ACTES LIII

HOMÉLIE LIII. LE ROI, LE GOUVERNEUR, BÉRÉNICE, ET CEUX QUI ÉTAIENT ASSIS AVEC EUX, SE LEVÈRENT. ET S'ÉTANT RETIRÉS A PART, ILS PARLÉRENT ENSEMBLE ET DIRENT : « CET HOMME N'A RIEN FAIT QUI SOIT DIGNE DE LA MORT OU DE LA PRISON ». AGRIPPA DIT A FESTUS : « CET HOMME POUVAIT ÊTRE RENVOYÉ ABSOUS, S'IL N'EN EUT POINT APPELÉ A CÉSAR. » (CHAP. XXVI VERS. 30-32, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE XXVII.)

 

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ANALYSE. 1.- 4. Saint Paul est embarqué pour aller à Rome comme prisonnier. — Tempête et naufrage. — Le navire est jeté sur la côte de l'île de Malte ; pas un des passagers ne périt.

5 Que c'est un grand avantage pour les hommes d'avoir un seul saint parmi eux. — La foi est un port sûr. — Grand pouvoir des saints.

 

1. Voyez comme ils rendent de nouveau leur, sentence à son sujet; et après que Festus lui avait dit : «Vous êtes insensé, Paul », ils le déclarent innocent cri disant ainsi qu'il n'a mérité ni la mort, ni même la prison ; et ils l'auraient complètement relâché et mis hors de cause, s'il n'en eût appelé à César. Or, ceci arriva par la permission de la Providence; c'est elle-même qui permit qu'on le laissât aller, sans le délivrer de ses chaînes. Voilà pourquoi il disait . « Jusqu'à. être dans les chaînes comme un scélérat ». (II Tim. II,  9.) Car si son maître a été mis an nombre îles méchants, à combien plus forte raison, lui, doit-il l'être; mais il n'a pas plus de souci que ce même maître de la gloire ale ce monde. Et ce qui paraît étonnant, c'est qu'étant mêlé et confondu dans leurs rangs, il n'en ait reçu aucun mal.

« Après qu'il eût été résolu que nous serions embarqués pour nous.rendre en Italie, on remit Paul avec d'autres prisonniers entre les mains d'un nommé Jules, centenier dans la cohorte appelée l'Auguste. Nous montâmes sur un vaisseau d'Adramyte, et nous levâmes l'ancre pour côtoyer les terres d'Asie, ayant avec nous Aristarque, macédonien de Thessalonique. Le jour suivant, nous arrivâmes à Sidon ». Remarquez que jusqu'à ce moment cet Aristarque est resté le compagnon de voyage de Paul, ce qui est. utile pour qu'il puisse annoncer ensuite en Macédoine tout ce qui s'est passé. « Et Jules traitant Paul avec humanité, permit qu'il allât voir ses amis, et que l'on eût soin de lui. Etant partis de là, nous prîmes notre route au-dessous de Chypre, parce que les vents étaient contraires » (Cliap. XXVII, 1-4.) Jules », dit-il, « traitant Paul avec humanité, lui permit... » Cette permission donnée honorait Jules; de cette façon, Paul se rendant auprès de ses connaissances, pouvait en recevoir des soins; car il.est vraisemblable qu'il avait eu beaucoup à souffrir de la prison , des anxiétés, de ces déplacements incessants. Et remarquez que Jules ne dissimule pas ses intentions bienveillantes à ce sujet. Puis arrivent de nouvelles épreuves les vents sont encore une fois contraires. Voyez comme, de tout temps, les épreuves forment la trame de la vie des saints : ils avaient échappé au tribunal ; ils rencontrent maintenant le naufragé et 1a tempête. C'est ce que le texte expose comme il suit.

