HOMÉLIE V

CINQUIÈME HOMÉLIE.  Dieu dit : « Que les eaux, qui sont sous le ciel, se rassemblent en un seul lieu, et que l'aride paraisse. » (Gen, I, 9.)

 

ANALYSE.

 

1. L’Ecriture sainte est une mine d'or riche et précieuse, et les trésors que nous en retirons ne soit point exposés, comme ceux de la terre, à la rapacité des voleurs. — Mais nous devons les préserver des attaques du malin esprit qui voudrait nous les ravir. — 2. Nous sommes sur la terre des voyageurs qui amassent des provisions pour retourner en leur patrie : et ces provisions, qui nous ouvriront l'entrée du ciel, sont l'aumône et la pénitence. — Une vie vraiment chrétienne donne aux justes une douce confiance de paraître devant le Juge suprême, et elle est pour les méchants un reproche. de leurs vices, et une exhortation à la vertu. — 3. Ce long exorde conduit l'orateur à expliquer le neuvième verset de la Genèse ; et il dit que Dieu ne voulut nommer l'élément aride, terre, et la réunion des eaux , mer, qu'après avoir dégagé l'un des flots de l'abîme, et réuni les autres dans le lieu qui leur était destiné. — 4. Sur ces autres paroles : « Que la terre produise les plantes verdoyantes avec leurs semences, » il observe que de même que la terre se couvrit alors, sans le secours de l'homme ni des animaux, de moissons et de fruits, aujourd'hui encore elle tire sa fécondité bien plus de cet ordre du Seigneur que de nos travaux. — Il réfute aussi ceux qui attribuaient cette fécondité à l'influence des astres. — 5. Il remarque que Moïse répète souvent ces expressions : « et du soir et du matin se rit le premier, le second et le troisième jour, » afin que nous comprenions mieux l'ordre et la distribution du temps. — 6. Il termine ensuite par une exhortation à mépriser la gloire humaine.

 

 

1. Aujourd'hui encore, les paroles de Moïse me fourniront le festin spirituel que je veux servir à votre charité, en vous expliquant avec soin l'oeuvre du Seigneur au troisième jour de la création. Ceux qui travaillent aux mines ne cessent point, quand ils ont rencontré un riche filon, de creuser profondément; ils écartent tous les obstacles, et ne craignent point de descendre jusque dans les entrailles de la terre pour en retirer la plus grande quantité possible de ce précieux métal. Et nous qui ne recherchons point des veines d'or, mais un trésor ineffable, ne devons-nous pas chaque jour poursuivre nos travaux, afin de rentrer dans nos maisons les mains pleines de ces richesses spirituelles. Trop souvent les biens de la terre deviennent pour leurs possesseurs la cause de grands malheurs; et, après quelques instants d'une rapide jouissance, ils leur sont enlevés par la fraude des flatteurs, la violence des voleurs ou la ruse des esclaves, qui s'enfuient chargés d'un précieux butin. Mais aucune perte de ce genre ne menace nos richesses spirituelles; ce trésor ne peut nous être dérobé, et dès que nous le cachons dans notre coeur, il y est à l'abri de toute rapine: il suffit que notre lâcheté n'y donne point entrée à l'ennemi, qui ne désire que de nous dépouiller. Et, en effet, quand cet ennemi, ce démon, veux-je dire, voit que nous sommes riches en biens de la grâce, il frémit de rage, grince des dents, et épie attentivement l'occasion favorable de nous enlever nos richesses. Or, le temps qui lui est le plus propice est celui où il nous surprend lâches et négligents; c'est pourquoi nous avons besoin de veiller sans cesse pour déjouer toutes ses embûches. Car, s'il attaque une ou deux fois ceux qu'il trouve actifs et vigilants, il les laisse bientôt en paix, honteux de voir ses efforts inutiles, et assuré qu'il ne remportera point la victoire tant que nous nous tiendrons sur nos gardes. Mais, puisque nous n'ignorons pas que la vie est une lutte continuelle, soyons toujours armés comme en présence d'un ennemi qui nous épie sans cesse, et craignons que la moindre négligence de notre part ne lui facilite l'occasion de nous surprendre.

