CATÉCHÈSES

CATÉCHÈSES OU INSTRUCTIONS AUX CATÉCHUMÈNES.

 

Tome III, p. 132-145

 

PREMIÈRE CATÉCHÈSE

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

DEUXIÈME CATÉCHÈSE

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

PREMIÈRE CATÉCHÈSE

 

Adressée à ceux qui se disposent à recevoir le baptême. — Pourquoi le baptême est appelé le bain de la régénération et non le non le sacrement de la rémission des péchés; et aussi qu'il est dangereux, non-seulement de se parjurer , mais encore de jurer, quand même on jurerait selon la vérité.

 

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

 

On voit par la première catéchèse qu'elle flet faite trente jours avant Pâques; et par ce qui y est dit sur le jurement, on voit que ce fut pendant le carême de l'an 387, durant lequel saint Chrysostome ne cessa de prêcher sur cette matière. — Ce qui peut faire difficulté, c'est qu'il paraît, par la onzième homélie au peuple d'Antioche, que saint Chrysostome demeura dans le silence pendant le temps auquel on doit rapporter cette homélie aux catéchumènes; mais on peut, ce semble, la lever, en ne considérant pas comme un discours public une instruction faite en particulier aux catéchumènes, l'obligation cil il s'était trouvé de parler au peuple les autres jours ne lui ayant pas laissé le loisir de former ces jeunes plantes. — Il est vrai que dans cette catéchèse le saint ne dit pas un mot de l'état où la sédition avait réduit la ville d'Antioche, ce qui pourrait faire douter qu'il l'eût prêchée pendant le carême de l'an 387. — Mais il faut remarquer qu'il parlait à des jeunes gens uniquement assemblés pour recevoir des instructions sur le sacrement de baptême, et que les motifs de consolation et d'espérance dont ses discours au peuple d'Antioche sont remplis, auraient été déplacés dans cette homélie. — Saint Chrysostome s'insinue dans l'esprit des catéchumènes par des termes d'humilité et de charité, n'hésitant point à les traiter de frères à cause de la grâce qu'ils allaient bientôt recevoir. —Il les prie de se souvenir de lui lorsqu'ils l'auront reçue, et qu'on les aura revêtus de l'habit royal et de la pourpre teinte du sang du Seigneur. — Il les loue de leur ardeur à recevoir le baptême, et de ce qu'ils n'attendaient pas à la mort pour le recevoir, comme faisaient plusieurs, dont quelques-uns même avaient perdu connaissance lorsqu'ils le demandaient. — Il croit que ceux qui en usaient ainsi ne recevaient point la grâce du baptême. — Il marque les différents noms que l'Eglise donnait au baptême, qui sont ceux de bain, de régénération, d'illumination, de sépulture, de circoncision et de croix; la différence du baptême avec les ablutions de la loi ancienne, qu'il fait consister en ce que le baptême purifie l'âme, au lieu que ces ablutions ne purifiaient que le corps; enfin la vertu de ce sacrement pour remettre les péchés et nous rendre saints et justes, eussions-nous auparavant été coupables de tous les crimes que l'homme peut commettre. — Il dit un mot de la pénitence après de baptême, mais uniquement pour exhorter les catéchumènes à si .bien vivre, qu'ils n'en aient jamais besoin, et à employer les trente jours qui leur restaient à combattre tellement contre le démon qu'ils ne puissent en être vaincus; il les exhorte particulièrement à éviter les péchés de la langue, surtout le jurement, et veut qu'ils s'en éloignent d'autant plus qu'on ne le regarde pas comme un péché. (Dom REMY CEILLIER.)

 

 


 

1. Combien est délicieuse et attrayante pour nous cette réunion de jeunes frères ! je vous donne le nom de frères avant votre naissance à la grâce, je vous salue comme des parents, vous qui n'êtes pas encore membres de la famille chrétienne. C'est que je sais, oui, je sais parfaitement à quelle haute dignité, à quel honneur vous êtes sur le point d'être élevés. Or on a coutume de rendre ses hommages à ceux qui vont être investis d'une charge importante, et cela même avant qu'ils soient entrés en fonction, afin de s'attirer, par cette marque de déférence, leur bienveillance pour l'avenir, et les avantages qui en découlent. C'est ce que je fais; car vous allez être élevés non à une charge ordinaire, mais à la dignité de rois, non d'un royaume vulgaire, mais du royaume des cieux. Aussi, je vous conjure et vous supplie de vous souvenir de moi lorsque vous y serez parvenus. Ce que Joseph disait au (132) grand échanson: Souvenez-vous de moi quand vous serez heureux (Gen. XI, 14), je vous le dis maintenant : Oui, souvenez-vous de moi quand vous serez heureux. Je ne demande pas comme Joseph une récompense pour l'interprétation d'un songe; je ne suis pas venu vers vous pour interpréter des songes, mais pour vous parler des choses du ciel, pour vous annoncer ces biens que  l’oeil n'a point vus, que l'oreille n'a point entendus, que le coeur de l'homme n'a point compris. (I Cor. II, 9.) Car tels sont les biens que Dieu a préparés à ceux qu'il aime.

Joseph disait au grand échanson : Encore trois jours, et Pharaon vous rétablira dans votre charge. (Gen. XL, 12, 15.) Pour moi je ne vous dis pas : Encore trois jours et vous deviendrez les officiers d'un grand roi; mais je vous dis encore trente jours et vous serez introduits non par Pharaon, mais par le Roi des cieux dans cette patrie qui est en-haut, dans cette cité du ciel, dans cette Jérusalem où l'on jouit de la vraie liberté. Joseph disait : Vous présenterez la coupe à Pharaon (Ibid) ; mais moi je vous dis : Le roi lui-même vous présentera ce calice redoutable, rempli d'une vertu divine et l'emportant infiniment sur tout objet créé. Ceux qui sont initiés connaissent la vertu de ce calice; vous, vous la connaîtrez bientôt. Souvenez-vous donc de moi quand vous serez dans ce royaume, quand vous aurez reçu le manteau royal, revêtu la robe empourprée du sang du Seigneur, et ceint le diadème dont le splendide rayonnement efface la lumière du soleil. Car tels sont les dons du, céleste Epoux, supérieurs aux mérites des hommes, mais proportionnés à sa royale munificence.

            C'est pourquoi je vous félicite avant même que vous soyez introduits dans cette demeure sacrée, je vous félicite et tout ensemble j'applaudis à votre généreuse ardeur, car vous ne venez pas, comme certains négligents, recevoir le baptême à la dernière extrémité; au contraire, semblables à des serviteurs zélés, qui se sentent pressés d'obéir à leur maître, vous placez votre vie sous la discipline du Christ avec une pieuse impatience, vous prenez ce joug si doux, ce fardeau si léger. A la vérité, ceux qui sont baptisés à la fin de leurs jours reçoivent la même grâce que vous, mais le généreux empressement de la bonne volonté, l'appareil des saintes cérémonies, ils ne l'ont pas. Ils reçoivent le baptême sur leur lit, et vous c'est dans le sein de l'Eglise notre mère commune ; ils le reçoivent au milieu des larmes, et vous dans la joie et l'allégresse; ils le reçoivent en gémissant, et vous avec mille actions de grâces; eux, ils sont dévorés par la fièvre, vous, remplis de l'abondance d'une joie toute spirituelle. Voilà pourquoi ici tout est en rapport avec la grâce que vous recevez; là, quel contraste étrange ! ceux qui reçoivent le baptême pleurent et gémissent; autour d'eux sont des enfants en larmes, une épouse désolée, des amis attristés, des serviteurs abattus; tout l'aspect de la maison est sombre comme un jour d'hiver enveloppé de brouillards. Et le malade ! si vous pénétrez dans le fond de son coeur, il est plus triste encore que tout ce que je viens de dire; de même que les vents soufflant avec impétuosité dans des directions contraires soulèvent et bouleversent. la mer; ainsi les dangers suspendus sur la tête du malade troublent son âme de mille pensées terribles, de mille soucis contraires qui lé tiraillent en tous sens. S'il jette les yeux sur ses enfants, il pense qu'ils vont être orphelins; il voit son épouse et d'avance. il pleure son veuvage; la vue de ses serviteurs lui montre le vide affreux qui va se faire dans sa maison; il jette les yeux sur lui-même; alors il se rappelle sa vie, cette vie qui lui échappe, et, sous le coup de la séparation, une grande tristesse descend dans son âme comme un nuage épais. Tel est l'état de celui qui va recevoir le baptême. Au milieu de ce trouble, de cette agitation, entre le prêtre, plus terrible pour le malade que la fièvre même, plus redouté que la mort par les parents du moribond. Oui, la voix du médecin déclarant que tout espoir de guérison est perdu, cause moins d'effroi que la venue du prêtre, et l'on reçoit comme un messager de mort celui qui apporte la vie éternelle, Mais je n'ai pas encore parlé du plus grand de tous les malheurs : souvent au milieu du trouble causé par une alarme subite, pendant que les parents, ne sachant quel parti prendre, s'agitent beaucoup sans rien faire, l'âme rompant ses derniers liens quitte le corps qui n'est plus qu'un cadavre. Quelquefois même, l'âme est encore présente dans le corps; mais à quoi bon? le moribond ne reconnaît plus personne, il n'entend plus rien, et ces paroles par lesquelles l'homme contracte son alliance avec son Seigneur, il ne peut plus les articuler; celui que l'on veut rendre participant de la lumière  (133) divine est là comme un morceau de bois, ou comme une pierre, il ne diffère pas d'un mort de quoi lui servira l'initiation baptismale?