Et après avoir traversé la mer de Cilicie a et de Pamphylie, nous arrivâmes à Lystre de Lycie; et là, le centenier ayant trouvé un vaisseau d'Alexandrie, qui faisait voile pour l'Italie, nous y fit embarquer ». — « Ayant trouvé », dit-il, « un vaisseau d'Alexandrie». C'est bien à propos que ce navire est trouvé, pour que les actes de Paul soient annoncés, (276) par les uns en Lycie, par les autres en Asie, Remarquez que Dieu n'innove rien, ne change rien quant à la marche des phénomènes naturels, et qu'il permet ainsi que Paul navigue avec des vents contraires. Mais c'est à cette occasion même qu'éclate l'action de la Providence.: pour les sauver de tout danger, pendant leur navigation, il ne les expose pas en pleine mer, mais il permet qu'ils ne s'écartent jamais des côtes. « Nous allâmes fort lentement pendant plusieurs jours, et.nous arrivâmes avec de grandes difficultés vis-à-vis de Cnide, et, comme le vent nous empêchait d'avancer, nous côtoyâmes l'île de Crète vers Salmone. Et allant avec peine le long de cette côte, nous abordâmes à. un lieu nommé Bons-Ports, près duquel était la ville de Lasée. Mais, parce que beaucoup de temps s'était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, le temps du jeûne, étant déjà passé, Paul donna cet avis à ceux qui nous conduisaient : Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls, non-seulement pour le vaisseau et' pour sa charge, mais aussi pour nos personnes et pour nos vies. Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote et du maître du vaisseau, qu'à ce que Paul disait (5-11) ». Je pense qu'on veut parler ici du jeûne que gardent les Juifs; car ce ne .fut que longtemps après la Pentecôte qu'ils repartirent de Bons-Ports; de sorte qu'on peut conjecturer que c'est dans le coeur même de l'hiver qu'ils étaient venus dans les parages de la Crète. Et ce n'est pas une petite merveille de voir que c'est à cause de lui que tous ceux qui montaient avec lui ce navire sont préservés du naufrage. « Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls; non-seulement pour le vaisseau et pour sa chargé, mais aussi pour nos personnes et nos vies ». Paul donc les exhortait à rester, et leur prédisait ce qui devait arriver; mais eux, pressés de partir, et ayant d'ailleurs quelque difficulté à aborder en cet endroit, voulaient aller passer l'hiver à Phénice.

