I TIMOTHÉE I

HOMÉLIE PREMIÈRE . PAUL, APOTRE DE JÉSUS-CHRIST, SELON L'ORDRE DE DIEU NOTRE SAUVEUR ET SEIGNEUR, JÉSUS-CHRIST, NOTRE ESPÉRANCE, A TIMOTHÉE, SON VRAI FILS DANS LA FOI. ( I, 1-2 JUSQU'À 4.)

 

Analyse.

 

1. Apostolat, grandeur de cette dignité. — De la filiation selon la foi.

2. En matière de foi il n'est pas besoin d'examen.

3. Contre les fausses doctrines ; en particulier contre l'émanation qui n'est autre chose que le panthéisme, contre le fatalisme.

 

1. La dignité d'apôtre était grande et digne d'admiration; et partout nous voyons Paul en exposer l'origine comme celle d'un honneur qu'il ne s'arroge pas, mais qui lui est conféré et qui lui est imposé. Lorsqu'il dit qu'il est appelé, lorsqu'il dit qu'il est apôtre « par la volonté de Dieu » (I Cor. I, 1); et ailleurs « La nécessité m'en est imposée » (Ib. IX, 16) ; (274) lorsqu'il dit qu'il a été mis à part pour cet objet (Rom. I, 1) ; par toutes ces paroles, il rejette loin de lui la passion des honneurs et la vaine gloire. De même, en effet, que celui qui s'élève de lui-même à. un honneur qu'il ne reçoit pas de Dieu, est digne du blâme le plus sévère; de même celui qui écarte et fuit ce que Dieu lui présente, mérite un autre reproche, celui de désobéissance et de rébellion. C'est ce que dit Paul, au commencement de cette épître à Timothée : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, suivant l'ordre de Dieu ». Il ne dit pas en ce passage, « appelé », mais « suivant l'ordre » ; il débute ainsi pour empêcher que Timothée, voyant qu'on lui parle sur le même ton qu'aux autres disciples, n'en soit blessé par une faiblesse trop ordinaire aux hommes. Et où Dieu a-t-il donné cet ordre On trouve, dans les Actes des apôtres, que l'Esprit dit : « Mettez-moi à part Paul et Barnabé ». (Act. XIII, 2.) Partout, dans ses épîtres, Paul prend le nom d'apôtre, apprenant ainsi à celui qui l'écoute à ne pas croire que ses paroles soient des paroles humaines ; car l'apôtre (l'envoyé) ne peut rien dire de lui-même, et le nom d'apôtre élève la pensée de l'auditeur jusqu'à Celui qui l'envoie. Aussi met-il ce titre en tête de ses épîtres, comme garant de la croyance que méritent ses paroles, et il s'exprime ainsi : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, selon l'ordre de Dieu, notre Sauveur ». Et même on ne voit nulle part le Père donner cet ordre, mais partout c'est le Christ qui lui parle; c'est le Christ qui dit : « Marche, parce que je t'enverrai au loin parmi les nations » (Act. XXII, 21) ; et ailleurs : « Il faut que tu comparaisses devant César ». (Ib. XXVII, 24.) Mais tous les ordres que donne le Fils, il les appelle ordres du Père, comme il appelle ordres du Fils ceux de l'Esprit. C'est l'Esprit qui l'a envoyé, c'est l'Esprit qui l'a mis à part, et il emploie ces mots : L'ordre de Dieu. Quoi donc? La puissance du Fils est-elle restreinte, parce que son apôtre est envoyé par l'ordre du Père? Nullement; car voyez comment il montre que cette puissance leur est commune. Après ces mots : « Selon l'ordre de Dieu notre Sauveur » , il ajoute ceux-ci : « Le Christ Jésus, notre espérance». Voyez l'exacte propriété des termes qu'il emploie. Le Psalmiste appelle le Père « l'espérance de toutes les extrémités de la terre ». (Ps. LXIV, 6.) Et saint Paul à son tour, dans son épître: « Nous nous fatiguons et nous sommes en butte aux outrages, parce que nous avons espéré dans le Dieu vivant et véritable ».