2. Celui qui va s'approcher des mystères sacrés et redoutables, doit veiller sur lui-même, être exempt de tout souci mondain, tempérant, plein d'un saint empressement, chasser de son esprit toute pensée étrangère et tenir la maison de son âme parfaitement nette et pure, comme s'il devait recevoir le Roi. Telle est votre préparation, telles sont vos pensées, telle est la disposition de votre coeur. Aussi attendez-vous à recevoir de Dieu une récompense digne de cette excellente disposition, de Dieu dont les bienfaits surpassent toujours le mérite de notre obéissance.

Mais il faut donner du sien à ses frères; je vais donc vous faire part de ce qui est à moi, ou plutôt ce que je vais vous communiquer n'est pas à moi, mais au Seigneur: Car que possédez-vous que vous ne l'ayez reçu ? Or, si vous l'avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous ne l'avez pas reçu ? ( I Cor. IV, 7.) Avant tout, je voulais vous expliquer pourquoi nos pères ont choisi ce temps de l'année de préférence à tout autre pour donner des enfants à l'Église par la vertu du sacrement de baptême; pourquoi l'instruction qui précède, pourquoi l'on ôte ses chaussures, pourquoi l'on ne garde qu'une tunique seulement, pourquoi les prières des exorcismes ? car ce n'est pas en vain et sans réflexion que l'Église a fixé ce temps et déterminé ce costume : tout cela a une raison mystérieuse, un sens caché, et je voulais vous en instruire ; mais je vois que d'autres choses plus nécessaires nous appellent; il est en effet nécessaire de dire ce que c'est que le baptême, pourquoi il a été institué, et quels grands biens il nous procure.

Cependant, si vous le voulez, parlons d'abord de la dénomination de cette purification spirituelle; elle ne porte pas rien qu'un nom, mais plusieurs. Elle est appelée le bain de la régénération : Il nous a sauvés, dit l'Apôtre, par l'eau de la régénération et de la rénovation du Saint-Esprit. (Tit. III, 5.) Elle est encore appelée illumination; écoutez saint Paul : Rappelez en votre mémoire ce premier temps, où après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu le grand combat des souffrances (Héb. X, 32); et ailleurs : car il est impossible que ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goûté le don du ciel , et qui après cela sont tombés, se renouvellent par la pénitence. (Ibid. VI, 4.) Elle est aussi nommée baptême : Car vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ. (Gal. III, 27.) Elle est aussi appelée sépulture. Car, dit l'Apôtre, nous avons été enseveli, avec lui par le baptême pour mourir au péché (Rom. VI, 4) ; également circoncision : C'est en lui que vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme, mais qui consiste dans le dépouillement des vices. (Col. II, 11.) Elle est appelée croix : Car notre vieil homme a été crucifié afin que le corps du péché soit détruit. ( Rom. VI, 6.) On pourrait encore citer beaucoup d'autres noms, mais pour ne pas perdre tout notre temps sur ce sujet, revenons à la première dénomination, et son explication terminera ce discours; en attendant reprenons l'instruction d'un peu plus haut.

Il y a une espèce de purification qui est commune à tous les hommes, elle s'opère par le bain qui enlève les souillures du corps; les Juifs ont aussi une sorte de purification plus auguste que le bain dont je viens de parler, mais bien inférieure à notre bain spirituel qui confère la grâce; lui aussi enlève les souillures du corps, et non-seulement celles-là, mais encore celles de l'âme. Car il y a bien des choses qui par elles-mêmes ne sont pas impures, mais qui le deviennent par suite de la faiblesse de la conscience. Ainsi un masque, si difforme qu'il soit, n'est pas réellement terrible; cependant il parait tel aux enfants, à cause de la faiblesse de cet âge; il en est de même de certaines actions; par exemple toucher à un cadavre, ce n'est pas en soi une chose impure, mais si on le fait croyant commettre une faute, cet attouchement devient une souillure. Que cet acte ne soit pas impur par lui-même, Moïse qui a promulgué la loi le montre bien, lui qui emporta le corps de Joseph, et néanmoins ne fut pas souillé.

Et c'est pourquoi saint Paul, parlant d'une souillure de ce genre qui provient non de la nature des choses, mais de la faiblesse de la conscience, s'exprime ainsi: Rien n'est impur de soi-même, et une chose n'est impure qu'à celui qui la croit telle. (Rom. XIV, 14.) Vous le voyez, la souillure vient non de la chose elle-même, mais de la conscience qui est mal formée; et encore : Toutes les viandes sont pures, mais un homme fait mal d'en manger, lorsqu'en le (134) faisant il scandalise les autres. (Ibid. 20.) Remarquez encore que la souillure est contractée non par l'action de manger, mais par le scandale qu'elle cause.

3. Or cette souillure, la purification des Juifs l'effaçait; mais le bain qui donne la grâce fait disparaître non cette tache corporelle, mais celle qui, étant une véritable souillure, atteint le corps et l'âme; il purifie non ceux qui touchent des cadavres, mais ceux qui font des oeuvres de mort.

Seriez-vous impudique, seriez-vous fornicateur, idolâtre, auriez-vous commis n'importe quel crime, seriez-vous couvert de toutes les souillures qui peuvent flétrir un homme, plongez-vous dans la piscine de ces eaux saintes, et vous en sortez plus pur que les rayons du soleil. Ne croyez pas que j'exagère; écoutez saint Paul parlant de l'efficacité de ce bain spirituel : Ne vous y trompez pas, ni les idolâtres, ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les impudiques, ni ceux dont les débauches outragent la nature, ni les avares, ni les intempérants, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d'autrui ne posséderont le royaume de Dieu. (I Cor. VI, 9, 10.) Et en quoi, direz-vous, ces paroles touchent-elles à la question ? Montrez ce dont il s'agit, c'est-à-dire que la vertu du baptême efface ces souillures. Ecoutez donc ce qui suit : Vous avez été tout cela, mais vous avez été lavés, sanctifiés, justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit de notre Dieu. (Ibid. V, 11.) Nous nous proposions de vous dire que ceux qui s'approchaient de ce bain spirituel étaient purifiés de toute souillure, et voilà que nos paroles vous prouvent qu'ils sont non-seulement purifiés, ruais encore sanctifiés et justifiés. Car l'Apôtre ne dit pas seulement: Vous avez été purifiés, mais il ajoute : Vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés.

Quoi de plus admirable que de voir la justification produite sans travail, sans peine et sans le secours des bonnes oeuvres ! car telle est la grandeur de ce don divin que sans aucune peine il nous rend justes devant Dieu. Si une simple lettre très-courte signée par l'empereur peut rendre à la liberté des hommes chargés de toutes sortes de crimes et élever quelques-uns de ses sujets aux plus hautes dignités, combien plus l’Esprit-Saint, qui est tout-puissant, nous délivrera-t-il de toute iniquité, établissant en nous le règne de la justice et nous remplissant d'une confiance inébranlable.Voyez cette étincelle tombant dans le gouffre de la mer, aussitôt elle s'éteint, elle disparaît engloutie sous les flots; ainsi toutes les iniquités des hommes, quand elles tombent dans la piscine du bain sacré, sont anéanties; elles disparaissent plus vite et plus facilement que cette étincelle. Et pourquoi, direz-vous, si ce bain remet tous nos péchés, pourquoi l'appelle-t-on bain de la régénération et non pas bain de la rémission des péchés, bain de la purification? c'est parce que non-seulement il nous remet nos péchés, et nous purifie de nos souillures, mais que par lui nous recevons une seconde naissance. Oui, il nous crée de nouveau, il nous forme non en nous façonnant une seconde fois avec de la terre, mais en nous faisant sortir d'un autre élément qui est l'eau; il ne nettoie pas seulement le vase, mais il le refait de nouveau tout entier. Les vases que l'on purifie gardent toujours, quelques précautions que l'on prenne, des marques de la tache qui a été enlevée; mais ceux que l'on jette dans le fourneau pour les refondre, renouvelés par la flamme, déposent toute scorie et sortent de là aussi brillants que s'ils étaient entièrement neufs. Si quelqu'un prenait pour la refondre une statue d'or, toute noircie par le temps, la fumée, la poussière, détériorée par la rouille, il la rendrait très-pure et très-brillante; ainsi notre nature dégradée par la rouille du péché, obscurcie par nos crimes, comme par une fumée qui en ternit l'éclat, privée de sa beauté première, Dieu la refait pour ainsi dire, la plonge dans l'eau comme dans le creuset, la pénètre comme d'un feu, de la grâce du Saint-Esprit, et de là elle sort toute renouvelée, jetant un éclat qui surpasse la splendeur des rayons du soleil, car le vieil homme est brisé, et de ses débris sort un homme nouveau et plus brillant.