Voyez avec quel soin les gens riches veillent à leurs affaires, dès que l'approche de l'ennemi est annoncée : les uns munissent leurs portes de serrures et de verroux pour mieux protéger leur argent, et les autres l'enfouissent sous (25) terre, afin que personne ne sache où il est caché. C'est. ainsi qu'à leur exemple nous devons conserver le trésor de nos vertus et le dérober à tous les regards, en le renfermant dans le secret de notre coeur; c'est ainsi encore que nous devons repousser les attaques de ceux qui voudraient nous le ravir, en sorte que, le préservant de toute main déprédatrice, nous nous en servions comme d'un utile viatique pour le voyage de l'éternité. Ceux qui vivent dans un pays étranger et qui désirent revoir leur patrie, s'occupent longtemps à l'avance de réunir peu à peu autant d'argent qu'il leur en faut pour suffire à la longueur du chemin et ne pas s'exposer à mourir de faim. Cette conduite doit être aussi la nôtre, car nous sommes sur la terre des étrangers et des voyageurs. Ayons donc soin de réunir et de mettre en réserve d'abondantes provisions, afin qu'au moment où le Seigneur nous ordonnera de retourner dans notre patrie, nous soyons prêts à partir, emportant avec nous une partie de nos richesses et ayant déjà envoyé l'autre devant nous. Car telle est la nature de ce viatique : il nous est loisible de nous faire précéder d'une multitude de bonnes oeuvres; et celles-ci en nous devançant, nous ouvriront les portes d'une juste confiance pour paraître devant Dieu, nous faciliteront l'accès de son trône, et nous permettront d'aborder sans crainte un Juge dont elles nous auront concilié la bienveillance.

2. Mais pour vous convaincre, mes chers frères, de la certitude de cette doctrine, il me suffit de vous rappeler qu'au sortir de ce monde, le chrétien qui aura largement dispensé l'aumône et mené une vie pure, trouvera miséricorde auprès du Juge suprême, et entendra avec tous les élus ces consolantes paroles : Venez, les bénis de mon Père; possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde : car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger. (Matth. XXV, 34, 35.) Il en est de même des autres vertus, de la confession des péchés et de l'assiduité à la prière. Et en effet, lorsque pendant la vie nous avons eu soin d'effacer nos péchés par la confession, et que nous avons pu en obtenir de Dieu le pardon, nous quittons la terre purs de toute souillure, et nous paraissons devant le Seigneur pleins d'une entière confiance; mais ceux qui auraient négligé de mettre à profit le temps présent pour expier leurs péchés, ne trouveront après la mort aucune consolation. Car, Seigneur, dit le Psalmiste, qui confessera votre nom dans le sépulcre? (Ps. VI, 6.) Parole bien vraie, puisque la vie est le temps de la lutte, de la guerre et des combats, et que l'éternité est celui des couronnes, des prix et des récompenses. Ainsi, combattons généreusement tandis que nous sommes encore dans la carrière, de peur qu'au grand jour des couronnes et des récompenses, nous ne soyons du nombre de ceux qui n'auront en partage que la honte et la confusion. Puissions-nous, au contraire, nous mêler aux élus qui se présenteront avec confiance pour être couronnés !

