PHILIPPIENS XI

HOMÉLIE XI. CE QUI M'ÉTAIT ALORS UN GAIN, JE L'AI CRU DEPUIS, POUR JÉSUS-CHRIST, UNE PERTE... (CHAP. III, DU VERSET 7 AU VERSET 13.)

 

Analyse.

 

1. L'hérésie (probablement celle des manichéens), ne peut pas conclure des paroles de saint Paul que la loi mosaïque fut un mal.

2. La foi en Jésus-Christ est un bien infiniment préférable à la justice mosaïque.

3. Dignité de nos souffrances, unies à la passion de Jésus-Christ ; la résurrection glorieuse en est la récompense.

4. Malheur de l'éloignement de Dieu. Ses bienfaits. Notre ingratitude.

 

1. Dans les combats que nous livrons aux hérétiques, il nous faut apporter une attention vive et soutenue sur l'objet de nos luttes. Le seul moyen de dissiper leurs bataillons et de remporter pleine victoire, c'est de ne pas même leur laisser reprendre haleine. Mon but est de vous dresser à ce genre de duels à l'aide des saintes Ecritures, et de vous faire trouver dans les textes mêmes qu'ils apportent, de quoi réduire au silence nos contradicteurs. Par conséquent, je veux commencer la discussion qui se présente aujourd'hui à l'endroit même où j'ai terminé celle d'hier. Où en sommes-nous restés hier? Saint Paul avait résumé tous les avantages judaïques qui lui donnaient quelque sujet de gloire, ce qu'il tenait de la nature, de son choix et de son oeuvre, et il avait ajouté : « Mais tout ce qui était gain pour moi, je le regarde à présent comme détriment à cause de l'éminente science de Jésus-Christ mon Seigneur; pour lui, j'ai renoncé à tous ces prétendus avantages que je regarde comme vile ordure, afin de gagner Jésus-Christ».

Ici l'hérésie se dresse avec insolence. Mais la sagesse de l'Esprit-Saint se plaît à éveiller chez l'ennemi l'espoir d'un triomphe, afin de l'engager à livrer bataille. Si Paul avait parlé ouvertement, les hérétiques auraient fait pour cette épître ce qu'ils ont fait pour d'autres livres sacrés, altérant le texte, lui déniant l'authenticité parce qu'ils n'osaient l'attaquer ouvertement. Mais comme les poissons ne voient point tomber dans l'onde l'hameçon qui doit les prendre, parce qu'on a soin de le couvrir et de le cacher sous l'appât, et qu'ainsi ils accourent à l'envi pour se faire prendre; ainsi en est-il de cet endroit où Paul appelle la loi un dommage. Telle est la déclaration de l'apôtre il appelle la loi un dommage, une chose vaine; il ne lui était pas permis, ajoute-t-il, de gagner Jésus-Christ, à moins de renoncer à cette loi. Les hérétiques se laissent prendre par la lettre et le mot, reçoivent l'épître avec bonheur, et pensent avoir gain de cause; puis, dès qu'ils l'ont reçue, ils se trouvent saisis comme dans les mailles étroites d'un filet inévitable.

Que disent donc ces adversaires insolents? Voyez : La loi est un dommage, elle n'est que paille et poussière : comment donc osez-vous dire que Dieu en soit l'auteur? Le vrai, c'est que ce passage est favorable à la loi; et vous allez clairement en voir la preuve: appliquons-nous avec soin à l'étude de tous ses termes.

L'apôtre n'a pas dit : La loi est une perte; mais : « Je l'ai considérée comme une perte ». Lorsqu'il parle du gain, il ne se sert point de la même expression, mais il affirme simplement et dit : « Tout ce qui a été gain pour moi». — Au contraire, lorsqu'il parle de perte, il n'affirme plus, mais il dit : «Je l'ai cru». — Admirable exactitude de langage qui nous définit d'un côté la loi telle qu'elle était dans son essence, et de l'autre la loi telle qu'elle est devenue dans notre condition de chrétiens.