2. Et considérez, je vous prie, les desseins de la Providence : ils commencèrent par lever l'ancre et ils partirent; ensuite le vent ayant soufflé avec violence; ils furent forcés de s'abandonner à sa discrétion, et eurent beaucoup de peine à se sauter. « Et comme le port n'était pas propre pour hiverner, la plupart furent d'avis de se mettre en mer pour tâcher de gagner Phénice, qui est un port de Crète qui regarde les vents du , couchant d'hiver et d'été, afin d'y passer l'hiver. Le vent du midi commençait à souffler doucement, ils pensèrent qu'ils viendraient à bout de leur, dessein, et ayant levé l'ancre, ils côtoyèrent le plus près qu'ils purent l'île de Crète. Mais il se leva peu après un vent impétueux de nord-est; qui donnait contre l'île; et comme il emportait le vaisseau, sans que nous pussions y résister, nous le laissâmes aller au gré du vent. Nous fûmes poussés au-dessous d'une petite île appelée Claude, où nous pûmes à peine être maîtres de l'esquif. « Mais rayant enfin tiré à nous, les matelots employèrent toutes sortes de moyens, et lièrent le vaisseau par dessous, craignant d'être jetés sur des bancs de sable ; ils abaissèrent les voiles, et s'abandonnèrent ainsi à la mer. Et comme nous étions rudement battus par la tempête, le jour suivant ils jetèrent les marchandises dans la mer, et le troisième jour, ils y jetèrent aussi de leurs propres mains tous les agrès du vaisseau. Le soleil ni les étoiles ne parurent durant plusieurs jours, et la tempête était toujours si violente que nous perdîmes tonte espérance de nous sauver. Mais comme il y avait longtemps que personne n'avait mangé , Paul se levant au milieu d'eux,- dit..... » Remarques qu'à la suite de cette violente tempête, il ne leur parle pas avec insolence, mais qu'il veut simplement lés disposer à ajouter, à l'avenir, plus de foi en ses paroles qu'ils ne l'ont fait. Voilà pourquoi il allègue ce qui vient de se passer comme confirmant la vérité de ce qu'il va dire. Et il leur prédit deux choses, à savoir: qu'ils seront jetés parles flots dans une île, et que le navire périra, mais que les passagers seront sauvés «(ce qui n'était pas une pure conjecture, mais une prophétie) ; et qu'il doit lui-même comparaître devant César. «Et ces paroles : « Dieu vous a donné tous ceux », ce n'est pas par vaine jactance qu'il les prononce, mais pour amener à la vraie foi ses compagnons de navigation : il ne leur parle pas ainsi pour qu'ils lui soient reconnaissants de ce qu'il a fait; mais, pour qu'ils croient à la vérité de ses paroles: En disant : « Dieu vous a donné », c'est comme si Paul disait . ils ont mérité la mort, car ils n'ont pas voulu t'écouter. Mais en ta faveur, je consens à leur faire grâce. (277) « Et parce qu'il y avait longtemps que personne n'avait mangé, Paul se levant au milieu d'eux, leur dit : Sans doute, mes amis, a vous eussiez mieux fait de me croire, et de ne point partir de Crète, pour nous épargner a tant de peine et une si grande perte. Je vous exhorte néanmoins à avoir bon courage, a parce que personne ne périra, et il n'y aura que le vaisseau de perdu. Car cette nuit même un ange de Dieu à qui je suis, et que je sers, m'a apparu et m'a dit : Paul, ne craignez point., il faut que vous comparaissiez devant César, et je vous annonce que Dieu vous a donné tous ceux qui naviguent avec vous. C'est pourquoi, mes amis, ayez bon courage: car j'ai cette confiance en Dieu que ce qui m'a été dit arrivera. Mais nous devons être jetés contre une certaine île. La quatorzième nuit, comme: les vents nous poussaient de tous côtés sur .la mer Adriatique, les matelots crurent vers minuit qu'ils approchaient de quelque terre ; et. ayant jeté la sonde, ils trouvèrent vingt brasses, et un peu plus loin ils en trouvèrent quinze. « Mais craignant que nous n'allassions donner a contre quelque écueil, ils jetèrent quatre ancres du côté de la poupe, et ils attendaient avec impatience que le jour parût. Or, comme les matelots cherchaient à s'enfuir du vaisseau, et qu'ils descendaient l'esquif en mer, a sous prétexte d'aller jeter les ancres du côté de la proue, Paul dit au centenier et aux soldats : Si ces gens-ci ne demeurent pas dans le vaisseau, vous ne pouvez vous sauver. Alors les soldats coupèrent les câbles de l'esquif et le laissèrent tomber (12-32) ».

Il nous a montré par là que les matelots, ne croyant pas à la vérité de ses paroles, étaient soir le point de s'éloigner du navire : mais le centenier et tous les soldats qui étaient avec lui, ne partageaient pas leur incrédulité. Voilà pourquoi il dit : « Si ces gens-ci prennent la fuite, vous ne pouvez vous sauver ». Au fond, il ne parle pas ainsi pour épargner ce malheur à ceux auxquels il s'adresse, mais pour retenir les matelots, et pour que la prophétie tout entière s'accomplisse.

