I TIMOTHÉE XII

HOMÉLIE XII. L'ESPRIT DIT EXPRESSÉMENT QUE, DANS LES TEMPS ULTÉRIEURS, DES HOMMES S'ÉLOIGNERONT DE LA FOI, S'ATTACHANT A DES ESPRITS D'ERREUR ET AUX ENSEIGNEMENTS DES DÉMONS, AVEC L'HYPOCRISIE DE CEUX QUI PROFÈRENT LE MENSONGE, QUI ONT CAUTÉRISÉ LEUR CONSCIENCE, PROHIBENT LE MARIAGE, ENSEIGNENT L'ABSTINENCE DES ALIMENTS QUE DIEU A CRÉÉS, POUR QUE LES FIDÈLES QUI RECONNAISSENT LA VÉRITÉ, EN USENT AVEC ACTIONS DE GRACES. EN EFFET, TOUTE CRÉATURE DE DIEU EST BONNE, ET L'ON NE DOIT REJETER RIEN DE CE QU'ON REÇOIT AVEC ACTIONS DE GRACES, CAR TOUT OBJET EST SANCTIFIÉ PAR LA PAROLE DE DIEU ET L'ORAISON. (IV, 1-5 JUSQU'A 10.)

 

Analyse.

 

1. L'hérésie demeure en une fluctuation perpétuelle. — Les manichéens, les encratites, les marcionites.

2, 3. Les observances judaïques ont fait leur temps. — La foi et la piété, tout est là.

4. Contre les avares.

 

1. De même que ceux qui s'attachent à la foi mouillent sur une ancre solide, de même ceux qui l'ont perdue ne peuvent s'arrêter nulle part, mais, errant çà et là en de nombreuses erreurs, ils sont enfin entraînés aux abîmes de la perdition. L'apôtre l'a déjà exprimé, quand il a dit que quelques-uns ont fait naufrage dans la foi, et maintenant il ajoute : « L'Esprit dit expressément que, dans les temps ultérieurs, des hommes s'éloigneront de la foi, s'attachant à des esprits d'erreur». C'est des manichéens, des encratites, des marcionites et de toute cette officine, que parle l'apôtre en disant : « Dans les temps ultérieurs, des hommes s'éloigneront de la foi ». Vous voyez que la cause de tous les maux qu'il prédit est l'éloignement de la foi. Et que veut dire le mot « expressément? » Il veut dire: évidemment, clairement, sans contredit ni discussion. Ne vous étonnez pas, dit-il, si ceux qui se sont éloignés de la foi judaïsent encore; il viendra un temps où ceux qui auront reçu la foi feront pis; ils ne s'en prendront plus seulement aux aliments, mais au mariage, appliquant à tous ces objets leurs funestes conseils. Ce n'est pas des Juifs qu'il parle; car comment alors dirait-il : « Dans les temps ultérieurs » et « s'éloigneront de la foi », mais bien des Manichéens et de leurs docteurs. Il les appelle esprits d'erreur, et avec raison, car ce sont des esprits d'erreur qui leur inspirent cet enseignement. Et que veulent dire ces mots : « Avec l'hypocrisie de ceux qui profèrent le mensonge? » C'est que leurs fausses doctrines, ils ne les débitent pas par ignorance, ne sachant ce qu'ils font, mais par feinte, sachant ce qui est vrai, mais ayant cautérisé leur conscience, c'est-à-dire, ayant une vie perverse. Et pourquoi n'a-t-il prophétisé que ces hérétiques? Ce ne sont pas les seuls dont le Christ a dit : « Il faut qu'il vienne des scandales ». (Matth. XVIII, 7.) Et ailleurs il a prédit la zizanie poussant dans le champ du père de famille. Mais admirez la prophétie de Paul. Avant les temps où les choses devaient arriver, il en indiquait le temps même. Ne soyez donc pas surpris, si, maintenant que les doctrines de la foi dominent, quelques hommes s'efforcent de glisser parmi nous ces dogmes funestes; longtemps après l'affermissement de la foi plusieurs l'abandonnèrent.