4. Or c'est à ce brisement mystique, à cette purification que le Prophète faisait allusion quand il disait : Vous les briserez comme un vase de potier. (Psal. II, 9.) Que ces paroles s'entendent des fidèles, c'est ce qui est évident par celles qui précèdent; les voici : Tu es mon fils; aujourd’hui je t'ai engendré : demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et ton empire s'étendra jusqu’aux extrémités de la terre.  (Ibid., VII, 8.) Vous l’entendez; il parle de l’Eglise, assemblée de toutes les nations, du royaume de Jésus-Christ établi partout. Puis il ajoute : Vous les conduirez avec (135) une verge de fer; il ne s'agit pas d'une autorité insupportable, mais forte : vous les briserez comme un vase de potier.

Ici le bain est pris dans un sens plus mystique; le Psalmiste ne dit pas des vases d'argile cuite, mais des vases de potier. Ici faites attention. Vous brisez un vase d'argile cuite , on ne peut le refaire, parce qu'il acquiert sous l'action du feu une dureté que rien ne saurait plus dissoudre. Mais les vases de potier, c'est-à-dire qui sont encore dans la main de l'ouvrier, et qui n'ont pas encore subi l'action du feu; ces sortes de vases, un ouvrier habile peut les broyer et leur redonner leur première forme. Aussi Dieu parlant d'un malheur irréparable, lire sa comparaison non d'un vase de potier, mais d'un vase d'argile cuite. Voulant montrer au prophète et aux juifs qu'il allait livrer la ville à une ruine dont elle ne se relèverait pas, il ordonna au prophète de prendre un vase d'argile cuite et de le briser en présence de tout le peuple en disant : Ainsi, la ville sera anéantie, brisée. (Jérém. XIX, 11.) Veut-il au contraire lui laisser la douceur de l'espérance, c'est sur le potier qu'il attire l'attention du prophète; il lui met sous les yeux non un vase d'argile cuite , mais un vase de terre échappant à la main de l'ouvrier, et il dit: Si le potier redonné sa première forme à ce vase qui vient de tomber, et plus forte raison puis-je, moi, vous relever et vous quérir de votre chute. (Jérém. XVIII, 6.) Oui, Dieu peut, par le bain de la régénération, nous corriger, nous hommes de boue; bien plus, quand nous avons subi l'action du Saint-Esprit, et qu'ensuite nous sommes retombés, il peut, par une sévère pénitence, nous rendre tels que nous étions avant notre chute.

Mais ce n'est pas le moment de parler de pénitence : Ah ! fasse le ciel que jamais vous n'ayez besoin de ces remèdes; puissiez-vous plutôt conserver intacte cette beauté, rester toujours avec cet éclat qui vous appartiendra bientôt ! Or, pour qu'il en soit ainsi, disons un mot de la manière dont vous devez régler votre vie. Dans la carrière que vous parcourez actuellement, jeunes athlètes, vos chutes ne sent pas dangereuses; vous vous exercez pour ainsi dire dans la maison, et les coups retombent sur ceux qui vous instruisent. Mais voici bientôt venir le temps des vrais combats le stade est ouvert, voilà les spectateurs sur les gradins de l'amphithéâtre, à leur tête est le président des jeux ; alors point de milieu ou tomber lâchement et se retirer couvert de honte, ou se comporter en brave et obtenir la couronne et le prix; ainsi ces trente jours sont pour vous des jours de lutte, d'apprentissage, d'exercice. Dès ce moment apprenons à vaincre le malin esprit, car une fois baptisés, il faudra descendre dans l'arène, lutter avec lui, le combattre à outrance. Dès maintenant apprenons à connaître ses stratagèmes, ce qui le rend si méchant, d'où vient que ses coups nous atteignent si facilement, afin que le temps de la lutte arrivé, la nouveauté du combat ne déconcerte pas notre courage, mais que préparés, exercés , instruits des ruses de l'adversaire , nous l'abordions avec une entière confiance.

De tous côtés le démon nous tend des piéges, il arme principalement contre nous notre langue et notre bouche. Une langue toujours en mouvement, une bouche qui n'est jamais fermée, c'est là l'organe dont le démon se sert le plus souvent pour nous tromper et nous perdre. De là pour nous la source de beaucoup de fautes à l'occasion de péchés graves. Qu'il est facile de pécher par la langue ! écoutez cette sentence : Le glaive fait beaucoup de victimes, la langue davantage encore. (Eccli. XXVIII, 22.) La sentence suivante, qui est du même auteur, nous montre combien cette chute est grave Il vaut mieux tomber sur le pavé que de pécher par la langue. (Eccli. XX, 20.) Ce qui veut dire: il vaut mieux tomber et se briser les membres que de proférer une parole qui puisse perdre notre âme. Non-seulement l'auteur parle des fautes que l'on peut faire, mais il nous exhorte à veiller avec le plus grand soin pour ne pas nous laisser surprendre : Placez, dit-il, à votre bouche une porte et des verroux. (Eccli. XXVIII, 28.) Ces paroles ne se doivent pas prendre dans le sens littéral, elles signifient que nous devons avec le plus grand soin interdire à notre langue les paroles inconvenantes. Avec notre effort personnel, et même avant notre effort personnel, nous avons besoin du secours d'en-haut pour pouvoir dompter la bête féroce que chacun de nous porte au dedans de soi; c'est ce que le Prophète nous enseigne en disant: J'élève les mains pour offrir le sacrifice du soir; placez, Seigneur, une garde à ma bouche et à mes lèvres une porte qui s'ouvre à propos. (Psal. CXL, 2-3.) Et celui que je citais tout à l'heure dit encore: Qui placera (136) une garde à ma bouche et sur mes lèvres le sceau de la prudence? (Eccl. XXII, 33.)

Tous, ne le voyez-vous pas, craignent les fautes que la langue fait commettre, les pleurent, donnent des conseils et recommandent de prendre beaucoup de précautions. Et pourquoi, direz-vous, si la langue nous expose à de si grands dangers, pourquoi Dieu nous l'a-t-il donnée en nous créant? parce qu'elle nous procure aussi de grands avantages et que si nous voulons veiller sur nous, elle nous est utile et nullement préjudiciable. Ecoutez encore le même auteur : En la puissance de la langue sont la vie et la mort. (Prov. XVIII, 21.) Le Christ dit la même chose: Vous serez condamné par vos paroles, et vous serez justifié par vos paroles. (Math. XII, 37.) Ici le mal, là le bien, la langue est comme au milieu: vous êtes le maître.

Ainsi, voilà un glaive: servez-vous-en pour percer l'ennemi, il devient entre vos mains un instrument de salut; si vous vous blessez, ce n'est pas le fer lui-même, mais le mauvais usage que vous en faites qu'il faut accuser.  Il en est de même de la langue: c'est un glaive dont vous pouvez disposer selon votre gré: servez-vous-en pour accuser vos péchés et non pour blesser votre frère. Aussi Dieu l'a-t-il entourée d'une double barrière, les dents et les lèvres, de peur qu'agissant à la légère vous ne soyez portés trop facilement à dire ce qui ne convient pas. Mettez donc un frein à votre langue. Veut-elle s'en débarrasser? Servez-vous de vos dents pour la châtier, qu'elles remplissent par leurs morsures l'office de bourreau. Il vaut mieux que la langue soit déchirée sur la terre par les morsures, en punition de ses fautes que desséchée dans l'autre vie, réclamant pour se rafraîchir une goutte d'eau qui ne lui sera pas accordée. De combien de péchés n'est-elle pas l'instrument? Paroles injurieuses, blasphèmes, propos impudiques, flatteries, jurements, parjures !