Paul leur enseigne à tous sa sublime philosophie comme s'ils étaient réunis dans une église, et il les retire du milieu des dangers. Et la Providence permet que d'abord l'on n'ajoute pas foi aux discours de Paul, afin que l'expérience même des événements ramène la confiance en ses paroles. Et c'est ce qui arriva. Puis, il les exhorte à prendre de la nourriture, et c'est ce qu'ils font; et lui-même en prend le premier, pour leur persuader, non par des paroles, mais par des actes, que la tempête ne doit faire aucun mal à leurs corps; bien plus, qu'elle doit profiter à leurs âmes. « Au point du jour, Paul les exhorta tous à prendre de la nourriture, disant : Il y a aujourd'hui quatorze jours que vous êtes à jeun, et que vous n'avez rien pris en attendant la fin de la tempête. C'est pourquoi je vous exhorte à prendre de la nourriture, pour vous pouvoir sauver; car il ne tombera pas un seul cheveu de la tête d'aucun de vous. Après avoir dit cela, il prit du pain, et ayant rendu grâces à Dieu devant tous, il le rompit, et commença à manger. Tous les autres prirent courage à son exemple, et se mirent aussi à manger. Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout. Quand ils. furent. rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer. Le jour étant venu; ils ne reconnurent point quelle terre c'était ; mais ils aperçurent un golfe ayant un rivage, et ils résolurent d'y faire échouer le vaisseau, s'ils pouvaient. Ils retirèrent les ancres, et lâchèrent en même temps les attaches des gouvernails, et s'abandonnant à la mer, après avoir déployé la voile de l'artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent. Mais ayant rencontré une langue de terre qui avait la mer des deux côtés, ils y firent échouer le vaisseau, et la proue s'y étant enfoncée demeurait immobile, mais la poupe se rompit par la violence des vagues (33-41) ».

3. Le démon tente de nouveau d'empêcher l'accomplissement de la prophétie; déjà ils avaient décidé qu'un certain nombre de passagers. seraient mis, à mort: mais le centenier, voulant sauver Paul, ne le permit pas, tant il avait déjà d'attachement pour lui. « Les soldats étaient d'avis de tuer les prisonniers, de peur que quelqu'un d'eux, s'étant sauvé à la nage, ne s'enfuît. Mais le centenier les en empêcha parce qu'il voulait sauver Paul, et il commanda que ceux qui pouvaient nager se jetassent les premiers hors du vaisseau, et se sauvassent à terre, et que les autres se missent sur des planches et sur des pièces du vaisseau. Et ainsi ils gagnèrent tous la terre et se sauvèrent (42-44). Et s'étant ainsi (278) sauvés, ils reconnurent que l'île s'appelait Malte ». (Chap. XXVIII, 1.) Voyez-vous tout le bien qui est sorti de cette tempête? Si cette tempête est arrivée, ce n'est pas que la main de Dieu les ait abandonnés. Et comment, direz-vous, pouvaient-ils tenir ainsi à jeun, et ne prenant aucune nourriture ? Ils étaient sous l'empire d'une crainte si vive, qu'elle ne leur permettait pas de ressentir les atteintes de la faim, au moment même où ils allaient courir les plus grands dangers. Et la merveille est bien plus grande que, dans un tel moment, ils aient été sauvés du milieu des dangers, lui-même et tous les autres à cause de lui. « Et après avoir déployé la voile de l'artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent». Il dit cela pour montrer toute la violence de la tempête par laquelle ils étaient ballottés. Car ordinairement ce n'est pas cette manoeuvre qu'ils exécutent. Et il a été dit plus haut (17) qu'ils abaissèrent les voiles (c'est ce qui a lieu, quand le veut est violent), pour se garantir ainsi contre, l'impétuosité du vent. Et c'est dans l'Adriatique, où il est si difficile de se sauver, qu'ils se trouvaient exposés à tous ces dangers. « Or nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ». Et comment l'auteur de ce récit sait-il qu'il y avait un tel nombre de gens naviguant ensemble? Il est probable qu'ils ont demandé pour quel motif tous ces hommes naviguaient, et qu'ils ont ainsi tout appris. Ils ne prenaient aucune nourriture, parce qu'ils ne songeaient pas à manger en présence d'un si affreux danger.

