HOMÉLIE XIX

HOMÉLIE XIX.

ET AYANT TROUVÉ LE PREMIER SON FRÈRE SIMON , IL LUI DIT : NOUS AVONS TROUVÉ LE MESSIE, C'EST-À-DIRE LE CHRIST. — ET IL L'AMENA A JÉSUS. (VERS. 41, 42.)

 

ANALYSE.

 

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1. Que l'homme ne peut se passer de la société. — André ayant découvert le Messie, appelle aussitôt son frère pour le rendre participant de son bonheur.

2. La prophétie manifeste la puissance divine avec non moins de certitude que le miracle.

3. Les anciens avaient plusieurs noms :les chrétiens n'ont que le seul nom de chrétien. — Combien ce nom est honorable et respectable. — Ne rien faire qui soit indigne d'un si grand nom. — Nous portons le nom de Jésus-Christ. — Nous sommes aussi proches de Jésus-Christ que la tête l'est du corps : cela nous engage à l'imiter. — Faire un honnête usage des richesses, comment? —  Distribuer son bien aux pauvres c'est s'enrichir.

 

1. Au commencement, Dieu ayant créé l'homme, ne le laissa point seul, mais il lui donna la femme pour être son aide et sa compagne (Gen. II, 78), sachant que de celte société il naîtrait un grand bien. Mais si la femme n'en a pas usé comme elle devait, que s'ensuit-il? Malgré cela , si l'on examine la chose en soi, on trouvera qu'une pareille société procure de grands avantages à ceux qui ont du sens et de la raison. Cela n'est pas vrai seulement de l'homme et de la femme; mais encore des frères qui, s'ils vivent ensemble, jouiront du même bienfait : Voilà pourquoi le prophète disait : « Qu'il est doux et agréable de voir les frères réunis ensemble ! » (Ps. CXXXII, 1.) Et saint Paul nous avertit de ne nous point « retirer de nos assemblées » (Héli. X, 25) : car c'est en quoi nous différons des bêtes. Voilà ce qui nous fait bâtir des villes, des places publiques, des maisons, pour être réunis ensemble, non-seulement par la communauté d'habitation, mais aussi par le lien de la charité. Dieu Créateur de notre nature , l'ayant formée de façon qu'elle a besoin des autres, et ne se suffit point à elle-même, a si bien dispensé toutes choses, que la mutuelle société et les assemblées remédient et suppléent à cette indigence. C'est pourquoi les noces ont été établies, afin que l'un trouve chez l'autre ce qui lui manque à lui-même; ainsi la nature qui était pauvre se suffit enfin, en sorte que, quoiqu'elle soit devenue mortelle, elle conserve une sorte d'immortalité par la continuelle succession de l'un à l'autre. Je pourrais m'étendre sur cette matière, et vous faire voir quel est l'avantage d!'une étroite et sincère union : mais le sujet que nous avons à traiter nous presse, et ce n'est qu'à son occasion que nous avons touché ces choses.

André étant demeuré avec Jésus, et ayant appris beaucoup de lui, ne cacha point ce trésor dans son sein; mais il se hâta de courir auprès de son frère, voulant le faire participer à ses richesses : mais pourquoi Jean n'a-t-il pas rapporté ce que Jésus-Christ leur dit? Et d'où savons-nous que c'est pour entendre Jésus que ces disciples sont demeurés avec lui? Nous vous le rimes voir il n'y a pas bien longtemps . et on peut s'en instruire encore par la lecture d'aujourd'hui. Considérez ce qu'André dit à son frère : « Nous avons trouvé le Messie, c'est-à-dire le CHRIST ». Par là, vous le voyez, il révèle ce qu'il venait d'apprendre en si peu de temps : il fait paraître la vertu et la sagesse du maître qui leur avait donné cette connaissance et les avait persuadés, ainsi que le zèle et la diligence de ceux qui au commencement se sont attachés à connaître Jésus-Christ. En effet, ce que dit et ce que fait André, marque une âme qui désire de tout son coeur l'avènement du Messie, qui espère qu'il viendra du ciel, qui tressaille de joie quand elle apprend qu'il est venu, et se hâte d'annoncer aux autres une si grande nouvelle. Dans les choses spirituelles, se tendre mutuellement la main, c'est le fait d'une amitié fraternelle et d'un vrai parent qui aime bien et sincèrement.