Que faut-il donc affirmer? Peut-on dire absolument que la loi n'est pas un domptage?Elle est un dommage, mais en comparaison de Jésus-Christ; d'un autre point de vue elle a été un véritable gain. On pouvait ne pas y voir un gain; toutefois elle était déjà un gain, déclare saint Paul. C'est comme s'il vous disait: Pensez quel bonheur c'était déjà que des hommes indomptés par nature fussent amenés à un genre de vie plus humain. D'ailleurs, si la loi n'avait pas préexisté, la grâce n'aurait pas été donnée; pourquoi? C'est que la loi fut (73) comme un pont jeté pour son passage. De leur bassesse naturelle les hommes ne pouvaient s'élever jusqu'à la hauteur de la grâce; la loi fut leur échelle. Mais après que l'on est monté on n'a plus besoin d'échelle; toutefois celui qui s'en est servi pour monter ne la méprise pas ensuite pour cela : au contraire, il reconnaît l'obligation qu'il lui a. C'est elle-même, en effet, qui l'a mis en état de pouvoir se passer d'elle; il lui sait donc gré, et rien n'est plus juste, de ce qu'il n'a plus besoin d'elle. Sans elle, il ne pouvait monter si haut. Voilà aussi ce qu'il faut dire de la loi. Elle nous a élevés à une certaine hauteur; elle était donc un gain. Mais, dès lors, nous la regardons comme un dommage, et pourquoi? Elle ne l'est pas absolument, mais la grâce est bien préférable. Supposez, par exemple, un pauvre, un affamé: tant qu'il a quelque argent, il s'en sert pour conjurer la faim; mais qu'il trouve une bourse pleine d'or, et qu'il ne puisse retenir les deux valeurs à la fois, il regardera comme un dommage de garder l'argent, il le laissera pour s'emparer de l'or; s'il abandonne l'un, ce n'est pas qu'il le regarde comme nuisible, il sait bien tout le contraire; mais ne pouvant pas garder les deux, il faut bien qu'il laisse l'un ou l'autre : ainsi arrive-t-il ici.

Le détriment, le malheur n'est donc pas de suivre la loi; mais ce serait de s'attacher à elle pour délaisser Jésus-Christ. Si elle nous détourne de Jésus, elle est un dommage; si elle nous amène à lui, c'est tout l'opposé. Aussi l'apôtre la déclare « détriment en comparaison de Jésus-Christ». Si elle est sensible seulement à cause de Jésus-Christ, elle ne l'est donc pas par sa nature.

Mais pourquoi la loi ne permet-elle pas qu'on s'approche de Jésus? Car, après tout, c'est pour nous mener à lui qu'elle a été donnée ! Jésus-Christ, dit saint Paul, est la plénitude de la loi, la fin de la loi. — Elle nous laisse venir à lui, si nous savons lui obéir à elle-même. —Alors, qui obéit à la loi, abandonne la loi? — Il l'abandonne, en effet, s'il la comprend et l'écoute; autrement, cette loi l'arrête et l'enchaîne. Il y a plus : « Bien certainement je regarde tout au monde comme un détriment » , dit-il encore. Et que parlé-je de la loi? Le monde n'est-il pas bon? La vie actuelle n'est-elle pas bonne? Toutefois si ces biens m'éloignent de Jésus-Christ, je les déclare dommageables, pourquoi? «A cause et en comparaison de l'éminente science de  Jésus-Christ mon Seigneur». Dès que le soleil brille , vous perdez à tenir votre flambeau allumé. Ainsi le désavantage d'une chose quelconque résulte nécessairement de sa comparaison avec un objet plus grand. Or, vous voyez que Paul fait une comparaison : « A cause « de l'éminente science » , dit-il, sans rejeter le premier objet comme étranger au second. Car dire qu'une grandeur excelle sur une autre et la dépasse, c'est supposer au contraire qu'elle est du même genre qu'elle. En sorte que la prééminence comparative que l'apôtre attribue à la connaissance de Jésus-Christ sur la loi suppose que ces deux choses sont de même genre, c'est-à-dire bonnes toutes deux.