5. Mais pour ne pas accabler vos esprits sous l'abondance excessive des matières, ne parlons aujourd'hui que de l'obligation d'éviter les jurements. Je vous préviens que jusqu'à ce que vous évitiez, je ne dis pas seulement les parjures mais  même les serments faits pour une  juste cause, je ne traiterai pas, d’autre question ; il serait absurde, quand vous n’avez pas encore bien appris les premiers éléments, de vouloir vous pousser plus avant ; ce serait  puiser de l'eau avec un tonneau percé : ainsi les maîtres ne transmettent à leurs élèves des enseignements nouveaux que quand ils voient les premiers bien gravés dans leur mémoire,

Prenez donc bien la chose à coeur si vous ne voulez pas arrêter le cours de nos instructions. Faire serment, c'est un péché grave et très-grave; et cela précisément parce qu'il ne paraît pas tel; je le crains, d'autant plus qu'on le craint moins; mal incurable parce qu'on ne croit pas que ce soit un mal. Parce qu'une simple parole n'est pas un crime, on se figure que le serment n'en est pas un, et sans méfiance on tombe dans cette faute; si quelqu'un en fait l'observation, alors on se moque, on rit aux éclats, non de ceux qui sont réprimandés , mais de ceux qui prétendent guérir cette maladie.

Aussi je veux m'étendre sur ce sujet; le mal est très-enraciné, je veux l'arracher, le faire disparaître, et je ne parle pas seulement des parjures, mais des serments faits pour une cause juste.

Je prévois votre objection : un tel, qui est un homme vertueux, réservé, pieux, un prêtre, ne laisse pas pourtant de jurer.

De grâce ! ne me parlez pas de cet homme modeste, réservé, pieux, honoré du sacerdoce; mais supposez même Pierre, Paul, ou un ange descendu du ciel; oui, supposez cela, tant il s'agit peu ici d'une question de personne. Je lis la loi sur le serment, elle émane non des serviteurs, mais du Seigneur lui-même : or quand c'est le souverain qui parle, on laisse de côté l'autorité du serviteur. Si vous osez me dire que le Christ a ordonné le serment ou qu'il l'a laissé sans punition, montrez-le-moi et je me soumets.

Mais s'il l'interdit formellement et s'il attache à cette défense une telle importance qu'il compare celui qui fait des serments au démon lui-même : Or ce qui va au delà de ces paroles oui et non, est du démon (Matth. V, 37), pourquoi venez-vous me parler de l'autorité de celui-ci ou de celui-là? Dieu rendra sa sentence non d'après la désobéissance de quelques-uns de ses serviteurs, mais d'après les injonctions de ses lois. J'ai ordonné, dira-t-il, il fallait obéir, ne pas mettre en avant l'autorité de celui-ci ou de celui-là, ni s'enquérir trop minutieusement des fautes des autres. David , cet homme si grand, est tombé dans une faute grave; s'ensuit-il, dites-moi, que nous puissions pécher sans danger ? Il faut donc se mettre sur ses gardes et n’imiter dans les saints que les bons (137) exemples qu'ils nous ont laissés. Mais si nous rencontrons dans leur vie quelque négligence ou quelque désobéissance à la loi, nous devons les éviter avec le plus grand soin. Car ce n'est pas aux saints qui sont comme nous d'humbles serviteurs, mais au souverain Maître que nous avons affaire, et c'est à lui-même que nous rendrons compte de toutes les actions de notre vie. Préparons-nous donc à paraître devant ce tribunal; quelque admirable, quelque grand que soit celui qui a transgressé cette loi, le châtiment est là pour punir son crime, il le subira Dieu ne fait acception de personne.

            Comment pourrons-nous éviter ce péché? Il ne suffit pas de montrer que c'est un péché grave, il faut encore indiquer le moyen de ne pas le commettre. Vous avez une épouse, des enfants, un ami, des parents, des voisins, priez. les de veiller sur vous et chargez-les du soin de vous reprendre. C'est quelque chose de grave qu'une habitude : il est difficile de la faire disparaitre, difficile de se mettre en garde contre ses entraînements; elle nous surprend et cela quelquefois malgré nous. Donc, plus vous connaissez la force de la mauvaise habitude, plus vous devez redoubler d'efforts pour vous en délivrer et pour en contracter une bonne. De même qu'elle a pu devenir plus forte que vous, et que malgré vos soins , vos précautions et votre continuelle vigilance, elle vous fait tomber, de même si vous contractez la bonne habitude de ne plus faire de serments, vous ne serez plus entraînés malgré vous lors même que votre vigilance sera par hasard en défaut. Oui, c'est une grande chose que l'habitude, - c'est une seconde nature : pour ne pas être obligés de lutter toujours, prenons une autre habitude. Prions en grâce ceux avec lesquels vous vivez de vous engager à éviter le serment, qu'ils vous y habituent, qu'ils vous reprennent quand vous vous oubliez. Cette vigilance qu'ils exerceront sur vous leur profitera à eux-mêmes de conseil et d'exhortation pour bien faire; car celui qui avertit son prochain ne tombera pas aussi facilement lui-même dans le précipice qu'il veut faire éviter, Et c'est vraiment un précipice que l'habitude de prêter serment, non-seulement quand il s'agit de choses de peu d'importance, mais même quand il s'agit de choses graves. Pour nous, nous ne saurions, par exemple, acheter des légumes, soutenir une contestation pour deux oboles, quereller et menacer nos serviteurs sans prendre Dieu à témoin. Pour de pareilles futilités vous n'oseriez pas appeler en témoignage devant un tribunal un homme de grande naissance ou revêtu de quelque dignité si peu considérable qu'elle soit; et si vous aviez cette audace, vous subiriez le châtiment qu'elle mérite : et le Roi des cieux, le Seigneur des anges, vous ne craignez pas de le prendre à témoin quand il est question de marchandises, d'argent, ou d'autres misères de ce genre ! Est-ce supportable? Comment donc pourrons-nous rompre avec cette mauvaise habitude? en plaçant autour de nous les gardiens dont j'ai déjà parlé, en nous fixant à nous-mêmes un terme pour notre amendement et en nous infligeant une punition, si, ce temps écoulé, nous ne sommes pas corrigés. Mais combien nous faudra-t-il de temps? Pour ceux qui veillent avec soin et sont animés d'un véritable zèle, je ne crois pas qu'il faille plus de dix jours pour couper le mal jusque dans sa racine. Si après ces dix jours nous sommes surpris en flagrant délit, imposons-nous une peine plus considérable, un châtiment en rapport avec la grandeur de notre faute.

Ce châtiment, quel sera-t-il? je ne le détermine pas, je vous laisse les maîtres.

Si nous agissons de la sorte pour les choses qui nous concernent, nous nous corrigerons non-seulement de l'habitude de jurer, mais encore de toute autre habitude mauvaise. Fixons-nous un terme, punissons-nous sévèrement si nous tombons, et purifiés, nous approcherons de notre Dieu; nous éviterons les peines de l'enfer, nous nous présenterons avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ.

C'est ce que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, dans les siècles des siècles, ainsi qu'à Dieu le Père, en l'unité du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

 

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DEUXIÈME CATÉCHÈSE

 

Adressée à ceux qui se disposent à recevoir le baptême. — Des femmes qui composent avec trop d'art leur chevelure et qui portent des ornements d'or; contre ceux qui se livrent aux superstitions païennes, telles que présages, ligatures, enchantements ; toutes choses sévèrement condamnées pas la doctrine chrétienne.

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

La seconde Catéchèse lut prêchée la même année 387; ce qui paraît en ce qu'elle rappelle le souvenir de la sédition d'Antioche, comme d'un fait qui n'était point éloigné. — L'orateur explique le nom de fidèle que l'on recevait par le baptême. — On le donnait aux nouveaux baptisés, parce qu'ils croyaient en Dieu, et parce que Dieu leur confiait la justice, la sainteté, la pureté de l'âme, l'adoption, le royaume des cieux; et parce que les nouveaux baptisés lui contaient aussi de leur côté leurs aumônes, leurs prières, leur humilité et toutes leurs autres vertus. — Le saint Docteur s'étend ensuite sur les obligations qu'imposait le baptême, fait sentir aux catéchumènes l'étendue des promesses renfermées dans ces paroles : Je renonce à Satan, et montre de quelle conséquence il est de ne point souiller l'excellente image que Dieu trace dans l'âme des baptisés. — Il leur conseille dont de répéter sans cesse ces paroles : Je renonce à Satan et à ses pompes, mais en même temps de remplir ce que ce renoncement signifie : « J'appelle pompe diabolique, dit-il, le théâtre, le cirque, la superstitieuse observation des jours, les présages, les ligatures, les enchantements et autres abominations semblables, dont un homme élevé dans la doctrine de Jésus-Christ doit avoir horreur. » (DOM REMY CEILLIER.)