Ce n'est pas sans raison que je vous parle ainsi, mes bien-aimés; et j'espère que mes paroles ne vous seront point inutiles. Oui, je veux tous les jours vous avertir de multiplier vos bonnes oeuvres, afin que vous paraissiez aux yeux de tous, consommés en perfection, et ornés de toutes les vertus. Enfants de Dieu, irrépréhensibles, purs et immaculés, vous brillerez alors dans le monde comme des astres, et possédant la parole de vie, vous serez un jour notre gloire devant le Christ. Et cependant votre présence seule aura déjà été pour vos frères un salutaire avertissement, et le parfum de vos vertus non moins que vos sages entretiens les auront attirés à imiter vos bons exemples. Car si les méchants se nuisent les uns aux autres par leurs mutuelles relations, selon ce mot de saint Paul : les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs (I Cor. XV, 33) ; il n'est pas moins vrai que la société des gens de bien est d'un grand secours à ceux qui la cultivent. C'est donc par bonté que Dieu permet le mélange des bons et des méchants, afin que ceux-ci profitent des exemples de ceux-là, et ne demeurent pas toujours dans leur iniquité. Et en effet parce qu'ils ont continuellement sous les yeux de beaux modèles de vertu, il est comme impossible qu'ils n'en profitent pas. Car tel est le pouvoir de la vertu, que ceux même qui ne la pratiquent pas, ne peuvent lui refuser leurs respects et leurs hommages. Les méchants, au contraire, désapprouvent le vice et le condamnent, et vous n'en trouverez presque aucun qui se fasse gloire d'être vicieux. Mais ce qui est plus étonnant encore, c'est que leurs paroles flétrissent leur propre conduite, et qu'ils recherchent les ténèbres pour commettre le mal. Car l'homme porte au fond de sa conscience, et par un effet de la miséricorde divine, (26) un discernement incorruptible qui lui fait distinguer le mal d'avec le bien. Aussi sommes-nous absolument inexcusables, puisque nous ne péchons point par ignorance, mais par paresse, et mépris de la vertu.

3. Si ces vérités nous sont présentes à chaque heure du jour, nous opérerons notre salut avec une grande sollicitude, et nous craindrons, comme un réel dommage pour nos âmes, de laisser le temps s'écouler inutilement. Mais terminons ce long exorde, et écoutons, s'il vous plaît,ce qu'aujourd'hui l'Esprit-Saint veut nous enseigner par la bouche du saint prophète Moïse. Et Dieu dit : que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en, un seul lieu, et que l'aride paraisse. Et il fut fait ainsi. Considérez ici, mes chers frères, l'ordre et la suite des couvres divines. Moïse nous avait dit dès le commencement que la terre était invisible et informe, parce qu'elle était couverte par les ténèbres et les eaux. C'est pourquoi au second jour Dieu sépara les eaux par le firmament qu'il appela ciel, et au troisième il ordonna que les eaux qui étaient sous le ciel, c'est-à-dire le firmament, se rassemblassent en un seul lieu, afin que leur retraite laissât la terre à découvert. Et cela se fit ainsi. C'est parce que les eaux couvraient toute la surface de la terre que le Seigneur leur commanda de se réunir en un seul lieu; et alors l'aride put se montrer. Voyez comme l'historien sacré nous découvre graduellement la beauté de l'univers! Et il fut fait ainsi, dit-il. Comment? Selon les ordres du Seigneur. Il dit, et la nature obéit soudain. Car il appartient à Dieu de régler toutes les créatures selon sa volonté.

Et les eaux qui étaient sous le ciel se réunirent en leur bassin, et l'aride parut. Déjà Moïse avait dit en parlant de la lumière que Dieu la créa lorsque les ténèbres couvraient toute la nature, et que les séparant de la lumière il avait assigné celle-ci au jour, et les ténèbres à la nuit; et ici, il dit également que Dieu, après avoir créé le firmament, plaça au-dessus de lui une partie des eaux, et établit les autres au-dessous. Il ajoute ensuite qu'à (ordre du Seigneur celles-ci se rassemblèrent dans un même lieu, en sorte que l'élément aride parut. C'est alors que Dieu donna un nom à l'élément aride, ainsi qu'il l'avait fait pour la lumière et les ténèbres. Les eaux qui étaient sous le ciel, dit l'Ecriture, se rassemblèrent en un seul lieu, et l'aride parut; et Dieu appela l'aride, terre. Voilà donc, mes chers frères, comment Dieu déchira le voile qui rendait la terre invisible et informe; car elle était couverte par les eaux, comme par d'épaisses ténèbres. Mais dès qu'elle put montrer sa face, il lui donna un nom.

