés
sur tous ses diocésains comme le pourrait le Christ.
De
même, pour que quelqu’un puisse absoudre au for de la pénitence, il suffit
qu’il ait le pouvoir des clés et la juridiction, par laquelle une matière lui
est précisée, comme, dans les autres sacrements, celui qui possède le pouvoir
d’ordre et la matière appropriée peut agir, s’il respecte la forme et
l’intention appropriée – en effet, cela est toujours en son pouvoir. Or,
l’évêque possède les clés puisqu’il est prêtre ; il possède aussi la
juridiction sur tous ses diocésains, autrement il ne pourrait pas les
excommunier et les réunir devant lui. Il peut donc absoudre tous ses diocésains
au for pénitentiel sans la demande d’un prêtre.
De
même, il semble aussi nécessaire pour les prêtres d’entendre les confessions de
leurs subordonnés parce qu’ils leur administrent le sacrement de l’eucharistie,
qui ne doit pas être reçu d’eux par [les subordonnés] qui sont en état de péché
mortel. Or, de la même façon, le sacrement de la confirmation et celui de
l’ordre ne doivent pas être reçus par ceux qui sont en état de péché mortel,
car ces sacrements supposent la grâce. Or, ces sacrements ne sont administrés
que par l’évêque. Pour une raison semblable, donc, il revient aux évêques
d’entendre les confessions de n’importe lequel de ses diocésains.
De
même, nul ne peut prendre pour lui-même ce qui ne relève pas de son pouvoir.
Or, comme le démontre la coutume commune, les évêques se réservent les causes
qu’ils veulent, pour lesquelles il faut recourir à eux pour l’absolution. Même
avant qu’ils ne se les soient réservées, elles relevaient donc de leur pouvoir.
Ils peuvent donc absoudre dans les autres cas comme ils le veulent.
De
même, selon Denys, le pouvoir de l’évêque, dans notre hiérarchie, est un
pouvoir universel, mais le pouvoir des prêtres et des ministres [diacres] est
un pouvoir particulier, comme cela ressort clairement de la Hiérarchie ecclésiastique, I et V. Or, comme cela est
démontré par les philosophes, une puissance universelle agit plus efficacement
sur ce qui est soumis à une puissance particulière que la puissance
particulière elle-même. L’évêque possède donc encore davantage l’usage des
clefs sur ceux qui sont soumis aux prêtres que les prêtres eux-mêmes.
De
même, personne ne peut donner ce qu’il n’a pas. Or, il appartient aux évêques
mêmes de donner tout le pouvoir qu’ont les prêtres. Mais rien de spirituel
n’est perdu en étant donné, car les réalités spirituelles ne sont données que
par l’action de celui qui donne sur celui qui reçoit, mais l’agent ne perd pas
la puissance d’agir par le fait même d’agir. L’évêque possède donc tout le pouvoir
que possède le prêtre paroissial.
Ensuite,
il faut montrer que certains peuvent, par mandat des évêques, prêcher et
entendre les confessions dans les paroisses des prêtres.
Il
est dit dans les Décrétales, I, t. 31,
c. 5 : De officio judicis ordinarii, § Inter cætera : « Que les évêques
retiennent des hommes aptes à exercer salutairement la fonction de la sainte
prédication. » Et plus loin : « Nous ordonnons que, dans les
églises cathédrales comme dans les églises conventuelles, des hommes aptes soient
ordonnés que les évêques puissent avoir comme collaborateurs, non seulement
pour la fonction de la prédication, mais aussi pour entendre les confessions et
imposer des pénitences, et pour les autres choses qui concernent le salut des
âmes. » D’après cela, il est clair que les clercs des églises
conventuelles d’un diocèse, qui ne sont pas des prêtres paroissiaux, peuvent
prêcher et entendre les confessions en vertu de l’autorité de l’évêque.
De
même, il est dit dans les Décrétales, V, t. 7,
c. 13, De haereticis, § Excommunicamus : « Tous ceux à qui cela a été
interdit ou qui n’ont pas été envoyés, sauf par l’autorité du Siège apostolique
ou par l’évêque catholique du lieu, et qui auront osé usurper la fonction de la
prédication exercée privément ou publiquement, seront liés par le lien de
l’excommunication. » Par quoi on peut conclure que le pape ou l’évêque
peut donner à quelqu’un l’autorité pour prêcher.
De
même, c’est un fait que les apôtres, dont les évêques sont les successeurs, ordonnaient
des prêtres dans les cités et les bourgades, qui demeuraient continuellement
avec les populations qui leur étaient soumises ; et cependant, ils en
envoyaient d’autres pour prêcher et exercer les autres choses qui concernent le
salut des âmes. 1 Co 4, 17 : Je vous
ai envoyé Timothée, qui est mon fils très cher et fidèle au Seigneur, qui vous
informera de mes règles de conduite qui sont dans le Christ Jésus ; et
2 Co 12, 18 : J’ai demandé à Tite et
j’ai envoyé avec lui un frère (la Glose [dit] : « À savoir, Barnabé ou
Luc »). Et Tt 1, 5 : Si je
t’ai laissé en Crète, etc. D’autres que les prêtres paroissiaux peuvent donc prêcher
et entendre les confessions par mandat des évêques.
De
même, prêcher et entendre les confessions relèvent [du pouvoir] de juridiction
ou [du pouvoir] de juridiction et d’ordre en même temps. Or, les choses de
cette nature peuvent être confiées au moins à ceux qui ont un ordre. Puisque
l’évêque peut prêcher et entendre les confessions dans une paroisse sans le
demander au prêtre, comme on l’a montré plus haut, un autre pourra donc le
faire par mandat de sa part.
De
même, la coutume de l’Église romaine va en ce sens : ceux qui y accèdent demandent
aux pénitenciers du pape des lettres pour n’importe quel prêtre à qui ils
puissent se confesser.
De
même, les légats du pape et leurs pénitenciers entendent les confessions sans
demander la permission des prêtres paroissiaux, et même prêchent partout en
vertu de l’autorité du pape. Il est donc ainsi clair que prêcher et entendre
les confessions peuvent être confiées à d’autres sans la permission des prêtres
paroissiaux.
Il
reste maintenant à montrer que les religieux sont aptes à ce que de telles
choses leur soient confiées[17].
Il
est dit dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 9, Pervenit : « Les moines et
les abbés ne doivent d’aucune façon avoir la présomption [de faire] cela sans
la permission de leur propre évêque », à savoir, de donner une pénitence.
On conclut de cela que les moines et les autres religieux peuvent entendre les
confessions en vertu de l’autorité du pape et d’un évêque.
De
même, dans la même question (c. 24), il est dit : « Par
l’autorité de l’autorité de ce décret, qui a été établi par nous en vertu du
gouvernement apostolique et de [notre] fonction de miséricorde, qu’il soit
permis aux prêtres moines, représentant la figure des apôtres, de prêcher, de
baptiser, de donner la communion, de prier pour les pécheurs, d’imposer une
pénitence et d’absoudre les péchés. »
De
même, dans le chapitre suivant (c. 25), Sunt
nonnulli, le pape Boniface dit : « Nous croyons que la fonction de
lier et de délier, avec la coopération de Dieu, est dignement exercée s’il
arrive qu’ils soient élevés à ce ministère. Nous ordonnons donc que ceux qui
combattent les prêtres de profession monastique soient empêchés d’exercer la fonction
de la puissance sacerdotale, de sorte qu’ils évitent de telles entreprises à
l’avenir, car plus quelqu’un est élevé, plus il les dépassera en
puissance. »
De
même, les évêques doivent imiter les jugements divins autant qu’ils le peuvent.
1 Co 4, 16 : Soyez mes imitateurs
comme je le suis du Christ. Or, par jugement divin, certains religieux sont estimés
aptes à ce que la fonction de la prédication leur soit immédiatement confiée
par Dieu, comme le raconte le bienheureux Grégoire à propos du moine Equitius
dans le Dialogue, et aussi du
bienheureux Benoît. Certains religieux peuvent donc, par jugement des évêques,
être estimés aptes à ce que la fonction de la prédication leur soit confiée.
De
même, tout ce qui est permis aux clercs séculiers l’est aussi aux religieux,
sauf ce qui leur est interdit dans leur règle, selon l’argument du Décret, C. 16, q. 1, c. 25, Sunt nonnulli, où il est dit qu’il est permis
aux moines d’absoudre et de faire les autres choses de ce genre. « En
effet, le bienheureux Benoît, le saint maître des moines, n’a pas interdit ce
genre de choses. » Or, il est permis aux séculiers, en vertu d’un mandat
des évêques, de prêcher et d’entendre les confessions. Cela est donc aussi
permis aux religieux, puisque cela n’est interdit dans aucune règle.
De
même, il est plus grand d’exercer la fonction de la prédication en vertu de sa
propre autorité que de l’exercer en vertu de l’autorité d’un autre. Or, les religieux
peuvent être élevés au degré de prélat, où il leur est permis de prêcher et
d’exercer les autres choses de ce genre qui se rapportent au salut des âmes.
Ils doivent donc encore bien davantage être considérés aptes à exercer la
fonction de la prédication et les autres choses de ce genre en vertu du mandat
d’un évêque.
De
même, quelqu’un n’est pas rendu moins apte à ce qui relève des parfaits par le
fait qu’il s’établit dans un état de perfection, état qu’adoptent les
religieux. Or, la fonction de la prédication relève au plus haut point des
parfaits. Ainsi, à propos de Esd 1, 4 : Tous les autres, etc., la Glose dit : « Tous
ceux qui ont été arrachés au pouvoir des ténèbres obtiennent la liberté de la
gloire des fils de Dieu, tous se réjouissent d’être comptés parmi la société de
la cité sainte, c’est-à-dire de l’Église ; mais il appartient aux seuls
parfaits d’œuvrer à l’édification de son Église, même en prêchant aux
autres. » Et qu’il entende cela de la perfection de la vie religieuse,
cela ressort clairement de ce qui suit : « Car ceux qui enseignent à
un grand nombre, puisqu’ils apprennent aux autres à aimer davantage les réalités
célestes, s’occupent moins des réalités terrestres, bien plus, ils quittent ce
qu’ils ont acquis dans l’espérance des réalités éternelles. » Cela ressort
aussi clairement de la glose interlinéaire qui dit : « Tous les
autres, c’est-à-dire les riches qui ne peuvent prêcher. » Les religieux ne
sont donc pas rendus moins aptes que les autres à exercer la fonction de la prédication.
Et ainsi, puisque les autres peuvent prêcher et entendre les confessions par
mandat des évêques, les religieux peuvent faire la même chose.
De
même, à propos de Esd 8, 31 : Nous
quittâmes donc la rivière, etc., la Glose dit : « Nous appelons à notre aide la
cohorte religieuse, afin de transporter plus efficacement avec leur aide vers
la société des élus et le sommet de la vie parfaite, les âmes des fidèles,
comme des vases sacrés vers le temple du Seigneur. » Par cela, ce qui a
été dit auparavant est clair.
De
même, cela est évident aussi selon la coutume commune de l’Église orientale,
selon laquelle presque tous se confessent à des moines.
De
même, exercer la fonction de légat, confirmer des évêques et en pourvoir les
églises relèvent d’un pouvoir plus grand que prêcher ou entendre les
confessions. Or, on constate que la première chose a été confiée à des
religieux. La seconde peut donc aussi leur être confiée.
De
même, il est plus éloigné de la vie religieuse d’entendre des procès que des
confessions ou de prêcher. Or, la première chose peut leur être confiée. À bien
plus forte raison, donc, l’autre.
Il
reste maintenant à montrer qu’il convient au salut des âmes de confier aussi à
d’autres qu’aux prêtres paroissiaux la prédication et les autres choses qui se
rapportent au salut des âmes.
Premièrement,
par ce que le Seigneur dit dans Mt 9, 37‑38 : La moisson est grande – la Glose [dit] : « La
foule des gens prête à recevoir la parole et à porter fruit » ‑, mais les ouvriers sont peu nombreux – la Glose [dit] :
« Les prédicateurs pour rassembler l’Église des élus » ‑ ;
priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers
pour sa moisson. De cela, il ressort clairement qu’il est salutaire pour l’Église
que la parole de Dieu soit prêchée aux fidèles par un grand nombre, et surtout
lorsque la foule des fidèles augmente. On peut conclure la même chose de ce qui
est dit en Sg 6, 24 : Une multitude de sages
– Glose
interlinéaire : « L’ensemble des prédicateurs » ‑ est le salut du monde.
De même,
2 Tm 2, 2 : Ce que tu as entendu
de la part de nombreux témoins, confie-le à des hommes fidèles – Glose :
« C’est-à-dire, d’une foi saine » ‑ qui
seront capables – Glose : « Par leur vie, par leur science et par leur
facilité de parole » ‑ d’enseigner les autres.
Glose :
« En effet, la prédication doit être confiée à ceux qui sont aptes à cette
fonction. »
De
même, à propos de Esd 3, 8 : Et tous
ceux qui étaient revenus de captivité à Jérusalem, la Glose dit : « Non
seulement les évêques et les prêtres doivent édifier le peuple des fidèles,
c’est-à-dire la maison de Dieu, mais le peuple, appelé de la captivité des
vices à la vision de la paix véritable, doit exiger le ministère de la parole
de ceux qui ont appris à la formuler. »
De
même, dans les Morales, Grégoire dit, à propos
de ce passage de Job : Quand je me lavais les
pieds dans le laitage (Jb 29, 6) : « Que répondons-nous,
nous, évêques, qui ne prenons pas soin de livrer les paroles de vie à ceux qui
nous sont confiés, alors que l’habit séculier ou l’occupation à de grandes
richesses n’a pas pu empêcher un homme marié d’exercer la fonction de la
prédication ? » De cela, il ressort clairement que d’autres que les
prélats ou les recteurs des églises peuvent exercer louablement la fonction de
la prédication. Et la même chose peut être montrée par de nombreux exemples de
l’Ancien Testament. En effet, David est louangé pour avoir accrû le culte de
Dieu en établissant vingt-quatre prêtres afin de pouvoir mieux accommoder le
peuple, comme cela ressort clairement de 1 Ch 24, 1‑19. De
même, en 2 Ch 30, 5ss, Ézéchias envoya des messagers parcourir
[Israël] pour avertir le peuple de se convertir au Seigneur, le Dieu de leurs
pères. Assuérus aussi envoya des messagers rapides dans toutes les provinces
pour annoncer la libération du peuple de Dieu, comme on le lit dans
Est 8, 14. On peut donc confier à d’autres qu’à des prêtres
paroissiaux, avec beaucoup de profit pour le salut, la fonction de la
prédication et d’autres choses qui se rapportent au salut des âmes.
De
même, dans la première partie de sa cinquième homélie sur Ézéchiel, Grégoire
[dit] : « À ceux qui sont les gardiens des âmes et ont reçu la charge
de paître le troupeau, qu’il ne soit d’aucune manière permis de changer de
poste ; mais ceux qui, pour l’amour de Dieu, courent ici et là pour
prêcher sont comme les roues animées d’un feu ardent, car ils courent en divers
lieux sous la poussée du désir qu’ils ont de lui. Ainsi, ceux-ci brûlent et en
allument d’autres. » Par cela, il est clair qu’il est approprié qu’en plus
des recteurs d’églises qui demeurent dans leurs églises, soit confiée la
fonction de prédication à d’autres qui courent en divers endroits.
De
même, que cela soit utile et salutaire, le montre assez le fait que les recteurs
d’églises doivent souvent s’occuper d’autres choses pieuses et se rapportant à
leurs églises, alors qu’il faut que le prédicateur de la parole de Dieu soit
libéré de toute autre occupation. C’est ainsi que les apôtres dirent,
Ac 6, 2 : Il ne convient pas que
nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Il est donc clair
qu’il est plutôt nécessaire qu’ils soient aidés par d’autres.
Aussi,
montre surtout cette nécessité l’incompétence de beaucoup de prêtres qui, dans
certaines régions, s’avèrent tellement ignorants qu’ils ne savent même pas
parler latin. Très peu aussi se trouvent avoir appris la Sainte Écriture, et cependant,
il est nécessaire que le prédicateur de la parole de Dieu ait été instruit de
la Sainte Écriture. Il est donc assez évident qu’on irait beaucoup à l’encontre
du salut des fidèles si on abandonnait aux seuls prêtres paroissiaux la
prédication de la parole de Dieu. Aussi pour entendre les confessions, apparaît
une nécessité non moins grande en raison de l’ignorance de beaucoup de prêtres,
qui est très dangereuse lorsqu’on entend les confessions. Aussi Augustin
dit-il, dans le livre Sur la pénitence : « Que celui qui
veut confesser ses péchés afin de trouver grâce cherche un prêtre qui sache
lier et délier, de sorte qu’en se montrant négligent envers lui-même, il ne
soit négligé par celui qui l’avertit et s’adresse à lui avec miséricorde, de
crainte qu’ils ne tombent tous deux dans une fosse que l’insensé n’a pas voulu
éviter. »
De
même, le grand nombre de gens, dont le gouvernement est parfois confié à un
seul prêtre, montre la même nécessité : s’il passait toute sa vie à ne rien
faire d’autre, c’est à peine s’il pourrait entendre avec soin les confessions
de tous !
De
même, la difficulté de confesser montre une telle nécessité. En effet, certains,
comme on le constate par l’expérience, s’abstiendraient de la confession s’ils ne
pouvaient se confesser à d’autres qu’à leurs prêtres, parfois à cause de la
honte, parce qu’ils rougiraient de devoir confesser leurs péchés à ceux avec
qui ils vivent quotidiennement, mais parfois parce que les prêtres sont
soupçonnés d’être leurs ennemis, et pour bien d’autres raisons. Aussi, afin
qu’ils ne tombent complètement dans le désespoir, leurs prélats se montrent-ils
compréhensifs pour leur faiblesse en leur donnant d’autres confesseurs.
Après
avoir vu ces choses, il faut montrer qu’une forme de vie religieuse peut être
établie spécialement dans ce but, afin de coopérer avec les prélats des églises
pour la prédication et l’audition des confessions par mandat des prélats[18].
D’abord,
par le fait que toute vie religieuse a tiré sa forme de l’exemple de la vie
apostolique. Ainsi, la Glose dit à propos de ce passage de
Ac 4, 32 : Et ils mettaient tout
en commun : « Commun, en grec, coena [koina], d’où vient cénobites, c’est-à-dire vivant en commun, les
coenobia étant leurs demeures. » Or, telle fut la vie des
apôtres : ils abandonnèrent tout afin de parcourir le monde en
évangélisant et en prêchant, comme cela ressort clairement de
Mt 10, 5ss, où une sorte de règle leur est tracée. Une forme de vie
religieuse peut donc être établie de la manière la plus appropriée en vue de ce
qui précède.
De
même, Jc 1, 27 : Telle est la religion
pure et immaculée devant le Dieu et Père : visiter les orphelins et les
veuves dans leurs épreuves. Or, une telle visite est au plus haut point nécessaire
lorsqu’elle est faite par ceux qui s’appliquent au salut des âmes. Une forme de
vie religieuse peut donc être établie de la manière la plus appropriée pour
visiter les hommes qui ont besoin d’être consolés, afin que, par la patience et
la consolation que donnent les Écritures, ils gardent l’espérance.
De
même, la glose interlinéaire dit, à propos de Ac 6, 2 : Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu
pour servir aux tables : « Les nourritures de l’esprit sont meilleures que
les banquets corporels. » Or, certaines formes de vie religieuse ont été
saintement et salutairement établies afin d’aider les pauvres pour les repas
corporels et pour les autres nécessités du corps. D’une manière encore bien
plus appropriée, une forme de vie religieuse peut être établie pour subvenir
aux besoins des âmes.
De
même, le combat spirituel relève davantage du religieux que du séculier. Or,
des formes de vie religieuse ont été utilement établies pour le combat séculier[19].
D’une manière encore bien plus appropriée, [des formes de vie religieuse] peuvent
donc être établies pour le combat spirituel qui relève des prédicateurs de la
parole de Dieu, dont il est dit en 2 Tm 2, 3 : Donne-toi du mal comme un bon soldat du Christ Jésus. Glose : « En
prêchant l’évangile contre les ennemis de la foi. »
De
même, il est nécessaire que ceux qui assurent le salut des âmes brillent par
leur vie et leur science. D’après cela, on ne pourrait pas facilement trouver
un nombre suffisant d’hommes qui pourraient être placés à la tête de toutes les
paroisses dans le monde entier, puisque, en raison même du manque de gens
instruits, même ce statut du concile du Latran ne pourrait être respecté, [à
savoir] que dans chaque église métropolitaine, il y en ait certains qui
enseignent la théologie[20].
Cependant, nous constatons que, par la grâce de Dieu, il est bien plus
largement mis en œuvre par des religieux qu’on ne l’avait exigé, au point où
semble s’être accompli ce que dit Is 11, 9 : La terre a été remplie de la connaissance de Dieu. Une forme de vie religieuse
est donc très salutairement établie, dans laquelle les hommes sont instruits et
s’adonnent à l’étude afin d’aider les prêtres qui sont moins en mesure de faire
cela.
De
même, cela est montré de la manière la plus évidente par le résultat qui en découle.
En effet, nous constatons qu’une fois ces formes de vie religieuse établies, la
perversion hérétique a été extirpée dans plusieurs régions par leur ministère,
qu’un certain nombre d’infidèles ont été convertis à la foi, que beaucoup ont
été instruits dans la loi de Dieu sur toute la terre, et que plus nombreux
encore ont été ceux qui ont été convertis à un état de pénitence. Si bien que,
si quelqu’un ment en disant qu’une telle forme de vie religieuse est inutile,
il peut manifestement être convaincu de pécher contre le Saint-Esprit, envieux
qu’il est de la grâce qui agit dans [ces religieux].
De
même, dans le Décret, C. 25, q. 1,
c. 4, il est dit : « Que personne n’ose, sans danger pour son
état, enfreindre ce que Dieu ou les décrets apostoliques ont établi. »
Ainsi donc, puisque certaines formes de vie religieuse ont été établies par le
Siège apostolique en vue de ce qui a été dit – ce que montre aussi le mot même,
car, comme le dit Augustin dans le livre Sur la
vie chrétienne, personne ne porte un nom sans raison ‑, quiconque s’efforce
de condamner une telle forme de vie religieuse mérite d’être condamné.
Il
reste maintenant à répondre aux objections des adversaires.
1.
À propos de la première objection, à savoir que paître ne relève pas des moines
mais qu’ils soient menés à paître, il faut entendre que cela se rapporte au
fait qu’ils sont moines, par opposition à ceux qui disaient que le pouvoir
d’ordre de l’Église ne venait que de la seule sainteté de la vie, comme on peut
dire aussi qu’il ne convient pas au clerc séculier de paître s’il n’a pas
charge d’âmes ou si cela ne lui a pas été confié par ceux qui ont charge
d’âmes. Il n’est donc pas exclu à cause de cela qu’il convienne aux religieux
de paître le peuple par la parole de Dieu s’ils sont retenus pour être des
prélats ou si cela leur est confié par des prélats. En effet, les religieux ne
sont pas moins aptes que les séculiers à accomplir la fonction de la
prédication, si ce n’est peut-être qu’ils sont établis dans l’obéissance, de
sorte qu’ils ont besoin d’une double permission pour prêcher : la permission
de ceux à qui la charge du peuple est confiée et la permission des supérieurs
de leur ordre, sans laquelle il ne leur est permis de rien faire.
2.
De même, il faut comprendre que ce qui est objecté ensuite : « Que personne
n’ait l’audace de prêcher sauf les prêtres du Seigneur », est vrai pour ce
qui est d’une autorité propre, à savoir, [d’une autorité] ordinaire[21]. De
même pour ce qui suit : « Nous décidons que les moines doivent
complètement s’abstenir de prêcher au peuple » : il faut comprendre
qu’ils ne doivent pas exercer la fonction de la prédication du fait même qu’ils
sont moines.
3.
De même, ce qui suit, à savoir qu’« il ne convient pas au moine de prêcher »,
doit s’entendre au sens où il aurait la fonction de prêcher du fait même qu’il
est moine.
4.
À propos de ce qui est objecté ensuite : que ceux qui paissent le peuple
par la parole de Dieu doivent aussi le paître par une aide temporelle, cela
doit s’entendre [en supposant] qu’ils en ont la capacité, selon ce que dit
1 Jn 3, 17 : Celui qui posséderait
des richesses de ce monde et verrait son frère dans le besoin, etc. Autrement, les apôtres
n’auraient pas pu prêcher, eux qui ont dit, Ac 3, 6 : De l’argent et de l’or, je n’en ai pas. Toutefois, même ceux
qui sont pauvres par eux-mêmes peuvent apporter une aide temporelle aux autres
lorsqu’ils exhortent les riches à faire l’aumône, comme la fonction de la
prédication a été confiée à Paul même afin qu’il se souvienne des pauvres,
comme il est dit en Ga 2, 10.
5.
À propos de ce qui est objecté ensuite, à savoir que « les troupeaux sont
menés paître par les pasteurs », il faut répondre que les pasteurs peuvent
paître le troupeau du Seigneur, non seulement par eux-mêmes, mais par d’autres
à qui ils le confient, car on comprend que celui par l’autorité de qui
quelquechose est accompli l’accomplit lui-même.
6.
À propos de ce qui est objecté ensuite, à savoir qu’ils ne doivent prêcher que
s’ils sont envoyés, et qu’on lit que le Seigneur n’a envoyé que les douze
apôtres et les soixante-douze disciples, il faut dire que ceux-là aussi qui ont
été envoyés par le Seigneur peuvent en envoyer d’autres, comme Paul qui envoya
Timothée prêcher, 1 Co 4, 17 : C’est
pourquoi je vous ai envoyé Timothée, etc. Et ainsi, par mandat des évêques
et des prêtres, d’autres aussi peuvent être envoyés prêcher. Pourtant, on
comprend que ceux qui ont été envoyés en vertu d’une autorité transmise par le
Seigneur ont été envoyés par le Seigneur. Tous ceux qui ont été envoyés par les
prélats des églises, à savoir, les évêques et les prêtres, sont ainsi comptés
comme des aides parce qu’ils aident de plus grands, bien qu’ils ne soient pas
des archidiacres[22].
En effet, ce qui est dit dans la Glose : « Comme Tite pour Paul ou l’archidiacre
pour les évêques », doit être interprété comme un exemple. Il n’en découle
donc pas que ceux qui ne sont pas archidiacres ne peuvent venir en aide à de
plus grands. Toutefois, lorsque quelqu’un prêche ou entend les confessions par
mandat de l’évêque, on comprend que c’est l’évêque qui le fait, comme cela
ressort clairement de l’autorité de Denys invoquée plus haut.
Néanmoins,
même s’il n’y avait que deux ordres établis par le Seigneur qui pouvaient
prêcher de leur propre autorité, l’Église pourrait cependant établir aussi un
troisième ordre de prédicateurs qui prêcheraient de leur propre autorité, et
principalement le pape qui possède la plénitude de pouvoir dans l’Église,
comme, dans l’Église primitive, il n’y avait que deux ordres sacrés, à savoir,
les prêtres et les évêques, et cependant, par la suite, l’Église établit
d’elle-même les ordres mineurs, comme le dit le maître des Sentences[23].
7.
À propos de ce qui est objecté ensuite, il faut dire que ce décret parle de certains
qui étaient appelés chorévêques, qui étaient ordonnés non pour les villes, mais
pour les bourgs et les villages, et qui pouvaient faire certaines choses
au-delà de ce que pouvaient les autres prêtres, à savoir, conférer les ordres
mineurs. Ceux-là ont été établis à un certain moment dans l’Église avec un
pouvoir ordinaire, mais, ensuite, comme on le dit dans la même distinction,
« ils ont été interdits par l’Église en raison de l’insolence avec
laquelle ils usurpaient les fonctions des évêques ». Et ainsi, il est
clair qu’un argument semblable ne vaut pas pour les religieux qui prêchent et
entendent les confessions par mandat des prélats, en ne possédant pas de
pouvoir ordinaire. En effet, leur ordre ne fait pas nombre avec les ordres qui
ont été établis par le Seigneur, puisque, selon le droit, celui-là agit par
l’autorité duquel quelque chose est fait, ce qui est aussi évident par
l’autorité de Denys invoquée plus haut.
8.
À propos de l’autre [objection], il faut dire que, de cette autorité de Denys,
on ne peut tirer davantage que les moines, en vertu du pouvoir ordinaire de
leur ordre, ne sont pas rendus prélats ou aptes à mener les autres. Mais il
n’est pas exclu qu’un moine puisse recevoir un pouvoir ordinaire ou délégué en
vue d’en diriger d’autres, surtout que, dans le texte, il est dit que l’ordre monastique
n’est pas supérieur aux autres ou apte à en diriger d’autres, et non qu’il ne
peut ou ne doit l’être.
9.
À propos de l’autre [objection], il faut répondre que la hiérarchie ecclésiastique
imite la [hiérarchie] céleste autant qu’elle le peut, mais pas en tout. En
effet, dans la hiérarchie céleste, la distinction entre les dons gratuits,
selon laquelle les ordres se différencient, découle d’une différence de
nature ; mais ce n’est pas le cas pour les hommes. Et c’est pourquoi,
puisque la nature des anges est immuable, l’ange d’un ordre inférieur ne peut
être déplacé vers un ordre supérieur, ce qui peut cependant se produire dans la
hiérarchie ecclésiastique. Toutefois, dans la [hiérarchie] céleste, l’ange d’un
ordre inférieur, tout en demeurant dans son ordre, accomplit un acte par la
puissance d’un [ordre] supérieur. En effet, comme le dit Denys dans la Hiérarchie céleste, XIII, l’ange qui purifia les
lèvres d’Isaïe est appelé séraphin, alors qu’il était d’un ordre inférieur,
parce qu’il exerça la fonction d’un séraphin. Et Grégoire dit, dans son homélie
sur les cent brebis, que les esprits qui sont envoyés prennent le nom de ceux
dont ils exercent les fonctions. Il n’est donc pas inapproprié que, dans la
hiérarchie ecclésiastique, quelqu’un d’un ordre inférieur exerce la fonction
d’un ordre supérieur par mandat de celui-ci.
10.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir qu’ils prêchent soit avec pouvoir, soit
sans pouvoir, il faut répondre qu’ils prêchent avec un pouvoir de prêcher qui
n’est pas ordinaire, mais qui leur a été confié. Cependant, il n’en découle pas
qu’ils peuvent exiger des procurations[24], car
cela ne leur a pas été accordé. Mais ils le pourraient si leur était accordé le
pouvoir mentionné par ceux chez qui ils résident. Et ainsi, il n’en découle pas
que, pour cette raison, les églises soient obligées à davantage de
procurations.
11.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir qu’en raison de cela, les religieux ont
une autorité plus grande que les évêques ou les patriarches, il faut dire que
cela n’est pas vrai, car les patriarches et les évêques peuvent prêcher
n’importe où avec une autorité ordinaire, mais les religieux, qui n’ont pas de
charge d’âmes, ne [le peuvent] nulle part. Ils peuvent cependant prêcher n’importe
où en vertu de l’autorité de ceux qui le peuvent, et un évêque pourrait exercer
les fonctions épiscopales dans un autre diocèse en vertu de l’autorité de
l’évêque dans le diocèse duquel il réside.
12.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir qu’un prédicateur ne doit pas bâtir sur
les fondations posées par un autre, il faut dire que cela est faux et contraire
à ce que dit l’Apôtre, 1 Co 3, 10 : Comme un architecte prudent, j’ai posé les fondations – Glose : « La
prédication » ‑, mais un autre construit
dessus ; que chacun voie comment il peut construire par-dessus, ce qui est interprété
par Ambroise, dans la Glose, de la construction qui est ajoutée par
l’enseignement. Ce que dit l’Apôtre en Rm 15, 20 : Mais j’ai annoncé l’évangile là où le nom du Christ n’était
pas nommé, pour éviter de construire sur les fondations posées par un autre, ne doit pas être
compris au sens où cela ne lui serait pas permis, mais au sens où, à ce
moment-là, il estimait que quelque chose d’autre était plus nécessaire. Ainsi,
la Glose dit au même endroit : « Pour éviter de construire sur les
fondations posées par un autre, c’est-à-dire pour éviter de prêcher à ceux qui
avaient déjà été convertis par d’autres, non pas que je ne le ferais pas si
l’occasion se présentait, mais je préférais poser les fondations de la foi là
où elle n’existait pas. » Autrement, il n’aurait pas été permis à Jean
l’évangéliste de prêcher à Éphèse où Paul l’avait précédé. Mais que diront
[leurs adversaires] si les religieux contre lesquels ils parlent sont répartis
de façon que certains d’entre eux annoncent la parole de Dieu aux infidèles,
alors que d’autres viennent en aide aux évêques chez les fidèles ?
Toutefois, cela est mal à propos, car ce n’est pas la même chose de prêcher à
un autre peuple et de construire sur les fondations posées par un autre, comme
on l’entend dans l’autorité mentionnée, puisque même le prêtre paroissial
prêchant dans sa paroisse bâtit sur les fondations posées par un autre, car il
prêche à des gens qui ont été convertis à la foi par d’autres.
De
même, à propos de ce qui est dit sur 2 Co 11, 15 : « Ne nous glorifiant pas sans mesure pour les labeurs des
autres, c’est-à-dire là où un autre a posé les fondations de la foi, ce
qui serait se glorifier sans mesure » : le sens de la glose n’est pas
que, si l’Apôtre avait œuvré là où un autre avait posé les fondations de la
foi, cela aurait été se glorifier sans mesure, mais que s’il s’était lui-même
glorifié parce qu’il posait les fondations sur des fondations déjà posées par
un autre, il se serait glorifié hors de mesure par rapport à son propre labeur.
De
même encore, ce qui suit : « En
n’espérant pas être glorifié selon la règle d’un autre, c’est-à-dire pour ce
qui relève du gouvernement d’un autre » : cette glose est invoquée mal
à propos. En effet, elle ne se trouve pas telle quelle dans la Glose, mais sous
la forme suivante : « Selon notre règle, c’est-à-dire selon notre
gouverne, c’est-à-dire selon qu’il nous été ordonné par Dieu, je veux dire,
d’évangéliser à profusion, à savoir, non pas en un petit nombre d’endroits,
mais dans des endroits qui sont hors de votre portée. Cependant, nous n’avons
pas espoir, c’est-à-dire que nous n’espérons pas être glorifiés sous la
gouverne d’un autre, et ceux qui se trouvent hors de leur portée ne sont pas
non plus sous la gouverne d’un autre. » Toutefois, si le contenu de la
Glose était ce qu’ils disent, on n’entend pas que l’Apôtre n’aurait pas pu
prêcher à ceux qui relevaient de la gouverne d’un autre. En effet, lui-même a
prêché aux gens d’Antioche et aux Romains, qui relevaient de la gouverne de
Pierre, mais parce qu’il ne se glorifiait pas à leur sujet comme s’il étaient subordonnés
à sa gouverne : cela aurait été en effet se glorifier de la gouverne d’un
autre. Au surplus, ceux qui prêchent par mandat des prélats ne prêchent pas à
des gens qui relèvent d’autres, mais à des gens qui relèvent des évêques qui
les envoient, dont on dit qu’ils agissent par ceux qui agissent.
1‑2.
À ce par quoi ils s’efforcent ensuite de montrer que les religieux ne doivent
pas entendre les confessions, on peut répondre facilement. En effet, par ces
décrets qu’ils invoquent, ils ne démontrent rien d’autre que le fait que les
religieux ne peuvent pas [les] entendre de leur propre autorité. Mais il n’est
pas exclu qu’ils puissent [les] entendre en vertu de l’autorité du pape ou d’un
évêque, comme on le lit clairement dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 9, Pervenit. [Ils ne démontrent]
pas non plus que les religieux sont moins aptes aux choses de ce genre que les
séculiers, comme cela est clair dans le Décret, C. 16, q. 1,
c. 25, Sunt nonnulli.
3.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que les prêtres paroissiaux, puisqu’ils
sont les guides [rectores] des âmes, doivent
connaître avec soin le visage du troupeau qui leur a été confié, ce qu’ils ne
peuvent faire sans entendre les confessions, il faut dire que la bonté ou la
méchanceté d’une personne peut se révéler à une autre non seulement par sa
propre confession, mais aussi par le jugement porté sur lui par un supérieur.
Ainsi, si un évêque absout un subordonné d’un prêtre par lui-même ou par un
autre à qui il l’aura confié, le prêtre paroissial doit s’estimer le connaître
comme s’il s’était confessé à lui, puisqu’il a été approuvé par le jugement
d’un supérieur, qu’il ne lui est pas permis de juger. Au surplus, il peut
connaître suffisamment son visage s’il se confesse à lui une fois par an, selon
la Décrétale.
4.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que tous sont tenus de se confesser à
leur propre prêtre une fois par an, il faut répondre que le prêtre propre n’est
pas seulement le prêtre paroissial, mais aussi l’évêque ou le pape, de qui
relève encore davantage sa charge que du prêtre, comme on l’a montré de
multiples manières. En effet, « propre » n’est pas entendu ici au
sens où il s’oppose à « commun », mais au sens où il s’oppose à
« étranger ». Ainsi, celui qui s’est confessé à l’évêque ou à celui
qui occupe sa place, s’est confessé à son propre prêtre. Au surplus, il n’est
pas exclu par cela que, s’il se confesse une fois par an à son propre prêtre,
c’est-à-dire au prêtre paroissial – à supposer qu’on l’entende de lui seulement
– qu’il puisse se confesser d’autres fois aussi à d’autres qui ont le pouvoir
d’absoudre.
5.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que [le prêtre propre] ne peut savoir si
[un subordonné] est digne d’être admis au sacrement de l’eucharistie s’il n’a
pas entendu sa confession, il faut répondre que cela est faux. En effet, il
peut le savoir par le jugement d’un supérieur qui l’a absous au for
pénitentiel. Il ne doit pas moins s’en tenir à ce jugement qu’à son propre [jugement].
6.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que, si quelqu’un peut se confesser à un
autre qu’à son propre prêtre, l’occasion est aussi donnée de cacher beaucoup de
choses, il faut répondre que cela est faux. En effet, puisque, au for
pénitentiel, il faut accorder foi à tous, que ce soit favorable ou non, le
prêtre doit croire qu’il s’est confessé s’il affirme qu’il s’est confessé, car,
même s’il s’était confessé à lui, il pourrait le tromper en confessant les
fautes légères pour taire les fautes plus grandes. Au surplus, à supposer
qu’une occasion de mal serait donnée à cause de cela, l’emporte de beaucoup le
fait que, pour cette raison, bien d’autres maux plus grands sont évités, comme
on a montré auparavant que, de cette manière, il est fait obstacle à des
dangers pour beaucoup.
7.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir qu’il n’appartient pas au moine de corriger
ni d’absoudre, il faut répondre que cela est vrai [s’il le fait] de sa propre
autorité, mais, en vertu d’un mandat de celui qui possède l’autorité, les deux
choses peuvent relever de sa compétence s’il possède l’ordre sacerdotal.
Toutefois, Démophile, à qui écrivait Denys, n’était pas prêtre ni même diacre,
comme cela est clair par ce qui est dit dans cette même lettre.
8.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que, si [les religieux] pouvaient
entendre les confessions, ils le pourraient partout pour la même raison, et
ainsi ils seraient des dirigeants de l’Église universelle, il faut répondre
qu’ils ne peuvent les entendre nulle part de leur propre autorité ; ils
peuvent cependant les entendre partout où cela leur a été confié. Et s’il leur
était confié de les entendre partout par celui qui est à la tête de l’Église
universelle, ils ne seraient cependant pas des dirigeants de l’Église
universelle, car ils n’absoudraient pas en vertu d’une autorité propre, mais
d’une [autorité] qui leur est déléguée. Mais que le pape s’interdise de
s’appeler pontife universel, ce n’est pas parce qu’il n’a pas l’autorité ordinaire
et plénière sur toutes les églises, mais parce qu’il n’est pas à la tête de
chaque église particulière à titre de dirigeant [rector] propre et spécial de
cette église. En effet, s’il en était ainsi, les pouvoirs de tous les autres
pontifes cesseraient, et c’est cela que le chapitre invoqué apporte comme
argument.
À
ce par quoi il s’efforcent ensuite de montrer que, même en vertu de l’autorité
des évêques, les religieux ne peuvent prêcher et entendre les confessions, on
peut répondre facilement.
1.
En effet, ce qu’ils objectent en premier lieu : « Ce qu’on donne à
quelqu’un, on ne le possède plus », est manifestement faux pour les
réalités spirituelles qui sont transmises non par le transfert d’un quelconque
droit de possession, comme cela se produit pour les réalités corporelles, mais
plutôt par mode de dérivation d’un effet à partir de sa cause, comme celui qui
communique à un autre la science, ne perd pas pour autant la science. Et il en
est ainsi pour la communication du pouvoir. En effet, celui qui donne à
quelqu’un un pouvoir ne le perd pas, comme l’évêque qui donne au prêtre le
pouvoir de réaliser le corps du Christ, ne le perd pas en le communiquant.
Aussi, à propos de la communication des réalités spirituelles, Augustin dit-il,
dans le premier livre de Sur la doctrine
chrétienne : « Toute réalité qui ne diminue pas par le fait qu’on la
donne, n’est pas possédée comme elle devrait l’être lorsqu’elle est possédée
sans être donnée. » De même, lorsqu’un évêque donne à un prêtre le pouvoir
d’absoudre d’autres hommes, il ne perd pas ce pouvoir, à moins qu’on estime que
le pouvoir que le prêtre possède sur sa paroisse est comme le pouvoir qu’un
chevalier possède sur son domaine, ce qui est ridicule, puisqu’ils ne sont pas
des seigneurs mais des serviteurs, selon ce que disent
1 Co 4, 1 : Qu’on estime donc que
nous, etc., et Lc 22, 25‑26 : Les rois
des païens leur font sentir leur pouvoir, mais qu’il n’en soit pas ainsi de
vous.
2.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que l’évêque, lorsqu’il confie la charge
d’une paroisse à un prêtre, s’en décharge lui-même, il faut répondre que cela
est faux, car il relève encore de lui d’avoir la charge de tout le peuple qui
se trouve dans son diocèse, puisque toutes les âmes de tout le peuple lui ont
été confiées, comme on le trouve dans le Décret, C. 10, q. 1,
c. 5, Quaecumque, et que l’Apôtre disait
à propos de lui-même, 2 Co 11, 28 : Sans parler du reste, mon obsession quotidienne est le
souci de toutes les églises. Toutefois, le fardeau ne devient pas pour autant
insupportable, parce qu’il a des collaborateurs d’un ordre inférieur. Mais, à
supposer qu’il soit à l’abri du danger par le fait qu’il en confie la charge au
prêtre, il n’en découle cependant pas qu’il perde le pouvoir qu’il avait sur la
paroisse. En effet, les ministres du Christ peuvent non seulement œuvrer au
salut du peuple pour éviter le danger qui les menace, mais aussi pour accroître
[leur] mérite et porter davantage de fruit dans le peuple de Dieu, comme Paul
même se dépensait sans compter pour le salut des élus, qu’il aurait pu laisser
de côté sans danger pour son salut.
3.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que le prêtre est subordonné à l’évêque
comme l’évêque à l’archevêque, il faut répondre que cela n’est pas du tout
semblable. En effet, il est clair que l’archevêque n’a pas de juridiction
immédiate sur d’autres personnes qui relèvent de son évêque suffragant, si ce
n’est en raison de la négligence de l’évêque ou à moins qu’une cause ne soit
portée devant lui. Mais l’évêque a une juridiction immédiate sur la paroisse du
prêtre, puisqu’il peut citer devant lui et excommunier n’importe qui, ce que
l’archevêque ne peut faire pour les subordonnés des évêques, sauf ce qui a été
dit précédemment. La raison en est que le pouvoir du prêtre est naturellement
et de droit divin soumis au pouvoir de l’évêque, puisqu’il est imparfait en
regard de celui-ci, comme le montre Denys, mais l’évêque n’est soumis à
l’archevêque que par disposition de l’Église. C’est pourquoi il lui est soumis
seulement pour les choses dont l’Église a décidé que l’évêque est soumis à
l’archevêque ; mais le prêtre qui est soumis à l’évêque de droit divin lui
est soumis en toutes choses, comme le pape possède une juridiction immédiate
sur tous les chrétiens, car « l’Église romaine est au-dessus de toutes les
décisions synodales portées par les autres églises, car elle a obtenu la
primauté par la parole évangélique de notre Seigneur et Sauveur », comme
on le trouve dans le Décret, D. 21, c. 3,
Quamvis.
4.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que les prêtres paroissiaux sont les
époux des églises qui leur sont confiées, il faut répondre que l’époux de
l’Église au sens propre est le Christ, dont il est dit : Celui qui a l’épouse, c’est lui l’époux, Jn 3, 29. En
effet, c’est lui qui engendre dans l’Église des fils qui portent son nom. Mais
les autres qui sont appelés époux sont les serviteurs de l’époux, en coopérant
de l’extérieur à la génération spirituelle de fils qu’ils n’engendrent cependant
pas pour eux, mais pour le Christ. Ces serviteurs sont appelés époux pour
autant qu’ils occupent la place du véritable époux. C’est pourquoi le pape, qui
occupe la place du Christ dans toute l’Église universelle est appelé époux de
l’Église universelle, mais l’évêque, [époux] de son diocèse, et le prêtre,
[époux] de sa paroisse. Ainsi le pape est-il époux du diocèse et l’évêque, de
la paroisse. Il n’en découle cependant pas qu’il y ait plusieurs époux de
l’Église, car le prêtre, par son ministère, coopère avec l’évêque comme avec
[l’époux] principal, et de même les évêques [coopèrent] avec le pape, et le
pape avec le Christ lui-même. Ainsi, le Christ, le pape, l’évêque et le prêtre
ne sont comptés que comme un seul époux de l’Église. Il ressort ainsi
clairement que, du fait que l’évêque et le pape entendent les confessions d’un
paroissien ou confient à d’autres de les entendre, il ne découle pas qu’il y
ait plusieurs époux d’une seule église. Cela serait cependant le cas si deux
[d’entre eux] étaient mis à la tête d’une même église au même degré, comme deux
évêques dans un seul diocèse et deux prêtres ayant charge d’âmes[25] dans
une seule paroisse, ce qu’interdisent les canons.
Il
faut maintenant répondre à ce par quoi ils s’efforcent de démontrer que les religieux
ne peuvent même pas prêcher ni entendre les confessions par privilège du pape.
1.
En effet, à la première objection, à savoir que l’autorité du Siège romain ne
peut rien faire ni changer à l’encontre des décisions des saints pères, il faut
répondre que cela est vrai pour les choses que les décisions des saints pères
ont décrété être de droit divin, comme les articles de foi qui ont été déterminés
par les conciles. Mais il a été laissé au pape de disposer de ce que les saints
pères ont déterminé être de droit positif, afin qu’il puisse le changer ou en
dispenser selon l’opportunité du moment ou des situations. En effet, les saints
pères réunis dans les conciles n’auraient rien pu décider si ce n’est en vertu
de l’intervention de l’autorité du Pontife romain, sans laquelle un concile
même ne peut être réuni. Mais le pape, lorsqu’il fait quelque chose autrement
que ce qui a été décidé par les saints pères, ne va cependant pas à l’encontre
de leurs décisions, car l’intention de ceux qui ont décidé est sauvegardée,
même si ne sont pas préservées les paroles de ceux qui ont décidé, qui ne
peuvent être respectées dans tous les cas et à toutes les époques en sauvegardant
l’intention de ceux qui ont décidé, qui était l’utilité de l’Église. Comme cela
se produit pour tout droit positif, on déroge aux décisions antérieures par des
décisions ultérieures. Toutefois, le fait que certains religieux qui ne sont
pas évêques ou prêtres paroissiaux prêchent et entendent les confessions ne va
pas à l’encontre des décisions des pères, à moins qu’ils aient fait cela de
leur propre autorité et sans l’autorité du pape ou des évêques, comme cela est
clair par ce qui a été dit plus haut.
2.
Et par cela, la solution de ce qui est objecté par la suite est claire, car le
pape, par le fait qu’il donne à quelqu’un la permission ou le privilège
d’entendre les confessions et de prêcher, ne va pas pour autant à l’encontre de
l’Apôtre, car ces religieux ne prêchent pas à des gens qui relèvent des autres,
comme on l’a dit plus haut. Toutefois, cela non plus n’est pas vrai que le pape
ne puisse faire quelque chose à l’encontre de l’Apôtre. En effet, il donne une
dispense à un bigame et [il dispense] de la peine que les Canons des apôtres ont décidée pour un prêtre fornicateur.
On ne peut donc pas conclure autre chose à partir du décret invoqué si ce n’est
que le pape ne peut détruire l’Écriture canonique des apôtres et des prophètes,
qui est le fondement de la foi de l’Église.
3.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que les privilèges des dirigeants
doivent être interprétés sans préjudice pour un tiers, il faut répondre qu’on
dit qu’un préjudice est fait à quelqu’un lorsque lui est enlevé ce qui a été
établi en sa faveur ou ce qui est ordonné à son utilité. Mais la soumission
d’un subordonné au dirigeant d’une église n’est pas ordonnée principalement à
l’utilité de ceux qui dirigent, mais à l’utilité des subordonnés. Ainsi, il est
dit en Ez 34, 2 : Malheur aux pasteurs
d’Israël qui se paissent eux-mêmes ! Les troupeaux ne doivent-ils pas être
menés paître par les pasteurs ? C’est pourquoi aucun préjudice
n’est fait au dirigeant d’une église lorsque son subordonné est exempté de son
pouvoir, comme le pape exempte l’abbé du pouvoir de l’évêque sans préjudice, et
de même un évêque du pouvoir de l’archevêque. S’il fait lui-même pour les
subordonnés ce qui se rapporte au salut ou le confie à d’autres, non seulement
il ne lui cause pas de préjudice, mais il lui prodigue un grand bienfait, ce
qui est accepté surtout par tous les dirigeants qui ne recherchent pas leur
intérêt, mais celui du Christ Jésus. Ainsi, à propos de ce que dit en
Nb 11, 29 : Serais-tu jaloux de
moi ? une glose de Grégoire dit : « L’esprit compatissant des
pasteurs, parce qu’il ne cherche pas sa propre gloire mais celle de celui qui
est à la source, veut être aidé par tous dans ce qu’il fait. En effet, le
prédicateur fidèle souhaite, si cela est possible, que la vérité qu’il ne
suffit pas à exprimer à lui seul, la bouche de tous la proclame. »
4.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir qu’on doit comprendre que le prince, lorsqu’il
confie à quelqu’un la liberté de faire un testament, n’a autorisé que sa forme
coutumière et légitime, il faut répondre que, semblablement, lorsque le pape
autorise quelqu’un à prêcher ou à entendre les confessions, il l’autorise à le
faire légitimement. Ainsi, par cette autorisation, il ne peut prêcher des
choses qui ne conviennent pas. Mais, du fait que [le pape] lui a donné libre
pouvoir de prêcher, il n’est pas requis, pour que sa prédication soit légitime,
qu’il en reçoive le pouvoir d’un autre, car alors le pouvoir reçu du pape
serait inutile. De même aussi que celui qui reçoit la permission de l’empereur
de faire un testament n’a pas besoin d’en demander en plus à un autre la
permission, mais doit respecter ce qui concerne la manière appropriée de
tester. De même, le prédicateur à qui est donnée par le pape la permission de
prêcher doit prêcher de la manière appropriée, à savoir, prêcher des choses
différentes aux pauvres ou aux riches, et observer les choses de ce genre que
Grégoire enseigne dans le Pastoral.
5.
À ce qui est objecté ensuite, à savoir que le moine, lorsqu’il est ordonné, ne
reçoit [le pouvoir] d’accomplir la fonction que lorsqu’une population lui est
confiée, il faut répondre que le pouvoir d’ordre sacerdotal est ordonné à deux
choses : premièrement et principalement, à consacrer le corps véritable du
Christ, et il reçoit le pouvoir d’accomplir cela aussitôt qu’il est ordonné, à
moins qu’il n’y ait un défaut dans l’ordination ou chez l’ordonné ;
secondairement, il est ordonné au corps mystique du Christ par les clés de
l’Église qui lui sont confiées, et il ne reçoit l’exercice de ce pouvoir que si
une charge [d’âmes] lui est confiée ou s’il le fait en vertu de l’autorité d’un
autre qui a charge [d’âmes]. Toutefois, le pouvoir sacerdotal ne lui est pas
donné en vain, car il en possède l’exercice pour ce à quoi le pouvoir du
sacerdoce est principalement ordonné. Mais la fonction de la prédication n’est
pas ordonnée à autre chose qu’à prêcher. Ainsi, comme le privilège du prince ne
doit pas être inutile à quelqu’un, comme le dit le droit, du fait même que le
pape confie à quelqu’un la fonction de prêcher, celui-ci possède l’exercice de
la fonction, quel qu’il soit. Toutefois, lorsque le pape donne à un religieux
le privilège de pouvoir prêcher, le pape ne lui confie pas une fonction, mais
plutôt l’exercice de la fonction, car ces religieux ne prêchent pas comme s’ils
utilisaient leur [propre] pouvoir, mais celui d’un autre qui leur est confié,
comme on l’a dit.
6.
À l’autre [objection], il faut répondre que, comme on l’a dit dans le première
question sur l’enseignement, Denys parle là des moines laïcs, qui ne sont ni
évêques, ni prêtres, ni diacres. Cependant, si on l’entendait de tous [les
moines], le pape qui envoie des moines prêcher ne détruit pas la hiérarchie
ecclésiastique, car, comme on l’a dit, dans la hiérarchie ecclésiastique, celui
qui appartient à un ordre inférieur peut exercer la fonction d’un [ordre]
supérieur, tout en demeurant dans son ordre, comme c’est aussi le cas pour la
[hiérarchie] céleste. Au surplus, il peut être promu à un ordre supérieur, ce
qui n’est pas le cas dans la [hiérarchie] céleste. Ainsi, Innocent III, avant
le concile général[26], a
envoyé quelques cisterciens prêcher dans la région de Toulouse.
À
ce qui est objecté en dernier lieu, à savoir que les religieux ne peuvent
demander la permission de prêcher, car cela procéderait de l’ambition, il faut
répondre que cela est faux. Car la fonction de la prédication peut aussi être
désirée par charité, selon l’exemple d’Isaïe, qui s’y offrit de son propre gré,
Is 6, 8 : Me voici,
envoie-moi ! Et elle peut être évitée par humilité, selon l’exemple de Jérémie,
qui dit : Ha ! Ha ! Ha !
Seigneur Dieu, je ne sais pas parler, car je suis un enfant, Jr 1, 6,
comme cela ressort clairement de la glose de Grégoire à cet endroit. Et une
position semblable se trouve dans le Décret, C. 8, q. 1,
c. 9, In scriptis.
Il
faut aussi savoir que les fonctions ecclésiastiques incluent deux
éléments : l’action et la dignité ou l’honneur. En raison de l’honneur,
elles sont honorablement refusées ; en raison de l’action, elles peuvent
être honorablement recherchées. 1 Tm 3, 1 : Celui qui désire l’épiscopat désire une belle œuvre. C’est pourquoi
Augustin « a voulu expliquer ce qu’est l’épiscopat – sous l’aspect où il
peut être désiré ‑ : c’est un mot qui désigne une action, et non un
honneur », comme on le trouve dans le Décret, C. 8, q. 1,
c. 11, Qui episcopatum. Et on trouve la même
chose dans la Glose à propos du même mot. C’est pourquoi, si l’action est
séparée de la dignité, il peut être désiré honorablement et sans danger
d’ambition. Et ainsi, ce n’est pas de l’ambition si un religieux demande à un
prêtre ou à un évêque la permission de prêcher, mais c’est un signe d’amour de
Dieu et du prochain.