 

1. Il n'y a que peu de jours, mes frères, que je vous ai parlé, et je viens déjà réclamer les fruits de mon instruction. Nous ne parlons pas en effet que pour vos oreilles, mais pour vos esprits, afin qu'ils retiennent nos paroles, et pour que vous nous le fassiez voir par vos oeuvres, ou plutôt pas à nous, mais à Dieu qui connaît le fond des cœurs. Aussi appelons-nous notre instruction Catéchèse, parce qu'il faut que même en notre absence l'écho de nos paroles retentisse dans vos âmes. Ne vous étonnez pas, si après un délai de six jours seulement je viens pour réclamer les fruits de la semence que j'ai répandue; en effet, semer et moissonner le même jour dans les âmes n'est pas chose impossible, par la raison que ce n'est point appuyés sur nos seules forces, mais sur le secours divin que nous sommes invités aux combats contre le mal. O vous donc, qui avez reçu nos paroles et les avez mises en pratique, persévérez et avancez ! et vous qui n'avez point encore mis la main à l'oeuvre, commencez dès maintenant, et qu'à l'avenir vos efforts vous sauvent de l'accusation de négligence ! On peut toujours, si négligent qu'on ait été, on peut, avec de la diligence, réparer le temps perdu. Ecoutez le Psalmiste : Si aujourd'hui vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs comme au jour de la colère. (Ps. XCIV, 8.) C'est nous avertir et nous conseiller de ne (139) jamais désespérer, mais, tant que nous sommes en ce inonde, de conserver l'espérance que nous arriverons au but et que nous obtiendrons la palme de notre glorieuse vocation. Suivons ces conseils, et recherchons les noms de la grâce si précieuse que nous recevrons bientôt. Quand on ignore l'importance d'une fonction, on en tient moins de compte, on la remplit avec plus de négligence;mais si on la connaît, on l'exerce avec plus de zèle et d'intérêt. Pour nous en particulier, à qui Dieu accorde un si grand honneur, ne serait-ce pas une honte et une absurdité d'en ignorer les noms et le sens de ces noms? Mais pourquoi parlé-je de la grâce baptismale? Notre nom générique lui-même, bien compris, sera pour vous une leçon et un encouragement à la plus haute vertu. Nous ne définissons pas en effet le mot homme, comme les profanes, mais comme le veut la sainte Ecriture. N'est pas un homme quiconque a simplement des mains et des pieds d'homme, ou est seulement doué de raison, mais celui qui remplit fidèlement les devoirs de la piété et de la vertu. Voici comment la sainte Ecriture nous parle de Job. Après ces paroles Il y avait en la terre d'Ausitide, un homme, elle ne nous le dépeint pas à la manière païenne, elle ne dit pas qu'il avait deux pieds et de larges ongles. Mais nous retracent les marques de sa piété, elle dit : Un homme juste, sincère, honorant Dieu, et s'abstenant de tout mal (Job, I, 1.), nous indiquant ainsi ce qui fait l'homme. C'est ce que nous dit aussi l'Ecclésiaste : Craignez Dieu, observez ses commandements, car c'est là tout l'homme. (Eccle. XII, 13.) Mais si ce nom d'homme a tant de force pour exhorter à la vertu, que sera-ce de ce mot fidèle ? Pourquoi, en effet, êtes-vous appelés fidèles ? N'est-ce pas parce que vous croyez eu Dieu, et que vous- gardez fidèlement la justice qu'il vous a donnée, la sainteté, la pureté de l'âme, votre divine adoption-, le royaume des cieux, tous biens qu'il vous a recommandés? N'est-ce pas parce qu'en retour vous lui avez confié et recommandé d'autres trésors, l'aumône, vos prières, la sagesse et tonte autre vertu. Et que parlé je d'aumône? Si vous lui donnez un verre d'eau froide, vous ne le perdrez même pas, il vous le conservera avec soin pour le grand jour, et il vous le rendra au centuple; ce qu'il y a d'admirable, en effet, c'est qu'il ne conserve pas seulement les dépôts, mais il les multiplie encore par ses largesses.

Imitez-le donc selon votre pouvoir, et d'après son ordre, dans tout ce qu'il vous a confié. Ajoutez à la sainteté que vous avez reçue; faites briller et éclater davantage la justice et la grâce de votre baptême; agissez comme saint Paul qui augmentait chaque jour par ses travaux, par son activité et son zèle les richesses que Dieu lui avait communiquées. Remarquez ici la suprême sagesse de Dieu. Il ne nous a pas tout donné; il ne nous a pas tout refusé. Il nous a fait des dons, il nous a fait des promesses. Mais pourquoi ne vous a-t-il pas tout accordé dès ici-bas ? C'est pour que vous prouviez votre confiance en lui, croyant sur sa seule promesse aux faveurs que vous n'avez point encore obtenues. Et pourquoi d'un autre côté n'a-t-il pas tout réservé pour l'autre Nie, mais vous a-t-il fait part des grâces du Saint-Esprit, de la justice et de la sanctification ? C'était pour alléger vos peines, et, par ses dons passés, vous établir dans une solide espérance de ses dons à venir. Aussi doit-on vous appeler un nouvel illuminé. Pour vous, en effet, si vous le voulez; la lumière est toujours nouvelle, et ne s'éteint jamais. Ce jour qui éclaire les yeux de nos corps ne luit pas constamment, et sans prendre nos ordres la nuit vient régulièrement l'interrompre, mais le jour divin, jamais les ténèbres n'ont prévalu sur lui. La lumière a brillé dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise. (Jean, I, 15.) Le soleil levant verse moins de rayons sur le monde, que l'Esprit -Saint ne répand de splendeur sur une âme qu'il Inonde de sa grâce. Considérez avec attention ce qui se passe dans la nature. Quand la nuit couvre la terre de ses ombres épaisses , aperçoit-on une corde , souvent on la prend pour un serpent ; si un ami s'approche, on le fuit comme un ennemi; le moindre bruit nous épouvante. Mais dans le jour rien de pareil; les objets nous apparaissent tels qu'ils sont. Voilà ce qui arrive dans notre âme. A peine la grâce l'a-t-elle visitée, a-t-elle chassé les ténèbres de notre esprit, crue nous voyons les choses dans.leur réalité. Alors ce qui nous effrayait auparavant nous paraît méprisable; nous ne craignons plus la mort, le baptême nous a convaincu qu'elle n'est point une mort, mais un repos, un sommeil passager. Et la pauvreté, la maladie, et d'autres semblables misères, pourquoi les redouteraient-ils, ceux qui aspirent à une vie meilleure, sans fin, (140) sans vicissitudes, et exempte de toute inégalité.

2. Ne soupirons donc plus après les biens périssables, après les plaisirs de la table, et la parure des vêtements. N'avez-vous pas en effet l'habit le plus précieux, un festin spirituel et la gloire du ciel? Jésus-Christ ne s'est-il pas fait tout pour vous , et la table et le vêtement, et la demeure, et le chef et la racine? Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu Jésus-Christ. (Gal. III, 27.) Le voilà votre vêtement. Voulez-vous savoir comment il est votre table? Comme je vis pour mon Père, dit-il, ainsi celui qui me mange vivra pour moi. N'est-il pas aussi votre demeure? Celui qui mange ma chair demeure en moi et je demeure en lui. (Jean, VI, 57, 58.) Puis il est votre racine: Je suis la vigne et vous en êtes les branches. A se nomme également votre frère, votre ami, votre époux. Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, car vous êtes mes amis. (Jean, XV, 5, 15.) Ecoutez saint Paul: Je vous ai fiancés à votre unique époux pour vous présenter comme une vierge sans tache à Jésus-Christ. (II Cor. XI, 2.) Et encore : Afin qu'il soit lui-même le premier-né entre beaucoup de frères. (Rom. VIII, 29.) Il n'est pas même satisfait du nom de frères, nous sommes ses petits enfants : Me voici avec les petits enfants que Dieu m'a donnés. (Isaïe, VIII, 18.) Il va plus loin; nous sommes ses membres et son corps (I Cor. XII, 27) ; et comme si toutes ces grâces ne suffisaient pas pour nous convaincre de sa bonté et de son amour,il nous en donne encore une preuve et plus forte et plus touchante: il s'appelle notre tête. (Ephés. I, 22.)