Il fallait que le maître supportât des périls, et des périls bien plus nombreux que les disciples : « Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées ». (Matth. XXVI, 31.) Il est donc naturel que le démon se déchaîne avec plus de violence contre le pasteur, puisque la perte du pasteur cause la dispersion du troupeau. En faisant périr les brebis, il diminue le troupeau ; mais, en faisant disparaître le pasteur, il ruine le troupeau tout entier. Pouvant donc par là obtenir avec moins d'efforts un résultat plus grand et tout ruiner en perdant l'âme d'un seul, c'est aux pasteurs qu'il s'attaque surtout. Tout d'abord donc et dès le pré. ambule, Paul élève l'âme de Timothée, en lui disant : Nous avons un Sauveur, qui est Dieu, et une espérance, qui est le Christ. Nous souffrons beaucoup de maux, mais nous avons de grandes espérances; nous sommes exposés aux périls et aux embûches, mais nous avons un Sauveur, qui n'est pas un homme, mais Dieu. A notre Sauveur la force ne peut manquer, puisqu'il est Dieu; et, quelque grands que soient les périls, ils ne nous surmonteront pas; notre espérance ne sera point confondue, puisqu'elle vient du Christ. Ainsi nous sommes garantis des périls, ou par une prompte délivrance, ou par les nobles espérances dont nous sommes nourris. Car, est-il dit, tout ce que nous pouvons souffrir n'est rien, quand il ne s'agit que des souffrances de cette vie. Pour. quoi ne dit-il nulle part qu'il est l'envoyé du Père, mais du Christ? Parce qu'il leur attribue tout en commun; ainsi il dit que l'Evangile est de Dieu.

« A Timothée, mon vrai fils dans la foi ». Ici encore se trouve une exhortation. Car si Timothée a montré assez de foi pour être appelé fils et vrai fils de Paul, il sera plein de confiance pour l'avenir. La foi, en effet, est telle que, si les événements ne se montrent pas d'accord avec les promesses, elle ne se laisse ni abattre; ni troubler. Mais, dira-t-on, voici un fils, un vrai fils, qui n'est point de la même substance que son père. — Quoi donc? est-il d'une autre race ? — Mais, insiste-t-on, il n'était pas fils de Paul. — Ce mot n'indique pas une filiation proprement dite. Mais quoi? était-il d'une substance différente? Non, car (275) en disant: « Mon fils », il a ajouté : « dans la foi » ; ce qui indique une légitime filiation. Ils ne sont différents en rien : la ressemblance de la foi est entre eux ce qu'est entre les hommes la ressemblance de la nature. Un fils ressemble à son père, mais non aussi parfaitement que s'il s'agissait de la nature divine. Parmi les hommes, quoique la substance soit la même, bien des différences se produisent : le teint, les traits, l'intelligence , l'âge, les goûts, les qualités de l'âme et celles du corps, les circonstances extérieures , mille choses établissent entre un père et son fils des différences ou des ressemblances. Ici aucune de ces causes d'opposition n'existe.

« Par ordre » est une expression plus forte que le mot « appelé ». Quant au passage : « A Timothée, mon vrai fils », on peut le rapprocher de ce que Paul dit aux Corinthiens : « Je vous ai engendrés en Jésus-Christ » (I Cor. IV, 15), c'est-à-dire dans la foi. Il ajoute «Vrai fils », pour témoigner d'une ressemblance plus exacte de Timothée que des autres avec lui, de son affection pour lui, et des dispositions de son âme. Voici encore la préposition « dans » mise devant le mot foi. Voyez quel éloge contient ce langage, où il l'appelle, non-seulement son fils, mais son fils véritable.

2. « Grâce, miséricorde et paix », dit-il, « de la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Pourquoi « miséricorde » dans la suscription de cette épître, et non dans les autres? Sa vive tendresse lui a dicté ce mot; pour son fils sa prière est plus étendue, parce qu'il craint et tremble pour lui. Sa sollicitude est telle qu'à lui et à lui seul il adresse des recommandations sur ses besoins matériels. « Usez d'un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (I Tim. V, 23.) Or ceux qui enseignent ont plus que d'autres besoin de miséricorde. « De la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Ici encore se trouve une exhortation. Car, si Dieu est notre Père, il prend soin de ses enfants ; écoutez en effet le Christ nous dire : « Quel est l'homme parmi vous qui, si son fils lui demande du pain, voudrait lui donner une pierre?» (Matth. VII, 9.)