Mais
parce qu’ils ne peuvent pas empêcher par des arguments satisfaisants les religieux
de porter fruit pour les âmes, ils s’efforcent de les en empêcher indirectement
en leur imposant la nécessité de travailler de leurs mains, afin qu’ils soient
ainsi au moins détournés de l’étude par laquelle ils sont rendus aptes à faire
les choses mentionnées. Par cela, les méchants déjà évoqués se montrent ennemis
de la ville sainte. Ainsi, à propos de Ne 6, 2 : Viens, concluons un traité, etc., la Glose dit :
« Les ennemis de la ville sainte essayaient de persuader Néhémie de
descendre dans la plaine et de conclure un traité de paix avec eux. Ainsi, les
hérétiques et des faux catholiques veulent-ils entretenir des rapports avec les
vrais catholiques, non pas pour gravir le sommet de la foi et du comportement catholiques,
mais afin de plutôt forcer ceux qui demeurent au sommet des vertus aux pires comportements
ou à de fausses opinions. »
Que
les religieux soient tenus de travailler de leurs mains, ils s’efforcent de le
montrer de multiples façons.
1.
Premièrement, en se référant à ce qui est dit en
1 Th 4, 11 : Travaillez de vos
mains comme nous vous l’avons ordonné. Or, les religieux surtout sont
tenus d’observer les commandements. Ils doivent donc travailler de leurs mains.
2.
De même, 2 Th 3, 10 : Si
quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas ! Glose :
« Certains disent qu’il a ordonné cela à propos des œuvres spirituelles,
et non à propos du travail corporel auquel s’adonnent les cultivateurs ou les ouvriers. »
Et plus loin : « Mais ils s’appliquent inutilement à entourer
eux-mêmes et les autres de brouillard, de sorte que non seulement ils ne
veulent pas faire ce que conseille utilement la charité, mais ne veulent pas
non plus le comprendre. » Et plus loin : « Il veut que les
serviteurs de Dieu travaillent corporellement pour vivre. » Or, les
religieux sont voués d’une manière spéciale au service de Dieu. Ils doivent
donc travailler de leurs mains, selon le commandement de l’Apôtre.
3.
De même, ils invoquent ce qui se trouve dans Ep 4, 28 : Qu’il travaille – Glose : « Que
tous » ‑ en faisant avec ses
mains ce qui est bon, afin d’avoir de quoi donner le nécessaire à celui qui est
dans le besoin. Glose : « Et non seulement de quoi vivre. » Les
religieux, qui n’ont pas par ailleurs de quoi donner le nécessaire à qui est
dans le besoin, doivent donc travailler de leurs mains.
4.
De même, la Glose dit à propos de Lc 12, 33 : Vendez ce que vous possédez : « Ne donnez pas
seulement votre nourriture aux pauvres, mais aussi vendez vos biens afin que,
écartant vos biens d’un seul coup pour le Seigneur, vous travailliez par la
suite de vos mains pour vivre et faire l’aumône. » Les religieux, qui ont
tout abandonné, doivent donc vivre du travail de leurs mains et faire l’aumône.
5.
De même, les religieux surtout sont tenus d’imiter la vie des apôtres, car ils
professent un état de perfection. Or, les apôtres travaillaient de leurs mains,
1 Co 4, 12 : Nous peinons à
travailler de nos propres mains, et Ac 20, 34 : Ces
mains ont pourvu à mes propres besoins. Et, en cela, ils montraient
qu’ils devaient être imités par les autres, 2 Th 3, 8‑9 :
Nous ne nous sommes fait donner pas personne le pain que
nous mangions, mais, de nuit comme de jour, nous avons travaillé dans le labeur
et la fatigue, afin de vous donner en nous-mêmes un exemple à imiter. Les religieux doivent
donc imiter les apôtres par le travail manuel.
6.
De même, les religieux sont davantage tenus aux humbles travaux que les clercs
séculiers. Or, les séculiers sont tenus de travailler de leurs mains. Ainsi, il
est dit dans le Décret, D. 91, c. 3‑4 :
« Que le clerc pourvoie à sa nourriture et à son vêtement par un petit
travail ou en cultivant la terre. » De même, dans le chapitre
suivant : « Que tout clerc, instruit par la parole de Dieu, assure sa
subsistance par un métier. » De même : « Que tous les clercs qui
sont capables de travailler apprennent de petits métiers et travaux. » À
bien plus forte raison, les religieux sont donc tenus de travailler de leurs
mains.
7.
De même, à propos de Ac 20, 34 : Ces
mains-là ont assuré le nécessaire à moi et à ceux qui étaient avec moi, la Glose interlinéaire
dit : « Il donne aux évêques un exemple de comportement et un signe
par lequel on les distinguera des loups. » Encore bien davantage, ceux qui
exercent la fonction des évêques en prêchant doivent-ils donc travailler de
leurs mains.
8.
De même, Jérôme dit du moine Rusticus : « Les monastères égyptiens
observent la coutume de n’accepter personne qui n’ait un métier ou un travail,
non pas tant en raison de ce qui est nécessaire pour leur subsistance que pour
le salut de leurs âmes, afin qu’ils ne s’abandonnent pas à des pensées
funestes. » Il est donc exigé, pour le salut des âmes chez les religieux,
qu’ils travaillent de leurs mains.
9.
De même, les religieux doivent toujours s’efforcer au progrès spirituel, selon
ce que dit 1 Co 12, 31 : Recherchez
les dons les plus élevés. Mais, comme le dit Augustin dans le livre Sur le travail des moines : « Que les religieux qui ne
travaillent pas n’aient aucun doute qu’ils doivent placer au-dessus d’eux ceux
qui travaillent. » Et, à propos de Ac 20, 35 : On se réjouit davantage de donner que de recevoir, la Glose dit :
« Il loue surtout ceux qui, en renonçant d’un coup à tout ce qu’ils possèdent,
travaillent néanmoins de leurs mains pour avoir de quoi subvenir aux besoins de
celui qui souffre. » Tous les religieux doivent donc s’appliquer à
travailler de leurs mains.
10.
De même, Augustin, dans le même livre, appelle arrogants les religieux qui ne
travaillent pas, en ajoutant aux mots mentionnés plus haut : « Au
reste, qui supportera que des arrogants, qui résistent aux avertissements de
l’Apôtre, soient tolérés sous prétexte de plus grande faiblesse, mais soient
aussi considérés comme plus saints ? » Or, l’orgueil est un péché
mortel, autrement personne ne serait excommunié pour contumace. Les religieux
ne peuvent donc pas écarter, sans danger de péché mortel, de travailler de
leurs mains.
11.
De même, si des religieux sont exemptés du travail manuel, ils semblent surtout
exemptés afin qu’ils puissent ainsi vaquer aux psaumes, aux prières, à la
prédication et à la lecture. Or, ils ne sont pas exemptés pour ces raisons. Ils
sont donc tout à fait tenus au travail manuel. La mineure est démontrée par ce
que dit Augustin dans le livre Sur le travail des moines : « Que feront
ceux qui ne veulent pas travailler manuellement, à quoi s’occupent-ils, je désire
le savoir ? Aux prières, disent-ils, aux psaumes, aux lectures et à la
parole de Dieu. » Écartant chacune de ces choses, il dit, en premier lieu,
de la prière : « Une seule prière faite par obéissance est davantage
écoutée que dix mille de qui se montre méprisant », suggérant ainsi que
ceux qui ne travaillent pas de leurs mains sont méprisants et indignes d’être
écoutés. Deuxièmement, il ajoute à propos de ceux qui s’adonnent aux cantiques
divins : « Ceux qui travaillent de leurs mains peuvent facilement
chanter des cantiques divins. » Et, plus loin : « Qu’est-ce qui
empêche le serviteur de Dieu qui travaille de ses mains de méditer la loi du
Seigneur et de chanter des psaumes au nom du Dieu Très-haut ? »
Troisièmement, il ajoute à propos de la lecture : « Mais ceux qui
s’adonnent à la lecture n’y trouvent-ils pas ce qu’ordonne l’Apôtre ?
Quelle est cette absurdité de ne pas vouloir accepter la lecture alors qu’on
veut s’y adonner ? » Quatrièmement, il ajoute à propos de la
prédication : « Si un exposé est demandé à quelqu’un et qu’ainsi il
ne peut s’adonner au travail manuel, est-ce que tous ceux qui sont dans le
monastère ne le peuvent pas ? Alors que tous ne le peuvent pas, pourquoi
tous veulent-ils s’y adonner sous ce prétexte ? Et si tous le pouvaient,
ils devraient le faire à tour de rôle, non seulement afin que les autres soient
occupés aux travaux nécessaires, mais aussi parce qu’il suffit qu’un seul parle
pendant que les autres écoutent. »
Mais
il faut aussi savoir que, encore une fois dans cette question, en abandonnant
le chemin de la vérité, ils s’éloignent d’une erreur pour tomber dans l’erreur
contraire. En effet, ce fut une erreur de certains moines, à l’époque ancienne,
qui disaient que les religieux ne pouvaient pas travailler de leurs mains sans
dommage pour leur perfection, parce que celui qui travaille de ses mains
n’accorde pas toute son attention à Dieu, et ainsi n’accomplit pas ce qui est
dit dans l’évangile : Que votre âme ne
s’inquiète pas de ce que vous mangerez, et votre corps de ce dont vous vous
vêtirez, Mt 6, 25. En conséquence, ils étaient forcés de nier que
l’Apôtre avait travaillé de ses mains, et de dire que ce que dit l’Apôtre en
2 Th 3, 10 : Celui qui ne veut pas
travailler, qu’il ne mange pas ! doit s’entendre du travail spirituel,
et non du travail corporel, de sorte que le commandement de l’Apôtre ne vienne
pas contredire le commandement de l’Évangile.
Dans
son livre Sur le travail des moines, Augustin rejette donc
leur erreur parce qu’elle est manifestement contraire à l’Écriture, car c’est
contre eux qu’il a écrit ce livre, comme on le voit clairement dans son livre Rétractations. En partant de là, certains hommes
à l’intelligence tordue saisissent l’occasion de l’erreur contraire en disant
que les religieux qui ne travaillent pas de leurs mains sont dans un état de
réprobation. Ils se révèlent ainsi amis de Pharaon et d’accord avec lui, comme
cela est clair selon la Glose sur Ex 5, 4 : Moïse et Aaron, pourquoi voulez-vous débaucher le peuple,
etc. ?: « Aujourd’hui aussi, si Moïse et Aaron, c’est-à-dire la
parole prophétique et sacerdotale, invitent l’âme, en vue du service de Dieu, à
sortir du siècle, à renoncer à tout ce qu’elle possède, à s’appliquer à la loi et
à la parole de Dieu, tu entendras aussitôt les amis de Pharaon dire d’un commun
accord : “Voyez comment les hommes sont séduits et les adolescents
pervertis afin de ne pas travailler, de ne pas combattre, de ne rien faire
d’utile, de s’adonner à des sottises et à l’oisiveté en laissant de côté des
choses nécessaires !” Qu’est-ce que servir Dieu ? Ils ne veulent pas
travailler et cherchent des occasions de loisir. Telles étaient les paroles de
Pharaon, et tel est maintenant le discours de ses amis. »
Afin
de défendre les serviteurs de Dieu contre leurs attaques, montrons que tous les
religieux, sauf peut-être à l’occasion, non seulement ne sont pas tenus de
travailler de leurs mains, mais que même ceux qui ne travaillent pas de leurs
mains sont dans un état de salut[27].
Premièrement,
[démontrons-le] par la glose sur ce passage de Mt 6, 26 : Observez les oiseaux du ciel : « Les saints
sont à juste titre comparés aux oiseaux parce qu’ils recherchent le ciel, et
certains sont tellement éloignés du monde qu’ils ne font plus rien et ne travaillent
plus sur terre, mais, déjà au ciel, demeurent dans la seule contemplation. On
dit d’eux : “Quels sont ceux-ci qui volent comme des nuages ?” »
De
même, Grégoire dans la deuxième partie de sa deuxième homélie sur Ézéchiel
[dit] : « La vie contemplative consiste à se maintenir dans la
charité de Dieu et du prochain, à cesser l’action extérieure, à s’attacher au
seul désir du Créateur, de sorte qu’il ne lui soit plus permis de rien faire
d’autre, mais que l’âme brûle de voir le visage de son Créateur, après avoir
foulé aux pieds tous les soucis. » Les parfaits contemplatifs se détournent
donc de toute action extérieure.
De
même, à propos de Lc 10, 40 : Seigneur,
cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? la Glose dit :
« Elle parle au nom de ceux qui, ignorant encore la contemplation divine,
disent que ne plaît à Dieu que les œuvres d’amour fraternel qu’ils ont
apprises ; aussi affirment-ils que tous ceux qui veulent se vouer au
Christ doivent s’y adonner. » Or, ceux qui disent que les religieux
doivent travailler de leurs mains, disent que c’est pour les œuvres de l’amour
fraternel, à savoir pour qu’ils aient de quoi faire l’aumône, selon ce que dit
Ep 4, 28 : Qu’il travaille de ses
mains afin d’avoir de quoi aider celui qui se trouve dans le besoin. Ceux qui veulent que
tous les religieux travaillent de leurs mains utilisent donc la voix de Marthe
qui reprochait à Marie son repos. C’est pourquoi le repos de Marie est justifié
par le Seigneur.
De
même, cela peut être démontré par un exemple. En effet, le bienheureux Benoît,
comme le raconte Grégoire dans Dialogue, II, demeura pendant
trois ans dans une grotte sans travailler de ses mains pour chercher sa
nourriture, parce qu’il s’était beaucoup éloigné des rapports avec les hommes,
connu seulement d’un moine romain qui lui apportait de la nourriture. Et
cependant, qui oserait dire qu’il n’était pas alors dans un état de salut, puisque
le Seigneur l’a appelé son serviteur en disant à un prêtre : « Mon
serviteur meurt-il de faim dans cet endroit ? » Plusieurs autres exemples
de saints sont aussi clairs, tant dans le Dialogue
que
dans les Vies des pères, qui passaient leur vie
sans travailler de leurs mains.
De
même, travailler de ses mains relève soit d’un commandement, soit d’un conseil.
S’il s’agit d’un conseil, personne n’est tenu de travailler de ses mains à
moins de s’y être astreint par un vœu. Les religieux qui, en vertu de leur
règle, ne sont pas tenus de travailler de leurs mains ne sont pas tenus au
travail manuel. Mais s’il s’agit d’un commandement, puisque les religieux et
les séculiers sont également obligés aux commandements divins et apostoliques,
les religieux ne sont pas davantage tenus au travail manuel que les séculiers.
S’il était donc permis à quelqu’un de vivre sans travail manuel alors qu’il
était dans le siècle, la même chose lui sera permise lorsqu’il sera dans la vie
religieuse.
De
même, au moment où l’Apôtre a dit : Celui
qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas ! les religieux ne se
distinguaient pas des séculiers. Ainsi, ce commandement a été proposé à tous
les chrétiens sans distinction. Ce qui est évident aussi d’après ce que dit
2 Th 3, 6 : Écartez-vous de tout
frère qui se comporte de manière désordonnée. En effet, tous les chrétiens
étaient alors appelés frères, comme cela est clair d’après
1 Co 7, 12 : Si un frère a une
épouse incroyante, etc. La Glose [dit] : « C’est-à-dire, si un
croyant. » Si les religieux sont obligés de travailler de leurs mains en
vertu de ces paroles de l’Apôtre, tous les séculiers y seront donc obligés. Et
ainsi, on revient à la même chose que précédemment.
De
même, Augustin dit, dans le livre Sur le travail des
moines : « Ceux qui possédaient au moins quelque bien dans le siècle
grâce auquel ils pouvaient subsister sans travailler, et qui, en se
convertissant à Dieu, l’ont abandonné aux pauvres, il faut croire à leur faiblesse
et la supporter. En effet, ceux-là d’habitude ne peuvent pas supporter la
fatigue du travail manuel. » Ceux qui n’ont pas vécu du travail de leurs
mains dans le siècle ne doivent donc pas être forcés au travail manuel dans la
vie religieuse.
De
même, dans le même livre, Augustin, en parlant d’un riche qui abandonne ses
biens à un monastère, dit que, bien qu’il agisse bien en travaillant de ses
mains pour donner l’exemple aux autres, « s’il ne le veut pas – à savoir,
travailler de ses mains ‑, qui osera l’y forcer ? » Et cela ne
fait pas de différence, comme il l’ajoute lui-même plus loin, qu’il ait donné
[ses biens] à un monastère ou qu’il [les] ait abandonnés un peu partout,
puisque « tous les chrétiens ne forment qu’une seule communauté ». La
conclusion est donc la même que précédemment.
De
même, ce qui n’est commandé que conditionnellement et le cas échéant n’oblige
que sous cette condition et dans ce cas. Or, on ne trouve jamais que le travail
manuel ait été ordonné par l’Apôtre, si ce n’est dans le cas où des péchés sont
évités par lui, puisqu’il veut que les hommes travaillent de leurs mains plutôt
que de tomber dans ces péchés. Tous ceux qui peuvent éviter de tels péchés sans
travailler de leurs mains ne sont donc pas obligés de travailler de leurs
mains. La mineure est démontrée par le fait qu’on ne constate que l’Apôtre a
imposé le travail manuel que dans trois endroits. Premièrement, en
Ep 4, 28 : Que celui qui volait
ne vole plus, mais travaille plutôt de ses mains, où il apparaît qu’il impose le
travail manuel afin que le vol soit évité, car ceux qui s’abstenaient de
travailler de leurs mains cherchaient leur nourriture par le vol. Deuxièmement,
1 Th 4, 11 ordonne la même chose : Travaillez de vos propres mains, comme nous vous l’avons
ordonné, afin de vous comporter de manière honorable devant ceux du dehors et
de ne désirer rien qui appartient à un autre ; il incite par cela au
travail manuel afin d’éviter le désir désordonné des biens des autres, ce qui
est un vol en esprit. Troisièmement, il parle de cela en
2 Th 3, 10‑12, où il dit : Alors que nous étions parmi vous, nous vous donnions cette
règle : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas ! En
effet, nous avons entendu dire qu’il y en a parmi vous qui mènent une vie
désordonnée, ne travaillant pas du tout mais se mêlant de tout – Glose :
« Qui s’assurent le nécessaire par des comportements funestes » ‑.
Ceux-là, nous les dénonçons et nous les supplions dans le
Seigneur Jésus, le Christ, de manger en silence le pain qu’ils auront gagné. Il ressort ainsi
clairement qu’il impose le travail manuel à ceux qui, fuyant le travail manuel,
gagnaient leur vie par des échanges honteux. Il est donc clair que les
religieux et les séculiers qui, sans voler, sans désirer de manière désordonnée
les biens des autres, sans comportement honteux peuvent gagner leur vie de
quelque manière, ne sont pas obligés de travailler de leurs mains. De même,
[ils ne le sont pas] en vertu du commandement d’Augustin dans le livre Sur le travail des moines, puisqu’il n’invite qu’à
l’observance des commandements apostoliques, comme cela est clair à qui examine
ses paroles attentivement. Les religieux ne sont donc pas obligés de travailler
de leurs mains, sauf cas particulier.
De
même, ceux qui ont par ailleurs de quoi vivre autrement que par le travail manuel
ne sont pas obligés de travailler de leurs mains, autrement, tous les riches,
clercs et laïcs, qui ne travaillent pas de leurs mains, seraient dans un état
de damnation, ce qui est absurde. Or, certains religieux ont par ailleurs de
quoi vivre honnêtement autrement que par le travail manuel, parce qu’ils ont
des propriétés qui ont été données par des fidèles en vue de leur
subsistance ; ou bien, un ministère de prédication leur a été confié par
lequel ils peuvent vivre, 1 Co 9, 14 : Le Seigneur a établi que ceux qui annoncent l’évangile
vivent de l’évangile. Glose : « Le Seigneur a établi que les
prédicateurs doivent vivre de l’évangile afin qu’ils soient plus disponibles
pour prêcher la parole de Dieu. » On ne peut donc dire que cela doit
seulement s’entendre des prélats à qui il incombe de prêcher en vertu d’une
autorité ordinaire, car il faut qu’eux comme tous les autres qui prêchent en
vertu d’un mandat soient disponibles pour prêcher la parole de Dieu, parmi
lesquels peuvent se trouver des religieux, comme on l’a montré plus haut. De
même, il existe des religieux qui assurent l’office divin dans l’église, et ils
peuvent eux aussi vivre honnêtement de cela. Ainsi, il est dit en
1 Co 9, 13 : Ceux qui assurent le
service de l’autel partagent avec l’autel. Augustin dit de ces deux choses,
dans le livre Sur le travail des moines, en parlant des religieux :
« Si ce sont des évangélistes, ils ont le pouvoir de vivre aux frais des
fidèles ; si ce sont des ministres de l’autel, ils n’usurpent pas mais
revendiquent pleinement pour eux ce pouvoir. » De même, il y a des
religieux qui se consacrent à la Sainte Écriture, et ils peuvent aussi vivre
honnêtement de cela. Aussi Jérôme dit-il, dans le lettre contre
Vigilantius : « Cette coutume se poursuit jusqu’à aujourd’hui, non
seulement parmi nous mais aussi chez les Hébreux, que ceux qui méditent nuit et
jour la loi du Seigneur et n’ont d’autre père sur terre que Dieu seul, sont
entretenus par les dons des synagogues de toute la terre. » Il est donc
clair que tous les religieux ne sont pas obligés de travailler de leurs mains.
De
même, l’utilité spirituelle dépasse l’utilité temporelle. Or, ceux qui sont au
service de l’utilité commune afin de conserver la paix temporelle reçoivent
honnêtement ce de quoi ils peuvent vivre. Ainsi est-il dit dans
Rm 13, 6 : C’est pourquoi vous
payez des impôts : en effet, ils sont les ministres de Dieu en vue
d’assurer ce service. Glose : « Lorsqu’ils défendent la patrie. »
À bien plus forte raison, ceux qui sont au service de l’utilité commune par la
prédication, par l’étude de la Sainte Écriture ou par le service d’une église
où sont faites des prières pour le salut de toute l’Église, peuvent-ils honnêtement
recevoir des fidèles de quoi vivre. Ils ne sont donc pas obligés de travailler
de leurs mains.
De
même, comme le dit Augustin dans le livre Sur le
travail des moines, l’Apôtre travaillait là où il n’avait coutume de prêcher que le
jour du sabbat, disposant ainsi de temps libre pour travailler de ses mains,
comme à Corinthe. Mais, lorsqu’il était à Athènes, où il pouvait prêcher quotidiennement,
il ne travaillait pas de ses mains, mais il vivait de ce que les frères venus
de Macédoine lui avaient apporté. Il ressort ainsi clairement que la fonction
de la prédication ne doit pas être délaissée pour le travail manuel. Ceux qui
peuvent s’adonner quotidiennement à la prédication et aux autres choses qui se
rapportent au salut des âmes, qu’ils fassent cela en vertu d’une autorité
ordinaire ou en vertu d’un mandat d’un autre, doivent s’abstenir totalement de
travail manuel.
De
même, les œuvres de miséricorde dépassent les exercices corporels,
1 Tm 4, 8 : Les exercices
corporels sont de peu d’utilité, mais la piété est utile à tout. Or, les œuvres de
piété doivent être interrompues afin de vaquer à la prédication,
Ac 6, 2 : Il ne convient pas que
nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Et
Lc 9, 60 : Laisse-les ensevelir
leurs morts, mais toi, va annoncer la parole de Dieu. Glose : « Le
Seigneur enseigne que des biens moindres doivent être omis pour l’utilité de
biens plus grands. En effet, il est plus grand de réveiller les âmes des morts
en prêchant que de dissimuler le corps des morts dans la terre. » Ceux qui
peuvent légitimement prêcher doivent donc interrompre le travail en raison de
la prédication.
De
même, il n’est pas possible de s’adonner continuellement à l’étude de la Sainte
Écriture et de chercher à vivre du travail de ses mains. Or, comme Grégoire le
dit dans le Pastoral, en expliquant ce qu’on
lit en Ex 25, 15 : Les barres resteront
dans les anneaux, etc. : « Assurément, dit-il, il est nécessaire que ceux qui
s’adonnent à la fonction de la sainte prédication ne s’éloignent pas de
l’application à la lecture sainte », afin d’être toujours prêts à prêcher,
même s’ils ne prêchent pas toujours, comme cela ressort clairement de ce qui y
est dit plus loin. Ceux qui ont été assignés à la prédication, soit en vertu de
leur propre autorité, comme les prélats, soit en vertu du mandat de prélats, doivent
s’abstenir de travail manuel pour vaquer à l’étude.
De
même, que des religieux puissent, en s’abstenant du travail manuel, s’adonner
sans reproche à l’étude de la Sainte Écriture, cela ressort clairement de ce
que dit Jérôme dans le prologue sur Job : « Mais si je tressais un
panier avec des joncs ou pliais des feuilles de palmier afin de manger mon pain
à la sueur de mon front, et si je m’occupais avec un esprit inquiet des besoins
de mon ventre, personne ne m’inquiéterait, personne ne me ferait de reproches.
Mais parce que je veux maintenant, selon la volonté du Seigneur, préparer une
nourriture qui n’est pas détruite et nettoyer des épines et des broussailles le
vieux chemin des ouvrages divins, une double erreur m’est reprochée. » Et
plus loin : « Voilà pourquoi, frères bien-aimés, avec les corbeilles
et les éventails, faibles dons des moines, accueillez ces dons spirituels et
durables. » Il est donc clair que le bienheureux Jérôme, qui était moine,
avait préféré l’étude de la Sainte Écriture au travail manuel, ce que lui reprochaient
cependant des envieux. Cela est donc aussi permis à d’autres religieux, quoi
que disent les détracteurs.
De
même, Augustin [dit], dans le livre Sur le travail des
moines : « Ceux qui, après avoir laissé ou distribué leurs
richesses, importantes ou ordinaires, ont voulu être comptés parmi les pauvres
du Christ par une humilité pieuse et salutaire, s’ils sont en santé et s’ils
sont libérés des travaux d’une église, s’ils travaillent eux-mêmes de leurs
mains afin d’enlever aux paresseux une excuse, ceux-là agissent avec une
miséricorde beaucoup plus grande que lorsqu’ils ont réparti leurs biens entre
les indigents. » Il ressort ainsi clairement que [Augustin] ne veut pas
que ceux dont la santé ne le permet pas, comme ceux qui sont impliqués dans des
travaux pour une église, travaillent de leurs mains. Or, parmi les occupations
ecclésiastiques, la prédication est plus utile et plus digne,
1 Tm 5, 17 : Les prêtres[28] qui exercent bien la présidence méritent une double rémunération,
surtout ceux qui peinent à la parole et à l’enseignement. Ceux qui sont occupés
à la prédication ne doivent donc pas travailler de leurs mains.
Après
avoir vu cela, il reste maintenant à répondre aux objections contraires.
1.
À la première objection, à savoir que travailler de ses mains est un commandement
de l’Apôtre, il faut répondre que ce commandement de l’Apôtre ne relève pas du
droit positif, mais de la loi naturelle, ce qui ressort clairement de ce que la
Glose dit à propos de 2 Th 3, 6 : Éloignez-vous de tout frère qui se comporte de manière
désordonnée : « [Qui se comporte] autrement que ne l’exige l’ordre
naturel. » Or, il parlait de ceux qui délaissaient le travail manuel. Que
la nature elle-même incline l’homme à travailler de ses mains, la disposition
du corps l’indique, car la nature n’a pas donné à l’homme des vêtements comme
la fourrure des animaux, ni des armes comme les cornes des bœufs et les griffes
des lions, et elle ne lui a pas préparé de nourriture, sauf le lait, comme le
dit Avicenne. Mais, à la place de tout cela, elle lui a donné la raison par
laquelle il pourra obtenir toutes ces choses pour lui-même, et des mains par
lesquelles il pourra exécuter ce qu’aura décidé la raison, comme le dit le
Philosophe, dans Sur les animaux, XIV. Et parce que les
commandements de la loi naturelle concernent tous sans distinction, ce
commandement de la loi naturelle au sujet du travail manuel s’étend à toutes
les distinctions qui existent entre les hommes, et pas davantage aux religieux
qu’aux autres. Toutefois, il ne faut pas dire que chaque homme est obligé de
travailler de ses mains, ce qui est démontré de cette façon. En effet, il
existe certains préceptes de la loi naturelle qui ne servent qu’à celui qui les
accomplit, comme le précepte de manger ; aussi chaque homme pris
individuellement est-il obligé de les accomplir. Mais il existe certains préceptes
de la loi naturelle par lesquels l’homme ne subvient pas à lui-même, mais à la
nature commune, comme le précepte portant sur l’acte de la puissance générative
par lequel l’espèce humaine se multiplie et est sauvegardée, ou encore par lesquels
l’homme ne peut subvenir à lui seul mais aux autres. Aussi, chacun n’est-il pas
obligé à l’observance de ces [préceptes], car un seul ne suffirait pas pour
tout ce dont la vie des hommes a besoin. En effet, un seul homme ne pourrait
s’adonner à la génération, à la contemplation, à la construction, à
l’agriculture et à tous les autres exercices dont la vie humaine a besoin. À la
vérité, l’un est aidé par l’autre pour ces choses, comme, dans le corps, un
membre [est aidé] par un autre. C’est pourquoi, en raison du soin mutuel que
les hommes doivent se porter, l’Apôtre dit en Rm 12, 5 : [Vous êtes] les membres les uns des autres. Or, la répartition de
ces fonctions, à savoir que divers hommes s’occupent de fonctions diverses,
s’accomplit principalement par la providence divine, mais secondairement par
les causes naturelles par lesquelles un homme est davantage porté à une chose
qu’à une autre. Il ressort ainsi clairement que, pour ces choses, personne
n’est obligé en vertu d’un précepte, sinon en cas de nécessité et si un autre
ne peut lui venir en aide, comme s’il y avait nécessité pour un homme
d’utiliser une maison ou quelque chose de ce genre et qu’il n’y avait personne
d’autre pour la lui préparer, il serait lui-même obligé de se préparer une
demeure, autrement sa main lui ferait défaut. Je dis de même que personne n’est
tenu à travailler de ses mains que s’il y a nécessité d’utiliser ce qui est
recherché par le travail manuel et qu’il ne peut les obtenir autrement sans
péché. En effet, nous disons que nous pouvons ce que nous pouvons honnêtement.
Et cela ressort clairement de ce que dit la Glose à propos de
1 Co 4, 12 : Nous peinons à
travailler de nos mains : « Parce que personne ne nous le donne. » C’est
pourquoi aussi l’Apôtre n’a jamais ordonné le travail manuel qu’à ceux qui, en
s’abstenant de travailler de leurs mains, tombaient dans d’autres péchés en
cherchant leur subsistance, comme on l’a montré plus haut. Et ainsi, on ne peut
pas conclure davantage des paroles de l’Apôtre que tout homme, religieux ou séculier,
est obligé de travailler de ses mains plutôt que de se laisser mourir ou de
chercher sa subsistance d’une manière malhonnête. Et cela, nous le concédons.
2.
À la deuxième objection, il faut répondre qu’on ne peut tirer plus de la
première partie de cette glose que cette parole de l’Apôtre : Celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas !
soit
interprétée d’un travail corporel, à l’encontre de certains moines qui disaient
que cette parole de l’Apôtre devait être interprétée seulement du travail spirituel,
et qui voulaient qu’il ne soit pas permis aux serviteurs de Dieu de travailler
de leurs mains. La Glose écarte cette interprétation et Augustin la condamne
dans le livre Sur le travail des moines, dont la glose est
tirée. En supposant donc que le texte doive ainsi se comprendre : Si quelqu’un ne veut pas travailler corporellement, qu’il
ne mange pas ! il n’en découle pas que quiconque veut manger est obligé de
travailler de ses mains. En effet, si cela était dit de tous, cela serait
contraire à ce que Paul avait dit plus haut : Travaillant
nuit et jour, non pas que nous n’ayons pas eu le pouvoir, etc. L’Apôtre avait donc le
pouvoir de manger sans travailler de ses mains. Il ne faut donc pas interpréter
de manière universelle : Si quelqu’un ne veut
pas travailler, qu’il ne mange pas ! Ceux dont on parle sont clairement
indiqués par ce qui suit : Nous avons en effet
appris que certains parmi vous se comportent de manière désordonnée, en ne
travaillant pas et en se mêlant de tout ‑ Glose : « Ceux qui se
procurent le nécessaire par des agissements abominables ‑ ; ceux qui se comportent ainsi, nous les dénonçons afin
qu’ils mangent leur pain en travaillant en silence. En effet, puisqu’ils ne doivent
aucunement assurer leur subsistance par des agissements abominables,
c’est-à-dire par des occupations malhonnêtes, cela revient au même pour eux de
ne pas travailler et de ne pas manger. Ce qui suit dans la Glose :
« Il veut que les serviteurs de Dieu travaillent corporellement »,
n’est pas avancé purement et simplement, mais à la condition qu’un autre mal
soit évité, à savoir, la mendicité involontaire et forcée, car suit :
« Afin qu’ils ne soient pas forcés de demander le nécessaire en raison de
leur indigence. » Car il serait mieux qu’il travaille de ses mains que
d’en venir à une telle misère que, contre son voeu et la volonté de quelqu’un,
il soit forcé de mendier. Toutefois, il n’en découle pas que ceux qui
choisissent la pauvreté volontaire et veulent mendier par humilité soient
obligés de travailler de leurs mains.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que l’Apôtre n’ordonne pas le
travail manuel de manière absolue, mais selon une certaine comparaison, à
savoir que quelqu’un doit plutôt travailler de ses mains que voler. En effet,
il dit : Celui qui volait, qu’il ne vole
plus, mais qu’il travaille plutôt de ses mains, etc. C’est pourquoi il n’en
découle pas que les religieux qui peuvent obtenir leur subsistance sans voler
soient obligés de travailler corporellement.
4.
À la quatrième objection, il faut répondre que ceux qui vendent tous leurs
biens pour obéir à un conseil du Christ, doivent suivre le Christ après avoir
vendu leurs biens. Aussi Pierre dit-il, Mt 19, 27 : Voilà que nous avons tout abandonné pour te suivre. Or, quelqu’un peut
suivre le Christ en accomplissant les œuvres de la vie contemplative, mais aussi
les œuvres de la vie active. Ainsi, celui qui, après avoir tout abandonné,
s’adonne à la contemplation suit le conseil du Christ ; de la même façon,
celui qui, après avoir tout abandonné, fait des aumônes corporelles ou spirituelles
en prêchant ou en enseignant. La glose invoquée présente donc une des choses
par lesquelles le conseil du Christ est accompli ; toutefois, d’autres
choses ne sont pas exclues pour autant, autrement la glose serait contraire à
l’évangile. En effet, il est dit, en Lc 9, 59‑60, que le
Seigneur dit à quelqu’un : Suis-moi ! à qui, alors qu’il
demandait un délai pour ensevelir son père, le Seigneur répondit : Laisse les morts ensevelir les morts, mais toi, va annoncer
la parole de Dieu. Il veut donc que certains, après avoir tout abandonné, le suivent
pour annoncer la parole de Dieu, et non seulement pour faire des aumônes. Ou
bien l’on peut dire que, puisque le texte est un conseil, tout ce qui est
contenu dans la glose est un conseil, et ainsi personne n’est obligé qu’à ce à
quoi il s’est obligé par un vœu.
5.
À la cinquième objection, il faut répondre que le fait que des apôtres ont
travaillé de leurs mains relevait parfois d’une nécessité et parfois de quelque
chose qui allait au-delà [de ce qui était nécessaire]. D’une nécessité,
lorsqu’ils ne pouvaient trouver de quoi vivre de la part des autres, comme cela
est clair en 1 Co 4, 12, dans la glose invoquée antérieurement ;
de quelque chose au-delà de ce qui était nécessaire, cela ressort clairement de
ce qu’on lit en 1 Co 9, 4‑15. Toutefois, l’Apôtre ne
recourait à ce dépassement du nécessaire que pour trois raisons. Parfois pour
enlever aux faux apôtres l’occasion de prêcher, eux qui ne prêchaient que pour
des biens temporels, comme cela ressort clairement de
2 Co 9, 12 : Ce que je fais, je le
ferai encore pour leur enlever l’occasion, etc. Parfois en raison de l’avarice
de ceux à qui il prêchait, de sorte que, accablés de devoir assurer le temporel
à l’Apôtre qui semait le spirituel, ils ne s’éloignent pas de la foi, comme
cela ressort clairement de 2 Co 12, 13 : En effet, qu’avez-vous de différent des autres églises, si
ce n’est que je ne vous ai pas accablés. Troisièmement, pour donner
l’exemple du travail aux oisifs, 2 Th 3, 8‑9 : Travaillant nuit et jour pour n’accabler aucun d’entre
vous, et
plus loin : Afin de vous donner l’exemple
pour que vous nous imitiez. Toutefois, l’Apôtre ne travaillait pas dans les endroits où
il avait la possibilité de prêcher quotidiennement, comme à Athènes, comme le
dit Augustin dans le livre Sur le travail des
moines. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire au salut que les religieux
imitent en cela l’Apôtre, puisque les religieux ne sont pas tenus à tout ce qui
va au-delà du nécessaire. Ainsi, les autres apôtres ne travaillaient de leurs
mains que peut-être lorsqu’ils ne trouvaient personne pour leur donner [le
nécessaire], cas dans lequel tous sont obligés de travailler de leurs mains.
6.
À la sixième objection, il faut répondre que ces décrets parlent des clercs à
qui les biens d’une église et les dons des fidèles ne suffisent pas pour vivre,
qui doivent assurer leur subsistance de leurs mains.
7.
À la septième objection, il faut répondre que l’Apôtre donne l’exemple du travail
aux évêques dans les cas où lui-même travaillait, à savoir, lorsqu’ils ne sont
pas empêchés d’accomplir les occupations ecclésiastiques par le travail manuel,
et lorsque accepter des frais serait un poids et un scandale pour les
subordonnés nouvellement convertis à la foi.
8.
À la huitième objection, il faut répondre que le travail manuel, comme cela ressort
clairement de l’autorité de Jérôme invoquée, n’est pas seulement accepté pour
assurer sa subsistance, mais pour réprimer les pensées vaines qui naissent de
l’oisiveté et de la corruption de la chair. Or, l’oisiveté est écartée non
seulement par les travaux manuels, mais aussi par les exercices spirituels, par
lesquels la concupiscence de la chair est réfrénée. Aussi Jérôme dit-il, dans
la même lettre : « Aime la science des Écritures et tu n’aimeras pas
les vices de la chair. » Pour ce qui est de dompter la chair et d’écarter
l’oisiveté, le travail manuel n’est donc pas l’objet d’un commandement, pourvu
que l’homme évite l’oisiveté par d’autres exercices spirituels et qu’il corrige
le corps par d’autres œuvres de pénitence, comme par les jeûnes, les veilles et
les choses de ce genre, parmi lesquelles l’Apôtre range le travail manuel,
2 Co 6, 5 : Dans les fatigues, les
veilles, les jeûnes, etc. Glose : « Dans les fatigues du travail, parce
qu’il travaillait de ses mains. »
9.
À la neuvième objection, il faut répondre que travailler de ses mains est
parfois mieux que de ne pas travailler, et parfois c’est l’inverse. En effet,
lorsque quelqu’un n’est pas empêché d’accomplir une œuvre plus utile par le
travail manuel, il est mieux de travailler de ses mains afin de pouvoir par là
se suffire et aider les autres, surtout lorsque ce serait un scandale pour les
fidèles faibles ou nouvellement convertis à la foi, si quelqu’un, en
s’abstenant de travailler de ses mains, voulait vivre des contributions des
fidèles, cas dans lesquels l’Apôtre travaillait de ses mains, comme cela est
clair dans la Glose à propos de 1 Co 9, 1. Et la glose des Actes
qui est invoquée parle aussi de cette manière. Mais lorsque quelqu’un est
empêché d’accomplir une œuvre meilleure par le travail manuel, alors il est
mieux de s’abstenir du travail manuel, comme cela ressort clairement de la
glose sur Lc 9, 60 : Laisse les morts
ensevelir les morts, etc., qui a été invoquée plus haut. De même que cela ressort
clairement de l’exemple de l’Apôtre qui cessait de travailler lorsqu’il avait
la possibilité de prêcher. Mais les prédicateurs récents seraient plus
facilement empêchés de prêcher par le travail manuel que les apôtres qui
recevaient par inspiration la science pour prêcher, alors que les prédicateurs
de l’époque récente doivent continuellement se préparer à prêcher par l’étude,
comme cela ressort clairement de l’autorité de Grégoire invoquée plus haut.
10.
À la dixième objection, [il faut répondre] qu'Augustin appelle arrogants ceux
qui s’abstiennent de travailler lorsqu’ils sont obligés de travailler
conformément au commandement de l’Apôtre, et que l’Apôtre, en
2 Th 3, 11‑14, les déclare même dignes d’être excommuniés.
Ce sont ceux qui réussissent à vivre par des comportements abominables.
Qu’Augustin parle de ceux-là, cela ressort clairement de ce qu’il avait dit auparavant,
en précisant la cause pour laquelle ceux qui se convertissent de la vie rurale
à la vie religieuse doivent travailler : « On ne voit pas qu’ils
soient venus avec l’intention de servir Dieu, si, en fuyant une vie misérable
et laborieuse, ils veulent, libérés, être nourris et vêtus, bien plus, être
honorés par ceux qui avaient coutume de les mépriser et de les écraser. »
Ceux-là, il veut qu’ils travaillent de leurs mains. En effet, ils comptent
manifestement au nombre des oisifs et de ceux qui se mêlent de tout dénoncés
par l’Apôtre, de sorte « qu’ils doivent manger leur pain en travaillant et
en se taisant ». Et Augustin appelle surtout arrogants ceux qui disaient
qu’il n’était pas permis aux serviteurs de Dieu de travailler de leurs mains,
mettant sens dessus dessous ce que l’Apôtre voulait dire.
11.
À la onzième objection, il faut répondre qu’on peut s’adonner de deux façons
aux œuvres spirituelles abordées par l’objection : en étant au service de
l’utilité commune et en se concentrant sur l’utilité privée, ce qui est clair
pour chacune. En effet, quelqu’un peut s’adonner aux prières et aux psaumes en
célébrant l’office divin dans une église, ce qui est une œuvre publique ordonnée
à l’édification de l’Église. Mais quelqu’un peut aussi s’y adonner sous forme
de prière privée, ce que font parfois les laïcs. Et ainsi, Augustin en parle,
mais non pas de la première manière, ce qui ressort clairement de ce qu’il
dit : « Ceux qui travaillent manuellement peuvent chanter des
cantiques divins », à l’exemple des artisans qui « racontent des
histoires alors que leurs mains ne cessent pas de travailler », ce qui ne
serait pas supporté de ceux qui doivent célébrer les heures canoniques dans une
église. De même, quelqu’un peut s’adonner à la lecture sous forme d’œuvre
publique en enseignant et en étudiant dans les écoles, comme les maîtres et les
étudiants le font, qu’ils soient religieux ou séculiers. Mais [s’y adonnent]
comme à une œuvre privée ceux qui lisent les Écritures pour eux-mêmes pour leur
consolation, comme les moines le font dans le cloître. C’est ainsi que parle
Augustin. Il ne dit pas : « Ceux qui disent s’adonner à
l’enseignement ou à l’étude », mais il dit : « Ceux qui disent
s’adonner à la lecture. » De la même manière, quelqu’un s’adonne à la
parole de Dieu sous forme d’œuvre publique en prêchant publiquement aux gens ;
mais celui-là s’adonne à la parole de Dieu comme à une œuvre privée qui exprime
selon la langage commun des paroles édifiantes, comme les moines du désert
disaient beaucoup de choses aux frères qui venaient vers eux pour les édifier.
Et c’est ainsi que parle Augustin, ce qui ressort clairement du fait qu’il
dit : « Est-ce que tous ceux qui sont dans le monastère ne peuvent
pas expliquer les lectures divines aux frères qui viennent vers
eux ? » C’est pourquoi il ne dit pas : « S’il faut
prêcher », mais « si un entretien doit être donné », car, comme
le dit la Glose à propos de 2 Co 2, 4, l’entretien se fait
privément, mais la prédication se fait publiquement.
Ceux
donc qui s’adonnent à ces œuvres spirituelles comme à des œuvres publiques,
gagnent honnêtement leur subsistance par leur travail en la recevant des
fidèles parce qu’ils servent l’utilité commune. Mais ceux qui s’adonnent aux
œuvres mentionnées comme à des œuvres privées en s’abstenant du travail manuel
transgressent parfois le commandement apostolique, lorsqu’il s’agit de ceux
dont l’Apôtre fait savoir « qu’ils doivent manger leur pain en se
taisant », comme on l’a dit. Et c’est d’eux que parle Augustin, comme cela
ressort clairement de ce qu’il dit : « Pourquoi ne consacrons-nous
pas une partie du temps à observer les commandements du Seigneur ? »,
et aussi de ce qu’il dit : « Une seule prière de celui qui obéit [aux
commandements du Seigneur] est plus vite écoutée que dix mille de celui qui
[les] méprise », et aussi de ce qu’il dit : « Quelle est cette
extravagance de ne pas vouloir obéir à la lecture ? » De tout cela,
il ressort clairement qu’il parle de ceux qui s’adonnent aux œuvres
spirituelles et qui transgressent le commandement apostolique, et ne le transgressent
que ceux qui sont obligés de l’observer, dont nous avons parlé plus haut. Mais
parfois ceux qui s’adonnent à ce qui a été dit comme à des œuvres privées ne
transgressent pas le commandement de l’Apôtre en ne travaillant pas de leurs
mains, car ils ne cherchent pas à être nourris en fuyant, frivoles et
désœuvrés, une vie de travail, mais ils sont détournés de toute œuvre
extérieure afin de s’adonner à la contemplation par l’abondance de l’amour de
Dieu, comme on l’a montré par les autorités invoquées plus haut.
Par
ce qui a déjà été dit, les adversaires de la vérité, insatisfaits, s’efforcent
de bouleverser la base de toutes les formes de vie religieuse posée par le
Seigneur, à savoir, la pauvreté, en disant qu’il n’est pas permis à quelqu'un,
après l’abandon de tous ses biens, d’entrer dans une vie religieuse pauvre qui
ne possède ni biens ni revenus, sauf peut-être s’il est décidé à travailler de
ses mains. Ils invoquent pour confirmer leur erreur ce qui est dit en
Pr 30, 8‑9 : Ne me donne ni
mendicité ni richesse ; donne-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour
vivre, de crainte que, rassasié, etc., et plus loin : Et que, poussé par le besoin, je ne vole et ne profane le
nom de mon Dieu. Or, celui qui, après avoir abandonné tous ses biens, entre dans
une vie religieuse pauvre, qui n’a pas de biens, écarte ce qui lui est nécessaire
pour vivre en s’exposant à la mendicité, surtout s’il n’est pas décidé à
travailler de ses mains pour chercher sa subsistance. Il s’expose donc à un
danger de vol et de parjure, ce en quoi il semble répréhensible.
2.
De même, il est dit en Qo 7, 13: La
sagesse est plus utile que la richesse. Glose : « Que la seule
[richesse]. » Celui qui préfère la sagesse sans la richesse agit donc de manière
répréhensible, en abandonnant la richesse pour s’adonner à la sagesse.
3.
De même, il est dit en Si 27, 1 : Beaucoup
ont péché à cause du dénuement. Glose : « À cause du dénuement du cœur ou du
corps. » Or, il faut fuir ce qui est cause de danger. On ne doit donc pas
se mettre dans le dénuement en abandonnant tous ses biens.
4.
De même, en 2 Co 8, 12, l’Apôtre donne l’exemple pour que les
croyants fassent des aumônes, en disant : Si la
volonté est empressée selon ce qu’on possède – Glose : « De ne garder
que le nécessaire » ‑, elle est bien
accueillie, sans tenir compte de ce qu’on n’a pas – « c’est-à-dire
au-delà de ses moyens. » ‑. En
effet, je ne veux pas que vous vous mettiez dans la gêne pour soulager les
autres ‑
« c’est-à-dire dans la pauvreté ». Or, celui qui donne tout ne garde
pas le nécessaire, mais, en donnant, il subit la pauvreté au-delà de ses
forces. Il donne donc d’une manière désordonnée et à l’encontre de l’exemple
transmis par l’Apôtre.
5.
De même, à propos de 1 Th 5, 12 : Nous vous demandons, frères, d’avoir de la considération
pour eux, la Glose dit : « De même que les richesses engendrent la
négligence du salut, de même le dénuement s’écarte de la justice en recherchant
la satiété. » Or, ceux qui, après avoir tout abandonné, entrent dans une
vie religieuse pauvre, se soumettent au dénuement. Ils se mettent donc en
danger de s’écarter de la justice, ce qui paraît répréhensible.
6.
De même, à propos de 1 Tm 6, 8 : En ayant la nourriture et de quoi nous vêtir, la Glose dit :
« Même si nous ne devons rien apporter ni emporter, il ne faut cependant
pas rejeter tous ces biens temporels. » Or, celui qui, après tout
abandonné, entre dans une vie religieuse qui est dépourvue de toute possession
temporelle, rejette tous les biens temporels. Il agit donc de manière désordonnée.
7.
De même, à propos de Lc 3, 11 : Celui
qui a deux tuniques, qu’il en donne une à celui qui n’en a pas, la Glose dit :
« Un commandement est donné à propos des deux tuniques, car, si une seule
est divisée, personne n’est vêtu. En effet, la mesure de la miséricorde est
observée selon ce qui est possible à la condition humaine, de sorte que chacun
ne s’enlève pas tout, mais qu’il partage ce qu’il a avec le pauvre. »
Celui qui donne tout aux pauvres en ne se réservant rien donne donc au-delà de
la mesure et de manière immodérée, et ainsi pèche.
8.
De même, à propos de Lc 12, 29 : Ne vous
inquiétez pas de ce que vous mangerez, la Glose dit : « Il
n’est pas ordonné qu’aucun argent ne soit réservé par les saints pour ce qui
est nécessaire, puisqu’on lit que le Seigneur lui-même possédait une
bourse. » Or, si ce n’était pas bien de réserver quelque chose pour soi,
le fait de réserver aurait été défendu et le Seigneur ne se serait rien
réservé. Il est donc bon et convenable de se réserver quelque chose et de ne
pas tout abandonner.
9.
De même, donner ce qui doit être donné et ce qui ne doit pas être donné est un
acte de prodigalité. Or, celui qui donne tout donne ce qui doit être donné et
ce qui ne doit pas être donné, puisqu’il ne réserve pour lui-même rien de ce
qui ne doit pas être donné. Celui-là pèche donc par le vice de prodigalité.
10.
De même, à propos de Rm 12, 1 : Que
votre culte soit raisonnable, la Glose dit : « De sorte qu’elle ne soit pas
exagérée. » Or, donner tout, c’est donner trop, car cela dépasse le milieu
que sauvegarde la libéralité en donnant, elle qui donne certaines choses et en
garde certaines. Celui qui, en donnant tout, entre en religion ne rend donc pas
à Dieu un culte raisonnable.
11.
De même, à propos de Ex 20, 13 : Tu ne
tueras pas, la Glose dit : « En supprimant le conseil de vivre à qui
tu dois le donner. » Or, le conseil de conserver la vie est mis en œuvre
par les biens temporels. Celui qui enlève tous les biens temporels à soi-même,
à qui il doit surtout donner le conseil de vivre, va à l’encontre de ce
commandement du décalogue : « Tu ne tueras pas », en portant la
main contre lui-même.
12.
De même, on lit en Lm 4, 9 : Il était
mieux d’être tué par l’épée que de mourir de faim. S’exposer à la faim est donc pire
que s’exposer à l’épée. Or, cela n’est pas permis aussi longtemps qu’un homme
peut agir sans pécher, comme le dit Augustin. Il est donc encore bien moins
permis de s’exposer à la faim, ce que semblent faire ceux qui abandonnent tous
leurs biens sans rien réserver pour eux-mêmes.
13.
De même, un homme est plus obligé envers lui-même qu’envers un autre. Or, on
pécherait en enlevant à un autre tout ce par quoi il pourrait entretenir sa vie
et, d’une certaine façon, on le tuerait. Si 34, 25 : Pain des indigents est la vie de l’homme ; qui l’en
prive est un meurtrier ! Il pèche donc en se tuant en quelque sorte lui-même celui
qui abandonne tous ses biens afin d’entrer dans une vie religieuse où il n’y a
pas de possessions communes pour subvenir à ses besoins.
14.
De même, la vie du Christ est le modèle de toute perfection. Or, le Christ a possédé
ce qu’il fallait pour vivre. On lit en effet en Jn 12, 6, qu’il a eu
une bourse, et en Jn 4, 8, on lit que ses disciples étaient allés
dans la ville pour s’acheter à manger. Il ne relève donc pas de la perfection
que quelqu’un donne tout, en ne se réservant rien.
15.
De même, l’observance de toute vie religieuse a pris naissance dans le comportement
des disciples du Christ. Ainsi, Jérôme dit, dans le livre Sur les hommes illustres, que, « dans l’Église
primitive, tous les chrétiens étaient comme sont maintenant les religieux, même
les plus parfaits ». Et on lit la même chose dans les Conférences des pères et on peut le conclure de la
glose sur Ac 4, 32 : La multitude des
croyants, etc. Or, on lit en Ac 4, 32 qu’ils mettaient tout en commun
et qu’il n’y avait pas d’indigent parmi eux. Ceux qui, après avoir abandonné
leurs biens propres ne possèdent rien en commun – ils sont donc forcément
indigents – ne mènent donc pas une vie religieuse mais superstitieuse.
16.
De même, le Seigneur, en envoyant ses disciples prêcher, semble leur avoir
donné deux commandements : l’un de ne rien apporter avec eux en chemin,
l’autre de ne pas aller à la rencontre des païens, comme cela ressort
clairement de Mt 10, 9‑10, Mc 6, 8‑9 et
Lc 9, 3 et 10, 4. Or, il semble être revenu sur le premier [commandement]
à l’approche de la passion, Lc 22, 36 : Mais maintenant, que celui qui a une bourse prenne aussi
une besace. Et il semble avoir révoqué le deuxième commandement en
Mc 16, 15 : Allez par tout le
monde, etc. Or, après sa révocation, le second commandement ne doit être
observé d’aucune manière, mais il faut plutôt prêcher l’évangile aux païens. Le
premier commandement ne doit donc pas être observé par la suite, à savoir que
quelqu’un rejette totalement les moyens pour vivre.
17.
De même, dans le Décret, C. 12, q. 1,
c. 13, il est dit : « Il convient de posséder des biens de
l’Église et de mépriser ses biens propres par amour de la perfection. » Et
plus loin : « Il est suffisamment montré que les biens propres
doivent être méprisés en vue de la perfection et qu’on peut posséder des biens
de l’Église, qui sont sans aucun doute des biens communs, sans empêchement pour
la perfection. » Si donc certains abandonnent tous leurs biens pour passer
à la vie religieuse, il faut cependant qu’ils choisissent une forme de vie
religieuse qui ait des possessions communes.
18.
De même, à la même question, chapitre Videntes,
il
est dit que les souverains prêtres ont décidé que les possessions communes de
l’Église sont données afin que, chez ceux qui mènent une vie commune, il ne se
trouve aucun indigent. Si donc certains, après avoir foulé aux pieds les
possessions communes, vivent dans l’indigence, ils agissent à l’encontre des
décisions des pères et ainsi pèchent.
19.