Et voyez comme Paul sait mettre à profit, pour enseigner sa doctrine, tons ces retards, tous ces contre-temps ! Et ce n'était pas un petit résultat que d'amener à la vraie foi tous ces hommes ! Mais reprenons de plus haut les paroles de notre texte. « Mais parce que beaucoup de temps s'était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, Paul leur donna cet avis : ales amis, je vois que la navigation s'en va devenir très-fâcheuse et pleine de périls ». Remarquez combien ce langage est exempt de tout orgueil :pour ne pas paraître, à leurs yeux, prophétiser, mais parler par simple conjecture. « Je vois », dit-il; car ils ne l'eussent pas écouté, s'il. leur eût dit cela tout de suite, et comme devant certainement arriver...... Dans l'ordre naturel des choses, ils étaient destinés à périr, mais Dieu y a mis des empêchements. « Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote qu'à ce que disait Paul ». Pour qu'il apparaisse clairement que ce n'est pas par conjecture due Paul a dit tout cela, le pilote dit tout le contraire, lui qui connaît par expérience ces sortes de choses. « Et comme le port n'était pas propre pour hiverner ». Remarquez ceci : les lieux mêmes, ainsi qualifiés, nous apprennent que ce n'était, pas par conjecture que Paul parlait de la sorte : ceux qui paraissent avoir parlé par conjecture, ce sont les passagers, et il yen avait un. grand nombre de cet avis, qui conseillent au centenier de mettre. à la voile. Mais cela ne leur servit de rien ; car ils ne tardèrent pas à être battus par la tempête, et furent obligés de jeter à la mer une partie de leur chargement. C'est pour montrer cela, que le texte ajoute : « Et comme nous étions rudement battus par la tempête, nous jetâmes de nos propres mains les agrès du vaisseau ». La Providence permet que tout cela arrive, pour qu'à l'avenir ils cessât d'être incrédules. L'ouragan se lève, et d'épaisses ténèbres les enveloppent. Pour éviter le naufrage, ils jettent à la mer et le blé et tout le reste » ; car c'est ce que signifient ces mots : « Nous jetâmes les agrès du navire. Et parce qu'il y avait longtemps que personne n'avait mangé, Paul leur dit : Il fallait m'écouter, pour vous épargner une si grande perte ». Voyez-vous comme la tempête, et ces ténèbres qui les enveloppent, contribuent à les rendre plus dociles? Quant au centenier, il se montre docile à ce point qu'il laisse les soldats couper les câbles de l'esquif, pour le laisser périr dans les flots. Et ne soyez pas surpris que les matelots ne montrent que plus tard leurs dispositions à croire : cette espèce d'hommes est effrontée, et croit difficilement à ce qu'on lui dit.

Mais vous, considérez ici. la prudence de Paul. Il ne prend pas le ton du reproche, de la colère, mais se contente de leur dire doucement : « Il fallait ». Il savait, en effet, que celui qui prend ce ton au moment d'un grand désastre, est mal accueilli, mais qu'il n'en est pas ainsi lorsque le plus grand danger est passé. Il ne les presse donc que lorsqu'ils ont perdu tout espoir de se sauver, et alors même, leur annonce des choses utiles. « Quand la quatorzième nuit fut arrivée », dit le texte, « pleins de crainte, ils attendaient avec (279) impatience que le jour vint ». Il s'exprime ainsi, de peur que quelqu'un ne vienne à dire qu'il n'était rien arrivé. Et leur frayeur montre lien ce qui s'était passé en effet. « Pleins de crainte», dit-il, « ils attendaient avec impatience que le jour vint ». La position est dangereuse; car c'est sur la mer Adriatique que tout cela arrive; et depuis longtemps ils n'avaient pas mangé. « Il y a aujourd'hui quatorze jours », dit-il., « que vous êtes à jeun, et que vous. n'avez rien pris en attendant la fin de la tempête ». Ainsi, tout concourait à les mettre, pour ainsi dire, aux portes de la mort. C'est pourquoi il ajoute : « Je vous exhorte à prendre de la nourriture, car ce n'est qu'ainsi que vous pourrez vous sauver», c'est-à-dire, prenez de la nourriture pour ne pas mourir de faim. « Et ayant pris du pain », dit le texte, « il rendit grâces à Dieu ».