« Prohibent le mariage, enseignent l'abstinence des aliments ». Mais pourquoi donc ne parle-t-il pas des autres hérésies? Il y a fait allusion par ces mots : « Esprits d'erreur » et « enseignements des démons ». Mais il ne voulait pas les semer dès lors dans les âmes; il a seulement désigné ce qui avait commencé à se produire, ce qui concerne les aliments. — « Que Dieu a créés pour l'usage des fidèles qui reconnaissent la vérité ». Ne les a-t-il donc pas créés pour les infidèles? Et comment cela, puisqu'ils s'en écartent eux-mêmes par les lois qu'ils s'imposent? Mais quoi, la vie sensuelle n'est-elle pas prohibée ? — Energiquement. — Pourquoi, si les aliments sont créés pour que nous en usions? Parce que Dieu a créé le pain et défendu l'intempérance, créé le vin et défendu l'intempérance. (318) Ce n'est pas comme impure en elle-même qu'il nous défend la mollesse, mais parce qu'elle énerve l'âme par l'intempérance. « En « effet, toute créature de Dieu est bonne, et « Ton ne doit rejeter rien de ce qu'on reçoit « avec actions de grâces ». Ce que Dieu a créé est bon. « Et tout était très-bon ». (Gen. I, 31.) En disant: Créature de Dieu, il a fait entendre tous les aliments, et d'avance il repousse l'hérésie de ceux qui prêchent une matière éternelle et disent que les aliments en proviennent. Mais, si les créatures sont bonnes , pourquoi ajoute-t-il : Sanctifié par la parole et par l'oraison ? Car ce qui est sanctifié devait être impur. Ce n'est point cela, mais il parle ici contre ceux qui croient que certains objets sont immondes par eux-mêmes. Il établit donc deux principes, l'un que nulle créature n'est immonde, l'autre que si elle l'était vous avez un remède à y apporter. Faites le signe de la croix, rendez grâces, glorifiez Dieu, et toute impureté s'évanouit. Mais, dira-t-on, pouvons-nous purifier ainsi même ce qui est immolé aux idoles? Oui, si vous ignorez que ce soit immolé aux idoles; si vous le savez et que vous en usiez, vous serez impur, non parce que l'objet a été immolé, mais parce que, ayant reçu la défense d'avoir rien de commun avec les démons, vous l'avez ainsi violée. Ce n'est pas l'objet qui est impur par sa nature, mais il l'est devenu par suite de votre libre arbitre et de votre désobéissance. La chair de porc n'est-elle donc pas impure? Non, si on la prend avec actions de grâces, après avoir fait le signe de la croix, et nul autre aliment non plus : c'est la volonté qui est impure, lorsqu'elle ne rend pas grâces à Dieu.

« En présentant cette doctrine à vos frères, vous serez un bon serviteur de Jésus-Christ, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie (6) ». Que veut dire l'apôtre? Ce qu'il à exprimé en disant que c'est un grand mystère, et que s'abstenir de ces aliments est l'oeuvre des démons, parce qu'ils sont purifiés par la parole de Dieu et l'oraison. « Nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie. Eloignez-vous des fables profanes et dignes de et vieilles femmes; exercez-vous à la piété (6, 7) ». « En présentant cette doctrine » : vous voyez que nulle part ici il n'est question de puissante impérieuse , mais de condescendance. « En présentant », dit-il. Il n'a pas dit: En ordonnant, en prescrivant, mais: En présentant. — Présentez-la comme si vous donniez un avis; provoquez des entretiens sur la foi. « Nourri », dit-il encore, montrant ainsi la perpétuité du zèle pour la bonne doctrine.

2. Car de même que nous demandons notre pain quotidien, de même nous recevons sans cesse des paroles de foi, qui sont pour nous une nourriture perpétuelle. « Nourri », c’est-à-dire, les digérant, les retournant sans cesse, les méditant toujours; car ce n'est pas une les vulgaire. « Eloignez-vous des tables profanes et dignes de vieilles femmes ». Quelles sont ces fables? Les observances judaïques. Il les appelle fables; elles le sont assurément, soit comme ajoutées à la parole de Dieu, soit comme n'étant plus de saison. Ce qui vient en son temps est utile; hors delà ce n'est plus seulement inutile, mais nuisible. Imaginez un homme de plus de vingt ans venant téter sa nourrice, combien ne se rendrait-il pas ridicule? Vous voyez donc dans quel sens l'apôtre dit que ces enseignements sont coupables et dignes de vieilles femmes, parce qu'ils sont d'un autre temps et forment obstacle à la foi. Ramener sous la loi de crainte une âme qui s'est élevée plus haut, c'est un précepte coupable. « Exercez-vous à la piété», c'est-à-dire, à une foi pure, à une vie droite, car c'est en cela que consiste la piété. Nous avons donc besoin de nous y exercer. « L'exercice corporel », continue l'apôtre, « n'a qu'une mince utilité (8) ». Quelques-uns pensent qu'il parle ici du jeûne, mais loin de nous cette pensée ; ce n'est pas là un exercice corporel, mais spirituel. S'il était corporel il nourrirait le corps, s'il le dessèche et l'amaigrit, il n'est pas corporel. Ce n'est donc point des mortifications du corps que parle ici l'apôtre ; nous avons besoin d'exercer notre âme. L'exercice corporel ne produit pas d'avantage réel, mais seulement quelque utilité pour le corps; celui de la piété rend du fruit pour l'avenir, et nous le -recueillons en ce monde et dans le ciel.