De même, à propos de Mt 4, 6 : Si tu es
le Fils de Dieu, jette-toi en bas ! la Glose dit :
« Personne ne doit tenter Dieu lorsqu’il sait quoi faire par la raison humaine. »
Et plus loin : « Après que la raison humaine a atteint sa limite, que
l’homme se recommande à Dieu, non pas en le tentant, mais lui faisant
dévotement confiance. » Or, celui qui possède des richesses par lesquelles
il peut résister à ce qui corrompt le corps, à savoir, la chaleur et les autres
choses de ce genre contre lesquelles nous sommes armés par la nourriture et le
vêtement, sait quoi faire par la raison humaine. Si donc il attend de Dieu sa
nourriture après s’être enlevé ces aides, il semble qu’il pèche en tentant
Dieu, comme quelqu'un qui voit une ourse qui s’approche, s’il dépose les armes
par lesquelles il pouvait protéger sa vie, semblerait tenter Dieu.
20.
De même, ce que nous demandons tous les jours à Dieu ne doit pas être rejeté.
Or, nous demandons tous les jours à Dieu les biens temporels nécessaires, en
disant : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Les
biens temporels ne doivent donc pas être totalement rejetés, pour que quelqu’un
se soumette à la pauvreté volontaire.
21.
De même, dans le Décret, De consecratione, D. 1, c. 9, Nemo, il est dit qu’« une église ne doit pas être construite
avant que celui qui veut la construire lui assure ce qui suffit pour les cierges,
la garde et la rémunération des gardiens ». Ceux qui vivent dans des
communautés dont les églises n’ont pas de biens vivent donc à l’encontre des
décrets des saints pères.
22.
De même, la manière de vivre avec des biens communs dans des communautés
religieuses est approuvée par les pères anciens : Augustin, Benoît, Basile
et de nombreux autres. Il semble donc téméraire d’introduire une nouvelle manière.
23.
De même, dans le Nouveau Testament, il est imposé aux disciples du Christ de
subvenir aux besoins des pauvres. Or, cela ne peut être fait par ceux qui n’ont
de biens ni propres ni communs. Une telle manière de vivre ne doit donc pas
être approuvée.
Mais
parce que les connaissances des choses doivent être parfois évaluées à partir
de leur origine, recherchons l’origine et l’évolution de la position mentionnée.
Il faut donc savoir qu’il y eut un hérétique à Rome, à l’époque ancienne, dont
le nom était Jovinien, qui est tombé dans l’erreur de dire que, pour tous les
baptisés qui avaient été fidèles à leur baptême, il n’y avait qu’une seule
récompense dans le royaume des cieux, comme le raconte Jérôme dans le livre
qu’il a écrit contre lui. À partir de là, il est allé aussi loin que de dire
que les vierges, les veuves et les femmes mariées, qui ont été lavées une seule
fois dans le Christ, si leurs autres œuvres ne sont pas incompatibles, ont le
même mérite, et qu’entre l’abstinence de nourriture et son absorption avec
action de grâce, il n’y avait aucune différence, égalant de la sorte le mariage
à la virginité. Par cela, il affaiblissait le conseil de la préservation de la
virginité qui vient du Seigneur, Mt 19, 11 : Tous ne comprennent pas cette parole – à savoir, de
s’abstenir du mariage ‑, mais que celui qui
peut comprendre comprenne, et de l’Apôtre, 1 Co 7, 25 : Au sujet des vierges, je n’ai pas de commandement de la
part du Seigneur, mais je donne un conseil. C’est pourquoi la position [de
Jovinien] a été condamnée comme une hérésie, comme le raconte Augustin.
L’erreur de ce Jovinien est réapparue chez Vigilantius, comme le dit Jérôme
dans sa lettre contre Vigilantius, qui attaquait la vérité de la foi, comme il
est dit au même endroit : « Il déteste la chasteté et il déblatère
contre les jeûnes des saints dans un banquet avec des gens du siècle »,
comme le dit Jérôme dans la même lettre. Il ne se contenta pas seulement
d’imiter Jovinien en vidant de son sens le conseil sur la virginité, mais il
osa aussi en remettre en discréditant complètement le conseil sur la
préservation de la pauvreté. C’est pourquoi Jérôme dit à son sujet :
« À ce qu’il affirme, que ceux qui usent de leurs biens et distribuent peu
à peu les fruits de leurs biens aux pauvres agissent mieux que ceux qui
distribuent d’un coup leurs biens après les avoir vendus, ce n’est pas moi mais
Dieu qui lui répondra : Si tu veux être
parfait, va, vends tout que tu possèdes, et donne-le aux pauvres, puis viens et
suis-moi (Mt 19, 21). »
Or,
cette erreur est parvenue jusqu’à aujourd’hui par une succession de gens qui
ont erré, et s’est retrouvée et se trouve encore chez certains, appelés
cathares, comme cela est clair d’après un traité d’un certain Didier,
hérésiarque lombard, notre contemporain, qu’il fit paraître contre la vérité
catholique. Parmi d’autres choses, il y condamne l’état de ceux qui, après
avoir tout abandonné, veulent être indigents avec le Christ. Or, récemment, ce
qui est encore plus terrible, l’erreur ancienne a été ravivée par ceux qui
paraissaient défendre la foi. S’enfonçant encore davantage, à la manière de
ceux qui errent, ils ne se contentent pas d’égaler les richesses à la pauvreté
comme Jovinien, ou de préférer les richesses à la pauvreté comme Vigilantius,
mais ils condamnent totalement la pauvreté, en disant qu’il n’est permis à
quelqu’un d’abandonner tous ses biens pour le Christ que pour entrer dans une
communauté religieuse qui a des biens, ou s’il a l’intention de vivre du
travail de ses mains. Ils affirment aussi que ce n’est pas la pauvreté
effective, par laquelle on se dépouille de ses biens temporels, qui est louée
dans les Écritures, mais [la pauvreté] habituelle, par laquelle on méprise en
son cœur un bien temporel, même si on le possède effectivement.
Pour
démolir cette erreur, nous procéderons de la manière suivante :
Pour
montrer que la pauvreté effective relève de la perfection évangélique[29],
qu’on prenne d’abord ce qui est dit en Mt 19, 21 : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes,
et donne-le aux pauvres. Or, celui qui vend ses biens et les donne aux pauvres ne
choisit pas seulement la pauvreté habituelle, mais [la pauvreté] effective. La
pauvreté effective relève donc de la perfection évangélique.
De
même, la perfection évangélique consiste dans l’imitation du Christ. Or, le
Christ a été pauvre non seulement par sa volonté, mais encore réellement.
Ainsi, à propos de Mt 17, 26 : Va à la
mer, la
Glose dit : « Le Seigneur était tellement pauvre qu’il n’avait pas de
quoi payer le tribut », et à propos de Lc 9, 58 : Les loups ont des tanières, etc., la Glose dit :
« Je suis tellement pauvre que je n’ai aucun refuge et que je n’ai pas de
toit. » Et cela peut être démontré par beaucoup d’autres autorités. La
pauvreté effective relève donc de la perfection évangélique.
De
même, la perfection évangélique a resplendi surtout chez les apôtres. Or,
ceux-ci connurent une pauvreté effective en abandonnant tout. Ainsi, Pierre dit
en Mt 19, 27 : Voici que nous avons
tout quitté, etc. ; et Jérôme dit à Ébidia : « Si tu veux être
parfaite et te maintenir au sommet de dignité le plus élevé, fais ce que les apôtres
ont fait : vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et suis,
dépouillée et solitaire, la croix nue et solitaire. » La pauvreté
effective relève donc de la perfection évangélique.
De
même, à propos de Mc 10, 23 : Comme il
est difficile à ceux qui possèdent de l’argent, etc., la Glose dit :
« Autre chose est posséder de l’argent, autre chose l’aimer. Plusieurs en
ont et ne l’aiment pas ; plusieurs n’en ont pas et l’aiment ; de
même, d’autres en ont et l’aiment. Mais d’autres ne se réjouissent ni d’en
posséder ni de l’aimer : Le monde a été
crucifié en moi, et moi au monde. » La pauvreté effective et
[la pauvreté] habituelle doivent donc être ensemble préférées à la pauvreté habituelle.
De même, on peut tirer la même chose
de ce que dit la Glose à propos de Mt 19, 23 : Le riche entrera
difficilement dans le royaume des cieux :
« Pour tous, il est plus sûr de ne posséder ni d’aimer les
richesses. »
De même, à propos de
Jc 2, 5 : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres de ce monde ? la Glose dit : « Celui qui est dépourvu des biens
temporels. » Or, ceci ne se réalise que par la pauvreté effective. Ceux
qui sont effectivement pauvres sont donc élus de Dieu.
De même, à propos de
Lc 14, 33 : Que celui qui aura renoncé à tout ce qu’il possède, la Glose dit : « La différence entre renoncer à tout et tout
abandonner est celle-ci : renoncer convient à tous ceux qui utilisent avec
une telle honnêteté des réalités du monde qu’ils possèdent, qu’ils tendent
néanmoins par l’esprit vers les réalités éternelles ; abandonner est le
fait des seuls parfaits, qui sacrifient tous les biens temporels et n’aspirent
qu’aux seuls biens éternels. » Abandonner, qui se rapporte à la pauvreté
effective, relève donc de la perfection évangélique, mais renoncer, qui se rapporte
à la [pauvreté] habituelle selon la glose mentionnée, est nécessaire pour le
salut.
De même, Jérôme, dans sa lettre à
Vigilantius, après les mots invoqués plus haut, ajoute que, lorsque le Seigneur
dit : Si tu veux être parfait, etc., « il
parle à celui qui veut être parfait, qui, avec les apôtres, écarte père, barque
et filet ; ce que tu louanges n’est que le deuxième ou le troisième
degré », à savoir, celui qui donne le fruit de ses biens aux pauvres,
« que nous avons nous aussi accepté, pourvu que nous sachions que ce qui
est premier doit être préféré à ce qui est deuxième et troisième ». Il est
donc clair que doivent être préférés ceux qui abandonnent tous leurs biens, à
ceux qui distribuent aux pauvres le fruit des biens qu’ils conservent.
De même, dans la lettre au moine
Rusticus : « Si tu as des biens, vends-les et donne-les aux
pauvres ; si tu n’en as pas, tu as été libéré d’un grand poids ; suis
nu le Christ nu. Cela est dur, élevé et difficile, mais grandes sont les
récompenses. » Et l’on peut tirer des lettres de Jérôme beaucoup d’autres
choses de ce genre, qu’il est nécessaire de comprendre de la pauvreté effective,
et qui sont omises ici pour cause de brièveté.
De même, Augustin dit, dans le livre
Sur
les dogmes ecclésiastiques : « Il est bon de distribuer
ses biens aux pauvres peu à peu ; il est meilleur de les donner d’un coup
avec l’intention de suivre le Seigneur et, libéré de préoccupations, d’être
dans le besoin avec le Christ. » On a ainsi la même chose qu’auparavant.
De même, Ambroise dit, dans le livre
Sur
les fonctions : « Les richesses n’apportent
aucune aide à la vie bienheureuse, ce que le Seigneur a clairement montré dans
l’évangile en disant : Bienheureux les pauvres, car le royaume de Dieu est à eux. Il a donc été démontré de la manière la plus évidente que la
pauvreté, la faim, la douleur, qu’on considère comme des maux, non seulement ne
sont pas des empêchements à la vie bienheureuse, mais sont une aide. » Or,
cela ne doit pas être compris de la pauvreté habituelle par laquelle l’homme
domine ses richesses, car celle-ci n’est considérée par personne comme un empêchement
à la béatitude. Il faut donc l’entendre de la pauvreté effective qui écarte
tout.
De même, Grégoire dit, dans la
deuxième partie de sa huitième homélie sur Ézéchiel : « Lorsque
quelqu’un fait vœu de quelque chose et ne fait pas vœu d’autre chose, cela est
un sacrifice ; mais lorsqu’il aura fait vœu au Dieu tout-puissant de tout
ce qu’il a, de tout ce qu’il vit, de tout ce qu’il pense, c’est un holocauste. »
Or, l’holocauste était le plus digne des sacrifices. C’est donc l’œuvre la plus
parfaite que d’abandonner tous ses biens à cause de Dieu.
De même, Grégoire écrit, dans le
prologue des Morales : « En effet, alors que mon
esprit me forçait encore à servir le monde présent en imagination, beaucoup de
choses de ce même monde commencèrent à me préoccuper de plus en plus, de sorte
que je n’étais pas retenu par l’imagination seulement, mais, ce qui est plus
grave, par l’esprit. Fuyant cependant tout cela avec soin, j’ai cherché à
gagner le port du monastère et, après avoir quitté tout ce qui appartient au
monde, j’ai échappé nu au naufrage du monde. » Il ressort ainsi clairement
qu’il est dangereux de posséder les biens du monde, car leur possession retient
dangereusement l’esprit. C’est pourquoi il est plus louable de rejeter aussi la
possession des biens temporels par la pauvreté effective, afin que l’esprit
soit libéré de la préoccupation des richesses.
De même, Chrysostome dit, dans le
livre Personne
ne nuit qu’à soi-même : « En quoi le manque de
biens corporels a-t-il nui aux apôtres ? Ne vivaient-ils pas dans la faim,
la soif et la nudité, et, à cause de cela, n’étaient-ils pas considérés comme
grands et capables de grandes choses ? À cause de cela, ils ont cherché à
mettre une immense confiance en Dieu. » Il ressort clairement de cela que
la pauvreté effective, qui consiste dans la pénurie de biens temporels, relève
de la perfection évangélique.
De même, Bernard dit à l’archevêque
de Sens : « Heureux celui qui ne retient rien de tous ses biens, qui
n’a pas de tanière comme les loups, de bourse comme Judas, de maison comme
Marie qui n’avait pas de place dans l’auberge, à l’imitation totale de celui
qui n’avait pas où poser sa tête. » Il ressort ainsi clairement que ne
rien posséder dans le monde relève de la perfection chrétienne.
De même, dans le Décret, C. 1, q. 2, c. 8, Si quis : « Celui qui se dépouille des biens du monde est assurément plus
parfait, ou celui qui n’avait rien et ne désire rien, que celui qui donne à
l’Église quelque chose de l’abondance de biens qu’il possède. » Il ressort
ainsi clairement que ne rien posséder relève de la perfection chrétienne.
De même, il importe que celui qui
s’adonne à la contemplation divine soit plus libre à l’égard des réalités du
monde que ceux qui s’adonnaient à la contemplation philosophique. Or, les
philosophes, afin de s’adonner librement à la philosophie, rejetaient de
manière louable les biens du monde. C’est ainsi que Jérôme dit au prêtre Paulin :
« Socrate, un Thébain, autrefois très riche, lorsqu’il se rendit à Athènes
pour philosopher, abandonna un grand poids d’or, et il ne pensait pas qu’il
pouvait posséder en même temps vertus et richesses. » À bien plus forte raison,
donc, est-il louable, dans le but de s’adonner à la contemplation divine,
d’abandonner tous ses biens. C’est pourquoi, à propos de
Mt 19, 21 : Si tu veux être parfait, la
Glose interlinéaire dit : « Voilà la vie contemplative qui relève de
l’évangile ! »
De même, une récompense excellente
n’est due qu’à un mérite excellent. Or, une récompense excellente, à savoir, le
pouvoir judiciaire, est due à la pauvreté effective, comme cela ressort
clairement de ce que dit la Glose à propos de Mt 19, 19 : Vous qui avez tout
quitté..., vous siégerez, etc. :
« Ceux qui ont tout abandonné et ont suivi le Seigneur, ceux-là seront
juges ; ceux qui, en les possédant honnêtement, ont usé correctement [de
leurs biens], seront jugés. » Le mérite excellent se trouve donc dans la
pauvreté effective.
De même, en
1 Co 7, 32, l’Apôtre, en donnant le conseil de garder la virginité,
en donne la raison, à savoir, qu’ils soient sans préoccupation. Or, l’abandon
des richesses rend au plus haut point l’homme sans inquiétude, car les
richesses entraînent nécessairement beaucoup de soucis pour ceux qui les
possèdent. Ainsi, en Lc 8, 14, les richesses sont signifiées par les
épines, qui, par les préoccupations [qu’elles suscitent], étouffent la parole
dans le cœur des auditeurs. Comme la virginité, la pauvreté effective relève
donc elle aussi de la perfection évangélique.
Nous démontrerons en outre que cette
perfection, par laquelle quelqu’un abandonne ses biens, n’exige pas la
possession commune de richesses.
En effet, le commencement de cette
perfection s’est trouvé chez le Christ et chez les apôtres. Or, on ne lit pas
qu’en abandonnant [leurs biens], ils ont eu des possessions en commun ;
bien plus, on lit qu’ils n’avaient même pas de maison où demeurer, comme on l’a
montré plus haut. La perfection de la pauvreté n’exige donc pas la possession
commune de certains biens.
De même, Augustin dit, dans Sur la doctrine
chrétienne, III, que ceux qui, parmi les Juifs, se
convertirent au Christ dans l’Église primitive, « parce qu’ils étaient
proches des réalités spirituelles, se trouvèrent tellement capables [de
recevoir] l’Esprit Saint qu’ils vendirent tous leurs biens et qu’ils en déposèrent
le produit aux pieds des apôtres afin qu’il soit distribué aux pauvres. »
Et plus loin : « En effet, il n’est pas écrit qu’aucune église parmi
les païens ait fait cela, car ceux qui avaient des dieux fabriqués de leurs
mains n’étaient pas aussi proches [des réalités spirituelles]. » Il
ressort ainsi clairement qu’Augustin préfère la perfection de l’Église
primitive des Juifs à la perfection de l’Église parmi les païens parce que
ceux-là ont vendu tous leurs biens afin qu’ils soient distribués aux pauvres.
Or, ceux-là ont vendu leurs biens de telle sorte qu’ils ne se sont réservé
aucune possession commune. La pauvreté sans possession commune est donc plus
parfaite que celle qui comporte la possession commune.
De même, Jérôme, en s’adressant à
Héliodore à propos de la mort de Népotien, dit en se moquant : « Que
les moines soient plus riches que les gens du siècle ! Que, soumis au Christ,
ils possèdent des richesses qu’ils n’avaient pas alors qu’ils étaient soumis à
un diable opulent, et que l’Église soupire après eux, devenus riches, alors que
le monde les considérait auparavant comme mendiants ! » Or, cela peut
fréquemment se produire dans les formes de vie religieuse qui ont des possessions
communes, mais non dans celles qui n’ont pas de possessions. Il est donc plus
louable pour les communautés religieuses de ne pas avoir de possessions
communes que d’en avoir.
De même, Jérôme [écrit] à l’ermite
Lucinus : « Aussi longtemps que nous nous occupons des choses du
siècle et que notre âme est dominée par l’administration des possessions et des
revenus, nous ne pouvons penser librement à Dieu. » Il convient donc davantage
aux religieux de ne pas avoir de revenus et de possessions que d’en avoir.
De même, Grégoire dit, dans Dialogues, III, en parlant d’Isaac, le serviteur de Dieu : « Alors que
ses disciples l’incitaient souvent à accepter pour l’usage du monastère les
biens qui étaient offerts, celui-ci, en gardien soucieux de sa pauvreté, leur
faisait part de cette forte position : “Le moine qui cherche à posséder
sur terre n’est pas un moine.” Il craignait donc de perdre ainsi la sécurité de
sa pauvreté, en se comportant comme les avares qui ont coutume de garder leurs
richesses périssables. » Il ressort ainsi clairement qu’il est plus
parfait et plus sûr de ne pas avoir de possessions communes que d’en avoir.
De même, parmi les moines égyptiens,
dont il est question dans les Vies des pères, on
considérait comme plus parfaits ceux qui menaient une vie solitaire dans le
désert, et dont il est évident qu’ils n’avaient pas de possessions dans le
désert. Les possessions communes ne sont donc pas nécessaires à la pauvreté
évangélique.
De même, il est au pouvoir des
tyrans de retirer les possessions communes. Si donc il ne faut tout abandonner
que pour entrer dans une forme de vie religieuse qui a des possessions, il sera
au pouvoir des tyrans d’empêcher la perfection de la pauvreté évangélique, ce
qui est absurde.
De même, la pauvreté est conseillée
afin que la préoccupation des réalités du monde soit diminuée. Or, les
possessions même communes entraînent bien des préoccupations à propos de leur
conservation, de leur garde et de leur entretien. Un conseil de pauvreté plus
parfait est donc mis en œuvre par ceux qui n’ont pas de possessions communes.
Nous montrerons en outre que la
pauvreté dont il a été question n’exige pas le travail manuel pour tous de
manière nécessaire.
En effet, comme le dit Augustin dans
le livre Sur le travail des moines :
« Ceux qui avaient dans le siècle de quoi assurer leur subsistance sans
travailler, qu’ils ont distribué aux indigents lorsqu’ils se sont convertis à
Dieu », ne doivent pas être forcés à travailler manuellement. Or, ceux-là
acceptent louablement la pauvreté volontaire pour le Christ, même s’ils n’ont
pas de possessions communes. En effet, Augustin dit au même endroit qu’il y en
eut beaucoup qui se comportèrent ainsi dans l’Église primitive, à Jérusalem.
Ceux qui choisissent la pauvreté évangélique, même s’ils n’ont pas de
possessions communes, ne sont donc pas obligés de travailler de leurs mains.
De même, personne n’est obligé de
travailler de ses mains en vertu d’un commandement que dans le cas où il ne
peut avoir de quoi vivre d’une manière honnête. Or, ceux qui n’ont pas de
possessions ne sont pas obligés de travailler de leurs mains autrement qu’en
vertu du commandement mentionné, si ce n’est peut-être en vertu d’un vœu. Il
n’est donc pas vrai d’une manière générale qu’ils sont obligés de travailler de
leurs mains, mais seulement dans un cas particulier, à savoir, parce qu’ils ne
peuvent avoir honnêtement de quoi vivre, dans lequel cas, tout homme est aussi
obligé de travailler de ses mains, ou à moins qu’il n’y soit obligé par un
statut de sa règle.
De même, le conseil que le Seigneur
a donné au sujet de la pauvreté est ordonné à la vie contemplative, comme cela
ressort clairement de ce que dit la Glose à propos de
Mt 19, 21 : Si tu veux être parfait :
« Voici la vie contemplative qui relève de la perfection
évangélique ! » Or, il est inévitable que ceux qui doivent chercher
leur subsistance en travaillant de leurs mains soient très souvent retardés
dans l’effort de contemplation. S’il est nécessaire de travailler de leurs
mains pour ceux qui choisissent une vie pauvre à cause du Christ, il en découle
donc que le conseil de la pauvreté empêche plus qu’il n’encourage ce à quoi il
est ordonné. Ce sera ainsi un conseil imprudent, ce qu’il est absurde de dire.
De même, s’il faut que ceux qui
abandonnent tout pour le Christ aient l’intention de travailler de leurs mains,
ou bien cette intention est ordonnée au travail manuel en lui-même, ou bien en
vue de chercher une subsistance, ou bien en vue de faire des aumônes avec ce
qui est acquis par le travail manuel. Or, il est ridicule de dire que la
perfection spirituelle qui consiste dans la pauvreté est ordonnée au travail
corporel. En effet, le travail corporel serait ainsi placé au-dessus de la perfection
spirituelle. Pareillement, on ne peut dire que leur intention doit être
ordonnée au travail manuel en vue de chercher une subsistance, d’une part parce
qu’ils pouvaient avoir une subsistance par les choses qu’ils ont abandonnées,
d’autre part parce que le travail manuel ne suffit pas aisément à la subsistance
des pauvres du Christ qui s’adonnent à la prière et aux autres biens
spirituels, de sorte que, même s’ils travaillent de leurs mains, ils ont besoin
d’être soutenus par les fidèles, comme le dit Augustin dans le livre Sur le travail des
moines. Pareillement, on ne peut dire qu’ils
doivent avoir l’intention de travailler manuellement pour ainsi faire des aumônes,
car ils auraient pu faire auparavant des aumônes beaucoup plus grandes avec les
biens qu’ils possédaient, et ainsi il n’est pas nécessaire qu’ils abandonnent
leurs biens pour cette raison afin de faire des aumônes à partir du travail de
leurs mains. Il n’est donc pas nécessaire que ceux qui, abandonnant leurs
biens, n’ont pas de possessions communes, aient l’intention de travailler de
leurs mains.
Or, c’est à cela que tend ce qui a
été dit plus haut sur le travail manuel.
Il reste maintenant à répondre aux
objections des adversaires en sens contraire.
1. À la première objection : Ne me donne ni
mendicité ni richesse (Pr 30, 8‑9), il faut répondre que, de même que les richesses ne sont pas
peccamineuses mais l’abus des richesses, de même la mendicité ou la pauvreté
n’est pas peccamineuse, mais l’abus de la pauvreté, à savoir, lorsque quelqu’un
subit la pauvreté malgré lui et de manière impatiente. En effet, il tombe alors
parfois dans de nombreux péchés par désir des richesses,
1 Tm 6, 9 : Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation,
dans un piège du diable, etc. Et c’est ce que dit Chrysostome
en commentant Matthieu : « Écoutez, vous tous qui êtes pauvres, bien
plus, tous ceux qui veulent s’enrichir : il n’est pas mal d’être pauvre,
mais de ne pas vouloir être pauvre. » Il est donc clair que la pauvreté
forcée comporte parfois des dangers qui l’accompagnent, lesquels s’éloignent du
fait de la pauvreté volontaire. En effet, ceux qui sont dans la pauvreté
volontaire ne veulent pas devenir riches. [Ne me donne] ni mendicité ni
richesses, etc. doit donc s’entendre de la pauvreté
involontaire, ce qui ressort clairement de ce qui suit : De crainte que, poussé
par le besoin, etc., et aussi par la Glose qui dit
que « l’homme que Dieu accompagne demande que ni l’abondance ni la pénurie
de biens passagers ne l’entraîne à oublier les réalités éternelles ». Il
ressort ainsi clairement que le Sage enseigne à fuir l’abus des richesses et de
la pauvreté, et non les richesses ou la pauvreté.
2. À la deuxième objection, à savoir
que « la sagesse est plus utile avec les richesses, etc. », il faut
répondre que cette parole de Salomon s’en tient à la règle que le Philosophe
enseigne dans l’Éthique, I : le plus grand bien,
comme la béatitude, est plus désirable, s’il est ajouté au plus petit parmi les
biens. Si la sagesse, qui compte parmi les plus grands biens, est ajoutée à la
richesse, qui compte parmi les plus petits biens, elle est donc plus désirable.
Or, selon cette règle, un très grand bien ajouté à un autre très grand bien est
plus désirable que s’il était ajouté au plus petit bien ou s’il est reçu pour
lui-même. Ainsi, la sagesse associée à la perfection évangélique, qui consiste
dans la pauvreté qui compte parmi les plus grands biens, est plus désirable que
la sagesse considérée en elle-même ou la sagesse [associée] aux richesses.
3. À la troisième objection, à
savoir que, à cause du besoin, plusieurs ont péri, il
faut répondre qu’elle parle du dénuement involontaire, auquel est
nécessairement associé le désir de richesse. C’est pourquoi vient
ensuite : Et celui qui veut être comblé –
Glose : « dans le monde » ‑ détourne le regard ‑ Glose : « [détourne le regard] intérieur de la
crainte de Dieu ».
4. À la quatrième objection, il faut
répondre que la citation de cette glose est tronquée, ce qui va à l’encontre de
l’intention du glossateur. Cela ressort clairement du fait que, après les mots
invoqués, on ajoute dans la Glose : « Il ne dit donc pas cela parce
que cela ne serait pas meilleur – à savoir, donner tous ses biens et devenir
pauvre ‑, mais il craint pour les faibles qu’il avertit de donner de
manière qu’ils ne souffrent pas du dénuement. »
5. À la cinquième objection, il faut
répondre que ce qui est dit : « Le dénuement s’écarte de la
justice », s’entend du dénuement forcé auquel est associé un désir de richesse,
ce qui ressort clairement de ce qu’il dit : « Alors qu’il cherche à
être comblé. » En effet, la satiété comporte une certaine abondance que
recherchent ceux qui ne se contentent pas de peu, selon ce que dit
1 Tm 6, 8 : Satisfaisons-nous d’avoir de la nourriture et un toit. Aussi [la Glose] ajoute-t-elle : « Car ceux qui veulent
devenir riches, etc. », car le désir de l’abondance mentionnée fait qu’on
s’écarte souvent de la justice.
6. À la sixième objection, il faut
répondre que ce qui est dit, à savoir que les biens temporels ne doivent pas
être totalement rejetés, doit s’entendre au sens où on les utilise pour
entretenir la vie par la nourriture, la boisson et le vêtement, ce qui est
clair par ce qui est dit : Satisfaisons-nous d’avoir de la nourriture et un toit. Cela ne s’entend cependant pas au sens où un homme peut rejeter
totalement la propriété de biens temporels.
7. À la septième objection, il faut
répondre que, parmi les biens temporels, certains sont présentement nécessaires
à l’entretien de la vie, comme le vêtement que je porte, et la nourriture et la
boisson que je dois présentement utiliser. Or, si j’ai suffisamment de ceux-ci
pour moi-même et pour un autre, je dois pourvoir à celui qui en manque, mais je
ne dois pas m’en dépouiller totalement, de sorte que je reste nu ou sans
nourriture ni boisson lorsqu’il faut manger. C’est de ceux-là que parle la
Glose. Mais il y a des biens temporels qui sont mis en réserve pour pourvoir
aux besoins du corps dans l’avenir, comme l’argent, les propriétés et les choses
de ce genre. Ces biens-là peuvent être entièrement donnés par les parfaits,
car, entre-temps, avant que la nécessité ne soit immédiate, la providence
divine, en qui nous sommes avertis dans les Écritures de mettre notre
confiance, peut y pourvoir de multiples façons.
8. À la huitième objection, il faut
répondre que, bien que ce ne soit pas un commandement de ne réserver aucun
argent pour les usages nécessaires, cela est cependant un conseil. Et le
Seigneur n’a pas possédé de bourse comme s’il n’avait pu se pourvoir autrement,
mais afin qu’exerçant le rôle des faibles, ils croient que leur était permis le
comportement qu’ils avaient vu chez le Christ. Aussi, à propos de
Jn 12, 6 : Tenant la bourse, la
Glose dit-elle : « Celui que servaient les anges possédait une bourse
pour venir au secours des pauvres, en s’abaissant au niveau des faibles. »
Et à propos de ce passage du Ps 103, 14 : Tu fais croître
l’herbe pour les bêtes, la Glose dit : « Le
Seigneur, jouant plutôt en cela le rôle des faibles, possédait une bourse pour
l’usage de ceux qui étaient avec lui et pour les siens, et des femmes religieuses
l’accompagnaient pour le servir à même leurs biens. En effet, il prévoyait
qu’il y aurait beaucoup de faibles qui rechercheraient ces choses, de sorte
qu’il prit là leur rôle en disant : Mon âme est triste jusqu’à en
mourir. » Cependant, la bourse qu’il possédait, il ne
l’avait pas remplie à partir de propriétés, mais de ce que les dévots et les
fidèles lui donnaient.
9. À la neuvième objection, il faut
répondre que, comme cela est précisé dans Éthique, II, le milieu des vertus n’est pas déterminé par une égale distance
entre deux extrêmes, mais selon la proportion entre les circonstances établies
par la raison droite. Aussi n’est-il pas nécessaire que le milieu de la vertu
se situe entre le plus et le moins en chaque circonstance considérée en
elle-même, mais dans une circonstance comparée aux autres. En effet, il arrive
parfois qu’une circonstance doive changer selon la modification d’une autre circonstance,
par exemple, pour la sobriété, le mode de la circonstance « quoi »
change selon le changement de la circonstance « qui ». Car il est
clair qu’une personne prendra de la nourriture d’une façon modérée, alors que,
pour une autre personne, cela sera excessif ou insuffisant. Aussi arrive-t-il
parfois qu’une circonstance portée à son plus haut point soit modérée selon la
proportion par rapport à une autre circonstance, comme cela se produit pour la
magnanimité. En effet, le magnanime, selon le Philosophe, Éthique, IV, se montre digne au plus haut point. Aussi celui qui s’écarte de
cette vertu par excès – [le Philosophe] l’appelle caynus – ne se grandit-il pas par rapport à ceux qui sont plus grands que le magnanime,
mais il dépasse le mode de la vertu par le fait que ce qui était modéré pour un
magnanime est excessif pour lui-même. Il est donc clair que le milieu de la
vertu ne se détériore pas du fait qu’une circonstance est envisagée à son plus
haut point, pourvu qu’elle soit modérée par les autres. Pour la libéralité,
donc, si nous considérons ce qui doit être donné et que soit envisagé le point
ultime de cette circonstance, à savoir, tout donner, cela tombera dans l’excès
dans d’autres circonstances qui sont associées, et l’on aura le vice de prodigalité.
Mais, dans d’autres circonstances qui sont associées, ce sera un acte de
libéralité parfaite ; par exemple, si quelqu’un donne tous ses biens afin
d’aider la patrie menacée de destruction de manière urgente, il ne sera pas
considéré, même par le philosophe moraliste, comme prodigue, mais comme
parfaitement libéral. Pareillement, celui qui donne tous ses biens en vue
d’accomplir le conseil du Christ n’est pas prodigue, mais pose un acte parfait
de vertu ; mais s’il donnait tous ses biens en vue d’une fin inappropriée
ou en d’autres circonstances, il serait prodigue. Et il faut dire la même chose
de la virginité et des autres choses de ce genre dans lesquelles on semble
dépasser le mode commun de la vertu. Il est donc ainsi clair que donner tout
pour le Christ ne consiste pas à donner de qu’on doit donner et ce qu’on ne
doit pas donner, mais à donner ce qu’il faut donner seulement. En effet, bien
que tout ne doive pas être donné de n’importe quelle façon, tout doit cependant
être donné pour le Christ.
10. À la dixième objection, il faut
répondre que la grâce est une perfection de la nature. Aussi rien de ce qui se
rattache à la grâce n’abolit la nature. Il y a donc des choses qui se
rapportent immédiatement à l’entretien de la nature, comme la nourriture, la
boisson, le sommeil et les choses de ce genre, et, pour ces choses, l’acte de
la vertu gratuite ne dépasse pas le mode de la conservation de la nature.
Aussi, si l’on soustrait dans ces choses plus que la nature ne peut soutenir,
cela dépasse le mode de la raison et devient vice. C’est de cela que parlent
l’Apôtre et la Glose. La Glose dit ainsi : « Que votre comportement
pour les choses mentionnées – à savoir, pour la macération de la chair dont il
avait parlé précédemment – soit raisonnable, c’est-à-dire [accompli] avec
discrétion pour ne pas être excessif, mais châtiez vos corps avec tempérance de
sorte qu’ils ne soient forcés par une carence de la nature à se
dégrader. » Mais il y a des choses sans lesquelles la nature peut être
conservée, comme l’usage des fonctions vénériennes ; aussi, dans ces
choses, quel que soit ce qu’on en enlève pour Dieu, cela ne peut être excessif,
pourvu qu’en raison d’une circonstance on ne tombe pas dans un vice. Pour cette
raison, la virginité, qui s’abstient de toutes les choses de ce genre, est
louable. De même en est-il pour ce qui est en cause. En effet, la nature peut
être conservée sans propriété de biens terrestres avec l’espérance de l’aide
divine de plusieurs manières. Aussi, quoi qu’on en soustraie, ce ne sera pas
excessif si cela est fait pour Dieu. Il ressort ainsi clairement que la
pauvreté volontaire embrassée à cause du Christ ne s’écarte pas du milieu.
11. À la onzième question, il faut
répondre que, bien que celui qui donne tout pour le Christ s’enlève un moyen de
vivre, il ne [s’enlève] cependant pas tout moyen [de vivre], car il lui reste
l’aide de la providence divine qui ne lui fera pas défaut pour le nécessaire,
ainsi que la dévotion des fidèles. Aussi Augustin s’élève-t-il, dans le livre Sur l’aumône, contre ceux qui objectent de telles choses, en disant :
« Toi, chrétien, toi, serviteur de Dieu, toi qui te consacres aux œuvres
bonnes, toi, tu estimes qu’il manque quelque chose à ton cher Seigneur ?
Penses-tu que celui qui nourrit le Christ n’est pas nourri par le Christ ?
Penses-tu que font défaut les biens terrestres à ceux à qui sont accordés les
biens célestes et divins ? D’où vient cette pensée incrédule ? D’où
vient cette rumination impie et sacrilège ? Que fait dans la maison de
Dieu un cœur perfide ? Comment celui qui ne croit pas totalement au Christ
s’appelle-t-il et est-il appelé chrétien ? Le nom de pharisien lui
convient plutôt, car, lorsque le Seigneur discutait d’aumône dans l’évangile et
nous avertissait de nous faire des amis avec les biens terrestres, l’Écriture
ajoute : Les pharisiens, qui étaient avares, entendaient tout cela et le
ridiculisaient (Lc 16, 14). Nous en voyons
de semblables dans l’Église, dont les oreilles bouchées et les cœurs aveuglés
ne laissent pas passer la lumière au sujet des choses spirituelles et salutaires
dont ils sont avertis. Il ne faut pas s’étonner qu’ils méprisent ceux qui sont
des serviteurs de telles choses, lorsque nous voyons que, dans un tel domaine,
Dieu lui-même est méprisé. » Il ressort ainsi clairement qu’il est sacrilège
de dire que ceux qui donnent tout pour le Christ se livrent au danger
d’homicide.
12. À la douzième objection, il faut
répondre que, comme il est clair par ce qui a été dit, celui qui abandonne tout
pour le Christ ne s’expose pas à la faim qui pourrait le faire mourir, car il
n’est ainsi jamais abandonné par Dieu au point de mourir de faim. Cela ressort
clairement de ce que dit la Glose à propos de He 13, 5 : Je ne t’abandonnerai
pas ni ne te délaisserai : « Pour qu’il ne disent
pas : “Que ferons-nous si l’assistance qui nous est nécessaire fait
défaut ?”, il ajoute aussitôt la consolation en présentant le témoignage
du livre de Josué, 1, 5 : Je ne t’abandonnerai pas sans te
donner le nécessaire, et je ne te délaisserai pas. Celui
qui mourrait de faim serait abandonné, mais parce que cela n’est pas le cas,
que l’homme ne soit pas cupide. » Et plus loin : « Or, il dit
cela à tous ceux qui espèrent en lui comme Josué. En effet, il nous promet cela
si nous mettons en lui notre confiance, et cette promesse n’est pas faite à
ceux qui s’obstinent et aux cupides, mais à ceux qui espèrent en Dieu. »
Cependant, ce qu’il prend pour acquis est faux, car un homme pourrait s’exposer
louablement au danger de l’épée pour le Christ, même s’il pouvait faire autre
chose, comme on le lit à propos de plusieurs martyrs qui, au temps de la
persécution, s’offraient spontanément en confessant publiquement le nom du
Christ. Autrement, il ne serait pas permis aux soldats de passer outre-mer et
de s’exposer à de nombreux dangers pour l’honneur du Christ[30].
13. À la treizième objection, il
faut répondre que l’homme est maître de ses biens, et non des biens d’un autre.
C’est pourquoi il causerait un tort à un autre s’il lui enlevait ses biens,
mais il ne se fait pas de tort en s’enlevant ses propres biens. C’est pourquoi
le Philosophe dit, dans Éthique, V, qu’un homme ne commet pas
d’injustice envers lui-même, au sens propre de l’injustice. Au surplus, celui
qui enlève ses biens à un autre le conduit à la pauvreté involontaire, qui est
dangereuse ; mais celui qui abandonne ses biens se mène à la pauvreté
volontaire, qui est méritoire si elle est embrassée pour le Christ.
14. À la quatorzième objection, il
faut répondre que, comme il a été dit plus haut, le Seigneur a fait mettre de
l’argent de côté pour les usages nécessaires afin de se montrer condescendant
envers les faibles. C’est pourquoi il ne faut pas estimer comme une superstition
que certains parfaits ne veuillent pas mettre d’argent de côté, de la même
manière que, pour condescendre aux faibles, [le Seigneur] mangeait avec les
publicains en buvant du vin et en usant généralement des mêmes mets. Toutefois,
les saints pères du désert ne doivent pas être considérés comme superstitieux
parce qu’ils s’abstenaient de vin et d’autres mets délicats. Cependant, le
Seigneur, bien qu’il ait fait mettre de l’argent de côté, ne le tirait pas
d’autres possessions propres, mais il lui était plutôt apporté par les fidèles
sous forme d’aumônes. Aussi est-il dit en Lc 8, 2‑3 que des
femmes suivaient le Seigneur en le servant à même leurs propres ressources.
15. À la quinzième objection, il
faut répondre que les apôtres mettaient de l’argent de côté et en recueillaient
même afin d’assurer le nécessaire aux saints pauvres qui avaient vendu leurs
propriétés pour le Christ, mais ils ne tiraient cependant pas cet argent de
certaines possessions, mais des aumônes des fidèles. Qu’il soit dit que
personne n’était indigent parmi eux, il ne faut pas l’entendre au sens où les
apôtres et les disciples de l’Église primitive n’aient pas enduré de nombreux
manques de vivres et dénuements pour le Christ, puisqu’il est dit en 1 Co 4, 11 :
Jusqu’à cette heure, nous avons faim et soif, etc., et en
2 Co 6, 4 : Par une grande
patience dans les tribulations, dans les détresses. Glose : « En
matière de nourriture et de vêtement. » [Il faut plutôt l’entendre au sens
où], de ce qu’il avaient pu obtenir, ils distribuaient à chacun selon ses
besoins, afin d’alléger leur dénuement autant que les ressources le
permettaient.
16.
À la seizième objection, il faut répondre que, bien que ce commandement : N’allez pas chez les païens, ait été totalement révoqué après
la résurrection, parce qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu aux
Juifs, puis passer chez les païens, comme il est dit en Ac 13, 46, ce
que le Seigneur avait dit aux apôtres, de ne pas apporter avec eux le
nécessaire, il ne l’a pas révoqué lors de la cène, mais seulement pour le temps
de la persécution, alors qu’ils n’auraient pu obtenir le nécessaire de la part
des persécuteurs. Aussi, à propos de Lc 22, 35 : Lorsque je vous ai envoyés, etc., la Glose
dit-elle : « Il n’enseigne pas la même règle de vie aux disciples
pour le temps de la persécution et pour le temps de la paix. En envoyant les
disciples prêcher, il leur ordonna de ne rien apporter en route, en ordonnant
ainsi que celui qui annonce l’évangile vive de l’évangile. Mais à l’approche de
l’article de la mort et alors que tout ce peuple persécutait en même temps
pasteur et troupeau, il donne une règle adaptée à ce temps, en leur permettant
de prendre ce qui était nécessaire à leur subsistance, jusqu’à ce que, une fois
assoupie la folie des persécuteurs, le temps de l’évangélisation
revienne. » Et une autre glose dit : « Par cela, nous est donné
l’exemple que, parfois, pour une raison urgente, nous pouvons reporter certains
aspects des exigences de notre propos, par exemple, il est permis d’avoir plus
en viatique si nous traversons des régions inhospitalières que lorsque nous
sommes à la maison. »
Mais
parce que certains hérétiques qui font cette objection n’acceptent pas les gloses,
nous montrons, à partir du texte même, qu’avec la multiplication des fidèles,
les disciples n’apportaient pas avec eux le nécessaire. En effet, il est dit,
dans la dernière lettre canonique de Jean, 3 Jn 5 : Très cher, tu agis fidèlement en tout ce que tu fais pour
les frères, même s’ils sont des étrangers, et plus loin, 3 Jn 7‑8 :
En effet, c’est pour le Nom qu’ils se sont mis en route,
sans rien recevoir des païens. Nous devons accueillir de tels hommes. Or, il ne serait pas
nécessaire, bien qu’ils n’aient rien reçu des païens, qu’ils soient accueillis
par les fidèles, s’ils apportaient avec eux ce qui était nécessaire pour vivre.
Ce qui ressort aussi clairement de la Glose, qui dit en cet endroit :
« Ils se sont mis en route pour le Nom, étrangers à leurs biens
propres. »
17.
À la dix-septième objection, il faut répondre que, parce que l’Église secourt
beaucoup de pauvres, qu’elle ne secourrait pas facilement si elle ne menait pas
une vie d’Église sans possessions temporelles, il convient que des ressources
communes soient possédées dans l’Église, après l’abandon des [ressources]
propres, et surtout pour le secours aux pauvres. Toutefois, il n’en découle pas
qu’il ne convienne pas aux parfaits, qui ont abandonné leurs biens propres, de
mener une vie religieuse sans possessions communes. Et bien que la perfection
apostolique ne soit pas effacée chez ceux qui ont des possessions communes,
elle est cependant gardée de manière plus expresse chez ceux qui, après avoir
abandonné leurs biens propres, sont aussi dépourvus de biens communs.
18.
À la dix-huitième objection, il faut répondre que, par ce décret, on n’estime
pas qu’il est interdit à quelqu’un de choisir une vie pauvre pour le Christ,
mais il est ordonné aux évêques et à ceux qui possèdent les biens des églises,
qui sont les biens des pauvres, de leur venir en aide à même les fruits des
possessions de l’Église et, autant qu’ils le peuvent, de soulager leur
dénuement. Et cela est clair pour qui jette les yeux sur la suite du chapitre
invoqué.
19.
À la dix-neuvième objection, il faut répondre que celui qui, après avoir abandonné
tous ses biens pour le Christ, a espoir que Dieu assurera sa subsistance, n’est
pas présomptueux et il ne tente pas Dieu. En effet, celui qui a une confiance
appropriée en Dieu n’est pas présomptueux et il ne tente pas Dieu. Or, les
pauvres du Christ doivent avoir une telle confiance en Dieu, et principalement
les prédicateurs de la vérité. Aussi, à propos de Lc 10, 4 : N’emportez pas de bourse, etc., la Glose dit :
« Le prédicateur doit avoir une telle confiance en Dieu que, s’il n’a pas
prévu les frais de la vie présente, il sache qu’ils ne lui feront pas défaut,
de crainte qu’il prêche moins les réalités éternelles alors que son esprit est
occupé par les réalités temporelles. » Bien plus, ils tenteraient plutôt
Dieu s’ils n’avaient pas une telle confiance. À propos de
1 Co 10, 9 : Ne mettons pas le
Christ à l’épreuve comme certains d’entre eux l’ont mis à l’épreuve, la Glose dit :
« En disant : “Dieu pourra-t-il préparer la table dans le
désert ?” »
Il
faut cependant faire une distinction à l’intérieur de ce en quoi l’homme se
voue totalement à Dieu : en effet, en faisant cela, il tente parfois Dieu,
et parfois, il ne le fait pas. Car il existe des choses pour lesquelles il est
impossible que l’homme ne soit aidé que par un miracle fait par Dieu ; en
s’exposant à de tels dangers, on tenterait Dieu, comme si quelqu’un se
précipitait du haut d’un mur dans l’espoir d’un secours divin, sauf peut-être
si Dieu l’a assuré d’un événement futur par une inspiration divine, comme
Pierre, sur l’ordre du Seigneur, s’est jeté à la mer, et comme le bienheureux
Martin dit : « Moi, je pénétrerai en sécurité parmi les cohortes des
ennemis, protégé par le signe de la croix, et non par un bouclier », et
comme le bienheureux évangéliste Jean but en toute confiance du venin, et comme
la bienheureuse Agathe qui dit : « Je n’ai jamais soigné mon corps
par un médicament charnel, mais je possède le Seigneur Jésus-Christ, qui
rétablit toutes choses par sa parole. » Or, il y a des situations
auxquelles il est possible de remédier même par les causes inférieures ;
dans ces situations, ce n’est pas tenter Dieu que de s’en remettre au secours
divin, comme le chevalier ne tente pas Dieu en s’engageant dans la bataille
avec confiance dans le secours divin, bien qu’il ne soit pas assuré d’en
réchapper. D’après cela, il est donc clair que celui qui a abandonné tout pour
le Christ ne tente pas Dieu, tant parce qu’il doit faire cela en étant rempli
d’une confiance engendrée par l’autorité divine, que parce qu’il reste des
fidèles dévots par qui il peut et doit être secouru. De même, ne tenterait pas
Dieu celui qui, pour un motif raisonnable, déposerait les armes devant une
ourse qui s’approche, alors qu’il y a d’autres personnes armées qui peuvent et
doivent le défendre.
20.
À la vingtième objection, il faut répondre qu’il nous est ordonné de demander à
Dieu les biens temporels pour les usages nécessaires à la vie. Nous ne devons
pas rejeter les biens temporels, à condition de les utiliser pour les besoins
du corps en matière de nourriture et de vêtement.
21.
À la vingt-et-unième objection, il faut répondre que ce statut est en faveur
des ministres de l’Église. C’est pourquoi, si certains veulent faire davantage
en desservant sans possessions de l’Église, ils se montrent plus louables,
comme Paul prêchant l’évangile sans les frais de subsistance qui avaient été
ordonnés par le Seigneur, comme cela ressort clairement dans
1 Co 9, 14.
22.
À la vingt-deuxième objection, il faut répondre que, bien que les saints pères
aient approuvé cette façon de faire, ils n’ont cependant pas blâmé une autre
façon de faire. C’est pourquoi il n’est pas présomptueux de suivre cette
manière de faire, autrement rien de nouveau ne pourrait être établi qui
n’aurait pas été observé anciennement. Néanmoins, ce mode de vie a cependant
été observé anciennement par plusieurs saints pères, même dans l’Église
primitive.
23.
À la vingt-troisième objection, il faut répondre qu’aider les indigents est assigné
à ceux qui possèdent des richesses, comme cela ressort clairement de
1 Jn 3, 17 : Si quelqu’un possède
des biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, etc., mais il est beaucoup
plus louable que quelqu’un, après avoir donné tous ses biens, se donne aussi
lui-même à Dieu, ce qui relève de la perfection évangélique. Aussi Jérôme
dit-il à l’ermite Lucinus : « S’offrir à Dieu est le propre des
chrétiens et des apôtres, eux qui ont donné au Seigneur tout l’argent qu’ils
possédaient. »
Les
adversaires mentionnés s’efforcent non seulement d’attaquer la pauvreté par la
raison, mais ils s’efforcent de l’anéantir complètement d’une manière pour
ainsi dire indirecte lorsqu’ils tentent d’enlever cruellement aux pauvres du
Christ ce qui est nécessaire pour vivre, en disant qu’ils ne peuvent vivre
d’aumônes. Si 34, 25 : Un pain
de misère est la vie du pauvre ; les en priver, c’est commettre un
meurtre. Ils tentent de prouver cela de plusieurs façons.
1.
En effet, ils invoquent en premier lieu ce qui est dit en
Dt 14, 19 : Tu ne feras pas
acception de personnes ni de dons, car les dons aveuglent les yeux des sages et
changent les paroles des justes. Or, les aumônes sont des dons. Puisqu’il convient aux
religieux d’avoir un regard spirituel éclairé, il ne leur convient donc pas de
vivre d’aumônes.
2.
De même, Pr 22, 7 : Celui qui accepte un
prêt est esclave du prêteur. Celui qui reçoit un don devient donc encore bien davantage
l’esclave du donateur. Or, il convient que les religieux soient au plus haut
point libres par rapport à l’esclavage du siècle, car ils sont appelés à la
liberté de l’esprit. Aussi, à propos de 2 Th 3, 9 : Afin de nous donner comme modèle, etc., la Glose
dit-elle : « Notre religion appelle les hommes à la liberté. »
Les religieux ne doivent donc pas vivre d’aumônes.
3.
De même, les religieux professent l’état de perfection. Or, il est plus parfait
de donner des aumônes que d’en recevoir. Ainsi est-il dit dans
Ac 20, 35 : Il y a plus de bonheur
à donner qu’à recevoir. Les religieux doivent donc plutôt travailler de leurs mains
afin d’avoir de quoi distribuer à celui qui est dans le besoin, plutôt que
recevoir des aumônes dont ils vivront.
4.
De même, l’Apôtre ordonne, en 1 Tm 5, 16, que les veuves qui
peuvent subvenir à leurs besoins autrement ne vivent pas des aumônes de
l’Église afin que l’Église ne soit pas surchargée et qu’elle puisse satisfaire
[les besoins] de celles qui sont vraiment veuves. Ceux-là aussi qui sont en
santé et solides doivent donc vivre du travail de leurs mains, et non des
aumônes qui, lorsqu’elles sont reçues, sont enlevées aux autres pauvres qui ne
peuvent vivre autrement que d’aumônes.
5.
De même, dans le Décret, C. 1, q. 2,
c. 6, Clericos, Jérôme dit :
« Ceux qui peuvent être soutenus par les biens et les ressources de leurs
parents, s’ils reçoivent ce qui appartient aux pauvres, commettent certainement
un sacrilège et, en abusant de ces choses, mangent et boivent leur
condamnation. » Si quelqu’un avait dans le siècle de quoi vivre et s’il
veut vivre d’aumônes après l’avoir abandonné, il doit donc être considéré comme
sacrilège.
6.
De même, à propos de 2 Tm 3, 9 : Afin de nous donner comme modèle, etc., la Glose dit :
« Il est inéluctable que celui qui, adonné à l’oisiveté, se présente
souvent à la table d’un autre, flatte celui qui le nourrit. » Or, ceux qui
vivent d’aumônes se présentent souvent à la table des autres, bien plus, ils
vivent toujours de la table des autres. Ils sont donc inéluctablement des
flatteurs. Ceux qui se placent dans la situation de devoir vivre des aumônes
des autres pèchent donc.
7.
De même, recevoir ne peut être l’acte d’une autre vertu que la libéralité qui
respecte le milieu entre donner et recevoir. Or, celui qui est libéral reçoit
seulement afin de donner, comme dit le Philosophe dans Éthique, IV. Ceux qui passent leur vie à toujours recevoir vivent
donc d’une manière opposée à la libéralité et répréhensible.
8.
De même, Augustin, dans le livre Sur le travail des
moines, reprend certains religieux qui voulaient vivre d’aumônes sans
travailler de leurs mains. Entre autres choses, il dit d’eux :
« Selon moi, ces frères prétendent témérairement qu’ils ont un pouvoir de
ce genre », à savoir, de vivre de l’évangile sans travailler de leurs
mains. Et pourtant, ceux contre qui il parle avaient abandonné leurs biens pour
le Christ et s’adonnaient aux œuvres spirituelles, c’est-à-dire aux prières,
aux psaumes et à la parole de Dieu, comme il est dit dans ce livre. Ceux qui
abandonnent leurs biens pour le Christ, même s’ils s’adonnent aux œuvres
spirituelles, ne doivent donc pas vivre d’aumônes.
De
même, à propos de Mc 6, 8 : Il leur
ordonna de ne rien apporter en route qu’un bâton, la Glose dit : « Par
bâton, il entend le pouvoir de recevoir le nécessaire de la part des
subordonnés. » Or, avoir des subordonnés n’appartient qu’aux prélats. Ces
religieux, qui ne sont pas des prélats, ne peuvent donc recevoir des fidèles ce
qui est nécessaire à leur entretien.
9.
De même, ce qui est prévu en dédommagement du travail n’est pas dû à ceux qui
ne travaillent pas. Or, vivre à même les biens des fidèles a été prévu par le
Seigneur en dédommagement pour ceux qui travaillent à l’évangile, comme cela
ressort clairement de 1 Co 9, 7 et
2 Tm 2, 6 : C’est au cultivateur,
etc. Tout
au moins ceux qui ne travaillent pas à l’évangile ne peuvent-ils donc recevoir
des frais.
10.
De même, l’Apôtre ne voulait pas recevoir de frais de subsistance de la part
des Corinthiens afin d’enlever une occasion aux faux apôtres, comme cela
ressort clairement de 2 Co 11, 12‑13. Or, maintenant,
nombreux sont ceux qui vivent honteusement d’aumônes. Au moins pour leur
enlever l’occasion, les religieux doivent donc s’abstenir d’aumônes. C’est
pourquoi Augustin dit dans le livre Sur le travail des
moines : « La raison pour vous est la même qu’elle était pour
l’Apôtre d’enlever l’occasion à ceux qui cherchent une occasion. »
11.