Connaissez tous les bienfaits de Jésus-Christ et témoignez, mon cher frère, votre reconnaissance à votre bienfaiteur par une conduite vertueuse; et que la pensée de ce sacrifice si grand vous porte à honorer les membres de votre corps. Réfléchissez à ce que saisit votre main, et ne la laissez frapper aucun de vos frères; qu'honorée d'un si noble don, elle ne se déshonore pas par de criminelles blessures. Oui, pensez à ce qu'elle saisit, et gardez-la pure de toute avarice et rapine. Ce n'est pas seulement votre main qui saisit, c'est encore votre bouche qui reçoit les dons du ciel, et défendez à votre langue toutes paroles injurieuses, impudiques, blasphématoires, parjures, et autres pareilles iniquités. Quel sacrilège, si une langue qui touche aux plus redoutables mystères, une langue empourprée du sang d'un Dieu, et devenue plus précieuse que l'or, se changeait en une épée meurtrière, en instrument d'insultes, d'outrages et d'ignobles plaisanteries ! Respectez donc l'honneur que Dieu lui a fait, et ne la faites point servir au péché.Remarquez encore qu'après la main et la langue c'est le coeur qui reçoit nos augustes mystères: n'ourdissez donc jamais la fraude contre votre prochain; et que votre âme reste exempte de toute méchanceté. Vous pourrez ainsi préserver et vos oreilles et vos yeux. Combien n'est-il pas inconvenant en effet qu'après cette mystérieuse voix descendue du ciel , et des chérubins, nos oreilles se laissent profaner par des chants lascifs et efféminés ! ne mérite-t-on pas le dernier châtiment, si de ces yeux, qui ont contemplé nos secrets et vénérables mystères, l'on regarde des prostituées, et l'on commet l'adultère dans son, coeur? Vous êtes convié à des noces, mon ami, n'y entrez pas avec une robe souillée ; mais prenez un vêtement digne de la solennité. L'homme le plus pauvre, engagé à des noces mondaines, souvent achète ou emprunte un habit convenable, et se présente ainsi à ceux qui l'ont invité. Mais vous, vous êtes appelé à un mariage spirituel, à un banquet royal; considérez combien vous êtes obligé. de vous procurer une robe nuptiale. Mais ne cherchez pas ce vêtement, c'est inutile; Celui qui vous invite vous en donne un gratuitement; vous ne pouvez donc pas vous excuser sur votre pauvreté. Mais conservez-le, cet habit, car si vous le perdiez, vous ne pourriez plus en acheter ou en emprunter un autre; ce vêtement précieux, en effet, ne se vend nulle part. Avez-vous entendu les gémissements des initiés qui l'avaient perdu, et comment ils se frappaient la poitrine , déchirés par les remords de leur conscience ? Prenez garde, mon cher frère, d'éprouver un jour le même sort. Mais comment l'éviterez-vous si vous ne rompez avec vos mauvaises habitudes ? Aussi je l'ai déjà dit, je le dis encore, et toujours je le répéterai : si quelqu'un ne corrige pas ses moeurs vicieuses, et ne se rend la vertu facile , qu'il ne reçoive pas le baptême. Le baptême sans doute peut effacer nos premiers crimes. Mais combien n'est-il pas à craindre, combien n'est-il pas dangereux que nous n'y revenions, et que le remède ne se change en poison ! Plus en effet la grâce a été abondante, plus terrible est le châtiment pour ceux qui retombent.

3. Ne retournons donc plus à notre ancien vomissement, dès aujourd'hui instruisons-nous nous-mêmes. Or, sur la nécessité d'un repentir antérieur, d'un divorce avec nos précédentes iniquités, pour s'approcher du sacrement, écoutez les paroles de saint Jean-Baptiste et du prince des apôtres à ceux qui devaient être baptisés : Faites de dignes fruits de pénitence, s'écrie le premier, et ne commencez point ci dire: nous avons Abraham pour père. (Luc, II, 8.) Et le second, répondant aux questions qu'on lui adressait : Faites pénitence, dit-il, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Act. II, 38.) Or, celui qui fait une vraie pénitence ne commet plus les fautes dont il s'est repenti. C'est pourquoi l'on nous fait dire: Je renonce à toi, Satan, pour que nous ne retournions plus sous son empire. En ce moment imitons donc les peintres : Ils déploient d'abord leurs toiles, ils les environnent de lignes blanches, ils dessinent des figures, l'image d'un roi, peut-être; mais avant d'appliquer les couleurs, en toute liberté ils effacent, ils ajoutent, changent et transposent les traits manqués et mal réussis. Mais les couleurs une fois appliquées, ils ne sont plus libres d'effacer pour recommencer; ils gâteraient leur tableau, ils pécheraient contre les règles de leur art. Suivez cet exemple, et regardez votre âme comme un portrait que vous avez à peindre. Avant donc que le Saint-Esprit vienne y passer son divin pinceau, effacez vos mauvaises habitudes. Ainsi , êtes-vous dans l'habitude de jurer, de mentir, de proférer des paroles outrageantes ou déshonnêtes, ou de vous livrer à des bouffonneries, à toute autre action défendue? bien ! détruisez cette habitude, pour ne point y revenir après le baptême. L'eau sainte efface le péché; mais c'est à vous de corriger les coupables habitudes. Les couleurs sont appliquées, l'image royale resplendit par l'effet du coloris : n'effacez plus, ne faites ni déchirures ni taches à la beauté que Dieu vous a donnée.

Réprimez donc la colère, éteignez les flammes de la fureur; ou bien si quelqu'un vous injurie et vous outrage, poursuivez-le de vos armes et non de votre indignation; de votre pitié et non de votre ressentiment; et ne dites pas : Je suis blessé dans mon âme. L'injure n'atteint pas notre âme, à moins que nous ne nous la fassions à nous-mêmes. En voici la preuve.On a dérobé votre bien; vous a-t-on blessé dans votre âme? non, mais dans votre fortune.

En gardez-vous du ressentiment? alors vous blessez vous-même votre âme. Le vol en effet n'a pas nui à votre âme, il lui a même été avantageux; mais vous, qui n'oubliez pas votre colère, vous serez puni pour avoir conservé la mémoire de cette offense. Quelqu'un vous a-t-il indignement méprisé, insulté, quel tort a-t-il fait à votre âme, et même à votre corps? Mais lui avez-vous rendu ses insultes et ses mépris, alors vous avez fait du mal à votre âme, et vos paroles recevront un jour leur châtiment. Voici une vérité dont je voudrais avant tout bien vous convaincre : c'est que personne, pas même le démon, ne peut faire tort à un chrétien, à un fidèle dans son âme; et ce qui est admirable, ce n'est pas seulement que Dieu nou&ait rendus supérieurs à toutes les embûches, mais encore qu'il nous ait donné de l'aptitude pour la pratique de toutes les vertus. Pour une bonne volonté, il n'est aucun obstacle, fussions-nous pauvres, faibles, vils, méprisables ou esclaves. Non, ni l'indigence, ni la faiblesse, ni la mutilation, ni la servitude, ni aucun autre accident semblable ne peuvent entraver la vertu. Et que parlé je de pauvre, d'esclave, d'homme abject? Les chaînes mêmes ne peuvent nous ôter la faculté d'être vertueux. Par exemple : un de vos compagnons vous a contristé, irrité, pardonnez-lui. Est-ce que la captivité, la pauvreté, l'abjection vous en empêchent? Non; elles vous y aident plutôt, car elles contribuent à la répression de votre orgueil qui se révolte. En voyez-vous un autre réussir dans ses affaires ? n'en soyez point jaloux; la pauvreté ne s'y oppose pas. S'agit-il de prier? faites-le avec modestie et recueillement; la pauvreté n'y met pas d'obstacle. Soyez obligeant, affable à tous, réservé, honnête; ces vertus n'ont pas besoin de secours étrangers. Et voilà en effet le mérite de la vertu, c'est qu'elle n'a pas besoin de richesses, de puissance, ni de gloire, ou de rien de semblable ; une âme sanctifiée lui suffit, elle n'en demande pas davantage. Telle est l'opération de la grâce : quelqu'un est-il boiteux, aveugle, mutilé, accablé de la plus extrême infirmité, rien n'empêche la grâce de le visiter. Elle ne demande qu'une âme qui la reçoive en toute affection, et ne prête aucune attention aux avantages extérieurs. Ceux qui enrôlent des soldats dans la milice profane recherchent la beauté de la taille et la vigueur de la constitution; ces avantages ne suffisent pas pour le (142)