4. Cette action de grâces pour ce qui vient de se passer non-seulement les fortifie, mais encore leur donne du courage. « Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ». C'est de tout ce monde qu'il a dit : Il ne périra pas, d'entre a vous, une seule âme ». Cette prédiction qu'ils seront tous sauvés, ne peut partir que d'une âme qui est en possession d'une certitude pleine et entière. « Quand ils furent rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer ». Avez-vous remarqué qu'ils ne croient Paul qu'en ce qui concerne le conseil qu'il leur a donné de prendre de la nourriture, et que déjà, ils s'en rapportaient tellement à Paul pour tout le reste, qu'ils jetaient le blé dans la mer. Voyez. comme ils se laissent aller, dans leurs actions, à des sentiments tout humains, sans. que Paul les en empêche. « Le jour étant venu, ils lâchèrent les attaches du gouvernail... Et les soldats étaient d'avis de tuer les prisonniers ». Ne pensez-vous pas qu'en cela encore ceux-ci auront été reconnaissants envers Paul? En effet, c'est à cause de lui que le centenier ne permit pas qu'on les tuât. Et ce qui me fait croire plue ces hommes étaient évidemment des scélérats, c'est qu'on se décide à les mettre à mort de préférence aux autres. Mais on n'en fit rien, parce qu'on en fut empêché par le centenier : les uns donc se sauvèrent à la nage, les autres sur des radeaux; de sorte qu'il n'y eut.pas un seul des passagers qui n'échappât à la mort, et que la prophétie reçut enfin son accomplissement, bien que sans éclat, quant à la durée du temps écoulé : en effet, ce n'était pas plusieurs années à l'avance que Paul avait prédit ces événements, mais il s'était contenté de suivre comme pas à pas la marche naturelle des choses. Tout ici dépassait les espérances purement humaines, et ce ne fut qu'au prix de leur, propre délivrance qu'ils.apprirent qui il était. On dira peut-être : mais pourquoi n'a-t-il pas sauvé aussi le navire?

Pour qu'ils sussent bien à quels dangers ils venaient d'échapper, et parce que rien n'arrivait.ici par l'effet d'un secours purement humain, ruais par la main de Dieu qui les a sauvés, bien qu'ils n'aient plus de navire. Ainsi les justes, dans le déchaînement même des tempêtes, au milieu des flots d'une mer en courroux, non-seulement ne souffrent aucun mal, mais encore ont le pouvoir de sauver ceux qui sont avec eux. Si ces prisonniers, après que le navire a été ballotté par les flots et a fait naufrage, ont été sauvés par Paul, songez combien on doit s'estimer heureux de posséder dans sa maison un saint homme ; car sur cette terre, bien des tempêtes tout autrement terribles que celles-là, se déchaînent sur nous; mais Dieu peut nous sauver, pourvu que nous écoutions les saints, comme firent ces prisonniers, pourvu que nous lassions ce qu'ils nous prescrivent. Et ils ne sont pas sauvés purement et simplement, mais encore ils ont porté avec eux la foi dans le monde. Bien qu'un saint soit enchaîné, il opère encore de plus grandes choses que ceux qui sont libres. Et remarquez que c'est ce qui arrive ici. Le centenier, tout libre qu'il était de ses mouvements, avait besoin de cet homme enchaîné; le pilote, si expérimenté dans son art, avait besoin de celui qui n'entendait rien à cet art, et qui, en réalité, était en ce moment le vrai pilote.