De même, l’Apôtre ne recevait pas de contribution des païens afin qu’ils ne subissent
un scandale pour la foi. C’est ainsi qu’à propos de Lc 8, 3 : Et les autres, nombreuses, qui les servaient, etc., la Glose dit :
« La coutume ancienne était, chez les Juifs, et elle n’entraînait pas de
faute, que les femmes entretenaient et habillaient à leurs frais les docteurs,
mais parce que cela pouvait provoquer un scandale chez les païens, Paul
rappelle qu’il s’en est abstenu. » Et on trouve la même chose en
1 Co 9, 4s. Or, maintenant aussi, beaucoup sont scandalisés par
le fait que des religieux veulent vivre d’aumônes sans travailler de leurs
mains. Au moins en raison du scandale, ceux-ci doivent donc s’abstenir
d’aumônes. C’est ainsi qu’Augustin dit dans le livre Sur le travail des moines : « Dans votre méditation,
s’enflammera le feu qui vous fera remplacer les actions mauvaises par de bonnes
actions, afin d’enlever l’occasion des foires honteuses par lesquelles votre
réputation est atteinte et un scandale est donné aux faibles. Ayez donc pitié,
compatissez et montrez aux hommes que vous ne vivez pas facilement dans
l’oisiveté, mais que vous cherchez le royaume de Dieu par un chemin étroit et
escarpé. »
12.
De même, si des religieux qui sont en santé et robustes peuvent vivre d’aumônes
sans travailler de leurs mains, pour la même raison d’autres le pourront. Or,
si tous voulaient mener une telle vie, toute vie humaine disparaîtrait. En
effet, on ne trouverait pas d’artisans qui prépareraient ce qui est nécessaire
pour l’usage des hommes. Il ne faut donc soutenir d’aucune manière que des religieux
en santé et robustes peuvent vivre d’aumônes.
13.
De même, dans les Conférences des pères,
sont
invoquées ces paroles tirées d’une réponse d’Antoine s’adressant à
quelqu’un : « Sache que tu ne commets pas un tort plus léger que
celui dont nous avons parlé plus haut, toi qui, alors que tu as un corps sain
et robuste, subsistes grâce aux ressources d’un autre, qui ont été à juste
titre attribuées à ceux-là seuls qui sont malades. » Ceux qui ne sont pas
malades ne doivent donc pas vivre d’aumônes.
14.
De même, Jérôme [écrit] au prêtre Marc : « Je n’ai rien pris à
personne, je ne reçois rien alors que suis oisif, nous cherchons chaque jour
notre nourriture à notre propre sueur, en sachant qu’il a été dit par
l’Apôtre : Que celui qui ne travaille pas ne
mange pas ! » Il n’est donc pas permis de
vivre d’aumônes sans travailler de ses mains.
En outre, [leurs adversaires]
s’efforcent de montrer que, même si [des religieux] pouvaient d’une certaine
façon vivre des aumônes spontanément offertes, ils ne doivent cependant pas
demander l’aumône en mendiant, car, en Dt 15, 4, il est dit : Il n’y aura aucun
indigent ni mendiant parmi vous. Il est donc défendu de mendier
pour celui qui peut vivre par d’autres moyens.
2. De même, il est dit dans
Ps 37[36], 25 : Je n’ai pas vu le juste abandonné ni sa descendance
chercher du pain. Ceux qui cherchent leur pain en
mendiant ne sont donc pas la descendance du juste, à savoir, du Christ.
3. De même, l’imprécation que la
Sainte Écriture adresse à quelqu’un ne convient pas aux justes. Or, la
mendicité en fait partie. C’est ainsi qu’il est dit dans
Ps 109[108], 10 : Que ses fils errent et qu’ils mendient ! La mendicité ne convient donc pas aux parfaits.
4. De même, à propos de
1 Th 4, 11 : Travaillez de vos mains comme nous vous l’avons ordonné,
afin de mener une vie honorable aux yeux de ceux du dehors et de ne désirer
rien qui appartient à un autre, la Glose dit : « Comme
s’il était nécessaire de travailler et de ne pas rester dans l’oisiveté, parce
que cela est honorable et pour ainsi dire une lumière pour les
incroyants ; et vous ne désirerez pas le bien d’un autre, ni ne le
demanderez, ni n’en prendrez quelque chose. » Il faut donc plutôt travailler
de ses mains que demander quelque chose par la mendicité.
5. De même, à propos de
2 Th 3, 10 : Si quelqu’un ne veut pas travailler, etc., la Glose dit : « Il veut que les serviteurs de Dieu
travaillent corporellement pour vivre, afin qu’ils ne soient pas forcés de
demander le nécessaire à cause de leur indigence. » Ils doivent donc
plutôt travailler de leurs mains que demander le nécessaire en mendiant.
6. De même, Jérôme [écrit] au prêtre
Népotien : « Ne demandant jamais, n’acceptons que rarement lorsqu’on
nous le demande. En effet, il y a plus de bonheur à donner qu’à
recevoir. » Il n’est donc pas permis aux serviteurs de Dieu de demander le
nécessaire pour vivre en mendiant.
7. De même, la faute qui est plus
sévèrement punie est certainement plus grave, comme on le lit dans le Décret, C. 24, q. 1, c. 21, Non afferamus stateras dolosas. Or, selon le droit civil, le mendiant en santé est très sévèrement
puni s’il est dénoncé, car s’il est de condition servile, il devient l’esclave
de celui qui le dénonce, et s’il est libre, il devient son paysan à perpétuité,
Codex,
De mendicantibus validis, lex 1. Les religieux qui sont en
santé pèchent donc gravement en mendiant.
8. De même, dans le troisième livre
de Sur
le travail des moines, Augustin dit contre les religieux
qui mendient : « L’ennemi très rusé a répandu tant d’hypocrites sous
l’habit des moines, qui vont par les provinces sans jamais avoir été envoyés,
jamais stables, ne se tenant jamais debout et ne s’assoyant jamais. » Et
plus loin : « Tous demandent, tous exigent les dépenses d’un
dénuement avantageux ou le prix d’une sainteté simulée. » Il semble donc
que la vie des religieux mendiants doive être rejetée.
9. De même, ce dont on rougit
naturellement semble posséder en soi quelque chose de honteux, puisque
l’embarras ne concerne que ce qui est honteux, comme le dit [Jean] Damascène.
Or, demander ou mendier fait naturellement rougir l’homme, et d’autant plus
qu’il a une meilleure nature. C’est ainsi qu’Ambroise dit, dans le livre Sur les offices, que « l’embarras de demander trahit les hommes libres de
naissance», et le Philosophe dit de celui qui est libéral, dans Éthique, IV, qu’il n’est pas «demandeur». Mendier est donc honteux en soi, et
ainsi celui qui peut vivre autrement ne doit aucunement mendier.
10. De même, à propos de
2 Co 9, 7 : [Dieu aime] celui qui donne en souriant, etc., la Glose dit : « Celui qui donne pour éviter l’ennui de celui
qui importune, et non pour apaiser l’estomac de celui qui en a besoin, perd à
la fois son bien et son mérite. » Or, on donne souvent aux mendiants de
cette manière, car les mendiants provoquent l’ennui en demandant. Même si
certains peuvent vivre d’aumônes, ils ne devraient cependant pas mendier.
En outre, ils s’efforcent de montrer
que les religieux, même ceux qui prêchent, ne doivent pas vivre d’aumônes ni
demander d’aumônes. En effet, l’Apôtre dit en 1 Th 2, 5 : Nous n’avons jamais
recouru à une parole flatteuse, comme vous le savez. Or, il faut que les prédicateurs qui mendient et vivent d’aumônes
flattent ceux qui les font vivre, ce qui ressort clairement de la Glose à
propos de Mt 21, 17 : Les ayant laissés, il s’en alla,
etc. : « Parce qu’il était pauvre et
n’était flatté par personne, il ne trouva personne pour le recevoir dans une si
grande ville, mais il fut accueilli chez Lazare. » Et pourtant, il était
un prédicateur tellement considéré que, comme le dit la Glose à propos de
Lc 21, 38 : Tout le peuple se pressait dès le matin dans le Temple pour
l’entendre : « C’est-à-dire qu’il se dépêchait
de venir dès le matin. » Et il est dit en 1 Co 4, 11 :
Jusqu’à
cette heure, nous avons eu faim et soif, et nous sommes nus : « En effet, ceux qui prêchent la vérité librement et sans
flatterie et reprochent leurs actions aux gens de mauvaise vie ne sont pas bien
accueillis par les hommes. » Les prédicateurs ne doivent donc pas chercher
leur subsistance à partir d’aumônes.
2. De même, à propos de
1 Th 2, 5 : Nous n’avons pas non plus été occasion de cupidité, Dieu
nous en est témoin, la Glose dit : « Je ne dis
pas : “[Je n’ai pas été] cupide”, mais je n’ai rien fait ni dit qui fût
occasion de cupidité. » Or, ceux qui demandent que des aumônes leur soient
données font quelque chose où se trouve une occasion de cupidité. Les prédicateurs
ne doivent donc pas faire cela.
3. De même,
2 Co 12, 14 [dit] : Je ne serai pas un poids pour
vous : en effet, je ne cherche pas vos biens, mais vous-mêmes. Et la Glose dit, à propos de Ph 4, 17 : Car je ne cherche pas
un don, mais je demande un fruit :
« Le don est la chose même qui est donnée, comme l’argent, la boisson, la
nourriture et les choses de ce genre ; mais le fruit, ce sont les bonnes
actions et la volonté droite de celui qui donne. » Les vrais prédicateurs
ne doivent donc pas rechercher des choses temporelles de la part de ceux à qui
ils prêchent, et ainsi ils ne doivent pas vivre de mendicité.
4. De même, à propos de
2 Tm 2, 6 : Celui qui cultive la terre, etc., la Glose dit : « L’Apôtre veut que l’évangélisateur comprenne
qu’accepter le nécessaire de ceux chez qui il se bat pour Dieu ou qu’il paît
comme un troupeau, n’est pas de la mendicité mais un pouvoir. » Il ressort
ainsi clairement que vivre de l’évangile relève d’un pouvoir, et non de la
mendicité. Or, ce pouvoir n’appartient qu’aux prélats. Les autres prédicateurs qui
ne sont pas prélats ne doivent donc pas vivre de l’évangile par la mendicité.
5. De même, l’Apôtre, en
1 Co 9, 8s, voulant montrer qu’il pouvait lui-même vivre à même
les ressources des fidèles, démontre d’abord qu’il est apôtre. Ceux qui ne sont
pas apôtres ne peuvent donc pas vivre à même les ressources des fidèles. Or,
les religieux qui prêchent ne sont pas des apôtres puisqu’ils ne sont pas des
prélats. Donc, etc.
6. De même, à propos de
1 Th 2, 7 : Alors que nous pouvions vous être à charge en tant
qu’apôtres du Christ, la Glose dit : « Il
donne un tel poids à la question des faux [apôtres] qu’il dit s’abstenir, alors
qu’il lui serait permis de demander une aide, afin de modérer ceux qui
n’avaient ni pouvoir ni honte de demander. Il appelle charge ce qui était dû au
pouvoir apostolique, en raison des faux apôtres qui, en se prévalant indûment
de cela, ont des exigences importunes à l’égard des gens. » Il ressort
ainsi clairement que les prédicateurs qui exigent leur subsistance de la part
des gens alors qu’ils ne sont pas des apôtres, c’est-à-dire des prélats, doivent
être considérés comme de faux apôtres. Il n’est donc pas permis au prédicateur
qui n’est pas prélat de mendier.
7. De même, les prédicateurs qui ne
sont pas prélats, et qui cherchent à obtenir leur subsistance de ceux à qui ils
prêchent, ou bien cherchent ce qui est dû, ou bien ce qui ne leur est pas dû.
S’il s’agit de quelque chose qui leur est dû, ils peuvent donc l’exiger au
titre d’un pouvoir et de manière contraignante, ce qui est manifestement faux.
Mais si cela ne leur est pas dû, ils le demandent donc de manière indue et
injuste, et ainsi ils doivent être considérés comme de faux [prédicateurs],
comme cela ressort clairement de la glose invoquée plus haut.
8. De même, les prélats qui
reçoivent les dîmes et les offrandes des gens sont tenus de s’occuper d’eux au
spirituel. Si donc d’autres sont envoyés par des évêques pour assurer un
service au spirituel, une injustice est faite au peuple s’ils reçoivent leur
subsistance du peuple, puisque ce sont plutôt les évêques qui sont tenus de
voir à leurs besoins.
9. De même, les prélats qui en
envoient certains prêcher sont tenus de leur assurer le nécessaire, comme on le
lit dans les Décrétales, I, t. 31, c. 35,
« De officio ordinarii », Inter caetera. Si donc les prédicateurs envoyés par des évêques exigent leur
subsistance d’autres personnes, cela devient pour elles un poids, et ainsi [les
prédicateurs] ne doivent pas recevoir de frais de la part d’autres personnes.
10. De même, dans Mt 23, 14, le
Seigneur dit contre les pharisiens : Malheur à vous, scribes et
pharisiens hypocrites, qui mangez la maison des veuves en faisant de longues
prières. Ceux qui, sous prétexte de prière ou de
prédication ou de quelque chose de ce genre, demandent des aumônes semblent
donc être pareillement répréhensibles.
11. De même, en Mt 10, 11,
le Seigneur dit aux disciples envoyés prêcher : En chaque ville ou
bourg où vous entrerez, demandez qui y est digne. La
Glose dit : « Un hôte doit être choisi sur le témoignage des voisins,
de sorte que sa mauvaise réputation ne fasse pas de tort au prédicateur. »
Et une autre glose dit : « Celui-là est digne qui sait qu’il reçoit
un présent plutôt qu’il n’en donne. » Au moins dans ce cas, il semble donc
répréhensible que [les religieux] se tournent parfois vers des pécheurs riches
et vers ceux qui ne considèrent pas cela comme un présent.
12. De même, quiconque reçoit
quelque chose en retour d’un bien spirituel encourt le crime de simonie, soit
qu’il demande, comme Giézi, soit qu’il reçoive ce qui leur est offert sans
avoir été demandé, comme Élisée ne voulut pas recevoir quelque chose de Naaman,
2 R 4, et qu’il le reçoive avant ou après, comme cela ressort
clairement de ce qu’on trouve dans le Décret, C. 1, q. 1, c. 21, Eos. Or,
celui qui prêche au peuple confère des réalités spirituelles. Il ne lui est
donc pas permis de recevoir de lui des biens temporels avant ou après, ni en
demandant ni en recevant des offrandes.
13. De même, à propos de
1 Th 5, 22 : Abstenez-vous de toute apparence de mal, la Glose dit : « Si quelqu’un soutient qu’il y a apparence de
mal, même s’il n’y a pas mal, n’agissez pas de manière précipitée. » Or,
le fait qu’un prédicateur cherche des choses temporelles auprès de ceux à qui
il prêche prête à une apparence de mal. Aussi, à propos de
2 Co 12, 14 : Je ne cherche pas vos biens, mais vous-mêmes, la Glose dit-elle : « L’Apôtre ne cherchait pas un don mais
un fruit, afin qu’on ne le considère pas comme un vendeur de l’évangile. »
Les prédicateurs ne doivent donc pas chercher leur subsistance auprès de ceux à
qui ils prêchent.
En outre, ils s’efforcent de montrer
que des aumônes ne doivent pas être données à ces gens-là, car, à propos de
Lc 14, 13 : Lorsque tu donnes un banquet, invite des pauvres, des
infirmes, des boiteux et des aveugles, la
Glose dit : « De qui tu ne peux rien attendre dans le monde
présent. » Or, on peut espérer beaucoup de choses de la part de ces mendiants
qui sont en santé et robustes, puisqu’ils sont souvent des familiers des
puissants. Il ne faut donc pas donner d’aumônes à ces gens-là.
2. De même, Augustin [écrit] au
donatiste Vincent : « Le pain est plus utilement enlevé à celui qui a
faim s’il néglige la justice parce qu’il est assuré de sa nourriture, que si le
pain est rompu pour lui afin qu’il donne son assentiment parce qu’il est attiré
par l’injustice. » Or, celui qui ne veut pas travailler corporellement
pour gagner sa vie alors qu’il le peut, ou qui peut obtenir par ailleurs de
quoi vivre sans péché, s’il demande sa subsistance, agit injustement, comme on
peut le démontrer par plusieurs choses qui ont été invoquées plus haut. Le pain
doit donc être enlevé aux gens de cette sorte.
3. De même, à propos de
Lc 6, 30 : Donne à quiconque te demande, la
Glose dit : « [Donne] une chose ou une correction. », et
pareillement, à propos de Mt 5, 42 : Donne à qui te demande, la Glose dit : « Donne-lui, de telle sorte cependant qu’il ne
nuise ni à toi ni à un autre. En effet, la justice doit être pondérée. Tu
donneras ainsi à quiconque te demande, et même si ce n’est pas ce qu’il
demande, mais mieux lorsque tu corrigeras celui qui demande injustement. »
Or, celui qui peut travailler de ses mains, s’il demande qu’une aumône lui soit
donnée, il la demande injustement, comme on l’a démontré. On doit donc plutôt
lui donner une correction que la chose demandée, afin qu’il soit détourné d’une
demande injuste.
4. De même, Augustin [écrit] au
donatiste Vincent : « Souvent les méchants ont persécuté les bons et
les bons les méchants, ceux-là en leur nuisant par une injustice et ceux-ci en
les aidant par une correction. » Les bons peuvent donc persécuter les méchants
pour cause de correction. Or, c’est une persécution que d’enlever le pain à
quelqu’un. Le pain doit donc être enlevé à certains qui sont méchants afin
qu’ils soient corrigés, et surtout s’ils pèchent en demandant leur pain. Or,
ceux qui mendient alors qu’ils sont en santé pèchent, même s’ils prêchent,
comme on l’a démontré. Le pain doit donc être enlevé à ces gens-là.
5. De même, Ambroise [écrit] dans le
livre Sur
les fonctions : « La faiblesse doit être prise
en compte lorsqu’on donne – à savoir, celle de celui à qui on donne. Parfois
aussi la honte qui trahit les hommes libres de naissance, de sorte qu’on donne
davantage aux gens âgés qui ne peuvent plus chercher de quoi vivre. De même
encore, il faut plutôt venir en aide à la faiblesse du corps, même si quelqu’un
est tombé dans le dénuement alors qu’il était riche, et surtout s’il a perdu ce
qu’il avait sans faute de sa part, mais à cause d’un brigandage, d’une
proscription ou de calomnies. » Il ressort ainsi clairement que, parmi
ceux à qui des aumônes doivent être données, il faut prendre en compte s’ils
sont faibles de corps ou honteux parce qu’ils ont perdu leurs biens à cause
d’un brigandage ou d’une proscription. Or, les pauvres en bonne santé qui
s’exposent à mendier ne sont pas tels. Il ne faut donc pas leur donner
d’aumônes.
6. De même, les aumônes sont
ordonnées à soulager le besoin. Il faut donc donner davantage à celui qui est
davantage dans le besoin. Or, ceux qui ne peuvent chercher leur subsistance par
leur propre travail ou l’obtenir d’une autre manière sont davantage dans le besoin,
que ceux ces gens qui peuvent l’obtenir d’une autre manière. Aussi longtemps qu’on
trouvera des plus indigents, [des aumônes] ne doivent donc pas être données à
ces gens.
7. De même, faire l’aumône est un
acte de miséricorde. Des aumônes ne doivent donc être faites qu’à ceux qui sont
misérables. Or, ceux qui s’exposent volontairement à la mendicité ne sont pas
tels, mais ceux-là seulement qui tombent involontairement dans un état de
mendicité, car, comme le Philosophe le dit dans Éthique, III, ce qui est involontaire mérite la miséricorde et le pardon. Il ne
faut donc pas faire l’aumône aux pauvres mentionnés plus haut.
8. De même, comme le dit Augustin,
« puisque tu ne peux être utile à tous, il faut s’occuper surtout de ceux
qui, par des circonstances de lieu, de temps ou de n’importe comment, te sont
plus étroitement liés comme par un destin. » Or, les consanguins, les voisins
et les autres familiers sont le plus étroitement liés. Des aumônes ne doivent
donc pas être faites à des étrangers aussi longtemps que peuvent se trouver des
indigents à qui on peut en faire.
Après avoir vu ces choses, afin que
cette position ne paraisse pas récente, nous montrerons que cette erreur a
débuté à l’époque de l’Église primitive. En effet, il est dit en
3 Jn 9‑10 : Mais Diotréphès, qui est avide d’y occuper la première
place, ne nous reçoit pas. Et plus bas : Et non satisfait de
cela, il ne reçoit pas non plus les frères –
Glose : « Dans le besoin » ‑ et ceux qui les reçoivent, il les
en empêche – Glose : « De faire preuve de
compassion »‑, et les expulse de l’église – Glose :
« De l’endroit où ils se réunissent ». Et une autre glose dit au même
endroit : « Tu dois persévérer dans l’aumône, car je comprends
qu’elle a une telle utilité que j’aurais écrit non seulement à toi, mais à
toute l’église pour faire l’éloge de l’aumône, mais je me suis retenu, car
Diotréphès, un hérésiarque de cette époque, en enseignant des nouveautés,
usurpait la première place en sa propre faveur. » Or, sa doctrine
hérétique consistait en ce qu’il interdisait qu’on fasse preuve de compassion
envers les frères étrangers en déplacement à même ses propres biens, comme cela
ressort clairement du texte et de la Glose au même endroit. Cette erreur est
aussi réapparue chez Vigilantius, comme cela ressort clairement de la lettre de
Jérôme contre Vigilantius, où il dit : « De plus, on m’a fait part
dans ces mêmes lettres que, à l’encontre de l’autorité de l’apôtre Paul, bien
plus, de Pierre, de Jean et de Jacques, qui ont donné leur main droite à Paul,
en union avec Barnabé, et leur ont ordonné de se souvenir des pauvres, tu interdis
que certains secours soient envoyés à Jérusalem pour venir en aide aux
saints. »
Voulant donc écarter cette erreur,
nous procéderons de cette manière :
Que les pauvres qui abandonnent tout
pour le Christ peuvent vivre d’aumônes, cela est démontré d’abord par l’exemple
du bienheureux Benoît, que raconte le bienheureux Grégoire dans le livre des Dialogues, II. Pendant trois ans, vivant dans une grotte, il se nourrit de ce qui
lui était apporté par un moine romain, après avoir abandonné sa maison et ses
parents, et alors qu’il était en santé, on ne lit pas qu’il ait cherché à vivre
du travail de ses mains.
De même, il est dit dans le Décret, C. 1, q. 2, c. 9, Sacerdos, que « celui qui a tout abandonné à ses parents, l’a distribué aux
pauvres ou l’a joint aux biens de l’Église, et s’est placé parmi les pauvres
par amour de la pauvreté, accepte non seulement sans cupidité, mais avec une
louable piété ce qui est donné par le peuple et administre fidèlement ce qu’il
a accepté, afin de venir ainsi au secours des pauvres et de vivre lui-même
comme un pauvre volontaire ». Il est donc clair que le pauvre volontaire,
qui a abandonné tous ses biens pour le Christ, peut vivre d’aumônes qui sont données
aux pauvres par le peuple.
De même, un homme doit plutôt
s’abstenir d’un bien dont il peut s’abstenir sans pécher, que commettre un
péché. Si donc ceux qui sont en santé pèchent en recevant des aumônes, ils
devront plutôt s’abstenir de toutes les autres occupations, aussi bonnes
soient-elles, plutôt que de recevoir des aumônes. Or, cela se révèle faux par
ce que dit Augustin dans le livre Sur le travail des moines, à
savoir que les serviteurs de Dieu qui travaillent aussi de leurs mains «doivent
avoir des pauses – pendant lesquelles ils cessent le travail manuel ‑
pour apprendre ce qu’ils pourront se remémorer. Pour cela, en effet, les bonnes
actions des fidèles ne doivent pas faire défaut pour contribuer au nécessaire,
de sorte que les heures qu’ils passent à instruire leur esprit, pendant
lesquelles ils ne peuvent accomplir ces œuvres corporelles, ne les acculent au
dénuement. » Il ressort donc aussi clairement qu’Augustin n’entend pas que les moines
travaillent de leurs mains pour chercher toute leur subsistance par le travail manuel,
car, s’ils faisaient cela, il ne resterait pas de temps libre pour les œuvres
spirituelles.
De même, Augustin, parlant dans le
même livre d’un riche qui donne ses biens à un monastère, dit qu’il agit bien
en travaillant de ses mains pour donner l’exemple à d’autres, quoique les biens
communs des frères du monastère doivent le dédommager en assurant sa
subsistance. «Mais s’il ne veut – travailler de ses mains ‑, qui osera le
forcer ? » Il ressort ainsi clairement que celui qui donne ses biens
à un monastère peut vivre des biens du monastère sans travailler de ses mains.
Or, comme l’ajoute aussitôt le même Augustin, puisqu’il n’existe qu’une seule
communauté des chrétiens, l’endroit où il aura laissé ses biens ou ceux dont il
recevra le nécessaire pour vivre ne fait pas de différence. Ceux qui ont
abandonné tout ce qu’ils possédaient pour le Christ peuvent donc recevoir de
n’importe qui ce dont ils pourront vivre.
De même, le propos que quelqu’un a
de cesser ce qui est mal en soi n’enlève pas à cette action la raison de péché,
bien que le péché soit peut-être amoindri. Si donc vivre d’aumônes est en soi
un péché pour un pauvre en bonne santé, ceux qui veulent vivre d’aumônes alors
qu’ils sont en bonne santé au moment où sont faites les aumônes, bien qu’ils
aient parfois l’intention de vivre autrement, ne seront pas exempts de péché.
Conformément à cela, les pèlerins qui vivent d’aumônes et qui sont en bonne
santé pèchent donc, de même que ceux qui leur imposent de tels pèlerinages, ce
qui est absurde.
De même, s’adonner à la
contemplation divine est plus louable que s’adonner à l’étude de la
philosophie. Or, certains, pour s’adonner à l’étude de la philosophie, vivent
d’aumônes pour un temps. Pour s’adonner à la contemplation, certains peuvent
donc vivre d’aumônes pour un temps en s’abstenant de travail manuel. Or,
s’adonner à la contemplation divine en tout temps est plus louable que de fixer
à l’avance un temps déterminé pour cela. Certains peuvent donc, pour s’adonner
à la contemplation pendant toute la durée de leur vie, vivre d’aumônes en
s’abstenant de travail manuel.
De même, la charité du Christ rend
davantage toutes choses communes que l’amitié politique. Or, si quelqu’un me
donne quelque chose par amitié, je peux l’utiliser librement comme il me plaît.
À bien plus forte raison, je peux donc vivre de ce qui m’est donné par la
charité du Christ.
De même, celui qui peut accepter ce
qui est plus grand peut accepter ce qui est plus petit. Or, les religieux
peuvent accepter un revenu de mille marcs et en vivre sans travailler de leurs
mains, autrement beaucoup de religieux ayant de grands biens seraient dans un
état de damnation ; et, pour la même raison, beaucoup de clercs séculiers
n’ayant pas charge d’âmes, qui vivent des biens de l’Église qui proviennent
d’aumônes. Il est donc ridicule de dire que des religieux pauvres ne peuvent
accepter de petites aumônes et en subsister sans travailler de leurs mains.
De même, les pauvres malades sont
davantage trompés si est donné à d’autres ce qui leur est dû et destiné, que si
est donné à d’autres ce qui ne leur est pas dû. Or, les fruits des biens
ecclésiastiques sont destinés à être donnés aux pauvres, comme cela est clair
d’après le Décret, C. 12, q. 1,
c. 16, Videntes. Aussi est-il dit dans C. 1,
q. 2, c. 6, Clericos, et c. 8, Si quis, que les clercs, qui peuvent être aidés par les biens de leurs parents,
ne peuvent sans péché vivre des biens de l’Église, par lesquels la subsistance
des pauvres doit être assurée. Il semblerait donc que les pauvres seraient
davantage trompés si certains, qui ne travaillent pas de leurs mains alors
qu’ils sont en santé, vivent des biens de l’Église, que si les pauvres du
Christ vivent de ce qui est offert par les fidèles à même leurs propres biens,
et qui n’est pas destiné aux pauvres. Si donc les premiers pauvres ne trompent
pas, encore bien moins les seconds.
Beaucoup de choses qui ont déjà été
dites lorsqu’il a été traité du travail manuel vont aussi dans le même sens.
En deuxième lieu, il faut maintenant
montrer que même les prédicateurs, bien qu’ils ne soient pas prélats, peuvent
accepter de ceux à qui ils prêchent des aumônes pour vivre. En effet, l’Apôtre
dit en 1 Co 9, 7 : Qui combat jamais à ses propres
frais ? Qui plante une vigne sans manger de son fruit ? Qui paît le
troupeau sans se nourrir du lait du troupeau ? Il invoque tous ces exemples et d’autres encore, comme le dit la Glose,
pour montrer que les apôtres « ne s’appropriaient pas plus que leur dû,
mais comme le Seigneur l’a établi pour ceux qui vivaient de l’évangile,
mangeaient gratuitement le pain qui leur était donné par ceux à qui ils
prêchaient gratuitement l’évangile ». Or, il est clair que, en raison de
leur travail, leur subsistance est due au soldat, au planteur d’une vigne et au
pasteur d’un troupeau parce qu’ils travaillaient à cette entreprise. Ainsi
donc, comme ne travaillent pas seulement à l’évangile les prélats, mais aussi
tous ceux qui prêchent légitimement, les deux peuvent accepter de ceux à qui
ils prêchent ce de quoi ils pourront subsister.
De même, l’Apôtre démontre que les
apôtres pouvaient accepter des biens temporels de ceux à qui ils prêchaient
parce qu’ils semaient chez eux des biens spirituels, car il n’est pas étonnant
que celui qui donne de grandes choses en reçoive de petites. C’est ainsi qu’il
dit, dans le même chapitre (1 Co 9, 11) : Si nous semons chez
vous des biens spirituels, est-ce beaucoup que nous récoltions vos biens
charnels ? Or, les prélats prêchent les mêmes
réalités spirituelles que d’autres en vertu de leur autorité. Même ceux-ci
peuvent donc accepter de ceux à qui ils prêchent des biens charnels dont ils
puissent vivre.
De même, dans le même chapitre, à
propos de ce que dit l’Apôtre : Le Seigneur a ordonné à ceux qui
annoncent l’évangile de vivre de l’évangile, la
Glose dit : « Il a fait cela raisonnablement afin qu’ils soient plus
disponibles pour prêcher la parole de Dieu. » Or, il faut que tous ceux
qui sont assignés pour prêcher soient disponibles pour prêcher, qu’ils soient
prélats ou qu’ils prêchent en vertu de l’autorité des prélats. L’ordre du Seigneur
qu’ils vivent de l’évangile s’étend donc aussi à ceux qui ne sont pas prélats.
Ce qui ressort aussi clairement des paroles mêmes de l’Apôtre. En effet, il ne
dit pas : Ceux qui ont une autorité ordinaire [31], mais simplement : Ceux qui annoncent [l’évangile].
De même, en Lc 10, 7, le
Seigneur dit, en envoyant ses disciples prêcher : Demeurez dans la même
maison en mangeant et en buvant ce qu’il y a chez eux ; en effet,
l’ouvrier mérite son salaire. Il ressort ainsi clairement que
sa subsistance est due au prédicateur comme un salaire de la part de ceux à qui
il prêche, comme cela ressort clairement de la Glose, qui dit au même
endroit : « Remarque que, pour une seule action des prédicateurs,
sont dues deux récompenses : l’une en cette vie, qui nous soutient dans le
travail, l’autre dans la patrie, qui nous rémunère lors de la résurrection. »
Or, le salaire n’est pas dû au pouvoir, à l’autorité ou à l’habitus, mais à
l’acte, car nous ne méritons que par des actes. Aussi le Philosophe lui-même
dit-il, dans Éthique, I : « De même que,
lors des jeux, ce ne sont pas les meilleurs et les plus forts qui sont
couronnés, mais ceux qui combattent, de même, à juste titre, ceux qui, durant
leur vie, agissent bien deviennent-ils illustres. » Et c’est aussi ce que
dit l’Apôtre en 2 Tm 2, 5 : Ne sera couronné que celui qui
aura combattu loyalement. Ceux qui prêchent, qu’ils soient
prélats ou non, pourvu qu’ils prêchent, peuvent donc vivre légitimement de
l’évangile.
De même, ceux qui sont envoyés par
les prélats travaillent plus à l’évangile que ceux qui sont envoyés par leur
collège, ou qui les envoient par la volonté des prélats. Or, les prédicateurs
qui sont envoyés en tant que membres de leur collège, peuvent vivre d’aumônes reçues
de ceux à qui l’évangile est prêché, ce qui ressort clairement de
Rm 15, 26 : En effet, les Macédoniens et les Achaïens ont bien voulu
faire une collecte pour les pauvres parmi les saints qui demeurent à Jérusalem.
Ils l’ont bien voulu et ils le leur devaient, car si les païens ont participé à
leurs biens spirituels – Glose : « À ceux des
Juifs qui leur ont envoyé des prédicateurs depuis Jérusalem » ‑, ils doivent, à leur
tour, les servir de leurs biens charnels. Or,
on n’entend pas ces pauvres des apôtres seulement, car il n’était pas
nécessaire pour les seuls apôtres, qui étaient au nombre de douze et se satisfaisaient
d’une maigre subsistance, de faire des collectes dans toutes les églises,
surtout qu’ils recevaient leur subsistance de ceux à qui ils prêchaient, comme
cela est clair dans 1 Co 9, 14. À bien plus forte raison donc,
ceux qui prêchent, bien qu’ils ne soient pas des prélats mais soient envoyés
par des prélats, peuvent-ils vivre de l’évangile.
De même, ceux qui prêchent sur ordre
des prélats coopèrent davantage avec les prélats pour la prédication de
l’évangile que ceux qui leur sont soumis pour d’autres ministères. Or, les
prélats peuvent recevoir des contributions lorsqu’ils prêchent l’évangile, non
seulement pour eux-mêmes, mais pour leur famille, qui est à leur service. À
bien plus forte raison donc, ceux qui annoncent l’évangile par mandat des
prélats peuvent-ils vivre de l’évangile.
De même, celui qui dépense sans
remboursement pour ce à quoi il n’est pas tenu, ne peut pas moins recevoir en
retour que celui qui dépense pour ce à quoi il est tenu. Or, les prélats sont
obligés de s’occuper de populations en matière spirituelle. C’est ainsi que
l’Apôtre dit en 1 Co 9, 16 : Car si j’annonce l’évangile, ce
n’est pas pour moi une gloire, puisque c’est pour moi une nécessité. Malheur à
moi, en effet, si je n’annonce pas l’évangile ! Ceux qui ne sont pas prélats et n’ont aucune obligation envers une
population ne peuvent donc pas recevoir moins au temporel de ceux à qui il
prêchent légitimement.
De même, Augustin dit, dans le livre
Sur le
travail des moines : « S’ils sont des évangélistes
– les religieux ‑, j’affirme qu’ils ont le pouvoir » de vivre des
contributions des fidèles. Or, non seulement les prélats sont des évangélistes,
mais [le sont] tous ceux qui peuvent évangéliser, même les diacres. C’est ainsi
que l’Apôtre dit en Ep 4, 11 : Il a fait de certains des
apôtres, d’autres des prophètes, d’autres des évangélistes, d’autres des pasteurs
et des docteurs, en faisant une distinction entre
évangélistes [d’une part], et pasteurs et apôtres [d’autre part], par lesquels
on entend les prélats. Tous ceux qui prêchent l’évangile, qu’ils soient prélats
ou non, peuvent donc vivre de l’évangile.
De même, parmi toutes les
occupations d’Église, l’occupation de ceux qui annoncent la parole de Dieu est
la plus digne. C’est ainsi que le Christ montre qu’il est venu pour cela,
Mc 1, 38. Il est aussi indiqué qu’Isaïe a été envoyé pour cela,
Is 61, 1 : Il m’a envoyé évangéliser les pauvres, et pour cela aussi Paul dit qu’il a été envoyé,
1 Co 1, 17 : En effet, le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais
évangéliser. Or, ceux qui sont impliqués dans des occupations
d’Église ne doivent pas travailler de leurs mains, mais vivre des biens de
l’Église, comme le dit Augustin, dans le livre Sur le travail des moines, en parlant de lui-même. À bien plus forte raison donc, ceux qui sont
occupés à la prédication de la parole de Dieu peuvent vivre de l’évangile sans
travailler de leurs mains.
De même, la fonction de la
prédication est plus utile que celle d’avocat. Or, les avocats qui exercent
légitimement la fonction d’avocat peuvent vivre de leur travail et de leur
fonction. À bien plus forte raison donc, les prédicateurs, qu’ils soient
prélats ou non, peuvent vivre de l’évangile, pourvu qu’ils prêchent légitimement.
De même, bien qu’on ne puisse faire
l’aumône à partir de l’usure, il a cependant été concédé aux prédicateurs de
recevoir des aumônes de la part d’usuriers, s’ils ne peuvent rester autrement
dans les terres des usuriers, la raison en étant qu’ils administrent les affaires
de ceux à qui l’usure est due lorsque, par la prédication, ils incitent les
usuriers à restituer les usures, comme le dit une décrétale, Décrétales, V, t. 39, c. 54. Or, ils administrent les affaires de tous,
riches et pauvres, lorsqu’ils incitent les riches à faire l’aumône aux pauvres
et lorsqu’ils exhortent les autres à d’autres actions salutaires. Ils peuvent
donc recevoir légitimement des aumônes de ceux à qui ils prêchent.
De même, nous voyons dans les arts
mécaniques que, non seulement ceux qui travaillent de leurs mains vivent
légitimement de leur art, mais aussi le sage architecte qui en dirige d’autres
sans travailler de ses mains. Or, celui qui donne un enseignement sur les mœurs
est comme un architecte par rapport à toutes les fonctions humaines, comme cela
ressort clairement de [ce que dit] le Philosophe, Éthique, I. Les prédicateurs peuvent donc vivre de la fonction de la prédication,
même s’ils ne travaillent pas de leurs mains.
De même, la santé de l’âme doit être
préférée à la santé du corps. Or, les médecins qui prennent des mesures pour la
santé du corps, même s’ils ne font rien de leurs mains, peuvent légitimement
recevoir ce dont ils vivent. À bien plus forte raison donc, ceux qui s’occupent
du salut des âmes, même s’ils ne travaillent pas de leurs mains.
En troisième lieu, il reste
maintenant à montrer que ceux dont on a parlé peuvent non seulement vivre des
aumônes spontanément offertes, mais qu’ils peuvent aussi les demander en mendiant.
Cela est d’abord démontré par
l’exemple du Christ, au nom de qui il est dit dans
Ps 40[39], 18 : Je suis mendiant et pauvre. La
Glose dit : « Le Christ dit cela de lui-même en raison de son état de
serviteur. » Et plus loin : « Est mendiant celui qui demande à
un autre ; est pauvre celui qui ne se suffit pas à lui-même. »
De même, dans un autre psaume :
Je
suis pauvre et nécessiteux (Ps 70[69], 6). La
Glose [dit] : « Je suis nécessiteux, c’est-à-dire quémandeur, et je
suis pauvre, c’est-à-dire incapable de me suffire à moi-même, car il ne possède
pas de biens de ce monde, et il reçoit intérieurement, là où il est comblé de
richesses. »
De même, dans un autre psaume :
Il a
persécuté le pauvre et le mendiant (Ps 110[109], 17).
La Glose [dit] : «À savoir, le Christ.» « Persécuter les pauvres est
pure cruauté, mais d’autres souffrent parfois de la sorte à cause des richesses
et des honneurs. » Ces deux dernières gloses montrent clairement qu’il
faut entendre les paroles mentionnées de la mendicité pour les choses
temporelles.
De même, à propos de
2 Co 8, 9 : Vous connaissez la grâce de notre Seigneur, Jésus, le
Christ, car, alors qu’il était riche, il s’est fait pauvre pour vous, la Glose dit : « Dans le monde. » Et qu’il faille en
cela imiter le Christ, cela est clair d’après la Glose, qui dit au même
endroit : « Que personne ne se méprise : le pauvre dans son
réduit, riche par sa conscience, dort dans une plus grande sécurité sur terre
que le riche dans la pourpre. Ne t’effraie donc pas, à cause de ta mendicité,
de t’approcher de celui qui est revêtu de ta pauvreté. »
De même, que le Seigneur ait demandé
expressément de quoi vivre, on le lit en Lc 19, 5, où le Seigneur dit
à Zachée : Zachée, descends vite, car aujourd’hui, il me faut demeurer chez
toi. La Glose [dit] : « Celui qui n’est pas
invité invite : même s’il n’avait pas encore entendu la voix de celui qui
invitait, il avait entendu son sentiment. »
De même, à propos de
Mc 11, 11 : Après avoir regardé tout autour, comme c’était le soir,
etc., la Glose dit : « Après avoir regardé tout
autour, si quelqu’un l’accueillerait sous son toit. Il était si pauvre et, à
cause de cela, flatté par personne, qu’il ne trouvait aucun toit dans une si
grande ville. » Il ressort ainsi clairement que le Christ était si pauvre
qu’il ne pouvait avoir de toit, mais qu’il demandait et espérait que les autres
l’accueilleraient. C’est donc un blasphème de dire qu’il n’est pas permis de
mendier.
De même, Jérôme [écrit] à Furia, à
propos de la garde du veuvage : « Chaque fois que tu étends la main,
pense au Christ, garde-toi d’accroître les richesses d’un autre alors que ton
Seigneur mendie. » Il ressort ainsi clairement que le Christ a mendié.
De même, cela est montré par
l’exemple des apôtres, à qui le Seigneur a ordonné de ne pas emporter sur la
route ce qui était nécessaire pour vivre, comme cela est clair dans
Mt 10, 9‑10, Mc 6, 8‑9 et Lc 9, 3 et
10, 4. Or, il est évident que ceux-ci ne pouvaient prendre de force. Il
est donc assez évident qu’ils demandaient humblement ce qui était nécessaire
pour vivre, ce qui est mendier.
De même, cela est clair chez les
disciples des apôtres après la résurrection du Christ. En effet, il est dit en
3 Jn 7 : C’est pour le nom qu’ils se sont mis en route. La Glose [dit] : « Afin de répandre le nom du Christ, ils se
sont mis en route, étrangers à leurs propres biens. » Ils allaient donc
sur la route sans le nécessaire, d’où il ressort clairement qu’ils devaient
demander le nécessaire.
De même, un homme doit s’occuper de
lui-même plus que des autres. Or, l’Apôtre demandait des aumônes pour d’autres,
à savoir, pour les pauvres parmi les saints qui se trouvaient à Jérusalem
(Rm 15, 26‑27). Il est donc permis de demander des aumônes pour
ses frères ou même pour soi-même.
De même, qu’il soit permis de
mendier, cela est clair par l’exemple du bienheureux Alexis qui, après avoir
abandonné tous ses biens pour le Christ, vivait, sans travailler de ses mains,
d’aumônes qu’il demandait en mendiant, au point où il demandait des aumônes aux
serviteurs de son père qui le cherchaient, et qu’il rendait grâce à Dieu
d’avoir reçu des aumônes de ses serviteurs. Une voix venue du ciel fut un signe
de sa sainteté, qu’entendirent le pape et les empereurs Honorius et Arcadius,
ainsi que tout le peuple, alors qu’ils se trouvaient dans l’église du
bienheureux Pierre. [Cette voix] attesta que Rome tenait debout par les mérites
[d’Alexis]. Il s’illustra aussi par de nombreux miracles après sa mort. C’est
pourquoi il fut canonisé et sa fête est solennellement célébrée par l’Église
romaine.
De même, Jérôme, écrivant à Océanus
pour lui recommander Fabiola, dit qu’«elle souhaitait, après avoir également
répandu ses richesses, recevoir une petite aumône pour le Christ. » Or,
elle ne serait pas recommandée si mendier était un péché.
De même, l’Église n’ordonne pas à
quelqu’un comme pénitence ce qui est illicite. Or, pour des péchés graves, il
est ordonné à quelqu’un de partir en pèlerinage loin de son pays, sans ressources
et en mendiant. Mendier n’est donc pas illicite, mais peut être un acte de
pénitence. Et ainsi, adopter la mendicité pour le Christ relève de la perfection
de la vie, comme les autres actes de pénitence sur lesquels reposent les formes
de vie religieuse.
De même, comme ce par quoi le corps
est châtié, tels le jeûne, les veilles et les choses de ce genre, agit contre
la concupiscence de la chair, de même ce qui se rapporte à l’humiliation de
l’homme agit contre l’orgueil de l’esprit, qu’on ne doit pas moins fuir que la
concupiscence de la chair, car les péchés spirituels comportent aussi une plus
grande culpabilité, comme le dit Grégoire. Or, rien parmi les actes de
pénitence ne peut davantage rendre un homme humble et méprisable que le fait de
mendier ; c’est la raison pour laquelle tout homme rougit naturellement de
mendier. De même qu’il relève de l’état de perfection que l’homme prenne sur
lui-même de jeûner et de veiller pour dompter la concupiscence de la chair, de
même relève-t-il donc de la perfection de la vie que quelqu’un prenne sur
lui-même de mendier à cause du Christ afin d’humilier son esprit.
De même, la charité du Christ est
plus libérale que l’amitié du siècle. Or, en vertu de l’amitié du siècle, il
est permis de demander quelque chose dont on a besoin à son ami, surtout si on
peut le rembourser d’une certaine manière, et cela ne fait pas de différence
que le remboursement porte sur la même chose ou sur une autre, comme il est dit
dans Éthique,
V. À bien plus forte raison est-il donc permis à
quelqu’un, bien qu’il soit en santé, de demander pour l’amour du Christ ce dont
il a besoin, surtout lorsqu’on peut rembourser au donateur par des prières et
par d’autres biens spirituels.
De même, il est permis de demander à
quelqu’un ce qui rend la condition du donateur meilleure du fait du don. Or,
par le fait que quelqu’un fait l’aumône, sa condition devient meilleure, car il
mérite ainsi une récompense éternelle. Il n’est donc pas défendu de demander
l’aumône.
De même, on ne peut subvenir aux
besoins des pauvres que si leur indigence est connue. Or, elle ne peut pas du
tout être connue à moins qu’ils n’expriment leurs besoins en demandant. S’il
est légitime à certains qui sont dans cette situation d’avoir besoin des biens
des autres pour leur subsistance, il est donc légitime qu’ils les demandent.
Or, il est légitime que certains, dans l’état de dénuement, se présentent au
nom du Christ, comme on l’a montré plus haut, et s’ils travaillaient de leurs
mains, il est inéluctable qu’ils aient besoin de beaucoup, comme le dit
Augustin dans le livre Sur le travail des moines. Il
est donc légitime de demander des aumônes.
En quatrième lieu, nous montrerons
maintenant qu’il faut donner des aumônes aux mendiants dont il a été question.
Premièrement, [nous le montrerons]
par ce qu’on lit en 3 Jn 5 : Très cher, tu agis fidèlement en
tout ce que tu fais pour les frères, bien que ce soient des étrangers, et il ajoute plus loin ceux dont il parle : C’est pour le nom
qu’ils se sont mis en route. La Glose [dit] : « Des
étrangers à leurs propres biens », et plus loin : « Nous devons
donc accueillir les gens de cette sorte. » La Glose [dit] :
« Jean avait tout abandonné, et il se compte au nombre des riches afin de
les rendre plus disponibles et empressés à secourir les pauvres. » Il est
donc louable de donner des aumônes à ceux qui vivent sans biens propres pour le
Christ.
De même,
Mt 10, 41 [dit] : Celui qui accueille un juste au
nom d’un juste – Glose : « Parce qu’on dit
qu’il est juste » ‑ recevra une récompense de juste. La Glose [dit] : « Quelqu’un dit : “Nous accueillons
donc un faux prophète et Judas, le traître ?” Prévoyant cela, le Seigneur
dit qu’il ne faut pas accueillir les personnes, mais les noms, et que celui qui
accueille ne manquera pas d’être récompensé, bien que celui qui est accueilli
soit indigne. » Il ressort ainsi clairement que des aumônes doivent être
données à ceux qui portent le nom de saints, même s’ils sont indignes.
De même, en Rm 15, 26,
Paul loue les Macédoniens et les Achaïens qui avaient été d’avis de faire une
collecte pour les pauvres parmi les saints. En cet endroit, la Glose dit :
« Ceux-là se vouèrent entièrement au service de Dieu, en ne tenant compte
de rien de ce monde : ils se donnaient en exemple de bon comportement pour
les croyants. Les Macédoniens et les Achaïens firent pour eux une collecte,
raison pour laquelle l’Apôtre invite les Romains à se comporter ainsi. »
Il ressort donc clairement que des aumônes doivent être données aux pauvres
dont il a été question.
De même, à propos de
2 Co 8, 14 : Que votre superflu pourvoie à leur dénuement, la Glose [dit] : « [Au dénuement] de ceux qui ont tout
abandonné du monde ». C’est donc la même conclusion que précédemment.
De même, à propos de
2 Th 3, 13 : Mais vous, frères, n’abandonnez pas ceux qui font du bien, la Glose [dit] : « Aux pauvres. » «Car, même s’ils
agissent, ils peuvent cependant faire défaut à certains. C’est pourquoi il
avertit ceux qui possédaient de quoi offrir le nécessaire aux serviteurs de
Dieu de ne pas se montrer paresseux. En effet, celui qui se montre bon en
donnant n’est pas sujet au reproche, mais celui qui, alors qu’il peut supporter
l’effort, veut mener une vie d’oisiveté. » Il ressort ainsi clairement
qu’il est louable de donner des aumônes aux serviteurs de Dieu, qu’ils
travaillent ou non, même s’ils sont répréhensibles parce qu’ils ne travaillent
pas.
De même, Jérôme [écrit] à
Vigilantius : « Et nous ne nions pas qu’il faille verser des aumônes
à tous les pauvres, même aux Juifs et aux Samaritains, s’il existe une telle
générosité. Or, l’Apôtre enseigne qu’il faut faire l’aumône à tous, mais
surtout aux proches par la foi, dont le Sauveur parlait aussi dans
l’évangile : Faites-vous des amis avec l’argent inique, afin qu’ils vous accueillent
dans des demeures éternelles (Lc 16, 9). Est-ce que
ces pauvres, dominés par un désir mauvais manifeste sous leurs vêtements et
dans la saleté de leurs corps, peuvent posséder des demeures éternelles, alors
qu’ils ne possèdent rien présentement ni à l’avenir ? En effet, ce ne sont
pas simplement les pauvres, mais les pauvres en esprit qui sont appelés
bienheureux. Il est dit à leur sujet : Bienheureux celui qui comprend le
pauvre et l’indigent (Ps 41[40], 2). Pour
subvenir aux pauvres du commun, l’intelligence n’est pas nécessaire, mais
l’aumône ; pour les pauvres saints, il existe une béatitude de
l’intelligence, afin qu’elle donne à celui qui rougit de recevoir et qui
éprouve de la douleur à avoir reçu, récoltant ainsi des biens charnels et
semant des biens spirituels. » Il ressort ainsi clairement qu’il est
meilleur de faire des aumônes aux saints pauvres qu’à tous les autres.
De même, à propos de
2 Co 9, 9 : Il a fait des largesses, il a donné aux pauvres, la Glose dit : « Si la récompense de celui qui fait des
largesses aux pauvres est grande, combien plus sera celle de celui qui s’occupe
des saints ? En effet, on peut appeler pauvres mêmes ceux qui sont mauvais.
» On a ainsi la même conclusion que précédemment.
De même, Jérôme, en commentant
l’épître aux Galates (Ga 6, 6), pour expliquer ceci : Que le disciple
partage, etc., dit : « À ceux qui sont
encore plus faibles, disciples et charnels, il ordonne que, de même qu’ils
récoltent des biens spirituels de leurs maîtres, de même ils donnent des biens
charnels à leurs maîtres, qui, en se livrant entièrement à l’enseignement et à
l’étude des réalités divines, ont besoin de ce qui est nécessaire pour
vivre. » Même à ceux qui ne travaillent pas corporellement, mais se
consacrent entièrement à l’étude des Écritures, des aumônes doivent donc être
données.
De même, Jérôme [écrit] à
Paulin : « Que penserais-tu d’avoir pour maître, plutôt qu’un moine,
quelqu’un qui te parle toujours ou souvent d’argent, mise à part l’aumône qui
doit être faite à tous ? » Il ressort ainsi clairement que l’aumône
doit être faite aux moines et à tous, et qu’il leur est permis de demander des
aumônes.
De même, dans le Décret, D. 42, c. 1, il est dit : « Si quelqu’un méprise
ceux qui offrent des agapes, c’est-à-dire des banquets, aux pauvres et y
invitent des frères pour l’honneur du Seigneur, mais ne veut pas prendre part à
ces invitations, en faisant peu de cas de ce qui est fait, qu’il soit
anathème ! » Il est donc clair qu’est anathème celui qui dit qu’il ne
faut pas distribuer d’aumônes aux pauvres qui en ont besoin.
De même, à propos de
Pr 21, 13 : Celui qui refuse d’écouter le cri du pauvre, celui-là
criera et on ne l’entendra pas, la Glose dit : « [Le
cri] du pauvre d’une manière générale, et non seulement de l’indigent ou de
celui qui est corporellement malade, car celui qui, ému par les fautes des
autres, ne veut pas faire preuve de compassion, mais préfère porter la décision
d’un juge, montre qu’il n’est pas encore purifié des impuretés des vices et
n’est pas digne d’être entendu par la miséricorde divine. » Il est donc clair
que des aumônes doivent être données aux pauvres, même s’ils sont en santé.
De même, à propos du psaume: Tu fais croître
l’herbe pour les bêtes, et les plantes à l’usage des hommes (Ps 104[103], 14), la Glose dit : « La
terre sera rassasiée en produisant de l’herbe, c’est-à-dire ses biens
temporels, pour les bêtes, c’est-à-dire pour les prédicateurs, afin que vivent
de l’évangile ceux qui annoncent l’évangile. Si la terre ne produit pas
d’herbe, c’est-à-dire des biens temporels, elle n’est pas irriguée mais
stérile, et si elle fait cela, son fruit l’est aussi. » Et plus
loin : « Des biens temporels sont dus aux prédicateurs qui
distribuent des biens spirituels, à propos de qui il est dit : Bienheureux celui qui
devance la voix de celui qui va demander. En
effet, il ne doit pas agir à l’égard du bœuf qui moud le blé comme à l’égard
d’un mendiant de passage, car tu donnes à ce mendiant parce qu’il est
dit : Donne à quiconque demande (Lc 6, 30),
mais tu dois donner à ce mendiant même s’il ne demande pas. » Et plus
loin : « À quiconque demande, et donc donne à tous, en reconnaissant
en lui celui à qui tu donnes ; mais bien plus encore, donne au serviteur
de Dieu qui milite pour le Christ, même s’il ne demande pas. » Il ressort
ainsi clairement que des aumônes doivent être données à tous les pauvres qui
les demandent, mais elles doivent être surtout données aux prédicateurs par
leurs auditeurs.
De même, à propos de
Lc 16, 9 : Faites-vous des amis avec l’argent inique, la Glose dit : « Pas n’importe quel pauvre, mais ceux qui
peuvent vous accueillir dans des demeures éternelles » Or, peuvent surtout
accueillir dans des demeures éternelles les pauvres pour le Christ, qui seront
aussi juges avec le Christ. C’est donc à eux surtout qu’il faut donner des
aumônes.
En dernier lieu, il reste maintenant
à répondre aux objections en sens contraire.