« Pour lui j'ai tout rejeté; j'ai tout regardé comme des ordures pour gagner Jésus-Christ». Il n'est pas évident, d'ailleurs, que sous ce nom « d'ordures » , Paul désigne la loi; il est vraisemblable qu'il indique plutôt les choses de ce monde. Car il a dit d'abord : Tout ce qui a été un gain pour moi, je l'ai regardé comme détriment au prix de Jésus-Christ; et il ajoute ici d'une manière plus générale encore : Tout me paraît détriment; parole qui embrasse tout le présent aussi bien que tout le passé. Quand bien même ce terme signifierait la loi, il n'aurait encore rien de bien outrageux pour elle. Les ordures dont il s'agit, sont les issues du froment, ce qu'il a de grossier, le chaume, la paille. Or avant la maturité du froment, la paille avait son utilité; nous la recueillons même encore avec le froment; si le chaume n'avait d'abord poussé, le grain n'aurait point paru. Ainsi en est-il de la loi de Moïse. Ce n'est donc jamais absolument parlant et en considérant la chose en soi, que Paul appelle la loi dommageable, mais par rapport à Jésus-Christ. Ecoutez encore : « Je regarde tout comme détriment », nous dit-il. Pourquoi? «A cause de la science éminente de Jésus-Christ pour qui j'ai tout rejeté». Puis il ajoute : «d'estime que tout est « détriment, afin que je gagne Jésus-Christ ». Voulez-vous comme fidèle à s'appuyer sur la pierre fondamentale , sur Jésus-Christ, saint Paul se garde néanmoins de laisser la loi sans défense et en butte à tous les coups, et comme au contraire il la protégé de toutes parts.

2. « Et que je sois trouvé en Jésus-Christ n'ayant plus ma justice qui vient de la loi ». Si saint Paul,. en possession d'une justice, est (74) accouru vers une justice meilleure, parce que l'ancienne n'était rien à côté de celle-ci, combien plus les gentils, placés en-dehors de toute justice, devront-ils saisir celle que Paul a préférée ! Je ne veux plus de « ma » justice, dit à bon droit l'apôtre, de celle que j'avais acquise par mes travaux et mes sueurs; je veux celle que j'ai trouvée par la grâce. Si donc, après avoir rempli les devoirs de la -vertu, Paul ne trouve son salut que dans la grâce, combien plus, ô Philippiens, ne l'aurez-vous que là ! Il est probable que parmi eux on aurait trouvé préférable la justice due à nos travaux personnels; aussi Paul démontre que celle-ci, auprès de l'autre, n'est que de la vile paille. Autrement, moi-même qui avais sué pour l'acquérir, je ne l'aurais pas rejetée pour embrasser celte qui lui succède.

Mais quelle est donc enfin cette justice? Celle qui vient « de Dieu par la foi »; cette justice est de Dieu; Dieu même est l'auteur de cette justice ; elle est par excellence un don de Dieu. Or les dons de Dieu laissent bien derrière eux la vileté de nos bonnes oeuvres, de celles qui sont les fruits de nos simples efforts.

Que veut dire maintenant : « Dans la foi, afin de connaître Jésus-Christ? » C'est que toute connaissance divine vient de la foi ; sans la foi, impossible de connaître Jésus; et pourquoi? C'est qu'elle seule nous apprend « la vertu de sa résurrection ». En effet, quel raisonnement nous démontrera jamais la résurrection? Aucun, mais la foi seule. Et si la résurrection de Jésus-Christ ne nous est connue que par la foi, comment la génération humaine du Dieu-Verbe pourra-t-elle être saisie par notre simple logique? Car la résurrection est un fait moindre que cette génération. En quel sens? C'est que l'on a vu plusieurs exemples de l'une, aucun de l'autre. Plusieurs morts ont ressuscités avant Jésus-Christ; bien que ressuscités, ils durent de nouveau subir la mort. Mais nul homme jamais ne naquit d'une vierge. Et si la résurrection de Jésus-Christ, qui sort de l'ordre commun bien moins que sa naissance, ne peut être cependant saisie que par la foi, comment pourrons-nous atteindre par nos raisonnements sa génération, divine , dogme bien autrement grand et pour mieux dire hors de toute comparaison ?Voilà pourtant la justice nouvelle; il a fallu croire que ses mystères sont possibles, sans qu'on puisse montrer jamais comment ils sont possibles.