En effet, ce n'était pas ce navire-là, mais l'Eglise universelle qu'il gouvernait, non à l'aide d'un. art tout humain, mais en vertu d'une science toute spirituelle , après avoir appris ce gouvernement de Celui qui est aussi le maître de la mer. Pour ce navire, il y a aussi bien des écueils, bien des flots soulevés, bien des souffles de malice. a Ce n'est que combats au dehors, que frayeurs au dedans ». De sorte que le véritable pilote, c'était lui. (280) Jetez un coup d'oeil sur l'ensemble de la vie humaine. Tantôt nous sommes l'objet de toute la bienveillance de nos semblables; tantôt nous sommes ballottés. au gré de leurs caprices, et souvent aussi nous tombons dans mille maux par nos propres folies ou par nos propres négligences, mais bien plus encore parce que nous n'écoutons pas Paul, et que nous nous hâtons d'aller là où il ne veut pas que nous allions. En effet, maintenant encore il est embarqué avec nous, mais sans être enchaîné comme il l'était alors ; maintenant encore il exhorte ceux qui naviguent sur la mer de ce monde, et leur dit : « Prenez garde à vous-mêmes.:. « car je sais qu'après mon départ, il entrera parmi vous des loups ravissants ». Et encore : « Dans les derniers jours, il viendra des temps fâcheux, et il y aura des hommes amoureux d'eux-mêmes, avares, glorieux »: Et ce vent-là est bien le plus dangereux pour ceux qui traversent les flots agités de cette vie.