1. À la première objection, à savoir
que les dons aveuglent les yeux des sages, il faut répondre que les choses
temporelles peuvent être reçues de deux manières : d’une première manière,
afin d’augmenter et d’accumuler des richesses, et une telle acceptation de dons
vient de la cupidité qui aveugle les yeux du cœur et fait qu’on s’écarte de la
justice ; d’une seconde manière, pour ce qui est nécessaire en fait de
nourriture et de vêtement, et cette acceptation de dons ne comporte pas de
cupidité qui lui est jointe. Elle n’aveugle donc pas les yeux et ne fait donc
pas changer les paroles de justice. Et cette distinction est démontrée en
1 Tm 6, 8 : Contentons-nous d’avoir la nourriture et le vêtement. La Glose [dit] : « Car ceux qui veulent devenir riches
tombent dans la tentation et dans le piège du diable. »
2. À la deuxième objection, il faut
répondre qu’il existe un double esclavage : l’esclavage de la crainte et
celui de l’amour. Celui qui accepte des présents par cupidité est esclave de la
crainte, car ce qui est acquis par cupidité est possédé dans la crainte. Et les
serviteurs du Christ doivent être libres de cet esclavage,
Rm 8, 15 : Car vous n’avez pas reçu un Esprit de crainte pour retomber
dans la crainte. Mais celui qui reçoit des dons par
charité est esclave de l’amour, et les serviteurs du Christ ne sont pas libres
de cet esclavage. C’est ainsi que l’Apôtre dit en
2 Co 4, 5 : Nous ne prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus, le Christ,
notre Seigneur ; nous, nous sommes vos esclaves à cause de Jésus. Il ressort ainsi clairement que celui qui accepte des aumônes pour la
subsistance de son corps en vue d’accomplir une fonction de charité ne tombe
pas dans un esclavage qui serait indigne des serviteurs du Christ, mais dans
celui qui convient à tous les serviteurs du Christ.
3. À la troisième objection, il faut
répondre que donner est en soi plus louable que recevoir. Ainsi, même le
Philosophe dit, dans Éthique, IV, que l’acte de libéralité
consiste davantage à donner qu’à recevoir, bien que celui qui est libéral donne
et reçoive. Toutefois, rien n’empêche que l’acceptation soit meilleure en
raison de quelque chose qui est lui associé, et cela est par accident. Il faut
donc dire que si l’on ne considère chez le pauvre que la seule réception de
l’aumône, le riche qui donne l’aumône est plus heureux que le pauvre qui
reçoit. Mais il peut exister une raison de recevoir l’aumône qui fait que celui
qui reçoit est plus heureux que celui qui donne, par exemple, s’il s’est mis
pour le Christ en état de recevoir des aumônes, non pas comme celui qui est
forcé d’être pauvre, mais comme un pauvre volontaire. Aussi la Glose dit-elle
au même endroit : « Il ne place pas les riches qui font l’aumône
au-dessus de ceux qui, après avoir tout quitté, ont suivi le Seigneur, mais il
loue surtout ceux qui, en renonçant à tout ce qu’ils possèdent, travaillent néanmoins
de leurs mains pour avoir de quoi distribuer à celui qui souffre du
besoin. » Et sans aucun doute, cela est plus louable pour eux, pas moins
qu’il serait plus parfait de donner aux autres pour ceux qui s’adonnent à
d’autres occupations plus nécessaires, et même pour ceux qui pourraient
travailler sans être empêchés par de telles occupations, comme on l’a aussi dit
plus haut lorsqu’il était question du travail manuel. Toutefois, on ne doit pas
concéder que les religieux sont obligés à tout ce qui est plus parfait, mais
seulement à ce à quoi ils se sont astreints par vœu.
4. À la quatrième objection, il faut
répondre que l’Église n’est pas surchargée par le fait que ces [religieux]
vivent d’aumônes en se contentant de peu, mais en produisant beaucoup de fruits
dans l’Église. Au contraire, l’Église est de beaucoup allégée par cela, car ce
que d’autres font avec de grandes dépenses, en ne se contentant pas d’aussi
peu, est accompli par ces [religieux] à faible coût. Et rien n’est ainsi enlevé
aux pauvres par le fait que ces [religieux] vivent d’aumônes, car, sur leur
conseil et à leur incitation, beaucoup plus est donné aux pauvres que ce que
ces [religieux] reçoivent. Au surplus, ils ont eux-mêmes distribué aux pauvres
tout ce qu’ils avaient. Ainsi, ils ont apporté beaucoup plus de contributions
aux pauvres que ce qu’ils reçoivent en aumônes.
5. À la cinquième objection, il faut
répondre que ce décret est invoqué à contresens, ce qui ressort clairement de
ce que dit Gratien dans le paragraphe suivant : « À la vérité, il est
défendu par ces autorités que l’Église accueille, non pas ceux qui étaient
autrefois riches, mais ont tout quitté par la suite, comme Pierre, Matthieu et
Paul qui ont tout quitté, ou ont distribué [de leurs biens] aux pauvres, comme
Zachée, ou ont ajouté aux biens de l’Église, comme ceux qui, vendant leurs
propriétés, en déposaient le prix aux pieds des apôtres afin que tout soit
commun entre eux, mais ceux qui, demeurant dans les maisons de leurs parents ou
ne voulant pas abandonner leurs biens, désirent être nourris à même les biens
de l’Église. » Et il démontre cela dans les chapitres suivants.
6. À la sixième objection, il faut
répondre qu’Augustin parle de ceux qui s’abandonnent à l’oisiveté, qui ne
peuvent en rien être utiles à ceux qui les paissent. En effet, il est
nécessaire que ceux-là soient flattés pour se laisser paître, car il serait
pénible pour n’importe qui de les paître, à moins qu’ils n’attirent la faveur
du pasteur par des flatteries. Mais ceux qui sont menés paître pour le Christ,
dont les pasteurs espèrent des biens spirituels en retour des biens temporels
qui ont été généreusement accordés, il n’est pas nécessaire qu’ils soient
flattés, car il n’est pas donné à ceux-là en raison d’eux-mêmes, mais en raison
de Celui dont ils sont les serviteurs, qui est accueilli en eux, comme il est
dit en Mt 10, 40 : Celui qui vous accueille m’accueille. La Glose [dit] : « Car il n’accueille rien d’autre dans les
apôtres que ce qu’ils sont dans le Christ. » Il ressort ainsi clairement
que ceux qui deviennent pauvres, qui mendient et vivent d’aumônes à cause du
Christ, ne s’imposent pas la nécessité de flatter, mais qu’une plus grande
nécessité de flatter et de servir se trouve chez les riches qui doivent être
flattés par les dirigeants afin qu’ils accroissent et conservent la richesse.
C’est pourquoi Chrysostome dit, en commentant Matthieu : « Il est
inéluctable de flatter les soldats, les princes et les sujets, et d’avoir
besoin de beaucoup, de servir honteusement et de craindre, de soupçonner et de
craindre le regard de ceux qui soupçonnent, la bouche des calomniateurs et les
convoitises des avares. Mais la pauvreté n’est rien de tel, mais tout le
contraire. »
7. À la septième objection, il faut
répondre que même si recevoir n’est un acte de libéralité que dans la mesure où
il est orienté à donner, recevoir ce qui est nécessaire pour subsister est un
acte d’humilité chez ceux qui se sont tellement humiliés pour le Christ qu’ils
se sont soumis au dénuement. Or, cette vertu est plus éminente que la
libéralité.
8. À la huitième objection, il faut
répondre que, dans ce livre, Augustin fait des reproches aux moines qui
voulaient vivre d’aumônes, pour deux raisons : premièrement, en raison de
l’erreur dans laquelle ils étaient tombés, à savoir qu’ils disaient que travailler
de leurs mains était contraire au précepte évangélique qui se trouve en
Mt 6, 25 : Ne vous préoccupez pas de votre corps, etc. ; deuxièmement, parce qu’ils s’abstenaient de travailler de leurs
mains à cause de leur paresse, en fuyant la vie de travail où ils auraient
peiné dans le siècle. Aussi dit-il d’eux qu’« il ne convient d’aucune
manière que, dans cette vie où les sénateurs se mettent à travailler, les
artisans deviennent oisifs ». Mais il n’interdit pas que ceux qui avaient
eu dans le siècle des biens dont ils pouvaient vivre ou qui étaient occupés à
des fonctions ecclésiastiques, vivent d’aumônes, à l’exemple de ceux dont il
dit que tel était leur cas dans l’Église primitive à Jérusalem. Et cela est
manifestement clair pour celui qui examine attentivement les paroles de ce
livre. Et bien que, s’ils ne prêchent pas, ils n’aient pas le pouvoir de vivre
de l’évangile, comme des ouvriers du salaire de leur travail, il ne leur est
cependant pas interdit de vivre d’aumônes comme des pauvres. « En effet,
on fait l’aumône au pauvre d’une autre façon qu’au prédicateur », comme
dit la Glose à propos du Ps 114[113], 14 : Il fait croître
l’herbe pour les bêtes.
9. À la neuvième objection, il faut
répondre qu’il n’est pas contradictoire que ce qui est donné à quelqu’un à
titre de salaire soit donné à un autre gratuitement et de manière
miséricordieuse. Ainsi, la subsistance qui est fournie aux prédicateurs comme
le juste salaire de leur travail peut être donnée à tous les pauvres de manière
méritoire, non pas comme un juste salaire, mais comme une aide caritative.
10. À la dixième objection, il faut
répondre qu’un plus grand tort découlait de la prédication des faux apôtres à
qui l’Apôtre enlevait l’occasion de prêcher en ne vivant pas aux frais des
fidèles, puisqu’ils prêchaient des choses contraires à la foi, que du fait que
l’Apôtre se plie au travail manuel en vivant de son propre travail. Mais
maintenant, c’est l’inverse, car les fidèles de l’Église progressent davantage
par le fait que certains donnent l’exemple de l’humilité en vivant volontairement
dans la pauvreté et la mendicité à cause du Christ et, en s’abstenant de
travail manuel, en s’occupant de ce qui se rapporte au salut des âmes, qu’un
tort n’est causé par le fait que certains veulent vivre d’aumônes d’une manière
honteuse. C’est pourquoi les pauvres du Christ ne doivent pas cesser de vivre
d’aumônes afin d’enlever une occasion aux autres.
11. À la onzième objection, il faut
répondre que, de même que c’était la coutume chez les Juifs que des aides pour
vivre soient fournies par d’autres aux docteurs, de même cela est devenu une
coutume chez tous les fidèles, après la divulgation de la doctrine évangélique
qui ordonnait cela. De sorte que, même si, au point de départ de la conversion
des païens, alors que cela n’était pas la coutume chez les païens, l’Apôtre
s’abstenait de recevoir des contributions en raison du scandale, maintenant ce
scandale n’est cependant pas à craindre, surtout chez ceux qui se contentent de
peu pour la nourriture et le vêtement, ce par quoi beaucoup plus nombreux sont
ceux qui sont édifiés que ceux qui sont scandalisés. En effet, ceux qui se
scandalisent de cela s’induisent eux-mêmes au scandale des pharisiens, que le
Seigneur ordonne de dédaigner en Mt 15, 12‑14. Il en irait
autrement s’ils recevaient l’aumône non seulement pour ce qui est nécessaire à
la vie, mais pour vivre somptueusement ou pour accumuler des richesses.
12. À la douzième objection, il faut
répondre qu’on pourrait prouver par le même argument que la virginité n’est pas
bonne, car Jérôme dit ceci contre Vigilantius qui lui opposait le même
argument : « Si tous étaient vierges, il n’y aurait plus de noces, et
le genre humain disparaîtrait», et plus loin : « Rare est la vertu et
elle n’est pas désirée par un grand nombre ; puissent tous ceux-là faire
partie du petit nombre dont il est dit : Beaucoup sont appelés, mais peu
sont élus (Mt 20, 18 et
22, 14). » La réponse à l’objection rappelée est donc claire :
les actes de la perfection sont tellement difficiles que peu peuvent s’y
adonner, et il ne faut donc pas craindre que le monde disparaisse parce que
tous s’y adonnent.
13. À la treizième objection, il
faut répondre que, dans ces paroles, l’aumône n’est pas entendue au sens de
tout ce qui n’est pas acquis par le travail manuel, qu’on l’ait obtenu à titre
de patrimoine ou de quelconques revenus. C’est pourquoi, après les mots invoqués,
suit : « On louange non seulement ceux qui assurent eux-mêmes leur
subsistance, par les biens de leurs parents, par le travail de leurs serviteurs
ou par les revenus de leur argent, mais sans aucun doute aussi les rois de ce
monde qui subsistent grâce à l’agape[32], c’est-à-dire à l’aumône. En effet, tout ce que nous prenons comme
nécessaire à la subsistance quotidienne, et qui n’est pas le résultat et le
produit du travail de nos mains, les pères ont estimé qu’il fallait le mettre
en rapport avec l’agape. » Il ressort ainsi clairement
qu’il ne parle pas d’une nourriture peccamineuse, autrement tous ceux qui, en
utilisant leurs propres biens pour vivre ne travaillent pas de leurs mains,
pécheraient sans exception. Mais il parle de la nourriture de la perfection qui
consiste en ce que l’homme distribue ses biens aux pauvres et applique son
corps au travail manuel, exercice corporel auquel est préférée, selon l’Apôtre,
une oeuvre de piété, tel que prêcher, enseigner et toutes les choses de ce
genre.
14. À la quatorzième objection, il
faut répondre que Jérôme parle de lui-même, comme cela est clair pour qui
examine sa lettre, dans l’état où il menait une vie solitaire dans le désert,
alors qu’il n’enseignait ni ne prêchait. Et cependant, on ne peut conclure
qu’il faisait cela en vertu d’un commandement, mais de sa propre volonté, à
moins peut-être qu’il n’ait été obligé de travailler de ses mains selon les
statuts des ermites.
À ce par quoi les [adversaires]
s’efforcent de montrer qu’il n’est pas permis de demander des aumônes en
mendiant, il faut répondre de cette manière.
1. À la première objection, il faut
donc répondre que lorsqu’on dit : « Il n’y aura aucun indigent ni
mendiant parmi vous », il n’est pas interdit que quelqu’un prenne l’état
de pauvreté ou de mendicité, mais qu’il ne soit pas délaissé par les autres au
point de tomber dans l’état où il lui faille mendier par nécessité. Et cela est
clair par ce qui précède (Dt 15, 3) : Tu n’auras pas le
pouvoir de réclamer à un concitoyen et à un proche. La
Glose dit en cet endroit : « Bien que tous me soient proches, la
miséricorde doit cependant être surtout montrée à ceux qui sont les membres du
Christ avec nous. » Il ressort ainsi clairement que c’est la miséricorde
qui est ordonnée en cet endroit, et que la mendicité n’est pas interdite.
2. À la deuxième objection, il faut
répondre que la Glose interprète cela du pain spirituel. Elle dit donc :
« Je n’ai pas vu de juste abandonné par Dieu, ni sa descendance chercher
son pain spirituel, c’est-à-dire manquer du pain de la parole de Dieu, car la parole
de Dieu est toujours avec lui. » Cependant, si on l’interprète du pain
matériel, il faut comprendre que les justes ne cherchent pas leur pain par
nécessité parce qu’ils sont abandonnés de Dieu, puisqu’il est dit en
He 13, 5 : Je ne te délaisserai pas ni ne t’abandonnerai. Il n’est toutefois pas exclu que ceux qui sont justes puissent
s’exposer volontairement à la pauvreté pour le Christ, ce qui peut-être ne
s’était cependant pas encore produit à l’époque du Psalmiste, car les actes de
perfection étaient réservés pour le temps de la grâce.
3. À la troisième objection, il faut
répondre qu’il n’est pas contradictoire que ce qui est infligé à quelqu’un à
titre de peine se change en justice lorsque cela est assumé par un autre
volontairement, comme lorsque certains sont dépouillés de leurs biens en raison
des crimes qu’ils commettent et que, cependant, il relève de la perfection de
la justice que quelqu’un se dépouille de ses propres biens pour le Christ.
Pareillement, rien n’empêche que la mendicité, bien qu’elle soit suscitée par
Dieu contre certains malfaisants à titre de peine, relève de la perfection de
la justice si elle est volontairement assumée pour le Christ.
4. À la quatrième objection, il faut
répondre que, par cette glose, il est interdit que quelqu’un demande par
cupidité, autrement la glose ne serait pas d’accord avec le texte. En effet,
dans le texte, il est dit : Afin que vous ne désiriez rien qui appartient à un autre (1 Th 4, 11). Or, ce ne sont pas ceux qui demandent ce
qui est nécessaire pour se nourrir et se vêtir qui recherchent avec cupidité,
mais ceux qui recherchent plus que cela afin de pouvoir devenir riches, comme
cela ressort clairement de ce qui est dit en 1 Tm 6, 9, tel
qu’on l’a dit plus haut.
5. À la cinquième objection, il faut
répondre qu’il y a une double mendicité : forcée et volontaire. La
mendicité forcée, parce qu’elle est contraire à la volonté, comporte un risque
d’impatience ; mais la mendicité volontaire, qui ne vient pas de la
cupidité, comme on l’a dit, comporte le mérite de l’humilité. C’est pourquoi la
glose d’Augustin n’interdit pas par ces paroles la mendicité volontaire, mais
elle enseigne que l’occasion de la mendicité forcée doit être évitée par les
pauvres du Christ alors qu’ils travaillent de leurs mains, ce qui est clair du
fait qu’il dit : « Afin qu’ils ne soient forcés par le dénuement,
etc. »
6. À la sixième objection, il faut
répondre que Jérôme parle de la demande et de l’acceptation de ce qui dépasse
ce qui est nécessaire pour se nourrir, ce qui est clair du fait qu’il parle au
prêtre Népotien qui avait été suffisamment pourvu en biens du monde pour
assurer sa subsistance. Il ressort donc clairement que l’objection ne porte pas
sur la question en cause.
7. À la septième objection, il faut
répondre que cette loi parle des mendiants en santé qui ne contribuaient en
rien au bien de la communauté, mais qui, vivant dans l’oisiveté,
s’appropriaient ce qui était dû aux autres pauvres, ce qui ressort clairement
du fait que la loi les appelle improductifs, comme sont les goliards et les
autres qui leur ressemblent, qui cherchent leur nourriture auprès de tous, tout
en vivant dans l’oisiveté, ce qui ne peut être retourné contre les religieux
que par pure absurdité. Cependant, il n’est pas nécessaire que le péché soit
plus grave pour qu’on le punisse plus gravement, car les peines sont infligées
aux pécheurs non seulement pour compenser la faute, mais aussi en vue de la correction
de celui qui a péché ou des autres. C’est pourquoi quelqu’un est parfois plus
gravement puni pour un péché moindre lorsque les hommes inclinent plus vers ce
péché, afin qu’ils en soient retenus par la crainte de la peine. Or, le chapitre
invoqué parle de la peine qui est donnée seulement pour compenser le péché.
8. À la huitième objection, il faut
répondre que ceux dont parle Augustin ne demandaient pas seulement ce qui était
nécessaire pour se nourrir, mais quelque chose de plus afin d’accumuler des
richesses, et ils ne possédaient pas une véritable sainteté, mais [une sainteté]
simulée. Cela ressort clairement du fait qu’il dit qu’« ils exigeaient les
frais d’un coûteux dénuement ou le prix d’une sainteté simulée ». Et cela
était sans aucun doute répréhensible.
9. À la neuvième objection, il faut
répondre qu’on n’a pas toujours honte de ce qui est laid. Or, ce qui est laid
s’oppose à ce qui est beau. C’est pourquoi il faut comprendre la distinction
entre ce qui est laid et la honte selon la différence dans ce qui est beau. En
effet, il existe une double beauté. L’une spirituelle, qui consiste dans la
disposition appropriée de l’âme et l’abondance des biens spirituels ;
ainsi, tout ce qui vient d’un manque de bien spirituel ou montre un désordre
intérieur comporte de la laideur. L’autre [beauté] est extérieure, qui consiste
dans la disposition corporelle appropriée et l’abondance de biens extérieurs
qui sont ordonnés au corps ; en sens contraire, le désordre du corps ou le
manque de biens temporels comporte une certaine laideur. Et de même que les
deux beautés donnent du plaisir et sont désirées, de même les deux laideurs
engendrent-elles une honte. En effet, quelqu’un a honte du fait qu’il est
pauvre ou du fait qu’il a une difformité corporelle, et même du fait qu’il est
ignorant ou a montré un comportement désordonné. Parce que la laideur
intérieure est toujours répréhensible, il faut donc condamner la honte qui
vient de la laideur en question. Et on ne peut arguer de la confession des
péchés, car le pénitent n’a pas honte de la confession, mais du péché que la
confession dévoile. Mais les défauts ou la laideur extérieurs ne comptent pas
pour les saints, et parfois ils sont assumés par recherche de la perfection à
cause du Christ. C’est pourquoi ce qui comporte une honte en raison de cette
laideur ne doit pas toujours être condamné, bien plus, cela doit être au plus
haut point loué lorsque cela est assumé par humilité. Or, mendier comporte une
honte qui correspond à cette seconde laideur, car tout mendiant se montre
pauvre et se soumet d’une certaine manière à celui auprès de qui il mendie,
comportements qui se rapportent à un défaut extérieur. C’est pourquoi la
mendicité assumée à cause du Christ non seulement ne doit pas être condamnée,
mais louée au plus haut point.
10. À la dixième objection, il faut
répondre que celui à qui une aumône est demandée ne doit pas être ennuyé si
elle lui est demandée de manière ordonnée. C’est pourquoi, lorsque quelqu’un
demande l’aumône de manière ordonnée, à savoir pour ce qui est nécessaire à sa
subsistance, celui qui demande n’est pas coupable, mais celui qui donne pour
écarter l’ennui. Mais si elle est demandée de manière désordonnée, celui qui
demande pèche aussi.
À ce par quoi [leurs adversaires]
s’efforcent de montrer que les religieux qui prêchent ne peuvent vivre
d’aumônes ou demander des aumônes, il faut ensuite répondre en suivant l’ordre.
1. À la première objection, il faut
donc répondre que, bien que ceux qui prêchent vivent d’aumônes, il n’en découle
pas qu’ils flattent. En effet, bien que ceux qui prêchent sans flatterie ne
soient pas bien vus des méchants, qui sont appelés hommes et charnels, ils sont
cependant bien vus des bons. C’est pourquoi, s’ils prêchent sans flatterie, ils
sont parfois forcés de subir de nombreux manques, à savoir, lorsqu’ils tombent
sur ceux dont ils ne peuvent être bien vus sans flatterie, et parfois ils ne
connaissent pas le dénuement, lorsqu’ils tombent sur ceux dont il sont bien vus
sans flatterie. C’est pourquoi le Christ lui-même parfois ne pouvait pas être
hébergé, et parfois il était invité par un grand nombre, et les femmes qui le
suivaient le servaient à même leurs biens, comme il est dit en
Lc 8, 3. De même aussi, les apôtres eux-mêmes supportaient parfois de
nombreux dénuements, et parfois ils connaissaient l’abondance, en se comportant
modestement dans les deux cas, Ph 4, 12 : Je sais supporter
l’abondance comme le dénuement. Et les prédicateurs pauvres de
notre époque connaissent aussi d’expérience ces vicissitudes.
2. À la deuxième objection, il faut
répondre que les prédicateurs qui demandent des aumônes ne font pas quelque
chose qui est une occasion d’avarice : en effet, l’avarice consiste dans
le désir immodéré de posséder, mais vouloir avoir ce qui est nécessaire pour se
nourrir et se vêtir n’est pas immodéré, 1 Tm 6, 8 : Nous nous contentons
d’avoir de la nourriture et de quoi nous vêtir. Ainsi,
les pauvres qui demandent ce qui est nécessaire pour se nourrir et se vêtir, et
pour les autres choses qu’une vie humaine exige, ne sont pas dans une occasion
d’avarice.
3. À la troisième objection, il faut
répondre que les prédicateurs ne doivent pas demander des biens temporels comme
si c’était leur intention principale, en en faisant pour ainsi dire leur fin.
Ils peuvent cependant rechercher des biens temporels de manière secondaire,
afin d’assurer leur subsistance en vue de prêcher l’évangile, ce qu’il doivent
rechercher en premier lieu. À propos de Mt 6, 33 : Cherchez d’abord le
royaume de Dieu et sa justice, la Glose dit : « Il
montre ici explicitement que ces choses ne doivent pas être demandées comme si
elles étaient nos biens, même si elles sont nécessaires ; mais le royaume
de Dieu doit être recherché et il faut en faire notre fin pour laquelle nous
ferons tout, par exemple, nous mangerons afin d’évangéliser, et nous
n’évangéliserons pas afin de manger. »
4. À la quatrième objection, il faut
répondre que, comme on l’a montré plus haut, les contributions que les
prédicateurs reçoivent leur sont dues à titre de salaire. Or, un salaire est dû
au travailleur de deux manières. D’une manière, à titre de dû en vertu de la
justice légale, comme lorsqu’une entente intervient entre un travailleur et
celui pour qui il travaille, de sorte que le travailleur peut forcer l’autre à
l’acquitter. D’une autre manière, en vertu d’une justice nuancée d’amitié,
comme lorsque quelqu’un, par amitié, en sert un autre par son travail, il lui
est dû que l’autre le rembourse à sa façon, bien qu’il ne pourrait le forcer en
vertu d’un jugement. En effet, le Philosophe fait une distinction entre ces
deux justices dans Éthique, VIII. Je dis donc que, lorsqu’un
prélat est mis à la tête d’une communauté, les subordonnés entretiennent avec
lui des liens tels qu’ils peuvent demander des biens spirituels au prélat, et
les prélats des biens temporels aux subordonnés. Mais les subordonnés ne
peuvent exiger des biens spirituels de ceux qui ne sont pas prélats, et, en
sens inverse, ceux-ci ne peuvent les forcer à acquitter des biens temporels,
bien qu’ils sèment des biens spirituels avec la permission des prélats, sauf
peut-être s’ils ont été établis comme vicaires des prélats en tout. Il est donc
clair que les pauvres qui ne dispensent rien du tout reçoivent des
contributions des fidèles d’une manière différente des religieux ‑, qui
ne sont pas prélats, mais qui prêchent avec la permission des prélats ‑,
et des prélats. Les autres pauvres reçoivent en effet d’une manière totalement
gratuite : aussi trouve-t-on chez eux la mendicité pure. Mais les
prédicateurs qui ne sont pas prélats reçoivent à titre de salaire qui leur est
dû : ils ont donc un pouvoir de recevoir, bien qu’il ne soit pas
coercitif. Mais les prélats ont aussi un pouvoir coercitif. Toutefois, si celui
qui peut recevoir quelque chose en vertu d’un pouvoir demande quelque chose,
non pas comme s’il s’agissait d’une dette, mais comme quelque chose de
totalement gratuit, il ne fait de tort à personne, mais il fait preuve d’une
humilité louable.
5. À la cinquième objection, il faut
répondre que l’Apôtre voulait montrer que lui-même pouvait recevoir des
contributions des fidèles pour la raison que les autres apôtres en recevaient.
C’est pourquoi, afin de montrer qu’il avait le même pouvoir, il montre d’abord
qu’il est apôtre, comme l’étaient les autres apôtres.
6. À la sixième objection, il faut
répondre que les faux apôtres s’appropriaient indûment les contributions des
fidèles d’une triple manière : premièrement, parce qu’ils prêchaient des
choses fausses et contraires à la doctrine évangélique, comme cela ressort clairement
de la Glose qui applique aux faux apôtres ce qui est dit en
Rm 16, 17 : Nous vous demandons, frères, etc. : « Qui forçaient les croyants à judaïser»; deuxièmement, parce
qu’ils prêchaient, alors qu’ils n’avaient pas été envoyés par les vrais
apôtres, raison pour laquelle l’Apôtre les appelle, en Ga 2, 4, des
« intrus »; troisièmement, parce qu’ils exigeaient en vertu de leur
autorité, comme s’ils étaient des apôtres. Et ces trois choses manquent dans ce
qui est en question. L’argument ne vaut donc pas.
7. À la septième objection, il faut
répondre que les religieux prédicateurs dont il est question demandent ce qui
leur est dû selon le second mode de justice, car la dette correspond à la
justice. Mais ils sont plus louables en cela qu’ils demandant à titre gratuit
ce qui leur est dû.
8. À la huitième objection, il faut
répondre que les prélats qui reçoivent du peuple des dîmes ou des offrandes,
même s’ils acquittent par eux-mêmes ce qu’ils doivent de la manière appropriée
en semant des biens spirituels, peuvent cependant avoir d’autres collaborateurs
pour une plus grande utilité du peuple. Aussi aucun tort n’est-il fait au
peuple s’ils recueillent plus de leurs biens temporels que ce qui a été
déterminé, du fait qu’il lui est aussi
versé plus de biens spirituels que ce à quoi les prélats sont tenus, et surtout
du fait que cela n’est pas reçu en vertu d’un pouvoir, mais est demandé par
charité et avec humilité.
9. À la neuvième objection, il faut
répondre que chacun peut renoncer à ce qui lui est dû. Ainsi, même si les
prélats sont obligés de pourvoir à ceux qu’ils envoient prêcher, ceux qui sont
envoyés peuvent néanmoins renoncer à ce qui leur est ainsi dû. Toutefois,
aucune charge n’est imposée à ceux vers qui ils sont envoyés, puisqu’ils ne
leur demandent pas plus que ce qui est nécessaire pour se nourrir, et qu’ils
n’exigent même pas cela de manière coercitive, mais par charité, selon que
chacun en aura disposé dans son cœur, en imitant ainsi l’exemple de l’Apôtre,
2 Co 8, 7‑9.
10. À la dixième objection, il faut
répondre que des reproches sont adressés aux hypocrites par le Seigneur parce
que, par la prière et les autres choses qu’ils faisaient de manière
superstitieuse, ils ne visaient que le profit. C’est ainsi que la Glose dit, en
cet endroit : « Malheur à vous, scribes et pharisiens, qui, en raison
de votre superstition, ne visez rien d’autre qu’à dépouiller le peuple qui vous
est soumis. » Mais il est téméraire de porter un tel jugement sur
quelqu’un, puisqu’il concerne l’intention du cœur.
11. À la onzième objection, il faut
répondre que les prédicateurs ne doivent pas aller vers les personnes de
mauvaise réputation, de sorte que la mauvaise renommée de celles-ci puisse être
reprochée aux prédicateurs. En effet, la prédication finirait par être méprisée
parce que, comme le dit Grégoire, « celui dont la vie est méprisée verra
en conséquence sa prédication méprisée ». Et ainsi parle la glose
invoquée. Mais s’ils vont vers les pécheurs de manière que le comportement de
ceux-ci s’améliore et que la réputation [des prédicateurs] ne soit pas
entachée, cela est louable, car on lit que c’est ce qu’a fait le Seigneur.
Ainsi, en Mt 9, 11 : Voyant cela, les pharisiens
disaient à ses disciples : «Pourquoi votre maître mange-t-il avec les
publicains et les pécheurs ? ». Et la
Glose dit, à cet endroit : « Le Seigneur donne ainsi aux siens un
exemple de miséricorde. » Toutefois, si ceux vers lesquels ils vont ne
considèrent pas cela comme une faveur à leur endroit, c’est leur faute, et non
celle de ceux qui vont vers eux.
12. À la douzième objection, il faut
répondre que ceux qui évangélisent, même s’ils reçoivent de ceux à qui ils
prêchent ce qui est nécessaire pour vivre, ne vendent cependant pas l’évangile,
car leur intention ultime ne porte pas sur ce qu’ils reçoivent, comme on l’a
dit plus haut. Aussi, à propos de 1 Tm 5, 17 : Les presbytres qui
exercent bien la présidence, etc., la
Glose dit-elle : « Les bons et fidèles intendants ne doivent pas
seulement être récompensés par un honneur sublime, mais aussi par [un honneur]
terrestre afin de ne pas être attristés. » Et plus loin : « Il
relève de la nécessité de recevoir de quoi vivre, et de la charité de le
donner. Toutefois, l’évangile n’est pas vénal, au point d’être prêché pour ces
[biens] ; en effet, si on vend ainsi une grande réalité, on la vend à vil
prix. Qu’ils reçoivent donc du peuple ce qui est nécessaire à leur subsistance,
mais du Seigneur la récompense de leur intendance. En effet, le peuple ne donne
pas à ceux qui le servent dans la charité de l’évangile comme un revenu – pour
lequel on se donnerait comme fin de le servir ‑, mais un salaire est
donné par lequel ils sont entretenus afin de pouvoir travailler. »
13. À la treizième objection, il
faut répondre que, bien qu’il ait pu y avoir apparence de mal pour les païens
auxquels la foi était prêchée, parce qu’ils n’étaient pas habitués à cela,
comme on l’a dit plus haut, il n’existe cependant pas maintenant d’apparence de
mal, après la divulgation de la doctrine évangélique qui a établi que cela
était dû à ceux qui évangélisent, et surtout à ceux qui ne sont pas à la
recherche du superflu mais du nécessaire, et dont il est clair qu’ils ne
s’exposent pas aux labeurs de l’évangile afin de s’enrichir, puisque ce que
ceux qui évangélisent reçoivent est beaucoup moins que ce qu’ils ont quitté
dans le siècle pour le Christ.
À ce par quoi [leurs adversaires]
s’efforcent de montrer qu’il ne faut pas donner d’aumônes à ces [prédicateurs],
il faut maintenant répondre en suivant l’ordre.
1. À la première objection, il faut
répondre que lorsque [la Glose] dit : « Invite les pauvres dont tu ne
peux rien attendre », il faut comprendre que l’intention d’une récompense
dans le présent est écartée, mais non la possibilité qu’elle se produise,
puisqu’il n’existe aucun pauvre qui ne puisse aider quelqu’un dans le présent,
si l’occasion se présente. Qu’il faille l’entendre ainsi, cela ressort
clairement de la Glose qui dit en cet endroit : « Si tu as
l’intention d’inviter afin qu’ils t’invitent, tu peux là te tromper. » Il
ne faut cependant pas comprendre que sera toujours dépourvu de récompense
éternelle celui qui invite des riches et des amis à un banquet, puisque cela
peut aussi parfois venir de la charité et être fait pour Dieu. Aussi la Glose
dit-elle en cet endroit : « Celui qui invite des pauvres recevra sa
récompense dans l’avenir ; celui qui invite ses frères et des riches
reçoit [présentement] sa récompense. Mais si, à l’exemple des fils de Job, il
fait cela pour Dieu, comme les autres services de l’amour fraternel, Celui-là
qui l’a ordonné donne la récompense. » Il ne faut cependant pas comprendre
que si des frères et des familiers sont invités en raison de la seule
familiarité, cela est un péché, bien que cela soit dépourvu de mérite éternel.
Aussi la Glose dit-elle en cet endroit : « Il n’interdit pas comme un
crime que les frères, les amis et les riches célèbrent des banquets les uns
pour les autres, mais il montre que cela n’a aucune valeur pour les récompenses
de la vie [éternelle]. »
2. À la deuxième objection, il faut
répondre que la parole d’Augustin doit s’entendre du cas dont parle le Sage,
Si 12, 4 : Donne à celui qui est miséricordieux, et n’accueille pas le
pécheur, à propos de quoi la Glose dit :
« N’aie pas de relations avec les pécheurs en tant que pécheurs, comme
ceux qui nourrissent des acteurs, alors que les pauvres du Christ ont
faim. » Mais celui qui donne à l’indigent pécheur, non pas parce qu’il est
pécheur, mais parce qu’il est un homme, ne nourrit pas un pécheur mais un
juste, car il n’aime pas la faute mais la nature. Aussi, lorsqu’une aumône est
faite à quelqu’un en tant qu’il est pécheur ou pour qu’il devienne pécheur,
celle-ci devrait plutôt lui être enlevée. Il n’en découle cependant pas qu’il
ne faille pas donner d’aumônes aux pauvres du Christ qui ne travaillent pas de
leurs mains, car ils n’encourent pas d’injustice du fait qu’ils ne pèchent pas
en ne travaillant pas, comme on l’a montré plus haut. Et même s’ils étaient des
pécheurs, on ne leur donnerait pas parce qu’ils sont des pécheurs, mais parce
qu’ils sont dans le besoin.
3. À la troisième objection, il faut
répondre que, à celui qui demande de manière désordonnée, la chose demandée ne
doit pas être donnée, mais une correction ; mais, à celui qui demande de
manière ordonnée, il faut donner la chose demandée, si cela est possible. Aussi
Grégoire dit-il dans les Morales, XXI, à propos de ce passage de
Job : Si j’ai refusé aux pauvres ce qu’ils voulaient (Jb 31, 16) : « Par ces paroles, il est montré que
le saint homme a secouru non seulement le dénuement des pauvres, mais aussi
leur désir de posséder. Mais qu’arrive-t-il si les pauvres veulent cela même
qu’il ne convient peut-être pas de recevoir ? Est-ce que, parce que, dans
la Sainte Écriture, on a coutume de dire que les pauvres sont humbles, il faut
estimer que les pauvres ne doivent recevoir que ce qu’ils veulent recevoir en
le demandant humblement ? Et sans doute faut-il que soit donné sans hésitation
tout ce qui est demandé avec humilité, c’est-à-dire ce qui est demandé non par
désir, mais par nécessité, car c’est faire par trop preuve d’orgueil que de
désirer quelque chose qui dépasse les bornes du besoin. » Il est donc
clair qu’il faut indubitablement donner le nécessaire à ceux qui demandent,
mais qu’il faut donner une correction à ceux qui demandent en vue du superflu.
4. À la quatrième objection, il faut
répondre qu’il faut retenir l’aumône comme châtiment pour ceux qui la demandent
lorsqu’ils prennent manifestement occasion d’injustice du fait de ce qui est
reçu ; toutefois, il ne faut pas alors la retenir de telle manière qu’on
ne leur vienne pas en aide en cas d’extrême nécessité. Or, les religieux
pauvres n’abusent pas des aumônes reçues pour commettre une injustice, mais ils
sont aidés par elles à poser des actes de justice. L’argument ne porte donc
pas.
5. À la cinquième objection, il faut
répondre qu’Ambroise ne dit pas qu’il faut prendre en considération, chez ceux
à qui l’aumône est donnée, la faiblesse corporelle et la honte comme des motifs
de donner, car la raison de donner est le dénuement de celui à qui on donne,
mais comme des raisons pour lesquelles on doit leur donner davantage. Il n’en
découle donc pas qu’il ne faut pas donner à ceux qui ne sont pas faibles ou à
ceux qui n’ont pas honte, mais qu’il faut donner davantage aux faibles et à
ceux qui ont honte, toutes choses étant égales, car les deux raisons
mentionnées ne sont pas les seules qui doivent pousser à donner davantage, mais
plusieurs autres, telles que la bonté d’une personne, sa proximité, son
dénuement et plusieurs choses de ce genre. Toutefois, la honte de recevoir
n’existe pas seulement chez ceux qui ont perdu leurs biens par la violence,
mais aussi chez ceux qui [les] ont volontairement abandonnés pour le Christ,
puisque parfois les deux comptent un nombre égal d’hommes libres de naissance
que la honte trahit, bien que les pauvres volontaires soumettent peut-être
davantage leur honte à la raison, comme c’est le cas pour les autres passions.
6. À la sixième objection, il faut
répondre que, puisqu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles l’aumône doit
être donnée à l’un plutôt qu’à l’autre, comme on l’a dit, on ne peut conclure
de manière absolue à partir d’une seule raison que l’aumône doit être toujours donnée
à un tel, par exemple, qu’elle doit toujours être plutôt donnée au plus
indigent. Ainsi, si les autres conditions l’emportaient chez un autre moins
indigent, c’est plutôt à lui qu’il faudrait la donner. Or, parmi toutes les
raisons, la plus contraignante est ce qui est dû, comme le dit le Philosophe
dans Éthique,
IX, car nous devons plutôt rendre ce qui est dû que
faire une faveur, à moins que les conditions ne l’emportent de beaucoup par
ailleurs, comme il est dit au même endroit. Comme ce qui est nécessaire pour
vivre est dû à ceux qui prêchent au titre d’une sorte de salaire, comme on l’a
dit plus haut, les aumônes doivent leur être faites de préférence, surtout
s’ils sont dans le besoin, à moins que les autres conditions ne l’emportent de
beaucoup par ailleurs.
7. À la septième objection, il faut
répondre que, de même qu’il existe une double béatitude, la spirituelle et la
temporelle, de même il existe une double misère, la temporelle et la
spirituelle. Comme les pauvres volontaires ne sont pas misérables d’une misère
spirituelle, qui est purement et simplement misère puisque le Seigneur les
appelle bienheureux, Mt 5, 3 et Lc 6, 20, ils peuvent
cependant être soumis à la misère temporelle. Il faut donc leur manifester de
la miséricorde pour ce qui est du temporel.
8. À la huitième objection, il faut
répondre que la proximité est l'une des conditions pour lesquelles il faut
donner davantage à quelqu’un, mais elle n’est cependant pas la seule. C’est pourquoi
il n’est pas nécessaire de toujours donner davantage à ceux qui sont plus
proches, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit.
Il faut maintenant en venir à
réfuter ce que les malintentionnés dont il a été question mettent de l’avant
pour diffamer les religieux. Cela vient de leur présomption, car, comme le dit
Grégoire dans les Morales, IV, «un homme saint ne doit
jamais avoir l’audace de corriger une négligence, que s’il a d’abord une
meilleure opinion de lui-même ». Aussi Jérôme parle-t-il ainsi à Fabianus,
à propos de cette question : « Ne semble pas être seul à te tromper
en faisant semblant d’affirmer des choses abominables à propos des serviteurs
de Dieu, sans savoir que tu exprimes l’iniquité devant le Très-Haut et que tu
déblatères contre le ciel. Et ce n’est pas étonnant que n’importe quel
serviteur du Seigneur soit blasphémé puisque tes pères ont appelé Béelzébuth
leur ancêtre. »
Et pour qu’il ne manque rien à leur malice,
ils mettent sens dessus dessous le jugement, à savoir, en jugeant mal des
choses et en jugeant mal des personnes. Une distinction est faite entre ces
deux renversements de jugement dans la Glose qui dit, à propos de
1 Co 4, 5 : Ne jugez pas avant le temps : « Il faut éviter de nous tromper en raison d’une funeste
opinion : bien que nous ne puissions pas pénétrer la conscience des
hommes, nous avons néanmoins un jugement vrai et certain à propos des choses
elles-mêmes. Ainsi, nous ne savons pas si tel ou tel homme est impudique ou
pudique, juste ou injuste, mais nous haïrons cependant l’impudicité et
l’injustice, et nous aimerons la pudeur et la justice, et nous verrons dans la
vérité de Dieu qu’il faut désirer celles-ci et éviter celles-là. Et lorsque
nous désirons ce qui doit être désiré parmi ces choses et évitons ce qui doit
être évité, que nous soyons excusés de ne pas parfois ni même souvent avoir un
jugement vrai à propos des hommes. » Mais puisque la fausseté du jugement
à propos des choses est plus funeste, comme on le lit au même endroit dans la
Glose, en allant au-devant de la maladie la plus dangereuse, voyons d’abord
comment [les adversaires] mettent sens dessus dessous le jugement à propos des
choses, et ensuite comment [ils le font] à propos des personnes.
Pour ce qui est des choses, ils
mettent le jugement sens dessus dessous de trois façons :
En jugeant que le bien accompli par
les religieux est mal, ils se condamnent eux-mêmes et ils montrent que ceux
contre qui ils parlent sont louables au plus haut point. Ils se condamnent en
effet eux-mêmes lorsqu’ils montrent que le bien leur déplaît. Aussi Grégoire
dit-il d’eux, dans Morales, VI : « Maintenant, il
s’écarte du bien et néglige de faire ce qui est honnête ; il ne cesse de
le mettre en pièces en le dénigrant chez les autres. » Ils montrent aussi
que ceux contre lesquels ils parlent sont louables, en montrant chez eux
l’innocence de Daniel dont ont parlé les princes de Babylone, Dn 6, 5‑6 :
Nous
ne trouverons peut-être chez ce Daniel qu’un manquement contre la loi de son
Dieu. La Glose [dit] : « Bienheureux comportement,
dans lequel les ennemis ne trouvent pas de faute, si ce n’est que par rapport à
la loi qu’il observe. » De la même manière, ces malintentionnés trouvent
dans la loi de Dieu que les religieux observent une occasion de les décrier, en
les exposant au mépris :
·
premièrement, en raison de
l’humble habit qu’ils portent ;
·
deuxièmement, en raison du
devoir de charité qu’ils exercent à l’endroit du prochain, lorsqu’ils rendent
service à leur prochain en s’occupant avec charité de leurs affaires dans la
mesure du possible ;
·
troisièmement, du fait que, ne
possédant pas ici de cité durable, ils courent d’un endroit à l’autre pour
faire porter fruit au peuple de Dieu ;
·
quatrièmement, du fait qu’ils
s’adonnent à l’étude ;
·
cinquièmement, du fait qu’ils
proposent la parole de Dieu avec grâce et élégance.
Se rapporte aussi à cela le fait
qu’ils méprisent chez eux la pauvreté, la mendicité et l’enseignement, ainsi
que le fruit des âmes qu’ils produisent chez le peuple avec la permission des
prélats, ce qui a été abordé plus haut.
Ils s’efforcent donc de montrer que
le peu de prix de l’habit de ceux qui mènent la vie religieuse est méprisable.
1. Premièrement, à partir de ce que
dit le Seigneur en Mt 7, 15 : Prenez garde aux faux prophètes
qui viennent vers vous habillés comme des brebis, ils
cherchent à rendre suspects, comme s’ils étaient des faux prophètes, ceux qui
portent des vêtements de peu de prix.
2. De même, à propos de Ap 6, 8 : Voilà qu’un cheval pâle, etc., la Glose dit : « Le
diable, voyant qu’il ne peut gagner ni par des tribulations manifestes ni par
des hérésies manifestes, met de l’avant des faux frères, qui, sous l’habit
religieux, prennent la couleur du cheval noir ou roux en bouleversant la
foi. » Et ils tirent argument de cela, comme plus haut.
3.
De même, ils disent qu’à l’époque ancienne, le Siège apostolique a confié aux évêques
de la Gaule de corriger ceux qui voulaient prendre un habit différent des
autres, en s’habillant plus humblement sous une apparence de sainteté. Ce
mandat du pape se trouve dans le registre de l’Église romaine, à ce qu’ils
disent, bien qu’il ne soit pas présent dans l’ensemble du Décret. Ils veulent conclure de cela que tout au moins les hommes
qui vivent dans le siècle ne doivent pas utiliser de vêtements plus humbles que
ceux de leur état.
4.
De même, Augustin dit, dans Sur la doctrine chrétienne,
III :
« Celui qui utilise plus modestement les biens temporels que n’ont coutume
de le faire ceux avec qui ils vivent, ou bien manque de tempérance, ou bien est
superstitieux. » Il ressort ainsi clairement qu’il faut blâmer le fait que
quelqu’un use de vêtements plus humbles que ceux avec qui il vit.
5.
De même, Jérôme dit à Népotien : « Évite les vêtements foncés de même
que les vêtements blancs. Il faut fuir les parures comme les haillons, car les
unes sentent les plaisirs, et les autres, l’ostentation. » On voit ainsi
qu’il est blâmable de porter des vêtements de peu de prix.
6.
De même, à propos de Rm 14, 17 : Le
royaume de Dieu ne consiste pas dans la nourriture et la boisson, la Glose dit :
« La nature ou la quantité des aliments que quelqu’un prend ne fait pas de
différence, pourvu qu’il le fasse en conformité avec les hommes avec qui il vit
et avec sa propre personne, et pour les besoins de sa santé.» Pour la même
raison, les vêtements qu’un homme utilise n’ont aucune incidence sur sa vertu,
pourvu qu’il le fasse selon ce qui convient à sa propre personne. Il ne semble
donc pas que la vie religieuse consiste dans le fait que quelqu’un porte
extérieurement un vêtement de peu de prix en signe de mépris du monde.
7.
De même, l’hypocrisie semble être le plus grand des péchés. C’est pourquoi,
dans l’évangile, le Seigneur s’élève davantage contre les hypocrites que contre
les autres pécheurs, et Grégoire dit, dans les Morales : « Personne ne
nuit davantage dans l’Église que celui qui porte à tort le nom ou l’ordre de la
sainteté. » Or, sous le caractère méprisable du vêtement, se cache
l’hypocrisie, mais le prix élevé des vêtements relève des plaisirs de la chair
ou suscite, selon le cas, un mouvement d’orgueil. Il est donc plus blâmable de
commettre des excès par le caractère méprisable des vêtements que par leur prix
élevé.
8.
De même, la perfection de toute vie religieuse et de toute sainteté se trouve
dans le Seigneur Jésus, le Christ. Or, il a lui-même porté un vêtement de grand
prix, à savoir, la tunique sans couture, qui avait été tissée d’une seule
venue, comme il est dit en Jn 19, 23. Il semble ainsi qu’elle avait
été faite de la manière dont les tissus sont cousus d’or et de soie avec une aiguille.
Qu’elle ait été de grand prix, cela apparaît dans le fait que les soldats n’ont
pas voulu la déchirer, mais l’ont tirée au sort. Il ne relève donc pas de la
vie religieuse que quelqu’un porte des vêtements de peu de prix.
9.
De même, le seigneur pape utilise des vêtements précieux et en soie, et les rois
utilisaient même anciennement des vêtements de pourpre, et cela n’aurait pas
été louable pour eux de porter des vêtements de peu de prix. Pour une égale
raison, il n’est donc pas louable pour d’autres de porter des vêtements plus
méprisables que ne l’exige leur état. Et ainsi, par des [arguments] de ce
genre, ils incitent à mépriser l’humilité des vêtements et de l’habit.
À
quel point cela est contraire à la vérité[33],
cela ressort clairement de ce qui est dit dans le Décret, C. 21, q. 4,
c. 1 : « Toute vanité et tout enjolivement corporel sont étrangers
à l’ordre sacré. Il faut donc que les évêques ou les clercs qui se parent de
vêtements éclatants et brillants soient corrigés. S’ils y persistent, qu’ils
soient livrés à l’epithimium[34] ». Et plus
loin : « Si donc il s’en trouve pour rire de ceux qui sont habillés
de vêtements de peu de prix et religieux, qu’ils soient corrigés par l’epithimium. Dans les premiers temps, tout homme saint portait un
vêtement ordinaire et de peu de prix ; en effet, tout ce qui est accepté
non par nécessité, mais pour son élégance prête prétexte à l’orgueil, comme le
dit le grand Basile. » Il est donc clair que le peu de prix des vêtements
doit être adopté et que le caractère précieux des vêtements doit être fui, et
que ceux qui parlent contre les vêtements de peu de prix doivent être gravement
punis.
De
même, leur fausseté apparaît dans l’exemple de Jean Baptiste, à propos de qui
Mt 3, 4 dit qu’« il portait un vêtement en poil de
chameau ». La Glose dit en cet endroit : « Celui qui prêche la
pénitence affiche un vêtement de pénitence : chez lui, le peu de prix des
vêtements et de la nourriture est loué, alors qu’il est blâmé chez le
riche. » Et une autre glose dit que « le serviteur de Dieu ne doit
pas porter un vêtement pour sa beauté ou pour le plaisir qu’il apporte, mais
seulement pour couvrir sa nudité ». Et à propos de
Mc 1, 6 : Jean était vêtu, etc.,
la
Glose dit : « Un vêtement approprié pour un prédicateur. » Il
ressort ainsi clairement que les serviteurs de Dieu, et surtout ceux qui
prêchent la pénitence, doivent porter des vêtements de peu de prix.
De
même, cela est démontré par l’exemple des prophètes anciens, dont il est dit en
He 11, 37 : Ils sont allés çà et
là sous des peaux de moutons et des toisons de chèvres. La Glose [dit] :
« Comme Élie et d’autres [prophètes]. » « Le mouton est un
animal appelé taxus, dont la peau est
appelée une toison, qui est très rude ; ou encore une toison est un
vêtement en poil de chameau », comme cela ressort clairement de la Glose
en cet endroit.
De
même, cela est démontré par l’exemple des bienheureux Hilarion, Arsène et des
autres pères dans le désert, dont on raconte dans leurs actes qu’ils portaient
des vêtements de très peu de prix.
De
même, à propos de Ap 11, 3 : Je
donnerai à mes deux témoins de prophétiser pendant mille deux cent soixante
jours, revêtus de sacs, la Glose [dit] : « C’est-à-dire, en prêchant la
pénitence et en montrant l’exemple. » « Et vous devez prêcher selon
leur exemple. » On trouve ainsi clairement qu’ils doivent porter des
vêtements de peu de prix, surtout qu’ils prêchent la pénitence.
De
même, que le peu de prix des vêtements doive être approuvé et leur caractère
précieux blâmé, Grégoire le montre clairement dans son homélie « Il y
avait un homme riche », où il dit : « Il y en a qui pensent que
le soin accordé aux vêtements souples et précieux n’est pas un péché ;
mais si ce n’était pas un péché, jamais la parole de Dieu ne dirait avec tant
de soin que le riche qui était tourmenté dans les profondeurs de l’enfer était
aussi vêtu de pourpre. Personne ne recherche des vêtements de haute qualité si
ce n’est par vaine gloire, c’est-à-dire pour paraître plus honorable que les
autres, car les faits témoignent qu’un vêtement précieux n’est recherché que
par vaine gloire : personne ne veut porter de vêtements précieux alors
qu’il ne peut être vu des autres. Cette faute, nous pouvons mieux la relever
par ailleurs, car si le rejet de vêtements précieux n’était pas une vertu
évangélique, l’évangéliste ne dirait pas avec soin : Jean était vêtu de poil de chameau. »
De
même, à propos de 1 P 3, 3 : Que
[votre parure] ne soit pas extérieure, etc., la Glose dit : « Comme
le dit Cyprien, celles qui sont vêtues de soie et de pourpre ne peuvent
sincèrement revêtir le Christ ; parées d’or, de pierres et de colliers,
elles ont perdu la parure de l’esprit et du corps. Si Pierre avertit de retenir
celles qui peuvent excuser leurs soins par leurs maris, à combien plus forte
raison convient-il qu’une vierge observe cela, elle à qui ne convient aucune
justification d’un tel soin ? » Il ressort ainsi clairement que, même
chez les clercs, un vêtement élégant est bien plus répréhensible.
De
même, ce par quoi la vertu de l’esprit est louable par soi-même est louable,
bien que quelqu’un puisse en faire usage par orgueil. Or, le peu de prix des
vêtements fait partie de ces choses. C’est pourquoi Jérôme dit au moine
Rusticus : « La bassesse des vêtements est le signe d’un esprit pur,
une tunique de peu de prix montre le mépris du siècle, à condition cependant
que l’esprit ne s’enfle pas, de sorte que le vêtement et la parole soient en
contradiction. » La bassesse des vêtements doit donc être adoptée en
elle-même, à condition que l’orgueil soit écarté.
De
même, ce qui mérite la miséricorde divine ne peut être mal. Or, par la bassesse
des vêtements, même les plus grands pécheurs ont mérité la miséricorde divine.
Ainsi, il est dit en 1 R 21, 27, à propos du très mauvais Achab
que, lorsqu’il eut entendu les paroles d’Élie, il
déchira ses vêtements et couvrit sa chair d’un cilice, qu’il jeûna et dormit
dans un sac. Aussi le Seigneur dit-il de lui à Élie : N’as-tu pas vu que Achab s’est humilié devant moi ?
Parce qu’il s’est humilié à cause de moi, je ne lui ferai pas de mal pendant sa
vie. Et
cependant, il ne s’agissait pas d’une véritable humilité du cœur, comme le dit
la Glose en cet endroit. Et en Jon 3, 6, il est dit que le roi enleva ses vêtements, se revêtit d’un sac et s’assit
sur la cendre, et qu’il ordonna aux autres de faire la même chose. La bassesse
des vêtements est donc bien accueillie de Dieu.