« Ainsi que je vous ai prié de demeurer à Ephèse, à mon départ pour la Macédoine ». (I Tim. I, 3.) Ecoutez la douceur de cette parole; ce n'est point la voix d'un maître qui enseigne, c'est presque celle d'un suppliant. Il ne dit point : J'ai commandé, j'ai ordonné, j'ai prescrit, mais bien : « Je vous ai prié ». Ce n'est pas envers tous les disciples qu'il faut agir ainsi, mais bien envers ceux qui sont doux et vertueux; envers ceux au contraire qui sont corrompus, qui ne sont pas de véritables disciples, il faut lin autre langage, comme l'apôtre même le témoigne, quand il dit : « Réprimandez avec pleine autorité ». (Tit. II, 15.) Et ici même, voyez ce qu'il ajoute : « Afin de prescrire à certains homes (et non de les prier) de ne point enseigner une autre doctrine ». (I Tim. I, 3.) Que veut-il dire en parlant ainsi? L'épître que Paul avait adressée aux Ephésiens ne suffisait-elle pas? Non, car on méprise plus facilement un texte écrit; ou peut-être ce fait était-il antérieur à l'épître. L'apôtre a passé beaucoup de temps dans cette ville où était le temple de Diane, et où il a souffert cette persécution (Act. XIX, 23-40) que vous connaissez. Car après que la foule, réunie au théâtre, fut dispersée (Ib. 29, 31, 40), Paul fit venir ses disciples, les exhorta et partit (Act. XX, 1) ; et quelque temps après il se retrouva parmi eux. (Ib. 17.) Il est intéressant de rechercher si ce fut alors qu'il y établit Timothée, car il lui dit « de prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine ». Il ne les nomme pas, afin de ne pas les humilier trop par la publicité de ses reproches. II y avait là plusieurs d'entre les juifs, faux apôtres, qui voulaient ramener les fidèles à la loi, ce que Paul attaque partout dans ses épîtres. Car ils ne le faisaient point par l'impulsion de leur conscience, mais par vanité, parce qu'ils voulaient se faire des disciples, et par esprit de contention et d'envie contre le bienheureux Paul. Tel est cet « enseignement d'une autre doctrine ».

« Et de ne point s'attacher », poursuit-il, « à des fables et à des généalogies ». Les fables dont il parle, ce n'est pas la loi, à Dieu ne plaise; mais les additions fictives, la fausse monnaie de la loi, les opinions trompeuses. Il paraît que les vains esprits de la race des Juifs employaient toutes leurs facultés à supputer les générations pour s'acquérir la renommée d'hommes savants et érudits. « De prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine et de ne point s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Que veut dire ici sans fin ? »

 

276

 

Quelque chose d'interminable, ou sans objet sérieux, ou peu intelligible. Vous voyez comment il blâme ces recherches. Là où est la foi, la recherche est inutile; là où il n'y a rien à chercher, à quoi bon l'examen? L'examen exclut la foi. En effet celui qui cherche n'a pas encore trouvé, et ne peut avoir la foi. C'est pourquoi l'apôtre dit: Ne nous occupons point de recherches. Si nous cherchons, nous n'avons pas la foi qui est le repos du raisonnement. Comment donc le Christ dit-il : « Cherchez et vous trouverez; frappez et il vous sera ouvert ? » (Matth. VII, 7.) Et encore : « Scrutez les Ecritures, puisque vous pensez y avoir la vie éternelle ». (Jean, V, 39.) Là le mot « cherchez » est dit de la prière et de ses ardents désirs; ici, « scrutez les Ecritures » n'est pas dit pour provoquer des recherches fatigantes, mais pour en soulager. Quand Jésus-Christ dit : « Scrutez les Ecritures », il entend : Afin d'en apprendre et d'en posséder le sens exact, non pour chercher toujours, mais pour mettre fin à nos recherches. Et l'apôtre dit avec justice : « Prescrivez à certains hommes de ne pas enseigner une autre doctrine et de ne pas s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin, qui produisent des recherches plutôt que l'édification divine qui est dans la foi ». (I Tim. I, 3, 4.) L'expression « l'édification divine », est juste ; car Dieu a voulu nous donner de grands biens; mais le raisonnement n'est pas apte à concevoir la grandeur de ses plans. C'est l'oeuvre de la foi, qui est le plus grand des remèdes de l'âme. La recherche est donc opposée au plan divin. Et quel est ce plan fondé sur la foi ? Accueillir les bienfaits de Dieu et devenir meilleur ; ne point disputer ni douter, mais trouver le repos. Car ce que la foi a achevé et édifié, la recherche le renverse. Comment cela? En soulevant des questions et en mettant de côté la foi. « Ne pas s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Quel mal, dira-t-on, faisaient ces généalogies ? Le Christ a dit que l'on doit être sauvé par la foi, et ceux-là cherchaient et disaient qu'il n'en saurait être ainsi. Car, puisque l'assertion, la promesse est pour le temps présent, et l'accomplissement pour l'avenir, la foi est nécessaire. Or ces hommes, préoccupés des observances de la loi , faisaient obstacle à la foi. Mais je pense qu'il parle ici des gentils, dressant le catalogue de leurs dieux, quand il dit : « Les fables et les généalogies ».