« Cette parole est fidèle (9) », c'est-à-dire vraie, pour ce monde et pour l'autre (1). Considérez comment Paul ramène partout cette pensée;. il n'a pas besoin de prouver, mais seulement d'affirmer, parce que c'est à Timothée

 

1 On lit à la fin du verset précédent : La piété est utile à tout, elle contient la promesse de la vie présente et de la vie future.

 

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qu'il s'adresse. Oui, nous vivons ici dans d'heureuses espérances. Celui dont la conscience est sans reproche, qui sans cesse agit avec droiture, se sent heureux, même en ce monde; de même que le méchant est châtié non-seulement dans la vie future, mais dans celle-ci, vivant sans cesse dans la crainte, n'osant regarder personne avec aisance, tremblant, pâlissant, tourmenté. N'est-il pas vrai que les hommes cupides et voleurs ne sont jamais rassurés sur ce qu'ils possèdent ? Que les adultères, les meurtriers mènent une vie fort misérable, n'osant lever les yeux sans inquiétude même sur le soleil ? Est-ce là vivre ? Non certes; c'est une mort douloureuse. « C'est pour cela », dit l'apôtre, « que nous supportons les fatigues et les outrages, parce que nous avons mis notre espérance au Dieu vivant, qui est Sauveur de tous les hommes et surtout des fidèles (40) ». Comme s'il disait Pourquoi nous imposer tant de peines, si nous n'attendons pas les biens futurs ? Pourquoi tous les hommes nous outragent-ils ? Tout ce que nous avons souffert n'est-il pas terrible? Et avons-nous souffert en vain tant d'injures, d'outrages et de maux de toute sorte? Si nous n'avons pas mis notre espérance dans le Dieu vivant, pourquoi les avons-nous supportés? S'il sauve les infidèles en ce monde , combien plus les fidèles dans l'autre? De quel salut veut-il parler? De celui de l'autre vie. — « Qui est le Sauveur de tous les hommes et «surtout des fidèles n, ce qui signifie qu'il leur témoigne un soin plus grand. Il a d'abord parlé de cette vie. Et comment, dira-t-on, Dieu est-il le Sauveur des fidèles? S'il ne l'était pas, il ne les eût pas garantis de leur perte, quand ils sont attaqués de toutes parts. En cette vie il exhorte le fidèle à affronter les dangers, à ne pas se laisser abattre, quand il a un Dieu si bon, à ne pas réclamer une assistance étrangère, mais à tout supporter de bon coeur et avec générosité. Ceux, en effet, qui aspirent aux biens de la vie affrontent les soucis, lorsqu'ils aperçoivent l'espoir d'un gain.

Enfin viendront les derniers temps : « Dans les temps ultérieurs», a dit l'apôtre, « des hommes s'éloigneront de la foi, s'attachant à des esprits d'erreur et aux enseignements des démons, avec l'hypocrisie de ceux qui profèrent des mensonges , qui ont cautérisé leur conscience, prohibent le mariage ». Mais quoi, dira-t-on, ne prohibons-nous pas