service; il faut encore la liberté : tout esclave est rejeté. Or le roi des cieux ne fait pas ces enquêtes; il admet dans son armée les esclaves, les vieillards, les invalides, et il n'en rougit point. Peut-on voir une bonté, une obligeance plus grandes ? Pour nous, on ne nous demande que ce qui est en notre pouvoir; mais le monde réclame ce qui n'est pas à notre disposition. En effet, est-ce que la liberté ou l'esclavage dépendent de nous, ainsi que la grandeur ou la brièveté de la taille, ou la vieillesse, ou tout autre accident pareil? Mais il ne tient qu'à notre volonté de pratiquer la bonté, la douceur, et autres vertus semblables. Dieu n'exige de nous que ce qui est en notre pouvoir, et la raison en est facile à concevoir : ce n'est point par intérêt, mais par bonté qu'il nous appelle à la jouissance de sa grâce; les rois de la terre, au contraire, n'attirent à eux que ceux dont le service leur est utile; les guerres auxquelles ils envoient leurs soldats sont des guerres matérielles et visibles, mais Dieu soumet les siens à l'épreuve des combats spirituels et invisibles: Les jeux publics nous offriraient aussi un terme de comparaison. Ceux qui se disposent à paraître sur le théâtre de ces jeux ne sont admis à descendre en lice qu'après qu'un héraut les a promenés tout autour de l'assemblée en disant à haute voix : quelqu'un a-t-il un reproche à faire à l'athlète? Comment ! il s'agit d'une lutte purement corporelle, et où l'âme n'est pour rien, et il faut, pour y être admis, pouvoir présenter certaines conditions de noblesse ! C'est tout le contraire pour la lice des combats spirituels : ici les luttes n'ont pas lieu par l'entrelacement des mains; mais la sagesse de l'âme et la vertu du coeur décident seuls de la victoire, et cependant le juge des jeux n'exige nullement de l'athlète qu'il produise ses titres de noblesse; il ne le fait point conduire sous les yeux des spectateurs, en demandant : quelqu'un a-t-il quelque chose à reprocher à celui-ci? Mais voici ce qu'il proclame : Quand tous les hommes, quand tous les démons, leur prince en tête, se lèveraient pour l'accuser et lui reprocher les dernières hontes, je ne le rejetterai pas, je ne le réprouverai pas; au contraire, je le délivrerai de ses accusateurs, je l'affranchirai de son iniquité, et ensuite je le mènerai au combat. Autre différence : dans les jeux publics le président n'aide pas les combattants à vaincre, il faut qu'il reste neutre; au contraire, dans l'espèce de combat où Dieu préside, il est l'auxiliaire de la vertu, et il prend une part active à la lutte contre le diable.

4. Voici ce qu'il y a de merveilleux: non-seulement Dieu remet les péchés, mais il ne les révèle pas, il ne les fait pas connaître, il n'oblige pas les coupables à les accuser en public, mais il leur recommande de n'en rendre compte et de ne les confesser qu'à lui seul. Si un juge de ce monde disait à un voleur pris sur le fait ou à un violateur des tombeaux; avoue ton crime, et je te délivrerai; avec quelle joie, sacrifiant la honte à l'amour de la vie, n'accueillerait-il pas cette parole? Pour nous, rien de pareil. Le péché est remis, et l'on n'est point tenu de le dévoiler devant des assistants. Dieu ne demande qu'une chose, c'est que le pénitent absous comprenne la grandeur du bien. fait. Mais quelle absurdité ! Dieu nous comble de faveur et se contente de notre témoignage; et nous, dans les hommages que nous lui rendons, nous voulons d'autres témoins, et nous n'agissons que par ostentation? Ah ! plutôt, pleins d'admiration pour sa bonté, offrons-lui tout ce que nous possédons; et avant tout réprimons la fougue de notre langue, et ne parlons pas sans cesse: Les longs discours ne seront point exempts de péché. (Prov. X, 49.) Si vous avez quelque chose d'utile à dire, dites-le; si vous n'avez rien de pressant, taisez-vous, cela vaut mieux.

Travaillez-vous des      mains ? chantez en travaillant : vous ne voulez pas chanter de bouche? chantez de coeur. Le psaume est un utile compagnon. Vous n'en souffrirez aucun dommage, et vous pourrez vous trouver dans votre maison comme dans un monastère. Ce n'est point en effet la convenance des lieux, mais la sainteté de la vie qui nous fera jouir de la paix. Paul, exerçant son art dans un atelier, en vaut-il moins? Ne dites donc point : comment,, pauvre artisan que je suis, pourrai-je suivre la perfection chrétienne? C'est précisément ce qui vous donnera plus de facilité. Car la pauvreté est plus favorable à la piété que les richesses, et la vie occupée plus que l'oisiveté. Si l'on n'y prend garde, en effet, les richesses nous sont un obstacle. Mais faut-il calmer sa colère, étouffer l'envie, réprimer ses violences, faire oraison? faut-il se montrer honnête, doux, réservé, charitable? quel empêchement la pauvreté peut. elle y apporter? ce n'est point avec de l'argent que l'on pratique ces vertus, mais avec la (145) bonne volonté. L'aumône sans doute a besoin de richesses, mais la pauvreté la fait briller davantage. Celle en effet qui donna deux oboles, n'était-elle pas très-pauvre? et cependant elle eut plus de mérite que tous les autres. N'attachons donc pas d'importance à la for. tune, et ne donnons pas plus de prix à l'or qu'à la boue. La matière n'a pas de valeur par elle-même, mais d'après notre opinion. Pour un homme sérieux, le fer même est bien plus nécessaire que l'or. De quelle utilité en effet est l'or dans les besoins de la vie? au contraire le fer, employé dans un grand nombre de professions, nous procure la plupart des choses indispensables. Mais pourquoi comparer l'or et le fer? Les pierres même communes sont plus nécessaires que les pierres précieuses. Avec les unes on ne peut rien faire d'utile, mais avec les autres nous construisons des maisons, des remparts et des villes. Montrez-moi donc de quel avantage sont ces pierres précieuses, ou plutôt quel préjudice n'en découle point ! En effet, pour que vous portiez une perle, il faut affamer une foule de pauvres. Quelle excuse présenterez-vous, quelle indulgence obtiendrez-vous donc?

Voulez-vous embellir votre visage? n'employez pas les pierres précieuses, mais la modestie et l'honnêteté, et votre époux vous trouvera plus aimable. Souvent en effet que résulte-t-il de la parure? des soupçons jaloux, des inimitiés, des injures, des luttes. Or est-il rien de plus désagréable qu'un visage suspect? au contraire la beauté de l'aumône et de la chasteté exclut tout soupçon défavorable ; elle attache un mari plus fortement que toutes les chaînes. La nature en effet décore moins un visage que l'amour de celui qui le contemple; or rien n'attire cet amour comme la réserve et la pudeur. Aussi qu'une femme soit belle, si son époux est mal disposé à son égard, elle lui paraîtra la plus désagréable du monde; mais serait-elle privée de grâces, si elle lui plaît, il la regardera comme,la plus aimable de toutes. Nos jugements en effet ne se forment pas d'après la nature des choses qui nous frappent, mais d'après le sentiment de l'âme qui les voit par les yeux. Parez donc votre visage, mais que ce soit avec la modestie, l'honnêteté , l'aumône , l'affabilité , la charité, que ce soit avec la tendresse pour votre mari, votre douceur, votre bonté, votre patience dans les peines; voilà les fleurs de la vertu qui vous gagneront le coeur des anges et non des hommes, et qui vous mériteront les louanges de Dieu même; or, lorsque vous serez agréable à Dieu, il vous donnera tout le coeur de votre époux. Si en effet la sagesse de l'homme illumine son visage, quel éclat ne répandra pas la vertu de la femme? Mais enfin si vous tenez à cette parure, dites-moi, au grand jour, à quoi vous serviront toutes ces pierres précieuses? Hé ! pourquoi rappeler ce grand jour? les circonstances présentes ne nous en offrent-elles pas une preuve frappante? Qu'avons-nous vu en effet lorsque ceux qui avaient outragé l'empereur étaient traînés devant les tribunaux et exposés au dernier supplice? Les mères, les épouses se dépouillaient de leurs colliers d'or, de leurs perles, de toute leur parure, de leurs vêtements somptueux; elles prenaient des habits simples et humbles, se couvraient la tête de cendres, et, se roulant devant les portes du tribunal, en cet état elles suppliaient leurs juges. Or, si dans ces jugements, les chaînes d'or, les perles, les riches vêtements sont regardés comme dangereux et perfides; si au contraire la douceur, la bonté, l'humiliation, les larmes, la négligence dans l'habillement, disposent mieux les juges, qu'arrivera-t-il donc, à plus forte raison, dans cet inévitable et redoutable jugement? Quelle raison pourrez-vous apporter, dites-moi, et quelle excuse, quand Dieu vous reprochera ces pierres précieuses, et fera paraître à vos yeux ces pauvres qui ont péri de misère ?