De
même, comme le montre le Philosophe dans Éthique,
X,
les vertus ne consistent pas seulement dans les actes intérieurs, mais aussi
dans les actes extérieurs, alors qu’il parle des vertus morales. Or, l’humilité
est une vertu morale : en effet, elle n’est ni une vertu intellectuelle,
ni une vertu théologale. Elle ne consiste donc pas seulement dans [une
attitude] intérieure, mais aussi dans [des actes] extérieurs. Puis donc qu’il
relève de l’humilité que l’homme se méprise lui-même, il relèvera aussi de
l’humilité que quelqu’un fasse usage de choses méprisables à l’extérieur.
De
même, le mal n’est jamais camouflé que par ce qui a l’apparence du bien. Or,
les hypocrites camouflent ce qu’ils font de mal sous la bassesse des vêtements.
La bassesse des vêtements a donc en elle-même l’apparence du bien. Elle est
donc louable en elle-même, même si quelqu’un peut en abuser.
De
même, comme le jeûne et l’aumône sont des instruments de la pénitence, de même en
est-il de la bassesse des vêtements. Or, le jeûne et l’aumône sont louables en
eux-mêmes, bien que quelqu’un puisse en abuser. La bassesse des vêtements est
donc louable, même si quelqu’un peut en abuser.
En
étant d’accord avec cela, nous disons que la bassesse des vêtements est en
elle-même louable en tant qu’acte de pénitence et d’humilité, même si certains
peuvent faire usage de vêtements modestes, alors qu’il pourraient faire usage
de vêtements plus précieux selon leur état, comme lorsque quelqu’un qui, selon
la condition de son état, peut faire légitimement usage de la viande et ne pas
jeûner, s’abstient louablement de viande et jeûne. Par accident, cependant, [la
bassesse des vêtements] peut être un mal, comme lorsque sont troublés par ce
qui a été dit ceux avec qui nous devons mener une vie sociale, ou encore si
quelqu’un abuse des œuvres de pénitence par vaine gloire, comme l’enseigne
aussi le Seigneur à propos de la prière, du jeûne et de l’aumône en
Mt 6, 1‑16.
1.
À la première objection, il faut donc répondre que, par le fait que des faux prophètes
font usage de vêtements d’agneaux en vue de tromper, la bassesse des vêtements
ne doit pas être rejetée, mais plutôt louée. En effet, ils ne cacheraient pas
leur malice par la bassesse des vêtements si la bassesse des vêtements n’avait
pas une apparence de bien, autrement, la Sainte Écriture, dont les hérétiques
font un mauvais usage, comme il est dit en 2 P 3, 16, devrait
être rejetée, et, de la même manière, la piété dont les hérétiques ont l’apparence,
comme il est dit en 2 Tm 3, 5. C’est pourquoi la Glose dit, à
propos de Mt 7, 15, que les faux prophètes « ne se reconnaissent
pas aux vêtements, mais à leurs œuvres ». Et elle dit plus loin que
« les agneaux ne doivent pas se dépouiller de leurs peaux, même si parfois
les loups s’en revêtent ».
2.
À la deuxième objection, il faut répondre que le diable ne camouflerait pas ses
serviteurs sous l’habit religieux afin de tromper si l’habit religieux n’avait
pas en lui-même l’apparence du bien. Cependant, les bons ne doivent pas à cause
de cela s’abstenir d’un tel habit et certains ne doivent pas être jugés mauvais
en raison de cet habit, comme cela ressort clairement de la glose invoquée à
propos de Mt 7, 16. Aussi Jérôme dit-il dans le livre contre Helvidius :
« La virginité est-elle une faute parce que celui qui simule la virginité
commet un crime ? »
3.
À la troisième objection, il faut répondre que cette interdiction n’a pas été
faite parce que la bassesse des vêtements serait répréhensible, mais parce que
peut-être certains font usage de la bassesse des vêtements pour tromper.
4.
À la quatrième objection, il faut répondre qu’Augustin parle du cas où, par la
sévérité de la vie, les rapports entre ceux qui doivent vivre en société sont
perturbés. En effet, si on devait l’entendre sans nuance, celui qui jeûnerait
là où d’autres ne jeûnent pas serait répréhensible, ce qui est manifestement
faux.
5.
À la cinquième objection, il faut répondre que Jérôme, par les paroles
rapportées, n’enseigne pas que la bassesse des vêtements doive être évitée,
mais que l’abus [doit l’être], de sorte que quelqu’un ne tombe pas dans
l’orgueil du fait de la bassesse de ses vêtements. Autrement, il se
contredirait, lui qui incite le moine Rusticus à la bassesse des vêtements et
la recommande à Pammachius, un homme très noble, comme cela est clair dans la
lettre à Pammachius, à propos de la mort de Paulina.
6.
À la sixième objection, il faut répondre que l’usage des choses extérieures
peut être considéré de deux manières : d’une manière, selon la nature des
choses elles-mêmes, et ainsi, il est indifférent ; d’une autre manière,
selon la fin à laquelle il est ordonné. Ainsi, dans l’usage des choses
extérieures, ce qui peut être ordonné à une fin meilleure est plus louable,
comme l’abstinence de nourriture, qui peut être ordonnée à dompter la concupiscence
de la chair, est plus louable que le fait de se nourrir de manière ordinaire en
utilisant la nourriture avec action de grâce. L’hérétique Jovinien affirmait le
contraire, comme on le voit clairement chez Jérôme, qui condamne cette erreur
et d’autres qu’il a faites. De même encore, la bassesse des vêtements est
ordonnée à humilier l’esprit et à dompter le corps. Aussi, pour la même raison,
la bassesse des vêtements est-elle en elle-même plus louable que le vêtement
ordinaire. Et, de cette façon, de même que la vie religieuse consiste dans le
jeûne, elle consiste aussi dans la bassesse des vêtements.
7.
À la septième objection, il faut répondre que, du fait que l’hypocrisie qui se cache
sous la bassesse des vêtements est un grand péché, on ne peut conclure que la
bassesse des vêtements est pire que leur caractère précieux, car la bassesse
des vêtements ne se compare pas à l’hypocrisie comme leur caractère précieux
aux plaisirs de la chair ou à l’orgueil. En effet, le caractère précieux des
vêtements est ordonné de soi et directement aux vices mentionnés ; aussi,
l’excès dans le caractère précieux des vêtements est-il en soi blâmable, mais
la bassesse des vêtements n’est-elle pas ordonnée par soi et directement à
l’hypocrisie, mais l’hypocrisie en est un abus, comme elle l’est des autres
œuvres de sainteté. Et parce qu’un abus est d’autant plus blâmable qu’une chose
est plus sainte, du fait que l’hypocrisie est un grand péché, la bassesse des
vêtements est rendue manifestement louable, ainsi que les autres œuvres de
pénitence dont abuse l’hypocrisie. Toutefois, il ne faut pas concéder que
l’hypocrisie, à parler simplement, est le plus grand des péchés, car
l’infidélité par laquelle quelqu’un ment à propos de Dieu est plus grave que la
feinte par laquelle quelqu’un ment à propos de lui-même.
8.
À la huitième objection, il faut répondre qu’il ne faut pas croire que le Seigneur
Jésus, le Christ, a porté des vêtements précieux, lui qui montre que Jean est
louable parce qu’il ne portait pas de vêtements délicats, autrement les
pharisiens, qui montraient leur sainteté extérieure, comme ils disaient de lui
qu’il était glouton, buveur de vin et ami des publicains, auraient dit de lui
qu’il portait des vêtements délicats. Aussi, les soldats qui le ridiculisaient
ne lui auraient pas fait porter un vêtement de pourpre en signe de dignité
royale, si la tunique sans couture avait été tissée d’or et de soie. Mais le
fait que les soldats n’ont pas voulu diviser sa tunique n’était pas dû au
caractère précieux du vêtement, mais à leur nombre, car la répartition en
quatre que les soldats avaient faite des vêtement du Christ suffisait, et si
[la tunique] avait été divisée en quatre, elle aurait été tout à fait inutile.
Par cela aussi, il est clair qu’elle n’était pas faite d’une étoffe précieuse.
Cependant, selon la Glose, un sacrement de l’unité de l’Église s’y trouve
néanmoins exprimé.
9.
À la neuvième objection, il faut répondre qu’il existe certains états des
hommes pour lesquels il y a un vêtement particulier : de même qu’une communauté
religieuse a son vêtement particulier, de même aussi, à l’époque ancienne, les
rois et les dignitaires portaient des vêtements particuliers comme insignes de
leur dignité, et de même le Souverain Pontife porte-t-il maintenant un vêtement
particulier. C’est pourquoi, de même qu’il ne serait pas permis à un membre
d’une communauté religieuse de porter un vêtement de moindre prix qui
dépasserait les bornes de sa communauté religieuse, bien que, à l’intérieur des
bornes du vêtement de sa communauté religieuse, s’il utilise des vêtements de
moindre prix, il ne soit pas digne de blâme mais loué, de même il n’aurait pas
été louable pour les princes anciens, et il ne le serait pas maintenant pour le
Souverain Pontife, de porter un vêtement de moindre prix au-delà des bornes du
vêtement habituel. Mais il en va autrement des princes et des autres hommes à
qui n’est pas assigné un vêtement déterminé. Pour eux, en effet, il n’est pas
blâmable de porter des vêtements de moindre prix que ceux qui peuvent convenir
à leur état. Aussi, en 2 Sm 6, 20, est-il dit que Michol, en
ridiculisant David, dit : Comme il s’est fait
honneur aujourd’hui, le roi d’Israël, qui s’est découvert devant ses servantes
de ses serviteurs, et qui s’est découvert comme se découvre un homme de
rien ! Et David répondit : Je
jouerai et je deviendrai plus petit que je ne l’ai été, et je serai humble à
mes yeux. Et Esther [dit] en Est 14, 16 : Tu connais ma faiblesse et mes besoins, tu sais que je
déteste l’insigne de mon élévation et de ma gloire qui est sur ma tête, les
jours où je me montre, et que je ne le porte pas, les jours où je garde
silence. Il ressort ainsi clairement qu’il est louable même pour les rois
et les princes de se contenter de choses modestes, lorsqu’ils peuvent le faire
sans scandale ni porter atteinte à leur propre autorité.
En
second lieu, il faut maintenant voir comment [leurs adversaires], en vue de déshonorer
les religieux, mettent de l’avant que les religieux se mêlent des affaires des
autres, encourant ce qu’on lit en 1 Th 4, 11 : Prenez soin de vivre calmes et de vous occuper de vos
affaires. La Glose [dit] : « En écartant les affaires des autres,
ce qui vous est utile pour la correction de votre vie. »
2.
De même, à propos de 2 Th 3 11 : Nous avons entendu dire que certains parmi vous se
promènent d’une manière désordonnée, ne travaillant pas du tout mais se mêlant
de tout, la Glose [dit] : « Ils obtiennent ainsi de subsister à
même les biens des autres, comportement que l’enseignement du Seigneur a en
horreur. »
3.
De même, à propos de 2 Tm 2, 4 : Celui qui combat pour Dieu ne s’immisce pas dans les
affaires du siècle, la Glose [dit] : « Dans toutes [les affaires du
siècle]. » Or, les affaires des autres sont souvent des affaires
séculières.
4.
Et ainsi, ils veulent conclure que les religieux de doivent pas se mêler des
affaires des autres.
Mais
cela est expressément contraire[35] à la
position de l’apôtre Jacques qui dit, en Jc 1, 27 : La religion pure et sans tache devant Dieu, notre Père,
consiste en ceci : visiter les orphelins et les veuves dans leurs
épreuves. La Glose [dit] : « Secourir ceux qui manquent
d’assistance lorsqu’ils en ont besoin. »
De
même, à propos de Rm 16, 1 : Je vous
recommande Phébé, notre sœur, la Glose [dit] : « Celle-ci était en ce moment
partie à Rome pour affaire. » Aussi Paul ajoute-t-il
(Rm 16, 2) : « Assistez-la en toute affaire où elle aurait
besoin de vous. »
De
même, en Ga 6, 2 : Portez le fardeau les
uns des autres : vous accomplirez ainsi la loi du Christ. Il est donc clair
qu’il est louable que quelqu’un, par charité, s’occupe des affaires d’un autre
comme si elles étaient les siennes.
Cependant,
cela peut être accompli d’une manière mauvaise de deux manières. D’une manière,
lorsque quelqu’un s’occupe avec tant de curiosité des affaires des autres qu’il
néglige complètement les siennes, et l’Apôtre interdit cela en
1 Th 4, 11, lorsqu’il dit : Prenez
soin de vivre calmes – Glose : « En évitant la curiosité » ‑ et de vous occuper de vos affaires ‑ Glose : « En écartant
celles des autres. ». En effet, il ordonne d’écarter les affaires des
autres afin que chacun s’occupe des siennes. D’une autre manière, quelqu’un coopère
avec d’autres dans des affaires honteuses ou encore avec une mauvaise
intention, et l’Apôtre interdit cela en 2 Th 3, 11. C’est
pourquoi la Glose dit, à propos de ce passage : « Ceux qui agissent
par curiosité. » « Ils obtiennent ainsi de subsister à même les biens
des autres, comportement que l’enseignement du Seigneur a en horreur : en
effet, leur Dieu, c’est leur ventre, eux qui par un soin abominable s’assurent
le nécessaire. » Car leur intention honteuse est montrée par le fait
qu’ils avaient l’intention de nourrir leur ventre ; mais par le fait
qu’ils aient fait cela avec un soin honteux, est indiquée leur action honteuse.
Et par cela, la réponse aux deux premières objections est claire.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que les affaires du siècle sont
celles où, comme la Glose le dit au même endroit, « l’esprit est occupé
par le souci d’accumuler de l’argent sans travail corporel, comme le font les
commerçants et les gens de cette sorte ». Les religieux ne doivent pas
s’impliquer dans de telles affaires, à savoir, faire du négoce pour d’autres ou
exercer des activités de ce genre. Mais, cela mis à part, ils peuvent
s’immiscer par miséricorde dans les affaires des autres, en donnant un conseil,
en intercédant ou par quelque chose de ce genre.
Voyons
maintenant, en troisième lieu, comment [leurs adversaires] accusent [les religieux]
de courir partout, encourant ainsi ce que l’Apôtre dit en
2 Th 3, 11 : Nous avons entendu
dire que certains se promènent d’une manière désordonnée. À cause de cela, on
les appelle «gyrovagues».
2.
De même, ils invoquent pour se moquer d’eux ce qu’Augustin dit dans le livre Sur le travail des moins, en attirant l’attention sur
certains moines : « Envoyés nulle part, établis nulle part, jamais
debout, jamais assis ! »
3.
De même, à propos de Mc 6, 10 : Demeurez
dans la maison où vous serez entrés, la Glose [dit] : « Il
est étranger au prédicateur de courir d’une maison à l’autre et de changer les
droits d’un hôte. » De même, à propos de Lc 10, 7 : Demeurez dans la même maison, la Glose [dit] : « Il
ne faut pas se déplacer d’une maison à une autre afin que l’amour de
l’hospitalité reste durable. »
4.
De même, ce que dit Is 30, 7 semble se rapporter à cela : C’est pourquoi j’ai crié à ce sujet : « Ce n’est
qu’orgueil ! Restez tranquilles ! » La Glose [dit] : «Dans votre
pays. »
5.
De même, en Jr 14, 10 : Le
peuple aimait bouger des pieds, mais cela ne plaisait pas au Seigneur.
Mais
cette dérision n’est pas nouvelle. En effet, comme le raconte Denys dans sa
lettre à Apollophanius, alors qu’il était païen, il tournait Paul en dérision
en l’appelant le « patrouilleur » du monde, alors qu’il accomplissait
avec soin le commandement du Seigneur qui avait dit en
Mc 16, 15 : Allez par tout le
monde, prêchez l’évangile à toute créature, et en Jn 15, 16, le
Seigneur dit à ses disciples : Je vous ai choisis
afin que vous alliez porter du fruit.
Ces
déplacements des prédicateurs étaient aussi indiqués en Jb 37, 11‑12 :
Les nuées diffusent sa lumière, qui éclaire tout sur le
parcours où les aura conduites la volonté de celui qui gouverne, pour tout ce
qu’elle leur aura ordonné sur la surface de la terre. La Glose [dit] :
« Diffuser la lumière [signifie] répandre les exemples de la vie des
saints prédicateurs par leurs actions et par la parole, qui éclairent tout sur
leur parcours, car ils illuminent les confins du monde par la lumière de la
prédication. »
De
même, Jb 38, 25 : Qui a préparé le
parcours de l’orage ? La Glose explique qu’il s’agit du parcours de la
prédication, et aussi Grégoire, dans les Morales.
De
même, Za 6, 7 : Les plus vigoureux
avançaient ; ils cherchaient à partir et à parcourir toute la terre, que la Glose
interprète des prédicateurs apostoliques.
De
même, à propos de Rm 16, 11 : Saluez
les membres de la maison de Narcisse, la Glose [dit] : « On
dit que ce Narcisse était un prêtre qui, comme on le lit dans d’autres textes,
réconfortait les frères qui l’accompagnaient dans ses pérégrinations. »
De
même, Is 27, 6 : Ceux qui sortent de
Jacob sous une poussée – Glose : « Pour prêcher » ‑ rempliront la surface de la terre. Glose :
« Leur parole a parcouru toute la terre. »
De
même, à propos de Pr 6, 3 : Cours,
hâte-toi, réveille ton ami ! la Glose [dit] : « Du sommeil du péché ».
Or, on est éveillé du sommeil du péché par la prédication. Le fait que des
prédicateurs courent en tout sens en vue du salut des âmes est donc louable.
De
même, Ez 1, 13 : Telle était la vision
qui courait en tout sens parmi les animaux. À ce sujet, Grégoire dit, dans la
première partie de sa cinquième homélie sur Ézéchiel : « À ceux qui
sont les gardiens des âmes et ont reçu la charge de paître le troupeau, il
n’est pas du tout permis de changer d’endroit. Mais ceux qui courent ici et là
par amour de Dieu pour prêcher sont les roues de son feu ardent, car, alors
qu’ils courent en divers endroits à cause de ce qu’il désire, eux-mêmes brûlent
et allument les autres. » Deux conclusions peuvent être tirées de cette
autorité : que d’autres que les prélats peuvent prêcher, et que ces autres
prédicateurs doivent courir çà et là en divers endroits, et ne pas demeurer
dans un seul endroit.
De
même, à propos de ceci : Lorsqu’ils marchaient,
ils faisaient le bruit d’une armée (Ez 1, 24), Grégoire dit, dans sa huitième homélie : « Les
autres sont les places fortifiées des prédicateurs qui travaillent çà et là à
rassembler les âmes, équipés pour une œuvre sainte. »
Par
tout ce qui a été dit, il ressort donc clairement que le fait que les
prédicateurs courent çà et là pour assurer le salut des âmes est louable.
Cependant,
il faut savoir que le fait de courir çà et là est blâmé de trois manières dans
la Sainte Écriture. D’une manière, lorsqu’il vient de l’inconstance de l’âme ou
de la légèreté de l’esprit, et cela se produit surtout chez ceux qui courent
partout sans résultat. D’une autre manière, lorsqu’on court après les choses
terrestres pour rechercher un profit. D’une troisième manière, lorsqu’ils sont
incités par la malice à faire le mal. Il est question de ces trois choses dans
Jude 11‑12 : Malheur à ceux qui
sont allés dans la voie de Caïn et qui se sont jetés dans l’égarement de
Balaam, par quoi est montrée l’intention de nuire. Ce sont eux qui se souillent dans leurs agapes, en fêtant
sans vergogne, ils se repaissent, nuées sans eau que les vents emportent, par quoi est abordée
la concupiscence poussant à se déplacer. Arbres
de fin de saison, qui ne portent pas de fruits, par quoi est montré qu’ils courent
partout par légèreté et sans résultat.
1.
En reprochant à certains leur agitation, l’Apôtre blâme les déplacements qui
viennent de la légèreté, ou encore de la concupiscence. Cela ressort clairement
par le fait qu’on ajoute dans la Glose : « Ceux qui, avec une
application abominable », cherchaient à se repaître par une agitation
pleine de curiosité.
2.
De même, pour ce que dit Augustin que certains moines ne sont jamais
« établis nulle part, envoyés nulle part, jamais debout, jamais
assis », il leur reproche de courir partout par légèreté, ou plutôt, par
cupidité. C’est pourquoi il ajoute qu’ils couraient à la recherche d’un profit,
et en cela ils étaient répréhensibles.
3.
Ce qui est dit en Mc 6, 10 et Lc 10, 7 interdit
manifestement de courir d’une maison à une autre, c’est-à-dire d’un toit
hospitalier à un autre, ce à quoi incite souvent la concupiscence, comme cela
arrive chez ceux à qui ne suffit pas ce qu’ils possèdent et qui recherche
quelque chose de plus cossu. C’est la raison pour laquelle ils courent d’une maison
à une autre.
4.
Ce que dit Is 30, 7 se rapporte à la légèreté d’esprit par laquelle
l’homme qui n’est pas attaché à Dieu court vers toutes sortes de choses dans
lesquelles il ne peut trouver le repos. C’est pourquoi cela est dit de manière
littérale contre les Juifs qui, non satisfaits du secours divin, voulaient
descendre en Égypte afin d’être sauvés par le soutien des Égyptiens.
5.
De même, ce que dit Jr 14, 10 doit être mis en rapport avec les
déplacements qui viennent de la légèreté, ce qui ressort clairement de ce qu’il
dit : Celui qui aime déplacer ses
pieds. En
effet, à ceux qui se déplacent par légèreté, cela même dont ils font le tour
paraît désirable. Aussi la Glose, en cet endroit, interprète-t-elle le
mouvement des pieds du mouvement des sentiments.
Maintenant,
il faut voir, en quatrième lieu, comment [leurs adversaires] invoquent, pour
déshonorer les religieux, le fait qu’ils s’adonnent à l’étude.
1.
En effet, il est dit en 2 Tm 3, 7, pour prendre en faute
certains par qui des dangers sont sur le point d’arriver pour l’Église,
qu’« ils s’instruiront toujours, sans parvenir à la connaissance de la
vérité ». Et ainsi, ils veulent par cela rendent suspects ceux qui
s’adonnent à l’étude.
2.
De même, Grégoire dit, dans les Morales, XIII, à propos de
Jb 16, 10 : Mon ennemi m’a regardé
avec des yeux effrayants : « De même que la Vérité incarnée a choisi pour sa prédication
des pauvres, des ignorants et des gens simples, de même cet homme damné, qu’un
ange apostat assume à la fin du monde, choisira-t-il des gens rusés, fourbes et
possédant la science de ce monde pour prêcher sa fausseté. » Aussi, pour
cette raison, [leurs adversaires] assimilent-ils [les religieux] à des
précurseurs de l’Antéchrist parce qu’ils exercent la fonction de la prédication
en brillant par leur science.
3.
De même, à propos de Ap 13, 11 : Je vis
une autre bête qui montait de la terre, et elle avait deux cornes semblables à
celles d’un agneau, la Glose dit : « Après avoir décrit la tribulation
provoquée par l’Antéchrist et ses meneurs, il en ajoute une autre qui viendra de
ses envoyés qu’il dispersera par toute la terre. » De même, la Glose
dit : « Qui montait, c’est-à-dire qu’elle faisait des progrès dans la
prédication. » De même, une autre glose : « Elle avait deux
cornes : ils simuleront l’innocence, de même que la vie pure et la vraie
doctrine, ainsi que les miracles que possédait le Christ et qu’il donna à ses
disciples. Ou bien, ils s’arrogeront les deux Testaments. » Et ainsi, il
semble que ceux qui progressent dans la prédication avec la science des deux
Testaments en simulant la sainteté, soient des apôtres de l’Antéchrist.
4.
De même, [il est dit] en 1 Co 8, 1 : La science enfle, mais la charité édifie. Or, les religieux
devraient surtout s’attacher à l’humilité. Ils devraient donc s’abstenir de
l’étude de la science.
5.
De même, à propos du bienheureux Benoît, qui fut le premier pour ce qui est de
la vie religieuse, Grégoire dit, dans le deuxième livre des Dialogues, qu’« il s’éloigna de l’étude des lettres, sciemment
illettré et sagement ignorant ». Aussi les religieux devraient-ils, à son
exemple, abandonner l’étude de la science.
6.
De même, en 2 Th 3, 11, l’Apôtre blâme ceux qui, mettant de côté
le travail manuel, s’abandonnaient à la curiosité et à l’oisiveté. Or, la
curiosité se trouve dans l’étude de la science. Les religieux ne devraient donc
pas abandonner le travail manuel pour s’adonner à l’étude.
Mais
[les adversaires des religieux] ne sont pas les auteurs de cette pensée[36],
mais Julien l’Apostat qui, comme le raconte l’Histoire
ecclésiastique, écarta de force de l’étude des lettres les serviteurs du Christ.
Ils s’en montrent les imitateurs, eux qui interdisent l’étude aux religieux, en
parlant manifestement d’une manière contraire à l’Écriture.
En
effet, à propos de Is 5, 13 : Ainsi,
mon peuple fut mené en captivité parce qu’il n’avait pas la science, la Glose dit :
« Parce qu’il n’a pas voulu l’avoir. » Or, le manque volontaire de
science ne serait pas puni si l’étude de la science n’était pas louable.
De
même, [il est dit] en Os 4, 5‑6 : J’ai fait taire ta mère la nuit. Mon peuple s’est tu parce
qu’il n’avait pas la science. Parce que tu as rejeté la science, je te
rejetterai, de sorte que tu n’exerceras pas le sacerdoce pour moi. Par cela aussi, il est
clairement montré comment le manque de science est gravement puni.
De
même, à propos de Ps 119[118], 66 : Enseigne-moi
la bonté, la retenue et la science, la Glose [dit] : « La
bonté, c’est-à-dire inspire-moi la charité ; la retenue, c’est-à-dire
donne-moi la patience ; la science, c’est-à-dire illumine mon esprit. En
effet, la science est utile, car l’homme vient [ainsi] à la connaissance de
lui-même. »
De
même, Jérôme [écrit] au moine Rusticus : « Que jamais un livre ne
soit éloigné de ta main et de tes yeux ! » Et plus loin :
« Aime la science des Écritures, et tu n’aimeras pas les vices de la
chair. »
De
même, Jérôme [écrit] dans la lettre au moine Paulinus : « La sainte
simplicité n’est utile qu’à soi-même, et autant elle édifie l’Église du Christ
par le mérite de la vie, autant elle est nuisible si elle ne peut résister à
ceux qui [la] détruisent. » La science des saints est ici manifestement
placée au-dessus de la sainteté des gens simples.
De
même, dans la même lettre, après avoir énuméré les livres de la Sainte
Écriture, [Jérôme] ajoute : « Je t’en prie, frère très cher :
vivre au milieu de ces choses, les méditer, n’étudier rien d’autre, ne rien
chercher [d’autre], est-ce que cela ne te semble pas être la demeure du royaume
céleste sur terre ? » Il ressort ainsi clairement que s’attarder à l’étude
de la Sainte Écriture, c’est séjourner au ciel.
Que
l’étude des Écritures convienne surtout à ceux qui sont assignés à la fonction
de la prédication, cela est clair par ce que dit l’Apôtre, en
1 Tm 4, 13 : Jusqu’à ce que je
vienne, applique-toi à la lecture, à l’exhortation et à l’enseignement. Il ressort ainsi clairement
que l’application à la lecture est nécessaire à ceux qui veulent exhorter et
enseigner.
De
même, Jérôme [écrit] au moine Rusticus : « Prends le temps
d’apprendre ce que tu pourras enseigner par la suite. » Et la même chose
au même : « Si le désir d’être clerc te chatouille, apprends ce que
tu pourras enseigner. »
De
même, Grégoire [écrit] dans le Pastoral : « Assurément,
il est nécessaire que ceux qui sont aux aguets pour prêcher n’abandonnent pas
la sainte lecture. »
De
même, la vie des religieux est surtout ordonnée à la contemplation. Or,
« la lecture est une partie de la contemplation », comme le dit
Hugues de Saint-Victor. Il convient donc aux religieux de s’adonner à l’étude.
De
même, ceux qui sont plus éloignés des préoccupations de la chair sont plus
aptes à acquérir la science. Is 28, 9 : À qui enseignera-t-il la science et à qui fera-t-il comprendre ?
Aux enfants à peine sevrés, à peine éloignés des mamelles. Et le Commentateur
dit, dans Physique, VII, que la chasteté
et les autres vertus par lesquelles sont réprimés les désirs de la chair ont la
plus grande valeur pour l’acquisition des sciences spéculatives. Puisque les
religieux s’astreignent surtout à dompter la concupiscence de la chair par la
continence et l’abstinence, l’étude des lettres leur convient donc au plus haut
point.
De
même, qu’ils puissent louablement s’adonner à l’étude des lettres profanes, et
non seulement à l’étude des lettres sacrées, on le trouve explicitement chez
Jérôme, dans sa lettre au moine Pammachus : « Si tu aimes la femme
captive, c’est-à-dire la sagesse profane, et si tu as été fasciné par sa
beauté, tonds-la et coupe l’attrait de ses cheveux et son beau langage, en même
temps que ses ongles recherchés, lave-la avec le sel de la prophétie, puis, te
reposant avec elle, dis : “Sa gauche est placée sous ma tête, et sa droite
m’embrassera”, et la captive te donnera beaucoup d’enfants et deviendra une
israélite après avoir été une moabite. » Il ressort ainsi clairement qu’il
est permis même aux moines d’apprendre les sciences profanes, pourvu que ce
qu’ils y trouvent de répréhensible soit élagué selon la règle de la Sainte
Écriture.
De
même, Augustin dit, dans Sur la doctrine
chrétienne, II : « Pour ce qui est de ceux qu’on appelle
philosophes, s’ils ont dit par hasard des choses conformes à notre vraie foi,
surtout les platoniciens, il faut non seulement ne pas les craindre, mais les
prendre pour notre usage, comme à des possesseurs injustes. »
De
même, à propos de Dn 1, 8 : Daniel
se proposait dans son cœur, etc., la Glose dit : « Celui qui ne veut pas manger à
la table du roi de crainte d’être souillé, s’il avait su que la science des
Égyptiens était un péché, il ne l’aurait jamais apprise. Mais il l’apprend, non
pas pour la suivre, mais pour la juger et pour convaincre. En effet, si
quelqu’un qui ignore cet art écrivait contre des mathématiciens, ou quelqu’un
dépourvu de philosophie s’en prenait aux philosophes, qui faudrait-il
ridiculiser ou qui rirait en ridiculisant ? »
Par
tout cela, il est clair que l’étude est louable pour les religieux, surtout
celle des Saintes Écritures, et par-dessus tout chez ceux qui sont assignés à
prêcher.
1.
Ce qui est dit en 2 Tm 3, 7 : Ils
s’instruiront toujours, sans parvenir à la connaissance de la vérité, n’est pas dit pour
blâmer le fait qu’ils s’instruisent toujours, mais parce qu’ils ne parviennent
pas à la connaissance de la vérité. Et cela arrive chez ceux dont les études
les font s’écarter de la vérité ou de la rectitude de la foi. Aussi poursuit-on
au même endroit : Des hommes mauvais,
dont l’esprit est corrompu à propos de la foi (2 Tm 3, 8).
2. Quant à ce que dit Grégoire,
que l’Antéchrist aura des prédicateurs possédant la science du monde, il faut
répondre qu’il l’entend de ceux qui font usage de la science humaine pour
induire le peuple aux désirs et aux péchés du monde. Aussi Grégoire ajoute-t-il
aussitôt l’autorité d’Is 18, 1‑2 : Malheur au pays du grillon ailé, qui envoie par mer ses
messagers, dans des nacelles de papyrus, sur les eaux ! En l’expliquant au
même endroit, il dit : « La feuille sur laquelle on écrit en faite de
papyrus. Qu’est-ce donc qui est indiqué par le papyrus, si ce n’est la science
profane ? Les nacelles de papyrus sont donc les cœurs des docteurs
profanes. Envoyer ses messagers sur les eaux dans des nacelles de papyrus,
c’est donc déposer sa prédication dans l’esprit de sages charnels et appeler
les peuples qui glissent vers la faute. »
3.
À l’autre [objection], il faut répondre que cette glose parle des prédicateurs
que l’Antéchrist dispersera dans le monde après son avènement, comme cela
ressort clairement de bien des choses qui sont dites au même endroit.
Toutefois, il ne faut pas rejeter pour autant la science des deux Testaments
chez les religieux parce que [ces prédicateurs] en abuseront, à moins de dire
que l’innocence et la pureté de la vie doivent être rejetées parce qu’ils la simulent,
ce qui est absurde.
4.
Leur objection voulant que la science entraîne l’orgueil, il faut l’entendre du
cas où la science existe sans la charité. Aussi la Glose dit-elle au même
endroit : « La science entraîne l’orgueil, si elle est seule. »
Et plus loin : « Ajoutez la charité à la science, et la science sera
utile. » Aussi, chez ceux qui s’appliquent aux œuvres de charité, la
science est-elle moins dangereuse. Toutefois, si la science devait être évitée
parce qu’elle entraîne parfois l’orgueil, pour la même raison, les œuvres
bonnes devraient être évitées, car Augustin dit que « l’orgueil s’immisce
dans les œuvres bonnes pour les faire périr ».
5.
À la cinquième objection, à propos du bienheureux Benoît, il faut répondre
qu’il ne s’est pas lui-même éloigné de l’étude parce qu’il avait en horreur la
science ou l’étude, mais parce qu’il craignait la vie et la société séculières.
Aussi Grégoire disait-il plus haut, à son sujet, qu’« il avait été amené à
Rome pour y étudier les lettres classiques, mais comme il voyait que beaucoup
se dirigeaient vers les pentes escarpées des vices, lui qui s’était comme
engagé dans le monde en retira le pied, de crainte que s’il parvenait à la
science [du monde], il s’en irait ensuite tout entier dans un horrible
abîme ». C’est ainsi que, maintenant encore, agissent ceux qui, après
avoir abandonné la vie séculière des étudiants, entrent dans une vie religieuse
où ils peuvent s’adonner à l’étude.
6.
À la dernière objection, il faut répondre que la curiosité comporte une attention
superflue et désordonnée. Aussi l’attention superflue qu’entraîne la curiosité
est-elle répréhensible, non seulement dans l’étude des lettres, mais dans tous
les travaux auxquels l’esprit est occupé. Toutefois, dans l’autorité de
l’Apôtres qu’on invoque, est reprochée la curiosité abominable de ceux qui se
mêlaient des affaires des autres pour se remplir le ventre, comme cela ressort
clairement de la Glose, au même endroit. Mais dire que ceux qui s’adonnent à
l’étude de la Sainte Écriture se livrent à l’oisiveté, est contraire à ce qu’on
lit dans la Glose, à propos de Ps 119[118], 82 : Mes yeux ont défailli, etc. : « Celui qui étudie
la parole de Dieu n’est pas oisif, et celui qui agit à l’extérieur ne fait pas
davantage que celui qui s’applique à l’étude en vue de connaître la
divinité : en effet, la sagesse est l’œuvre la plus grande et Marie, qui
écoutait, est préférée à Marthe, qui assurait le service. »
En
cinquième lieu, il faut maintenant voir comment [leurs adversaires] critiquent
chez les religieux une prédication bien préparée et élégante, en invoquant ce
qu’on lit en 1 Co 1, 17 : [Le
Christ m’a envoyé annoncer l’évangile], sans la sagesse du langage, pour que ne
soit pas réduite à néant la croix du Christ. La Glose [dit] : « Non
pas avec la grâce et l’élégance des paroles, car la prédication chrétienne n’a
pas besoin de l’éclat et de la recherche de la parole, pour qu’on n’estime pas
qu’elle vient de la malice et de la subtilité de la sagesse humaines, et non de
la vérité, comme les faux apôtres prêchaient le Christ avec une sagesse humaine
et en s’appliquant à l’éloquence. » Ils en concluent donc que les religieux
sont des faux apôtres parce qu’ils proposent la parole de Dieu avec grâce et éloquence.
2.
De même, à propos de 1 Co 2, 1 : Lorsque je suis venu vers vous, je ne suis pas venu avec le
prestige de la parole – Glose : « Avec la logique, en recourant à des
arguments logiques ‑, ou une sagesse élevée,
la
Glose dit : « Selon la physique, afin de le confirmer par des
spéculations physiques. » Et plus loin : Et ma
parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse
humaine (1 Co 2, 4). La Glose [dit] : « Car même
si les paroles ont été persuasives, elles ne le furent pas en vertu d’une
sagesse humaine, comme le sont les paroles des faux apôtres. » De cela,
[les adversaires] concluent la même chose que précédemment.
3.
De même, à propos de 2 Co 11, 6 : Car si je suis inhabile à la parole, c’est autre chose pour
la science, la Glose dit : « Car il n’enjolivait pas ses paroles,
mais les faux [apôtres] préparaient bien leurs paroles, et les Corinthiens les
préféraient à cause de leur parole précise. La puissance du discours est
nécessaire à l’intérieur de la religion, et non l’inflexion de la voix. » [Les
adversaires] en concluent donc la même chose que précédemment.
4.
De même, Ne 13, 24 dit : Quant à
leurs enfants, la moitié parlait l’ashdodien, ou la langue de tel ou tel
peuple, et je les tançai et les maudis. Or, la Glose interprète
« parler l’ashdodien » d’un discours rhétorique et philosophique. Il
faut donc excommunier ceux qui mêlent aux paroles de la Sainte Écriture
l’éloquence rhétorique ou la sagesse philosophique. De même, en
Is 1, 22 : Ton vin est coupé
d’eau. Or,
le vin signifie la doctrine sacrée, comme cela ressort clairement de la Glose.
Ceux qui mêlent à la doctrine sacrée l’eau de l’éloquence humaine sont donc
répréhensibles.
5.
De même, à propos de Is 15, 1 : Elle a
été dévastée, Ar, la Glose [dit] : « Ar, c’est-à-dire l’adversaire, à
savoir la sagesse profane qui est opposée à Dieu, dont le mur élevé la nuit par
l’art dialectique est dévasté et devenu silencieux. » Il ressort ainsi
clairement que ceux qui font usage de la sagesse ou de l’éloquence séculières
dans l’enseignement sacré sont répréhensibles.
6.
De même, à propos de Pr 6, 6 : J’ai
couvert ma couche de housses peintes venues d’Égypte, la Glose [dit] :
« Par les housses peintes venues d’Égypte, on entend l’élégance de
l’éloquence et l’artifice de la dialectique qui sont venus des païens. L’esprit
hérétique se glorifie d’en avoir couvert le sens d’un enseignement pestilentiel,
comme une courtisane couvre la couche où elle accomplit son action coupable. »
Il semble donc par cela qu’il soit pernicieux de recourir à la sagesse et à
l’éloquence séculières dans l’enseignement sacré.
7.
De même, à propos de 1 Tm 3, 7 : Il faut que les gens du dehors lui – c’est-à-dire, à
l’évêque – rendent un bon témoignage, de
peur qu’il ne tombe dans le déshonneur, la Glose [dit] :
« C’est-à-dire qu’il ne soit méprisé des fidèles et des infidèles. »
Or, du fait que certains religieux prêchent avec éloquence et élégance, les
évêques finissent par être méprisés auprès du peuple lorsqu’ils ne prêchent pas
de cette façon. Une telle prédication est donc dangereuse pour l’Église de
Dieu.
Pour
leur répondre, il faut prendre les paroles de Jérôme, qui écrit ce qui suit à
un grand orateur de Rome : « Reçois brièvement la réponse à la
question par laquelle tu demandes pourquoi nous utilisons parfois des exemples
des œuvres littéraires séculières et nous souillons la pureté de l’Église par
des saletés païennes. Est-ce que tu t’interrogerais sur cela si tu connaissais
l’ensemble de Cicéron, si tu avais lu les Saintes Écritures, si tu parcourais
ceux qui les ont interprétés, à l’exception de Vulcatius ? En effet, qui
ignore que, chez Moïse et dans les ouvrages des prophètes, certaines choses ont
été prises dans les livres des païens, et que Salomon a répondu aux philosophes
de Tyr et a mis de l’avant certaines autres choses ? » Et poursuivant
ainsi, il montre plus loin, dans toute sa lettre, que les auteurs canoniques
aussi bien que tous leurs interprètes, depuis l’époque des apôtres jusqu’à son
époque, ont mêlé la sagesse et l’éloquence séculières à l’enseignement sacré.
Aussi, après avoir énuméré plusieurs docteurs, ajoute-t-il : « Tous
ont tellement rempli leurs livres d’enseignements et de positions des
philosophes, que tu ne sais ce que tu dois d’abord admirer chez eux : leur
érudition séculière ou leur science des Écritures. » Et, à la fin de sa
lettre, il conclut : « Je me demande qui tu persuaderas – à savoir,
celui qui lui adressait des reproches à ce sujet – que celui qui n’a plus de
dents n’envie pas les dents de ceux qui mangent et ne méprise pas les yeux de
taupe des chèvres ? » Il ressort ainsi clairement qu’il est louable
pour quelqu’un de mettre l’éloquence et la sagesse séculières au service de la
sagesse divine, et que ceux qui le lui reprochent sont comme des aveugles qui
envient les voyants, blasphémant tout ce
qu’ils ignorent, comme il est dit dans la lettre canonique de Jude 10.
De
même, Augustin, dans Sur la doctrine
chrétienne, IV, [écrit] : « Au surplus, celui qui veut parler non
seulement avec sagesse mais avec éloquence, parce qu’il sera assurément plus
utile s’il est capable des deux choses, je le réfère aux gens éloquents qui doivent
être lus, écoutés ou imités en s’exerçant. » Il ressort donc clairement
que, pour la Sainte Écriture, il faut prendre soin qu’un homme parle avec
éloquence et élégance afin que son discours profite davantage aux auditeurs.
De
même, dans le même livre : « Ici, on demandera peut-être si nos auteurs,
qui ont réalisé le canon avec une autorité si salutaire, doivent être appelés
seulement sages ou éloquents. » Et il montre qu’ils ont été éloquents et
qu’ils ont recouru à l’élégance des paroles sous des couleurs rhétoriques. Et
il conclut : « Pour cette raison, nous affirmons que nos sages
auteurs canoniques ont été non seulement éloquents, mais qu’ils ont recouru à
l’éloquence qui convenait à des personnages de ce genre. »
De
même, dans le même livre : « Il importe qu’un homme d’Église
éloquent, lorsqu’il convainc que quelque chose doit être fait, non seulement
enseigne pour instruire et incite à persévérer, mais aussi fléchisse afin de
l’emporter. » Et il montre comment ces trois choses doivent être réalisées
par les saints docteurs en parcourant les discours très élégants des saints
pères. Il ressort ainsi clairement de tout cela que ceux qui enseignent la
Sainte Écriture en prêchant ou en enseignant doivent recourir à l’éloquence et
même à la sagesse séculière.
Cela
ressort aussi clairement du fait que Grégoire, Ambroise et d’autres ont parlé
d’une manière très élégante. Et Augustin, Denys et Basile ont semé dans leurs
livres beaucoup de choses qui viennent de la sagesse profane, comme cela
ressort clairement pour ceux qui lisent et comprennent leurs écrits. Même
l’Apôtre Paul a recouru aux autorités des païens dans sa prédication, comme
cela ressort clairement de Ac 17, 28 et de Tt 1, 12.
De
même, Grégoire, dans Morales, livre IX, en
expliquant ce passage de Jb 9, 9 : Lui qui
fait l’Ourse et Orion, etc., s’exprime ainsi : « Ces noms des
astres ont été trouvés par ceux qui cultivent la sagesse charnelle. Aussi, dans
leur discours sacré, les sages de Dieu tirent-ils leur discours des sages du
siècle, comme Dieu, le créateur de toutes choses, prend en lui-même pour
l’utilité de l’homme la voix de l’humaine souffrance. » Il ressort à
nouveau de cela qu’il convient que les docteurs en Sainte Écriture recourent à
l’éloquence et à la sagesse séculières.
1‑2.
Il faut donc savoir que l’usage de la sagesse et de l’éloquence séculières dans
l’enseignement sacré est, d’une certaine manière, recommandé et, d’une certaine
manière, rejeté. Il est rejeté lorsque quelqu’un y recourt par ostentation et
lorsqu’il s’applique principalement à l’éloquence et à la sagesse séculières.
En effet, il lui faut alors taire ou nier ce que la science séculière
n’approuve pas, comme les articles de la foi qui dépassent la raison humaine.
De la même manière, celui qui s’applique principalement à l’éloquence, ne vise
pas à conduire les hommes à admirer ce qu’il dit, mais [à admirer] celui qui
parle. Les faux apôtres utilisaient de cette manière la sagesse du monde et
l’éloquence ; c’est contre eux que l’Apôtre parle dans l’épître aux
Corinthiens. Ainsi, à propos de 1 Co 1, 17 : Non par des paroles de la sagesse humaine, la Glose dit :
« Les faux apôtres, pour ne pas paraître stupides, prêchaient doublement
aux prudents de ce monde avec la sagesse humaine : en s’appliquant à
éloquence et en évitant ce que le monde estime insensé. » Mais [leur usage]
est recommandé lorsque quelqu’un recourt à la sagesse et à l’éloquence
séculières, non pas pour sa propre ostentation, mais pour l’utilité des
auditeurs, qui sont ainsi parfois plus facilement et plus efficacement
instruits, ou pour l’emporter sur les adversaires. Et, de nouveau, lorsque
quelqu’un ne les prend pas comme principaux objectifs, mais y recourt pour le
service de l’enseignement sacré auquel il s’attache principalement, en mettant
tout le reste à son service, selon ce qu’on lit en 2 Co 10, 5 : En réduisant à la captivité toute intelligence pour le
service du Christ. Ainsi, même les Apôtres recouraient à l’éloquence. Aussi
Augustin dit-il, dans Sur la doctrine
chrétienne, IV, que, dans les paroles de l’Apôtre, la sagesse dirigeait tandis
que l’éloquence suivait, et la sagesse qui dirigeait ne rejetait pas
l’éloquence qui suivait. Toutefois, les docteurs qui suivirent recoururent encore
davantage à la sagesse et à l’éloquence séculières pour la même raison que des
philosophes et des rhéteurs n’ont pas été d’abord choisis pour prêcher, mais
des gens du peuple et des pêcheurs qui, par la suite, convertirent des
philosophes et des orateurs, de sorte que notre foi ne repose pas sur la
sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu, et
qu’aucune chair ne se glorifie devant lui, comme on le lit en
1 Co 1, 29, dans le texte ; et la Glose [dit] à propos de
ce passage : « Voyez votre vocation, frères, etc. » Et par cela
la réponse aux deux premières objections ressort clairement.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que, selon Augustin, dans Sur la doctrine chrétienne, IV, « il semble que l’Apôtre,
lorsqu’il dit : Même si je suis malhabile
à la parole, ce n’est pas le cas pour la science, ait parlé comme s’il acceptait
ce que disaient les détracteurs, et non comme s’il l’acceptait en le
confessant ». En quoi il montre que la sagesse est plus utile au docteur
que l’éloquence. Ainsi, Augustin ajoute : « Il n’a pas hésité à
confesser franchement sa science, sans laquelle il ne pouvait pas être le
docteur des nations. » Mais s’il a entendu cela d’une manière affirmative,
il ne faut pas comprendre que l’Apôtre ne recourait pas à l’éloquence, mais que
son attention ne portait pas principalement sur l’élégance des paroles, comme
le font les rhéteurs, ou parce que, à la lettre, il avait la langue entravée.
Aussi la Glose dit-elle au même endroit : « Car même si je suis malhabile à la parole ; Glose : “Parce que je n’enjolive pas mes paroles ou
parce que j’ai la langue entravée.” » Mais les faux apôtres faisaient
porter principalement leur attention sur l’enjolivement de leurs paroles ;
aussi est-il ajouté au même endroit qu’ils préparaient leurs paroles et que les
Corinthiens les préféraient aux Apôtres en raison de leur discours soigné.
4.
À la quatrième objection, il faut répondre que lorsque quelque chose devient
totalement autre chose, on ne parle pas de mélange, comme il est dit dans Sur la génération, I, mais lorsqu’il y a mélange de
deux choses qui peuvent être mélangées, il y a conversion en une troisième.
C’est pourquoi lorsque quelqu’un ajoute à la Sainte Écriture quelque chose de
la sagesse profane qui va dans le sens de la vérité de la foi, le vin de la
Sainte Écriture n’est pas mêlé, mais il demeure pur. Mais un mélange est opéré
lorsque quelque chose est ajouté [à la Sainte Écriture] qui corrompt la vérité
de l’Écriture. Aussi la Glose dit-elle au même endroit : « Celui qui
assouplit selon la volonté des auditeurs les commandements de la Sainte Écriture
par lesquels il doit les corriger corrompt le vin en y mêlant son
opinion. »
5
et 6. À la cinquième objection, il faut répondre que cette glose parle de la
sagesse séculière qui s’oppose à Dieu, ce qui se produit lorsque la sagesse
profane est donnée comme la principale. En effet, il en découle que quelqu’un
veut régler la foi selon les enseignements de la sagesse séculière, et de là
viennent les hérésies contraires au Christ. La glose suivante qui est invoquée
à propos de Pr 6, 6 parle aussi de cette façon. La réponse à la sixième
objection est donc claire.
7.
À la septième objection, il faut répondre que les choses bonnes qu’ils font ne
sont pas interdites aux bons parce que, par comparaison avec eux, certains sont
méprisés, mais ce sont plutôt ceux-ci qui se rendent méprisables. De même que
les œuvres de la perfection ne sont pas interdites aux religieux parce que
certains prélats vivant de manière charnelle sont rendus méprisables par
comparaison avec eux, de même il ne faut donc pas reprocher aux religieux une
prédication éloquente, bien que la prédication moins éloquente de certains prélats
soit méprisée.
Il reste maintenant à
voir comment [les adversaires] mettent sens dessus dessous le jugement sur les
réalités, en blâmant précisément ce qui peut ou ne peut pas être fait. Car ils
blâment les religieux :
1.
Qu’ils ne doivent pas faire leur propre éloge, [leurs adversaires] s’efforcent
de le prouver premièrement par ce qu’on lit en Rm 16, 18 : Par des discours doucereux et flatteurs, etc. La Glose [dit] :
« Par des paroles bien préparées qui trompaient le cœur des gens simples,
les faux apôtres faisaient l’éloge de leur tradition. » Ainsi, lorsque les
religieux font l’éloge de leur ordre et par là en attirent certains à leur
ordre, ils se montrent des faux apôtres, semblables aux pharisiens dont il est
dit en Mt 23, 15 : Malheur à vous,
scribes et pharisiens hypocrites, qui parcourez la mer et le désert pour faire
un seul prosélyte.
2.
De même, à propos de 2 Co 3, 1 : Recommençons-nous à nous recommander nous-mêmes ? la Glose [dit] :
« Comme s’il disait : “Y a-t-il quelqu’un pour nous imposer
cela ?” Que jamais nous ne fassions cela ! » La conclusion est
ainsi la même que précédemment.
3.
De même, on ajoute au même endroit : Ou
aurions-nous besoin, comme certains, de lettres de recommandation pour vous ou
de vous ? (2 Co 3, 1). La Glose [dit] : « À savoir,
comme des faux apôtres qu’aucune puissance ne recommande. Nous n’en avons pas besoin ! »
Il semble ainsi que ceux qui se procurent des lettres de recommandation sont de
faux apôtres.
4.
De même, à propos de 2 Co 4, 2 : Par la manifestation de la vérité, nous nous recommandons
nous-mêmes, la Glose [dit] : « Sans comparaison avec les
adversaires. » Les religieux qui, en se recommandant eux-mêmes, placent
leur vie religieuse au-dessus des autres vies religieuses, ne sont donc pas de
vrais apôtres.
5.
De même, en 2 Co 5, 5 : Car nous
ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus, le Christ. Or, ceux qui se
recommandent eux-mêmes prêchent eux-mêmes. Ils ne sont donc pas de véritables
imitateurs des apôtres.
6.
De même, à propos de 2 Co 10, 12 : Car nous n’aurons pas l’audace de nous comparer à certains
qui se recommandent eux-mêmes, la Glose [dit] : « C’est-à-dire des gens
faux. » Ceux qui se recommandent semblent donc être de faux apôtres.
7.
De même, en 2 Co 10, 18 : «Ce
n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais celui
que Dieu recommande. Ceux qui se recommandent eux-mêmes ne sont donc pas
approuvés par Dieu.
8.
De même, en Pr 27, 2 : Que
l’étranger te loue, et non ta propre bouche, quelqu’un du dehors, et non tes
propres lèvres.
9.
De même, Pr 28, 25 : L’homme qui se vante
et se surestime provoque des disputes. Il est ainsi clair qu’il est
répréhensible pour quelqu’un de se recommander lui-même.
10.
De même, en Jn 8, 54 : Si je me
glorifie moi-même, ma gloire n’est rien. À bien plus forte raison, ceux
qui se recommandent eux-mêmes montrent que leur gloire n’est rien.
Et
ainsi, ils s’efforcent de montrer par tout ce qui a été dit qu’il n’est pas
permis à quelqu’un de recommander lui-même ou son état.
Mais
que des saints se recommandent parfois eux-mêmes, cela est manifestement
démontré tant par l’Ancien Testament que par le Nouveau Testament. En effet, il
est dit, en Ne 5, 18‑19, qu’il a lui-même dit pour se
recommander : Malgré cela, je n’ai
jamais réclamé la solde du gouverneur que j’étais, car le peuple était
surchargé. Souviens-toi de moi, mon Dieu, pour tout le bien que j’ai fait à ce
peuple.
De
même, en Jb 31, 1 : J’avais fait un pacte
que je ne fixerais aucune vierge de mes yeux, et Jb 29, 14 : J’avais pris la justice comme vêtement, et elle m’a couvert
comme d’un vêtement. Et [Job] dit beaucoup d’autres choses, dans ces deux
chapitres, pour se recommander lui-même.
De
même, l’Apôtre [dit] en Rm 15, 18 : Car je
n’ose rien dire de ce que le Christ n’a pas accompli par moi. Et plus loin : Depuis Jérusalem, en rayonnant jusqu'à l’Illyrie, j’ai
procuré l’accomplissement de l’évangile du Christ (Rm 15, 19). De même,
en 1 Co 15, 10 : J’ai peiné plus qu’eux
tous. Et
en 2 Co 11, 21 : Si quelqu’un s’en
prévaut, je m’en prévaux moi aussi, et beaucoup d’autres choses qu’il
dit là en se recommandant lui-même. De même, En Ga 1, 16 : Je n’ai pas consenti à la chair et au sang, et il dit bien
d’autres choses dans le même chapitre et dans le chapitre suivant, qui se rapportent
à sa propre recommandation.
Qu’il
ait aussi recommandé son propre état, cela est expressément exprimé en
2 Co 3, 6 : Qui nous a rendus
capables d’être les ministres d’une nouvelle alliance, non par la lettre mais
par l’Esprit. Et il ajoute là plusieurs choses pour recommander la dignité
apostolique. Il ressort ainsi clairement qu’il est permis à un religieux de
recommander sa vie religieuse et, par là, d’en amener d’autres à sa communauté
religieuse.
De
même, l’Apôtre, en recommandant la perfection de la virginité en 1 Co 7, 7,
en exhortait d’autres à l’état de virginité dans lequel lui-même se trouvait,
en disant : Je veux que tous les hommes
soient comme moi. Les religieux, qui sont dans l’état de perfection, peuvent donc
recommander leur propre vie religieuse.