nous-mêmes le mariage? Non certes, à Dieu ne plaise, nous ne le défendons pas à ceux qui le désirent, mais ceux qui ne le désirent pas, nous les exhortons à la virginité. Autre chose est prohiber, autre chose est laisser maître de son choix : celui qui impose une prohibition le fait d'une manière absolue ; celui qui exhorte à la virginité comme à quelque chose de plus grand ne prohibe point le mariage; il s'en tient au conseil. « Prohibent le mariage, enseignent l'abstinence des aliments que Dieu a créés, pour que les fidèles, qui reconnaissent la vérité , en usent avec actions de grâces ». L'apôtre a bien dit : Qui « reconnaissent » la vérité. L'état ancien n'était qu'une figure : il n'y a pas de viande impure par elle-même; elle ne le devient que par rapport à la conscience de celui qui en use. Pourquoi Dieu a-t-il interdit aux Juifs tant d'aliments? Pour réprimer leur grande sensualité. S'il leur eût dit : Ne faites pas de repas sensuels, ils ne se fussent abstenus de rien; il a donc renfermé cette règle sous l'obligation de la loi, afin de les contenir par une crainte plus grande. Il est évident que le poisson est plus impur que le porc; cependant Dieu ne l'a pas interdit. Pour savoir combien ils étaient en proie à la sensualité, écoutez ce que dit Moïse « Le bien-aimé a mangé, il s'est engraissé, il s'est épaissi, il a regimbé ». (Deut. XXXII, 15.) Il y a aussi une autre cause. Dieu défendait aux Juifs, qui allaient vivre dans un pays resserré, d'user des autres animaux, afin qu'ils fussent contraints de se nourrir de boeufs et d'égorger des brebis, prescription sage à cause d'Apis et du veau ; car Apis était impur, odieux à Dieu, souillé, profane.

3. Mettez ces objets sous vos yeux, méditez-les ; car c'est ce que l'apôtre fait entendre par ces mots : « Nourri des paroles de la foi ». Ne vous bornez pas à exhorter les autres, mais méditez-les vous-même. « Nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie. Eloignez-vous des fables profanes et dignes de vieilles femmes ». Pourquoi Paul n'a-t-il pas dit : Abstenez-vous, mais : Eloignez-vous? Ne descendez point à disputer contre ces hommes, mais exhortez ceux qui vous sont confiés à repousser ces doctrines. Car on ne saurait rien gagner à lutter ainsi contre ceux qui se sont détournés de la voie de Dieu, sauf le cas où nous penserions qu'il y eût scandale, parce que nous (320) paraîtrions nous refuser à la discussion, faute de bonnes raisons. « Exercez-vous à la piété u; or la piété a pour objet une vie pure, une conduite excellente. Celui qui s'exerce aux luttes gymnastiques , se conduit en tout comme un athlète, même en dehors du temps destiné aux combats ; il supporte les abstinences prescrites et des sueurs fréquentes. « Exercez-vous à la piété », dit le texte ; « car  l'exercice corporel n'a qu'une mince utilité; mais la piété est utile à tout, ayant les promesses de la vie présente et de la vie future ». Pourquoi a-t-il rappelé ici l'exercice corporel? Pour montrer, par la comparaison, la supériorité de l'autre, parce que le premier exige de nombreuses fatigues, sans apporter d'avantage qui mérite qu'on en tienne compte, tandis que l'exercice de l'âme en apporte de perpétuels et d'immenses. De même il dit aux femmes de se parer, non avec des frisures, de l'or, des perles et de somptueux vêtements, mais comme il convient à des femmes qui enseignent la piété par leurs bonnes oeuvres.

« Cette parole est fidèle et digne d'être reçue par tous. C'est pour cela que nous supportons les fatigues et les outrages ». Paul supportait les outrages, et vous les trouvez insupportables? Paul supportait les fatigues et vous voulez vivre dans la mollesse? S'il y eût vécu, il n'eût pas obtenu ces grands biens. Car si les biens précaires et corruptibles .de cette vie ne s'acquièrent jamais sans travaux et sans sueurs, à combien plus forte raison les biens spirituels !  — Mais, dira-t-on, il en est beaucoup qui reçoivent ceux de cette vie par héritage. — Dans ce cas même, la garde et la conservation des richesses n'est pas dépourvue de peines, et le riche n'éprouve pas moins de fatigues et de chagrins que les autres. Et d'ailleurs combien, après mille fatigues et mille soucis, ont vu s'évanouir leur fortune, assaillis à l'entrée du port par un coup de vent subit et faisant naufrage au plus beau de leurs espérances. Pour nous, rien de semblable : c'est Dieu qui est l'auteur de la promesse et « l'espérance ne et confond point ». (Rom. V, 5.) Ne savez-vous pas, vous aussi, qui vous agitez dans les affaires de la vie, combien, après d'innombrables travaux, n'en ont point recueilli le fruit, soit parce que la mort les a enlevés auparavant, soit parce qu'un revers est survenu, une maladie les a atteints, des calomniateurs les ont attaqués, soit que toute autre cause des accidents humains sont nombreux) les ait entraînés les mains vides? — Mais, me répondra-t-on, ne voyez-vous pas ceux qui réussissent, ceux qui, avec peu de peine, se procurent de grands biens? — Et quels biens? Des richesses, des maisons, tant et tant d'arpents de terre, des troupeaux d'esclaves, un grand poids d'argent et d'or ? C'est là ce que vous appelez des biens? Et vous ne vous couvrez pas le visage? Et vous ne vous cachez pas sous terre, homme instruit dans la philosophie du ciel et qui aspirez aux choses terrestres, qui appelez biens ce qui ne mérite pas qu'on en parle? Suce sont des biens, il faut donc appeler bons ceux qui les possèdent; car celui qui possède le bien, comment ne serait-il pas bon?