3. Ainsi donc, ne nous attachons point à des recherches, car le titre de fidèles nous engage à croire à la parole, sans doute ni hésitation. Si c'était une parole humaine, nous devrions la soumettre à l'épreuve; mais, si elle est divine, nous devons la vénérer et la croire; si nous ne croyons pas à cette parole, c'est que nous ne croyons pas même qu'elle est de Dieu ; car comment connaître que c'est Dieu qui parle, et lui demander compte de sa parole ? La première preuve que nous connaissons Dieu, c'est de croire à sa parole sans preuves ni démonstrations. Les gentils eux-mêmes le savent, car ils croient en leurs dieux, bien que leurs oracles soient sans preuves, et par cela seul qu'ils viennent des dieux. Les gentils donc le savent, vous le voyez. Et que dis-je, la parole d'un dieu? Ils croient à celle d'un enchanteur et d'un mage, je veux dire de Pythagore : « Le maître l'a dit ». Et dans la partie supérieure des temples, le dieu du silence était peint, tenant un doigt sur sa bouche, et serrant ses lèvres pour enseigner le silence à tous ceux qui passaient. Faut-il croire que leurs doctrines étaient vénérables, et que les nôtres au contraire sont dignes de risée ? C'est plutôt avec raison que celles des gentils sont un objet d'examen, car elles consistent en raisonnements contradictoires, en controverses, en conclusions, et les nôtres en sont affranchies. Celles-là sont l'oeuvre de la sagesse humaine, celles-ci sont l'enseignement de la grâce de l'Esprit-Saint; celles-là sont les dogmes de la folie et de la déraison, celles-ci de la véritable sagesse. Là il n'y a point de disciple et de maître, mais tous cherchent ensemble, qu'ils soient maîtres ou disciples. Car être disciple, ce n'est pas chercher; c'est être guidé par la confiance et non par le doute; c'est croire et non raisonner. C'est la foi qui fait la gloire des anciens; c'est le manque de foi qui a tout corrompu. Et que parlé-je des choses célestes? Si nous examinons de près celles de la terre, vous trouverez qu'elles ne sont point étrangères à toute foi; ni les contrats, ni les arts, ni rien de semblable ne peut s'en passer. Et, s'il en faut pour des objets trompeurs, combien plus pour des objets célestes !

Attachons-nous donc à la foi, possédons-la; c'est ainsi que nous écarterons de notre âme toute funeste doctrine, telle que celles de (277) l'émanation et du destin. Si vous croyez à la résurrection et au jugement , vous saurez écarter de votre âme toutes ces doctrines. Croyez que Dieu est juste, et vous ne croirez pas à une émanation inique; croyez à la Providence divine, et vous ne croirez pas à une émanation à laquelle tout est soumis; croyez aux châtiments divins et au royaume de Dieu, et vous ne croirez pas à une émanation qui nous enlève notre libre arbitre , pour nous soumettre à une nécessité impérieuse. Ne semez point, ne plantez point, ne combattez pas, ne faites rien en un mot ; avec ou sans votre volonté, tout se produira par l'émanation. Que restera-t-il à la prière? et pourquoi voudriez-vous être chrétien, si l'émanation est vraie? Car vous ne pourrez plus être accusé d'aucun péché. D'où viennent les sciences ? De l'émanation? — Oui, nous répond-on; mais le destin exige que tel homme devienne savant à grand'peine. — Eh ! montrez-m'en un seul qui le devienne sans peine. C'est donc le travail et non l'émanation qui fait les savants.

Pourquoi, me dira-t-on, tel misérable coquin est-il riche, pour avoir reçu de son père un héritage, tandis que tel homme se donne mille peines et reste pauvre? — Car tel est l'objet constant de leurs disputes ; ils ne soulèvent que des questions de richesse et de pauvreté, non de vice et de vertu. Mais plutôt à ce sujet, montrez-moi un homme qui soit devenu méchant, quelque effort qu'il ait fait pour être vertueux, ou vertueux sans nul effort. Si le destin a tant de puissance, qu'il la montre dans les objets les plus grands, la vertu et le vice, et non dans la richesse et la pauvreté. — Pourquoi, dira-t-on encore, celui-ci vit-il dans les maladies et celui-là dans la santé? Pourquoi celui-ci dans l'estime et celui-là dans l'opprobre; pourquoi celui-ci réussit-il à son gré dans toutes ses affaires, et celui-là trouve-t-il mille et mille entraves ? — Ecartez la doctrine de l'émanation et vous le comprendrez; croyez à la Providence divine, et vous le verrez clairement. — Je ne le puis, répond mon adversaire, car cette confusion ne me permet point de soupçonner qu'une providence divine soit l'auteur de tout cela. Comment croire qu'un Dieu bon par excellence donne les richesses à l'impudique, au scélérat, à l'homme cupide, et ne les donne pas à l'homme de bien ! Quel moyen de le croire? Car il faut bien s'en rapporter à ce qui existe. — Soit. Eh bien ! tout cela provient-il d'une émanation juste ou injuste? — Injuste, me direz-vous. — Et qui en est l'auteur? Est-ce Dieu? — Non, me dira-t-on ; elle n'a point d'auteur. — Et comment cette émanation, qui n'est pas émanée, peut-elle opérer tout cela ? Il y a contradiction.