Ecoutez-le, comment lui aussi, il ajoute l'article. Car André n'a pas seulement dit un Messie, mais le Messie: « Celui que nous attendons ». Par où il paraît qu'ils attendaient un Christ, qui n'avait rien de commun avec les autres. Mais remarquez que dès le commencement Pierre est d'un esprit docile et soumis. D'abord , et sans plus tarder il accourt : « Il l'amena à Jésus » (dit l'évangéliste). Au reste, que nul ne blâme sa facilité a recevoir cette parole sans beaucoup d'examen. Il est vraisemblable gale son frère la lui expliqua avec soin et au long; mais les évangélistes s'attachant à la brièveté, rapportent sommairement bien des choses. D'ailleurs saint Jean ne dit pas que Pierre crut aussitôt; mais « qu'il l'amena à Jésus », pour le lui donner, afin qu'il apprît toutes choses de lui. L'autre disciple y était aussi présent et participait à tout. Que si, lorsque Jean-Baptiste a dit : Voilà l'agneau , voilà celui qui baptise dans le Saint-Esprit, il a laissé à Jésus-Christ le soin de nous donner une plus claire intelligence de cette doctrine ; André, qui sans doute, ne s'estimait pas capable de tout expliquer, a dû à plus forte raison faire de même : Aussi s'est-il contenté d'amener à la source même de la lumière son frère, qui en avait un si grand empressement et une si grande joie, qu'il n'hésita même pas un petit moment. « Jésus l'ayant regardé lui dit : Vous êtes Simon fils de Jean : Vous serez appelé Céphas, c'est-à-dire Pierre ». Ici déjà Jésus-Christ commence à découvrir peu à peu sa divinité par des prédictions. Et c'est ainsi qu'il en usa avec Nathanaël (Jean, I, 48), et avec la femme samaritaine. (Jean, IV, l8.)

2. Car les prophéties ne touchent pas moins les hommes que les miracles, et elles excluent toute idée de charlatanisme. Les insensés peuvent calomnier les miracles : « Cet homme », disaient les Juifs, « chasse les démons par la vertu de Béelzébuth » (Matth. XII, 24) ; mais jamais on n'a parlé de même des prédictions et des prophéties. A l'égard donc de Simon et de Nathanaël, Jésus-Christ s'est servi de cette sorte de doctrine et d'instruction; mais il n'a pas fait de même à l'égard d'André et de Philippe. Pourquoi? parce qu'ils avaient ouï le témoignage de Jean-Baptiste, qui n'avait pas médiocrement servi à les préparer: la vue des autres disciples fut pour Philippe un témoignage digne de foi, capable d'exciter et d'embraser son coeur. « Tu es Simon fils de Jean : Tu seras appelé Céphas, c'est-à-dire Pierre ». Jésus rend croyable la prédiction d'une chose future au moyen d'une chose présente : celui qui nommait le père de Pierre prévoyait sans doute l'avenir. Or, il y a de l'honneur et de la gloire à prédire ainsi ce qui ne doit arriver que longtemps après. Au reste ce n'était point là un compliment flatteur, mais une vraie prédiction de l'avenir, l'avenir même le montra.

Mais faites attention à la force avec laquelle Jésus reprend la Samaritaine, en lui découvrant sa vie passée : « Vous avez eu cinq maris », lui dit Jésus-Christ, « et maintenant celui que vous avez n'est pas votre mari ». (Jean, IV, 18.) De même son père parle souvent de la prophétie, lorsqu'il s'élève contre le culte des idoles : « Qu'ils découvrent », dit-il, « ce qui vous doit arriver », et encore : « J'ai prédit » l'avenir, « et je vous ai sauvés, et il n'y a point d'étranger parmi vous (1) ». Et c'est la même chose dans toutes les prophéties. Car c'est là principalement son oeuvre, que les démons ne peuvent imiter, quelque effort qu'il fassent. En effet, dans les miracles l'apparence et l'illusion peuvent tromper mais la nature immortelle, mais Dieu seul peut exactement prédire l'avenir. Que si quelquefois les démons ont fait des prédictions, ils n'ont fait que tromper les fous; aussi toujours leurs oracles se sont trouvés faux.