Et Dieu appela la réunion des eaux, mer. Les eaux ont donc leur nom; et le Seigneur, semblable au potier qui façonne un vase, et ne lui donne un nom qu'après l'avoir achevé, ne voulut imposer un nom aux éléments qu'après les avoir distribués dans les lieux qu'il leur assignait. La terre reçut donc son nom dès qu'elle parut sous la forme qu'elle devait revêtir; et de même les eaux reçurent alors une dénomination spéciale. Car Dieu, dit l'Ecriture, appela la réunion des eaux, mer; et il vit que cela était bon. C'est parce que l'homme est trop faible pour louer dignement les couvres divines, que l'Ecriture nous prévient, et nous apprend que le Seigneur les a louées lui-même.

4. Ainsi, quand vous apprenez que le Créateur a trouvé bonnes ses créatures, vous devez les admirer souverainement, mais vous ne pouvez rien ajouter aux louanges qu'elles ont déjà reçues; car telle est la puissance de Dieu et telle est la perfection de ses ouvrages, que nous ne saurions les louer autant qu'ils le méritent. Mais est-il étonnant que l'homme faible et ignorant ne puisse jamais ni louer dignement, ni célébrer les oeuvres du Seigneur? La suite du récit nous montre également l'ineffable sagesse du divin Ouvrier. Il vient de mettre à découvert la surface de la terre et il se hâte de l'embellir; aussi voyons-nous qu'à sa parole, les plantes et les fleurs l'émaillent dé leurs riches variétés. Et Dieu dit : Que la terre produise les plantes verdoyantes avec leur semence, et les arbres avec des fruits qui, chacun selon son espèce, renferment en eux-mêmes leur semence, pour se reproduire sur la terre. Et il fut fait ainsi. Que signifient ces derniers mots : « Et il fut fait ainsi? » Ils nous apprennent qu'à l'ordre du Seigneur, la terre se hâta d'épancher ses productions et de faire éclore le germe de toutes les plantes. La terre produisit donc, dit Moïse, des plantes qui portaient leur graine suivant leur espèce, et des arbres fruitiers qui renfermaient leur semence en eux-mêmes, chacun suivant son espèce. Et qui n'admirerait ici, mon cher frère, comment la parole divine a tout opéré sur la terre? Et en effet, il n'y avait point encore d'homme qui la (27) cultivât et qui, pour la couvrir de sillons, pliât le bœuf au joug de la charrue; mais elle entendit le commandement du Seigneur et soudain produisit les plantes et les arbres. D'où nous apprenons qu'aujourd'hui encore, ce sont bien moins les soins, les travaux et les fatigues du laboureur qui fertilisent la terre, que les ordres que le Seigneur lui intima dès le commencement.