Aussi saint Paul disait-il : Que les femmes ne se parent pas avec des cheveux frisés, ni avec l'or, ni avec les pierres précieuses, ni avec des habits précieux. (I Tim. II, 9.) De là naissent en effet des dangers. Et quand nous jouirions de ces avantages toute notre vie, la mort ne nous en séparera-t-elle pas totalement? Mais avec la -vertu, toute sécurité pour nous, aucun changement, et pas de ruine; elle nous donne plus de sûreté en ce monde, et nous accompagne en l'autre. Voulez-vous donc toujours posséder vos pierres précieuses, et ne perdre jamais votre opulence? Enlevez toute cette parure, et déposez-la par les mains des pauvres, dans le sein de Jésus-Christ. Il vous conservera toutes ces richesses; et quand, après la résurrection, il aura revêtu votre corps d'une brillante clarté, alors il l'embellira avec des ajustements plus riches, avec des ornements préférables à nos vêtements (144) grossiers et ridicules d'ici-bas. Pensez-y en effet; à qui voulez-vous plaire ? et pour qui cette parure.? Pour un cordier, pour un fondeur, pour un courtier ! pour vous en faire regarder et admirer ! Quelle confusion ! quelle honte de vous donner en spectacle, de vous livrer à toutes ces folies devant des gens auxquels vous ne daignez pas même adresser la parole !

Quel moyen donc de mépriser toutes ces frivolités? ce sera de vous rappeler cette parole de votre baptême : Je renonce à toi, Satan, à tes pompes et à ton culte; car l'amour insensé des pierres précieuses tient à la pompe diabolique. Vous avez reçu de l'or, est-ce en effet pour vous enchaîner les membres, ou pour délivrer et nourrir les pauvres? Dites donc fréquemment : Je renonce à toi, Satan; rien de plus sûr que cette parole, si nous la mettons en pratique.

5. O vous, qui allez être baptisés, apprenez-la, je vous en conjure ! c'est la formule de votre pacte avec le Seigneur. Quand nous achetons des esclaves, nous demandons auparavant à ceux qui sont à l'encan : voulez-vous nous servir? Ainsi fait Jésus-Christ. Quand il doit nous prendre à son service, il commence par nous dire : Voulez-vous quitter votre cruel et impitoyable tyran? et il nous admet dans son alliance. Son empire en effet n'est point forcé. Et voyez la bonté de Dieu ! Nous, avant de payer, nous nous informons. auprès de ceux qui sont en vente, et quand nous sommes certains de leur volonté, alors nous donnons le prix. Jésus-Christ n'agit pas de la sorte: il a livré d'avance pour notre rançon tout son sang précieux : Vous avez été achetés à un grand prix (I Cor. VII, 23), dit saint Paul. Et cependant il ne vous oblige pas de le servir malgré vous, et à moins que vous n'ayez la grâce et la volonté de vous engager sous ses lois de vous-mêmes et de votre propre mouvement. Je ne force point, dit-il, je ne contrains personne. Pour nous, nous n'achetons pas d'esclaves vicieux, et si cela nous arrive quelquefois, c'est par erreur; Jésus-Christ, au contraire, a acheté pour- son service des hommes ingrats et méchants, et il a payé comme pour le meilleur serviteur; il a même payé un prix beaucoup plus élevé, et tellement supérieur que sa grandeur est incompréhensible à la raison et à l'intelligence. A-t-il donné en effet le ciel, la terre et la mer? Non, mais quelque chose qui vaut mieux, son précieux sang; et après tous ces sacrifices, il n'exige de nous ni témoins, ni signature; il se contente d'une seule parole; et si vous dites de coeur : Je renonce à toi, Satan, et à tes pompes, votre maître atout ratifié. Disons donc: Je renonce à toi, Satan; et comme au grand jour nous rendrons compte de cette parole, gardons-la avec soin, afin de remettre ce dépôt tout entier.

Or, appartiennent aux pompes du démon les théâtres, les jeux du cirque, le péché quel qu'il soit, l'observation des jours, les enchantements et les présages.

Que sont donc les présages? Souvent un homme au sortir de sa maison, voit un borgne, un boiteux, et il en tire un présage; pompes de Satan. Est-ce en effet la vue d'un homme ou la vie passée dans le péché qui rend le jour mauvais? Quand vous sortez, évitez donc la rencontre du péché, voilà ce qui est funeste, et sans le péché, le démon lui-même ne peut vous faire aucun mal. Mais que dites-vous? Vous apercevez un homme, et vous augurez ! et vous ne découvrez pas le piège de Satan? vous ne voyez pas qu'il vous rend ennemi de qui ne vous fait aucun mal, et que sans aucun motif raisonnable, il vous met en opposition avec votre frère? Dieu nous ordonne d'aimer même nos ennemis; mais vous, vous prenez en aversion celui qui ne vous a causé aucun tort, et à qui vous n'avez rien à reprocher ! Quel travers ridicule, quelle honte, ou plutôt quel péril ! Dévoilerai-je encore une chose plus ridicule? J'en rougis, j'en suis confus, mais votre salut me force à parler. Si l'on rencontre une vierge, jour perdu, dit-on; mais si c'est une prostituée, jour favorable, heureux, grand commerce, Vous vous cachez, vous vous frappez le front, vous baissez la tête 1 Mais est-ce quand on prononce ces paroles, que l'on en doit rougir, ou quand on les met en pratique? Voyez donc comme le démon cache ici ses ruses ! Il détourne vos regards d'une femme modeste, et il vous inspire des penchants et de l'amour pour une impudique : pourquoi? c'est qu'il a entendu cette sentence de Jésus-Christ: Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère (Matth. V, 28); c'est qu'il a vu bon nombre d'âmes triompher de la luxure; alors voulant les ramener au péché par une autre voie, il les a portées, au moyen de ce présage , à fixer avec plaisir leur vue sur une femme débauchée.

Mais que dire de ceux qui emploient les (145) enchantements, les ligatures, et qui enveloppent leur tête et leurs pieds des médailles d'airain d'Alexandre de Macédoine? Dites-moi, après la croix et la mort de Notre-Seigneur, devions-nous nous attendre à ce que nous mettrions l'espoir de notre salut dans l'image d'un roi païen? Ignorez-vous donc l'immense pouvoir de la croix? N'a-t-elle pas détruit la mort, anéanti le péché, dépeuplé l'enfer, brisé la puissance du démon? et vous ne la jugeriez pas capable de sauver vos corps? Elle a rassuré tout l'univers, et elle ne serait pas digne de votre confiance? Oh ! quel châtiment ne mériteriez-vous pas? Mais outre vos ligatures, vous vous entourez encore d'enchantements, introduisant à cet effet dans vos maisons de vieilles femmes ivres et chancelantes; et vous n'êtes pas confus, vous n'êtes pas honteux, après nos sublimes enseignements, de vous laisser encore fasciner à ces impostures ? Et ce qui est encore plus funeste que l'erreur même, c'est qu'à nos avertissements pour en détourner, on oppose cette excuse imaginaire, on nous dit : Cette enchanteresse est chrétienne, elle ne profère que le nom de Dieu. Voilà précisément pourquoi je l'ai en abomination ! car elle ne prononce le nom divin que pour l'outrager; elle se dit chrétienne, et elle fait les oeuvres des païens. Les démons eux-mêmes ne proféraient-ils pas ce saint nom? et cependant c'étaient des démons; ils disaient, il est vrai, à Jésus-Christ Nous savons que vous êtes le Saint de Dieu; et néanmoins il les réprimanda et les chassa. Je vous en supplie donc, n'ayez aucune part à ces fourberies, et prenez pour défense la parole de votre baptême. Voudriez-vous descendre au forum sans chaussures, ni vêtements? Eh bien 1 ne paraissez jamais en public sans cette sainte parole; et avant de franchir le seuil de votre porte, dites : Je renonce à toi, Satan, à tes pompes, à ton culte, et je m'attache à vous, ô Jésus-Christ ! Ne sortez jamais sans cette parole : elle sera votre défense, votre bouclier, elle sera pour vous une tour imprenable. Avec cette parole, imprimez la croix sur votre front. Et alors ni la rencontre d'un homme, ni le démon lui-même ne pourra vous nuire grâce à cette armure qui vous couvrira de toutes parts. — Désormais instruisez-vous de ces vérités, afin que, quand vous entendrez le signal, vous soyez comme un soldat bien équipé, et que, triomphant du démon, vous receviez la couronne de justice que je vous souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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