Pierre ne répond rien à ce que lui prédit Jésus: il ne voyait rien clairement encore, mais cependant il apprenait : il ne voyait pas clairement la prédiction dans son entier : Car Jésus n'avait pas encore dit : Je te surnommerai Pierre, « et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise », mais: « Tu seras appelé Céphas ». (Matth. XVI, 18.) La première parole marquait une plus grande autorité et une plus grande

 

1. Je n'ai pu trouver ces deux passages ni dans les Septante, ni dans la Vulgate. Le saint Docteur a apparemment cité de mémoire non les paroles, mais le sens.

 

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puissance. Jésus-Christ ne révèle pas dès le commencement toute la puissance future de Pierre; il ménage d'abord ses termes. Mais après qu'il a dévoilé et manifesté sa divinité, il parle alors avec plus d'autorité, disant : « Tu es bienheureux, Simon, parce que c'est mon Père qui t'a révélé ceci » (Matth. XVI, 47), et encore : « Et moi aussi je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église ». (Ibid. 18.) Il lui donna donc ce nom, mais Jacques et son frère, il les appela enfants du tonnerre. (Marc, III, 17.) Pourquoi? Afin de montrer qu'il était celui même qui a donné l'Ancien Testament, qui a changé les noms et a appelé Abram Abraham, Sara Sarra, Jacob Israël. II donna aussi les noms à plusieurs à leur naissance; comme à Isaac, à Samson et à d'autres dont font mention Isaïe et Osée; il a même changé à plusieurs le nom que leurs parents leur avaient donné, comme à ceux que je viens de remarquer ci-dessus, et à Jésus, fils de Navé. Les anciens avaient la coutume de donner des noms tirés des faits ainsi fit Elie lui-même. Et ce n'était pas sans raison; ils en usaient de la sorte, afin que le nom même fût un monument du bienfait de Dieu, ou qu'en exprimant une prophétie il en réveillât le souvenir dans l'esprit des auditeurs : ainsi Dieu a donné à Jean son nom dès le sein de sa mère. Car ceux qui dès l'enfance devaient être célèbres pour leurs vertus, prenaient de là leur nom (Isaïe, XLIX, 1) : mais ceux qui ne devaient se rendre illustres que dans la suite, dans la suite aussi recevaient le nom qui leur était propre.

3. Dans ces temps on donnait donc à chacun plusieurs noms. Maintenant nous n'avons tous qu'un seul et même nom; mais c'est un nom qui est plus grand que tous ceux-là, puisque nous sommes appelés chrétiens et enfants de Dieu, et amis de Dieu et son corps. Ce nom nous excite et nous encourage plus que tous les autres; il nous rend plus attentifs et plus diligents à exercer la vertu. Ne faisons donc rien qui soit indigne d'un nom si grand et si honorable: pensons à l'incomparable honneur que nous avons de porter le nom de Jésus-Christ; car c'est de ce nom que saint Paul nous a appelés chrétiens. Contemplons et respectons la grandeur de ce nom. Si celui qu'on dit fils de quelque grand capitaine ou d'un illustre personnage, conçoit de hauts sentiments quand il entend dire qu'il appartient ou à celui-là ou à celui-ci, se fait un très-grand honneur de porter un si beau nom, et n'omet rien pour ne le pas déshonorer par sa lâcheté nous qui tirons notre nom, non d'un capitaine, non d'un prince de la terre, non d'un ange, ou d'un archange, ou d'un séraphin, mais de leur Roi, n'exposerons-nous pas notre vie, ne la perdrons-nous pas plutôt que de déshonorer celui qui nous a honorés de son nom? Ne connaissez-vous pas la maison de l'empereur, ses compagnies des gardes, ses soldats armés de boucliers, ses piquiers qui l'accompagnent et gardent sa personne; ne savez-vous pas de quels honneurs et de quels privilèges ils jouissent? Ainsi nous qui approchons de beaucoup plus près notre Roi, et qui en sommes d'autant plus proches que la tête l'est plus du corps, nous devons tout faire et tout mettre en oeuvre pour imiter Jésus-Christ.