Parce
que se recommander soi-même est parfois louable et parfois répréhensible,
Grégoire montre, dans la neuvième homélie de la première partie de son
commentaire sur Ézéchiel, comment les bons peuvent se recommander, en
disant : « Les justes et les parfaits annoncent parfois leur propres
vertus, ils racontent les biens qu’ils ont reçus de Dieu, non pour tirer
eux-mêmes profit auprès des hommes en se mettant en évidence, mais pour attirer
par leur exemple ceux à qui ils prêchent. Qu’il ait eu accès au paradis, Paul
le raconte aux Corinthiens pour détourner leur esprit des faux
prédicateurs. » Et plus loin : « Lorsque les parfaits le font, à
savoir lorsqu’ils racontent leurs propres vertus, ils sont ainsi les imitateurs
de Dieu, qui fait son propre éloge devant les hommes afin d’être connu des
hommes. » Mais pour éviter que quelqu’un n’ait l’audace de se louanger
sans discernement, il ajoute un peu plus loin les principales situations dans
lesquelles ils doivent se recommander. Il dit ainsi : « À leur sujet
– à savoir, à propos des justes ‑, il faut savoir qu’ils ne révèlent pas
le bien qu’ils font à moins que l’utilité du prochain ou une nécessité
contraignante ne les y force. C’est ainsi que Paul, après avoir énuméré ses
vertus aux Corinthiens, ajoute : Me voilà
devenu insensé ! C’est vous qui m’y avez contraint (2 Co 12, 11).
Mais il arrive que, poussés par la nécessité, ils recherchent non pas l’utilité
du prochain, mais leur propre [utilité] lorsqu’ils rapportent le bien qu’ils
font, comme Job énumère ce qu’il a fait en disant : J’ai prêté mon œil à l’aveugle, etc. (Jb 29, 15).
Mais parce qu’il était blessé par la douleur, accusé qu’il était par ses amis
qui le blâmaient d’avoir mal agi et d’avoir été un dur oppresseur des pauvres,
le saint homme, pris entre les fléaux reçus de Dieu et les paroles de blâme des
hommes, voyait son esprit gravement affecté et poussé vers la fosse du
désespoir, dans laquelle il serait tombé s’il ne s’était pas rappelé ce qu’il
avait fait de bien. En énumérant ce qu’il avait fait de bien, il ne désire pas
le faire connaître à d’autres en cherchant la louange, mais [il désire] ramener
son esprit à l’espérance. »
Il
ressort donc clairement de ce qui a été dit que les justes peuvent se
recommander eux-mêmes pour plusieurs causes, non pas en recherchant la gloire
de la part des hommes, mais pour leur propre utilité ou celle des autres. Mais
il est surtout permis à l’homme parfait de recommander l’état de perfection
afin d’en enflammer d’autres à suivre l’état de perfection, de la même façon
qu’il est permis à un chrétien de recommander la religion chrétienne auprès des
infidèles afin qu’ils se convertissent à la foi. Et plus ils sont saints, plus
ils possèdent l’ardent désir de convertir les autres à l’état de perfection.
Aussi Paul disait-il en Ac 26, 29 : Qu’il
s’en faille de peu ou de beaucoup, puisse Dieu faire que non seulement toi,
mais tous ceux qui m’écoutent aujourd’hui, vous deveniez comme moi !
1.
Ce qui est dit en Rm 16, 18, qu’ils recommandaient leurs propres traditions,
s’éclaire par ce que dit la Glose au même endroit : leur tradition
consistait à forcer les païens à judaïser, et ils recommandaient cette
tradition par des paroles bien préparées afin de retourner les gens simples. Il
n’appelle donc pas une tradition l’état religieux, mais une doctrine fausse et
hérétique. De même, en Mt 23, 15, les pharisiens ne sont pas blâmés
parce qu’ils se souciaient de faire des prosélytes, mais parce que, après les
avoir convertis, ils les imprégnaient de fausses doctrines, ou bien, parce que
les prosélytes, constatant leurs vices, retournaient au paganisme ; et
ainsi, ils étaient dignes d’un plus grand châtiment, comme cela ressort
clairement de la Glose en cet endroit.
2.
À propos de ce qui est dit en 2 Co 3, 1, il faut répondre que les
apôtres ne se recommandaient pas eux-mêmes comme s’ils cherchaient leur propre
gloire, mais pour les raisons qu’exprime Grégoire.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que l’Apôtre ne nie pas qu’il faille
recourir à des lettres de recommandation, mais il montre que lui-même n’en a
pas besoin pour lui-même, comme en avaient besoin les faux
apôtres qu’aucune puissance ne recommandait, comme le dit la Glose. Mais
parfois les saints ont besoin de lettres de recommandation, non pas pour
eux-mêmes, mais pour les autres qui ignorent leur vertu ou leur autorité. De
cette manière, Paul a recommandé Timothée en 1 Co 16, 10 : Si Timothée vient chez vous, faites en sorte qu’il n’ait
rien à craindre auprès de vous, car il accomplit l’œuvre de Dieu, etc. Et en Ph 2, 19 :
Mais j’espère dans le Seigneur Jésus [vous envoyer]
Timothée, et plus loin : Je n’ai vraiment
personne qui soit si proche, etc. (Ph 2, 20), et Col 4, 10 : Marc, le cousin de Barnabé, au sujet duquel vous avez reçu
des instructions, etc., et Rm 16, 1 : Je vous
recommande Phébé, notre sœur, etc. À partir de là, la coutume s’est
établie que ceux qui sont envoyés reçoivent des lettres de témoignage et de
recommandation de ceux qui les envoient.
4.
À la quatrième objection, il faut répondre que, de même que les saints ne se recommandent
pas eux-mêmes afin d’obtenir leur propre gloire, mais pour l’utilité des autres,
de même ils se placent parfois au-dessus des autres, non par orgueil, mais pour
l’utilité des autres. En effet, les saints se placent parfois au-dessus des
méchants afin que les méchants, qui imitent les saints, soient évités par le
peuple, comme l’Apôtre en 2 Co 11, 23 : Ils sont les ministres du Christ, et moi aussi ; je
vais dire une folie : moi encore davantage ! Parfois aussi, ils se
placent au-dessus des bons afin qu’on reconnaisse leur autorité parmi les hommes :
s’ils sont méprisés d’eux, ils ne peuvent pas les faire progresser. Ainsi
l’Apôtre s’est-il placé même au-dessus des vrais apôtres sous un certain aspect,
en 1 Co 15, 10 : Sa grâce n’a pas été
stérile en moi, mais j’ai peiné davantage qu’eux tous. Et encore, ils préfèrent
davantage et sans reproche leur état à l’état moins parfait des autres dans la
mesure où une telle comparaison n’a pas le goût de leur gloire
particulière ; de cette manière, l’Apôtre, en 2 Co 3, 4s,
place les ministres de la Nouvelle Alliance au-dessus des ministres de
l’Ancienne Alliance. De cette manière aussi, en 1 Tm 5, 17, il
place l’état des docteurs, au nombre desquels il était, au-dessus des autres états
de l’Église : Les presbytres qui
exercent bien la présidence méritent une double rémunération, surtout ceux qui
peinent à la parole et à l’enseignement. Ou bien on peut dire que cette
glose est invoquée faussement : en effet, l’Apôtre parle là d’une recommandation
non pas en paroles, mais par les actes qui les rendaient recommandables à la
conscience des hommes, comme cela ressort clairement du texte. Et il est
évident qu’ils se montraient meilleurs par leurs actes que ne le faisaient les
faux apôtres, puisqu’ils accomplissaient des actes meilleurs. Aussi ce que [la
Glose] dit : « Sans comparaison avec les adversaires », doit
être interprété ainsi : « C’est-à-dire incomparablement plus que les
adversaires. » Aussi la Glose est-elle contraire à ce pour quoi elle est
invoquée.
5.
La réponse à la cinquième objection est claire d’après ce que dit la Glose au
même endroit : « En effet, nous ne prêchons pas nous-mêmes,
c’est-à-dire que notre prédication ne vise pas notre gloire ou notre profit,
mais la gloire du Christ. » Car les saints, même si parfois ils se
recommandent eux-mêmes, ne cherchent cependant pas leur gloire, mais celle de
Dieu et le progrès des autres.
6.
La réponse à la sixième objection ressort aussi clairement de ce que la Glose
dit en cet endroit : « Nous ne nous imposons pas à certains, à
savoir, en tant que faux envoyés de Dieu qui se recommandent par certains
actes, alors que Dieu ne s’impose pas à eux. » Aussi ne peut-on pas
conclure de cela que ceux qui ne sont pas envoyés par Dieu par l’intermédiaire
des prélats de l’Église ne peuvent se recommander eux-mêmes, puisque Dieu les
recommande en distribuant généreusement les dons de ses grâces, toutefois pour
les raisons mentionnées plus haut.
7.
Ainsi, la réponse à la septième objection est aussi claire.
8
et 9. À la huitième et à la neuvième objection, il faut répondre que ces autorités
parlent de la gloire par laquelle quelqu’un se recommande, en cherchant sa
propre gloire.
10.
La réponse à la dixième objection est elle aussi claire d’après la glose interlinéaire
qui dit : « Si je ne fais que me glorifier moi-même. » Ainsi,
ceux qui ne sont pas glorifiés par Dieu, s’ils se glorifient eux-mêmes, leur
gloire n’est rien ; il en va autrement de ceux que Dieu glorifie par les
dons de ses grâces qu’Il leur distribue généreusement.
Voyons
maintenant comment, en deuxième lieu, ils s’efforcent de montrer que les
religieux ne doivent pas résister à leurs détracteurs.
1.
À propos de 1 Co 12, 3 : Personne
ne peut dire : « Jésus, le Seigneur », la Glose dit :
« Les chrétiens doivent s’humilier en acceptant d’être repris et de ne pas
chercher à être amollis par des flatteries. » Les religieux qui ne
supportent pas d’être repris montrent donc qu’ils ne sont pas de vrais
chrétiens.
2.
De même, à propos de 2 Co 12, 12 : Les signes de mon apostolat ont été tracés sur vous en
toute patience, la Glose dit : « Il rappelle en premier la patience qui
se rapporte au comportement. » Ceux qui exercent la fonction de prêcher
des apôtres doivent donc être principalement patients, selon ce que dit le
Ps 92[91], 15 : Ils se montreront
patients afin de pouvoir annoncer. Ils doivent donc supporter
patiemment leurs détracteurs et ne pas leur résister.
3.
De même, à propos de Ga 4, 16 : Je suis
donc devenu votre ennemi en vous disant la vérité, la Glose dit :
« Personne qui est charnel ne veut être repris alors qu’il se
trompe. » Ceux qui n’endurent pas d’être repris montrent donc qu’ils sont
charnels.
4.
Au surplus, à propos de Ph 3, 2 : Voyez
les chiens, etc., la Glose dit : « Sachez qu’ils sont des chiens, non pas
par la raison, mais par leur habitude d’aboyer contre une vérité
insolite. » Et plus loin : « Comme les chiens suivent plus leur
habitude que la raison, ainsi les faux apôtres aboient déraisonnablement contre
la vérité et mordent. » Et ainsi, ceux qui mordent depuis peu ceux qui
leur reprochent leurs vices sont de faux apôtres.
5.
De même, Grégoire dit dans le Pastoral : « Celui qui
s’applique à mal agir et veut cependant que les autres le taisent, témoigne
contre lui-même, car il s’aime lui-même plus que la vérité qu’il ne veut pas
voir défendue contre lui-même. » Or, Dieu est la vérité, comme il est dit
en Jn 14, 6. Ceux qui ne supportent pas d’être repris montrent donc
qu’ils s’aiment eux-mêmes plus que Dieu, et ainsi sont dans un état de
damnation.
6.
De même, on peut encore ajouter de meilleures objections en ce sens.
Pr 9, 8 : Ne reprends pas celui
qui te ridiculise afin qu’il ne te prenne pas en haine ; reprends le sage,
et il t’aimera. De même, Si 21, 7 : Celui
qui déteste la correction emprunte le sentier du pécheur. De même,
Rm 12, 14 : Bénissez ceux qui vous
persécutent, et ne les maudissez pas. De même,
Lc 6, 28 : Bénissez ceux qui vous
maudissent et priez pour ceux qui vous calomnient. De même,
1 Co 4, 12 : On nous insulte, mais
nous bénissons ; on nous calomnie, mais nous consolons. Par tout cela, il
semble que les hommes parfaits, et principalement ceux qui s’adonnent à la
fonction de la prédication, ne doivent pas résister à ceux qui les maudissent.
Mais
que les hommes apostoliques puissent parfois résister à ceux qui les maudissent,
cela ressort clairement de ce que dit la Glose à propos de
Rm 3, 8 : Non pas que nous
soyons calomniés et, comme certains l’affirment, que nous disions :
« Faisons le mal pour qu’en sorte le bien ! » Ils méritent leur
condamnation : « Certains hommes mauvais, sans intelligence et portés à
faire des reproches, nous accablent de la sorte, et ceux-là méritent d’être
condamnés. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas les croire. » Il
résiste donc manifestement aux détracteurs.
De
même, à propos de 3 Jn 10 : Si je
viens, je ferai connaître ce qu’il fait en se répandant en mauvais propos, la Glose dit :
« De même que nous ne devons pas exciter les langues de ceux qui s’en
prennent à notre vice pour qu’ils ne périssent pas, de même nous devons
supporter avec sérénité celles qui sont excitées par leur propre fourberie, et
parfois les réprimer, de sorte qu’en répandant de mauvais propos à notre sujet,
ils ne corrompent les cœurs de ceux qui auraient pu nous écouter. »
De
même, en 2 Co 10, 10‑11 : Les
lettres, dit-on, sont énergiques et sévères ; mais, lorsqu’il est présent,
il est faible et sa parole, méprisable. Qu’il se le dise bien, celui qui pense
cela : tel nous sommes en paroles dans nos lettres quand nous sommes
absent, tel nous serons dans nos actes, une fois présent. Il ressort clairement
de cela que l’Apôtre s’est opposé à ceux qui répandaient des calomnies à son
sujet.
De
même, dans sa neuvième homélie de la première partie sur Ézéchiel, Grégoire
dit : « Ceux dont la vie est donnée en exemple à imiter doivent,
s’ils le peuvent, réprimer les paroles de ceux qui les calomnient, de crainte
que ceux qui auraient pu écouter leur prédication ne l’écoutent pas et, en
maintenant un comportement mauvais, ne méprisent une vie bonne. » Or, les
hommes parfaits sont ceux dont la vie est donnée à imiter. Ils doivent donc
réprimer la langue de ceux qui les calomnient, lorsqu’ils le peuvent.
De
même, dans Sur la Trinité, II, Augustin
dit : « La charité la plus belle et la plus pudique reçoit volontiers
le baiser de la colombe ; mais l’humilité la plus pure et la plus vigilante
évite la dent des chiens, ou bien la vérité la plus ferme l’émousse. » Il
ressort ainsi clairement que les dents aiguisées des calomniateurs doivent
parfois être évitées et parfois émoussées.
De
même, cela ressort clairement de l’exemple de nombreux saints, tels Grégoire de
Nazianze, Jérôme, Bernard et beaucoup d’autres, qui ont écrit des livres pour
se défendre et des lettres dans lesquelles ils se disculpaient de ce dont on
les accusait.
Parmi
ceux qui font des critiques, il faut faire une distinction : ou bien ils
critiquent de manière ordonnée et avec l’intention de corriger, et ainsi ils
doivent non seulement être supportés, mais aimés ; ou bien, en critiquant,
ils accusent faussement d’autres qui les reprennent, et alors, il faut parfois
les supporter avec patience, lorsqu’une telle critique ne nuit pas beaucoup aux
autres en engendrant un scandale dans les cœurs des auditeurs ; mais
parfois, si cela est possible, ils doivent être repoussés, non pas par amour de
sa propre gloire, mais pour l’utilité commune. S’ils ne peuvent être repoussés,
ils doivent cependant être patiemment tolérés. Aussi Grégoire dit-il dans
l’homélie mentionnée : « Les justes, de même qu’ils parlent parfois
sans arrogance du bien qu’ils font, de même réfutent parfois, sans recherche
excessive de leur propre gloire, ce que leurs calomniateurs disent à leur sujet,
parce que ceux-ci disent des choses nuisibles ; mais lorsqu’ils ne peuvent
corriger ce que disent les calomniateurs, cela doit être supporté avec
sérénité, et il ne faut pas craindre ce que dit un calomniateur, de sorte qu’en
craignant la critique des méchants, on abandonne le chemin d’un comportement
honnête. »
1.
À la première objection, il faut répondre que les vrais chrétiens supportent
d’être critiqués par ceux qui critiquent en vue de corriger ; mais ils
résistent à ceux qui critiquent pour démolir, et surtout lorsque, non seulement
les personnes, mais la vérité est blasphémée.
2.
À la deuxième objection, il faut répondre que les hommes apostoliques doivent
toujours faire preuve de patience ; mais le fait qu’ils résistent parfois
à leurs détracteurs ne vient pas de l’impatience, mais du souci de la vérité,
comme on l’a dit.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que sont charnels ceux qui estiment
mauvais ceux qui les corrigent de manière charitable, mais non pas ceux qui
résistent aux détracteurs de la vérité.
4.
À la quatrième objection, il faut répondre que cette glose parle de ceux qui
aboient sans raison contre la vérité, en mordant les prédicateurs de la
vérité ; mais ceux qui, sous prétexte de patience, supporteraient ceux qui
prêchent une fausseté devraient être comparés aux chiens silencieux dont parle
Is 56, 10 : Des chiens silencieux
qui ne savent pas aboyer.
5.
À la cinquième objection, il faut répondre que de même que celui qui ne veut
pas que la vérité soit défendue à son désavantage montre qu’il s’aime plus
lui-même que la vérité, de même s’aime plus lui-même celui qui ne résiste pas
aux adversaires de la vérité pour avoir la paix. Et ainsi, les saints résistent
aux détracteurs par amour de la vérité.
6.
À toutes les objections qui suivent, la réponse est claire, car, dans les
autorités qui suivent, il est commandé d’aimer ceux qui corrigent honnêtement,
et il nous est interdit de poursuivre avec haine ou impatience ceux qui
calomnient méchamment : nous devons plutôt les aimer et prier pour eux, ce
que font aussi pour eux les saints lorsqu’ils résistent à leurs calomnies.
En
troisième lieu, il reste maintenant à voir comment [leurs adversaires]
s’efforcent de montrer que les religieux ne doivent pas se battre en procès ni
faire en sorte d’être défendus par les armes, premièrement, en invoquant ce
qu’on lit en 1 Co 6, 7 : De toute
façon, c’est déjà pour vous une faute d’avoir des procès entre vous. Pourquoi
ne pas souffrir plutôt l’injustice ? La Glose dit à cet endroit :
« Il est permis aux parfaits de réclamer ce qui est à eux de bonne foi,
c’est-à-dire sans procès, sans dispute, sans jugement, mais il ne leur convient
pas d’intenter un procès devant un juge. ». Puisque les religieux sont
dans un état de perfection, ils ne doivent donc pas se battre en procès contre
quelqu’un.
2.
De même, il est dit en Mt 5, 40 : À celui
qui veut se battre en procès contre toi et t’enlever ta tunique, donne aussi
ton manteau. Et comme cela ressort clairement de la Glose, les trois
commandements qui sont donnés là montrent la perfection de la justice. Puisque
les religieux professent la perfection de la vie, ils ne doivent donc pas se
battre avec quelqu’un en procès, mais plutôt abandonner ce qui leur appartient.
3.
De même, à propos de Lc 6, 29 : À qui
t’enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique, et plus loin : À qui t’enlève ton bien, ne le réclame pas (Lc 6, 30),
la Glose dit : « Ce qui est dit du manteau et de la tunique doit être
fait pour les autres choses. » Il semble donc que les religieux, à qui se
rapportent principalement ces commandements, ne doivent pas s’opposer à ceux
qui les dépouillent ni réclamer les choses enlevées.
4.
De même, en Mt 10, 14, le Seigneur ordonne aux apôtres : Quiconque ne vous accueillera pas et n’écoutera pas vos
paroles, sortez de sa maison ou de la ville, et secouez la poussière de vos
pieds.
On lit la même chose en Lc 9, 5. Il semble donc que les apôtres et
les hommes apostoliques et parfaits ne doivent pas aller en procès afin d’être
reçus dans une ville, dans une place fortifiée ou dans une société.
5.
De même, en 1 Co 11, 16 : Si
quelqu’un parmi vous se montre chamailleur, nous n’avons pas une telle coutume.
Ceux
qui se battent en procès s’écartent donc du modèle de la perfection
apostolique.
6.
De même, à propos de 1 Co 13, 5 : La charité ne recherche pas son intérêt, la Glose dit :
« Elle ne réclame pas les choses enlevées. » Ceux qui réclament ce
qui leur appartient en se battant en procès n’ont pas la charité.
7.
De même, dans les Morales : « Lorsque la
paix est enlevée du cœur en rapport avec le prochain en raison d’une chose
terrestre, il s’avère que la chose [en question] est plus aimée que le prochain. »
Or, cela va à l’encontre de l’ordre de la charité. Celui qui, parce qu’il
réclame son bien, provoque le trouble chez son prochain agit donc contre
l’ordre de la charité.
8.
De même, selon la règle de Jérôme : « Tout ce qui peut être fait ou
ne pas être fait en sauvegardant la triple vérité, il faut l’omettre en raison
du scandale. » Or, quelqu’un peut abandonner ce qui lui appartient et ce
pour quoi il se bat en procès en sauvegardant la triple vérité. S’il réclame en
procès en provoquant le trouble et le scandale du prochain, il agit donc contre
la charité.
9.
De même, parmi toutes les choses temporelles, la nourriture est nécessaire au
corps pour subsister. Or, la nourriture est délaissée en raison du scandale du
prochain. 1 Co 8, 13 : Si la
nourriture scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de viande. À bien plus forte
raison, il faut donc abandonner tous les autres biens temporels plutôt que de
provoquer le trouble ou le scandale du prochain.
Mais
qu’il soit permis aux saints de se protéger par jugement[37],
cela ressort clairement de ce qu’on lit en Ac 25, 10‑12, où
Paul, afin de ne pas être livré, en appelle à César. Or, l’appel se rapporte au
jugement. Les parfaits peuvent donc se défendre par jugement.
De
même, qu’ils puissent obtenir d’être défendus par les armes, cela ressort clairement
de l’exemple du même Apôtre, dont il est dit, en Ac 23, 17s, qu’il
obtint d’être amené sous la garde de soldats armés, qui le défendraient contre
ceux qui étaient en embuscade.
De
même, qu’il soit permis aux parfaits de défendre la liberté de leur état en
recourant principalement au jugement de l’Église, cela ressort clairement de ce
qu’on lit, en Ac 15, 1s, que Paul et Barnabé montèrent à Jérusalem
pour obtenir un jugement des apôtres contre ceux qui voulaient que les croyants
venus de chez les païens soient ramenés à l’esclavage de la loi. À ce sujet,
Ga 2, 4‑5 dit aussi : Mais à
cause des intrus, ces faux frères qui se sont glissés pour espionner la liberté
que nous avons dans le Christ Jésus, afin de nous réduire en servitude, gens
auxquels nous refusâmes sur le champ de céder. Si donc certains veulent réduire
les religieux et les parfaits à la servitude, ceux-ci peuvent se défendre par le
jugement de l’Église.
De
même, qu’ils puissent aussi parfois défendre leurs biens temporels par un jugement,
on le lit expressément chez Grégoire, dans les Morales,
qui
parle ainsi : « Puisque la nécessité de la route nous impose de
prendre soin de nos biens, certains doivent être tolérés lorsqu’ils les volent,
mais d’autres en être empêchés en sauvegardant la charité, non pas cependant
par la seule préoccupation que nos biens nous soient enlevés, mais parce que,
volant ce qui ne leur appartient pas, ils se perdent eux-mêmes. En effet, nous
devons craindre davantage pour les voleurs que convoiter des choses qui n’ont
pas la raison. »
De
même, Grégoire dit dans les Morales, à propos de ce passage
de Jb 39, 21 : Il s’élance devant les
hommes armés : « La plupart du temps, nous sommes laissés en paix et
inébranlables si nous ne nous préoccupons pas de nous opposer aux méchants au
nom de la justice. Mais si notre âme brûle du désir de la vie éternelle, si
déjà elle perçoit à l’intérieur d’elle-même la lumière véritable, s’il a allumé
en elle la flamme d’une sainte ferveur, pour autant que le lieu le permet, pour
autant que la cause l’exige, nous devons nous dresser nous-mêmes pour la
défense de la justice et nous opposer aux méchants qui s’élancent vers l’injustice,
même lorsque nous n’y sommes pas provoqués par eux, car, lorsqu’ils atteignent
chez d’autres la justice que nous aimons, ils nous percent néanmoins de leurs
coups, même s’ils semblent nous vénérer. » De cela il ressort clairement
que les parfaits doivent aller loin pour repousser les injustices, même
lorsqu’ils ne sont pas provoqués.
De
même, il relève de la fonction de la charité que quelqu’un libère les opprimés
de ceux qui les oppriment, selon ce que disent Jb 29, 17 : Je brisais les dents de l’impie et j’arrachais sa proie de
ses dents, Pr 24, 11 : Arrache
ceux qui sont menés à la mort, et Ps 82[81], 4 : Arrachez le pauvre et libérez l’indigent de la main du
pécheur. Or, quelqu’un est plus tenu de déployer les fonctions de la
charité pour ceux qui lui sont le plus unis. Or, les frères de sa communauté
religieuse sont les plus unis à un religieux. Il doit donc par charité résister
à ceux qui s’efforcent d’opprimer les frères de sa communauté religieuse.
Il
ressort donc clairement de tout ce qui a été dit que les religieux résistent
aux violences et aux perfidies des méchants, non seulement légitimement, mais
parfois aussi louablement.
Il
faut donc savoir que parfois les adversaires des religieux s’en prennent à leur
vie religieuse même ou à l’état des religieux pour ce qui relève du spirituel,
et parfois [pour ce qui relève] du temporel. S’ils sont attaqués dans le
domaine spirituel, ils doivent résister de toute leur force, et surtout pour
les choses qui ne sont pas utiles à eux seulement, mais aussi aux autres, car,
étant donné qu’ils ne prennent l’état religieux que pour s’adonner aux réalités
spirituelles, leur propos de perfection est empêché par une telle attaque.
Ainsi, puisqu’il relève de la perfection qu’un homme préserve son propos de perfection,
de même faut-il qu’il résiste à ceux qui l’en empêchent. Mais s’ils [sont
attaqués] dans le domaine temporel, alors il relève de la perfection que
quelqu’un supporte avec patience un dommage qui tourne à son propre détriment,
à moins peut-être qu’il ne veuille venir en aide à celui qui lui fait violence
en résistant à sa malice, comme cela ressort clairement de l’autorité de Grégoire
qui a été invoquée. Mais, pour ce qui se rapporte à un détriment commun, même
temporel, il ne relève pas de la perfection mais de la négligence et de la
pusillanimité de supporter de tels préjudices, alors qu’il peut résister,
puisque quelqu’un est tenu en vertu de la charité de s’opposer aux préjudices
causés au prochain, lorsqu’il le peut, selon ce qui est dit dans Pr 24, 11 :
Arrache ceux qui sont menés à la mort, etc.
1.
À la première objection, il faut répondre que, dans ce passage de l’Apôtre, quelque
chose est interdit à tous, et quelque chose aux parfaits seulement. Il est
interdit à tous de réclamer par procès ce qui leur appartient dans la dispute,
avec véhémence ou par tromperie, ou encore auprès de juges incroyants, comme
cela ressort clairement de la Glose au même endroit. Mais il est interdit aux
parfaits de se présenter devant un juge pour réclamer ce qui leur appartient en
s’engageant dans une dispute et dans un procès. Mais, comme le dit Gratien,
dans le Décret, C. 14, q. 1,
c. 1, Episcopus, il faut entendre
cela de la réclamation de biens propres, et non de la réclamation des biens
communs qu’il leur est permis de réclamer comme de posséder. Et en réclamant
ainsi les biens de ce genre par jugement, ils ne réclament pas leurs biens
propres, mais les biens de l’Église, dont ils ont la charge, et ils ne se
présentent pas devant un juge pour eux-mêmes, mais ils en représentent d’autres
dont ils gèrent les affaires. Toutefois, il faut savoir que cette glose n’est
pas authentique mais magistrale, ce qui ressort clairement du fait qu’elle est
une conclusion tirée des paroles d’Augustin invoquées. Aussi, un peu plus haut,
[Gratien] dit-il : « Comme les paroles d’Augustin mentionnées,
etc. ». Bien qu’il soit dit dans ces paroles d’Augustin que l’obtention
d’un jugement est permis aux faibles par bienveillance, il n’y est cependant
pas dit que cela n’est pas permis aux parfaits, et le Maître n’ajoute pas aussi
par la suite que cela ne leur est pas permis, mais que cela ne leur convient
pas. En effet, s’il n’était pas permis à ceux qui sont dans l’état de
perfection de traîner quelqu’un en jugement, cela ne serait pas non plus permis
aux évêques dont l’état est plus parfait que celui des religieux, autrement les
religieux ne pourraient pas être promus au sommet de la prélature. En effet,
par le fait que quelqu’un assume l’état de perfection, quelque chose ne lui
devient pas permis qui ne l’était pas auparavant, à moins qu’il ne s’y soit
engagé d’une manière spéciale par vœu. Il n’est donc pas davantage interdit aux
religieux de porter une cause en jugement qu’il ne l’était antérieurement, à
moins que cela ne contredise le vœu de pauvreté, et cela se produit lorsqu’un
religieux voudrait aller en procès pour récupérer ou acquérir ses biens
propres, qu’il ne lui est pas permis de posséder selon le vœu de sa profession,
ou parfois aussi en raison d’un scandale.
Ou
bien l’on peut dire, avec plus de vérité peut-être, que ce que dit cette glose
ne peut s’entendre des parfaits par leur état, comme le sont les religieux,
parce que ceux-ci n’ont aucun bien propre ; aussi cela ne voudrait rien
dire que, dans la même glose, il soit dit qu’ils peuvent réclamer leurs biens
propres tout simplement. Ce qui est dit dans la glose doit donc s’entendre des
parfaits selon le degré de leur charité, c’est-à-dire de ceux qui ont une charité
parfaite, dans quelque état qu’ils soient. En effet, bien que ceux-ci ne
pèchent pas en réclamant leurs biens en justice, parfois cependant cela déroge
à leur perfection. Aussi la glose ne dit-elle pas que cela ne leur est pas
permis, mais que cela ne leur convient pas. Dans certains cas cependant, cela
n’est pas inconvenant pour eux de réclamer leurs biens. Le premier cas est
celui où survient une dispute à propos d’un bien spirituel. Ainsi, en
Ac 15, 3‑4, lorsqu’une dispute apparut à propos de l’observance
de ce qui relevait de la loi, Paul le soumit-il au jugement des apôtres, et il
est question de la même chose en Ga 2, 4 : À cause de faux frères qui espionnaient. Le deuxième cas est
celui où survient une dispute à propos d’une chose qui peut tourner au
détriment d’une réalité spirituelle, bien qu’elle soit [en elle-même]
temporelle. Ainsi, en Ac 25, 10‑11, Paul en appela-t-il à César
pour sa libération, parce que le fruit de sa prédication était empêché par sa
mort ou son incarcération ; toutefois, pour ce qui était de lui-même, il
désirait disparaître et être avec le
Christ (Ph 1, 23).
Le troisième cas est celui où la dispute porte sur quelque chose qui tourne au
détriment temporel de quelqu’un d’autre, et surtout des pauvres : en
effet, celui-là est parfois coupable de vol, qui, par sa négligence, permet que
d’autres encourent un préjudice, surtout lorsqu’il s’agit de ce qui a été
confié à ses soins. Aussi ne peut-on offrir à Dieu un sacrifice parfait en ces
matières, Si 34, 24 : Celui qui offre un
sacrifice à même les biens du pauvre, etc. Le quatrième cas est celui où
survient une dispute à propos de ce qui tourne au préjudice spirituel de celui
qui détient injustement un bien temporel d’un autre. Ainsi, Grégoire [écrit-il]
dans les Morales, à propos de
Jb 39, 16 : Il a travaillé en
vain : « Certains, lorsqu’ils volent des choses temporelles,
doivent seulement être tolérés, mais certains doivent en être empêchés en
sauvegardant la charité, non seulement par la préoccupation qu’ils ne nous
enlèvent pas nos biens, mais afin que les voleurs ne se perdent pas eux-mêmes. »
Le cinquième cas est celui qui tourne à la corruption d’un grand nombre par
l’exemple du vol, Si 8, 11 : Parce
qu’un jugement n’est pas rapidement porté contre les méchants, etc.
2
et 3. À la deuxième objection, il faut répondre que, comme le dit la Glose au
même endroit, la perfection de la justice est montrée dans les trois commandements
qui sont présentés là. Le premier est : Si
quelqu’un te frappe à la joue droite, présente-lui l’autre ; le deuxième est :
Celui qui veut te mener en procès et t’enlever ta tunique,
donne-lui aussi ton manteau ; le troisième est : Celui qui t’aura obligé à faire mille pas avec lui, fais-en
encore deux autres (Mt 5, 39‑41). On sait que ces trois choses se
rapportent à la patience. Mais ce troisième [commandement], comme l’explique la
Glose au même endroit, doit s’entendre non pas tellement au sens où tu
marcherais avec lui, car nous ne lisons pas que cela se soit produit à la
lettre ni chez le Christ ni chez les autres saints ; mais [cela doit plutôt
s’entendre] de ce que tu sois prêt par l’esprit à le faire lorsqu’il le faudra.
Il en est de même du premier commandement, comme le dit Augustin dans le
premier livre Sur le mensonge : il faut l’entendre
au sens où l’homme « ait un cœur prêt à recevoir non seulement d’autres
soufflets, mais aussi toutes les souffrances qui devront être supportées pour
la vérité, en aimant ceux qui le feront ainsi souffrir ». On n’entend pas
que quelqu’un doive littéralement offrir sa joue à celui qui le frappe, puisque
ni le Seigneur n’a fait cela alors qu’il était frappé, ni l’apôtre Paul. Il
ressort donc ainsi clairement que le commandement du milieu doit lui aussi être
interprété selon le même modèle, à savoir que quelqu’un doit avoir un cœur prêt
à supporter n’importe quel dommage temporel plutôt que d’abandonner la vérité
ou la charité. Mais il peut arriver que, sans préjudice de la vérité ou de la
charité, quelqu’un réclame par un jugement ce qui lui appartient, comme cela
ressort clairement de ce qui a été dit. Et pour cette raison, l’argument n’est
pas valable. Et il faut répondre la même chose au troisième [argument].
4.
Au quatrième argument, il faut répondre que le Seigneur a ordonné que les apôtres
secouent la poussière de leurs pieds en témoignage contre ceux qui ne les reçoivent
pas. Aussi est-il dit en Mc 6, 11 : Secouez
la poussière de vos pieds en témoignage contre eux. C’est pourquoi la
Glose dit à propos de Lc 10, 10‑11 : « Secouez la
poussière, afin d’attester le travail terrestre inutile que vous avez fait pour
eux. » Et ce témoignage est ordonné au jugement divin ; c’est
pourquoi suit : En vérité, je vous le
dis, il serait préférable, etc. (Mt 10, 15). Le Seigneur ordonne donc à ses
disciples de s’éloigner de ceux qui ne les ont pas accueillis, qui sont gardés
en réserve pour le jugement final de leurs fautes, comme le sont les incroyants
dont il est dit en 1 Co 5, 13 : Dieu
jugera ceux qui sont dehors. Mais le jugement de ceux du dedans a été confié à l’Église.
Aussi, si quelqu’un veut être reçu dans la société des fidèles et que ceux-ci
s’y opposent injustement, cela ne doit pas être réservé au jugement divin, mais
doit être soumis au jugement de l’Église pour être corrigé.
5.
À la cinquième objection, il faut répondre que le jugement accompagné d’une
dispute est interdit à tous, même aux faibles, comme cela ressort clairement de
la Glose sur 1 Co 6, 7 : C’est
déjà une faute, etc. En effet, une dispute est « un combat pour la vérité
qui s’appuie sur des cris », comme on le lit dans la Glose à propos de
Rm 1, 29 : Aux homicides par
dispute, etc. Aussi ceux qui participent à un procès avec vérité, en ne s’en
remettant pas à des cris, ne sont pas chamailleurs pour cette raison.
6.
À la sixième objection, il faut répondre qu’il ne faut pas entendre que, tout
en sauvegardant la charité, quelqu’un ne puisse d’aucune façon réclamer ce qui
lui a été enlevé, mais que la charité n’incite pas à réclamer par cupidité ce
qui a été enlevé. Aussi la Glose [dit-elle] : « Elle ne cherche pas
ce qui lui appartient, c’est-à-dire qu’elle ne réclame pas ce qui a été enlevé
parce qu’elle n’aime pas l’argent. » Toutefois, quelqu’un peut parfois
réclamer ce qui lui appartient en étant mû par un désir ardent de correction
fraternelle, comme cela ressort clairement de l’autorité de Grégoire qui est
invoquée.
7.
À la septième objection, il faut répondre que, lorsque quelqu’un réclame une
chose qui lui appartient en recourant à un procès, il n’enlève pas toujours de
son cœur la paix qu’il doit garder avec son prochain. Bien que la paix du cœur
ne doive jamais être perdue pour la récupération d’une chose terrestre, il n’en
découle toutefois pas que quelqu’un ne puisse réclamer une chose terrestre en
recourant à un procès, car dans le tumulte même du procès, la paix du cœur est
la plupart du temps sauvegardée, comme elle n’est pas écartée chez les hommes
bons même dans le tumulte des guerres, autrement toutes les guerres seraient
interdites.
8.
À la huitième objection, il faut répondre que si quelqu’un réclame justement
dans un procès ce qui lui appartient, il ne scandalise pas en causant
activement un scandale ; mais si quelqu’un est scandalisé, il ne s’agit
que d’un scandale passif. Il semble qu’il faille ici faire une distinction. Ou
bien il s’agit d’un scandale de pharisiens, à savoir, lorsque quelqu’un est
scandalisé par malice et provoque un scandale chez les autres, et un tel scandale
doit être méprisé à l’exemple du Seigneur qui, ayant entendu parler du scandale
des pharisiens, dit, en Mt 15, 14 : Laissez-les,
ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. Ou bien il s’agit d’un scandale
de faibles, à savoir qu’il vient de la faiblesse ou de l’ignorance, et, dans la
mesure du possible, il faut aller au-devant de ce scandale, de manière que,
pour l’écarter, nous ne commettions pas quelque chose de défendu. Or, il serait
défendu que quelqu’un permette que les biens d’une église qui lui sont confiés
soient perdus par le pillage de brigands. C’est pourquoi, même si quelqu’un est
scandalisé d’un scandale passif, celui à qui est confié le soin d’une église
doit néanmoins défendre les droits de l’église qui lui est confiée. Ainsi, le
bienheureux Thomas de Cantorbéry, en méprisant le scandale du roi d’Angleterre,
défendit les biens de son église jusqu’à la mort. Mais même s’il pouvait aussi
négliger sans péché la réclamation de cette chose, il ne faut pas qu’il néglige
de la réclamer en raison d’un scandale passif : en effet, il peut éviter
un scandale passif d’une autre manière, à savoir, en montrant par des paroles
pacifiques qu’il agit avec justice. Et il serait plus utile à son prochain s’il
l’arrachait à une injuste tromperie ou écartait la coutume de présumer de
telles choses, que s’il négligeait son propre bien. Au surplus, l’on doit
davantage éviter un scandale pour soi-même que pour le prochain. C’est
pourquoi, s’il craignait d’être affecté lui-même par un scandale s’il ne
réclamait pas son bien, il ne devrait pas être empêché de réclamer ce qui lui
appartient.
9.
À la neuvième objection, il faut répondre que bien que la nourriture soit au
plus haut point nécessaire au corps, ce n’est pas le cas de n’importe quelle
nourriture. En effet, si quelqu’un s’abstient d’une nourriture, il peut
s’alimenter d’une autre. Ainsi, il faudrait plutôt s’abstenir d’un genre de
nourriture pour éviter un scandale qu’abandonner d’autres biens temporels dont
la perte serait plus nuisible, et parfois le fait de ne pas les réclamer serait
accompagné d’un danger de pécher, comme cela ressort clairement de ce qui a été
dit.
En
quatrième lieu, il reste maintenant à voir comment [leurs adversaires]
s’efforcent de montrer que les religieux ne doivent provoquer aucun châtiment
ni aucune poursuite contre ceux qui les persécutent.
1.
En effet, il est dit en Mt 5, 44 : Aimez
vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui
vous persécutent et vous calomnient. Et on lit la même chose en
Lc 6, 27. Il nous est donc interdit de poursuivre nos ennemis :
en effet, celui qui doit faire du bien à quelqu’un doit à bien plus forte
raison ne pas lui nuire.
2.
De même, à propos de Mt 10, 16 : Voici
que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups, la Glose [dit] :
« Celui qui prend place pour prêcher ne doit pas faire de mal, mais le
tolérer. » Si donc des prédicateurs font en sorte que des châtiments
soient administrés à leurs adversaires, ils se montrent de faux prédicateurs.
3.
De même, à propos de Rm 12, 17 : Ne
rendant à personne le mal pour le mal, etc., et plus loin : Ne vous défendant pas vous-mêmes, très chers, la Glose [dit] :
« À savoir que vous ne devez pas rendre les coups à vos
adversaires. » Ils agissent donc contre l’enseignement de l’Apôtre ceux
qui font en sorte que leurs adversaires soient punis.
4.
De même, dans la légende des saints Simon et Jude, on lit que, alors que le roi
des Perses voulait punir les prêtres desservant des idoles contraires aux
apôtres, les apôtres se jetèrent aux pieds du roi en lui demandant de les
épargner, afin que ceux qui étaient venus pour voir au salut commun ne soient
pour personne une occasion d’être tué. Ceux qui font en sorte que leurs adversaires
soient punis par les dirigeants ne sont donc pas de vrais mais de faux apôtres.
5.
De même, à propos de Ga 4, 29 : De même
que celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon
l’Esprit, de même en est-il maintenant, une glose d’Augustin [dit] :
« Qui sont ceux qui sont nés selon la chair ? Ceux qui aiment le
monde, ceux qui aiment le siècle. Qui sont ceux qui sont nés selon
l’Esprit ? Ceux qui aiment le royaume des cieux, ceux qui aiment le
Christ. » Ceux qui font en sorte de persécuter les autres semblent donc
être des gens qui aiment le monde.
6.
De même, à propos de Ga 5, 26 : Ne recherchons
pas avec avidité la vaine gloire, la Glose [dit] : « La vaine gloire consiste à
vouloir vaincre alors qu’il n’y a pas de récompense. » Or, ceux qui font
en sorte que leurs adversaires soient persécutés semblent rechercher une
victoire. Cela relève donc de la vaine gloire. Ils veulent donc conclure de
cela qu’il n’est aucunement permis aux saints de provoquer une persécution
contre les autres.
7.
De même, il est dit en Lc 9, 54‑55, que Jacques et Jean ont
dit : Seigneur, si tu le veux, nous
ordonnerons qu’un feu descende du ciel et les consume. S’étant retourné, il
leur fit des reproches, en leur disant : “Ne savez-vous pas de quel Esprit
vous êtes ?” » Il semble par cela que ceux qui sont remplis de l’Esprit
de Dieu ne doivent pas faire en sorte que d’autres soient punis.
Mais,
que des saints portent des châtiments contre certains ou fassent en sorte
qu’ils soient portés, cela est démontré par un premier exemple du Christ
lui-même, dont il est dit en Jn 2, 15 qu’il
chassa du Temple les vendeurs et les acheteurs, et
renversa les petites pièces de monnaie et les tables.
De
même, par l’exemple de Pierre, qui, par sa parole, condamna à mort Ananie et Saphire
parce qu’ils avaient triché à propos du prix d’un champ, comme on le lit en
Ac 5, 1‑11.
De
même, il est dit, en Ac 13, 9‑11, que Paul, rempli de l’Esprit Saint, le regardant – à savoir, le
magicien Élimas ‑, dit : « Ô fils du diable, plein de ruse et
de fourberie, tu ne cesses de bouleverser les voies droites du Seigneur !
Voici que la main du Seigneur est maintenant sur toi : tu seras aveugle,
sans voir le soleil, pendant un certain temps. » Il ressort donc
clairement de cela qu’il l’irrita par ses paroles et lui infligea le châtiment
de la cécité.
De
même, en 1 Co 5, 3‑5 : J’ai
déjà jugé, comme si j’étais présent, celui qui a perpétré une telle action au
nom du Seigneur. Vous et mon esprit étant rassemblés avec la puissance de notre
Seigneur Jésus, le Christ, nous devons livrer cet individu à Satan pour que sa
chair meure. La Glose [dit] : « À savoir, pour que Satan le tourmente
corporellement. » Or, il est clair que cela est un grand châtiment. La
conclusion est donc la même que précédemment.
De
même, à propos de Ct 2, 15 : Prenez-nous
de petits loups, la Glose [dit] : « Combattez et prenez les schismatiques
et les hérétiques. ». Car, comme le dit une autre glose, « il ne suffit
pas que nous proposions notre vie en exemple pour les autres et que nous
prêchions bien, si nous ne corrigeons pas ceux qui errent et ne défendons pas
les faibles des pièges mis par les autres ».
De
même, dans Sur les noms divins, IV, Denys montre que
les anges ne sont pas mauvais parce qu’ils punissent parfois les mauvais. Or,
la hiérarchie ecclésiastique se modèle sur [la hiérarchie] céleste. Il peut
donc relever de quelqu’un d’infliger sans malice un châtiment aux mauvais ou de
faire en sorte qu’il leur soit infligé.
De
même, dans le Décret, C. 23, q. 3,
c. 8, [il est dit] : « Celui qui peut s’opposer aux méchants et
les troubler et ne le fait pas ne fait rien d’autre que de se montrer favorable
à leur impiété, et il ne s’inquiète pas d’avoir avec eux des rapports occultes,
lui qui renonce à s’opposer à un crime manifeste. » Il ressort clairement
de cela qu’il n’est pas seulement permis de résister aux méchants et de les
troubler, mais que cela ne peut pas être mis de côté sans péché.
De
même, en Jb 39, 21, il est dit à propos du cheval – par lequel on
entend le prédicateur ‑ : Il se jette au-devant
des hommes armés. La Glose [dit] : « Parce qu’il s’oppose à ceux qui agissent
mal pour défendre la justice. » Et la Glose interlinéaire [dit] :
« Même lorsqu’on ne fait pas appel à lui. » Il ressort donc
clairement de cela qu’il appartient aux saints prédicateurs de troubler les impies,
même ceux qui ne leur font pas d’ennuis.
Toutefois,
les saints ne font pas cela par haine mais par amour. Aussi, à propos de
1 Co 5, 5 : Livrer les gens de
cette sorte à la mort de la chair afin de sauver leur esprit, etc., la Glose
[dit-elle] : « Par ces paroles, l’Apôtre montre qu’il n’a pas fait
cela par haine mais par amour. » Et plus loin : « Ainsi, Élie et
d’autres hommes bons ont-ils puni de mort certains péchés, car ainsi une
crainte utile frappait les vivants ; et à ceux qui étaient punis de mort,
la mort elle-même n’était pas un préjudice, mais le péché qui aurait pu augmenter,
s’ils avaient continué de vivre, était diminué. » Aussi on ne peut pas
parler au sens propre de persécution pour le mal que les saints infligent aux
méchants, puisqu’ils ne les poursuivent pas de manière à faire de leur mal une
fin, mais afin qu’ils soient corrigés ou abandonnent le péché pour leur bien,
ou du moins afin qu’ils soient contraints par la crainte en vue du bien des
autres ou que ceux-ci soient libérés des impies. Parfois cependant, la punition
évoquée porte le nom de persécution en raison de la similitude du châtiment.
Aussi Augustin [écrit-il] au comte Boniface, et on peut le lire dans le Décret, C. 23, q. 4, c. 42, Si ecclesia : « Si nous voulons dire ou
reconnaître la vérité, c’est une persécution injuste que les impies font à
l’Église du Christ, mais c’est une persécution juste que l’Église fait aux impies. »
De même, dans Ps 18[17], 38 : Je
persécuterai mes ennemis jusqu’à ce qu’ils abandonnent, et ailleurs : Celui qui dénigre en secret son prochain, je le
persécuterai (Ps 101[100], 5).
1.
À ce qu’ils objectaient en premier lieu, il faut répondre que, comme on l’a
déjà démontré, les saints ne punissent pas les méchants ou ne font pas en sorte
qu’ils soient punis par haine mais par amour. En effet, ils ne leur nuisent pas
en cela, mais ils leur sont utiles, comme on l’a dit plus haut.
2.
À la deuxième objection, il faut répondre que les prédicateurs ne doivent pas infliger
des maux aux autres de telle sorte que leur intention s’arrête aux méchants
eux-mêmes, comme s’ils se délectaient de leurs châtiments ; ils doivent cependant
infliger des châtiments, par eux-mêmes ou par d’autres, en vue d’un bien, soit
pour celui qui est puni, soit pour les autres, comme on l’a déjà dit.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que celui qui, par un désir ardent
de la charité, fait en sorte que quelqu’un soit puni ne rend pas le mal pour le
mal, [mais plutôt le bien pour le mal], puisque le châtiment lui-même est utile
à celui qui est puni. En effet, les châtiments sont comme des remèdes, comme il
est dit dans Éthique, II ; et Denys
dit, dans Sur les noms divins, IV : « Ce
qui est un mal, ce n'est pas d'être puni, mais de devenir digne d’un
châtiment. » De même, le fait qu’il nous soit interdit de rendre les coups
aux adversaires doit s’entendre de ce que nous ne les rendions pas par haine ou
sous l’impulsion de la vengeance.
4.
À la quatrième objection, il faut répondre que les saints, comme on l’a dit, ne
punissent pas les autres ou ne font pas en sorte qu’ils soient punis, si ce
n’est pour leur correction ou celle des autres. Mais parfois certains sont
rendus insolents et davantage portés au péché par l’impunité.
Qo 8, 11 : En effet, lorsqu’une
condamnation n’est pas rapidement portée contre les méchants, les fils des
hommes font le mal sans aucune crainte. Et alors, les saints recourent
aux châtiments contre les méchants. Mais parfois la clémence est plus utile
pour la correction, et alors les saints retiennent les châtiments ou les
adoucissent. Ainsi, à propos de Lc 9, 55 : Vous ne savez de quel Esprit vous êtes, etc., la Glose
[dit-elle] : « Il ne faut pas toujours sévir contre ceux qui pèchent,
car parfois la clémence t’est plus utile pour [ta] patience, et à celui qui est
tombé pour sa correction. » Et, pour cette raison, Simon et Jude ont empêché
le châtiment de leurs adversaires.
5.
À la cinquième objection, il faut répondre que ceux qui aiment le monde persécutent
injustement ceux qui aiment Dieu, mais ils subissent justement d’être
persécutés par ceux-ci, comme cela ressort clairement de l’autorité d’Augustin
invoquée plus haut.
6.
À la sixième objection, il faut répondre qu’il ressort déjà clairement de ce
qui a été dit que les saints ne font pas en sorte qu’un châtiment soit infligé
à d’autres, si ce n’est pour un bien, et ce bien leur est compté comme
récompense. Aussi n’encourent-ils pas de ce fait le blâme de la vaine gloire.
7.
À la septième objection, il faut répondre que, comme le dit la Glose au même
endroit, « les apôtres, encore peu instruits et ignorant la manière de
riposter, ne désirent pas riposter par amour de la correction des autres ou de
mettre un terme à leur méchanceté, mais par haine. Or, le Seigneur leur
reproche cette ignorance. Mais après qu’il les eut instruits du véritable amour
du prochain, il leur attribua parfois le pouvoir d’exercer de telles ripostes,
comme à Pierre dans le cas d’Ananie et de son épouse, dont la mort frappa les
vivants d’une crainte utile et, chez ceux qui étaient punis, mit un terme au
péché qui pouvait augmenter s’ils avaient continué de vivre ». Et on lit
la même chose dans la Glose, à propos de 1 Co 5, 5 : Livrer les gens de cette sorte à Satan, etc. Ou bien il faut
répondre que le Seigneur fit de tels reproches aux disciples qui demandaient
que les Samaritains soient châtiés parce qu’il voyait que ceux-ci pouvaient
être plus facilement convertis par la clémence. Aussi la Glose dit-elle en cet
endroit : « Par la suite, les Samaritains crurent plus rapidement,
eux à qui le feu a été évité en cet endroit. »
En
cinquième lieu, il reste maintenant à voir comment [leurs adversaires]
s’efforcent de montrer que les religieux ne doivent pas chercher à plaire aux
hommes, car il est dit dans Ps 53[52], 6 : Dieu a dispersé les os de ceux qui plaisent aux hommes, ils
ont été confondus parce que Dieu les a humiliés.
2.
De même, en Ga 1, 10 : Si je
plaisais encore aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ. Les religieux, qui
professent être les serviteurs du Christ, ne doivent donc pas chercher à plaire
aux hommes.
3.
De même, à propos de 1 Co 4, 11 : Jusqu’à maintenant, nous avons eu faim et soif, etc., la Glose [dit] :
« Les prédicateurs qui reprochent librement et sans adulation les
comportements de la mauvaise vie des méchants ne trouvent pas grâce auprès des
hommes. » Si donc les religieux doivent librement et sans adulation
prêcher la vérité, ils ne doivent pas chercher à plaire aux hommes.
4.
De même, Grégoire [écrit] dans le Pastoral : « Il est
coupable de pensée adultère, l’enfant qui désire plaire au regard de l’épouse,
lui par qui l’époux fait parvenir ses dons. » Or, en cet endroit, il
appelle l’Église épouse, et enfant, le ministre de Dieu. Si les religieux, qui professent
être les ministres de Dieu, cherchent à plaire, ils sont donc coupables d’une
pensée adultère.
5.
De même, le désir de plaire aux hommes provient de l’amour de soi. Or, comme le
dit Grégoire dans le Pastoral, « l’amour de soi
rend quelqu’un étranger à son auteur ». Par le fait que quelqu’un cherche
à plaire à un homme, il devient donc étranger à Dieu.
6.
De même, ce qui donne l’impression d’un vice doit être évité, surtout par les
religieux. Or, être complaisant donne l’impression d’un vice. Les religieux ne
doivent donc pas chercher à plaire aux hommes.
Ainsi,
ils veulent montrer par ce genre d’arguments que personne ne doit d’aucune
manière chercher à plaire aux hommes.
Mais,
que cela soit faux, cela se montre de multiples façons.
En
effet, il est dit en Rm 15, 2 : Que
chacun plaise à son prochain en vue du bien pour l’édification.
De
même, en 1 Co 10, 32 : Soyez
sans reproche devant les Juifs, les païens et l’Église de Dieu, comme moi-même
je tente de plaire en tout à tous.
De
même, en Rm 12, 17 : En faisant le bien,
non seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes. Or, cela ne serait pas
nécessaire s’il ne fallait pas que nous prenions soin de plaire aux hommes.
Chacun doit donc prendre soin de plaire aux hommes.
De
même, en Mt 5, 16 : Que votre lumière
brille devant les hommes, afin que voyant vos bonnes actions, ils rendent
gloire à votre Père qui est dans les cieux. Or, personne n’est poussé à
rendre gloire à Dieu à cause de bonnes actions que parce qu’elles lui plaisent.
Chacun doit donc s’appliquer à ce que ses actions soient telles qu’elles
plaisent aux autres.