Ainsi Dieu n'y, est pour rien. Examinons pourtant qui a fait le ciel. — L'émanation , me dira-t-on. —Et la terre? Et la mer? Et les saisons? Et puis elle a disposé la nature inanimée dans un ordre parfait, dans une harmonie parfaite, et nous, pour qui tout cela existe, elle nous aurait destinés au désordre? Comme celui qui, par ses soins prévoyants, disposerait à merveille une maison, mais ne ferait rien pour ceux qui doivent l'habiter. Qui veille à la succession des phénomènes ? Qui a donné à la nature ses lois si régulières ? Qui a réglé le cours du jour et de la nuit? Tout cela est au-dessus de l'émanation. — Non, me dira mon adversaire; tout cela s'est fait par hasard. — Et comment un ordre pareil serait-il l'effet du hasard? — Mais on insiste : D'où vient -que la santé, la richesse, la renommée sont le fruit, tantôt de la cupidité, tantôt d'un héritage, tantôt de la violence? Et pourquoi Dieu l'a-t-il permis? — Parce que ce n'est point ici que chacun est rémunéré suivant -ses mérites; ce sera dans le temps à venir montrez-moi qu'alors il en sera comme en ce monde. — Donnez-moi d'abord, me dira-t-on, les biens d'ici-bas; je ne cherche pas ceux de l'autre monde. — C'est pour ce motif que ceux-là ne vous sont pas donnés. Car si, lorsque vous êtes privé des plaisirs, vous les aimez au point de les préférer aux biens célestes, que serait-ce, si vous jouissiez d'un plaisir sans mélange? Dieu vous montre ainsi que ces avantages ne sont pas réels, mais indifférents; s'ils ne l'étaient pas, il ne les eût point donnés aux méchants. Dites-moi, n'est-il pas indifférent que l'on soit noir ou blond, grand ou petit? Eh bien ! il en est de même de la richesse. Dites-moi, chacun n'est-il pas équitablement pourvu des biens nécessaires , savoir l'aptitude à la vertu et la répartition des dons spirituels ? Si vous connaissiez les bienfaits de Dieu, jamais, étant équitablement pourvu de ces biens, vous ne seriez indigné de manquer des biens terrestres; vous n'auriez pas cette avidité, si vous connaissiez les biens auxquels vous êtes admis.

 

278

 

Un serviteur nourri, vêtu, logé par son maître comme ses compagnons, ne se croit pas plus riche qu'eux parce qu'il a des cheveux plus abondants ou des ongles plus longs; de même c'est un bien vain orgueil que celui des biens terrestres. Dieu les éloigne de nous pour apaiser cette folie, pour diriger vers le ciel le désir qui se portait vers eux. Mais nous, même alors, nous ne devenons pas sages. De même que si un enfant possède un jouet et le préfère aux objets importants, son père le lui enlève pour l'amener, même malgré lui, à une occupation sérieuse; de même Dieu en agit envers nous pour nous diriger vers le ciel. — Et pourquoi donc, dira-t-on, permet-il que les méchants possèdent les richesses ? — Parce qu'il en fait peu de cas. Et pourquoi le permet-il aux justes? Il se borne à ne pas l'empêcher. — Nous avons parlé ici d'une façon élémentaire, comme à des hommes qui ignoreraient les Ecritures ; mais, si vous vouliez croire et vous attacher aux paroles divines, nous n'aurions pas besoin de tant de discours, vous sauriez tout ce que vous avez besoin de savoir. Et pour vous apprendre que la richesse n'est rien, que la santé n'est rien, que la gloire n'est rien, je vous montrerai beaucoup d'hommes qui ont pu s'enrichir et ne l'ont pas fait, qui ont pu avoir une santé florissante et ont macéré leur corps, qui ont pu être honorés et ont tout fait pour être méprisés. Cependant nul homme étant bon ne s'efforce de devenir mauvais. Ayons donc l'ambition des biens véritables et nous obtiendrons même les autres en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit , gloire , puissance , honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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