Que dit donc Jésus-Christ? « Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel leurs nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ». (Luc, IX, 58.) Si nous exigeons de vous la même chose, peut-être plusieurs trouveront-ils le précepte dur et rigoureux? C'est pourquoi je ne demanderai pas une imitation si parfaite, pour épargner votre faiblesse. Mais je vous prierai de ne vous pas attacher trop à l'argent, et si, à cause de votre faiblesse, je n'exige de vous qu'une vertu bornée, vous, de votre côté, et à plus forte raison, fuyez l'excès de la perversité. Je ne vous blâme point d'avoir des maisons, des terres, des richesses, des serviteurs; mais je désire que vous sachiez posséder toutes ces choses comme il convient, et sans péril pour vous. Que veux-je dire par là? que vous devez en être les maîtres et non pas les esclaves; les posséder sans qu'elles vous possèdent; en user et n'en point abuser. Les richesses s'appellent dans la langue grecque d'un mot qui signifie « se servir » , pour nous faire entendre que nous devons les faire servir à nos besoins et non pas les renfermer et les garder. L'un est d'un serviteur, l'autre d'un maître; les garder, c'est la fonction d'un serviteur : s'en servir, les dépenser, c'est agir en maître, c'est montrer. son autorité. Vous ne les avez pas reçues pour les enfouir dans la terre, mais pour les distribuer. Si Dieu avait voulu qu'on les gardât, il ne les aurait pas données aux hommes, mais il les aurait laissées cachées dans la terre :

 

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comme il veut qu'on les répande, il permet que nous les ayons, afin que nous nous en fassions largesse mutuellement. Que si nous les retenons dans nos maisons, nous n'en sommes donc plus les maîtres.

Mais si vous voulez les accroître, et si c'est pour cela que vous les gardez, ce sera sûrement un excellent moyen de les augmenter que de les distribuer et de les répandre de toutes parts (1). En effet, nul gain sans frais; toujours il en coûte pour s'enrichir : ce qui se passe tous les jours dans nos affaires temporelles le montre assez. Ainsi font le marchand et le laboureur; celui-ci répand sa semence, celui-là son argent : l'un va sur mer et dépense, l'autre, durant toute l'année, s'occupe à semer et à cultiver ce qu'il a semé.

Dans le commerce que je vous propose, vous n'avez pas besoin d'équiper des vaisseaux, d'atteler des boeufs, de labourer la terre, vous n'avez pas à observer le temps, ni

 

1. Celui qui a pitié du pauvre, prête au Seigneur à usure, et il lui rendra ce qu'il lui aura prêté. (Prov. XIX, 17.)

 

les saisons, vous n'avez pas la grêle à craindre. Sur cette mer on ne rencontre ni flots, ni rochers, ni écueils. Cette navigation, ce labourage ne requièrent de vous qu'une seule chose : c'est de répandre vos biens. Le vigneron, celui dont Jésus-Christ dit : « Mon Père « est le vigneron » (Jean, XV, 1), fera tout le reste. Ne serait-il pas très-ridicule de croupir dans la paresse et la fainéantise lorsqu'il ne s'agit que de récolter sans prendre aucune peine, et de prodiguer ses soins, son activité, ses sueurs, ses préoccupations, pour un résultat qui peut tromper nos espérances? Ne tombons donc pas dans une si grande folie, je vous en conjure, mes frères, il s'agit de notre salut; laissons ce qui est le plus pénible, et courons à ce qui est aisé et utile; afin que nous acquérions les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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