C'est encore l'oeuvre de la foi de nous faire accepter « une participation aux souffrances de Jésus-Christ ». Si nous ne croyons pas, nous ne voudrons pas souffrir; non, si nous n'avons pas la foi qu'en souffrant avec lui, avec lui aussi nous régnerons, aucune considération ne nous décidera jamais à subir tarit de peines. Il faut que la foi nous ait appris d'abord et sa naissance et sa résurrection. Mais aussi, vous le voyez; on exige de nous non pas une foi nue et morte, mais unie aux bonnes oeuvres. On reconnaît, en effet, qu'un chrétien croit à la résurrection d'après son courage à s'exposer comme Jésus-Christ aux périls, à partager avec lui ses douleurs. Ainsi devient-il l'associé de ce Dieu ressuscité, de ce Dieu à jamais vivant. Aussi saint Paul disait-il : « Puissé-je être trouvé en Jésus-Christ, n'ayant point la justice qui me soit venue de la loi, mais ayant celle qui naît de la foi en Jésus-Christ; cette justice qui vient de Dieu par la foi; afin que je connaisse Jésus-Christ avec la vertu de sa résurrection et la participation de ses souffrances, étant rendu conforme à sa mort, pour tâcher de parvenir enfin à la bienheureuse résurrection des morts ».

Reprenons. Saint Paul a dit : « Etant rendu conforme à sa mort », ou, comme il écrit ailleurs : « J'accomplis dans ma chair ce qui reste à souffrir à Jésus-Christ ». (Colos. I, 24.) Conforme à la mort, c'est participant à la mort. Comme mon Maître a été maltraité des hommes, ainsi je le serai, je lui deviendrai conforme; les vexations, les calamités reproduiront en moi une certaine image de sa mort. Il ne cherchait pas, en effet, son propre bonheur, mais notre salut. Donc aussi vexations, misères, angoisses, non-seulement ne doivent pas nous troubler, mais plutôt nous combler de joie, puisqu'elles nous rendent conformes à sa mort. On ne peut mieux dire qu'ainsi nous sommes façonnés à sa ressemblance, « portant partout dans notre chair s, comme il l'écrit ailleurs, la mort de Jésus-Christ ». (II Cor. IV, 10.)

La foi seule fait ces miracles. Nous croyons, par de tels sacrifices, non plus seulement que Jésus est ressuscité, mais qu'après sa résurrection même il possède une puissance infinie. Aussi embrassons-nous la voie qu'il a suivie, (75) et de ce côté encore nous devenons ses frères. C'est dire qu'ainsi nous devenons d'autres Jésus-Christ. Ciel! quelle est donc la dignité des souffrances? Car, comme parle baptême « nous avons été ensevelis à la ressemblance « de sa mort », ici nous devenons vraiment semblables à sa mort. L'apôtre se sert pour le baptême d'un mot bien exact : « A la ressemblance de sa mort », car nous n'avons pas subi alors le trépas véritable et entier; nous sommes morts seulement au péché, et non pas selon le corps et la chair. Dans les deux textes, il est question de mort ; seulement notre Maître est mort dans son corps, et nous, seulement au péché. Il est mort, lui, dans notre humanité même, dans notre chair qu'il avait adoptée; pour nous, au contraire, c'est l'homme de péché qui meurt en nous. Saint Paul a donc dû écrire que nous subissons « la ressemblance de sa mort», quand il s'agit de notre baptême; tandis que ce n'est plus une ressemblance, c'est sa « mort même » que nos souffrances nous font partager ici.