Afin
d’éclairer cela, il faut savoir qu’il est interdit de trois manières que
quelqu’un cherche à plaire aux hommes. D’une manière, de telle sorte qu’il
cherche à plaire pour lui-même, comme s’il plaçait sa fin dans la faveur des
hommes ; mais le fait que quelqu’un prenne soin de plaire aux hommes doit
être mis en rapport avec un autre bien, à savoir, la gloire de Dieu ou le salut
du prochain. C’est cela que Grégoire dit dans le Pastoral : « Il faut
savoir que les bons dirigeants doivent désirer plaire aux hommes, afin que, par
la douceur de l’estime qu’on leur porte, ils attirent à la vérité ; non
pas qu’ils désirent être aimés, mais qu’ils fassent de l’amour qu’on a d’eux
comme un chemin par lequel les cœurs des auditeurs entrent dans l’amour du
Créateur. Il est assurément difficile que le prédicateur qui n’est pas aimé,
même s’il annonce ce qui est juste, soit volontiers écouté. » Et plus
loin : « C’est ce que Paul suggère lorsqu’il nous révèle ce qu’il
recherche secrètement : Comme moi, je
m’efforce de plaire à tous en tout, lui qui dit en plus : Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas le serviteur
du Christ. Paul plaît donc et il ne plaît pas, car, par le fait qu’il désire
plaire, il ne cherche pas à plaire lui-même, mais que la vérité plaise aux
hommes à travers lui. » D’une autre manière, lorsque, pour plaire aux
hommes, quelqu’un fait quelque chose par quoi il déplaît à Dieu. C’est ce que
dit Jérôme, en expliquant ce passage de Ga 1, 10 : Si je plaisais aux hommes, etc. : « S’il est
possible de plaire également à Dieu et aux hommes, il faut aussi plaire aux
hommes ; mais si nous ne pouvons plaire aux hommes sans déplaire à Dieu,
nous devons plutôt plaire à Dieu qu’aux hommes. » De la troisième manière,
lorsque quelqu’un fait extérieurement ce qui lui est possible, mais qu’il est
cependant jugé témérairement par les autres. Alors, il doit lui suffire de
plaire à Dieu dans sa conscience, en ne s’occupant pas de ne pas plaire aux
hommes qui le jugent à tort. C’est ce qu’on lit dans la glose d’Augustin sur
Ga 1, 10 : Si je plaisais encore
aux hommes, etc. : « Il y a des hommes qui sont des juges téméraires,
des détracteurs, des médisants, des chuchoteurs, qui cherchent à soupçonner ce
qu’ils ne voient pas, qui cherchent même à colporter ce qu’ils ne soupçonnent
pas. Contre ces gens, le témoignage de notre conscience suffit. »
Et
ainsi, la réponse à toutes les objections apparaît facilement.
1.
Ce qui est dit : Il a dispersé les os
de ceux qui plaisent aux hommes, doit s’entendre de ceux qui plaisent aux hommes au point
d’en faire leur fin, et qui, pour plaire aux hommes, offensent Dieu.
2.
Il faut comprendre de la même façon ce qui est dit en Ga 1, 10 :
Si je plaisais aux hommes, etc., comme cela ressort
clairement de ce qui a été dit.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que, bien que ceux qui annoncent la
vérité déplaisent aux méchants qui ne veulent pas être corrigés, ils plaisent
cependant aux bons qui aiment la correction. Aussi est-il dit en
Pr 9, 8 : Reprends le sage, et
il t’aimera.
4.
À la quatrième objection, il faut répondre que la parole de Grégoire doit
s’entendre du cas où quelqu’un cherche tellement à plaire aux hommes qu’il en
fait sa fin, à savoir, à être aimé de la manière dont Dieu est aimé, de sorte
que rien ne soit d’aucune façon fait contre Dieu. Cela ressort clairement du
fait qu’il dit immédiatement auparavant : « L’ennemi du Rédempteur
est celui qui désire avidement être aimé par l’Église à sa place, en raison des
bonnes actions qu’il fait. »
5.
À la cinquième objection, il faut répondre que la parole de Grégoire doit
s’entendre de l’amour désordonné de soi, d’où vient que quelqu’un cherche à
plaire aux autres pour lui-même.
6.
À la sixième objection, il faut répondre que, selon le Philosophe, on n’appelle
pas complaisant celui qui cherche à plaire aux hommes de n’importe quelle
manière, mais celui qui commet en cela un excès, alors qu’il cherche à plaire
plus qu’il ne faut ou pour ce qu’il ne faut pas. En effet, il appelle au même
endroit « ami » celui qui s’applique à plaire aux autres comme il le
faut.
En
sixième lieu, voyons comment [leurs adversaires] s’efforcent de montrer que les
religieux ne doivent pas se réjouir de ce que Dieu accomplit magnifiquement par
eux.
1.
En effet, il est dit en Lc 10, 20 : Ne vous
réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis. Ils ne doivent donc
pas, pour la même raison, se réjouir des autres choses qui sont magnifiquement
accomplies par eux.
2.
De même, il est dit en Jb 31, 25‑27 : Si je me suis réjoui de mes nombreuses richesses et du fait
que j’ai mis la main sur beaucoup de choses, si j’ai vu le soleil alors qu’il
brillait et la lune qui progressait clairement, et si mon cœur s’est réjoui
dans le secret, comme s’il disait : « Que m’advienne un
mal ! » Grégoire dit en l’expliquant : « Parce que la
connaissance de son intelligence n’a pas corrompu le saint homme, il a méprisé
le fait de se réjouir de grandes richesses. Parce que la grandeur de l’œuvre ne
l’a pas enorgueilli, il ne voit pas briller le soleil. Parce qu’une louable
renommée ne l’a pas emporté, il ne se rend pas compte que la lune
progresse. » Il est donc clair qu’il ne faut se réjouir ni de la science,
ni de la bonne renommée, ni de ses actions.
3.
De même, lorsqu’on se réjouit d’une chose, une certaine gloire s’attache à
cette chose. Or, l’homme ne doit pas se glorifier de ses propres biens, selon
Jr 9, 23 : Que le sage ne se
glorifie pas de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas de sa force, que le
riche ne se glorifie pas de ses richesses. On ne doit pas non plus se
réjouir du bien qui est accompli par soi. On semble ainsi montrer qu’on ne doit
d’aucune manière se réjouir du bien que Dieu accomplit par lui.
Mais
que cela soit faux, cela est clairement montré par Ac 11, 21‑23,
où il est dit qu’un grand nombre de croyants
s’était tourné vers le Seigneur – à savoir, vers la prédication de certains croyants ‑ ; la nouvelle en vint aux oreilles de
l’Église, et on envoya Barnabé jusqu’à Antioche. Lorsqu’il y arriva et vit la
grâce accordée par Dieu, il se réjouit. Les apôtres se réjouissaient
donc de ce que l’Église portait fruit par l’action de leurs frères et de leurs
compagnons.
De
même, il est dit en Ac 15, 3, à propos de Paul et de Barnabé, que menés par l’église, ils traversaient la Phénicie et la
Samarie en racontant la conversion des païens, et suscitaient une grande joie
chez tous les frères. On en conclut donc la même chose que précédemment.
De
même, [il est dit] en Ph 4, 1 : Aussi,
mes frères très chers et bien-aimés, ma joie et ma couronne. Il est donc clair que
l’Apôtre se réjouissait de ceux qu’il convertissait au Christ. Les religieux et
les autres hommes parfaits peuvent donc se réjouir de ce que Dieu accomplit
magnifiquement par eux, surtout en ce qui concerne la conversion d’autres.
De
même, personne ne rend grâce pour ce dont il ne croit pas qu’une grâce lui a
été faite. Or, personne n’estime qu’une grâce lui a été faite à propos de ce
dont il ne se réjouit pas. S’il ne faut pas se réjouir de ce que Dieu accomplit
magnifiquement par soi, il ne faut donc pas en rendre grâce, ce qui est tout à
fait absurde.
De
même, selon le Philosophe dans Éthique, I, il n’est aucun
juste qui ne se réjouisse d’actions justes. Et en cela il est d’accord avec
Ps 100[99], 2 : Servez le Seigneur
dans la joie. Or, Dieu n’accomplit rien de plus magnifique par quelqu’un qu’une
action juste par laquelle il est servi. Les saints doivent donc se réjouir de
ce que Dieu accomplit magnifiquement par eux.
Pour
éclairer cela, il faut savoir que la joie ne porte que sur le bien ; aussi
faut-il se réjouir selon l’ordre des biens. C’est pourquoi la fin de la joie
doit être placée dans le seul Bien suprême, ce qui s’appelle à proprement
parler se réjouir (frui). Pour les autres
choses, nous devons nous réjouir de telle sorte que la fin ne soit pas placée
dans une telle joie, mais soit mise en rapport avec la fin ultime. Celui-là
donc qui se réjouit du bien que Dieu accomplit par lui se réjouit bien en
rapportant cette joie à Dieu, ce qui se produit lorsque quelqu’un se réjouit de
ce que Dieu accomplit par lui parce qu’il voit que cela tourne à la gloire de
Dieu et à son propre salut, ainsi qu’à celui des autres. Mais s’il se réjouit
autrement, il se réjouit de ses œuvres et pèche. Aussi, en expliquant dans le Pastoral les paroles de Job qui ont été rappelées, Grégoire
dit-il : « Parfois, même les saints se réjouissent de leur bonne
renommée, mais puisqu’ils estiment qu’à cause d’elle les auditeurs feront des
progrès, ils ne se réjouissent pas de leur renommée mais du service rendu au
prochain, car c’est une chose de rechercher des faveurs, c’en est une autre de
sauter de joie devant les progrès. »
La
réponse aux objections ressort ainsi facilement.
1.
En effet, ce qui est dit en Lc 10, 20 : Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont
soumis, doit s’entendre du fait qu’ils ne doivent pas s’en réjouir pour autant
que cela concerne l’abaissement des esprits, mais pour autant que cela concerne
l’exaltation de Dieu et la leur. Aussi la Glose dit-elle au même endroit :
« Il leur est interdit de se réjouir de l’humiliation du diable qui est
tombé par orgueil, mais ils peuvent se réjouir de leur propre élévation. »
Ou bien l’on peut dire qu’ils ne doivent pas se réjouir de cela comme s’il
s’agissait du bien le plus grand, puisque cela peut être accompli sans mérite
par celui qui accomplit de telles choses, comme le dit la Glose au même
endroit ; mais leur joie principale doit porter sur ce qui les oriente
vers la vie éternelle. Aussi [le texte] poursuit-il : Mais réjouissez-vous parce que vos noms, etc. (Lc 10, 20).
2.
À la deuxième objection, il faut répondre que les paroles de Job doivent
s’entendre d’une joie orgueilleuse, et cela ressort aussi clairement des
paroles de Grégoire qui sont invoquées. Or, une joie orgueilleuse est celle par
laquelle quelqu’un se délecte pour sa propre gloire du bien que Dieu fait par
lui.
3.
À la troisième objection, il faut répondre que celui qui rapporte à Dieu la
joie pour ce qui est accompli ne cherche pas sa gloire en lui-même, mais
cherche sa gloire en Dieu en lui rapportant ce dont il pourrait se glorifier.
En
septième lieu, il reste maintenant à montrer comment [leurs adversaires]
s’efforcent de montrer que les religieux ne doivent pas fréquenter les familles
des princes et des grands.
1.
Il est dit en Mt 11, 8 : Voici
ceux qui portent des vêtements délicats dans les maisons des rois. Or, il ne convient pas
que les religieux portent des vêtements délicats, puisqu’ils professent l’état de
pénitence. Les religieux ne doivent donc pas se trouver dans les maisons des
rois et des princes. De même, la Glose dit au même endroit : « Une
vie et une prédication sévères doivent s’écarter des palais habités par les
délicats, qu’ils fréquentent habillés de vêtements délicats pour les
flatter. » On a ainsi la même conclusion que précédemment.
2.
De même, à propos de Lc 9, 11 : Il
parlait du royaume de Dieu, la Glose dit : « Ce n’est pas aux oisifs, à ceux
qui résident dans la ville de la synagogue ou d’une dignité séculière, mais à
ceux qui cherchent le Christ dans le désert qu’il distribue l’aliment de la
grâce céleste. » Si la vie religieuse est ordonnée à ce que quelqu’un
reçoive du Christ l’aliment de la grâce céleste, les religieux ne doivent donc
pas demeurer avec ceux qui ont une dignité séculière.
3.
De même, Jérôme [écrit] au prêtre Paulin : « Fuis les foules, les
fonctions, les salutations et les banquets comme si c’étaient des chaînes voluptueuses. »
Or, dans les cours des princes se rassemblent des foules et on y tient souvent
des banquets. Les religieux ne doivent donc pas y demeurer.
4.
De même, Boèce dit, dans le livre Sur la consolation, que ceux qui cherchent
la gloire dans le pouvoir cherchent à régner ou à s’attacher à ceux qui règnent.
Or, cela est blâmable pour les religieux qui ont choisi une vie humble de
chercher la gloire dans le pouvoir. Ils ne doivent pas s’attacher à ceux qui
règnent.
5.
De même, puisque les honneurs se rapportent à l’orgueil de la vie, qui est une
des trois choses qui sont blâmables dans le monde, les religieux, qui ont renoncé
au monde, doivent s’abstenir de ce qui se rapporte à l’honneur. Or, cela semble
se rapporter à l’honneur que quelqu’un prêche dans les cours des rois ou des
princes, ou dans des synodes dans lesquels une multitude d’hommes se rassemblent.
Les religieux ne doivent donc pas s’impliquer dans de telles choses.
Et
il s’efforcent ainsi de conclure que les religieux ne doivent d’aucune manière
vivre dans les cours des rois ou des princes.
Mais
le fait que plusieurs saints ont demeuré chez des rois et des princes montre
que cela est manifestement faux. En effet, Joseph vivait à la cour de Pharaon,
dont il est dit dans Ps 105[104], 21 : Il l’établit comme maître de sa maison et prince de toutes
ses possessions. Moïse aussi fut élevé dans la maison de la fille du Pharaon, où
l’on rapporte qu’il apprit toute la sagesse des Égyptiens, Ac 7, 10.
Le prophète Nathan aussi est compté parmi les familiers de David et de Salomon
(2 Sm 7 et 12 ; 1 R 1). Daniel aussi, à la cour du roi
de Babylone, « fut établi comme prince sur toutes les provinces de
Babylone ». « Et il s’adressa au roi, et il établit sur tous les
travaux de la province de Babylone Sidrach, Misach et Abdenago, mais Daniel
lui-même était à la cour du roi », Dn 2, 48‑49. La Glose
[dit] : « Il ne s’éloignait pas du roi, en familier honoré. » Néhémie
aussi fut échanson du roi des Perses, comme on le lit en Ne 1, 11.
Mardochée fut aussi établi comme prince à la cour d’Assuérus,
Est 8, 15.
Dans
le Nouveau Testament aussi, on lit que certains saints sont demeurés dans les
palais des rois. Ainsi, il est dit en Ph 4, 22 : Tous les saints vous saluent, surtout ceux qui font partie
de la maison de César. On lit aussi que Sébastien était parmi les premiers du
palais à la cour de Dioclétien. De même, Jean et Paul faisaient partie de la
famille de Constantin Auguste. Et Grégoire aussi, dans le prologue des Morales, raconte qu’il dormait dans un palais terrestre, « où
plusieurs frères du monastère, vaincus par la charité fraternelle, [le]
suivirent. » Il n’est donc pas interdit aux parfaits et aux religieux de
demeurer dans les cours des rois.
Afin
qu’apparaisse clairement la position qu’il faut tenir dans cette controverse,
il faut donc savoir que les saints cherchent quelque chose pour eux-mêmes et
quelque chose pour d’autres. Pour eux-mêmes, ils cherchent à toujours
s’attacher au Christ par la contemplation, soit dans ce monde pour autant que
le permet la faiblesse de la vie présente, soit dans la vie future où ils le
contempleront pleinement. Mais ils sont parfois forcés à cause des autres de
s’éloigner de la contemplation désirée et de s’impliquer dans le tumulte des
actions. Ainsi donc, ils désirent une contemplation paisible, et cependant,
pour le salut du prochain, ils supportent patiemment les fatigues de l’action.
Ainsi Paul [écrit-il] dans Ph 1, 23 : Je suis déchiré entre deux choses : j’ai le désir de
disparaître et d’être avec le Christ, mais il m’est nécessaire de demeurer dans
la chair à cause de vous. Grégoire écrit aussi dans la quatrième homélie de la
seconde partie de son commentaire sur Ézéchiel : « Pour l’esprit qui
aime fortement son époux, il n’existe d’habitude qu’une seule consolation :
que les âmes des autres progressent par sa parole et brûlent du feu de l’amour
pour l’époux céleste. » À cause de cette nécessité, il convient que les
saints se mêlent parfois aux foules et cherchent la bienveillance et la
fréquentation des grands, non pour le plaisir de la faveur humaine ou du
pouvoir, mais afin de pouvoir en amener un plus grand nombre sur le chemin du
salut. Car, comme le dit Augustin dans les Confessions,
VIII,
« ceux qui sont connus d’un grand nombre exercent une autorité sur un
grand nombre en vue du salut et sont à la tête d’un grand nombre qui les
suivra » En effet, comme il le dit plus loin, « l’ennemi est davantage
vaincu chez celui qu’il tient davantage et par lequel il en tient un plus grand
nombre ; or, il tient un plus grand nombre d’orgueilleux à cause de leur
noblesse et un plus grand nombre par eux en vertu de leur autorité ».
C’est pourquoi, poussés par la charité, les saints recherchent la société des
nobles et de ceux qui possèdent l’autorité afin que, à travers eux, ils
puissent être utiles à un plus grand nombre en vue du salut, et s’ils ne le
faisaient pas, ils devraient être blâmés à juste titre. Aussi Grégoire dit-il
dans le Pastoral : « Pour quelle
raison celui qui pourrait être utile aux autres donne-t-il la préférence à sa
retraite, alors que le Fils unique du Père est sorti du sein du Père pour se
montrer publiquement à nous ? »
Après
avoir vu cela, il est facile de répondre aux objections.
1.
En effet, ce qui est dit en Mt 11, 8 : Ceux qui portent des vêtements délicats, etc., s’interprète assez
clairement de ceux qui demeurent dans les cours des rois pour y trouver leurs
plaisirs.
2.
De même, ce que dit la Glose à propos de Lc 9, 11 : « Ce
n’est pas aux oisifs, etc. », s’entend de ceux qui sont installés dans une
ville ou dans une dignité séculière où ils trouvent le repos. Mais les saints
ne trouvent leur repos qu’en Dieu et ne demeurent qu’en Lui ; qu’il leur
faille vivre au milieu des dignités ou avec la multitude, ils l’estiment être
davantage un labeur qu’un repos.
3.
Par ce que dit Jérôme : « [Fuis] les foules, etc. », il parle
manifestement de ceux qui fréquentent les foules et les choses de ce genre, non
pour porter du fruit, mais par plaisir. Cela est clair par ce qui suit :
« Fuis les plaisirs comme si c’étaient des chaînes. »
4.
De même, ce que Boèce dit : « Ceux qui [cherchent la gloire] dans le
pouvoir, etc. » paraît manifestement vrai. Il ne découle cependant pas du
fait que ceux qui veulent se glorifier veulent s’attacher aux puissants qu’en
sens inverse, tous ceux qui veulent s’attacher aux puissants trouvent plaisir
au pouvoir, puisque cela peut être fait pour une autre raison, comme on l’a
dit.
5.
De même, bien que ce soit un honneur de prêcher à une foule, les saints n’y cherchent
cependant pas leur gloire mais celle de Dieu, en imitant celui qui dit en
Jn 8, 50 : Moi, je ne recherche
pas ma gloire, mais celle de celui qui m’a envoyé.
Ainsi
donc, après avoir vu comment, en blasphémant, les hommes pervertis pervertissent
le jugement [qu’ils portent] sur les choses, il faut maintenant voir comment
ils pervertissent le jugement sur les personnes.
Mais
peut-être pourrait-il sembler à quelqu’un que ces attaques portées contre les
personnes doivent être tolérées sans être contredites, parce que, comme
Grégoire le dit dans la neuvième homélie de la seconde partie du commentaire
sur Ézéchiel, « l’opposition des gens pervertis à notre manière de vivre
est une approbation, car il est par là montré que nous possédons quelque chose
de la justice si nous commençons à déplaire à ceux qui ne plaisent pas à
Dieu », conformément à ce qu’on lit en Jn 15, 18 : Si le monde vous hait, etc. ; et aussi parce que les
jugements humains doivent être méprisés selon l’Apôtre,
1 Co 4, 3 : Je compte pour rien
d’être jugé par vous ou sous un jour humain, et surtout lorsque nous avons
Dieu comme témoin de notre conscience, selon ce que dit
Jb 16, 20 : Voici que j’ai un témoin
dans le ciel, etc.
Mais,
à ceux qui examinent les choses de l’intérieur, il apparaît que la langue des
détracteurs doit être efficacement neutralisée pour trois raisons.
Premièrement, parce que leur diffamation n’atteint pas une seule personne ou
plusieurs personnes en particulier, mais tout un collège religieux. Aussi
faut-il résister avec fermeté à leur témérité pour éviter que les brebis du
Christ ne soient déchirées par les morsures des loups, car il est dit en
Jn 10, 12, à propos de l’aversion envers le mercenaire, que le mercenaire voit le loup venir, il abandonne les brebis
et s’enfuit. Or, le loup, comme le dit la Glose au même endroit, est
« soit un violent, qui ravage corporellement, soit le diable qui disperse
spirituellement ». On en fait aussi le reproche en
Ez 13, 5 : Vous n’êtes pas montés
de l’autre côté et vous ne vous êtes pas opposés comme un mur en faveur de la
maison d’Israël.
Deuxièmement,
parce qu’il s’efforcent de dénigrer la vie de ceux à qui une [bonne] conscience
est nécessaire non seulement pour eux-mêmes, mais aussi une [bonne] renommée
afin de pouvoir être utiles au prochain par la prédication. En effet, à propos
de Ga 4, 30 : Chassez la servante,
etc., la
Glose dit de ces calomniateurs : « Tous ceux qui, dans l’Église,
cherchent le bonheur terrestre appartiennent encore à Ismaël : ce sont
ceux qui s’en prennent à ceux qui font des progrès spirituels, les calomnient
et parlent d’eux en mal et ont la langue trompeuse. » C’est pourquoi il
faut résister à de telles calomnies, car, comme le dit Grégoire dans l’homélie
invoquée : « Ceux dont la vie est donnée en exemple doivent, s’ils le
peuvent, réprimer les paroles de ceux qui les calomnient, pour éviter que ceux
qui pouvaient écouter leur prédication ne l’écoutent pas et que, demeurant dans
un mauvais comportement, ils méprisent de bien vivre. » Ainsi, Jean
réprima-t-il, dans sa lettre à Gaïus, les paroles de quelqu’un qui le
calomniait, en disant : Si je viens, je
rappellerai sa conduite et le fait qu’il jacasse contre nous par des paroles
méchantes (3 Jn 10). Et Paul, en 2 Co 10, 10 :
Ces lettres sont sévères et fortes, etc.
Troisièmement,
parce qu’ils ne s’arrêtent pas à calomnier, mais cherchent à éliminer complètement
[les religieux], ce qui est évident par le fait qu’ils incitent les prélats à
faire en sorte que tous les évitent, qu’on ne leur assure pas le nécessaire et
qu’il ne soit permis à personne d’être admis parmi eux. C’est un parti qui est
indiqué en Is 7, 5‑7 : Parce
que la Syrie, Ephraïm et le fils de Romélie ont tramé contre toi un mauvais
coup en disant : « Montons contre Juda, soulevons-nous contre lui et
extirpons-le à notre avantage. » Mais comme il est dit au même
endroit : Cela ne tiendra pas, cela ne sera
pas. C’est
aussi ce parti dont parle Jr 11, 19 : Ils ont tramé une machination contre moi en disant :
« Éliminons-le de la terre des vivants et qu’on ne se souvienne plus de
son nom ! » Mais Jacob dit en Gn 49, 6 : Que mon âme ne se rallie pas à ce parti ! Leur cruauté ne doit
donc pas être davantage tolérée. Comme le dit Est 7, 4 : Nous avons été livrés, moi-même et mon peuple – à cause de leurs
mauvais coups ‑, pour être broyés,
égorgés et périr. Si nous étions comme des esclaves et des servantes, le mal
serait plus tolérable, et je cesserais de gémir. Il est dit aussi en
Si 4, 22 : N’accepte pas qu’on
s’oppose à toi, ni le mensonge contre ton âme.
Afin
donc de résister à leurs calomnies, il faut savoir que ceux-ci recourent à
quatre façons de calomnier. En effet, à propos des saints :
Ils
exagèrent donc de trois façons le mal chez les religieux, s’ils peuvent en
trouver.
Premièrement,
en ce qui concerne le temps, en rappelant pour leur honte ce qu’ils ont fait
avant leur conversion. En interprétant contre les religieux ce qui est dit en
2 Tm 3, 2 : Ils seront des hommes
égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, etc., ils disent pour leur honte que
cela s’entend d’eux, car ils sont parvenus à l’état de la vie religieuse, que
les calomniateurs eux-mêmes appellent la secte de ceux qui entrent dans les
maisons, à partir de l’état dans lequel ils étaient retenus par ces péchés.
Mais [les calomniateurs] sont manifestement convaincus d’erreur, car, comme le
dit Grégoire dans les Morales, en expliquant ce
passage de Jb 28, 2 : Le fer est tiré du
sol : « Le fer est tiré du sol lorsque le défenseur puissant de
l’Église est séparé des biens terrestres qu’il possédait auparavant. On ne doit
pas mépriser en lui ce qu’il a été alors qu’il a commencé à être ce qu’il
n’était pas. » Et l’Apôtre en 1 Co 6, 11, après avoir
énuméré plusieurs péchés, ajoute : Vous
avez été cela, mais vous avez été lavés et vous êtes devenus justes, etc. Leur interprétation va
aussi à l’encontre de l’intention de l’Apôtre : en effet, il ne veut pas
dire que ceux qu’il avait décrits auparavant, comme il l’avait dit plus haut,
deviennent par la suite ceux qui pénètrent dans les maisons, mais que, dès
qu’ils y pénètrent, ils sont au nombre des pécheurs qu’il avait énumérés plus
haut.
Deuxièmement,
ils exagèrent en ce qui concerne les personnes, à savoir que ce qui est fait
par un ou deux, ils ont l’audace de l’attribuer à toute la communauté religieuse,
comme lorsqu’ils disent qu’ils ne se contentent pas de la nourriture qu’on leur
propose et en cherchent une plus délicate, et plusieurs choses de ce genre.
Même si cela est le fait de quelques-uns, cela ne doit pas être attribué à tout
le collège. Aussi Augustin dit-il au donatiste Vincentius, et on le lit dans le
Décret, C. 23, q. 7, c. 1 : « Tous ceux
qui gardent par avarice et non par justice les biens des pauvres que vous
déteniez au nom de l’Église nous déplaisent. Mais vous ne montrez pas cela
facilement : nous en tolérons certains que nous ne pouvons pas corriger ou
punir, et nous n’abandonnons pas l’aire du Seigneur à cause de la paille, ni ne
déchirons les filets du Seigneur à cause de poissons mauvais. » Il ne faut
donc pas diffamer un collège de religieux parce que quelques-uns d’entre eux
commettent même des fautes graves, autrement même le collège des apôtres aurait
été blâmable à cause de ce que dit Jn 6, 71 : N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les
Douze ? Et pourtant l’un d’entre vous est un diable. Aussi est-il dit dans
Ct 2, 2 : Comme un lis parmi les
épines, ainsi est mon amie parmi les filles. Grégoire glose : « Il
ne peut pas y avoir de méchants sans qu’il y ait des bons, ni des bons sans
qu’il y ait des méchants. » Toutefois, on peut dire de ceux-ci ce qui est
dit en 1 Jn 2, 19 : Ils sont
sortis de chez nous, mais ils n’étaient pas des nôtres.
Troisièmement,
ils exagèrent les maux commis par les religieux pour ce qui est de leur
quantité, à savoir, en aggravant leurs fautes légères plus qu’il ne faut. En
effet, ils ne peuvent pas vivre en ce monde sans péché, selon ce que dit
1 Jn 1, 8 : Si nous disions que
nous n’avons pas de péché, nous nous tromperions nous-mêmes. Toutefois, ils
exagèrent les fautes légères qu’on trouve même chez tous les parfaits, comme
s’il s’agissait de fautes graves, à l’encontre de Pr 24, 15 : Ne t’embusque pas et ne cherche pas d’iniquité dans la
maison du juste. C’est à cela que se rapporte le fait qu’ils disent que les
religieux sont de faux apôtres : aux indices qu’ils recherchent des gîtes
plus somptueux où ils sont mieux traités, qu’ils s’occupent des affaires des
autres afin de mériter ainsi des gîtes, qu’ils désirent les biens temporels de
ceux auxquels ils prêchent, et d’autres choses du genre. Si ces choses ont
l’apparence du vice, elles ne sont cependant pas si graves qu’à cause d’elles,
ceux qui les commettent puissent être appelés des pécheurs, pas plus qu’ils ne
peuvent être appelés de faux apôtres. Aussi, à propos de
Ga 2, 15 : Nous, nous sommes
Juifs de naissance, et non pas des pécheurs venus de chez les païens, la Glose
dit-elle : « Dans l’Écriture, on n’utilise pas ce terme à propos de
ceux qui, tout en vivant justement et louablement, ne sont pas sans
péché. » Il arrive ainsi [aux calomniateurs] ce qui est dit en
Mt 7, 3, à savoir qu’ils voient la paille dans l’œil de leur frère et
ne voient pas la poutre dans leur œil. La Glose dit au même endroit :
« Plusieurs, prévenus, préfèrent blâmer et condamner plutôt que corriger
des [fautes] plus légères par opposition à de plus grandes, remplis de haine,
d’envie et de malice. » Ils réalisent aussi ce qui est dit en
Mt 23, 24 : Ils arrêtent un
moustique alors qu’ils avalent un chameau ! en reprochant avec hargne de toutes
petites fautes que font les religieux, et en ne prenant pas garde à leurs propres
[fautes] graves.
Il
faut maintenant voir comment ils affirment des choses douteuses pour diffamer
les religieux.
Les
choses douteuses sont surtout des choses à venir et les secrets du cœur, dont
ils ont aussi l’audace de juger. Ils parlent de choses à venir lorsqu’ils
disent que [les religieux] seront à la fin blâmés pour leur comportement et
qu’ils auront en fin de compte une foi corrompue. Ils parlent des secrets des
cœurs lorsqu’ils disent qu’il recherchent la faveur du monde, qu’ils
recherchent leur propre gloire, et non celle du Christ, et plusieurs choses de
ce genre. En cela ils sont manifestement convaincus d’être des juges
téméraires, comme cela ressort clairement de ce qu’on lit en
Rm 14, 13 : Ne jugeons pas
davantage. La Glose [dit] : « Le jugement téméraire se retrouve en
ces deux choses : alors que l’esprit avec lequel quelque chose a été fait
est incertain, ou alors qu’est incertain ce que sera celui qui est actuellement
bon ou qui paraît manifestement mauvais. C’est de l’orgueil ou de l’envie que
de juger de ces choses, ce que font surtout ceux qui préfèrent crier et blâmer
que corriger et réparer. »
Par
cela aussi, ils usurpent ce qui n’appartient qu’à Dieu, à savoir, connaître
l’avenir et les secrets des cœurs. Aussi est-il dit en
Is 41, 23 : Annoncez l’avenir, et
nous dirons que vous êtes des dieux, et Jr 17, 9‑10 :
Le cœur de l’homme est mauvais et insondable : qui le
connaîtra ? Moi, le Seigneur, qui scrute les reins et les cœurs. Aussi, à propos de
1 Co 4, 5 : Ne jugez pas avant le
temps, etc., la Glose [dit-elle] : « Car autrement c’est causer un
tort au juge si la sentence est prononcée par le serviteur avant que [le juge]
ne porte sa sentence », ce qu’il faut entendre de ce dont le Seigneur
s’est réservé le jugement.
Il
reste encore à voir comment ils inventent des faussetés pour diffamer les religieux.
Comme nous l’avons dit, pour broyer leurs cœurs, comme le dit
Is 10, 7, ils ne se contentent pas d’inventer n’importe quelle faute,
mais encore les plus graves qui puissent les rendent suspects et indignes du
commerce des hommes, ainsi qu’odieux pour tous. Et afin de les opprimer encore
davantage par leur dénigrement, ils leur attribuent les fautes les pires qui se
puissent trouver dans l’Église, tant à son début dans la primitive Église, que
dans son évolution et à l’époque présente, et lors de son terme à l’époque de
l’Antéchrist. En effet, ils disent que [les religieux] sont des faux apôtres,
qui étaient blâmés dans l’Église primitive ; ils disent qu’ils sont des
voleurs, des brigands et des envahisseurs de maisons, qui doivent être évités
pendant toute la durée de l’Église ; ils disent qu’ils sont les annonciateurs
de l’Antéchrist provoquant les dangers des derniers temps, [annonciateurs] qui
doivent être craints dans l’Église de la fin.
Répondons
à ces trois choses en suivant l’ordre.
Premièrement,
à ce qu’ils sont appelés des faux apôtres. Afin qu’il apparaisse clairement que
ce nom est faussement attribué aux religieux, voyons ce que signifie ce nom.
On
trouve en effet dans l’Écriture plusieurs choses qui se rapportent à la même
chose, comme les faux prophètes, les faux apôtres et les faux christs. Toutes
ces choses ont une apparence de fausseté et se rapportent à la même chose.
Aussi le même jugement est-il porté sur elles, ce qui ressort clairement de ce
qu’on lit en 2 P 2, 1 : Il y a
eu des faux prophètes parmi le peuple, comme il y aura de faux maîtres parmi
vous. Or,
la fonction du prophète et de l’apôtre est d’être un médiateur entre Dieu et le
peuple, en annonçant les paroles de Dieu au peuple, comme on le lit en
2 Co 5, 20 : Nous sommes donc en
ambassade pour le Christ : c’est comme si Dieu exhortait par nous. Aussi dit-on de
quelqu’un qu’il est un faux prophète ou un faux apôtre pour deux raisons.
Premièrement, parce qu’il n’est pas envoyé par Dieu, comme cela est dit en
Jr 23, 21 : Je n’envoyais pas de
prophètes, mais eux couraient ; je ne leur parlais pas, mais eux
prophétisaient. Deuxièmement, parce qu’ils ne proposent pas les paroles de Dieu,
mais inventent des faussetés dans leur coeur ; aussi est-il dit dans le
même chapitre : N’écoutez pas les
paroles des prophètes qui prophétisent pour vous et vous trompent ; ils racontent
la vision de leur cœur, et non ce qui vient de la bouche du Seigneur (Jr 23, 16).
Et en Ez 13, 6, ces deux choses sont abordées : Ils ont une vision vaine, un présage mensonger, eux qui
disent : « Parole du Seigneur », alors que le Seigneur ne les a
pas envoyés. Et l’on ajoute une troisième chose qui se rapporte à l’obstination
dans la fausseté, lorsqu’on ajoute : Et ils
ont persévéré dans la confirmation de leur parole. Aussi, lorsque Jérémie fut
condamné comme un faux prophète, écarta-t-il ces deux choses de lui, en disant,
Jr 24, 15 : En vérité, le Seigneur
m’a envoyé vers vous ‑ pour le premier point ‑, afin que
je dise à vos oreilles toutes ces paroles – pour le second point.
Et
ces deux choses constituent les faux apôtres dans le Nouveau Testament, à savoir
qu’ils ne sont pas envoyés par le Seigneur et qu’ils diffusent une fausse
doctrine. Or, on entend que sont aussi envoyés par Dieu ceux qui sont envoyés
par les prélats de l’Église. Aussi Augustin [écrit-il] à Orose :
« Apôtre veut dire envoyé. Il existe quatre sortes d’apôtres : [ceux
qui sont envoyés] par Dieu, par Dieu à travers un homme, par un homme seulement
et par eux-mêmes. Par Dieu, comme Moïse ; par Dieu à travers un homme,
comme Jésus Navé ; par un homme seulement, comme ceux qui, nombreux, ont
été choisis à notre époque par la faveur du peuple pour le sacerdoce ; par
eux-mêmes, ce sont les faux prophètes à proprement parler. » Et après, il
ajoute : « Reconnais celui qui a été envoyé par Dieu non pas en celui
que la louange ou plutôt la flatterie d’un petit nombre a choisi, mais en celui
que recommandent la vie et le comportement le meilleur, ainsi que l’exigence
des prêtres apostoliques. » Que même ceux qui diffusaient une doctrine
hérétique sont appelés de faux apôtres, cela ressort clairement de ce qu’on lit
dans la Glose, à propos de Ga 1, 7 : À moins
que certains ne vous perturbent : « Ceux-ci étaient de faux
apôtres qui disaient que l’évangile était une chose et la loi de Moïse, une
autre. » Et à propos de Mc 13, 22 : De faux christs et de faux apôtres se lèveront, etc., la Glose dit :
« À propos des hérétiques, il faut comprendre qu’il s’agit de ceux qui, en
s’opposant à l’Église, mentent en affirmant qu’ils sont des christs, dont le
premier fut Simon le magicien, et le dernier sera l’Antéchrist. »
Or,
si quelqu’un qui n’est pas envoyé prêche ou propose une doctrine fausse, c’est
qu’il est mû par un principe mauvais, par l’avarice qui recherche un gain, par
l’orgueil ou la vaine gloire. Il arrive aussi que les hommes de ce genre,
abandonnés par la grâce de Dieu, surabondent de vices, grands et petits.
Toutefois, ce n’est pas à cause de ces principes ou de ces vices qu’ils sont
appelés faux apôtres ou faux prophètes, car ce ne sont pas tous ceux qui
prêchent pour un gain ou pour la faveur du monde qui sont appelés faux apôtres,
autrement il n’y aurait pas de différence entre le mercenaire et le faux
apôtre. En effet, ceux qui cherchent autre chose que la fructification des âmes
et l’honneur de Dieu par la prédication sont appelés mercenaires, qu’ils
annoncent des vérités ou des faussetés, et qu’ils soient envoyés ou non ;
mais ils ne peuvent être appelés faux apôtres ou faux prophètes que lorsqu’ils
ne sont pas envoyés ou annoncent des faussetés. De même, ce ne sont pas tous
les pécheurs qui annoncent la parole de Dieu ou administrent les sacrements qui
sont de faux apôtres ou de faux prophètes. En effet, les vrais prélats sont de
vrais apôtres, eux qu’on trouve parfois pécheurs, poussés par les péchés.
La
sottise ou la malice des détracteurs contre lesquels nous nous élevons est donc
montrée par le fait qu’ils ont l’audace d’appeler les religieux des faux
apôtres ou des faux prophètes à partir de certains signes, dont certains sont
des péchés légers, mais certains sont des péchés graves, qui ne se rapportent
cependant pas aux deux choses évoquées, comme le fait qu’ils cherchent leur
propre honneur, parce qu’ils cherchent à se venger de leurs ennemis, et des
choses de ce genre. Même si toutes ces choses se retrouvaient chez un homme qui
prêche, elles ne feraient pas ou ne montreraient pas qu’il est un faux apôtre,
pourvu qu’il prêche des choses vraies et soit envoyé. À propos de la fausseté
de la prédication [des religieux], ils n’osent rien mettre de l’avant ;
mais le fait qu’ils parlent sans fondement en disant que [les religieux]
prêchent alors qu’ils ne sont pas envoyés, ce qui a un rapport avec la question
en cause, cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut lorsqu’il a été
question de leur prédication. Il reste donc qu’en cette matière [leurs calomniateurs]
sont des menteurs en osant attribuer [aux religieux] un tel crime, en appelant
les religieux faux apôtres. Or, ils pourraient par la même ruse se diffamer
eux-mêmes ou n’importe qui pour un crime semblable. En effet, puisque les faux
apôtres ont fait beaucoup de choses que font aussi les autres pécheurs, et
parfois même les justes, bien que ce soit pour une autre cause, on pourrait facilement
argumenter ainsi : on lit que les faux apôtres ont fait ceci ou cela. Ceux
qui font ceci ou cela doivent donc être considérés comme des faux apôtres. Mais
on trouverait aisément la vanité de cet argument, comme cela ressort clairement
de ce qui a été dit.
Il
faut maintenant voir comment ils attribuent aux religieux des crimes dont
l’Église souffre pendant tout le cours de son histoire, de sorte qu’ils disent
que [les religieux] sont des loups, des brigands et des envahisseurs de
maisons.
En
effet, que [les religieux] soient des voleurs et des brigands, [leurs
adversaires] veulent le montrer par le fait que, comme ils le disent, ils n’entrent pas dans le bercail par la porte (Jn 10, 1),
lorsqu’ils entendent les confessions, prêchent et enseignent par ailleurs que
par la porte. [Les adversaires] peuvent manifestement être convaincus de
sottise à ce sujet, car la porte est le Christ, comme cela ressort clairement
de la Glose au même endroit ; et le prélat ne peut pas être appelé une
porte. C’est pourquoi la Glose dit au même endroit : « Le Christ
s’est réservé d’être la porte. » On n’entend donc pas que n’entre pas par
la porte celui qui n’entre pas par l’intermédiaire d’un prélat, mais ceux qui
n’entrent pas par le Christ, comme les Juifs, les païens, les philosophes, les
pharisiens et les hérétiques, comme l’explique la Glose au même endroit.
Ceux-ci sont donc appelés voleurs parce qu’ils disent que ce qui appartient à
un autre leur appartient, à savoir qu’ils s’approprient les brebis de Dieu en
ne [les] convertissant pas à l’enseignement du Christ mais au leur ; [on
les appelle] brigands parce qu’ils tuent ce qu’ils volent en [les] écartant de
la foi, comme on peut le comprendre par les paroles des gloses au même endroit.
Toutefois, à supposer que doivent être appelés voleurs et brigands ceux qui
annoncent selon la vraie doctrine, mais non par l’intermédiaire des prélats de
l’Église, il ressort clairement de ce qui a été dit que cela est étranger aux
religieux, à moins que quelqu’un n’estime qu’un évêque ou le pape ne soit pas
le prélat immédiat de tous ceux qui sont soumis au prêtre paroissial.
[Leurs
adversaires] les appellent des loups rapaces du fait que [les religieux]
s’approchent pour servir aux fidèles du Christ une nourriture spirituelle, mais
qu’ils ont à l’intérieur l’intention de se repaître de leurs biens charnels,
comme les loups s’approchent des brebis afin de se repaître de leur chair. En
cela, [les adversaires] sont aussi manifestement convaincus d’abuser. En effet,
le Seigneur fait une distinction nette entre le mercenaire et le loup : ce
qu’ils attribuent au loup, la Glose l’attribue au mercenaire, en disant :
« Le mercenaire est celui qui cherche son propre bien, et non celui du
Christ, qui sert Dieu non pas à cause de Dieu, mais pour une récompense. »
Ceux-là donc qui ne commettent que l’offense d’avoir l’intention de prendre des
biens temporels et prêchent pour ceux-ci, sont des mercenaires et non des
loups, à moins qu’ils dévastent corporellement par leur puissance, comme les
tyrans, ou ne dispersent spirituellement, comme le diable et ses ministres
hérétiques, comme cela ressort clairement de la Glose au même endroit. Cela aussi
ressort de ce qui est dit en Ac 20, 29 : Je sais que des loups rapaces s’introduiront après mon départ
pour s’en prendre à vous. La Glose [dit] : « Les hérétiques rusés dans la
tromperie, puissants dans la polémique, cruels dans la tuerie. » C’est
aussi ce qu’on lit chez Mt 7, 15 : À
l’intérieur, ce sont des loups rapaces. La Glose explique que cela
s’entend spécialement «des hérétiques qui sont des loups rapaces par leur
esprit empoisonné et leur intention de nuire, soit à l’extérieur, s’il y en a
beaucoup à poursuivre, soit en les corrompant de l’intérieur ». À quel
point aussi c’est un jugement téméraire de juger que certains recherchent
principalement les réalités charnelles, bien qu’ils reçoivent des biens
charnels en semant des biens spirituels, cela ressort clairement de ce qui a
été dit.
Ils
disent aussi que [les religieux] sont des envahisseurs de maisons du fait
qu’ils entendent les confessions sans la permission des prêtres : ils
s’introduisent ainsi dans les maisons des consciences. Ils prouvent cela par
une explication de la Glose qu’on lit à propos de
2 Tm 3, 6 : Ils sont bien du
nombre, ceux qui s’introduisent dans les maisons, etc. : « Ils
s’introduisent dans les maisons, c’est-à-dire qu’ils explorent les qualités de
chacun et ceux qu’ils trouvent aptes, ils les amènent captifs. » Or, ils
ne peuvent explorer les qualités de quiconque que s’ils ont entendu les confessions.
Parce que [les adversaires] s’appuient fortement sur cette autorité, voyons
comment il faut la comprendre.
En
effet, l’Apôtre prédit que, dans les derniers
temps, il y aura des moments difficiles, et les hommes seront égoïstes, etc. (2 Tm 3, 1).
Or, on appelle parfois les derniers temps, comme le dit Augustin dans sa lettre
à Hésychius, l’époque même des apôtres. Ainsi, en Jl 2, 28 : Aux derniers jours, je répandrai mon Esprit, etc. Pierre dit que cela
s’est réalisé le jour de la Pentecôte, Ac 2, 17. Parfois aussi, on
appelle dernier jour le dernier de tous, Jn 6, 55 : Je le ressusciterai au dernier jour. Mais ici, il faut entendre
les derniers jours de ceux qui sont plus proches de ce tout dernier, de sorte
que l’Apôtre parle au futur : Il y aura des moments
difficiles et les hommes, etc. Ceci semble être en rapport avec ce qui est dit en
Mt 24, 12 : La charité d’un grand
nombre se refroidira et l’iniquité abondera. La Glose dit donc au même
endroit : « Aussi l’Apôtre dit-il : Il y
aura des hommes égoïstes. Les paroles de l’Apôtre ne doivent donc pas être comprises
comme si les vices qu’il énumère avaient été absents à une certaine époque,
mais au sens où, avec l’ampleur de la malice, [les vices] croîtront dans
l’avenir. Toutefois, il y en avait dans l’Église primitive qui débordaient de
ces vices, autrement il dirait pour rien : Évite-les !
Et à
Timothée qui l’interrogeait : Comment puis-je éviter
ceux qui n’existent pas encore ? l’Apôtre répond : Parmi eux, il y en a qui s’introduisent dans les maisons,
etc. Ainsi,
il entend que les vices qu’il a mentionnés auparavant se rapportent au futur,
mais ce qu’il dit : Parmi eux, il y en a
qui s’introduisent dans les maisons, [se rapporte] au présent. Il dit
donc : S’introduisent, et non : S’introduiront. Ils les amènent
captifs, et non : Ils les amèneront. Et il ne faut pas penser
qu’en cet endroit, il ait employé des paroles se rapportant au temps présent à
la place de paroles se rapportant au temps futur, comme le dit Augustin dans la
même lettre. Il en existait donc certains, dans l’Église primitive, qui étaient
connus pour s’introduire dans les maisons, etc., dont il veut qu’on comprenne
qu’ils étaient enchaînés à ces vices qui abonderont dans les derniers temps.
Qui
ils étaient, il l’explique plus explicitement en Tt 1, 10‑11,
où il dit : Nombreux en effet sont les
esprits rebelles, les vains discoureurs, les séducteurs, surtout chez les circoncis.
Il faut les confondre, eux qui bouleversent des maisons entières, en enseignant
ce qui ne se doit pas pour de honteux profits. Ainsi, ce qu’il dit : Parmi eux, il y en a qui s’introduisent dans les maisons, doit s’entendre de
ceux qui faisaient en secret le tour des maisons en diffusant une doctrine
fausse, soit qu’on l’entende de la maison de la conscience, soit de la maison
matérielle, et les attachaient par les liens de l’erreur. Aussi l’Apôtre
ajoute-t-il : Des hommes à l’esprit
corrompu, condamnables pour ce qui est de la foi. Et il ne faut pas comprendre,
comme [les adversaires] le veulent, que ce qu’il dit : Condamnables pour ce qui est de la foi, se rapporte au futur,
comme s’il disait : Ceux qui
s’introduisent maintenant dans les maisons seront condamnables à l’avenir pour
ce qui est de la foi. Cela ressort clairement tant du fait qu’il dit au
présent : Ils s’opposent à la vérité, que de ce qui
suit : Mais ils ne feront pas de
progrès, car leur sottise sera rendue évidente. La Glose [dit] : « Par
des hommes bons, en particulier, par l’Apôtre Jean, dont il prédit qu’il
détruira les hérétiques en Asie. » Il ressort aussi clairement de cela que
l’Apôtre parle des hérétiques. Aussi, à supposer que les religieux aient
entendu les confessions sans la permission des prélats, pourvu qu’ils n’aient
pas diffusé une doctrine hérétique, ils ne sont pas touchés par ces paroles de
l’Apôtre.
Et
ainsi, sont écartées toutes les inventions par lesquelles ils s’efforcent
d’imaginer, à l’occasion de ces paroles, que les dangers des derniers temps
sont imminents parce que les religieux entendent les confessions. Comment les
religieux entendent légitimement et utilement les confessions, on l’a dit plus
haut lorsqu’on a traité de cette question.
Voyons
maintenant comment [les adversaires] attribuent aux religieux les maux qu’on
craint pour l’Église de la fin, en disant qu’ils sont les annonciateurs de
l’Antéchrist. Pour en convaincre, ils s’efforcent de montrer deux choses :
premièrement, que les temps de l’Antéchrist sont maintenant tout proches ;
deuxièmement, que les annonciateurs de l’Antéchrist sont d’une manière
particulière les religieux qui prêchent et entendent les confessions. Traitons
de ces questions par ordre.
Que
les derniers temps soient proches, ils veulent le démontrer par le fait que
l’Apôtre dit en 1 Co 19, 11 : Nous-mêmes, qui touchons à la fin des temps, en
1 Jn 2, 18 : Petits enfants, voici
la dernière heure ! en He 10, 37 : Celui
qui doit venir viendra, et il ne tardera pas, et en Jc 5, 9 : Voici que le juge est assis à la porte. Ils veulent conclure
de tout cela que, puisqu’un si long temps s’est écoulé depuis l’époque des
apôtres où ces choses étaient dites, l’époque de l’Antéchrist est maintenant
toute proche. Mais s’ils entendent ces paroles au sens où elles annoncent que
l’époque de l’Antéchrist est proche, selon la manière de parler où l’Écriture a
coutume de comprendre n’importe quelle durée comme étant brève par rapport à
l’éternité, conformément à ce qui est dit en 1 Co 7, 29 : Le temps est court, ils ne sont nullement
répréhensibles. Toutefois, cette affirmation qui est la leur n’aura aucune
efficacité pour confirmer leur position, parce qu’ils entendent affirmer qu’il
faut éviter maintenant les dangers qui sont annoncés comme à venir au moment où
se rapproche l’époque de l’Antéchrist, et qu’ils arriveront à cause des
religieux qui existent maintenant, question sur laquelle ils veulent que les
prélats enquêtent[38].
Mais s’ils veulent indiquer par ces paroles un moment déterminé, à savoir que
l’Antéchrist viendra d’ici sept, cent ou mille ans, ces gens très présomptueux
seraient réfutés par de nombreuses autorités.
En
effet, dans les Ac 1, 7, alors que les disciples l’interrogeaient à
ce propos, le Seigneur répondit : Il ne vous appartient pas de
connaître les temps ou les moments que le Père a fixés par son autorité. Augustin conclut de cela, dans
sa lettre à Hésychius, que s’il ne leur appartenait pas de [les] connaître,
[cela appartenait] encore bien moins à d’autres. Et Mt 24, 36 : Ce
jour et cette heure, personne ne les connaît, pas même les anges des cieux. Et on lit la même chose en
Mc 13, 32 et en 2 Th 2, 2 : Ne
soyez pas ébranlés dans ce que vous pensez comme si le jour du Seigneur était
proche. Et
Augustin dit à Hésychius : « Tu as dit : “L’évangile dit que
personne ne connaît le jour ni l’heure.” Moi je dis, dans les limites de mon
intelligence, qu’on ne peut connaître ni le mois ni l’année de son avènement.
Cela semble indiquer qu’on ne peut savoir en quelle année il viendra, mais
qu’on pourrait savoir dans quelle semaine de ces années ou dans quelle
décennie. » Et plus loin : « Si cela ne peut être compris, je
demande si on peut néanmoins préciser le moment de son avènement, de sorte
qu’on pourrait dire qu’il viendra entre tel et tel moment, par exemple, à
l’intérieur de cinquante ou de cent ans, ou de n’importe quel nombre d’années
supérieur ou inférieur. » Et plus loin : « Mais si tu estimes ne
pas avoir compris cela, tu penses comme moi. » Dans l’Église primitive,
comme le racontent Jérôme dans son livre Sur les hommes illustres et Eusèbe dans son Histoire
ecclésiastique, l’enseignement
de certains a été condamné parce qu’ils disaient que l’avènement du Seigneur
était tout proche, comme semblent le dire maintenant [les adversaires des
religieux]. On ne peut donc préciser aucune durée, aucun temps petit ou grand,
où la fin du monde, [moment] où le Christ et l’Antéchrist sont attendus, est
attendue. Pour cette raison, il est dit en 1 Th 5, 2 que le
jour du Seigneur viendra comme un voleur, et en Mt 24, 37‑39 : Comme
aux jours de Noé, ils ne surent pas avant l’arrivée du déluge qui les emporta
tous, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. Aussi Augustin, toujours dans
la lettre à Hésychius, en présente-t-il trois qui attendent l’avènement du
Seigneur : l’un, plus rapidement ; l’autre pense que le Seigneur
viendra plus tardivement ; mais le troisième confesse son ignorance. Et il
loue celui-ci, mais blâme le premier.
Pour
fonder leur intention, [les adversaires des religieux] utilisent ce
raisonnement. Le dernier âge débute avec l’avènement du Christ. Mais les autres
âges n’ont pas duré plus de mille ans. Ainsi, puisque depuis l’avènement du
Christ, beaucoup plus que mille ans se sont écoulés, il faut attendre la fin
très prochainement au cours de cet âge. Augustin répond à ce raisonnement dans
le livre 83 des Questions, question 60 :
« La vieillesse semble comprendre autant de temps que tous les autres
âges. ». Or, il compare ce dernier âge à la vieillesse. Il conclut
donc : « Quant au dernier âge du genre humain, qui va de l’avènement
du Seigneur jusqu’à la fin des temps, le nombre de générations qu’il compte est
incertain. » Et Dieu a voulu cacher cela utilement, comme il est écrit
dans l’évangile et comme l’atteste l’Apôtre en disant que le jour du Seigneur
viendra comme un voleur.
Ils
invoquent aussi huit signes par lesquels ils veulent montrer que l’avènement de
l’Antéchrist est proche. Le premier semble être tiré de ce qui est dit en
Dn 7, 25, à propos de l’Antéchrist : Il
pensera qu’il peut changer les temps. La Glose [dit] : « Il
sera tellement gonflé d’orgueil qu’il tentera de modifier les lois et les
cérémonies. » Aussi, alors que certains s’efforcent déjà de changer
l’évangile du Christ en un autre évangile qu’ils appellent éternel, ils disent
manifestement que l’époque de l’Antéchrist est toute proche. Or, l’évangile
dont ils parlent est une Introduction aux ouvrages de
Joachim [de Flore], qui a été condamné par l’Église, ou bien la doctrine même
de Joachim par laquelle, disent-ils, l’évangile du Christ est changé. À
supposer cela, ce signe n’est rien, car, à l’époque des apôtres, certains ont
voulu changer l’évangile du Christ, comme cela ressort clairement de
Ga 1, 6 : Je m’étonne que vous
soyez si rapidement détournés par celui qui vous a appelés à un autre évangile.
Ils tirent le deuxième signe de ce qu’on lit dans Ps 9, 21 : Seigneur, établis un législateur sur eux. La Glose [dit]&n