Eh ! dites-moi : lorsque ces riches sont injustes et voleurs, dirons-nous qu'ils sont bons? Car, si la richesse amassée par la fraude est un bien, plus elle s'accroît plus on devra juger bon celui qui la possède. L'homme d'une cupidité sans frein est donc un homme de bien, et, si la richesse est bonne , celui qui l'augmente ainsi sera d'autant meilleur qu'il aura fraudé davantage. Voyez-vous la contradiction? — Mais, répondra-t-on , s'il n'a dépouillé personne? — Comment cela se peut-il ?la passion est funeste — mais on le peut — non, non cela n'est pas; le Christ l'a témoigné en disant : Faites-vous des amis des richesses d'iniquité. (Luc, XVI, 9.) — Mais quoi, si on a reçu l'héritage de son père? — Eh bien, on a reçu le fruit de l'iniquité. Ce n'est pas depuis Adam que sa famille est riche; il est probable que beaucoup de ses ancêtres ont vécu obscurs et qu'il s'en est trouvé un qui s'est enrichi en usurpant le bien d'autrui. — Mais Abraham possédait-il des richesses injustes? et Job, l'homme sans reproche , juste, véridique, pieux, qui s'abstenait de tout mal? Leurs richesses ne consistaient pas dans l'or, dans l'argent ni dans les édifices, mais en troupeaux, et celui-ci fut enrichi par Dieu (1). Qu'il fût riche en troupeaux, cela résulte manifestement du texte où l'écrivain, énumérant ce qui arriva à ce saint personnage , dit que ses chameaux, ses cavales et ses ânes périrent, mais ne dit pas que l'on vint lui enlever son or. Abraham était riche en serviteurs. Quoi donc, les avait-il achetés ? Nullement; c'est pourquoi l'Ecriture dit que ses trois cent dix-huit serviteurs

 

1. Theoploutos, obscurius dictum, dit ici Field, dans une note. Montf. : Etiam secundum Deum dives erat. Mais voyez Job. XLII, 12.

 

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étaient nés chez lui. Il avait aussi des brebis et des boeufs. Comment donc put-il envoyer des bijoux d'or à Rébecca ? C'est qu'il avait reçu des présents de l'Égypte , mais il n'avait commis ni violence ni fraude.

4. Et vous , dites-moi , comment êtes-vous riche? — J'ai hérité de mes biens. — Et de qui cet autre les a-t-il reçus? — De mon aïeul. — Et de qui celui-là? — De son père. — Pourrez-vous, en remontant à plusieurs générations, me montrer que vos richesses sont légitimes? Non, vous ne le pourrez pas; il,faut que la racine et l'origine soient entachées d'injustice. Et comment? Parce que Dieu , à l'origine, n'a point créé de riche ni de pauvre ; il n'a pas non plus amené l'un en présence d'une masse d'or, empêchant l'autre de le découvrir, mais il a livré à tous la même terre. Comment donc, lorsqu'elle est commune, l'un en possède-t-il tant et tant d'arpents et l'autre pas une motte? — C'est mon père, répondez-vous, qui me les a transmis. — Mais de qui les avait-il reçus? — De ses ancêtres. — Il faut pourtant arriver à un premier terme. Jacob est devenu riche , mais en recevant la récompense de ses peines. Pourtant je ne veux pas creuser cette difficulté ; soit : il y a une richesse légitime, pure de toute rapine ; vous n'êtes pas responsable des gains illicites de votre père; vous possédez le fruit de la rapine, mais vous n'avez pas volé vous-même. Je vous accorderai même que votre père n'a pas volé non plus, mais qu'il s'est trouvé en possession de cet or, qui a jailli du sein de la terre. Eh bien, la richesse est-elle bonne à cause de cela? — Non, sans doute, direz-vous, mais elle n'est pas non plus mauvaise. — Elle ne l'est pas, si le riche n'a pas commis de rapines et en a fait part à ceux qui sont dans le besoin; mais s'il a refusé de le faire, elle est mauvaise et pleine d'embûches. — Mais, tant qu'elle ne cause pas de mal, elle n'est pas mauvaise, quand même elle n'opérerait pas de bien. — Soit; mais n'est-ce pas un mal que de retenir seul ce qui appartient au Seigneur, que de jouir seul du bien qui est à tous? et la terre n'est-elle pas à Dieu, avec tout ce qu'elle renferme? Si donc nos richesses appartiennent au Seigneur du monde, elles sont aux hommes qui sont ses serviteurs comme nous; car tout ce qui appartient au Seigneur est pour l'usage de tous. Ne voyons-nous pas que, dans les grandes maisons, les choses sont ainsi réglées, c'est-à-dire que la nourriture est également partagée à tous , comme sortant de la provision du maître , et sa maison étant destinée à l'entretien de tous? Ce qui appartient à l'État, les villes, les places, les promenades sont communes à tous; nous y avons tous part également.