5. Restons donc où il nous ordonne de rester, dans la foi, qui est pour nous le port le plus sûr; écoutons-le plutôt que ce pilote qui est en nous, c'est-à-dire, notre raison. Ne faisons pas ce que nous suggère ce pilote, faisons ce que Paul nous recommande : il a déjà traversé sans péril bien d'autres tempêtes. N'attendons pas l'expérience pour nous instruire, mais avant toute expérience, sachons éviter l'outrage et la ruine. Ecoutons-le nous disant : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». Ajoutons foi à ces paroles, sachant ce qui est arrivé à ceux qui n'ont pas voulu- l'écouter. Et, dans un autre endroit, il explique d'où viennent les naufrages. « Quelques-uns ont fait naufrage, en perdant la foi ». Persistez donc dans les doctrines qui nous ont été enseignées, et auxquelles vous avez cru. Ajoutons foi aux paroles de Paul, et nous serons délivrés de tous les périls, alors même que nous serions au plus fort de la tempête, que nous serions restés quatorze jours à jeun, que tout espoir de salut serait perdu, que nous serions plongés dans les plus épaisses ténèbres. Considérons l'univers entier comme un navire sur lequel nous voguons, et où nous avons pour compagnons de notre traversée des méchants, des hommes perdus dé vices, les uns qui nous commandent, les autres qui nous gardent, et, à côté de quelques justes, comme Paul, des prisonniers, c'est-à-dire, des hommes qui sont dans les liens du péché. Si nous croyons à la parole de Paul, bien qu'enchaînés, nous ne périrons pas, mais, tout au contraire, nous . serons délivrés de nos chaînes. Car, à nous. aussi, Dieu pardonnera en sa faveur. Ne pensez-vous pas que lés péchés et les passions sont de bien lourdes chaînes? C'est sur l'homme tout entier, et non sur ses mains seulement, qu'elles s'appesantissent. En effet, dites-moi : lorsqu'un homme, qui a acquis de grandes richesses, ne les emploie ni ne les dépense, mais les garde dans ses coffres, n'est-il pas chargé, par sa parcimonie même, de chaînes plus dures que quelque prisonnier que ce puisse être? De même, quand un homme s'abandonne aux caprices du sort, ne se. charge-t-il pas d'une autre espèce de chaînes? Et lorsqu'il se livre à des pratiques superstitieuses ; lorsqu'il consulte les présages; ou bien, lorsqu'il est la proie de quelque passion insensée ou de l'amour, ne trouve-t-il pas dans tout cela des chaînes plus lourdes que toutes celles qu'on pourrait imaginer? Et qui pourra briser toutes ces chaînes? Evidemment, nous ne pouvons en être délivrés que par l'aide de Dieu. Et une seule de ces choses suffit pour nous mettre en danger : mais si nous.nous trouvons à la fois enchaînés, et ballottés par la tempête, jugez du danger dans lequel nous sommes. La faim, la tempêté, la méchanceté de nos guides, un contre-temps, chacun de ces maux pris à part ne suffit-il pas pour nous perdre? Eh bien, c'est à tous ces maux réunis que Paul résista glorieusement. Or, il en est de même aujourd'hui : retenons les saints auprès de nous, et il n'y aura pas de tempête. Que dis-je ? S'il s'élève une tempête, peu après un grand calme, une grande sérénité lui succéderont, et, par suite, nous serons délivrés de tout danger, comme cette veuve qui avait donné l'hospitalité à un saint, par l'intercession duquel son fils ressuscité fut rendu aux embrassements de sa mère. Là où les saints mettent les pieds, il n'arrivera, rien de fâcheux; ou s'il arrive quelque chose de fâcheux, cela n'arrive que pour nous éprouver et procurer la plus grande gloire de Dieu. Faites en sorte que le pavé de vos demeures soit souvent foulé par de tels pieds, et il ne le sera pas par ceux du démon. Et il est bien juste qu'il en soit ainsi. Un suave parfum qui embaume l'air, ne laisse pas de place aux  (281) odeurs désagréables : dé même là où l'on respire le parfum de la sainteté, le démon expire comme suffoqué par ces exhalaisons mortelles pour lui, tandis que ce même parfum , se répandant partout, réjouit tous ceux qui ont le bonheur de vivre avec ce saint, et dilate leurs âmes. Là où croissent les ronces et les épines, là pullulent de hideuses bêtes; mais il ne.. croit ni ronces; ni épines, là où s'exerce l'hospitalité; car l'esprit de miséricorde et de charité, en y pénétrant , les retranche et les fait disparaître mieux que ne pourrait le faire la faux la plus tranchante ou le feu le plus violent. Ne craignez rien : de même que les renards respectent les lions, de même tout respecte l'empreinte des pas des saints. « Le juste », dit l'Ecriture, « a toute l'assurance d'un lion ». Introduisons ces lions dans nos demeures, et toutes ces bêtes seront mises en fuite, sans que ceux-ci aient besoin de pousser de grands cris; il leur suffira de parler. Car le rugissement du lion a moins de pouvoir pour mettre en fuite les bêtes sauvages, que la prière du juste pour mettre en fuite les démons; il n'a qu'à parler, ils tremblent. Mais, me direz-vous, où sont aujourd'hui de tels hommes? — Partout, si nous avons la foi , si nous cherchons, et si, pour trouver, nous n'épargnons pas nos peines. — Mais, dites-moi, où donc avez-vous cherché? Quand vous êtes-vous jamais occupé de ce soin? Si vous ne cherchez pas, ne soyez pas surpris que vous ne trouviez paves. « Celui  qui cherche , trouve », et non celui qui ne cherche.pas. Allez entendre ceux qui vivent dans la solitude; il y en a dans toutes les parties de l'univers. Si vous ne pouvez pas recevoir ce saint dans votre maison, allez le trouver, liez-vous avec lui; ou, du moins, approchez-vous de sa demeure, pour que vous puissiez réussir à le voir et obtenir sa bénédiction. Car elle est puissante la bénédiction qui nous vient des saints : ne négligeons rien pour l'obtenir, afin qu'à  l'aide de leurs prières, nous puissions jouir de la miséricorde de ce Dieu, qui fait ta. force des. saints , par la grâce et la charité de son Fils unique, avec lequel, gloire; puissance , honneur, au Père et, au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles dès siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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