3. Paul, en effet, dans les persécutions qu'il a endurées, n'est pas mort seulement au péché; mais dans son corps même, il a subi la mort comme son Maître pour arriver enfin, dit-il, « à la résurrection des morts ». Que dites-vous, ô grand apôtre? Tous les hommes ne doivent-ils pas ressusciter? N'avez-vous pas dit vous-même que nous ne nous endormirons pas tous, mais que nous serons tous changés? (I Cor. XV, 51.) Ce n'est pas d'ailleurs la résurrection seule qui attend tous les hommes, c'est aussi l'immortalité, les uns pour la gloire, les autres pour le supplice. Si donc tous arrivent à la résurrection et non pas à la résurrection seulement, mais à l'immortalité, comment, ô Paul, dites-vous comme s'il s'agissait d'obtenir quelque chose d'exceptionnel: « Je veux tâcher enfin d'arriver? » Je souffre tout, répondez-vous, pour arriver à la résurrection, « mais à celle qui fait sortir d'entre les morts »; si vous ne mourez d'abord, vous ne ressusciterez pas. Qu'est-ce à dire? L'apôtre semble avoir en vue une bien haute récompense. Elle était si haute qu'il n'ose se la garantir : « Je veux tâcher enfin », dit-il, j'ai cru en lui, j'ai cru en sa résurrection; j'ai fait plus, pour lui, je souffre; et cependant je n'ose me reposer avec une pleine confiance dans l'espérance de la résurrection. De quelle résurrection parle-t-il donc ici? De celle qui conduit à Jésus-Christ.

Oui, l'apôtre le déclare : je crois en lui, à la puissance de sa résurrection. à ma part dans ses souffrances, à ma conformité à sa mort; et malgré toutes mes convictions, je n'ose avoir pleine confiance. C'est, au reste, ce qu'il écrit ailleurs : « Que celui qui est debout prenne et garde de tomber ». Et : « Je crains qu'après avoir prêché aux autres, je ne devienne moi-même un réprouvé ». (I Cor. X,12 et IX, 27.)

« Ce n'est pas que j'aie atteint jusque-là ni que je sois déjà parfait; mais je poursuis ma course, pour tâcher d'atteindre au terme où le Seigneur Jésus-Christ m'a destiné en me prenant». — « Je n'ai pas encore atteint », quoi donc? Le prix de la course. Ah ! si saint Paul, après tant de souffrances, au milieu même de tourments actuels, subissant déjà la mort, n'était pas encore pleinement confiant ni en pleine sécurité pour sa résurrection glorieuse, que dirons-nous de nous-mêmes, mes frères? — « Pour tâcher d'atteindre », qu'est-ce à dire? Rapprochez ici le texte : « Pour tâcher d'arriver à la résurrection d'entre les morts », et concluez qu'il se tient heureux s'il atteint, s'il saisit la résurrection de Jésus-Christ , dussé-je, dit-il, pour l'imiter autant que je pourrai, souffrir autant que lui et me modeler sur liai, comme lui-même a subi mille douleurs, comme il a été souillé de crachats, battu de soufflets et de verges, comme;. il a subi la mort. Voilà la carrière à parcourir; voilà le chemin par où il vous faut passer pour arriver à sa résurrection à travers tous les combats.

Tel est le sens de ces paroles : « Pour tâcher d'atteindre ». On peut aussi l'entendre comme s'il disait: Pour que je devienne digne d'arriver à cette résurrection si belle, si capable de combler mes voeux ; pour que j'arrive à la résurrection, enfin, de Jésus lui-même. Car si j'ai le coeur de subir tous les combats et tous les travaux, je pourrai aussi gagner sa résurrection et revivre avec gloire. Maintenant je n'en suis pas digne encore, mais je poursuis ma course pour tâcher enfin d'y atteindre. Ma vie n'est encore qu'une lutte perpétuelle; je suis encore loin du terme, encore loin du prix; il me faut courir encore, encore le poursuivre.

Remarquez même qu'il ne dit pas: Je cours; mais: « Je poursuis ». Il a raison. Car celui qui poursuit, vous savez avec quelle ardeur il presse ses rivaux; il ne regarde personne ; il (76)  pousse et écarte par son invincible élan tous ceux qui font obstacle à sa course rapide ses pensées avec ses yeux, ses forces de corps et d'âme, tout en lui se ramasse et se concentre vers le prix à conquérir. Mais si Paul, jouteur si intrépide, après tant de souffrances, dit encore : « Si je puis enfin atteindre », que dirons-nous, pauvres concurrents tant de fois renversés? — Quant à lui, ses efforts lui semblent l'acquit d'une dette sacrée; je veux gagner, dit-il, « comme j'ai moi-même été gagné par Jésus-Christ ». J'étais dans la masse de perdition; j'étouffais; il me fallait périr; Dieu m'a ressaisi. Hélas ! nous n'avions d'ardeur que pour le fuir, et Dieu nous a poursuivis ! L'apôtre en rapporte à lui seul tout le mérite. Par ces paroles : J'ai été gagné et ressaisi, il nous a prouvé l'ardeur de sa volonté à nous retrouver, en même temps qu'il nous montre notre éloignement si grand déjà, et nos errements, et notre fuite déjà consommée.