Au reste, l'Ecriture, pour rendre d'avance l'ingratitude des hommes vraiment inexcusable, nous révèle avec soin l'ordre et la suite des oeuvres de la création. Elle veut ainsi réprimer la témérité et l'extravagance de ceux qui nous donnent leurs rêveries pour des réalités, et qui soutiennent que la coopération du soleil était nécessaire à la production des plantes et des fruits. D'autres attribuent ces effets à l'influence des astres; mais l'Esprit-Saint nous enseigne que, bien avant la création du soleil et des astres, la terre, obéissant à la parole divine, avait, sans nul concours étranger, produit d'elle-même les plantes et les arbres; il lui avait suffi d'entendre cette parole : Que la terre produise les plantes verdoyantes. Suivons donc les traces de la sainte Ecriture, et condamnons hautement ceux qui s'élèvent contre ses divins enseignements. Quoique les hommes cultivent la terre, et, à l'aide d'animaux domestiques, s'appliquent à l'agriculture; quoique les saisons leur soient favorables et que tout concoure à satisfaire leurs désirs, si Dieu ne répand sa bénédiction, ils s'épuiseront en d'inutiles travaux. Oui, ni les sueurs, ni les fatigues du laboureur ne deviennent fécondes si le Seigneur, du haut du ciel, n'étend sa main et ne leur donne un heureux accroissement. Mais, qui ne serait ravi d'étonnement et d'admiration en voyant comment cette parole : Que la terre produise des plantes verdoyantes, pénétra jusque dans les profondeurs de la terre et l'émailla comme d'un riche tapis parla variété des fleurs qui en couvrit la surface. Ainsi la terre qui naguère était brute et inculte, se revêtit soudain d'une brillante parure, et rivalisa de beauté avec le firmament. Et en effet, de même que celui-ci devait bientôt resplendir du feu des astres, la terre s'embellissait par la variété des fleurs ; en sorte que le Créateur lui-même loua son propre ouvrage. Et Dieu, dit l'Ecriture, vit que cela était bon.

5. Moïse a soin, comme vous pouvez le remarquer, de nous rappeler, après chacune des oeuvres de la création, que Dieu loue son propre ouvrage, afin d'apprendre aux hommes à remonter de la créature au Créateur. Car si les créatures sont au-dessus de toutes nos louanges, que dire de l'Ouvrier divin qui les a produites? Et Dieu vit que cela était bon; et du soir et du matin se fit le troisième jour. C'est pour mieux nous inculquer ces choses, que l'écrivain sacré nous les répète ici. Il lui suffisait en effet d'énoncer que le troisième jour fut fait; mais il reprend les mêmes termes qu'il a déjà employés, et il nous dit que du soir et du matin se fit le troisième jour. Certes, ce n'est point de sa part oubli ou inadvertance; il veut que nous ne confondions pas l'ordre des choses et que nous ne regardions pas l'approche de la nuit comme la fin du jour; car le soir n'est que la fin de la lumière et le commencement de la nuit, tout comme le matin est la fin de la nuit et le complément du jour. C'est ce que veut nous enseigner le saint prophète Moïse, quand il nous dit : Et du soir et du matin se fit le troisième jour. Et ne vous étonnez pas, mon cher frère, que la sainte Ecriture nous redise si souvent les mêmes choses; car, malgré ses soins et ses précautions, quelques Juifs persistent dans leur erreur et soutiennent, avec l'entêtement d'un esprit aveuglé, que le soir est le commencement du jour suivant. Ils se trompent eux-mêmes, et sont encore assis dans les ténèbres, quoique la vérité se soit manifestée à tous les regards. Ils cherchent encore la lumière, quand le Soleil de justice s'est levé sur le monde. Mais, après que Moïse nous a instruits de tous ces détails avec une telle exactitude, qui pourrait supporter l'opiniâtreté de ces esprits indociles !

Leur malice recevra son juste châtiment; mais nous, qui avons été éclairés des rayons du Soleil de justice, soyons soumis et dociles aux enseignements de la sainte Ecriture. En suivant cette règle, nous renfermerons dans le secret de notre cœur une foi pure et orthodoxe, et nous mettrons tous nos soins à la conserver. Nous travaillerons également avec zèle à l'oeuvre de notre salut, et nous fuirons comme un poison mortel tout ce qui pourrait blesser la sainteté de notre âme; car la perte de la grâce sanctifiante est d'autant plus grande que l'âme l'emporte sur le corps. Le poison ne peut tuer que le corps, tandis que l'erreur entraîne pour l'âme la mort éternelle. Et quels sont donc ces poisons si dangereux? Le nombre en est grand (28) et varié, mais le plus funeste est celui qui nous incline à aimer la vaine gloire et nous empêche de la mépriser; car ce péché entraîne avec lui mille désordres : il dissipe les richesses spirituelles que nous avons pu amasser et nous enlève tout le profit que nous en pourrions retirer. Est-il un mal plus dangereux, puisqu'il nous ravit même les biens que nous croyons posséder? Et n'est-ce pas ainsi que le pharisien fut rabaissé au-dessous du publicain? (Luc, XVIII.) Il ne sut point maîtriser sa langue, et, en se louant lui-même, il jeta toutes ses richesses par la fenêtre, tant la vaine gloire est un poison funeste !