Considérez l'économie divine : Dieu, pour faire rougir les hommes, a mis en commun certains objets, tels que l'air, le soleil, l'eau, la terre, le ciel, la mer, la lumière, les astres, et nous en a fait part également comme à des frères; le Créateur a donné semblablement à tous des yeux, un corps, une âme, la même nature; tout provient de la terre , tous proviennent d'un seul homme, tous ont une même demeure. Mais rien de tout cela ne fait honte à notre avarice. Il a mis encore en commun d'autres objets, les bains, les villes, les places, les promenades. Voyez, rien de tout cela n'engendre de luttes, et l'on en jouit en paix; c'est quand un homme essaie de tirer à lui et de s'approprier un objet que la querelle commence; comme si la nature elle-même s'indignait de ce que Dieu nous ayant réunis pour vivre en société, nous nous querellons pour nous diviser, et dépeçons ces objets pour nous les approprier, pour user des mots le tien et le mien. C'est alors qu'ont lieu la lutte et la souffrance. Mais, pour les biens communs, ce fait ne se produit pas; on ne voit ni lutte ni querelle. C'est donc là notre destinée la plus réelle et la plus conforme à la nature. Pourquoi jamais personne n'a-t-il un procès au sujet d'une place publique? C'est parce qu'elle est commune à tous; tandis qu'à chaque instant nous en voyons pour une maison ou pour de l'argent. Ce qui est nécessaire nous est offert en commun , mais nous ne savons pas maintenir là communauté dans les objets de mince importance. Dieu nous a livré ceux-là en commun , pour nous apprendre ainsi à jouir en commun des autres; mais cela même ne suffit point à nous instruire.

Et, comme je le disais, comment celui qui possède la richesse serait-il bon? C'est impossible; il ne le devient que s'il en fait part à d'autres; s'il s'en dépouille, c'est alors qu'il est bon; tant qu'il la retient, il ne l'est pas. Est-ce donc un bien, ce qui nous fait méchants quand on le conserve, et bons quand on s'en dépouille? Ce n'est donc pas posséder des trésors, qui est un bien; c'est quand il ne les a plus (322) qu'un homme se montre bon. La richesse n'est donc pas un bien, si la refuser, quand vous pouvez la recevoir, vous fait homme de bien. Si donc nous le sommes, en faisant part à d'autres de la richesse, quand nous la possédons, et en ne l'acceptant pas, quand on nous la donne; si nous ne le sommes pas, quand nous la recevons ou l'acquérons, comment serait-elle un bien? Ne l'appelez donc point ainsi. Vous n'êtes pas le maître de votre or, parce que vous le regardez comme un bien, parce que vous vous laissez enchanter par lui. Purifiez votre entendement, ayez un jugement sain, et vous deviendrez alors un homme vertueux; apprenez à connaître les vrais biens. Et quels sont-ils? La vertu, la bonté, voilà les biens; ce n'est pas la richesse. Suivant cette règle , plus vous serez généreux en aumônes, plus vous serez homme de Dieu, en réalité et dans l'estime des hommes; mais non, si vous gardez vos richesses. Devenons vertueux, et afin de l'être et afin d'obtenir les biens futurs en le Christ Jésus, Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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