4. Chose, également déplorable ! Nous revenons tous à notre vieil état de péché, et, avec un compte déjà si redoutable, nul, parmi nous ne gémit, ne pleure, ne soupire. Ne croyez pas que je parle ici par ironie. Autant nous avons fui loin de Dieu avant l'arrivée de Jésus-Christ, autant le fuyons-nous maintenant encore. Car nous pouvons fuir Dieu; non par des changements de lieu, puisqu'il est présent partout, mais par nos oeuvres. Que par rapport au lieu nous ne puissions l'éviter, le Prophète le déclare : « Où irai-je, mon Dieu, pour me soustraire à votre esprit? Où fuirai-je pour éviter votre face? (Ps. CXXXVIII, 7.) Quel est donc le moyen de fuir Dieu? Comment s'éloigne-t-on de lui? Cet éloignement n'est que trop possible, puisque le même prophète dit encore : « Ceux qui s'éloignent de vous périront »; et Isaïe : « Est-ce que vos iniquités n'ont pas jeté entre vous et moi un mur de division? » (Ps. LXXII, 27; et Isaïe, LIX, 2.)

Comment donc se fait cet éloignement, cette séparation ? Par notre volonté, par notre coeur, puisque ce ne peut être une séparation locale; car comment fuir hors de celui qui est partout présent? Et cependant le pécheur fuit. C'est ce que marque l'Ecriture : « L'impie s'enfuit quand personne ne le poursuit ». (Prov. XXVIII, 1.) Nous fuyons donc Dieu, qui nous poursuit sans cesse. L'apôtre courait pour approcher de lui; nous courons aussi, nous, mais pour l'éviter et nous éloigner de lui.

Et ce n'est pas là un malheur déplorable! Où fuis-tu, malheureux? Où fuis-tu, misérable, loin de ta vie, loin de ton salut? Si tu évites ton Dieu, où sera ton refuge? Si tu évites la vie, comment pourras-tu vivre? Ah ! plutôt, fuyons l'ennemi de notre salut! Quand nous péchons, nous fuyons loin de Dieu; nous errons comme l'esclave fugitif; nous nous exilons sur la terre étrangère , semblable à cet enfant prodigue qui avait dévoré le bien de son père, et s'en était allé en pays étranger, après avoir épuisé son patrimoine, désormais il vivait, mais affamé. Nous aussi nous avons un patrimoine, et quel est-il ? La délivrance de nos péchés; la force que Dieu nous a donnée pour remplir les devoirs de la vertu ; cette ardeur et cette patience, cet Esprit-Saint qu'il nous a versé avec le baptême. Une fois que ces biens sont épuisés, nous sommes en proie à la famine.