6. Mais, je vous le demande, pourquoi recherchez-vous si avidement la gloire humaine? ne savez-vous pas que les louanges des hommes sont moins qu'une ombre, et qu'elles se dissipent comme une vapeur légère? Ajoutez encore que telle est l'inconstance et la mobilité de l'homme qu'il ne tarde pas à censurer celui que naguère il comblait d'éloges. Mais rien de semblable n'est à craindre de la part de Dieu. Ne soyons donc point si insensés que de nous séduire nous-mêmes; car, si dans la pratique des bonnes oeuvres, notre intention ne se rapporte pas uniquement à Dieu et à l'observation de sa loi, et si nous cherchons à être connus de tout autre que de lui seul, nous perdons le fruit de nos peines et nous nous privons nous-mêmes des avantages que nous en pouvions retirer. Et en effet, celui qui fait le bien pour capter l'estime des hommes, que gagne-t-il, soit qu'il réussisse ou qu'il échoue dans ses projets? Souvent la gloire humaine nous échappe, même quand nous faisons tout pour l'acquérir; et toujours, soit que nous parvenions à l'obtenir, ou qu'elle nous échappe, nous recevons ici-bas notre récompense, en sorte que nous ne pouvons espérer celle du ciel. Eh pourquoi? Parce que celui qui préfère le présent à l'avenir, et la louange des hommes à l'approbation du juste Juge, se rend indigne d'être honoré par ce juge. Si, au contraire, nous pratiquons la vertu pour plaire uniquement au Dieu dont l'oeil ne se ferme jamais, et devant qui tout est à nu et à découvert., notre trésor sera en sûreté et nos richesses spirituelles se conserveront intactes. Bien plus, l'assurance où nous serons que ces richesses ne peuvent nous être enlevées, nous comblera d'une douce consolation, et nous ne serons pas même privés de l'estime des hommes.

Et, en effet, nous en jouissons avec une plénitude d'autant plus grande que nous la méprisons, que nous ne la recherchons pas, et que nous ne la désirons point. Et faut-il s'étonner que telle soit la conduite d'un philosophe chrétien, puisque nous voyons les partisans enthousiastes du monde, mépriser eux-mêmes ceux qui ambitionnent le plus la gloire du monde. Oui, vous trouverez toujours que ceux qui paraissent trop avides des honneurs ne s'attirent que du mépris. Quel malheur ne serait donc pas le nôtre, si nous, qui faisons profession de religion et de piété, désirions comme eux les louanges des hommes, et s'il ne nous suffisait pas d'obtenir l'approbation de Dieu, à l'exemple de l'Apôtre, qui tirait sa gloire non des hommes, mais de Dieu! (Rom. II, 29.) N'avez-vous pas observé, mon cher frère, que ceux qui disputent les prix de l'hippodrome ne donnent aucune attention aux cris, ni à la faveur du peuple qui leur applaudit? C'est qu'ils ne voyent que le prince qui préside les courses et qu'ils sont entièrement préoccupés du désir de lui plaire. Aussi, dédaignant les vains suffrages de la multitude, ils sont ivres de bonheur quand ils reçoivent de ses mains le prix et la couronne. Imitez-les, et n'estimez pas à une haute valeur les applaudissements des hommes : ne les recherchez point dans la pratique de la vertu, mais attendez le jugement qu'en portera le juste Juge, et ne soyez attentif qu'à lui obéir. En un mot, réglez tellement votre vie, que déjà vous possédiez en espérance ces biens éternels que nous donnent d'acquérir la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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