Un malade, tant qu'il est agité par la fièvre et travaillé par des humeurs vicieuses, ne peut ni se lever, ni s'acquitter de ses fonctions, ni faire quoi que ce soit; mais que, délivré de sa maladie et rendu à la santé, il reste cependant inerte, sans action, vous ne l'imputerez qu'à sa paresse. C'est aussi notre histoire. Torturés par une grave maladie et par une .fièvre ardente, nous étions gisants non pas sur un lit de douleurs, mais sur une couche de malice; heureux de nous rouler dans le péché comme sur un fumier, couverts d'ulcères, respirant la puanteur, souillés, courbés, spectres enfin plutôt que créatures humaines. Les démons abominables nous entouraient; le prince de ce monde nous insultait par un rire affreux. Le Fils unique de Dieu est venu; il a fait luire les rayons de sa présence et dissipé l'ombre épaisse. Le roi qui s'asseyait sur le trône du Père, est venu vers nous quittant ce trône du Père;.et quand je dis qu'il l'a quitté, n'allez pas croire encore à un déplacement de sa substance divine, qui ne cesse de remplir et la terre et les cieux ; je parle de son incarnation. Il est venu vers cet ennemi qui lui portait une haine profonde, qui lui tournait le dos, et loin de vouloir, enfin, tourner vers lui ses yeux repentants, le poursuivait encore de ses blasphèmes journaliers. Il l'a vu gisant sur le fumier, dévoré par les vers, accablé par la fièvre et par la faim, travaillé par toutes les maladies à la fois. Oui, la fièvre le torturait, car c'est une fièvre avec ses flammes que la mauvaise (77) concupiscence ; c'est une fièvre avec sa faim anormale et insatiable, que l'ambition; c'est une fièvre avec son virus, que l'avarice; c'est une fièvre avec la privation de la vue, que l'impureté; l'idolâtrie, c'est une fièvre avec la surdité et le délire qui condamnait l'homme à adorer, à consulter la pierre et le bois ; c'est elle toujours avec l'altération des traits, car les vices nous dégradent; c'est tout ce qu'il a de plus triste et la plus redoutable maladie. Il vit des hommes plus fous dans leur langage que les êtres en démence, puisqu'ils appelaient Dieu la pierre et le bois. Il nous vit dans cette mer d'iniquités; et il ne nous prit pas en abomination, en haine, pas même en aversion; il ne détourna passa face; car il était le Seigneur et ne haïssait point son ouvrage. Que va-t-il donc faire? Comme un médecin charitable il prépare de précieux médicaments, et il v goûte le premier. Quand il en a constaté la vertu, il nous les présente. Comme premier remède et souverain antidote, il nous donne le bain sacré; il nous fait vomir toute notre iniquité; tous les symptômes ennemis prennent la fuite; l'inflammation cesse, la fièvre est éteinte, le virus est desséché. Tous les symptômes d'avarice, de colère, de tout mal enfla se sont évanouis par la présence de l'Esprit. Nos yeux et nos oreilles s'ouvrirent; notre langue se délia pour de pieuses paroles; notre âme acquit la force , notre corps la beauté, cette fleur de beauté que doit avoir un enfant de Dieu engendré par la grâce de son Esprit; une gloire telle que doit avoir le fils d'un roi, nouvellement né et couché sur la pourpre.

Oh ! quelle noblesse Dieu nous a donnée ! Et nous, envers celui qui nous a tant aimés, nous continuons à être ingrats. Il nous a enfantés, nourris, comblés de biens; pourquoi fuyons-nous ce généreux bienfaiteur? Et après tant de merveilles opérées en notre faveur, il nous prête encore sa force : tant que la maladie nous accablait, en effet, nous étions incapables de supporter le fardeau, si lui-même ne nous avait donné le pouvoir. Mais en vain nous a-t-il accordé la rémission de nos péchés, nous avons rendu ce pardon inutile; en vain tant de richesses, nous les avons dissipées et dévorées; en vain la force, nous l'avons usée; en vain la grâce, nous l'avons étouffée; et comment? en dépensant tous ces trésors pour des choses qui ne pouvaient nous servir, à de vraies inutilités. Celles-ci nous ont perdus, et, de plus , malheur incomparable, exilés que nous sommes sur une terre étrangère, réduits à la nourriture des pourceaux , nous ne disons pas encore : Revenons à notre Père, faisons-lui cet aveu, nous avons péché contre le ciel et contre vous; et cela, bien que nous ayons un père si aimant, si désireux de notre retour ! Car abandonnons seulement les voies du vice, et revenons à lui; et nous verrons qu'il ne peut se résoudre même à nous faire un reproche. Qu'ai-je dit? Dieu ne peut se résoudre à nous faire un reproche ? Non-seulement lui-même ne veut pas en faire, mais il ferme la bouche à tout autre qui nous en adresserait; quand même celui-là serait un de ceux qu'il aime le plus. Ah ! revenons ! jusqu'à quand resterons-nous éloignés ? Comprenons notre déshonneur; sentons notre dégradation. Le vice nous rabaisse au niveau de l'animal immonde; le vice affame notre coeur. Retrouvons notre âme; rentrons en nous-mêmes; revenons à notre ancienne noblesse et regagnons les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.

 

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